PDF Du Chapitre
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Pierre Lagrange et Claudie Voisenat L’ésotérisme contemporain et ses lecteurs Entre savoirs, croyances et fictions Éditions de la Bibliothèque publique d’information Renaissance d’un ésotérisme occidental (1945-1960) Pierre Lagrange DOI : 10.4000/books.bibpompidou.658 Éditeur : Éditions de la Bibliothèque publique d’information Lieu d'édition : Éditions de la Bibliothèque publique d’information Année d'édition : 2005 Date de mise en ligne : 14 juin 2013 Collection : Études et recherche ISBN électronique : 9782842461614 http://books.openedition.org Référence électronique LAGRANGE, Pierre. Renaissance d’un ésotérisme occidental (1945-1960) In : L’ésotérisme contemporain et ses lecteurs : Entre savoirs, croyances et fictions [en ligne]. Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2005 (généré le 02 février 2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/ bibpompidou/658>. ISBN : 9782842461614. DOI : https://doi.org/10.4000/books.bibpompidou.658. Ce document a été généré automatiquement le 2 février 2021. Il est issu d'une numérisation par reconnaissance optique de caractères. Renaissance d’un ésotérisme occidental (1945-1960) 1 Renaissance d’un ésotérisme occidental (1945-1960) Pierre Lagrange « C’est un savoir diffus, décousu, vieux comme le monde, qui remonte à Pythagore, aux brahmanes de l’Inde, aux Hébreux, aux magiciens, aux gymnosophistes, et même aux barbares de l’extrême nord, aux druides des Gaules et des îles britanniques… Le monde était plein de merveilleuses correspondances, de ressemblances subtiles, il fallait les pénétrer, s’en laisser pénétrer, à travers l’oracle, le rêve, la magie, qui permet d’agir sur la nature et sur les forces faisant mouvoir le semblable avec le semblable. La sapience est insaisissable, volatile, elle échappe à toute mesure. » Umberto Eco, Le Pendule de Foucault, op. cit., p. 231-232. 1 Le XIXe siècle est souvent considéré comme l’âge d’or de l’ésotérisme* et de l’occultisme*, un terme qui apparaît d’ailleurs pour la première fois à cette époque sous la plume d’Éliphas Lévi*, et il est vrai qu’entre ses publications, celles de Gérard Encausse, dit Papus, et celles d’Helena Blavatsky à la fin du siècle, comme avec l’émergence d’une multitude de sociétés secrètes (telles l’ordre kabbalistique de la Rose-Croix* française ou la Golden Dawn* en Angleterre), c’est un véritable bouillonnement intellectuel qui agite alors les cercles ésotéristes. Si cette période est bien connue des historiens, et des historiens de la littérature en particulier1, les études sont beaucoup moins nombreuses concernant le cours du XXe siècle et l’époque contemporaine. L’ésotérisme connaît pourtant alors une transformation tout à fait intéressante et, loin de refléter un recul du phénomène, ce désintérêt apparent témoigne plutôt de la difficulté de mettre l’objet d’étude à distance. L’ésotérisme contemporain et ses lecteurs Renaissance d’un ésotérisme occidental (1945-1960) 2 2 Dès le XIXe siècle, les développements de l’ésotérisme et de l’occultisme sont indissociablement liés à la place grandissante des sciences dans la société. Réaction à un positivisme jugé trop sec, ils n’en manifestent pas moins une volonté de se rattacher à la nouvelle lecture scientifique du monde. C’est notamment le cas de l’« évolutionnisme » de Blavatsky, lecture « traditionnelle » de l’évolutionnisme darwinien. C’est aussi et surtout le cas de cette religion scientifique qu’est le spiritisme*, né du phénomène des tables tournantes* et qui appuie sa révélation sur des preuves photographiques et des contrôles de laboratoire (un astronome comme Camille Flammarion* participera aux controverses sur les preuves scientifiques des phénomènes spirites). Le phénomène va s’accentuer au XXe siècle et notamment après la Seconde Guerre mondiale. À côté d’un ésotérisme littéraire et savant qui émerge à cette époque, on voit en effet se développer toute une littérature populaire résolument inscrite dans le monde moderne, consacrée aux soucoupes volantes, à la parapsychologie*, à la zoologie fantastique et qui vient enrichir les collections spécialisées et le rayon « ésotérisme » des librairies. Quasiment absente de la réflexion des porte-parole « savants » de l’ésotérisme, la référence à la science est omniprésente dans ces publications. Son autorité et son emprise sociale allant grandissant, c’est sur elle que les auteurs vont de plus en plus s’appuyer pour faire passer leurs idées auprès des lecteurs. L’expression « sciences occultes » va d’ailleurs être peu à peu remplacée par « pseudosciences » et « parasciences* ». Point notable, l’émergence de cet ésotérisme populaire va susciter les critiques des occultistes savants comme des rationalistes, ces derniers s’abstenant d’ailleurs de s’en prendre aux premiers. L’opposition ne se situe donc pas, malgré les apparences, entre vraies et fausses sciences, mais entre savoir populaire et connaissance savante (le cas de l’archéoastronomie* montre bien qu’un domaine est rejeté avant tout parce que ses porte-parole n’ont pas le crédit suffisant pour l’imposer). 