Contents 4/2004 Sommaire

Les langues dans la régionalisation du monde par Sophie Fisher page 247

Civil society in favour of language diversity : unity for the Cause by Denis Cunningham page 249

Figures de linguistes dans la société civile par Françoise Gadet page 261

Ethnicité et culture : l'alliance à plaisanterie comme forme de culture ciment entre les ethnies au Burkina Faso par Alain Sissao page 269

International Relations and its languages: a transdisciplinary perspective by Paul Ghils page 283 *** Une révolution démocratique : l'émergence de l'Union européenne by Dusan Sidjanski page 291

Services sociaux d’intérêt général et droit communautaire par Marianne Dony page 299

Book reviews Recensions page 309

Association News Vie associative page 313

New international organisations Nouvelles organisations internationales page 322

Index page 323 Transnational Associations Associations transnationales

245 Dear Subscribers,

We regret to inform you that this issue will be the last issue of Transnational Associations to be published in printed form. From 2005, the journal will be available and distributed electronically. It is now integrated into a system of online access to all issues of Transnational Associations (or its predecessors) dating back to 1949. Articles will also be accessible online via the associated bibliographical data base (through subscriptions to the online version of our Yearbook of International Organizations http://www.uia.org/db). Electronic versions of all past issues can be purchased. The contents index can be freely browsed and searched in the Transnational Associations Online Database (http://www.uia.org/ta/online.php)

A nos lecteurs

Nous avons le regret d’annoncer à nos lecteurs que ce numéro est le dernier d’Associations transna- tionales à paraître sous forme imprimée. A partir de 2005, Associations transnationales (et les versions antérieures de cette publication depuis 1949) sera accessible en format électronique sur notre site à l’adresse http://www.uia.org/ta/online.php et sera distribué aux abonnés sous cette forme. Les articles seront accessibles par la même voie à partir de la banque de données biliographiques (par abonnement à la version en ligne du Yearbook of International Organizations (http://www.uia.org/db). Les versions électroniques des anciens numéros peuvent être achetées. L’index des sommaires peut être parcouru gratuitement et faire l’objet d’une recherche sur le site d’Associations transnationales à l’adresse indiquée ci-dessus. Les langues dans la régionalisation du monde Politique(s) linguistique(s) entre situation “interne” et discours pour l’extérieur par Sophie Fisher *

angues “nationales”, “internationales, “régio- brique avec la préeminence du politico-religieux. nales” , “locales”... la liste des propriétes attri- Par exemple, le pashtun, est la langue d’une tribu, L buées aux langues est longue, elle interroge d’un groupe, qui peut être ou non dominant en toutes les sciences sociales et se heurte à une fonction des rapports de force du moment. nouvelle donne: le dépassement des frontières Le problème en Afrique de la superposition his- construites généralement aux XIXème et torico-politico-coloniale a été vu en considérant XXème siècles aussi bien par la création de l”économie politique des langues et les politiques *Ecole des Hautes Etudes “‘nations” que par la décolonisation qui induit linguistiques en Afrique centre-orientale” où l’in- en Sciences Sociales, un processus semblable. Aujourd’hui l’empire stabilité (par exemple le génocide ruandais) et les Centre de Linguistique s’appelle “marché”, (cf.”commun européen” ou déplacements de population succèdent à une sta- Théorique. [email protected] Mercosur) et cela implique une redistribution bilité relative qui a duré du XIIème au XVIIème Texte de la contribution dans la “nomadisation” linguistique. siècles, moment où le swahili apparaît comme faite en espagnol au Le panorama que j’essayerai de présenter une langue véhiculaire dans des aires où l’on trou- Congrès internacional concerne en premier lieu ce qui est “hors” de la ve aussi l’arabe et des langues bantoues ainsi que “ Políticas Culturales e 4. integración regional”, France métropolitaine et des territoires qui la des langues européennes comme le portugais Facultad de Filosofía y composent. Car si nous abordons la question de En ce qui concerne l’arabe et ses variétés dialec- Letras y Facultad de cette manière c’est qu’en parcourant espaces et tales, Djamel Kouloughli5 travaillant avec la Ciencias Sociales, continents qui se trouvent actuellement en liti- notion poétique d’Arabia dans un monde de 300 Universidad de Buenos Aires, 2004. ge, la question linguistique se pose de manière millions d’arabophones s’interroge : de quel aigüe : ou nous acceptons un monoliguisme uti- “arabe” s’agit-il ? De la circulation d’une langue à 1. Ce “parcours” a été litaire, une langue véhiculaire générale -ce qui travers un texte sacré, une langue à énorme dis- l’objet de plusieurs annéees du Séminaire du élmite histoire et identités- ou nous essayons de tance des “parlers” locaux, ne serait-ce que par la Centre de Linguistique cerner quels espaces linguistiques se dessinent pregnance de l’oralité chez ces derniers? Oralité Théorique de l’EHESS, dans cette nouvelle restructuration des espaces présente elle aussi dans les “itinéraires berbères” animé par Pierre Encrevé mondiaux. C’est à cela que nous avons songé en de Hassan Jouad6 , qui montrent les rapports et moi-même. Nous don- nerons le nom et l’apparte- construisant cette recherche en commun avec entre mélodie et scansion dans la diffusion orale nance institutionnelle des des spécialistes de diverses langues1. du Coran. Ce qui met en lumière d’autres phé- collègues qui ont présenté nomènes liés à l’analphabétisme, à la relation de leur recherche et nous les remercions à nouveau de Le monde et les langues.... dépendance des femmes sans oublier la situation leur collaboration. du berbère comme langue minoritaire – et mino- 2. Covadonga López Le point de départ a été l’étude des situations rée – en pays arabophones. Alonso, Universidad de certaines régions européennes, en particulier Les travaux de Lia Varela7, montrent comment Complutense de Madrid 3. Daniel Septfonds, les questions posées en Espagne par la diversité le français a construit -et essayé de conserver- INALCO. Ce derniker des langues (espagnol mais aussi catalan, basque un espace d’intérêt renouvelé, à travers différents disait, de retour d’un et galicien) et le découpage politique en régions modèles de diffusion, comme ceux de l’Alliance séjour en Afghanistan que, autonomes, problèmes politiques posés par le Française ou, au XIXème siècle, de l’Alliance dans la nouvelle situation, l’isolement linguistique franquisme et le postfranquisme. Il est impor- Israélite Universelle, merveilleux exemple de dif- traditionnel des vallées tant de signaler dans ce cas l’importance de loca- fusion d’une langue fille des lumières, vers des laisse place à un emploi lismes (anciens “patois”) vis-à-vis de langues à populations minorisées dans les pays où elles véhiculaire de l’anglais. tradition écrite ancienne, sans oublier la ques- résidaient, comme le monde turc ou les 4. José Kagabo- Centre 2 d’Etudes Africaines, tion de la koyné dans les deux Amériques. “marches” de l’est européen. EHESS Situation fort différente de la France métropoli- 5. Djamel Kouloughli, taine où le statut des langues n’est pas interprété CNRS-ENS Lyon La France et les siennes.... 6. Hassan Jouad, CRAL, de la même façon. EHESS Dans certaines zones de conflits, par exemple en Si le territoire européen de la France est le 7. Lia Varela, EHESS- Afghanistan3 les langues s’installent dans une géo- socle de ce qu’on appelle actuellement langues UBA graphie particulière où les vallées et les pas dans les “régionales” au sens strict, certaines ne sont rien Associations transnationales montagnes isolent et développent une grande d’autre que des formes particulières des grandes 4/2004, 247-248 diversité de langues, une situation qui s’imm- langues latines: le corse, le catalan, les langues

247 d’”oc” par exemple, germaniques comme l’alsa- aussi des langues véhiculaires d’autres ex- cien, ou le “ picard”8 l’une des langues d’’”oïl”. empires, comme celle des émigrés srilankais, le Or la loi du 11 Floréal An X (1er. mai 1802) tamul, ou le urdu des pakistanais lesquels très condamne l’usage des patois, suivie en 1881 par souvent ont des problèmes pour régulariser leur la loi d’enseignement “gratuit, laïc et obligatoi- situation en France. Et nous laissons de côté les re” qui non seulement enseigne le français mais innombrables langues africaines qui n’ont même réprime l’usage des langues régionales. Ce n’est pas de statut dans leur propre pays. qu’en décembre 1941 que le gouvernemenet Car, comment accède-t-on aux langues à statut? collaborateur de Vichy “autorise les institutuers comment se fait le passage de la “transcription” à à organiser, “dans les locaux scolaires, en dehors l’écriture ? C’est le même type de problème qui se des heures de classe, des cours facultatifs de pose avec des langues non transcrites -et histori- langues dialectales”9 Il serait intéressant de s’in- quement coloniales- comme l’on voit dans les tra- terroger sur les raisons à ce moment-là, d’aller vaux sur le palikur10, langue en Guyane française chercher dans les langues les “racines” de la et qui se parle sur les deux rives du fleuve qui population du territoire métropolitain... unit/sépare celle-ci du Brésil. Il s’agit d’une Car la France est le dernier empire, un empire langue arawak (groupe linguistique qui s’étend construit entre les XVIIéme et XIXème siècles sur une bonne partie de l’Amérique du sud), une hors d’Europe et en Europe avec l’aventure de celles qu’essayent de “domestiquer” , c’est-à- napoléonienne. Si nous prenons ce terme au dire, de transcrire et de grammatiser les linguistes sens strict, la question des diverses communau- afin de pouvoir -peut-être- les enseigner. tés et de leurs langues, devient inévitable. De là, peut-être, la justification de l’étonnement In fine... devant le rapport sur les langues de France fait par B. Cerquiglini : il répertoriait 75 différentes Les parcours ont le privilège de l’inachevé. langues. Elle couvrent une bonne partie de la pla- Dans notre cas nous avons essayé de dépasser les nète, car hors des zones où les divers “français” se frontières actuelles des pays en un temps où la parlent comme langue nationales: Belgique, Suisse, mondialisation s’impose à travers le support Canada, il y a les territoires d’Amérique écrit-visuel des “ordinateurs”, ou “computers”, (Guadeloupe, Antilles, etc.) mais aussi du Pacifique. belles métaphores pour indiquer la force du C’est là où se présentent des zones d’interfaces bien “compter” et de mettre de l’”ordre” lorsque les plus riches que celles qui existent en métropole. En critères d’appartenance changent plus vite que outre elles présentent pour les linguistes un énorme les frontières écrites par l’histoire. D’où la néces- 8. Jean-Michel Eloy, intérêt car il s’agit d’aires où la diversité est énorme. sité de réinterpréter les frontières linguistiques, Université de Picardie 9. Jean Sibille, Les langues Par ailleurs, certaines langues des émigrés -et de considérer dans leur fragilité les bords et les régionales, Dominos, qui sont langue officielle de pays reconnus- sont frontières établis. Flammarion, 2000. Il pré- enseignées à l’école comme “langues étrangères” Et de ne pas oublier la question posée par cise que “ cet enseigne- mais pas encore avec le même statut que les Alphonse de Candolle11 en 1873:”Avantage pour ment demeura à l’état de projet et l’arrêté lui-même “grandes” langues du monde. Il s’agit du chi- la science d’une langue dominante, et laquelle des passa inaperçu”, p. 19. nois, du viêtnamien, du cambodgien, pour par- langues modernes sera nécessairement dominante 10. G. Bergougnioux, ler des anciennes colonies en Asie. Mais il reste au XXème siècle”. Réponse: l’anglais. Université d’Orléans 11. Alphonse de Candolle, 1873: “Avantage pour la science d’une langue domi- Bibliographie complémentaire nante, et laquelle des découverte des langues de l’Europe, Paris : langues modernes sera néces- sairement dominante au Bollman, Y. (2001). La bataille des langues en Autrement, Frontières. XXème siècle”. , in Histoire Europe, Paris: Bartillat. Les Temps Modernes (1973), Minorités nationales en des Sciences et des savants Branca-Rosoff,S. (2001).(sous la direction). France, n° 324-325-326, août-septembre, Paris. depuis deux siècles, Corpus L’institution des Langues. Autour de Renée Balibar, ______(2000), Langues d’enfance, des œuvres de philosophie en langue française, Paris: ed. MSH. langues d’en France, n° 608, 55ème Fayard, 1987, 295 et ss. Kersaudy, G. (2001). Langues sans frontières. A la année, mars-avril, Paris.

248 Civil society in favour of language diversity: unity for the Cause by Denis Cunningham*

The Global context continuum of language power from global English at one extreme to language death at the Let us begin with some facts on the global sit- other. From this foundation, I would like to uation! consider areas such as policy, education, and • 800 million adults are illiterate expertise to identify the role that civil society - • one in four women are illiterate and especially associations - might have in the • 100 million children don’t attend school, with design, implementation and review of language another 120 million doing so rarely and let us diversity. “Civil society” is defined for this spe- place this in perspective! cific context as “those independent, non-politi- • since 1945, an estimated US$8 trillion has cal, private organisations, groups, associations, been spent on nuclear weapons, but the esti- institutions, etc, that participate effectively in mated public expenditure on education world language policy processes”. wide represents less than 0.5% of this amount • according to some estimates the world would Languages need to spend an additional $7 billion per year on average for the next ten years to educate all At the end of the twentieth century the globe children. This is less than the amount spent retained a rich linguistic heritage of an estimat- annually on cosmetics in the United States or ed 6000 languages. Others placed the figure as on ice cream in Europe low as 3000 or as high as 10000. The discrep- (UIS 2000:22) ancy may appear extreme, but debate continues on the integrity of languages and the demarca- Challenge tion between language, pidgin, Creole and dialect, among other factors. s the global population moves through 6 With 6000 languages across the globe, we billion towards 7 billion - and is expected to should be happy but, as linguists, we are not. A increase more rapidly than in the past - the In an ideal world, 6000 languages spread earth is becoming increasingly crowded, placing evenly across 6 billion potential speakers could unprecedented demand on resources. lead to 1 million speakers of each, possibly The special challenge to those of us who are ensuring the continuity of all languages . . . but agents of change, promoting linguistic diversity the world is not like that, is it? and intercultural harmony, is that many of our The reality is very different, with a continuum global co-inhabitants fail to recognise the role, of language strength stretching between English potential and value of in effect- at one end and, at the other, the next language ing peace in what is - or must be - a multicul- to disappear from the globe. The vitality of a turally rich and interdependent globe. What is language depends not only on the number of required is a marked philosophical shift in the speakers but on a range of factors that impact on attitudes of those who foster monolingualism language choice. There are more native speakers and linguistic hegemony, of those who place the of Chinese across the globe, for example, but dollar before the person, of those who promote one still speaks of English as the global language. globalisation at the expense of the individual, of While the initial inroads historically were mili- those who carry out economic rationalism in tary, the emergence of English as the global lan- ignorance of humanitarian well-being, of those guage in the second half of the twentieth centu- who would harbour a desire for war-mongering ry has been underpinned by more than military in the denial of peace, of those who underwrite might. Other critical factors include: prosperity, * President, Fédération economic conglomerates to the detriment of the commerce, industry, technology, media, (elec- Internationale des environment - our home! tronic) communication, the Internet, the arts, Professeurs de Langues Vivantes (FIPLV) We cannot underestimate the enormity of the cinema and popular music - and a seemingly challenge, as it is immense. unbridled desire to associate with whatever is Transnational Associations In this paper, I would like to focus initially on American. And with this widespread trend 4/2004, 249-259 languages, which stretch along the linguistic comes the wish to espouse English.

249 To focus on both ends of the continuum, An ambitious project of UNESCO, where Crystal tells us that 96 percent of the world’s FIPLV was represented, was to focus on the lan- population speak 4 percent of the world’s lan- guages of the world. Objectives of this project guages. Put another way, 4 percent speak 96 per- included drawing upon the mapping of the lan- cent of the world’s languages (Crystal 2000:14). guages scene globally in 2000, the identification What of these languages, which constitute the of policies in place to retain languages, and the multitude of tongues used by an inordinately positing of strategies of intervention which could small number of speakers? Their future is far be shared internationally to be pro-active in the from assured. retention of endangered languages. This project While acts of imperialistic nations have had a drew upon existing data on languages, accumu- detrimental effect on languages historically - in lated by UNESCO’s Study of Endangered all areas of the globe - a decided threat to indige- Languages, Ethnologue, as well through the nous languages everywhere has been the domi- other projects listed above. The draft report nance of the linguistic preference of the con- appeared in 2003 as Words and Worlds. queror. This has often been underwritten by policy designed to marginalise or eradicate the Policy languages of minority groups. In some cases, genocide has been the order of the day, but gov- Immediate action is required at the humani- ernment policy to ban the education and usage tarian level and this should have ramifications of minority languages has also been effective. for languages policy in a context of globalisa- While genocide - and the resultant eradication tion. All reasonable steps, that could be taken, of hundreds of languages - came about through should be taken to arrest this anticipated deteri- acts of colonialism, the current threat to linguis- oration of the linguistic wealth currently tic diversity arises from other factors. But the enjoyed across the globe. The solutions are net result, linguistically, will be the same. many and must be put in place immediately. Between 50% (Crystal 2000:165) and 90% International federations, such as the Fédération (Crystal 2000:18) of the globe’s 6000 languages Internationale des Professeurs de Langues could disappear during this century. Vivantes (FIPLV), have a pivotal role in the Further, the stark reality is that some of these global awareness-raising of the issue at all rele- languages remain ‘alive’ only as long as the sole vant levels - governmental, political, family remaining speaker of the language lives. Put community, education, culture, other Non- 1. The ten international another way, in some cases the death of an indi- Governmental Organisations (NGO’s), elec- unilingual associations vidual will constitute the death of yet another lan- tronic and digital media, to identify but a few. include FIPF (French), IATEFL (EFL), IDV guage. According to Crystal’s data, one language is In passing, I would like to point out that FIPLV (German), ILEI disappearing on average every two weeks (Crystal is the only international federation which unites (), LATEUM 2000:19). This would be catastrophic as we (8) international unilingual associations as well (ESL), MAPRYAL believe that the loss of even one language is tragic. as (25) national multilingual associations1. (Russian), SIPLE (Portuguese) and TESOL The global conscience for endangered languages We must mobilise a global conscience to pro- (ESOL). The national is a very recent phenomenon - and is far too late. tect and retain the world’s languages. To do this, multilingual associations In the 1990s, we witnessed the establishment of we need to lobby politicians, reach decision- come from: Australia, Bulgaria, Canada, The such excellent projects and organisations makers, impact on those responsible for devel- Czech Republic, (Crystal 2000:167-169) as: oping policy. To promote languages, to retain a Denmark, Finland, • Ethnologue (http://www.sil.org/ethnologue) firm commitment to multilingualism, to enable France, Germany, • Foundation for Endangered Languages those in lesser developed countries to access ade- Hungary, Iceland, Ireland, Italy, Latvia, The (http://www.bris.ac.uk/Depts/Philosophy/CT quate education and use of technology, we must Netherlands, New LL/FEL) use any legitimate means to promote our cause: Zealand, Nigeria, Norway, • Logosphere ([email protected]) personal, professional, political and in publica- Poland, Portugal, Russia, South Africa, Sri Lanka, • International Clearing House for Endangered tions on and off the Web. Sweden, the UK, Uruguay Languages (ie UNESCO’s Red Book) The most effective means of retaining the and West Africa. (http://www.tooyoo.l.u-tokyo.ac.jp) existing linguistic wealth globally is to have lin-

250 guistic diversity, the promotion, teaching and same time, we read in the UNESCO Courier learning of languages, enshrined in government (November 2000) of the privatisation of educa- policy and law where there is a priority commit- tion (pp 16ff). ment made to fund the education and support Another focus for civil society in the context for languages in the wider community. This is of education is the profession itself, the profes- an ambitious requirement, especially given the sion of language teaching. I am the average age regrettably low number of languages policies in of not only language teachers but all teachers in place across the globe - and in the paucity of Australia. At 50, the tragedy of this is not that I resources allocated. have aged, but that I am too old to be the aver- Excellent educational policies have existed age age of teachers. This situation is reflected across the globe and would serve as sound models elsewhere. What we need is the youth - and the from which to develop cohesive policies for enthusiasm, refreshing ideas and new attitudes education by States, regions, unions and globally. to current theory and practice in language In 2003, UNESCO published its position teaching - coming into the profession to coun- paper on languages, Education in a Multilingual terbalance the experience and expertise of those World, in the six official languages of UNESCO. nearing the end of their careers. We need the FIPLV was involved in its preparation. balance, the blend, the beauty of what the com- Ostensibly a policy, it is hoped that this will bination can provide for our students. have a direct and positive impact on policy In some countries, this is not happening for development and legislation in the 190 languages. Those of us of my age will soon be UNESCO member States. gone - retired or resigned, promoted or pack- While associations have been at the forefront aged, or dead! In some areas of the globe, the sit- in discussion and the creation of language poli- uation is approaching a crisis. cies, we cannot ignore the prominent role of language centres in this objective. Ingram’s Education and languages education recent monograph (2001), Language Centres, details excellent work of some which, being (rel- Clearly, education has a major role to play in atively) autonomous and non-governmental, the above context, as it is one of the main ways would satisfy our definition of “civil society”. In in which abstract policy becomes reality. Where this area also, the borders become blurred as we educational policy and practice are excellent, consider Lambert’s insightful Language Planning education becomes an effective vehicle to fur- around the World (1994), published shortly after ther the cause of languages. Where these essen- he retired as Director of the National Foreign tials of society are less than adequate, NGO’s Language Center in Washington. and others must promote the irrevocable mes- To assist us further in the realisation of this sage that languages are critical to global society, cause, I exhort all to read and consider the find- peace, operations and culture, and must be nur- ings and recommendations of the Nuffield tured, defended and maintained. Languages Inquiry, published in 2000 as UNESCO has recognised the crisis in educa- Languages : the Next Generation. This thorough tion and has, as a result, instigated a series of study provides excellent, probing targets for studies. Significant reports of recent findings to action, and should be used for extrapolation which I would like to refer include : Siniscalco’s internationally, where required. A Statistical Profile of the Teaching Profession (2002); Latin America and the Caribbean Education Regional Report (2001); The Caribbean and Latin America (2001); and Sub-Saharan Africa The Director-General of UNESCO correctly Regional Report (2001). Let us consider some of identifies “education for all” as “the most crucial the facts revealed by these and other studies in challenge of our day”, as “knowledge is at the order to have a snapshot of the scene! : centre of economic development and social • “based on the most extensive set of data ever transformations” (Matsuura 2000:2). At the gathered on the teaching profession, the sur-

251 vey found that the growth in the number of keep up with population growth, and, espe- school-aged children had outpaced the growth cially in Africa, the profession is being deci- in the number of teachers worldwide in the mated by AIDS and conflict” (Williams 1990s, packing classrooms with as many as 2002:23) 100 students per teacher in some developing • “unless something is done quickly to turn the countries” (Williams 2002:23; Siniscalco situation around, say the experts, the world 2002:8) will have to deal with an acute teacher short- • “almost half (228 million) of the total youth age at a time when demand for education is population of secondary school age (in Lesser growing exponentially” (Williams 200:23) Developed Countries) is out of school. As There are clear parallels in the above - and in more of these young people get into school, the findings of a regional report, Trends in demand for teachers will increase dramatical- Foreign/Second Language Education in Asia and ly” (Williams 2002:23) the Pacific (NIER 2002), which identifies many • “such growth means that the ratio of pupils to of the issues previously listed by FIPLV - and teachers remains three times higher in the reinforcement of our view of the need for LDCs than in developed countries” (Williams action. What applies to education in general is 2002:24) also relevant to the teaching of languages, a spe- • in some African countries (eg Benin, cialised field which presents challenges of its Cameroon, Chad, Congo, Malawi, Mali, own. What can be done? Let us look at several Mozambique), there is an average of more key factors pertinent to the teaching of lan- than 50 primary-age children and often as guages and consider concrete strategies for many as 70 for every teacher in the overall action! population, with Chad recording the highest The promotion and teaching of languages at 68 (UIS 2001b:95) through public education - whether at the pri- • the average class size for primary education mary, secondary, tertiary or adult level - should across Africa was 40-42 in 1998 (UIS be a priority. The identity of languages taught 2001b:95), stretching from 9 in St Helena to would be a local concern, but one would expect 68 in Chad adequate coverage of the first language of the • the average class size for education across majority of learners, languages of international Latin America and the Caribbean stretched significance and languages particular to a certain between figures of under 20 in Argentina, location, region or country. Any of these lan- Cuba, Paraguay and Uruguay and up to 40 in guage categories could find themselves defined the Dominican Republic and Guatemala (UIS alternatively as minority languages within a cer- 2001a:51-52) tain area but the majority of languages used • class sizes of in excess of 60 were also identi- globally are what we would consider collectively fied as an issue in the NIER Report, where 15 as minority languages. countries of Asia and the Pacific were repre- Many of these will be learned at home, at sented (NIER 2002:14) school or elsewhere as a first language, but let us • “in Germany and Sweden (...), more than 70 not forget the important perspective of their percent of primary teachers are over 40” being accommodated as a second language in (Williams 2002:24) education within all sectors (ie government, reli- • “in many of the LDCs the majority of prima- gious, independent) and across all levels. ry teachers have, at most, a lower secondary Australia - with its declining wealth of indige- qualification (Siniscalco 2002:25), and fre- nous languages and co-existing surge in the quently no professional training at all. This is number of languages brought to the continent the case for almost 50 percent of teachers in by more recently arrived groups - provides an Uganda, 40 percent in Togo and some 35 per- excellent model of a multicultural society, cent in Cape Verde” (Williams 2002:24) strongly underpinned by rich multilingualism. • “young people are still becoming teachers, but In school, it is not only those students of cer- the number of new recruits to the job cannot tain ethnic groups who are offered the lan-

252 guage(s) of their community. Schools make was implemented as the National Policy on choices to teach languages, often the languages Languages in 1987, or to the recently published of minority groups significant to an area, and Nuffield Report, Languages : the Next Generation expect all students enrolled to undertake the (2000). One only needs to browse through the study of these languages across a range of year names of the members of the steering committees levels. This practice takes on board the reasons or the acknowledgements of these and similar for learning languages within the dichotomy documents elsewhere to verify this fact. articulated by Crystal: identity or intelligibility. For these and other policies, agents of civil To elucidate, we learn languages either as a key society have been prominent in providing advice, element of the heritage and culture with which expert in lobbying and active in advocacy and we identify, or for such reasons as communica- consultation, often formalised through represen- tion, enjoyment, career perspectives or some tation on committees, working parties or other other instrumental purpose. The self-esteem of groups integral to the development, adoption the speakers of these languages (as an L1) ele- and implementation of language policies. vates predictably and considerably; those learn- Members of international federations have a ing the language as an L2, develop a healthy per- further challenge in at least two elements of pol- spective of another culture, another element of icy implementation: practice and programs. At their community by learning the language of the supranational and international levels, some of their classmates. An acceptance of dif- FIPLV has been active in its representation on ference and a discovery of the touchstones of such key bodies as the International Linguapax humanity - similar across all cultures - often lead Committee and the Scientific Committee of the to a growing respect for others. World Languages Report, not to mention the FIPLV has developed a discussion paper to role in the realisation of the recent Linguapax identify solutions and strategies to rejuvenate World Congresses in 2002 and 2004. Such roles the profession, integral to retaining linguistic have also been metamorphosed into concrete diversity through education. Key areas of cover- organisation of global workshops such as age include: (1) teachers; (2) students; (3) Linguapax V and the UNESCO International teacher training; (4) curriculum; (5) policy; (6) Conference in Melbourne in 1995 and 2001 programs; (7) practice; (8) perceptions; and (9) respectively. language trends2. Representation and organisation complement the active role that international federations and Expertise their national affiliates undertake in their own global and/or local conferences, workshops, International NGO federations such as FIPLV seminars and other events. At these and other and its affiliates bring a wealth of expertise and activities, keynote addresses, papers and other experience to the area of (language) policy, prac- sessions are conducted by representatives of such tice and programs. Whether action is initiated associations, promoting policy and best practice. by representatives of civil society or whether Furthermore, articles, reviews and other contri- other governmental or institutional bodies iden- butions often appear in the publications of such tify areas of activity, FIPLV and other organisa- associations, those of others and the media. The tions have an important role to play, either as a Web has also afforded associations (and others) leader or as a collaborator. considerable potential in ready communication As indicated previously, there are very few lan- and information dissemination through email, guages policies in place across the globe. But, chat and dedicated websites. where these exist or did exist, I am unaware of Programs of international relevance and any significant development of languages policies impact - such as UNESCO’s Linguapax and where national or international associations or World Languages Report and the European Year organisations did not play a critical part. One of Languages-2001 - have also witnessed active thinks back to Australia in the 1980s, where the participation by members of international feder- 2. Refer www.fiplv.org. best languages policy across the globe at that time ations and national associations, as these pro-

253 jects have benefited from the wider publicity, choice within their own home or school envi- activity and networking through the communi- ronment. In most cases, languages identified for cation channels of FIPLV and others. priority or especial status were and are taught in I would also like to focus on an educational the VSL. At the same time, the VSL has not example here, where the model described could sided in the various debates over which lan- be exported internationally, either within public guages should have priority. For us, our 100 education or adopted by organisations defined classes of Chinese, Turkish or Vietnamese are by the parameters of civil society. just as important as our one class of either Complementing the language curricula of Amharic, Czech, Hungarian or Pushtu. mainstream schools in Victoria (Australia), is As intercultural understanding, tolerance and the Victorian School of Languages (VSL), which acceptance of the differences of others must teaches over 40 languages (excluding English) to begin with the individual, the multilingual and 15000 students in 735 classes across 39 metro- multicultural environment provided by the politan and rural centres. Six of these languages, Victorian School of Languages offers an excel- plus Latin, are taught to another 1300 students lent model of inter-racial harmony. via distance mode throughout the state. The stu- Consequently, languages of communities in dents are generally of school age, but there are conflict or tension abroad are sometimes taught some adults enrolled. In 2004, the languages alongside each other in the same centres. It offered are : could be faculties of Croatian and Serbian, Albanian, Amharic, Arabic, Auslan, Bengali, Greek and Turkish, Greek and Macedonian, Bosnian, Chinese, Croatian, Czech, Dari, who work collaboratively at times, despite the Dutch, Filipino, French, German, Greek, political situations in the countries of origin. Gujarati, Hebrew, Hindi, Hungarian, The environment of tolerance, harmony and Indonesian, Italian, Japanese, Khmer, Korean, unity within the VSL often serves to confront, Latvian, Lithuanian, Macedonian, Maltese, attenuate or eradicate such tension in the indi- Persian, Polish, Portuguese, Pushtu, Russian, vidual students who have recently arrived, or Serbian, Sinhala, Slovenian, Spanish, Tamil, whose parents emigrated some years ago from Tigrinya, Turkish, Ukrainian, Vietnamese (and less harmonious situations across the globe. Latin by distance mode). Such a model epitomises what is possible in As a result, the VSL may well be “the largest the policy and desire to promote mutual respect, language school in the world” (Merlino 1988: harmony and peace in a multilingual and multi- 5). The school would like to expand this range cultural society, a microcosm of our global com- in response to demand, as the existing courses munity. continue to undergo significant revision - and conversion for online delivery. Platform for action The school, in the presence or absence of for- mal policies, has had a major role in meeting the While global multilingualism is a reality, it is language needs of many elements of Victoria’s under siege. On the one hand, languages are dis- linguistically diverse and multiculturally rich appearing rapidly from the face of the globe; on community. With the fluctuation of demand for the other, the emergence of English as the inter- specific languages, the VSL constitutes a signifi- national lingua franca is having a negative cant provider of languages, one of five in impact on language choice, planning and policy. Victoria with mainstream Government schools, We need to be aware of these threats and ten- those of the independent and Catholic sectors, sions, as we are, to fight them - not alone, but and ethnic schools. by enlisting the support of the cohorts across the Irrespective of the emphases of previous poli- globe who have a vested interest in their lan- cies and the languages prioritised for certain guages being retained and even expanding on a periods - or in the absence of formal policy - the globe with diminishing resources, challenged by VSL has remained an excellent option for thou- increasing overpopulation. Elements of civil sands of students unable to access a language of society have a leading role to play.

