Alstom: Et Soudain Siemens Vint / 27 Avril 2014 | Par Martine Orange À La
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Alstom: et soudain Siemens vint / 27 avril 2014 | Par martine orange À la dernière minute, l’allemand Siemens a fait une proposition pour contrer l’offre de l'américain General Electric sur Alstom. C'est un vrai soulagement pour le gouvernement français, tétanisé par la succession de faillites industrielles. Déjà, on parle d’un Airbus de l’énergie et d’un Airbus des transports. Cette perspective de sortie honorable ne peut masquer des faiblesses réelles. Retour sur vingt ans de liquidation industrielle. C’est le plan B sur lequel ne comptait plus le gouvernement. À quelques heures d’un conseil d’administration qui devait entériner la cession de la branche énergie d’Alstom à son concurrent américain, General Electric (GE), pour quelque 12,7 milliards de dollars (autour de 10 milliards d’euros), le concurrent allemand Siemens a fait une contre-proposition. Selon Le Figaro – informations qui nous ont été confirmées –, le groupe allemand a proposé d'ouvrir des négociations en vue de procéder à des échanges d'actifs entre les deux groupes. Il reprendrait les activités d’énergie d’Alstom : turbines, centrales à charbon et au gaz, hydro-électricité, énergies renouvelables, réseaux. La branche représente environ 70 % du groupe et est convoitée aussi par GE. En contrepartie, Siemens apporterait à Alstom une partie de son activité ferroviaire, afin de conforter le dernier métier du groupe (TGV, trains, tramways, métro). Une soulte devrait être aussi versée à Alstom afin de compenser le déséquilibre dans les échanges d’actifs. La réaction rapide de Siemens face à la proposition de GE en dit long sur les enjeux qui entourent Alstom. Le groupe allemand ne peut pas laisser son concurrent américain prendre une avance qui serait irrattrapable sur son propre marché, l’Europe, dans un secteur aussi stratégique que l’énergie. Ayant ses propres difficultés, il offre donc à son concurrent français une sorte de paix des braves après des années de combat. Sa lettre d'intention , toutefois, laisse dubitatif : dans le grand échange d'actifs proposé, Siemens offre, en échange de la reprise de toute l'activité énergie d'Alstom, son activité de train à grande vitesse (ICE), distancée technologiquement par le TGV et aux perspectives commerciales brouillées mais entend conserver les activités de tram et de métro, qui sont sur des marchés porteurs. Ce n'est pas exactement l'alliance du siècle, de la grande entente industrielle européenne, que certains font miroiter. Alstom, qui n’a jamais caché sa colère vis-à-vis de Siemens, avait jusqu’alors exclu tout accord avec lui. Un rapprochement entre les activités énergie des deux groupes serait très coûteux socialement et industriellement, tant les doublons sont fréquents, a-t-il expliqué. Mais il lui est impossible d’ignorer la nouvelle proposition de Siemens. Comme l'espérait le gouvernement, le conseil d'administration , réuni dimanche, a décidé de se donner deux jours de réflexion supplémentaires. «Nous avons arrêté le processus qui conduisait à une vente éclair. Maintenant, nous avons un peu de temps pour étudier les dossiers» , se félicite-t-on au cabinet d'Arnaud Montebourg. Sans attendre, la machine à communication s’est mise en route. On parle déjà des nouveaux Airbus de l’énergie et du transport. Dans un premier temps, le gouvernement, soulagé, s'est précipité pour saluer cette solution qui lui semblait lui ouvrir une porte de sortie honorable. Manuels Valls n’avait-il pas défendu dans son discours d’investiture un Airbus de l’énergie ? Dès l'annonce de cette nouvelle proposition, Arnaud Montebourg faisait savoir qu’il annulait sa rencontre avec le président de GE, prévue dimanche, compte tenu de l’offre de Siemens. Après examen, la position du gouvernement se veut plus distanciée. François Hollande devrait recevoir ce lundi Jeffrey Immelt, pdg de GE, puis Joe Kaeser, pdg de Siemens, à l'Elysée pour discuter du dossier et des engagements que l'un et l'autre sont prêts à prendre. Le soulagement – provisoire – du gouvernement est à la hauteur de l’angoisse antérieure : « Le gouvernement est tétanisé. Après PSA, après Lafarge, après Publicis, la perte d’Alstom est pour eux une catastrophe absolue. La droite ne va pas manquer de les accuser d’avoir perdu un bijou de famille, sauvé il y a dix ans par Nicolas Sarkozy. Dans les faits, il n’y est pour rien. Il hérite d’une situation difficile. Il n’a aucun moyen et il n’est même pas actionnaire. Tout ce qui peut lui être reproché est de n’avoir rien vu venir », racontait samedi un familier du dossier. C’est une dépêche de l’agence Bloomberg dévoilant, mercredi 23 avril, les vues de GE sur Alstom qui a sonné l’alerte au gouvernement. La surprise était d'autant plus grande que Patrick