Les Magiciens Du Nouveau Siècle
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Les Magiciens du nouveau siècle Les Magiciens du nouveau siècle © Pygmalion, département de Flammarion, 2018. ISBN : 978-2-7564-1837-7 Première partie LES SCIENCES FASTES ET NÉFASTES Chapitre 1 La science à l'orée du millénaire Apogée ou déclin ? – La science du XXIe siècle commence dans les années 1930 – André Helbronner – Le Z-pinch – Bergier, la chimie physique et l'alchimie – Et le temps ? – Univers divergents – Mais la gravitation est-elle une force fondamentale ? – Univers ou multivers ? – Et la physique quantique ? – Qu'est- ce donc que la physique ? – Un univers en lacet de botte – Les expériences d'Antoine Suarez – L'illusion du hasard – Un monde complexe – De l'auto- organisation à l'écologie globale – L'hypothèse Gaïa – De la Lune aux satellites artificiels : le ciel de toutes les merveilles et de tous les dangers – Les géocroiseurs – Météorites et comètes : de quelques événements où l'on frôle le cataclysme – Nous sommes de la poussière d'étoiles – Des hommes et de l'espace Le XXIe siècle verra-t‑il un apogée ou un déclin de la science ? Si nous regardons les pays dits développés – USA, Australie, pays européens, Japon, Corée du Sud, Chine, Russie – auxquels s'ajoutent les pays dits émergents, il semble que les avancées scientifiques ne cessent pas, que chaque jour apporte sa moisson de découvertes et renouvelle notre image du monde. Pourtant, des mouvements qui paraissent encore marginaux ne cessent d'attaquer ce bel optimisme et le mythe prométhéen du progrès. Ces nébu- leuses – comme la presse aime à les qualifier – regroupent des réseaux parfaitement organisés et structurés mais qui agissent en ordre dispersé. Ils sont de nature religieuse, qu'ils se revendiquent ou non comme tels, et se construisent autour de rêves collectifs antinomiques du désir de progrès. L'un d'eux, l'islamisme salafiste, à ne pas confondre avec l'ensemble des musulmans, se fait remarquer par sa violence et par la place sociale très inférieure qu'il accorde aux femmes, mais son attitude vis‑à-vis de la science semble assez mal connue. Notons qu'une de ses branches les plus extré- mistes, Boko Haram, refuse toute lecture en dehors du Coran, et donc tout 9 Les Magiciens du nouveau siècle intérêt pour les connaissances scientifiques ou techniques. Certains sites Internet parlant au nom de l'islam radical critiquent la théorie de l'évolution ou même la relativité au nom du Coran ; comme ils paraissent s'adresser à un public d'adolescents peu instruits, leur description du discours scienti- fique laisse aussi perplexe que sa réfutation. Mais ce n'est pas la seule mou- vance qui rejette cette curiosité envers le substrat du monde. Un culte de la Nature mère se fait jour, surtout dans les pays anglo-saxons, qui accuse, au nom de l'écologie, l'espèce humaine de « détruire la planète », ou du moins ses autres enfants, les espèces sauvages. Tout y passe : la révolution indus- trielle, la science qui l'a permise et s'est appuyée sur la technologie pour progresser, parfois même la révolution néolithique, c'est‑à-dire l'invention de l'agriculture et de l'élevage. Les plus radicaux considèrent l'intelligence de l'homme comme une impasse évolutive, une erreur de casting de la part de la Terre mère. Culte d'un Dieu mâle brandissant la Loi ou culte d'une Déesse immanente, foisonnante et blessée : dans les deux cas, il s'agit de mythes de la culpabilité humaine qui se répondent comme en miroir, selon que l'accent sera mis sur l'un ou l'autre sexe. L'écho du récit biblique mal digéré au travers des traductions ne cesse de retentir, comme il résonnait mêlé au mépris de Platon pour le corps dans les premiers siècles de notre ère. De ce point de vue, notre époque ressemble de plus en plus aux débuts de l'Empire romain. Pourtant, si les trois siècles de l'Empire ont vu s'affronter plus de quêtes gnostiques, de rites et de croyances que de prolongements de la science grecque, cette dernière ne fut jamais oubliée. On en perdit quelques pans faute de recopier les textes inscrits sur un support des plus fragiles, le papyrus, on en perdit aussi du fait des épidémies de peste et des guerres, mais l'essentiel fut conservé et se retrouva dans les universités médiévales. Nous lui devons les fondements de nos mathématiques, de notre astrono- mie, de notre médecine et de notre science des matériaux. L'essor vers la connaissance reprit quelques siècles plus tard sous l'égide d'abord des écoles cathédrales du Moyen Âge, de nos premières universités, puis des princes de la Renaissance, protecteurs des savants. Pendant quelques siècles toute- fois, on s'intéressa à tout autre chose : à la théologie, à l'art, à la guerre et au pouvoir, à