UNIVERSITE OUAGA I Pr JOSEPH KI-ZERBO UNIVERSITESORBONNE NOUVELLE PARIS 3

ECOLE DOCTORALE LETTRES, ECOLE DOCTORALE ARTS ET MEDIAS SCIENCES HUMAINES ET COMMUNICATIONS INSTITUT DE RECHERCHE EN ETUDES THEATRALES CENTRE DE RECHERCHES ET D’ETUDES EN LANGUES LABORATOIRE SCENES FRANCOPHONES ET ECRITURES LITTERATURES ET ARTS DU SAHEL (CRELLAS)DE L’ALTERITE (SEFEA) LABORATOIRE LITTERATURES, ESPACES ET SOCIETES (LLES)

THESE DE DOCTORAT UNIQUE EN COTUTELLE

L’IMPACT DU THEATRE D’INTERVENTION SOCIALE

SUR LE DEVELOPPEMENT DU

Spécialité : Etudes Théâtrales

Présentée et soutenue publiquement par Pingdewindé Issiaka TIENDREBEOGO

Le 18 janvier 2018 à l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo

Directrice de thèse : Sylvie CHALAYE Co-directeur de thèse : Issou GO Jury : M. Amos FERGOMBE, Président, Professeur des Universités, Université Artois, Lille Mme Sylvie CHALAYE, Professeur des Universités, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 M. Issou GO, Professeur Titulaire, Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo M. Sié Alain KAM, Professeur Titulaire, Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo M.Dominique TRAORE, Maître de Conférences, Université Félix Houphouët-Boigny

DEDICACE

A mes très chers parents qui déjà, dorment !

A ma chère épouse !

A mes chers enfants :

Touwindsida Teddy Elvis

Delwendé Myriam Grâce

Wendbenedo Nobel Chris

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REMERCIEMENTS

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mes deux directeurs de thèse : au Professeur GO Issou, avec qui nous cheminons depuis un bon moment. Sa patience, son sens élevé de l’écoute, sa rigueur ont permis à ce travail de voir le jour.

Je remercie le Professeur CHALAYE Sylvie d’avoir accepté de me diriger. Son professionnalisme, sa disponibilité et sa compétence ont permis au travail de prospérer. Au-delà du professionnel, je la remercie pour ses qualités humaines, sa gentillesse, son dynamisme, son sourire et sa simplicité, des qualités qu’on retrouve rarement dans le monde de la recherche.

À Roxane Miquel et Bastien Doucet du service administratif de l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 pour leur aide dans la laborieuse mise en place de la cotutelle.

J’ai une pensée profonde pour un homme qui s’est battu depuis maintenant plus d’une quarantaine d’années pour l’émergence du théâtre en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement au Burkina Faso. C’est grâce à cet homme que j’ai découvert ma passion pour le théâtre, j’ai nommé le Professeur Prosper Kompaoré.

À monsieur Albert OUEDRAOGO, Professeur Titulaire de Littérature orale et Directeur du Laboratoire Langues, Discours et Pratiques Artistiques pour sa sympathie et son encouragement.

À monsieur Justin Ouoro Toro, Maître de Conférences à l’Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo de m’avoir encouragé sur cette piste de recherche.

À mon ami et frère Dr Moumouni Zoungrana pour son soutien indéfectible.

Nos remerciements vont naturellement aux membres du jury qui ont bien voulu sacrifier de leur précieux temps en nous prodiguant des observations en vue de l’amélioration de ce travail.

ii

« Je vais dans les villages, les bidonvilles afin de faire de la sensibilisation. Fier je suis, parce que je crois que mon théâtre peut être utile aux miens. J’en ai fait mon crédo. Longues randonnées sur les pistes à mille nids de poule, à faire du théâtre forum pour apprendre aux femmes à conquérir leur droit à la parole…J’en reviens exténué mais heureux…

« Porte gourde » d’une parole vraie dissimulée dans le fouillis des convenances, je n’hésite pas à casser la gourde sur la place publique pour en répandre la vérité…devant le regard de tous. N’en déplaise aux roitelets et aux autres tyranneaux aux pieds d’argile. »

Koulsy Lamko.

Alternatives Théâtrales , n°48, , mars 1995, p.27.

iii

SOMMAIRE

DEDICACE ...... i REMERCIEMENTS ...... ii SOMMAIRE ...... iv Résumé en français et en anglais ...... v INTRODUCTION GENERALE ...... 1 PREMIERE PARTIE : UNIVERS DU THEATRE BURKINABE ...... 22 Chapitre1 : Contexte de naissance du théâtre en Afrique ...... 23 Chapitre 2 : Le théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé de Prosper Kompaoré 60 Chapitre 3 : Typologies des représentations du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso ...... 102 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE SEMIOLOGIQUE DES REPRESENTATIONS THEATRALES ...... 134 Chapitre 4 : Qu’est-ce que la sémiologie théâtrale ? ...... 135 Chapitre 5 : Eléments de dramaturgies dans le théâtre d’intervention sociale ...... 155 Chapitre 6 : Analyses dramaturgiques de quelques séquences de représentations théâtrales ...... 200 TROISIEME PARTIE : ETUDE D’IMPACT SUR LE THEATRE D’INTERVENTION SOCIALE ...... 224 Chapitre 7 : Théorisation sur la réception du théâtre d’intervention sociale ...... 225 Chapitre 8 : Le comportement des spectateurs pendant le spectacle ...... 248 Chapitre 9 : Les résultats après représentations ...... 268 CONCLUSION GENERALE ...... 306 ANNEXES ...... 312 BIBLIOGRAPHIE ...... 325 TABLE DES MATIERES ...... 333

iv

Résumé en français

L’impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso

Le théâtre est un outil de communication qui participe au développement social et économique du Burkina Faso. C’est autour des années quatre-vingt qu’une poignée d’artistes et d’intellectuels africains ont conceptualisé cette pratique artistique afin qu’elle devienne un moteur de développement pour nos masses laborieuses. En effet, cette thèse est partie de l’hypothèse selon laquelle, le théâtre d’intervention sociale contribue aux efforts de sensibilisation. Il s’est agit d’une part d’étudier l’histoire de ce théâtre, ses thèmes, ses formes, son évolution, ses enjeux esthétiques et d’autre part, à travers un corpus, une collecte de matériaux audiovisuels et une enquête sociologique auprès des spectateurs et des compagnies théâtrales de montrer l’incidence de son action sur les populations burkinabé. L’ensemble des matériaux de cette enquête scientifique nous a permis de réaliser un film documentaire qui accompagne cette recherche.

Les résultats auxquels nous sommes parvenu attestent enfin qu’à travers la sensibilisation par le théâtre d’intervention sociale, les populations adoptent des comportements favorables aux changements de comportements et de mentalités.

Mots clés : Théâtre d’intervention sociale, impact, développement, changement, comportements, mentalités.

Abstract

The impact of social intervention theater on the development of Burkina Faso

Theatre is a communication tool that participates in the social and economic development of Burkina Faso. It is in the eighties that a handful of African artists and intellectuals conceptualized this artistic practice to make it a driving force of development for our working masses. Indeed, this doctoral thesis has started from the hypothesis according to which the theatre of social intervention contributes to the efforts of awareness. It consists, on the one hand, in the study of the history of this theatre, its themes, forms, evolution, aesthetic stakes and, on the other hand, through a corpus and a sociological survey with spectators and theatre companies, in showing the impact of its action on the Burkinabe populations.The bulk of materials gathered in this

v scientific enquiry helped me to produce a documentary film that illustrates this research.

The results to which I have reached are that through sensitization by the theatre of social intervention, people adopt behaviours that are favorable to the changes of behaviours and mentalities.

Keywords : social intervention theatre, impact, development, change, behavior, mentalities.

vi

INTRODUCTION GENERALE

Les théâtres d’Afrique noire francophone sont riches de diversité, mais ont encore suscité peu d’études. Pour ce qui est des thèses, on peut citer celle de Pierre Medehouegnon, Le théâtre francophone de l’Afrique de l’Ouest. Des origines à nos jours 1, Koulsy Lamko, Emergence difficile d’un théâtre de la participation en Afrique noire francophone 2, Dominique K. Traoré, Pour une poétique du dialogue dans le théâtre négro-africain d’expression française 3 et Edwige Gbouablé, Des écritures de la violence dans les dramaturgies contemporaines d’Afrique noire francophone (1930-2005) 4. A coté de ces travaux, on a des ouvrages critiques sur le théâtre africain produit par des enseignants-chercheurs de l’Institut de Recherche en Etudes Théâtrales (IRET) Paris 3 comme Le théâtre en Afrique et à Madagascar 5 de Robert Cornevin, Le théâtre en Afrique noire francophone 6 de Jacques Scherer et plus récemment l’ouvrage de Sylvie Chalaye, L’Afrique noire et son théâtre au tournant du XXè siècle 7. Cependant, la plupart de ces travaux n’abordent que très peu l’analyse des spectacles et surtout le théâtre d’intervention sociale est rarement abordé dans sa dimension esthétique. La réception également de ce théâtre est négligée. C’est pourquoi cette thèse veut s’appuyer sur une démarche originale en usant de l’approche théâtrale et de l’approche sémiologique. En ce qui concerne la première, nous ferons appel à des

1 Pierre Medehouegnon, Le théâtre francophone de l’Afrique de l’ouest. Des origines à nos jours , Editions Caarec, Cotonou, 2010 2 Lamko Koulsy, « Emergence difficile d’un théâtre de la participation en Afrique noire francophone », Thèse, Université de Limoges, 2003 3 Dominique K. Traoré, Pour une poétique du dialogue dans le théâtre négro-africain d’expression française, Thèse, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, 2005 4 Edwige Gbouablé, Des écritures de la violence dans les dramaturgies contemporaines d’Afrique noire francophone (1930-2005), Rennes, 2007 5Robert Cornevin, Le théâtre en Afrique Noire et à Madagascar , Collection Le Livre Africain, Paris, 1970 6Scherer Jacques, Le théâtre en Afrique noire francophone , Paris, 1992 7Sylvie Chalaye, L’Afrique noire et son théâtre au tournant du XXème siècle . Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2001

1 théoriciens de la sémiologie théâtrale comme Anne Ubersfeld dans l’analyse sémiologique et les instruments d’analyse du spectacle de Patrice Pavis ou de Sylvie Chalaye dans Nouvelles dramaturgies d’Afrique noire francophone 8. Cette thèse s’inscrit donc dans une logique de continuité des travaux de nos devanciers en études théâtrales au sein de l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et plus précisément dans le laboratoire Scènes Francophones et écritures de l’Altérité (Sefea).

Pour confirmer la réception du théâtre d’intervention sociale par le public et mesurer l’horizon d’attente, nous nous servirons des théories de la réception de l’école de constance prônées par ses concepteurs comme Wolfgang Iser, L’acte de lecture ,9 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception 10 , Umberto Eco, Lector in fabula 11 dans la deuxième approche. En outre, nous utiliserons des outils d’évaluation sociologique afin de mesurer l’impact du théâtre pour le développement sur les populations à partir des représentations théâtrales.

Quand on pose la question du théâtre, la plupart du temps, on a tendance à se limiter à l’œuvre littéraire, et pourtant dans les pays en voie de développement, le théâtre est connu d’abord en tant que spectacle alors que cette dimension spectaculaire n’apparaît pas suffisamment dans les travaux de recherche. L’absence des études sur les représentations théâtrales dans les thèses confirme à souhait notre affirmation.

Comment se fait-il que des auteurs qui sont célébrés dans les études soient si peu connus du public africain en général, et burkinabé en particulier ? Leurs œuvres parlent-elles au public burkinabè ou à un autre public ? A

8SylvieCHALAYE, Nouvelles dramaturgies d’Afrique noire francophone , Edition Presses Universitaires de Rennes, 2004 9 Wolfgang Iser, L’acte de lecture , Mardaga, 1976 10 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception , Gallimard 1977 11 Eco Umberto, Lector in Fabula , Grasset, 1985

2 travers cette thèse, nous voudrons être celui qui établit le pont entre ces auteurs et le public. Nous voulons montrer comment la représentation scénique peut être aussi porteuse d’une écriture. Un des objectifs de ce travail est de montrer qu’il existe une autre façon de concevoir l’écriture théâtrale.

Le théâtre d’intervention sociale est une pratique très prisée par les compagnies de théâtre en Afrique de l’Ouest qui décident de mettre en déroute le théâtre conventionnel ou théâtre « pontin » né dans les cours de William Ponty au Sénégal et de Bingerville en Côte d’Ivoire.

Dans une de ses correspondances officielles, Sylvie Chalaye réaffirmait l’importance de ce théâtre pour le Burkina Faso :

« Le théâtre d’intervention sociale est une pratique très développée en Afrique de l’Ouest qui a beaucoup évolué ces dernières années et il est urgent de lui consacrer une thèse afin d’étudier autant l’évolution historique de cette pratique, que ces incidences sur les populations africaines. Le Burkina Faso a été partie prenante de cette pratique socio-artistique qui s’est inventée sur son territoire sous l’impulsion d’artistes et intellectuels militants comme Jean Pierre Guingané, Prosper Kompaoré ou Koulsy Lamko. 12 »

Le Burkina Faso serait le pionnier en Afrique de l’Ouest de cette pratique artistique qui est née sur son territoire. Il était donc nécessaire à notre avis que nous puissions consacrer une thèse sur l’évolution du théâtre d’intervention sociale au pays des « Hommes intègres ».

12 Sylvie Chalaye, Paris le 28 mars 2016, p.2

3

C’est d’ailleurs ce qui justifie l’intérêt et le choix de ce sujet de thèse intitulé : « L’impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso. »

Pour mener à bien notre étude et atteindre les résultats escomptés, notre corpus va prendre en compte cinq enregistrements vidéo des représentations théâtrales de l’Atelier Théâtre Burkinabé (A.T.B). En outre, nous ferons appel à dix représentations théâtrales supports des dix troupes théâtrales que nous avons suivi lors de la onzième édition du Concours de Théâtre Forum (CTF). Le choix des représentations théâtrales peut se justifier par le simple fait que le théâtre écrit s’appuie sur la représentation. Pour reprendre les propos du Professeur Bienvenu Koudjo, nous évitons en même temps l’utilisation de la pièce écrite pour ne pas faire de « la littérature dramatique ». L’analyse va donc consister à déceler les problèmes sociétaux posés par les représentations théâtrales et les réflexions sur les projets de solutions.

Le choix des corpus de l’Atelier Théâtre Burkinabé (A.T.B) peut également se justifier par la disponibilité des représentations théâtrales. En effet, c’est l’une des troupes qui conserve ses archives après chaque saison théâtrale ; c’est également l’une des troupes les plus pérennes dans l’univers artistique burkinabé. Notons qu’en plus des représentations théâtrales de l’ATB, nous nous appuierons dans notre élan de démonstration concernant l’intérêt du théâtre d’intervention sociale sur les différentes pratiques qui ont pour objet la sensibilisation des populations au Burkina Faso. Nous aurons donc recours au théâtre débats de Jean Pierre Guingané et aux différentes typologies du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso.

Il faut noter qu’en plus de ces représentations théâtrales de notre corpus, nous avons réalisé, ce qui est inédit, un film documentaire scientifique de 26 minutes sur le théâtre forum au Burkina Faso sur une idée de notre directrice de thèse, Sylvie Chalaye. Le film scientifique fait partie prenante de

4 notre recherche. Il s'agit d'un montage de matériau qui atteste de la vitalité de ce théâtre et d'un ensemble de témoignages de spectateurs et de praticiens. Le montage du film a consisté à un collectage de matériaux audiovisuels en vue de la réalisation du film documentaire en plus de l’enquête de terrain auprès du public.

Quelles sont les motivations qui ont milité en faveur du choix de ce sujet ?

Le théâtre est une pratique ludique et artistique très ancienne dont les historiens font remonter l’origine à des sources tantôt profanes, tantôt religieuses.

En tant qu’art, le théâtre exige la connaissance de paramètres, de techniques et de règles qu’il faut savoir agencer de façon esthétique et signifiante. Parce qu’il donne à voir et à entendre, le théâtre sollicite en permanence la présence d’un groupe de personnes témoins qui, recevant des informations de la scène, les transforment en messages spéciaux à l’adresse de ceux qui jouent. Le théâtre est donc une communication.

Les motivations qui ont prévalu au choix du sujet sont entre autres :

- d’abord, en tenant compte de la place qu’occupent les expressions artistiques dans la vie des burkinabé. La plupart des actions de développement qui sont menées au Burkina Faso font appel à des formes d’expressions artistiques comme support de sensibilisation et au nombre de ces expressions artistiques figurent les cérémonies religieuses et traditionnelles où on a des expressions de danse, de musique et de conte ;

- ensuite, on fait également appel aux arts pour aider à sensibiliser. Souvent, les musiciens dans leurs chants contribuent à poser des problèmes de société, et en particulier les gens de théâtre sont enclins à toucher du doigt les

5 problèmes existentiels de la société. Au nombre de ces formes de théâtre, il en est une qui nous paraît particulièrement intéressante qu’on appelle couramment le théâtre d’intervention sociale ;

- après, notre intérêt pour le sujet vient de notre participation au colloque international de Niamey tenu du 24 au 25 septembre 2014 sur le thème: « L’espace sahélien dans les arts et les sciences humaines ». Nous avons présenté une communication dont le thème était : « Les arts et la littérature dans l’espace sahélien : Le cas du théâtre forum développé au Burkina Faso par l’Atelier Théâtre Burkinabé. » C’était une manière pour nous de montrer à travers une pièce de théâtre forum dénommée « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou » de Prosper Kompaoré la manière dont les problèmes de société étaient exposés et les démarches qu’on pouvait adopter pour leur résolution. C’est fort de cette expérience que nous avons décidé de problématiser ce travail en l’approfondissant pour en faire une thèse. Ceci pour prendre en compte la dimension du théâtre d’intervention sociale dans la résolution des problèmes au Burkina Faso.

En outre, nous pouvons dire que le sujet de cette thèse s’inscrit dans une logique de continuité de nos recherches entreprises depuis la maîtrise. En effet, notre sujet de maîtrise intitulé : « Les stratégies de pérennisation des événementiels culturels : étude de quatre festivals » nous avait permis à travers une étude comparative de montrer que les festivals pouvaient s’autonomiser avec les moyens aussi modestes pourvu que les bases organisationnelles soient solides et que l’organisation soit faite de façon professionnelle. En année de DEA, nous nous sommes intéressé au texte dramatique de Jean Pierre Guingané, d’où le sujet : « Quelques traits esthétiques de l’écriture dramatique de Jean Pierre Guingané à travers la danseuse de l’eau et Zigli le terrible ». Nous avons pu relever une double esthétique dans l’écriture dramaturgique de Guingané à savoir l’esthétique

6 classique et l’héritage africain. Autrement dit, l’artiste tire ses sources d’inspiration de l’esthétique occidentale d’une part, et d’autre part, il puise ses racines de l’inspiration traditionnelle africaine, d’où cette expression que nous avons qualifiée d’esthétique « guinganéenne 13 » pour désigner l’écriture dramaturgique de Jean Pierre Guingané. C’est donc sans surprise que nous avons décidé de clore cette trilogie de nos recherches sur le théâtre en abordant cet aspect du théâtre participatif au Burkina Faso dont le sujet est : « L’impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso ».

In fine, nous n’oublions pas notre pratique théâtrale. En effet, nous avons reçu des formations en jeu d’acteur, en danse et en voix, ce qui nous a conféré le titre d’artiste-comédien. Nous avons également suivi deux stages en mise en scène au Carrefour International du Théâtre de Ouagadougou (CITO), respectivement la pièce « Verre Cassé » adapté du roman du congolais Alain MANBANCKOU et mis en scène par P. Paul ZOUNGRANA ; et la pièce« L’or de Yennenga » écrit par Thierry Ouéda et mis en scène par le Suisse Roger NYDEGGER. Nous avons dirigé par la suite la Troupe Théâtrale « La Paix » du Lycée de Nobili à Manga et la Troupe « Solidarité Théâtre de Saponé » dans le Bazèga. Nous avons à notre actif deux mises en scène, la première relevant du théâtre d’auteur intitulée « l’amour brisé » et la deuxième relevant du théâtre forum dénommée « le prix de l’eau ». Avec cette dernière pièce, nous avons parcouru sept localités de la commune de Saponé à savoir Karkuidghin, Koumsagha, Saponé- Marché, Targho, Kounda, Pissi, Kuizili pour sensibiliser les populations sur les conséquences de la consommation d’une eau non potable, source de diverses maladies.

13 Néologisme crée par nous pour montrer les caractéristiques de l’écriture dramatique de Jean Pierre Guingané.

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Il est donc important de souligner l’originalité de cette thèse car elle constitue l’une des premières thèses soutenue en Afrique et consacrée exclusivement au théâtre d’intervention sociale pratiqué au Burkina Faso.

Quelle peut-être la problématique de cette étude ?

Il est important de souligner la difficulté de l’étude d’impact d’un phénomène comme le changement de comportement. En effet, notre sujet s’inscrit dans la perspective des sciences sociales et humaines et devrait s’apparenter à une étude d’un processus et non d’une donnée statique et stable comme nous le présentons. On pourrait nous objecter d’avoir présenté la photographie ou l’état des lieux d’une situation dans notre analyse des résultats de l’impact. Cette difficulté de notre étude, nous l’assumons pleinement car elle est une réalité de l’étude. Cela nous a amené à articuler notre sujet autour d’une question principale et de trois questions secondaires.

Au vu de la littérature produite sur la question du théâtre d’intervention sociale, on peut arriver à la problématique principale de cette étude qui est :

Dans quelle mesure peut-on dire que l’expression théâtrale contribue aux efforts de sensibilisation pour le développement au Burkina Faso ?

Cette question principale se décline en trois questions secondaires.

- Les représentations théâtrales présentent-elles des problèmes récurrents au Burkina Faso ? - Les représentations théâtrales adoptent t- elles des démarches favorables à la participation ? - Les résultats de ce type de théâtre confirment-ils son efficacité dans le changement des mentalités et des comportements au Burkina Faso ?

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Quant aux hypothèses, elles découlent de la problématique ci-dessus- citées. L’hypothèse principale est : Le théâtre contribue aux efforts de sensibilisation pour le développement au Burkina Faso.

Cette hypothèse principale se décline également en trois hypothèses secondaires :

- Les représentations théâtrales présentent des problèmes récurrents au Burkina Faso. - Les représentations théâtrales adoptent des démarches favorables à la participation. - Les résultats de ce type de théâtre confirment son efficacité dans le changement des mentalités et des comportements.

Quels sont alors les objectifs poursuivis par cette étude ?

Nous sommes parti du constat selon lequel le Burkina Faso est un pays en voie de développement. Et comme tous ces pays de l’Afrique subsaharienne, il fait face à plusieurs difficultés qui entravent son développement. A titre illustratif, l’analphabétisme est encore très élevé et selon l’indice de développement humain durable, la population vit avec moins d’un (01) dollar US par jour. Le pays est classé 177 sur 178 pays. C’est fort de ce constat que nous nous sommes engagé à apporter notre modeste contribution au développement de ce pays. Cet apport veut se matérialiser avec cette thèse qui sera à notre humble avis une pierre à la construction de l’édifice national en particulier, et africain en général.

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La thèse intitulée : « L’impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso » s’inscrit donc dans une recherche du bien-être de nos populations. C’est pourquoi elle compte montrer l’apport du théâtre dans le développement du Burkina Faso. A ce propos l’un des pères de ce types de théâtre n’affirmait-il pas que :

« Le théâtre est un levier sur lequel l’on peut appuyer pour enclencher ou déclencher la dynamique sociale et la paix pour le développement 14 .»

Cette étude poursuit donc à juste titre les objectifs qui sont entre autres :

- Montrer l’historique et l’évolution du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso ;

-Connaître l’intérêt des représentations théâtrales dans les changements de comportements ;

-Analyser l’impact du théâtre d’intervention sociale dans la société burkinabè ;

-Utiliser ce type de théâtre pour booster le développement à la base de nos populations.

Nous avons identifié trois démarches nécessaires à l’atteinte de nos objectifs dans cette étude.

La première démarche sera consacrée d’une part au cadre théorique et conceptuel. Il s’agira d’aborder les différents courants idéologiques qui rentrent dans le cadre de cette étude. Ainsi, on abordera les courants sociologiques, sémiologiques et les différentes théories sur la réception du théâtre. D’autre part, nous ferons l’état des lieux du théâtre d’intervention

14 Prosper Kompaoré, « Enjeux de scène »n° 14 p.64

10 sociale au Burkina Faso. Il consistera à recenser les enregistrements des représentations théâtrales et au recueil des synopsis des représentations.

La deuxième démarche va consister à l’analyse sémiologique des représentations théâtrales. A ce niveau, nous analyserons par exemple les interventions du public, l’animation du joker ou les citations de quelques protagonistes. Nous nous intéresserons aux thèmes évoqués, aux personnages, aux situations problèmes, à l’évolution historique et l’incidence de son action sur la société sans oublier son enjeu esthétique.

Dans la troisième démarche, nous utiliserons des outils d’évaluation sociologiques afin de mesurer l’impact du théâtre pour le développement sur les populations à partir des représentations théâtrales. Nous nous poserons la question de savoir si ces représentations ont eu un réel impact sur le public cible. Nous montrerons également le rapport qui existe entre le public et les comédiens. L’enquête de terrain sera privilégiée pour recueillir des données qualitatives et quantitatives. A l’aune des résultats issus du traitement des questionnaires, nous pourrons confirmer ou infirmer l’impact du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso.

En plus des enquêtes de terrain, nous nous appuierons sur les théories de l’impact de l’art, de la psychologie et de la sociologie pour renforcer la solidité de notre thèse.

Qu’en est-il donc de notre méthodologie ?

L’intitulé du sujet : « L’impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso» nous amène à examiner sous divers angles la question du théâtre d’intervention sociale. Pour ce faire, nous allons nous inspirer de trois méthodes d’analyse afin d’atteindre les résultats escomptés:

11

- Il s’agit d’abord de la sociocritique qui est une méthode, faut-il le rappeler, de lecture sociohistorique du texte. C’est donc une approche littéraire qui met en évidence l’univers social dans le texte.

- Ensuite, nous utiliserons la sémiologie théâtrale qui se définit généralement comme la science de la production du sens au sein de la société. Elle s’intéresse aussi à la signification et à la communication c’est-à-dire les moyens par lesquels le sens naît. Son intérêt croise aussi tous les systèmes du signe, les opérations de codage et de décodage des messages. Dans les nouvelles tendances sémiologiques, la mise en scène se conçoit comme une « sémiologie en action » qui réfléchit à la pose et au déchiffrage des signes. Les signes sont sensibles aux redondances et à l’harmonisation des signes comme la musicalité, la gestualité ou le rythme du texte.

-Enfin, les théories de la réception développées par Hans Robert Jauss, Wolfgang Iser, et Umberto Eco nous permettront de mesurer l’horizon d’attente du public. En plus, l’enquête de terrain consistera à administrer un questionnaire d’enquête au public et un guide d’entretien aux responsables des troupes théâtrales afin de pouvoir montrer l’impact de l’outil théâtre sur les populations. Cela nous permettra de disposer de données qualitatives et quantitatives sur l’étude d’impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso.

Nous nous servirons des logiciels SPS et Excel pour le traitement des données recueillies lors des enquêtes de terrain.

Il serait intéressant dans notre étude de chercher à dégager l’origine du public du théâtre d’intervention sociale en rapport avec les représentations théâtrales. La société existe dans l’œuvre, c'est-à-dire la représentation théâtrale où l’on retrouve sa trace et sa description.

12

Le théâtre est une province de la littérature, disait Jacques Scherer. En travaillant spécifiquement sur la représentation, nous avons jugé utile d’adjoindre à la sociocritique la sociologie du théâtre. Qu’en est-il exactement ?

La sociologie du théâtre est une discipline qui s’intéresse à la manière dont le spectacle est produit et reçu par une collectivité humaine et dont on peut lui appliquer une enquête empirique afin de mesurer l’impact social et économique du public.

La sociologie du théâtre vise donc plusieurs aspects à savoir :

- une étude du public, afin de « se rendre compte de leur diversité, de leurs différents degrés de cohésion, de l’importance de leurs transformations possibles en groupements proprement dits » ; - « analyse de la représentation théâtrale elle-même comme se déroulant dans un cadre social » ; - « étude du groupe des acteurs, en tant que troupe, et plus largement, en tant que profession » ; - analyse du rapport entre la fiction, textuelle et scénique, et la société où elle a été produite et où elle est reçue ; - comparaison des fonctions possibles du théâtre selon l’état d’une société à un moment donné. 15 »

Les théories de la réception ont été complétées par les enquêtes de terrain. Nous joindrons ces fiches aux annexes de notre travail.

Pour mieux appréhender le sujet, nous avons trouvé utile de définir certains concepts centraux de ce travail de recherche afin de permettre aux néophytes et aux initiés de la pratique théâtrale d’avoir un même niveau de compréhension du sujet.

15 Patrice Pavis, Op.cit . ; p.332

13

- Le théâtre d’intervention sociale

Théâtre d’intervention sociale ou théâtre pour le développement ? Il est important de souligner que nous avons retenu l’expression théâtre d’intervention sociale dans notre présente étude. Quelles sont les raisons qui ont milité à ce choix.

D’abord, le mot développement nous paraît galvaudé à plus d’un titre. Développement pour qui et développement par qui ? Pendant longtemps, les gens se sont cachés derrière ce mot développement pour s’enrichir de façon illicite et ils ont mis le continent africain dans le chaos et le désastre.

Ensuite, le mot développement est un mot très utilisé. Il peut avoir deux suppositions implicites à savoir qu’il s’entend comme une bonne chose dans l’acception de tout le monde.

Enfin, à force d’être utilisé à tort ou à raison, le mot développement devient un mot banal, dénudé de son sens premier.

Par contre l’expression théâtre d’intervention sociale correspond mieux à cette recherche puisque l’objectif de cette étude est de montrer l’histoire et l’évolution de ce type de théâtre au Burkina Faso et ses incidences sur les populations burkinabé sans oublier ses enjeux esthétiques.

En ce qui nous concerne, nous définissons le théâtre d’intervention sociale comme une forme d’expression théâtrale qui se donne pour mission principale de relever les questions existentielles des populations, c'est-à-dire tout ce qui environne leur vécu quotidien et par là même se propose de trouver des solutions aux problèmes soulevés. Comme son nom l’indique, le théâtre d’intervention sociale est un théâtre social et socialisé qui est fait par le peuple et pour le peuple. En effet, le théâtre d’intervention sociale demeure jusqu’à

14 l’heure actuelle, le théâtre qui prend en compte les préoccupations des populations dans la mise en scène de la pièce-prétexte qui est servie aux spectateurs et qui contient une erreur sociale. Il est donc conçu pour impliquer directement et personnellement le spectateur dans le but de le libérer de l’oppression vécue.

« Qu’on l’appelle selon les lieux et les pratiques théâtre forum, théâtre-débats ou encore théâtre utile, il est clair qu’il correspond à un véritable besoin de la société et qu’il est pour les hommes et les femmes de théâtre africain que nous avons rencontrés un moyen de participer à l’effort de développement de leur pays. 16 »

Intéressons-nous à présent à la notion de développement, expression majeure dans cette présente étude.

- La notion de développement

La notion de développement est une notion très vaste que nous n’avons pas l’intention de définir intégralement car nous n’avons ni les qualités ni l’espace nécessaire pour retenir la pléthore de définition du mot développement .

Cependant, nous pouvons relever deux aspects essentiels du développement. D’une part le développement comme un processus de croissance économique, c'est-à-dire une expansion rapide et durable de production, de productivité et de revenus par personne. D’autre part, le développement est perçu comme un processus qui accroît la liberté du peuple engagé à rechercher une valeur au prix de sa vie. C’est d’ailleurs cette dernière définition qui correspond le mieux à notre étude.

16 Marie Desfontaines in Notre librairie Théâtre Théâtres n°102, juillet-Août 1990, p.90

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Par conséquent, nous nous contenterons simplement des définitions en rapport avec notre thèse car, faut-il le rappeler, nous ne traitons pas du développement comme gain économique mais comme gain social. A ce propos, les travaux du séminaire sur la recherche des éléments d’une politique culturelle nationale ne nous soutenaient-ils pas en affirmant que :

« Le développement économique ne se conçoit sainement que dans le cadre d’une culture véritablement nationale, tant il est vrai que le développement économique, n’est rien d’autre que la révélation progressive, dans un état de parfait accomplissement, de toutes les potentialités matérielles, humaines et spirituelles d’une nation. Dès lors, le développement économique loin d’être assimilable à un phénomène exogène, ne doit se concevoir que dans et par le développement d’une culture nationale authentique. Le développement culturel étant une condition préalable du développement économique, il importe donc de définir les éléments d’une politique culturelle si l’on veut assurer au développement économique des fondations solides.17 »

Il est donc clair que le développement social est une condition sine qua non pour atteindre le développement économique. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) soutient également notre position en ces termes :

« Le développement humain est un modèle de développement qui est bien plus que la hausse ou la baisse des revenus nationaux. Il concerne la création d’un environnement où les gens peuvent développer leur potentiel complet et mener des

17 Jean Claude Ki , Travaux du séminaire sur « la recherche des éléments d’une politique culturelle nationale », mars 1974 in Le théâtre dans le développement socio-culturel en Haute Volta , thèse de 3è cycle, Université Sorbonne Nouvelle Paris III, 1978, p.179

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vies productives et créatives en accord avec leurs besoins et leurs intérêts. Le peuple est la vraie richesse des nations. Par conséquent, le développement signifie l’augmentation des choix que les gens font pour mener la vie à laquelle ils tiennent. Et il est alors question de bien plus que de croissance économique, qui n’est qu’un moyen-si ce n’est un moyen très important- d’accroître le choix des personnes. 18 »

Le développement n’est donc pas l’accumulation de biens et d’argent comme le préconise Aristote qui estime que la richesse n’est pas forcément une fin mais un moyen.

- L’impact

L’impact peut être défini au sens propre comme une trace laissée par un choc produit par un coup ou un projectile. Au sens figuré, l’impact c’est le résultat d’une action. L’impact désigne par conséquent le résultat d’une action sur l’esprit. Dans le cas présent, il s’agit de l’action du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso. En d’autres termes, nous voulons à travers l’impact montrer l’intérêt ou le rôle joué par ce type de théâtre dans le changement de comportements des populations.

Il existe plusieurs types d’impact :

- l’impact peut être positif ou négatif ;

- l’impact peut être immédiat, à moyen terme ou à long terme ;

-l’impact peut être ponctuel ou durable ;

-l’impact peut être global ou spécifique ;

18 Mike Van Graan, « Culture et développement » in L’art et la culture aujourd’hui : Perspectives africaines , édition 2011 ; p.8

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-l’impact peut être individuel ou collectif ;

-l’impact peut porter sur la connaissance, l’état d’esprit, l’affectivité ou les sentiments, ou les comportements.

L’étude d’impact procède donc du souci de vérifier le succès, la qualité et l’efficacité de la sensibilisation par le théâtre forum. Nous pouvons donc affirmer que ces éléments sont complémentaires.

D’abord, le succès mesure l’organisation et la participation du public. C’est un paramètre formel qui consiste à établir une comparaison entre ce qu’on a prévu pour l’organisation et le niveau atteint dans la mise en œuvre. Par exemple, si la troupe prévoie jouer un spectacle à tel jour, dans tel lieu avec la participation de telle catégorie de la population, on mesurera le succès en vérifiant le taux de réalisation de ces prévisions.

Ensuite, la qualité mesure la valeur esthétique du spectacle. Le but de ces représentations théâtrales est de jouer sur l’affect et l’intellect du spectateur. Ainsi, les qualités des représentations théâtrales seront jaugées en fonction de leurs capacités à susciter des émotions fortes collectivement et individuellement. Ces éléments s’apercevront à travers les rires, les pleurs, les acclamations, les révoltes, les émerveillements et les admirations des spectateurs. En outre, nous pouvons noter la capacité du théâtre d’intervention sociale dans son éveil des consciences.

Enfin, l’efficacité mesure les résultats à court, moyen et long terme. C’est le cœur de l’étude d’impact. Nous mesurerons les résultats parvenus au terme d’une série de représentations. Evidemment, les résultats que nous analyserons plus loin peuvent être perceptibles à court, moyen et long terme.

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- La dramaturgie

« Selon le Littré, la dramaturgie est l’ « art de la composition des pièces de théâtre ». La dramaturgie dans son sens le plus général est la technique (ou la poétique) de l’art dramatique qui cherche à établir les principes de constructions de l’œuvre, soit inductivement à partir d’exemples concrets, soit déductivement à partir d’un système de principes abstraits. Cette notion présuppose un ensemble de règles spécifiquement théâtrales dont la connaissance est indispensable pour écrire une pièce et l’analyser correctement ». 19

La dramaturgie étudie tout ce qui concerne la spécificité de l’œuvre théâtrale dans l’écriture, le passage de la scène et la relation au public. Elle travaille donc à articuler l’esthétique et l’idéologique, les formes et le contenu de l’œuvre, les intentions de mises en scène et son accomplissement. La dramaturgie contemporaine repère les évolutions formelles et leurs relations aux idées de la société.

Le théâtre d’intervention sociale s’inspire du théâtre épique de Brecht qui permet l’insertion de récits , de description et de personnage narrateur ou de joker. C’est dans cette perspective définitionnelle que nous envisageons la présente étude .

- La représentation théâtrale

Nous avons décidé de travailler sur les représentations théâtrales et non sur le texte. Qu’en est-il exactement ? Qu’est-ce qu’une représentation ?

Re-présenter, c’est rendre présent dans l’instant de la présentation théâtrale de ce qui existait ou pas dans un texte.

19 Patrice PAVIS, Dictionnaire du théâtre , pp. 247-248.

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« Le théâtre ne représente pas quelque chose de préexistant qui aurait une existence autonome (le texte) et qu’il s’agirait de présenter « une seconde fois » sur les planches. Il faut prendre la scène comme événement unique, construction qui renvoie à elle-même (tel le signe poétique) et qui n’imite pas un monde d’idées(…) La représentation n’existe que dans le présent commun au comédien, au lieu scénique et aux spectateurs. C’est ce qui différencie le théâtre des autres arts figuratifs et de la littérature. 20 »

La représentation est donc unique et consiste à la mise en scène d’un texte ou d’une improvisation par un metteur en scène et qui est donnée à voir. La représentation théâtrale est par conséquent au cœur de notre étude. A travers elle, nous allons faire une analyse sémiologique des différents éléments qui constituent la mise en scène théâtrale.

Le décor étant bien planté, nous allons subdiviser notre travail en trois grandes parties, chaque partie étant composée de trois chapitres. Nous avons donc au total neuf chapitres qui constituent l’ossature de cette thèse.

La première partie est intitulée : l’univers du théâtre burkinabé. Il s’agit d’abord de faire un tour d’horizon sur les conditions d’émergence du théâtre en Afrique et au Burkina Faso ; nous accorderons ensuite une large plage au théâtre forum de Prosper Kompaoré avant de terminer avec la typologie des représentations du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso.

La deuxième partie, quant à elle, est consacrée à l’analyse sémiologique de quelques représentations théâtrales de notre corpus d’étude. Ainsi, nous reviendrons sur la sémiologie théâtrale et la dramaturgie avant de nous focaliser sur l’analyse proprement dite.

20 Patrice Pavis, Op.cit. ; p.302

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La troisième partie de notre travail s’intitule : étude d’impact sur le théâtre d’intervention sociale. Il s’agit d’abord de nous focaliser sur les théories de la réception du théâtre d’intervention sociale ; ensuite nous évoquerons le comportement des spectateurs. Pour terminer, nous compilerons les résultats de nos enquêtes que nous avons appellerons les résultats après les représentations.

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PREMIERE PARTIE : UNIVERS DU THEATRE BURKINABE

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Chapitre1 : Contexte de naissance du théâtre en Afrique et au Burkina Faso

Nous allons nous atteler dans ce présent chapitre à décrire les conditions de naissance du théâtre en Afrique et au Burkina Faso. Nous verrons égalementles origines du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso. Ce sont des conditions préalables à notre avis qui vont nous aider à rentrer dans le vif de notre sujet et favoriser une meilleure compréhension du sujet.

1. Conditions de naissance du théâtre en Afrique

Beaucoup d’encre et de salive ont coulé quant à l’existence ou non d’un théâtre africain précolonial. D’aucuns affirment que l’Afrique possédait bel et bien un théâtre caractérisé par des cérémonies religieuses qui faisaient office de théâtre.

L’expression dramatique au sens où l’entend l’Occident héritier du théâtre grec n’existait pas dans l’Afrique précoloniale. Et au sujet des formes d’expression artistique dramatisée qui pouvaient s’apparenter à une expression théâtrale, le colonisateur s’est empressé de les dévitaliser et de les reléguer dans l’espace réservé à l’ethnographie. Jacques Chevrier nous renseigne à propos :

« Il est certain que si l’on se réfère au cadre rigide de la scène à l’italienne, avec ses décors peints et la ségrégation rigoureuse des acteurs et des spectateurs qui caractérisent encore très souvent les représentations dramatiques en Occident, on peut répondre qu’effectivement le théâtre n’existait pas dans l’Afrique d’autrefois. En revanche, si l’on pense aux spectacles de la Grèce antique ou aux célébrations liturgiques du Moyen Age, dont le caractère est

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essentiellement religieux, on voit clairement que l’Afrique a connu et pratiqué le théâtre depuis ses origines. 21 »

Et le professeur de littérature africaine MwambaCabakulu de renchérir :

« Si le théâtre est la représentation spectaculaire et solennelle d’un aspect ou d’un fait majeur de la vie du peuple, il est certain que lui-même et les activités qui s’y apparentent font partie intégrante du patrimoine culturel de l’Afrique. Les historiens du théâtre africain ont démontré que l’Afrique précoloniale offrait des manifestations qui sont du théâtre authentique. 22 »

En effet, d’autres affirment que le théâtre aurait été introduit par les pères missionnaires en Afrique. Le théâtre indigène d’expression française connaît à partir de 1930 un développement rapide à l’école William Ponty au Sénégal. Parlant du mythe de William Ponty, Jacques Scherer nuance :

« En Afrique francophone, le mythe est celui de l’importance et de l’influence de l’Ecole William-Ponty en matière de théâtre. Il a, comme souvent, deux faces, une bonne et une mauvaise. Aussi l’œuvre de Charles Béart est-elle à la fois l’objet d’un souvenir attendri et reconnaissant et celui d’une suspicion ombrageuse. 23 »

La supériorité occidentale se vivait dans les pièces de William-Ponty en 1937. Charles Béart lui-même ne disait-il pas qu’on trouvait dans les premiers spectacles de la férocité, de la brutalité, de la grossièreté, aussi du libertinage et du dévergondage et toutes les maladies du sens esthétique ?

21 Jacques Chevrier, la littérature nègre , Paris, Armand Colin, p.158 22 CabakuluMwamba, « Quel théâtre africain pour le XXIe siècle ? », in revue de l’instinct théâtral. Le théâtre se ressource en Afrique, p.27 23 Jacques Scherer, Le théâtre en Afrique noire francophone, Paris, 1992, p.25

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L’école de William-Ponty avait donc pour mission de former des auxiliaires africains pour l’administration française. C’est le directeur de l’école Charles Béart qui va impulser une nouvelle esthétique dramatique. Les élèves étaient tenus d’enquêter dans le milieu traditionnel et rédiger des monographies sur les coutumes et ils montaient des pièces qui étaient jouées lors de la fête de fin d’année. Le succès fut rapide et l’activité théâtrale eut tendance à occuper une place importante dans l’enseignement dispensé à William Ponty. Ces activités répondaient au souci des autorités administratives de donner aux Africains une culture spécifique excluant toute remise en cause de l’ordre colonial. Pourtant, Charles Béart n’a jamais accepté le fait que le théâtre de William- Ponty ait été orienté, car pour lui, les étudiants jouaient tout ce qu’ils voulaient. Bakary Traoré, par contre, ne partage pas l’avis de ce dernier. Ayant approché les anciens élèves, voici son témoignage :

« Les élèves s’employaient pendant les vacances à interroger les vieillards, les sages du villages, pour recueillir les légendes et les traditions. Au retour à l’école, à deux ou trois, ils discutaient sur le choix du thème le plus scénique, le plus transposable en langue française et, fait important, le sujet « le plus proche du goût européen 24 »

Pour Jean Pierre Guingané, le théâtre de William-Ponty avait un but précis :

« Utiliser le théâtre pour modeler l’esprit des intellectuels et des populations africaines de l’époque afin de les amener à une meilleure adhésion à la politique coloniale. 25 »

24 Bakary Traoré cité par Jacques Scherer dans le théâtre en Afrique noire francophone , p.26-27 2525 Jean-Pierre Guingané, Théâtre et développement économique en Afrique, Burkina Faso, Université de Ouagadougou, p.3

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Toujours dans son ouvrage, « Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales », Bakari Traoré nous situe l’origine du théâtre négro-africain non seulement dans le culte des dieux mais aussi dans la tradition griotique. Pour lui, les griots étaient sans conteste les dépositaires de la parole puisqu’on notait l’inexistence de l’écriture. Les griots apprenaient la généalogie des différents groupes que constituaient les différents villages et se spécialisaient dans les jeux des instruments de musique.

« Les griots faisaient parler leurs héros et les histoires devenaient dans leur bouche de véritables scènes de théâtre à personnages multiples par un acteur unique 26 »

L’école de William-Ponty fut par conséquent un creuset de la divulgation des savoirs endogènes africains.

Pour Jacques Scherer, le théâtre africain a commencé en 1930 et cette jeunesse dans la pratique théâtrale a permis que le rapport entre la fiction théâtrale et la réalité contemporaine soit totalement visible par tout le monde. Notons également que dans les périodes les plus écoulées, on n’a enregistré aucun document écrit ni de témoignage sur le théâtre. Les différents documents consultés nous font cas de la création d’une pièce de l’Ivoirien Bernard B. Dadié alors élève à Bingerville à Abidjan dénommée « les villes ». Scherer soutient son affirmation plus loin avec cette assertion:

« En Afrique, l’histoire du théâtre est possible, mais elle est condamnée à l’approximation, puisque des trois naissances successives d’une pièce de théâtre, celles de son écriture, de sa

26 Bakary Traoré, Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales, Paris, Présence africaine, 1958, p.36-37

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représentation et de son édition, on ne connait en général que la dernière. 27 »

Le théâtre serait-il né d’abord à Bingerville en Côte d’Ivoire avant de toucher l’école de William Ponty au Sénégal ? Dans son article intitulé « Des origines au théâtre de Bingerville », F.J Amon raconte :

« C’était un jeudi. L’un des élèves Aka Bilé revêtu du nouvel uniforme de l’école avait passé un ceinturon sur sa veste kaki aux boutons dorés et, sur la tête, une chéchia. Il était devenu un parfait garde de cercle, c'est-à-dire l’un des personnages redoutables et redoutés qui gravitaient là autour du « Commandant », chicote en main, il poussait devant lui un individu craintif qu’il conduisait peut- être en prison. Ce personnage malheureux, vêtu d’une couverture rouge, était AnimanAmonlin. Cette scène à peine comique évoquait le traitement que subissait chaque jour dans les villages, la population soumise au régime de l’indigénat. Elle provoqua aussitôt, autour des élèves, attroupement et tumulte. Pensant sans doute à un mouvement de révolte, Charles Béart descendit en toute hâte de son logement à étage planté au niveau de la cour. Quelle ne fut sa surprise quand il fut instruit du vrai motif de cette agitation. Et au lieu de punition, il encouragea ses élèves à organiser aussi souvent que possible de telles scènes. Le théâtre de Bingerville était né. Ce fut Charles Béart qui donna le ton en faisant apprendre à ses élèves des extraits de pièces classiques, suivi en cela par Robert Grillon qui lui succéda à la fin de son premier séjour.28 »

27 Jacques Scherer, op.cit., p.20 28 F.J Amon d’Aby, « Des origines au théâtre de Bingerville » in Notre librairie n°86, Paris 1987, pp.96- 97

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L’œuvre de Charles Béart va se poursuivre à l’école de William Ponty. La première représentation la plus brillante fut donnée le 11 juin 1933 devant les autorités à William Ponty. La pièce comprenait : « La grammaire de Labiche et la dernière entrevue de Béhanzin et de Bayol », création collective relatant un épisode de l’histoire du Dahomey. Cette représentation fut mentionnée dans la revue « l’Education africaine » publiée à Dakar en 1937 dans le numéro spécial, « Le théâtre indigène et la culture africaine ».

En effet, ce théâtre ne va pas se contenter seulement du cadre de William Ponty. Son rayonnement sera tel que les élèves, après la période scolaire, trouveront la nécessité de jouer des pièces dans les principales villes des territoires. Aussi, les instituteurs formés à l’école William Ponty vont contribuer énormément au développement du théâtre en Afrique. A partir de 1940, les anciens élèves créeront l’association William Ponty dont les statuts seront approuvés en 1943. Leur premier acte fut la création du bulletin Genèse pour maintenir le flambeau de la création artistique. On assista à la création d’une troupe amateur. L’exemple de la troupe Keita Fodéba : « Le Théâtre africain » en est une belle illustration. Cette troupe est une continuité du théâtre de William Ponty. Pour Bakary Traoré, cette troupe est un :

« Instrument de connaissance de valeurs culturelles du Monde Noir en voie de développement. C’est l’Afrique toute entière, l’âme exquise et fraiche d’un peuple merveilleusement élégant dans ses gestes et ses pas où le corps possède encore cette légèreté de lignes, où toute musique est rythme et toute parole devient mélodie ; grâce à Keita et à ses amis, nous avons la révélation de la vie poignante et belle infiniment, de la profonde et mystérieuse Afrique qui nous donne en un soir, par ses danses, ses chants, ses poèmes, par le choix merveilleusement sûr des couleurs, de ses coutumes, grâce à

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l’élégance inimitable de ses jeunes gens et jeunes filles, une idée de la perfection et de l’originalité indiscutable de sa culture. 29 »

Nous pouvons donc affirmer que l’école de William Ponty avait atteint sa mission de donner aux petits enfants africains le goût du théâtre à l’occidentale. A titre d’exemple, en Haute Volta aujourd’hui Burkina Faso, pour la fête de l’indépendance, la pièce de Moussa Sawadogo, instituteur sorti de l’école de William Ponty intitulée : La genèse de Yennega ou la fille de la Volta fut jouée pour l’occasion.

A partir de 1954, le théâtre s’engage sur la voie de la contestation et la remise en cause de l’ordre colonial. En 1958, on assiste à deux événements majeurs : la proclamation de l’indépendance de la Guinée et la publication de l’ouvrage de Bakary Traoré intitulé : « Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales ». Cet ouvrage ? comme nous l’avons cité précédemment, ouvre la voie à une prise de conscience et à une spécificité du théâtre africain. Il analyse avec force et vigueur les différents contours de la société africaine à travers le théâtre.

C’est ainsi que nous assisterons à un « boom théâtral » à partir de 1960 avec l’accession des anciennes colonies françaises à l’indépendance. Le théâtre va profiter se développer sans faire forcément référence à la puissance coloniale. Les groupes théâtraux voient le jour ainsi que les centres culturels en 1953. Les centres culturels sont des relais et des contrôles de l’action culturelle des Africains chez eux. Tout en faisant la promotion des spectacles africains, les occidentaux contrôlent de fait les créations. Et c’est grâce à cet archivage que nous pouvons dire avec Jacques Scherer, envoyé par la afin d’animer des conférences en Afrique et toucher du doigt la pratique théâtrale africaine qu’en 1988, le Burkina Faso comptait environ huit millions

29 Bakary Traoré, Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales, pp.55-56

29 d’habitants, repartis en soixante ethnies avec une cinquantaine de troupes théâtrales. Environ cinq cent cinquante pièces avaient été écrites entre 1958 et 1996. Le problème d’édition se posant avec beaucoup plus d’acuité, seulement huit pièces avaient été publiées. Cet engouement des Africains va amener la France a créé le Concours Théâtral Interafricain en 1968 pour collecter et diffuser par les radios locales les pièces.

Toujours à partir de 1960, le mouvement théâtral africain va s’intensifier avec des pièces comme La mort de Chaka de Seydou Badian, Monsieur Thôgôgnini de Bernard B. Dadié. Le thème de la révolte et la lutte pour la liberté était déjà inscrit en filigrane dans les dernières pièces de William Ponty avec des mises en scène des héros comme Samory Touré, Lat Dior Diop. Comme nous l’avons déjà souligné, le théâtre de William Ponty s’attaquait souvent aux coutumes des Africains et présentait les chefs qui ont résisté à la colonisation française comme des rebelles et non comme des sauveurs de leurs continents. Prosper Kompaorérésume l’aventure du théâtre importé à environ cinq étapes :

- « phase du théâtre missionnaire et de patronage : thème liturgique, biblique et comédie de boulevard. - Phase du théâtre universitaire de William Ponty (1935-1949 : thème : folklore et histoire dans une perspective ethnographique récupérée par la stratégie coloniale). - Phase du théâtre ballet de Keita Fodéba de 1945-1953, thème : danses folkloriques dans l’axe de la négritude, et pour une perspective émancipatrice. - Phase du théâtre de centre culturel de 1954-1959, thème : histoire et présent social dans la perspective d’une récupération par le système colonial.

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- Phase du théâtre militant, d’engagement politique à partir de 1960… 30 »

Pour fermer cette fenêtre sur le théâtre « Pontin », nous dirons que le théâtre africain a fait ses premiers pas à l’école de William Ponty avec à sa tête son directeur Charles Béart.

Pierre Médéhouegnon qui a consacré sa thèse à l’historique du théâtre francophone de l’Afrique de l’Ouest nous renseigne sur la pratique théâtrale de cette période :

« Les indépendances de 1960 ont produit un double effet sur les activités théâtrales dans les nouveaux Etats francophones de l’Afrique de l’Ouest ; d’une part, elles ont favorisé la création ou la multiplication de troupes modernes et de ballets traditionnels dans le prolongement des initiatives coloniales des années 1950, d’autre part, elles ont libéré l’inspiration et la plume de plusieurs écrivains 31 »

Pour lui, les principales caractéristiques de l’expression et de la création dramatiques de cette période, c'est-à-dire de 1960 à 1970, peuvent se regrouper en deux expressions : continuité et changement ; continuité de l’héritage colonial par certains aspects de la production dramatique, et changement inspiré par le nouveau contexte de liberté consécutif aux indépendances. Il distingue trois nouveaux types de théâtre dans la période de 1970 à 1980 : le théâtre social réformateur, le théâtre de désenchantement et le théâtre de recherche 32 .

30 Prosper Kompaoré, Les formes de théâtralisations dans les traditions de la Haute Volta, thèse de 3ème cycle, Université Sorbonne Nouvelle Paris III, 1977, p.12-13 31 Pierre Médéhouegnon, Le théâtre francophone de l’Afrique de l’Ouest. Des origines à nos jours. (Histoire et analyse), Cotonou, 2010, p.39 32 Op cit., p39

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De nos jours, le théâtre africain a pris une autre envergure surtout dans sa conception esthétique.

Nous sommes d’accord avec Sylvie Chalaye quand celle-ci affirme que :

« Ces dernières années, l’Afrique noire francophone s’est dotée d’un théâtre qui ne cesse d’affirmer une indépendance esthétique et une originalité créatrice qui n’est pas sans déconcerter le regard de ceux qui croyaient pouvoir circonscrire les expressions dramatiques africaines dans cette typologie simplificatrice et rassurante que l’on appelle le « théâtre africain ». Tout tend à prouver aujourd’hui que l’Afrique noire à son théâtre comme aime à dire l’auteur togolais KossiEfoui.Du point de vue de l’écriture d’abord, avec, depuis l’extraordinaire brèche ouverte par Sony LabouTansi, l’émergence d’auteurs qui ont cessé de subir la langue française comme un héritage de la colonisation, et qui ont aussi renoncé à la considérer comme un simple outil ou vecteur de communication… Sony LabouTansi est devenu une figure dramatique, celle d’une dramaturgie de l’audace aussi bien linguistique que structurelle, une dramaturgie qui ose brouiller les repères et déconstruire les référents, qui ose l’exubérance et la fantaisie. C’est l’inventivité que Sony LabouTansi a su revendiquer qui a ouvert la voie.Une nouvelle génération d’auteurs dramatiques de la diaspora dont font partie KoulsyLamko (Tchad) (…), KossiEfoui (Togo) (…), Koffi Kwahulé (Côte d’Ivoire), José Pliya (Benin) (…) et d’autres, réinvente à son tour son rapport à la langue française… L’Afrique revendique aujourd’hui un imaginaire que ne saurait lui imposer ou lui suggérer un circonstanciel linguistique et culturel limité à l’héritage colonial. Elle revendique en amont comme en aval un art dramatique à la

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pluralité d’inspiration capable d’embrasser le monde et de convoquer l’humanité. Cet enjeu est au cœur des mutations esthétiques que connaissent actuellement les expressions théâtrales. 33 »

Plus loin, elle ajoute ceci :

« Un théâtre qui s’est engagé d’abord dans une redéfinition de soi et de cette identité qui n’a plus à être imposée de l’extérieur par le regard occidental. Un théâtre qui revendique sa contemporanéité, brouille les pistes et ne donne plus rendez-vous dans les lieux attendus de la conscience simplificatrice et souvent paternaliste, voire infantilisante que se donne l’Occident en Afrique. Un théâtre qui déconcerte et qui prend le spectateur à contre-pied, voir à rebrousse- poil, car il s’agit bien d’un théâtre qui cherche à mettre en crise un public. 34 »

Le théâtre joué en Afrique aujourd’hui est un théâtre d’échange, de mélange et d’hybridation culturelle. Aussi dire qu’une œuvre est africaine ne relèvera plus seulement de sa localisation géographique, mais dans l’esthétique contemporaine que ses auteurs utiliseront.

Pour illustrer ce que nous venons d’avancer, nous pouvons citer des pièces comme Le carrefour de KossiEfoui et Chemins de croix ou chronique d’une mise à mort symbolique de KangniAlemdjoro primées respectivement en 1989 et 1990 au Concours Théâtral Interafricain. Jacques Scherer nous fait remarquer ceci :

« Il suffit de constater l’extrême diversité du théâtre africain pour comprendre qu’il ne s’assujettit à aucune règle. Il rejette l’idée même d’une règle préétablie et n’a nullement le désir de chercher

33 Sylvie Chalaye, L’Afrique et son théâtre au tournant du XXème siècle, Rennes, 2001 p.13-14 34 Sylvie Chalaye ; Op.cit. ; p.14

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ailleurs des recettes qui lui conviendraient. Au contraire, il défend son originalité et poursuit, généralement à l’intérieur du monde africain, sa quête des formes ou d’émotions nouvelles. Les trois unités tant vantées en Europe à certaines époques, ne sont pas faites pour lui. 35 »

La revue numéro 102, Notre Librairie, de juillet-août 1990 s’intitulait : « Théâtre ?... Théâtre ! » Les contributions à ce numéro cherchaient à démontrer qu’il n’y a pas un théâtre en Afrique, mais des théâtres si l’on tient compte de l’histoire générale de l’Afrique. Jean Pierre Guingané y publiait son article : « De Ponty à Sony » où il faisait étalage de l’évolution du théâtre africain à ses différentes périodes.

Dans son article : « Quel théâtre africain pour le XXIème siècle?», MwambaCabakulu 36 faisant la situation actuelle de chaque forme de théâtre,a dégagé ensuite trois types de théâtre à savoir : le théâtre traditionnel, le théâtre contemporain en langues européennes et le théâtre contemporain en langues africaines.

Le théâtre traditionnel ou précolonial ne se détache jamais de la vie collective. Il est l’expression de la vie de l’homme. Selon Harris Memel- Fote 37 , le théâtre traditionnel se caractérise par trois traits : d’abord théâtre rural par ses origines et son cadre, ensuite ce théâtre était une synthèse artistique, et enfin, ce théâtre était essentiellement populaire par la source des thèmes, par l’origine sociale des acteurs et par la participation de ses acteurs.

Le théâtre africain en langue française est né à l’école William Ponty. Il était pratiqué par les élèves des différents territoires coloniaux français qui jouaient des pièces de théâtre en français sur les sujets de leurs traditions. Ces

35 Jacques Scherer, op, cit,. p107 36 Cabakulu Mwamba, « Quel théâtre africain pour le XXIè siècle ? », in revue De l’instinct théâtral. Le théâtre se ressource en Afrique, 2004, p.27 37 Harris Memel-Fote, « Anthropologie du théâtre négro-africain traditionnel. Le théâtre négro- africain. », p.25-30

34 pièces se caractérisaient par l’adjonction du folklore à l’esthétique du théâtre français avec la scène à l’italienne.

Le théâtre contemporain en langue africaine a surgi dans les zones urbaines dans les années 1980. Il s’est révélé rapidement comme un théâtre dynamique avec des troupes qui avaient une durée de vie assez variable. C’était un théâtre populaire car il exprimait les besoins des populations, d’où l’appartenance au peuple. Art populaire par excellence, véhicule pour des idées de renouveau social, politique et culturel, ce théâtre en langue africaine est animé en grande partie par une jeunesse enthousiaste qui, par le biais des associations, a compris la relation existant de manière étroite entre le théâtre et le développement. Nous pouvons donc inscrire le théâtre d’intervention sociale dans cette dernière catégorie.

Après avoir retracé l’histoire du théâtre africain, nous pouvons dire qu’effectivement l’Afrique avait son théâtre bien qu’on ait constaté une vive polémique quant à l’existence d’un théâtre africain ou non. Nous pouvons même affirmer sans nous tromper que la vie africaine est théâtre.Pour paraphraser Thomas Melone, il suffit d’observer les cérémonies religieuses comme les baptêmes, les mariages, les funérailles, les rites initiatiques pour s’en convaincre que la vie africaine est théâtre. Pour lui, un regard sur la vie africaine suffit à nous convaincre que celle-ci est essentiellement théâtrale. Le moindre événement y sert de prétexte à toute une vaste liturgie où les libations, les repas lourds, la musique et la danse, la débauche des gestes soulignent par leur éclat le propos même insignifiant, que tiendra le porte- parole.