Kron, lors de sa dernière discussion avec le ministre du redressement productif il y a un mois, n'avait rien dit de ses difficultés et ne s'était pas ouvert de ses projets. Pourtant, cela faisait plusieurs semaines que des rumeurs alarmantes circulaient sur la situation du groupe. Tous parlaient de son besoin urgent de capitaux et de l’impossibilité de son principal actionnaire, Bouygues (qui détient 29 % du capital), de suivre, au moment où il est lui-même aux prises à de grandes difficultés avec le téléphone (lire notre article : La guerre des télécoms va commencer).Alors qu'il y a encore deux mois, le groupe Bouygues semblait exclure la vente de cette participation, il dit maintenant que celle-ci n'est plus prioritaire et peut être cédée. Le groupe a besoin des millions d'Alstom pour soutenir la guerre enagagée dans les télécoms. Le président d’Alstom, Patrick Kron, avait avoué lui-même ses difficultés dès l’automne. En novembre, au moment de la publication de ses résultats semestriels – Alstom a un exercice décalé, allant du 1er mars à fin février –, le groupe affichait une chute de 22 % de son chiffre d’affaires semestriel, à 9,3 milliards d’euros. Ses dettes avaient augmenté en un an, passant de 2,8 à 3,2 milliards d’euros. Surtout, le groupe avait un "free cash-flow" négatif de 511 millions d’euros. Dans sa lettre aux actionnaires, Patrick Kron annonçait un nouveau plan d’économies et de réduction de coût et des cessions d’actifs pour 1 à 2 milliards d’euros. Il disait aussi espérer une accalmie sur le marché européen de l’énergie, totalement déprimé, où plus aucun grand contrat et projet ne se signait. Les difficultés de la branche énergie d’Alstom sont d’abord là : dans l’effondrement de son principal marché, l’Europe. Totalement désarticulé par la politique énergétique européenne qui n’a eu comme seul objectif qu’une libéralisation sans guide du marché (teintée de soutien aux énergies renouvelables pour se donner bonne conscience), le marché de l’énergie en Europe souffre désormais d’une absence de ligne, d’un sous-investissement chronique dans les capacités de production comme dans les réseaux, tout en offrant une électricité de plus en plus chère. La récession qui touche la zone européenne depuis cinq ans a fini d’assombrir le tableau. Pour la première fois depuis des décennies, la consommation d’électricité baisse, non pas en raison des économies d’énergie mais en raison de la chute de l’activité économique. Les résultats des principaux producteurs d’électricité européens cette année portent la marque de cet effondrement. Tous – l’italien Enel, l’allemand RWE, le français GDF Suez par exemple – ont annoncé des milliards de dépréciations d’actifs. Tous ont décidé de fermer ou de geler des capacités de production, notamment des centrales à gaz. Tous ont renoncé à leurs projets d’investissement. Le poids de la faillite de 2003 Comment imaginer que les fournisseurs d’équipements se portent bien quand leurs clients vont mal ? La révolution de palais chez Siemens, concurrent d’Alstom, qui a conduit au renversement de Peter Löscher en juillet 2013, tout comme le voyage éclair de son successeur, Joe Kaeser, se précipitant à Moscou – un de ses principaux clients dans la branche énergie –, au moment où les États-Unis et l’Europe mettent en place les premières sanctions contre la Russie pour son rôle en Ukraine, pour assurer le gouvernement russe de son amitié, démontrent les difficultés rencontrées par tous. Plus petit, moins bien assuré technologiquement, Alstom subit de plein fouet ce renversement du marché. Depuis plus d’un an, ses seuls contrats en Europe sont liés à de la maintenance et à l’amélioration des équipements que le groupe avait installés. Et encore, tous ces contrats ont été passés à prix cassés, car la guerre des prix naturellement fait des ravages. L’Europe ne représente plus que 35 % de son chiffre d’affaires contre plus de 40 % auparavant. Alstom a bien cherché à compenser en allant chercher sur des marchés extérieurs. Ayant des liens historiques avec la Chine depuis le milieu des années 1970, le groupe a créé une joint-venture pour fabriquer là-bas turbines et centrales à charbon. Mais en Chine aussi, l’heure n’est plus à l’expansion à tout crin. Les grands projets d’équipements sont abandonnés, alors que le gouvernement chinois resserre le crédit, pour tenter de juguler la gigantesque bulle financière qui s’est formée depuis 2009. Le groupe a essayé de vendre ses centrales, ses turbines, ses éoliennes dans les autres pays émergents, et surtout en Amérique centrale et du Sud. Le renchérissement de la monnaie européenne face au dollar – près de 10 % en un an – a compliqué la situation du groupe, qui n’a pour lui ni des technologies assez en avance par rapport à ses concurrents, ni l’arme diplomatique dont sait si bien se prévaloir GE, notamment en cas de besoin.