254 We, as agents of civil society, must make a Recommendation 3: That we adopt the notion of decided effort to retain the linguistic wealth cur- language revitalisation not only in its specific con- rently enjoyed by the globe, by impacting on the text of language loss but also in other areas where issues of policy and planning, teacher training languages are disappearing in society, education and development, and student learning. This and policy. presupposes a concerted move towards linguistic The notion of revitalisation is relevant in the diversity, language retention and retrieval, and contexts of: policy practice favourable to these objectives. • language death In this period of the consolidating global • language shift metropolis, of more effective intercontinental • languages in education (policy) travel, of globalised markets and international • languages policy conglomerates, travel is likely to be common- The evident advantage of adopting such a place for many of the future computerised position is to increase the cohorts - also with a world. The young learner must be given the particular contextualised vested interest - who wherewithal to compete, despite protestations of could support the cause of fighting against the irrelevance to a personal future. Again, lan- disappearance of languages. guages have an integral place in the future of the Recommendation 4: That, wherever possible, globe. national and international (civil society) organisa- What we, as leaders, as policy-makers and as tions work closely with community groups on ini- language educators, can do is to take all reason- tiatives to redress language loss. able steps to ensure that the linguistic diversity Such action would reflect the view of of our multilingual globe is ensured and Skuttnab-Kangas (2003:82) who states: “com- enhanced for future generations. munity initiative and involvement seems to be We cannot be complacent nor can we act decisive for (language) revitalisation to work”. In alone. We must unite or join all those of similar this respect, however, we must be cautious about philosophy who support our cause to bring pres- imposing ourselves upon communities which, sure to bear on those whose views and actions after all, own their own language and culture. are inimical to the globe and its people. Recommendation 5: That wherever possible, national and international (civil society) organisa- Recommendations tions work closely with government groups on ini- tiatives to redress language shift. At the Linguapax X World Congress in Languages are also disappearing - or dying - in Barcelona in May - with the theme of the context of language shift. As members of “Linguistic Diversity, Sustainability and Peace - diasporas find themselves moving through gen- we proposed the following recommendations erational phases (perhaps) far from their home- (on behalf of Workshop 5: Agents in Favour of place, language maintenance often wanes, giving Diversity): way to the pressures of another linguistic envi- Recommendation 1: That immediate action is ronment which is perceived to be stronger, more required in the areas of: prosperous and more desirable. Subsequently, • language documentation the languages of migrant groups disappear over • language revitalisation time. Recommendation 2: That we define “minority lan- Recommendation 6: That collaborative models guage” as broadly as possible, thus potentially be publicised and replicated internationally as a engaging the support of agencies which exist for a concrete step to arrest language shift in linguistic wide range of languages. and cultural diasporas. Let us recall that all languages could be On behalf of such groups, allies can also be defined as a minority language in certain con- identified. An example provided in Workshop 5 texts - even English, where its speakers could be was that of Hungarian in Australia, where an grossly outnumbered in a given geographical international conference would take place (in location (eg China, Russia, Latin America, etc). Melbourne), politically and financially supported

255 by the Government of Hungary, the Hungarian guage policies are required which promote the Embassy and Consulates - and community acceptance and usage of languages within soci- organisations (ie INGOs and NGOs). ety. An excellent starting point would be the EU Recommendation 7: That, wherever possible, in its expansion to 25 member states, embracing national and international (civil society) organisa- (over) 20 languages. Others should also be tions work closely with educational systems and included. institutions to foster the continuity of linguistic Recommendation 11: That INGOs, NGOs and diversity. other agencies collaborate, wherever possible, to fos- Language choice in schools may also be the ter international understanding, harmony and basis of linguistic diversity in the educational peace. context. As English appears more desirable to Intercultural understanding can be the direct many - perhaps as the only language apart from product of linguistic diversity, communication one’s first - other languages are losing ground in and friendship. This could be fostered by: education at the primary, secondary and tertiary - governments in the establishment of informed levels. As more communities, students and languages policies schools select English, there is a resultant decline - INGOs such as the Fédération Internationale in the numbers of students taking other major des Professeurs de Langues Vivantes (FIPLV) languages of the globe (eg French, German, or through their multilingual websites Russian, Spanish in the EU and elsewhere). - projects, such as IntCultNet linking students Recommendation 8: That, wherever possible, from several countries electronically through national and international (civil society) organisa- the Internet tions work closely with federal governments to pro- - the expansion of educational programs (such mote their languages in a collaborative manner, as JaLing and EvLang) in schools thus creating a stronger front (politically and eco- - other grass-roots projects such as the volunteer nomically) in unity. group welcoming immigrants to Barcelona The governments of these countries appear to Recommendation 12: That UNESCO, the be concerned at this decline in the study of their Linguapax Institute or some other agency use the languages - as linguistic and cultural disinterest database of INGOs identified as promoting languages could lead to a lack of economic interest - so are as a starting point to unite those INGOs in a cam- taking steps politically (at home and abroad) to paign to promote linguistic diversity in all contexts. promote their languages. France is now doing Civil society can act collaboratively and has this as part of a plurilingual platform. the tools to commence and, thanks to Alan Recommendation 9: That all educational Hedley, we have a database of INGOs identified authorities be encouraged to adopt languages in on the Web as having a vested interest in lan- education policies which promote multilingualism. guages. Whether these organisations are identi- A specific example cited in Workshop 5 was fied as activist or academic is irrelevant; what is the identification of border areas as a prime tar- important is that we have a tool to unite all these get for maintaining linguistic diversity. Where agents of civil society in a shared cause. communities on opposite sides of a border (eg Recommendation 13: That, as a priority of this along the Rhine) speak different languages, this united campaign, UNESCO or the Linguapax appears a wonderful opportunity for schools on Institute exhort all INGOs, NGOs and other agen- one side of the border to teach the language of cies of civil society to network with local, national the other, thus fostering social cohesion and and international governments, businesses and intercultural harmony. conglomerates in the global market. Recommendation 10: That INGOs, NGOs and Such a campaign needs to be undertaken in celebrated organisations, such as the UN and both the real and virtual worlds. Just as we pro- UNESCO, encourage all countries/member states mote linguistic diversity in and among peoples, to enact language policies which are inclusive, mul- so we should be doing the same on the Web. tilingual and non-discriminatory. Clearly, civil society by itself is not likely to be At the national and international levels, lan- successful in the campaign. Allies need to be

256 identified to add strength and finances to the we recognise as a priority: to retain and promote cause. linguistic diversity across the globe to foster It is only by uniting all potential allies that we intercultural acceptance, harmony and peace. may achieve some success in the campaign which

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259 Figures de linguistes dans la société civile par Françoise Gadet*

La linguistique et les sciences transparence du social. La considération de la humaines relation entre le linguistique et le social/culturel devrait pourtant conduire à relier les sciences du armi les métiers des sciences humaines, celui langage au « monde réel », en sortant le lin- de linguiste n’est pas tout à fait comme les guiste du seul monde académique, ou d’un des P autres. Le linguiste en effet garde ses dis- rares domaines où son expertise pratique est tances envers la cité, et affiche sa réserve, voire sa connue, l’ingénierie des langues. Mais pour le méfiance, vis-à-vis des questions sociales ; il dif- moment, l’enseignement des sciences du langage fère également des ethnologues, sociologues, porte avant tout sur la forme, et renvoie les psychologues, ou économistes, par son rapport questionnements sur les fonctions et l’usage aux compétences et aux aptitudes constituées. social des langues à d’autres horizons (même s’il En effet, qu’est-ce qu’un linguiste sait de parti- n’est pas clair de savoir lesquels), sans s’occuper culier qui intéresse la société civile, puisque rien de ce que font les citoyens avec le langage, les n’est mieux partagé que de parler ? Comme tout langues (la leur et celles des autres) et les dis- le monde, sauf pathologie, recourt au langage cours, et pourquoi c’est ce qu’ils en font pour la plupart de ses activités, des plus simples (Bourdieu 1982 : c’est un sociologue qui pose la aux plus complexes (transversalité du langage), question de « ce que parler veut dire »). le savoir spécifique que prétendent détenir les Je m’interrogerai ici sur la position qu’occupe linguistes retient peu l’attention. La plus visible le linguiste dans la société civile, en question- de ces interventions est la rubrique grand public nant la place des questions de langue(s) dans la (journal ou télévision), pour commenter des cité. Il est en effet difficile de questionner le lin- mots ou des étymologies, ou pour fustiger des « guiste comme figure dans la société civile sans se fautes ». Quel impact social comportent de demander de quelle façon les questions linguis- telles expertises ? (gardien du passé ? rappel de tiques concernent les non-linguistes. * Université de Paris-X la norme ? conscience du changement ?). Nanterre Les linguistes sont donc peu et mal parvenus à 1. Cette problématique Le sociolinguiste et la Cité étant aujourd’hui large- ce que les questions de langue mobilisent l’at- ment affichée dans les tention des citoyens, et leur intervention dans la Une discipline universitaire peut-elle se rédui- réformes de l’université cité prend l’allure d’une prolongation formalisée re à son auto-reproduction académique ? qui sont en cours dans les pays européens à des fins du savoir scolaire sur la langue. En effet, pour la Comme toute communauté, elle perdure aussi d’harmonisation, il n’est plupart des gens, même cultivés, le savoir expert par son immersion dans la société civile, par la pas exclu que se manifeste sur l’homme se distribue en psychique, façon dont elle peut s’impliquer dans des peu à peu une réorganisa- social/culturel, et économique ; à quoi corres- demandes sociales et dans une professionnalisa- tion des hiérarchies entre 1 disciplines et sous-disci- pondrait un dispositif disciplinaire de psycholo- tion extra-universitaire des jeunes , ainsi que par plines. gie, sociologie/ethnologie, et sciences écono- la diffusion de savoirs et d’argumentations dans 2. Il n’empêche qu’il y a miques. Et les linguistes se sont contentés d’y le forum public. Les sciences du langage des sociologues dans des adjoindre le langage et la linguistique, ajout qui concourent ainsi à l’information publique sur les entreprises et dans des organismes publics ou ne modifie pas la logique du découpage des problèmes concernant le langage et les langues. semi-publics (en particu- zones de compétence des sciences humaines. Si Et en ce point, deux figures distinctes s’oppo- lier dans les départements certains pays apparaissent plus concernés que sent : le linguiste et le sociolinguiste, qui n’inter- « Etude »), plus rarement des linguistes. Les seules d’autres (comme la France, où l’idéologie de la viennent pas de la même manière. professions sollicitées hors norme amène les locuteurs à sacraliser la Les sciences humaines et sociales ne sont pas enseignement en rapport langue), ces remarques sont générales (Heller toutes équivalentes du point de vue de l’impli- avec le langage sont tra- 1999 pour le Canada). C’est donc bien l’exper- cation-application sociale. Inutile d’insister sur ducteur/interprète, « rewriter » stylistique si ce tise du linguiste qui « ne passe pas » auprès du le rôle de l’économie, et sur son lien au poli- n’est écrivain public, et public éclairé. tique. La sociologie a produit, pour sortir de la sémioticien dans le marke- Ce n’est pas le lieu ici de se demander pour- reproduction universitaire, la sociologie du tra- ting. quoi les linguistes, en défendant le concept d’au- vail et la sociologie des organisations ; ainsi que Associations transnationales tonomie de leur discipline, ont pour rejeter la le travail social, qui a cependant conservé la 4/2004, 261-268 transparence du sens abouti à supposer une réputation d’une spécialisation de second ordre2.

261 L’ethnologie contribue à la politisation des en même temps que les groupes qui les parlent, groupes culturels minoritaires ou menacés d’ex- et s’imposent les unes aux dépens des autres par tinction. Quant à la linguistique, quand elle s’est le biais de leurs locuteurs. Pour autant que l’on diffusée auprès du grand public cultivé, cela a sache, les langues ont toujours joué un certain d’abord été pour ses modèles sophistiqués de rôle historique dans la formation des états et des l’époque structuraliste, et les temps ne sont pas communautés, avant de céder la place à d’autres si lointains où les intellectuels lisaient Saussure (de différentes manières : il y a plusieurs moda- pour mieux comprendre les œuvres de Foucault, lités de disparitions pour les langues). Mais il se Barthes ou Lacan. De ce point de vue, la socio- passe aujourd’hui quelque chose de nouveau. linguistique intervient dans une autre sphère : Ces tensions et ces conflits sont aujourd’hui plus figure de linguiste peu connue, le sociolinguiste vifs, à cause d’une accélération et d’une multi- est souvent accusé par ses collègues d’abandon- plication des échanges à l’échelle du monde qu’il ner la cité des Sciences pour le marais de la cité est convenu d’appeler globalisation (ou mondia- tout court. Il est ainsi significatif que quand un lisation, si l’on veut un terme plus français mais linguiste s’engage dans la cité, par exemple sous moins politique), qui se caractérise pas un la forme de la sociolinguistique, il se voit repro- ébranlement des frontières. La globalisation cher de dissoudre le linguistique dans le social. entraîne des modalités de communication de Un exemple d’un tel engagement a été donné plus en plus diversifiées et complexes, qui sup- par l’article de Labov 1989, qui parle de ses posent un élargissement d’échelle mettant en interventions d’expertise dans différents procès ; cause les rapports entre les langues et entre les mais la forensic linguistics est une discipline locuteurs, sur un territoire et au-delà. Les chan- constituée aux Etats-Unis ou au Canada, inexis- gements dans la vie sociale, économique et poli- tante ailleurs, comme en France (aussi sans tique globalisée reposent de plus en plus sur le doute pour des raisons de système judiciaire). contrôle des ressources symboliques, langagières Le sociolinguiste dispose effectivement et discursives, sur la communication et la quali- d’atouts pour la société civile, se distinguant du té de ses manifestations linguistiques, et la ges- linguiste non pas tant par le matériau sur lequel tion des différences linguistiques. chacun travaille, que par le point de vue adopté. Or, la gestion politique des langues, comme Robillard (à paraître) oppose ainsi deux les politiques publiques dans des états multi- approches tendancielles de la langue (et deux lingues, considèrent les langues dans leur postures de linguistes). Le premier forge des contexte social et culturel, ce dont le sociolin- modèles, souvent abstraits, à la recherche d’inva- guiste a fait sa spécialisation. Et il y a, sur la riants susceptibles de subsumer la variation, le façon de concevoir cette question, une manifes- dynamisme et l’hétérogénéité, et exclut toute tation de la différence de posture entre le lin- intervention sur les langues et les situations lin- guiste et le sociolinguiste. Le linguiste, qui étu- guistiques. La deuxième intègre l’hétérogénéité die les langues pour elles-mêmes, considère comme un aspect fonctionnel des langues, s’ap- qu’elles sont toutes égales entre elles, ce qui ne puie sur des méthodes où le chercheur est partie peut être vrai que du point de vue de leur forme prenante des objets de recherche, et l’interven- et de la façon dont elles font système. Mais le tion politique ou sociale est l’un de ses moyens sociolinguiste, concerné avant tout par ce que d’accès à la réalité étudiée. Le sociolinguiste les locuteurs font avec les langues, donc par la s’inscrit dans cette seconde perspective, et il a valeur sociale qu’ils leur attribuent et par le affaire à un « terrain » (voir aussi Léglise & contrôle que cet usage permet d’exercer sur les Robillard, 2003), dont il a besoin pour établir ressources culturelles et symboliques, voit les son expertise linguistique et langagière. choses différemment. Pour lui, toute situation Mais la confrontation ethnographique, socia- de langue diffère de toutes les autres, et les le, et politique n’est pas un facteur stable et langues sont à regarder non selon des principes constant. On peut supposer que le terrain a tou- à prétention universelle, mais selon chaque jours révélé des cultures en tension et des contexte spécifique, en fonction des différents groupes en conflit, car les langues sont en conflit paramètres qui font différer leur emploi.

262 La politique linguistique à l’heure Toutefois des prédictions sont impossibles à de la globalisation faire, d’autant moins que le terme est plus long : Mackey 2003 a exposé les nombreuses raisons Une première manifestation de la globalisa- pour lesquelles les prédictions sur l’avenir des tion sur les langues est l’apparition d’un nou- langues s’avèrent une tâche aventureuse, compte 3. L’hypothèse d’égalité veau régime linguistique mondial, reflet d’un tenu du nombre de paramètres en cause et de la des langues, sans aucun nouvel ordre politique : les relations entre les diversité de leur nature, entre autres parce qu’ils doute majoritaire parmi langues se dessinent maintenant au niveau mon- dépendent de dynamiques sociales et d’événe- les linguistes, est à mettre 5 en rapport avec qui domi- dial, avec des effets au niveau de chaque état, ments politiques pas toujours prévisibles . Sans ne dans la discipline. En ainsi que des effets plus locaux. penser qu’elles vont toutes tout simplement dis- effet, il n’y a qu’un linguis- La politique linguistique est un champ qui paraître (Gadet 2003, Maurais 2003, Calvet te ne s’intéressant qu’à la forme pour affirmer l’éga- s’intéresse aux langues et à leur gestion d’un 2002), ou même 90% d’entre elles comme il est lité des langues, principe point de vue macro-sociolinguistique, allant de souvent annoncé, il est clair que beaucoup qui a d’ailleurs des impli- l’écologie des langues à la géo-stratégie linguis- d’entre elles sont à court terme en position fragi- cations morales généreuses tique (glotto-politique, aménagement linguis- le. Mais la position des langues super-centrales du point de vue de la jus- tice, mais ne fait aucun cas tique, géo-linguistique), mais jamais très éloi- est également fragile à terme, parce que leur de la réalité politique et gnée de la politique tout court. Ces domaines de usage est pris entre la fonction de communica- sociale des langues et des politique linguistique, qui s’intéressent à la tion internationale aujourd’hui assurée par l’an- locuteurs. même réalité avec des nuances de points de vue, glais, et la fonction identitaire des langues locales 4. 193 pays sont admis à l’ONU, mais le nombre de prennent acte de ce que le destin des langues : ainsi, il n’y a que peu de facteurs pour empêcher langues officielles est bien n’est plus concevable en isolation. Les langues ne l’Afrique « francophone » de devenir anglopho- moins élevé, car si certains sont plus seulement en contact comme elles ne, comme certains pays en ont amorcé le mou- états ont deux ou même trois langues officielles, l’ont toujours été parce que des locuteurs de vement d’ailleurs (voir Maurais 2003). De plus, certaines langues concer- langues différentes sont en contact dans de ces langues de large diffusion acquièrent des nent plusieurs états. Ainsi, nombreux lieux du monde (si ce n’est partout), colorations locales, qui pourraient finir par don- 45 états ont l’anglais pour elles sont désormais en interdépendance, leur ner naissance à la formation de nouvelles langue officielle ou co-offi- cielle, et 30 ont le français. valeur d’usage étant tributaire de celle des autres. langues, tout dépendant de comment on définit 5. Que l’on pense au rôle Un premier aspect de la politique linguistique une langue : voir le français ivoirien, ou l’anglais géo-linguistique qu’ont pu concerne les relations inégales entre les langues. indien. Pour des réflexions sur l’avenir linguis- avoir, depuis une quinzai- ne d’années, l’effondre- Bien que ce fait soit laissé de côté par la doxa tique de la planète, le statut des différentes ment du bloc communiste angélique et politiquement correcte des lin- langues, et l’éventuelle réorganisation de leur hié- sur le recul du russe, ou la guistes3, il est flagrant que les langues ne sont pas rarchisation, voir par exemple Calvet 2002, dif- fin de l’apartheid en égales. La première évidence de cette inégalité est férents articles de Maurais & Morris 2003 (dont Afrique du Sud, qui donne un point d’appui aux ten- la position hégémonique occupée aujourd’hui Maurais pour une perspective générale, dances africaines vers l’an- par l’anglais. Viennent ensuite une dizaine Chaudenson pour le français, ou Ammon pour glophonie. d’autres langues, qui ont un nombre important l’allemand), Chaudenson 2000 pour le français, 6. L’apparition d’institu- de locuteurs, servent de vecteur dans les institu- et Graddol 1997 pour l’anglais. tions de promotion de langues d’un Etat-nation tions internationales, et sont technologiquement Un second aspect de la politique linguistique remonte à la fin du 19e fortement instrumentées : ce sont les langues porte sur la progressive modification des rela- siècle (comme pour le que Calvet 2002 appelle « super-centrales », tions de l’Etat à la régulation des langues. S’il y français, l’Alliance française parmi lesquelles certaines pourraient prendre a longtemps que la gestion des langues standar- créée en 1883, ou e l’Alliance Israélite davantage d’importance au 21 siècle, comme le disées est cadrée par des lois et des réglementa- Universelle créée en 1860), chinois ou le hindi. Plusieurs dizaines d’autres tions, leur promotion par des institutions appro- et intervient de façons très ont valeur nationale, comme langues d’un seul priées est une tendance plus récente6. Mais la différentes de ce qu’avait 4 pu être la création de Etat (langues « centrales » chez Calvet). Et globalisation vient modifier la donne, en entraî- l’Académie Française au enfin, il y a les cinq ou six mille autres langues, nant une modification rapide du statut des 17e siècle. La même qui n’ont de valeur que locale et identitaire (ver- langues les unes par rapport aux autres, et de époque a vu se créer le British Council ou le naculaire pour les relations de la sphère privée, et leur hiérarchisation. On ne peut plus en rester à Goethe Institut, entre limitées à une région ou une communauté), dont une conception centrée sur l’Etat, le territoire ou autres. on peut se demander ce que sera leur destin. la/les communauté(s) territoriale(s), quand la

263 notion de frontière prend un tout autre sens et Les sociolinguistes, le diagnostic qu’existent des communautés non territoriales, social, l’intervention sociale en particulier parce que les technologies de l’in- formation produisent une forte coupure entre Le versant linguistique de la globalisation les langues outillées (et le niveau où elles le sont) comporte également d’autres aspects, manifestes et celles qui ne le sont pas. aussi bien au niveau d’un état que des relations Il est évident que toutes les langues actuelle- locales entre acteurs dans la société civile. Nous ment parlées ne peuvent pas également être en retiendrons ici deux illustrations, l’école, et le amenées à la modernité, à l’encontre des préten- travail dans les entreprises. dus « droits linguistiques » des locuteurs qui auraient tous le même droit d’user de leur Les politiques sociales regardées sous un langue. Il s’agit là d’une illusion, les pays multi- angle linguistique lingues (qui sont aussi majoritairement les pays De longtemps déjà, des sociolinguistes ont été en voie de développement) n’ayant pas les sollicités dans des débats sur l’enseignement, au moyens d’assurer l’enseignement dans toutes les moins depuis les années 60 et le constat patent langues, de tout traduire dans toutes les langues, que l’échec scolaire perdurait. Il a donc fallu se ou de développer des logiciels dans toutes les poser des questions sur l’égalité des chances des langues. La globalisation ne fait ainsi qu’accen- enfants, la différence de réussite d’enfants d’ori- tuer une concentration des langues, initiée par la gines sociales et souvent ethniques différentes, la diffusion de l’écriture et renforcée par l’impri- part de la maîtrise linguistique dans la réussite et merie qui, en introduisant une opposition entre l’échec scolaires, ou encore la place à accorder langues écrites et langues d’oralité, instaure des aux pratiques non standard et multilingues (ver- inégalités entre elles, et entre leurs locuteurs. naculaire des enfants, pratiques familiales ordi- L’écriture et l’imprimerie ont été les premières naires). La question du linguistique et du langa- formes de déterritorialisation, de déplacement gier dans la socialisation de l’enfant est toujours des valeurs que les locuteurs attribuent aux à l’ordre du jour, si l’on admet qu’au moins une langues et aux pratiques langagières, quand le partie des performances scolaires s’appuie sur la trans-local peut entrer en conflit avec le local maîtrise du langage (voir par exemple Labov (Blommaert 2003). 1993 sur l’illettrisme, ou un numéro de la revue Ce qui importe pour le changement des rap- VEI en 2002). Mais l’échec scolaire ne fait pas ports de la linguistique à la societé civile et à la que perdurer, il s’accentue dans la globalisation, cité, c’est de reconnaître que les langues sont des avec le nombre important d’enfants immigrés objets qui passent nécessairement par des locu- ou de « deuxième génération » (Maghrébins en teurs en relation et en interaction. C’est en ce France, Pakistanais en Grande-Bretagne, Turcs sens aussi que la linguistique est touchée. Cette en Allemagne…), redoublant celui d’enfants remarque conduit d’ailleurs à redoubler la poli- dont le vernaculaire est distant de la langue stan- tique linguistique de l’étude des investissements dard du pays, ces deux groupes constituant une des citoyens dans leur(s) langue(s), et des repré- bonne partie des enfants en difficulté scolaire. sentations qu’ils s’en font. Un exemple d’une Ainsi se croisent les questions des difficultés telle démarche a été donné par Klinkenberg scolaires, du plurilinguisme et des contacts de (2001) qui, ayant assumé des responsabilités langues, des parlers urbains, réflexions qui se gouvernementales en Belgique, parle de son déploient dans plusieurs directions. L’une expérience d’aménagement linguistique, pour la d’entre elles concerne l’observation des formes Belgique, pour la francophonie, et pour les linguistiques et des pratiques langagières, dans citoyens. Son livre, écrit pour un large public, des états des lieux sur le terrain de pays occiden- est susceptible de participer à modifier le regard taux qui sont tout sauf monolingues, même des usagers sur le langage et les langues, en les quand l’Etat promeut une langue unique. Sur la responsabilisant : le destin des langues, c’est plupart des communautés (voir par exemple aussi l’affaire de leurs citoyens-locuteurs, et nous Lecomte 1997 pour les familles africaines en y reviendrons en quatrième partie. France, Bouziri 2000 pour une enquête sur de

264 jeunes Maghrébins dans un quartier parisien, ou demande sociale est l’analyse de discours, la glo- Deprez 2003 sur le bilinguisme intra-familial), balisation se manifestant par d’importantes les connaissances ethnographiques sont très mutations discursives, concernant non le niveau insuffisantes, car les données ne sont pas collec- des langues mais celui des genres de discours. tées de façon systématique, selon des pro- La globalisation a provoqué une déstabilisa- grammes ethnographiques (à supposer que cela tion des formes de l’organisation du travail et soit réalisable). Une autre direction concerne le des méthodes de production, en particulier par travail avec des professeurs des écoles, des édu- l’introduction de nouvelles technologies. Dans cateurs, des agents de justice, des formateurs, cette nouvelle régulation de l’usage de la langue vers ce que les Britanniques appellent « langua- au travail, les entreprises ont peu à peu décou- ge awareness », ou conscientisation sur la vert les enjeux de la communication, en cher- langue. Cette réflexion part de l’idée que la chant à répondre aux pressions économiques de conscience des confrontations entre les langues, la globalisation par l’amélioration de l’informa- et la compréhension des mécanismes fondamen- tion et des services, en particulier en raffinant le taux du langage peuvent, en partant de la mode de communication des employés en conscience du vernaculaire, faciliter la recon- contact avec la clientèle (magasins, banques, ou naissance des différentes façons de parler, l’accès centre d’appels téléphoniques en particulier). au standard, ou l’acquisition d’autres langues Paradoxalement, les linguistes ont très peu été (voir Cheshire & Edwards 1993). Sur ces diffé- partie prenante dans cette mise au point profes- rents points, voir par exemple Billiez 2000, sionnelle, soit qu’ils n’aient pas voulu se com- Auzanneau & Juillard 2002, ou Billiez 2003. promettre dans le monde de l’entreprise, soit L’intérêt que présentent pour la société civile qu’ils n’aient pas su faire valoir leur expertise ces diagnostics sur les langues en contact et les (Cameron 2000). L’apport de sociolinguistes, parlers urbains, sur une exploration des interac- d’analystes de discours et d’analystes de conver- tions urbaines partant des modes de catégorisa- sation, dont l’expertise est justement de décrire tions sociales repérables dans les conduites lan- comment fonctionne la communication dans les gagières ou discursives, et sur des propositions interactions langagières, et la compétence com- pour l’intégration et l’insertion sociale (par municative, pourrait être de deux ordres, dans la exemple, Castellotti & Robillard 2001) se mesu- mesure où ils ont étudié l’oral pour ce qu’il est, re aux demandes d’interventions dans la forma- et peuvent montrer à quel point son fonction- tion de formateurs, ou d’enquêtes. Ainsi, par nement en fait autre chose qu’un avatar de exemple pour la France, des enquêtes ont été l’écrit7. Constitutif, pour ceux qui veulent parti- commanditées ou soutenues par la Protection ciper à l’élaboration de ce savoir de conseil en Judiciaire de la Jeunesse (Ministère de la justice), linguistique et communication : ainsi, la Délégation Interministérielle à la Ville, la Cameron 2000 montre à quel point les entre- Délégation Générale à la Langue Française et aux prises pourraient avoir besoin de linguistes, dans Langues de France (Ministère de la Culture), ou une enquête sur les protocoles langagiers mis en 7. Je ne dis pas que les lin- le Fonds d’Action Sociale pour l’Intégration et la œuvre dans les centres d’appel. Le corps de guistes n’étudient que Lutte contre les Discriminations. savoir auquel ces « usines de communication » l’écrit. Mais en prétendant L’étude du contact des langues détient ainsi un font appel, en effet, repose très peu sur les acquis comme ils le font en géné- ral étudier une forme neu- fort potentiel d’ébranlement pour la linguis- des disciplines académiques constituées : naïve- tralisée entre oral et écrit, tique, qui a toujours été fortement centrée sur té de savoirs de sens commun sur la prosodie ou ils penchent de fait du l’idée que les langues coexistaient les unes aux la symbolique du corps et de la voix, ignorance côté de l’écrit, lieu où, côtés des autres sans se rencontrer (et même la sur la syntaxe, en particulier celle des interroga- dans la tradition séculaire, un savoir grammatical et sociolinguistique classique repose sur l’idée d’in- tions (et l’impact de la différence entre questions rhétorique s’est construit. dépendance des langues). ouvertes et questions fermées). L’intervention Travailler sur l’oral, c’est pourrait également être critique, de façon com- d’abord déconstruire les évidences qui donnent La langue et les discours au travail plémentaire, si l’on considère que les usagers et l’oral comme un avatar Un autre champ potentiel de remise en ques- les employés seraient mieux armés s’ils dispo- imparfait de l’écrit. tion de la linguistique traditionnelle par une saient d’une dimension réflexive sur ce qu’ils

265 font ou disent. Ainsi, Cameron 2000 initie une concernent tous les citoyens : les variétés non discussion autour de « l’empowerment » que standard, les jugements négatifs portés sur elles, ces pratiques sont censées apporter aux locu- et la place à leur accorder dans l’enseignement teurs-citoyens (voir aussi Borzeix & Fraenkel (par ex. la controverse sur l’Ebonics des Noirs 2001 pour l’ensemble du thème « langage et américains à l’école, ou la légitimation de la travail », dans ses mutations progressives). variété québécoise du français), la prise en compte des langues comme des tout culturels, le L’expertise et le débat public destin des langues minoritaires ou en voie de disparition, le passage d’une langue au statut « Mais il n’y a pas, dans le nouveau régime des national standardisé ». La question est aussi langues, que les deux niveaux de l’état ou des posée de l’utilité du travail du linguiste pour les relations entre états, et des relations entre usagers de la langue (description des langues acteurs sociaux et économiques par le biais des indigènes : quel savoir détiennent et le linguiste langues et des discours. Il y a aussi le rôle des et le natif ?), ou du rapport à l’idéologie (le lin- citoyens envers leur(s) langue(s), que ce soit au guiste étant aussi locuteur, son expertise niveau des activités quotidiennes ou des choix l’exempte-t-elle de préjugés ?). face à leur propre Etat, la responsabilité dans les Les incidences de ces questions ne sauraient être choix pratiques effectués au jour le jour : ce rôle surestimées, pour les citoyens et pour l’engage- peut se manifester dans le débat public, qu’il soit ment du linguiste dans la société civile et la cité. explicitement ouvert ou non. Puisque le langage Aussi une autre discussion abordée par le dossier est partout, le débat sur le langage peut aussi être de Heller est-elle la diffusion dans le grand partout. Les (socio)linguistes auraient ainsi la public, quand il apparaît difficile de se faire responsabilité d’informer le public en l’aidant à entendre des médias, dont beaucoup semblent faire le partage entre connaissances et préjugés n’attendre des experts que la reprise du discours sur les langues, avant tout en dépassionnant les dominant. Il y a certes là le problème politique débats et en éclairant les prises de décisions des médias comme lieu de fabrication de ayant des incidences sur des options de vie, que consensus. Mais il y a aussi autre chose, par ce soit pour conforter telle ou telle position exemple sur la démonstration d’égale dignité défendue, ou pour y réagir d’une façon critique linguistique des variétés standard et non stan- argumentée. Cameron 1995 a donné un dard. Les usagers, qui admettent mal ce dis- exemple d’une réflexion sur les pratiques d’hy- cours, ont un point de vue qui n’est pas à négli- giène verbale (intervention linguistique concer- ger, car ils connaissent la valeur sociale diversi- tée), comme la féminisation des noms de métier, fiée des variétés et/ou des langues : quel que soit le « politiquement correct », ou la chasse aux l’intérêt linguistique du français populaire pari- anglicismes en France8. sien (ancienne version ou langue des jeunes), de Le questionnement expert et les questions que l’ebonics ou du joual québécois, les locuteurs se posent les citoyens ne sont pas forcément en savent les limites de tels outils linguistiques pour recouvrement. En 1999, Monica Heller et trois accéder à la palette sociale, ou y conduire leurs collaborateurs ont réalisé un dossier dans le enfants. Il en va de même pour les langues journal britannique Journal of Sociolinguistics, minoritaires et en danger, défendues surtout par sur l’impact des sciences du langage, autour du les linguistes et des militants faisant souvent par- thème « What do sociolinguists have to say tie de l’élite, quand leurs locuteurs perdent leur 8. Ce n’est pas une spécia- about the language debates of our time ? » loyauté à leur égard et cessent de les transmettre lité française, ou franco- (débat introduit, donc, dans une revue profes- à leurs enfants. La démonstration de phone si l’on pense au Québec : la pratique d’hy- sionnelle de sociolinguistes). Ils visent les deux Mühlhaüssler 1995 sur la façon dont l’acquisi- giène verbale d’un Etat aspects de la figure du sociolinguiste comme tion de la littératie en langue vernaculaire laisse intervenant sur le corpus intellectuel engagé dans la sphère publique, et de place en deux générations au transfert vers une d’une langue afin d’en éva- cuer les mots d’origine l’évaluation de la nature des savoirs que la disci- langue de grande diffusion, est sur ce point étrangère est assez bien pline produit. Les quatre articles du dossier éclairante : qui pourrait être assez cynique pour partagée. abordent des problèmes qui, une fois élargis, culpabiliser les indigènes ou leur interdire l’accès

266 à l’écrit, afin de conserver leur langue en préser- multilinguisme est une donnée qui ne peut être vant ainsi la diversité linguistique de la planète, prise en charge au niveau de l’Etat, et seule une que nous avons tellement réduite en Europe ? réduction drastique du nombre de langues ins- (voir aussi Calvet 2002). trumentées (enseignement et technologie) peut Le débat public ne peut être démocratique que assurer la diffusion du savoir, avec d’autres pro- s’il part des questions que les citoyens se posent, blèmes de politique linguistique. Je suggère aussi même si elles n’adoptent pas forcément la même de faire la part entre les thèmes de débats sur les- forme que celles des linguistes. Mais pourquoi quels une intervention concertée ne pourrait rien les linguistes ne pourraient-ils pas formuler les (comme l’urbanisation, qui depuis qu’elle existe mêmes questions ? C’est par exemple ce que fait a eu parmi ses effets la réduction du nombre de Chaudenson dans ses titres : « Le français a-t-il langues et la formation de véhiculaires : mais il un avenir ? » (sous-entendu, international) ; « est peu probable qu’elle régresse), et ceux sur les- L’Europe parlera-t-elle anglais demain ? » quels des politiques linguistiques correctement (2000 et 2001). Ces questions simples mais inci- informées des réalités sociolinguistiques et des sives revêtent les formes des interrogations des vœux des citoyens pourraient avoir des effets. citoyens-locuteurs. Pour créer les conditions d’un engagement du Conclusion linguiste dans la cité, il faudrait ainsi recenser les thèmes de grands débats sur les langues, ainsi que Si les débats idéologiques sur les langues ne leurs incidences sur les choix ordinaires des locu- sont pas pris en compte par les linguistes, ils se teurs, ce dont voici quelques exemples. Quel dérouleront sans eux, sans garantie d’informa- choix de langue effectuer, entre une langue héré- tion correcte sur les politiques linguistiques et ditaire, ou une langue réputée facile, et une sociales (à tous niveaux), qui risquent alors de langue socialement utile ? (= en quelle(s) s’appliquer par défaut, comme c’est souvent le langue(s) socialiser les enfants dans les situations cas actuellement. Et si les citoyens ne sont prêts plurilingues ? ; choix de langues étrangères dans à prendre en charge les conséquences des poli- le système scolaire). Ou bien : les vernaculaires tiques linguistiques sur la vie sociale, cela se fera reflètent-ils la paresse humaine ? (= avantages et sans eux. inconvénients du vernaculaire à l’école). Ou bien L’intérêt d’ouvrir un débat public sur les : le monde va-t-il vers une uniformisation lin- langues, le langage et les discours au moment de guistique, ou au contraire vers une fragmenta- la globalisation est d’offrir aux citoyens-locuteurs tion des grandes langues, l’émergence de véhicu- les moyens de faire des choix, dans un domaine laires, et la résurgence de langues identitaires ? où ils ne font que les subir. Et l’intérêt du débat La domination de l’anglais est-elle définitive- public pour la linguistique d’aujourd’hui est la ment acquise, ou cette langue peut-elle être rem- façon dont les exigences d’expertise qui lui sont placée dans ce rôle par une ou plusieurs autres adressées l’obligent à se penser selon un nouveau langues ? Faut-il une langue d’intercommunica- paradigme, la forçant à dépasser un stade de son tion unique (lingua franca, comme a pu l’être histoire intellectuelle qui avait fait de l’autono- jadis le latin dans d’autres circonstances et dans mie son geste fondateur (Saussure et les écoles un monde plus petit) ? Les progrès technolo- structuralistes et post-structuralistes), à affronter giques comme la traduction automatique ont-ils la participation au forum public sur les questions une chance d’un jour constituer une alternative à du jour (Léglise & Robillard 2003), et à étudier une langue unique ? (= expression de craintes ou les implications sociales des choix linguistiques au contraire d’espoir devant la globalisation)… (voir Heller 2002 sur l’institution d’une « socio- Ces formulations sont-elles généralisables, au- linguistique critique », et Blommaert 2003 sur delà des différences de statut et de situations une « sociolinguistique de la globalisation », structurelles des langues ? Ainsi, l’Espagne a pu tenant compte de la relativité des fonctions du reconnaître un statut au basque ou au catalan, langage dans différentes langues). mais, dans les pays en voie de développement, le

267 Bibliographie complémentaire Deprez Christine, 2003, “Evolution du bilinguisme familial en France”, Le français d’aujourd’hui, n° Ammon Ulrich, 2003, « The international standing 143, pp. 35-43 of the », in Maurais & Morris Gadet Françoise, 2003, « Hégémonie des grandes Eds, 231-49. langues », Atlas du Monde Diplomatique, 14-5. Auzanneau Michèle & Caroline Juillard, 2002, Graddol David, 1997, The future of English ?, « Parlers de jeunes en parcours de formation conti- London, The British Council. nue et d’intertion. Démarche d’une recherche Heller Monica, 1999, « Sociolinguistics and public sociolinguistique », in VEIn° 130, 238-48. debate. Ebonics, language revival, la qualité de la Billiez Jacqueline, 2000, “Un bilinguisme minoré : langue and more : What do we have to say about quel soutien institutionnel pour sa vitalité ?”, in the language debates of our time ? », Journal of La notion de contact de langues en didactique, P. Sociolinguistics 3/2, 260-88. Martinez & S. Pékarek (dir), Ecole Normale Heller Monica, 2002, Eléments d’une sociolinguis- Supérieure de Saint-Cloud, pp. 21-39. tique critique, Paris, Didier. Billiez Jacqueline (dir), 2003, Contacts de langues. Klinkenberg Jean-Marie, 2001, La langue et le Modèles, typologies, interventions, Paris, L’Harmattan. citoyen, Paris, PUF. Blommaert Jan, 2003, « Commentary : a sociolin- Labov William, 1989, « La théorie linguistique à guistics of globalization », Journal of sociolinguis- l’épreuve de la justice », Actes de la recherche en tics 7/4, 607-23. sciences sociales n°76-77, 104-14. Borzeix Anni & Béatrice Fraenkel (Dir), 2001, Labov William, 1993, « Peut-on combattre l’illet- Langage et travail, : communication, cognition, trisme ? Aspects sociolinguistiques de l’inégalité action, Paris, CNRS Editions. des chances à l’école », Actes de la recherche en Bourdieu Pierre, 1982, Ce que parler veut dire, Paris, sciences sociales 100, 37-50. Fayard. Leconte Fabienne, 1997, La famille et les langues. Bouziri Raja, 2000, La variation dans les pratiques Une étude sociolinguistique de la deuxième généra- langagières des jeunes d’origine maghrébine à la Goutte tion de l’immigration africaine dans l’agglomération d’Or (Paris18e), Thèse inédite de l’EHESS, Paris. rouennaise, Paris, L’Harmattan. Calvet Louis-Jean, 2002, Le marché aux langues. Les Leglise Isabelle & Didier de Robillard, 2003, « effets linguistiques de la mondialisation, Paris, Plon. Applications, implications, interventions, exper- Cameron Deborah, 1995, Verbal Hygiene, London, tises, politiques linguistiques: les (socio)linguistes Routledge. entre ‘savants’ et ‘mercenaires’? », in Billiez (dir) Cameron Deborah, 2000, Good to talk ?, London, 2003, 236-52. Sage Publications. Mackey William, 2003, « Forecasting the fate of Castellotti Véronique & Didier de Robillard, 2001, languages », in Maurais & Morris Eds, 64-81. « Langues et insertion sociale : matériaux pour Maurais Jacques, 2003, « Towards a new global lin- une réflexion sociolinguistique », Langage & guistic order ? », in Maurais & Morris Eds, 13- Société n° 98. 36. Chaudenson Robert, 2000, Mondialisation : la Maurais Jacques & Michael MORRIS (Eds), 2003, langue française a-t-elle encore un avenir ?, Institut Languages in a Globalising World, Cambridge, de la francophonie, Didier-Erudition. Cambridge University Press. Chaudenson Robert (Dir), 2001, L’Europe parlera-t- Mühlhaüssler Peter, 1995, « Reducing Pacific elle anglais demain ?, Institut de la francophonie, Languages to Writing ». l’Harmattan. Robillard Didier de, à paraître, « Les défis de l’hété- Chaudenson Robert, 2003, « Geolinguistics, geo- rogénéité : créolistiques, fonctionnalismes. politics, geostrategy. The case of French, in Imaginaires linguistiques savants, pratiques, et Maurais & Morris Eds, 291-7. théorisations », La linguistique. Cheshire Jenny & Viv Edwards, 1993, VEI (Ville-Ecole-Intégration-Migrants-formation), « Sociolinguistics in the classroom : exploring lin- 2002, N° 130, « Pratiques langagières urbaines. guistic diversity », in J. & L. Milroy eds, Real Enjeux identitaires, enjeux cognitifs », Paris, English, London and New York, Longman, 34-52. CNDP.