3 L’ésotérisme va ainsi témoigner tout au long du XXe siècle, et notamment dans la seconde moitié de celui-ci, avec la transformation des sciences occultes en « parasciences », d’une grande fluidité et d’une étonnante capacité d’adaptation. Ce phénomène est souvent négligé par les historiens qui ont tendance à opposer un ésotérisme de bazar, largement diffusé et galvaudé par le charlatanisme, à une pensée ésotérique classique et élitiste qui leur semble seule digne d’intérêt. Il nous semble pourtant y avoir là une véritable transformation de la perception et de la réception de l’ésotérisme, la formation d’un nouveau regard ésotérique sur la réalité qui mérite toute notre attention. 4 « Comment peut-on croire à des choses différentes ou contradictoires » demandent souvent les anthropologues ? Le rayon « ésotérisme » des librairies témoigne de cette aptitude à mêler des registres en apparence différents, voire opposés. La faculté de passer d’une discussion sur les preuves scientifiques à une évocation des traditions de l’Occident ou de l’Orient est l’un des traits principaux de la littérature ésotérique qui va se développer à partir de 1945 et culminer avec le phénomène Planète à partir de 1960. L’émergence d’un ésotérisme savant 5 Les années cinquante voient apparaître sur le marché les ouvrages de Raymond Abellio*, de Robert Amadou* et de Robert Kanters*. Robert Amadou va être à l’origine d’un aspect tout à fait original de l’histoire de l’ésotérisme littéraire et de sa réception. L’ésotérisme contemporain et ses lecteurs Renaissance d’un ésotérisme occidental (1945-1960) 3 Peu connu, il se signale, au début des années cinquante, par la parution de deux ouvrages publiés chez Julliard : L’Occultisme, Esquisse d’un monde vivant, suivi d’une Anthologie littéraire de l’occultisme signée avec Robert Kanters. L’occultisme d’Amadou prend en compte des disciplines comme l’astrologie* ou l’alchimie et des courants comme la théosophie mais propose une théorie globale de l’occultisme qui tente de se déprendre d’une opposition simpliste au rationalisme : « L’occultisme est l’ensemble des doctrines et des pratiques fondées sur la théorie selon laquelle tout objet appartient à un ensemble unique et possède avec tout autre élément de cet ensemble des rapports nécessaires, intentionnels, non temporels et non spatiaux. » 6 C’est la théorie des correspondances et, pour Robert Amadou comme pour les autres auteurs, s’il y a des différences entre cette théorie et la science, elles ne sauraient se réduire à une controverse entre rationalisme et occultisme. 7 Les ouvrages d’Amadou et Kanters donnent lieu à la réalisation d’un épais dossier dans La Table ronde d’août-septembre 1950 2 : « Aspects de l’occultisme ». Parmi les signataires, outre Robert Kanters, on retrouve le philosophe Gabriel Marcel, Michel Carrouges*, compagnon de route des surréalistes et futur auteur d’une Mystique du surhomme chez Gallimard (coll. « Bibliothèque des idées ») ou encore Raymond Abellio. Le dossier se boucle sur un épais « Essai d’anthologie commentée » préparé par l’historien Albert-Marie Schmidt sur « L’occultisme en France, des origines au début du XIXe siècle3 ». 8 Les ouvrages ne suscitent par contre aucune réaction dans les milieux rationalistes. Cette absence de controverse ouverte entre les porte-parole de la science et l’occultisme est tout à fait remarquable et c’est un des traits distinctifs de ce courant ésotérique. Une autre caractéristique est sa capacité à sortir certaines disciplines de la marginalité dans laquelle leur opposition au discours scientifique dominant les a poussées. C’est le cas par exemple avec la parapsychologie*. 9 Apparu aux États-Unis dans les années trente, le terme de parapsychologie a remplacé les expressions de recherche psychique (psychical research) en Angleterre, et de métapsychique* en France. L’histoire de la parapsychologie débute en 1869 lorsqu’une commission de la Société dialectique de Londres se penche sur les phénomènes spirites qui défraient la chronique depuis la fin des années 1840. En 1882, une poignée de scientifiques issus de Trinity College fondent la Society for Psychical Research. Ils entendent réagir à la vogue du spiritisme mais aussi défendre l’étude de ces phénomènes écartés par la communauté scientifique. Deux ans plus tard, une société américaine est fondée. Des noms prestigieux sont attachés à l’étude des phénomènes métapsychiques comme ceux de William James, Henri Bergson, Frederick Myers, ou même Sigmund Freud4. 10 La parapsychologie connaît un tournant avec la fondation, au début des années trente, par l’Américain Joseph Banks Rhine*, du Laboratoire de parapsychologie de l’université de Duke (Caroline-du-Nord). Rhine généralise l’usage de la méthode expérimentale et le traitement statistique des résultats obtenus. Il définit la parapsychologie comme l’étude des phénomènes de perception extrasensorielle (Extra Sensory Perception ou ESP) et de psychokinèse. L’ESP comprend la télépathie (transfert d’information d’un sujet à un autre), la clairvoyance (perception d’un objet à distance) et la prémonition (perception d’un événement à venir).