Nous allons à présent nous intéresser aux conditions d’émergence du théâtre burkinabé qui fait l’objet de notre étude. Nous verrons par exemple son historique et son évolution, les différents types de théâtre qui sont pratiqués et

35 nous mettrons l’accent sur le théâtre d’intervention sociale qui constitue l’ossature de cette thèse.

2. L’action des centres culturels

« Dans son œuvre de destruction, le pouvoir colonial s’est doté d’instruments, autres que l’armée, l’administration et l’école. Traquer les pratiques culturelles indigènes jusque dans leur dernier retranchement était la ligne de conduite de la politique d’assimilation. Il s’agit de briser la personnalité des populations autochtones afin de mieux les charrier dans les voies de l’acculturation…Mais les riches enseignements de l’histoire des peuples de par leur monde nous apprennent que « là où il y a oppression, il y a lutte et résistance. 38 »

L’érection des centres culturels dans les pays africains a contribué énormément à la consolidation et à la perpétuation de l’action colonisatrice de l’école de William Ponty. En effet, pour pouvoir contrôler l’action culturelle des africains, la métropole avait décidé de la construction de centres culturels dans les différentes capitales africaines.

« En 1953, l’augmentation de plus en plus forte des initiés à la culture française encouragea les administrateurs coloniaux à la création des Centres Culturels dans tous les « chefs lieux de brousse ».Sur instigation du Gouverneur Général, M. Bernard Cornut-Gentille, l’implantation de ces centres fut décidée et réalisée en A.O.F par M. Jacques Poinsot. Dès les premiers moments de conception et de

38 Jean Claude Ki, Le théâtre dans le développement socio-culturel en Haute-Volta, Thèse de 3 ème cycle, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, Institut d’Etudes Théâtrales, 1978, p.34

36

réalisation de ceux-ci, l’intérêt pour les activités théâtrales fut manifeste. 39 »

Après l’action des missionnaires à travers les évangélisations, la culture paraissait être l’outil le mieux adapté pour mesurer le degréd’ouverturethéâtrale des Africains. Il fallait donc agir et vite. InvitonsRobert Cornevin qui a une idée sur ce projet :

« Tous les bâtiments en construction pour les centres culturels comprendront une grande pièce de représentation ou tout au moins des aménagements permettant des représentations en plein-air. 40 »

Ainsi on assista à la construction des Centres Culturels dans les capitales africaines. Dakar, capitale du Sénégal et de la métropole française ne sera pas en reste. C’est d’ailleurs ce qui fait que Jacques Scherer avance ceci:

« Le plus bel édifice théâtral d’Afrique noire francophone est le Théâtre Daniel-Sorano à Dakar…C’est un théâtre à l’italienne ; il n’a rien de spécifiquement africain et n’a fait aucun effort pour créer un espace original. 41 »

Il faut noter cependant que l’absence de théâtres en Afrique peut s’expliquer soit par le climat des représentations soit par le blocage institutionnel des gouvernements qui n’ont pas intérêt à ce que naissent des démarches émotives qu’ils auront du mal à contrôler. Les gouvernements africains ont la pleine conscience que le théâtre peut permettre l’expression

39 Privat Roch Tapsoba, Théâtre et action culturelle au Burkina Faso, Regard sur les formes d’animation , thèse de 3è Cycle, Paris VIII, p.122 40 Robert Cornevin, Le théâtre en Afrique Noire et à Madagascar , Collection Le Livre Africain, Paris 1970, p.111 41 Jacques Scherer, Le théâtre en Afrique noire francophone , p.43

37 de points de vue peu favorables à leur politique, d’où une réticence vis-à-vis de l’éclosion de centres culturels.

Mais à partir de Novembre 1953, les textes régissant les centres culturels avaient déjà vu le jour avec l’idée d’un concours artistique et théâtral à Dakar. Robert Cornevin nous renseigne sur une partie du règlement :

« Les spectacles pourront soit être entièrement conçus par les centres, soit consister en transpositions originales de pièces ou chansons métropolitaines. (…). Ils devront être donnés en langue française pour pouvoir être, le cas échéant, compris de tous les centres de la fédération, sauf bien entendu les chants folkloriques qui pourront être interprétés en dialectes .42 »

Pour Privat Roch Tapsoba, la création des centres culturels poursuivait trois objectifs fondamentaux :

« - favoriser un regroupement fructueux des élites évoluées, souvent laissées à l’abandon ;

- Leur donner la possibilité d’appeler plus aisément à leurs côtés, à l’occasion de réunions diverses, d’autres autochtones moins évolués ;

- Organiser les loisirs de la jeunesse. 43 »

Les centres culturels étaient très selects et cultivaient l’élitisme. C’étaient les plus instruits qui fréquentaient ces centres. Même de nos jours, le Centre Culturel Français Georges Méliès de Ouagadougou devenu

42 Robert Cornevin cité par Privat Roch Tapsoba, Op.cit., p.123 43 Privat Roch Tapsoba, Op.cit., p.123

38 l’Institut français continue d’accueillir pour la plupart de son public, des intellectuels, des expatriés et des étudiants.

Il faut dire que cette politique française a contribué à la négation de la culture africaine par les intellectuels africains qui ont commencé à fustiger les coutumes africaines car pour eux, pour reprendre les mots de Privat Roch Tapsoba, la valeur suprême et la société parfaite se trouvaient en Occident et leur miroir en ville. Ces centres culturels qui ont contribué à la perte des valeurs africaines au lieu de lutter contre la déperdition culturelle ont creusé le fossé entre les Africains et leurs mœurs . On dénombre à Ouagadougou,en plus du Centre Culturel Français, celui des Etats-Unis, de l’Union Soviétique, de l’Allemagne, de la Lybie…Mais nous nous focaliserons sur celui de la France, pays colonisateur du Burkina Faso pour relever quelques aspects positifs de ce centre. En effet, le Centre Culturel Français de Ouagadougou a été créé en 1968. Il est géré et administré par le service culturel de l’ambassade de France.

Lompolo Koné fut l’un des premiers gestionnaires de la maison des jeunes de Banfora au Burkina Faso. Il fut également rédacteur en chef de la revue Traits d’Union qu’il dirigea jusqu’en 1957. C’était un fervent défenseur des Centres Culturels.Nous proposons un des extraits d’un éditorial :

« Etre en brousse effectivement c’est être très souvent en marge de toute actualité. C’est très souvent être sevré de toute culture au moment précis où l’on est assoiffé de culture. C’est, à quelques rares exceptions près, être à la merci de l’emprise d’influences qui, loin de favoriser l’élévation, l’épanouissement de l’être humain, détruisent au contraire le peu de disposition qu’il peut avoir. 44 »

44 Lompolo Koné, Traits d’union , Mars-avril, 1954, p.5

39

Pour lui, les centres culturels viennent à temps pour libérer le peuple et lui permettre d’échapper à cette vie monotone de la brousse où on note l’absence de cinéma, de radio et de presse.

C’est également lui qui organisa les demi-finales de la coupe théâtrale des centres culturels de l’Afrique Occidentale Française qui se sont déroulées à Bobo Dioulasso en juin 1985.

Outre les activités théâtrales, musicales et cinématographiques qu’il organise mensuellement, le Centre Culturel Français dispose d’une bibliothèque et d’une médiathèque qui attire au moins 50% de la population scolarisée de Ouagadougou. C’est un lieu de rencontre et de brassage culturel. Le Centre Culturel Français accueille chaque année de nombreuses expositions artistiques et scientifiques. Ce qui fait de lui un carrefour culturel au cœur de l’Afrique de l’Ouest.

Nous pouvons dire sans risque de nous tromper que l’école de William Ponty au Sénégal, l’action des Centres Culturels et l’organisation des concours artistiques ont favorisé l’émergence du théâtre burkinabé.

3. Emergence du théâtre burkinabè

Le succès des premières pièces historiques burkinabé au lendemain de l’indépendance et du Concours Théâtral Interafricain a contribué a installé une véritable tradition de théâtre historique au Burkina Faso entre 1970 et 1980. On peut citer quelques pièces créées sur l’histoire de la Haute-Volta, Yennega de Karim Konaté (1972) et Naba Ouédraogo de KollinNoaga (1980) qui sont des pièces écrites pour rendre hommage à la princesse Yennega. On peut noter aussi des pièces écrites sur la révolte et le mécontentement des populations vis-à-vis du pouvoir colonial. Il s’agit de Amaro ou la bataille de Noumoudara de Yaya Konaté (1972) et Amaro de Jacques Prosper Bazié.

40

Convions une fois de plus Pierre Médéhouegnon qui a une idée sur le choix des thèmes des dramaturges du théâtre historique du Burkina Faso :

« En s’attaquant ainsi aux mœurs traditionnelles de leur société, les dramaturges ont le souci d’aider à changer ce qui ne va pas de l’héritage socio-culturel légué par les ancêtres d’une part et, d’autre part, de s’impliquer dans les recherches de solutions engagées à plusieurs niveaux, par les intellectuels et hommes politiques du Continent, pour résoudre les problèmes de développement dans le nouveau contexte des indépendances. Ce théâtre, favorable aux réformes sociales à partir de la transformation de l’héritage culturel ancestral a fait recette en Côte d’ivoire et au Burkina Faso 45 »

Le théâtre du Burkina Faso comme celui des autres pays de l’Afrique de l’Ouest est en partie héritier du théâtre français et de la colonisation. Après les indépendances, chaque pays s’est orienté dans la recherche d’une expression dramatique proche de ses aspirations, de ses besoins et de son identité culturelle. L’une des facettes du théâtre au Burkina Faso est l’association de l’expression théâtrale traditionnelle aux influences du théâtre colonial pour produire un théâtre national dont les deux principales innovations s’inspirent de l’expérience du brésilien Augusto Boal : le théâtre- forum de Prosper Kompaoré et le théâtre-débat de Jean-Pierre Guingané.

« Le théâtre burkinabè a connu un cheminement remarquable caractérisé par des bonds qualitatifs et quantitatifs à certaines étapes de son évolution. Animé par des précurseurs à l’orée des indépendances avec pour principal porte-étendard Lompolo Koné, il a enregistré un progrès significatif à partir des années 1970 avec l’avènement des pères du théâtre moderne burkinabè comme feu le

45 Pierre Médéhouegnon, op.cit, p.55

41

professeur Jean-Pierre Guingané, le professeur Prosper Kompaoré, feu Amadou Achille Bourou. 46 »

Les enseignements de ces passionnés de l’art dramatique ont suscité beaucoup de vocations et fait de nombreux émules dans les rangs de la jeunesse burkinabè.

Les formations, les créations et les diffusions réalisées par ces architectes du théâtre de notre pays ont eu pour effet de démystifier et libérer le théâtre, de le valoriser et de lui conférer ses lettres de noblesse, de le fixer dans le paysage culturel du pays et de le faire reconnaître à la fois comme un important outil de communication social, et un métier à part entière.

Nous allons nous arrêter un instant pour présenter deux figures du théâtre burkinabè. Le premier, c'est-à-dire Amadou Achille BOUROU fait partie des personnes qui contribué à l’émergence du théâtre burkinabé et le second a porté un regard critique sur ce théâtre, il s’agit du tchadien de Koulsy LAMKO.

3.1 Présentation de Amadou Achille BOUROU

Achille Amadou BOUROU 47 est né le 14 novembre 1951 au Mali. Il a effectué ses études au Burkina Faso et en France. Il était titulaire d’une maîtrise d’enseignement en Lettres modernes à Paris VIII. C’est au cours de l’année de son DEA qu’il décida d’interrompre ses études en Lettres pour une école de théâtre. Revenu au bercail, il fonde en 1990 la compagnie Feeren. Ils sont donc nombreux aujourd’hui ses disciples qui portent haut les couleurs du pays des hommes intègres à l’extérieur du pays. Au-delà de son talent de

46 Matin ZONGO, Etat des lieux du théâtre burkinabè et fondements des Lompolo, discours de la nuit des Lompolo 2013 à la salle des banquets de Ouaga 2000. Les Lompolo sont des prix de récompenses annuelles des professionnels du théâtre les plus méritants. 47 Consulté sur http://lefaso.net/spip.php?article34823 le 13/09/ 2017 à 16 h10 mn

42 formateur, Amadou Achille Bourou a été un excellent comédien, car il a incarné avec dextérité de nombreux rôles tant au niveau des planches que de celui du cinéma. Depuis, il a signé d’une main de maître plusieurs œuvres théâtrales en qualité de metteur en scène, et a également incarné avec brio certains personnages dans plusieurs films qui ont connu du succès. Selon Prosper Kompaoré, son premier rôle dans le théâtre remonte en 1972.

Du jeune garçon qui aimait bien les séances de répétition théâtrale du lycée, les jours de repos, au professionnel de la scène qu’il est devenu, il a fallu beaucoup de travail et de volonté à Amadou Achille BOUROU. Il est important de souligner que c’est grâce à un frère religieux qui enseignait l’expression orale au collège de Tounouma à Bobo-Dioulasso qu’il attrape le virus du théâtre. Dès lors, sa flamme pour le théâtre a brûlé de mille feux. Elle est même arrivée, à force de travail, à supplanter son amour pour les sports équestres, le vélo, le football et le saut en hauteur, pour lequel il passait pour une icône au collège de Tounouma. Si la pratique du théâtre était une affaire d’amateur pour le jeune collégien de la ville de Sya, elle prend une tournure encore plus sérieuse à l’université. Il fut un éminent professionnel pour avoir aimé et pratiqué rien que l’art toute sa vie. Il est l’auteur de nombreuses pièces de théâtre et adaptations théâtrales dont il est également metteur en scène.De son talent d’acteur au cinéma il a émerveillé le public et les professionnels du septième art à travers plusieurs films dont l’amour maternel de Dragoss Ouédraogo 1992, Le Tourbillon (Silmandé) de Saint Pierre YAMEOGO 1998, Siraba en 2003 de Issa TRAORE de BRAHIMA, Le monde est un ballet de Issa TRAORÉ de BRAHIMA 2006, Quand les éléphants se battent… de Abdoulaye DAO et Kouka Aimé ZONGO.

Il a reçu plusieurs distinctions notamment celle de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française et de Chevalier de l’Ordre du Mérite avec agrafe Arts et Lettres du Burkina Faso. Il reste aujourd’hui une

43 référence de choix, notamment dans la conception chorégraphique pour de grands événements nationaux, comme le festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO).

3.2 Présentation de Koulsy LAMKO

Koulsy LAMKO est né en octobre 1959 à Dadouar au Tchad. C’est une personnalité qui porte plusieurs casquettes : dramaturge, romancier, poète et essayiste.Il est de nationalité tchadienne.

En 1983, il quitte son pays en proie à la guerre civile. Il commence des études de Lettres et d’Arts au Burkina Faso où il obtient une maîtrise de Lettres Modernes. Il y enseigne ensuite pendant trois ans avant de travailler à l’Institut des Peuples Noirs. En 1994, il crée Kaléido Culture, une agence d’animation culturelle de projets basée à Ouagadougou. Il a contribué à la promotion du théâtre au Burkina et a été l’un des fondateurs du Festival International du Théâtre pour le Développement (FITD) de Prosper Kompaoré.

Parallèlement, il soutient une thèse de doctorat sur Emergence difficile d’un théâtre de la participation en Afrique noire francophone en France à l’Université de Limoges en 2003.

Auteurs de plusieurs pièces de théâtre, poèmes, nouvelles, contes, scénarios, il est aussi entrepreneur culturel, metteur en scène et comédien. Ses nouvelles et pièces de théâtre ont été plusieurs fois primées ; beaucoup sont publiées. Ses pièces ont été jouées par des compagnies théâtrales en Afrique, en Europe et au Canada.

Depuis 2003, il enseigne la dramaturgie et l’histoire du théâtre à l’Institut des arts de l’université autonome d’Hidalgo au Mexique et s’occupe

44 de la mise en œuvre d’un projet de Casa Refugio (centre de résidences et de promotions des cultures africaines) dans le Centro Historico de Mexico.

Koulsy Lamko est assez peu connu du public burkinabé. Il ne fait pas partie des auteurs qui ont fait émerger le théâtre burkinabé mais c’est un dramaturge qui a porté un regard critique sur le théâtre burkinabé. Après avoir passé sept saisons théâtrales à l’Atelier Théâtre Burkinabè (ATB), Koulsy Lamko connait bien le théâtre burkinabé.

Intéressons-nous maintenant à sa bibliographie :

Théâtre

Le camp tend la sébile , 1988, éditions Presses Universitaires de Limoges2

Ndo kela ou l'initiation avortée , 1993, éditions Lansman2 - rééd. 2016

Tout bas... si bas , 1995, éditions Lansman3

Comme des flèches , 1996, éditions Lansman

Le Mot dans la rosée , 1997, Actes Sud Papiers4

La Tête sous l'aisselle , 1997, éditions Ligue de l'Enseignement et DGER

Contes

Regards dans une larme , 1990, éditions Mondia-Canada

Les Repos des masques , 1995, éditions Marval

Sou, sou, sou, gré, gré, gré , 1995, éditions FOL 87, Limoges / Festival International des Francophonies en Limousin (recueil supervisé par Nadine Chausse & Marc Bruimaud)

Aurore , 1997, éditions Le bruit des autres

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Romans

La Phalène des collines , 2000, Centre universitaire des Arts5

Les racines du Yucca , 2011, éditions Philippe Rey6

Poésie

Exils , Solignac 1993, Le Bruit des Autres

Essai

Koulsy Lamko sur l'homme exotique , 2009, Le pouvoir de la culture.

Nous présentons une photo de Koulsy Lamko lors d’une représentation de théâtre forum avec l’Atelier Théâtre Burkinabé (ATB). Il joue le rôle d’un vieillard en s’appuyant sur un bâton.

Source : Koulsy LAMKO

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Notons que la liste n’est pas exhaustive. À côté de ces figures qui ont contribué à l’éclosion du théâtre burkinabé, nous avons une nouvelle génération d’auteurs qui portent le théâtre burkinabé à l’intérieur comme à l’extérieur Burkina Faso. Ces jeunes auteurs que nous pouvons appeler la « deuxième génération » puisqu’ayant été formés pour la plupart par les devanciers que nous avons cités précédemment, constituent aujourd’hui la relève du théâtre burkinabé. Etienne Minoungou, Odile Sankara, Ildévert Méda, Charles Wattara, Aristide Tarnagda, Paul Zoungrana, Mahamoudou Tindano, Ali K. Ouédraogo, etc. sont des jeunes auteurs qui perpétuent l’œuvre de leurs devanciers et du théâtre burkinabé.

Aujourd’hui, le théâtre sous toutes ses formes est pratiqué au Burkina Faso. Dans les villes et les campagnes, les populations s’adonnent à cette pratique ludique et religieuse à travers les baptêmes, les mariages, les rites, les funérailles et autres manifestations publiques. Le théâtre se pratique dans les salles en ville. Le théâtre classique ou théâtre d’auteur est beaucoup pratiqué dans des structures comme l’Atelier Théâtre Burkinabè de Prosper Kompaoré, l’espace Gambidi au sein du théâtre de la Fraternité de Jean Pierre Guingané, le Carrefour International de Théâtre de Ouagadougou (CITO) dont l’administrateur est Martin Zongo, la Fédération du Cartel, le théâtre de l’espoir de Hyppolite Ouangrawa, etc.…

Lompolo Koné est le pionnier et le porte-étendard du théâtre burkinabè. Il est le créateur des maisons des jeunes et de la culture. Sa pièce, La jeunesse rurale de Banfora a obtenu en 1955, le prix André YOU de l’académie des Sciences d’Outre-mer. Il a également remporté le prix des centres culturels de l’Afrique Occidentale Française devant le Dahomey (actuel Bénin) en juillet 1957 avec la troupe de la maison des jeunes de Banfora dont il était le directeur. La pièce présentée s’intitulait Le paysan noir. Il créa ensuite Soma Oulé qui relate le passage de Samory Touré dans l’Ouest de la Haute-Volta.

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En 1958, naissait à Ouagadougou la première troupe de théâtre amateur dénommée l’ « arc-en-ciel » avec Félix Boyarm et Boubacar Dicko, un expatrié malien. C’est plus tard que Félix Boyarm aidé par Lompolo Koné, YambaTiendrébéogo et Moussa Sawadogo créent sa propre troupe qu’il appellera « Yennega » et fit sa première représentation le 13 Octobre 1961 avec la pièce de Moussa Sawadogo, « la fille de la volta ».

Pour l’Institut International du théâtre, c’est en 1983, date à laquelle la Haute-Volta prend le nom du Burkina Faso que le théâtre burkinabé va prendre son envol. Notons, si besoin en est, que cette période correspond à l’accession des révolutionnaires au pouvoir avec à leur tête le capitaine . Le Discours d’Orientation Politique (DOP) du 2 octobre 1983 du Conseil National de la Révolution donne sa vision on ne peut plus claire de la culture en ces termes :

« La Révolution démocratique et populaire créera les conditions propices à l’éclosion d’une culture nouvelle. Nos artistes auront les coudées franches pour aller hardiment de l’avant. Ils devront saisir l’occasion qui se présente à eux pour hausser notre culture au niveau mondial. 48 »

C’est à notre avis ce coup d’envoi donné par la révolution que les artistes burkinabé vont saisir l’occasion pour créer de nouvelles compagnies et de nouvelles infrastructures théâtrales. On peut citer entre autres le Théâtre Bonogo à Ouagadougou, le Théâtre de l’Amitié de Bobo Dioulasso et le Théâtre Nani Palé à Gaoua. Nous assisterons également à la naissance de l’Union des Ensembles Dramatiques de Ouagadougou (UNEDO). Sous l’impulsion du Cercle d’Activités Littéraires et Artistiques de Haute-Volta (C.A.L.A.H.V), première forme d’organisation créée le 27 décembre 1966 à

48 Sanou Salaka, La littérature burkinabè : l’histoire, les hommes, les œuvres , Presses Universitaires de Limoges, septembre 2000, p.39

48

Ouagadougou par des hommes de culture burkinabé. On aperçoit clairement l’objectif de cette association d’écrivains dans l’article 2 de son statut où il est écrit que:

« La recherche des valeurs de la culture africaine pour le rendez-vous des civilisations et des peuples.49 »

Le C.A.L.A.H.V renaissait donc des cendres de la Négritude, chère à Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et autres. Le C.A.L.A.H.V a été également la première association à organiser le premier prix dénommé PRIX- C.A.L.A.H.V lors de sa première édition tenue du 10 au 15 décembre 1967 à Ouagadougou. Ce prix était attribué aux meilleures œuvres de l’année et visait à créer un climat culturel dans le pays et à dénicher des nouveaux talents. C’est donc le C.A.L.A.H.V qui a donné l’idée aux autorités de l’époque de lancer les Semaines de la jeunesse, puis plus tard les Semaine Nationale de la Culture (SNC), et du Grand Prix National des Arts et des Lettres (G.P.N.A.L). Ce prix existe jusqu’aujourd’hui à la Semaine Nationale de la Culture.

Le Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National (C.M.R.P.N) arrive au pouvoir le 25 Novembre 1980 à la suite du renversement du Général Aboubacar SangouléLamizana et de tous les membres du gouvernement de la 3 ème République. Ils donnent une nouvelle orientation ferme sur la Culture en ces termes :

« Une nation s’identifie et se définit en grande partie par sa culture. C’est pourquoi, nous ne ménagerons aucun effort pour développer ce secteur. Sur le plan national proprement dit, nos efforts porteront sur une réorganisation de nos musées et un soutien actif à l’artisanat ainsi que la création littéraire et artistique. Dans la

49 Statuts du C.A.L.A.V.H.

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mesure du possible, il sera organisé des semaines culturelles qui seront l’occasion pour les artistes de toutes les disciplines, de s’exprimer dans une saine émulation, le but ultime étant une revalorisation de notre patrimoine. 50 »

C’est à la suite de cette décision du C.M.R.P.N que naitra un Secrétariat d’Etat plein à la Culture, rattaché à la Présidence. Cette structure va favoriser l’éclosion de plusieurs rencontres culturelles.

A la suite du C.M.R.P.N, le Conseil du Salut du Peuple (7 Novembre 1982- 4 Août 1983) dirigé par le Capitaine Thomas Sankara qui va également s’atteler à redorer le blason de la culture en créant un Ministère de l’Education Nationale, des Arts et de la Culture pour prendre en compte la participation des artistes dans la politique culturelle de développement.

C’est ce qui explique toujours dans cette même période des années 1980, la naissance des grandes manifestations culturelles. On a par exemple, le Festival International de Théâtre pour le Développement (FITD) de Prosper Kompaoré créé en 1988. Il valorise la pratique du théâtre d’intervention sociale, c'est-à-dire un théâtre basé sur la sensibilisation des communautés de base sur la prise de conscience des maux qui minent la société. On peut ajouter également un festival majeur comme le Festival International du Théâtre et des Marionnettes de Ouagadougou (FITMO) créé en 1989 par Jean Pierre Guingané. Ce festival accueille des troupes de théâtre et de marionnettes d’Afrique, d’Europe et d’Amérique.

Les théâtres de sensibilisation sont menés également par ces groupes ci- dessus cités dans la plupart des périphéries de la ville de Ouagadougou, dans les zones semi-urbaines et dans les zones rurales du Burkina Faso. Il faut noter que ces pièces ont pour but de conscientiser les populations sur certains fléaux

50 CMRPN, Discours programme CNRST, Ouagadougou, 1987, pp.33.34

50 de la société. Les deux formes de théâtre les plus pratiquées sont le théâtre forum de Prosper Kompaoré et le théâtre-débat de Jean Pierre Guingané. Cette transition nous permet de jeter un regard sur les origines ou les conditions de naissance du théâtre d’intervention sociale.

3.3Origines du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso

« Le théâtre est le miroir de la culture d’un peuple 51 » s’exclamait Berthold Brecht. Lethéâtre d’intervention sociale est donc une copie de la société qui est jouée sur les planches. Pour Jean Duvignaud, la société fait recourt au théâtre chaque fois qu’elle veut affirmer son existence ou accomplir un acte décisif. Toutes ces raisons vont concourir à la naissance du théâtre d’intervention sociale qui est, faut-il le rappeler, un théâtre pour le peuple et par le peuple. Pour Louis Jouvet, « le théâtre n’est pas seulement l’expression d’un peuple, d’une nation mais l’attestation la plus vraie et la plus vivante d’une civilisation. 52 »

L’origine du théâtre d’intervention sociale remonte de 1970 à 1978 dans l’ancienne Haute-Volta devenue Burkina Faso où le besoin de communiquer dans la société a favorisé la création d’un nouveau type de théâtre : « le théâtre des journées agricoles 53 » qui a été initié avec l’aide de la coopération allemande pour sensibiliser les populations rurales à vocation agropastorale. Comme le dit bien Pierre Médéhouegnon :

« Il s’agissait de se servir du théâtre comme outil de communication pour amener les agriculteurs et les éleveurs à changer certaines de leurs mentalités et de leurs habitudes, afin d’obtenir de meilleurs

51 Berthold Brecht, Ecrits sur le théâtre , Tome 1, Paris, 1972, page 70 52 Louis Jouvet, Témoignage sur le théâtre , p.242 53 Jean Pierre Guingané in La pratique des communications sociales au Burkina Faso , Etude de cas 2 : le théâtre , pp.78-151

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rendements économiques et un mieux-être dans leur vie familiale et sociale.54 »

L’ouvrage collectif : « La pratique des communications sociales au Burkina Faso » nous enseigne avec beaucoup plus de précision sur le théâtre des journées agricoles.

La spécificité du théâtre des journées agricoles est qu’elle coïncidait avec la manifestation culturelle organisée à l’occasion d’une grande fête annuelle appelée « journée agricole au cours de laquelle sont récompensés les meilleurs producteurs de l’année. 55 »

Le spectacle des « journées agricoles » se tenait chaque fois dans la journée afin de minimiser les problèmes d’éclairage sur la place publique du village avec un décor relativement simple et naturel sans coulisses et un public qui n’est pas forcément allé à l’école. Les paysans eux-mêmes constituaient les comédiens et jouaient dans leur langue locale afin de se faire comprendre par tout le monde. Les langues utilisées dans ces représentations étaient généralement le mooré, le fulfuldé et le dioula, principales langues nationales du pays. Comme dans la commedia dell’ arte italienne, les pièces n’étaient pas écrites, mais improvisées.

Ces pièces prenaient en compte les préoccupations des populations concernées. On rencontrait tantôt des sujets qui sensibilisaient sur la coupe abusive du bois, la divagation des animaux et les feux de brousse. Comme le Burkina Faso est un pays sahélien par excellence, les autorités avaient mis en place cette triple stratégie pour lutter contre la désertification. On abordait également des thèmes sur la prévention des conflits entre agriculteurs et

54 Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.76 55 Jean Pierre Guingané « Etude de cas 2 : le théâtre » in La communication sociale au Burkina Faso, Ouagadougou, Ministère de la Communication et de la Culture et Agence Canadienne (ACDI), avril 2000, p.85

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éleveurs ou sur les techniques culturales. Le fait marquant dans le théâtre des journées agricoles est que les représentations étaient très animées avec des chants, des danses et de la musique. Elles étaient suivies généralement de débats avec le public.

Le théâtre des journées agricoles avait un caractère orignal et a débouché sur la naissance du théâtre d’intervention sociale qui est à notre avis bien adapté au contexte burkinabé. C’est d’ailleurs ce type de théâtre qui va aboutir dans les années 1980 à la naissance des formes de théâtre pour le développement comme le théâtre forum de Prosper Kompaoré et le théâtre débats de Jean-Pierre Guingané.

L’objectif du théâtre des journées agricoles était de sensibiliser les populations rurales sur les maux qui minent la société. A ce titre, nous pouvons dire que c’est un outil efficace dans la communication pour le changement de comportements. Prosper Kompaoré appuie notre assertion en affirmant que :

« Le théâtre est un levier sur lequel l’on peut appuyer pour enclencher ou déclencher la dynamique sociale et la paix pour le développement. 56 »

C’est donc sans surprise et pour continuer l’action du théâtre des journées agricoles qu’est né entre 1979 et 1980, le « théâtre rural » développé par une américaine nommée Liz Diamond en collaboration avec l’Atelier Théâtre Burkinabé de Prosper Kompaoré. Ce projet était financé par la fondation Ford avec l’appui institutionnel du ministère de la culture.

En quoi consistait exactement le théâtre rural ? L’action de ce projet était d’amener les troupes qui se trouvaient dans les villes comme

56 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène, revue trimestrielle d’information et de recherche sur le théâtre pour le développement, n°14, décembre 2014, p.64

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Ouagadougou d’aller vers les milieux ruraux afin de sensibiliser les paysans sur les problèmes sociétaux. A ce titre, les représentations théâtrales étaient centrées sur les préoccupations locales. Ces représentations étaient poursuivies à la fin par des débats.

Il est important de noter que c’est la première fois qu’une troupe théâtrale privée recevait une aide émanant d’un privé ou d’un partenaire extérieur pour réaliser un projet. Notons enfin que c’est en 1978 que Prosper Kompaoré, initiateur de l’Atelier Théâtre Burkinabé (ATB) a eu la chance de réaliser ce projet sur le « théâtre rural ». C’est pourquoi nous disons qu’il est l’un des pères fondateurs du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso. Et c’est donc à juste titre que cette thèse se propose d’étudier exclusivement le théâtre-forum initié par Prosper Kompaoré depuis plus d’une trentaine d’année afin de faire ressortir l’impact de cette pratique théâtrale dans la société. Bien sûr nous ferons un clin d’œil sur les autres structures au Burkina Faso qui pratiquent également le théâtre d’intervention sociale.

Les objectifs du théâtre rural sont atteints par la troupe del’Atelier Théâtre Burkinabé (ATB) dirigée par Prosper Kompaoré. C’est pratiquement dans la même période qu’apparut le théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal entre 1970 et 1980.Le théâtre de l’opprimé est un théâtre militant qui a pour objectif de combattre la bourgeoisie. Dans son ouvrage intitulé « Théâtre de l’opprimé », Augusto Boal nous donne sa vision du théâtre de l’opprimé :

« J’ai voulu, avec ce livre, montrer que le théâtre dans son intégralité est nécessairement politique, parce que toutes les activités de l’homme sont politiques et que le théâtre en est une. Qui tente de séparer théâtre et politique tente de nous induire en erreur- c’est une attitude politique. J’ai voulu donner quelques preuves du fait que le théâtre est une arme. Une arme très efficace. C’est pour cela qu’il faut lutter pour lui. C’est pour cela que les classes dominantes

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essaient de façon permanente de confisquer le théâtre et de l’utiliser comme un instrument de domination… 57 »

La vision de Boal est claire sur le théâtre de l’opprimé. Pour lui, c’est le public qui crée lui-même son théâtre en montant sur la scène pour jouer sa manière de comprendre le problème posé. Les autres formes de théâtre qu’il a inventées sont entre autres, le théâtre-journal, le théâtre invisible, le théâtre roman photo, le théâtre mythe, le théâtre jugement.

Les années 1980 comme nous l’avons déjà fait remarquer ont été émaillées par la révolution au Burkina Faso. Les concepts tels qu’édictés par Augusto Boal tirent ses sources de la révolution, d’où un théâtre révolutionnaire. Prosper Kompaoré et l’Atelier Théâtre Burkinabé pratiquaient déjà les techniques du théâtre forum sans forcément savoir qu’il existait en Amérique Latine.

« Comme le bourgeois gentilhomme de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, l’ATB venait ainsi de pratiquer le théâtre-forum avant de découvrir qu’un brésilien du nom de Augusto Boal avait élaboré une théorie de théâtre de l’opprimé basée entre autres sur la technique du théâtre-forum. C’est ainsi que l’ATB décidait d’adopter la dénomination du théâtre forum pour qualifier les spectacles qu’il proposait désormais de réaliser avec les partenaires qu’il approcherait ou qui le solliciterait. 58 »

Pour Prosper Kompaoré, c’est lors d’un de ses séjours en France qu’il a fait la connaissance du Théâtre de l’opprimé à travers un ouvrage. Nous avançons cela pour dire que le théâtre d’intervention sociale existait bien au Burkina Faso à travers le théâtre des journées agricoles et le théâtre rural.

57 Augusto Boal, Théâtre de l’opprimé , Editions La Découverte et Syros, 1996, p.7 58 Prosper Kompaoré, dépliant de l’Atelier Théâtre Burkinabé, édition ATB, 2007, p.9

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Cependant, Prosper Kompaoré reconnait avoir utilisé les techniques du théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal dans sa quête de sensibilisation. C’est donc à juste titre qu’en marge de la conférence du théâtre-forum en langue française en 1989, Augusto Boal fut invité au Burkina Faso par le directeur del’Atelier Théâtre Burkinabé, monsieur Prosper Kompaoré. Ces deux dramaturgespartagent ensemble des convictions fortes sur la transformation du spectateur par le théâtre-forum.

KoulsyLamko a passé sept (07) saisons théâtrales avec la troupe de l’Atelier Théâtre Burkinabé. D’abord comédien, ensuite assistant à la mise en scène, puis second responsable et enfin organisateur de la première édition du Festival International de Théâtre (FITD). Pour lui, l’ATB a connu trois étapes importantes dans son évolution 59 :

- l’étape du théâtre rural : la représentation dans les villages était suivie d’un débat en langue nationale mooré. Les habitants, après le spectacle, trouvaient l’occasion de relater leurs expériences sur la problématique posée par la pièce de théâtre. Ce qui ressemblait fort aux traditionnelles séances de palabre d’autant plus que, très vite, la relation d’expériences individuelles devenait une joute oratoire ; - l’étape du théâtre de quartier : les animateurs sont orientés sur les problèmes brûlants des cités : délinquance juvénile, exode rural, scolarisation difficile, alcoolisme. C’était sous la forme d’un happening suivi d’un débat théâtralisé ; - l’étape du théâtre forum : s’inspirant des techniques du théâtre de l’opprimé développé par Augusto Boal, l’Atelier Théâtre Burkinabé fixe les formes définitives de son théâtre d’intervention sociale.

59 Koulsy Lamko, Emergence difficile d’un théâtre de la participation , p.58

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Le théâtre forum demande une participation conséquente du public qui, après une prise de conscience de l’erreur sociale, qu’elle soit individuelle ou collective, trouve la nécessité de briser l’oppression et d’envisager une solution pour l’amélioration des conditions de vie.

En ce qui concerne le théâtre forum lui-même, KoulsyLamko énumère quatre 60 grandes parties :

- la séance d’animation ou rituel d’ouverture qui consiste à organiser sur la scène, des jeux-concours de danses traditionnelles ou modernes avec les spectateurs. Ce qui a pour effet de faciliter le contact avec le public, de le mettre en confiance et de prémunir contre toute attitude attentiste du spectateur, le public étant invité à participer aux danses, aux jeux concours, etc. ; - la représentation de la pièce-prétexte. La pièce-prétexte, créée collectivement le plus souvent, pose des inhérents au thème choisi et constitue l’anti-modèle. Les comédiens jouent la pièce-prétexte 40 minutes maximum ; - Le forum qui consiste à une reprise par les comédiens de tout ou partie de l’anti-modèle avec arrêt du déroulement de l’action par les spectateurs. Ceux-ci révoltés par les situations d’oppression développées dans la pièce-prétexte arrêtent le jeu, viennent sur la scène et proposent une autre attitude. Ils prennent ainsi la place des acteurs et improvisent une nouvelle solution pour empêcher que l’oppression ne se réalise. Les acteurs antagonistes évidemment tentent de renforcer l’oppression en improvisant pour développer de nouvelles situations de plus en plus difficiles à affronter par le spectateur. Ils affinent ainsi l’oppression amenant le spectateur à réfléchir pour trouver à chaque fois une parade. Des propositions

60 Op.cit., p.58

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sont faites sur plusieurs séquences et le plus souvent conduisent vers l’élaboration collective d’un modèle acceptable par la majorité des participants. Un meneur de jeu ou joker anime les débats, module la prise de parole entre la salle et la scène. - le forum-information qui est une information à but explicatif. Des spécialistes du thème de la campagne de sensibilisation précisent les enjeux du débat au regard de la situation globale sociale, locale ou nationale et répondent aux questions du public. Ils apportent, ce faisant, des informations pratiques.

Par contre, son compatriote Jean Pierre Guingané dit s’être inspiré du théâtre des journées agricoles et du théâtre scolaire pratiqués pendant les vacances au Burkina Faso pour créer en 1981 le « théâtre-débats », une autre forme de théâtre de sensibilisation. Le théâtre-forum ou le théâtre-débats s’inscrit dans le théâtre d’intervention sociale car ils poursuivent les mêmes objectifs à savoir éduquer, conscientiser et éveiller le spectateur. Selon ces deux initiateurs, ces deux pratiques ont été créées pour :

« Sensibiliser et impliquer le public dans la recherche de solutions à ses propres expériences 61 »

Pierre Médéhouegnon qui s’est intéressé à la question cite Jean Pierre Guingané :

« Elles sont héritières des expériences antérieures du théâtre de sensibilisation qui ont montré que l’art dramatique peut être efficacement utilisé comme outil de communication sociale. Elles sont utilisées comme des outils efficaces au service du développement de la société burkinabé et des sociétés africaines en général. D’où les noms

61 Jean Pierre Guingané, « Le théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso » in La pratique des communications sociales au Burkina Faso (Ouagadougou, ACDI,), 2000, p.91

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de théâtre d’intervention sociale et de théâtre pour le développement, qui leur sont souvent donnés et qui les inscrivent dans l’ensemble des formes de théâtre de sensibilisation ou d’intervention sociale pratiqué dans les pays en développement et à l’échelle mondiale pour pallier ou suppléer les insuffisances d’information et de formation du public. 62 »

L’étude sur l’originedu théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso nous a permis de dégager deux principales pratiques théâtrales au Burkina Faso. Il s’agit du théâtre-forum de Prosper Kompaoré et le théâtre-débats de Jean Pierre Guingané. Ces deux pratiques théâtrales s’inspirent du théâtre des journées agricoles nées avec l’initiative et l’aide de la coopération allemande pour sensibiliser les populations rurales à vocation agropastorale. Ce théâtre des journées agricoles va déboucher dans les années 1980 sur la pratique du théâtre rural financé par la Fondation Ford américaine en collaboration avec l’Atelier Théâtre Burkinabé de Prosper Kompaoré.

Après avoir évoqué les origines du théâtre d’intervention sociale, nous allons présenter ces deux types de théâtre car il existe des similitudes et des dissemblances dans ces deux pratiques théâtrales.

62 Jean Pierre Guingané, Op.cit, p.81, cité par Pierre Médéhouegnon, Op.cit, p.98

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Chapitre 2 : Le théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé de Prosper Kompaoré

Avant de parler concrètement du théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé, nous allons faire un bref aperçu historique, c'est-à-dire la genèse de la troupe, son organisation administrative et nous finirons par présenter brièvement l’initiateur du théâtre-forum au Burkina Faso.

1. Genèse de la troupe

« Les Amateurs du Théâtre Voltaïque » qui est devenu aujourd’hui l’Atelier Théâtre Burkinabé (A.T.B) a vu le jour en 1978 à l’initiative de Prosper Kompaoré. Cette association a été reconnue officiellement en 1980.

Après un brillant passage à la Sorbonne (Paris III) où il obtint un doctorat de troisième cycle en études théâtrales sous la direction de AnneUbersfeld en 1977, Prosper Kompaoré rentre au pays et est recruté comme Assistant de Lettres à l’Université de Ouagadougou. Passionné de théâtre, il tente de créer une troupe au sein de l’Université avec un de ses collègues Jean Pierre Guingané, mais l’initiative échoue.

Finalement cette troupe ne verra pas le jour pour des raisons conflictuelles, car une troupe existait déjà au niveau de l’association des étudiants. C’est ainsi que l’idée fut étouffée dans l’œuf. Les deux collègues, en ordre dispersé, décidèrent chacun de créer sa troupe en dehors de l’Université. Prosper Kompaoré fit appel à des étudiants, des fonctionnaires et des personnes du secteur informel pour fonder la troupe « Les Amateurs du Théâtre Voltaïque ». Dans un entretien accordé à Babou Eric Benon, il confie ceci :

« En substance, on peut dire que la création de ce groupe répondait d’abord à un souci pédagogique ; faire en sorte que mon

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enseignement s’enracine dans une pratique. Ensuite, la création d’un groupe me donnait également l’occasion d’expérimenter un certain nombre d’idées, d’intuitions que j’avais eues à l’occasion de ma recherche universitaire, selon lesquelles notre patrimoine culturel recelait des richesses que l’on pouvait exploiter dans le cadre d’une pratique théâtrale moderne. En disposant d’une troupe, je pouvais facilement exploiter ce patrimoine culturel pour tenter d’innover en matière de dramaturgie africaine. 63 »

C’est ainsi que l’aventure théâtrale va démarrer pour des jeunes gens qui n’avaient aucune expérience du théâtre excepté les saynètes scolaires. Le premier défi auquel la troupe fut confrontée est la mise en scène de la pièce de Maxime Ndébéka, Le Président . Les répétitions de cette pièce qui dureront quelques mois se déroulèrent généralement dans le domicile de Prosper Kompaoré ou dans des salles de fortune comme les salles de classe. La troupe qui était à ses débuts avait le devoir de convaincre ou de tomber dans la sénescence. A force de travail et d’abnégation, la grande première de la pièce Le Président connut un succès retentissant. Le spectacle connut une grande affluence et le public fut enthousiasmé de la prestation des comédiens. La presse demanda de rejouer des séquences dans les coulisses pour un reportage le lendemain puisqu’elle n’avait pas apporté ses outils de travail. Le coup d’essai de la troupe « Les Amateurs du Théâtre Voltaïque » fut un coup de maître. Désormais, il fallait compter avec cette troupe. Depuis ce temps jusqu’à aujourd’hui, la troupe travaille à prendre en compte les préoccupations du public dans la recherche d’une dramaturgie qui s’inspire des réalités africaines. On peut citer par exemple, le zoom-koom , boisson sucrée à base de mil qu’on offre aux spectateurs à l’entrée de la salle. Ce symbole peut paraître

63 Benon Babou Eric, « Deux expériences théâtrales », in Littérature du Burkina Faso revue Notre Librairie, n°101 Avril-Juin 1990, p.80

61 anodin mais il crée et favorise une certaine communion entre les acteurs et les spectateurs.

Aujourd’hui, après plus d’une quarantaine d’années de pratiques théâtrales, nous pouvons dire que l’Atelier Théâtre Burkinabé a grandi. Les objectifs poursuivis par l’Atelier Théâtre Burkinabè sont:

• favoriser une mobilisation sous-régionale puis mondiale au profit du théâtre pour le développement ;

• promouvoir une dramaturgie africaine inspirée des réalités culturelles du Burkina Faso ;

• éduquer, sensibiliser, conscientiser et distraire par une expression dramatique qui pose des problèmes liés au développement (économique, social, culturel, technique) ;

• assurer la formation en théâtre et en technique de théâtre d'intervention sociale ;

• promouvoir la pratique du théâtre pour le développement au Burkina Faso et en Afrique.

Il est important de souligner que nous allons utiliser l’expression Atelier Théâtre Burkinabé (A.T.B) dans la suite de notre travail afin de ne pas créer de nuances d’appellation.

Nous pouvons donc dire que dès sa première mise en scène en 1979 avec la pièce de Maxime Ndébéka, Le Président , Prosper Kompaoré a puisé ses outils de mise en scène dans les traditions africaines où le public est intégré dans l’espace du jeu avec les comédiens. Quel peut être le secret d’une troupe qui a perduré dans le temps comme l’A.T.B ? Intéressons-nous à son organisation administrative.

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2. Organisation administrative de la troupe

Toute bonne structure doit sa survie à une bonne organisation administrative. L’ATB ne déroge pas à cette règle. Pour qu’il y ait pérennité de la troupe, chaque membre doit connaître ses droits et ses devoirs vis-à-vis de l’association à laquelle il adhère.

Un comité directeur assure l’organisation administrative de l’Atelier Théâtre Burkinabé. Voici la composition du bureau :

- Le directeur - Le metteur en scène - L’assistant au metteur en scène - Le gestionnaire - Le responsable aux relations extérieures - Le secrétaire à l’organisation - Le secrétaire général

La durée des membres du comité directeur n’excède pas une année renouvelable. Ces membres sont rééligibles à chaque fois qu’ils expriment la nécessité et s’il n’y a pas de contrainte à leurs égards. On a également des structures comme l’Assemblée générale et le conseil de discipline qui participent à la bonne gestion de la structure.

2.1 L’assemblée générale

L’assemblée générale se compose de tous les membres de la troupe. Chaque année les membres, y compris les comédiens, sont tenus de renouveler leur adhésion. La qualité de membre peut se perdre par démission ou par radiation suite à une faute grave prononcée par le comité directeur et approuvée par l’Assemblée générale. Les propositions sont adoptées par la majorité au 2/3 des membres présents.

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Pour ce qui est des réunions, elles se font généralement après les séances de répétitions ou on revient sur les points qui ont marché ou pas et sur la vie en groupe. On essaie de résoudre certains problèmes vécus par les membres du groupe en leur apportant un certain réconfort moral.

Le conseil de discipline ne se réunit que lorsqu’un problème grave survient au sein de la troupe et nécessite qu’on convoque le conseil. Par exemple, un comédien est radié du groupe s’il manque cinq répétitions. Cependant, l’esprit communautaire favorise une bonne entente des comédiens du groupe et combat les individualités de toutes sortes pouvant faire exploser la troupe. Nous présenterons l’organigramme de l’Atelier Théâtre Burkinabè aujourd’hui dans les annexes de notre travail.

3. Présentation de l’initiateur du théâtre-forum au Burkina Faso

L’initiateur du théâtre-forum, Monsieur Prosper KOMPAORE, est une personnalité qu’il convient de cerner sur trois dimensions : l’homme de théâtre, l’universitaire et l'administrateur.

Nanti d'un doctorat de 3ème cycle en études théâtrales (Paris III, Sorbonne), il est directeur et fondateur depuis 1978 de l'Atelier Théâtre- Burkinabé et du Festival International de Théâtre pour le Développement (FITD) en février 1988.Dramaturge, metteur en scène et acteur, Monsieur Prosper KOMPAORE est également promoteur et formateur en théâtre pour le développement en Afrique, au plan théâtral.

Au plan académique, il est maître assistant d’art dramatique à l'Université de Ouagadougou où il a occupé diverses responsabilités dès 1977 : Chef du département de Lettres modernes (1979-1981) ; Directeur des études de l’Ecole supérieure des sciences humaines (1981-1983).

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Au plan administratif, il a été directeur général de la Culture chargé des grandes manifestations (FESPACO, Semaine Nationale de la Culture, etc.), Directeur Général de l'Institut des Peuples Noirs.

Au titre des distinctions, il est Ashoka Fellow, innovateur, entrepreneur social, chevalier des palmes académiques, officier de l’ordre du mérite national agrafe arts et lettres et commandeur de l’ordre national.

Présentons une photo de Prosper KOMPAORE dans le rôle de Créon dans la pièce Antigone de Jean Anouilh. Antigone dans sa version originale africaine est le symbole de la résistance et de la liberté. Les événements récents au Burkina Faso qui ont conduit à l’insurrection populaire et à la chute du président montrent toute l’actualité de cette pièce.

Source : Atelier Théâtre Burkinabé

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Dans la deuxième photo, Prosper Kompaoré, toujours dans le rôle de Créon, le dictateur s’adresse à Antigone.

Source : Atelier Théâtre Burkinabé

4. Le théâtre forum, une pratique théâtrale

Avant de parler du théâtre-forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé, il est important de préciser que le théâtre-forum est né au Brésil dans les années 1970 lors des campagnes d’alphabétisation, puis s’est développé au cours des années 1980 dans la nécessité de combattre la dictature. C’est dans la clandestinité, après avoir été arrêté, torturé, puis interdit d’exercer sa profession, que son auteur, Augusto Boal développe cet outil de libération pour aider les paysans et les ouvriers à s’exercer dans la prise de parole en public et à développer des stratégies de lutte. C’est pourquoi le théâtre-forum est utilisé pour résoudre les problèmes de société.

La pratique du théâtre-forum s’est progressivement adaptée au contexte africain et a confirmé sa pertinence au plan artistique, culturel et communicationnel pour le changement de comportement. En 1971, le théâtre professionnel du Burkina Faso s’est mis à émerger quand le gouvernement a créé une direction de la culture pour diriger les affaires culturelles.

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Revenant au théâtre-forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé, nous pouvons dire qu’il s’est ancré sur le théâtre rural, qui est lui-même issu de la pratique du théâtre des journées agricoles. Les paysans jouaient eux-mêmes le spectacle avec le concours et l’aide des animateurs. C’est ce qu’on a constaté avec l’avènement du théâtre rural où les comédiens de l’Atelier Théâtre Burkinabé se faisaient le plaisir de jouer devant le public villageois des spectacles qui posaient des problèmes liés aux préoccupations des villageois. A la suite du jeu, un débat était engagé avec les spectateurs. Il se terminait toujours par une solution trouvée aux problèmes posés.

Avec les expériences du théâtre rural qui a connu un succès éclatant, l’Atelier Théâtre Burkinabé va expérimenter de nouveaux horizons, de nouvelles expériences avec le « théâtre de quartier » qui consistait tout simplement à la sensibilisation des habitants des grands centres urbains comme Ouagadougou. Des innovations ont existé dans le « théâtre de quartier » avec un « melting pot » des spectateurs et des comédiens qui donnait une couleur arc-en-ciel au jeu théâtral.

C’est donc après le théâtre rural, le théâtre de quartier, explique Prosper Kompaoré, qu’est née l’idée de la création du théâtre-forum. Il a remarqué, dit-il, que le déroulement des spectacles dans l’Afrique d’antan impliquait la participation du public et il n’y avait pas de différence entre celui-ci et les acteurs. Dans l’entretien qu’il a accordé à Babou Benon, il donne des explications sur le passage au théâtre-forum :

« Nous avons fait le constat que les formes de dramatisation en usage dans nos sociétés ne prévoyaient pas une dichotomie nette entre

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les acteurs d’un côté et des spectateurs de l’autre. La participation du public est une donnée essentielle de nos traditions.64 »

Le théâtre-forum rime par conséquent avec la participation du public. Sans participation du public, pas d’interaction avec les spectateurs d’où une franche collaboration des deux entités afin que le message soit perceptible des spectateurs.

« Le théâtre-forum pratiqué par l’Atelier Théâtre Burkinabé est donc né du souci de créer une forme de dramatisation qui épouse l’esthétique traditionnelle africaine et qui implique, dans la pratique, une scénographie et une méthodologie différentes de celles du théâtre conventionnel. 65 »

Koulsy Lamko qui a préféré l’expression « théâtre pour le développement » et qui a participé en tant que comédien, metteur en scène et coauteur dans la compagnie de l’Atelier Théâtre Burkinabé, affirme que le théâtre d’intervention sociale est né au Burkina Faso avant de faire son petit bonhomme de chemin en Afrique.

« Dans les régions francophones d’Afrique, le théâtre pour le développement est essentiellement pratiqué au Burkina Faso. Il s’étend cependant petit à petit en Côte d’Ivoire, au Tchad et au . Il est né sous l’impulsion de l’Atelier Théâtre Burkinabé fondé en 1978 par Prosper Kompaoré, enseignant à l’Université de Ouagadougou, comédien et metteur en scène. 66 »

64 Babou Benon « Prosper Kompaoré et l’Atelier Théâtre Burkinabé : un théâtre de participation », Notre librairie, littérature au Burkina Faso, n°101, avril-juin 1990, p.80 65 Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.100 66 KoulsyLamko, Op.cit., p.57

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Nous allons nous intéresser à présent au déroulement du théâtre forum afin de montrer la quintessence de cette pratique théâtrale.

5. Conception et déroulement du théâtre-forum

D’une part, nous verrons dans cette partie la conception du théâtre forum et d’autre part, sa présentation proprement dite.

5.1 Conception du théâtre forum

Dans la conception d’une pièce de théâtre forum la troupe chargée de l’animation, c’est-à-dire l’ATB travaille de concert avec les partenaires sur le montage de la pièce modèle. Ainsi, les partenaires expliquent leurs attentes en donnant un canevas de mise en route de la création pour la bonne réalisation de la pièce. Une fois que cette attente est scellée, il appartient à la troupe de monter la pièce et la présenter aux partenaires.

Evidemment, pour que le public puisse appréhender la situation et s’identifier au personnage principal, il est recommandé que l’histoire commence avec un conflit. Le scénario est délimité par trois processus clés :

- un début d’histoire dans lequel le protagoniste est porté par un désir, un espoir susceptible d’aboutir ; - la « crise chinoise » (opportunité d’évolution+ danger) dans laquelle ce désir se frotte à un obstacle. C’est dans cette partie que plusieurs voies peuvent être prises pour faire avancer la situation ; - le protagoniste choisit d’emprunter un chemin qui le conduit vers un épilogue insatisfaisant qui ressemble à une impasse.

La conception de l’histoire initiale passe par plusieurs étapes :

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- on a des échanges avec la personne ou la communauté qui rencontre une difficulté afin de s’assurer de la présence d’un réel désir d’évoluer et de faire émerger des objectifs clairs ; - une élaboration progressive d’un scénario dans lequel le groupe se reconnaît et qui reflète de façon claire un aspect de la problématique abordée ; - une clarification sur ce que veut, ressent et pense chaque personnage pour nourrir le jeu dans la situation initiale et dans le remplacement des comédiens ; - la répartition des rôles est un travail sur les personnages (attitudes symboliques de son état d’esprit, gestuelles, occupation scénique…) Les comédiens doivent incarner leur personnages de l’intérieur, en s’appropriant ses intentions, ses émotions et ses pensées. Il s’agit d’abord d’habiter le corps du personnage, trouver sa voix (volume, débit, ton), puis ses mots. De plus chaque personnage choisit un accessoire qui le représentera et qui sera transmis au spect-acteur montant sur scène pour le remplacer (ainsi lorsqu’une personne du public intervient, l’accessoire facilite la matérialisation du personnage qu’elle joue, autant qu’elle lui permet de quitter ce rôle lorsqu’elle rend l’objet) ; - la répétition proprement dite où l’on joue l’histoire.

En fonction du contexte (nombre de personnes et objectifs), le théâtre forum prendra plus ou moins la forme d’un spectacle. Dans un cadre de formation en petit groupes, on se focalisera sur la clarté de l’expression des émotions, des intentions et de la confrontation des points de vue. Dans un contexte de spectacle avec un public plus important, on élaborera une mise en scène plus respectueuse des règles dramaturgiques du théâtre avec un décor, des costumes, de la musique et des symboles dans le but de rendre l’histoire encore plus enthousiasmante.

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5.2 Déroulement du théâtre forum

D’emblée nous pouvons dire qu’il existe une opposition entre le théâtre conventionnel de l’occident et le théâtre forum pratiqué au Burkina Faso. En effet, le théâtre occidental se pratique très souvent dans les lieux bien réservés aux productions de spectacles, c’est-à-dire dans des salles fermées, les cafés- concerts, les centres culturels français. Tandis que pour son initiateur, Prosper Kompaoré :

« le théâtre-forum se déroule en plein air, en général dans un espace où il y a une plus grande interpénétration acteurs-spectateurs.67 »

Nous avons eu la chance de faire des tournées avec la troupe de l’Atelier Théâtre Burkinabé dans les villages les plus reculés du Burkina Faso. C’est donc à juste titre que nous allons décrire brièvement l’espace scénique.

Quand nous arrivons dans un village où le spectacle doit se tenir, Lamine Kaba, comédien et régisseur de la troupe est chargé d’identifier un endroit pour l’installation de la scène. La scène est délimitée plus tard par les spectateurs car ils s’asseyent généralement en demi-cercle autour des acteurs. Le décor ne contient pas grand-chose généralement, sinon trois trépieds qui servent de coulisses aux comédiens. Le décor assez simple diffère du théâtre classique où la mise en scène à l’italienne convoque un certain nombre de matériaux scéniques. Quatre phases sont connues dans le déroulement du spectacle. Il s’agit des exercices physiques qui correspondent à la phase introductive. On a ensuite la représentation de la pièce. Après on essaie de reprendre certaines séquences par le public sous la direction du joker ou meneur de jeu pour corriger l’erreur sociale. Le spectacle se termine enfin par le jeu de questions-réponses afin de déboucher sur des propositions et des

67 Babou Benon, Op.cit., p.81

71 actions concrètes à mettre en œuvre. Nous convoquons à cet effet, Prosper Kompaoré qui ajoute ceci :

« Après le jeu, le théâtre-forum prévoit une phase de débat avec le public et ce débat aide à aller plus loin que ce que la pièce ne peut dire. Le principe esthétique que nous utilisons, c’est de faire en sorte que le public devienne acteur et, en étant acteur, agent de sa propre libération. 68 »

Pour Jean Pierre Guingané, le théâtre forum de Prosper Kompaoré ressemble très bien au théâtre forum d’Augusto Boal, car ils poursuivent les mêmes objectifs à savoir la sensibilisation du public en vue de son auto- libération ou des ressemblances indéniables entre les différentes phases du spectacle. Le principal moteur des spectacles du théâtre-forum de Prosper Kompaoré est la participation du public qui confère au jeu théâtral une esthétique africaine à l’image des causeries sous l’arbre à palabre et des veillées de conte.

Ainsi sans trop nous attarder sur le déroulement du théâtre forum puisque nous allons y revenir, nous allons nous focaliser un peu sur les principaux thèmes traités. Ceci nous mettra « l’eau à la bouche » puisque dans la deuxième partie de cette thèse consacrée à l’analyse sémiologique des différentes représentations retenues dans le cadre de cette présente thèse, l’ossature sera donnée aux thématiques des différentes représentations théâtrales. Mais avant tout, quelle place occupe le joker au théâtre forum ?

68 BabouBenon, Op.cit., p.81

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5.3 La place du joker ou du meneur de jeu au théâtre forum

Le théâtre forum se distingue du théâtre conventionnel par l’utilisation du joker dans le jeu théâtral. Il est l’alpha et l’oméga. C’est lui qui ouvre la scène et c’est encore lui qui la clôt. Nous nous sommes alors dit qu’il est impérieux pour nous de nous intéresser à ce personnage pas comme les autres.

Pour son créateur Augusto Boal, le système du joker répond à des finalités esthétiques et économiques.

Sur le plan esthétique, nous notons que le théâtre moderne a montré ses limites dans sa recherche d’originalité. Ainsi, avec l’avènement du joker, on peut jouer une pièce classique ou un théâtre d’intervention sociale sans changer la structure du jeu. A ce propos Aristote pense que l’action dramatique est le résultat du libre mouvement de l’esprit du personnage tandis que pour Brecht, le personnage est le reflet de l’action dramatique qui progresse selon un jeu de contradictions objectives ou subjectives.

Avec le joker, on tente de donner la pleine liberté du personnage dans l’analyse sociale. Comme dans les pièces d’Ibsen, le raisonneur est à l’image du joker dans le théâtre forum. Il n’a pas de fonction exacte, il est le porte- parole de l’auteur. Pour Augusto Boal :

« la conscience de l’auteur-joker doit être celle de l’adaptateur, conscience que l’on doit supposer toujours au-dessus ou au-delà de celle des autres personnages, dans le temps comme dans l’espace. 69 »

Le joker connaît donc l’aboutissement de l’histoire dans la pièce. Mais quand il incarne un personnage, il cesse d’être le joker et se limite à la seule conscience du personnage qu’il incarne.

69 Augusto Boal, Op.cit., p.70

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« On donne ainsi au joker toutes les possibilités offertes par le théâtre : il est magique, omniscient, polymorphe, omniprésent. 70 »

C’est pourquoi le joker détient toutes les explications possibles qui conviennent à la structure du spectacle.