268 Ethnicité et culture : l’Alliance à plaisanterie comme forme de culture ciment entre les ethnies au Burkina Faso par Alain Sissao*

e Burkina Faso est un pays plurilingue qui compte une soixantaine d’ethnies. A l’intérieur de chaque ethnie, les locuteurs de chaque langue fonctionnent selon leur vision du monde et leurs L coutumes. C’est ainsi par exemple que la culture d’une ethnie A est différente de la culture d’une ethnie B à travers ses expressions artistiques, culturelles, religieuses, etc. Mais force est de constater que toutes ces ethnies se côtoient souvent et fonctionnent de façon harmonieuse avec d’autres eth- nies notamment leur allié à plaisanterie. C’est donc dire que l’alliance à plaisanterie est un ciment qui soude et fédère les cultures, les langues, les régions et même les pays. La pratique repose en fait sur une forme de supra langage ou de supra culture permettant aux ethnies de se retrouver sur des terrains d’entente communs qui permettent la symbiose des cultures. Dès lors, les notions de langue et d’ethnies sont sublimées à travers le jeu verbal et la pratique du phénomène pour ne retenir que l’expresssion de valeurs communes partagées comme la solidarité, l’entente, la fraternité. En somme, le métissage des valeurs, des langues et des cultures comme forme de langage transcendant la simple notion de l’ethnie et de langue. Nous essayerons de voir comment se construit cette notion d’intégration culturelle nationale à tra- vers la pratique de cette valeur qu’est l’alliance à plaisanterie entre les ethnies, les villages, les régions et les patronymes au Burkina Faso. Motscles : ethnicité, ethnie, car il a besoin d’étoffes et de remèdes pour sa cultures, langues, alliance à maisonnée. Aussi, aime-t-il bien écouter la déclamation de la généalogie de ses ancêtres et plaisanterie, échanges transcuturels, entendre également le tambour l’appeler par les intégration nationale, Burkina Faso noms-devises ou zabyuuya, les jours de gloire. Sur le plan vertical, toutes ces personnes sont Construction de la notion de l’alliance et historiquement les serviteurs de la cour royale, de la parenté à plaisanterie : ce qui les conduit à une certaine entente. Dans le dakiire, aucun groupe n’est laissé de Le rôle de régulateur des tensions sociales : les côté pour un bon équilibre de la société, car il mécanismes de prévention des conflits s’agit bien d’un enjeu qui consiste dans l’antici- pation de possibles conflits entre les membres de La Gestion sociale de tensions par le rire la société. Ainsi, la source éventuelle de conflit Il faut dire que l’alliance et la parenté à plai- peut provenir aussi bien du voisinage, que de la santerie sont des constructions des sociétés qui parenté. On retrouve ainsi le dakiire - note leur permettent de vivre en bonne intelligence. l’Abbé Damiba- entre le neveu et le mari de C’est ainsi qu’au niveau des relations à plaisan- celle-là, le grand frère entre le frère cadet et la terie inter-ethniques ou inter localités, il y a femme de celui-là, la grande sœur entre le frère celles qui existent entre sous-groupes sociaux ; et le mari de celle-là, le grand frère entre la sœur ainsi, l’ensemble forgeron, yarga, joueur de et la femme de celui-ci, la sœur entre sa sœur et bendre et devin poeega se situe à la fois sur un le mari de celle-ci ou encore la femme donnée *Alain Joseph SISSAO, Chercheur, Institut des double plan horizontal et vertical. entre deux familles alliées. Sciences des Sociétés Au niveau horizontal, tous sont redevables au Ainsi située, la relation à plaisanterie pourrait (INSS), Centre National forgeron de leur fournir les instruments néces- se définir comme la gestion sociale par le rire, de de la Recherche saires à la réussite de leurs différents métiers : au différentes sources de tensions possibles. Il s’agit Scientifique et Technologique 02 BP. yarga, revient la daba pour cultiver son coton, au d’évoquer le lien pour dédramatiser, de jouer sur 5178 Ouagadougou 02 joueur de bendre, les anneaux de son tambour et un savoir-faire pour faire savoir ce qui fut ou ce Burkina Faso alainsis@hot- au devin, le couteau sans lequel il n’obtiendrait qui est, de situer l’autre à bonne distance assez mail.com pas la peau pour fabriquer la sacoche destinée à proche pour être le même, mais suffisamment Associations transnationales recueillir ses instruments divinatoires. Le forge- distant pour rester l’autre. Ce qui conduit à pen- 4/2004, 269-282 ron a recours aux uns aussi bien qu’aux autres, ser que « les moose croient à ces relations per-

269 missives comme étant l’une des sources de festent surtout dans un contexte de réciprocité, renouvellement de leur société ; et c’est non sans toutefois avec une nuance particulière par rap- raison qu’ils affirment que tant qu’il existera des port à la parenté à plaisanterie. Moose, il y aura cette relation à plaisanterie ». En effet, l’alliance cathartique ne concerne pas toute la personne dakiiya mais au delà, il s’agit « Sans rakiire, l’existence serait sans attrait » d’un ennemi fictif, en quelque sorte irréel. Selon les moose, le rakiire ou dakiire est un dog Les San et samogo et les moose ont des rap- n mik (naître trouver), c’est-à-dire la tradition ou ports qui sont justifiés par tel vol véniel, perpé- héritage de la coutume. Les moose se réfèrent à tré au temps jadis mais ce dakiire n’est pas assor- cette notion pour expliquer la tradition comme ti des interdits matrimoniaux et sexuels. Il n’en une expérience ancestrale, à la vérité dérisoire au va pas de même entre les moose et les peuls niveau des faits, et retentissante quant aux (Silmissi et Setba). Les peuls ont des partenaires conséquences. Il en résulte l’élaboration d’un privilégiés, semble-t-il puisqu’ils “jouent” sur- vaste catalogue d’injures ritualisées. La plus usi- tout avec les forgerons Sâaba et les bênda. tée, mais la plus grave, hors du contexte du Comme le dit un vieillard que cite P. Arozarena, dakiire étant tampiiri (bâtard, être dont aucun “Sans rakiire l’existence serait sans attrait”. homme ne veut assumer la paternité et qui, par conséquent, porte malheur au village). « Faire le fou pour ne pas le devenir ». Cette insulte constituerait une suprême offen- Par ailleurs, il faut distinguer au niveau du se pour les ancêtres du destinataire, en raison de dakiire, les manifestations de détente liées à la ce qu’elle laisserait supposer si elle ne s’insérait relation matrimoniale établie entre deux dans les joutes oratoires coutumières. lignages ; plus précisément celles qui relèvent de Cependant, l’aspect spectaculaire du dakiire lais- la purgation des tensions entre deux groupes se à penser qu’il ne faut pas s’en tenir aux appa- sociaux distincts de la société réelle, exprimant rences immédiates pour rendre compte du phé- des réalités psychologiques et sociales. nomène. Dans Gens de parole, Sory Camara2, qui a La parenté à plaisanterie va ainsi désigner les entrepris une étude de différents aspects de l’al- relations individuelles, au sein du groupe liance, retient que celle-ci « permet de canaliser domestique. En réalité, tout moaaga entretient les tensions éprouvées dans des rapports de deux types de rapports de parenté dans le cadre parenté clanique et avec les alliés matrimoniaux. de sa « grande famille ». À l’égard de son père En effet, le sanankuya, à travers les échanges ver- Ba, et des membres du buudu paternel (Ba yiir baux à caractères irrévérencieux entre alliés, éta- dâmba) la soumission à l’autorité, la déférence blit une relation pacificatrice qui joue le rôle envers les personnes plus âgées et le respect de d’exutoire de tensions qui, autrement, dégénére- conventions s’imposent. Ainsi, le père et sa raient en violences ». C’est justement ce sens de parenté représente un pôle réputé « dur ». la parenté à plaisanterie en tant qu’instrument À l’égard des membres du buudu de la mère, de régulation de tensions sociales et de divertis- il y a plutôt, une relation d’entente comme l’at- sement que Sory Camara met en exergue « Il teste cet adage « Ned pugdb sã toem sida bi a s’agit de désamorcer la guerre, de la jouer pour toeme dakiire» (si la soeur de votre père change ne pas la faire ». Ainsi, le sanankuya permet aux de mari, vous devez changer de parent à plaisan- Africains de l’Ouest de différentes contrées de terie). fraterniser au premier contact, de dédramatiser Quant à l’alliance cathartique, cette relation des situations qui ailleurs conduiraient à des de détente constitue une « purge » (catharsis, au conflits ouverts. sens premier signifie la purification) des tensions Au Mali, le sanankuya agit comme une théra- 2. S. CAMARA, Gens de s’élevant entre les groupes sociaux déterminés. peutique qui participe quotidiennement à la parole. Essai sur la condi- Les injures, comme par exemple munafika régulation sociale. Les plaisanteries qu’échan- tion et le rôle des griots dans la société Malinké, ACCT, (hypocrite, pervers, calomniateur, vicieux), sont gent les alliés contribuent à détendre l’atmo- Ed Khathala, Paris SAEC, susceptibles d’empoisonner les relations entre les sphère, à rétablir la confiance, toutes choses Conakry, 1992 gens. Cependant, les propos obscènes se mani- indispensables au dialogue.

270 Pour Doulaye Konaté,3 « le sanankuya, que les de l’histoire de son groupe. L’on instaure de ethnologues ont maladroitement assimilé à une façon ostentatoire la guerre verbale et gestuelle parenté à plaisanterie (appelée aussi cousinage à pour ne pas arriver à la vraie guerre, destructive plaisanterie) est un système de solidarité inter- des biens et des personnes. clanique et interethnique très répandu en Cette fonction d’harmonisation de l’alliance Afrique de l’Ouest. Il ne repose pas sur une et de la parenté à plaisanterie a amené le chef parenté réelle entre alliés, à la différence de la « de Doulougou, dans la province du Bazèga et les parenté à plaisanterie » qui concerne des per- notables lobi de Gaoua, dans la province du sonnes ayant des liens de parenté avérés (c’est Poni, à attribuer la naissance du dakiire et du par exemple la possibilité qui est donnée à un moal (alliance à plaisanterie en Lobi) à Dieu : petit fils de plaisanter avec son grand-père ou à « C’est Dieu qui a créé le dakiire et le moaldar ». un frère de s’adresser « vertement » à sa belle Ceci pour avoir des moyens de recours pour sœur, l’épouse du frère aîné ou l’inverse). La apaiser les belligérants en cas de conflits et faire manifestation la plus remarquable du sanankuya régner la paix entre les hommes. réside dans les échanges de plaisanterie entre L’alliance et la parenté à plaisanterie permet- alliés. Les propos injurieux qu’échangent à toute tent de réguler les tensions sociales. En cas d’ac- occasion les partenaires ne peuvent donner lieu cidents malheureux, et qu’il se trouve que les à aucune conséquence. Il s’agit d’une guerre protagonistes sont des alliés à plaisanterie, une entre frères ; comme une vraie guerre entre entente à l’amiable peut être envisagée pour ne frères est néfaste, on est bien obligé de la trans- pas porter l’affaire devant les juridictions former en jeu. Il s’agit bien de « faire le fou pour modernes. En « lavant le linge sale en famille », ne pas le devenir ». cela permet de mieux souder les liens, de rap- Mais au delà de cet aspect ludique, l’alliance procher les deux groupes. C’est pourquoi cer- requiert une assistance mutuelle entre alliés tains enquêtés Bobo et Peul constatent avec (sanankou) en toute circonstance, un devoir, regret que Peul et Bobo se convoquent aujour- voire une obligation de médiation lorsque l’un d’hui devant les tribunaux. Le pardon et l’humi- des partenaires est en conflit avec un tiers ». lité sont des marques distinctives positives dans la parenté et l’alliance à plaisanterie. Les per- Faire régner la paix entre les hommes sonnes âgées sont garantes de la stabilité sociale. Dans la société traditionnelle africaine, la parole Elles permettent de réguler les tensions sociales. ne joue pas seulement le rôle d’information L’allié à plaisanterie peut être un puissant immédiate, elle est aussi révélation d’une certai- médiateur qui peut éteindre un conflit immi- ne attitude et disposition à l’égard d’autrui ; nent et dramatique. Le témoignage de Monsieur révélation et répétition d’un moment vécu Sanou Blaise4 paraît assez éloquent : ensemble, d’une histoire commune, ou si l’on Quand j’étais footballeur, j’avais un suppor- 3. D. KONATE, Les préfère, « vécu partagé ». Lorsque le jeu verbal teur Peul qui m’invitait très souvent à boire (je fondement endogènes d’une et physique des alliances à plaisanterie repose sur ne prends que de la sucrerie). Un jour au comp- culture de paix au mali : les mécanismes traditionnels une base institutionnelle, lorsque les formes et toir, j’ai trouvé un homme qui ne buvait pas. de prévention et de résolu- les contenus sont violents dans la procédure, et Dès qu’il m’a vu, il m’a demandé de la bière. Je tion des conflits, lorsque l’ensemble des propos prend l’allure de la lui ai offerte, il l’a bue un peu et versa le reste Conférence introductive au thème (N°2) lors de la véritables joutes oratoires, d’insultes et de de la bière sur ma tête. Je me suis fâché et je vou- semaine de la paix organ- moqueries, l’on se rend compte que leur portée lais lui infliger une sévère correction. En ce isée à Bamako par le gou- n’est pas aussi simple qu’elle paraît, et qu’elle ne moment, dans un coin du bar, mon ami Peul vernement du Mali, le vise pas le seul besoin d’établir des relations au suivait toute la scène. Voyant le danger immi- PNUD, l’UNESCO, Le DAP de l’ONU du 28 quotidien. nent, il s’approcha et s’interposant entre l’hom- mars 1977 Bamako 11p En effet, cette forme de communication réalise me et moi. Il plaisanta en ces termes : « toi fils (dactylo) une prise en charge totale de l’individu, de ses de buveur invétéré, on verse de la bière sur toi et 4. Membre de l’association pour la parenté à plaisan- caractéristiques physiques, morales, spirituelles tu t’énerves, il faut rentrer chez toi, buveur, va- terie à Bobo, journaliste à et intellectuelles, de sa réalité quotidienne, de t-en ». Foudroyé par la réaction du Peul, je quit- radio Bobo. son statut social, de son histoire individuelle et tai les lieux, très amer, parce que je voulais infli-

271 ger à l’homme une correction mémorable. En allié, celui qui le fait court le risque d’un mal- rentrant à la maison, La colère grondait en mon heur. Il s’agit d’une tradition légendaire entre les for intérieur à tel point que j’ai refusé de man- deux peuples. Cette histoire montre que les ger. Vers 14 h, mon ami Peul vint précipitam- conflits sont condamnés. Celui qui viole ce ment me rejoindre à la maison pour prendre ma pacte court le risque de la malédiction7. moto pour suivre le cortège funèbre. C’est à son Chez les Peul, lorsque les gens s’affrontent au retour qu’il m’appris qu’il se rendait à l’enterre- sein d’un village donné, le seul recours efficace ment de l’homme qui avait versé la bière sur ma est l’alliance ou la parenté à plaisanterie. On tête. Il a connu une mort subite sur une chaise. situe les responsabilités, ceux qui ont tort le C’est alors que je me suis rappelé de l’interven- reconnaissent et s’excusent. Les anciens stigma- tion salutaire du Peul, parce que si j’avais suc- tiseront les actes de ceux qui sont en conflit en combé à ma colère ce matin, l’homme serait leur rappelant l’oubli de leur culture. mort sans doute par ma faute, et je serais aujour- Cependant, il existe des cas où les conflits ne d’hui en prison. Depuis ce jour, j’ai cru réelle- sont pas maîtrisés. Le cas de Kankoudéni dans la ment aux vertus de la médiation dans l’alliance à Comoé où des événements dramatiques sont plaisanterie. En effet, l’alliance à plaisanterie intervenus entre éleveurs et agriculteurs pendant peut permettre d’atténuer les risques de conflits l’année 2001. entre les hommes et même au sein des foyers5. Au Séno, dans l’environnement du village, le Sur le même registre, nous pouvons inscrire dénominateur commun est l’alliance et la paren- cette histoire qui confirme les mérites de l’al- té à plaisanterie. C’est ainsi que les habitants liance à plaisanterie dans la régulation des ten- mettent tout en œuvre pour renforcer cette pra- sions sociales : tique, affirme Dicko Nassourou, un Peul du «A Makadougou, un village où habitent les Séno. Bobo, un Peul a fait des dégâts dans un champ Quand un homme se trouve devant son parent avec ses bœufs, les notables lui donnèrent 72 ou allié à plaisanterie, il a un devoir de respect heures pour quitter le village. Les Peul se réuni- envers lui. Ce dernier a les mêmes devoirs bien rent et plaidèrent le calme et la compréhension. qu’il plaisante. Il est interdit à un Peul du Séno Ils reconnurent le tort causé par leur frère Peul. de faire la bagarre avec un Jelgo ou un Baridjo. Ils lui demandèrent d’aller s’excuser devant l’au- Le médiateur des deux parents peut les fustiger torité. Accompagné de ses concitoyens, le Peul et ils sont tenus d’obtempérer. Le médiateur est allé s’excuser à la chefferie Bobo. La média- peut à l’occasion exiger une réparation (un tau- tion fut couronnée de succès car tout le village reau) à cause de son statut de Ferobe. Donc, l’ac- participa à la cérémonie de paix. N’eût été la ceptation de la médiation est un signe de respect médiation des autres Peul et les alliés à plaisan- et une compréhension juste de la parenté à plai- terie, les villageois allaient chasser ou même tuer santerie8. le Peul 6. Une autre histoire illustre de l’efficacité de l’al- Cette autre histoire entre Peul et Bobo montre liance à plaisanterie dans le Séno: les conséquences liées à la transgression des règles Une femme nommée Haoua fumait dans la salle régissant le code de l’alliance à plaisanterie : de cinéma de Dori. Un policier qui ne compre- Les animaux sont passés dans le champ d’un nait pas pourquoi cette femme fumait dans une 5. Enquêtes dans la province du Houet (Bobo Bobo. Le lendemain, un Peul de passage est salle de cinéma, se dirigea vers elle et sans mots Dioulasso), Novembre accusé par le Bobo. Le Peul nia les faits ; le Bobo dire, cassa sa cigarette en deux. Haoua, une 2000 persista dans sa dénonciation. On demanda au bagarreuse, que tout Dori connaît bien, attendit 6. L’association pour la Bobo de pardonner l’acte du Peul, il refusa caté- la fin de la séance pour régler son compte au parenté à plaisanterie à Bobo, journaliste à radio goriquement. Il convoqua le Peul à la préfectu- policier. Elle était armée d’un couteau et d’un Bobo re. Pendant que le Bobo se rendait à la préfectu- gourdin. Arrivée au commissariat de police, où 7. Enquêtes dans le re pour demander la condamnation du Peul, son je me trouvais, elle menaça de « casser la tête » Houet, Bobo Dioulasso, avec l’association pour la fils, par inadvertance, mit le feu à tout son du policier. Elle me raconta toute l’histoire en parenté à plaisanterie, champ. Il perdit ainsi toute sa récolte. C’est demandant si elle n’avait pas raison ? Tu as plei- Novembre 2000 pourquoi il ne faut pas refuser le pardon d’un nement raison lui ai-je dit. C’est ainsi que je suis

272 intervenu pour lui demander pardon. Comme je Chez les Djan et Lobi, lorsqu’il y a conflit voyais qu’elle était très énervée, je lui intimai entre deux personnes de même clan, l’interven- l’ordre de quitter les lieux sinon j’allai saisir tous tion du managya ou moaldar (allié à plaisante- les biens de sa famille et les distribuer. C’est alors rie) est vite acceptée et le conflit s’évanouit aus- qu’elle a souri, respectant mes injonctions. Je sitôt. Mais si elles sont de clans différents, l’in- rappelle que Haoua est une béribéri et moi un tervention du managya est difficilement Ferobe. Après cet incident, le commissaire fera accueillie par celle qui n’est pas managya avec un reproche sévère au policier en lui disant d’al- lui. Si l’entêtement se prolonge, le managya peut ler s’excuser auprès de Haoua parce qu’il n’avait prendre à son compte la querelle au détriment pas droit de restreindre la liberté des citoyens9. de celui qui n’a pas voulu accepter son interven- Nous voyons à travers ce témoignage que l’al- tion, sa médiation. Le cas s’est produit à Bobo liance à plaisanterie renferme des codes, des clés Dioulasso, dans le quartier de Bolomakoté en qu’il faut détenir pour dénouer une crise ou un 1974. Un Gouin était en conflit avec un Bobo ; conflit. C’est de cet usage judicieux que fait le un Lobi est intervenu pour les séparer, le Bobo médiateur dans ce cas-ci pour sortir le policier s’entêta, demandant au Lobi de se retirer. Alors abusif du mauvais pas dans lequel il s’est mis. Il ce dernier prit la querelle à son compte et a suffit au Ferobe (Dicko) de dire au Béribéri envoya le Bobo à l’hôpital. On sait que les Lobi (Haoua) qu’il allait ramasser toutes ses affaires et les Gouin sont des alliés à plaisanterie11. pour la calmer. En effet, dans la culture Béribéri, Chez les Djan, les disputes entre clans sont les biens de la famille sont sacrés. régulées par un clan managya, entre ethnies par L’alliance et la parenté à plaisanterie sont en fait une ethnie managya (alliée) qui normalise les le code pénal pour régler les conflits entre les relations12. Nous voyons donc que leur interven- populations de façon traditionnelle. « Avant l’ar- tion est efficace dans les conflits ; parfois même rivée de la justice moderne tout se réglait entre indispensable. Ils ont le devoir d’intervenir pour parents à plaisanterie au Séno et dans l’Oudalan. rétablir l’harmonie entre les hommes, entre les Les gens préféraient « laver leur linge sale en hommes et les ancêtres et même entre les famille » plutôt que d’aller devant les juges reli- Esprits. Chez les Lobi et les Djan, lorsque deux gieux (Al Kali) qui étaient souvent partiaux. personnes sont en conflit ou en guerre, l’allié Aujourd’hui, des problèmes moins graves se résol- peut intervenir comme médiateur en utilisant la vent entre nous. Il faut dire que quels que soient feuille de karité (qu’il jette à terre ) et la cendre les différends, tout se règle par le pardon avec la (qu’il verse à terre) pour signifier aux deux pro- parenté à plaisanterie et l’alliance à plaisanterie10. tagonistes le seuil à ne pas dépasser. Le symbo- Cette histoire est le modèle de régulation d’un lisme des deux éléments est profond. En effet, le conflit entre Zoose et Yana : karité est un arbre qui a beaucoup de pouvoir En 1995 au secteur 3 de Fada, un conflit éclata (on en tire du beurre de karité qui guérit beau- entre Zoose et Yana, la tension était à son coup de maladies). Le karité est un arbre qui paroxysme. Le bilan fut désastreux, le marché du s’interpose entre le monde des vivants et celui 8. DICKO Nassourou, secteur brûlé, le chef moaaga blessé. Mais le des morts (esprits), il est donc nanti d’une puis- Fumtogol, Dori. conflit a été résolu par les vieux à travers les liens sance mystique. La cendre vient du feu éteint et 9. DICKO Nassourou, op particulier qui lient les Zoose aux Yana. La poli- signifie que le conflit ou la guerre que les prota- cit. 10. DICKO Nassourou op ce avait refusé de régler l’affaire préférant qu’elle gonistes entretiennent doit être éteint comme la cit. soit réglée par l’alliance à plaisanterie. En effet, cendre. La cendre symbolise donc l’extinction 11. S.M. KAM, Tihog-dãa celle-ci a pu préserver la paix, éteindre ce conflit. du feu, du conflit. Les Lobi anticipent les buora nost?ro (paix à votre La pratique sauve l’individu dans certaines cir- conflits grâce à ces symboles du karité et de la Maison), mémoire Grand séminaire de Koumi, constances difficiles: par exemple, un Yana est cendre ainsi qu’aux moyens occultes. 1976, p.50 plus protégé à Tibga et Diabo (fief des Zoose) que Chez les Lobi, en avril 2001, une histoire de 12. S.M. KAM, Tihog-dãa chez lui à Comin-yanga et vice versa. vol de bœufs a entraîné mort d’hommes. Les buora nost?ro (paix à votre Maison), mémoire Grand Un autre témoignage chez les Djan nous habitants de Sapoli et de Tonkar victimes du vol séminaire de Koumi, montre le rôle du médiateur managya dans la ont décidé de marcher sur le village de 1976, p.50 régulation des conflits sociaux : Gomgombli, village des voleurs. Heureusement

273 que le conflit a été réglé grâce au moaldar, l’al- lier les parties. Si celles-ci refusent d’obtempérer, liance à plaisanterie. elles verront les conséquences négatives de cette A Banfora, une rixe entre deux enfants Lobi et désobéissance. L’alliance et la parenté à plaisante- Gouin a entraîné la mort du Lobi. Le chef de rie peuvent faire baisser la tension entre deux Banfora a dû intervenir avec l’invocation du individus, deux familles et même entre deux fétiche de leurs ancêtres pour éteindre le conflit groupes politiques. Cela dépend maintenant de qui risquait de ternir les relations séculaires de paix la souplesse de l’individu ou ce que les individus et d’alliance à plaisanterie entre Lobi et Gouin13. vont déployer comme recours. L’intervention des L’allié à plaisanterie intervient dans des cas alliés à plaisanterie apaise les tensions. C’est leur pour décrisper l’atmosphère notamment chez les intelligence et leur connaissance qui entre en jeu Lobi : maintenant. Donc s’il y a un malentendu entre lorsque la maison est morose, si un Gouin arri- deux groupes, ce sont leurs alliés à plaisanterie ve, et commence à parler mal, les Lobi peuvent qui interviennent pour apaiser la tension15. se défouler sur lui. Cela permet aux Lobi de se Les alliés ont aussi leur partition à jouer dans ressaisir et d’oublier leur tristesse. Il faut remar- la régulation des conflits chez les Kassena. quer que ce comportement est plus fréquent Les conflits politiques entre certains adver- dans les cas de décès 14. saires ont connu un dénouement heureux grâce Les Traoré sont les médiateurs des Koné en cas à la médiation d’alliés à plaisanterie dans la de conflit dans la famille ou en cas de conflit Comoé. Mais, on pourrait aussi dire que plu- entre un Traoré et un Coulibaly. C’est donc la sieurs responsables ou personnalités politiques force du pacte qui lie les deux groupes qui per- ont tenté de jouer sur cette corde lorsqu’ils se met la médiation. Le rôle de régulateur de trouvaient en visite ou en service dans une loca- conflit de l’alliance à plaisanterie intervient aussi lité alliée à plaisanterie avec leur ethnie. en cas de conflits des alliés à plaisanterie par les Enfin, cette anecdote témoigne de la force de patronymes. Ainsi, lorsqu’un Koné et un l’alliance à plaisanterie en tant que moyen de Coulibaly sont en conflit, le médiateur Traoré régulation sociale : peut intimer l’ordre aux Koné de cesser, et celui- Un jour à Boulsa, un garde cercle San a acheté, ci doit se soumettre. de la viande au marché. Il refuse de payer le bou- Dans les circonstances de joie comme le bap- cher. Convoqué par le commandant moaaga, il tême, le rôle de régulations de tensions et frus- se rendit sans crainte. Appelé à s’expliquer, le trations peut être joué par les Coulibaly dans la San se mit à insulter le commandant et tous les maison des Ouattara. Lorsque les Coulibaly Moose en disant qu’il avait pris ce que les Moose constatent qu’ils n’ont pas les moyens de fêter ont eu l’habitude de lui voler depuis longtemps. (pas de viande à offrir aux convives), ils se met- Le commandant moaaga se rendit compte qu’il tent à crier en ces termes pour exorciser la honte s’agissait d’un San alors il dit : je ne savais pas des Ouattara : « pourquoi, comment que c’est l’oeuvre d’un voleur de Zoom koom. ? il n’y a pas de moutons à manger, mais vrai- Rentre chez toi ». En effet, c’est grâce aux liens 13. L’histoire remonte au mois de mars-avril 2001 ment c’est difficile ». Ce comportement permet de plaisanterie qui unissent les San et les Moose 14. Cette anecdote nous a aux Ouattara de sortir de leur honte. que ces derniers se sentent intégrés dans toutes été rapportée par notre Ce témoignage est éloquent pour dire que les les zones d’administration où ils servent et réci- informateur Gouin 16 Soulama Jacques ancien situations de défaillance financière peuvent être proquement. Le Zoom koom apparaît comme préfet en retraite, relevées par les alliés. Ceux qui ne le font pas un leitmotiv dans toutes les plaisanteries entre Banfora, novembre 2000 , s’exposent à un véritable courroux. C’est pour- ces deux groupes17. 15. Enquêtes à Pô, Février quoi, on voit ici les Coulibaly critiquer ouverte- 2001 16. Eau de boisson pour se ment les Ouattara. L’alliance et la parenté comme forme désaltérer composée de Chez les Kassena, la réconciliation des per- d’intégration nationale au Burkina Faso farine de petit mil délayée sonnes en conflit se fait par l’alliance et la paren- dans de l’eau. 17. Enquêtes dans la té à plaisanterie. Selon le Pô Pê (chef de Pô) : Un métalangage et ciment entre les ethnies : province du Namentenga, S’il y a une tension entre des frères, l’allié à plai- A Boulsa, village situé à l’est de Ouagadougou, les Boulsa, mai 1998 santerie a un devoir d’intervention pour réconci- groupes sociaux suivants entretiennent des relations

274 à plaisanterie: Nioniosé/Yarsé; Yarsé/Dapooré; communauté Bobo/Peul. En effet, le forgeron Nioniosé/Peuls; Yadsé/Gourmanthés; Benda/Yarsé; jouit d’une certaine considération sociale et son Nakomsé/habitants de waglin ; Yarga/Yemdaado ; activité de producteur d’armes et d’outils ara- Benda/S©©ããba (forgeron); Sããba/Yuuma ; Peuls/ toires fait de lui un homme craint et respecté. Sããba; Yarsé/ Sããba (forgeron) ; Yarse/ Sããba; Yarsé/Marense (teinturiers d’origine djerma). En cas de décès : les théâtralisations sociales A Tenkodogo, Silmigha (Peuls)/Yarga ; Yarga/ Il faut dire que les populations alliées ont Sããya; Silmiga (Peul)/Yarga. trouvé des codes de langage verbal et non verbal A Koupéla, ce sont les groupes pour décrisper l’atmosphère même en cas funé- Yarse/(Yemdaado) qui entretiennent l’alliance à railles. Cette forme de métalangage soude les plaisanterie. groupes sociaux et les groupes ethniques alliés. A Dori, dans le sahel, on rencontre le même C’est le cas lors des décès qui peuvent corres- phénomène. Ainsi, les groupes sociaux suivants pondre aux funérailles fraiches ou chaudes. plaisantent : les Bellas et les Mallebe, les jawamie Dans sa brillante thèse sur les moose, Essayer la et les Bella. Entre bella et Jawamie,c’est plus fort folie pour voir, Risque et prudence des moose, que les autres. Pendant la fête de « haram », les l’Abbé F. X. Damiba18 a abordé la question de la Jawamie et les Bellas se donnent mutuellement parenté et de l’alliance à plaisanterie, dakiire. des cadeaux symboliques. Par exemple entre les Du point de vue anthropologique, le dakiire Jallube et les Jawamie ou les Bellas et les fait partie de la catégorie des discours appelés Jawamie, il paraitrait que c’est un jawando qui théâtralisations sociales. Il fait donc partie des s’était marié avec plusieurs femmes et qui n’avait institutions d’une autre nature qui contribuent pas eu d’enfants. Il décida de se marier avec une également à retremper la collectivité ou certaines jawando et une Jallube ce était rare de voir à de ses parties dans la joie de vivre, tels les jeux l’époque, un peul se marier à une Bella. Avec ces bouffons, les masques et les diverses formes de deux femmes, il eut deux enfants. Ces enfants théâtralisations sociales. Les deux termes dakiire ont pour oncles maternels des Jallube et des ou dakiire sont admis, parce qu’en moore les Bella. consonnes d et r, à l’initiale, sont considérées Donc cette parenté à plaisanterie est née là de comme interchangeables. cette manière. On distingue trois formes principales de Les groupes sociaux qui entretiennent les rela- dakiire dans la littérature orale des moose, selon tions à plaisanterie dans le séno sont: les l’Abbé Damiba. C’est ainsi qu’une première Fulantumuie, et les Baaiee, les Gurmaiee et les forme est basée sur la légende ou le mythe. C’est Baaiee, les Gurmaiee sont des gourmantché. ; les l’exemple du forgeron et du peul. Cette relation Jalluiee et les Jelgoiee; les Toroiee et les Barriiee, se noue autour de la notion d’apprivoisement. les Feeroiee et les Wabamiee, entre les Mawri et Le forgeron fut, selon le mythe, le civilisateur du les Peuls, les Beriberi et les Peuls, les Jawamiee et peul car il le fit quitter son « tronc d’arbre » pour les Bellas. Les groupes sociaux qui entretiennent l’initier à la vie sociale ; cette version est contes- des relations à plaisanterie entre eux sont : les tée par le peul qui proteste avec véhémence haaiee et les Wolaniee, les Torooiee et les chaque fois qu’il en est question d’où une Silluiee, les habitants de ourolonga et ceux de ambiance bons enfants. Kampiti, les Jawamiee et les Bellas, les Gawoiee Il s’agit, selon la tradition, d’une relation per- et les Cirgaiee. missive qui expliquerait l’embarras du peul lors- Les Bellas et les Jawaniee, les toroiee et les qu’il vend son lait, ou quand il voit venir un for- Dalluiee, les Wolariee et les Baaiee, les Jaaluiee et geron. Dans ces conditions, ou bien il lui offre les Jelgoiee, les Baariiee et les Ferroiee, les le lait et évite la lutte, ou alors ils se mettent à 18. DAMIBA, F. X., Fongaiee et les Kampitiie. lutter ; l’un pour retenir le lait, l’autre pour le Essayer la folie pour voir, boire sans bourse délier, finissant généralement Risque et prudence des moosé, Thèse de doctorat, Entre un groupe social et une ethnie par renverser le lait. Dans tous les cas, le peul est Paris V Descartes, 3 tomes, C’est le cas des forgerons bobo et des Peuls qui perdant. Aussi, pour limiter les risques, invite-t- 1993, p. 777 sont par un pacte plus fort que celui de toute la il souvent « son parent », de manière très gen-

