A L'ABORDAGE ! @ Corlet, Imprimeur, S.A., département éditions, 1996 ISBN : 2-85480-523-2 Michel GIARD

A L'ABORDAGE !

Corsaires, Pirates et Flibustiers

de l'histoire au cinéma

EDITIONS Z.I. route de Vire 14110 Condé-sur-Noireau Du même auteur :

Aux éditions La Fenêtre ouverte du Cotentin

Les Pieux d'avant, Normandie d'hier, 1986 Flamanville, d'une marée à l'autre, 1988

Aux éditions Charles CORLET

Naufrages et sauvetages en Manche, 1989 Les canotiers de l'impossible, 1990 Sauveteurs de Normandie, 1991 (prix des Libraires de Normandie) Naufrages et sauvetages en Bretagne, 1992 préface de Didier Decoin (Prix Goncourt) La Mer et rien d'autre !, 1993 Ouistreham, d'une tempête à l'autre, 1994 Chacun, nous combattons pour acquérir ce qui nous manque.

Robert Surcouf

FEU VERT POUR LA COURSE

- « Navire sous vent à nous ! » Perché tout là-haut, dans le nid de pie, à la pointe du grand mât, la vigie vient de lancer son cri. L'officier de quart ajuste sa longue vue et repère un navire. - Faites donner toute la toile. Les gabiers courent dans la mâture, ils déferlent les perroquets et filent à bout de vergue les bonnettes. Toute la toile a été établie. Le corsaire fend la mer à toute vitesse vers ce qui n'est encore qu'une tache sur l'horizon. Les voiles montent sur la mer, elles grandissent. Quand les deux navires sont assez proches, le capitaine cor- saire donne un ordre : - Envoyez-lui un coup de semonce. Qu 'il se décide à hisser ses couleurs ; que l'on sache s'il est ami ou ennemi. Quelques minutes plus tard, la réponse tombe : - Ennemi. Une bordée descend dans la Sainte-Barbe, la soute à muni- tions ; elle remonte sur le pont chargée de paniers de grenades ; les canonniers font le plein de caisses à gargousse, les charges de poudre à canon. A côté de l'homme de barre, le capitaine cherche à tromper son impatience ; il passe son poignet dans l'estrope du manche d'une hache d'abordage. Il la pose pour frotter la pierre de ses pistolets avec son ongle. Tout près de lui, des matelots passent en portant des grappins d'abordage. Dans l'entrepont, les canonniers attendent que les sabords se relèvent. L'ordre tombe enfin : - Envoyez ! Le tonnerre des canons se déchaîne. La poudre parle et les boulets agressent les flancs du navire ennemi. Sur le pont, le spectacle semble figé : - Tout le monde à plat ventre, jusqu 'à nouvel ordre ! L'ennemi ne reste pas inactif et ses canons se mettent à cra- cher ; de part et d'autre d'un petit carré d'océan, l'orage de fer se déchaîne. Le corsaire suit chaque mouvement de son ennemi ; il hausse les épaules pour dire à l'un de ses lieutenants : - « Qu'il s'y prenne comme il voudra, il sera bientôt à nous ! » Les deux navires s'approchent dans des volutes de fumée et s'accrochent ; les grappins sont lancés. A bord du corsaire français, des hommes résolus attendent leur heure, les lèvres crispées par la colère, les muscles bandés, prêts pour le combat. Ils attendent le cri libérateur qui va les lancer à l'attaque. Dans les poitrines les moins aguerries, le cœur bat plus vite qu'à l'ordinaire. - A l'abordage ! crie le capitaine. - A l'abordage ! répondent cinquante poitrines avec un ensem- ble étonnant. Arrêt sur image. L'écran technicolor déborde de marins qui sautent, qui cou- rent sabre à la main, pour certains, pour d'autres, armés de haches d'abordage, piques et poignards, c'est la curée. Errol Flynn apporte la magie du cinéma pour ressusciter pendant une heure ou deux l'univers des corsaires et des pirates. Des images de même nature vous envahissent si vous lisez les mémoires de Duguay-Trouin ou de Jean Bart. Alors, pour une mi- nute, que les lignes du livre cessent de danser au rythme de la houle qui porte ces navires et leurs équipages ! Miracle du cinéma ou de l'écriture, évadez-vous avec les aven- turiers de la mer et découvrez leur histoire véritable ! En les voyant, écrira Louis Garneray, je crois aux héros d'Ho- mère et je comprends les exploits de Duguesclin ! Nous reviendrons plus tard car le combat cesse d'être un combat pour devenir une boucherie grandiose. Didier Decoin me disait que depuis Homère les hommes adorent qu'on leur raconte des histoires. Alors, n'at- tendez plus. Embarquement immédiat. 