Sur le plan économique, le théâtre forum se pratique généralement dans les pays en voie de développement comme le Burkina Faso où les ressources financières sont rarissimes pour ne pas dire inexistantes. Nous avons souligné également que les pièces d’intervention sociale sont commanditées par des organismes non gouvernementaux ou des associations. C’est donc dans un contexte assez difficile que se produisent les pièces de théâtre forum. C’est pourquoi un des concepteurs du théâtre à vocation sociale soutient notre thèse :

« Le système du joker permet de monter n’importe quel texte avec un nombre très limité d’acteurs, sans tenir compte de celui des personnages. Chaque acteur doit démultiplier ses possibilités d’interprétation. Comme on réduit ainsi considérablement le coût des mises en scène, on peut monter tous les textes qu’on veut. 71 »

L’utilisation du joker permet donc d’utiliser peu de personnages puisque le joker à lui seul peut en incarner plusieurs. Cependant une réorganisation de la troupe et des spectacles s’impose. Ainsi, on va choisir des personnes très habiles dans les actes et dans les paroles pour assurer désormais les tâches du joker. Quelles peuvent donc être les capacités de l’animateur ou du joker ?

Le joker doit être capable de :

70 Opt.cit., p.70 71 Op.cit., p.67

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- susciter l’intérêt des spectateurs ; - favoriser l’expression, le questionnement, l’implication, le respect entre les participants mais également l’écoute ; - transformer les points de vue qui semblent s’opposer ; - tenir un cadre qui donne confiance aux spectateurs et canaliser leur expression ; - impulser une dynamique d’implication ; - favoriser l’émergence de propositions concrètes ; - inciter les participants à prendre le risque de jouer ; - valoriser les points de vue faits, les changements obtenus tout en montrant leurs limites ;

Voici ci-dessus citées les capacités que doit avoir un joker dans la conduite d’une pièce de théâtre forum. Cette liste n’est pas exhaustive ; il existe bien sûr d’autres qualités que le meneur de jeu ou le joker doit avoir dans son sac.

Marion Duhamel a consacré exclusivement son mémoire de DEA sur le personnage du joker. En voici ce qu’il pense de ce dernier :

« Le joker narrateur est celui qui raconte la fable de l’anti-modèle ou qui s’immisce dans la représentation, pour construire le fil. L’une des plus belles illustrations en est donnée par le meneur de jeu de la pièce « Fatouma ou la machine à enfants », crée par l’ATB en 1989 et qui fit l’objet d’une nouvelle campagne en 1994, année de notre intégration dans la troupe. La fonction du joker et du narrateur étaient alors délibérément confondues ou plutôt assurées conjointement : la preuve en est la présence, dans le canevas de la pièce, de la figure du meneur de jeu. Ses interventions du type : « Dix ans plutôt », « Cinq années ont passé », « Quatre enfants sont arrivés »-se font sur le mode de la narration. Le joker narrateur se charge de relier les différents tableaux illustrant la fable de cette

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pièce construite à la manière d’un conte parsemée d’ellipses, comme la chronique d’une répudiation annoncée. L’image figée d’une scène de violence conjugale sert, en effet de prélude et de fin à l’anti- modèle. De l’une à l’autre est retracée l’histoire du couple, rythmée par les grossesses douloureuses de Fatouma, histoire qui progresse par bonds successifs de quelques années. Et autant d’enfants. L’invraisemblance de l’enchaînement des séquences, et de l’espacement des naissances serait immédiatement indexée par le public si le joker ne se chargeait d’en rétablir la chronologie : « Voyez la violence des confrontations de ce couple ! Croyez-moi si je vous dis qu’il n’en fut pas toujours ainsi ! Laissez-moi vous raconter comment leur histoire avait bien commencé… 72 »

Ceci étant nous allons nous intéresser maintenant aux différents thèmes évoqués dans le théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé.

6. Les principaux thèmes évoqués dans le théâtre-forum de Prosper Kompaoré

Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’Atelier Théâtre Burkinabé a débuté ses activités en 1978 sous le nom de : « Les amateurs du théâtre Voltaïque » (ATV) mais comme le pays a changé de nom en 1984 pour devenir Burkina Faso qui signifie « pays des hommes intègres », l’initiateur Prosper Kompaoré va changer également le nom de sa structure. Il est également important de souligner que les deux formes de théâtre à savoir le théâtre conventionnel et le théâtre forum sont développées par l’Atelier Théâtre Burkinabé. C’est à juste titre que la première pièce jouée par l’ATB lors de sa première sortie officielle s’intitulait Le Président du Congolais

72 Marion Duhamel, Le joker selon Marbayassa, Réflexion sur le meneur de jeu au théâtre forum du Burkina Faso , mémoire de DEA, Université Paris III-Sorbonne Nouvelle, Institut d’Etudes Théâtrales, 1998, p.49-50 cité par Koulsy Lamko, dans Emergence difficile d’un théâtre de la participation en Afrique noire francophone , thèse de doctorat, 2003, p.159

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Maxime N’Debeka et lors de son dixième anniversaire en 1998, la pièce Œdipe-roi de Sophocle qui fut servi comme plat de résistance au public.

Cependant, force est de reconnaitre que c’est avec le théâtre-forum que cette structure a obtenu sa réputation nationale et internationale. De ces premières pièces depuis 1983, nous pouvons citer entre autres des pièces qui dénoncent le racisme en Afrique du sud avec Apartheid no . En effet, le théâtre-forum depuis sa naissance traite de thèmes très variés, c’est ce qui fait qu’il s’inscrit dans le théâtre d’intervention sociale. Il est également très interrogatif car nous notons l’échange direct entre le public et les acteurs. C’est donc un réel outil de communication.

L’expression théâtrale réunit toutes les catégories sociales : hommes, femmes, adultes, jeunes, enfants, aînés, responsables administratifs et culturels, administrés. Un dialogue social, que nulle autre circonstance ne saurait permettre se noue. Les composantes de la société convergent vers un seul lieu pour se mirer dans l’image de la scène où elles vibrent aux mêmes émotions, aux mêmes situations comiques, dramatiques ou pathétiques.

« Le théâtre procure du plaisir, de la joie et des moments de convivialité ; il est un canal particulièrement efficace pour véhiculer des messages de changement social. 73 »

Le théâtre-forum est aussi une école de préparation au changement car il offre la possibilité au spectateur d’expérimenter le changement en réagissant par le verbe et par l’action aux situations provocatrices de la pièce. Pour paraphraser le Professeur Prosper Kompaoré, l’un des atouts majeurs du théâtre est la liberté qui est reconnue à l’artiste de théâtre, d’aborder dans toutes les questions, mêmes les problèmes supposés tabous, sous le couvert du jeu théâtral.

73 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène , Op.cit., p.40

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7. L’efficacité théâtrale à travers l’interactivité et l’esthétique

Le théâtre d’intervention sociale est un théâtre qui incite à l’action, à une expression qui demande l’interactivité comme exercice de communication pour le changement de comportement. La stratégie du « faire faire » en pédagogie est à la base du théâtre pour le développement. Il constitue donc un modèle propre à ce type de théâtre telle que l’a montré Augusto Boal et les autres troupes de théâtre-forum disséminées dans le monde. L’ATB qui s’est inspiré de cette pratique théâtrale l’a agrémentée à la culture africaine, c’est d’ailleurs ce qui explique en grande partie son succès.

La pièce est construite autour d’une erreur sociale de manière à choquer les spectateurs dans le but de susciter des changements et de corriger les mauvaises pratiques. Le critère permettant de jauger le succès d’une pièce de théâtre-forum est sans conteste le nombre et la qualité des interventions verbales et jouées venues des spectateurs. Le joker ou meneur de jeu se fait un devoir d’encourager cette participation active en interpellant de diversesmanières le public et en veillant à ce qu’à la fin l’oppression qui a triomphé dans la première partie soit vaincue et que l’opprimé reprenne le dessus et affirme son droit et sa liberté dans la société. A titre illustratif, dans la représentation, « Les œufs du barrage de Benbaléyadougou » écrite et mise en scène par Prosper Kompaoré, nous pouvons dire que le projet du conseiller municipal Modibo qui consistait à détourner le barrage du village de Benbaléyadougou par des manipulations, des subterfuges et par-dessus tout, la corruption a été corrigée dans la partie forum. Pour dire une fois de plus que le jeu théâtral éveille les consciences des spectateurs.

L’esthétique théâtrale du théâtre d’intervention sociale repose sur la participation pour reprendre les mots de son créateur Prosper Kompaoré et d’un de ses adeptes KoulsyLamko. Pour Prosper Kompaoré :

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« il n’est pas juste d’opposer le théâtre pour le développement au théâtre conventionnel en prétextant que l’un serait plus artistique que l’autre. En réalité, l’efficacité du théâtre-forum même dit de développement s’appuie tout d’abord sur la qualité de la représentation.74 »

Nous corroborons les dires de l’auteur de l’assertion en ajoutant que l’artiste de théâtre doit mériter sa liberté d’expression par la qualité de son art et son désintéressement personnel dans la production de ses œuvres théâtrales. La recherche du beau se doit dans le théâtre d’intervention sociale de se situer à hauteur égale à celle des représentations du théâtre conventionnel. Si le spectacle est mal présenté, le public ne serait en aucun cas touché et le résultat serait biaisé. C’est ce qui explique d’ailleurs le fait que les praticiens de ce type de théâtre se démarquent de l’improvisation, de la facilité dans le jeu ou des représentations à caractère propagandiste, sociale et politique.

Le théâtre d’intervention sociale prône des problématiques sociales dont les solutions ne sont pas évidentes, mais nécessitent un débat social conséquent et apaisé. C’est pourquoi il est très utile pour les jeunes compagnies qui veulent se lancer dans les représentations théâtrales de bien maîtriser les techniques artistiques du théâtre-forum. Que faut-il donc retenir ?

L’esthétique théâtrale repose essentiellement sur le jeu d’acteur, la mise en scène, la qualité des costumes, le décor, les accessoires, etc. Le respect du public doit également rester une boussole dans l’action du théâtre de sensibilisation. L’une des gloires du théâtre d’intervention sociale est d’amener le spectateur à rêver, à sortir de la banalité du quotidien pour imaginer l’impossible, l’ailleurs, l’autrement.

74 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène , Op.cit., p.41

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« Le principe esthétique que nous utilisons, c’est de faire en sorte que le public devienne de plus en plus acteur et, en étant acteur, agent de sa propre libération. Le spectacle se déroule en plein air, en général dans un espace où il y a une plus grande interpénétration acteurs-spectateurs ; le décor est réduit à sa plus simple expression ; par contre on insiste beaucoup sur un jeu qui soit plus expressif. Lorsque nous montons des pièces d’auteurs, nous les concevons dans un espace un peu plus classique, avec la possibilité d’une élaboration plus nette de notre dramaturgie, basée sur l’utilisation de moyens scéniques tels que l’éclairage, le son, le décor que nous ne mettons pas à contribution dans le théâtre forum. Sur le plan plastique, il y a certainement une plus grande richesse, une plus grande exigence aussi dans la représentation des pièces d’auteurs, tandis que, dans la représentation de pièces de théâtre forum, nous insistons beaucoup sur le dialogue, la communication avec le public. 75 »

8. Le Concours de Théâtre-Forum (CTF), un canal de vulgarisation du théâtre d’intervention sociale

En 1994, l’Atelier Théâtre Burkinabé initia un projet de formation dans le but de créer des troupes spécialisées en théâtre-forum. Prosper Kompaoré les appelle affectueusement les troupes filles car elles sont venues briser le monopole des deux grandes compagnies théâtrales burkinabé que sont le théâtre-forum de Prosper Kompaoré et le théâtre-débats de Jean Pierre Guingané. Au départ, les troupes filles étaient au nombre de quatre. Il s’agit essentiellement de la troupe de l’espoir de Hyppolite Wangrawa, la troupe du tchadien N’Gom, la troupe Marbayassa d’Issa Sinaréet une troupe composée uniquement de filles. Parmi ces quatre troupes filles de l’ATB, trois ont

75 Babou Benon, Op.cit. ; p.81

80 perduré dans le temps jusqu’aujourd’hui, excepté la troupe formée par les femmes.

« En 1994, par exemple, l’ATB a dû procéder à la création d’une Fédération Nationale de théâtre-forum qui comptait, en l’an 2000, plus de quarante troupes pratiquant elles aussi le théâtre-forum. 76 »

Dans le document de présentation de l’ATB en 2008, Prosper Kompaoré donne une liste de cinquante-deux troupes et de plus de deux cent comédiens formés par son « Atelier » depuis sa création 77 .

L’homme de théâtre Prosper Kompaoré a eu cette vision car pour lui, il était nécessaire de favoriser la naissance de troupes locales :

« Il suffit d’inculquer les principes de base du théâtre d’intervention sociale pour qu’elles puissent produire des spectacles adaptées à leur environnement, dans les langues locales que ne maîtrisent pas les troupes de Ouagadougou.78 »

L’Atelier Théâtre Burkinabé compte une cinquantaine de troupes partenaires disséminées un peu partout dans les régions, les provinces et les communes du Burkina Faso. Ces troupes constituent des relais de l’ATB auprès des populations de leurs localités. Elles ont été formées dans la technique du théâtre-forum par les comédiens de l’ATB. Cependant, ces troupes sont autonomes. Evidemment, quand elles finissent de mener leurs activités, elles font parvenir à leur structure-mère, l’ATB, le bilan de leurs représentations annuelles. Ce sont ces différents bilans que l’ATB capitalise pour faire un rapport général annuel qui est mis à la disposition des

76 Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.203 77 Livret de présentation de l’ATB, Ouagadougou, avril 2008, pp31-32) 78 Frère Marie-Soleil et Etienne Minoungou, « Le théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso : moteur ou frein pour la création artistique ? » in Théâtre et développement, de l’émancipation à la résistance. Coll. »Essais ».Belgique, édition Colophon, 2004, p.52

81 partenaires, des journalistes et du public. Nous présenterons en annexe le tableau des troupes partenaires de l’Atelier Théâtre Burkinabé.

Le Concours de Théâtre Forum a été justement initié par l’ATB pour inciter les troupes partenaires du réseau, des praticiens du théâtre pour le développement à persévérer dans la recherche de la qualité esthétique et dans l’innovation permanente en matière de modes de création, de formes d’interactivité. Depuis 2010, date de sa dernière édition, l’ATB pour des raisons essentiellement financières n’a pu renouveler la manifestation. Cependant, c’est suite aux doléances exprimées par les troupes membres du réseau des praticiens du théâtre pour le développement que l’ATB a décidé de relancer l’activité du Concours de théâtre forum en 2015.

Prosper Kompaoré nous explique que compte tenu du coût élevé de la manifestation et des moyens limités de l’ATB, plusieurs scénarii étaient envisageables :

- un scénario minimal entièrement pris en charge par l’ATB. Ce scénario obligerait l’ATB à réduire le nombre de participants, et la valeur des prix envisagés. - un deuxième scénario un peu plus ambitieux permettrait, avec l’appui des membres du réseau, d’organiser un CTF à dix ou vingt concurrents sous réserve du montant de la contribution volontaire.

C’est donc à l’unanimité que la deuxième proposition fut adoptée par les membres du réseau. Et l’ATB s’est engagé à organiser le CTF 2015 sous un format compatible avec ses ressources propres. C’est toujours dans cet esprit que s’est tenue la onzième édition du CTF où nous avons pris une part active en étant membre du jury de ce concours. Nous joignons à cet effet, le rapport général du jury du Concours de Théâtre Forum (CTF) 2016 dans les annexes du travail.

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Ce rapport permet d’avoir une vue d’ensemble sur le déroulement du concours de théâtre forum, onzième édition. Il présente succinctement la composition du jury. Nous allons aborder les critères de notation à partir desquels, le jury a apprécié le travail des troupes. Ils sont au nombre de cinq :

-l’originalité : il s’agit ici de voir en plus des techniques du théâtre-forum, quelles sont les innovations majeures apportées par la troupe dans sa prestation ?

-la qualité du joking : la conduite du théâtre-forum serait amorphe si le joker ou le meneur n’est pas dynamique. Du début jusqu’à la fin du spectacle, il est omniprésent. C’est lui qui conduit le spectacle théâtral.

-la qualité de la mise en scène : contrairement à ses détracteurs qui pensent que le théâtre-forum n’a pas besoin d’une mise en scène spécifique, la qualité de la mise en scène est importante dans la transmission du message.

-la qualité du jeu d’acteur : à travers les émotions, les rires, le spectateur se guérit de ses maux, ce qu’Aristote appelle la purgation, la catharsis théâtrale.

-l’intérêt thématique : le théâtre forum comporte un message. Le message est la locomotive du théâtre-forum. Sans message, pas de théâtre. C’est pourquoi les différentes troupes rivalisent en messages. Le message également doit être actualité afin de susciter l’intérêt des spectateurs. A titre illustratif, nous avons pu noter des messages sur le trafic des enfants, le travail des enfants, le mariage précoce, le problème du foncier en milieu rural et urbain, le terrorisme, etc.

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9. Atouts et handicaps du théâtre d’intervention sociale

Quels sont les atouts et les handicaps du théâtre d’intervention sociale ? La réponse à cette interrogation nous permettra de mettre en lumière l’importance de ce type de théâtre dans la société.

9.1 Atouts du théâtre d’intervention sociale

« Au Burkina Faso, le théâtre a vite été reconnu comme le moyen de communication le plus efficace pour les organismes de développement car il rejoint les populations les plus éloignées et leur offre un contact privilégié. Il est le lieu d’un échange direct qui demande la participation active du public. La proximité avec les gens et le côté rassembleur de cet art accroissent son impact. Les partenaires ou organismes de développement apprécient ce moyen de communication puisqu’il leur permet un retour immédiat avec les spectateurs tout en s’avérant une des solutions économiques. 79 »

Le théâtre forum à travers son jeu interactif contribue à l’émancipation des masses populaires.

« Le théâtre forum est une technique du théâtre participatif qui vise à la conscientisation et à l’information des populations opprimées d’une façon ou d’une autre. Il trouve son terrain de prédilection auprès des populations non alphabétisées, dans les pays en voie de développement. Il cherche à donner des outils d’émancipation, d’autonomisation et d’action aux populations pour qu’elles comprennent leur environnement et s’engagent à agir pour le transformer. C’est une technique de communication très prisée par les

79 Fabienne Roy, Les caractéristiques et l’évolution du théâtre pour le développement en Afrique noire francophone : le cas du Burkina Faso , 2009, p.82

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acteurs de l’éducation populaire et par les projets de développement. 80 »

Les avantages du théâtre d’intervention ne sont plus à démontrer. Pour paraphraser Sylvie Chalaye, le théâtre est resté longtemps le seul vrai média populaire, instrument d’information et de vulgarisation. Nous allons envisager les atouts du théâtre-forum à plusieurs niveaux :

-d’abord, le théâtre est un métier à part entière. Contrairement à une idée reçue, le théâtre n’est pas une activité oiseuse, un jeu inutile. De ce fait, la pratique théâtrale est comme tous les autres métiers qui méritent le respect et la considération de toute la société. A titre illustratif, les comédiens de l’ATB affirment vivre de leur métier d’artistes et de comédiens. Ce ne sont pas des bourgeois, oh non ! Puisqu’ils luttent contre la bourgeoisie. A cet effet, nous avons envie de convoquer Oyin Ogunba qui dit ceci :

« L’artiste ou le rédempteur peut tourmenter le monde – ses idées peuvent créer une révolution ; et par la suite, les générations peuvent découvrir la solidité de la qualité de son œuvre – mais concernant sa personne, il n’y a aucune rédemption parce que c’est ce qu’il doit sacrifier pour arriver à ses fins. Il perd son âme pour sauver les autres. C’est l’image même du vrai messie. 81 »

-ensuite, le théâtre est un moyen de regroupement social. Par le biais du théâtre, plusieurs couches de la société se retrouvent : riches, pauvres, médisants, humbles, mendiants. Pour Prosper Kompaoré l’activité théâtrale est au centre des moyens de communication pour le développement. Le théâtre

80 Pingdewindé Issiaka TIENDREBEOGO, Les arts et la littérature dans l’espace sahélien : Le cas du théâtre forum développé par l’Atelier Théâtre Burkinabé , in n°Spécial des « Etudes sahéliennes », Actes du Colloque international sur « L’espace sahélien dans les arts et les sciences humaines », septembre 2015, p.193 81 Cité par le Pr Amadou Bissiri dans son article le conte comme paradigme de lecture dans le théâtre de Jean Pierre Guingané , OyinOgunba in Okpokodu, Peter. Socio-political theater in Nigeria . San Francisco: Mellen Research University Press, 1992, p.69

85 occupe une place entière dans le cœur des populations, il est au centre des stratégies de communication sociale pour le développement 82 . C’est grâce à lui que toutes les composantes de la société se retrouvent en un seul espace pour se mirer dans l’image de la scène, où elles vibrent aux mêmes émotions, aux mêmes situations comiques, dramatiques ou pathétiques ;

Enfin, le théâtre est un puissant canal qui prépare l’individu au changement de comportement.

« Le théâtre forum offre la possibilité au spectateur d’expérimenter le changement en réagissant par le verbe et par l’action aux situations provocatrices de la pièce modèle.83 »

Un changement se produit toujours à la fin d’une représentation théâtrale au niveau du spectateur. Il peut être immédiat, à court, moyen ou long terme. L’essentiel est que le spectateur puisse revoir sa copie vis-à-vis d’une situation donnée. A titre illustratif, dans « le vote du fétiche », les spectateurs ont dénoncé le fait que certains acteurs ont juré fidélité sur le fétiche avant d’aller accomplir leurs droits de vote.

9.1.1 Avantages du théâtre-forum par rapport aux autres modèles de communication

Comme tous les autres moyens de communication, le théâtre intervient dans un domaine de plus en plus monopolisé par les média suivants :

- la radiodiffusion couvre pratiquement tous les villages du Burkina Faso. Cependant, elle reste distanciée dans l’espace et dans le temps ce qui fait qu’elle n’est pas un événement social ;

82 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène , Op.cit., p.40 83 Idem, Op.cit,. p40

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- la télévision est un instrument de communication développée dans les villes et sa couverture reste insuffisante dans les villages. Le texte est un médium froid livré au récepteur dans un contexte de singularité extrême, passible de tous les traitements ; - la presse écrite traine toujours le pas. Cela est dû au fait qu’une bonne partie de la population burkinabé n’est pas alphabétisée. - le cinéma, quoique sur la route du développement et de l’expansion, reste fortement colonisé. Une reconquête des écrans africains par les films africains fera inéluctablement du cinéma africain l’un des supports modernes de communication médiatique.

Le théâtre d’intervention sociale a donc un rôle prépondérant à jouer dans le développement du Burkina Faso.

Le Burkina Faso est un pays en voie de développement. L’analphabétisme y est encore très développé. Les principaux moyens de transmission du message par les organismes engagés dans le processus de développement sont entre autres : la télévision, la radio, les journaux, les affiches, les livres et bien évidemment le théâtre. Alors que la radio et la télévision ne couvrent pas l’ensemble du territoire burkinabé. Certains villages que nous avons eu la chance de parcourir ne reçoivent pas les émetteurs de la radio et de la télévision. Et même dans les localités où on a les signaux, nous pouvons dire que la radio et la télévision ne sont pas les moyens directs les plus efficaces dans la sensibilisation. C’est pourquoi le théâtre se présente comme un boulevard pour les organismes de développement.

« Les échecs répétés des projets de développement importés clé en main ont conduit les concepteurs du développement à reconnaître qu’il ne pouvait y avoir de développement sans participation volontaire et consciente des populations cibles. C’est bien ce constat qui a conduit très souvent à rechercher des méthodes de

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communication privilégiant la participation active des populations concernées. 84 »

Le théâtre forum demeure alors le seul média qui privilégie un contact direct avec les populations laborieuses. Sa communication est désynchronisée alors que dans les médias, on parle de synchronisation de la communication. Reprenant les propos de Fabienne Roy citant Prosper Kompaoréqui affirme que l’acte théâtral est efficace car il interpelle quatre zones stratégiques : la tête, le cœur, le ventre, et les membres.

La tête symbolise le lieu où est logé le savoir. Le but du théâtre-forum est de sensibiliser les populations sur les maux de la société.

Le cœur est le réservoir de l’émotion. Prosper Kompaoré nous renseigne à cet effet :

« Il y a un abîme entre le fait de savoir et le fait d’avoir envie de changer ou de faire. Viser la tête est utile, mais insuffisant. La connaissance sans la passion est stérile. 85 »

Généralement dans une représentation, le spectateur s’identifie toujours au personnage. Il veut souvent lui ressembler ; en ce moment, on parle d’empathie ou de communion émotionnelle entre les deux. Quand le spectateur se démarque du personnage, on parle de séparation.

Le ventre se rapporte aux besoins de se nourrir, chose capitale pour la survie puisque le théâtre s’intéresse aux problèmes concrets de l’individu.

Enfin, les membres symbolisent l’action. Le théâtre-forum a pour mission principale d’inciter les spectateurs à l’action. L’éveil des consciences

84 Gilles Arsène Tchedji, Evaluation de l’impact des campagnes de sensibilisation par le théâtre- forum : cas de la participation dakaroise de Hann sur Mer, 2005, p.10 85 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène , n°5, 2004, p.24

88 doit se traduire en actes concrets posés dans la société et qui suscite un changement de comportement. Le théâtre ne remplace pas l’action réelle mais aide à rendre l’action plus concrète et plus réelle.

« La représentation théâtrale constitue un événement dans la vie sociale du village ou de la communauté concernée, et longtemps après, on se réfère à cet événement comme un point de repère important. 86 »

La représentation théâtrale ou les événements théâtraux laissent des tâches indélébiles et translucides dans la vie des populations. Ils s’en souviennent toujours et gardent des leçons de la représentation.

Que pouvons-nous ajouter par rapport aux avantages du théâtre d’intervention sociale à l’égard des autres médias ?

Le théâtre-forum est un art de « l’ici et maintenant ». Le fait que le comédien soit devant le spectateur nous avons l’application d’une communication théâtrale émanant d’une véracité du dialogue. Le comédien incarne un personnage, il est vrai mais celui-ci se donne avec le plus de sincérité et de générosité possible au spectateur ; ce dernier trouve dans le personnage une projection scénique de personnages réels ou plausibles, dont le destin singulier le questionne individuellement dans sa propre existence.

« L’acte théâtral est de ce fait un événement social qui s’inscrit dans le temps de vie du spectateur.87 »

Quelque soit le lieu où se tient la représentation théâtrale (salle de spectacle ou place publique), durant l’événement ce lieu devient un pôle

86 Idem, Enjeux de scène , n°1, avril-juin 2003, p.22-23 87 Prosper Kompaoré, Théâtre et développement in annales de l’Université de Ouagadougou n° Spécial, décembre 1988 série A : Sciences Humaines et Sociales, 1 er Colloque International sur la Littérature Burkinabé, p.366

89 d’attraction pour les spectateurs où se vendent le geste, le rire et les espoirs des lendemains meilleurs. La représentation théâtrale étant donc un événementiel de masse, elle favorise une catalyse sociale . La catalyse sociale est tributaire de la force des images théâtrales et de la mise en œuvre des éléments dynamiques du groupe. On assiste à une euphorie qui se traduit par des messages de joies, de peines ou de révoltes des spectateurs. Par exemple, le dernier acte qui ouvre le débat du forum dans la représentation de la pièce « le vote du fétiche » s’ouvre par un questionnement : Faut-il déchirer la feuille de proclamation des résultats ?

Le théâtre d’intervention sociale va plus loin dans l’intériorisation du message théâtral. En effet, la dynamique du groupe dans une partie du théâtre forum crée des résonnances plus ou moins fortes et prolongées dans l’affect et le ratio de chaque spectateur. Le discours théâtral marque le spectateur de séquelles profondes qui restent solidement fixées dans son subconscient. Cela peut déboucher sur des prises de décisions individuelles ou collectives dignes de transformations réelles.

Le théâtre-forum se révèle donc comme un des moyens les plus efficaces dans la transformation sociale. Il installe un feed-back immédiat comme une manière d’impliquer directement le spectateur dans l’action. A titre illustratif, dans la deuxième partie du forum, quand le spectateur monte sur la scène et prend la parole, il devient « acteur », cet « acteur-spectateur » s’exprime plus ou moins honnêtement par l’entremise du jeu, sa projection du futur sur le présent qu’il trouve insatisfait. Ce feed-back donne une réponse instantanée du spectateur. Cela permet de mettre en exergue les points obscurs et les préjugés. Tout ce jeu théâtral est orchestré par le meneur de jeu ou joker avec bien-sûr la participation des « acteurs-spectateurs » afin de dénoncer les erreurs et aller théâtralement vers les voies nouvelles de la libération ou de la connaissance. Pourquoi utiliser l’outil théâtre-forum dans la sensibilisation?

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En effet, nous sommes tenté de nous poser cette question qui peut avoir l’air banal. Les organismes internationaux, les ministères auraient pu choisir le cadre des réunions publiques ou des meetings ? C’est parce que selon nous l’expression théâtrale offre divers avantages que nous avons ci-dessus. Quels autres avantages le théâtre-forum dispose-t-il encore dans sa pratique ? Nous allons tenter de répondre à cette question en nous focalisant sur deux axes principaux.

D’une part, le théâtre-forum est un discours indirect donnant au spectateur-acteur une casquette à la fois sécurisante et ludique à travers le jeu et le divertissement. Cependant, la barrière du public peut être un frein à la réussite du jeu. Expliquons-nous : comment un spectateur qui n’a jamais joué sur une scène peut éprouver différentes difficultés à s’exprimer par le geste et par la parole devant un public. C’est là qu’intervient le joker afin de créer un climat de confiance, d’encouragement à l’endroit du spectateur-acteur afin que celui-ci transcende sa honte pour jouer correctement.

D’autre part, l’utilisation du théâtre amène le spectateur-acteur à devenir un créateur, un artiste créateur d’images théâtrales, un agent culturel d’où un agent de développement. Le théâtre d’intervention sociale participe dans une certaine forme à une démocratisation culturelle. Pour clore cettesérie d’atouts du théâtre d’intervention sociale par rapport aux autres médias de communication, nous allons essayer de démontrer ses avantages économiques. Nous sommes dans un monde où l’argent appelé couramment « le nerf de la guerre » constitue l’ossature de toute entreprise humaine.

« Dans le contexte africain, le théâtre et en particulier le théâtre forum est un art économique et populaire. 88 »

88 Prosper Kompaoré, Op.cit., p.368

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Comme nous l’avons déjà fait remarquer, les autres médias comme la presse écrite, la radio, la télévision ou le cinéma demandent des dizaines, voire des centaines de millions pour leur réalisation alors que le théâtre apparaît comme le moyen d’expression artistique le plus économique. Pour Prosper Kompaoré :

« On peut monter des spectacles de très grande efficacité avec moins de 1.000.000 de FCFA, dans tous les cas, et tous les frais comptés on peut évaluer ainsi le coût d’un message par les médias classiques.

Télévision-radio : équipement, personnel, appareillage d’émission, appareil de réception, des centaines de millions à quelques milliards.

Presse écrite : matériel technique, papier, techniciens : des centaines de millions à quelques milliards.

Cinéma : matériel de jeu, matériel technique ; des dizaines de millions à quelques centaines de millions.

Théâtre : matériel de jeu, matériel technique, hommes de théâtre, frais de tournée, de quelques milliers à quelques dizaines de millions de Francs CFA. 89 »

A l’aune de cette citation, nous pouvons dire que le théâtre d’intervention sociale demeure véritablement l’outil le plus efficace et le plus abordable économiquement parlant.

Le dramaturge espagnol du siècle d’or, Lope de Vega (1562-1636) déclarait qu’il suffisait, pour faire du théâtre, quatre planches, deux tréteaux,

89 Prosper Kompaoré, Op.cit., p.368

92 une passion. Peter Brook quant à lui, livre ses réflexions sur sa pratique de metteur en scène dans l’ Espace vide :

« Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un qui traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé. 90 »

En marge du Marché Africain des Arts de la Scène (MASA) de Côte d’Ivoire, Sylvie Chalaye qui a suivi les représentations théâtrales nous livre ses sentiments dans un article intitulé, un théâtre à la rencontre de son public :

« Les spectacles qui ont en effet retenu l’attention sont des spectacles quasiment sans décor, des spectacles qui font entendre le texte et l’acteur, des spectacles qui ont su dépasser les contraintes techniques en recentrant la créativité sur le potentiel humain et en s’appuyant sur l’énergie du public. Il faut dire aussi que ces créations se sont émancipées du regard occidental et qu’elles vont à la rencontre d’un public africain. 91 »

Il est bien vrai que ces représentations théâtrales ne relèvent pas du théâtre d’intervention sociale mais du théâtre conventionnel ou du théâtre classique mais elles utilisent des décors assez simples comme on a l’habitude de voir dans les représentations de théâtre-forum. Le théâtre pauvre tel que prôner par Jerzy Grotowski dans son ouvrage Vers un théâtre pauvre 92 est donc utilisé dans les deux cas de figures par les metteurs en scènes africains.

90 Peter Brook cité dans Théâtre, texte et représentation : lectures analytiques par Etienne Calais et Anne-Marie Bonnabel , éditions Ellipses, Paris, 2012, p.12 91 Sylvie Chalaye, Un théâtre à la rencontre de son public in revue Africultures, n°18, mai 1999, p.14- 15 92 Jerzy Grotowski, Vers un théâtre pauvre, Editions, L’Age d’homme, collection La Cité, Lausanne, 1971.

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L’essence du théâtre Grotowskien est la relation qui existe entre les acteurs et les spectateurs. En effet, Grotowski abolit la distance entre l’acteur et le public en supprimant la scène et toute frontière qui peut exister entre les différents protagonistes du jeu théâtral. Pour lui, l’acteur ne doit pas s’éloigner du spectateur. Sur la scène du théâtre pauvre, seuls l’acteur et le spectateur sont essentiels et c’est grâce à cette relation que le théâtre trouve sa respiration.

On a toujours ce sentiment du théâtre Grotowskien quand on est en face d’une pièce de théâtre d’intervention sociale en l’occurrence, le théâtre forum.

Ce n’est vraiment pas par le fait du hasard si les organismes désireux de sensibiliser la population pour une question donnée se tournent vers le théâtre d’intervention sociale. Proposons un devis estimatif d’une représentation théâtrale de la troupe partenaire de l’ATB dénommée ARCAN de Ouahigouya.

Tableau n°1 :

Poste budgétaire Coût Nombre de Coût total (FCFA) villages Location d’un véhicule 30.000FCFA/jour *20 600.000FCFA Location de projecteurs 20.000FCFA *20 400.000FCFA et de sonorisation Rémunération pour 6 (6*3500FCFA) *20 420.000FCFA comédiens 21.000FCFA 1.420.000FCFA N’inclue pas l’étape de création, ni le matériel pour la scénographie et les costumes Source : Fabienne Roy, Les caractéristiques et l’évolution du théâtre pour le développement en Afrique noire francophone : le cas du Burkina Faso , 2009, p.54

A l’aune de ce tableau nous pouvons dire qu’avec un million quatre cent vingt mille francs CFA (1.420.000 FCFA environ 2165 euros), une troupe théâtrale peut sensibiliser 20 villages. Prosper Kompaoré a sa petite idée par rapport à cela :

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« Une campagne de représentation théâtrale peut toucher en une vingtaine de spectacles entre dix mille et vingt mille personnes avec un effet multiplicateur de l’ordre de cinq à six fois (taille de la famille africaine) eu égard à la puissance d’impact du théâtre d’intervention sociale. 93 »

Si nous prenons vingt mille (20.000) personnes et nous multiplions par six (6), nous nous retrouvons avec cent vingt mille (120.000) personnes touchées par les sensibilisations. Les avantages du théâtre d’intervention sociale sont très nombreux. De son effet multiplicateur à son coût de production très réduit, il touche le maximum de populations avec une transformation sociale réelle. Pour Pierre Médéhouegnon :

« C’est la méthode participative du théâtre forum qui offre l’avantage d’établir un « contact chaud et immédiat » entre les interlocuteurs de la communication sociale que sont les comédiens, le public et les partenaires à l’action sociale. L’impact du théâtre forum dans ces conditions, devient plus direct, plus mesurable que celui des moyens classiques de communication tels que la radio et la télévision. 94 »

Malgré les atouts dont dispose le théâtre d’intervention sociale, nous pouvons relever quelques difficultés qui rendent souvent difficile sa pratique.

9.2. Handicap du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso

Le théâtre au Burkina Faso connait de nombreux problèmes. Comme toute activité humaine, le théâtre d’intervention a bien des limites objectives dans sa pratique. Nous allons tenter de percevoir ces difficultés à travers

93 Prosper Kompaoré, Op.cit., p.369 94 Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.209-210

95 plusieurs canaux. Ainsi, nous parlerons de problèmes d’ordre esthétique, psychologiques, de manque de formation, et enfin, de problèmes d’ordre financier.

En ce qui concerne les considérations esthétiques, on a tendance à comparer le théâtre d’intervention sociale au théâtre conventionnel. Ces détracteurs vont jusqu’à affirmer que c’est un théâtre « minimaliste » car il utilise peu de matériels scéniques et est monté sur commande. Effectivement, lorsqu’une structure de développement quelconque, un organisme international par exemple commandite une pièce théâtrale afin de sensibiliser une population donnée, elle propose un canevas à la compagnie théâtrale qui doit la réaliser, disons ici l’ATB. L’ATB doit monter la pièce en tenant compte de l’objectif visé par l’association ou la structure demandeur.

Le problème à ce niveau est que dans la représentation de la « pièce modèle » à l’association, celle-ci demande toujours des retouches du jeu à certains endroits afin que son message soit bien saisi du public cible. Le jeu théâtral peut bien être biaisé. Heureusement que Prosper Kompaoré nous rassure par rapport à cela :

« C’est la collaboration entre un groupe artistique et une personne physique ou morale en vue de la création d’une œuvre. Une des principales caractéristiques est l’implication du partenaire dans le choix du thème. En général, le thème est proposé par le partenaire, discuté avec les artistes et le contenu de la pièce de théâtre décidé d’un commun accord. L’œuvre aura ainsi pour finalité de promouvoir les objectifs prioritaires du partenaire. Toutefois, le groupe artistique reste maître de la conduite technique de la réalisation de l’œuvre. 95 »

95 Prosper Kompaoré, Faire du théâtre pour développer , Editions ATB, 1998, p.84

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Pour dire ainsi que malgré que le partenaire propose un thème à la structure chargée de monter la pièce, il n’a pas trop d’ingérence dans le jeu théâtral à proprement parlé. A ce propos le responsable de l’ATB pense que :

« Si le contenu est consistant, mais l’esthétique pauvre et désastreuse, l’on aura peu de chance d’intéresser véritablement l’auditoire ; le public apprécie le contenu parce qu’il apprécie la forme. 96 »

L’Atelier Théâtre Burkinabé, avec Prosper Kompaoré comme metteur en scène, propose des pièces originales d’une qualité artistique indéniable. Ses pièces se démarquent des troupes fantaisistes qui prétendent proposer des pièces de théâtre statiques, sans maîtriser les principes fondateurs du théâtre forum. La qualité artistique garantit l’essence même du théâtre d’intervention sociale.

En ce qui concerne l’esthétique du théâtre d’intervention sociale, KoulsyLamko s’y est longuement attardé dans sa thèse « Emergence difficile d’un théâtre de la participation en Afrique noire francophone. » Il qualifie cette esthétique, « d’esthétique de la participation ». En terme profane, il veut dire que c’est la participation du public à travers les cris, les applaudissements, en un mot la réception du spectacle qui constitue son esthétique contrairement au théâtre conventionnel où la mise en scène à l’italienne l’emporte sur le premier.

Pour ce qui est des problèmes psychologiques, ils se manifestent essentiellement à travers les préjugés ou les idées erronées que certaines personnes ont du théâtre. Beaucoup pensent que le théâtre est immoral et avilissant. Ce sont des jeux d’enfants que ne sauraient jouer des adultes qui se respectent. De façon psychique, certaines personnes considèrent le lieu

96 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène, 2003, n3, p.14

97 théâtral comme un lieu de dépravation des mœurs comme les boîtes de nuit et se refusent de le fréquenter. Ces obstacles psychologiques sont dûs essentiellement à la non maitrise de l’essence même du théâtre. C’est pourquoi la décentralisation des représentations théâtrales des pièces de théâtre-forum entamées depuis 1994 par l’ATB devrait contribuer à solutionner ces fausses considérations du théâtre.

Une des limites du théâtre d’intervention sociale est la problématique de la formation continue. La répétition est pédagogique a-t-on coutume de dire. En effet, certaines compagnies, préoccupées par le gain rapide d’argent, font du « couper-coller » ou du « copier-coller ». Ces compagnies « fast- food » ont pris le malin plaisir de se documenter et d’avoir en leur possession une somme importantes de réalisations théâtrales. Il suffit qu’un organisme fasse une commande d’une pièce donnée et elles font sortir de leur tiroir une pièce semblable et l’adapte au jeu. C’est ce que Sylvie Chalaye appelle du « réchauffé 97 » car ces types de représentations manquent de fraîcheur et de tonus. Sylvie Chalaye nous fait l’économie des spectacles qu’elle a suivis lors du Marché des Arts et du Spectacle d’Abidjan (MASA) :

« Les spectacles qui ont en effet retenu l’attention sont des spectacles quasiment sans décor, des spectacles qui font entendre le texte et l’acteur, des spectacles qui ont su dépasser les contraintes techniques en recentrant la créativité sur le potentiel humain et en s’appuyant sur l’énergie du public. 98 »

En matière de limite toujours, nous allons nous arrêter un instant sur la reprise du jeu théâtral. L’acteur qui n’a pas suivi de séances de répétitionsn’arrive pas à impacter le message oral à travers certaines hésitations, et le faible débit de la parole. La pression des spectateurs lui

97 Chalaye Sylvie, Un théâtre à la rencontre de son public in revue Africultures, n°18, mai 1999, p.11 98 Chalaye Sylvie, Op.cit. ; p.14-15

98 monte à la tête et les mots justes tardent souvent à venir. C’est pourquoi nous sommes d’avis avec Pierre Médéhouegnon quand celui-ci avance que :

« L’esthétique dans le théâtre forum est au service de l’objectif prioritaire de la sensibilisation pour le développement social. Le beau ne se réduit pas ici à ce qui est agréable à la vue ou à ce qui plaît, il se laisse couler dans ce qui émeut, choque, provoque et déclenche la prise de conscience pour le changement des habitudes et comportements. 99 »

L’un des objectifs du théâtre d’intervention sociale est d’impacter un maximum de public lors de sa représentation. Cependant, ces « troupes pirates » trop souvent, n’évaluent pas objectivement le nombre de spectateurs. De tels agissements n’arrangent ni la troupe ni les partenaires auxquels il est important de restituer honnêtement les faits observés sur le terrain.

« Faire du théâtre de sensibilisation suppose le respect d’une certaine éthique, d’une déontologie qui respecte le spectateur et le partenaire. 100 »

Pour Prosper Kompaoré, le mensonge est contre-productif à la longue. Aussi, les compagnies théâtrales doivent se former et se doter d’outils d’évaluation appropriés à l’expression artistique et théâtrale. L’évaluation de l’impact des actions théâtrales est au cœur du théâtre d’intervention sociale.

« Tous les praticiens de théâtre qui se respectent savent qu’en matière de théâtre l’on a jamais fini de se former. Cette constatation est d’autant plus valable pour les jeunes compagnies ou les compagnies anciennes dont le renouvellement accéléré des membres

99 Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.209 100 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène , revue trimestrielle d’information et de recherche sur le théâtre pour le développement, n°14, décembre 2014, p.43

99

les expose à recycler régulièrement les éléments pour maintenir un niveau de fiabilité convenable. 101 »

Nous pensons d’ailleurs que c’est ce qui justifie la création par l’ATB du réseau des praticiens du théâtre pour le développement. Ce réseau a pour principale mission d’encadrer les jeunes et les anciennes compagnies afin qu’elles restent au top dans leurs prestations et qu’elles ne tombent pas dans la désuétude. C’est à cette condition que le théâtre d’intervention sociale restera en tout temps et en tous lieux, un art adapté, agréable, utile et efficace.

Le théâtre-forum s’appuie exclusivement sur des financements intérieurs ou extérieurs. Il peut s’agir des ministères sous le couvert de l’Etat ou des organismes internationaux. Par exemple, les partenaires financiers de l’ATB sont entre autres l’ONG canadienne OXFAM, l’ONG suédoise chrétienne DIAKONIA, frères des hommes de Luxembourg, S.O.S Sahel, Save the children…Pour le compte des associations nationales, nous avons l’Association PUGSADA, le Mouvement des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP), le Réseau National de Lutte Anti-corruption (REN- LAC).L’ONG suédoise DIAKONIA donne son appui à l’ATB depuis 2001. Elle promeut la démocratie, les droits humains et soutient les initiatives de développement local.

Le théâtre d’intervention sociale étant conditionné par l’aide, nous pouvons dire qu’il court un grand risque car une fois qu’il n’y aura plus de financement, il n’y aura plus de théâtre. A supposer que les institutions de développement que nous avons citées ci-dessus décident qu’elles ont atteint leurs objectifs en matière de financement, elles arrêteront de commander des pièces de théâtre-forum. La question du financement du théâtre est donc une

101 Op.cit., p.43

100 question cruciale et d’actualité qui conditionne la pérennité du théâtre d’intervention sociale.

L’activité théâtrale est donc parsemée de difficultés à plusieurs niveaux. Nous avons tenté d’en énumérer un certain nombre. Certes, le chapelet des difficultés ci-dessus citées n’est pas exhaustif. L’Atelier Théâtre Burkinabé qui est au cœur de notre réflexion s’est toujours battu et continue de se battre depuis plus d’une quarantaine d’années pour semer les graines du développement au Burkina Faso. Nous avons déjà fait remarquer que toute activité humaine, toute entreprise humaine comporte des difficultés de plusieurs ordres et ce n’est pas parce qu’il y a des difficultés qu’il faut arrêter son entreprise, mettre les clés sous le paillasson. C’est donc ce leitmotiv de l’ATB, « le théâtre au service du développement » que cette entreprise citoyenne se bat pour tenir haut le flambeau du développement. Sous la pluie, sous le vent, sous le soleil, dans la poussière, parfois dans la boue, les comédiens de l’ATB que nous avons eus la chance de suivre un peu partout sur le territoire national se battent réellement pour éveiller les consciences des populations urbaines et surtout rurales.

Au Burkina Faso, il existe une floraison de pratiques théâtrales qui s’inscrit dans le théâtre d’intervention sociale. Nous proposons de voir dans le chapitre suivant la typologie de ces représentations théâtrales.

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Chapitre 3 : Typologies des représentations du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso

Dans ce chapitre, nous allons analyser les caractères spécifiques du théâtre d’intervention sociale. En effet, le théâtre forum est un élément du théâtre d’intervention sociale mais n’en demeure pas le seul. Nous avons d’autres types de théâtre qui font partie intégrante du théâtre d’intervention sociale comme le théâtre procès et le théâtre communautaire pratiqué également par l’Atelier théâtre Burkinabé. Nous n’occulterons pas la deuxième forme du théâtre d’intervention sociale qui est le théâtre-débats de Jean Pierre Guingané.

1. Le théâtre de l’opprimé de Augusto Boal

Augusto Boal est le principal initiateur du théâtre-forum car ayant été l’un des premiers à faire paraître officiellement un livre sur la pratique du théâtre- forum intitulé : Théâtre de l’opprimé 102 . Nous ne pouvons donc pas passer sous silence son existence et l’œuvre titanesque qu’il lègue à la postérité pour la poursuite de son développement. Avant de parler de son œuvre proprement dit, nous citerons sa quatrième de couverture dans son œuvre Le théâtre de l’opprimé pour montrer l’engagement de l’homme à solutionner les problèmes de la société à travers le théâtre.

« L’être humain devient humain quand il invente le théâtre. La profession théâtrale, qui appartient à quelques-uns, ne doit pas cacher l’existence et la permanence de la vocation théâtrale, qui appartient à tous. Le théâtre est une vocation pour tout être humain. Le théâtre de l’opprimé est un système d’exercices physiques de jeu esthétiques, de techniques d’images et d’improvisations spéciales,

102 Auguto Boal, Théâtre de l’opprimé , Editions La Découverte &Syros, 1996, 181pages

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dont le but est de sauvegarder, développer et redimensionner cette vocation humaine, en faisant de l’activité théâtrale un outil efficace pour la compréhension et la recherche de solutions à des problèmes sociaux et personnels. 103 »

Cette assertion nous donne la vision sur le « théâtre combattant ». Pour lui, le théâtre était jadis, un chant dithyrambique où le peuple chantait librement. Plus tard, les bourgeois vont s’emparer du théâtre en utilisant des mises en scène comme la scène à l’italienne qui sépare les acteurs des spectateurs, les sujets agissants des sujets regardants. Pour lui, c’est à ce moment que le peuple libre doit se libérer et s’emparer de nouveau de son théâtre en abattant les cloisons car c’est le spectateur qui se met à jouer.

« Tous les groupes de théâtre véritablement révolutionnaires doivent remettre au peuple les moyens de la production théâtrale pour qu’il les utilise lui-même. Le théâtre est une arme : c’est le peuple qui doit s’en servir. 104 »

Dans la Poétique d’Aristote, le spectateur délègue ses pouvoirs au personnage pour que celui-ci joue à sa place mais se réserve le droit de penser pour son propre compte, très souvent une opposition avec le personnage. Dans le cas d’Aristote, il produit une « catharsis », dans le second une « prise de conscience ». La poétique de l’opprimé propose l’action même : le spectateur ne délègue aucun pouvoir au personnage, ni pour qu’il joue, ni pour qu’il pense à sa place : au contraire il assume lui-même son rôle d’acteur principal, transforme l’action dramatique, tente des solutions, envisage des changements.

103 Op.cit., 4éme page de couverture, 104 Opt.cit., p.15

103

Pour que le spectateur reprenne sa mission d’acteur principal au théâtre et dans la société, Auguto Boal a préconisé l’emploi de plusieurs types de théâtre dont le théâtre invisible, le théâtre forum, le théâtre image…

L’homme constitue le principal moyen de production du théâtre. Pour Augusto Boal, le premier mot du vocabulaire théâtral est le corps humain, principale source de son et de mouvement. Il serait donc judicieux dans la pratique théâtrale de maîtriser les moyens de productions théâtrales : l’homme doit d’abord maîtriser son propre corps, il doit apprendre à connaître son corps pour le rendre plus expressif et plus vivant. C’est à partir de ce moment qu’il pourra pratiquer diverses formes théâtrales et se libérera petit à petit de sa condition de « spectateur » pour devenir « acteur », il cessera d’être objet pour devenir « sujet ».

L’inventeur du théâtre de l’opprimé a montré quatre étapes dans la transformation du spectateur en acteur. Nous allons schématiser ces quatre étapes telles que préconisées par l’auteur :

Première étape : Connaître son corps

La connaissance du corps étant très importante, plusieurs séquences d’exercices permettront au spectateur d’appréhender son corps, ses limites et ses capacités. En plus de ses déformations sociales et les moyens de les combattre.

Deuxième étape : Rendre son corps expressif

On utilisera des séquences de jeux grâce auxquelles on commence on apprend à s’exprimer au moyen de son corps, sans recourir à des moyens d’expression plus habituelles, quotidiennes.

Troisième étape : Le théâtre envisagé comme langage

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On apprend à utiliser le théâtre comme un langage vivant et actuel, et non comme un produit fini reflétant des images du passé. La troisième étape comporte en elle-même trois degrés d’acquisition du théâtre.

Le premier degré ou la dramaturgie simultanée : les spectateurs prennent des notes en même temps que les acteurs.

Le deuxième degré ou le théâtre image : les spectateurs interviennent directement en s’exprimant par l’intermédiaire des statues figurées par le corps des artistes.

Le troisième degré concerne le théâtre forum lui-même, c’est-à- dire que les spectateurs interviennent directement dans le jeu. Dans cette partie, le joueur intervient dans l’action et la modifie. Le troisième degré comporte trois étapes : on demande d’abord à une personne de raconter une histoire avec un problème politique à résoudre, ensuite, on répète, ou improvise directement pour donner un spectacle qui comporte la solution au problème posé, à la fin du spectacle on ouvre le débat et on demande aux participants s’ils sont d’accord avec la solution proposée. S’ils disent non, on recommence la scène une deuxième fois sans rien changer et on invite ceux qui ne sont pas d’accord à venir remplacer l’acteur et mener l’action dans le sens qui leur semble plus acceptable. Les autres acteurs doivent accepter le nouvel acteur et envisager à « chaud » toutes les possibilités offertes dans la nouvelle proposition sans dénaturer le jeu théâtral.

Quatrième étape : il s’agit du théâtre envisagé comme discours. Le spectateur-acteur présente des formes simples de spectacles déterminés par son besoin de discuter ou d’échanger sur certaines questions ou de tenter certaines actions.

105

En somme, nous dirons qu’il faut humaniser le spectateur et lui rendre sa capacité d’agir pleinement. Il doit être sujet, acteur, à égalité de condition avec les autres qui deviennent à leur tour spectateurs. Il faut libérer le spectateur sur qui le théâtre a imprimé des images achevées du monde.

La poétique d’Aristote est caractérisée par l’oppression. Le monde est connu, parfait, perfectible ; on improvise ses valeurs aux spectateurs. Ceux-ci délèguent passivement leurs pouvoirs aux personnages pour qu’ils agissent et pensent à leur place. Les spectateurs se purgent ainsi de leur défaut tragique, autrement dit de quelque chose qui est capable de transformer la société.

La poétique de Brecht montre un monde transformable et la transformation commence au théâtre. Le spectateur ne délègue pas ses pouvoirs pour qu’on pense à sa place, même s’il continue à les déléguer pour qu’on joue à sa place.

La poétique de Boal est d’abord celle d’une libération : le spectateur ne délègue aucun pouvoir pour qu’on agisse ou pense à sa place. Il se libère, agit et pense pour lui-même. Le théâtre est action.

« Le débat sur les rapports du théâtre et de la politique est aussi vieux que le théâtre…et que la politique. Dès Aristote, et même bien avant, on en discutait avec les mêmes arguments…qu’aujourd’hui. D’un côté, on affirme que l’artest pure contemplation ; de l’autre qu’au contraire l’art donne toujours une vision du monde en transformation : il est donc politique, puisqu’il montre les moyens d’effectuer ou de retarder cette transformation. 105 »

Le théâtre est à la fois politique et ludique. Les représentations de théâtre forum se caractérisent généralement par des rires, des applaudissements à tout rompre. Mais derrière toutes ces excitations, on a un message implicite à

105 Augusto Boal, Op.cit., p.81

106 l’endroit des spectateurs. C’est comme on le dit très souvent et traduit assez littéralement, c’est l’intelligent qui peut décortiquer une parole codée et en saisir le sens .

Puisque cette étude porte sur le théâtre forum, nous allons effectivement nous focaliser sur cette pratique vue par Augusto Boal et qui se trouve être le troisième degré du théâtre de l’opprimé selon le classement de son auteur.

2. Les objectifs et les principes de base du théâtre forum de Augusto Boal

Le théâtre forum est une déclinaison du théâtre de l’opprimé mise au point dans les années 1960 par l’homme de théâtre brésilien Augusto BOAL.

L’objectif principal est l’humanisation de l’humanité en créant un espace de liberté de la parole et de prise de conscience sur divers sujets qui nécessitent des efforts de sensibilisation comme les fléaux sociaux et les maladies.

Intéressons-nous d’abord aux objectifs spécifiques du théâtre forum :

- permettre aux populations de s’essayer à l’élaboration de stratégies et d’en vérifier la pertinence dans un climat d’écoute, de recherche collective, de non jugement et de droit à l’erreur ; - transformer les spectateurs en acteurs, en les invitant à éprouver une situation de «l’intérieur » ; - par la provocation et le paradoxe, tenter de casser les préjugés et favoriser l’ouverture d’esprit ; - éduquer, sensibiliser, conscientiser et distraire par une expression dramatique qui pose des problèmes liés au développement économique, social, culturel et technique ;

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- amener le théâtre vers le public en le jouant en langues nationales ou locales afin de permettre au public de bien cerner le message et de réagir.

Quels sont donc les principes du théâtre forum tels qu’édictés par Boal ?

Le premier principe de base du théâtre forum consiste à aborder une problématique collective dans laquelle se retrouve un ensemble de personnes. Le théâtre forum est le lieu privilégié de l’utilisation de la première personne du pluriel, le « nous ». Par exemple, une collectivité peut avoir un problème, peut vivre une situation conflictuelle, une oppression qu’elle ne supporte plus. Ensemble, ils essaient de transposer ces difficultés dans un jeu théâtral afin de trouver des solutions à leurs préoccupations. La problématique collective se révèle être une problématique commune. Le théâtre forum met en scène cette problématique non pas pour donner des réponses toutes faites mais conseiller, orienter le débat dans une direction pour donner un support complet de réflexions et d’échanges.

Le deuxième principe du théâtre forum concerne la manière dont l’évolution de la situation est appréhendée. Le théâtre forum ne propose pas de solutions magiques au problème mais invite les personnes qui se sentent oppressées à trouver les ressources en soi et autour de soi pour sortir de la situation jugée inconfortable. Si on change l’environnement de la personne, on ne résout pas son problème ou tout de même de manière irréelle et superficielle. La seule personne que l’on peut changer c’est soi-même. La personne la plus motivée pour changer une situation est celle qui ressent le plus d’inconfort. C’est pour cette raison qu’au théâtre forum, on focalise l’attention sur la personne qui souhaite que les choses changent : en quoi sa manière de se comporter dans la situation n’apporte-t-elle pas le changement attendu ? Que peut-elle essayer d’autre pour se donner plus de chance de faire évoluer la situation ?

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L’histoire présentée est nécessairement nourrie par les témoignages des personnages qui se sentent « lésés » dans des situations complexes. Le fait de mettre en scène la situation leur permet d’agir. Ces personnes peuvent ainsi mieux prendre conscience de la manière dont elles participent au blocage de la situation, modifier sa représentation et envisager de nouvelles manières d’agir et d’interagir. La question que doit se poser chaque participant est : « Qu’est- ce que je ferai si j’étais au cœur de cette situation ? »

Le troisième principe de base du théâtre forum concerne l’impact du groupe sur le développement individuel : la personne fait évoluer son regard sur une situation en attendant d’autres interprétations et fait évoluer ses attitudes en voyant d’autres manières de faire. En effet, lorsque la personne voit se dérouler la situation, elle lui donne sens par rapport à ses propres valeurs, elle interprète au travers de ses propres lunettes et de plus, lorsque cette situation est tendue, conflictuelle, elle prend parfois partie de façon radicale en cherchant un coupable. Cette première lecture d’une situation semble tellement évidente que l’on a des difficultés à penser que les autres ne puissent pas partager cette vision. On peut même devenir agressif envers les autres, envers ceux qui ont une autre manière de voir de façon radicale. Certains points de vue paraîtront comme dominants dans certains milieux et s’imposeront. Quand un point de vue est dominant dans un public, il émerge souvent en premier, puis quand on l’approfondit et la manière d’amener le changement, on évoque également les risques et les limites et très souvent un autre point de vue apparaît et envoie une nouvelle perspective. C’est pourquoi il est nécessaire de présenter les spectacles de théâtre forum devant des publics diversifiés, de classes sociales différentes afin d’obtenir différents points de vue qui puissent « bousculer » ainsi le regard de chacun. Le joker ou le meneur du jeu ne cherche en aucun moment à contredire un spectateur, par contre, il écoute attentivement les propos des spectateurs sans préjugés et encourage ainsi chacun à s’ouvrir à d’autres interprétations de la situation. La

109 rencontre de ces différents points de vue permet à chacun d’élargir son champ de vision en passant d’une vision unique, réductrice et plus simpliste à une vision plus complexe.

3. Le théâtre-procès

Le théâtre-procès est né en 2006 toujours dans le souci pour l’Atelier Théâtre Burkinabé d’explorer d’autres formes de pratiques théâtrales. Elle est différente du théâtre classique ou conventionnel parce que la partie qui est réservée à la reprise séquentielle est dorénavant remplacée par un débat sous forme de procès où le jury n’est personne d’autre que le public qui délibère sur le sujet de l’ordre du jour.

Le débat est mené sous la houlette du joker ou meneur de jeu jusqu’à ce qu’on puisse se prononcer sur un verdict unanimement accepté condamnant pour la plupart le fautif d’acte ignoble. La phase finale du théâtre-procès va consister à mettre l’accusé et les autres protagonistes du procès pour écouter la lecture du jugement final.

4. Le théâtre communautaire

C’est en 2005 que l’Atelier Théâtre Burkinabé s’est engagé dans la pratique du théâtre communautaire. Le théâtre communautaire est une innovation grandeur nature de l’Atelier Théâtre Burkinabé. Il est différent du communitythéâtre qui existe dans plusieurs pays africains qui ont en partage la langue anglaise.

Le community théâtre est une pratique qui consiste à faire jouer des groupes venant des communautés de base et constitués comme des troupes de théâtre.

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Le théâtre communautaire est une complémentarité du théâtre-forum. C’est un théâtre interactif et participatif. Pour Prosper Kompaoré, le théâtre communautaire est la forme participative totale du théâtre forum.

Le théâtre communautaire consiste à aller séjourner dans une localité généralement villageoise pendant sept à dix jours, un temps de vie théâtralisée. Durant cette période, les comédiens de l’ATB invitent les paysans à parler de leurs préoccupations en matière de développement de leur localité. Ces problèmes recueillis serviront à créer des scènes de théâtre par lesquelles, les populations concernées vont jouer afin d’interpeller soit des partenaires soit la communauté elle-même.

Ces moments de convivialité peignent le vécu quotidien des villageois et déclenchent des processus de prise de conscience et de changements qualitatifs de comportements.