275 tille, à venir prendre quelques cuillerées de lait Il s’agit effectivement de théâtre: l’antagonis- pour étancher sa soif, ce qui désarme souvent le me en l’occurrence y est joué, simulé par des forgeron ; le résultat étant que chacun rit de bon acteurs, devant des spectateurs ; nul n’est dupe coeur. du caractère fictif de ce qui se déroule ; à un Nous voyons dans le cas du décès ou des funé- étranger qui s’inquiéterait devant la scène, on railles que les alliés sont ici les mieux placés pour s’empresserait de lui dire c’est du jeu, ils s’amu- exorciser « la douleur » de leurs alliés. Il n’y a pas sent. Et l’interdit de colère effective est là pour de complexes, au contraire, en insultant, en fai- éviter que ce jeu ne tourne au sérieux. sant semblant de banaliser « la mort » et « le L’effet visé par cette mise en scène est bel et mort », on crée du même coup un autre climat bien la détente, la catharsis théâtrale. Il s’agit propice à la retenue. C’est tout l’effet recherché d’amuser l’assistance, de faire rire pour détendre dans ces théâtralisations sociales. l’atmosphère…et le public, en général, ne s’en Dans le plateau central, on verra encore un prive pas !19. Moaaga se permettre d’investir le tombeau de Chez les Dagara « les gens de cendres » , son allié et exiger une réparation avant de quit- enduisent les personnes proches du défunt pour ter le tombeau. La bagarre physique peut s’enga- leur éviter des états d’âme qui sont à même de ger à l’occasion entre les deux groupes. Si des provoquer en eux des chocs psychiques. Ils blessures graves adviennent, il est formellement s’adonnent, pour ce faire, à des pitreries pour interdit de porter une rancune. Selon un de nos faire rire les gens et détendre ainsi l’atmosphère. informateurs, un cas malencontreux s’est passé à Outre ces alliances particulières, il y a lieu de Koupéla où la fracture du bras d’un protagoniste distinguer les rapports de plaisanterie que les est intervenue suite aux jeux entre deux alliés à petits enfants (garçons et filles) entretiennent plaisanterie. L’affaire n’a pas été portée dans la avec leurs grands-parents (grands pères et gravité, car les règles du jeu étaient bien précises. grands-mères). Les petits-fils sont autorisés à La règle générale chez les alliés et parents à plai- tirer l’oreille de leurs grands-parents. Aux funé- santerie est d’éviter de verser le sang de son allié. railles de ces derniers, ils ne pleurent pas, mais Dans la Comoé, c’est le Gouin qui se permet- s’amusent de plusieurs manières. On les recon- tra cette scène vis-à-vis de son allié défunt. naît par la ceinture de cauris qu’ils portent en Certains vont se permettre même de brûler la bandoulière. Sur les lieux de partage de la vian- tombe en signe de simulacre. Le cadavre est aussi de, si les Gouin arrivent à s’accaparer d’un quel- objet de plaisanterie. Lorsqu’il y a relations entre conque morceau, on ne peut le leur reprendre, deux groupes, en cas de décès d’un membre de et des Dagara, ne s’en privent pas. Au moment l’autre groupe, on peut remarquer que celui-ci de l’enterrement, les Gouins investissent la peut aller jusqu’à voler le cadavre ou encore tirer tombe et n’en sortent qu’après la promesse de les pieds en refusant qu’on amène le cadavre. En paiement (généralement ils exigent pour ce faire guise de compensation, le groupe peut demander un bœuf). En cas de décès, les gens pleurent le un dédommagement en termes monétaires. cadavre, mais certains parents à plaisanterie En cas de décès d’un vieux Lobi, le dispositif jouent en s’enfuyant avec le cadavre, les autres est mis en place pour satisfaire les alliés Gouin alliés sont obligés de s’humilier pour avoir le notamment un bœuf ou un mouton qu’ils cadavre. C’est aussi le cas chez les Moose. consomment, autrement ils investiront le tom- Chez les Djan, à la mort d’un vieux chef de beau au moment de l’enterrement. clan, les alliés managya poussent les gens à Il faut dire que le jeu des alliances va se dérouler rendre les funérailles joyeuses. Ils font semblant d’une façon particulière pendant les obsèques. de pleurer. Au temps de la culture du maïs, ils Ainsi, lors des funérailles d’un Dagara, les Gouin rentrent dans le champ du défunt ou de ses fils, présents aux cérémonies ne se gênent pas du en cassent les épis. Ils ont droit à une patte anté- 19. C.G. DABIRE, Nisaal tout. Pendant que les gens manifestent leurs rieure du bœuf qui est tué pour les funérailles, l’homme comme relation, Thèse de doctorat ph. D, douleurs, ils se livrent à des activités ludiques et mais ils essaient de se procurer un morceau de Université LAVAL, Janvier provocatrices. Mais tout cela participe de la viande par la force, on les pourchasse et ce jeu 1983, p. 168 dédramatisation de la situation. anime les funérailles. Ils puisent les cauris desti-

276 nés aux musiciens, descendent dans le grenier On le lui donna, mais celui-ci le repoussa, le pour puiser dans le trésor du défunt ; ils peu- manège dura si longtemps que cela provoqua vent même s’emparer de l’or qui s’y trouve éven- une irritation au sein de la foule. Mais le moaa- tuellement sans être nullement inquiétés. Les ga était venu de Ouagadougou avec les fils et managya ont aussi des responsabilités en cas de filles du défunt, c’est eux qui donnèrent l’argent certains décès. Il revient au managya d’assurer en expliquant à la foule qui il était, un allié à l’information auprès des parents, des amis et plaisanterie. Ainsi il sortit de la tombe et laissa connaissances du défunt. Ils ont la garde du continuer la cérémonie d’enterrement. En bœuf tué dont la peau servira à attacher le remettant l’argent au moaaga, les fils du défunt cadavre dans la natte pour l’interrogatoire. Dans lui dirent : « c’est pour couvrir les frais de car- certains villages, ce sont les managya qui inter- burant »21. rogent le mort. Un autre exemple frappant s’est produit à l’oc- casion des obsèques de l’Evèque Zoungrana à Les récits et témoignages Ouagadougou, nous avons assisté d’ailleurs à des Il existe des écarts de comportements chez les scènes de siège de son tombeau par les alliés plai- Bobo en cas de décès d’un Peul. Ils se présentent santerie San. et cherchent à savoir s’il y a des bœufs. Les Bobo Par ailleurs, lorsqu’un vieux meurt, les petits- peuvent empêcher d’enterrer le cadavre si leurs fils (puisqu’il y a parenté entre petit-fils et doléances ne sont pas satisfaites. Le Peul a un grand-père) peuvent bloquer la porte de la mai- attachement sans égal pour son cheptel. Mais le son où se trouve le corps pour empêcher la levée fait de permettre de tuer un bœuf pendant les du corps et l’enterrement. En ce moment, les fils funérailles d’un Peul est le signe de détachement du vieux sont obligés de négocier en donnant en cette circonstance et du prix culturel qu’il aux petits-fils ce qu’ils demandent. Jadis, c’était porte à l’alliance à plaisanterie. du tabac, mais maintenant c’est de l’argent. Au sein de la famille Bobo, les parents proches Deuxième exemple, en cas de décès, les parents interviennent pour atténuer la douleur des à plaisanterie vous apportent de la bouse de autres membres plus fragiles : vache en lieu et place du tabac pour faire rire. Quand mon grand père est décédé, confie un Il faut dire que même après la mort, la plaisan- Bobo, je me suis mis à pleurer et ma mère m’a terie continue. Avant si un Baribe mourait, un demandé pourquoi je pleurais. Pour elle, je ne Ferobe pouvait dire : devrais pas pleurer, c’était elle plutôt qui devait Voilà tu es parti, pauvre type. Ton malin est pleurer. C’était une manière de me consoler maintenant terminé. Si tu n’as rien laissé, je parce qu’entre le grand père et le petit fils, il y a prendrai ta femme quand même. Je peux danser la plaisanterie. C’est une manière de ne pas dra- sur ta tombe ce n’est pas interdit. Je fais ce que matiser l’événement malheureux. 20 je veux22. Nous voyons que dans la famille, les relations Le Ferobe dit tout cela en sachant qu’intérieu- sont très renforcées entre le petit-fils et les rement il pleure. grands parents, ce qui fait que les rapports peu- L’un de nos informateurs rapporte qu’au décès de vent être très vifs en cas de disparition d’un sa cousine, il s’est mis exprimé en ces termes : ancien. « Voilà maintenant, je t’ai divorcée et Dieu t’a En cas de décès, l’allié à plaisanterie peut se épousée » coucher dans la tombe pour empêcher les Ces échanges verbaux ont uniquement pour parents d’enterrer le défunt. Les parents sont but d’atténuer la douleur de la famille du obligés de demander pardon et de donner défunt. 20. Enquêtes, Bobo quelque chose (animal ou argent) en compensa- En ce qui concerne les Bisa et les Kassena, s’il Dioulasso Novembre 2000 tion. Voici ce qui est arrivé lors du décès d’un y a un décès, l’un ou l’autre camp peut occuper 21. Enquêtes, Nayala, vieux San : la tombe pour retarder l’enterrement et il faut février 2001 22. Enquêtes dans le Séno, À l’enterrement d’un San, un moaaga rentre négocier et donner ce qu’ils demandent avant Dicko Nassourou, février dans la tombe. Les gens meurtris croyaient qu’il d’avoir l’autorisation. Le plus souvent, on offre 2001 allait attraper le corps pour le coucher par terre. des paniers d’arachides et un chien.

277 En cas de décès chez les Kassena, s’il y a le « Les Bwaba étaient nos serviteurs, il y a long- « Doorou », entre alliés la plaisanterie continue. temps que nous sommes ensemble. Dans le S’il y a décès chez les Tiétembou, les passé, nous guerroyons ensemble. Et nous Gomgnimbou s’y rendent pour leur dire ceci : aimions monter sur les collines pour bien locali- «Vous avez encore tué, vraiment, vous êtes forts ser l’ennemi. Un jour, nous avons demandé aux de ce côté là, bon si c’est ainsi donnez-nous un bwaba de monter sur la colline en éclaireurs. Ils morceau ». Ces mots ne doivent pas énerver l’in- n’ont pa pu monter. Et nous leur avons deman- terlocuteur. En cas de décès, la plaisanterie dé ce qui se passait. Ils ont répondu que la colli- continue donc chez les Kassena, par exemple, on ne les empêche de monter ; d’où leur nom utilise les termes suivants pour s’amuser : «Vous Coulibaly. C’est pourquoi Ouattara et coulibaly avez encore tué ? Donnez-nous aussi un mor- sont très liés. Les Ouatarra sont toujours plus ceau si le corps n’est pas encore enterré ». forts que les coulibaly. Les Sembla sont des Cette allusion au morceau de viande est un Ouatarra et les Coulibaly sont des Bwaba ». clin d’œil à la sorcellerie dont serait victime le La deuxième version, celle d’un Coulibaly défunt. Mais, au delà de ces allégations, le but censé être un Bwaba : recherché est de trouver un alibi à la mort, parce Le Ouattara était un messager du chef qu’on sait que dans les sociétés africaines, la Coulibaly. Il a bénéficié de beaucoup d’avan- mort n’est pas souvent gratuite et connaît des tages et a pris ensuite son autonomie. Mais son interprétations multiples23. autonomie tourne court car les Ouattara étaient Après un examen des mécanismes de fonc- des ratisseurs. Un jour, ils décident de lier un tionnement de l’alliance et de la parenté à plai- pacte de paix et de vivre ensemble ». santerie en cas de décès, nous nous intéresserons Identiquement, nous allons chercher les ori- maintenant aux propositions d’utilisation et de gines de l’alliance à plaisanterie entre les Traoré modernisation de la pratique dans la vie et Koné et Diarra. publique. Pour les Traoré, les Koné et les Diarra sont des ingrats parce que pendant les guerres tribales, ils Un métalangage et ciment entre les patronymes étaient presque vaincus et ils ont eu recours aux Dans les enquêtes menées dans la province du Traoré pour leur permettre de battre l’ennemi. Kénédougou, précisément dans les villages de Les Traoré, après avoir aidé les Diarra et les Koné Samogohiri, Banzon, Kourouma, Kayan, les se reposaient sous un arbre pendant que les patronymes suivants sont sytématiquement des Diarra et les Koné étaient en train de manger alliés à plaisanterie : Traoré/Koné, Ouatttara/ sans les inviter. Il faut souligner que les Traoré Coulibaly, Cissé/Barro, Diarra/koné, Barro/Konaté, qui sont venus participer au combat de la victoi- Diarra/Coulibaly, Traoré/Coulibaly, Tioro/Tioro, re des Diarra et Koné sur l’ennemi ont en réali- Tanon/Barro. té pour nom en dioula « an taara minn weele » Chez les Bwaba, on distingue les patronymes sui- par déformation de la langue devenu Traoré. vants alliés : Keita/Coulibaly ; Diarra/Coulibaly ; Chez les Djan, ce sont les Sou/Palm qui sont Dembélé/Traoré. Dans la Comoé les patronymes autorisés à plaisanter. suivants sont des alliés Koné/Traoré ; Chez les Gourmantché nous avons les patro- Ouattara/Coulibaly ; Traoré/Diarra/Koné ; nymes alliés suivants : Combary/Lompo, Traoré/Koné ; Traoré/Diarra ; Ouattara/Coulibaly Thombiano, Diabouga, Lankouandé, Onadja. ; Koné/Coulibaly,Touré/Barro ; Traoré/Kanté. L’origine vient du fait que la femme Combary a 23. Cf. les travaux de Louis Nous allons essayer d’expliciter les origines de su subtiliser le bonnet de chefferie des Nassouri Vincent Thomas sur l’in- formes de parenté à plaisanterie entre les patro- pour leur remettre. terprétation de la mort en Afrique. Voir aussi nymes. Arrêtons-nous un instant sur le cas des Par ailleurs, nous avons les patronymes ZIGANE, T. F., Les Bisano Ouattara et des Coulibaly dans la Comoé. En Lankouandé qui sont alliés avec les Natama et et la Mort. Idéologie effet, les résultats de l’enquête notent deux ver- Ouoba. L’origine provient du fait que les Natamas funéraire au Burkina Faso, Thèse de Doctorat, 2 sions de l’alliance à plaisanterie entre Ouattara et Ouoba savent préparer la viande du chien. Les tomes, 1996, Paris, V- et Coulibaly. La première, celle d’un Ouattara Lankouandé apprécient l’art de cuire le chien des Sorbonne, France. censé être un Sembla : Natamas et Ouoba . Alors, un jour ils décident

278 d’en faire. Etant inexpérimentés, ils ont fait une révèle qu’il existe plusieurs formes d’alliance à mauvaise cuisine qui a engendré des conséquences plaisanterie au niveau des entités géographiques désatrueuses dont la diarrhée. Depuis ce jour, les que sont les régions, villages, et quartiers. Ouoba les traitent de gourmands. Quant aux Couldiaty, ils traitent les Nassouri L’alliance à plaisanterie inter-village de dapola ( c’est à dire souris). En retour les Elle peut se présenter entre deux villages proches Nassouri disent avec mépris : vous êtes des d’une contrée. La relation entre deux villages peut étrangers, espèce de haoussa. s’entendre comme un lien entre deux villages Chez les Kassena, il y a le « Cobiou » qui est d’une même province. A Zorgho cette pratique se une alliance à plaisanterie entre frères de même retrouve entre les localités ou villages suivants: ethnie et village. En exemple, nous pouvons Kaanghin/Tanghin/Méguet ; Kabouda/Zorgho; citer les Gomgnimbou et les Tiétembou ; les Zorgho (Nakomse (princes)/Bougoulem Bilgo et les Tohogobou. (Nioniosé) ; Tensobdogo/Pissy ; Pissy/Gelgê ; Chez les Dagara, le jeu de plaisanterie existe Ouidi/Tambogo; Yougoulmandé/Da yorgo (quar- entre deux matriclans : Somé/Dah, Somdha ; tiers des yarsé) ; Dapoya/Nayirdamba (cour roya- Méda, Hien/Kambou, les (Gbãane/Kpila). le) ; Nédego/Méguet; wapassi/(quartier Bãdo). Chez les Peuls du Séno, on a les patronymes Au Kénédougou, les gens de Kangala plaisan- suivants qui sont des alliés : Diallo et Jelgo tent avec ceux de Sokouraba ; les ressortissants Diallo et Baridjo. Si un Jelgo et un Baridjo se de Banzon avec ceux de Djigouera et de tapent, l’intercesseur un Diallo peut leur dire : Toussiana ; les ressortissants de Kourouma avec arrêtez tout de suite, et ils sont obligés de s’exé- ceux de Famberla (de N’Dorola). cuter. L’alliance à plaisanterie inter-quartier Un métalangage et ciment entre les régions, Elle se définit sur l’échelle de deux entités d’un villes, villages, quartiers, Les formes basées même village. Dans la province du Namentenga sur la toponymie : l’alliance à plaisanterie précisément à Boulsa les quartiers suivants inter-régionale entretiennent des liens d’alliance à plaisanterie: Elle se définit dans la perspective d’un lien de Nioga/Paranouigué, Sanyiri (localité proche de plaisanterie entre deux provinces, conformé- Koupéla)/Bonam (quartier de Boulsa); Bonam ment au découpage administratif du Burkina. (quartier d’origine de Boulsa de Naaba Mais cette délimitation est purement formelle Namendé)/Baloguin, Koupéla ; habitants de pour le cas de notre étude car les frontières entre Wagda/ (quartier de Boulsa)/ chef de Boulsa ; les provinces sont souvent caractérisées par des Dapoya/Ouidi ; Waglin (habité par des Yadse/ zones de capillarité ethniques. Ainsi les habi- princes de Boulsa issus de Naaba Namendé) ; tants de la province du Ganzourgou entretien- Kognéré/Doatenga ; Lioulgou/Kognéré ; nent des relations de plaisanterie avec ceux de Paspãga/Bagãnin. Koupéla. Ceux de Tenkodogo avec ceux de A Koupéla, on retrouve la même pratique Koupéla. C’est le cas de Boulsa et Téma qui entre le chef de Koupéla et les habitants du entretiennent ces relations à plaisanterie. On quartier Dapoya ; les quartiers Balma/Paspãga. peut citer aussi le cas de Boulsa et de Mané, de Toujours, à koupéla les quartiers suivants plai- Tenkodogo et de Koupéla, vice versa, de santent ensemble : Balma/Dapooré/Paspãga ; Koupéla et de Zorgho entre les gens de Ratenga Nakalbo/Dapooré; Voogo/Kalguin et ceux de Risam dans le Bam, entre ceux de Dans la ville de kaya , il y existe des quartiers Mané et ceux de Boulsa, Kaya et Pissila ; qui entretiennent des relations à plaisanterie, Piktenga et Louda au Sanmatenga. notamment les localités de Piktenga /Louda, parce que les ressortissants du secteur de l’alliance à plaisanterie (inter villes, villages, quartiers) Piktenga arrosent le secteur 7. De même, le can- L’enquête menée dans plusieurs provinces du ton de Louda arrose le secteur 4 . Donc les sec- plateau moaaga (Namentenga, Boulgou, teurs 7 et 4 plaisantent et, par extension, les res- Ganzourgou, Kouritenga, Yatenga, Bam etc…) sortissants de Gaoua, Tiweega, Kougren, Louda.

279 Conclusion der. Dans ce sens, les nominations des fonction- naires dans des zones alliées à plaisanterie pour- En définitive, on observe un fait frappant rait renforcer et réactualiser cette pratique. dans paysage culturel du Burkina Faso. Ce pays Des décisions de soutien aux Associations, compte une soixantaine d’ethnies. En dépit de groupes ou communautés qui pratiquent le jeu cette diversité d’ethnies et de cultures, règne un et ses valeurs doivent être prises pour sa promo- esprit de tolérance au sein des populations qui tion. C’est à ce prix que nous ferons de l’Afrique cohabitent paisiblement. C’est l’occasion de un continent où règne plus de tolérance. Le souligner le rôle de la parenté à plaisanterie monde souffre des génocides du Rwanda, des comme ciment entre les ethnies, entre les charniers de Youpougon, des épurations eth- familles, entre les villages, entre les régions et qui niques de toutes sortes. finalement favorisent la bonne cohabitation. Dans la perspective d’une décision politique, Tout ce brassage culturel et ethnique crée une au niveau des institutions, une journée nationa- forme de métalangage qui permet de souder les le ou internationale de la parenté à plaisanterie communautés. ou encore une journée des nations peut attirer L’alliance à plaisanterie qui repose sur une l’attention des citoyens à plus de tolérance et de forme de supra langage ou de supra culture per- fraternité. Au cours de cette journée, chaque mettant aux ethnies de se retrouver sur des ter- culture présentera ses coutumes, sa vision du rains d’entente communs qui permettent la monde etc. Cette journée va constituer une symbiose des cultures. sorte de valorisation de ce qui constitue le fon- Cette analyse répond parfaitement à la situa- dement de chaque identité pour une sorte de tion socioculturelle du Burkina où les ethnies communion de la somme des différences qui cohabitent et s’interpénètrent sans heurts. composent finalement l’identité nationale ou L’alliance et la parenté à plaisanterie apparaît internationale. Cette re-activation de la tradi- comme nous l’avons montré comme un supra tion s’exprime déjà au niveau associatif au langage qui soude les différentes ethnies du Burkina à travers la société civile avec des asso- Burkina Faso. C’est pourquoi, toutes les ethnies ciations de promotion de la pratique sur tout le du Burkina Faso vivent en symbiose dans une territoire. Parmi ces associations, l’Association complémentarité culturelle. pour la promotion de la Parenté à plaisanterie Nous avons tenté de révéler ces différents (AB3P) apparaît comme celle qui essaie de sen- aspects à travers cet article. Notre ouvrage révè- sibiliser les populations citadines. Elle a su jeter le d’autres facettes des alliances et parentés à les bases de la modernisation de la pratique et plaisanterie au Burkina Faso24. contribuer à cultiver la culture de la paix au sein Nonobstant cette valeur traditionnelle léguée de communautés citadines burkinabè déraci- par les ancêtres, il y a urgence de développer des nées. Ses manifestations culturelles et sportives ; stratégies de sa pérennisation. Dans cette pers- conférences autour du thème de la parenté à pective, l’Etat moderne ne doit l’ignorer ou la plaisanterie, nuits culturelles, match de foot mépriser. Au contraire, il peut s’en servir comme entre ethnies, tendent à prévenir les conflits eth- un tremplin et doit y puiser comme un terreau niques et à installer une culture de paix et de favorable pour unir les communautés et les sou- tolérance au Burkina Faso.

Bibliographie 24. Alain Joseph SISSAO, Ouvrages généraux Auge M., et al., Les domaines de la parenté, Alliances et parentés à Maspero, Paris, 1975 plaisanterie au Burkina Arozarena p. , Moss ‘yuumba, Une société africaine ses Brackelaire, J. L., Anthropologie et société, Université Faso, mécanismes de fonc- “yuumba” et leurs instruments de musique, Thèse de Louvain, 1993, pp.125-140 tionnement et avenir, Sankofa & Gurli, novem- pour le doctorat de 3è cycle EPHE Ve Section, Chevrier, Jacques, Littérature nègre, Armand Colin, bre 2002, 188p. 1986, p. 620 Paris, 1990, p. 282

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281 Kompaore Prosper « La parenté à plaisanterie: une Pageard, R. « Notes sur les rapports de “ catharsis sociale au profit de la paix et de la cohe- Sanakouya ”, cercle de Ségou et de Macina » sion sociales au Burkina Faso », In Les grandes [Soudan], Bulletin de l’IFAN, Serie B., 20, Dakar, conférences du Ministère de la communication et de 1958, p.123-141 la culture, pp. 73-97 Sanwidi Hyacinthe « l’Esthétique négro-africaine Lallemand, S., « Relations à plaisanterie, relations dans le roman burkinabè » in Annales de l’univer- froides » in Une famille mossi, Paris- sité de Ouagadougou, 1988, pp. 197-236. Ouagadougou, CNRST, Recherches Voltaïques Sessouma Dramane, « Les parentés à plaisanterie 17, 1997, pp. 269-294 », in regard, N°37 du 21 au 27 juin 1993, pp8-11 Mauss M., Parenté à plaisanterie, in Ecole Pratique Tall Sékou, « Les alliances cathartiques (parenté à des Hautes Etudes (EPHE), Section des Sciences plaisanterie) », inTradition et modernité N°04, religieuses, annuaire, Paris, 1927-1928, pp.3-21 Juillet 1996, p. 8 Montserrat Paul Marti, « Conduites permissives en Topan Sanné Mohamed « La parenté à plaisante- Afrique », in Documentation ORSTOM, , sd., p. rie ou Rakiiré-Sinagu-De Tiraogu » In Les grandes 229-327 conférences du Ministère de la communication et de Nyamba André « la problématique des alliance et la culture, pp. 73-97 des parentés à plaisanterie au Burkina Faso : his- Zigane T Francis, « les origines anthropologiques de torique, pratique et devenir In Les grandes confé- la parenté à plaisanterie. Exemple des du Burkina rences du Ministère de la communication et de la Faso in In communication Association Burkinabè culture, pp. 73-97 pour la Promotion de la Parenté à Plaisanterie AB3P CBC Ouagadougou, 10 Août 2001

282 International relations and its languages: a transdisciplinary perspective by Paul Ghils*

The need to understand and possibly explain the developments of a globalised but diversified world implies a critical approach to International Relations as a discipline. Its purpose should be to highlight the conceptual needs as well as the inadequacies of current conceptual and terminological tools. Against this background, the transdisciplinary approach is an attempt to not only express emerging realities, but also to fashion new realities through renewed interpretations. It is confronted with what has become a twin obstacle: the rational ordering of academic disciplines, and the fragmentation of knowledge resulting from their excessive specialization and the associated lack of communication among autonomous subjects. Both the uncritical deployment of a rational, universalistic ordering of the world and the indulging into an anarchical drift implicitly driven by power games require a critical method. As a fundamental response to the problem involved in the building and the expression of knowledge, the transdisciplinary method is designed as a “reasonable”, albeit potential tool, to integrate fragmented bodies of knowledge and erratic modes of communication. It departs from an exclu- sively rational way, on which scientific disciplines and enquiry have been largely based for the last four centuries.

lthough the history of political thought and become increasingly complex and paradoxical, specifically international relations has resulting in tensions among states and within A undergone significant advances in recent inter-state organizations, the strengthening of decades, International Relations as an academic some states and the fragmentation of others, the discipline has stuck to an often outdated episte- challenges to the state system and the quest for mology and methodology, avoiding the com- a new multilateralism, the advances of economic plexities involved with a more global approach globalisation and political integration often to the pace and space of international processes. curbed internationally by the resurgence of True, in the 1990s scholars emphasized the nationalism and domestically by ethnic tensions weakening of states as the global order’s tradi- and local interests. tional foundations. In the late 20th century, many countries, often those born of decoloniza- Moving actors in a fragmented tion, appeared to lack the traditional features of world states - reliable institutions, social cohesion, or national consciousness. But the end of commu- Public international law, as it is conceived nist regimes in Europe paradoxically gave rise to today, emphasizes the prominent position of a revival of states associated with the rebirth of subjects of international law as the main actors *Philosopher, linguist and nationalism. In other parts of the world, ethnic, in international relations and, therefore, in internationalist. Lecturer at the Haute Ecole de religious or cultural minorities that were or con- international law. The subjects are those entities Bruxelles/Institut sidered themselves oppressed demanded inde- which are the addressees of international legal supérieur de traducteurs et pendence. In Rwanda, Saudi Arabia, Iraq, rules or norms, the bearers of international interprètes. Sudan, Afghanistan, and Haiti, autocratic or obligations and rights. These subjects now This text is a revised ver- sion of a lecture given at theocratic states rulers crushed dissension or include states and international organizations, the Conference on “The waged open warfare against their own subjects. with the peculiarity that states grant interna- Unifying Method of the Some of the crisis that broke out strengthened tional rights to and impose international obliga- Humanities, Social Sciences and Natural the legitimacy of humanitarian interventions, at tions on the IGOs, which implies that states Sciences”, Vienna, 7-9 the expense of international legal principles of remain the original subjects of international law. November 2003. The national sovereignty and non-intervention. At Another peculiarity is that the very subjects of conference proceedings the same time, “international civil society” international law, viz. the states, are also the have been published under the title The Unifying claimed a bigger role in reshaping world order in entities that create international law, either Aspects of Culture, a book association with states and inter-state organiza- through state conduct (practice) leading to cus- which recently received tions, while demanding from these that they tom, or through interstate agreements or the Bruno Kreisky Award. check the increasing influence of multinational treaties. Up to this point, we can say that states Transnational Associations corporations, another category of non-state are clearly at the centre of the international 4/2004, 283-290 actors. The world picture has consequently scene.

283 However, in the recent decades non-state enti- power and the imperial urge. That year marked ties have been granted, whether legally or de facto, not just the end of the Cold War, but also, and the status of actors in the international system. more significantly, the end of a state system in Some of them, like the Holy See, as representative Europe which dated from the Thirty Years War. of the Catholic Church, were even granted the The resurgence of ethnic tensions, the creation status of subjects of international law. Most of the of new nations-states and 11 September showed others have played a role stemming from the us some of the implications of the change. Charter of the UN (article 71), which recognises International order used to be based either on their relevance through a “consultative status”. In hegemony or on balance. At the beginning of addition to their active role on the international the 20th century, the international system was arena in a many fields, NGOs have actively con- based largely on two epochal events in European tributed to the development of international law history: the Peace of Westphalia in 1648 and the in the field of human rights, scientific research, Congress of Vienna of 1814-15. The Congress environmental matters and many more. More of Vienna and the treaty that emerged from it generally, they are now fully involved in norm for- sanctified balance-of-power as the dynamic of mation and political decision-making through choice for the international system. That was, formal or informal processes. These developments and remains, a very European idea. have led to the concept of an international law Hegemony came first. In the ancient world, conceived as cosmopolitical, i.e. based on inter- order meant empire. Those within the empire pretations granting equal status to all parties had order, culture and civilisation. Outside it lay involved, decentred from any particular vision. barbarians, chaos and disorder. The image of A second category of non-state entities is peace and order through a single hegemonic MNCs, which have also been proclaimed as new power centre has remained strong ever since. actors on the international scene as new agents Empires, however, are ill-designed for promot- of economic development, this time quite unof- ing change. Holding the empire together – and ficially. Their action is now so significant that it is the essence of empires that they are diverse they are the most active agents of globalisation, – usually requires an authoritarian political to such an extent that even the UN has tried to style; innovation, especially in society and poli- control their influence by setting the Global tics, would lead to instability. Historically, Compact, a loose UN policy of rapprochement empires have generally been static. In Europe, a with the business community, to which some middle way was found between the stasis of NGOs responded by arguing “that corporate chaos and the stasis of empire, namely the small influence at the UN is already too great, and state. True, the small state succeeded in estab- that new partnerships are leading down a slip- lishing sovereignty, but only within a geograph- pery slope toward the partial privatisation and ically limited jurisdiction. Thus domestic order commercialization of the UN system itself” was purchased at the price of international anar- (TRAC, 2000)1. chy. The competition between the small states of To this we could or should many more cate- Europe was a source of progress, but the system gories, such as liberation and other national was also constantly threatened by a relapse into movements, social, ethnic and cultural move- chaos on one side and by the hegemony of a sin- ments, criminal networks including maffias and gle power on the other. The solution to this was terrorist groups, which have often adopted legal the balance of power, a system of counter-bal- associational forms. ancing alliances which became seen as the con- The variety of international actors has natu- dition of liberty in Europe. Progress was made rally brought the question of the erosion of state possible within this system, which preserve their sovereignty, whether it comes from civil or sovereignty of small states between the authori- 1. TRAC (2000), uncivil society organisations. In this respect, a tarian, static style of empires and the anarchy of “Tangled Up In Blue: Corporate Partnerships at new concern emerged in 1989, when it excessive fragmentation. the United Nations”, appeared that the political systems of three cen- However, an historical, contextualised form of www.corpwatch.org turies came to an end in Europe: the balance of the state cannot support a natural, universal

284 conception which would be the inverted myth - in matters of security, transparency and mutu- of security guaranteed by a strong state. The al openness, interdependence and mutual vul- 20th century amply demonstrated that the small nerability; state is not a guarantee of peace, contrary to - the rejection of force for solving disputes; cod- what Martin Korr2 suggested after Rousseau’s ification of self-enforced rules celebration of small and medium-sized commu- (UE, Japan, Canada; International Criminal nities, Gandhi’s promotion of self-governed Court, Kyoto Protocol...) swadeshi and Schumacher’s support for the eco- A fourth category may be added if we agree nomic and ecological myth of small is beautiful. with David Held, who thinks that more than a But the pre-eminence of a strong state is no Hobbesian sovereign and contrary to Robert safer, as Eric Hobsbawm observed when he Kagan’s remark, “the US is best perceived as pre- asked the question of how the world is to con- Hobbesian because it is a return to the state of front or to contain the US. nature”. In this view, whereas Hobbes justified Whatever the features – small or big, imperial sovereign power in so far as it delivers security, or federal, despotic or democratic - ascribed to “The US strategy does none of these things, the state when taken as the building block of IR, endangering its citizens (especially abroad), fur- a contradiction arises whenever it is conferred an ther dividing and polarising international ontological identity: just like Vishnu’s avatars, it affairs, and weakening the international institu- incarnates age after age into so many figures that tions of peace and justice.”5 its final nature never appears as a definable, uni- By those definitions, we can understand why fied concept. There is the complex nature of there will be competition not so much among today’s world scene, about which Eric states as among different categories of states or Hobsbawm observed that “our era is still one of state-like entities, which may lead to the desta- nation-states - the only aspect of globalisation in bilising of the world. The Middle East is just one which globalisation does not work.”3 example of this destabilisation -far more unstable In so far as world players” interactions are a now than it was 10 years ago, or five years ago. complex game, some classification may be use- As a modern, imperial state, the US weakens all ful, even though the state and the states system the alternative arrangements, formal and infor- appear to be a moment in history. Robert mal, for keeping order. In Europe it has wrecked Cooper has clearly categorized states into three the North Atlantic Treaty Organisation by trying big categories, the complex intermingling of dif- to turn it into a world military police force for ferent orders referred to as premodern, modern the US in disguise. It has deliberately sabotaged and post-modern4, where: the EU, and also systematically aims at ruining - pre-modern: where the state has failed and another of the great world achievements since the Hobbesian war of all against all is underway 1945, prosperous democratic social welfare (Somalia, Congo, until recently Afghanistan). states. The widely perceived crisis over the credi- 2. The Breakdown of Modern: Westphalia established the nation- bility of the United Nations is less of a drama Nations, Green Books/New European state as the polity of choice for the next three than it appears since the UN has never been a Publications, 2001 [1957]. and a half centuries. A nation state is a territory democratic and representative institution, and 3. “The Empire Expands controlled by a single government and inhabited has generally been unable to do more than oper- Wider and Still Wider”, Le Monde Diplomatique in by a distinct population with a common culture ate marginally because of its total dependence on English, 11 June 2003. that commands the loyalty and shapes the iden- the Security Council, and the use of the veto 4. “The post-modern tity of its citizens. There remain modern states right of five powers. state”, in Re-Ordering the that behave according to Machiavellian princi- As to the problematiques of “players in the World, edited by Mark Leonard, The Foreign ples and raison d’Etat (India, Pakistan, China) international system”, we can draw a few con- Policy Centre, London, Post-modern: based on clusions from the state of IR, which is far more 2002. - a fuzzy distinction between domestic and for- complex and paradoxical than the over-simpli- 5. HELD David, “Return to the state of nature”, eign affairs; fied ideas of the demise of the state or the advent www.openDemocracy.net, - the irrelevance of borders; of a post-Westphalian, global civil society would 20 March 2003. - mutual interference and surveillance; evoke:

285 1. State sovereignty is being eroded in limited Maffesoli, Touraine and Giddens not to reify spheres, despite the proliferation of civil society societies defined by the boundaries of particular 6. HALL John A., “The actors and their increasing participation in inter- states9. The vast and complex space opened to Return of the State”, national decision-making and norm formation; the study, the understanding and possibly the Science Research Council, New York, 2002; MERLE 2. The same process (through the International explanation of international relations cannot be Marcel, “Le retour de Criminal Court and other IGOs) paradoxically corralled between “two views of human nature l’Etat”, La Croix, 21 strengthens the state because the latter is the and two visions of knowledge” which, whether November 2002. final guarantee that such treaties will be imple- constrained or unconstrained, are more reminis- 7. Because this country was conceived by its founders mented; cent of Medieval Sin and Grace, as Stephen as a new kind of nation 3. In the same way, the pressure of uncivil Toulmin would say, than appropriate to the and, indeed, a new kind of society, sustained by criminal organisations of all foundations of IR theory 10. The quest for funda- state - one based not on the combined accidents of kinds, enhances the need of states to protect mental laws of international processes tradition- demography and geogra- both states and civil society for, as Martin Hall ally associated with IR as a science is the doomed phy, but on the combined said, “Without Hobbes we may not have Locke avatar of an outdated conception of science. exertion of political will but rather the jungle, as those who have lived On the other side, comprehensive concepts and championship of polit- 6 ical ideas (TALBOTT without a state know all too well.” used by the transnationalist school, such as Strobe, “War in Iraq, revo- 4. Some states may in any case gain in “global civil society”, run into symmetrical diffi- lution in America”, The strength, most obviously in the case of the culties. For unlike the national level, there is no Whitehead Lecture, The United States (which may not be a nation-state “global” or world government against which Royal Institute of 7 International Affairs, in the Westphalian sense ), or in highly central- INGOs may be defined as a residual. If it is often October 9, 2003. ized China. In turn, these modern states will averred that “international organizations have no 8. SALLMANN Jean- look for state partners to create what they think demos of their own”11, it can be symmetrically Michel. Nouvelle histoire des relations internationales, will be a safer world. But such partners, instead averred that the “transnational demos” has no vol. 1: Géopolitique du of other strong states, may be post-modern enti- political counterpoise that could act as a transna- XVIe siècle 1490-1618), ties such as the , which are pre- tional polity. This severely restricts the assump- Paris: Seuil, 2003. cisely the Aufhebung, the “sublation” of those tions of such moral cosmopolitans as John 9. Cf. MAFFESOLI Michel, La transfiguration sovereign states that were the pillars of stability Rawls, who considers extending the moral cos- du politique, Grasset, 1992 in Westphalian Europe. Furthermore, if weak mopolitan theory (previously confined to the ; see also “The Ethic of states do not necessarily bring peace, strong domestic realm) to that of an international Aesthetics”, Theory, 12 Culture & Society, 8 (1), states may elicit violence by the very authority realm. The argument that a suitable principle 1991, 7-20; OUTH- they impose on dominated entities, as can be can be justified by analogy with the justification WAITE William, “Toward seen today in Iraq; given by Rawls in his Theory of Justice for an a European civil society?”, 5. In an age of globalisation, sub-national intrastate distributive principle is undermined by www.theglobalsite.ac.uk/ press, p. 7. entities, from local consumer groups to regional the ontological novelty of an asymmetrical 10. Cosmopolis. TheHidden partnerships associations and associations of transnational world. And even if there were suf- Agenda of Modernity, small or big cities, are hollowing out state pow- ficient cooperation on the inter-state level - Chicago: The University ers from the bottom; assuming with Rawls that human rights are uni- of Chicaco Press, 1990. See also Return to Reason, 6. Ironically, one weakness of international versal and therefore capable of crossing national Cambridge civil society, if we admit its reality, is precisely the and cultural boundaries, an admittedly reason- (USA)/London: Harvard absence of a multilateral, inter-state entity that able argument - it would still remain to be shown University Press, 2001. 11. CHARNOVITZ would play in the international sphere the role that justice provides the motivation and grounds Steve, « The emergence of played by the liberal state in the gradual emer- for fulfilling such cooperation through a democratic participation gence of autonomous, domestic civil societies. renewed “law of the peoples”, which obviously is in global governance It appears from these processes that the state not the case despite the rational feasibility of (Paris, 1919) », Indiana Journal of Global Legal and the states system have never been an unam- such a process. Studies, p. 47. biguous concept usable for a scientific theory of Today, the problem is made even more com- 12. “The Law of Peoples”, IR. Even before the undermining of the inter- plex with the intrusion of new political objects in Stephen Shute and state system, which some historians would say such as the European Union, which is even less Susan Hurley (eds.), On 8 Human Rights, New York: had never existed , states as entities were no iden- definable as the state: Hegel considered Europe Basic Books, 1993. tities. We have learned from thinkers like as the locus of a “struggle for recognition”;

286 today, it is equally conceived of as an operation promote interdisciplinary programmes and ques- of remembering (Ricoeur’s travail de mémoire), tion the relevance of positivistic science while of working on stereotypes and representations ; introducing a set of parameters not previously Europe is also a philosophical idea, a spiritual considered (regimes, social and cultural factors figure born in Greece as the locus of the inven- and actors, non-state entities)15. IR first entered tion of philosophy and science, a purely theoret- into a “first debate”, in which realism competed ical space. In the political sphere, far from dupli- with idealism in the late 1930s and early 1940s, cating American federalism, it has been a then a “second great debate”, where realism was transnational process from its origin – not only questioned by behaviouralism in the late 1950s as a coexistence of nations or a convergence of and 1960s. These views have not disappeared and national interests, but as the achievement of an remain competing references among specialists, 13. Cf. Europe as a extranational process, the accomplishment of even though a “third debate” in IR has broadened dynamic process, a moving otherness, “the realization of transnational- the epistemological framework, offering more concept in ism”13. complex patterns for describing and possibly ChristianeVillain- understanding international relations. The rise of Gandossi, BOCHMANN Klaus et al., Le concept de The very idea of a discipline transnationalism in the inter-paradigmatic debate l’Europe dans le processus de has introduced transdisciplinary concepts such as la CSCE/The Concept of One cannot effectively discuss trans- (cross-, the transnational and transcultural dimensions, Europe in the Process of the inter-, multi-, anti-, post-, etc.) disciplinarity while shedding new light on globalisation and its CSCE, Gunter Narr, Tübingen, 1990, Wolton, without some assumptions about what consti- impact on political, social, or communal identi- 2001; Penser l’Europe à ses tutes a discipline in the first place. Disciplines ties. A response is being sought here to the chang- frontières, texts présentés were originally a response to the empirical uncer- ing pattern of power relations, toward what par GUENOUN Daniel tainties of scientists and the reasonable views of appears increasingly as a form of “complex multi- et NANCY Jean-Luc, 16 Editions de l’Aube, 1993. sceptic thinkers in the 16th century. The rational lateralism” involving a system of governance 14. In the words of approach taken by Descartes and his followers, made of a plurality of actors: not only states and Stanley Hoffmann, IR is based on certain, objective truth and the disci- inter-state organizations conventionally recog- an American social science (“An American social sci- plinary distribution of knowledge, has ironically nized by international law, but also networks and ence: International culminated in today’s hyper-specialization, a communities diversely formalised into civil soci- Relations”, Daedalus, splitting up of knowledge and human experience ety organizations, whether on a corporate or a 106/3, 1977, pp. 41-60. 15. Considered as the con- which threatens to undermine the integrated non-profit basis. The “multi-stakeholder” dia- ventional, contemporary understanding of their significance. As an acade- logues and “multilayered identities” are some of method based on the crite- mic discipline, IR is a recent subject conceived in the concepts associated with multipartite gover- ria of accuracy, falsifiabili- Britain and the United States in the early 1920s nance structures, which have arisen as a novel fea- ty, explanatory power, pro- gressive research pro- with a practical task. It was the scientific under- ture of the institutional landscape. grammes, consistency with standing of the causes of war and of the condi- other research areas and tions of peace. It had, therefore, a policy voca- Is IR a discipline? limited use of basic con- tion, but it was closely linked to the political cepts (Hollis and Smith, Explaining and establishment, whether governmental or official If IR is heir to different traditions – history, Understanding opposition, which made it markedly unscientif- political science, philosophy, economics, law, and International Relations, and ic. IR consequently results from a double drift, a few more – it is by necessity multi- or interdis- Booth and Smith, International Theory with consequences on both academic practices ciplinary: psycho-economics is emerging as a new today). and the representations of the world it is approach, to humanize homo oeconomicus and 16. O’BRIEN Robert, « assumed to depict: a strongly rationalist bias, and shed new light on consumer behaviours and Complex multilateralism: close relationships with the American political group interactions; in the French school, the dis- the global economic insti- 14 tutions and global social establishment . ciplinary base for the study of International movements nexus », paper However, after the long period over which Relations is very weak, but this disadvantage is presented at the confer- transnational relations have been severely con- compensated by the potential advantage of inter- ence on « Non-State Actors and Authority in strained ever since by the inter-state system disciplinary cross-fertilization induced by such the Global System », 1 known as « Westphalian », the complexity of fields as history (Braudel), anthropology and legal November 1997. international relations has made it necessary to studies. Within the “third debate”, IR has bene-

287 fited from the interpretation of political science as Navon? 20 Navon’s argument is inherently con- linguistically constituted, a topic explored by the tradictory in so far as, if “facts are facts” as vehe- Cambridge school17; more recently, ethical con- mently stressed in his conclusion, there is no cerns have penetrated economics to such lengths reason whatsoever to engage into the “history of 17. The Cambridge per- as labeling the latter a “moral science” by Nobel interpretation”, as he however does, and no need spective can be viewed as a Prize winner Amartya Sen. to summon scepticism either, as this precisely political avatar of previous For the sake of simplicity, the many sources of implies the rejection of universal objectivity, tol- attempts by Austin and IR’s development and methodology can be referred erating and even inviting plural interpretations Wittgenstein to define a new form of realism where to two essential traditions: scientific and hermeneu- of what can be initially posed as facts of the real the world is enshrined in tic, which can be methodologically translated as world. Any claim to the contrary would be clos- ordinary language. In turn, understanding and explanation, to use Hollis and er to dogma than to science, if we recognize that these echo the rejection by 18 Quine (Word and Object, Smith’s words . The object of IR can be presented science, far from stating ultimate verities, is con- 1960) of the as composed of two (very) different levels: that of stantly open to falsification. If the “first” (con- analytical/empirical distinc- states and their relations on the one hand, and that servative v. revolutionary approach to human tion, which exposes the of peoples, societies and individuals on the other. nature) and “second” (rationalist v. non-ratio- myth of « meaning » and concludes to the indetermi- This dichotomy has always opposed mutually nalist approach to human knowledge) debates nation of . exclusive paradigms of IR, as illustrated by the his- are still relevant, as Nevon rightly claims, it Beyond the toric debate in the International Studies should also be recognized that scepticism, remi- empiricism/realism tension Association’s Congress in 1973 between niscent of Michel de Montaigne, will precisely addressed by Quine, the world can be thougt as - the English school, which viewed the interna- allow for uncertainty, ambiguities and disagree- immanent to ordinary lan- tional system as a huge spider web made of all ment, that is for the plural beliefs explored today guage, the polity appearing kinds or organisations interacting with each by cultural anthropology and the conflict of as, albeit partially, governed 19 21 by or channelled by a lin- other , and interpretations articulated by Paul Ricoeur . guistic mediation. - the American or German-American school, A rigid contrast cannot be maintained if gen- 18. Hollis, Martin and focused on Morgenthau’s vision of a billiard eral trends and inductive generalizations are Smith, Steve. Explaining ball game among competing states. submitted to the here and now of peculiar his- and Understanding International Relations, The former is clearly derived from a Leibnizian torical contexts, and if reason and logic have to Oxford: Clarendon, 1990. paradigm, whereas the latter is derived from be induced from attention to facts rather than 19. William Outhwaite Hume’s idea of an empirical, mechanistic science from stark facts, and so unavoidably translated observed that “On the issue of compatibilities based on causation/sequence as correlation between into discourse and rhetoric, a dimension empha- and incompatibilities of constant and predictable events. So formalized, the sized by the Cambridge School in relation with various structural and cul- scientific view translates in various disciplines: in the linguistic and conceptual roots of political tural forms, Max Weber political science the state behaviour is caused by legitimacy22. Language and concepts are the bor- borrowed from Goethe what remains perhaps the structural factors; in economics, the behaviour of derline between a supposedly passive object and most useful concept for firms is dictated by the “invisible hand” of market the cognitive approach taken by the subject, addressing these issues: the forces conceived as a system; in discourse analysis, whether idiosyncratic or shaped by social and chemical concept of elec- meaning is constructed in accordance with under- cultural patterns. The language mediation does tive affinity (Wahlverwandtschaft)”. lying social and cultural values. In all cases, not imply that an autonomous linguistic or con- http://www.theglobalsite.a researchers presuppose as in game theory the exis- ceptual reality, in a Platonic sense, takes the c.uk/press/008outhwaite.h tence of hidden, underlying structures which justi- place of objective facts as was considered by tm 20. “The ‘third debate’ fy the Platonic view of a search after truth, the deci- Wittgenstein in his first writings, but that inter- revisited”, Review of phering of Galileo’s “Book of Nature”. action between facts and observers transforms International studies, 27, our perception and understanding of what is 2001, 611-625. aimed at. As Charles Taylor has observed after 21. Du texte à l’action, (De A new paradigm? l’interprétation), Seuil, many linguists, a crucial feature of conversation Paris, 1984. The question arising from this state of things is that the speakers create an object that is not 22. Cf. BELL Duncan is: can the logic of IR be reduced to this exclu- just an object for one that happens to be also an S.A., « The Cambridge School and world politics sive dichotomy, is any intermediate or con- object for the other, but a new object for both. ». www.theglobalsite.ac.uk, structed discourse, any “third debate” doomed Charles S. Peirce’s cable metaphor had already 2001. to be “irrelevant”, as claimed by Emmanuel illustrated the fact that individuals are not iso-

288 23. This semiotic frame- lated entities but permeable subjects, interrelat- realm of human and social sciences. After all, work is basically different from Charles W. Morris’s ed by as many fibres, into what is more com- even the Popperian turn has shown that science is behaviourist conception, monly known today as networking relations23. not in search of truth but is an ever-provisional whose cultural underpin- Instead of sets of individuals, social-political building of propositions open to falsification. nings are obvious if they are related to the utilitari- groups are better defined, in Peirce’s neo-kantian The consequence is triple: an, analytical notions of semiotics, by the transindividual, trans-subjec- Any “true” theory becomes a heuristic tool the technical-scientific tive links underlying a semiosis producing new whose usefulness is proportional to the opening views of the time. The lat- objects, emphasizing relations within a context up of the new research programmes; ter could be correlated with the modular concept and resulting in an intersubjective stabilisation, The question of “levels of reality” becomes a of current cognitivism, an agreement about the object. The possible question of “levels of analysis”, where the analyst breaking the object into truth emerging from such a process transcends is both the observer and the creator of these levels. the various competence levels to which it applies any single truth based on opinion and is aimed Disciplinary fields are intersected with cross (syntactic, semantic, prag- at reaching the agreement of all scientists, so issues such as violence and human rights, and matic) (Cf. “Signs, lan- producing what we deem true or real24. It is a philosophical questions related to moral values guage and behavior”, similar process that creates what Taylor and pro- and ethics. Writings on the General Theory of Signs, Mouton, ponents of the critical theory associated with the The “analysis” approach is particularly essen- 1971). names of Habermas, Adorno or Linklater call a tial in that it acknowledges that knowledge is 24. Collected Papers, “public” or “common” space which varies with not passively received, as in discovering an onto- Cambridge (Mass.): the various uses of language25. These views, how- logical reality, but actively built up by the cog- Harvard University Press, 1931-1958, 5, p. 407. ever, found their most refined achievements nizing subject. The function of cognition is 25. Sources of the Self. The after the linguistic turn in social sciences trig- adaptive and serves the organization of the expe- Making of the Modern gered by philosophers of language or linguists riental world, allowing for a transdisciplinary Identity, CUP, 1989, p. 35. such as Mikhail Bakhtin and the “second” picture different from a mere combination of 26. This is no longer the 26 Saussure of langue but of Saussure and refined by the followers of these data extracted from various disciplines, as the parole, without which the parallel, sometimes rival traditions. case would be with a strict interdisciplinary social use of language, if The epistemological consequence is that we can approach. not its semiotic openings, would not be conceivable. no longer stick to the method of Copernicus, This state of affairs opens adaptable ways to See comments of Simon Galileo and Descartes, for whom the world can research in so far as, in a first stage, it allows to Bouquet and Rudolf be explained in the language of mathematics, combine various levels as seems appropriate Engler (eds.) on Saussurean texts recently whose perfection – reflecting God’s perfection – from among legal, geographical, historical, eco- rediscovered in Ecrits de has survived up to the present time in the dream nomic, social, anthropological or even psycho- linguistique générale, of an integral rationality, whether resulting in analytical studies27. Such flexible interdiscipli- Gallimard: Paris, 2002. mapping the geopolitical world, in modelling the narity is the precondition for a possible transdis- This orientation was later furthered by linguists behaviours of producers and consumers in an ciplinarity, which in a second stage will emerge (Benvéniste, Jakobson), economic system, in the same way as biologists as the global interpretation/understanding of philosophers of ordinary decipher the human genome. Attempts at the selected data derived from the crossing of language (Austin, Searle, describing the rational behaviour of individuals disciplinary boundaries. In this process, the act- Grice) and philosophers of communication and prag- have also been made through structural ing subject/researcher is responsible for the matics (Habermas, Apel, approaches, as in various fields of human and experiential world it constructs. Ethics, there- Jacques). social sciences inspired by linguistics. However, fore, cannot be avoided: it will be associated 27. Cf. Daniel Sibony, Proche-Orient, psychanalyse both methodological individualism and radical with the constructed representation of the d’un conflit, Seuil, 2002. structuralism have failed to describe more than world. In La Psychanalyse à very specific features of human processes, because For these reasons, a transdisciplinary method l’épreuve de l’islam (Paris : reductionist approaches leave no room for the appears as both continuous and discontinuous. Aubier, 2002), Fehti Benslama encovers the interaction of objects and subjects in the consti- In the wake of an uncompleted or possibly over- constitutive repression of tution of knowledge. The lessons learned with the completed modernity (through the overwhelm- the islamic religion by epistemological shift associated with Popper’s idea ing power of reason), today’s challenge may be exploring its origins and analysing its most visible that any scientific hypothesis needs to be falsifi- the re-integration of both traditions of moder- contemporary crisis: the able do not imply that this scientific method is nity, epitomized by Descartes and Montaigne, islamist movement. necessarily and generally transferable into the to build not so much a fuzzy “post-modern”

289 world as a reconciled “transmodernity”. The first global view that predicates universal references source of modernity belongs to the Platonic- on the general, that characterizes universal rea- Kantian tradition, whose universal principles son by cultural diversity. In a cosmopolis predi- can be found in the idea of world federalism as cated on cultures taken as historical realities, well as of scientific or economic rationality. The International Relations is invited to conceive of second is commonly governed by emotional global relations on the basis on the impure rea- appeals, a “sentimental education” à la Rorty 28 son associated with cultural practices, rather in the tradition of David Hume and William than on a predefined universal matrix derived James, whose practical expression may vary from from “true” social-political realities. a benevolent multiculturalism oblivious of the Whatever the scope of this challenge, it will dogmatic biases of the community to the irenic have to address the two faces, rather than phas- forms of a homogeneous cyberspace. The trans- es, of history. This is a formidable future indeed, disciplinary way views these two poles not so where the Utopian quest for the societas maxima much as articulated around Vasquez’s projected by the Stoics beyond the City-state, Archimedian point, which cancels out dynamic and pursued through Kant’s insight of a tensions by reducing them to a neutral stance, a Cosmopolis ordered into political units which status quo antes mediated by the zero value29, but would not be bellicose and would recoil from as a complex arrangement of asymmetrical, ten- war, will remain closely associated with the tur- sorial relations that can be figured out as the moil of its dwellers. If an « overturn » of inter- string of Heraclites’s bow30. To be effective, the national relations can be envisaged, it is likely to development of future international institutions be through the complex intermingling of the will rely on such mediations, so much so as these international and the transnational, the ebb and are constantly threatened with dissolving into flow of both orientations. The ensuing pattern standardizing rules, from the pervading lex mer- will not point to any post-modernity, but to a catoria to a proclaimed “return of the state” but- rearrangement of both the rational and the rea- tressed on the expansion of the sole superpower sonable31 sources that replace social and political and fed on the waning of international law. In institutions into their cultures, that redefine 28. See for example « this perspective, dialogue and dialogical com- modernity into a fragile and subtle casting of its Human rights, rationality, munication need to be reinterpreted as more multiple players, not protected from possible and sentimentality », in Stephen Shute and Susan than a mere literary genre, to put into practice a eruptions or disruptions. Hurley (eds.), On Human Rights, Basic Books, New York, 1993, p. 111-135. 29. « The post-positivist debate: reconstructing sci- entific enquiry and inter- national relations theory after Enlightenment’s fall », in Ken Booth and Steve smith, International rela- tions Theory Today, Cambridge: Polity Press, p. 217. 30. As elegantly explained by Jean-Jacques Wunenburger in « Le par- adigme de l’équilibre : lec- tures hippocratique et archimédienne”, Les études philosophiques, 4/1986, 529-540. 31. In so far as « reason- able » is not equated with « irrational » or « non- rational ».

290 Une révolution démocratique : l’émergence de l’Union européenne par Dusan Sidjanski *

*Professeur émérite de es relations internationales ont connu une évolution et une transformation rapides dans la période l’Université de Genève, président du Centre d’après guerre. Dans ce nouveau contexte, la Communauté européenne puis l’Union européenne se pré- européen de la culture. sentent comme une révolution, telle leur expérience est à la fois inédite et innovante. Elle constitue la Fondateur du L tentative la plus ambitieuse de démocratisation d’une communauté d’Etats régionale. A plus d’un titre, Département de science politique à l’Université de cette expérience peut servir de référence aux intégrations régionales et peut-être à l’avenir aux organisations Genève, Dusan Sidjanski internationales à vocation globale. est professeur émérite de la En effet, malgré les progrès enregistrés par l’ONU et les organisations spécialisées, ces avancées s’inscri- Faculté des sciences vent dans un courant à dominante intergouvernementale et à vocation mondiale. Certes, à l’heure de la économiques et sociales et de l’Institut européen de mondialisation de l’économie et de la communication mais aussi des problèmes et des conflits, ces organi- cette université. Il a été sations globales prennent une importance accrue dans la mesure où elles sont appelées à réguler la puissance depuis 1956 proche des groupes économiques et la prolifération des organisations non-gouvernementales, des mouvements collaborateur de Denis de Rougemont au Centre sociaux et des réseaux qui bouleversent les structures traditionnelles. Ces vagues de fond qui, de surcroît, européen de la culture suscitent des irruptions d’individus et de groupes en tant que nouveaux acteurs porteurs d’espoirs ou de tra- fondé en 1950 à la suite gédies, posent la question de la participation de ces ensembles d’acteurs et soulèvent le problème éminem- de la Résolution culturelle ment complexe de la démocratisation des relations internationales et des organisations internationales en du Congrès de La Haye de 1948. Il est auteur particulier. Or, les avantages qu’offrent ces organisations gouvernementales globales sont en même temps d’ouvrages sur le leur principal handicap. fédéralisme et sur Dans son opuscule La paix universelle, Kant a mis l’accent sur la nécessité de faire reposer l’organisa- l’intégration européenne tion de la paix sur les régimes politiques compatibles, voire homogènes. Traduite en termes actuels, la dont Fédéralisme amphictyonique, Eléments démocratisation des organisations internationales supposerait que les membres de ces organisations soient de système et tendance des démocraties, alors que l’hétérogénéité des régimes politiques dans le monde est loin de répondre à cette internationale, Paris et condition préalable. D’où la difficulté de démocratiser des relations internationales au plan mondial. Lausanne, Pedone et Rouge & Cie, 1956; C’est pourquoi, tout en poursuivant ce but, la démarche par voie d’intégration régionale et de démocra- Dimensions européennes de tisation de sous-ensembles dont les membres pratiquent la démocratie, me semble être l’approche la plus la science politique, Paris, réaliste dans la situation actuelle du monde. C’est une conception qui s’inscrit dans la Charte des Nations LGDJ, 1963; Europe Unies et selon laquelle les organisations régionales ou de proximité formeraient des piliers de la commu- Elections, de la démocratie européenne, Paris, Stanké, nauté internationale en conformité à son ordre normatif et à ses décisions générales. C’est dans cette 1979; Union ou désunion optique que je me propose de présenter quelques traits saillants du processus de démocratisation de l’Union de l’Europe? La européenne. Communauté européenne à l’épreuve de la crise yougoslave et des mutations La Communauté et l’Union coopération économique (LECE) s’engagent en Europe de l’Est, Dossiers européenne portent la marque de dans la promotion de l’Union de l’Europe, en de l’Institut universitaire s’appuyant sur des réseaux de comités nationaux d’études européennes, leur origine (IUEE) Genève, 1991; et régionaux et sur de nombreuses personnalités L’Avenir fédéraliste de Les initiatives et les actions qui ont abouti à la européennes. Deux caractéristiques méritent l’Europe, La Communauté création de la CECA résultent des propositions d’être soulignées : l’action repose à la fois sur les européenne des origines au convergentes des mouvements européens et de personnalités et sur les militants ; ces mouve- traité de Maastricht, Paris, PUF, 1992, 1993 qui a été l’action de Jean Monnet. Cependant, avant ments par dessus les frontières poursuivent, par traduit en italien, serbo- même l’intervention de Jean Monnet, ce sont des voies différentes, un même objectif, union croate, portugais, grec, ces mêmes mouvements qui ont préparé le ter- politique, démocratique et fédérale de l’Europe russe, espagnol et anglais. rain par leurs activités militantes en faveur de occidentale. Deux mouvements se distinguent La version anglaise mise à 1 jour a été publiée par The l’Europe unie. au sein de cette constellation : l’UEF et le University of Michigan Dès la fin de la guerre et à partir de 1946, des Mouvement européen qui réunissent autour de Press The Federal Future of mouvements tels que l’Union paneuropéenne, l’idéal européen des membres issus de diverses Europe, Ann Arbor, 2000 ; L’approche fédérative de l’Union européenne des fédéralistes (UEF), le familles politiques. l’Union européenne ou la Mouvement socialiste pour les Etats-Unis Pour notre analyse, il est essentiel de noter quête d’un fédéralisme d’Europe (MSEUE), les Nouvelles équipes qu’à l’origine des Institutions européennes se européen inédit, internationales (NEI) issues des partis démo- trouvent des initiatives et mouvements sociaux Associations transnationales crates-chrétiens, le Mouvement libéral pour et non pas des propositions des gouvernements. 4/2004, xxx-xxx+8 l’Europe unie (MLEU), la Ligue européenne de Dans ce sens, nous sommes fondés à soutenir

291 que l’Union européenne est une construction européen qui fédère les différents mouvements, qui s’édifie de bas en haut, sous l’impulsion de du Collège de l’Europe et du Centre européen personnalités, de réseaux et de mouvements, de la Culture. avant d’acquérir un caractère officiel par la créa- Incarnation de cette volonté politique, la tion d’institutions. Dès lors, un système poli- Communauté européenne du charbon et de l’acier tique se met progressivement en place sous la (CECA) est née au confluent des mouvements pression des demandes venant d’en bas aux- européens et de la nécessité fonctionnelle de quelles les institutions et les gouvernements sont répondre aux besoins pressants de l’époque censés apporter des réponses sous la forme de (pénurie du charbon, surproduction chaotique décisions et de politiques communes. de l’acier). A l’idée d’une fédération politique Aujourd’hui, plus d’un trait original apparais- globale préconisée par Denis de Rougemont, sent en filigrane dans le visage officiel que pré- Jean Monnet et Robert Schuman préfèrent, sente l’Union européenne. Aussi faut-il remon- pour des motifs pragmatiques, une sorte de ter aux sources de l’intégration européenne pour Fédération partielle, la CECA, qu’ils considèrent pouvoir expliquer à la fois la vocation démocra- néanmoins comme une étape vers la Fédération tique et la participation des acteurs informels au européenne3. Le Plan Schuman vise à recons- processus de décision dans l’Union européenne. truire le bassin de la Ruhr par delà des frontières Un deuxième constat qui n’a pas perdu de son et à créer une interdépendance indissoluble actualité aide à la compréhension du système entre anciens ennemis. Il tisse ainsi les fonde- communautaire. L’idée de l’Europe unie ments d’une Communauté à vocation démocra- devient un but partagé. Devenue idée-force, tique et fédérative. Il déclenche le processus elle oriente et soutient les actions politiques. d’intégration qui construit progressivement par Elle prend la forme, sous la plume de Denis de des réalisations concrètes créant des solidarités Notre Europe, 2001 paru Rougemont, d’ une sorte de charte des principes de fait, de proche en proche, secteur après sec- en versions portugaise, fédératifs adoptée au Congrès de l’UEF à teur, les bases d’une union politique. Le mouve- italienne et allemande. Montreux en 1947. Cet élan, bien que freiné ment d’engrenage qui rappelle le « spill over » Adresse : 33 Chemin de l’Avanchet, 1216 Cointrin par les Britanniques, anime un an plus tard de Ernst Haas n’a pas conduit de manière auto- – Genève. le Congrès de la Haye (1948) lequel, sous matique à l’instauration d’une autorité politique Courrier électronique : la présidence de Winston Churchill et en pré- commune. Il n’en reste pas moins que, comme [email protected] ige.ch. Site web : sence d’un millier de participants venus de tous l’écrit Jean Monnet, la CECA « marque la www.eurofederalism.com les horizons, donne naissance au Manifeste direction dans laquelle la future Europe devra 1. Dusan Sidjanski, européen, dont le principal rédacteur n’est autre chercher sa voie vers une Communauté fédérale L’Avenir fédéraliste de que Denis de Rougemont. C’est une somme pacifique plus vaste, plus prospère, au sein de l’Europe, IUEE, Paris, Presses universitaires de européenne qui contient les principes, les laquelle les nations européennes mettront en France, 1992, p.27 et ss. grandes orientations et les objectifs qui ont ins- commun leurs ressources et leurs capacités et 2. Aujourd’hui le Conseil piré les fondateurs de la Communauté et de pourront ainsi, dans la liberté et la diversité, de l’Europe incarne « la l’Union européenne. Relayée par le Mouvement vivre au rythme du monde moderne ».4 grande Europe » dont font parties les membres européen, la résolution politique a abouti à la J’appelle l’ œuf de Jean Monnet son idée d’une de l’Union européenne, création du Conseil de l’Europe en 1949 et de la Haute Autorité, indépendante chargée de régu- laquelle à son tour pour- Cour des droits de l’homme. Première organisa- ler les deux secteurs de base dans un système rait bien comprendre un noyau dynamique et tion européenne gouvernementale, qui exige de embryonnaire qui prévoit la participation des fédérateur sous la forme de ses membres le respect des principes démocra- Etats membres au sein d’un Conseil, une coopération renforcée s’ap- tiques et des droits de l’homme, le Conseil de Assemblée commune issue des parlements puyant sur la zone euro l’Europe est doté d’une Assemblée consultative nationaux chargée du contrôle démocratique et notamment. 3. Robert Schuman, Pour de parlementaires ainsi que d’un Comité des une Cour de justice chargée du contrôle juridic- l’Europe, Paris, Nagel, ministres. C’est, d’après la formule de Georges tionnel. Les bases de la future fédération démo- 1963, p.203. Bidault, « L’Europe des libertés » qui s’accom- cratique sont jetées. 4. Jean Monnet, Les Etats- pagnera de « l’Europe de la volonté », plus peti- Cette volonté initiale est exprimée par les pro- Unis d’Europe ont com- 2 mencé, Paris, Robert te mais plus intégrée. Les résolutions du jets des traités de la CED et de son prolongement Laffont 1955, p. 17. Congrès sont aussi à l’origine du Mouvement naturelle, la Communauté politique européenne.

292 Elaboré par l’Assemblée ad hoc, ce projet de participation effective des gouvernements et de Communauté politique est destiné à offrir un leurs ministres, désignés par voies démocra- cadre constitutionnel à la Communauté des Six tiques, au processus de décision dans l’Union en englobant les principales fonctions d’une européenne. Quant à la Commission, institution Fédération européenne parmi lesquelles les poli- communautaire indépendante, elle doit sa légiti- tiques économiques, des affaires étrangères et de mité à sa désignation par le Conseil européen et défense. Cette Communauté à la fois démocra- les gouvernements et à son approbation par le tique et fédérative comprend un Parlement bica- Parlement européen. méral, composé d’une Chambre des peuples et Dans la pratique, le Conseil européen se réunit d’un Sénat qui ensemble, forment le législatif ; trois à quatre fois par an selon les besoins en pré- un Conseil exécutif européen qui assure le gou- sence de tous les Chefs d’Etat et de gouverne- vernement de la Communauté, dont le Président ment ainsi que du Président de la Commission élu par le Sénat nomme à son tour les membres européenne. Il a pour responsabilité de définir de son Conseil qui est investi par le Parlement et les grandes orientations et les stratégies géné- soumis à son contrôle démocratique ; une Cour rales, de donner des impulsions et des mandats, de justice ouverte aux recours des personnes phy- mission dont il s’acquitte en règle générale par siques et morales. Cette construction ambitieuse consensus. Toutefois, il n’hésite pas à recourir à demeure néanmoins sous une forte influence des la majorité qualifiée dans plusieurs domaines tel gouvernements représentés au sein d’un Conseil celui de la désignation du Président de la des ministres nationaux dont les avis conformes Commission. Si sa légitimité n’est pas mise en sont à la base des projets du Conseil exécutif. question, les préoccupations exprimées concer- Cette progression à un rythme rapide vers un nent surtout son efficacité. La Constitution système démocratique inédit à Six est tuée dans européenne cherche à y remédier en le dotant l’œuf par l’échec de la CED. Cette crise profon- d’un Président à plein temps pour une durée de de paralyse le processus d’intégration et fait du 2 ans ? renouvelable une fois. Les faiblesses de projet de l’Europe politique un tabou. La cassu- l’actuel Conseil européen se sont manifestées re a provoqué une sorte de « pontage » et de « principalement dans le domaine de la politique bypass » en contournant l’obstacle et en concen- étrangère commune où la division l’a emporté trant tous les efforts dans le domaine écono- sur la cohésion notamment à l’occasion de mique avec la mise sur pied d’une Communauté conflits dans l’espace yougoslave et plus récem- économique européenne dès 1957. L’essentiel du ment à propos de la guerre contre l’Irak. Cette schéma est préservé mais ne fonctionne que dans dernière a non seulement divisé les Etats l’ensemble de l’économie à l’exclusion des membres entre eux mais a également provoqué matières de politique étrangère et de la défense. un décalage entre la politique gouvernementale Il n’en reste pas moins que le processus de démo- et l’opinion publique dans les Etats membres cratisation se poursuit. Dès 1974, Valéry Giscard qui ont apporté leur soutien aux Etats-Unis. d’Estaing et Helmut Schmitt lancent à la Deux crises politiques graves qui ont mis à nu la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement, le fragilité et les défaillances de l’Union européen- projet d’élection du Parlement européen au suf- ne. La crise à propos des conflits yougoslaves a frage universel direct. Adopté en 1976 le projet provoqué une prise de conscience au sujet de la n’est mis en pratique qu’en 1979, année des pre- nécessité de doter la Communauté européenne mières élections européennes. C’est une percée d’un minimum de compétences de politique démocratique, une innovation dans les relations étrangère ; elle a été d’autant plus menaçante internationales. qu’elle a mis à mal la cohésion du couple franco- allemand. Quant à l’impact de la guerre contre Eléments démocratiques dans l’Irak, elle a provoqué des oppositions qui se l’Union européenne sont manifestées en dehors du cadre institution- nel qui prévoyait une consultation des Etats La légitimité démocratique des institutions membres au sein du Conseil européen et du communes intergouvernementales repose sur la Conseil des ministres des affaires étrangères.