1860, le congrès de Paris, en décidant d'abolir la guerre de course, faisait des corsaires des marins du passé. Toutefois, en tour- nant une page de son histoire, la guerre de course trouvait un nou- veau souffle. Quelques années auparavant, Louis Garneray publiait ses souvenirs. Embarqué très jeune sur les navires corsaires qui croisent dans l'océan Indien, Garneray devient un témoin qui connait les plus fortes émotions en montant à l'abordage ; au grand balancier de l'histoire, il découvre ensuite le pire sur les pontons anglais. Né dans une famille où l'on était peintre et graveur de père en fils, Garneray possède un remarquable sens de l'observation. De retour en France, il deviendra un honorable peintre de marine et ce n'est que sur le tard qu'il écrira ses souvenirs qui forment la matière de trois livres chargés de rythme, de parfums et de combats. Contre toute attente, son ouvrage « Voyages, aventures et com- bats » connaît un grand succès de librairie. A la même époque, quand Plucket publie ses mémoires, celui que l'on appelle à Dunkerque l'autre Jean Bart voit son ouvrage tiré seulement à deux cents exemplaires. Bien vite réimprimé, car c'est à nouveau un succès ; voilà encore un corsaire qui tient le haut du pavé et qui passionne les curieux. La mer devient un centre d'intérêt pour de nombreux lecteurs du XIX siècle qui, sous l'influence des romantiques, ont retrouvé le goût d'une nature forte. Chateaubriand, fils d'un armateur de Saint- Malo, avait passé sa jeunesse sur les grèves de la cité. Les veillées familiales étaient bercées de récits de voyages au long cours, de combats et de naufrages. Saint-Malo a été sous Louis XIV l'une des grandes cités de la guerre de course. Les plus grands noms de l'épo- que y ont foulé, sous le crachin, les pavés luisants de ses quais. Partir à la rencontre de ces marins nous offre l'opportunité de revisiter l'histoire de France depuis 1492, date à laquelle Christophe Colomb pose le pied aux Antilles, dans les îles Lucayes, à l'orée du détroit de Floride. Trois mots du langage courant recouvrent chacun une réalité propre : corsaire, pirate, flibustier. La guerre de course a longtemps été la seule forme de guerre sur mer. Est corsaire, le marin qui dispose d'une lettre de marque établie par l'administration royale qui lui donne mandat pour courir sus aux ennemis. Elle connaît son âge d'or en France, de 1650 à 1750, sans toutefois être notre seul apanage. Anglais, Hollandais connaîtront eux aussi dans leurs rangs de fameuses figures que la postérité n'a pas oubliées. Dans son fonctionnement, la guerre de course se présente tan- tôt sous forme artisanale, tantôt sous forme professionnelle. Ce n'est pas tant une question d'époque que la capacité des hommes à réunir des capitaux et des capitaines pour s'associer à des opéra- tions plus ou moins importantes. La course artisanale s'effectue donc avec de petits navires qui ne nécessitent qu'un investissement réduit. L'armement est faible et l'on compte davantage sur la vaillance d'un équipage peu nom- breux et donc facile à recruter que sur la puissance du feu. Dans ces conditions, il ne peut s'agir que de préparer des opérations de courte durée qui s'effectuent à partir d'une base permanente. Le rayon d'action est par définition restreint et les résultats ne peuvent être que modestes, en corrélation avec l'investissement initial. A cette forme de course, nous pouvons opposer une course plus professionnelle qui met en œuvre une réflexion, d'importants moyens et parfois la mise à disposition de navires de la marine royale. Les capitaines pratiquent par campagne au large. Dès lors, les prises sont conduites vers les ports amis les plus proches par des marins qui portent le titre de capitaine de prise ; sinon les cor- saires regagnent le large sans tarder. Compte tenu des moyens utilisés, la guerre de course va peser sur le déroulement des différents conflits jusqu'à la guerre d'Indé- pendance d'Amérique. En cette fin du XVIII siècle, les convois mar- chands sont mieux organisés. De puissants navires assurent leur escorte, les prises deviennent plus incertaines ; aussi les armateurs préfèrent-ils consacrer leur énergie et leurs ressources au grand