« Le théâtre-forum et le théâtre communautaire se complètent harmonieusement parce que l’action du théâtre-forum vise une imprégnation d’un large éventail de populations issues de localités aux thèmes et aux idéaux de développement soutenus par les spectacles forum.106 »

Le théâtre communautaire embraye donc une communauté le temps d’une vie théâtralisée.

« Le théâtre communautaire a pour vocation de libérer la prise de parole et le partage d’expériences chez les populations défavorisées. C’est un excellent outil de diagnostic des maux qui minent un groupe

106 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène, Op.cit., p.6

111

social donné. Il met plus l’accent sur le processus de dialogue social que sur le spectacle final. 107 »

En effet, les dix jours que les comédiens-formateurs de l’ATB font avec les paysans-acteurs ne suffisent pas forcément pour faire d’eux de grands comédiens. L’important dans cette activité est beaucoup plus le dialogue social qui s’installe entre les différents protagonistes du théâtre communautaire, en plus des interpellations et des prises de décisions des populations concernées et des partenaires.

4.1 Méthodologie du théâtre communautaire

La méthodologie du théâtre communautaire ou du chantier de théâtre communautaire diffère du théâtre forum. En effet, une fois que les comédiens de l’Atelier Théâtre Burkinabé identifient un village et s’y installent pour un chantier de théâtre communautaire, ils procèdent avec beaucoup de tact à amener les différents groupes d’hommes, de femmes, de jeunes, de filles, de garçonnets et de fillettes à faire un état de leurs besoins qu’ils estiment prioritaires afin d’améliorer leurs conditions de vie.

Après la formation des groupes et si les différents protagonistes s’accordent sur les thématiques du chantier, l’encadrement des groupes formés devient assez aisé. Signalons que grâce au théâtre, on peut aborder tous les sujets des plus simples au plus complexes en passant par les sujets jugés tabous par la société. Des difficultés inhérentes à la pratique théâtrale ne manqueront pas, mais grâce à l’ingéniosité des comédiens-formateurs de l’ATB, elles sont chaque fois transcendées avec la participation des différents groupes du chantier.

107 SAPAD. Evolution du projet « Renforcement de la promotion de la démocratie et des droits humains, du soutien aux initiatives de développement local et du leadership de l’Atelier Théâtre Burkinabé par le théâtre-forum », 2007, p.9

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L’autre difficulté non moins importante est comment parvenir à scénariser, mettre en scène et jouer des tranches de vie des populations, leurs histoires communautaires. Ce n’est pas toujours aisé de mettre en scène des récits de vie des paysans en un laps de temps, environ sept à dix jours. Mais comme nous l’avons déjà souligné l’importance du chantier de théâtre communautaire ne repose pas forcément sur l’esthétique du jeu mais sur la corrélation, le dialogue social qui s’installe entre communauté d’une même entité, d’une même région, d’un même village.

Il n’est pas toujours évident qu’avant l’installation du chantier de théâtre communautaire, les différentes composantes de la localité se parlaient, fréquentaient les mêmes lieux de cultes. Mais avec l’installation du chantier communautaire dans le village, toutes les querelles s’éteignent au profit d’une communion émotionnelle, d’une empathie théâtrale qui consolide les liens et constituent des vecteurs de développement. La mobilisation de la population est chaque fois à la hauteur de son enthousiasme et de son implication dans les travaux.

Le dernier acte de la méthodologie est la séance d’interpellation et d’engagement des acteurs et des institutions communautaires. Chaque chantier prend fin avec la séance de projection vidéo du chantier qui est particulièrement appréciée par les villageois.

L’un des atouts du théâtre communautaire réside dans la séance d’interpellation et d’engagement des populations et des institutions partenaires. En effet, à la fin du chantier communautaire, les différents groupes ci-dessus cités prennent des engagements vis-à-vis des situations problèmes posées dans les différentes scènes. Les partenaires également s’engagent à accompagner les paysans dans la recherche de solution à leurs problèmes.

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Le rôle du théâtre communautaire est de combler d’une façon ou d’une autre des brèches sociales qui se sont ouvertes dans la vie des populations où se tient le chantier communautaire.

Le théâtre communautaire fait entrevoir un meilleur avenir, de nouvelles perspectives de vie où le rêve du « mieux vivre ensemble » est encore possible car les populations qui jouent eux-mêmes leurs tranches de vie sont les principaux artisans de leur développement. Nous terminerons avec la description du théâtre communautaire par une histoire vraie, un carnet de route d’un chantier de théâtre communautaire :

« C’est le 1 er février et nous venons d’arriver à Pakala, un village situé à 7km de Garango. Juste après un petit repos, nous nous retrouvons tous ensemble avec la population dans la cour de l’école pour une prise de contact. Notre chef d’équipe, Hyppolite Compaoré, prend la parole pour remercier la population d’être présente. Il leur explique pourquoi nous sommes là. Je suis désignée pour encadrer le groupe des femmes.

Je suis contente de voir qu’elles sont environ 200 à cette première rencontre. Si ça continue, les travaux des femmes seront un vrai succès. Mais bon, je ne me réjouis pas trop vite, car je n’en suis pas à mon premier chantier. Assez rapidement, les femmes décident qu’elles pourront revenir tous les jours du chantier à 14heures pour travailler avec moi. Vraiment, ça commence bien !

Le lendemain effectivement, les femmes sont là à 14 heures. J’en compte 120. Un petit exercice et c’est parti ; la glace est brisée et les langues se délient peu à peu. A la fin de la séance, le groupe m’a parlé de la vie des femmes dans leur village et des problèmes qu’elles rencontrent. Je ne peux m’empêcher de constater que certains

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problèmes sont récurrents dans tous les villages où nous avons mené des chantiers. Bon, ce n’est pas le moment de faire des analyses comparatives, je ne suis pas là pour ça. Mon moral est au top, car, avec la liste des problèmes en main, je viens d’accomplir ma première mission. Ce sera mon principal outil de travail et je devrais veiller à ce que mon groupe ne sorte pas de ce cadre. Je termine cette deuxième journée en remerciant le ciel et en redoublant de prière pour que tout continue à bien rouler.

Le troisième jour de chantier, les problèmes commencent dans mon groupe. Il est 15h40 et toujours pas de femmes. Je vois mes collègues en pleins travaux avec les autres groupes et moi, je tourne en rond. Enfin, Dieu merci, à 16heures, je les vois arriver en petits groupes. Mon moral revient. Tout le monde sait que nous sommes en retard ; pas de temps à perdre. Je leur propose une animation, puis la séance des improvisations que nous avions commencée la veille reprend. La magie du théâtre opère une fois encore. Les femmes se prennent au jeu et oublient leur timidité.

Je repère celles qui ont des talents artistiques plus développés. J’aurai besoin d’elles pour les scènes principales. Finalement, la séance se déroule très bien. Il y a une ambiance magnifique, car tout le monde est détendu et l’air heureux d’être là. Ce jour-là, j’ai compté 185 femmes. Toutefois, je remarque que la tendance au bavardage et à la déconcentration se fait sentir. Il faut absolument que le groupe garde une grande concentration si on veut arriver à un beau spectacle.

Le quatrième jour, les femmes sont encore venues avec deux heures de retard. J’avoue que ça m’énerve un peu. Un peu beaucoup même. Bon. Il faut que je garde mon calme et donc je m’adapte et j’évite de leur faire trop de reproches. Je sais qu’elles ont beaucoup de travail

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et que venir est déjà un signe de grande motivation. Je leur demande de reprendre les improvisations de la veille et elles s’exécutent presque parfaitement.

Je suis vraiment impressionnée par la facilité avec laquelle elles assimilent les consignes que je leur donne. Rassurée, nous passons à la création d’une première saynète avec les 130 femmes qui sont venues. Braves femmes, que Dieu vous bénisse et vous fasse revenir demain à l’heure !

Mais hélas, le cinquième jour du chantier coïncide avec le marché de Garango. 127 femmes sont là, mais une grande partie des femmes avec qui j’ai créé la saynète sont absentes. Il y a des nouvelles et je dois tout reprendre à zéro. Moi qui croyais qu’on allait boucler cette histoire aujourd’hui…Ah mon Dieu, décidément, ce n’est pas facile d’encadrer le groupe des femmes. J’espère que demain le même groupe reviendra.

Le sixième jour, toutes les femmes du cinquième sont revenues, ouf ! Cette fois, nous avons pu aller au bout de la saynète ; quinze minutes de jeu, une vraie performance pour ces femmes qui font du théâtre pour la première fois. La journée se termine très bien avec la nuit de contes.

Le septième jour, la pression monte. Le travail est entrecoupé, car certaines femmes doivent rentrer faire la cuisine avant de revenir. Je dois donc les remplacer sur scène pour que la répétition avance. Je remplace plusieurs personnages à tour de rôle tout en gardant mon rôle principal de comédienne-formatrice. Qui aurait cru il y a encore quelques années que j’aurais pu gérer une telle situation à merveille ! Le défi est grand, mais avec l’expérience et la motivation ? La séance

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est un succès et tout le groupe est fier. Quand on arrête, il fait nuit. Mais les femmes décident d’elles-mêmes de revenir dès le lendemain matin pour que je puisse bien les préparer à la représentation finale.

Le huitième jour, 135 femmes sont au rendez-vous tôt le matin. Mais il y a des absentes parmi les actrices principales. C’est sûr que les obligations familiales les ont empêchées de venir. Que faire ? Surtout que c’est la dernière répétition avant le grand spectacle de fin qui a lieu le lendemain. Le groupe décide de faire une dernière répétition, le filage, le dernier jour, juste avant le spectacle final.

Comme pour les autres chantiers de théâtre communautaire, la nuit du dernier jour des répétitions, l’ATB organise une grande projection vidéo des séances de répétition. Ce 9 février, l’école de Pakala est noire de monde à la nuit tombée. Tout le monde, femmes, personnes âgées, enfants, jeunes, notables, veut assister à la projection. Comme d’habitude, on passe une belle soirée, avec la population émue et fière de se voir jouer à l’écran sa propre histoire.

Le dixième et dernier jour du chantier, c’est la grande restitution. C’est un grand événement qui rassemble tout le village à la place publique. Certains fils et filles du village résidant à Ouagadougou, à Tenkodogo ou à Garango font le déplacement. Les autorités administratives, religieuses et coutumières sont aussi présentes. Tout ce beau monde est là pour voir les villageois jouer au théâtre, dans leur langue, avec leurs chants et leurs danses traditionnels et avec les techniques théâtrales qu’ils ont apprises durant le chantier. L’ambiance est tout simplement indescriptible. Il faut y être pour comprendre.

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Alors rendez-vous au prochain chantier dans un autre village !108 »

A l’aune de cette histoire, nous pouvons dire que le théâtre communautaire est un théâtre du peuple pour le peuple et par le peuple à travers une forte implication des populations à la base. Toutes les composantes de la population prennent part à cette messe théâtrale. Que ce soient les hommes, les femmes, les jeunes, les filles, les garçonnets et les fillettes, toutes les préoccupations de ces différentes classes d’âge sont prises en compte. Cette citation illustre bien l’intérêt de la pratique du théâtre communautaire par l’Atelier Théâtre Burkinabé :

« La vie africaine demeure essentiellement communautaire. Le théâtre qui isolerait le public de sa vie concrète ne répond pas à la conception de la vraie culture. (…) Le seul théâtre souhaitable est celui qui s’adresse à tous les membres de nos communautés en leur montrant de gros plans de leur vie quotidienne, de leur histoire ou de la projection de leur présent vers l’avenir. 109 »

Le chantier de théâtre communautaire s’incruste dans la vie des populations africaines en général, et burkinabé en particulier.

« L’originalité du théâtre communautaire réside dans le suivi des paysans après la formation. Cela permet de mesurer et d’évaluer les retombées de la sensibilisation. 110 »

Intéressons-nous maintenant à un autre type de théâtre d’intervention sociale à savoir le théâtre-débats pratiqué au Burkina Faso par le théâtre de la Fraternité de Jean- Pierre Guingané.

108 Ecrit par Jyk à partir du rapport de Chantal S. Ouédraogo, in Enjeux de scène , n°14, p.31 109 Institut Culturel Africain. Quel théâtre pour le développement en Afrique ?, Dakar, Les nouvelles éditions africaines, 1985, p.19 110 Pingdewindé Issiaka Tiendrebéogo, Op.cit.; p.197

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5. Le théâtre-débats de Jean Pierre Guingané

Le théâtre d’intervention sociale est également pratiqué par l’universitaire et homme de théâtre Jean Pierre Guingané et son théâtre de la fraternité. Sur quoi reposent les fondements du théâtre débats ? Avant de répondre à cette question, nous allons présenter brièvement l’homme.

5.1 Biographie de Jean Pierre Guingané

« Vouloir présenter de façon exhaustive la vie et l’œuvre du Pr Jean Pierre Guingané, c’est faire preuve d’une prétention déraisonnable tant il y a matière à dire et tant l’homme était, tel le Baobab de la savane africaine, immense et dense. 111 »

Nous nous contenterons ici de retenir quelques éléments caractéristiques de l’homme. En effet, le Pr Daogo Jean Pierre Guingané est né le 11 juillet 1947 à Garango dans la région du Centre-Est du Burkina Faso. Après son Baccalauréat série A4 obtenu avec la mention Bien en 1969, il entre à l’Université de Ouagadougou (à l’époque Centre d’Enseignement Supérieur) où il obtient sa licence de Lettres Modernes en 1972 avec la mention Bien.

Le Pr Jean Pierre Guingané se retrouve ensuite à l’Université Bordeaux III en France où il soutient une maîtrise de Lettres Modernes en 1973 et un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en 1974. En 1977, il présente une thèse de doctorat de troisième cycle en Théâtrologie avec la mention Très bien puis, en 1987 une thèse de doctorat d’Etat en Sciences de l’Information et de la communication, Option Arts du spectacle, avec la mention Très Honorable.

Hommes de lettres et de culture, Jean Pierre Guingané a été professeur titulaire d’Etudes théâtrales à l’Université de Ouagadougou. Comme

111 Hamadou Mandé, « Pr Daogo Jean Pierre GUINGANE : un « Baobab merveilleux » in Hakili n°15 Novembre 2012, p.11

119 enseignant et chercheur, il a d’abord officié au Lycée Municipal de Ouagadougou en qualité de professeur de Lettres, avant d’être recruté en 1977 à l’Université de Ouagadougou. En 1979, il devient Maître-assistant de Lettres Modernes. De 1984 à 1987, il est professeur associé à l’institut des Sciences de l’information et de la Communication de l’Université de Bordeaux III. En 1990, il passe Maître de Conférences et en 2001, Professeur titulaire en Etudes Théâtrales et Politiques culturelles de l’Université de Ouagadougou.

Outre ses deux thèses, Le Pr Jean Pierre Guingané a également signé de nombreux articles scientifiques. On peut citer entre autres : « Les différents aspects du théâtre en Haute-Volta » en 1975, « L’importance et la situation du public de théâtre en Afrique » en 1980, « Le théâtre facteur de développement économique et social » en 1999, « Le théâtre historique au Burkina Faso » en 2003, « Le rôle de l’art dans la réduction de la pauvreté » en 2011.

Au-delà de ces travaux universitaires, Jean Pierre Guingané a été un des moteurs du développement d’un théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso et en Afrique. Le théâtre débat qu’il a conceptualisé et mis en œuvre est une forme de pratique théâtrale qui répond aux attentes des populations en matière de développement. Il prend en charge les questions d’éducation, de santé, d’hygiène, de genre, etc.

Sur le plan administratif, il a occupé plusieurs fonctions et responsabilités au sein de l’Université de Ouagadougou. De 1977 à 1980, il est le Chef du département de Lettres Modernes ; de 1991 à 1994, il a assuré les fonctions de Doyen de la Faculté des Langues, Lettres, Arts, Sciences Humaines et Sociales (FLASHS) ; de 2001 à 2011, il a été Chef de département Arts, Gestion et Administration culturelle. Jean Pierre Guingané a été le directeur de l’Union des Ensembles Dramatiques de Ouagadougou (UNEDO), directeur du Festival International de Théâtre et de Marionnettes de Ouagadougou/Festival des Arts du Burkina (FITMO/FAB), vice-président

120 du Conseil Exécutif Mondial et président du bureau régional pour l’Afrique de l’institut international du théâtre (IIT). Il a assuré la coordination générale de l’UNESCO, culture quartier.

Au niveau politique, il a été Secrétaire Général du Ministère de l’Enseignement Secondaire Supérieur et de la Recherche Scientifique et Secrétaire d’Etat à la Présidence chargé des Arts et de la Culture, de 1980 à 1982.

5.2 Origine du théâtre-débats de Jean Pierre Guingané

Le théâtre de la fraternité tire ses origines du théâtre des journées agricoles et du théâtre scolaire. En effet, c’est en 1975 que la troupe de Jean Pierre Guingané voit le jour sous le nom de « Troupe du Lycée Municipal » de Ouagadougou avant de se transformer en « Théâtre de la Fraternité ». Cependant, c’est en 1981 que le théâtre de la Fraternité s’est lancé sur l’option du théâtre-débats avec leur première pièce, Coup de piston qui dénonçait la corruption dans les concours professionnels au Burkina Faso. Les jalons du théâtre-débats seront réellement lancés avec le premier grand spectacle Thérèse baba en1983. Le message de cette pièce s’articulait autour de la gestion des puits dans les villages.

« En d’autres termes, comme l’ATB de Prosper Kompaoré, le Théâtre de la Fraternité de Jean Pierre Guingané se réclame de sources endogènes alliant la modernité et la tradition africaine du spectacle : d’une part les pratiques socio-éducatives de l’environnement immédiat, de l’autre l’esthétique de la mise en scène inspirée des conteurs traditionnels du Burkina Faso. En plus de cet ancrage, les deux formes de théâtre fonctionnent suivant une

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scénographie et une méthodologie différentes seulement dans les détails. 112 »

La différence entre le théâtre-forum et le théâtre-débats se situe donc au niveau de la partie forum car nous avons quelques reprises séquentielles avec le public afin de corriger une erreur sociale alors que le théâtre-débats, comme son nom l’indique emploie, tout simplement une causerie avec le public à la fin de la représentation. Ce débat consiste à trouver ou à proposer des solutions aux préoccupations posées dans le jeu théâtral. Quelles sont donc les méthodes employées dans le théâtre-débats ?

Ayant suivi les représentations du théâtre-débats et celui du théâtre- forum, nous pouvons dire sans nous tromper qu’il n’y a pas une différence fondamentale dans la scénographie. Soulignons d’ailleurs qu’ils s’inscrivent dans le théâtre d’intervention sociale, par conséquent, ils poursuivent les mêmes objectifs à savoir utiliser le théâtre comme une arme dans la transformation sociale. C’est pourquoi le matériel et les scènes de spectacles sont simples, transportables surtout dans les zones rurales. A la fin du spectacle tout le matériel est rangé dans des sacs. L’espace scénique du théâtre-débats est organisé spatialement à l’image des veillées de conte au village afin de permettre aux spectateurs de suivre tous les faits et gestes des acteurs. Qu’en est-il donc de sa méthodologie ?

Le théâtre-débats commence toujours par un prologue qui se matérialise par une fête brusquement perturbée par un événement grave en rapport avec le thème de la pièce 113 . La fable, elle, comme son nom l’indique est ce que Pierre Médéhouegnon appelle « le théâtre dans le théâtre 114 » proposé au public. En effet, un personnage, du nom de Joé l’artiste, joue le rôle de conteur et

112 Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.103 113 Jean Pierre Guingané, le théâtre d’intervention sociale, p.96 114 Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.104

122 d’animateur du débat du début jusqu’à la fin du spectacle. C’est dans cette phase que les comédiens jouent l’histoire de la pièce. Comme dans le modèle du théâtre-forum, la pièce est jouée avec une erreur sociale dans le but de choquer le public et d’éveiller chez lui le besoin de parler.

La troisième phase du théâtre-débats est réservée au débat. Nous avons l’apparition de Joé l’artiste sur la scène. Il engage le débat avec les spectateurs sur le sujet de la pièce. Le public est autorisé à faire rejouer partiellement ou entièrement la pièce dans le sens qu’il souhaite par les comédiens du théâtre de la Fraternité mais « sans jamais lui-même monter sur scène. 115 »

L’épilogue clos le débat. Joé l’artiste dans le théâtre-débats est à l’image du joker ou du meneur de jeu dans le théâtre-forum. Il aide les spectateurs à récapituler les bonnes idées issues du débat afin que chacun puisse les intérioriser et devenir un ambassadeur de cette bonne parole autour de son entourage.

Revisitons à présent le répertoire des pièces théâtrales du théâtre de la Fraternité depuis sa création à nos jours.

Le théâtre de la Fraternité a une pratique théâtrale diversifiée. On retrouve non seulement des pièces d’auteurs mais aussi des créations collectives et des spectacles d’animation. Il est vrai que c’est grâce à sa pratique du théâtre d’intervention sociale que le théâtre de la Fraternité est connu internationalement. Cependant, le théâtre d’auteur, le conte théâtralisé, le théâtre « jeune public », le théâtre politique, le théâtre des marionnettes, la musique, la danse font également partie intégrante de son patrimoine. Pour

115 Jean Pierre Guingané, Op.cit., p.115

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Mandé Hamadou 116 , l’évolution du théâtre de la Fraternité semble être marquée par quatre périodes fortes qui correspondent à quatre phases d’évolution de l’activité artistique de la troupe.

On a la période d’initiation qui correspond aux premières années de fonctionnement de la troupe de 1975 à 1979. Pour Jean Pierre Guingané, cette période a consisté à mettre l’accent sur la formation des comédiens de la troupe. Les pièces jouées à cette période sont :

- L’Etoile des exilés , de Hubert Bazié, 1975 - Le retour de Dramane Gnanou, 1976 - Coup de piston , création collective, 1977 - Parents de délinquants de Madame Goungounga, 1977 - J’attends de Guy Menga, 1977 - Trois prétendants un mari de Sotigui Kouyaté, 1978 - Le prix du fanatisme de Daniel Ouédraogo, 1979 - Une famille d’escrocs de Aly Kouly Diop

Cette production de l’époque était exclusivement destinée au public lors des soirées culturelles des élèves. La plupart des futurs comédiens du Théâtre de la Fraternité seront issus de ce cadre de formation. Ces pièces posaient déjà la thématique des problèmes sociaux. A titre illustratif, Parents de délinquants de Madame Goungounga montrait les conséquences de la délinquance juvénile. Le problème de mariage se retrouve dans les pièces Trois prétendants un mari ou Le prix du fanatisme.

116 Hamadou Mandé, le théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso : l’exemple du théâtre-débat avec le théâtre de la fraternité , mémoire de maîtrise, 1994

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La deuxième période qui se situe entre 1979 à 1983 est marquée par la maturité. La troupe prend le nom de Théâtre de la Fraternité. Le Centre Culturel Français sera d’abord le cadre qui accueillera le Théâtre de la Fraternité. Jean Pierre Guingané affirme que dès le départ, le théâtre d’intervention sociale était dans son esprit.

« Dès lors nous affirmons notre orientation en privilégiant la pratique du théâtre social par opposition au théâtre politique perçu comme un instrument de propagande. Mais les pièces que nous jouons sont politiques en ce sens qu’elles s’attaquent à des problèmes sociaux et qu’un problème social d’une certaine importance a nécessairement une dimension politique.117 »

Les pièces jouées à la deuxième période sont :

- Coup de piston , (Reprise) - Tu ne m’entendras plus de Simone Simporé, 1980 - Makarie aux épines de Baba Moustapha, 1981 - L’œil de Bottey Bernard Zadi Zaourou, 1982 - Entre Dieu et Satan de Marouba Fall, 1983

C’est en ce moment que la troupe mène des recherches poussées dans le domaine de l’esthétique traditionnelle avec l’utilisation des langues nationales.

La troisième période est celle des innovations esthétiques. En effet, les années 1984 ont marqué un tournant décisif dans la vie artistique du théâtre burkinabé en général, et du théâtre de la Fraternité en particulier avec la création de la pièce de Jean Pierre Guingané, Le Fou qui a remporté le premier prix dans la catégorie théâtre à la Semaine Nationale de la Culture. Désormais, les pièces du théâtre de la Fraternité sont inspirées des contes et des légendes

117 BabouBenon, Op.cit., p.78

125 mais aussi des causeries populaires dans les villages. Les pièces produites à cette période sont :

- Le Fou de Jean Pierre Guingané, 1984 - Le bienfait de Thérèse Baba , création collective, 1985 - Le Fou (deuxième version) de Jean Pierre Guingané, 1987 - M’Ba Vourouk Kôbre (Adaptation de en Mooré de L’os de Mor Lame) de Biraogo Diop, 1988 - Qui hurle dans la nuit , 1988

Il est important de noter que la troisième période est marquée par la création de spectacles d’animations qui se caractérisent par des spectacles de musiques, de chants et de danse.

La quatrième période où celle de la diversification de la production théâtrale a vu la naissance de plusieurs formes d’expression dramatique et pour la première fois, l’introduction d’une œuvre d’un auteur européen dans son répertoire : Peer Gynt du dramaturge norvégien Henrik IBSEN. Cette période connaît en plus du théâtre dramatique classique, le théâtre d’intervention sociale, le théâtre de marionnettes et les animations. On assiste à la création d’une pièce collective, Le pèlerinage en 1992 et la pièce de Jean Pierre Guingané, La Musaraigne . Les productions de cette quatrième période sont :

- Papa oublie moi de Jean Pierre Guingané, 1989 - La savane en transe de Jean Pierre Guingané, 1990 - La grossesse de Koudbi de Jean Pierre Guingané, 1991 - Le pèlerinage , (création collective de marionnettes), 1992 - La musaraigne de Jean Pierre Guingané, 1992 - Peer Gynt de Henrik Ibsen, 1992 - La vie de Martin Luther King (création collective), 1993

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- Le cri de l’espoir de Jean Pierre Guingané, 1993 - La nutrition , pièce radiophonique de Jean Pierre Guingané, 1994 - Hamlet de Shakespeare , mise en scène par Stein Winge, 1994 - Fanta m’a sauvé , texte et mise en scène par Jean Pierre Guingané, 1994 - Les lignes de la main , contes mis en scène par Jean Pierre Guingané, 1994

La remarque qui nous saute à l’œil est que nous voyons une prédominance des pièces personnelles de Jean Pierre Guingané comparativement aux trois périodes citées où on retrouve plus de créations collectives. Cela peut s’expliquer par l’ouverture et la maturité qu’il a acquise dans la conception de ses pièces théâtrales.

Nous avons ajouté une cinquième période dans la vie du Théâtre de la Fraternité, celle de la confirmation et de l’assise esthétique de la troupe de Jean Pierre Guingané. Cette période va des dernières créations de l’homme à sa disparition. On peut situer cette période du début des années 2000 à la première décennie, c'est-à-dire en 2010. Les productions théâtrales de la cinquième période sont essentiellement des rééditions ou des deuxièmes versions de pièces citées ci-dessus en plus des nouvelles créations :

- Le Fou (Hatier/Ceda, Abidjan, 1996), - Papa oublie-moi (Unicef, Théâtre de la Fraternité, Ouagadougou, 1990), - Le Cri de l’espoir (Editions Gambidi, Ouagadougou, 1991), - La Grossesse de Koudbi (Editions Gambidi, Ouagadougou 1996), - La Savane en transe (Editions Gambidi, Ouagadougou 1997), - La Musaraigne (Editions Gambidi, Ouagadougou 1997), - Les lignes de la main (Editions Gambidi, Ouagadougou, 1996), - Le Baobab merveilleux (Editions Gambidi/Découvertes du Burkina, 2007),

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- La Malice des hommes (Editions Gambidi/Découvertes du Burkina, 2008). - La Danseuse de l’eau et Zigli le terrible , (Editions Gambidi/Découvertes du Burkina en 2009.)

La première remarque est que ces pièces sont toutes de Jean Pierre Guingané. Certes, ce sont des pièces d’auteur, excepté La Grossesse de Koudbi qui relève du théâtre-débats. Dans cette cinquième période, nous avons également des pièces qui n’ont pas été éditées. Elles sont assez fournies.

- Candidat à la mort (1995), - Je ne paie pas (janvier 1997), - Le bonheur dans l’urne (octobre 1999), - Folicope , « La vie entière des héros n’est qu’un jeu de folie » (juillet 2000), - Pour que Sata ne meure plus (novembre 2000), - Des mots d’incendie (novembre 2000), - La Médiation (avril 2001), - Femmes, prenons notre place (février 2002), - Le défi de Sétou (février 2002), - Petit pagne (mars 2002), - Trois sœurs dans la souffrance (mai 2002), - Le vote pour la paix sociale (janvier 2004), - Malo pilote et virus au lycée (décembre 2004), - Femmes ne laissons plus nos places vacantes , - Pog-néré ou la cendrillon de la brousse africaine , - Etranges étrangers et les disciples du P. Brousseau et de Mère St Bernard. (août 2006).

Notons que toutes ces pièces inédites sont de Jean Pierre Guingané

128

5.3 Les principaux thèmes développés dans le théâtre-débats de Jean Pierre Guingané

Le théâtre de la Fraternité développe une grande variété de thème dans ses spectacles. Pour le théâtre-débats, ce sont les mêmes thèmes de sensibilisation que dans le théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé de Prosper Kompaoré. Ces pièces sont généralement commanditées par l’Etat et les organisations non gouvernementales (ONG). En 1997, le théâtre de la Fraternité, à la demande de l’UNICEF, a créé et joué la pièce Malo pilote dans soixante villages à l’intérieur du Burkina Faso pour sensibiliser les parents sur la scolarisation des jeunes filles à l’école. D’autres pièces d’intervention sociale ont connu pareil succès à l’image de Thérèse Baba en 1983, la deuxième version du Fou adaptée au théâtre-débats en 1986, Papa, oublie moi , créé en 1989 sur le thème de la sensibilisation aux droits des enfants, La grossesse de Koudbi sur la maternité sans risque, Je ne paie pas, créée en 1997 pour amener les commerçants de Ouagadougou à payer leurs impôts, etc.… Toutes ces pièces sont jouées en langues locales ou en français afin de mieux passer le message aux spectateurs.

« En guise de synthèse, on peut retenir que, à côté du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO) fortement médiatisé, les activités culturelles qui haussent le nom du Burkina Faso depuis les années 1980 sont des spectacles dramatiques regroupés sous le nom de théâtre pour le développement ou de théâtre d’intervention sociale et dont les deux principales formes sont le théâtre-forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé et le théâtre-débats du Théâtre de la Fraternité. Quoiqu’ils aient des convergences avec le théâtre de l’opprimé pratiqué en Amérique Latine et un peu partout dans le monde, ces deux types de théâtre ont pris corps et forme dans l’aire culturelle burkinabé en tant qu’innovations surgies des

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pratiques socioculturelles du milieu, en réponse aux préoccupations spécifiques de populations pauvres et sous-informés qu’il fallait sensibiliser, éduquer, préparer à l’adaptation aux exigences du développement moderne. Sur le plan esthétique, les deux formes de théâtre revendiquent et expriment leur ancrage dans les traditions culturelles du Burkina Faso et, par certains côtés, dans les traditions de l’ensemble de l’Afrique noire, notamment par l’esthétique de la participation et l’art du conte. 118 »

Quelle esthétique Jean Pierre Guingané utilise t-il dans son écriture dramatique ?

Notre sujet de DEA s’intitulait ainsi qu’il suit : Quelques traits esthétiques de l’écriture dramatique de Jean Pierre Guingané à travers la danseuse de l’eau et Zigli le terrible. Il s’agit pour nous de relever à travers deux pièces théâtrales de l’auteur les fondements esthétiques de sa dramaturgie. Nous avons dès lors consacré une expression à son esthétique que nous avons appelé l’esthétique guinganéene 119 . L’écriture dramatique de Jean Pierre Guingané se caractérise par une double esthétique.

D’une part, nous avons l’esthétique classique qui se manifeste par l’utilisation de la langue française comme matériau d’écriture et des techniques occidentales chères à Racine, Boileau à travers le respect des trois unités : temps, lieu, action, de la vraisemblance de l’abbé d’Aubignac ou du théâtre épique de Bertolt Brecht à travers son inspiration politique.

118 Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.109-110 119 Pingdewindé Issiaka TIENDREBEOGO, Quelques traits esthétiques de l’écriture dramatique de Jean Pierre Guingané à travers La danseuse de l’eau et Zigli le terrible , Mémoire de DEA, Université de Ouagadougou, 2015 ; L’esthétique « guinganéenne » est basée sur la satire sociale, les parodies, l’ironie et les fresques sociales. Il s’inspire des faits sociaux dans l’écriture de la dramaturgie guinganéenne, p.49

130

D’autre part, l’artiste exploite l’héritage africain dans son écriture. Les contes, les proverbes, les devinettes constituent sa source d’inspiration. En ce qui concerne le conte, nous disons qu’il est un art total que Jean Pierre Guingané utilise pratiquement dans toutes ses pièces théâtrales.

« La structure des pièces de Guingané intègre indéniablement des motifs récurrents du conte. Et cela traduit la recherche d’une esthétique (au sens africain) où le beau est indissociable de l’efficacité. 120 »

Le conte occupe donc une grande place dans la création littéraire de Jean Pierre Guingané. A ce propos nous pouvons dire que:

« Le conte est situé au carrefour du verbe et de l’action, de l’oralité et de la représentation, le théâtre, art complet par excellence, ne pouvait se cantonner à regarder seulement du côté des formes africaines comme le rite et la danse, les contes africains ont une dimension dramatique capable de nourrir l’imagination créatrice. 121 »

Ce chapitre nous a permis de faire un tour d’horizon sur les différents types de théâtre d’intervention sociale pratiqué au Burkina Faso. Du théâtre forum en passant par le théâtre procès, du théâtre communautaire en passant par le théâtre-débats, nous pouvons dire sans nous tromper que le Burkina Faso dispose d’une multitude de pratiques théâtrales qui rentrent dans la gamme du théâtre d’intervention sociale dont le but est de sensibiliser, éveiller, conscientiser les masses populaires du pays des hommes intègres. Certes, ces pratiques sont nombreuses, mais dans le cadre de cette étude, nous avons retenu le théâtre forum de Prosper Kompaoré pour servir de cadre d’analyse dans cette présente étude. De toutes les pratiques théâtrales citées

120 Amadou Bissiri, « Le théâtre de Jean Pierre Guingané : le conte comme paradigme de lecture », p.34 121 Pingdewindé Issiaka TIENDREBEOGO, Op.cit., p.65

131 relevant du théâtre d’intervention sociale, le théâtre-forum constitue leur chef de file.

En guise de conclusion partielle à cette première partie de l’étude, nous pouvons dire qu’elle nous a permis de revenir sur le contexte de naissance du théâtre en Afrique et plus particulièrement du Burkina Faso. A ce niveau nous pouvons noter que beaucoup d’encre a coulé sur l’origine du théâtre en Afrique. Ses détracteurs affirmant l’inexistence d’un théâtre africain et situe sa naissance avec l’ouverture de l’école de Bingerville en Côte d’Ivoire dans les années 1932 et plus tard à l’école de William Ponty au Sénégal. Alors que ses défenseurs soutiennent bien son existence en Afrique à travers l’oralité, les cérémonies religieuses et autres.

Pour notre part, nous disons qu’effectivement le théâtre a bel et bien existé en Afrique à travers les gens de la parole comme le griot qui, utilisant la parole, les gestes, incarne bien un personnage théâtral même si souvent, nous avons affaire à des monologues.

En ce qui concerne le théâtre burkinabé, il est né à la faveur du théâtre des journées agricoles dans les années 1970 et consistait à sensibiliser les populations agropastorales. Il évoluera plus tard en théâtre rural dans les années 1980 pour ainsi aboutir au théâtre d’intervention sociale à travers les deux principales pratiques théâtrales que sont : le théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé de Prosper Kompaoré et le théâtre-débats du théâtre de la Fraternité de Jean Pierre Guingané.

Nous avons par la suite conceptualisé la pratique du théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé en évoquant son efficacité à travers son interactivité et son esthétique sans omettre les atouts et les handicaps du théâtre d’intervention sociale.

132

Le troisième chapitre nous a permis d’évoquer la typologie du théâtre d’intervention sociale. Ce qui nous a permis de dégager d’abord le théâtre forum de Augusto Boal à travers son théâtre de l’opprimé en mettant l’accent sur ses principes. Ensuite, nous avons parlé du théâtre-procès et du théâtre communautaire, deux innovations majeures de l’Atelier Théâtre Burkinabé. Enfin, nous nous sommes appesanti sur la pratique du théâtre-débats de Jean- Pierre Guingané en revisitant sa biographie, l’origine de sa pratique théâtrale et les principaux thèmes qu’il aborde dans ses différentes pièces théâtrales.

La deuxième partie de cette thèse va se consacrer exclusivement à l’analyse sémiologique des représentations théâtrales retenues dans le cadre de cette présente étude. Il s’agira d’abord de répertorier les différentes pièces du corpus et leurs contenus, et ensuite procéder à la lecture sémiologique de ces pièces en mettant en exergue les différents éléments de la mise en scène.

133

DEUXIEME PARTIE : ANALYSE SEMIOLOGIQUE DES REPRESENTATIONS THEATRALES

134

Chapitre 4 : Qu’est-ce que la sémiologie théâtrale ?

A la suite de Jean Paul Sartre dans la théorie de la réception littéraire parue en 1948 qui s’était posé cette célèbre question de savoir : Qu’est-ce que la littérature ?, nous nous permettons à notre tour de nous demander : Qu’est- ce que la sémiologie théâtrale ?

Il s’agit ici de tenter de donner une définition de la sémiologie théâtrale dans son acception la plus large. Nous verrons également les différentes méthodes d’analyse de la représentation théâtrale. Mais tout d’abord, demandons-nous de savoir ce qu’est la sémiologie de façon générale et la sémiologie théâtrale de façon particulière.

1. Définition de la sémiologie

Parlant de la sémiologie, Ferdinand de Saussure nous dit ceci :

« La langue est un système de signes exprimant des idées et, par-là, comparables à l’écriture, à l’alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. […] On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale […] nous la nommerons sémiologie […] elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. […] La linguistique n'est qu'une partie de cette langue générale. Les lois que découvrira la sémiologie sont imputables à la linguistique, mais celle-ci se retrouvera ainsi attachée à […] l'ensemble des faits humains 122 . »

Pour Henri Frei, l’une des tâches de la sémiologie telle que l’a définie Saussure est de :

122 Ferdinand de Saussure cité par Dénis Miéville in : Approches sémiologiques dans les sciences humaines, Dijon, Edit. Payot Lausanne, 1993, p.11.

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« Montrer les correspondances existant entre le fonctionnement des divers systèmes de signes, en particulier entre le langage oral et le langage gestuel. Le rapport entre les paroles et les gestes est à relever dans la mesure où nous disons souvent joindre l’acte (le geste) à la parole. 123 »

Michel Foucault définit la sémiologie comme :

« L’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de distinguer où sont les signes, connaître leurs liens et les lois de leur enchaînement. 124 »

Pour un grand acteur, l’art du geste a autant d’importance que l’art du verbe, comme le dit le texte de Jean-Louis Barrault :

« L’art de l’acteur est composé à la fois de l’art du geste et de l’art du verbe, appelés communément la mimique et la diction. La mimique s’adresse à la vue, et la diction, à l’ouïe. L’acteur dans son jeu, doit arriver à la synthèse du geste et du verbe. 125 »

C’est pourquoi nous ferons appel à la sémiologie théâtrale afin de pouvoir analyser les différents signes théâtraux.

2. La sémiologie du théâtre

La sémiologie théâtrale est une méthode d’analyse du texte ou de la représentation attentive à leur organisation formelle, à la dynamique et à l’instauration des processus de signification par l’entremise conjuguée des praticiens du théâtre et des spectateurs.

123 Henri Frei, La grammaire des fautes , éditions Geuthner, p.246 cité par Pierre Larthomas dans Le langage dramatique , p.82 124 Michel Foucault, Les mots et les choses , Edition Gallimard, Paris, 1966, p.44 125 Jean-Louis Barrault, Phèdre, mise en scène et commentaires, p.47

136

Pour Patrice Pavis, la sémiologie théâtrale a pour rôle de repérer les convergences et les divergences entre les systèmes signifiants, leurs déphasages, les changements de rythmes et les effets de localisation.

Nous pouvons parler par exemple de divergences entre système gestuel et système linguistique, de discours sérieux et de gestuelle non sérieuse.

L’effet de distanciation de Berthold Brecht permet de distinguer le moment où on joue et le moment où l’histoire est racontée. On a un décrochage. Cela permet aux spectateurs d’avoir une vision plus profonde de l’œuvre et constitue en cela une des missions de la sémiologie. C’est pourquoi nous sommes d’avis avec Anne-Françoise Benhamou quand celle-ci affirme que le rôle de la sémiologie contemporaine est de rendre compte du

« fragmentaire de la vision et de l’écoute indéfinissable du jeu d’acteur, le surgissement obscur de l’émotion. 126 »

Il existe deux types d’approches de la sémiologie théâtrale. Il s’agit de la sémiologie de la communication et de la sémiologie de la signification.

2.3 La sémiologie de la communication

La sémiologie de la communication consiste à analyser la manière dont le message théâtral est transmis au moyens de signaux regroupés en signifiants auxquels s’associent des signifiés. Il s’agit alors de vérifier si le spectateur a compris le message.

L’une des missions essentielles du théâtre forum est la compréhension du message par les spectateurs. Ce message a pour objet d’amener les spectateurs à adopter des démarches favorables à la vie dans la société. Ils

126 Anne-Françoise Benhamou, L’analyse de spectacle : méandres d’un enseignement atypique, in Théâtre/public n°82-83 « Théâtre et enseignement », 1988, HAL, archives-ouvertes.fr, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01099961 , p.6

137 quittent donc un point A (pas très positif) pour un point B (plus favorable). Le message du théâtre forum est un catalyseur de bonne conduite dans la société.

2.4 La sémiologie de la signification

La sémiologie de la signification établit une typologie de signes, aux mécanismes dénotatifs (renvoie à un être ou un objet du langage) et connotatifs (susceptible d’être interprété de manière indirecte) du théâtre.

Tout système sémiologique peut-être constitué de plusieurs sous- systèmes. Le théâtre peut réunir par exemple plusieurs systèmes signifiants : le système linguistique, gestuel, visuel, sonore, musical, scénographique, etc.

Avec la sémiologie, une tentative de valider une approche scientifique du spectacle est entreprise. On affine les outils pour que la lecture de spectacle ne soit plus soumise à la subjectivité mais va se rapprocher de l’objectivité scientifique.

La sémiotique s’inscrit dans la dénonciation de l’empirisme spontanéiste et intuitif qui régnait jusqu’à présent dans la perception des signes. La tâche est d’isoler les signes que de construire avec eux des ensembles signifiants et de montrer comment ils s’organisent. Anne Hénault ne disait-elle pas dans Les enjeux de la sémiotique 127 que ne sera appelé sémiotique que tout effort consécutif à cette prise de conscience et visant à repérer, nommer, dénombrer, hiérarchiser d’une façon systématique et objective les unités de signification et leur organisation en ensemble de toute dimension ?

- la première étape consistera donc à nommer, identifier et classer ; - la seconde étape, elle, va compter, chiffrer, et faire des statistiques ;

127 Anne Hénault, Les enjeux de la sémiotique, Paris, Presses Universitaires, 1979, p.17

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- La troisième étape se focalisera sur la comparaison, la classification et l’établissement des convergences et des divergences ; - enfin, la quatrième étape doit interpréter, analyser et formuler des hypothèses.

Anne Ubersfeld nous renseigne sur sa vision d’une sémiotique théâtrale :

« L’intérêt d’une sémiotique théâtrale est (…) non pas de donner des sens aux signes comme on pourrait le croire (ils ont toujours un ou plusieurs puisque, si j’ose dire, ils sont là pour cela), ni même repérer les signes les plus usuels avec leurs sens (l’observation raffinée des historiens du théâtre y suffit bien), mais au contraire de montrer l’activité théâtrale comme constituant des systèmes de signes qui n’offrent de sens que les uns par rapport aux autres. La tâche d’une sémiotique théâtrale est moins d’isoler les signes que de constituer avec eux des ensembles signifiants et de montrer comment ils s’organisent. 128 »

La sémiologie fait recours à d’autres sciences telles que la sociologie, la psychanalyse, l’anthropologie et les sciences exactes telles que les mathématiques ou la physique.

Dans notre effort d’analyse des représentations théâtrales de notre corpus, nous allons retenir trois types fondamentaux d’analyses sémiologiques.

3 Les trois types fondamentaux de l’analyse sémiologique

Il s’agit de l’icône, de l’indice ou index et du symbole.

128 Anne Ubersfeld, L’Ecole du spectateur , Paris, Editions Sociales, 1982, p.21

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3.1 L’icône

Nous pouvons dire d’un signe qu’il est iconique lorsqu’il y a une analogie physique entre le signifiant et son dénotatum. Par exemple, la gestuelle, le décor, les objets, le corps, la voix de l’acteur peuvent être des icônes. L’iconisation de la posture royale est la capacité qu’a l’objet de renvoyer à d’autres objets.

L’icône mimétique est l’imitation du réel. Par exemple un bout de papier représentant de l’argent.

Par contre l’icône littérale est la copie conforme du réel. On retrouve ces deux formes d’icônes dans une représentation de théâtre d’intervention sociale.

On a également les icones visuelles qui désignent tout ce qu’on voit comme les objets ou les accessoires que portent les acteurs et les icônes verbaux qui renvoient à tout ce qu’on dit ou entend.

On parle de degré d’iconicité d’une mise en scène dans une représentation théâtrale quand celle-ci rend compte de la proportion des notations du discours et des indications de mise en scène qui sont concrétisées dans la représentation.

L’icône théâtrale peut donc se définir non pas comme un signe dont le signifiant et le signifié sont analogues mais comme un signe dont le référent est actualisé sur la scène : le rapport entre le signifiant et le signifié est motivé. Anne Hénault distingue deux types d’icônes :

L’icône homothétique : le signifiant est identique au référent standard du signifié.

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L’icône hétérothétique : les signifiants ont un rapport lointain avec le référent standard du signifié. On utilise par exemple une éponge à la place d’un téléphone portable.

3.2 L’indice ou l’index

Un signe est considéré comme indexique ou indiciel si son signifiant est contigu à son signifié ou en constitue un exemple. Le théâtre utilise des indices qu’on appelle déictiques. Ces signes orientent l’attention des spectateurs et précisent le sens de la situation. Comme exemples de procédés indexiques nous avons les procédés verbaux. Le théâtre Brechtien s’appuie beaucoup sur les indices et cela permet de mettre en évidence la fonction indicielle : c’est un théâtre de dénonciation tout comme le théâtre d’intervention sociale. D’ailleurs pour Brecht, afficher la théâtralité, c’est l’indice même du théâtre.

3.3 Le symbole

Contrairement à l’icône et à l’indice, le référent du symbole n’est pas actualisé et la relation est arbitraire et non motivé. Nous paraphrasons la définition d’André Helbo qui dit qu’un signe qui ne présente ni analogie ni contigüité mais qui offre uniquement un lien conventionnel entre son signifiant et ses dénotata, et qui détermine une classe intentionnelle (axe paradigmatique) pour son désignatum (référent), est un symbole. Nous distinguons plusieurs types de symboles :

La métaphore : La métaphore fait référence au code pour substituer au terme du message un terme équivalent. La métaphore est filée lorsqu’on prolonge l’image et qu’on en déduit de nouvelles fonctions. Dans la rhétorique, on dit que la métaphore est une comparaison dans laquelle les

141 termes comparatifs sont figés. Selon le dictionnaire Encarta, la métaphore est un procédé de langage qui consiste à employer un mot concret ou à évoquer une idée concrète dans un sens abstrait, en vertu d’une analogie qui reste implicite.

La métonymie : La métonymie emploie au contraire un mot ou un objet pour désigner une idée, un objet ou une propriété qui se trouve dans un rapport existentiel ou conventionnel avec le référent habituel de ce mot…

4 L’espace dramatique

L’espace dramatique est le lieu fictionnel où s’organise l’action dramatique. Dans le cas du théâtre forum, on peut avoir à faire à un espace public, l’arbre à palabre d’un village ou d’un marché. Retenons la définition de l’espace selon Anne Ubersfeld :

« L’espace de théâtre est d’abord un lieu scénique à construire et sans lequel le texte ne peut trouver sa place, son mode d’existence concret.129 »

Toujours dans la définition de l’espace, Siegfried GRUNDMANN ajoute :

« L’espace est pour ainsi dire le réceptacle dans lequel se développent tous les rapports sociaux …Mais ce n’est pas un récipient rigide, un pot de terre ; ses dimensions ne sont pas données une fois pour toute, elles sont fonction de son contenu. 130 »

L’espace dramatique est un micro-univers, et chaque art, comme le dit Souriau a son espace. Mais l’espace matériel, objectif, transféré dans l’œuvre

129 Anne UBERSFELD, Lire le théâtre , p.114 130 Grundmann SIEGFRID, L’Homme et l’Environnement , p.15

142 d’art, particulièrement dans le théâtre, se trouve délimité à des dimensions scéniques susceptibles de représenter les divers lieux que comporte le théâtre.

Généralement les espaces dramatiques peuvent être marqués par :

- les accessoires et le décor qui nous donnent une indication de l’espace scénique ; - le jeu des acteurs et le texte des dialogues ; - les informations relatives à la lumière et au son.

Au théâtre forum ces différents marqueurs contribuent à transformer l’espace scénique en espace dramatique et créent des atmosphères, des ambiances oniriques, angoissantes et euphoriques. Tout ceci donne des colorations singulières à l’intrigue dramatique.

Déjà, les travaux du colloque d’Abidjan avaient mis en exergue d’autres caractéristiques distinctives de la scène et de la création dramatique en Afrique, telles que l’organisation circulaire de l’espace scénique généralement limité par « la place du village 131 » où se déroulent les manifestations, le caractère participatif et spontané du jeu théâtral exécuté avant tout comme une création collective, l’absence de dichotomie entre le public spectateur et les acteurs, enfin l’expression d’une esthétique particulière faites d’un mélange de rites, de paroles, de gestes, de mimiques, de musique, de chants et danses qui font du théâtre un spectacle total.

De ce fait, l’analyse de l’espace théâtral va connaître deux moments essentiels. D’une part, nous aurons l’analyse synchronique et morphologique et d’autre part, l’analyse diachronique et syntaxique de l’espace théâtral.

131 Barthélemy Kotchy, « Théâtre et public », cité par Pierre Médehouegnon, Op.cit, p.176

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5. L’analyse synchronique et morphologique de l’espace théâtral

L’étude synchronique consiste à nous intéresser à chaque séquence dramatique de la représentation pour connaître le lieu de déroulement de la représentation, la configuration de l’espace dramatique et éventuellement sa traduction sur l’espace scénique dans un temps donné. Il s’agira pour nous d’indiquer le lieu de la représentation et de montrer tout ce qui entoure le spectacle théâtral. Notons en passant qu’il n y a pas forcément une adéquation entre la morphologie de l’espace dramatique et la morphologie de sa traduction scénique. Toutes les fois qu’il ya une grande différence entre les deux morphologies nous pouvons dire que l’écart de la traduction scénique est un écart compétent et significatif.

La morphologie de l’espace quant à elle s’intéresse surtout à la forme de l’espace et tente par la suite d’établir une relation avec sa fonction dramatique ou dramaturgique. L’espace dramatique prend en compte des formes variables qui correspondent à des formes différentes. Cela nous amène à analyser le degré d’aperture de l’espace théâtral.

6. Le degré d’aperture de l’espace théâtral

Le degré d’aperture ou d’ouverture de l’espace théâtral correspond au niveau d’ouverture ou d’occupation de l’espace dramatique et/ou scénique. L’ouverture est l’existence ou non de marqueurs de territorialité : murs, portes, fenêtres, entrées, sorties. C’est aussi le niveau d’occupation de l’espace par les personnages ou les objets.

Le degré d’aperture est gradué en cinq niveaux, nous avons dans l’ordre : un espace très-ouvert,un espace ouvert,un espace semi-ouvert, un espace très fermé et un espace fermé.

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6.1Les espaces très ouverts

Ce sont des espaces sans limite qui se projettent sur un horizon infini. Ces espaces sont à la dimension de la nature. On a par exemple la mer, la forêt, les dunes de sable du désert… ces espaces très ouverts offre une vue panoramique de la nature. Ils inscrivent l’action de l’homme par rapport aux lois de la nature. C’est l’homme face à l’infini. C’est également l’instinct de l’homme face aux desseins infinis de la nature.

6.2 Les espaces ouverts

En ce qui nous concerne, nous pouvons dire qu’au théâtre forum, nous avons affaire à des espaces ouverts ou euphoriques car les représentations du théâtre d’intervention sociale se déroulent dans les lieux publics ou des lieux d’accès faciles au public. Il peut s’agir d’un marché, d’une salle de conférence ou d’un palais de la culture. Les espaces ouverts peuvent être délimités ou non mais ce sont des lieux où tout le monde peut entrer et sortir des divers cotés. C’est le lieu de convergence par excellence du public ; les espaces ouverts sont des espaces de socialisation, des lieux où se joue la vie du groupe. Dans sa thèse sur le rôle du théâtre dans le développement socioculturel de la Haute Volta aujourd’hui Burkina Faso, Jean-Claude Ki nous décrit l’espace théâtral :

« L’aire de jeu, en règle générale, a une forme circulaire et, sa surface plane est circonscrite par le public. Les comédiens peuvent eux-mêmes au préalable marquer les limites de l’aire de jeu avec de la cendre, des pierres ou des briques. Mais ces limites ne sont pas infranchissables et subissent donc des violations constantes de la part d’un public doué d’une grande mobilité. En effet, les premiers rangs de spectateurs sous la pression de ceux qui sont massés derrière eux empiètent inévitablement sur l’aire du jeu. Cette mobilité ou

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instabilité du public donne à l’espace dramatique un caractère d’élasticité. 132 »

Les représentations théâtrales du théâtre forum se jouent généralement dans les espaces ouverts où les interactions se vivent entre les acteurs et les spectateurs. Pour Koulsy Lamko,

« Les lieux ouverts, les espaces euphoriques, présentent des inconvénients du fait de leur élasticité. Mais ces inconvénients sont mineurs dès lors que l’on sait apprécier l’interaction entre acteur- spectateur qu’ils favorisent. En effet, le public baigne dans l’action qu’il peut commenter. La retenue n’est plus la règle. Bien au contraire, il faut montrer que l’on approuve ou que l’on refuse les propositions du jeu des acteurs. On parle alors et parfois aussi fort que les acteurs…sinon plus fort qu’eux. Histoire de refaire le spectacle ensemble ! 133 »

6.3. Les espaces semi-ouverts ou semi-fermés

Les espaces semi-ouverts ou semi-fermés sont des espaces délimités :

- soit sur les côtés mais ouverts par le haut. Une cour par exemple - soit non délimités par les côtés et fermés par les côtés, un hangar, les théâtres populaires à ciel ouvert, les salles de classes.

Ce sont des lieux d’expression de la vie sociale, des lieux réservés à un certain nombre de rites. Aussi, les espaces semi-ouverts circonscrivent

132 Jean Claude Ki, Le théâtre dans le développement socioculturel de la Haute Volta , Thèse de doctorat 3 ème cycle, Paris, La Sorbonne, 1977, p.12 133 Koulsy Lamko, Emergence difficile d’un théâtre de la participation en Afrique noire francophone , Thèse de doctorat, Limoges, 2003, p.107

146 l’événement artistique dans un cadre géographique et confèrent à celui-ci un cadre euphorique.

6.4 Les espaces très fermés

Les espaces très fermés sont des espaces d’intimité, de retraite ou de réclusion. Ce sont des espaces sans ouverture, sans accès à l’extérieur. On y entre mais on n’en sort pas ou peu. Aussi le nombre d’occupants est très limité. A titre illustratif dans la pièce de théâtre de Jean Paul Sartre, un huit clos , l’espace fermé peut être un endroit fatal, un espace de mort, d’intimité oppressante, une prison ou au contraire un coquon de sécurité ou un nid d’amour.

6.5 Les espaces fermés

Les espaces fermés sont des espaces privés ou ne pénètrent que des personnes autorisées. Ce sont des espaces délimités des quatre côtés où l’on ne peut entrer et dont on ne peut sortir et qui peut être connoté positivement ou négativement. Les espaces fermés se traduisent généralement par les salles conventionnelles conçues pour abriter des spectacles. Au Burkina Faso, nous avons la Maison du peuple, la Maison de la culture Jean Pierre Guingané, Le Centre National des Arts et des Spectacles (CENASA), l’Institut Français…Ces salles sont bien équipées ; cependant elles sont inadaptées au théâtre à cause de la mauvaise qualité acoustique. Notons aussi que ces espaces fermés sont des espaces réservés qui reçoivent tous les soins esthétiques avant d’accueillir les manifestations. L’Atelier Théâtre Burkinabé dispose d’une salle close ou salle à l’italienne destinée à recevoir différentes manifestations artistiques de la ville. Les publics qui fréquentent les espaces fermés proviennent généralement d’une classe sociale aisée dont des intellectuels et beaucoup d’expatriés.

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A travers le schéma d’aperture, nous pouvons dire que les espaces ouverts dont relève le théâtre d’intervention sociale concourent à des échanges ouverts, des débats ouverts, interactifs entre les protagonistes du jeu et des spectateurs. C’est pourquoi nous disons que c’est un lieu de socialisation, de recherche de bien-être et de réponses aux différents questionnements qui taraudent souvent l’esprit des populations.

Parmi les détracteurs de l’espace conventionnel, nous pouvons parler d’Antonin Artaud qui réclame la suppression pure et simple de l’espace conventionnel et est rejoint en cela par les praticiens du théâtre d’intervention sociale. :

« Nous supprimons la scène et la salle qui sont remplacées par une sorte de lieu scénique, sans cloisonnement, ni barrière d’aucune sorte, et qui deviendra le théâtre même de l’action. Une communication directe sera établie entre le spectateur et le spectacle, entre l’acteur et le spectateur, du fait que le spectateur placé au milieu de l’action est enveloppé et sillonné par elle…C’est ainsi qu’abandonnant les salles de théâtre existant actuellement, nous prendrons un hangar ou une grange quelconque, que nous ferons reconstruire.134 »

Il est cependant important de noter que l’Atelier théâtre Burkinabé qui est au cœur de notre travail utilise des espaces clos dans ses locaux à Ouagadougou et les espaces ouverts dans ses sorties dans les zones rurales exclusivement pour le théâtre forum et les chantiers de théâtre communautaire.

134 Antonin Artaud, Le théâtre et son double , Paris, Folio, 2002, p.148

148

7. Le décor

Le décor constitue des signes dans une représentation théâtrale car le caractère commun du décor est la signification même des objets. Pour Pierre Larthomas :

« Le décor évoque avant tout pour nous un ensemble d’éléments matériels plus ou moins adroitement agencés pour produire un certain effet 135 ».

Cependant, il n’existe pratiquement pas de décor dans un spectacle de théâtre forum sinon un trépied muni de tissu, deux chaises et une table. Koulsy Lamko s’exprime sur le décor des représentations du théâtre d’intervention sociale en ces termes:

« La sobriété du décor peut parfois déconcerter le spectateur habitué à un espace plein. Il est évidemment inconvénient de faire des constructions sur des espaces ouverts tels que les cours d’école ou de marché. 136 »

Le théâtre d’intervention sociale privilégie plus le jeu de l’acteur que les objets qui sont présents sur la scène. L’espace vide renvoie à une esthétique de la corporéité. Le corps devient une instance signifiante. Prosper Kompaoré justifie les choix esthétiques du théâtre d’intervention sociale en ce qui concerne spécifiquement le décor :

« Nous rejetons a priori l’usage des accessoires et des objets. L’objet reste évidemment nécessaire dans sa fonction utilitaire ou symbolique. Il y a des objets renforts qui spécifient certains rôles sociaux et permettent au théâtre de créer le type. Leur usage est très

135 Pierre Larthomas, Le langage dramatique , p.107 136 Koulsy Lamko, Op.cit, p.108

149

souhaitable. Il en est de même que les objets-supports d’une action comme les instruments de musique qui, plus qu’un accessoire, tient lieu de personnage sur la scène.137 »

8. Les rapports entre acteurs et spectateurs

On peut relever trois grands rapports entre les acteurs et les spectateurs. Il s’agit des rapports frontaux à caractère exclusif, les rapports inclusifs et les rapports insulaires.

8.1 Les rapports frontaux

Les rapports frontaux à caractère exclusif sont basés sur la distance objective entre la salle et la scène sur l’effet de l’illusion scénique : on a la contemplation à distance et la fascination. Le spectateur, éjecté de la salle, devient un voyeur, un témoin par moment.

8.2. Les rapports inclusifs

Les rapports inclusifs sont ceux qui se tissent entre acteurs et spectateurs dans des représentations données sur des scènes circulaires ou semi-circulaires. Dans ce cas de figure, la scène est accessible au public, les acteurs jouent à proximité des spectateurs qui peuvent les toucher, les sentir, leur parler, au besoin jouer avec eux. C’est le cas du théâtre interactif comme le théâtre forum qui fait l’objet de notre étude. Au théâtre forum le spectateur peut franchir la ligne de délimitation de la scène et devenir acteur pour un moment donné.

137 Prosper Kompaoré, Les formes de théâtralisation dans les traditions de la Haute-Volta , thèse de doctorat, 3 ème cycle, Université de la Sorbonne Nouvelle, Institut d’Etudes Théâtrales, Paris 1977, p.111 cité par Koulsy Lamko dans Emergence difficile d’un théâtre de la participation en Afrique noire francophone , thèse de doctorat, Université de Limoges, 2003, p.110

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8.3 Les rapports insulaires.