293 Autant de preuves des insuffisances institution- de Rome sous la forme d’une motion de cen- nelles et des volontés politiques opposées qui sure. Cependant, son utilisation a été fort rare marquent une régression par le retour aux jeux pour plusieurs raisons du fait que la motion diplomatiques classiques. Une fois de plus, exige certes une majorité renforcée difficile à l’Union a fait preuve de solidité et a su en tirer réunir. Pour ma part, je privilégie une explica- des leçons pour l’avenir. tion à la fois complémentaire et plus fonda- Quant au Conseil, il comprend en fait, outre mentale : les parlementaires sont conscients du un Conseil général, une vingtaine de Conseils fait que renverser la Commission, institution spécialisés qui réunissent entre six et dix fois par communautaire par excellence, a pour consé- année les ministres compétents. La situation se quence de donner la possibilité aux gouverne- complique encore davantage en raison d’un ments de modifier sa composition selon leurs cumul des pouvoirs gouvernementaux avec des couleurs politiques ou leurs intérêts du moment. pouvoirs législatifs. En effet, la fonction législa- C’est aussi affaiblir l’Exécutif communautaire au tive a pendant longtemps consisté en un partage profit des gouvernements et du Conseil. De fait, de pouvoirs entre la Commission chargée de for- la Commission et le Parlement européen, deux muler des propositions et le Conseil qui les institutions communautaires, sont condamnés adoptait après les avoir souvent remodelées, sous d’être des alliés objectifs face au poids des gou- la forme de règlements généraux (lois) ou de vernements et du Conseil. directives (lois-cadres). Dans ce face à face, la Cette connivence naturelle n’a pas empêché le Commission disposait de plusieurs atouts : la Parlement européen de provoquer la démission compétence et la maîtrise du dossier, le suivi de la Commission Santer en mars 1999. Cette tout au long du processus d’élaboration et la démission collective a mis en relief le sens de la protection dont bénéficie sa proposition initiale responsabilité des membres de l’Exécutif euro- qui ne peut être modifiée qu’avec son accord ou péen et a attiré l’attention sur le respect des l’unanimité des Etats membres. C’est un des règles qui régissent la vie publique au sein de traits originaux de la Communauté européenne l’Union européenne, à savoir la publicité, la où l’unanimité joue en faveur des propositions transparence et la responsabilité. de la Commission européenne. Lorsque la méthode communautaire est appliquée par le Codécision législative du Parlement tandem Commission – Conseil au titre de fonc- Européen tion législative, le processus revêt un aspect démocratique dans la mesure où le Parlement Pas à pas, la codécision législative s’étend, ren- européen élu assume le contrôle démocratique forçant le pouvoir du Parlement européen. sur la Commission. De toute évidence, le pou- Parallèlement, la capacité du Conseil augmente voir législatif de l’Union se démocratise dans la avec l’extension de la majorité qualifiée qui s’ap- mesure où le Parlement européen accroît son plique principalement lorsque le Conseil décide pouvoir en devenant le co-législateur commu- sur proposition de la Commission. A cette nautaire avec le Conseil. marque de confiance à l’égard de la Commission s’ajoute l’interdépendance de ces trois institu- Le contrôle démocratique tions appelées à agir en commun. Malgré les progrès modestes obtenus à Nice, la tendance Le Parlement européen, institution commu- générale s’oriente vers plus de démocratie et plus nautaire et démocratique par excellence, a ren- d’efficacité ainsi que vers l’esquisse d’un pouvoir forcé et étendu ses pouvoirs législatifs et budgé- législatif bicaméral. En assurant la double parti- taires progressivement depuis les années 70. cipation des Etats membres au Conseil et des Chaque nouveau traité a apporté un supplément peuples au Parlement européen de l’Union, ce de pouvoirs au Parlement européen et partant progrès témoigne de l’évolution de la une dose supplémentaire de démocratie à Communauté européenne vers un système fédé- l’Union européenne. Quant au pouvoir de ratif. De surcroît, ce bicaméralisme se reflète contrôle démocratique, il existe depuis le traité clairement dans le rôle du comité de conciliation

294 où sont présents les représentants du Parlement Désormais, l’existence des partis politiques est européen et du Conseil à l’exclusion de la formellement reconnue par les traités Commission reléguée à une tâche de médiation d’Amsterdam et de Nice. Ils sont importants au comme il est de tradition pour tout pouvoir exé- niveau européen à la fois en tant que facteur cutif. Cependant, l’ambivalence du Conseil d’intégration et de formation d’une conscience demeure dans la mesure où à côté de ses fonc- politique européenne et en tant que véhicules de tions législatives il exerce des fonctions gouver- la volonté politique des citoyens. Le Conseil a nementales plus nombreuses depuis que l’Union pour tâche d’officialiser l’existence des partis étend ses pouvoirs en matière de politique étran- politiques au niveau européen en fixant leur sta- gère, de sécurité et de défense. Une certaine tut et les règles relatives à leur financement. Ce confusion des pouvoirs constitue la maladie signe d’encouragement adressé aux partis poli- infantile du Conseil que la Constitution euro- tiques devrait les inciter à mieux se structurer en péenne cherche à atténuer en distinguant les partant des groupes politiques parlementaires, fonctions législatives des autres pouvoirs du afin d’assumer progressivement leur fonction Conseil. d’articulation et d’agrégation au niveau euro- Par ailleurs, les pouvoirs du Parlement euro- péen. Il n’en reste pas moins qu’aux côtés de péen se présentent sous différentes formes qui le groupes politiques européens qui reproduisent rapprochent de ses homologues nationaux : les clivages partisans, les délégations nationales contrôle démocratique, pouvoir budgétaire, continuent à jouer un rôle actif au sein du pouvoir d’approbation et d’investiture, avis Parlement européen. Dans la pratique, on assis- conforme ainsi que pouvoir d’enquête et d’audi- te au fonctionnement parfois boiteux d’une tion, d’initiative et de promotion. Ces divers grande coalition réunissant le PPE e le PSE avec procédés contribuent à éclairer les activités de le soutien des libéraux qui préfigure dans son l’Union européenne, d’autant que le Parlement ensemble une sorte de majorité européenne par européen est la seule institution transparente dont dessus les clivages nationaux et partisans. Le la fonction de communication élargit l’ouvertu- développement et la consolidation des fédéra- re de l’Union au public européen. tions de partis contribuent à leur tour à rééqui- librer l’influence des groupes d’intérêt et à for- Partis et groupes politiques mer de façon progressive une conscience poli- tique européenne dans un espace public euro- Fort de ces divers instruments, le Parlement péen élargi. européen conforte sa dimension politique. Par là Si par étapes successives la codécision et la même, il encourage les groupes politiques parle- majorité qualifiée ont gagné du terrain dans la mentaires à se constituer en noyaux des partis Communauté européenne, des « poches impor- politiques européens en devenir. Sans être assi- tantes d’unanimité » subsistent encore à présent milables aux partis politiques dans les fédéra- dans l’Union. Seule leur élimination doit per- tions suisse et américaine, ils s’en rapprochent mettre d’éviter des lenteurs, des paralysies et des dans la mesure où ces derniers existent principa- compromis au niveau du plus petit dénomina- lement dans les Cantons ou dans les Etats fédé- teur commun. Depuis le début du processus rés. Au plan fédéral, les partis ont un faible degré d’intégration, c’est le Parlement européen qui a de cohésion en Suisse, tandis qu’aux Etats-Unis, connu le développement le plus remarquable. ils renaissent au moment des élections présiden- D’institution consultative, le Parlement euro- tielles et législatives. La participation aux élec- péen s’est mu en une deuxième Chambre repré- tions européennes autour de 50 % est compa- sentant les peuples européens. Les traités succes- rable avec les moyennes suisses et américaines. sifs de l’Acte unique européen en passant par les Comme en Suisse, elle s’explique par le fait qu’il traités de Maastricht et d’Amsterdam ont gra- n’existe pas pour l’heure de lien direct entre les duellement renforcé les pouvoirs du Parlement résultats des élections européennes et la compo- européen contribuant ainsi à la démocratisation sition de la Commission qui reflète les majorités de l’Union européenne et à l’accroissement du gouvernementales des Etats membres. rôle des groupes et partis politiques.

295 Démocratie participative et logue permet aussi à la Commission de s’assurer consultative des appuis de groupes socio-économiques. De son côté, elle leur ouvre des accès auprès des Outre la participation des citoyens lors des centres de décision qui leur permettent d’exercer élections des députés européens, d’autres voies leur influence et d’apporter leur contribution. d’intervention citoyenne existent ou sont pré- Vecteurs d’informations et d’idées, porte-parole vues par la Constitution européenne qui intro- et intermédiaires des intérêts de secteurs et des duit la notion d’initiative populaire à partir d’un groupes de citoyens, ces groupes d’intérêt assu- million de signataires. Aussi les citoyens ont-ils ment néanmoins une forme de représentation et la possibilité d’adresser leurs plaintes ou leurs de participation spécialisée. L’impact de l’Union revendications au médiateur européen. Sans n’épargne non plus d’autres secteurs tels que les oublier qu’ils disposent d’un recours auprès de la médias et les milieux scientifiques, éducatifs et Cour de justice dont le domaine d’application culturels. Ces différents cercles en réseaux com- est étendu par la Constitution européenne. Le muniquent en continu notamment par des recours ouvert aux personnes physiques est un moyens électroniques sans pour autant dimi- élément d’équilibre dans une communauté démo- nuer l’apport des réunions et des contacts per- cratique : dans la mesure où les actes commu- sonnels qui créent des liens de confiance. Ainsi nautaires ont des effets obligatoires et exécu- se tisse un vaste réseau de liens et d’associations toires directs sur les résidants, la balance des lequel, selon Alexis de Tocqueville, forme l’in- pouvoirs, droits et obligations en démocratie frastructure sociale de la démocratie. exige en contrepartie que le recours soit ouvert Au cours des années 80, mais surtout depuis aux destinataires de ces actes. Afin d’élargir et de l’entrée en vigueur de l’Acte unique une véri- diversifier les sphères de communication et de table explosion du nombre de lobbyistes, de participation, nous avons lancé un projet conseils juridiques et financiers, de consultants d’Europass-citoyen sur Internet qui doit per- et de bureaux spécialisés s’est produite. mettre à tout un chacun qui le désire d’inscrire L’ensemble des effectifs de ces spécialistes en son profil sur Europass-citoyen afin de commu- affaires communautaires offrent une large niquer avec d’autres citoyens, associations ou gamme de services allant des consultations juri- institutions et de participer à des activités euro- diques et économiques aux relations publiques. péennes de son choix.5 Cet essaim de professionnels de tous genres pro- venant de divers pays de la Communauté mais Consultation et accès informels aussi des Etats-Unis permettent aux firmes qui, ou bien rencontrent des problèmes de distance De nombreux réseaux de groupes socio-éco- et de connaissance ou qui n’ont pas la dimension 5. Europass-citoyen, Projet nomiques notamment se sont tissés autour des suffisante pour entreprendre des actions de leur d’un outil numérique, centres de décision communautaires 6. L’impact propre chef, de se rapprocher des institutions startforyou.com, en associ- du pouvoir communautaire qui tend à s’ac- communautaires et de se familiariser avec les ation avec le Centre européen de la culture, croître et à se diversifier a suscité l’émergence de affaires européennes. septembre 2004. groupes socio-économiques, de divers lobbies et Les estimations concernant le nombre de lob- 6. Jean Meynaud, Dusan d’un nombre impressionnant d’experts et de byistes installés à Bruxelles sont variables, celle Sidjanski, Les groupes de pression dans la conseillers évalués à une dizaine de milliers. de Fortune de juin 1990, par exemple, avance le Communauté européenne, Dès les premières années chiffre de 3000. A son tour, la Commission éva- Bruxelles, NLB, 1970 ; du fonctionnement de la Communauté euro- lue la situation actuelle de la façon suivante : « D. Sidjanski, « Nouvelles péenne, la Commission a pris l’habitude de On estime qu’actuellement quelques 3000 tendances des groupes de pression dans l’Union consulter les milieux spécialisés au niveau euro- groupes d’intérêt employant jusqu’à 10000 per- européenne », in péen lors de l’élaboration de ses propositions et sonnes font du lobbying sous une forme ou une Politiques publiques en de ses décisions. Ce recours à une large consul- autre à Bruxelles. Ce total comprend plus de Europe, Dir. Yves Mény, Pierre Muller et Jean-Louis tation lui procure des données et des connais- 500 fédérations européennes et internationales Quermonne, Paris, L’ sances tout en lui offrant une meilleure image de (dont les membres appartenant à des associa- Harmattan, 1995. la répartition des forces et des intérêts. Le dia- tions nationales sont plus de 5000) ; 50

296 bureaux de représentation de Länder ou d’auto- importants, il devient l’une des cibles privilé- rités régionales et locales (dont certains peuvent giées aux côtés de la Commission européenne. bien entendu participer aux travaux menés dans La présence des représentants de groupes le cadre institutionnel de la Communauté) ; comme de lobbyistes dans les couloirs du plus de 200 entreprises directement représentées Parlement européen tant à Bruxelles qu’à ; environ 100 bureaux de consultants (gestion et Strasbourg témoigne, s’il en est besoin, de la relations publiques) présents à Bruxelles et beau- place que cette institution-clé occupe dans le coup d’autres qui s’occupent d’affaires commu- système politique de l’Union. nautaires. Enfin, les cabinets d’avocats spéciali- Suivant le modèle du Plan français, la CECA sés dans le droit communautaire sont au nombre a institutionnalisé dès le début la consultation d’une centaine en Belgique, sans parler de ceux des principaux intéressés, producteurs, utilisa- qui sont établis dans d’autres pays. » teurs et consommateurs regroupés au sein d’un Une autre évolution est due au développe- Comité consultatif. Cette expérience a été repri- ment technologique. Les télécopieurs et les se sous la forme d’un Comité économique et social réseaux de micro-ordinateurs permettent d’ac- (CES) où les différentes catégories actives sont croître l’efficacité des groupes européens en appelées à donner leurs avis sur les propositions diminuant l’importance de leurs administra- de la Commission ainsi que sur des questions et tions centrales, tout en augmentant leur capaci- des politiques communautaires. A ces organes té d’influence, grâce à la rapidité de consultation consultatifs s’ajoute un réseau impressionnant et à l’utilisation des expertises de leurs membres. de groupes de travail autour du Coreper du La constitution de nouveaux centres d’activités Conseil et de la Commission que l’on désigne et de coordination en matière de recherche et de couramment par le terme de comitologie.7 développement technologique offre un exemple L’émergence des régions européennes est une d’une innovation communautaire de portée à la des conséquences de la politique régionale de la fois scientifique, technologique et politique. Ces Communauté européenne. L’action du Fonds programmes inaugurent une nouvelle forme de européen de développement régional (FEDER) a collaboration entre les institutions publiques – encouragé la participation des régions au proces- communautaires, nationales et régionales – les sus d’intégration. D’une part, les régions ont dû milieux d’universitaires et de chercheurs et un s’organiser pour présenter, avec la participation troisième partenaire que sont les entreprises et des principaux intéressés, des projets de dévelop- les instituts d’investissement. pement, formant ainsi des pôles de participation régionaux. D’autre part, de nombreuses régions Consultation institutionnalisée ont créé des bureaux et des représentations auprès de la Commission afin d’exercer une influence Le nombre et l’activité des groupes et des asso- directe sur la répartition des aides communau- ciations ainsi que des lobbyistes et consultants taires. A une échelle régionale, nous retrouvons de diverses natures constituent un indicateur des modèles de participation au niveau commu- fiable quant à la répartition des pouvoirs et le nautaire avec en sus un aspect original qu’offre poids réel des institutions de l’Union européen- un plus fort engagement de responsables et ne. En effet, ces acteurs informels ne connais- acteurs politiques. Cette dimension nouvelle 7. Il s’agit d’un tissu dense sent pas, ni ne pratiquent d’actes gratuits mais contribue à une plus vaste participation et, par- de comités, d’organismes cherchent à concentrer leurs actions sur les tant, à la formation d’une Europe des citoyens. et de groupes de travail cibles qui sont des centres de décisions, institu- Le Comité des régions s’inscrit dans cette mou- œuvrant à divers niveaux tions, unités ou personnes, détenteurs effectifs vance. Certes, sa forme et ses fonctions actuelles et auprès de diverses insti- tutions. Ces noyaux sont de pouvoirs réels. effectifs et efficaces. Deux ne répondent pas aux propositions des Länder composés de représentants exemples illustrent la mobilisation, la mobilité allemands visant à instituer un Sénat des gouvernementaux, d’ex- et l’adaptabilité des stratégies des groupes, asso- Régions. Cependant, à la différence du Comité perts nationaux ainsi que d’experts d’organisations ciations et mouvements. A mesure que les pou- économique et social, le Comité des régions a professionnelles et de spé- voirs du Parlement européen s’accroissent et que une dimension politique, ses membres étant des cialistes indépendants. son rôle de co-législateur s’étend à des domaines élus des régions, des villes ainsi que des collecti-

297 vités publiques des communes. Tout en étant Quel avenir ? consulté souvent sur les mêmes questions que le CES, il est le seul à donner des avis notamment La vocation démocratique et fédérative de en matière de culture. Par sa nature et sa fonc- l’Union européenne, proclamée par le Congrès tion, le Comité des Régions élargit l’espace de de La Haye, s’inscrit dans les faits dès la création participation des citoyens aux processus d’inté- de la CECA. Elle s’est confirmée au travers du gration européenne. Faut-il rappeler que selon développement des pouvoirs du Parlement euro- Denis de Rougemont les régions et les com- péen, en particulier, et de la signature de la munes constituent par leur proximité des Constitution pour l’Europe. Tout récemment, espaces privilégiés de participation. les médias se sont fait largement l’écho des audi- Un exemple exceptionnel et novateur est fourni tions du Président et des commissaires désignés par la Convention qui a eu la tâche d’élaborer le – procédure dont ne sont que rarement coutu- projet d’une Constitution pour l’Europe. A la dif- miers les Parlements nationaux – ainsi que des férence des conférences intergouvernementales, la exigences, des tractations et des débats parle- Convention a rassemblé 105 membres et autant mentaires qui ont abouti à l’investiture de la de membres suppléants. C’est là une ouverture sur Commission Barroso à une large majorité des la société politique avec aux côtés des représen- deux tiers des suffrages. L’investiture a été accor- tants des 25 gouvernements et des institutions dée le 19 novembre 2004 par 449 voix, contre européennes nombreux parlementaires nationaux. 149 et 82 abstentions. Cette dynamique démo- Au delà de ces représentants des cercles dirigeants, cratique se renforce au fur et à mesure qu’aug- la Convention a été également à l’écoute des mou- mente le nombre d’associations et d’organismes vements, associations et des suggestions indivi- et que s’intensifie leur participation au processus duelles. De surcroît, la transparence de ses travaux d’intégration. Ce sont autant de canaux qui faci- a stimulé la participation comme en témoignent litent le rapprochement des citoyens des institu- de nombreux documents et avis. A ce titre, le tions européennes et leur participation à la mouvement européen, l’Union européenne des construction européenne. fédéralistes mais aussi le Centre européen de la La diffusion de nouvelles technologies de Culture ont retrouvé leur vocation originelle de communication – parmi lesquelles l’Internet et foyers d’idée et de promotion de projet d’une le SMS occupent une place privilégiée – prépare Fédération européenne. La diversité des opinions une profonde mutation de la démocratie. La et des conceptions a failli l’emporter sur l’unité vague d’innovations annonce dès à présent une d’un projet de Constitution susceptible d’aboutir transformation des relations tant à l’intérieur à un consensus général. Orchestré de main de qu’à l’extérieur de l’Union. La question reste maître par le Président Valéry Giscard d’Estaing, le ouverte de savoir si cette expérience singulière consensus a été obtenu sous la pression des parle- est transférable à d’autres régions qui évoluent mentaires nationaux et grâce à un sursaut de dans des environnements culturels et politiques conscience de la responsabilité et le l’intérêt com- différents. Ce cas exemplaire porte en lui des élé- mun des représentants gouvernementaux. De ments susceptibles d’entraîner dans son sillage toute évidence, plus de transparence et une d’autres communautés de pays et de créer ainsi meilleure écoute favorisent plus de participation et un mouvement de démocratisation des relations une plus grande diffusion par les médias. internationales.

298 Services sociaux d’intérêt général et droit communautaire par Marianne Dony *

La Commission, dans son livre blanc sur les services d’intérêt général1, a reconnu la nécessité de développer une approche systématique afin d’identifier et de reconnaître les particularités des services sociaux, qui recouvrent notamment les services de santé, les soins de longue durée, la sécurité socia- le, les services de l’emploi et le logement social, et de clarifier le cadre dans lequel ils fonctionnent ; elle a annoncé à cet égard la présentation, dans le courant de l’année 2005, d’une « communication sur les services sociaux d’intérêt général, y compris les services de santé, qui décrira l’organisation et le fonc- tionnement des services sociaux et de santé dans les États membres et dressera l’inventaire des politiques communautaires ayant un rapport avec la fourniture des services sociaux et de santé d’intérêt général. »

C’est que, dans le cadre de la consultation L’enseignement ouverte par le livre vert sur les services d’intérêt général2, les acteurs concernés par le domaine Dans un arrêt du 27 septembre 19885, la Cour des services sociaux ont manifesté une grande a estimé que les cours dispensés dans un institut inquiétude à l’égard de la problématique de la technique relevant de l’enseignement secondai- soumission des services sociaux aux règles de la re, dans le cadre du système d’éducation natio- concurrence et du marché intérieur aux services nale, ne peuvent être qualifiés de services, au sociaux d’intérêt et souhaité une clarté et une sens du traité CEE. En effet, les services sont prévisibilité accrue. définis comme les prestations fournies normale- Nous examinerons successivement la problé- ment contre rémunération ». Or, la caractéris- matique de l’applicabilité des règles de concur- tique essentielle de la rémunération, à savoir que rence et du marché intérieur (1), les dérogations celle-ci constitue la ‘contrepartie économique’ dont ils sont susceptibles de bénéficier (2) et les d’une prestation, fait défaut dans le cas de cours inquiétudes suscitées par les solutions actuelle- dispensés dans le cadre du système d’éducation ment retenues en la matière auprès des acteurs nationale car, « d’une part, en établissant et en concernés (3). maintenant un tel système, l’État n’entend pas s’en- gager dans des activités rémunérées, mais accomplit L’applicabilité des règles de la sa mission dans les domaines social, culturel et édu- concurrence et du marché intérieur catif envers sa population, et, d’autre part, le systè- me en cause est, en règle générale, financé par le aux services sociaux d’intérêt budget public et non par les élèves ou leurs général parents. » La Cour a ajouté que la nature de cette activité n’est pas affectée par le fait que, « par- * Directeur des recherches Les règles de la concurrence et du marché inté- fois, les élèves ou leurs parents sont obligés de payer juridiques à l’Institut d’Etudes européennes de rieur s’appliquent uniquement aux entreprises. La des redevances ou des frais de scolarité en vue de l’Université libre de notion d’entreprise « comprend toute entité exer- contribuer dans une certaine mesure aux frais de Bruxelles çant une activité économique, indépendamment du fonctionnement du système.» 1. Publié par la statut juridique de cette activité et de son mode de Dans un arrêt du 7 décembre 19936, la Cour Commission européenne 3 le 12 mai 2004, document financement » . Enfin, constitue une activité éco- a rappelé les termes de l’arrêt Humbel en souli- COM(2004) 374 final nomique « toute activité consistant à offrir des gnant que « ces considérations valent également 2. Publié par la biens ou des services sur un marché donné ». pour les cours dispensés dans un institut d’enseigne- Commission européenne le 21 mai 2003, document Qu’en est-il des services à caractère social dans ment supérieur dont le financement est assuré, pour COM (2003) 270 ce contexte ? l’essentiel, par des fonds publics ». Elle ajoute une 3. Arrêt du 23 avril 1991, La Cour de justice a consacré une abondante précision essentielle : « toutefois (…), s’il est vrai Höfner, aff. C-41/90. jurisprudence à ce sujet ; elle a posé le principe que la plupart des établissements d’enseignement 4. Arrêt du 17 février 1993, aff. C-159/91 et C- que les organismes qui remplissent une ‘fonction supérieur sont financés de cette façon, il en existe 160/91, Poucet et Pistre. de caractère exclusivement social’ 4 n’exercent pas néanmoins qui sont financés pour l’essentiel par des 5. Aff. 263/86, Humbel. une activité économique. Mais encore faut-il fonds privés, notamment par les étudiants ou leurs 6. Aff. C-109/92, Wirth. savoir ce qu’il faut entendre par là. La Cour a été parents, et qui cherchent à réaliser un bénéfice Associations transnationales amenée à se prononcer sur quatre types d’activi- commercial. Lorsqu’ils sont dispensés dans de tels 4/2004, 299-307 tés à caractère social. établissements, les cours deviennent des services au

299 sens de l’article 60 du traité. Le but poursuivi par travailleurs non salariés. La Cour a souligné que ces établissements consiste en effet à offrir un service les régimes en cause relevaient de la protection contre rémunération.» sociale obligatoire et qu’ils poursuivaient un Dans un arrêt du 15 mars 19887, la Cour a objectif social et obéissaient au principe de la confirmé qu’il « appartient à chaque Etat solidarité, dans la mesure où ils visaient à assurer membre de définir quels sont, en matière d’ensei- à l’ensemble des personnes qui en relèvent une gnement, le rôle et les responsabilités propres de couverture des risques de maladie, vieillesse, l’autorité publique », mais elle a considéré que décès et invalidité, indépendamment de leur des écoles privées de rattrapage ou d’enseigne- condition de fortune et de leur état de santé lors ment professionnel pouvaient être considérés de l’affiliation. Elle a aussi relevé que les presta- comme des services, pour la prestation desquels tions étaient identiques pour tous les cotisants, toute discrimination fondée sur la nationalité les cotisations proportionnelles aux revenus, et était proscrite. enfin que les régimes excédentaires participaient Dans le domaine de l’enseignement, la Cour au financement des régimes déficitaires. Enfin, fait donc une nette distinction entre l’éducation elle a noté que, dans l’exécution de leur mission, en tant que bien public et service public, qui n’a les organismes en cause n’ont aucune possibilité pas de caractère économique, et les services pri- d’influer sur le montant des cotisations, l’utilisa- vés d’éducation et de formation qui sont quant tion des fonds et la détermination du niveau des à eux des activités économiques. prestations qui sont fixés par la loi. La Cour a déduit de ces éléments que « les organismes en Les bureaux de placement cause remplissaient une fonction de caractère exclu- Dans son arrêt du 23 avril 1991 précité, la sivement social. Cette activité est, en effet, fondée Cour a rejeté l’argument du gouvernement alle- sur le principe de la solidarité nationale et dépour- mand, selon lequel l’activité de placement de vue de tout but lucratif. Les prestations versées sont cadre et de dirigeants ne relevait pas du champ des prestations légales et indépendantes du montant d’application des règles de concurrence, dès lors des cotisations. » qu’elle était exercée par l’office allemand pour La Cour a précisé la portée de cet arrêt dans l’emploi, un organisme public qui fournit ces un arrêt ultérieur du 16 novembre 1995, qui services à titre gratuit. Elle a posé le principe, concernait cette fois un régime complémentaire 9 7. Aff. 147/86, sans se justifier à cet égard, que « l’activité de d’assurance vieillesse en faveur des agriculteurs . Commission/Grèce; voy. placement est une activité économique ». Elle La Cour a relevé qu’il s’agissait d’un régime aussi l’arrêt du 28 octobre ajouté que le statut juridique et le mode de facultatif, fonctionnant selon le principe de la 1999, aff. C-55/98, financement de l’entité en cause étaient inopé- capitalisation et que les prestations dépendaient Skatteministeriet, dans lequel la Cour a confirmé rants, dès lors qu’elle exerce une activité écono- des cotisations versées par chaque adhérent, que l’organisation de cours mique. Enfin, elle a estimé que la circonstance ainsi que des résultats financiers des investisse- de formation profession- qu’en Allemagne les activités de placement sont ments effectués par l’organisme gestionnaire, nelle étaient des services normalement confiées à des offices publics ne pour conclure qu’il s’agissait d’une activité éco- entrant dans le champ d’application de l’article saurait affecter la nature économique de ces acti- nomique, exercée en concurrence avec les com- 59 du traité. vités, ajoutant que « les activités de placement pagnies d’assurances vie ». 8. Solution confirmée n’ont pas toujours et ne sont pas nécessairement Fallait-il déduire de ces arrêts une ligne de « dans deux arrêts ultérieurs du 11 décembre 1997, aff. exercées par des entités publiques, tout particulière- démarcation » fondée sur le caractère obligatoire C-55/96, Job Centre, et ment en ce qui concerne les activités de placement ou non de l’assurance sociale ? La Cour a répon- du 8 juin 2000, aff. C- de cadre et de dirigeants d’entreprises »8. du par la négative dans trois arrêts parallèles du 258/98, Carra. 21 septembre 199910 : elle a en effet jugé qu’un 9. Aff. C-244/94, Fédération française des Les organismes de sécurité sociale. fonds de pension chargé de la gestion d’un régi- sociétés d’assurances. La Cour a consacré une importante jurispru- me de pension complémentaire, auquel l’affilia- 10. Aff. C-67/96, Albany dence à cette problématique. Dans l’affaire tion est obligatoire pour tous les travailleurs du ; aff. C-115/97 à C- 117/97, Brentjens, et aff. Poucet et Pistre déjà citée, elle a eu à connaître secteur concerné, exerce une activité économique C-219/97, Drijvende d’organismes chargés en France de la gestion de en concurrence avec les compagnies d’assurances, Bokken. certains régimes de sécurité sociale destinés aux dans la mesure où il détermine lui-même le mon-

300 tant des cotisations et des prestations et fonc- avant le principe de solidarité qui lie les caisses tionne selon le principe de la capitalisation. de maladie et qui permet « d’opérer entre elles En revanche, dans un arrêt du 22 janvier une péréquation des coûts et des risques, une com- 200211, la Cour a dénié la qualité d’entreprise à pensation étant effectuée entre les caisses de mala- l’INAIL, l’organisme chargé par la loi italienne die dont les dépenses de santé sont les moins élevées de la gestion de l’assurance contre les accidents et celles qui assurent des risques coûteux et dont les du travail et les maladies professionnelles. D’une dépenses liées à ceux-ci sont les plus importantes.» part, elle relève deux éléments permettant d’éta- Elle en déduit que « les caisses de maladie ne sont blir que le régime d’assurance en cause met en donc pas en concurrence entre elles ni avec des éta- oeuvre le principe de la solidarité : les cotisa- blissements privés pour l’octroi des prestations tions sont calculées non pas seulement sur la légales obligatoires en matière de soins ou de médi- base du risque lié à l’activité de l’entreprise caments qui constitue leur fonction essentielle » concernée, mais également en fonction des reve- L’avocat général Jacobs était arrivé à une conclu- nus de l’assuré ; et le montant des prestations sion différente, en raison de la marge de liberté versées n’est pas nécessairement proportionnel dont les caisses de maladie disposent pour fixer aux revenus de l’assuré et aux cotisations acquit- le taux des cotisations et se faire ainsi une certai- tées, ce qui implique une solidarité entre les tra- ne concurrence pour attirer des affiliés. La Cour vailleurs les mieux rémunérés et ceux qui, comp- a estimé que cette circonstance était inopérante, te tenu de leurs faibles revenus, seraient autre- car le législateur a introduit cet élément de ment privés d’une couverture sociale adéquate. concurrence en matière de cotisations afin d’in- D’autre part, elle souligne que l’activité de citer les caisses de maladie à exercer leur activité l’INAIL est soumise au contrôle de l’État et que selon les principes d’une bonne gestion, à savoir le montant des prestations ainsi que des cotisa- de la manière la plus efficace et la moins coû- tions est, en dernier ressort, fixé par ce dernier. teuse possible, dans l’intérêt du bon fonctionne- La Cour est arrivée à une conclusion similaire ment du système de sécurité sociale allemand. dans un arrêt du 22 mai 200312, à propos de La Cour reconnaît cependant qu’il ne peut être l’Institut grec des assurances agricoles (ELGA), exclu qu’en dehors de cette fonction de nature après avoir mis l’accent sur trois éléments : la exclusivement sociale, les caisses de maladie se contribution finançant ELGA revêt essentielle- livrent à des opérations ayant une finalité autre ment la nature d’une charge imposée par l’État que sociale et qui seraient quant à elles de natu- ; c’est l’État qui détermine les caractéristiques, y re économique14. compris le taux, de cette charge ; enfin la natu- Ici, le critère de distinction semble donc rési- re et le niveau des prestations fournies par der dans l’existence ou non d’un lien direct entre ELGA sont fixés par le législateur national. Mais cotisations et prestations ainsi que dans la liber- la Cour précise que cet organisme n’est pas une té ou l’absence de liberté de fixer le montant de entreprise, « en tout cas pour ce qui concerne ses celles-ci. activités au titre du régime d’assurance obligatoire contre les risques naturels. ». Par conséquent, si Les services de santé l’organisme en cause exerce à la fois des activités Selon un arrêt du 25 octobre 200115, des orga- économiques et des activités ‘à finalité purement nisations sanitaires qui assument le transport sociale’, chacune de ces activités est soumise à d’urgence et le transport de malades, fournissent son régime juridique propre. des services, moyennant rétribution des utilisa- 11. Aff. C-218/00. De même, s’agissant des caisses de maladie du teurs. La Cour souligne que telles activités n’ont 12. Aff. C-355/00. régime légal d’assurance maladie allemand, la pas toujours été et ne sont pas nécessairement 13. Arrêt de la Cour du 13 16 mars 2004, aff. C- Cour a souligné qu’elles « sont légalement exercées par de telles organisations ou par des 264/01. contraintes d’offrir à leurs affiliés des prestations autorités publiques. Elle reconnaît que des obli- 14. Elle estime cependant obligatoires, pour l’essentiel identiques, qui sont gations de service public peuvent rendre les ser- que ce n’est le cas en l’espèce. indépendantes du montant des cotisations. » Elle vices fournis par une organisation sanitaire don- 15. Aff C-475/99, Firma ajoute qu’elles « n’ont ainsi aucune possibilité née moins compétitifs que des services compa- Ambulanz Glöckner. d’influer sur ces prestations ». Enfin elle met en rables effectués par d’autres opérateurs non liés

301 par de telles obligations, mais considère que gratuite de services à ses affiliés sur la base d’une cette circonstance ne saurait empêcher que les couverture universelle » activités en cause soient considérées comme des La jurisprudence semble ainsi, comme en activités économiques16. matière d’enseignement, faire une distinction Dans un arrêt du 12 juillet 200117, la Cour a entre le ‘système national de santé’ qui preste des été amenée à examiner la question de savoir dans soins publics et gratuits et n’exerce pas une acti- quelle mesure les dispositions relatives à la libre vité économique et la ‘médecine libérale’, qui pré- prestation des services peuvent s’appliquer aux sente un caractère économique, même si son soins hospitaliers. Le régime d’assurance maladie coût est en définitive totalement ou partielle- applicable aux Pays-Bas prévoit la gratuité des ment pris en charge par les pouvoirs publics, à soins pour les assurés, à la condition qu’ils travers les systèmes de sécurité sociale. s’adressent à un des établissements de soins avec La pratique de la Commission européenne est lesquels leur caisse a passé une convention. dans la droite ligne de la jurisprudence de la Plusieurs gouvernements ont soutenu que les Cour de justice. Ainsi, dans une décision du 22 services hospitaliers, lorsqu’ils sont dispensés août 200220, la Commission, saisie d’une plain- gratuitement en nature dans une infrastructure te à l’encontre d’allègements fiscaux instaurés hospitalière en vertu du régime d’assurance, ne par les autorités italienne au profit des fonda- 16. Cette circonstance constituent pas une activité économique. tions bancaires, a examiné si l’activité de ces fon- fondera en revanche la L’avocat général était arrivé à une conclusion dations était une activité économique. Elle a qualification de service d’intérêt économique similaire, en mettant en avant les particularités estimé que la première de leur activité, à savoir général. du régime d’assurance applicable aux Pays-Bas. le versement de contributions à des organismes 17. Aff. C-157/99, Smits Selon ce système, les caisses signent avec les éta- sans but lucratif qui agissent dans les secteurs (épouse Geraets) et Peerbooms. blissements de soins des conventions dans les- indiqués par la loi, était une activité ‘caractère 18. La Cour relève à cet quelles elles fixent à l’avance le contenu et la exclusivement social’, fondée ‘sur le principe de la égard que les traitements qualité des prestations ainsi que l’intervention solidarité’. La Commission observe en outre que médicaux en cause, dis- financière de la caisse, et l’intervention financiè- les fondations n’opèrent pas selon les critères de pensés dans des États membres autres que celui re a davantage pour objet de financer les établis- marché normaux, et que d’ailleurs il n’existe pas d’affiliation, ont bien sements qui les fournissent que de couvrir le de ‘marché’ pour ce type particulier d’activité. donné lieu à une rétribu- coût réel de l’hospitalisation. La Cour n’a pas L’analyse a été différente en ce qui concerne les tion directe des établisse- ments prestataires par le retenu ces arguments. Elle a estimé que « la cir- activités que les fondations bancaires peuvent patient. Elle souligne constance qu’un traitement médical hospitalier est exercer dans certains secteurs tels que : aide aux qu’une prestation médicale financé directement par les caisses d’assurance catégories sociales défavorisées, enseignement, dispensée dans un État maladie sur la base de conventions et de tarifs pré- recherche scientifique et technologique, protec- membre et rétribuée par le patient ne saurait cesser de établis n’est pas de nature à le soustraire du domai- tion de l’environnement, arts, sauvegarde du relever du champ d’appli- ne des services »» Selon la Cour, les paiements patrimoine culturel et encouragement d’activités cation de la libre presta- effectués en l’espèce par les caisses de maladie, « culturelles. La Commission souligne que, dans tion des services garantie même s’ils sont forfaitaires, constituent bien la la majeure partie des secteurs ainsi indiqués, on par le traité du seul fait que le remboursement des contrepartie économique des prestations hospita- trouve des opérateurs qui exercent une activité soins en cause est sollicité lières et présentent donc un caractère rémunératoi- similaire à des fins lucratives. L’activité de pres- au titre de la législation re dans le chef de l’établissement hospitalier qui en tation de services hospitaliers, l’activité d’une sur l’assurance maladie d’un autre État membre bénéficie et qui est engagé dans une activité de type galerie d’art ou d’une agence de protection des qui prévoit essentiellement économique. » La Cour ajoute qu’il n’est pas personnes impliquent des opérations écono- une intervention en nature nécessaire que la rémunération soit payée par miques ; sur ces marchés, la présence des fonda- 19. Aff. T-319/99 ceux qui bénéficient de la prestation18. tions est donc susceptible de fausser la concur- 20. Décision de la 19 Commission du 22 août Dans un arrêt du 4 mars 2003 , le Tribunal de rence et leur activité ne peut dès lors pas être 2002 relative aux mesures première instance a estimé que, en revanche, le totalement soustraite au contrôle du respect des fiscales mises à exécution système national de santé espagnol fonctionnait règles de concurrence. par l’Italie en faveur des fondations bancaires, « conformément au principe de solidarité dans son En synthèse, le critère essentiel pour qualifier 2003/146/CE, JO L 55 du mode de financement par des cotisations sociales et une activité d’économique, consiste à vérifier si 1er mars 2003. autres contributions étatiques et dans sa prestation cette activité, même si elle est exercée dans un