commerce colonial, plus lucratif. Au début du XVI siècle, lors du traité de Londres, la course est réglementée tant elle perturbait le trafic commercial. La lettre de marque ou commission en guerre valait à son bénéficiaire le privi- lège d'attaquer les ennemis de l'Etat et ce, dans un laps de temps précis, qui pouvait aller de trois mois à un an. A expiration du délai, il fallait rentrer au port, solliciter une nouvelle lettre de marque, sinon le capitaine franchissait la ligne si mince qui sépare un honnête homme d'un hors-la-loi, et celle qui distingue un corsaire d'un pirate. Parmi les règlements édictés, il est interdit au corsaire de dis- poser de doubles pavillons. S'il est pris en flagrant délit, il perd le privilège que lui confère la lettre de marque et se voit ravalé au rang médiocre de pirate avec le châtiment qui s'y rattache. Le pirate correspond sur la mer au bandit de grand chemin à terre. Chacun attaque, pille, rançonne ce qui lui semble être profi- table. Il opère en toute illégalité et quand il est pris par la flotte ennemie, le pirate finit en bout de vergue. Pendu ! Le flibustier appartient à l'univers des Caraïbes ; il habite l'une de ces îles qui tapissent la mer des Antilles, il est membre d'une société structurée qui possède deux autres catégories sociales avec les boucaniers qui chassent et fument la viande et les habitants qui sont les planteurs. Les flibustiers français et anglais n'hésitent pas à s'associer pour combattre l'ennemi commun, l'Espagnol, pour s'emparer, avant tout, de l'or du nouveau-monde. Si les pirates au sens littéral du terme existent encore en cette fin du XX siècle sous les cieux les plus divers, d'Afrique jusqu'en mer de Chine, les derniers corsaires ont disparu pour renaître au cinéma, à la télévision ou dans la bande dessinée. Corsaires, pirates et flibustiers constituent un univers à la fois réel et mythique. Pour ma part, j'ai abordé la littérature par goût de l'aventure, par goût de la poudre, mais aussi de l'iode qui parfume chaque page de Louis Garneray. Le texte original en avait été quelque peu modifié et abrégé pour donner en Bibliothèque Verte « Un corsaire de quinze ans » ou « Lieutenant de Surcouf ». Ces livres se sont ré- vélés un passeport merveilleux pour l'aventure et ont apporté du bleu dans l'univers gris et sombre d'un pensionnat de province. Plus tard, à la Cité Universitaire, je logeais dans le Bâtiment . A l'époque, j'ignorais tout de cet homme. Un armateur dieppois, mais encore ? Mai 68 nous conduisait à nous intéresser à d'autres figures de l'histoire, contemporaine ou non. Les mouve- ments de grèves avaient vidé les quais qui bordent la Seine. Rouen lançait vers la nuée les grands bras de ses grues qui restaient dé- sespérément immobiles. L'heure n'était pas à l'invitation au voyage ; alors pourquoi songer aux bateaux qui emmènent ailleurs, pays pauvres ou riches, communistes ou capitalistes, pays du Sud, bois du Nord. Tout cela n'avait plus guère d'importance. Le centre de la France se trouvait quelque part du côté du Boulevard Saint- Michel. La Sorbonne était devenue le creuset d'une nouvelle France. Les accords de Grenelle renvoyèrent les ouvriers dans leurs usines et les étudiants sur les bancs des facultés. Quand l'été est arrivé, il n'avait jamais paru aussi beau. En juillet chacun quitta Paris, c'était pour redécouvrir que la mer éternelle attendait le long des rivages et demeurait la meilleure invitation au voyage. Ceux qui possédaient encore un pavé dans leur 2 CV, le lan- cèrent à la face des vagues puis, en guise d'excuse, murmurèrent ces paroles : « ...Une seule fois encore, je veux te saluer et te faire mes adieux ! Vieil Océan, aux vagues de cristal... mes yeux se mouillent de larmes abondantes, je n'ai pas la force de poursuivre ; car, je sens que le moment est venu de revenir parmi les hommes à l'as- pect brutal ; mais... courage ! Faisons un grand effort, et accomplis- sons, avec le sentiment du devoir, notre destinée sur cette terre. Je te salue ! Vieil Océan. » Pour une fois, le vieil océan ne chantait pas Yellow Submarine mais nous contait sous les remparts de Saint-Malo l'histoire des aventuriers de la mer. La veillée promettait d'être longue.