Les rapports insulaires renvoient aux scénographies éclatées où l’espace scénique est « dispersé par fragments » au milieu de l’espace public, lui-même soumis à des modifications constantes. H. Honzel parle du théâtre de l’environnement. Le spectateur est tour à tour près de l’action et éloigné de l’action suivante ; son regard est périphérique à la fois globale et particulier. Par moment, il est invité lui-même à se déplacer pour prendre d’autres places devant d’autres espaces. Dans les rapports insulaires le spectateur n’est pas figé. Pour paraphraser Louis Jouvet, la salle, sa construction et les cérémonies qu’on y pratique changent de caractère quelques fois la scène elle-même.

Intéressons-nous à présent à l’analyse diachronique et syntaxique de l’espace théâtral.

9. L’analyse diachronique et syntaxique de l’espace théâtral

L’étude diachronique va nous amener à nous pencher sur l’évolution des faits dans l’espace théâtral. C’est ce qui nous conduit à la rhétorique de l’espace théâtral qui consiste à indiquer le fonctionnement de l’espace théâtral et son évolution dans le temps. La rhétorique de l’espace théâtral est le discours porté sur l’espace sous l’angle diachronique. La vision diachronique est quelque chose qui évolue dans le temps. C’est l’étude du devenir de l’espace scénique en combinaison avec d’autres facteurs de sens comme la lumière, le son, les acteurs…

L’espace de représentation est un espace ambigu puisqu’il est à la fois un espace vrai, concret mais en même temps, un espace de dénégation, c’est-à- dire que toute action, toute chose qui se déroule sur cet espace est marquée du signe moins est irréel. Cette qualité de l’espace théâtral aura des conséquences

151 dont se serviront les metteurs en scène. C’est aussi une notion de mise en abyme ou de théâtre dans le théâtre chère à Agbota Zinsou dans On joue la comédie ou de William Shakespeare dans Hamlet. On distingue de ce fait trois grands procédés de traitement de l’espace scénique. Primo, nous parlerons du recentrement scénique qui est la convergence des espaces vers un espace unique dominant : la focalisation. Secundo, la dénucléarisation scénique qui est l’éclatement ou la fragmentation de l’espace théâtral. Tercio, la mise en abyme.

9.1 Le recentrement scénique

Le recentrement scénique est un procédé qui consiste à faire en sorte que toutes les actions se déroulent dans un seul et même espace dramatique : c’est l’unité de lieu. Le recentrement est rendu possible grâce à certains mécanismes comme :

- la convergence du fil de l’intrigue. Toutes les actions ont un point commun : c’est le nœud ; - la convergence des interactions dans la configuration des personnages : tout le monde se retrouve dans l’action scénique ; - la systématique des actions : les rapports inter-personnages sont systématiques. Les espaces centrés créent des oxymores.

Dans la dramaturgie classique, le recentrement favorise l’économie des moyens.

9.2 La dénucléarisation scénique

Comme son nom l’indique, la dénucléarisation scénique entraîne la création de plusieurs sous espaces. Patrice Pavis parle d’espace fragmenté. Elle permet de décentrer ou de délocaliser les différents centres d’intérêt de

152 l’intrigue dramatique. Elle permet également de relativiser, de comparer, de diversifier et de créer des effets de contrastes, de surenchère et d’insertion. A cela nous distinguons deux formes de dénucléarisation : successive et simultanée.

9.2.1 La dénucléarisation successive

La dénucléarisation successive consiste à présenter tour à tour dans un même espace scénique plusieurs espaces dramatiques. La transition d’un espace dramatique à un autre peut se faire :

- par fondu enchaîné c'est-à-dire à vue sans interruption du jeu ; - le procédé du fondu en noir : la scène est plongée dans le noir pendant un temps court afin de procéder au changement de décor ; - le procédé par le cut est un changement qui consiste à bloquer une action et ou relancer une nouvelle action censée se dérouler dans un décor différent. Le procédé par le cut donne un rythme accéléré, alerte à la représentation.

9.2.2 La dénucléarisation simultanée

La dénucléarisation simultanée consiste à présenter dans le même temps des actions différentes se déroulant dans les lieux scénico-dramatiques différents. Cette simultanéité peut-être totale lorsqu’il y a une concomitance des actions.

Le deuxième procédé de dénucléarisation simultanée alternative consiste à présenter des actions différentes dans les lieux différents et qui se déroulent simultanément mais chacun de ces espaces est mis en valeur à tour de rôle. Chaque espace va être joué à tour de rôle à majeur et à mineur sans parler.

153

Après avoir tablé sur l’étude synchronique et diachronique de l’espace théâtral, nous allons nous pencher sur le deuxième volet non moins important à savoir le temps théâtral. Nous savons bien que l’espace ou le lieu de la représentation théâtrale est intiment lié au temps de la représentation.

10. Le temps théâtral

Dans le temps théâtral nous distinguons le temps de la représentation et le temps de la fiction. Le temps de la représentation est objectif. C’est le temps réel, il est quantifiable grâce à des marqueurs de temps et de durée. Généralement on note le début et la fin d’une représentation théâtrale. En ce qui concerne les représentations théâtrales qui font l’objet de notre étude, elles durent habituellement une heure quinze minutes y compris le temps du forum.

Par contre, le temps de la fiction est un temps subjectif. Il a un caractère qualitatif, il renvoie au temps du récit, le moment du drame ou la durée de l’espace dramatique.

Le temps réel est aussi le rythme du spectacle, la ponctuation du spectacle. Dans la scène à l’italienne par exemple, la lumière permet d’indiquer le temps. On pourra dire que la lumière jaune indique le passé dans une représentation.

Le temps peut-être aussi évolutif, ou involutif c’est-à- dire qu’on peut assister à un retour en arrière, au passé à travers la mise en abyme dans la représentation. Ainsi un temps continu ou discontinu, haché, troué peut correspondre à une ellipse temporelle qui permet de gagner du temps dans le récit mais n’enlève rien à la compréhension de celle-ci.

On remarque de plus en plus aujourd’hui que beaucoup d’œuvres sont construites sur la déconstruction du temps. Cette discontinuité montre des interruptions dans le temps théâtral.

154

Chapitre 5 : Eléments de dramaturgies dans le théâtre d’intervention sociale

« L’intérêt des innovations thématiques apportées à la dramaturgie africaine par le théâtre forum et le théâtre-débats est la grande variété des sujets abordés, qui permettent à ces deux types de théâtre de servir d’outils de sensibilisation au plus grand nombre possible de problèmes sociaux. 138 »

En raison de la nature des représentations, nous allons nous intéresser exclusivement à leurs contenus thématiques et à leurs expressions esthétiques.

Nous sommes d’ailleurs d’avis avec Koulsy Lamko quand celui-ci consacre l’expression d’esthétique de la participation en ce qui concerne le théâtre d’intervention sociale. Pour lui, la notion de l ’esthétique de la participation n’est pas :

« La quête ou, en d’autres mots, la recherche du beau ne se pose pas comme objectif prioritaire. Elle se confond avec la recherche de procédés de facilitation pour que le message véhiculé par le théâtre soit accessible au public. 139 »

Est-il encore nécessaire de le rappeler que les représentations de théâtre forum présentent généralement des problèmes de société qui ne suivent pas totalement le schéma d’intrigue des tragédies classiques en trois moments, c’est-à- dire l’exposition, le nœud et le dénouement ? Nous remarquons très souvent que dans les tragédies classiques, le nœud fait monter l’action à un point culminant sans retour et débouche au dénouement tragique avec la

138 Jean Pierre Guingané, « Le théâtre d’intervention sociale » in La pratique des communications sociales au Burkina Faso, p.130, cité par Pierre Médéhouegnon, Op.cit., p.193 139 Koulsy Lamko, Op.cit.,p.62

155 mort du héros. Cependant, dans les représentations de théâtre forum, on retrouve au niveau du nœud, l’action qui culmine sur une situation de crise non pas comme dans les tragédies classiques avec la mort du héros mais la situation est plutôt dénouée de façon injuste et inacceptable qui prépare donc l’entrée des débats dans la partie réservée au forum. Le dénouement de l’action au théâtre forum laisse le spectateur sur sa faim, l’incite à l’action, l’invite à corriger l’oppression ou l’erreur sociale.

1. Perspectives esthétiques du théâtre d’intervention sociale

« Toute pratique artistique s’inscrit dans l’imaginaire social d’un groupe. Les arts fondent la culture d’une société, générateurs et réceptacles à la fois du dynamisme interne et de ce fait, leur pratique n’est jamais innocente… En Afrique noire traditionnelle, mis à part l’esthétique, les arts poursuivent un objectif de fonctionnalité pratique et indéniable. C’est ainsi que les arts du spectacle sont intimement liés aux temps forts de la vie de l’individu et de la communauté. 140 »

L’art négro-africain coïncide avec l’esthétique négro-africaine. Il confère la beauté à la production artistique quand celle-ci peut dégager une utilité pour le groupe au sein duquel il est né. Léopold Sédar Senghor a attribué sept caractéristiques principales à l’art négro-africain qui identifie toute création de l’homme noir.

- l’art négro-africain fait partie du travail de l’homme noir et ne peut donc être dissocié des activités génériques de celui-ci ; - l’art négro-africain est un art fonctionnel, utile. Il n’est pas une esthétique de l’ornementation, ni de l’art pour l’art ; - c’est un art collectif et non individuel ; - les différentes formes d’art sont corrélées ;

140 Koulsy Lamko, Op.cit. ; p.79

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- c’est un art fortement rythmé et imagé comme dans la poésie et dans l’expression orale ; - l’art africain dépasse la description qu’il manifeste à priori et atteint un aspect explicatif : il transcende le réel et l’investit de son intuition ; - l’art africain est engagé, s’inscrit dans l’actualité et participe à l’épanouissement de l’homme. 141

Sur le plan esthétique et scénographique, les représentations étudiées sont montées sur le modèle des mises en scènes occidentales, avec des découpages généralement en scènes, et une représentation pas très loin de celle des scènes à l’italienne marquée par la séparation du public et des comédiens. Ces représentations créent ce que Berthold Brecht appelle « l’illusion théâtrale », c'est-à-dire à faire oublier au spectateur qu’il se trouve au théâtre et à lui faire croire que ce qu’il regarde jouer sur la scène par des acteurs est une reproduction des événements de la vie réelle.

Pour Berthold Brecht, l’effet recherché dans la distanciation, c’est de créer chez le spectateur « une attitude nouvelle » ; ainsi le « théâtre n’essaie plus de soûler, de le pourvoir d’illusions, de lui faire oublier le monde, de le réconcilier avec son destin. Désormais, le théâtre lui présente le monde pour qu’il s’en saisisse. 142 »

Les représentations de théâtre forum sont une ouverture sur l’utilisation des techniques traditionnelles africaines de production de jeux et de spectacles dans la dramaturgie moderne africaine. A ce niveau, nous pouvons relever une similitude entre le théâtre forum et le concert party. En effet, au théâtre, avant le début de la représentation, une série d’animations est faite sur le site du

141 Léopold Sedar Senghor, Liberté 5, Le dialogue des cultures , p.20 142 Ecrits sur le théâtre (traduction française de Jean Tailleur et Guy Delfe), Paris, l’Arche Editeur, 1972, pp.295-296

157 spectacle afin de happer les spectateurs réticents ou qui tardent à se joindre à la manifestation sociale. Ainsi, l’animation musicale peut durer une demi- heure. Des sonorités à la mode sont jouées par le régisseur de son. La scène se remplit de badauds qui accourent de partout pour se trémousser sur la piste. Les comédiens de la troupe se joignent à cette fête qui prend une dimension extraordinaire. Quand le joker sent que le public est bien chauffé, il les remercie et fait signe que le spectacle va commencer.

De la même manière, le concert party qui est un genre de comédie musicale importée du Ghana dans les années 1960 présente les mêmes caractéristiques dans l’ouverture du spectacle. Ayayi Togoata Apédo-Amah nous décrit les préparatifs du concert party :

« Bien avant la représentation proprement dite, le concert party, en guise de publicité, ameute le public en donnant un avant-goût du spectacle dans la rue : quelques comédiens grimés s’adonnent à des pitreries et font des blagues dans un microphone juché sur le toit ou la plateforme arrière d’un véhicule. Ils sont suivis par une foule de badauds. Le soir venu, en attendant que la salle se remplisse, l’orchestre du concert-band joue des airs à la mode, et ceux qui le désirent parmi le public chantent et dansent. La représentation elle- même est agrémentée de morceaux de musique et de chansons. 143 »

L’animation est au centre de ces deux approches théâtrales : le théâtre forum et le concert party. C’est pourquoi Jacques Scherer affirmait qu’en Afrique, le théâtre est une fête conviviale.

Ce qui confirme notre assertion sur la fonctionnalité et l’utilité du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso.

143 Ayayi Togoata Apédo-Amah, « La dramatisation festive du théâtre populaire togolais », Notre librairie, littérature togolaise, n°131, juillet-septembre 1997, p.127

158

Qu’en est-il du corpus de l’étude ?

2. Corpus de l’étude

- Les œufs du barrage de Benbaleyadougou , pièce de théâtre forum à la demande de frères des hommes, une création de l’ATB, écrite et mise en scène Prosper KOMPAORE ; - Le vote du fétiche , pièce de théâtre forum à la demande de CORADE, une création de l’ATB écrite et mise en scène Prosper KOMPAORE ; - La folie de l’or ou à qui profite l’or ?, pièce de théâtre forum à la demande du MBDHP, création de l’ATB écrite et mise en scène Prosper KOMPAORE ; - Le cri des enfants ; pièce de théâtre, création collective de l’ATB - Le procès du maire , pièce de théâtre forum écrite et mise en scène par Prosper KOMPAORE ;

En plus de ce corpus, nous avons retenu dix représentations supports de dix troupes provinciales pratiquant le théâtre forum. Nous avons profité du concours de théâtre forum (CTF) organisé en avril 2016 pour rencontrer les responsables de ces troupes et recueillir les vidéos de leurs représentations théâtrales. Ces différentes pièces relèvent des problèmes de société et nous en feront recours à chaque fois que besoin en est.

3. Le contenu des représentations

Il s’agira pour nous de donner les résumés des différentes pièces de théâtre contenues dans le corpus de l’étude. Ces résumés proviennent de la transcription des vidéos des représentations théâtrales.

159

3.1 Résumé de La pièce « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou »

« Les œufs du barrage de Benbaleyadougou » est une pièce de théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé écrite et mise en scène par Prosper Kompaoré en 2012. La pièce a été créée à la demande de l’Association Frères des Hommes de Luxembourg. Cette pièce compte neuf (09) scènes à durée variable.

L’intrigue dramatique tourne autour des difficultés de gestion d’une commune rurale. En effet, Madame le Maire est confrontée au dilemme de choix sur le site devant abriter un barrage. Dans cet imbroglio politique, le conseiller municipal Modibo joue le rôle d’opposant et passe par tous les moyens pour mettre les bâtons dans les roues de Madame le Maire. Le conseiller Moussa, par contre, en véritable adjuvant épaule Madame le Maire dans son action contre le redoutable conseiller Modibo. Une lutte acharnée éclate entre les protagonistes sur le choix réel de l’implantation du barrage.

Cette pièce nous peint la réalité des mentalités de certains dirigeants politiques quand ils atteignent la haute sphère du pouvoir politique. Les différentes guéguerres feront que la construction du barrage ne verra pas le jour car le lieu choisi pour son implantation par les populations était Benbaleyadougou , lieu rejeté par les financiers comme Modibo soutenu par Grand Boss, l’argentier depuis la capitale. Toute pièce de théâtre forum est construite pour poser une interrogation aux spectateurs. Pour la représentation « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou » s’ouvre sur cette interrogation de Madame le Maire : « Si nous n’avons pas le financement, comment allons- nous réaliser le barrage de Benbaleyadougou? ».

Quelles sont donc les configurations des personnages ?

160

La pièce comporte 08 personnages principaux. Parmi ces personnages nous relevons trois femmes et cinq hommes. En plus de ces personnages principaux, nous avons noté quatre personnages abstraits dont une femme et trois hommes. Nous dénombrons trois personnages qui sont désignés par leurs prénoms et leurs fonctions. Ce sont : Kadi, Madame le Maire ; Moussa, le premier conseiller ; Modibo le deuxième conseiller corrupteur. Un personnage est désigné par son prénom, sa fonction, et son lien familial : Lamine, vendeur de kiosque, cousin du conseiller Moussa. Un personnage est désigné par son prénom, son statut matrimonial : Awa, femme du conseiller Moussa. Un personnage est désigné par son statut matrimonial, son prénom et sa fonction : Madame KI Ami, représentante du cabinet Hydraulique. Un personnage est désigné par sa fonction : Karensamba, l’instituteur. Enfin, un autre est désigné par son ethnie et sa fonction : Flakiè, l’éleveur.

La présence de didascalies initiales abstraites dans l’œuvre nécessite une attention particulière car ces personnages à travers la manière dont ils sont désignés mettent en relief des personnages qui peuvent avoir de l’influence. Nous avons deux personnages désignés par des titres tels que Monsieur le Ministre, le Grand Boss. Un personnage désigné par sa qualité et son prénom Ladji Boureima ; un autre enfin, par son prénom et sa fonction : Mamou la vendeuse de Bazin.

La description des personnages dans les didascalies initiales de l’œuvre révèle l’existence d’une hiérarchie entre eux dans la pièce. Nous avons le Ministre et le Grand Boss qui sont parmi les grands détenteurs du pouvoir dans un pays, le Maire et ses conseillers qui représentent l’autorité dans la commune. Et enfin, les autres personnages considérés comme des habitants de la commune.

Qu’en est-il des attentes de lecture ?

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A travers les didascalies initiales de cette pièce, on s’attend à des difficultés de gestion d’une commune. Ces difficultés peuvent tourner à un drame. Le drame en tant que mélange du comique et du tragique.

Ensuite, ces didascalies initiales mettent en scène des personnages opposés à savoir l’opposition du conseiller Moussa au conseiller Modibo. En général, on peut apercevoir une divergence d’opinions entre les différents personnages dans les didascalies initiales.

Enfin, en ce qui concerne l’indication spatio-temporelle on s’aperçoit que la scène se déroule dans un village où la population n’est pas fortement alphabétisée.

A travers les personnages abstraits, nous remarquons que la gestion de la commune est influencée par les élites du village exerçant généralement dans la capitale.

3.2 Résumé de La pièce « Le vote du fétiche»

« Le vote du fétiche » est une pièce de théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé créée dans le cadre du programme COPRA 2 (Coopérer Pour Mieux Réussir l’Avenir) en collaboration avec l’Agence CORADE et le Centre de Ressources pour la Coopération Décentralisée en Franche-Comté (CERCOOP F-C). C’est une pièce écrite et mise en scène par Prosper Kompaoré.

L’objectif principal poursuivi par cette pièce est la mobilisation citoyenne des populations autour des élections municipales de mai 2016 au Burkina Faso afin de créer un climat de cohésion sociale, de l’acceptation des résultats et la liberté des électeurs de choisir librement leur candidat.

162

Pour la petite histoire, le personnage Poko, à l’état civil Chantal Ouédraogo souhaite briguer le poste de conseiller municipal dans sa commune. Son challenger, Monsieur Rourougou 144 , Hippolyte Compaoré à l’état civil décide à travers des manipulations et des subterfuges d’empêcher la candidate Poko de se présenter aux élections municipales parce que c’est une femme. S’engage alors entre les deux camps, ceux de Poko et ceux de Rourougou une lutte sans merci.

Outre le thème principal des élections, d’autres thèmes secondaires peuvent être relevés comme la question du genre dans la politique, le problème foncier et l’utilisation des forces occultes en périodes électorales. En effet, pour s’assurer de la fidélité de ses électeurs, Rourougou les a conviés à poser leur main sur le fétiche « Jantigui » et à jurer qu’ils voteront pour lui et lui seul. Celui qui transgresse cette loi sera châtié par le fétiche « Jantigui ». C’est d’ailleurs ce qui justifie le titre de la pièce « Le vote du fétiche ».

Comme à l’accoutumée au théâtre forum, la scène prend fin sur une grande interrogation puisque la proclamation des résultats n’a pas eu lieu car les partisans du terrible Rourougou ont empêché la commission de faire son travail. En effet, la feuille de résultat fut retirée de force à la représentante de la commission chargée des élections. Ils se demandent : « Faut-il déchirer la feuille des résultats ? » En même temps, on entend entonner l’hymne à la paix en mooré :

Yaa sugr ikayé ti yeel na samé

Yaa sugri kayé ti yeel na samé

Sid ya sugri kayé ti yeel na samé

Sid ya sugri kayé ti yeel na samé

144 Signifie en langue mooré serpent boa très venimeux. Ce nom a donc une connotation lugubre.

163

Littéralement traduit « C’est l’absence de pardon qui entraîne la guerre ». La deuxième partie du forum pouvait maintenant commencer.

« La qualité principale d’un théâtre qui s’adresse au peuple doit être au contraire la clarté permanente : il faut qu’il puisse atteindre, sans détours ni mystification, le spectateur dans son intelligence et dans sa sensibilité. 145 »

« Le vote du fétiche » touche intelligemment le spectateur, et lorsqu’il consent à l’émouvoir c’est par le raisonnement, la pensée et non par la grâce au lien d’empathie qui n’a d’émotion qu’abstraite. La principale qualité populaire d’une représentation théâtrale devrait résider là.

3.3 Résumé de la pièce « La folie de l’or» ou « A qui profite l’or ? »

A la demande du Mouvement Burkinabé des droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP), l’Atelier Théâtre Burkinabé a créé une pièce forum sur l’exploitation minière au Burkina Faso.

L’intrigue de la pièce « La folie de l’or» ou « A qui profite l’or ? »se focalise sur un deal de cyanure qui tourne au drame lorsque l’enfant d’un orpailleur croyant boire du jus de bissap décède après avoir ingurgité ce produit toxique.

La pièce démarre par une réunion à laquelle participent les responsables miniers, le maire, le syndicat, la société civile et les orpailleurs. Au cours de cette réunion, les responsables des sites d’exploitation minières, essayent de contribuer au développement du village. Ils montrent le forage qu’ils ont construit au bénéfice de la population de la zone concernée par les exploitations. Cependant, une bonne partie de la population tire à boulets

145 Augusto Boal, Op.cit., p.145

164 rouges sur les responsables miniers leur signifiant clairement que leurs apports sont insignifiants. Certaines personnes, en l’occurrence le maire de la commune sont de connivence avec l’action des exploitants. Au sein de la population, des individus obsédés par les lingots d’or vendent le cyanure de façon frauduleuse.

3.4 Résumé de la pièce « Le cri des enfants »

La pièce « le cri des enfants » est une création collective de l’Atelier Théâtre Burkinabé. Elle se subdivise en cinq scènes.

La première scène se passe dans une cour comme dans toutes les concessions en Afrique. Le chef de famille, Alidou et sa femme, Fati ont deux filles : Rabi et Adjara. Ces deux dernières ont arrêté de fréquenter l’école à la demande de leur père. Un de leurs oncles nommé Boureima, un trafiquant d’enfants vient proposer aux parents d’envoyer les deux filles en ville afin de les inscrire dans un centre de formation dont lui-même serait le propriétaire. Alidou, le père, très sceptique, refuse. Sa femme, Fati, par contre est d’accord pour que les enfants âgées d’au moins quatorze ans aillent en ville.

La deuxième scène se passe en ville chez Claude où Rabi est confiée à ce dernier qui devient son patron. Elle exécute tous les travaux domestiques. Elle regrette déjà sa venue en ville ; le village devient nostalgique pour elle.

Dans la scène 3, nous sommes chez la patronne de Adjara, la sœur de Rabi. Elle est aussi domestique dans une cour où elle est martyrisée par sa patronne, Iguette, une véritable sorcière. Adjara effectue tous les travaux mais Iguette n’est jamais satisfaite. Elle est battue tous les jours jusqu’à ce qu’elle a un doigt cassé. Le mari de Iguette, Maxime décide de l’envoyer au dispensaire pour la faire soigner. Adjara est soutenue dans sa souffrance par le fils de

165

Iguette, Stéphane. Malgré tout, elle décide de dénoncer Iguette à l’association « Den Kadi » qui s’occupe des enfants maltraités.

Dans la scène 4, Boureima, l’escroc écrit des lettres aux parents des enfants pour les rassurer que leurs enfants vont bien dans le meilleur des mondes possibles en ville. Un de ses complices, Seydou lui apporte de l’argent issu du placement des filles. Après lui, Solo fait son apparition sur la scène. C’est un gérant de maquis, il vient solliciter quatre grandes filles avec de gros postérieurs pour aguicher ses clients dans son maquis. Boureima ne crache pas dessus ; il accepte et multiplie le prix de chaque fille par quatre.

Dans la cinquième et dernière scène, l’irréparable se produit chez Claude. Rabi est violée par ce dernier. Elle est délaissée dans un état lamentable par Claude qui a pris la clé des champs.

La pièce, « le cri des enfants » est une pièce qui vise à sensibiliser les gens sur les pires formes de travail des enfants. Le Burkina Faso est partie prenante de la convention internationale interdisant le travail des enfants. Cependant, cette pratique est toujours d’actualité dans nos contrées et est loin d’être éradiquée.

3.5 Résumé de la pièce« Le procès du maire »

Le « procès du maire » est une pièce de théâtre procès sur la décentralisation, écrite et mise en scène par Prosper Kompaoré. Elle comporte trois tableaux.

Comme résumé succinct, on peut retenir que monsieur Barry Abdoul Moctar, maire de la commune de Kalabougou est accusé par monsieur Tarnagda César, Président de la Fédération paysanne de Kalabougou d’avoir eu des comportements et des agissements malveillants ayant entraîné la ruine

166 et la faillite de plusieurs membres de la Fédération par suite d’un refus d’accorder une autorisation à ce groupement afin qu’il puisse tenir une foire agricole. Le juré est composé du greffier de la cour, de la Présidente du tribunal, du Procureur de la République qui fait office d’avocat à la partie civile, représentée par monsieur Tarnagda César et l’avocate de la défense de monsieur le maire.

Le processus de la décentralisation entamé depuis les années 2000 au Burkina Faso connait toujours quelques fortunes diverses. En effet, le chevauchement des deux autorités, le maire au niveau communal et le préfet, au niveau départemental est source d’incompréhensions chez les administrés qui ne savent pas toujours à qui se confier administrativement.

Le préfet est le représentant du Président du Faso dans le département. Son pouvoir s’étend seulement dans le territoire départemental. Tandis que le maire est élu parmi les conseillers et voit son territoire s’étendre sur le territoire communal jusqu’au dernier hameau de culture. C’est donc face à cet imbroglio administratif qu’on assiste très souvent à des dysfonctionnements de gouvernance. C’est d’ailleurs ce qui justifie l’écriture de cette pièce de théâtre pour sensibiliser les administrés sur les services qu’offre l’administration.

Dans le théâtre procès, la pièce-prétexte prend fin sans que les jurés ne prononcent la sentence finale. A noter que le public fait parti du jury et chaque spectateur peut s’exprimer sur les différents protagonistes avant que le verdict ne soit prononcé. Sous la direction du joker et de la Présidente du Tribunal, les débats s’engagent et ceux qui veulent prendre la parole pour les défendre se mettent à côté de la défense pour soutenir le maire de Kalabougou, monsieur Barry Abdoul Moctar, et les autres du côté du Procureur pour appuyer les plaignants à savoir la Fédération Paysanne de Kalabougou représentée par monsieur Tarnagda César.

167

A tour de rôle, les spectateurs endossent la tenue d’avocat ou de procureur pour s’exprimer. Le Président du Tribunal, le joker, et éventuellement les spécialistes de la décentralisation ou du droit peuvent, par moment, intervenir pour apporter des précisions par rapport au scénario ou aux textes réglementaires.

Lorsqu’on a fini de faire le procès de tous les personnages appelés à la barre, la séance de délibération du jury est terminée.

Le jury préalablement constitué donne la sentence finale, dans le procès qui oppose monsieur le maire, Barry Abdoul Moctar au Président de la Fédération paysanne de Kalabougou, monsieur Tarnagda César

4. La ritualisation dans le discours

« La pertinence du discours théâtral ne s’impose pas seulement autour des endroits pré-déterminés, où des acteurs reconnus comme tels se montrent devant un public de spectateurs pour « représenter des jeux scéniques ». Ils font des expressions corporelles appropriées et des dialogues alternés qui s’ordonnent selon une syntaxe précise de la théâtralité.146 »

Le théâtre repose essentiellement sur le discours. Que ce soit du théâtre d’auteur classique ou du théâtre d’intervention sociale, l’essentiel c’est le message que les acteurs transmettent aux spectateurs. Le message peut provenir bien entendu de la parole ou de la gestualité. Il peut être codé ou pas et cela nous amène à définir le rituel dans le langage théâtral.

« La ritualisation est le procédé symptomatique le plus sûr de la théâtralisation. En effet, la ritualisation implique à la fois la

146 Pius Ngandu Nkashama, Théâtres et scènes de spectacle, Etudes sur les dramaturgies et les arts gestuels , Harmattan, Paris, 1993, p.11

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répétitivité des gestes, des paroles et des comportements, la sacralisation ontologique de l’acte d’illocution théâtrale, l’ostentation du cérémonial et des attributs extérieurs des impétrants (costumes, accessoires, chants, musiques, couleurs, odeurs…), la communion émotionnelle des initiés représentant la communauté des fidèles spectateurs. 147 »

Le théâtre africain est une fête. Une fête où tout le monde est convié, amis, parents, voisins, tout le monde se rue pour recueillir la quintessence du message. La ritualisation dans le discours consiste donc à mélanger le langage verbal, c'est-à-dire les répliques, et le langage non verbal, les mouvements et les gestes.

« Le discours verbal est une donnée très importante de l’œuvre dramatique, en ce sens qu’il permet de mieux appréhender le texte et le jeu des acteurs et facilite également la compréhension de l’histoire de l’œuvre. 148 »

L’objectif principal du théâtre d’intervention sociale étant la sensibilisation des masses laborieuses, le discours théâtral revêt un caractère essentiel dans la transmission du message.

Intéressons-nous à présent au cadre physique des représentations théâtrales.

5. Eléments matériels de la mise en scène

« La mise en scène assure un lien, hautement « socialisé », et parfois personnalisé dans la fonction du metteur en scène, entre le texte et le public à atteindre intellectuellement et émotionnellement. Cette mise

147 Prosper Kompaoré, Faire du théâtre pour développer , Ouagadougou, Editions ATB, 1998, p.14 148 Pingdewindé Issiaka Tiendrébeogo, Quelques traits esthétiques de l’écriture dramatique de Jean Pierre Guingané, Mémoire de D.E.A, Université Ouaga I Pr Joseph KI-ZERBO, juin 2015, p.51

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en rapport oblige à tenir compte de l’évolution du public, du contexte social, de la fonction changeante du théâtre. 149 »

La notion de la mise en scène a donc été introduite dans la seconde moitié du XIXème siècle et son utilisation remonte dans les années 1820.

La mise en scène est selon la définition d’André Antoine (considéré en France comme le premier metteur en scène) « l’art de dresser sur les planches l'action et les personnages imaginés par l’auteur dramatique ».

C’est l’ensemble de toutes les dispositions relatives à l’action, aux mouvements isolés ou concertés des acteurs, aux incidents qui doivent se produire autour d’eux, aux meubles, objets accessoires, etc. La mise en scène, réglant les moindres détails, a pour effet d’assurer le jeu de chaque acteur et l’harmonie générale de l’exécution. On n’arrive à ce résultat qu’au prix de beaucoup d’habileté et d’expérience, par de nombreuses répétitions et la confiance mutuelle que donne aux acteurs l’habitude de jouer ensemble.

Par extension, une « mise en scène » est la préparation d'événements coordonnés avant leur accomplissement effectif.

Au sens large, on peut parler de mise en scène pour souligner l’aspect d’un événement qui n’est pas spontané.

En rappel, dans Dictionnaire du théâtre , Patrice PAVIS reprend la définition de la mise en scène d’André VEINSTEIN qui nous paraît assez complète :

« Dans une acception large, le terme mise en scène désigne l’ensemble des moyens d’interprétation scénique : décoration, musique, éclairage et jeu d’acteurs (…) Dans une acception, étroite le

149 Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Edition Dunod, Paris, p.331

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terme mise en scène désigne l’activité qui consiste dans l’agencement, en un certain temps et en un certain espace de jeu, des différents éléments d’interprétation scénique d’une œuvre dramatique. 150 »

Pour paraphraser Jacques Scherer, en Afrique la mise en scène a connu des balbutiements à son début. Elle était perçue au départ comme une forme de valorisation du langage parlé et les autres constituants comme la musique n’étaient pas forcément mis en exergue. Et même si on intégrait la musique, on la retrouvait d’un côté et le texte de l’autre. Mais petit à petit, les metteurs en scène africains vont remettre en cause cette manière de faire, et on assistera à un savant dosage de la musique, de la danse et du langage dans le théâtre africain.

Pour Antonin Artaud 151 , la mise en scène est dans une pièce de théâtre la partie véritablement et spécifiquement théâtrale du spectacle. C’est la transformation ou la concrétisation du texte, à travers l’acteur et l’espace scénique, dans une durée vécue par les spectateurs.

« La mise en scène a acquis désormais ses lettres de noblesse dans le domaine de l’art dramatique. La création dramatique est l’œuvre du metteur en scène tout comme le texte dramatique est l’œuvre d’un écrivain. La mise en scène a conquis son autonomie propre. Chaque époque possède son style de mise en scène. Toutes ces assertions ont certes un fond de vérité, mais de par leurs énoncés schématiques, elles ne traduisent pas la réalité complexe du phénomène de la création théâtrale. Cependant sur la base de leur portée générale, les tenants de l’opposition entre Tradition et Modernisme distinguent partout en Afrique un style de mise en scène traditionnelle et un style de mise en

150 André Veinstein, La mise en scène théâtrale et sa condition esthétique , cité par Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre , p.210 151 Antonin Artaud, Le théâtre et son double , cité par Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre , p.210

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scène moderne du théâtre africain. Et ils pensent qu’avec le passage de l’Afrique traditionnelle à l’Afrique moderne, le style de mise en scène moderne atteindra son apogée. Si nous pouvons accréditer l’idée d’une amorce de mutation en Afrique vers un prétendu modernisme, il reste que nous ne pouvons mettre cette mutation au compte des lois internes propres à l’Afrique des peuples, mais de l’agression et de la domination coloniale et néo-coloniale. Le théâtre africain moderne, on le sait est sorti du moule des institutions scolaires et missionnaires patronnées par les régimes coloniaux puis néo-coloniaux. Son style de mise en scène n’a presque rien d’africain et il rêve inlassablement d’atteindre aux hautes cimes de l’universel. Ces considérations valent pertinemment pour le théâtre moderne voltaïque. 152 »

Le théâtre d’intervention sociale et plus particulièrement le théâtre forum se démarque d’une mise en scène où les fondements esthétiques se trouveraient du côté de l’Occident puisqu’il réfute l’utilisation de la scène à l’italienne ou de méthodes modernes de mise en scène. Son espace théâtral de prédilection est l’espace ouvert c'est-à-dire la place du village ou la cour de l’école, endroits d’interaction entre les différentes communautés villageoises. C’est un espace socialisé. Le caractère dynamique et les dimensions compressibles et extensibles militent en faveur de ce type d’espace.

D’ailleurs, nous pouvons distinguer deux catégories de metteurs en scène au Burkina Faso. Nous avons les metteurs en scène qui ont reçu une formation théâtrale et ceux qui ont appris le métier dans le tas par le sens de leur organisation. Cependant ces deux catégories de metteurs en scène

152 Jean-Claude Ki, Op.cit. ; p.137

172 mettent l’accent sur le côté social et esthétique de la représentation théâtrale.

Privat Roch Tapsoba a dégagé deux positions esthétiques qui se partagent les faveurs des metteurs en scène :

« 1.) La position de ceux qui croient à une expression par le jeu des acteurs.

2.) La position de ceux qui vont plus loin en recourant aux traditions pour présenter une nouvelle dramaturgie (même si des insuffisances sont relevées).

Ces deux écoles sont très largement répandues au Burkina Faso pour couvrir ou répondre à un panorama de lieux scéniques.153 »

L’Atelier Théâtre Burkinabé utilise plusieurs lieux scéniques pour ses représentations. Ses prestations se déroulent généralement dans les espaces publics (marché, école, terrain de football…) ou dans des endroits fermés comme l’espaces ATB, les Centres culturels. Pour mieux répondre au besoin de son public, l’ATB procède à une recherche sérieuse au niveau de la mise en scène. C’est pourquoi nous sommes d’avis avec Bernard Dort quand celui-ci affirme que :

« C’est dans un rapport constant avec son public (…), c’est en tenant compte des besoins et des particularités de son milieu d’implantation qu’un animateur aujourd’hui fait du théâtre. 154 »

153 Privat Roch Tapsoba, Op.cit.; p.243 154 Bernard Dort, Théâtre, Editions Seuil, Paris, 1986, p.19

173

6. Les cadres physiques et contextuels des représentations théâtrales

6. 1.La lumière

« Au terme d’éclairage se substitue de plus en plus dans la pratique actuelle, celui de lumière, probablement pour indiquer que le travail de l’éclairagiste n’est pas d’éclairer un espace obscur, mais plutôt de créer à partir de la lumière. L’allemand Lichtregie (mise en scène de la lumière) ou l’anglais lichting design (dessin des lumières) insistent également sur le rôle focalisateur de la lumière dans la mise en scène….Appia notait pourtant déjà, au début du siècle, l’importance de la lumière mise au service de l’acteur : « la lumière est d’une souplesse presque miraculeuse. Elle possède tous les degrés de clarté, toutes les possibilités de couleurs, telle une palette, toutes les mobilités ; elle peut créer des ombres, répandre dans l’espace l’harmonie de ses vibrations exactement comme le ferait la musique. Nous possédons en elle toute la puissance expressive de l’espace si cet espace est mis au service de l’acteur. 155 »

Les fonctions dramaturgiques ou sémiologiques de la lumière sont diverses : elle éclaire ou commente une action, isole un acteur ou un élément de la scène, crée une atmosphère et rythme le spectacle.

Cependant, nous sommes au regret de le dire,le théâtre d’intervention sociale rencontre des problèmes d’éclairage en ce sens que ce type de théâtre se produit généralement dans les milieux ou espaces ouverts qui se situent dans les zones rurales. Nous notons l’absence de la lumière électrique. Il ne reste que la lumière du jour, les lampes à pétrole ou de feu de bois. Alors que l’exploitation des lampes à pétrole ou de feu de bois à des fins spécifiquement théâtrales ne semble pas faire l’unanimité au sein

155 Patrice Pavis, Op.cit; p.111

174 des hommes de théâtre. Même là où il y a de la lumière électrique, son rôle se limite généralement à éclairer la scène. Le rôle de la lumière dans le théâtre forum n’est pas de créer des effets spéciaux comme on se croirait dans un théâtre d’auteur qui utiliserait les techniques modernes comme la répartition de la scène à travers différentes lumières ou tout simplement la scène à l’italienne. Par conséquent, l’utilisation de la lumière pour matérialiser un espace ou un objet ou pour la dramatisation d’un lieu n’est pas de coutume au théâtre d’intervention sociale. En cela, il faut ajouter l’absence de salle bien équipée et les moyens modestes des troupes qui ne permettent pas de développer davantage l’utilisation de la lumière.

Les spectacles de théâtre forum se déroulent généralement dans la soirée, quand le soleil commence à perdre un peu de sa force et quand les paysans se mettent sous l’ombre de l’arbre à palabre pour échanger de leurs problèmes quotidiens.

6.2 Le son

Contrairement à la lumière, le son connait une application des plus distinctes au théâtre. D’abord, le premier fait marquant du son est l’intervention de la voix des acteurs. Les cordes vocales renvoient à plusieurs registres de son. Au théâtre forum, en plus de l’utilisation des microphones pour amplifier la voix des acteurs, ceux-ci font un effort dans la production du son par leurs cordes vocales. Le spectacle se passant dans un espace scénique ouvert, toutes les interactions acteurs-publics s’entrecroisent. L’application par les acteurs d’une bonne diction et d’une bonne prosodie est nécessaire pour répondre à l’appel des spectateurs.

En outre, quand la représentation a lieu dans une salle qui n’est pas adaptée sur le plan acoustique, on notera l’existence d’une cacophonie entre les acteurs et les spectateurs qui ont souvent du mal à s’entendre et à se comprendre. Les

175 acteurs sont obligés d’utiliser des haut-parleurs branchés sur des microphones montés sur pieds sur la scène. En ce moment, l’occupation scénique devient très restreinte puisque chaque acteur dispose d’un petit espace pour dire son texte. Le jeu d’acteur devient biaisé, sinon inexistant. Le matériel de sonorisation au lieu de rendre un service au jeu dramatique, concourt à son annihilation. La pièce « La folie de l’or »illustre bien ce que nous disons. De gauche à droite nous avons les comédiens et comédiennes qui inaugurent l’implantation de la pompe remise par la société minière « Sanam Koom ». Un peu plus bas, nous avons le microphone monté sur pieds sur la scène et qui ne permet pas aisément le déplacement des acteurs.

Source : TIENDREBEOGO P. Issiaka, « La folie de l’or»

6.3 Décors, costumes et accessoires

Le théâtre forum se fait remarquer par une étonnante sobriété dans la mise en scène. Cela est, selon nous, un apportdu théâtre d’intervention sociale aux

176 pratiques théâtrales. Le lieu dramatique se matérialise par un procédé de dénucléarisation successive. La scène débute et se termine par le même fond. Le spectateur qui n’est pas habitué au départ, prend goût au fur et à mesure que le spectacle avance. Lui, qui est habitué à un espace plein est étonné par la nudité de l’espace scénique. Le lieu scénique devient dynamique à travers le jeu de l’acteur associé à l’objet symbole qui invite à la réflexion.

« Pour le théâtre pour le développement, il est important que soit privilégié le jeu de l’acteur. Le décor est jugé superflu, sinon inhibiteur et nocif puisqu’il peut réduire l’espace du jeu. 156 »

Est-il vraiment nécessaire de revenir sur la description du décor ? Cette question peut paraître assez anodine puisqu’il n’en existe pratiquement pas au théâtre forum. Pour reprendre les propos de Jacques Scherer, le décor quant à lui était très simple et se réduit généralement à des simples signes au point où il pousse jusqu’au paradoxe en affirmant que le décor de toute pièce de théâtre africaine sérieuse ou comique, est construite par cinq chaises. Les objets peu animés sont généralement inertes car pour lui, les Africains ont tendance à sacraliser de façon mécanique les objets, à leur investir d’un pouvoir religieux sans que ces objets n’aient obligatoirement une intrigue particulière.

Intéressons-nous à présent au costume.

« Le costume comprend tout objet, en dehors du masque et de la coiffure, dont le comédien se revêt pour se présenter en scène : vêtements, bijoux et même certains accessoires, qui, dans un code culturel donné font partie de l’équipement banal. 157 »

Comme le silence est parole, l’attitude mouvement, la nudité est costume au théâtre et dans le contexte socioculturel actuel. Roland Barthes

156 Koulsy Lamko, Op.cit., p.110 157 G. Girard, R. Ouellet, C. Rigauld, Critica, L’univers du théâtre , p.65

177 propose que le costume soit « un argument », ayant « une forte valeur sémantique », donnant à déchiffrer « des idées, des connaissances ou des sentiments ». La démarche de Brecht lui paraît exemplaire ; le costume, à sa place dans la panoplie des langages dramatiques, contribue à relever le « gestus social », « schème historique particulier qui est au fond de tout spectacle. » Le costume peut recourir à un code symbolique totalement arbitraire.

Les costumes nous renseignent, par conséquent sur les personnages. Ils déclinent l’identité du personnage à savoir son statut social, sa culture, sa fonction et son rôle dans le texte. Pour paraphraser Prosper Kompaoré, le costume révèle une fonction utilitaire ou pragmatique ou une fonction symbolique. Nous aurons l’occasion de revenir sur la typologie des personnages du théâtre forum où nous relèverons les personnages récurrents dans le jeu dramatique.

En plus de son rôle de caractérisation du personnage, le costume est utilisé de la même manière au jeu comme un accessoire. Invitons une fois de plus Patrice Pavis pour étayer notre propos :

« Dans la mise en scène contemporaine, le costume joue un rôle de plus en plus important et varié, devenant véritablement cette « deuxième peau de l’acteur » dont parlait TAIROV, au début du siècle. C’est que le costume, toujours présent dans l’acte théâtral comme signe même du personnage et du déguisement, s’est longtemps contenté d’un rôle simplement caractérisant pour vêtir l’acteur selon le vraisemblable d’une condition ou d’une situation. Aujourd’hui, le costume prend, au sein de la représentation, une place beaucoup plus ambitieuse, il multiplie ses fonctions et s’intègre au travail d’ensemble sur les signifiants scéniques. Dès qu’il apparait en scène, le vêtement

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devient costume de théâtre : il est soumis à des effets de grossissement, de simplification, d’abstraction et de lisibilité. 158 »

Qu’en est-il des accessoires ?

« Objets scéniques (à l’exclusion des décors et des costumes) que les acteurs utilisent ou manipulent au cours de la pièce. Très nombreux dans le théâtre naturaliste qui reconstitue un milieu avec tous ses attributs, ils tendent, aujourd’hui, à perdre leur valeur caractérisante pour devenir des machines à jouer ou des objets abstraits. Ou bien alors, ils se transforment, comme dans le théâtre de l’absurde (chez Ionesco en particulier) en objets-métaphores de l’envahissement du monde extérieur dans la vie des individus. Ils deviennent des personnages à part entière et finissent par envahir totalement la scène. 159 »

A ce niveau, il faut avoir le courage de dire que le théâtre forum à l’image du théâtre pauvre de Jerzy Grotowski brille par la sobriété dans l’utilisation des accessoires. Par exemple, dans une pièce comme « La folie de l’or », les accessoires utilisés sont une pompe, une natte et un tabouret.

6.4 Les gestes et les mouvements

Le geste se définit comme toute attitude corporelle animée ou non. Cependant, il faut le distinguer du mouvement car le mouvement suppose déplacement dans l’espace avec occupation successive possible de plusieurs aires. Le geste acquiert une importance qui dépasse son statut de simple élément du langage. Il est à ce propos :

158 Patrice Pavis, Op.cit. ; p.72 159 Patrice Pavis, Op.cit. ; p.2

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« Ce qui par excellence, échappe au primat du discours verbal, ce qui est radicalement autre. D’où son importance stratégique, et la tentation qui se dessine d’envisager le théâtre comme le lieu du geste, le lieu où pourrait se saisir un texte premier, qui ne devrait rien au langage parlé, lieu souterrain qui est aussi le lieu du fantôme et qu’on pourrait appeler le corps. 160 »

La gestualité est différente du geste car elle se rapproche plutôt du système d’expression du danseur, tel qu’on le conçoit habituellement.

L’importance rendue au geste vient sans doute de ce que, si l’on excepte la parole, le geste est le système de signes théâtraux au vocabulaire le plus vaste et le plus souple.

« Le geste peut se définir par le rôle qu’il joue dans l’univers fictionnel et sa représentation. Il peut avoir une fonction pragmatique ou une valeur symbolique. 161 »

A titre illustratif, les bras s’élevant au dessus de la tête peuvent indiquer une aspiration à l’infini.

Les gestes constituent par conséquent des paroles théâtrales mêmes s’ils ne sont pas perçus comme tels. Leurs présences sont indispensables dans le texte car ils expriment les sentiments des personnages du texte et permettent une bonne compréhension du texte par les lecteurs.

Quant au mouvement, nous pouvons dire que comme le geste, il est un des modes de l’expression corporelle, et il comporte aussi un double aspect statique et dynamique, sous forme de place occupée dans l’espace théâtral et de déplacement à l’intérieur du lieu scénique ou vers l’extérieur.

160 Régis Durand, Sémiologie de la représentation , Bruxelles, Editions Complexe, 1975, p.118 161 G. Girard, R. Ouellet, C. Rigauld, Critica, L’univers du théâtre , p.48-49

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Le mouvement permet au personnage de délimiter son territoire dans l’espace grâce à la plus ou moins grande amplitude de ses déplacements, grâce aussi à la forme de la figure géométrique dessinée au cours d’une représentation.

Qu’en est-il donc du jeu des acteurs ?

7. Jeu d’acteur et interaction acteurs-spectateurs dans le jeu d’acteur

Nous allons nous pencher sur l’étude du jeu d’acteur de la représentation « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou» en comparant les personnages masculins et féminins et en nous attardant sur le décor.

7.1 Etude de la corporalité de l’acteur dans « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou»

L’acteur est au centre de la mise en scène et au cœur de l’évènement théâtral mais, c’est une composante difficile à saisir. Il est le lien vivant entre le texte, les directions du metteur en scène et l’écoute du spectateur.

« L’acteur, formé dans le sens qu’implique le théâtre psychologique : l’empathie, se retrouve très souvent au carrefour de regrettables contradictions. Victime de l’opinion qui veut que « l’acteur incarne son personnage » il s’évertue à « entrer dans la peau » de celui-ci, à se confondre avec lui. Pure vanité que cette recherche dont les revers psychologiques sont bien connus ! Les méthodes stanislavskiennes de formation, privilégiant l’introspection sont mal exploitées et finissent par réduire le jeu à une imitation servile de la réalité. Il va sans dire qu’une telle conception du jeu théâtral inhibe la créativité de l’acteur qui devient simple exécutant des lubies du metteur en scène tout puissant.

181

Les études sur les jeux traditionnels révèlent pourtant une forte adhésion des acteurs à un type d’interprétation dominé par la monstration. Les acteurs dodo (sorte de théâtre traditionnel qui dramatise récits, mythes et contes) utilisent des masques figurants des animaux pour interpréter les personnages… La théâtralité est évidente, sans détours 162 .»

Le théâtre d’intervention sociale va par conséquent chercher ses techniques de jeu d’acteur dans le milieu social auquel il est rattaché. Intéressons-nous au jeu d’acteur dans la pièce « Les œufs du barrage de Benbaléyadougou».

La pièce est divisée en neuf(09) scènes de longueurs différentes.

A titre illustratif, la scène 3 où Lamine, le peulh et l’enseignant discutent, et la scène 8 consacrée au choix du site du barrage sont relativement longues aux scènes 1 et 6 respectivement chez Moussa et la corruption du conseiller Modibo par l’entreprise « Eau vive ».

Les variations introduites dans le jeu d’acteur et dans les dialogues sont beaucoup plus perceptibles à partir de la scène 3où l’enseignant, Lamine et le peulh sortent le grand jeu.

A la scène 5, dans la cour du conseiller Moussa, Lamine, à travers une grande psychologie et Awa à travers les émotions qu’elle extériorise ont su communiquer leurs sentiments au public.

Les répliques étaient également sans ambigüité excepté le changement de rôle du conseiller Moussa joué d’habitude par COMPAORE Mohamed et repris deux fois par ZERBO Noufou qui ne maitrisait pas totalement le moore d’où quelques interférences linguistiques.

162 Koulsy Lamko, Op.cit. ; p.112

182

L’aisance sur scène, la maitrise du texte, l’expression facile, l’occupation spatiale de la scène ont été irréprochables et ont produit un effet sur les mentalités des spectateurs qui ont pris l’engagement de s’impliquer dans la gestion de leur commune.

Des dix(10) personnages qui ont pris part à la représentation, on a dénombré six(06) hommes et quatre(04) femmes.

Parmi les personnages féminins, deux étaient visibles dans la plupart des scènes : C’est Kadi, madame le Maire, à l’état civil TRAORE Assita et Awa, la femme du conseiller, à l’état civil OUEDRAOGO S. Chantal.

Elles ont su selon nous allier professionnalisme et dynamisme pour passer le message qu’incarnait leur personnage. Illustrons par une photo avec Madame le Maire et ses deux conseillers municipaux diamétralement opposés. A gauche le conseiller Moussa, travailleur et soucieux de l’avenir de sa commune. À droite le conseiller Modibo, prêt à tout pour ruiner sa commune. C’est ce qui explique l’espace qui existe entre lui, Madame le Maire et le conseiller Moussa.

Source : TIENDREBEOGO P. Issiaka, « Les œufs du barrage de Benbaléyadougou»

183

Tandis que trois(03) personnages masculins faisaient feu de tout bois dans les scènes. Ce sont : le conseiller Modibo, Lamine et le peulh.

Ces personnages à travers une bonne gestion de l’espace scénique, les mimiques, la gestuelle, leurs accoutrements et la bonne diction des répliques ont fait la notoriété de la pièce.

A titre illustratif, le peulh de son vrai nom CARA Maxime a su rentrer dans son personnage de peulh et a incarné le parfait peulh à travers son verbe et son habillement.

Aussi dans la scène 5, Lamine, gesticulant en aparté, a influencé la décision de son frère, le conseiller Moussa en dialogue avec sa femme Awa sur les œufs que ses frères du village lui ont apportés.

En somme nous retenons que Kadi, madame le maire, et Awa, côté femme ont su bien jouer leurs rôles malgré les pesanteurs socio-culturelles qui pèsent sur elles du fait de leur sexe. C’est la preuve que les femmes peuvent faire également ce que font les hommes.

Elles ont eu du charisme et de la personnalité dans la pièce, ce qui fait d’elles de grandes actrices de théâtre.

Au-delà de ces cinq(05) personnages, il faut dire que tous les acteurs ont été complémentaires dans le succès de la représentation. Une pièce n’est pas seulement quelques comédiens d’une troupe mais toute une équipe dont les membres sont complémentaires.

Parler de la mise en scène, c’est d’abord parler de l’écriture de la pièce. C’est une pièce classique avec neuf scènes.

184

Nous avons noté que le choix de la couleur noire pour les trois rideaux n’est pas gratuit. Il pourrait traduire le destin sombre qui accompagne la gestion des communes et partant de la mal gouvernance.

Le noir est la couleur des ténèbres et du malheur. Ce qui fait qu’il sied au contexte de fatalité dans la pièce.

A la vue de cette pièce on note que le metteur en scène a travaillé avec des professionnels et des semi professionnels. Cela se ressent à la vue de la pièce.

Aussi nous pensons qu’au-delà du texte, le metteur en scène a donné carte blanche aux comédiens de s’accorder et de pouvoir improviser toutes les fois qu’ils ont l’occasion.

Par exemple le changement de rôles entre Mohamed et Noufou et entre Sylvie et Zoénabo en est une belle illustration. Ce sont des variantes d’une représentation à l’autre.

Nous avons défini précédemment la ritualisation comme étant un processus qui consiste à développer des comportements et des attitudes selon une chronologie figée et des modalités d’exécution répétitives, nous allons faire le parallèle avec la représentation « Les œufs du barrage de Benbaléyadougou».

A travers cette définition nous pouvons relever des éléments rituels dans la pièce « Les œufs du barrage de Benbaléyadougou» avec la répétitivité de certaines actions. Par exemple on a la communion du chant introductif et l’extase émotionnelle avec le public dans la scène 8 quand le village de Benbaléyadougou fut retenu comme site de construction du barrage. Nous proposons une photo du chant introductif pour mesurer la portée de cet élément au théâtre forum.

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Source : TIENDREBEOGO P. Issiaka, « Les œufs du barrage de Benbaléyadougou»

De la droite vers la gauche, nous avons à l’état civil, ZerboNoufou, Mohamed Compaoré derrière lui, Lamine Kaba, un peu devant Issouf Sawadogo, Sylvie Tapsoba, derrière elle, Assita Traoré, Zenabo Ouédraogo et Chantal Ouédraogo ferme la marche.

Prosper Kompaoré nous montre l’importance du rituel des salutations dans le théâtre d’intervention sociale :

« Cette séquence de salutations est importante. La troupe salue le public en langue nationale « bonsoir » dans un premier temps, le public non averti répond timidement ; les acteurs stimulant l’offuscation, font mine de se retirer ; le joker intercède pour le public, et promet en leur nom qu’il répondra au mieux la prochaine fois. On reprend la salutation, cette fois en entrant avec plaisir dans le jeu. 163 »

163 Prosper Kompaoré, Impact socio-culturel du théâtre forum, Communication, Ouagadougou, Octobre 1993.

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Le chant introductif et les salutations se présentent ainsi comme un pacte, un engagement entre les acteurs et les spectateurs.

Pour ce qui est des costumes, nous avons noté l’utilisation de plusieurs types de costumes par le metteur en scène et cela revêt pour nous un intérêt capital dans la compréhension de la scène. Ne dit-on pas qu’en fonction des contextes, le costume révèle une fonction utilitaire ou pragmatique ou une fonction symbolique ?

Nous répondons par l’affirmative en ce sens que si nous prenons un personnage comme madame le maire, à sa vue, on croirait voir un maire comme on a l’habitude de le voir dans les mairies.

Que dire des accoutrements de Lamine ? Magnifique car il représente le parfait vendeur de boissons frelatées sans foi ni loi. Ces accessoires vestimentaires complètent et renforcent le sens de ses costumes.

Monsieur Hyppolite COMPAORE incarne l’enseignant idéal avec sa veste trois poches qu’on qualifie de « Qui n’est pas député ? »A ce titre son habillement indexe son statut social, d’enseignant, d’homme exemplaire.

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Source : TIENDREBEOGO P. Issiaka, « Les œufs du barrage de Benbaléyadougou»

7.2 La sémiologie du comportement

La sémiologie du comportement révèle deux types de personnages dans les pièces de théâtre forum. Il s’agit du pôle de l’oppresseur et du pôle de l’opprimé. Les personnages qui relèvent du pôle de l’oppresseur ont un comportement généralement très violent. Ce sont les détenteurs du pouvoir. Ils se caractérisent par une forte dose de sadisme. Ces personnages sont généralement les féticheurs, les conseillers municipaux indélicats, le parvenu, le faux type et l’ancien combattant. Par leurs mauvais comportements, ils

188 freinent le développement de la cité. A l’opposé, nous avons le pôle des agressés ou opprimés. Ils sont martyrisés par leurs bourreaux. Ce sont généralement les femmes ou les intellectuels diseurs de vérité. La sémiologie du comportement des personnages permet de mettre à nue le comportement irresponsable et irrévérencieux des oppresseurs sur les opprimés, des opposants aux adjuvants.

Par ailleurs l’approche comparative des personnages dans la représentation « le vote du fétiche » permet de voir concrètement la manifestation du conflit en personnages dominants et personnages dominés.

Tableau comparatif des personnages dans « Le vote du fétiche » Les dominants Les dominés Rourougou, candidat au poste de Poko, candidate au poste de conseiller municipal conseillère municipale Le féticheur Jantigui Guésbeogo, l’intellectuel Le Président du Parti les Flamboyants La femme de Tangpooré Le père de Poko Pagnaaba, Présidente des femmes

A l’aune de ce tableau, nous pouvons dire qu’effectivement, les dominés sont généralement les femmes et les enfants. Ce sont des personnes très vulnérables que leurs bourreaux profitent étrangler dans le silence. Tant qu’ils ne prennent pas les armes, ils ne peuvent pas se libérer de leurs oppresseurs. Ce sont ces constats qui amènent Koulsy Lamko à tirer cette conclusion sur les personnages du théâtre d’intervention sociale :

« La pièce de théâtre pour le développement présente des personnages issus du quotidien (femme, père, instituteur, chef de village, villageois, responsable de la commune, étudiant, jeune fille, sorcier, guérisseur, infirmier, etc.…) L’approche réaliste que l’on rencontre dans la partie pièce-prétexte nous met en présence de personnages incarnés en bute parfois à un traitement psychologisant.

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Dans cette première partie qui poursuit l’adhésion du public par identification, les personnages doivent être clairement définis pour éviter toute confusion. Leur identité sociale, leurs liens avec les autres protagonistes, leurs motivations profondes, avouées ou sous-jacentes doivent être bien perceptibles. Ni caractères, ni rôles, ni types, les personnages du théâtre pour le développement sont envisagés plutôt comme des conditions au sens où l’entend Diderot. Ils sont saisis à travers leur statut social, leur métier, leur idéologie, leurs conditions de vie au regard de la stratification sociale. 164 »

Nous avons pu noter dans les représentations étudiées une diachronie des personnages. On a d’un côté, le groupe des personnes opprimées, les faibles, ce sont généralement les femmes, les enfants, la jeune fille désabusée, les pauvres, les paysans, et de l’autre côté, nous avons les oppresseurs que sont les hommes, très phallocrates, les propriétaires des pouvoirs mystiques, les féticheurs et autres charlatans, l’homme riche, le commerçant véreux, le fonctionnaire zélé.

La construction du personnage est perceptible dans le conflit dont fait cas l’action dramatique dans le premier jeu, c’est-à-dire la pièce-prétexte. La solution est généralement trouvée dans le forum où interviennent les spectateurs pour corriger les injustices constatées. Pour Augusto Boal, en plus du conflit opprimé-oppresseur, on peut dire que le conflit oppose l’opprimé àsa personne elle-même. C’est à l’opprimé de lutter pour se défaire de l’oppression dont il fait l’objet. Qu’en est-il donc de la typologie des personnages du théâtre d’intervention sociale ?

164 Koulsy Lamko, Op.cit. ; p.241

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5.3. Typologies des personnages dans le théâtre d’intervention sociale

Selon le dictionnaire du théâtre de Patrice PAVIS paru en 2004,

« La notion de personnage a connu plusieurs approches. Le personnage a commencé par n’être qu’un masque. Une persona qui correspondait au rôle dramatique pour le théâtre grec. C’est à travers l’usage de la personne en grammaire que la persona acquiert petit à petit la signification d’être animé et de personne, que le personnage théâtral passe pour une illusion de personne humaine. Par la suite il va s’identifier à l’acteur qui l’incarne et se muer en une entité psychologique et morale semblable aux autres hommes et chargé de produire chez les spectateurs un effet d’identification ».