302 but non lucratif par un organisme public ou par pement économique et social, à de grands chan- un organisme poursuivant une finalité sociale, gements, les bureaux publics de placement ris- s’exerce sur un marché dans lequel elle peut quent de ne pas être en mesure de satisfaire une entrer en concurrence avec une activité similaire partie significative de toutes les demandes en exercée contre rémunération par une entité pri- prestations. Par conséquent, en interdisant, sous vée poursuivant un but lucratif. Un élément peine de sanctions pénales et administratives, important à prendre en compte est la faculté toute activité de médiation et d’interposition éventuelle de l’entité d’influencer le niveau de la entre demandes et offres d’emploi, lorsqu’elle contrepartie exigée pour les prestations de ser- n’est pas exercée par des bureaux publics de pla- vices fournies. S’agissant de la présence de cer- cement, un État membre crée une situation dans tains éléments de solidarité, il faut vérifier si ces laquelle lesdits office seront nécessairement éléments sont si fondamentaux et essentiels amené à contrevenir aux termes de l’article 82 du qu’une entité privée ne pourrait les assumer ou traité, interdisant les abus de position dominante, s’ils présentent un caractère plus limité, n’ex- notamment parce qu’ils ne sont manifestement cluant pas la qualification d’activité écono- pas en mesure de satisfaire, pour tous genres d’ac- mique21. tivités, la demande que présente le marché du tra- Dans sa communication de 200022 sur les ser- vail. L’incompatibilité de principe des droits vices d’intérêt général, la Commission a indiqué exclusifs avec le droit communautaire de la que « nombre d’activités exercées par des orga- concurrence a été confirmée sans ambiguïté par nismes dont les fonctions sont essentiellement l’arrêt Albany précité. La Cour relève d’abord que sociales, qui ne réalisent pas de profits et n’ont pas le régime de pension complémentaire proposé par pour objectif de pratiquer une activité industrielle les fonds sectoriels est basé sur la norme en ou commerciale, seront normalement exclues de vigueur aux Pays-Bas, mais elle ajoute que cer- l’application des règles communautaires relatives à taines entreprises d’un secteur déterminé souhai- la concurrence et au marché intérieur. Cela couvre teraient assurer à leurs travailleurs un régime de plusieurs activités non économiques d’organismes pension allant au-delà de celui proposé par le tels que les syndicats, les partis politiques, les églises fonds sectoriels et que, dans une telle hypothèse, et associations religieuses, les associations de elles seraient dans l’impossibilité de confier la ges- consommateurs, les sociétés savantes, les organisa- tion d’un tel régime de pension à un seul assureur. tions caritatives ou humanitaires. Toutefois, Elle souligne enfin que la restriction de la concur- lorsque de tels organismes, dans l’accomplissement rence qui en résulte découle directement du droit de leur mission d’intérêt général, s’engagent dans exclusif conféré au fonds sectoriel de pension des activités économiques, l’application des règles La qualification d’entreprise a aussi pour communautaires à ces activités économiques se fera conséquence de faire entrer le financement de sur la base des principes énoncés dans la présente leurs missions d’intérêt général par les pouvoirs communication, en tenant compte notamment de publics dans le champ d’application des disposi- l’environnement social et culturel dans lequel ces tions du traité relatives aux aides d’Etat. activités sont exercées. » La question se pose alors de savoir dans quelle 21. Conclusions de Quelles sont les conséquences de la qualifica- mesure la nature particulière des missions qui l’avocat général Jacobs tion des services sociaux en tant qu’activité éco- sont confiées aux services sociaux d’intérêt géné- dans l’affaire Inail ; voy. aussi le ‘non paper’ intitulé nomique ? ral permet, par application de l’article 86, para- « Services d’intérêt Elle peut en premier lieu conduire à une remi- graphe 2, du traité, de justifier des dérogations à économique général et se en cause des droits exclusifs dont certains ser- l’application des règles relatives au marché inté- aides d’Etat », document vices sociaux bénéficient. Ainsi, dans les affaires rieur et à la concurrence. de discussion préparé par les services de la Hofner et Job Services, la Cour a souligné que le Commission, disponible marché des prestations afférentes au placement Le recours à la dérogation de sur le site Internet de la des travailleurs est, d’une part, très vaste et, direction générale l’article 86, paragraphe 2 Concurrence, n° 32. d’autre part, hautement diversifié. Elle en déduit 22. JO C 17 du 19 janvier que, sur un marché aussi étendu et différencié, En vertu de l’article 86 paragraphe 2, « les 2001. qui est, de surcroît, sujet, en raison du dévelop- entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt

303 économique général ou présentant le caractère d’un geants d’entreprises, exercées par des sociétés pri- monopole fiscal sont soumises aux règles du présent vées de conseil en recrutement, la Cour a estimé traité, notamment aux règles de concurrence, dans que leur suppression ne saurait faire échec à la les limites où l’application de ces règles ne fait pas mission particulière impartie à cet office, dès lors échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la que celui-ci n’était manifestement pas en mesure mission particulière qui leur a été impartie ». de satisfaire la demande que présente le marché à Cette disposition est-elle susceptible de s’ap- cet égard et qu’il tolère, en fait, une atteinte à son pliquer aux services sociaux ? Dès lors que la droit exclusif par ces sociétés. Cour a retenu une définition très large de l’acti- En revanche, elle a admis la légitimité des vité économique, elle a également adopté une droits exclusifs attribués à un fonds sectoriel conception large de la notion de missions d’in- gérant le régime de pension complémentaire. térêt ‘économique’ général. Elle a ainsi décidé Elle a souligné que, en cas de suppression du qu’elle pouvait viser l’activité de placement de droit exclusif du fonds de gérer le régime de pen- demandeurs d’emploi23, la « fonction sociale sion complémentaire pour tous les travailleurs essentielle que remplit un régime de pension com- d’un secteur déterminé, les entreprises plémentaire » dans le système de pension aux employant un personnel jeune et en bonne santé Pays-Bas en raison du montant réduit de la pen- exerçant des activités qui ne sont pas dangereuses sion légale, fonction sociale dont l’importance a rechercheraient des conditions d’assurance plus été reconnue par l’adoption, par le législateur avantageuses auprès d’assureurs privés. Le départ communautaire, de la directive 98/49/CE du progressif des ‘bons’ risques laisserait au fonds Conseil, du 29 juin 1998, relative à la sauvegar- sectoriel de pension la gestion d’une part crois- de des droits à pension complémentaire des tra- sante de ‘mauvais’ risques, provoquant ainsi une vailleurs salariés et non salariés qui se déplacent hausse du coût des pensions des travailleurs, et à l’intérieur de la Communauté24, ou encore notamment de ceux des petites et moyennes l’obligation d’assurer en permanence le trans- entreprises disposant d’un personnel âgé exerçant port d’urgence de personnes malades ou blessées des activités dangereuses, auxquelles le fonds ne sur l’ensemble du territoire concerné, à des tarifs pourrait plus proposer de pensions à un coût uniformes et à des conditions de qualité simi- acceptable. Selon la Cour, il en va d’autant plus laires, sans égard aux situations particulières ou ainsi, lorsque, comme dans l’affaire au principal, au degré de rentabilité économique de chaque le régime de pension complémentaire géré exclu- opération individuelle25. sivement par le Fonds se caractérise par un degré Mais, dans le même temps, la Cour a souligné élevé de solidarité en raison, notamment, de l’in- qu’une entreprise chargée de la ‘gestion d’un ser- dépendance des cotisations par rapport au vice d’intérêt économique général’ reste soumise risque, de l’obligation d’accepter tous les tra- aux règles de concurrence, tant qu’il n’est pas vailleurs sans examen médical préalable, de la démontré que leur application est incompatible continuation de la constitution de la pension en avec l’exercice de sa mission. dispense de versement des cotisations en cas d’in- Elle a été amenée à examiner d’une part dans capacité de travail, de la prise en charge par le quelle mesure l’accomplissement d’une mission Fonds de l’arriéré de cotisations dû par l’em- d’intérêt économique général peut justifier l’oc- ployeur en cas de faillite de ce dernier ainsi que troi de droits exclusifs, d’autre part si le finance- de l’indexation du montant des pensions afin de ment d’obligations de service public tombe dans maintenir leur valeur. En effet, de telles le champ d’application des dispositions relatives contraintes qui rendent le service fourni par le aux aides d’Etat. Fonds moins compétitif qu’un service compa- rable fourni par les compagnies d’assurances L’octroi de droits exclusifs contribuent à justifier le droit exclusif de ce 23. Arrêts Höfner précité. S’agissant des droits exclusifs dont bénéficiait Fonds de gérer le régime de pension complé- 24. Arrêts du 21 sep- tembre 2000 précités. l’office public allemand pour l’emploi, pour mentaire. La Cour en conclut que la suppression 25. Arrêt du 12 juillet l’emploi en matière de placement, par rapport du droit exclusif conféré au Fonds pourrait abou- 2001 précité. aux activités de placement de cadres et de diri- tir à l’impossibilité pour ce Fonds d’accomplir les

304 missions d’intérêt économique général qui lui ciaires pour exécuter des obligations de service ont été imparties dans des conditions économi- public échappe à la qualification d’aide d’Etat, quement acceptables et mettre en péril son équi- mais à la condition qu’elle remplisse quatre libre financier. conditions strictes, à savoir : De même, dans l’affaire Firma Ambulanz Premièrement, l’entreprise bénéficiaire doit Glöckner, la Cour a estimé que les deux services effectivement être chargée de l’exécution d’obli- traditionnellement assumés par les organisations gations de service public, et ces obligations doi- sanitaires, à savoir les services de transport urgent vent être clairement définies. de malades et les services de transport non urgent Deuxièmement, les paramètres sur la base des- étaient étroitement liés l’un à l’autre, de sorte que quels est calculée la compensation doivent être les services de transport non urgent de malades préalablement établis, de façon objective et sont difficilement dissociables de la mission d’in- transparente, afin d’éviter qu’elle comporte un térêt économique général que constituent les ser- avantage économique susceptible de favoriser vices de transport urgent et avec laquelle ils pré- l’entreprise bénéficiaire par rapport à des entre- sentent d’ailleurs des caractéristiques communes. prises concurrentes. Ne répond pas à cette Elle a relevé aussi que l’extension que l’extension condition, aux yeux de la Cour, la compensation des droits exclusifs des organisations sanitaires au par un Etat membre des pertes subies par une secteur du transport non urgent de malades leur entreprise sans que les paramètres d’une telle permettait précisément d’assurer leur mission compensation aient été préalablement établis, d’intérêt général, touchant au transport urgent, lorsqu’il s’avère a posteriori que l’exploitation de dans des conditions d’équilibre économique. La certains services dans le cadre de l’exécution possibilité qu’auraient les entrepreneurs privés de d’obligations de service public n’a pas été écono- se concentrer, dans les services de transport non miquement viable. urgent, sur des trajets plus lucratifs pourrait por- Troisièmement, la compensation ne saurait ter atteinte à la viabilité économique du service dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout fourni par les organisations sanitaires et, par ou partie des coûts occasionnés par l’exécution conséquent, mettre en cause la qualité et la fiabi- des obligations de service public, en tenant lité dudit service. Mais la Cour indique que la compte des recettes y relatives ainsi que d’un solution ainsi admise ne serait plus valable s’il bénéfice raisonnable, afin de garantir qu’aucun devait être établi que les organisations sanitaires avantage qui fausse ou menace de fausser la chargées de la gestion du service d’aide médicale concurrence, en renforçant la position concur- d’urgence ne sont manifestement pas en mesure rentielle de cette entreprise, n’est accordé à l’en- de satisfaire en permanence la demande de trans- treprise bénéficiaire. port médical d’urgence et de transport de Quatrièmement, lorsque le choix de l’entrepri- malades », et que, dans ce cas, la justification de se à charger de l’exécution d’obligations de servi- l’extension de leurs droits exclusifs, tirée de la ce public, dans un cas concret, n’est pas été effec- mission d’intérêt général, ne pourrait être admise. tué dans le cadre d’une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat Le financement d’obligations de services capable de fournir ces services au moindre coût public pour la collectivité, le niveau de la compensation Depuis quelques années, la problématique du nécessaire doit être déterminé sur la base d’une financement public des services d’intérêt général analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, est devenue un sujet brûlant en droit commu- bien gérée et adéquatement équipée en moyens nautaire. Après une longue période de ‘flotte- de transport afin de pouvoir satisfaire aux exi- ment’ de la jurisprudence et de la pratique de la gences de service public requises, aurait encourus Commission, la Cour de justice a finalement pour exécuter ces obligations, en tenant compte tranché la question, dans son arrêt déjà devenu des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice rai- célèbre Altmark Trans du 24 juillet 200326 : une sonnable pour l’exécution de ces obligations. compensation représentant la contrepartie des À la suite de l’arrêt Altmark, la Commission a 26. Affaire C-280/00. prestations effectuées par les entreprises bénéfi- proposé une refonte du cadre réglementaire

305 applicable aux compensations accordées par les ne s’en trouve pas gravement faussée » (point 71). États membres aux entreprises fournissant des Il a préconisé « d’exclure d’une manière générale services réputés servir l’intérêt général. A cet les activités à but non lucratif, par exemple à carac- effet, elle a lancé des consultations sur deux pro- tère social, culturel ou caritatif, des contrôles visant jets de propositions. les aides d’État et de l’application du droit com- La première mesure proposée est une décision munautaire de la concurrence, au même titre que de la Commission relative au financement les activités relevant des prérogatives de la puissan- public à échelle relativement réduite de certaines ce publique ». Dans sa résolution sur le Livre entreprises qui sont chargées de la fourniture vert sur les services d’intérêt général28 le d’un service dans l’intérêt public. Ce finance- Parlement européen a proposé l’application des ment, pour autant qu’il ne dépasse pas un cer- critères suivants :« finalité (commerciale ou non) tain plafond annuel de fonds publics et que ses de la prestation et de la mise à disposition, part du bénéficiaires ne réalisent pas un chiffre d’affaires financement public, importance de l’investisse- annuel, toutes activités confondues, supérieur à ment, poursuite d’un but lucratif ou intention de un plafond donné sera considéré comme com- couvrir les coûts, analyse avantages-coûts de la pres- patible avec le marché commun et exonéré de tation locale par rapport à l’adjudication au l’obligation de notification préalable. Les pla- niveau européen, obligation de garantir des droits fonds devront être finalisés à la lumière des sociaux, contribution à la participation à la vie commentaires reçus dans le cadre de la consulta- sociale et à l’intégration sociale », ajoutant que « tion. Il en ira de même, sans limitation de mon- ces critères peuvent également être invoqués pour tant, pour les compensations de service public instaurer des exemptions aux règles de la concur- octroyées aux hôpitaux et aux entreprises en rence générale dans le cas de services économiques charge du logement social. d’intérêt général » (point 21) La deuxième mesure est un document de tra- De même, le Comité économique et social vail des services de la Commission, préparant un européen, dans son avis sur le livre vert29, a esti- encadrement relatif cette fois au financement mé que « la frontière entre caractère économique public à grande échelle. et non économique est floue, hasardeuse et incertai- ne, ce qui conduit aujourd’hui à des formes d’insé- Les inquiétudes quant au statut des curité juridique croissante » ; il en a donc appe- acteurs du secteur social lé à une clarification. Il a souligné que « toute prestation d’intérêt général, même celle fournie à Le Parlement européen, dans sa résolution sur titre non lucratif ou bénévole représente une certai- la communication de la Commission de 200027, ne valeur économique sans pour autant devoir rele- a estimé que « la communication de la ver du droit de la concurrence. En outre, un même Commission ne tient pas suffisamment compte de service peut être à la fois marchand et non mar- l’importance particulière que revêtent les orga- chand. De même, un service peut avoir un caractè- nismes indépendants de bienfaisance et autres asso- re marchand sans que, pour autant, le marché soit ciations bénévoles qui, dans certains États à même d’assurer un service dans la logique et membres, offrent une gamme de services d’intérêt d’après les principes régissant les services d’intérêt 27. Adopté le 13 général s’inspirant de principes de solidarité, général. » Selon le CESE, l’important n’est pas novembre 2001, COM (2000)580 C5-0399/2001 éthiques, religieux, à caractère caritatif ou présen- de distinguer entre service économique ou non 2001/2157(COS), tant une grande diversité culturelle » (point 70). économique, mais de mettre effectivement en rapporteur Werner Il a mis l’accent sur « la nécessité de promulguer, œuvre le principe de subsidiarité et, à cette fin, Langen. pour les services socialement importants du secteur d’identifier les « types de services (régalien ou 28. Adoptée le 14 janvier 2003, document COM social et culturel, une exemption par catégorie qui d’intérêt national, régional ou local, système obli- (2003) 270 – permette aux citoyens de bénéficier, à l’avenir, de gatoire d’éducation, de santé et de protection socia- 2003/2152(INI), sur ces services à des conditions particulières et à des le, activités culturelles, caritatives, à caractère social rapport de Philippe Herzog. prix compétitifs, et qu’il doit être permis d’utiliser, ou basé sur la solidarité ou des dons, etc.) pour les- 29. N° 2004/C 80/20, JO à cet effet, des recettes publiques, de manière ouver- quels ne s’applique pas le droit commun de la C 80 du 30 mars 2003. te et transparente, pour autant que la concurrence concurrence. »

306 On retrouve la même préoccupation dans régulé de façon particulière, gestion au niveau local, l’avis du Comité des régions30, qui souligne que, sans influence sur les échanges communautaires, exis- pour décider si un service d’intérêt général doit tence de bénévolat ou de dons, rémunération fixée ou ou non être soumis aux règles de concurrence, il non comme une contrepartie du service rendu, per- ne faut pas s’arrêter au seul critère de la nature manence de la plupart de ces éléments dans la durée, économique ou non économique du service en la cohésion sociale, le contrôle démocratique, l’amé- question et que « les aspects politiques dans le nagement du territoire, le développement durable et domaine considéré doivent également entrer en la mise en oeuvre du principe de solidarité » ligne de compte. À titre d’exemple, pour les hôpi- La Commission répond-elle réellement à ces taux publics, le principe de base n’est pas le marché, préoccupations dans son livre blanc sur les ser- mais la satisfaction des besoins des citoyens en vices d’intérêt général ? matière de santé, conformément à la politique de Nous ne le pensons pas. Certes, la Commission santé au niveau national, régional et local » souligne l’importance des services sociaux d’inté- (point 2.5.2). Le CdR propose d’établir, sur la rêt général, en tant que partie intégrante du base des décisions de la Cour de justice et de la modèle européen de société et annonce une com- Commission, une liste de « certaines activités munication. Elle reconnaît que les règles commu- non économiques «typiques» en tant que telles (par nautaires peuvent avoir une incidence sur les ins- exemple, les activités des écoles publiques, les truments de mise en oeuvre et de financement de régimes de base de sécurité sociale obligatoires, et ces services, mais, selon elle, « une reconnaissance certaines activités exercées par des organismes à claire de la distinction entre les missions et les ins- vocation sociale, qui n’ont pas pour objectif de pra- truments devrait favoriser une clarté accrue en vue tiquer une activité industrielle », estimant que de la modernisation de ces services dans un contexte cette liste contribuerait grandement à la sécurité marqué par l’évolution des besoins des usagers, tout juridique. en préservant leur singularité liée à des exigences Les organisations du secteur non marchand, particulières, notamment en matière de solidarité, dans les -nombreuses- contributions qu’elles ont de collaboration bénévole et d’insertion de groupes de déposées dans le cadre de la consultation ouver- personnes vulnérables . La grande lacune à nos te par le livre vert de la Commission européen- yeux du livre blanc est qu’il évoque seulement ne sur les services d’intérêt général, ont insisté d’une part les ‘services marchands pour la fournitu- elles aussi sur la nécessité d’une clarification des re des services sociaux et de santé’, à l’égard desquels notions de services marchands et non mar- elle estime nécessaire de préciser les effets que chands. Plusieurs d’entre elles31 ont ainsi suggé- pourrait avoir le droit de la concurrence de ré l’établissement d’une liste indicative de cri- l’Union européenne et d’autre part les services tères témoignant de l’existence d’un service non assurés ‘directement par l’entremise d’organismes marchand : d’État financés par l’impôt’, qui - on le suppose -, « existence ou non d’un marché (dans une zone échapperaient au droit de la concurrence. Elle ne donnée, dans des conditions données), sur lequel exis- semble donc absolument pas reconnaître l’exis- te une concurrence, rentabilité ou non, caractère oné- tence en la matière d’un ‘troisième pilier’ qui reux ou non des prestations rendues, subvention serait constitué par un secteur ‘privé non mar- accordée par la puissance publique, réponse à un chand’. La distinction entre le marchand et le non besoin fondamental ou un droit de la personne marchand est donc loin d’être suffisamment cla- 30. N° 2004/C 73/02, JO humaine, domaine d’intervention considéré comme rifiée. C 73 du 22 mars 2003. 31. Voy. notamment les contributions de la Conférence européenne permanente des coopéra- tives, mutualités, associa- tions et fondations, d’Eurocoop ou du Comité européen des associations d’intérêt général

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Book Reviews Recensions

Civil Society, by Michael Edwards*, Polity: London, 2004. 402 pages. Index.

The notion of civil society has been very much and the state in which membership and activi- in fashion in International Relations for the last ties are voluntary” - that is NGOs, labour ten years. It has acquired a global meaning in unions, political parties, religious groups, pro- the aftermath of the 1989 revolutions in Eastern fessional and business associations, community Europe and the rapid growth of non-govern- and self-help groups, social movements and the mental organizations (NGOs). Radically differ- independent media (p. 20). At the global level, ing interpretations of the meaning of civil soci- Neo-Tocquevillians focus on the rise of non ety have been proposed. Such effervescence state actors during the last ten years, most threatens to generate much conceptual confu- notably on the emergence of transnational net- sion rather than clarity, all the more so because works of NGOs that are now supposed to form of a lack of rigorous attention to the theoretical a “global civil society”. Edwards criticizes the traditions allowing for the wording of these var- “three-sector model of society” which underlies ious conceptions of civil society in the first this school of thought by arguing that civil soci- place. Michael Edwards’ book provides a very ety, the state, and economic actors are inextrica- valuable contribution in this respect. It propos- bly interwoven, and that these categories tend to es a fine blend of theoretical insights and practi- vary accross countries, cultures and different cal examples. periods in time. Instead, he propounds “a sys- The first chapter aims at clarifying the differ- tems view of associational life that looks at the ent interpretations of the concept of civil soci- different components of civil society and how ety. It starts by emphasizing its “chameleon-like they interact both with each other and with qualities” (p. 3) and goes on to examine how this public and private institutions” (p. 32). In this polysemic nature has been used to justify very perspective, civil society organisations form a contrasting, if not antagonist views. According complex and fragile “ecosystem” whose health to Edwards, the outcome has been intellectual and strength depend on its achievement of confusion, which has created a backlash against internal institutional pluralism, that is on the the idea of civil society (p. vii). Thus, greater capacity to represent multiple interests and per- clarity and rigour are needed if civil society is to form multiple functions. It appears however be considered more than a slogan. The first step that these supposedly “healthy” attributes of in this direction is to sketch a brief history of the civil society are opposed by recent trends of pro- idea of civil society in political thought. With fessionalization of the non-profit sector and its great clarity, Edwards provides us with a geneal- concomitant disconnexion from its social base. ogy of the idea of civil society from antiquity to The second school of thought defines civil the recent debates on deliberative democracy. society in normative terms, that is as a desirable He proposes to focus on three schools of (good) type of society. At the transnational level, thought in order to clarify the current debate it refers to the idea that civil associations are about civil society: civil society as part of society responsible for the diffusion and the socializa- (the world of associational life), civil society as a tion of ethical norms like human rights, peace kind of society (the good society), and civil soci- and solidarity. This perspective hinges upon the ety as the public sphere. These analytical models idea of a correlation between the means (civil of civil society are each examined in turn in the associations) and the ends (the achievement of following chapters. the good society). Such a link between ends and * Michael Edwards is The first school of thought derives essentially means is however problematic because there is Director of the Ford from Tocqueville’s ideas and depicts civil society no a priori reason why civil associations should Foundation’s Governance as a social sphere distinct from states and mar- be shot through solely with shared ethical aspi- and Civil Society Program. kets. More precisely, civil society represents a rations. Indeed, there are many situations where Transnational Associations “third” or “non-profit” sector containing “all civil society organisations actually defend sec- 4/2004, 309-311 associations and networks between the family toral interests (business associations) rather than

309 transcend them, or promote exclusionary ideas maintain itself if it is not embedded in a good (religious groups) rather than tolerance. society that supports the (normative) goals of Edwards is therefore right to assert that “associ- social solidarity and democratic participation. ational life per se is unlikely to guarantee a par- In turn, the pursuit of these goals requires more ticular set of social norms and values, still less than a healthy associational ecosystem. Without the connection between these norms and the a properly functional public sphere, there is no goals of the good society.” (p. 42). In addition, space where conflicting views of a good society the pursuit of the good society cannot be can be confronted and discussed, and where a thought of independently from the activity of political consensus can be secured. economic actors and from government preroga- Transnational networks of NGOs perform a tives in this matter. Indeed, a civil society cannot similar function at the global level, by working maintain itself without markets and vice-versa, as a “public” to which citizens can appeal and and it is also dependent on government action, which provides broader access to deliberation in particular on the definition and the provision and multiplies sources of influence on regimes. of public goods and on the role of the state in The book concludes (chapter 6) with some rec- “securing the preconditions for equal civic par- ommendations to help build “the preconditions ticipation and legal protection for associations” for effective interactions between associational (p. 51). life, the public sphere and the good society” (p. The third school of thought represents civil 95). Edwards underlines two such prerequisites. society as a sphere distinct from the social sys- The first is to reduce all forms of inequality and tems of the market economy and the state discrimination, promote active political partici- bureaucracy, capable of enhancing public delib- pation of citizens, guarantee the independence eration and stimulating participation in political of associations and communicative frameworks, processes. Based on a deliberative understanding and encourage institutional cooperation and of democracy, it claims that free discussion and partnerships. The second is to provide incen- rational argument can attenuate conflictual tives for citizens to engage in service to the good issues, bring about agreement and thus con- society through the public sphere. tribute to achieving consensus on the ends of The main criticism which can be directed the good society. The problem is, public delib- against Edwards’ three models of civil society is eration may not always lead to a rational and that they appear often to overlap, thus weaken- optimal definition of the public interest, as ing their conceptual salience. For instance, the processes of commodification engender inequal- model of civil society as a kind of society (the ities and prevent equal access to voice and par- good society) is not intrinsically different from ticipation. In this context, some groups may the one of civil society as the public sphere, since well exert a predominant influence on the defi- the latter actually also refers to a desirable type nition of the good society. Thus, Edwards con- of society founded on the neo-Kantian project cludes that if the theory of the public sphere of democratic peace. In both models, civil soci- does shed light on the potential of civil society ety organisations are supposed to diffuse values to enhance democracy, it “fails to explain how to and ethical norms in relation to their definition deal with the structural factors that determine of the good society. Thus, the differentia specifi- its effectiveness (like inequality in voice)” (p. 71) ca which sets apart these two models is not so in its relationship to democracy. much the normative act of defining a good soci- After this critical overview, Edwards sets about ety, but rather their focus on a different set of to propose, in chapter 5, “an integrated actors. Indeed, civil society as a kind of society approach of civil society that unites elements of provides a more general perspective, encompass- all three models” (p. 91). He perceives civil soci- ing a wider range of institutions (crucially gov- ety as a pluralist and lively associational ecosys- ernment and business) than the model of civil tem which is a necessary (but not sufficient) pre- society as the public sphere which refers more condition for the achievement of a good society. narrowly to non state actors situated out of the Indeed, such an associational ecosystem cannot political and economic spheres. In addition, the

310 book’s three-model conceptualisation does not at once to an existing social sphere and to a pro- allow the inclusion of neo-Gramscian interpre- grammatic (revolutionary) conception of social tations of civil society in contemporary interna- change. tional relations. At the national level, Gramsci The qualification made here does not belittle emphasized how civil society organisations con- in any way the fact that Edwards has certainly tribute to legitimate the domination of some provided us with a lucid and well balanced groups on others, how they perform a hege- analysis. Though he claims to be a “civil society monic function. On the other hand, he viewed revivalist” (p. 112), his views are neither overly this sphere to have an emancipatory potential enthusiastic nor one-sidedly discontented. And because of its strategic role in the revolutionary we can only agree with him when he asserts that struggle. Today, Gramscian theoretical insights “it is governments’ responsibility to deal with do much to shed light on the ambivalent role the root causes that keep citizens from partici- played by civil society organisations in the con- pating, and participating equally, in association- text of globalisation, that is both in the repro- al life and the public sphere, and that means duction and the transnational contestation of market regulation as well as legislation to pro- this dynamic. The relative neglect of this school mote security and the guaranteed satisfaction of of thought in Edwards’ book may be related to basic human needs.” (p. 89). If the aim of the the first criticism (the possibility of overlaps book was “to encourage readers to come to a between the three models of civil society), in more informed and nuanced set of judgements that it tends to fit two models of civil society - about the civil society debate” (p. vii), it has as a part of society (the world of associational been fully achieved. life) and as a kind of society (the good society). Indeed, Gramsci’s conception of civil society is Virgile Perret both descriptive and prescriptive, as it refers all Université de Lausanne

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Association News Vie associative

Millennium +5 Summit:

The UN Secretary-General has summit to review the implemen- The report can be viewed online at released the advanced, unedited tation of the Millennium http://www.un.org/News/ossg/sg/repo version of a Report on the the Declaration, and the integrated rt10-final.pdf . modalities, format and organiza- follow-up to the major United For background information, ongo- tion of the high-level plenary Nations conferences and summits ing analysis and research, and cam- meeting of the 60th session of the in the economic, social and related paign initiatives relating to the United Nations General fields. Millennium Development Goals, Assembly, which is a follow-up to The Secretary-General’s recom- visit the UN-NGLS MDG portal the outcome of the Millennium mendations in the attached report at http://www.un-ngls.org/mdg.htm. Summit. are based on the report of the The portal also offers a Millennium In Resolution A/RES/58/291, facilitators and the precedence of +5 Listserver with the latest devel- the General Assembly decided to the 2000 Millennium Summit. opments on the 2005 Millennium convene in New York, in 2005, a Summit.

Troisième classement mondial de la liberté de la presse L’Asie orientale et le Moyen- monde pour la liberté de la presse. D’autres petites démocraties, Orient sont les pires régions au Cuba (166e) est, après la Chine, souvent pauvres, se glissent égale- monde la plus grande prison du monde ment parmi les pays traditionnel- Reporters sans frontières publie pour les journalistes (26 détenus). lement les plus respectueux de la son troisième classement mondial Depuis le printemps 2003, ces liberté de la presse : El Salvador de la liberté de la presse. C’est en journalistes indépendants croupis- (28e) et Costa Rica (35e) en Asie orientale (Corée du Nord, sent en prison, après avoir été Amérique centrale, le Cap-Vert 167e en dernière position ; condamnés à des peines allant de (38e) et la Namibie (42e) en Birmanie, 165e ; Chine, 162e ; 14 à 27 ans de réclusion. Afrique, ou le Timor-Leste (57e) Viêt-nam, 161e ; Laos, 153e) et Au Turkménistan (164e) et en en Asie. au Moyen-Orient (Arabie saoudi- Erythrée (163e), il n’existe aucune Pour établir ce classement, te, 159e ; Iran, 158e ; Syrie, 155e presse privée. Les habitants de ces Reporters sans frontières a deman- ; Irak, 148e) que la liberté de la pays n’ont aucune autre source dé à ses organisations partenaires presse est le plus menacée. Dans d’information que les médias (14 associations de défense de la ces pays, soit la presse indépen- d’Etat, relais dociles de la propa- liberté d’expression dispersées sur dante est tout simplement inexis- gande officielle. les cinq continents), à son réseau tante, soit les journalistes sont En tête de ce classement, on de 130 correspondants, à des soumis à une répression et à une retrouve majoritairement des pays journalistes, des chercheurs, des censure quotidiennes. Ni la liberté d’Europe du Nord (Danemark, juristes ou des militants des droits de l’information, ni la sécurité des Finlande, Irlande, Islande, de l’homme de répondre à 52 journalistes n’y sont garanties. En Norvège, Pays-Bas), véritables questions permettant d’évaluer la Irak, la guerre qui perdure est la havres de paix pour les journa- situation de la liberté de la presse plus meurtrière de ces dernières listes. Sur les vingt pays les mieux dans un pays. 167 nations y appa- années pour la profession (44 tués classés, seuls trois (Nouvelle- raissent, les autres sont absentes, depuis le début du conflit, en Zélande, 9e ; Trinidad et Tobago, par manque d’informations. mars 2003). 11e ; et le Canada, 18e) ne sont http://www.rsf.org/article.php3?id Il reste malheureusement beau- pas européens. _article=11707 coup d’autres points noirs dans le

313 Global Unions calls on IMF and World Bank to incorporate labour and employment issues into their work

The persistence of extreme supportive of achievement of the process, they have done so will- poverty and the failure to meet MDGs, particularly through ingly, as was confirmed in a recent many development goals are usu- improving their attention to World Bank paper on trade ally linked to lack of employment, labour issues as part of poverty unions’ participation in PRSPs. poor wages and working condi- reduction policies. However in other countries where tions, and violations of workers’ The lack of attention paid to trade union proposals on employ- rights. In their most fundamental labour and employment questions ment, labour and structural policy functions, trade unions work to is particularly notable in Poverty issues have been ignored in the combat these causes of poverty. Reduction Strategy Papers PRSP or are superseded by IFI Furthermore, in their campaigns (PRSPs). The PRSPs generally do loan conditions, unions question trade unions often play a major not set employment targets and the usefulness of continuing to role in the forefront of working define strategies for achieving participate in the process. The towards results that have become them, or elaborate strategies for IMF and World Bank must part of the MDGs, such as improving wages and working encourage borrowing countries to achieving universal primary edu- conditions to levels that allow develop policy options in PRSPs cation or combating the spread of households to live above poverty that truly reflect national priori- HIV/AIDS. All too frequently thresholds. This absence is strik- ties to reduce poverty, rather than however, the IFIs’ policy advice ing, in light of the fact that the standard IFI prescriptions to pri- and loan conditions counteract MDGs have set targets that relate oritize market-oriented economic trade unions’ efforts to contribute specifically to income levels, liberalization. to achievement of the MDGs, employment levels for women and Summary of Statement by Global particularly the attainment of unemployment rates. Where trade Unions to the 2004 Annual MDG 1 for eradicating extreme unions feel they can make a Meetings of the IMF and World poverty. The present statement meaningful contribution to Bank Washington, 2-3 October describes how IFI policies and national development and poverty 2004 practices can more consistently be reduction through the PRSP

Trade traps not trade talks: stop economic partnership agreements

Traidcraft*, along with partners European Social Forum (ESF) in argues that ACP countries will across the UK, Europe and Africa, London, will call on the public to suffer, as their governments will is calling on the European Union reject EPAs. The campaign is sup- be fo rced to give into EPAs to stop Economic Partnership ported by over 120 organisations because of heavy dependence on Agreements (EPAs). African and from across Europe and Africa. EU aid, forcing open their mar- European civil society experts will EPAs are reciprocal trade deals kets to European goods and ser- be in Brussels from Monday 18th arising from the Cotonou vices. For example, it is estimated to Wednesday 20th October to Agreement that are being devel- that under liberalised trade with discuss their concerns with deci- oped between the EU and 77 the EU, only 25 per cent of sion makers at the European countries across Africa, the Ghanaian industries would sur- Commission and the European Caribbean and the Pacific (ACP). vive and it would take 15 years to Parliament. According to the EU, EPAs aim restructure the Jamaican sugar The Stop EPA campaign, to integrate the ACP states into industry. launched last Friday (15th the world economy, promote sus- According to Traidcraft, this October) by Traidcraft, Action tainable development and con- trade liberalisation will threaten Aid, Christian Aid, CAFOD and tribute to poverty eradication. 750 million of the world’s poorest Action for Southern Africa at the However the Stop EPA campaign people because:

314 • Market liberalisation will force and is going against the advice of dramatically changes, EPAs will local enterprises to compete its own consultants. An EC lead to deeper unemployment, with subsidised European goods Sustainability Impact Assessment loss of livelihoods, food insecurity and services conducted by and social inequality in ACP • ACP governments will lose the PriceWaterhouseCoopers finds countries. ACP governments will right to protect local businesses that for the Caribbean the “Fiscal face significant losses in public and regulate foreign companies impacts of reciprocity are a revenue from the elimination of to ensure they create local jobs tremendous challenge”, and that import duties and will continue or use local resources “EPAs could lead to the collapse to suffer the problem of capital • They will receive less money of the manufacturing sector in flight associated with liberalisa- from trade taxes on European West Africa” . tion. We are calling on the public goods and have less to spend on Nancy Kachingwe of Africa to join the campaign to stop health and education Trade Network, a key member of EPAs”. The Stop EPA campaign argues the Stop EPA campaign says, The campaign calls on the that ACP countries will suffer “EPAs are completely inconsistent European Union to: unfairly under EPAs because: with the goal of poverty eradica- • Stop the current direction of • Poor countries will not get spe- tion, economic development and negotiations cial treatment and will not be basic social rights. Governments • Remove the demand for recip- exempt from opening up their need to go back to the drawing rocal trade opening and new economies as much as rich board a nd work on a trade issues from their negotiating countries regime that responds directly to mandate • EPAs will force controversial the needs of developing countries, • Allow the necessary policy space ‘new’ issues through the back rather than the imperatives of the for ACP countries to pursue door that the WTO dismissed WTO or the trade agenda of the their own development strate- at Doha (‘Singapore issues’: European Union”. Oduor gies investment, transparency in Ong’wen (SEATINI Kenya): • Work urgently to change WTO government procurement, com- “Treating unequal forces as if they rules and investigate alternatives petition policy and trade facili- were equal amounts to injustice. that leave ACP countries better tation) But that is the basic premise of – not worse - off, as was • EPAs are already undermining EPA’s.” promised in the Cotonou regional integration that is cen- Liz Dodd, trade policy adviser Agreement tral to ACP countries’ develop- for Traidcraft says, “The over- For more information on the Stop ment strategies whelming emphasis on liberalisa- EPA campaign see • The EU refuses to discuss alter- tion in the EPA negotiations www.stopepa.org. natives to EPAs that would ben- proves that they are about efit rather than harm develop- expanding Europe’s access to ACP Press release, Monday, 18th ing countries markets, rather than about ACP October 2004, 12:00 Traidcraft points out that even countries’ development. Unless the EU is aware of these dangers the direct ion of the negotiations

315 L’argent propre et les dégâts de ses profits baladeurs

“Il n’y a que trois vrais flux au Bolivie ont propulsé à la “une” de nombre de pays pauvres sont monde, constatait feu le comman- l’actualité les problèmes de déve- aujourd’hui dominés par des élites dant Cousteau, la mer, l’air et l’ar- loppement causés, entre autres, passées maîtresses dans l’art de gent.” Il aurait pu préciser : les par l’évasion fiscale à grande dissimuler leurs avoirs dans des flux financiers qui traversent la échelle. paradis fiscaux, observe John planète. En particulier ceux prove- Christensen. Au cours des der- nant des multinationales et des Paradis fiscaux nières années, la situation s’est grosses fortunes qui pratiquent détériorée. Des moyens financiers, l’”optimisation fiscale”. La situation est d’autant plus matériels et humains considérables En termes plus prosaïques, il inquiétante que deux éléments qui pourraient être investis dans s’agit d’argent propre qui échappe supplémentaires sont venus des programmes sociaux, éducatifs à l’impôt. De l’argent détourné le accroître les capacités de nuisance. ou écologiques sont détournés plus légalement du monde, grâce Le premier tient à la mondialisa- pour disparaître en toute légalité aux conseils d’experts-comptables, tion et à son corollaire : la libre dans des places offshore.” à ne pas confondre avec l’argent circulation des fonds à la noir de la fraude fiscale. C’est recherche d’un havre fiscal peu L’opposition des lobbies contre ce système que se mobilise regardant. Deux chiffres suffisent aujourd’hui Tax Justice Network, à pointer l’ampleur du problème : Cet économiste de formation une nouvelle ONG britannique 150 000 sociétés extraterritoriales fut conseiller économique du gou- aux ramifications internationales. opaques - trusts, fondations, hol- vernement de Jersey, paradis fiscal La mise en place, le 13 octobre, dings destinés à cacher les vrais des îles Anglo-Normandes, entre d’un secrétariat basé à Londres, bénéficiaires - se créent chaque 1987 et 1998. Hostile à la poli- copié sur le modèle d’Amnesty année dans le monde. tique du tout-financier, M. International, atteste la volonté de De même, on compte aujour- Christensen donne sa préférence à combattre les astuces utilisées par d’hui soixante-trois paradis fiscaux un développement plus équilibré. les grandes sociétés et les super- contre vingt-cinq au cours des Chemin faisant, il s’est heurté à riches pour payer le minimum années 1970. Ainsi, ces centres l’opposition des lobbies chargés d’impôts. financiers offshore, qui ne repré- des intérêts des grandes banques “L’évasion fiscale légale porte un sentent que 1,2 % de la popula- internationales. énorme préjudice à l’économie tion mondiale et 3 % du PNB Détail piquant, Tax Justice mondiale, affirme John planétaire, accueillent 31 % des Network montre du doigt le Christensen, le coordinateur de bénéfices et 26 % des actifs des Royaume-Uni dans le recyclage de Tax Justice Network. La concur- compagnies multinationales amé- ces fonds peu avouables. En effet, rence fiscale déloyale et l’existence ricaines. plus de la moitié des paradis fis- des paradis fiscaux favorisent les La prolifération de ces “comp- caux du globe sont d’anciennes multinationales au détriment des toirs” de l’argent caché est double- colonies de la Couronne (îles entreprises tournées vers le mar- ment négative. D’un côté, elle Caïmans, les Bahamas, etc.), ou ché intérieur, les grandes sociétés entraîne la diminution de la capa- des territoires d’outre-mer aux dépens des PME, la vieille cité des Etats souverains, en parti- (Gibraltar, îles Vierges, Pitcairn, économie sclérosée par rapport culier les nations dépourvues etc.), ou encore des confettis sous aux start-up innovantes.” d’administration fiscale digne de tutelle (île de Jersey, îles de Les crises financières russe et ce nom, de lever l’impôt. De Guernesey, île de Man). brésilienne de 1998, les scandales l’autre, elle augmente l’instabilité Par ailleurs, comme l’atteste le Enron, Parmalat ou Vivendi, les financière internationale. traitement de faveur accordé aux campagnes contre la dette des Le second élément est l’aggrava- “résidents non domiciliés”, un sta- pays pauvres lancées par les rock tion de la crise économique dans tut sur mesure concocté pour atti- stars Bono et Bob Geldof ainsi le tiers-monde, en particulier en rer les armateurs grecs, les traders que la récente crise énergétique en Afrique subsaharienne. “Bon français ou les grosses fortunes du

316 Proche-Orient, Londres encourage sur le financement de la lutte sation à l’actionnaire, l’importan- de facto ce phénomène. contre la pauvreté souligne les dif- ce des créations d’emplois par les L’Inland Revenue, le service des ficultés d’imposition d’une taxe multinationales, les pressions de la impôts de Sa Majesté, ferme éga- internationale. L’absence d’autori- concurrence, voire les impôts sur lement les yeux sur les transferts té mondiale en matière fiscale est le revenu payés par les chefs d’en- de bénéfices entre filiales via des la pièce manquante de l’accord de treprise et autres banquiers d’af- coquilles vides, les special purpose Bretton Woods (juillet 1944) faires. L’activité des centres offsho- vehicles, qui leur permettent d’al- créant le Fonds monétaire interna- re est souvent la seule source de léger au maximum les taxes sur les tional et la Banque mondiale, esti- revenus pour ces microterritoires. bénéfices. me la nouvelle ONG. Les efforts Existe-t-il une solution ? Les Enfin, arc-bouté sur l’échange du Forum de stabilité financière experts consultés ne sont guère d’informations, Londres s’oppose créé par le G7, de l’Organisation optimistes. Les profits baladeurs avec acharnement à toute taxe sur de coopération et de développe- ont apparemment de l’avenir. l’épargne des non-résidents. ment économiques, et surtout du Reste que l’impôt, en particulier L’objectif est de protéger la Groupe d’action financière sur le sur les grandes entreprises, City, premier centre financier blanchiment des capitaux (GAFI) demeure un rouage essentiel du mondial, qui, à sa manière, peut pour trouver une parade aux dan- fonctionnement des sociétés se montrer accommodante, même gers que font courir les paradis fis- démocratiques. Quand les contri- depuis les attentats du 11 sep- caux ne sont qu’une étape pour buables les plus riches y échap- tembre 2001 aux Etats-Unis. Les tenter d’immuniser le système pent, le contrat social s’affaiblit. déclarations de guerre contre ce financier international contre les Avec des conséquences drama- type de dérapages se multiplient. enormes flux d’argent. tiques, comme la hausse de la Mais il est peu probable qu’elles pression fiscale sur les classes soient suivies d’effets. Trop de Contrat social affaibli moyennes dans les pays dévelop- grands pays, quoi qu’ils en disent, pés ou l’atrophie des services n’y ont pas intérêt. Contre ces attaques, les parti- publics dans le tiers-monde. La Le rapport remis à Jacques sans de la mondialisation invo- collectivité tout entière se trouve Chirac par le groupe de travail quent la liberté pour les capitaux alors perdante. présidé par l’inspecteur général d’aller et venir. Ils ont beau jeu Marc Roche des finances Jean-Pierre Landau d’évoquer les impératifs de valori- Le Monde, 26 octobre 2004

Le statut de « société européenne » est entré en vigueur L’objectif du statut de “société européenne et de reconnaître leur Finlande, le Danemark, l’Islande européenne” est de créer une place et leur rôle dans l’entreprise. et la Suède. société européenne - désignée sous A l’heure actuelle, seuls six Etats Cette législation doit permettre son nom latin de “Societas ont modifié leur législation dans les rapprochements entre les Europaea” ou SE - ayant son le temps imparti. Avant d’être entreprises européennes, dans la propre cadre juridique afin de adopté en 2001, le statut de « foulée de l’euro. Elle prévoit permettre à des sociétés consti- société européenne » a fait l’objet quatre modes possibles : la consti- tuées dans des États membres dif- de trente ans de pourparlers. tution d’une SE par fusion, la férents de fusionner, de former Opérationnel depuis le 8 octobre constitution par création d’une une société holding ou une filiale 2004, ce cadre juridique a tou- société holding, la constitution commune, tout en évitant les jours du mal à entrer dans les sous forme de filiale commune et contraintes juridiques et pratiques faits. A ce jour, seuls six des vingt- la transformation d’une société qui résultent de quinze ordres cinq Etats membres ont fait le anonyme de droit national. La juridiques différents. Il s’agir nécessaire pour permettre aux fusion est limitée aux sociétés d’autre part d’organiser l’implica- entreprises d’opter pour ce régime anonymes d’États membres diffé- tion des salariés dans la société : l’Autriche, la Belgique, la rents. La création d’une société

317 européenne holding est ouverte sans devoir -comme c’est le cas participation des salariés avec un aux sociétés anonymes et aux actuellement - dissoudre l’entre- organe unique représentant tous SPRL ayant une présence com- prise dans un État membre pour les salariés des sociétés concernées. munautaire, soit des sièges dans en créer une nouvelle dans un S’il s’avère impossible d’aboutir à des États membres différents ou autre État membre. un arrangement satisfaisant pour des filiales ou succursales dans des Le statut de SE a été complété les deux parties, un jeu de prin- pays autres que leur siège. La par une directive sur la participa- cipes de base s’applique, dont la constitution d’une SE sous forme tion des travailleurs, qui concilie nature exacte dépend de la forme de filiale commune est ouverte à des conceptions aussi diverses que de la participation des travailleurs toute entité de droit public ou la cogestion des entreprises à l’al- dans les sociétés avant la constitu- privé suivant les mêmes critères. lemande et le système plus libéral tion de la société européenne. Le siège statutaire de la SE doit en faveur en Grande-Bretagnevou Le texte intégral du règlement sur correspondre au lieu où se trouve en Espagne, susceptible de mettre le statut de la SE et de la directive son administration centrale, c’est- en cause le rôle des syndicats. La connexe sur la participation des tra- à-dire à son siège réel. La SE peut directive prévoit que la création vailleurs est disponible à l’adresse facilement transférer son siège à d’une société européenne suivante : http://europa.eu.int/scad- l’intérieur de la Communauté implique une négociation sur la plus/leg/fr/lvb/l26016.htm

Forum 2004 du Conseil de l’Europe Finance, consommation et cohésion sociale Déclaration pour le citoyens pour promouvoir de nou- meilleure coordination des actions lancement d’une plate-forme velles formes d’action écono- et avoir des politiques écono- de dialogue politique et de miques qui s’inscrivent dans une miques qui prennent en compte promotion des initiatives approche de cohésion sociale, par les problèmes sociaux et environ- éthiques et solidaires des les moyens d’action dont ils dis- nementaux pertinents ; citoyens dans l’économie posent, notamment par la c. Ce dialogue doit être basé sur consommation et l’utilisation de une volonté commune d’intégrer Le Forum « Finance solidaire et leurs épargnes ». les dimensions sociale, écono- consommation responsable : pou- mique et environnementale dans voirs publics et citoyens engagés Convaincus que : une perspective de cohésion socia- pour la cohésion sociale » , organisé le et développement durable, en par le Conseil de l’Europe les 4 et 5 a. Il y a un intérêt croissant de s’appuyant sur des valeurs d’équi- novembre 2004, a adopté la décla- la part des autorités publiques té, de solidarité et de réciprocité et ration en se basant sur l’affirmation pour l’engagement des citoyens sur des principes éthiques de de la stratégie de cohésion sociale dans ces initiatives qui ont des transparence, d’ouverture et de révisée du Conseil de l’Europe, objectifs convergents avec leurs partage ; approuvée par le Comité des propres objectifs sociaux et envi- d. Dans le contexte de la globali- Ministres le 31 mars 2004, que : ronnementaux ; sation et des rapports entre pays de a. la cohésion sociale et le déve- b. Le dialogue des autorités l’Europe élargie, il y a un besoin loppement durable, c’est-à-dire la publiques avec les organisations croissant de dialogue entre les auto- capacité de la société à assurer le citoyennes engagées dans des ini- rités publiques et la société civile ; bien-être de tous, y compris des tiatives économiques éthiques, res- Les participants au forum « générations futures, relèvent d’une ponsables et solidaires et équi- Finance solidaire et consomma- co-responsabilité partagée entre tables est essentiel pour préciser tion responsable : pouvoirs toutes les parties de la société ; et les différents aspects concernant la publics et citoyens engagés pour la que co-responsabilité pour le bien être cohésion sociale », comprenant b. on assiste à « une préoccupa- de tous et jeter les bases d’un par- des membres de différentes ins- tion naissante de la part des tenariat qui puisse assurer une tances du Conseil de l’Europe, des

318 réseaux de la finance solidaire et la l’impact de ces initiatives. - au développement des initia- consommation responsable, des 3. Estiment que la plate-forme tives éthiques, responsables, responsables de la société civile et doit impliquer la participation solidaires et équitables, notam- d’autres personnes concernées par d’autres acteurs, notamment : ment dans les pays où ils sont la problématique, - les autorités nationales compé- pour le moment encore peu 1. Prennent acte de l’existence tentes dans des domaines spéci- présents, de nombreuses formes de dialogue fiques, - à des échanges sur ce thème et partenariat entre les institutions - des chercheurs et réseaux de avec d’autres institutions inter- publiques, y compris les organisa- chercheurs travaillant sur ces nationales, notamment la tions internationales, et les initia- thèmes qui pourront, apporter Commission Européenne, tives citoyennes éthiques, respon- des éclairages, assurer un suivi l’Organisation pour la sables et solidaires et équitables et et faciliter le dialogue et la défi- Coopération et le les ONG autour d’objectifs com- nition des objectifs à atteindre, Développement Economique muns de cohésion sociale et déve- - des représentants des media qui (OCDE), le Bureau loppement durable dans les diffé- pourront jouer un rôle essentiel International du Travail (BIT), rents pays d’Europe, que ce soit dans l’information et la divulga- les autres agences des Nations au niveau international, national, tion de ces nouvelles approches Unies, la Banque de régional ou local et les prennent et pratiques afin d’assurer une Développement du Conseil de en compte pour la réflexion sur meilleure compréhension par le l’Europe, la Banque Européenne un cadre d’action au niveau euro- grand public des idées de res- d’Investissement, les autres péen. ponsabilité partagée, banques de développement. et, 2. Proposent la mise en place, - des représentants des entreprises plus généralement: avec le support du Conseil de qui seront amenées à présenter - à une meilleure intégration des l’Europe, d’une « Plate-forme leur point de vue sur une res- dimensions sociale et environ- européenne de dialogue politique ponsabilité partagée pour la nementale dans l’économie et de promotion des initiatives cohésion sociale et le développe- grâce à une plus grande interac- éthiques, responsables et solidaires ment durable à différents tion entre les politiques des citoyens dans l’économie », niveaux territoriaux, publiques et les initiatives afin de : - des syndicats qui pourront éga- éthiques, responsables et soli- - mieux connaître et mettre en lement présenter le point de vue daires des citoyens dans l’écono- valeur la pertinence des initia- des salariés dans une responsa- mie ; tives éthiques, responsables et bilité partagée. - à une plus grande cohésion solidaires dans l’économie pour 4. Attendent de la plate-forme sociale et au développement la cohésion sociale, qu’elle puisse contribuer: durable aux différents niveaux - échanger les expériences de par- - à informer les autorités territoriaux. tenariats et dialogue existant publiques sur les possibilités 5. Invitent le Secrétariat du aux différents niveaux et en d’appuyer les initiatives Conseil de l’Europe à communi- capitaliser les enseignements, éthiques, solidaires et respon- quer le texte de cette déclaration - mieux définir les rôles des auto- sables des citoyens dans l’écono- aux instances compétentes du rités publiques en termes de mie, par la sensibilisation du Conseil de l’Europe afin qu’ils soutien, création de cadres juri- public, les politiques d’accès aux examinent la possibilité de mettre diques, systématisation des marchés publics et la création en place une telle plate-forme. actions, d’un environnement favorable, Communiqué de presse, 10 - recevoir, examiner et élaborer notamment sur les plans légal et novembre 2004 des propositions pour accroître fiscal,

319 Boards and beyond: understanding the changing realities of nonprofit organizational governance A Conference of Researchers and Practitioners March 31, April 1, 2005 The Midwest Center for Nonprofit Leadership, University of Missouri - Kansas City Kansas City, Missouri, USA

Call for Conference Papers be considered at this conference. some nonprofits to become more * It long has been recognized entrepreneurial or “business-like” Effective governance is integral that nonprofit governance is com- affected the nature of their gover- to the nonprofit sector and the plicated by the fact that nonprofit nance and the behavior and effec- communities it serves. Yet scholars organizations have no sharehold- tiveness of their boards? and practitioners alike continue to ers. What stakeholder interests do * Since accountability is usually be intrigued and challenged by nonprofit boards usually see conceived as providing evidence the complex and changing nature themselves as representing? Are about performance, what role (if of nonprofit governance and the boards more likely to behave as if any) do boards take in assessing boards that engage in it. Even as donors are more important stake- program performance; what role we learn more about the breadth holders than clients? In instances (if any) do boards take in assess- and depth of variety in context, where boards successfully address ing overall organizational perfor- design, and practices, it is clear multiple stakeholder interests, mance? that we do not fully understand how is this accomplished? * If boards (as the available this element of nonprofit leader- * In what ways have nonprofit research suggests) typically do lit- ship and how it is or should be organizations explicitly and for- tle about assessing program per- practiced. Are most nonprofit mally involved stakeholders in formance and especially about boards effective in providing ade- governance? How has this been assessing overall organizational quate governance? Are there new accomplished, and what have performance, why has that been and more effective ways to address been the results and conse- true? What might (can) be done nonprofit governance needs? quences? * How has the enhanced to induce boards to take a greater Some news reports and emphasis on accountability affect- role? What should that role be? Congressional testimony suggest ed the roles and behavior of non- * Are efforts to improve gover- that nonprofit boards suffer from profit boards? Are boards taking a nance of nonprofit organizations shortcomings as serious as those greater role in assessing account- focused too much on a “manage- of business corporation boards, ability and, if so, which boards rialist” approach, attempting to and many proposals have been and how? * What has been the improve efficiency and effective- forwarded as solutions to address impact on the performance of ness of service delivery and ignor- the governance challenges of the those nonprofit ing the civic or other roles of non- sector. This is a time of significant organizations that have adopted profit organizations? What stan- change for nonprofit governance. some of the provisions of the dards or expectations might be We invite papers for this confer- recent Sarbanes-Oxley legislation? established (and by whom) to ence that focus not only on non- * Should Sarbanes-Oxley (or encourage boards (and managers) profit boards, including public- relevant portions) apply to non- to assess their organizations’ con- benefit charities, grant-making profit charitable organizations? tributions to civic life? foundations, and associations, but Should other national legislation We welcome papers that are we also invite papers that focus on specifying governance require- empirical, papers that are concep- other avenues or mechanisms of ments and mechanisms more tual, and prescriptive papers that nonprofit organizational gover- specifically tailored to nonprofit are based on theory and research. nance. The following illustrate the organizations be enacted? The deadline for receipt of pro- kinds of questions and issues to * How has the recent press for posals is December 3, 2004.

320 Proposals should be no more than Cook. They may be sent as email ways, researchers, practitioners, 3 pages and, for empirical papers, attachments to: and trainers/consultants will share will include a statement of the [email protected], or they may be and discuss what they are learning problems or issues to be consid- mailed to the Midwest Center for from their research, study and ered, an overview of the relevant Nonprofit Leadership, practice, and explore their impli- literature, a statement of the Cookingham Institute of Public cations for future practice. methods used and a summary of Affairs, 310 Bloch School of Questions about the conference the results or likely results. Business and Public may be directed to Bob Herman Proposals for conceptual papers Administration, University of ([email protected] or 816- should also be no more than 3 Missouri-Kansas City, Kansas 235-2338) or Dave Renz pages and should include a state- City, MO 64110-2499. Proposals ([email protected] or 816-235- ment of the problems or issues to also may be faxed to 816-235- 2342). be considered, an overview of the 1169. Bob Herman, Professor relevant literature, and a state- Midwest Center conferences are Cookingham Institute of Public ment of the thesis or theses to be unique and highly interactive, Affairs developed and how these add to designed to facilitate active Bloch School of Business and our understanding of nonprofit exchange among researchers, prac- Public Administration organizational governance. titioners, and consultants. As in University of Missouri - Kansas Proposals will be peer-reviewed past, this conference’s design City and authors notified of acceptance includes research and paper ses- K.C., MO 64110 by mid-January, 2005. sions intermixed with plenary ses- Tel.: 816-235-2338, Fax: 816- Proposals should be sent to sions and professionally-facilitated 235-6508 Program Coordinator, Ms. Jill dialogue sessions. In multiple Email: [email protected]

321 New... Creations... Plans... New... Creations... Plans... New...

United Nations “We, the People” the Secretary-General Kofi Annan Reform, UN-Civil issued a favourable response stating, Society Relationship A new project was launched on “The provided letters offer great and the occasion of the Celebration of much-needed encouragement in The United Nations Non- the 59th Anniversary of the UN these increasingly trying times.” Governmental Liaison Service (United Nations Day), October In 2004, the project is under- (NGLS) is launching a new sec- 24th, 2004, to build a Movement of taking further action to acquire tion of its website that will pro- the People in Support of the United broad UN support from within vide up-to-date information on Nations. It invites citizens of the civil societies all over the world. Its UN reform with a special focus world to join with enthusiastic vol- hope is that this united effort will on UN ? Civil Society Relations. unteers of the United Nations evolve in to a popular and world- The new section also showcases Associations. Last year, its promoters wide action of the people for the background information on the decided to express support for the United Nations. Ii invites support- reform process, including reports United Nations and its principles by ers to endorse the “Declaration of issued by the Secretary-General issuing a letter of appreciation and Support” and forward it to friends and the Secretary-General’s Panel solidarity. At a time when the UN and colleagues, within broad local of Eminent Persons on UN Civil came under relentless scrutiny and civil societies as well as regional Society Relations, statements by faced difficult challenges, “this and national institutions. Member States, perspectives from action was necessary”.They drafted a Contact: www.UN- the NGO community, back- “Declaration of Support”, translated Declaration.org ground papers and more. the document in to the six official Project Coordinator: Jean-Paul www.un-ngls.org/UNreform. UN languages and sent it to the Halsberghe jphalsberghe@UN- United Nations on “UN Day”, the Declaration.org 24th of October 2003. The office of [email protected]

322 Index 56th year Volumme LVI 2004 56ème année

Sociology of international relations “The Role of Social and Cultural Capital in Sociologie des relations the Development Process”, by Bernardo internationales Kliksberg, 1, 32-57 “Social capital and indigenous peoples devel- opment programs in Ecuador”, by Jorge E. “Faut-il démocratiser la mondialisation ?, par Uquillas and Martien Van Nieuwkoop, 1, 75-95 Boutros Boutros-Ghali, 3, 187-188 “Essai d’interprétation de la diaspora chinoise “De la démocratisation de la mondialisation à à la lumière de la notion bourdieusienne de cap- la démocratie mondialisée”, par Edgar Morin, 3, ital social”, par Philippe Ricaud, 1, 96-101 187-189 “Bonne gouvernance en bonne intelligence”, “Penser la démocratie mondiale”, par Daniel par Erik Rydberg, 1, 170-175 Cohen, 3, 193-196 “Organised business interests: lessons from “Inventer la Cité humaine”, par Paul Ghils, 3, the EU constitutional process”, by Perez- 197-204 Solorzano Borragan, 2, 119-124 “Une révolution démocratique : l’émergence “Europe and the extended impact assessment: de l’Union européenne”, by Dusan Sidjanski, 4, opportunities for associations”, by Alfons 291-298 Westgeest and Rachel Barlow, 2, 125-128 “International Relations and its languages: a “Organisational challenges for associations: transdisciplinary perspective”, by Paul Ghils, 4, the changing European landscape”, by Alfons 283-290 Westgeest and Katrijn Otten, 2, 129-134 “The role of trade associations in EU compe- tition law: friend or foe?”, by Alan S. Reid, 2, IGOs/INGOs relations 135-144 Rrelations OIG/OING “The search for input legitimacy through organised civil society in the EU”, by Justin Greenwood, 2, 145-155 “The UN and the Idea of International “The EU’s relationship with NGOs and the Security”, by W Julian Korab-Karpowicz”, 3, issue of “participatory democracy”, by Tony 205-208 Venables, 2, 156-158 “We the peoples: civil society, the United “Balanced political particpation with decision Nations and global governance”. The Cardoso making effectiveness: lessons from the eu gover- Report, 3, 209-214 nance agenda for groups”, by Hans-Werner Müller, 2, 159-162 “Connecting citizens to the EU: information International Law and civil society”, by Angelina Hermanns, 2, Droit international 163-165 “Bonne gouvernance en bonne intelligence”, par Erik Rydberg, 2, 170-175 “L’urgence d’un encadrement juridique des STN au niveau international”, par Melik Özden, 2, 166-169 Language, Communication and Culture Social and Economic Issues Langage, communication et culture Questions économiques et sociales “The knowledge society and social networks”, by Peter Johnston and Robert Pestel, 1, 3-9 “Eco-social market economy as the key to a “Capital humain et capital social au cœur des global sustainable development”, by Franz Josef paradoxes de la société de la connaissance”, par Radermacher, 1, 17-31 Gérard Valenduc, 1, 10-16

323 “The Role of Social and Cultural Capital in “Europe and the extended impact assessment: the Development Process”, by Bernardo opportunities for associations”, by Alfons Kliksberg, 1, 32-57 Westgeest and Rachel Barlow, 2, 125-128 “Technology and transformation: facilitating “Organisational challenges for associations: knowledge networks in ”, by the changing European landscape”, by Alfons Jonathan Bach and David Stark, 1, 58-74 Westgeest and Katrijn Otten, 2, 129-134 “Pour une sociologie de l’identité culturelle”, “The role of trade associations in EU compe- par Aït Abdelmalek, 3, 215-222 tition law: friend or foe?”, by Alan S. Reid, 2, “Civil society in favour of language 135-144 diversity: unity for the Cause”, by Denis “The search for input legitimacy through Cunningham, 4, 249-260 organised civil society in the EU”, by Justin “Les langues dans la régionalisation du Greenwood, 2, 145-155 monde”, par Sophie Fisher, 4, 247-248 “The EU’s relationship with NGOs and the “Figures de linguistes dans la société civile”, issue of “participatory democracy” par Françoise Gadet, 4, 261-268 by Tony Venables, 2, 156-158 “Ethnicité et culture : l’alliance à plaisanterie “Balanced political particpation with decision comme forme de culture ciment entre les eth- making effectiveness: lessons from the EU gov- nies au Burkina Faso”, par Alain Sissao, 269-282 ernance agenda for groups”, by Hans-Werner “International Relations and its languages: a Müller, 2, 159-162 transdisciplinary perspective”, by Paul Ghils, “Connecting citizens to the EU: information 283-290 and civil society”, by Angelina Hermanns, 2, 163-165 “Le projet de Constitution européenne : un Africa texte inespéré et insuffisant”, par Marc Luyckx Afrique Ghisi, 3, 223-234 “Une révolution démocratique : l’émergence de l’Union européenne”, by Dusan Sidjanski, 4, “Ethnicité et culture : l’alliance à plaisanterie 291-298 comme forme de culture ciment entre les eth- “Services sociaux d’intérêt général et droit com- nies au Burkina Faso”, par Alain Sissao, 269-282 munautaire”, par Marianne Dony , 4, 299-307

Asia Latin America Asie Amérique latine

“Essai d’interprétation de la diaspora chinoise “Social capital and indigenous peoples devel- à la lumière de la notion bourdieusienne de cap- opment programs in Ecuador”, by Jorge E. ital social”, par Philippe Ricaud, 1, 96-101 Uquillas and Martien Van Nieuwkoop, 1, 75-95

Europe Book Reviews Bibliographie “Technology and Transformation Facilitating Knowledge Networks in Eastern Europe”,by The Architecture of Global Governance: An Jonathan Bach and David Stark, 1, 58-74 Introduction to the Study of International “Organised business interests: lessons from Organizations, by James P. Muldoon, Westview the EU constitutional process”, by Perez- Press: Boulder, CO, 2004, 322 pages, 1, 102- Solorzano Borragan, 2, 119-124 103 [Dennis Dijkzeul].

324 World Social Forum. Challenging Empires, COHEN Daniel, 3, 193-196 edited by Jai Sen, Anita Anand, Arturo Escobar CUNNINGHAM Denis, 4, 249-259 & Peter Waterman, The Viveka Foundation: DIJKZEUL Dennis, 1, 102-103 New Delhi, 2004. 402 pages. Index, 2, 176- DONY Marianne, 4, 299-308 177 [Steve Charnovitz]. FISHER Sophie, 4,247-248 Civil Society, by Michael Edwards, Polity: GADET Françoise, 4, 260-267 London, 2004. 402 pages. Index, 4, 309-311, GHILS Paul, 3,197-204; 4, 283-290 [.Virgile Perret]. GREENWOOD Justin, 2, 145-155 HERMANNS Angelina, 2, 163-165 JOHSTON Peter, 1, 3-9 Doctoral dissertations KLIKSBERG Bernardo, 1, 32-57 Soutenances de thèses KORAB-KARPOWICZ Julian W., 3, 205-208 LUYCKX GHISI Marc, 3, 223-234 MORIN Edgar, 3, 187-189 NGOs and Equity Investment: a Critical MÜLLER Hans-Werner, 2, 159-162 Assessment of the Practices of UK NGOs in Using OTTEN Katrijn, 2, 129-134 the Capital Market as a Campaign Device, by ÖZDEN Melik, 2, 166-169 Steve Waygood, University of Manchester, PEREZ-SOLORZANO BORRAGAN Nieves, 2003, 1, 114 2, 119-124 PERRET Virgile, 4, 309-311 PESTEL Robert, 1, 3-9 Vie associative RADERMACHER Franz Josef Radermacher, 1, Association News 17-31 REID Alan S., 2, 135-144 RICAUD Philippe, 1, 96-101 1, 102-112; 2, 117-184; 3, 185-244; 4, 245- RYDBERG Erik, 1, 170-175 321 SIDJANSKI Dusan, 4, 291-298 SISSAO Alain, 269-282 STARK David, 1, 58-74 New International Organisations UQUILLAS Jorge E. 1, 75-95 Nouvelles organisations VALENDUC Gérard, 1, 10-16 VAN NIEUWKOOP Martien, 1, 75-95 internationales VENABLES Tony, 2, 156-158 WESTGEEST Alfons, 2, 125-128; 129-134 1, 113; 2, 181; 4, 322 Index of Page Numbers Author Index Index de pagination Index des auteurs n° 1 1-116 ABDELMALEK Aït, 3, 215-222 n° 2 117-184 BACH Jonathan, 1, 58-74 n° 3 185-244 BARLOW Rachel, 2, 129-134 n° 4 245- 328 CHARNOWITZ Steve, 2, 176-177

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Transnational Associations 56th year Associations transnationales 56e année

Some items in recent issues: Issue number: Parmi les thèmes traités récemment : Numéros : Transnational actors in the international system 2/2000, 3/2001 Les acteurs transnationaux dans le système international 4/2002, 3/2004.

The recognition of the legal personality of INGOs 3/1986, 3/1990, La reconnaissance de Ia personnalité juridique des OING 5/1990, 3/1995.

Cooperation between INGOs and IGOs 6/1999, 6/2000, La coopération entre les OING et les OIG 3/2003, 4/2003

Sociology of international relations 3/2001, 4/2002, Sociologie des relations internationales 1-2/2003, 3/2003.

Social movements, trade unions and cooperatives 6/1996, 3/1997 Mouvements sociaux, syndicats et coopératives 5/1999, 1/2001.

Economic and trade issues 4/1998, 5/1999, Questopms économiques et commerciales 3/2002, 4/2003.

Environmental problems 4/1995, 2/1996, Les problèmes écologiques 3/2000, 2/2001.

Humanitarian aid and humanitarian law 2/1996, 2/1999, L'aide et le droit humanitaires 2/2001, 4/2002.

Language, culture, communication and gender 2/1998, 1/1999, Langage, culture, communication et genre 6/1999, 2/2000.

Civil Society and the State 4/1998, 1/1999, La société civile et I’Etat 4/2000, 2/2001.

Latin American and North-American Associations 6/1989, 3/1990, Les associations latino-américaines et nord-américaines 1/1993, 4/1996.

African Associations 1/1996, 2/1996, Associations africaines 1/1999, 4/2002.

European Associations 3/2000, 6/2000, Les associations européennes 1/2002, 3/2003.

Arab Associations 1/1998, 6/1999 Associations arabes 2/2001

Asian Associations 2/1997, 6/1999 Associations asiatiques 3/2003, 1/2004

Some authors / ont publié dans nos colonnes : Chadwick Alger, Benjamin R. Barber, Chérif Bassiouni, Mohammed Bedjaoui, Jan Berting, Maurice Bertrand, Elise Boulding, Boutros Boutros-Ghali, Daniel Cohen, Jacques Delors, Adama Dieng, Francis Fukuyama, Françoise Gadet, Johan Galtung, Susan George, André Gorz, Group of Lisbon, Robin Guthrie, Jürgen Höffner, Bill Jordan, Alexandre Kiss, Alain Labrousse, Ronnie D. Lipschutz, Marc Luyckx, Federico Mayor, Elikia M’Bokolo, Marcel Merle, Morton Mitchnik, Edgar Morin, Basarab Nicolescu, Ignacio Ramonet, François Rigaux, Nigel Rodley, John G. Ruggie, Wolfgang Sachs, Pierre de Senarclens, Jan Aart Scholte, Vaudana Shiva, Dusan Sidjanski, Rodolfo Stavenhagen, Rajesh Tandon, Charles Taylor, Fernand Vincent, Peter Waterman.

327 Transnational Associations 56th year Associations transnationales 56e année

Forthcoming topics: Dans les prochains numéros : • Civil society and the state in Egypt La société civile et l’Etat en Egypte

• Civil society and democracy in Germany Société civile et démocratie en Allemagne

• International cooperation among local and regional authorities Coopération internationale entre les régions et les collectivités territoriales

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