survivre malgré la peste… Nous ne sommes pas à l'abri du retour de telles ruptures dans les moteurs essentiels de nos civilisations. En un temps incertain, comme notre début de XXIe siècle, il nous semble impor- tant de faire le point de notre savoir, de nos ignorances, de nos choix existentiels et des mythes qui attisent notre désir collectif. Louis Pauwels et Jacques Bergier avaient ressenti ce même besoin au début des années 1960, alors que tout semblait exalter le progrès comme un long fleuve tranquille accompagné de confort bourgeois. Ils cherchaient à déceler derrière cette surface quelque peu trop lisse les courants de fond. 10 La science à l'orée du millénaire Cela s'appela Le Matin des magiciens. Puis la revue Planète apparut, après le succès inespéré du livre. La critique rationaliste s'est alors déchaînée, les accusant de toutes les turpitudes pseudo-scientifiques – et surtout de ne pas donner dans les modes philosophiques de leur temps comme le nihilisme, le sens de l'absurde, la dénonciation politique. Après quelques décennies, ils apparaissent comme des hommes éblouis par un lever de soleil : les ombres allongées peuvent modifier la perception, les reflets exagérer l'importance d'un toit ou d'un arbre, mais le paysage se découvre et l'on peut y tracer des chemins. Les modes intellectuelles, en revanche, sont appelées à se démoder comme les robes et les cravates. Nous avons pu rectifier la carte qu'ils traçaient, reprendre certains contours, en approuver d'autres. La critique du « réalisme fantastique » est achevée. Mais entre-temps, le paysage s'est modifié. Il ne ressemble plus à celui qu'avaient préparé les années 1950. Il nous faut donc, à notre tour, aborder ce qui se lève, ombres et lumières mêlées, au risque d'en être éblouis. *** Le Matin des magiciens paraît en 1961. Au cœur de ce que l'on a nommé les Trente Glorieuses, les années de croissance économique et de plein- emploi à peine assombries en France par la guerre d'Algérie. On recom- mence à croire au progrès, aux bienfaits de la science et de la technologie, malgré l'angoisse de la bombe atomique – les premières centrales nucléaires datent en France de la fin des années 1950. Même si la plupart des décou- vertes fondamentales ont été réalisées avant la Seconde Guerre mondiale, leurs applications techniques se multiplient d'abord en Amérique puis en Europe dans les décennies d'après-guerre. Pourtant, on parle encore de « nouvelle physique » en présentant comme incompréhensibles au commun des mortels les travaux de Planck sur les quanta ou ceux d'Einstein sur la relativité qui datent respectivement de 1904 et 1905 et eurent entre les deux guerres une indéniable postérité, une fécondité rare. Or Bergier fut mêlé de très près aux recherches des années 1930. D'une part, son cousin germain Georges Gamow, exilé aux USA, sera l'un des pionniers de la physique quantique ; d'autre part, au sortir de ses études de chimie en 1934, lui-même devint l'assistant d'André Helbronner, un chercheur de la même génération qu'Einstein et l'un des fondateurs de la chimie physique. Dans son autobiographie, Je ne suis pas une légende1, Bergier écrit de lui : « J'ai fait la connaissance d'André Helbronner qui, pendant quelques années, trop courtes, devait devenir mon maître dans le domaine scienti- fique. Le Pr André Helbronner, né en 1880 à Paris, fut assassiné par les Allemands à Buchenwald en 1944. Il fut le premier professeur de chimie 11 Les Magiciens du nouveau siècle physique, d'où sont nées de nombreuses sciences et en particulier la nucléo- nique, qui était en 1936 la science des sciences. André Helbronner l'avait introduite en France. André Helbronner a reçu en 1922 la Grande Médaille d'or de l'Institut Franklin pour ses travaux sur la liquéfaction des gaz. » Il ajoute un peu plus loin que, « en 1917, le gouvernement américain avait demandé au gouvernement français de lui prêter Helbronner pour réaliser une industrie aéronautique que les Américains n'arrivaient pas à lancer ». Nous avons donc affaire à un chimiste doublé d'un ingénieur. Il pourrait même être l'un des pionniers de la cybernétique, puisque Bergier parle aussi de « nos recherches sur l'automatisme ». De fait, Bergier a déposé à partir de 1937 jusqu'en 1962 pas moins de 21 brevets avec d'autres collaborateurs d'Helbronner et parfois le maître lui-même. Plusieurs d'entre eux, déposés entre 1937 et 1939, portaient sur l'automation industrielle 2 – rappelons qu'on n'a vraiment développé les chaînes de production automatisées que vers la fin des années 1970. D'autres décrivaient de nouveaux instruments de mesure. Déposés entre 1946 et 1948, il leur est associé le nom d'Helbronner, ce qui en fait le bénéficiaire posthume et c'est tout à l'honneur de Bergier.