Aussi, le personnage se définit-il comme un être fictif, un être de papier inventé par la magie du dramaturge, doté d’un rôle ou d’une fonction au sens courant du terme soit actantielle ou thématique et qui est sujet ou objet d’un discours narratif et discursif. C’est sous cette dimension de la notion du personnage que nous procéderons à son approche dans les représentations théâtrales du théâtre forum.

« Le personnage est un carrefour de sens »165 . Cette conception du personnage théâtral fait allusion à son caractère ondulatoire et non maîtrisable surtout au regard de ceux qui animaient la dramaturgie africaine

Les personnages portent le message dans le texte théâtral. Ils sont indispensables dans la bonne marche de l’histoire que raconte le dramaturge. Ils jouent des rôles différents. Chaque personnage au théâtre incarne un sens. Et c’est l’ensemble de ces sens qui donne un sens au théâtre.

165 Jean Pierre Ringaert, Introduction à l’analyse du théâtre , p.114

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Généralement, on retrouve une catégorie de personnages dans les représentations du théâtre forum. Nous avons décidé qu’il était nécessaire d’étudier cette typologie des personnages afin de nous faire une idée de leurs identités et de leurs statuts sociaux sur les fonctions que chacun occupe non seulement dans la représentation mais aussi dans la vie par transposition.

Le personnage du théâtre d’intervention sociale est très versatile, il n’est pas figé. Il incarne passagèrement un personnage selon les contextes historiques et sociologiques. Il se laisse aller dans la direction que lui impriment les spectateurs pour le dénouement d’une situation. Il faut noter en plus des personnages, la présence d’un personnage qui ne ressemble pas forcément aux personnages ordinaires : il s’agit du joker ou meneur de jeu. Il constitue l’un des éléments de proue entre acteurs et spectateurs. A la fois, animateur, guide et facilitateur des interactions entre le public et la scène, il joue un rôle très important dans l’animation du jeu.

De façon générale, les thèmes récurrents des représentations théâtrales de l’Atelier Théâtre Burkinabé mettent en évidence les questions de la femme et du monde rural. Cela nous permet de dégager les types de personnages les plus fréquents :

La femme mère de famille

Souvent victime de l’oppression de son mari, très souvent battante et prête au sacrifice pour le bien de la famille notamment des enfants, la femme mère est souvent ouverte au changement et intéressée par tout ce qui pourrait améliorer sa condition. Nous avons un exemple dans « Le vote du fétiche », la mère de Poko. Elle a soutenu la candidature de sa fille aux élections municipales nonobstant les critiques de son mari et de la plupart des gens du village. Elle est prête à tout pour sa fille, advienne que pourra.

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La femme épouse

Elle est souvent victime du harcèlement sexuel de son mari, souvent aussi victime innocente des errements de son mari qui la contamine avec les IST et le Sida. La femme épouse a du mal à engager un dialogue constructif avec son mari, et se trouve contrainte à accepter la soumission que la tradition lui impose.

Toujours dans « Le vote du fétiche », la mère de Poko, Sylvie Tapsoba à l’état civil est martyrisée par son mari qui va même jusqu’à lui imposer le silence. Seul l’homme a la parole, rétorque-t-il à sa femme.

La femme travailleuse

La femme qui travaille est très souvent occupée aux tâches ménagères, c'est-à-dire préparer la nourriture, faire la lessive, les corvées d’eau, les soins domestiques, etc. Pour se sortir de la misère qui croule sur son poids, elle fait du petit commerce.

La femme instruite

Bien que moins nombreuses, elles sont présentes dans presque toutes les pièces de théâtre forum. Ce sont des femmes qui ont eu la chance de poursuivre des études et qui occupent des postes de responsabilité dans l’administration, dans la politique, dans les activités économiques. Ces personnages sont toujours présentés comme des personnages positifs, agents de changement de mentalités sur les préjugés et attitudes phallocrates des hommes et à la jalousie ou à la frilosité des autres femmes. Dans la pièce « Les œufs du barrage du Benbaleyadougou », Madame le maire en est une parfaite illustration.

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La jeune fille

La plupart des personnages de jeunes filles se trouvent placés dans des situations où elles sont la proie désirée des hommes. Elles subissent également les poids de la tradition qui les obligent à rester à la maison, à se soumettre aux caprices des parents, à subir l’excision, la déscolarisation pour cause de mariage forcé ou de charges domestiques.

Celles qui tentent de s’émanciper parce qu’elles ont pu aller à l’école ont beaucoup de mal à y parvenir. Celles qui s’adonnent à l’exode rural en venant en ville deviennent des proies ou des victimes d’employeurs véreux et sans scrupule qui les maltraitent, les exploitent, parfois les violent, les détruisent et les abandonnent au triste sort de la prostitution ou de la délinquance urbaine aux côtés des garçons délinquants.

Cette phrase du PDG à l’endroit d’une jeune fille Rasmata à la recherche de son premier emploi illustre le degré de harcèlement des jeunes filles: « Nous sommes généreux mais nous voulons travailler avec des secrétaires généreuses. C’est à prendre ou à laisser.»

Comme le théâtre forum est joué principalement en milieu rural, le dramaturge utilise des personnages ruraux à travers des figures d’hommes tels que :

Le chef de famille

Le chef de famille s’adosse à son statut pour exercer tout son pouvoir sur la famille. Dans les différentes représentations de théâtre forum, le chef de famille exige qu’on lui témoigne du respect à la maison parce que la vie de dehors lui réserve bien des humiliations et des déconvenues. Beaucoup de

194 chefs de famille n’arrivent pas à tenir honorablement leur rôle de père de famille et d’époux et se rabattent très souvent sur les maigres revenus de leurs épouses. Dans « Le vote du fétiche », le père de Poko, candidate aux élections municipales, n’a pas osé soutenir sa fille parce que Rourougou, l’autre protagoniste l’avait menacé et traité d’étranger. Il reverse cette colère dans son foyer. Son épouse Sylvie le traite de peureux et d’irresponsable.

Le chef de clan

C’est toujours l’une de ces autorités qui constituent le dernier recours dans les pièces de théâtre forum pour trancher les litiges et pour assurer le respect des prescriptions de la coutume. Le chef de clan peut être celui qui autorise les innovations utiles c'est-à-dire qui encourage les idées progressistes ou par contre celui qui les rejettent. En ce moment, il devient l’allié des puissants politiciens.

Abordons le cas des personnages spéciaux ou originaux qui reviennent de façon récurrente dans les pièces de théâtre forum.

Le fou

C’est un personnage assez stéréotypé. Il apparaît dans plusieurs pièces de théâtre forum comme celui qui brave les interdits et dit à haute voix les critiques que les autres protagonistes n’osent pas proférer à l’encontre des puissants.

L’intellectuel

C’est celui qui a fait de hautes études. Il constitue une figure de proue dans le village. C’est un éveilleur de conscience. Il est souvent combattu par l’aristocratie et les gardiens des traditions. Il a eu à effectuer beaucoup de voyages et a une vue beaucoup plus large que les autres. Monsieur Guésbeogo,

195 représentant de la société civile, en est un exemple dans la pièce « Le vote du fétiche ».

Le riche commerçant

Dans plusieurs pièces, le riche commerçant est l’anti-modèle par sa soif frénétique de l’argent, par son âpreté au gain, et son égoïsme. Il est courtisé par les uns et les autres afin d’avoir le minimum pour survivre. Il joue généralement le rôle d’usurier contribuant davantage à appauvrir et à assujettir les pauvres villageois. C’est souvent un parvenu.

L’enseignant

C’est un personnage récurent considéré comme positif ; la plupart du temps, il se met du côté des faibles (les écoliers, les jeunes filles) apporte un peu de lumière là où règnent les ténèbres de l’ignorance. Mais comme dans la vie réelle les enseignants des pièces de théâtre sont des personnages démunis, qui travaillent dans des conditions très difficiles, et sont, bien souvent, en proie ou succombent à la tentation du sexe ou de l’argent. Qu’à cela ne tienne, ils sont des modèles dans les pièces de théâtre forum.

Dans la pièce « Les œufs du barrage du Benbaleyadougou », Monsieur Hyppolite COMPAORE incarne l’enseignant exemplaire. Il conseille les gens du village sur l’utilité de payer les impôts, d’amener les enfants à l’école et de participer aux réunions des parents d’élèves.

L’administrateur

L’administrateur est un personnage égocentrique dans les pièces de théâtre forum. C’est lui qui crée des problèmes aux braves gens à cause du caractère compliqué et mystérieux de l’administration décentralisée (mairie) ou centrale (préfecture). La peur que l’administration imprime aux citoyens

196 fait que les populations ne font pas appel à elle en cas de litige. On évite d’y aller, d’établir des pièces d’identité, les actes de naissances des enfants, les documents administratifs exigés pour divers besoins. Pour toutes ces raisons, les populations ne trouvent pas le besoin et le bien-fondé de payer des taxes ou des impôts ; alors on développe des stratégies de contournement. Par exemple, le vendeur de kiosque Lamine insiste dans une de ses répliques qu’il ne paiera pas les taxes parce qu’il n’y voyait pas d’importance.

Les autorités religieuses

Il peut s’agir de l’abbé, l’imam, le pasteur. Ils ne sont pas très souvent visibles dans les pièces de théâtre forum, mais lorsqu’ils apparaissent, ils exercent leur fonction religieuse, et révèlent leur incapacité à résoudre les problèmes matériels des gens. Cependant, ils prodiguent des conseils pour ceux qui sont dans la détresse.

L’ivrogne

C’est le prototype de l’inconscient qui perd sa dignité dans l’alcool et tout sens de responsabilité, plongeant sa famille dans des soucis interminables.

Le rebelle

C’est l’homme ou la femme qui décide de se placer en opposition avec les idées reçues, les comportements convenus. Il commence souvent seul, mais finit par convaincre une partie du public de la pertinence de son choix. Mais dans le théâtre forum, lorsque la majorité reconnait qu’il avait raison, il est trop tard !

Le parvenu

C’est une personne qui s’est élevée rapidement à une situation sociale et financière importante sans avoir acquis la culture et les manières de son

197 nouveau milieu. Le parvenu exhibe ses nouveaux pouvoirs et ses attributs pour éblouir les filles du village et jouir d’une gloire éphémère. Il arrive souvent à ses fins par des voies peu orthodoxes comme la corruption, les crimes et mensonges. On l’appelle très souvent le « Pa-wéogo » qui signifie littéralement le « resté en brousse », c'est-à-dire celui qui a émigré et est resté longtemps hors de son pays, jusqu’à oublier sa langue maternelle et les usages coutumiers. Il s’agit généralement des gens qui ont émigré en Côte-d’Ivoire. Ils sont jalousés d’un côté, et de l’autre, sont victimes de moqueries.

L’ancien combattant

Il a un comportement assez abrupt, et son langage est dur et grossier.Parfois, il a aussi un fort penchant à se vanter des prétendues prouesses réalisées pendant la guerre. Il est considéré avec une certaine affection. Dans les pièces de théâtre forum, il est souvent un personnage positif qui se met du côté des victimes pour réclamer la justice et l’abandon des coutumes rétrogrades.

Le faux type

Dans toutes les pièces de théâtre forum, il existe un personnage, souvent masculin, qui se caractérise par sa duplicité, son sens aigu de la virevolte et de l’opportunisme.

Ce personnage est très utile sur le plan dramaturgique parce qu’il est par excellence le personnage du « diable » dans la construction de l’intrigue. C’est généralement contre lui que devra se battre le héros. Le faux type est terrassé à la fin, mais le mal est déjà accompli.

Nous avons essayé de « typologiser » les personnages les plus récurrents dans les représentations théâtrales dans le théâtre d’intervention sociale ; nous savons que cette typologie n’est pas exhaustive et on pourrait

198 par conséquent ajouter d’autres types de personnages mais ces personnages ci- dessus énumérés constituent selon nous une catégorie essentielle des actants dans le théâtre forum.

Dans le théâtre d’intervention sociale, l’acteur ou le comédien est un montreur. Il cherche à travers les techniques de la distanciation chère au théâtre brechtien à ne pas créer au travers des chants, de la musique ou de la danse une sorte d’illusion comme s’il comprenait les sentiments et les émotions des spectateurs. Le gestus social que l’acteur doit rechercher dans la transmission de son message permet à celui-ci d’incarner un personnage type et du même coup éviter l’empathie émotionnelle.

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Chapitre 6 : Analyses dramaturgiques de quelques séquences de représentations théâtrales

Ce chapitre de notre thèse est consacré à l’aspect technique des représentations théâtrales de notre corpus. En ce qui concerne l’analyse des représentations théâtrales de notre corpus, nous allons focaliser notre analyse sur deux représentations théâtrales de notre corpus à savoir « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou » et « Le vote du fétiche ». Le choix de ces deux pièces peut se justifier par le souci d’une recherche de la concision. En outre, la plupart des pièces de théâtre forum suivent le même schéma actantiel. Ainsi, nous analyserons ces deux pièces sous l’œil de notre outil d’analyse à savoir la sémiologie théâtrale. Cette analyse nous amènera à nous intéresser aux différents paramètres de la représentation théâtrale. L’espace théâtral qui est la conjugaison du lieu théâtral, de l’espace scénique et de l’espace dramatique retiendra notre attention ainsi que l’aspect linguistique.

Mais avant d’en arriver là, pour mieux montrer la différence d’avec les autres pratiques théâtrales, nous allons donner le récit d’une mise en situation du théâtre forum relaté par un des praticiens Koulsy Lamko.

Récit de la séance de théâtre pour le développement / théâtre-forum mené à Diébougou par l’Atelier Théâtre Burkinabé en Juin 1985 166 .

1/ La séance du warming up

Les comédiens de la troupe, après avoir délimité l’espace du jeu avec les bancs, le rideau de fond et le minibus (coulisse) lancent sur la scène des spectateurs qui en éprouvent l’envie, puis des devinettes sont proposées auxquelles les spectateurs répondent avec entrain.

166 Koulsy Lamko, Emergence difficile d’un théâtre de la participation en Afrique noire francophone , thèse de doctorat, 2003, p.60-69

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A la fin de la séance destinée à chauffer la scène et la salle, le joker prend la parole et annonce que le spectacle va commencer. Mais avant, il invite les comédiens (en les houspillant) à saluer le public. Celui-ci est invité à répondre à plusieurs reprises. Une fois le contact établi, le joker explique le principe du spectacle, précise que c’est un jeu qui se fait sur la base de contrat entre spectateurs et acteurs et invite le public à donner son avis. […]

Le joker : Etes-vous prêt à jouer avec nous ?

Le public : Oui

Le joker (faisant semblant d’avoir entendu le contraire) :dites-moi vraiment si vous n’êtes pas prêts, nous ramassons notre bataclan et nous repartons chez nous.

Le public : Oui, nous sommes prêts.

[…]

Le jeu peut enfin commencer.

2. Présentation de l’anti-modèle

Action 1 : Rue et bureau. Deux jeunes gens, Issa et Ramata cherchent du travail, diplôme de secrétaire en main. Au premier bureau, le chef de personnel les éconduit bruyamment : « Savez pas lire ? Pas d’embauche. C’est écrit à la porte. » Cela fait plus de six mois que les jeunes gens font le va et vient.

Action 2 : Deuxième bureau : Le directeur a deux places. Il accepte le jeune homme Issa et refuse gentiment les services de Ramata la jeune fille. « Figurez-vous que ma secrétaire, après trois mois de maternité passe tout le temps au dispensaire avec son enfant. Plus de femme dans mon entreprise !

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Désolé, Mademoiselle ! L’efficacité pour la bonne marche de mon entreprise ! »

Ramata sort.

Action 3 : Rue et bureau d’entreprise. Ramata, tenace, continue la ronde des bureaux. Elle arrive dans une entreprise où le PDG la dévore du regard, la palpe et lui donne un rendez-vous pour une soirée. La jeune fille est révoltée par l’attitude très osée du PDG. Celui-ci de faire un chantage : « Nous sommes généreux mais nous voulons travailler avec des secrétaires généreuses. C’est à prendre ou à laisser » Ramata se plie à ses caprices. Il faut tout de même travailler pour gagner son pain. Elle est acceptée à l’essai.

Action 4 : Rue de la ville. Le PDG fait de la jeune fille sa maîtresse : sorties, boîte de nuit, pique-nique.

Ramata se laisse faire en attendant son engagement définitif.

Action 5 : Bureau. Ramata devant sa machine. Arrive le PDG qui lui tend un papier. C’est son engagement définitif. La jeune fille jubile. Le PDG propose une sortie dans la soirée pour fêter l’événement. Ramata décline l’offre en prétextant qu’elle devait fêter l’anniversaire de son « petit copain ». Le PDG arrache la décision d’engagement et la déchire. Il met la jeune fille devant un dilemme : « C’est l’anniversaire du petit copain ou bien la place de secrétaire. Réfléchit et tu viendras me donner la réponse. »

La jeune fille indécise balance entre partir et accepter l’offre avec toutes ces conséquences.

3. La séance du « heart storming » ou l’agitation des sentiments

Le joker : Voilà ! Ramata se trouve entre le marteau et l’enclume, à la croisée des chemins. Il faut choisir. Mais applaudissez très fort pour les

202 acteurs qui viennent de jouer pour vous « Travailler ou féminin !» Nous allons reprendre la pièce pour vous. Mais avant, dites-moi qui est le méchant dans cette histoire ? Le PDG qui a abusé de la fille ? Ou la fille qui n’avait pas prévu qu’elle avait un copain ? C’est qui le faux type ? Etes-vous d’accord avec le PDG ?

Diverses réactions avec la foule qui répond par oui ou par non selon les centres d’intérêts, etc.

Les acteurs de la troupe vont s’asseoir au fond de la scène prêt à rependre le jeu pour certains ou à « soutenir la scène » pour ceux qui ne jouent pas.

4. La reprise séquentielle 1 et le forum-jeu sur le problème de la disponibilité de la femme.

Ce problème se pose à l’action 2 chez le directeur qui n’accepte plus de femme. Une jeune fille de secrétaire lance un « stop » vibrant.

Le joker lui demande de venir sur la scène. Elle fend la foule et se précipite sur la scène. (On sent qu’elle a des choses intéressantes à jouer).

Le joker : Comment vous appelez-vous ?

La spectatrice : Angelina

Le joker : Qui voulez-vous remplacer ?

La spectatrice : Je veux remplacer la jeune fille. L’actrice dans le rôle de Ramata.

Le joker : Voilà le foulard de Ramata (tout en lui nouant au coule foulard que portait Ramata). A partir de maintenant, vous n’êtes plus

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Angelina, vous vous appelez Ramata. Voilà notre compagnon d’étude Issa. Le jeu peut recommencer. Travailler ou féminin deuxième !

La spectatrice se présente en compagnie de son collègue Issa au bureau du PDG.

L’acteur en charge du rôle se doit de renforcer l’oppression.

Le PDG : Plus aucune femme dans mon bureau. Ce n’est pas rentable.

La spectatrice : Ah non ! Vous ne pouvez pas embaucher le garçon pour ces raisons si futiles. Rien ne prouve que je ne sois pas efficace. Il faut que vous soyez soumis à un test.

Une fois le test passé, la jeune fille s’impose au patron.

La spectatrice : Voilà, je suis la première ! Vous êtes obligé de me prendre pour le boulot !

Le patron surpris par la réaction de la jeune fille l’accepte dans son service. Il la met en garde cependant contre les retards et absences. Et la jeune fille de lui demander gentiment s’il est marié et père. Le patron pensant deviner l’issue de la question répondit négativement. La jeune fille répondit de plus belle.

La spectatrice 1 : vous n’êtes pas marié ! Pas grave ! Voilà, je suis en même temps votre secrétaire, votre femme et voici votre enfant. Il est gravement malade. Faites-en ce que vous voulez. Il faut que je sois à mon bureau.

Le patron : Bon ! Emmène-le au dispensaire

L’acteur surpris n’a pas trouvé d’échappatoire. Il accepte de prendre l’enfant qu’on lui tend et reste battu, gauche et confus

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Le joker : Etes-vous d’accord avec elle ou non ?

La foule : Oui ! Oui !

Le joker : si vous êtes d’accord avec elle, applaudissez très fort pour notre vaillante actrice

Puis le joker remercie la spectatrice. Celle-ci enlève le foulard qu’elle remet à l’actrice détentrice du rôle initialement et reprend sa place dans la foule sous les applaudissements nourris du public.

Tandis que le joker tente de relancer l’action en demandant qui d’autre avait d’autres propositions, une femme lève le doigt et refusant de venir sur la scène, clame du milieu du public.

La femme : les hommes désormais doivent accepter de donner le biberon aux nourrissons.

Un murmure de désapprobation s’élève dans la foule des hommes. Un homme réagit distinctement.

L’homme : vous nous demandez d’avoir des seins maintenant ?

Rires. Un débat s’instaure entre les deux. Le joker se tait pour les laisser parler.

La femme : si vous n’êtes pas prêts à accepter, ne nous demandez pas non plus l’impossible. Nous ne pouvons pas être en même temps en deux lieux différents.

Un homme : C’est pourquoi nous vous demandons de rester à la maison pour le ménage et l’entretien des enfants. Le service ne peut pas marcher avec vos retards et vos absences chroniques.

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La femme : Ce n’est pas la solution. Nous ne sommes pas des domestiques, des bonnes à tout faire, mais vos épouses. C’est justement en nous confiant les tâches ménagères que vous nous empêchez de nous épanouir. Hommes et femmes, nous avons les mêmes facultés intellectuelles. Nous devons participer au même titre aux activités qui nous engagent.

L’homme capitula

Le joker : (à la foule) A-t-elle raison ou non ?

La foule : Oui !

Le joker : Est-ce que l’on peut continuer ? Etes-vous prêt à faire d’autres propositions ?

La foule : Oui !

5. La reprise séquentielle 2 et le forum sur la problématique dignité/ nécessité

Le joker récapitule la situation et réintroduit le jeu. Travailler ou féminin troisième !

C’est à l’action 3que le dilemme entre la dignité et la nécessité se pose. Une jeune fille remplace l’actrice dans le rôle de Ramata et dès le départ refuse les avances douteuses du PDG.

La spectatrice 2 : c’est du travail que je cherche non pas un homme.

Le PDG : Tu vas continuer à chômer, si tu veux. C’est ton problème. De toutes les façons, tu tomberas entre les pattes d’un homme pour pouvoir satisfaire tes besoins.

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La spectatrice : J’ai d’autres atouts. Je pourrais monter un petit commerce ; vendre des beignets par exemple. Je pourrais vivre. J’aurais préservé ma dignité.

PDG : Sors de mon bureau ! Vas bouffer ta dignité !

La spectatrice sort du bureau, déterminée quant à mettre en place un petit commerce de beignet.

Alors que beaucoup de femmes applaudissent cette brave déclaration, le joker lance une boutade.

Le joker : Ainsi toutes les femmes du pays vont devenir des vendeuses de galettes ?

Silence dans la foule. Moments de flottement, d’hésitation. Une jeune fille, la vingtaine, l’air décidé, fend les rangs du public et demande à ce que l’on reprenne le jeu. Elle accepte la proposition du PDG et se plie à ces caprices jusqu’à son engagement définitif. La décision d’engagement en poche, elle prend les devants et somme le PDG de la laisser désormais tranquille. Aucune modification substantielle dans le jeu en somme. Mais lorsque le PDG la met devant le dilemme de choisir entre continuer à exercer dans l’entreprise en étant sa maîtresse ou démissionner en cas de refus, elle quitte calmement la scène et va dans le public choisir une dizaine de femmes qu’elle invite sur le plateau. Murmures et chuchotement à l’oreille. Apartés. Puis le joker relance le débat. Les dix femmes déclarent qu’elles sont les représentantes des femmes du Burkina.

Action : La jeune fille expose son problème. Elle s’est mise en demeure de démissionner si elle refuse de sortir avec son patron. En réponse à son problème, les opinions divergent. Le groupe de femmes se scinde en deux.

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Une discussion s’engage entre elles.

Femmes du premier groupe : C’est la faute de la jeune fille. Elle aurait dû refuser de se prêter au jeu dès le départ.

Femmes du second groupe : La dignité dans la pauvreté est une illusion. Les nécessités de la vie sont souvent exigeantes. Le PDG a tout. Le contrat n’a pas été établi sur des bases saines.

Femmes du premier groupe : de toutes les façons, l’entreprise appartient au PDG. Il est le seul à savoir décider des règles qui la régissent.

Femmes du second groupe : Mais les droits du travail existent. C’est une exploitation éhontée que de profiter des charmes de ses employés.

Interrogée par le joker sur les mobiles de son attitude compromettante, la jeune fille affirme qu’elle a accepté les sorties à contre cœur et les considère comme une étape dans sa stratégie, son but étant de remettre en cause la relation une fois la décision d’embauche définitive en main.

Le joker intervient et leur rappelle que le problème n’est pas à débattre juste entre femmes. Les dix femmes cessent leurs querelles, font bloc et décident de mettre en place un tribunal pour juger les « actes répréhensibles du patron ». Elles convoquent le PDG. Celui-ci arrive en prenant le soin de se faire accompagner par un groupe de quatre acolytes. Le PDG et ses acolytes se bornent tous à répéter les arguments développés par le premier groupe de femmes.

Le PDG : C’était une convention de départ. Cette malheureuse fille mourait de faim. L’entreprise n’était pas vraiment en manque de ressources humaines. Cependant, je lui ai donné du travail. Vous ne pouvez pas ne pas me féliciter pour cette bonne action !

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Le Président du tribunal : Vous ne pouvez pas abuser d’une jeune fille sous prétexte de lui venir en aide. Ce n’est pas un emploi de prostituée qu’elle cherche, mais celui de secrétaire de bureau. Vous n’avez pas le droit de la renvoyer parce qu’elle refuse de se donner à vous. Elle repartira à son bureau tranquillement et gare à vous si vous l’importunez encore.

Le PDG : Non. Elle ne peut plus être à mon service. Je suis libre dans mon entreprise. Vous n’avez pas de droit de m’imposer un employé.

Le Président du tribunal : vous persistez dans votre refus ? D’accord ! Dès demain matin, vous aurez toutes les femmes de l’union des Femmes du Burkina dans votre entreprise. Elles y resteront pendant des jours jusqu’à ce que vous changiez d’avis. Tout le monde saura ce que vous faîtes de vos employés.

Pour ne pas risquer de voir sa notoriété s’effriter, le patron accepte d’embaucher définitivement la jeune fille. Le tribunal des femmes le congédie. Le joker intervient pour faire approuver la foule et faire applaudir ces femmes qui ont été fermes jusqu’au bout.

6. La séance dialogue final ou le forum des informations

Le joker situe l’enjeu du débat et appelle le Haut-commissaire de la Province sur la scène. Celui-ci arrive, salue le public, prend le micro et se félicite de ce qu’il soit possible de débattre de toutes ces questions publiquement. C’est un acquis de la révolution et il faut saluer l’initiative de la troupe qui utilise le théâtre pour l’éducation des masses populaires.

Le débat avait à son centre la question du compromis face aux exigences de la nécessité. La fin doit-elle justifier les moyens ? Est-elle contenue dans les moyens ? Des contrats moraux et sociaux, lequel doit-il prendre le pas sur l’autre ? N’est-ce pas être dans la compromission dès lors

209 qu’on accepte une situation contre sa propre volonté, même de façon provisoire ?

Quant aux thèmes discutés, la solution proposée par la seconde fille est un exemple convaincant.

Le Haut-commissaire de la Province : il vaut mieux accepter les compromis dans les cas désespérés. Mais, il faut le comprendre et l’envisager comme une étape qui permettrait de développer une stratégie susceptible de modifier les rapports. Et c’est par la vigilance et l’analyse que l’on peut rétablir l’équilibre.

Les femmes ne sont pas toujours disponibles à leur lieu de service. Absences, retards, congés de maternité…moments de flottements, de remplacement, tous plus ou moins préjudiciables à la productivité d’une entreprise pour peu que la gestion des ressources humaines ou la dynamique de groupe ne fonctionne pas bien. Un personnel à dominante féminine rencontre beaucoup de difficultés. Mais il faut comprendre la femme, voir en elle les différents problèmes liés à sa condition de femme, cela afin d’y parer efficacement. La construction des garderies d’enfants est une bonne initiative allant dans ce sens. Il faut les multiplier.

La conclusion du débat devait aller vers une application pratique, justifier des projets menés par les associations pour l’émancipation de la femme.

Le joker 167 à la fin de l’intervention rappelle tous les acteurs sur la scène. Ceux-ci viennent se tenir à ses côtés et ensemble, ils disent au revoir au public, l’invitent à venir danser le soir avec la troupe qui fête la clôture de sa saison théâtrale.

167 Le rôle de joker a été assuré par Prosper Kompaoré

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1. Analyse sémiologique de la représentation « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou »

Nous allons nous intéresser d’une part à la mise en scène de la représentation de théâtre forum Les œufs du barrage de Benbaleyadougou et d’autre part nous ferons une observation générale des scènes.

De prime abord nous allons relever les scènes les plus fortes, les scènes les moins fortes et aussi les scènes humoristiques et révoltantes avec l’utilisation de différentes techniques de jeu.

-Les scènes les plus fortes : Ce sont les scènes 3, 5,8 et 9

Dans la scène 3, ce sont les sentiments de tristesse que Flakié 168 et Karemsaba 169 ont su donner au public sur les problèmes de l’école et le paiement des taxes. Pour Karemsaba, l’enseignant, il n’est pas question qu’il retourne en classe si l’association des parents d’élèves ne répare pas les tables- bancs des élèves. Pour Flakié, le peulh, il ne payera plus les taxes si la mairie ne bitume pas les voies.

Dans la scène 5 c’est quand Lamine se met en aparté, fait des gestes et tient le public en haleine pendant que le conseiller Moussa dialogue avec sa femme Awa.

Dans la scène 8 nous avons noté un nombre plus élevé des acteurs, c’était l’entrée en jeu des deux figurants.

Pour la scène 9, par le biais de l’émotion, Madame le Maire a su toucher le public avec un étonnement sans pareil quand le « Grand Boss » lui a raccroché au nez.

168 Signifie peulh en langue dioula. Le dioula est la troisième langue parlée au Burkina Faso après le mooré et le fulfuldé. 169 Signifie enseignant en langue mooré. Le mooré est la principale langue nationale parlée au Burkina Faso après le français, langue du colonisateur.

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Qu’en est-il des scènes les moins fortes ?

-Ce sont les scènes 1 et 6

Pour la scène 1, le Conseiller Moussa pouvait avoir vraiment du son (repas pour animaux) dans son panier au lieu qu’il soit vide. Cela ne reflète pas la réalité et nous ramène à l’illusion théâtrale.

Dans la scène 6 également quand le conseiller Modibo reçoit l’enveloppe des mains de madame Ki, il l’ouvrit. Pour nous il aurait fallu montrer l’argent mais l’enveloppe était vide.

Que dire donc des scènes humoristiques et révoltantes ?

- Les scènes humoristiques

L’humour est la manière de susciter le rire ou le sourire. Les scènes où s’expriment les techniques de comiques et d’humour sont ressenties dans les scènes 1, 5 et 8.

Dans la scène 1, c’est quand Awa a porté sa robe et a demandé à son mari : « Tu as vu ce pagne, tu sais comment on l’appelle ? C’est les moyens »

Dans la scène 5, c’est lorsque le conseiller Moussa refuse les cadeaux du village. Sa femme Awa l’appelle de côté et elle dit : « S’il te plait Moussa, vient par ici. Qu’est-ce que tu veux faire ? ». En plus lorsque Awa fait semblant de ne pas pouvoir soulever les œufs.

A la scène 8, Lamine prétend de ne pas aimer le bissap. Le peulh paye pour lui, il accepte volontiers et prends jusqu'à quatre sachets.

Abordons les scènes révoltantes

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La révolte est ce qui suscite vivement le choc, provoque une impression désagréable. Ce sont les scènes 3,7 et 9.

Dans la scène 3, c’est le fait que Lamine refuse de payer ses impôts et déchire ses factures.

Pour la scène 7, ce sont les rumeurs du village que Flakiè a racontées à Madame le Maire qui est pourtant innocente et ne se mêle pas des bisbilles.

Et dans la scène 9, c’est la non réalisation du barrage.

Intéressons-nous à la thématique de l’action dramatique

« Les œufs du barrage de Benbaleyadougou » est une pièce de théâtre forum qui traite principalement de la décentralisation. On a aussi des thèmes secondaires comme la corruption, la mal gouvernance, la citoyenneté, la question du genre. A travers la pièce, l’on peut voir les différentes difficultés de madame le Maire vis-à-vis de la gestion de sa commune. Mais le goulot d’étranglement dans tout cela est le choix du site du barrage.

En ce qui concerne la gestion de la commune, la malhonnêteté de certains individus reste un défi à relever. Ces individus n’œuvrent à aucun développement de la commune. Ce sont entre autres le conseiller Modibo et Lamine.

Le choix du site du barrage demeurait le principal défi. En effet, certaines personnes à l’image de Awa et de Lamine, malgré qu’ellesne remplissaient pas les critères de choix pour recevoir le barrage dans leur village manœuvraient coûte que coûte à ce qu’il soit installé dans leur village. Ce fut le village de Benbaleyadougou qui a été retenu car il répondait aux critères. Même cela, il a fallu recourir au vote à cause des désaccords de certaines personnes. Malheureusement, le barrage ne sera construit ni à

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Benbaleyadougou ni ailleurs. Le conseiller Modibo convainc le Grand Boss. Ce dernier qui devrait financer le projet de la construction du barrage appelle Madame le Maire et lui dit que si ce n’est pas un site autre que Benbaleyadougou , adieu le financement. Ce qui entraine une énorme déception de Madame le Maire qui se pose la question suivante : si nous n’avons pas de financement, comment allons-nous réaliser le barrage de Benbaleyadougou , lieu choisi par le peuple ?

Nous pouvons noter que ce qui fait la force du drame, ce sont les actes des protagonistes qui agissent, de force ou de gré, laissant apparaître différentes lectures possibles des actions dramatiques. Lectures rendues efficientes par les tableaux actantiels développés par SOURIAU, GREIMAS, UBERSFELD et MONOD.

Au regard des enjeux dramatiques qui se dégagent dans les deux pièces, nous adopterons le modèle actantiel développé par Richard MONOD.

1.1 Schéma actantiel

Destinataire1 Destinateur 2

S O

Adjuvants Opposants

L’objet du conflit dans la représentation Les œufs du barrage de Benbaleyadougou était porté sur le choix du site du barrage. A cela le

214 conseiller Modibo a joué le rôle d’opposant principal, Awa et Lamine étaient les opposants secondaires. Le conseiller Moussa était le principal adjuvant, Flakiè et Karensamba restaient les adjuvants secondaires. Le destinataire c’est le village de Benbaleyadougou et le destinateur les porteurs du projet.

C’est à partir de ce schéma que nous voudrions étudier les modèles actantiels afin de mieux faire apparaître le sens des conflits sociaux, car c’est par leurs actions issues de leurs relations réciproques que les protagonistes se définissent et dévoilent pour ainsi dire les aspirations des auteurs. En appliquant donc ce schéma aux différentes fonctions actantielles, nous pouvons dégager les principaux axes suivants :

1.2 Schéma actantiel des œufs du barrage de Benbaleyadougou

Schéma actantiel n°1

D1Benbaleyadougou D2 porteurs du projet

le choix du site S O le barrage

Adj Opp

Le conseiller Moussa, Flakiè, Le conseiller Modibo, Awa et Lamine Karensamba

215

Schéma actantiel n°2

D1désir de recevoir le barrage D2Conseil municipal

lieu d’implantation S O barrage

Adj Opp

Le Conseiller Moussa, Flakiè, Le Conseiller Modibo, Awa et Lamine Karensamba

1.3 Commentaire du schéma actantiel

L’élaboration des deux schémas actantiels vise à permettre le repérage des principaux axes de lecture possible. L’intérêt capital du schéma actantiel est d’offrir un cadre propice à la manipulation des forces qui sont engagées dans les drames et par là d’apprendre en essayant diverses solutions. Le schéma actantiel permet de savoir comment les personnages se regroupent et comment ils sont inévitablement liés les uns aux autres par une syntaxe qui est celle de l’action. En appliquant cet outil d’analyse aux différents axes de lectures, ils sont repérables et schématisés dans les œufs du barrage de Benbaleyadougou . Ainsi, nous voyons dans le premier schéma actantiel deux forces qui se dégagent : nous appellerons les adjuvants les forces du bien et les opposants les forces du mal . Les forces du bien amenées par Le Conseiller Moussa Flakiè et Karensamba sont pour la construction du barrage au lieu choisi par l’ensemble des forces vives du village. Par contre, les forces du mal soutenus par le Conseiller Modibo, Awa et Lamine veulent détourner le barrage à son

216 lieu initial d’implantation. Nous avons affaire a un schéma antagonique. Le conflit qui oppose les deux parties est visible. Où implanter le barrage de Benbaleyadougou ? Contrairement au théâtre classique, le théâtre forum se termine par une ouverture, une question, un questionnement de la question. C’est d’ailleurs ce qui permet au public et aux comédiens d’aborder la deuxième phase du jeu à savoir le forum. Dans la forumisation , les spectateurs sont amenés à monter sur scènes et à procéder à certaines reprises séquentielles afin de corriger certaines erreurs sociales constatées dans le jeu.

2. Analyse dramaturgique de la représentation Le vote du fétiche

L’espace dramatique dans Le vote du fétiche est le village. L’intrigue dramatique tourne autour du choix des conseillers municipaux pour les élections municipales. Les forces en présence sont les opposants avec leur chef de file Rourougou, le Chef du parti Monsieur Idrissa Tandamba, le féticheur jantigui et le père de la candidate Poko. A l’opposé, on a les adjuvants avec à leur tête la candidate Poko, Guésbeogo, le représentant de la société civile, la femme de Tangpooré et Pagbnaaba.

Dans cette analyse, nous allons d’abord nous intéresser à l’onomastique des noms de deux personnages. Tout le monde est unanime que depuis la genèse de l’histoire des hommes, c’est dans le jardin d’éden que le serpent a trahi Adan et Eve en les exhortant à manger le fruit défendu. Après cet acte, ils ont pris conscience de leur nudité et c’est depuis cet affront que les hommes ont commencé à souffrir. Le nom « Rourougou » est en ce sens très illustratif car signifiant ce serpent qui est prêt à bafouer les règles électorales pour être élu. L’onomastique de ce nom « Rourougou » montre la force de nuisance de ce personnage aidé par ses supporters.

Le nom « Guésbéogo », le représentant de la société civile, par contre signifie en langue mooré et traduit littéralement « celui qui regarde demain »

217 ou celui qui se préoccupe de l’avenir. Et c’est en cela que son rôle dans la pièce est de conscientiser les différents protagonistes. Pour lui, toute personne peut se présenter aux élections sans distinction de sexe, ni d’appartenance ethnique ou clanique. L’onomastique du nom « Guésbéogo » dénote de la bienveillance et de sa capacité à vouloir concilier les deux parties en conflit.

C’est par conséquent deux personnages antinomiques qui s’affrontent dans une lutte effrénée. L’autre partisan du mal, sexiste et machiste ; l’autre partisan du bien, de l’égalité entre les sexes et luttant pour la cassure des barrières claniques et tribales.

2.1 La place du féticheur dans la représentation Le vote du fétiche

« Le féticheur africain, par son activité et tout son apparat extérieur, fait d’objets divers et mystique, a une puissance dramatique indéniable. 170 »

Dans la représentation théâtrale Le vote du fétiche de l’Atelier Théâtre Burkinabé, le féticheur nommé jantigui occupe une place importante. Dans la scène où il fait son apparition, il tient une sorte de marmite où on peut apercevoir la tête d’un masque qui n’est autre que le fétiche jantigui. C’est lui qui transfère son pouvoir au candidat « Rourougou » afin qu’il puisse briguer le poste de conseiller municipal. Tous ceux qui contestent le pouvoir de jantigui courent un grand malheur. A travers cette scène, on a le symbolisme théâtral qui se traduit par le jeu du féticheur qui donne des réels coups de fouets à Rourougou et à ses adjuvants afin qu’ils aient une puissance inouïe contre leurs ennemis, les gens qui oseront barrer leurs routes.

170 N’Golo Aboudou Soro, « L’art dramatique du féticheur dans Au nom de la terre de Maurice Bandaman » in revue burkinabè de la recherche, n° Spécial hors série n°2, décembre 2014, p.103

218

Sa gestuelle varie souvent en fonction des scènes et est parfois codée. Quand c’est le chef, on le voit souvent assis. Quand c’est le président du parti, il vient avec tout son protocole. On observe toujours dans les scènes du féticheur des éléments visuels exceptionnels. Tout son attirail : gris-gris accrochés au cou, castagnettes aux pieds qui produisent des sons assez bizarres afin d’hypnotiser le public. On assiste également à des scènes de danse car la danse occupe une place de choix dans le théâtre et dans la vie des Africains : c’est un langage et un discours.

Le tam-tam est le symbole du rassemblement et de la cohésion en Afrique. Quand on battait le tambour dans l’Afrique d’antan, la population se retrouvait sous l’arbre à palabre et discutait des problèmes qu’elle vivait. Aujourd’hui encore, le tam-tam est fortement utilisé dans le décor auditif des pièces de théâtre. C’est en cela que l’un des pères de la négritude, Léopold Sédar Senghor affirmait que le rythme est très important dans l’art africain. Pour Mveng Engelbert, le rythme est l’expression la plus souveraine de l’âme africaine. Il peut par conséquent être au théâtre, un élément d’attache entre passages parlés et passages chantés.

Le féticheur désigné par ses pouvoirs surnaturels est l’un des types de personnages les plus adoubés du public africain. Il est porteur d’une dose de théâtralité très forte. C’est pourquoi une grande émotion est produite à sa vue. C’est ce qui justifie également cette grande interaction acteurs-spectateurs dans le théâtre africain. C’est même ce qui a amené Jacques Scherer à affirmer que : « Le théâtre est une fête de convivialité. 171 » en Afrique.

Dans la représentation théâtrale, Le vote du fétiche , nous avons l’intrusion du féticheur jantigui dans le jeu électoral ; il est complice et adjuvant des forces du mal conduit par le terrible personnage de « Rourougou ». Cependant, en

171 Jacques Scherer, Op.cit., p.52

219

choisissant de mettre en scène le personnage du féticheur avec tous ces attributs, le dramaturge Prosper Kompaoré désacralise le personnage féticheur et donne à assister au spectateur non à un rituel sacré mais à un jeu où tous les éléments qui concourent à la magie font simplement place à la théâtralité.

2.2 Schéma actantiel n°1de la représentation Le vote du fétiche

D1 Village D2Comédiens

S Vote O Elections municipales

Adjuvants Opposants

Poko, Rourougou Guesbéogo, Le féticheur jantigui La femme de tangpooré Le Président du parti des flamboyants Pagnaaba Le père de Poko

220

Schéma actantiel n°2

D1 La commune D2 Electeurs

S Choix du candidat O conquête de l’électorat

Adj Opp

Poko, Rourougou Guesbéogo, Le féticheur jantigui La femme de tangpooré Le Président du parti des flamboyants Pagnaaba Le père de Poko

2.3 Commentaire du schéma actantiel de la représentation « Le vote du fétiche »

Rien que le titre « Le vote du fétiche » nous amène à une profonde réflexion. Comment le fétiche peut-il voter ? En d’autres termes, vote-t-on pour le fétiche ? Voici des interrogations qui peuvent trouver des réponses dans la représentation. En effet, dans les pays en voie de développement comme le Burkina Faso, le vote est un enjeu électoral très sensible. C’est la période pendant laquelle les politiciens jettent tous leur va-tout sur des électeurs souvent analphabètes et facilement manipulables et corruptibles. Comme on a l’habitude de le dire, le théâtre est un miroir de la société et les faits et gestes qui se passent dans cette société sont transposables au théâtre. L’utilisation des fétiches, des forces occultes sont généralement perceptibles lors des élections en Afrique. Le Burkina Faso n’est pas en reste. C’est pourquoi en marge des

221

élections municipales qui devaient se tenir le 22 Mai 2016, l’ATB a été sollicité pour mettre en œuvre une pièce afin de sensibiliser les populations en grande majorité rurales sur ces élections. La pièce comme nous l’avons déjà fait remarquer met en scène deux concurrents pour le choix d’un candidat devant briguer le poste de conseiller municipal. Le premier, un homme, redoutable candidat du nom de « Rourougou » et la deuxième, une femme battante nommée Poko. La horde de Rourougou est soutenue par le fameux féticheur « Jantigui », le Président du parti des flamboyants et le père de Poko lui-mêmequi, craignant pour sa vie, a préféré se ranger également sur l’axe du mal. De l’autre côté, nous avons la brave dame Poko soutenue par Guesbéogo, le Représentant de la société civile, homme éclairé du village ; en plus de la responsable des femmes, Pagbnaaba. L’intrusion du féticheur dans le jeu électoral va beaucoup influencer le choix des électeurs car pour eux, en allant contre sa volonté, en ne votant pas Rourougou protégé du féticheur Jantigui, un sort pourrait s’abattre sur eux. Nonobstant cela, les résultats des élections ne furent pas proclamés puisque les mêmes partisans de Rourougou ont empêché la publication des résultats car n’étant pas sûr de les avoir remportés. La fin du théâtre forum s’ouvrant toujours sur une question : « Faut-il déchirer la feuille des résultats ? »

La pièce « Le vote du fétiche » a été sanctionnée par une série de 12 représentations dans les quatre communes rurales de Douroula, Zimtanga, Tanghin Dassouri et Komki-Ipala.

En somme, cette deuxième partie de notre étude nous a permis de relever les éléments dramaturgiques du théâtre d’intervention sociale et d’analyser quelques représentations théâtrales de notre corpus d’étude, cela grâce à l’utilisation des outils de la sémiologie théâtrale. Nous pouvons retenir que les formes du théâtre forum se caractérisent beaucoup plus sur des créations collectives et non sur des textes écrits. L’acteur qui joue dans la

222 pièce a sa part de contribution dans la recherche pour aboutir à la mise en scène. L’un des éléments importants est la prise en compte du spectateur dans toutes les étapes du montage de la pièce. L’acteur a besoin de sentir sa présence quand il joue et c’est ce sur quoi nous allons nous focaliser dans la troisième partie de notre étude à savoir l’impact du théâtre d’intervention sociale sur le public. En quoi le théâtre forum peut-il apporter au public en matière de changement de comportement ? En d’autres termes, quel est l’apport de ce type de théâtre dans un pays en voie de développement comme le Burkina Faso ?

223

TROISIEME PARTIE : ETUDE D’IMPACT SUR LE THEATRE D’INTERVENTION SOCIALE

224

Chapitre 7 : Théorisation sur la réception du théâtre d’intervention sociale

« Le théâtre forum est un choix pragmatique qui colle aux besoins d’une grande partie du public africain en matière de théâtre. (…) (Il) devient, vu avec le regard de la tradition, le prolongement de l’arbre à palabre où s’engagent les dialogues qui favorisent la recherche du compromis et des consensus indispensables à la mise en route du processus de développement. »

Rogo Koffi M. Fiangor.

Le théâtre africain francophone : analyse de l’écriture, de l’évolution et des apports interculturels , Paris, Harmattan, 2002, p.183

225

Ce chapitre va nous permettre de faire un tour d’horizon sur les différentes théories de la réception du théâtre d’intervention sociale. Il aborde en même temps la dernière partie de notre travail à savoir l’impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso. Nous tenterons à travers des démonstrations de mettre en exergue la part contributive du théâtre forum dans le développement social et culturel de notre pays. L’étude sur le public viendra confirmer l’intérêt de ce type de théâtre et son impact sur la société entière.

1. Retour sur la « notion de théâtre d’intervention sociale »

« Contrairement à ce que nous avons pu constater en Europe où le théâtre est avant tout un moyen d’évasion et de divertissement, le théâtre en Afrique, au Burkina Faso, est plutôt une occasion de se poser de véritables questions et de proposer des réponses, fruits de réflexions profondes auxquelles ce genre de spectacle invite. 172 »

C’est donc sur cette citation de Privat Roch Tapsoba que nous entrons de plein pied sur la théorisation du spectacle théâtral. Nous nous proposons dans ce chapitre de revisiter les différents courants sur les théories de la réception du fait théâtral. Le théâtre d’intervention sociale comme son nom l’indique, est un théâtre à but social, un théâtre fait pour et par les masses populaires. C’est un théâtre qui vit à côté de son public populaire. Patrice Pavis définit le théâtre populaire en ces termes :

« Théâtre « populaire », « de participation », « de masse » : autant de titres qui sont beaucoup plus des slogans et des mots d’ordre que des concepts clairs et distincts. L’ère des arts de masse a commencé dès qu’on a eu les moyens techniques de reproduire

172 Privat Roch Tapsoba, Op.cit., p.231

226

l’œuvre d’art et de toucher le plus grand nombre de personnes par les médias (BENJAMIN). Le théâtre, à ses origines, ne posait même pas la question de savoir de sa reproduction, puisqu’il est né justement de ces rassemblements rituels et cultiques des sociétés primitives. Ce n’est qu’après avoir perdu ce rapport direct avec le groupe- du fait de sa littérarisation, de sa confiscation par un groupe de lettrés ou de spécialistes- qu’il a commencé à regretter ce constat populaire jusqu’à en faire, au XVIIIème siècle (ROUSSEAU) et vers la fin du XIXème, une de ses principales revendications nostalgiques. L’ambigüité vient cependant de ce concept d’art de masse : est-ce un art fait pour les masses par une minorité ou une technologie moderne (radio, télévision, etc.) ? 173 »

C’est pourquoi nous sommes d’avis avec F. Gémier sur la définition qu’il donne du théâtre créé pour les masses.

« L’art dramatique doit s’adresser à tout le peuple. Par ce mot, je n’entends pas seulement la classe populaire, mais toutes les catégories sociales à la fois, savants et artisans, poètes et marchands, dirigeants et gouvernés, enfin toute la vaste famille des puissants et des humbles. 174 »

Nous pouvons dire que le théâtre d’intervention sociale relève en quelque sorte du théâtre de participation , terme repris par Koulsy Lamko. Ainsi pour Pavis :

« Cette formule de « théâtre de participation » parait pléonastique tant il est évident qu’il n’y a pas de théâtre sans la participation émotionnelle, intellectuelle et physique d’un public.

173 Patrice Pavis, Op.cit. ; p.369 174 F. Gémier cité par Patrice Pavis, Op.cit. ; p.369

227

Pourtant, le théâtre, malgré ses origines rituelles ou mythiques, a parfois perdu son caractère d’événement immédiat, de sorte qu’un mouvement de retour à la participation s’est fait sentir depuis le début du siècle pour des motivations il est vrai fort diverses … 175 »

Nous avons choisi l’expression théâtre d’intervention sociale parce que l’expression « théâtre pour le développement » paraît galvaudée à notre avis. Développement pour quoi et développement pour qui ? Beaucoup de gens se sont servi de l’expression développement pour assassiner la culture et abâtardir les peuples. De nos jours tout se mange à la sauce développement. Par contre l’expression « théâtre d’intervention sociale » est judicieuse à notre sens car elle nous renvoie à l’impact de l’action sociale dans la société. Ceci étant, quelle définition du théâtre d’intervention sociale pouvons-nous retenir ?

« Théorie et pratique d’une forme de théâtre d’intervention sociale dans le contexte politique et social des pays en voie de développement. (…) En Afrique le mouvement du théâtre au service du développement utilise le jeu dramatique comme moyen d’exprimer et parfois de résoudre les problèmes d’une collectivité villageoise souvent analphabète. Les animateurs théâtraux aident les villageois à prendre conscience de leur situation et à explorer les voies d’une évolution possible. 176 »

Cette définition du théâtre d’intervention sociale de Michel Corvin ne nous satisfait pas totalement car le théâtre d’intervention sociale ne s’adresse pas uniquement aux populations rurales et concerne aussi les populations urbaines. En outre, l’expression« collectivité villageoise

175 Patrice Pavis, Op.cit. ; p.370 176 Michel Corvin , Dictionnaire encyclopédique du théâtre , Tome 1 et 2. Paris : Larousse-Bordas, 1988, p.1621

228 souvent analphabète » nous paraît indécente, péjorative et laisse apparaitre les stigmates de la colonisation.

Cependant, nous sommes entièrement d’avis avec la définition du théâtre d’intervention sociale de Prosper Kompaoré qui nous paraît bien à propos :

« Sous cette appellation volontairement vague nous entendons toute forme d’expression théâtrale ou théâtralisée se donnant pour objet la mise en exergue ou en question des phénomènes et problèmes vécus individuellement et/ou collectivement et dont la recherche d’une réponse ou d’une solution apparaît nécessaire ou souhaitable.

Formulé comme telle théâtre d’intervention sociale pourrait aussi bien concerné une pièce classique (Molière, Shakespeare, Brecht) qu’une création moderne à partir de techniques variées, agit prop, happening, théâtre rituel, théâtre forum, théâtre-image etc. Il convient donc de préciser que le théâtre d’intervention sociale selon notre conception concerne essentiellement un type de spectacle conçu de manière à impliquer immédiatement et physiquement le spectateur dans l’acte théâtral, dans le but de l’amener à jouer ou « répéter » théâtralement les gestes et les actes libérateurs de la vie concrète et réelle. 177 »

Nous retiendrons de cette définition que le théâtre d’intervention sociale est une forme de théâtre participatif qui implique le spectateur au jeu théâtral. Le but étant d’amener celui-ci à un changement de comportement.

177 Prosper Kompaoré, Théâtre et développement au Burkina Faso , in annales de Ouagadougou, p.361

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Le théâtre d’intervention sociale permet par conséquent au spectateur de prendre la parole et de s’exprimer. De cette expression, il se libère de l’oppression. Dans un pays comme le Burkina Faso, l’intervention sociale revêt un caractère d’urgence sociale, et d’action ciblée.

Depuis 1975 à Accra, lors de la conférence internationale de l’UNESCO sur les politiques culturelles, en sa recommandation n°12, la conférence avait invité les Etats membres d’Afrique de l’UNESCO « à promouvoir un théâtre itinérant conçu non seulement à des fins de distraction, mais comme moyen de participation populaire à l’événement artistique et comme instrument de développement culturel national. » Cette recommandation montre l’intérêt que nos différents Etats donnent de plus en plus au théâtre comme un outil au service du développement. Mais avant tout, quels sont les objectifs des campagnes de sensibilisation par le théâtre forum ?

2. Les objectifs des campagnes de sensibilisation

Le fait de recourir au théâtre d’intervention sociale pour mener des actions de sensibilisation peut répondre à plusieurs objectifs. Prosper Kompaoré en a distingué sept.

Le premier objectif est d’offrir aux spectateurs un divertissement agréable et utile : le théâtre peut être perçu en ce moment comme une expression artistique qui procure du plaisir ;

Le deuxième objectif est de rassembler dans la mesure du possible un public aussi large que possible. La mobilisation peut porter sur une catégorie de public cible (hommes, femmes, enfants ou membres d’une profession…)

230

Le troisième objectif est de susciter une participation objective de la population. Le choix du théâtre forum se justifie car ce type de théâtre donne au public l’occasion de s’exprimer. La liberté de prise de parole est suscitée chez les spectateurs par l’émotion du jeu théâtral.

Le quatrième objectif est de susciter un dialogue social ; en regroupant bien souvent des personnes de conditions sociales différentes. Tout le monde s’exprime sous le couvert du jeu théâtral sur les sujets jugés souvent tabous dans la société.

Le cinquième objectif est d’apporter un savoir, une information ou d’améliorer des connaissances erronées ou imparfaites.

Le sixième objectif est de créer des attitudes nouvelles, des visions, et des opinions dominantes nouvelles. En effet, l’ensemble de la communauté est impliquée dans le spectacle de théâtre forum, par conséquent, la prise de conscience peut avoir un caractère collectif et de ce fait conforter chacun dans sa prise de décision individuelle.

Le septième et le dernier objectif est d’aboutir à un changement de comportement, une transformation sociale positive, une amélioration de la vie : même si cet objectif ne peut toujours être atteint dans le court ou le moyen terme, l’image théâtrale agit lentement sur la conscience et le subconscient et peut conduire au désir de changement, puis au changement effectif. Quelles peuvent donc être les théories qui favorisent la réception de ce type de théâtre par les populations ?

a. Les différentes théories sur la réception du théâtre

Beaucoup de chercheurs ont glosé sur les théories de la réception littéraire. Au nombre desquels nous pouvons citer : Wolfgang Iser, L’acte de

231 lecture ,178 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception 179 , Umberto Eco, Lector in fabula 180 .

Les théories de la réception en littérature tout comme au théâtre mettent l’accent sur le fait qu’une œuvre est créée pour être lue ou vue par un public bien précis.

La plupart des réflexions sur les théories de la réception démarrent à partir des années soixante. Les recherches sur la réception ont été développées en France dans les années soixante-dix. Elles mettaient en évidence le rôle essentiel de l’énonciateur (lecteur) dans la production de sens et relevait d’une approche phénoménologique, sémiotique ou pragmatique sur la lecture des œuvres littéraires. Pour Iser Wolfgang,

« Le texte n’existe que par l’acte de constitution d’une conscience qui le reçoit 181 ».

Pour lui, l’acteur et le lecteur se partagent une part égale dans l’acte d’imagination. Par contre Umberto Eco voit dans l’acte de lecture « une coopération interprétative » et « une interprétation critique ». Hans Robert Jauss va les départager en s’approchant plus de la réalité du lecteur réel. Quand ce dernier avance l’historicité du lecteur, c’est pour définir la notion d’horizon d’attente et arriver à théoriser l’œuvre comme une continuité en expansion.

Grâce à leurs recherches, nous pouvons dire que de nos jours l’activité du lecteur est mise en route, réhabilitée à travers plusieurs théorisations de la littérature et de la réception littéraire.

178 Wolfgang Iser, L’acte de lecture , Maradaga, 1976 179 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception , Gallimard 1977 180 Umberto Eco, Lector in Fabula , Grasset, 1985 181 Iser Wolfgang, Op.cit.; , 1976, p.49

232

Il a fallu attendre les années quatre-vingt pour que des chercheurs s’intéressent de manière plus visible aux théories de la réception du théâtre. Le champ d’étude de la réception théâtrale est relativement récentec’est pourquoi, il reste à définir une théorie fondamentale de la réception et de la production des messages.

b. Application des théories sur le théâtre d’intervention sociale

Pour appliquer les théories de la réception théâtrale sur le théâtre forum, nous allons utiliser la phénoménologie de la réception théâtrale qui consiste à l’observation des représentations théâtrales en tant que méthode et en tant qu’opération méthodologique ayant comme objet l’observation du théâtre.

« L’acte théâtral naît de la complicité entre deux pôles indispensables : l’acteur qui par son art tente de faire vivre dans un espace donné un personnage, le spectateur qui observe la métamorphose du comédien, la sent, la juge, la vit et parfois l’aide à se réaliser. Dès lors, la question du public est fondamentale dans l’essor de l’art dramatique. C’est le public qui soutient la scène, et consacre un spectacle ou au contraire le rejette. C’est lui qui critique, amende et stimule. Ses réactions, analysables sont des éléments d’évaluation de son travail pour l’acteur, son vis-à-vis. 182 »

La place du public au théâtre s’avère plus que nécessaire dans une communication diachronique. La question de l’impact du théâtre sur le public a toujours occupé une place de choix dans les théories de la réception théâtrale.

« L’acte théâtral se situe, bien sûr, pour une part au niveau de la représentation du spectacle, mais d’autre part, elle commence avant,

182 Koulsy Lamko, Op.cit. ; p.355

233

se constitue pendant, et se prolonge après, quand on lit des articles, quand on parle du spectacle, quand on voit des acteurs, etc. c’est un circuit d’échanges qui touche l’ensemble de notre vie.183 »

Patrice Pavis s’inspirant des travaux de Hans Jauss sur la théorie de la réception nous permet de mieux cerner l’impact de la réception du public au théâtre :

« La réception est l’attitude et l’activité du spectateur confronté au spectacle ; la façon dont il utilise les matériaux fournis par la scène pour en faire une expérience esthétique. 184 »

A travers cette citation, nous distinguons une double réception du spectacle théâtral. D’abord, on a un public donné qui reçoit l’œuvre à une époque donnée. Cela nous amène à nous intéresser à l’étude historique de l’œuvre, à son accueil. Nous allons donc nous focaliser sur la réception de l’œuvre tout en sachant qu’on a généralement des difficultés à connaître les motivations d’un groupe de spectateurs qui assistent à une manifestation artistique puisque chacun possède une culture personnelle qui n’est pas forcément celle de l’autre. C’est pourquoi nous nous alignons derrière les codes définis par Pavis afin de mieux appréhender la réception du spectacle théâtral.

« Code psychologique lié à la perception de l’espace dispositif scénique : Comment présente-t-on la réalité artistique, quelles sont les distorsions possibles de la vision ? En quoi le spectacle est-il arrangé en fonction de la vue des spectateurs ? Questions relatives au phénomène d’identification : quel plaisir en retire le spectateur ? Comment l’illusion et le fantasme sont produits ? Quels sont les

183 Pierre Volt, « L’insolite est-il une catégorie dramaturgique »in : l’onirisme et l’insolite dans le théâtre français contemporain, Paris Klincksieck, 1994, p.78 cité par Koulsy Lamko, Op.cit. ; p.356 184 Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre , p.291

234

mécanismes inconscients qu’ils interpellent ? Structuration des expériences perceptives antérieures, esthétiques et psychosociale : quelle est l’horizon d’attente des sujets ? Il n’existe pas une façon universelle de recevoir une œuvre artistique.

Code idéologique : quelle est la connaissance de la réalité présentée de celle du public ? Quels sont les mécanismes de conditionnement idéologique, par l’idéologie ? Les médias ? L’éducation ?

Codes esthético-idéologiques. Quels sont les codes spécifiquement théâtraux, d’une époque, d’un type de scène, d’un genre, d’un style de jeu particulier, codes de liaison entre une esthétique et une idéologie ? Qu’est-ce que le spectateur attend du théâtre ? Que cherche-t-il à retrouver dans la pièce de sa réalité sociale ? Quel lien existe-t-il entre un mode de réception et la structure interne de l’œuvre ? Entre par exemple l’existence brechtienne de non identification et la fable discontinue et distanciée ? Comment faire intervenir l’historicisation et permettre au public de considérer un système social donné du point de vue d’un autre système social ? Pourquoi telle époque affectionne-t-elle la tragédie, telle autre rassemble-t-elle des conditions idéales pour le comique, l’absurde, etc. peut-on distinguer plusieurs modes différents de communication théâtrale ? »

Koulsy Lamko résumant la pensée de Pavis retient de façon globale trois mécanismes dans l’esthétique de la réception. Il s’agit de :

« - L’horizon d’attente en d’autres termes la reconstitution des attentes du public (esthétiques et idéologiques) et la place de l’œuvre dans l’évolution littéraire. Ces événements conduisent à envisager le

235

spectacle comme réponse à un ensemble de questions à toutes les étapes de la réalisation de la mise en scène :

- Le sujet percevant qui participe activement à la constitution de l’œuvre ; son travail rejoint ainsi celui du critique et de l’écrivain. La réception apparaît comme un processus englobant l’ensemble des pratiques critiques scéniques. Le spectateur peut être plus ou moins compétent c’est-à-dire qu’il possède plus ou moins les règles du jeu ; ces règles peuvent être apprises ; elles peuvent contribuer à améliorer sa réception ; mais elles sont parfois irrémédiables, détériorées par de mauvaises habitudes de réception ou par le matraquage des médias ; - Enfin, la théorie de la concrétisation fictionnalisation et idéologie, laquelle est une théorie du texte dramatique et spectaculaire et qui s’efforce de déterminer comment l’œuvre est concrétisée historiquement en fonction du changement du contexte total des phénomènes sociaux. Cette théorie étudie donc les théories de fictionnalisation comme confrontation du texte à la scène, médiation de l’analyse dramaturgique et mise en rapport du texte dramatique et/ou spectaculaire avec les textes de l’idéologie et de l’histoire. »

Dans cette étude de la réception du spectacle du public, il serait judicieux de s’intéresser à la provenance du public, c'est-à-dire à leurs milieux, leurs cultures et leurs idéologies. Ceci nous amènera à mieux connaître les spectateurs du jeu théâtral, ceci pour répondre à l’horizon d’attente.

236

c. Etude idéologique et sociologique du public du théâtre d’intervention sociale

L’étude idéologique et sociologique du public de théâtre forum vise à rejoindre l’horizon d’attente tel que défini par Hans Jauss et repris par Patrice Pavis. L’historicité et l’évolution du public du théâtre d’intervention sociale est donc visée. Il s’agit de repartir à la conception même de la pièce prétexte du théâtre forum afin de nous demander quel théâtre propose l’Atelier Théâtre Burkinabé aux populations qu’elles soient rurales ou urbaines. Il est vrai que nous nous sommes étalé assez longuement sur la naissance du théâtre à l’école de Bingerville en Côte d’Ivoire et de William Ponty au Sénégal par le biais des missionnaires dans la première partie de notre étude. Ce théâtre, nous l’avons dit était réservé à l’élite, à l’intelligentsia, à une minorité d’intellectuels acculturés.

La naissance du théâtre forum apparaît comme une réponse aux contradictions du théâtre « pontin » réservé à une frange minime de la population. C’est suite à un constat d’abandon de l’éducation par ceux qui en avaient la charge que Prosper Kompaoré à travers l’ATB a décidé de créer des pièces de sensibilisation afin de pallier au vide éducationnel constaté. Prosper Kompaoré va viser essentiellement deux publics cibles.

D’une part, le premier public cible vise les scolaires, cela est dû à l’inadaptation du système éducatif. Des pièces de sensibilisation seront créées afin de sensibiliser les élèves sur certaines pratiques néfastes comme la consommation d’alcool ou de stupéfiants, la prévention contre le SIDA et les Infections Sexuellement Transmissibles (IST), la débauche scolaire et bien d’autres.

D’autre part, le public rural sera le deuxième type de public qui sera visé par le théâtre forum. La plupart des méthodes d’informations et de

237 communication se sont révélées inefficaces vu la précarité dans laquelle les paysans continuent de croupir. L’ATB à travers son leitmotiv, « le théâtre au service du développement » va créer des pièces prétextes afin de sensibiliser les populations rurales. Ainsi des pièces comme :

- La famille de Boanga , théâtre radiophonique sur la planification familiale ; 1993 - Fatoumata ou la machine à enfant , toujours sur la planification familiale, 1994 ; - Rimbessida ou le pouvoir des femmes , 1996 ; - Conscience violée , sur le droit des femmes, 2007.

d. L’horizon d’attente du public à travers un aperçu de la société burkinabé

La société burkinabé est caractérisée par un faible taux de scolarisation. La population dans sa grande majorité n’est pas alphabétisée. Aussi, nous remarquons la démission des organes qui devaient réguler l’éducation comme l’Etat et ses partenaires et les structures chargées de former les jeunes au civisme et à une vie saine. C’est pourquoi, l’ATB, structure culturelle privée par excellence à travers sa pratique du théâtre de l’opprimé va un tant soit peu s’attaquer à certains maux de la société par la pratique du théâtre d’intervention sociale. Convoquons Prosper Kompaoré qui explique le pourquoi de la naissance du théâtre forum :

« Parce qu’elle est une étape décisive dans la structuration de la personnalité de l’Homme ou de la Femme, l’adolescence constitue un enjeu majeur dans le défi de l’éducation… l’éducation traditionnelle africaine aborde généralement cette période de l’évolution psychologique de l’enfant par l’intermédiaire du mythe initiatique. L’initiation est inaugurée ou sanctionnée par des éléments

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traumatisants (circoncision, excision, mutilations, privations, punitions diverses.) Dans certains cas, elle donne lieu à une théâtralisation plus ou moins prolongée de la dé-réalisation (camp initiatique, dé-renomination, langue initiatique, instauration et apprentissage de rites majeurs.) L’initiation est vécue par le jeune homme ou la jeune fille de 10 à 25 ans comme l’expérience vitale majeure lui permettant d’accéder au stade social sinon biologique d’adulte, tient la dimension communautaire de l’éducation traditionnelle modèle incontestablement la personnalité de l’adolescent et valorise le respect des usages traditionnels. L’innovation ou l’hérétisme dans ce contexte sont perçues comme des atteintes à la stabilité pré-établie. Cette stabilité, cet ordre pré-établi se trouvent profondément bouleversés dans le contexte moderne. Les gardiens des traditions ayant perdu ou étant en passe de perdre tout pouvoir économique ou politique (chefs, anciens, hommes de caste, etc.) perdent progressivement la clé de notre mémoire collective, de notre histoire, de notre culture. Les maîtres du savoir et du pouvoir ainsi dé-stabilisés, les élèves et particuliers les adolescents vont à l’initiation buissonnière de la rue. Mais les leçons de la rue de nos villes et même de nos campagnes sont apocryphes et pernicieuses. Elles installent dans le cœur et les esprits des idées et des images hétéroclites, débridées souvent traumatismes qui finissent par perturber définitivement les fragiles équilibres psychologiques des adolescents de toute influence funeste des scories de la société en voie de développement, les stratégies de communication moderne ayant pour cible les adolescents s’engagent à récupérer les canaux de formations des jeunes et à y injecter des messages et des méthodologies d’approches mieux adaptées. 185 »

185 Prosper Kompaoré, Impact socio culturel du théâtre forum, Communication, Ouagadougou,

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Nous partageons cette vision de la société proposée par l’initiateur du théâtre forum au Burkina Faso. La naissance du théâtre forum apparaît comme un exutoire dans une société en délicatesse avec sa culture et ses fondements. L’horizon d’attente de la société burkinabé étant clarifiée, les pièces de théâtre seront créées en fonction de l’attente et des préoccupations du public.

e. Le théâtre d’intervention sociale comme outil d’affirmation de l’ancrage culturel au Burkina Faso

L’ancrage est l’action d’ancrer, de fixer quelque chose. C’est un élément de construction à un point fixe, un dispositif assurant une fixation. Au regard de ces éléments, on pourrait dire que l’ancrage est un point ou un élément fondamental autour duquel s’organise un ensemble. De ce point de vue :

« L’ancrage culturel d’une œuvre littéraire serait l’ensemble des éléments culturels, artistiques, linguistiques et esthétiques qui contribuent non seulement à la construction de cette œuvre mais aussi qui favorisent son enracinement profond dans le terreau socioculturel, historique et mythologique d’un peuple donné. 186 »

L’écriture de l’ancrage participe à l’édification de la spécificité et de l’originalité de l’œuvre littéraire. Nous sommes d’avis avec Louis Millogo quand celui-ci avance que :

« L’ancrage culturel africain des œuvres négro-africaines constitue un écart important par rapport à l’écriture française. La notion d’ancrage culturel pratiquée de façon systématique (…) peut être une piste intéressante octobre, 1993. 186 Lamoussa Tiaho, Les grands traits de l’esthétique négro-africaine dans la carte d’identité de Jean Marie Adiaffi, mémoire de DEA, Université de Ouagadougou, p.4-5

240 dans l’approche d’une stylistique et d’une critique appropriées de la littérature négro-africaine française. 187 »

Appréhender et analyser le phénomène de l’ancrage culturel à travers le théâtre d’intervention sociale revient à nous demander les sources de création des pièces de théâtre forum. Nous avons noté que la plupart des pièces de théâtre forum sont des créations collectives. Cependant, la plupart de ces pièces tirent leurs racines de l’héritage africain. C’est ainsi que certaines histoires populaires, certains contes, certains proverbes et devinettes sont souvent mis à profit dans l’élaboration des pièces-prétextes du théâtre forum.

f. La socialité comme fondement des représentations théâtrales dans le théâtre d’intervention sociale

Le théâtre apparaît par exemple au sociologue,

« Comme une structure dans laquelle le film d’un drame est représenté, c'est-à-dire déplacé dans l’espace et le temps et répété, par un acteur collectif vivant devant une assemblée de spectateurs, qui y participent plus ou moins fortement et totalement.188 »

Pour paraphraser Pavel Campeanu qui apporte une définition un peu plus explicite que la précédente, nous pouvons dire que le théâtre est spectacle, donc une forme de socialisation des rapports humains qui n’implique pas le spectateur en tant que variable mais en tant que constante. Le théâtre est une association humaine ayant une structure et des fonctions spécifiques et l’essence de cette action est l’action programmée de la construction d’une expérience humaine simulée et la perception de cette construction au fur et à mesure de son développement.

187 Louis Millogo, Ancrage culturel africain d’un roman d’expression française, thèse de doctorat, p.12 188 Harris Memel Fote, Anthropologie du théâtre négro-africain traditionnel , p.25-30

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Les deux actions fondamentales du spectacle, c'est-à-dire la construction et la perception, ne se coïncident pas. Il y a une division fonctionnelle entre les protagonistes de l’action d’une part et les spectateurs d’autre part. Les protagonistes s’occupent de la construction de l’action et les spectateurs sont responsables de la perception. Cette définition de Pavel Campeanu nous permet de dire, pour reprendre les propos de Jean Claude Ki que l’essence du théâtre est la socialisation par les protagonistes des rapports humains par le biais d’une action de construction d’une expérience humaine simulée.

Intéressons-nous à présent aux fonctions du théâtre. Bakary Traoré déjà dans son ouvrage, Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales écrivait que :

« Il nous est apparu que le théâtre négro-africain a des fonctions sociales incontestables…Le théâtre africain est une communion avec la nature cosmique. L’homme en lutte contre les forces de la nature, veut s’allier ces forces et affirme son pouvoir sur elle. Il invente des mythes où il évoque ses rêves, ses peines, ses espoirs. De ces symboles populaires, il a fait un ensemble rayonnant d’humanité, le théâtre. Dès lors, le théâtre négro-africain cherche à traduire la totalité des manifestations humaines de la vie. 189 »

Toujours dans les fonctions du théâtre, il est judicieux que nous invoquions les rôles assignés à la culture qui chapote les différents arts y compris le théâtre. La culture incarne plusieurs rôles parmi lesquels on peut retenir :

189 Bakary Traoré, Op.cit. ; p.89-114

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- « Un rôle économique, religieux et politique » en vue de consolider la foi du peuple, l’unité de sa croyance, la légitimité des chefs et de l’ordre social ; - « Un rôle esthétique » assumant le besoin de délassement et de divertissement car une société sans jeu et sans joie, dit-on, n’est pas une société humaine ; - « Un rôle pédagogique » chargé de l’éducation permanente et populaire des adultes comme des enfants en distillant des leçons : « leçon d’épistémologie », « leçon de pédagogie appliquée » et « leçon de sagesse.190 »

L’un des aspects de la socialité que nous pouvons relever est le langage. L’œuvre d’art puise son point d’ancrage dans une société humaine. Elle porte des traces sociales ce qui fait la socialité du texte. Pour Claude Duchet étant donné que le texte lui-même utilise un matériau qui est déjà du domaine du social, c'est-à-dire la langue. La langue utilisée relève par conséquent du social. Nous n’allons plus nous étaler sur les langues car nous l’avons déjà fait remarquer, le théâtre forum en tant qu’outil de communication populaire utilise les langues nationales, c'est-à-dire le mooré, le fulfuldé, le dioula en plus du français, langue officielle.

g. Les retombées de l’impact social de l’expression artistique

L’impact social de l’expression artistique se manifeste à six différents niveaux 191 pour les arts du spectacle et notamment pour le théâtre à caractère participatif :

190 Jean Claude Ki, Op.cit. ; p.277 191 Prosper Kompaoré, enjeux de scène , revue trimestrielle d’information et de recherche sur le théâtre pour le développement, n°001, juin 2003, p.19-21

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- Le développement personnel : il se conçoit comme la confiance en soi, l’auto implication dans les affaires communautaires. En effet, le fait de pratiquer une discipline artistique consolide la structuration de la personnalité de l’artiste en lui permettant de mieux se connaître et de découvrir ses capacités d’expression. Ce faisant, il est plus apte à s’impliquer dans les actions communautaires. En plus par l’expression artistique, le comédien acquiert des connaissances et des savoir-faire, il apprend à mieux développer ses capacités d’expression, de communication et de persuasion. - La cohésion sociale : l’activité artistique et en particulier le théâtre est un puissant facteur de cohésion sociale. En effet, aussi bien dans la phase de création que dans la phase de représentation, le théâtre permet le rassemblement de plusieurs catégories socioprofessionnelles. Mieux encore, le théâtre forum favorise la convivialité. Il est question de dialogues, d’échanges, c’est le lieu par excellence de la fraternité et de la compréhension mutuelle. Accepter faire du théâtre, c’est être capable d’accepter le point de vue de l’autre, d’assumer son point de vue qui peut être différent du nôtre, et de le rendre crédible. - La création d’une dynamique de développement communautaire : la pratique théâtrale se fait à la base avec des populations directement impliquées dans le processus de création et de représentation. Nous avons pour exemple, le théâtre communautaire que nous avons décrit précédemment. Les populations s’impliquent dans la création de la pièce en vue de dénoncer les tares sociales ou de susciter des changements de comportements. Le comédien choisi parmi les membres de la communauté prend alors conscience de ses droits et de ses devoirs. Il partage la fierté d’être utile, de jouer sa partition et

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le désir de s’investir pour la communauté s’en trouve fortement accru. - Le théâtre de participation accroît la perception positive du groupe auquel l’on appartient. Ce sens de l’utilité, ce sentiment d’appartenance à une structure qui fait de belles et de bonnes choses procure à chaque membre, un sentiment de fierté, une sorte de culture d’entreprise envers la structure artistique. Le sentiment positif est un ressort pour le changement social parce qu’il transforme chacun des membres du groupe en allié potentiel pour des actions de changement de développement. - Les personnes qui prennent une part active aux séances de théâtre forum constatent un élargissement de leur vision, de leur imagination, de leurs horizons. En effet, la séance de théâtre forum est un moment de socialisation intense au cours duquel chacun est appelé à imaginer un au-delà de son vécu personnel, à ouvrir son esprit à des points de vue différents du sien, à des horizons insoupçonnés dessinés par les conséquences des actes posés sur la scène. Ainsi, tel homme qui n’aurait pas eu du mal à combattre une candidature féminine aux élections, percevra tout à coup, à l’occasion d’une représentation particulièrement choquante de scènes semblables, le caractère odieux et grave de son acte. C’est le cas de la pièce « le vote du fétiche » que nous avons analysée précédemment. Tel autre qui subissait seul et dans la résignation une situation d’oppression découvrira à la faveur d’une représentation de théâtre forum qu’il n’est pas seul à vivre une telle situation et que la réprobation unanime rend possible d’imaginer une lutte pour la fin d’une telle oppression. - Enfin, la participation aux séances de théâtre forum procure incontestablement du plaisir au public. Cette dimension ludique et

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hédoniste n’en est pas pour autant le moindre des résultats du théâtre forum. Il s’agit en effet d’offrir du plaisir, un moment agréable où le rire et les autres émotions fortes permettent d’apporter une parenthèse d’oxygène, à une vie souvent monotone et dure. De ce fait, l’on peut dire que le théâtre procure un mieux-être, une meilleure santé.

h. Les impacts économiques

« Le manque d’intérêt de certains milieux pour le théâtre notamment dans le milieu de certains décideurs, (décideurs politiques ou bailleurs de fonds) tient en partie au fait que l’on ne perçoit pas toujours clairement en quoi le fait de jouer peut contribuer à relever les défis économiques des pays en développement. 192 »

Le théâtre apparaît alors comme un simple loisir, un luxe non rentable. Ce d’autant plus en effet, que tout semble confirmer que le public si friand de théâtre lorsqu’il est diffusé sur les antennes ou lorsqu’il est joué gratuitement, ce public n’est pas bon acheteur du théâtre. Il est peu fréquent de voir le public africain se bousculer pour payer les tickets d’entrée au théâtre, sauf si peut-être, le spectacle en question est précédé d’une vedette ayant une certaine réputation qui est à la tête d’affiche. Dans la plupart des cas, le public ne se déplacera pas pour voir, moyennant de l’argent, une troupe locale quelque soit la qualité intrinsèque du produit artistique. En général, un spectacle payant qui marche bien, est une pièce qui parvient à faire une seule fois salle comble, c'est-à-dire 500 places payantes. Les autres représentations de la même pièce se joueront devant un public de plus en plus fidélisé. Dans ces cas de figure, peut-on espérer faire fortune par le théâtre de cette manière ?

192 Prosper Kompaoré, Op.cit. ; p.21

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La réponse est assurément non car lorsqu’il s’agit d’établir un ordre de priorité des domaines d’intervention des politiques de développement, l’art en général, et le théâtre en particulier est cité pour mémoire. Plus souvent, les arts sont tout simplement ignorés, oubliés et passés par perte et profit. Ainsi, on se retrouve dans un cercle concentrique où le théâtre n’est pas financé. Le théâtre ne peut pas alors, se développer. C’est pourquoi le théâtre n’influe pas de façon directe et visible sur le développement.

Même s’il est vrai que l’impact économique n’est pas l’objectif premier d’une représentation théâtrale, la réussite d’une campagne de sensibilisation ou d’information peut générer une plus-value économique directe ou indirecte. L’apport à l’amélioration d’un certain nombre de paramètres de développement se répercute sur l’évolution économique : santé, éducation, sécurité, sens civique, bonne gouvernance, droits de l’Homme. Chacun de ces indicateurs peut avoir une incidence réelle et directe sur le niveau de production ou de consommation et même sur l’évolution de la vie économique.

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Chapitre 8 : Le comportement des spectateurs pendant le spectacle

« Le dramaturge a un collaborateur…qui a peut-être autant d’importance que lui, c’est le public. L’œuvre dramatique a besoin d’un public…réuni dans une salle, grange, palais, et frémissant dans son unité de public (…). L’auteur, en quelque sorte, avec son texte, n’a laissé que la recette, une « façon de faire » et c’est chaque soir que la pièce se crée.»

Maurice Descotes.

Le public de Théâtre et son Histoire, PUF, 1964, p.4

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1. Catégories sociales des spectateurs de théâtre

Sans prétendre à une étude sociologique du public et de son comportement pendant le spectacle, nous nous efforcerons de relever à travers les situations-exemples du théâtre forum pratiqué par l’Atelier Théâtre Burkinabé quelques réactions des spectateurs que nous avons pu observer.

Le public qui s’adonne à une pratique théâtrale est souvent très varié au Burkina Faso. Le théâtre forum se pratique concomitamment en ville comme en campagne, d’où un public homogène et hétérogène. S’il est bien vrai qu’en ville on a affaire à un public souvent scolarisé et intellectuel, ceci n’est pas le cas pour le public des campagnes qui n’est pas souvent alphabétisé. Privat Roch Tapsoba a distingué trois catégories de public au Burkina Faso :

« 1.) Un groupe restreint de privilégiés comprenant d’une part, une petite élite cultivée, d’autre part des fonctionnaires et des cadres moyens. Tous parlent français et recherchent dans le spectacle, en plus de son caractère de divertissement, le plaisir d’une certaine ouverture sur le monde. Plaisir de « classe » qui permet de se démarquer du public populaire illettré. C’est le public d’un théâtre élitiste où les grands classiques et les auteurs occidentaux sont « très bons ».

2.) Le public scolaire, universitaires et élèves du secondaire. C’est de loin le public le plus passionné et le plus spontané. Il aurait pu constituer le public critique dont le Burkina Faso a besoin. Mais son impréparation et son impécuniosité ne lui permettent pas de jouer ce rôle.

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3.) Le public populaire représentant 80 à 85% de la population. Ce dernier ne va pratiquement pas voir le « théâtre des instruits ». (Sauf exceptionnellement par sympathie pour ses enfants à l’occasion des manifestations locales ou régionales). Cela parce qu’il ne comprend pas le français, cas le plus fréquent, ou parce que la forme de ce théâtre le déroute. Mais il va au spectacle et y participerait volontiers tant le goût qu’il prend est grand. »

On peut retrouver les spectateurs du théâtre d’intervention sociale dans les trois catégories ci-dessus énumérées. Cependant, nous pouvons relever la majeure partie des spectateurs du théâtre forum dans la dernière catégorie à savoir le public populaire.

Prosper Kompaoré 193 , quant à lui, distingue cinq catégories de public cible qu’il a appelé les cibles primaires, les cibles secondaires, les publics intermédiaires, les dépositaires d’enjeux et les acteurs de terrain. Qu’en est- il exactement ?

- Les cibles primaires sont les publics directement visés par l’action théâtrale. Ces publics sont couramment appelés le grand public ou public indistinct visés par les médias de masse comme la radio ou la télévision ; ou au contraire des publics segmentés selon différents critères tels que l’âge, la profession, la zone géographique, le statut socioprofessionnel, le sexe… - Les cibles secondaires sont les publics non directement visés mais arrosés volontairement ou non par l’action de sensibilisation. Ces publics secondaires peuvent jouer un rôle important dans le succès de l’action. Par exemple, l’on vise comme public primaire les jeunes ou les femmes, mais dans le même temps l’on cherche à toucher des

193 Prosper Kompaoré, Op.cit. ; p.24-25

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publics secondaires tels que les parents ou les hommes. Certains publics cibles secondaires sont des cibles inattendues ou inespérées et qui pourtant pourront influer sur le résultat final de la campagne. - Les publics cibles intermédiaires sont ceux qui sont impliqués d’une manière ou d’une autre dans la mise en œuvre de la campagne et qui peuvent à leur tour être affectés par le résultat de l’action menée. Sont de cette catégorie : les associations, les ONG et structures commanditaires de diverses campagnes de sensibilisation, les personnes relais dont pourrait dépendre en partie la mise en œuvre de la campagne : c’est le cas des leaders d’opinion, des décideurs, des chefs… - la quatrième catégorie de publicest constituée par les dépositaires d’enjeu ou les actionnaires de la campagne : ce sont les bailleurs de fonds, les autorités publiques, les autorités morales, religieuses ou coutumières, les médias, les partenaires de la société civile ou les politiques. - La cinquième catégorie de public est celle des acteurs de terrain. Ce sont les artistes, les animateurs et tous ceux qui sont directement impliqués dans la réalisation de la campagne.

2. Le public du théâtre forum

« L’acte théâtral naît d’une complicité entre 2 pôles corrélatifs indispensables : - l’acteur qui par son art tente de faire vivre dans un espace donné, un personnage ;

- le spectateur qui observe la métamorphose du comédien, la sent et la juge. 194 »

194 Koulsy Lamko, L’Atelier Théâtre Burkinabé et le théâtre forum : une expérience de revalorisation des éléments théâtraux du patrimoine traditionnel , mémoire de maîtrise, 1988, p.93

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Le public est le véritable réceptacle et destinataire du théâtre forum. La question du public est fondamentale dans l’espace dramatique. C’est le public qui peut bien accueillir un spectacle ou le rejeter. C’est également lui qui analyse, juge, critique et propose des amendements. Le public est une jauge du spectacle théâtral. C’est son impact qui permet de dire si le spectacle est un échec ou une réussite. L’interaction du public à travers sa participation au jeu permet de casser la dualité entre la salle et la scène. En outre, nous devons observer dans le forum une véritable réflexion entre acteurs et spectateurs pour débloquer les oppressions existentielles de la pièce-prétexte.

Nous pouvons affirmer que l’Atelier Théâtre Burkinabé cible son public avant le spectacle. Les pièces sont généralement commanditées par un partenaire qui veut qu’on sensibilise une population donnée sur des maux donnés à travers le théâtre forum. Le partenaire, en plus de l’ATB, va créer des conditions favorables à la manifestation. C’est ainsi qu’un calendrier est établi de commun accord avec les populations ciblées.

Le public qui doit recevoir le message est informé et sensibilisé sur les problèmes posés par la pièce prétexte. Cependant, les données comme l’organisation pratique diffèrent d’un spectacle à un autre. C’est pourquoi nous sommes d’avis avec Koulsy Lamko quand celui-ci distingue globalement deux types de public selon les réactions : le public homogène et le public hétérogène.

2.1 Le public homogène

Le public est homogène quand les différents spectateurs forment un tout harmonieux et cohérent. Nous avons dit tantôt que les spectacles de théâtre forum se déroulent généralement dans les lieux ouverts ou euphoriques où tout le monde a accès à la scène. Dans ces conditions, il est difficile, voire

252 impossible de filtrer le public. Cependant, nous pouvons parler d’homogénéité lorsque les spectateurs vivent le même problème posé par la pièce prétexte. Et comme une partie du public était sensibilisée à l’avance sur le thème, on assiste à une forte éclosion d’une liberté d’expression de la part de ces derniers. Ce public peut être qualifié de public actif qui reste jusqu’à la fin du spectacle et est souvent insatisfait du forum puisque sensibilisé à l’avance sur le problème. C’est le genre de public qui est recherché. C’est le public idéal en ce sens que vivant les problèmes d’oppression, le forum est l’occasion pour les ressortissants du village de laver le linge sale cette fois-ci en public et non en famille. Les opprimés traitent les oppresseurs de tous les noms d’oiseaux. Même après le forum, nous avons remarqué, lors de notre sortie à Lougsi, un village de Tanghin- Dassouri dans la province du Kadiogo avec la pièce « Le vote du fétiche » que des groupuscules se sont formés et proposaient des solutions même après le forum. L’un des objectif du théâtre d’intervention sociale est que le forum puisse continuer dans les familles et les marchés afin qu’on puisse noter des transformations sociales de bonne qualité pour tout le monde.

En plus du public actif , nous avons souvent remarqué un public habituel ou conventionnel qui ne fait pas forcément bouger les lignes de l’oppression. C’est un public qui manque souvent d’honnêteté, car instrumentalisé par un responsable villageois assez zélé. Les opprimés prennent la place des oppressés, contournent les difficultés et proposent des solutions inventées. Le forum s’apparente alors à du théâtre au sens propre du terme et rien de bon ne sort des échanges puisque le fondement est caractérisé par une fausseté sans pareille et rame à contre-courant avec les objectifs du théâtre forum. Ce genre de public téléguidé ne fait pas avancer les principes régaliens du théâtre forum. Ils les annihilentpar contre.

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Enfin, nous avons une dernière catégorie de public, il s’agit du public passif . Le public passif se compose généralement de personnes très réticentes qui jouent seulement le rôle de spectateurs. Ils n’acceptent pas franchir le rubicond pour devenir acteur et accepter la transformation. Les facteurs socio-culturels peuvent expliquer ces comportements. Une frange partie du public passif se trouve chez les femmes, car beaucoup ne veulent pas se mettre sur la scène soit parce que le mari ou le « petit mari » est à côté soit par simple principe d’occuper toujours le second rang. Ce genre de public ne favorise pas les échanges dans le forum ni dans la partie réservée aux questions réponses. Cependant, notons qu’il n’est pas de coutume de rencontrer ce type de public. La plupart des représentations auxquelles nous avons eu à prendre part, les interventions suscitées par la pièce prétexte sont si nombreuses que le joker à un moment donné est obligé de gérer certaines questions afin que les commentaires ne soient pas trop longs au risque d’oublier l’essentiel du forum. Qu’en est-il donc du public hétérogène ?

2.2 Le public hétérogène

Le public hétérogène est un public composé de différentes personnes ou des gens venus de divers milieux sociaux. Généralement, si le spectacle coïncide avec un jour de marché, toutes ces personnes qui étaient venus des villages voisins pour faire le marché assistent au spectacle. Ce public est un public hétérogène car la plupart d’entre eux ne se connaissent pas ou se connaissent peu. Ce public est souvent difficile à maîtriser que ce soit dans la pièce prétexte où dans le forum.

« C’est le public des grands jours de marché. Venus de partout, les gens, étrangers les uns aux autres, réagissent difficilement. Les enfants en grand nombre piaillent. Ce qui altère le bon suivi de la pièce. Les spectateurs adultes privilégient le spectacle au forum. Sans

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aucune motivation, une fois la curiosité satisfaite avec la pièce, ils se désintéressent du forum soit par peur de s’exhiber devant des gens inconnus soit parce que préoccupés par d’autres motivations. Le grand nombre, l’incommodité que présente la station débout, la disparité des classes d’âge et des catégories sociales sont des paramètres participant à l’échec du forum. Ce public est rare mais la hantise des comédiens qui doivent déployer de grands efforts pour être maîtres de la situation. 195 »

La réussite du théâtre forum est conditionnée par l’homogénéité du public. Les personnes qui partagent les mêmes problèmes sont alertes et disponibles pour parler de leurs problèmes si le cadre est bien propice. A contrario, si les opprimés acceptent de dévoiler leurs oppresseurs, ils racontent tout aux moindres détails. Des scènes de bagarres peuvent souvent apparaître dans de telles conditions entre oppresseurs et opprimés. En ce moment, la scène se transforme souvent en un dialogue ou le comédien est oublié. Celui-ci par contre ne se plaint pas au grand bonheur du débat. Dans ces conditions, le forum se porte mieux, le public qui était hétérogène au départ devient homogène avec un public ciblé et bien organisé.

Le public constitue une pierre d’achoppement dans la réussite du théâtre forum. Qu’il soit homogène ou hétérogène, sans public pas de théâtre. C’est pourquoi de plus en plus, un travail est fait dans le but de fidéliser le public au théâtre. L’étude que nous venons de faire montre l’intérêt du public dans le théâtre d’intervention sociale. Nous avons dit que c’est un théâtre qui s’adresse aux couches défavorisées de la société. C’est un théâtre pour le peuple et par le peuple.

195 Koulsy Lamko, Op.cit.; p.97

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3. Le sentiment du public

Le public participe activement au jeu pendant le spectacle en commentant ou en réagissant à certaines actions et à certaines paroles des acteurs. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, le public du théâtre forum est associé à la conception de la pièce prétexte et le spectacle n’est transcrit qu’après les réactions de ces derniers. C’est un théâtre qui cherche à connaître son public, à l’impliquer dans l’atteinte de ses objectifs et dans la transmission de son message. C’est pourquoi la sensibilité du public prend une grande place chez le metteur en scène dans la conception de ce type de théâtre. Ayant suivi les spectacles, nous nous sommes donné pour mission d’interviewer le public afin de recueillir ses sentiments vis-à-vis des spectacles. Nous proposons à cet effet, quelques sentiments du public après les représentations de théâtre forum.

Nacoulma Bruno, premier adjoint au maire et Président de la délégation spéciale de Tanghin-Dassouri :

« La représentation « Le vote du fétiche » a fait sortir certaines dérives dans nos villages et ensemble des solutions ont été trouvées. cette pièce est une sensibilisation qui a son importance, car souvent, les gens font certaines actions non par méchanceté mais par ignorance. A mon avis, cette pièce va emmener les gens à jouer leur rôle civique. Chacun doit mesurer la portée de ses actes. A travers les réponses des enfants, on a constaté le changement car spontanément les enfants ont dit d’éviter la violence, la corruption et les calomnies

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électorales. Je voudrais remercier l’agence CORADE et l’ATB pour cette belle initiative. 196 »

Sophie Kagambèga, représentante des femmes dans le village de Sanné :

« Le jeu a montré de bonnes choses aux gens en ce qui concerne particulièrement la politique. En politique, on doit se comprendre, on ne doit pas faire de discorde. Le personnage de Rourougou (le serpent boa) est très négatif. Selon moi, le jeu théâtral aura un impact sur les élections à venir. On ne doit pas élire forcément un riche mais celui qui a de bonnes idées. Le jeu a aussi ouvert les jeux des spectateurs et chacun saura faire son choix au temps opportun. Je profite remercier l’effort que chacun de vous a fait. 197 »

Badolo Boubié Siema, Préfet de Zimtanga et Président de la délégation spéciale de Zimtanga :

« Le théâtre fait sourire mais permet aux gens d’avoir une vision claire de la société de ce qui est bon ou mauvais. Je souhaite que les autorités donnent assez de moyens au théâtre afin qu’il soit joué un peu partout pour le bonheur du peuple. Selon moi l’organisation du théâtre est important car cela aura un impact sur la population à savoir comment voter, comment rentrer en possession d’une carte d’électeur. Amon avis, le théâtre est une bonne chose car les tensions s’apaisent à la vue d’un spectacle théâtral. 198 »

196 Entretien réalisé par nous, le 27 janvier 2016 à 18h30 à Tanghin-Dassouri avec Monsieur Bruno Nacoulma, premier adjoint au maire et président de la délégation spéciale de Tanghin-Dassouri 197 Entretien réalisé par nous, le 28 janvier 2016 à 17h45 à Sanné avec Madame Sophie Kagambèga, représentante des femmes. 198 Entretien réalisé par nous, le 19 janvier 2016 à 18h30 à Bayend-foulgo avec Monsieur le Préfet du département de Zimtanga.

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Sawadogo Alphonse, consultant local de CORADE (organisme qui a commandité le spectacle) :

« La pièce peut toucher la population. La partie forum a permis au public de corriger l’erreur sociale, de dénoncer les comportements anti-sociaux. A travers ce spectacle, les spectateurs pourront choisir en âme et conscience les candidats capables de gérer les activités de la commune. Selon moi, l’objectif est atteint car la représentation est parvenue à sensibiliser les populations. 199 »

4. Les comportements et attitudes des spectateurs pendant les représentations

Les réactions des spectateurs pendant les représentations traduisent l’intensité émotionnelle que suscitent les acteurs sur scène. On peut dire que le public est dans un état euphorique surtout que la pièce de théâtre forum se termine généralement par un suspens, une interrogation qui laisse le public sur sa fin et sa soif.

Parmi les indicateurs qui marquent la participation du public, nous retiendrons les applaudissements, les cris, les rires et les moments de fortes concentrations, c'est-à-dire de silence.

Les applaudissements traduisent souvent un appui, une aide des spectateurs pour soutenir un opprimé. Face à des propos désobligeants d’un oppresseur vis-à-vis d’un opprimé, le public de façon mécanique encourage l’opprimé par des salves d’applaudissements afin que ce dernier se réveille

199 Entretien réalisé par nous, le 11 janvier 2016 à 17h30 à Douroula avec Monsieur Alphonse Sawadogo, consultant CORADE.

258 pour lutter contre son bourreau. On assiste très souvent à cet état de fait lors des représentations de théâtre forum.

Les cris expriment généralement le rejet ou l’opposition des spectateurs face à certains actes odieux que veulent commettre certains personnages. A titre illustratif, dans la pièce, « Le vote du fétiche », on a ressenti les cris du public lorsque certains spectateurs sont partis faire allégeance au fétiche Jantigui afin de recevoir sa protection et triompher aux élections communales. Le chef du parti « les flamboyants » accompagné par son candidat « Rourougou » et les membres du village soutenant la candidature de ce dernier se sont prosternés devant le fétiche Jantigui.

Les rires participent à la fête théâtrale. Sans effets comiques, le théâtre se réduirait tout simplement à un cours d’eau silencieux traversé par des marins. Au théâtre forum, le rire occupe une place de choix que ce soit dans la composition de la pièce-prétexte ou dans le forum. Les rires sont souvent déclenchés par certains comportements de certains personnages qui portent en eux l’art de faire rire, ce que les sémiologues appellent le comique naturel. A titre d’exemple, dans la pièce « La folie de l’or », rien qu’à la vue de l’ancien combattant, à l’état civil Kaba Lamine, le public ne peut pas s’empêcher de rire car le personnage en lui-même porte les gènes du comique naturel.

Les moments de fortes concentrations ou de silence s’observent à travers des moments de fortes émotions, de compassion vis-à-vis du drame des personnages opprimés de la pièce. Il arrive très souvent que des personnes très émotives face à la souffrance d’un personnage opprimé détournent leur regard de la scène ou tout simplement versent des larmes

259 oubliant parfois qu’ils sont au théâtre. C’est ce que Bernard Dort 200 appelle le pouvoir du théâtre.

Nous pouvons donc affirmer sans nous tromper que les attitudes et les réactions du public sont des indices qui permettent de mesurer le degré d’ impactabilité du message théâtral au public.

« La relation public-acteur est importante dans la définition de l’impact du fait théâtral. « Le théâtre africain » ne se trouve pas que dans la dramaturgie des textes francophones…Certains spectacles joués en Afrique drainent une foule immense se bousculant à l’entrée de la salle. Ces mêmes spectacles une fois représentés en Occident sont considérés comme non aboutis et font parfois l’objet de critiques acerbes. 201 »

Avant le début du spectacle, les spécialistes de la question expliquent les objectifs du spectacle et attirent l’attention des spectateurs sur l’importance des messages qui seront livrés à leur endroit. Par exemple, si ce sont des questions de santé, des médecins seront demandés pour répondre à certaines questions afin d’éclairer le public.

Les commanditaires du spectacle communiquent également avec le public sur l’horizon d’attente du spectacle.

Pendant le spectacle, le public participe beaucoup au jeu d’acteurs. Cela se voit à travers les commentaires et les réactions aux actions et aux propos tenus par les acteurs.

Après le spectacle, débute le forum. C’est la phase des reprises séquentielles. Le public est excité à l’image de monter sur la scène et de

200 Bernard Dort, Les pouvoirs du théâtre , Théâtre, Editions Seuil, Paris, 1986 201 Koulsy Lamko, Emergence difficile d’un théâtre de la participation , p.113

260 jouer le rôle d’acteur. Il est sollicité, il intervient plus que jamais puisqu’il se montre disponible. Dans la pièce, « Le vote du fétiche », une dame du nom de Kalidjèta Ouédraogo demande de rejouer la séquence où Poko, la candidate au poste de conseillère, est dénigrée par son challenger Rourougou. Le joker lui remet le foulard de Poko et dit : « Maintenant, vous n’êtes plus Kalidjèta mais Poko ». Dans les échanges qui furent âpres, Rourougou qui ne se laisse pas convaincre facilement finit par reconnaitre le rôle moteur de la femme dans la société. Il est prêt à concourir à armes égales avec Poko. La spectatrice soulagée par le sentiment d’avoir fait fléchir son adversaire, remet les attributs de la comédienne Poko, et redevient Kalidjèta Ouédraogo. De telles séquences rejouées, nous les rencontrons à chaque fois que nous sortions pour un spectacle de théâtre forum.

Après ces reprises de jeu, nous amorçons la troisième partie à savoir les questions-réponses.

Les comédiens échangent entre eux sur les réactions du public une fois le spectacle terminé. Les spectateurs viennent également vers les acteurs pour échanger avec eux afin de comprendre ses agissements dans la pièce. C’est avec bienveillance que les comédiens les éclairent sur tel ou tel phénomène et profitent à leur tour se renseigner sur certains problèmes ou oppressions latents dans le dit village. Nous voyons que même après le spectacle théâtral, nait un autre type de spectacle plus convivial et plus fraternel.

L’Atelier Théâtre Burkinabé qui ? Pour la plupart du temps ? se produit au Burkina Faso n’exclut pas des sorties à l’extérieur du pays sur invitation. C’est pourquoi du 11 novembre au 10 décembre 2013, il a répondu favorablement à l’invitation de l’Association « Les amis de Poa » pour parcourir les villes et villages de la France et du Luxembourg. Au total,

261

4957 personnes ont bénéficié de 44 prestations de l’ATB qui se subdivisent ainsi qu’il suit :

- 16 animations dans les écoles, lycées et universités ; - 5 conférences prononcées par le Directeur de l’ATB - 23 représentations de la pièce « La parenthèse de vie » et de plusieurs pièce de théâtre forum dont des extraits de la parenthèse, la terre des femmes , l’histoire de Ziza , La différence , Au nom de la liberté .

Pour Prosper Kompaoré,

« Chaque lieu, chaque ville, chaque salle était une expérience nouvelle, avec de nouveaux challenges à relever pour répondre aux attentes des organisateurs et du public et pour être à la hauteur de la réputation du Burkina Faso et de l’ATB. 202 »

Il est vrai qu’il existe une différence entre les réactions du public africain et celles du public occidental. Une des bases fondamentales du théâtre forum est la participation du public pendant le spectacle théâtral. C’est pourquoi nous partageons le point de vue de Prosper Kompaoré quand il affirme que :

« Le spectateur africain du fait de sa culture, réagit différemment du spectateur occidental devant un spectacle à caractère ésotérique. En effet, là où les règles de savoir-vivre et de décence commandent au spectateur occidental de suivre en silence le spectacle, ne réagissant de manière ritualisée qu’à travers des applaudissements pré situés, la règle dans la plupart des cas en Afrique autorise parfois même le spectateur africain à intervenir

202 Prosper Kompaoré, Enjeux de scène n°14 , saison théâtrale 2013-2014, p.14

262

spontanément par le geste ou la parole, pour approuver ou désapprouver, pour corriger ou donner la réplique, pour relayer ou répliquer. Ces interventions sollicitées ou spontanées, l’acteur les attend et souvent en a besoin pour sentir son public, pour maintenir en permanence le contact. 203 »

Le théâtre forum part du principe fondamental de la non-dichotomie entre acteur/spectateur. En plus, il part du principe que le spectateur peut jouer au théâtre et que, ce faisant, il peut dire ce qu’il pense librement pourvu que le jeu suscite une volonté de libération et de rupture de l’oppression vécue.

« Les Amateurs du Théâtre Voltaïque (A.T.V). Une troupe un peu particulière dans la mesure où elle s’est distinguée ces cinq dernières années par un théâtre d’inspiration populaire, considérant le public comme une source et une fin. Troupe subventionnée, elle s’est efforcée par le moyen de traductions et d’adaptations d’intéresser un public rural qui, pour la plupart, se tenait loin des salles de spectacle. Un théâtre « forum », tournée vers les préoccupations immédiates du peuple, pour susciter une prise de conscience des réalités du pays. Un travail théâtral qui reste à la hauteur des intentions légitimes de la troupe : Eduquer par le peuple. 204 »

Nous avons vu à travers la description du public du théâtre d’intervention sociale, une forte hétérogénéité dans sa composition. Nous pensons que des difficultés dans la réception du message peuvent exister d’un spectacle à un autre ou d’un milieu à un autre.

203 Prosper Kompaoré, « Le théâtre d’intervention sociale en Afrique » in Théâtre africain, Théâtres africains ? Paris, Silex, 1990, p.151 204 Privat Roch Tapsoba, Op.cit.; p.239

263

5. Les difficultés linguistiques dans la réception du théâtre forum

Comme tous les autres pays africains, le Burkina Faso dispose de plus d’une soixantaine d’ethnies correspondant à soixante langues et dialectes. Cependant, outre le français, langue du colonisateur, coexistent trois principales langues nationales à savoir le mooré, le fulfuldé et le dioula.

Le taux de scolarisation est très bas au Burkina Faso avec seulement 19,2% de la population alphabétisée en français. Le mooré est parlé par plus de 60% de la population, (c’est la langue des moose ou l’ethnie majoritaire). Pour Jean Pierre Cot cité par Koulsy Lamko :

« L’ambigüité culturelle commence avec la maîtrise de la langue. En Afrique francophone, l’alphabétisation se fait en français, en principe. Les écoles primaires, installées du temps de la colonisation, ont continué depuis. Pourtant, malgré un taux de scolarisation souvent convenable, le français n’est guère parlé en dehors des villes et lorsque, à l’occasion d’une halte, on me demande d’adresser quelques mots à la population d’un village réuni pour la circonstance, l’interprète est de rigueur. 205 »

Par conséquent, l’utilisation de la langue française reste limitée à un public élitiste. Le français est la langue officielle mais elle reste la langue minoritaire puisque le taux d’alphabétisation est bas. C’est pourquoi dans un pays comme le Burkina Faso, on note l’hégémonie d’une élite très souvent acculturée sur une grande majorité de la population non alphabétisée.

205 Jean Pierre Cot, A l’épreuve du pouvoir, le tiers mondisme pourquoi faire ?, Paris, Le Seuil, 1998, p.179 cité par Koulsy Lamko, Emergence difficile d’un théâtre de la participation… ; p.156

264

Heureusement que l’Atelier Théâtre Burkinabé tient compte de ces facteurs dans la création de ses pièces mêmes si certaines difficultés subsistent.

« Les textes des pièces prétextes du théâtre pour le développement sont d’abord improvisés en langue française, puis enregistrés au magnétophone et retenus par écrit dans cette même langue. Il semble plus facile pour les comédiens, venant d’horizons ethniques divers (mooré, dioula, bissa, gourounsi, gourmantché, lobi…) de s’accorder dans une langue dont ils ont la pratique commune et qui facilite la communication autour de la création : le français. Ensuite, des versions en mooré et dioula du texte retenu par écrit en français sont aménagés par ceux des comédiens locuteurs des langues sus-citées. Il convient de noter que ces versions sont conservées (par la mémoire) à l’état oral (non écrit) et ne sont transcrites nulle part. Elles font l’objet d’une mémoire collective qui, en s’appuyant sur la version française du texte, « version officielle », garde des variantes en langues nationales. 206 »

Il existe généralement une version des pièces prétextes de l’ATB dans les deux langues que sont le mooré et le dioula en plus de la version française.

Supposons, si la pièce est jouée dans la langue où le comédien est natif, ce dernier donne des répliques dans la langue du milieu tandis que les autres qui ne comprennent pas la langue jouent comme s’ils comprenaient la langue mais incapables de parler. La gestuelle aide à compenser l’absence de parole.

206 Koulsy Lamko, Op.cit. ; p.158

265

Le deuxième procédé est le doublage que la troupe utilise. Cette fois ci, il s’agit de faire intervenir un autochtone de la localité. Il intervient entre les différentes séquences. Nous avons assisté à cela dans la pièce « Le vote du fétiche » dans la commune rurale de Douroula le 11 janvier 2016. Le joker ne maîtrisant pas la langue de la localité le « Dafing » a réussi sa mission avec l’aide d’un membre de la troupe de Douroula qui traduisait ce que le joker disait en « dioula » en « dafing ». Certes, le fonctionnement du doublage peut paraitre redondant, c’est pourquoi la troupe ne l’utilise qu’en dernier ressort lorsque les différents tests d’animation se sont révélés improductifs.

En outre, les barrières linguistiques ont amené l’Atelier Théâtre Burkinabé à créer des troupes relais dans presque toutes les quarante-cinq provinces du Burkina Faso. Ces troupes relais catalysent et enrayent les problèmes linguistiques. A travers son réseau, l’ATB donne des formations chaque année à ces troupes relais qui le représentent valablement dans les dites localités. Du reste, la naissance de ces troupes depuis les années 1994 a conforté la place de l’ATB dans l’échiquier national et international en tant que troupe mère porteuse des troupes filles. L’ATB est pratiquement la seule troupe à avoir eu cette idée de partage du théâtre forum.

Hormis le Burkina Faso, l’Atelier Théâtre Burkinabé a également des troupes filles dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest. Nous pouvons citer par exemple, la troupe Kaddu Yarax du Sénégal avec Mamadou Diol, la compagnie Koykoyo de Saleh Ado Mahamat du Niger. L’atelier Théâtre burkinabé a également formé des troupes au Mali, en Côte d’Ivoire, au Tchad et au Rwanda et bien d’autres pays. Notre liste n’est pas exhaustive. Au regard de tout cela, nous pouvons affirmer sans nous tromper qu’en tant que troupe pionnière dans la pratique du théâtre forum en Afrique, l’ATB comme un

266 essaim d’abeilles a planté, arrosé et fait pousser les fruits du développement un peu partout en Afrique.

267

Chapitre 9 : Les résultats après représentations

A l’opposé du théâtre conventionnel qui propose généralement des solutions toutes faites aux problèmes posés dans la pièce, le théâtre forum ne propose pas de solutions mais implique le public et l’amène à trouver lui- même les solutions à ses propres problèmes ou oppressions.

« Le théâtre forum concerne essentiellement un type de spectacle conçu de manière à impliquer immédiatement et physiquement le spectateur dans l’acte théâtral, dans le but de l’amener à jouer théâtralement les gestes et les actes libérateurs de la vie concrète et réelle. 207 »

Le théâtre forum favorise donc un contact direct entre les spectateurs et le public. Le spectateur vit en live les mouvements de l’acteur, il l’entend, il éprouve la même oppression que lui. Cela se traduit par des vives réactions des spectateurs vis-à-vis des mêmes oppressions vécues.

1. Mobilisation sociale autour du théâtre d’intervention sociale

L’étude d’impact du théâtre d’intervention sociale s’intéresse d’abord à la nature du support, c'est-à-dire le théâtre forum. La communication sociale qui est l’un des aspects de la mobilisation sociale offre un panorama de supports parmi lesquels le théâtre tient une place de choix. A la fois expression artistique, mode d’expression enraciné dans la culture d’un peuple et moyen de communication sociale, le théâtre en général et le théâtre forum en particulier a un pouvoir d’impression sur l’intellect et sur l’affect et le comportement. Le support de théâtre est un moyen de communication artistique très puissant dans les stratégies de communication. Qu’en est-il de la mobilisation sociale ?

207 Prosper Kompaoré, in Théâtres africains, Editions Silex Paris, 1990, p.147

268

« La mobilisation sociale est une politique de développement qui consiste à aller vers les populations dans le but de traiter des thèmes qui touchent leurs conditions de vie et de les inciter à en chercher les solutions. Elle est une politique de communication qui cherche le dialogue entre les intervenants et les populations dans le but d’amener ces dernières à adhérer aux actions entreprises et à s’engager à participer activement à leurs réalisations. 208 »

Nous pouvons dire que la mobilisation sociale constitue une nouvelle vision du développement au Burkina Faso. C’est un développement participatif qui se fait avec les populations.

La mobilisation sociale à travers le théâtre d’intervention sociale se fait principalement en trois étapes afin d’amener la population à prendre conscience de l’oppression qu’elle vit et à se lever pour chercher les armes de sa libération.

La première mobilisation sociale est ce que nous avons appelé la pièce prétexte qui est une tranche de vie jouée par les comédiens comportant une erreur sociale. La pièce prétexte met à nu les problèmes que vivent les populations en leur créant un malaise, qui de frustration en frustration, les amène à sortir hors d’eux-mêmes et à vouloir corriger les injustices constatées. C’est l’objectif recherché dans cette première manche. A cette partie du jeu, les réactions du public sont des indices de bonne ou de mauvaises réceptions du spectacle. Cela se manifeste généralement à travers des cris, des applaudissements et des rires. La réussite de la première partie à savoir la pièce prétexte conditionne celle de la deuxième partie le forum.

208 Hamadou Mandé, le théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso : l’exemple du théâtre-débat avec le théâtre de la fraternité, mémoire de maîtrise, 1994, p.14

269

La deuxième partie dans la mobilisation sociale est le forum . A travers le forum, c’est la reprise séquentielle par les spect’acteurs de certaines oppressions afin de les rejouer et de les corriger. Dans la pièce « le vote du fétiche », une femme s’en est prise violemment au personnage de « Rourougou » pour son comportement fort déplaisant. En effet, ce dernier avait avancé des propos malsains à son adversaire Poko, candidate aux élections municipales en ces termes : « Une femme ne peut pas gérer les problèmes d’une commune. Elle doit être à côté de son mari et s’occuper des tâches ménagères. » Voici donc la boutade qui avait choqué notre spect’actrice qui s’est permise de monter sur le podium lors du forum pour corriger les inepties de « Rourougou ». C’est à coup d’applaudissements du public que celle-ci a rejoint sa place. « Rourougou » quant à lui, fut hué correctement par le public

La troisième et dernière mobilisation sociale est la phase des questions-réponses. Les spectateurs sont amenés à poser des questions sur certains aspects de la pièce qu’ils n’ont pas compris. Le joker et les autres comédiens se chargent de répondre. Souvent les commanditaires de la pièce avec leurs spécialistes apportent des éléments d’éclaircissement aux spectateurs.

Le théâtre forum étant une manifestation sociale pour reprendre les mots de Jean Duvignaud, constitue une véritable tribune d’expression où les débats mettent à nu les problèmes quotidiens des populations.

Intéressons-nous maintenant à la condition féminine au Burkina Faso car dans la plupart des pièces de théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé, la question de la femme demeure une priorité. Nous pouvons citer des pièces comme :

270

- Fatouma ou la machine à enfants, Ouagadougou, A.T.B., en deux versions, 1989, et 1998 ; - Rimbessida ou le pouvoir des femmes ; Ouagadougou, A.T.B ,1996 ; - Tourments de femmes ; Ouagadougou, A.T.B, 2004.

2. Regard sur la situation des femmes au Burkina Faso

La condition de la femme en Afrique demeure difficile malgré tous les efforts qui ont été consentis dans le sens de l’amélioration de ses conditions de vie. Depuis sa naissance jusqu’à son adolescence, par divers préjugés, elle est souvent considérée comme inférieure à l’homme.

Au Burkina Faso, la condition de la femme reste toujours précaire dans certains milieux phallocratiques. Malgré les sensibilisations, la situation des femmes a toujours la peau dure au Burkina Faso. Ceci nous amène à faire un clin d’œil sur la situation de la femme au Burkina Faso.

Le Burkina Faso est un pays en voie de développement, cependant les femmes croulent toujours sous le poids de la misère.

Selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) 2006, les femmes occupent plus de 52% de la population burkinabé. Elles sont les piliers de développement dans les familles. Premières à se lever pour les tâches ménagères, elles sont les dernières à se coucher. La situation de la femme burkinabé, à l’instar de celles des femmes en Afrique, n’est pas très reluisante. Si nous partons du crédo selon lequel, « éduquer une fille c’est éduquer une nation », nous pouvons avancer que la société devrait accorder plus d’importance et plus de place à la femme. Chaque personne, quelle qu’elle soit, a été mise au monde par une femme. Un des points les plus importants dans la vie selon nous, est le fait de donner une vie, donner la vie à un être humain. C’est le plus beau

271 cadeau de la vie. Une maman qui consent à porter pendant neuf mois une grossesse, n’est-ce pas là un sacrifice colossal ? Pour illustrer nos propos sur l’importance de la femme dans la société et de l’amour que les enfants leur témoignent, nous invitons Camara Laye à travers son célèbre poème qui a bercé des générations et des générations d’enfants dans le monde. Ce poème est toujours d’actualité aujourd’hui.

« A ma mère

Femme noire, femme africaine

O toi ma mère, je pense à toi…

O Daman, ô ma mère,

Toi qui me portas sur le dos,

Toi qui m’allaitas, toi qui gouverna mes premiers pas,

Toi qui la première m’ouvris les yeux aux prodiges de la terre,

Je pense à toi…

O toi Daman, ô ma mère,

Toi qui, patiemment, supportais mes caprices,

Comme j’aimerais encore être près de toi,

Etre enfant prêt de toi.

O Daman, Daman de la grande famille des forgerons,

Ma pensée toujours se tourne vers toi,

La tienne à chaque fois m’accompagne,

O Daman, ma mère,

Comme j’aimerais être encore dans ta chaleur,

Etre enfant près de toi…

272

Femme noire, femme africaine,

O toi ma mère,

Merci, merci pour tout ce que tu fis pour moi,

Ton fils si loin, si près de toi.

Femme des champs, femme des rivières, femme du grand fleuve, ô toi, ma mère je pense à toi… 209 »

Ce poème de Camara Laye vient conforter le rôle social de la femme africaine dans la société. Elle est source de vie, elle est la vie. Elle est l’alpha et l’oméga.

Cependant, les indices qui nous permettent d’avancer que les conditions de vie de la femme au Burkina Faso sont encore difficiles sont légions :

En effet, seulement 51% des filles de 15ans savent lire et écrire contre 67% des hommes. En plus, beaucoup de femmes perdent la vie en voulant donner la vie. Aussi, 28% des jeunes filles sont mariées au moins une fois avant d’avoir l’âge de vingt ans. Nous n’omettons pas d’autres pratiques comme la polygamie et le lévirat qui freinent l’épanouissement des femmes en général.

Les femmes sont généralement absentes des sphères de décisions au Burkina Faso. Cela est prouvé par une étude de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD) :

« La représentation des femmes aux sphères de décision est très faible par rapport à celle des hommes. Cette situation est, entre

209 Camara Laye, L’enfant noir, Paris, Edition Plon, 1953 ; p.7-8

273

autres, une conséquence de la faible fréquentation scolaire des filles. 210 »

Selon certaines considérations traditionnelles, lorsqu’interviennent les premières pluies, seules les femmes sont autorisées à semer certaines cultures comme le gombo, l’oseille avant que les hommes ne s’avisent à semer quoi que ce soit. Pour montrer la place prépondérante qu’occupaient les femmes, le Professeur Joseph Ki-Zerbo corrobore nos dires a travers cette citation :

« La femme africaine, souvent présentée comme terriblement opprimée en Afrique, y a joué et y joue encore un rôle plus considérable qu’ailleurs, comme travailleuse, artisane, artiste, reine, guerrière, prêtresse, militante. Elle a d’ailleurs amplement démontré ses capacités supérieures d’assimilation des éléments nouveaux, tout en restant généralement plus fidèle que l’homme aux costumes et aux coutumes du terroir. 211 »

Dans certaines communautés, ce sont les sœurs qui sont chargées de trouver une épouse à leurs frères. Conformément à cette tradition, ce sont les sœurs qui doivent demander la main de leur future épouse. Les femmes deviennent en ce moment des partenaires incontournables et inamovibles des hommes. Elles interviennent directement ou indirectement dans la prise de certaines décisions qui rythment la vie de la société. Pour Corinne Mandjou, journaliste camerounaise :

210 Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD), 2006 211 Joseph Ki-Zerbo, A propos de culture , p.51

274

« Dans les sociétés africaines traditionnelles, on demande toujours l’avis des femmes avant de prendre une décision, même si celles-ci ne parlent jamais en public. 212 »

Les propos de C.BENABDESADOK dans Femmes et révolution justifient également la situation précaire de la femme burkinabé en ces termes :

« Il y a en effet beaucoup de choses à faire dans ce pays ou deux caractéristiques globales permettent de saisir d’emblée la condition des femmes. La première est d’ordre général : les femmes burkinabé comme l’ensemble des femmes africaines, prennent une part active aux activités économiques des pays africains…Les femmes africaines ont fourni la moitié de la production alimentaire en 1984. La seconde concerne les femmes du Burkina Faso en tant qu’elles appartiennent à un pays exclusivement rural (90%) pauvre et structurellement arriéré. 213 »

C.BENABDESADOK s’inspirant des travaux de la commission économique des nations unies ajoute :

« Les femmes, faut-il le rappeler, subissent plus que les hommes les conséquences du sous-développement économique et socio- culturel. Soulignons que le taux de scolarisation au Burkina Faso est un des plus faibles du monde. Moins de 20% et qu’il est encore plus faible en ce qui concerne les enfants de sexe féminin. En 1983, celui-ci constituait 37% des effectifs dans le primaire, 34,5% dans le secondaire et 22,9% à l’université. Quant à l’analphabétisme, il touche 92,5% de la population totale et 98% des femmes, alors que

212 Corinne Mandjou, www.genre en action 213 C. Benabdesadok in Femmes et révolution , Politique africaine : le Burkina Faso, Karthala, Paris p.56

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celles-ci représentent 55% de la population du pays. De toute évidence, ce sont toutefois, elles, qui vivent les conditions les plus pénibles. La dure bataille pour la survie focalise l’attention et l’énergie des millions de paysannes pour lesquelles, la vie malgré les couleurs chatoyantes de leurs pagnes et leurs palabres qui ravissent les visiteurs venus d’ailleurs, est un long chemin de croix. 214 »

La situation de la femme en milieu rural est plus précaire que celle en milieu urbain. Cependant, avec des conséquences, car en ville, les femmes ne sont pas à l’abri de la prostitution et du gain facile. Ce qui nous fait dire qu’elles ne sont pas plus émancipées, plus libres et plus responsabilisées que celles en milieu rural. En tout état de cause, la femme burkinabé vient après l’homme dans la plupart des activités humaines.

Cependant, le protocole de la charte des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique, adopté par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement à Maputo en juillet 2003 et ratifié par le Burkina Faso en 2006 stipule en son article 9 :

« Des actions positives spécifiques pour promouvoir la gouvernance participative et la participation paritaire des femmes dans la vie politique de leur pays à travers une action affirmative et une législation nationale et d’autres mesures de nature à garantir que :

- les femmes participent à toutes les élections sans aucune discrimination ; - les femmes soient représentées en parité avec les hommes à tous les niveaux, dans les processus électoraux ;

214 Idem, p.56-57

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- les femmes soient les partenaires égales des hommes à tous les niveaux de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques et programmes de développement de l’Etat. 215 »

Cette charte semble avoir pris en compte toutes les préoccupations liées à la condition de la femme car l’article suscité invite les Etats membres à entreprendre des actions allant dans le bien6être de la femme. Le Burkina Faso qui a été partie prenante de cette charte l’a introduite dans sa constitution à son article 12 :

« Tous les Burkinabé, sans discrimination aucune, ont le droit de participer à la gestion des affaires de l’Etat et de la société. A ce titre ils sont des électeurs et éligibles dans les conditions prévues par la loi. 216 »

Cependant, notons que ces articles sont bien beaux mais se limitent souvent à la théorie, car dans la pratique, des dysfonctionnements existent dans la mise en œuvre de ces lois. C’est ainsi que des femmes continuent de subir une inégalité de traitements dans certains domaines comme la politique. Au Burkina Faso, on est parvenu à instaurer un quota genre pour pallier aux insuffisances à travers la loi n°010-2009/AN. Cette loi stipule en son article 3 que :

« Toute liste de candidatures présentée par un parti ou un groupe de partis politiques, lors des élections législatives et municipales, doit comporter au moins 30% de candidatures au profit de l’un et l’autre sexe. 217 »

215 Article 9 de la charte des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits de la femme, Maputo, juillet 2003, 216 Loi n°014-2001/an du 03 juillet 2001 portant code électoral (art 134, 162, 241) 217 Article 3 de la loi n°010-2009/AN

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Le fait marquant dans cet article est que la plupart des partis politiques n’arrivent pas à respecter ce quota genre de 30%. Deux explications peuvent justifier cet état de fait selon nous :

- D’une part, la plupart des partis politiques n’adhèrent pas à cette loi qu’ils qualifient de diktat. Aussi, les hommes ayant l’habitude d’occuper les bons postes, c'est-à-dire les premiers rangs sur les listes, conçoivent mal qu’une femme soit placée tête de liste aux élections municipales ou législatives devant eux. Ce qu’il faut rajouter est que plus on est bien placé plus on a la chance d’être élu conseiller municipal ou député. On peut dire que cela relève de la phallocratie ou du sexisme des hommes. La première hypothèse qu’on avait avancée tient dans cette argumentation car la femme est reléguée au second plan quand vient l’heure de partager le gâteau. C’est ainsi qu’on assiste à des crocs-en jambe entre éléments du même parti pour se faire une place au soleil. La pièce, « Le vote du fétiche » illustre bien nos propos, quand Rourougou, alias Serpent Boa, candidat aux élections municipales traite son challenger Poko, de tous les noms d’oiseau. Des insultes ignominieuses sont proférées à l’endroit de Poko, candidate aux élections municipales. Il va jusqu’à la calomnier auprès de son mari d’avoir « un pagne trop léger », et peut-être d’être malade du SIDA, afin de dissuader son mari de la quitter. Voici donc un exemple parmi tant d’autres que les pièces de théâtre forum véhiculent afin de sensibiliser les populations à un changement de mentalités et de comportements.

- D’autre part, nous pouvons noter l’incompétence de certaines femmes à occuper certains postes politiques ou de responsabilités. Il est vrai que la loi dit d’intégrer 30% de femmes dans les listes électorales que ce soit les élections municipales ou les élections législatives mais ce qu’on

278

remarque sur le terrain est l’absence de femmes engagées en politique. Cela peut s’expliquer par certaines pesanteurs socio-culturelles mais ne devrait en aucun cas être une raison suffisante. Faire de la politique pour certains, c’est assister tardivement à des réunions, c’est consacrer la majeure partie de son temps à aller vers l’électorat. Ce qui n’est pas une chose aisée pour la plupart des femmesen Afrique et au Burkina Faso. Qui dit engagement politique dit également culture personnelle et culture générale très élevées alors que nous l’avons mentionné précédemment, le taux de scolarisation des femmes reste très bas au Burkina Faso comme un peu partout sur le continent africain. La conséquence de cette faible scolarisation est la faible présence ou l’inexistence des femmes en politique. Ce qu’il faut souligner ici, et c’est regrettable selon nous, est que certains partis politiques, pour pouvoir bénéficier de la subvention de l’Etat, remplissent sinon inscrivent des femmes qui : a) n’ont pas demandé à intégrer la liste des candidats du parti ; b) sont incompétentes intellectuellement ; c) ne connaissent même pas le nom, le logo et les idéaux du parti.etc.

Nous avons jugé nécessaire de porter un regard sur les femmes au Burkina Faso car dans le corpus que nous avons utilisé pour la présente étude, nous avons remarqué que les personnages féminins occupent une place de choix dans l’œuvre théâtrale « kompaoriste 218 ». Généralement, le théâtre est un reflet de la société qui l’a vue naître. C’est pourquoi, à l’image de la société, Kompaoré présente des personnages féminins en proie aux vicissitudes de la vie. Ce sont des femmes violées, battues, persécutées par les hommes.

218 Néologisme crée par nous pour désigner l’ancrage esthétique du théâtre de Prosper Kompaoré basée spécifiquement sur la participation du public.

279

C’est une manière pour l’auteur de dénoncer les conditions dans lesquelles ces femmes vivent au quotidien et faire un plaidoyer pour une prise en compte effective de la femme dans nos sociétés. Le fait de dénoncer les injustices faites aux femmes est la quintessence même du théâtre forum. Susciter le débat afin de trouver des solutions idoines aux problèmes posés tel est le leitmotiv du théâtre d’intervention sociale.

3. Les résultats des représentations

La notion d’impact renferme en réalité plusieurs types de résultats attendus de la représentation théâtrale ou de la campagne de sensibilisation : les produits, les effets, les retombées, les impacts. Les principaux éléments à évaluer sont : les artistes, les partenaires au développement pouvant être une association, une ONG, une institution, les publics cibles et les partenaires intermédiaires. De l’interaction des différents éléments dépendra en grande partie la nature des résultats.

Le premier résultat est le produit. On peut citer : les pièces écrites enregistrées ou filmées, les photos du spectacle, les rapports, les articles et les différents témoignages. Ces produits servent souvent à démontrer concrètement l’effectivité de l’action théâtrale. Ces documents sont précieux dans un processus de capitalisation des expériences vécues, et contribuent à renforcer le dialogue avec les partenaires éloignés du terrain.

Le deuxième résultat recherché est l’effet, c'est-à-dire les conséquences immédiates de la représentation théâtrale. Les diverses réactions du public, applaudissements, rires, cris, interpellation, silence, etc. sont autant d’effets de la représentation. L’intensité, le nombre de personnes touchées par cet effet déterminent l’intérêt suscité par le spectacle. Notre questionnaire d’enquête s’appliquera à relever toutes les occurrences de ces manifestations d’effets afin

280 de pouvoir en tirer des conclusions sur la réception du spectacle et du message. Nous procédons par la suite au dépouillement de ces données afin d’identifier les séquences les plus efficaces, les situations dramatiques les plus saisissantes pour le public, les attitudes significatives selon les catégories de public.

Le troisième résultat sont les retombées, c'est-à-dire les conséquences à moyen et/ou à long terme de l’action de sensibilisation. Par exemple le profit économique que les commerçants peuvent tirer d’un évènement culturel constitue une retombée.

Le quatrième résultat est l’impact. L’impact est bien entendu le but ultime de la représentation théâtrale ou de la campagne de sensibilisation. Il s’agit du changement profond et durable que l’on peut observer à l’issue de la représentation. Autrement dit, il s’agit de la trace laissée dans les esprits et dans la société par la représentation théâtrale. Ainsi, l’impact peut porter sur les nouvelles prédispositions, une nouvelle mentalité, une vision renouvelée des choses et de la vie. L’impact peut également se traduire par des transformations sensibles de la société, des modes de fonctionnements, de certaines pratiques dénoncées par le spectacle et l’adoption de nouvelles normes et de nouveaux schémas de comportements. Cela nous amène à nous intéresser aux indicateurs de résultats qui sont tributaires des objectifs poursuivis. Nous retiendrons les trois aspects suivants : aspect quantitatif, aspect qualitatif et l’aspect contextuel.

3.1 Les aspects quantitatifs

Une évaluation d’impact peut se faire en prenant en compte le nombre de personnes directement et/ou indirectement exposées au message. Les données qui peuvent faire l’objet d’énumération, de récurrences, de statistiques, de pourcentage relèvent aussi des aspects quantitatifs. L’évaluation quantitative

281 peut aussi porter sur les rapports coûts/efficacité, ceci pour apprécier l’efficience de l’action entreprise. L’on peut aussi apprécier l’impact par la quantité ou la diversité des outputs générés par l’action, ou par la quantité ou la diversité des effets créés par l’action de sensibilisation.

3.2 Les aspects qualitatifs

L’évaluation d’impact peut en outre prendre en compte la qualité des cibles touchées (combinaison du nombre et de la qualité des cibles). L’étude qualitative peut se centrer sur la nature des messages retenus, en mettant en comparaison les messages émis et ceux retenus ; avec intérêt particulier pour la congruence et la pertinence des messages, la fidélité de la réception. L’étude qualitative d’impact s’intéresse également à la durabilité des messages acquis et à leur traduction dans des changements de comportement ou d’état d’esprit. Les enquêtes que nous avons menées à différentes étapes de la campagne permettent de suivre l’évolution des cibles atteintes.

3.3 Les aspects contextuels

Les aspects contextuels peuvent faire appel au quantitatif et au qualitatif, mais la préoccupation majeure porte sur l’effet de l’action sur le changement de contexte. Cette étude ne peut se faire de façon efficace qu’en suivant les trois étapes de l’évaluation :

- L’étude contextuelle préalable qui doit mettre en évidence la situation initiale et les problèmes concrets et récurrents relevés. - L’étude en cours permet d’apprécier la manière dont est conduite la campagne et éventuellement les feed-back immédiats constatés en cours de campagnes.

282

- L’étude a posteriori pouvant se faire immédiatement à la fin de la campagne ou après un délai jugé raisonnable pour évaluer les changements opérés de façon durable et ponctuelle. La difficulté des évaluations « ex post » réside dans le fait que les populations n’étant pas exposées à une seule campagne de sensibilisation, il devient de plus en plus difficile d’établir la part de chaque moyen de communication, et des autres facteurs de changement d’ordre social, économique, ou politique dans les changements observés.

Nous allons présenter les résultats de l’évaluation des représentations théâtrales à l’attention des spectateurs que nous avons mené dans les douze localités du Burkina Faso.

4. Résultats issus du traitement des données recueillies 4.1. Lieu de représentation théâtrale

1. Source Répartition : TIENDREBEOGO du genre P. Issiaka de

283

4.2. Répartition de l’ échantillon

Sexe Effectifs Pourcentage Homme 36 60,0

Femme 24 40,0

Total 60 100,0

D’après les statistiques, les hommes représentent la majorité, soit 60% de l’échantillon. Cela peut se justifier par leur forte participation par rapport aux femmes. Ajoutons également les pesanteurs socio-culturelles plus généralement en Afrique qui font que ces dernières ne participent pas aux spectacles publics.

Le théâtre forum se déroulant généralement dans les campagnes, il va sans dire qu’on peut relever une multitude de fonctions des différentes personnes enquêtées. Ainsi, on a d es agriculteurs pour la plupart du temps, des éleveurs, des commerçants, des élèves et de quelques rares fonctionnaires. Voyons l’effectif de la variable fonction.

284

5. L’effectif de la variable Fonction

Fonction Effectifs Pourcentage Animatrice à la radio Voix des lacs 1 1,7 Apprenti chauffeur 1 1,7 Attaché d'éducation spécialisé 1 1,7 Commerçant 1 1,7 Cultivateur 10 16,7 Cultivatrice 1 1,7 Elève 2nde C 2 3,3 Elève 3 e 15 25,0 Elève 5 e 4 6,7 Elève BP Electrotechnique 1 1,7 Elève en 4 e 5 8,3 Elève en 6 e 2 3,3 Elève Tle 1 1,7 Etudiante 1 1,7 Fabricante de beurre de karité 1 1,7 Gardien 1 1,7 Jardinier 3 5,0 Jardinière 1 1,7 Maraicher 1 1,7 Mécanicien 1 1,7 Ménagère 3 5,0 Orpailleur 1 1,7 Réparateur de postes radio 1 1,7 Vendeur d'eau 1 1,7 Total 60 100,0

Graphique representant la variable Fonction 16 14 12 10 8 6 4 2 0 … … … … … - Attaché Attaché Gardien Elève 3e Elève 5e Elève Jardinier Elève Tle Elève Etudiante Jardinière Orpailleur Ménagère Maraicher Cultivateur Cultivatrice Elève en en 4e Elève en 6e Elève Mécanicien Elève 2nde C 2nde Elève Commerçant Fabricante de Fabricante Reparateur de de Reparateur Vendeur d'eau Vendeur Animatrice à la Animatrice Elève BP Electro Elève Apprenti chauffeur Apprenti

285

6. L’effectif de l’âge des enquêtés

7. L’effectif des enquêtés qui ont aimé la représentation théâtrale qu’ils viennent de voir

Effectif Effectifs Pourcentage Oui 60 100,0

Selon l’enquête, l’ensemble des enquêtés ont aimé la représentation théâtrale

8. L’effectif de ce qui a plu dans la représentation théâtrale selon les enquêtés

Préférence dans la représentation Théâtrale Effectifs Pourcentage Le thème me concerne 32 53,3

Le jeu des acteurs était bien 13 21,7

La participation du public au forum 4 6,7 était bien Le thème me concerne et le jeu des 8 13,3 acteurs était bien Le thème me concerne et la 3 5,0 participation du public au forum était bien Total 60 100,0

286

35 30 25 20 15 10 5 0 -5 Le thème me Le jeu des acteurs La participation du Le thème me Le thème me concerne était bien public au forum était concerne et le jeu concerne et la bien des acteurs était participation du bien public au forum était bien

Selon l’analyse des préférences dans la représentation théâtrale, les enquêtés se sont beaucoup plus focalisés sur la thématique abordée. Cela représente 53,3% de l’échantillon. Nous pouvons même avancer que c’est l’objectif recherché dans le théâtre d’intervention sociale.

9. Comment les enquêtés ont apprécié le forum

a) On a posé les bonnes questions

On a posé les bonnes questions Effectifs Pourcentage Oui 58 96,7 Système manquant 2 3,3

Total 60 100,0

Selon l’analyse, 96,7% des enquêtés trouvent que les bonnes questions ont été posées lors du forum. Deux enquêtés n’ont pas répondu. La troisième phase du théâtre d’intervention sociale qui consiste à poser des questions d’éclaircissement vise à éclairer davantage les spectateurs sur les thèmes abordés dans la représentation.

287 b) Les intervenants ont donné de bonnes réponses

Cela m'a aidé à bien comprendre la pièce Effectifs Pourcentage Oui 54 90,0 Système manquant 6 10,0

Total 60 100,0

Les intervenants ont donné de bonnes réponses Effectifs Pourcentage

Oui 57 95,0

Non 1 1,7

Système manquant 2 3,3

Total 60 100,0

95% des enquêtés apprécient le forum à travers les bonnes réponses des intervenants. A ce niveau ajoutons que ce n’est pas seulement le joker et les comédiens qui répondent aux questions mais on a recours très souvent à des spécialistes de la question traitée qui apportent des réponses très précises aux questions souvent pointues des spectateurs.

a) L’animateur maitrisait bien le forum

L’animateur maitrisait bien le forum

Effectifs Pourcentage Oui 55 91,7

Système manquant 5 8,3

Total 60 100,0

288

b) Cela m'a aidé à bien comprendre la pièce

Cela m'a aidé à bien comprendre la pièce Effectifs Pourcentage Oui 54 90,0 Système manquant 6 10,0 Total 60 100,0

c) Cela m'a aidé à dire ce que je pensais

Cela m'a aidé à dire ce que je pensais Effectifs Pourcentage Oui 48 80,0 Système manquant 12 20,0

Total 60 100,0

10. D'après vous cette représentation pourra- telle aider à changer la situation ?

Effectif Effectifs Pourcentage Oui 60 100,0

Selon l’enquête, 100% des enquêtés pensent que la représentation théâtrale pourra aider à changer la situation. L’objectif de la représentation est d’amener les populations à changer de comportement. Si les spectateurs pensent que la représentation permet d’adopter des démarches favorables au changement positif de comportements, nous pensons que l’objectif est par conséquent atteint.

289

11. L’action concrète que les enquêtés décident de faire

L’action concrète que les enquêtes décident de faire Effectifs Pourcentage RAS 1 1,7 Sensibiliser les gens 16 26,7 Sensibiliser pour des choix judicieux des candidats 14 23,3 Sensibilisation sur les enjeux des votes 12 20,0 Participation des femmes au processus électoral 4 6,7 Sensibilisation pour des débats et votes électoraux paisibles 10 16,7 Sensibilisation pour un changement de comportement 3 5,0 Total 60 100,0

RAS Sensibiliser les gens Sensibiliser pour des choix judicieux des candidats Sensibilisation sur les enjeux des votes Participation des femmes au processus électoral Sensibilisation pour des débats et votes électoraux paisibles Sensibilisation pour un changement de comportement

290

12. L’effectif du croisement entre le genre et la fonction

Sexe Fonction Homme Femme Total Animatrice à la radio Voix des lacs 0 1 1 Apprenti chauffeur 1 0 1

Attaché d'éducation spécialisée 1 0 1 Commerçant 1 0 1 Cultivateur 10 0 10 Cultivatrice 0 1 1 Elève 2nde C 2 0 2 Elève 3 e 9 6 15 Elève 5 e 1 3 4 Elève BP Electrotechnique 1 0 1

Elève en 4e 0 5 5 Elève en 6e 0 2 2 Elève Terminale 1 0 1 Etudiante 0 1 1 Fabricante de beurre de karité 0 1 1 Gardien 1 0 1 Jardinier 3 0 3 Jardinière 0 1 1 Maraicher 1 0 1 Mécanicien 1 0 1 Ménagère 0 3 3 Orpailleur 1 0 1 Réparateur de postes radio 1 0 1

Vendeur d'eau 1 0 1 Total 36 24 60

291

A l’aune de ce diagramme, nous pouvons dire que les agriculteurs et les élèves occupent une belle part. Les raisons, nous les avons déjà évoquées précédemment.

13. L’effectif de croisement entre le genre et les préférences dans la représentation théâtrale

292

Si oui, qu'est-ce qui vous a plu dans la Sexe représentation théâtrale

Homme Femme Total Le thème me concerne 22 10 32

Le jeu des acteurs était bien 4 9 13

La participation du public au forum était bien 3 1 4

Le thème me concerne et le jeu des acteurs 5 3 8 était bien

Le thème me concerne et la participation du 2 1 3 public au forum était bien

Total 36 24 60

25

20

15

10

5

0 Le thème me conserne Le jeu des acteurs était La participation du public Le thème me conserne Le thème me conserne bien au forum était bien et le jeu des acteurs était et la participation du bien public au forum était bien Sexe Sexe

Au regard des résultats générés au croisement des effectifs entre le genre et les préférences dans la représentation théâtrale, nous relevons que les femmes s’attachent beaucoup au jeu des acteurs tandis que les hommes eux, se focalisent plus sur le thème par exemple. Cela n’empêche que dans l’analyse finale, les deux composantes retiennent la substance du message théâtral dans la représentation.

293

14.L’effectif du croisement entre le genre et les actions concrètes

Quelle action concrète Sexe décidez-vous de faire Homme Femme Total RAS 0 1 1 Sensibiliser les gens 8 8 16

Sensibiliser pour des choix 8 6 14 judicieux des candidats Sensibilisation sur les 10 2 12 enjeux des votes Participation des femmes au 2 2 4 processus électoral

Sensibilisation pour des 7 3 10 débats et votes électoraux paisibles Sensibilisation pour un 1 2 3 changement de comportement Total 36 24 60

L’effectif du croisement entre les genres et les actions concrètes montre que les femmes et les hommes se partagent la poire en deux dans à la sensibilisation des populations sur le changement de comportement.

15. Informations complémentaires de l’enquêteur Combien de Combien personnes de sont personne Tota montées s ont pris Spectat l sur la scène la parole Date et lieu de la Lieu de la eur Hom Total Total lors du dans le représentation représentation total mes Femmes Enfants forum forum 11/01/16 à Douroula Douroula 550 250 135 165 5 2 10/01/16 à Dédougou Dédougou 415 185 105 125 6 4 12/01/16 à Bladi Bladi 1 000 250 150 600 3 4 17/01/16 à Kargho Kargho 575 275 175 125 2 4 18/01/16 à Zimtanga Zimtanga 852 286 215 351 1 6 19/01/16 à BayendFoulgo BayendFoulgo 474 136 126 212 2 9 20/01/16 à Kongoussi Kongoussi 778 278 169 331 2 9 22/01/16 à Komki-Ipala Komki-Ipala 336 187 64 85 1 7 24/01/16 à Yaoghin Yaoghin 429 175 136 118 4 2 27/01/16 à TanghinDassouri TanghinDassouri 539 225 188 126 2 1 29/01/16 à Lougsi Lougsi 455 175 165 120 2 10 2 Total 6 403 422 1 628 2 358 30 58

294

Les informations complémentaires ont consisté à référencer les données sur les lieux de représentation, le nombre total de spectateurs, d’hommes, de femmes et d’enfants. A cela, il faut ajouter le nombre de personnes qui sont montées sur la scène et le nombre de personnes qui ont pris la parole sur place.

A l’aune des résultats, nous totalisons 6 403 spectateurs sur les douze représentations soit 2 422 hommes, 1628 femmes et 2 358 enfants. Le nombre élevé des enfants peut s’expliquer par le fait que la plupart des représentations se sont déroulées dans des écoles. Cependant, si nous estimons la taille moyenne d’une famille africaine en général, et burkinabé en particulier à 6 personnes 219 , nous pensons que l’impact de cette sensibilisation théâtrale peut s’étendre à 38 418 personnes sensibilisées.

Aussi, les personnes montées sur la scène s’élèvent à 30 et les personnes restées à leur place sont au nombre de 58 . Cela témoigne de la vitalité que les spectateurs ont du théâtre forum.

L’objectif de cette étude que nous venons de mener est de montrer à travers une campagne de représentation théâtrale, l’intérêt que les populations ont vis-à-vis du théâtre d’intervention sociale. Cela réconforte notre position à savoir utiliser le théâtre participatif pour sensibiliser les populations sur les maux qui minent leur société. Ce double intérêt s’aperçoit aussi au niveau des partenaires financiers qui ne lésinent pas sur les moyens pour accompagner les activités théâtrales entrant dans le cadre de leurs objectifs.

« La route du développement passe par le développement de la route » a-t-on coutume de dire. Nous dirons à notre tour que la route du développement passe par le développement du théâtre d’intervention sociale car si les populations sont sensibilisées par exemple sur les activités agro-

219 Selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) 2006 au Burkina Faso, la procréation moyenne d’une femme au Burkina Faso est de 6,3 enfants.

295 pastorales, sur comment voter, sur l’inscription des filles à l’école, sur l’excision, sur le travail des enfants, cela impacte nécessairement sur les activités économiques qu’elles entretiennent. Ne dit-on pas : « un esprit sain dans un corps saint » ?

L’étude sur les résultats après les représentations n’est qu’une esquisse. C’est un échantillon que nous avons pris pour montrer qu’effectivement depuis maintenant plus d’une quarantaine d’années, le théâtre d’intervention sociale dans toutes ses formes est pratiqué au Burkina Faso et si aujourd’hui, il est toujours d’actualité, cela témoigne selon nous de la vigueur queles initiateursont pu insuffler et de la réception que les populations ont bien voulu faire de cette pratique artistique majeure et novatrice. Nous pouvons dire sans nous tromper que si le théâtre d’intervention n’existait pas, il fallait le créer.

Après les résultats fournis sur les spectateurs, et pour compléter l’autre partie du puzzle, nous avons interviewé dix responsables de dix troupes provinciales partenaires de l’ATB et pratiquant toutes le théâtre forum, afin de mesurer l’impact de ces troupes dans les localités où elles s’expriment.

16. Résultats de l’enquête des dix compagnies enquêtées

Nom de la compagnie Effectifs Pourcentage Agence pour la Relance Culturelle et Artistique 1 10,0 dans le Nord Association Groupe Culture de Banfora 1 10,0

Compagnie Théâtrale de Kourwéogo (CTK) 1 10,0

Compagnie Théâtrale de la Solidarité de 1 10,0 Dédougou Da Maar de Batié 1 10,0 Théâtre de la Génération consciente de Guié 1 10,0

Troupe Bassy de Ziniaré 1 10,0 Troupe Fadehouré de Tolonioro 1 10,0 Troupe Rad-Néeré de Latodlin 1 10,0 Union de la jeunesse fraternelle de Diébougou 1 10,0 (UJUFRAD) Total 10 100,0

296

I. Evolution de la troupe

1. L’année de création des troupes théâtrales

Le constat qui ressort de cette analyse est que de 1987 à 2014, une troupe théâtrale est créée chaque année sauf en 2011 où on a assisté à la naissance de deux troupes théâtrales.

2. Le nombre de théâtres crées ou produits

Le nombre de théâtres crées ou produits Effectifs Pourcentage 1 à 10 2 20,0 11 à 20 1 10,0 50 et plus 7 70,0 Total 10 100,0

297

II. Structures de la troupe

1. L’effectif des membres formant la troupe

L’effectif des membres formant la troupe Effectifs Pourcentage 10,00 1 10,0 12,00 2 20,0 13,00 1 10,0 15,00 4 40,0 18,00 1 10,0 24,00 1 10,0 Total 10 100,0

298

5

4

4

3

3

2

2

1

1

0 10,00 12,00 13,00 15,00 18,00 24,00

2. Nombre des hommes en fonction de la compagnie théâtrale

Nom de la compagnie Nombre d'hommes formant la troupe Agence pour la Relance Culturelle et 10 Artistique dans le Nord

Association Groupe Culture de Banfora 8

Compagnie Théâtrale de Kourwéogo (LTK) 5

Da Maar de Batié 6 Théâtre de la Génération consciente de 5 Guié Troupe Bassy de Ziniaré 9 Troupe Fadehouré de Tolonioro 12

Union de la jeunesse fraternelle de 8 Diébougou (UJUFRAD)

Total 63

299

le nombre des hommes en fonction de la compagnie théatrale 14 12 10 8 6 4 2 0 Série1

3. Le nombre de femmes en fonction de la troupe

Nom de la compagnie Le nombre de femmes en fonction de la troupe Agence pour la Relance Culturelle et Artistique dans 5 le Nord

Association Groupe Culture de Banfora 7

Compagnie Théâtrale de Kourwéogo (LTK) 10

Da Maar de Batié 9 Théâtre de la Génération consciente de Guié 7 Troupe Bassy de Ziniaré 5

Troupe Fadehouré de Tolonioro 6

Troupe Rad-Néeré de Latoolin 12

Union de la jeunesse fraternelle de Diébougou 5 (UJUFRAD) Total 66

300

14 12 10 8 6 4 2 0 Série1

4. La provenance des artistes

La provenance des artistes Effectifs Pourcentage Amateurs 7 70,0 Professionnels 1 10,0

Etudiants et amateurs 1 10,0

Etudiants et Professionnels 1 10,0

Total 10 100,0

Amateurs

Professionnels

Etudiants et amateurs Etudiants et Professionnels

301

5. Les partenaires financiers des troupes théâtrales

Vos partenaires financiers Effectifs Pourcentage ONG 7 70,0 ONG et Ministère 2 20,0 Système manquant 1 10,0

Total 10 100,0

Les ONG sont essentiellement les partenaires financiers des troupes théâtrales. Elles constituent 70% des partenaires

III. Les spectacles

1. Le public cible des troupes théâtrales

Public cible Effectifs Pourcentage Village 2 20,0 Jeunes 4 40,0 Ville et Village 3 30,0 Ville, Village et Jeunes 1 10,0 Total 10 100,0

Le public cible concerné par les différentes troupes théâtrales sont majoritairement les jeunes soit 40% des jeunes.

2. Les principaux thèmes traités dans les pièces de théâtre

Les principaux thèmes traités dans vos pièces de théâtre Effectifs Pourcentage Santé et Mondialisation 2 20,0

Santé et Environnement 1 10,0

Scolarisation des jeunes filles; Santé et Environnement 2 20,0

Scolarisation des jeunes filles; Santé; Mondialisation; 4 40,0 Environnement; Economie et Tradition

Scolarisation des jeunes filles; Santé; Mondialisation; 1 10,0 Environnement; Economie et Tradition Total 10 100,0

302

3. Langues utilisées

Langue utilisée le plus souvent dans Effectifs Pourcentage les pièces de théâtre

Français 1 10,0 Mooré 3 30,0 Dioula 3 30,0 Français et Mooré 2 20,0 Français et Dioula 1 10,0 Total 10 100,0

IV. Informations complémentaires

1. Les objectifs de votre troupe

Objectifs Effectifs Pourcentage Conscientiser la population 1 10,0 Eduquer sensibiliser et éveiller la 1 10,0 conscience de la population, promouvoir le développement Eveiller de consciences pour un 1 10,0 développement participatif ; sensibiliser la population sur les différents maux qui minent la société Promouvoir la jeunesse 1 10,0

Promouvoir l'art et le spectacle 2 20,0 Promouvoir la culture dans la 1 10,0 région Sensibiliser pour le changement de 1 10,0 mentalités Sensibiliser pour un changement 1 10,0 de comportement, promouvoir le développement de la femme et de l'enfant Sensibiliser et éclairer la 1 10,0 population, promouvoir de l’entente, promouvoir l'art pour l'éveil des enfants Total 10 100,0

303

2. L’esthétique utilisée dans les pièces théâtrales

Esthétiques Effectifs Pourcentage Manquant (pas de réponse) 1 10,0 Beaucoup de recherche sur le thème 1 10,0 et le principe du théâtre forum

Costume décor, dessin 1 10,0 Introduction de la pièce acteurs 1 10,0 habillées de la même manière, principe du théâtre forum Principe du théâtre forum 1 10,0

Principe du Théâtre forum 1 10,0

Principes du théâtre forum 2 20,0

Utilisation d'objets traditionnels 1 10,0 Utilisation de décors et de costumes 1 10,0

Total 10 100,0

3. La participation du public à la représentation

Le public participe-t-il à la représentation Effectifs Pourcentage Pourcentage Pourcentage valide cumulé Valide Forum et Questions 10 100,0 100,0 100,0

4. Le processus d’écriture et de création privilégié

Le processus d'écriture et de création que vous privilégez Effectifs Pourcentage Ecriture collective 6 60,0 Un auteur 1 10,0 Ecriture collective et un auteur 3 30,0

Total 10 100,0

304

5. Ce que les enquêtés pensent du théâtre d’intervention sociale (Théâtre Forum =TF))

Opinion Effectifs Pourcentage Le forum est très bien car il change la mentalité 1 10,0 des gens L'outil le plus efficace pour la mobilisation dans 1 10,0 la diffusion d'un message

Le TF aide à la participation et aux changements 1 10,0 de mentalités ; c'est un bon outil de communication le TF est le moyen le plus sûr pour toucher plus 1 10,0 des gens à travers le rire et le pleurer

Le TF est un canal de sensibilisation pour 1 10,0 sensibiliser Le TF est un outil qui gère le côté social ; il 1 10,0 participe au bien-être social Le théâtre forum permet de faire passer un 1 10,0 message, il impacte sur la population, il permet le changement des comportements et des mentalités le théâtre permet au public cible de se corriger 1 10,0 quand il est en erreur, le changement de comportement est immédiat

Outil de partage et diffusion de messages sur le 1 10,0 changement de comportement : l’effet est immédiat au TF Véritable outil de développement 1 10,0

Total 10 100,0

305

CONCLUSION GENERALE

Au terme de notre réflexion sur « L’impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso », nous pouvons jeter un regard rétrospectif sur les principales questions que nous nous posions au début de notre travail. Afin de parvenir à répondre à ces différentes interrogations, nous avons bâti notre travail autour de trois principales parties.

La première partie intitulée : « L’univers du théâtre burkinabé » nous a permis de faire un tour d’horizon sur les conditions de naissance du théâtre en Afrique et plus particulièrement au Burkina Faso. Après ce bref aperçu, nous nous sommes intéressé aux origines du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso avant de nous focaliser sur l’Atelier Théâtre Burkinabé et ses différentes formes de théâtre d’intervention sociale. A ce niveau, nous avons également évoqué les atouts et les handicaps de ce type de théâtre avant de donner la typologie des différentes représentations du théâtre d’intervention sociale existant au Burkina Faso. Nous avons pu relever que le théâtre forum s’est inspiré du Théâtre de l’opprimé de Augusto Boal. En outre, le théâtre procès et le théâtre communautaire sont des innovations grandeur nature de l’Atelier Théâtre Burkinabé. A tout cela s’ajoute le théâtre-débat de Jean Pierre Guingané qui fait partie intégrante du théâtre d’intervention sociale. A la différence du théâtre forum, au théâtre-débats, les spectateurs ne montent pas sur la scène, ils ne deviennent pas spect’acteurs mais participent aux débats en prenant la parole à leur place.

La deuxième partie de notre travail est intitulée : « Analyse sémiologique des représentations théâtrales ». Nous avons jugé nécessaire de rappeler les concepts théoriques de la sémiologie théâtrale, ensuite nous nous sommes focalisé sur la spécificité de la dramaturgie du théâtre d’intervention sociale avant de faire une analyse sémiologique de deux représentations théâtrales de notre corpus. Cette analyse nous a permis de

306 découvrir que la plupart des représentations du théâtre forum sont construites sur la base du schéma actantiel développé par Souriau, Greimas, Ubersfeld et Monod.

La troisième partie de l’étude porte sur : « L’étude d’impact sur le théâtre d’intervention sociale ». Cette partie comporte également trois chapitres et constitue une charnière de l’étude. Comme l’intitulé de cette thèse, la troisième partie cherche à montrer de façon concrète et objective l’apport du théâtre d’intervention dans le développement du Burkina Faso. Pour mieux appréhender cet apport, nous avons intitulé le premier chapitre de cette partie« théorisation sur la réception du théâtre d’intervention sociale ». Il s’agissait pour nous d’appliquer les théories de la réception théâtrale sur le théâtre d’intervention sociale. Pour ce faire nous avons identifié l’horizon d’attente des spectateurs afin de comprendre et d’analyser le message théâtral à eux confié. Ne dit-on pas que l’acte théâtral naît de la complicité entre deux pôles complémentaires, l’acteur et le spectateur ? La question du public est par conséquent fondamentale dans la réussite de l’action dramatique. Nous nous sommes appesanti également sur la socialité comme fondement des représentations théâtrales dans le théâtre d’intervention sociale. A ce propos, nous avons relevé que le langage est l’un des éléments qui porte les traces sociales et c’est ce qui fait la socialité du théâtre forum. Le théâtre forum en tant qu’outil de communication populaire, utilise les langues nationales comme le mooré, le fulfuldé et le dioula en plus du français, langue principale.

Pour jauger la réception de ce type de théâtre, nous avons jugé utile d’étudier le comportement des spectateurs pendant le spectacle. D’abord, il était important de chercher à savoir la catégorie sociale des spectateurs avant de voir leurs comportements et leurs attitudes pendant le spectacle. Ainsi, des critères comme les applaudissements, les cris, les rires et le silence ont été retenus pour traduire la participation du public lors des spectacles.

307

Le dernier chapitre de cette étude porte sur les résultats après représentations. Nous ne saurons terminer ce travail sans faire une démonstration sur la mobilisation sociale autour du théâtre d’intervention sociale. Les femmes qui constituent 52% de la population burkinabè prennent une part active dans le développement du pays. C’est pourquoi nous nous sommes attardé sur leur participation. Pour terminer, nous avons présenté les résultats de l’évaluation des représentations théâtrales à l’attention des spectateurs que nous avons menées dans les douze localités du Burkina Faso. C’est un échantillon que nous avons pris dans chaque localité pour mesurer le degré de réceptivité du théâtre d’intervention sociale chez les populations où le spectacle a eu lieu. Les résultats auxquels nous sommes parvenu montrent l’intérêt des populations vis-à-vis de cette pratique théâtrale. Cependant, il existe quelques difficultés : les outils que nous avons utilisés dans cette étude sont les questionnaires administrés aux participants, les interviews, les discussions de groupe à caractère formel et informel, l’observation des participants. Tout le problème de ces méthodes tient au fait qu’elles nous permettent tout au plus de donner une photographie de l’état des lieux d’un problème donné, alors que dans la plupart des cas les résultats attendus se mesurent sur la durée. Les photographies que nous avons générées par l’étude factuelle et ponctuelle ne doivent pas cacher le film du changement social. L’étude d’impact sur le changement de comportement s’apparente souvent à une étude d’un processus et non d’une donnée statique et stable. C’est donc cette instabilité du résultat de l’étude d’impact qui pose toute la problématique de l’étude. C’est toute la difficulté des études qui touchent aux sciences sociales et humaines ; c’est pourquoi, nous avons décidé de nous assumer afin de tenter l’expérience de cette étude. Le travail de l’évaluation d’impact bien que très complexe dans la pratique peut déboucher sur des résultats éloquents à même de conforter les praticiens, les usagers et les bénéficiaires sur la nécessité de l’utilisation du théâtre d’intervention sociale comme un moyen de

308 communication efficace dans le processus de développement de l’Afrique en général, et du Burkina Faso en particulier. A ce propos , Prosper Kompaoré affirme que :

« Le théâtre est perçu à la fois comme divertissement, œuvre artistique et métalangage pour parler de la vie réelle. Entre réel et fiction, le théâtre porte en lui les atouts et les handicaps d’une telle perception. En tant que métaphore du réel, le théâtre interpelle les consciences et peut émouvoir les cœurs ; il est un lieu de la communication sociale efficiente. En tant que divertissement et expression artistique il est perçu comme un moyen inoffensif, moyen de s’évader de la réalité. Par son caractère interactif, le théâtre forum favorise une catalyse sociale pour un développement participatif. 220 »

Notre travail a porté davantage sur des œuvres de théâtre de sensibilisation mais il existe d’autres formes d’écriture qui se développent au Burkina Faso. L’un des événementiels qui porte ces nouvelles écritures est bien les Résidences Panafricaines d’Ecriture, de Création, de Recherche et de Diffusion Théâtrale (RECREATRALES).

Notre réflexion n’a pas porté sur l’écriture mais il est important de souligner que les RECREATRALES apportent une autre approche du public en allant dans les cours pour présenter des spectacles. Les RECREATRALES à notre avis n’ont pas forcément l’ambition de faire de la sensibilisation mais ce festival a l’ambition d’aller vers des publics qui n’ont pas l’habitude d’aller au théâtre. Cette dimension des RECREATRALES est intéressante dans la mesure où elle peut cacher l’expression d’une sorte de conflit interne car à force de vouloir faire autrement, on finit par faire la même chose.Au départ, les RECREATRALES étaient un festival qui tournait entre les festivaliers,

220 Prosper Kompaoré, Op.cit. ; p.25

309 entre gens de théâtre. Au bout d’un certain temps, le festival a fait la preuve de son inconsistance. L’idée géniale que les organisateurs ont eu est d’aller jouer chez les gens afin qu’il y ait un nouveau public. En se rapprochant des populations locales, les Récréâtrales ouvrent des perspectives nouvelles et relancent les attentes des publics étrangers dont les idées reçues sont ébranlées.

Cela permet également aux hommes de théâtre d’aller jouer dans des lieux inattendus. Des dramaturges et metteursen scène de renom comme Koffi Kwahulé, Dieudonné Niangouna, Christian Schiaretti, Isabelle Pousseur et bien d’autres ont créé des spectacles d’une haute tenue artistique aux RECREATRALES. Cette dimension originale, inattendue a fait la force de cette nouvelle démarche des RECREATRALES.

À la fin de notre investigation, nous pouvons dire que nous avons été en mesure d’apporter la preuve que le théâtre d’intervention sociale participe à l’amélioration des conditions de vie des burkinabè. Nous sommes conscient que c’est un travail de recherche et nous n’avons pas la prétention d’avoir maîtrisé tous les aspects et les contours du théâtre d’intervention sociale. Par contre, nous avons pu mettre en exergue l’apport et l’intérêt de ce type de théâtre pour les pays en voie de développement comme le Burkina Faso.

Comment pourrons-nous élargir cette recherche de la dimension scénique, cette recherche sur la participation à l’ensemble des productions théâtrales burkinabè et africaines ? Quelles problématiques nouvelles naissent de la diversité des productions théâtrales actuelles ? Nous n’avons pris qu’un aspect de ce théâtre, qui est le théâtre de sensibilisation. Mais cette approche que nous avons menée ne pourrait-elle pas également nous servir pour analyser les autres spectacles ? Comment notre analyse peut-elle contribuer à permettre au public de mieux s’approprier son théâtre et permettre aux dramaturges et aux metteurs en scène d’être beaucoup plus à l’écoute des

310 attentes du public ? On voit bien que quand on veut s’intéresser de façon très pointue à certaines formes de représentations, on trouve des réponses très passionnantes. Alors, comment pourrions-nous nous servir de cela avec les autres types de théâtre ? Ce sont là d’autres sentiers qui s’ouvrent devant nous.

311

ANNEXES

Fiche descriptive du film

Titre du film : Le théâtre forum, un théâtre au service du développement

Nom et prénom du réalisateur : TIENDREBEOGO P. Issiaka

Idée originale : Sylvie Chalaye

Année : Juin2017

Durée : 26 mn

Genre : Théâtre forum

Personnes interviewées: Prosper KOMPAORE, Privat Roch TAPSOBA, Catherine Martin PAYEN-DICKO, Alphonse SOME, Germain OUEDRAOGO Kader SIMPORÉ, Ignace WEDRAOGO, Abdoulaye KANZIÉ.

Synopsis des différentes pièces du film

1.

Titre de la pièce : Le poison silencieux

Nom de la troupe : Compagnie Théâtrale de la Solidarité de Dédougou (CTS)

Responsable de la troupe : TEGNAN Armand

Synopsis :

Le poison silencieux est une pièce de théâtre forum de la Compagnie Théâtrale de la Solidarité de Dédougou (CTS). En effet, deux amis, Mapouss et Frelaté consomment l’alcool frelaté. L’infirmier major du village essaie

312 d’attirer leur attention sur la gravité de leurs actes mais les deux amis désapprouvent ses conseils. L’alcool finira par avoir raison de Frelaté.

2.

Titre de la pièce : Le foncier

Nom de la troupe : Troupe Damaar de Batié

Responsable de la troupe : SOME Alphonse

Synopsis :

Après la mort de son mari, Amah assiste au partage des biens de ce dernier par les parents du défunt. Sous le couvert de la coutume, Amah et son fils sont expropriés de leurs biens. Grégoire tente de sensibiliser ses parents contre ses pratiques rétrogrades sans succès.

3.

Titre de la pièce : Le dernier couteau

Nom de la troupe : Atelier Théâtre Burkinabé (ATB)

Responsable de la troupe : KOMPAORE Prosper

Synopsis :

Pour la petite histoire, Biba, la femme de Bakary refuse d’avoir des relations intimes avec son mari car elle avait été excisée à son enfance. Le député Kokè va corrompre Bakary afin d’épouser sa fille Djénéba à une seule condition : Que Djénéba soit excisée. Biba s’interpose mais sous l’influence de son mari, Djénéba fut envoyée au village chez sa grand-mère où l’excision eut lieu. Malheureusement, Biba perdit beaucoup de sang et souffre de fistules.

313

Organigramme actualisé de l’Atelier Théâtre Burkinabé

314

QUESTIONNAIRE D’ENQUETE A L’ATTENTION DES SPECTATEURS

Nom de l’enquêteur : Nom et prénom de l’enquêté (facultatif): Date et lieu de la représentation : Titre du spectacle : Sexe : Homme ( ) Femme ( ) Fonction :

Age :

1. Avez-vous aimé la représentation théâtrale que vous venez de voir ? (oui / non)

2. Si oui, qu’est-ce qui vous a plu dans la représentation théâtrale ?

. Le thème me concerne

. Le jeu des acteurs était……………………….. ?

. La participation du public au forum était……………………. ?

. Autres (précisez)

3. Si non, qu’est-ce qui vous a déplu dans la représentation théâtrale ? (précisez)

4. Comment appréciez-vous le forum ?

. On a posé les questions (oui/non)

. Les intervenants ont donné de bonnes réponses (oui/non)

. L’animateur maîtrisait bien le forum (oui/non)

. Cela m’a aidé à bien comprendre la pièce (oui/non)

. Cela m’a aidé à dire ce que je pensais (oui/non)

. Autre (Précisez)

5. D’après vous cette représentation pourra-t-elle aider à changer la situation ?

Oui ( ) non ( ) (cochez la bonne réponse)

. Quelle action concrète décidez-vous de faire ?

6. Avez-vous d’autres commentaires à faire ? Lesquels ; (les qualités, les défauts de la représentation, vos suggestions pour l’avenir)

315

Nous vous remercions monsieur/madame pour votre collaboration

INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES DE L’EQUETEUR

1. Spectateurs Total : ( ) Hommes ( ) ; Femmes ( ) ; Enfants ( ) 2. Combien de personnes sont montées sur la scène lors du forum ? 3. Combien de personnes ont pris la parole dans le forum ? 4. Vos propres observations

GUIDE D’ENTRETIEN AVEC LES PERSONNES RESSOURCES

Nom et prénom : Fonction : Age : Sexe : Date et lieu de la représentation :

1. Qu’avez-vous retenu de la représentation théâtrale ?

2. Quelle lecture faites-vous de cette représentation théâtrale ?

3. Selon vous, quel est l’intérêt social de cette représentation théâtrale ?

4. Avez-vous d’autres commentaires à faire ?

316

Questionnaire pour les troupes

Nom de la compagnie :

Ville :

Personne responsable :

Courriel :

Évolution de la troupe :

1. En quelle année la troupe a été créée

2. Depuis vos débuts, combien de théâtre avez-vous créées ou produites

1 à 10 11 à 20 50 et plus

3. Combien de représentations faisiez-vous dans les premières années ?

- (à préciser)

4. Combien faites-vous de représentations par année ?

Structures de la troupe :

5. Combien de membres forment la troupe ?

Comédiens : auteurs : metteurs en scène : techniciens :

6. Combien d’hommes et de femmes forment la troupe ?

7. Quelle est la provenance des artistes ?

Etudiants Amateurs Professionnels Autres

8. Les comédiens sont-ils bénévoles ou rémunérés ?

9. Qui sont vos partenaires financiers ?

ONG Organismes internationaux Ministères Services Autres

Les spectacles

10. Quel est votre public cible ?

Ville Village Jeunes Grand public

317

11. Quels sont les principaux thèmes traités dans vos pièces de théâtre ?

Scolarisation des filles environnement santé économie tradition mondialisation

12. Langue utilisée le plus souvent dans les pièces de théâtre

Français Mooré Dioula autres

Informations

13. Quels sont vos objectifs de la troupe ?

14. Quelle esthétique utilisez-vous dans vos pièces (forme, genre, scénographie, dramaturgie)

15. Le public participe t-il à la représentation ?

Partie forum Questions

16. Quel est le processus d’écriture et de création que vous privilégiez ?

Écriture collective auteur improvisation

17. Que pensez-vous du théâtre d’intervention sociale (théâtre forum) ?

Liste des dix troupes concernées par l’étude

Nom du N° Nom de la troupe Nom de la pièce Responsable ordre

Troupe Bassy / Ziniaré 1 OUEDRAOGO Id taguess wooko : Le Province d’Oubritenga Rasmané terrorisme

2 Groupe Culture de SANOGO La décentralisation : Banfora . Province de Bamadou Un pas en avant, deux la Comoé pas en arrière

318

UJFRAD /Diébougou 3 SOME Clément Daba ta ou prend la Province de la daba Bougouriba

4 ARCAN de Ouédraogo Le grenier de la vie Ouahigouya . Province Germain du Yarenga

Compagnie théâtrale 5 du Kourwéogo . GUELBEOGO La sécurité : Bayiri- Province Kourwéogo L. Cécile meêbo

6 Rad-Néére de La- Nabaloum Tond Kambalaafi Todin . Province du Bibata tond pipiizouloêga : Passoré santé sexuelle et reproductive des jeunes

Da Maar de Batié 7 Yara Eloi Un cri dans la nuit

Fadéhouéré de 8 Loloniore Kambou Sié Le regret : La Clément malnutrition, hygiène

et assainissement

Compagnie théâtrale 9 de la Solidarité de Tiégnan Tigini La mésaventure des Dédougou Armand enfants Province de Mouhoun

319

Théâtre de la 10 Génération Soré Salfo Qui peut faire ça ? Consciente de Guié. Mobilisation Province de l’Oubritenga communautaire

320

RAPPORT GENERAL Du 11 au 15 avril 2016, s’est tenue au siège de l’Atelier Théâtre Burkinabé(ATB), la 11 ème édition du Concours de Théâtre Forum, initiative de l’ATB destinée à promouvoir la pratique du théâtre forum au Burkina Faso, en Afrique et dans le reste du monde. I. Composition du jury. Président : TAPSOBA Privat Roch (Enseignant d’Arts dramatiques) Membres. MEDA Ildevert (Artiste comédien, formateur en Arts) WEDRAOGO Ignace (Enseignant, comédien, formateur en Arts) KABORE Calixte (Enseignant, comédien) TIENDREBEOGO P. Issiaka (Doctorant en Arts dramatiques) II. Travaux des membres du jury Après avoir suivi les prestations des troupes en Théâtre forum du 11 au 15 avril 2016, le jury a apprécié l’engouement des troupes de l’intérieur du pays pour ce concours et salue tous les efforts consentis par tous les acteurs afin de donner aux amateurs d’art de vivre et de communier aux sources de la Culture. Les critères à partir desquels le jury a apprécié les prestations ont été les suivants : - L’originalité : intelligence des innovations/10 - La qualité du Joking /10

321

- La qualité de la mise en scène /10 - La qualité du jeu d’acteur : 10 - L’intérêt thématique /10 Au-delà de ces critères, le jury devait aussi proposer des lauréats pour : - le prix de la meilleure actrice - le prix du meilleur acteur - le prix de la meilleure ou du meilleur joker. A l’issue de la délibération le jury proclame les résultats suivants :

Nom Troupe Total/250 No Ran te /50 g Bassy / Ziniaré 190 38 1er Province d’Oubritenga Groupe Culture de Banfora . 173 34. 2ème Province de la Comoé 6 UJFRAD /Diébougou 162 32. 3ème Province de la Bougouriba 4 ARCAN de Ouahigouya . 147 29. 4ème Province du Yarenga 4 Compagnie théâtrale du 145 29 5ème Kourwéogo . Province Kourwéogo

Rad -Néére de La -Todin . Province 143 28. 6ème du Passoré 6 Da Maar de Batié 124 24. 7ème 8 Fadéhouéré de Loloniore 121 24. 8ème 2

322

Compagnie théâtrale de la 110 22 9ème Solidarité de Dédougou Province de Mouhoun

Théâtre de la Génération 100 20 10 èm Consciente de Gui. Province de e l’Oubritenga

Pour les prix spéciaux : Meilleur Acteur : KABORE Moïse (troupe de Bassy de Ziniaré) Meilleure actrice : COMPAORE Berthe dite Sidpayété (troupe de La-todin du Passoré) Meilleur Joker : TRAORE Souleymane (UJFRAD)

III. Suggestions

Le jury du Concours de Théâtre Forum, 11 ème édition suggère aux initiateurs, promoteurs et autorités d’inscrire la formation et l’encadrement des groupes afin d’aider les groupes à mieux réussir les prestations. Le jury suggère aux initiateurs une meilleure publicité autour de l’événement afin de stimuler l’engouement des acteurs. Le jury suggère aux initiateurs un partenariat plus solide avec les établissements d’enseignement afin d’intéresser un public jeunes à la chose théâtrale.

323

Le Président du jury Les Membres du jury

Privat Roch TAPSOBA MEDA Ildevert

KABORE Calixte

WEDRAOGO Ignace

TIENDREBEOGO P. Issiaka

324

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Ubersfeld Anne, Lire le théâtre II : l’école du spectateur. Edition Belin, Collection Lettres Sup., Paris, 1997.

Ubersfeld Anne, Lire le théâtre III : le dialogue de théâtre , Edition Belin, Collection Lettres Sup., Paris, 1998

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TABLE DES MATIERES

DEDICACE ...... i REMERCIEMENTS ...... ii SOMMAIRE ...... iv Résumé en français ...... v INTRODUCTION GENERALE ...... 1 PREMIERE PARTIE : UNIVERS DU THEATRE BURKINABE ...... 22 Chapitre1 : Contexte de naissance du théâtre en Afrique ...... 23 1.Conditions de naissance du théâtre en Afrique ...... 23 2. L’action des centres culturels ...... 36 3.Emergence du théâtre burkinabè ...... 40 3.1Présentation de Amadou Achille BOUROU ...... 42 3.2 Origines du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso ...... 51 Chapitre 2 : Le théâtre forum de l’Atelier Théâtre Burkinabé de Prosper Kompaoré 60 1. Genèse de la troupe ...... 60 2. Organisation administrative de la troupe ...... 63 2.1 L’assemblée générale ...... 63 3. Présentation de l’initiateur du théâtre-forum au Burkina Faso ...... 64 4. Le théâtre forum, une pratique théâtrale ...... 66 5. Conception et déroulement du théâtre-forum ...... 69 5.1 Conception du théâtre forum ...... 69 5.2 Déroulement du théâtre forum ...... 71 5.3 La place du joker ou du meneur de jeu au théâtre forum ...... 73 6. Les principaux thèmes évoqués dans le théâtre-forum de Prosper Kompaoré .. 76 7. L’efficacité théâtrale à travers l’interactivité et l’esthétique ...... 78 8. Le Concours de Théâtre-Forum (CTF), un canal de vulgarisation du théâtre d’intervention sociale ...... 80 9. Atouts et handicaps du théâtre d’intervention sociale ...... 84 9.1 Atouts du théâtre d’intervention sociale ...... 84 9.1.1 Avantages du théâtre-forum par rapport aux autres modèles de communication . 86 9.2. Handicap du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso ...... 95

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Chapitre 3 : Typologies des représentations du théâtre d’intervention sociale au Burkina Faso ...... 102 1. Le théâtre de l’opprimé de Augusto Boal ...... 102 2. Les objectifs et les principes de base du théâtre forum de Augusto Boal ...... 107 3. Le théâtre-procès ...... 110 4. Le théâtre communautaire ...... 110 4.1 Méthodologie du théâtre communautaire ...... 112 5. Le théâtre-débats de Jean Pierre Guingané ...... 119 5.1 Biographie de Jean Pierre Guingané ...... 119 5.2 Origine du théâtre-débats de Jean Pierre Guingané ...... 121 5.3 Les principaux thèmes développés dans le théâtre-débats de Jean Pierre Guingané ...... 129 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE SEMIOLOGIQUE DES REPRESENTATIONS THEATRALES ...... 134 Chapitre 4 : Qu’est-ce que la sémiologie théâtrale ? ...... 135 1.1 Définition de la sémiologie ...... 135 1.2 La sémiologie du théâtre ...... 136 1.3 La sémiologie de la communication ...... 137 1.4 La sémiologie de la signification ...... 138 2 Les trois types fondamentaux de l’analyse sémiologique ...... 139 2.1 L’icône ...... 140 2.2 L’indice ou l’index ...... 141 2.3 Le symbole ...... 141 3. L’espace dramatique ...... 142 4. L’analyse synchronique et morphologique de l’espace théâtral ...... 144 5. Le degré d’aperture de l’espace théâtral ...... 144 5.1 Les espaces très ouverts ...... 145 5.2 Les espaces ouverts ...... 145 5.3...... Les espaces semi-ouverts ousemi-fermés ...... 146 5.4 Les espaces très fermés ...... 147 5.5 Les espaces fermés ...... 147 6. Le décor ...... 149

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7. Les rapports entre acteurs et spectateurs ...... 150 7.1 Les rapports frontaux ...... 150 7.2. Les rapports inclusifs ...... 150 7.3 Les rapports insulaires...... 151 8. L’analyse diachronique et syntaxique de l’espace théâtral ...... 151 8.1 Le recentrement scénique ...... 152 8.2 La dénucléarisation scénique ...... 152 8.2.1 La dénucléarisation successive ...... 153 8.2.2 La dénucléarisation simultanée ...... 153 9. Le temps théâtral ...... 154 Chapitre 5 : Eléments de dramaturgies dans le théâtre d’intervention sociale ...... 155 1. Perspectives esthétiques du théâtre d’intervention sociale ...... 156 2. Corpus de l’étude ...... 159 3. Le contenu des représentations ...... 159 3.1 Résumé de La pièce « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou »...... 160 3.2 Résumé de La pièce « Le vote du fétiche» ...... 162 3.3 Résumé de la pièce « La folie de l’or» ou « A qui profite l’or ? » ...... 164 3.4 Résumé de la pièce « Le cri des enfants » ...... 165 3.5 Résumé de la pièce « Le procès du maire » ...... 166 4. La ritualisation dans le discours ...... 168 5. Eléments matériels de la mise en scène ...... 169 6. Les cadres physiques et contextuels des représentations théâtrales ...... 174 6. 1.La lumière ...... 174 6.2 Le son ...... 175 6.3 Décors, costumes et accessoires ...... 176 6.4 Les gestes et les mouvements ...... 179 7. Jeu d’acteur et interaction acteurs-spectateurs dans le jeu d’acteur ...... 181 7.1 Etude de la corporalité de l’acteur dans « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou» ...... 181 7.2 La sémiologie du comportement ...... 188 7.3. Typologies des personnages dans le théâtre d’intervention sociale ...... 191 Chapitre 6 : Analyses dramaturgiques de quelques séquences de représentations théâtrales ...... 200

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1. Analyse sémiologique de la représentation « Les œufs du barrage de Benbaleyadougou » ...... 211 1.1 Schéma actantie l ...... 214 1.2 Schéma actantiel des œufs du barrage de Benbaleyadougou ...... 215 1.3 Commentaire du schéma actantiel ...... 216 2. Analyse dramaturgique de la représentation Le vote du fétiche ...... 217 2.1 La place du féticheur dans la représentation Le vote du fétiche ...... 218 2.2 Schéma actantiel n°1de la représentation Le vote du fétiche ...... 220 2.3 Commentaire du schéma actantiel de la représentation « Le vote du fétiche » .. 221 TROISIEME PARTIE : ETUDE D’IMPACT SUR LE THEATRE D’INTERVENTION SOCIALE ...... 224 Chapitre 7 : Théorisation sur la réception du théâtre d’intervention sociale ...... 225 1. Retour sur la « notion de théâtre d’intervention sociale » ...... 226 2. Les objectifs des campagnes de sensibilisation ...... 230 3. Les différentes théories sur la réception du théâtre ...... 231 4. Application des théories sur le théâtre d’intervention sociale ...... 233 5. Etude idéologique et sociologique du public du théâtre d’intervention sociale 237 6 L’horizon d’attente du public à travers un aperçu de la société burkinabé . 238 7 Le théâtre d’intervention sociale comme outil d’affirmation de l’ancrage culturel au Burkina Faso ...... 240 8 La socialité comme fondement des représentations théâtrales dans le théâtre d’intervention sociale ...... 241 9 Les retombées de l’impact social de l’expression artistique ...... 243 10 Les impacts économiques ...... 246 Chapitre 8 : Le comportement des spectateurs pendant le spectacle ...... 248 1. Catégories sociales des spectateurs de théâtre ...... 249 2. Le public du théâtre forum ...... 251 2.1 Le public homogène ...... 252 2.2 Le public hétérogène ...... 254 3. Le sentiment du public ...... 256 4. Les comportements et attitudes des spectateurs pendant les représentations ...... 258 5. Les difficultés linguistiques dans la réception du théâtre forum ...... 264

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Chapitre 9 : Les résultats après représentations ...... 268 1. Mobilisation sociale autour du théâtre d’intervention sociale ...... 268 2. Regard sur la situation des femmes au Burkina Faso ...... 271 3. Les résultats des représentations ...... 280 3.1 Les aspects quantitatifs ...... 281 3.2 Les aspects qualitatifs ...... 282 3.3 Les aspects contextuels ...... 282 4. Résultats issus du traitement des données recueillies ...... 283 4.1.Lieu de représentation théâtrale ...... 283 4.2.Répartition de l’échantillon ...... 284 5. L’effectif de la variable Fonction ...... 285 6. L’effectif de l’âge des enquêtés ...... 286 7. L’effectif des enquêtés qui ont aimé la représentation théâtrale qu’ils viennent de voir ...... 286 8. L’effectif de ce qui a plu dans la représentation théâtrale selon les enquêtés .. 286 9. Comment les enquêtés ont apprécié le forum ...... 287 10. D'après vous cette représentation pourra- telle aider à changer la situation ? 289 11. L’action concrète que les enquêtés décident de faire ...... 290 12. L’effectif du croisement entre le genre et la fonction ...... 291 13. L’effectif de croisement entre le genre et les préférences dans la représentation théâtrale ...... 292 14.L’effectif du croisement entre le genre et les actions concrètes ...... 294 15. Informations complémentaires de l’enquêteur ...... 294 16. Résultats de l’enquête des dix compagnies enquêtées ...... 296 I. Evolution de la troupe ...... 297 II. Structures de la troupe ...... 298 III. Les spectacles ...... 302 IV. Informations complémentaires ...... 303 CONCLUSION GENERALE ...... 306 ANNEXES ...... 312 Organigramme actualisé de l’Atelier Théâtre Burkinabé ...... 314 BIBLIOGRAPHIE ...... 325

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TABLE DES MATIERES ...... 333

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