LES PRÉCURSEURS

Le premier personnage qui ouvre ce florilège des corsaires en France est un homme singulier. Moine chez les bénédictins de Saint-Vulmer en Picardie, Eustache a quitté un jour son monastère pour prendre les armes afin de venger l'honneur de sa famille et de son père. Commençait pour ce moine un destin extraordinaire qui allait faire de lui le premier grand corsaire français. La famille d'Eustache appartenait à la noblesse ; son père pos- sédait de nombreux fiefs. Un litige avec un seigneur qui disputait un domaine à sa famille, conduit notre homme à sortir de son couvent. L'air libre lui convient et il décide d'abandonner le froc et de se mettre au service du comte de Boulogne. Accusé à tort de détourner à son profit les biens du comte Renaud de Dammartin, Eustache se fâche tout rouge, s'enfuit dans les forêts à la manière de Robin des Bois avant de passer en An- gleterre pour proposer ses services à Jean sans Terre. Jean sans Terre a perdu la Normandie ; il sait également que la Bretagne ne lui est pas favorable ; il a donc besoin de disposer d'une tête de pont s'il veut entreprendre la reconquête du duché dont il a été dépossédé. En 1205, les Français demeuraient maîtres des îles de la Man- che et privaient ainsi Jean sans Terre de l'appui qu'il recherchait. Un an plus tard, la tradition veut qu'Eustache Le Moine et son frère participent activement à l'expulsion des Français. En mettant ses navires sur la mer pour attaquer les ennemis, en respectant alliés ou amis, Eustache Le Moine devient le premier corsaire de l'histoire. La première lettre de marque remonte au 25 mai 1206. Jean sans Terre, roi d'Angleterre accorde à Eustache Le Moine l'impunité pour ses actions, contre ses ennemis. Désormais, les choses sont claires pour les marins, ils savent désormais où sont les amis et les ennemis. Eustache fait de l'archipel anglo-normand son repère et en par- ticulier de la petite île de Serk, toute proche de Guernesey. De là, il attaque le littoral normand, du Couesnon jusqu'à la Seine. A cette époque, Eustache Le Moine combat à la manière des raids . Ses nefs apparaissent à l'aube au pied des villes à attaquer et à enlever. Marins et soldats se lancent alors à l'assaut, alliant violence et ruse pour mieux s'emparer de leur proie. Eustache Le Moine et son frère sont les héros d'un roman en vers écrit peu après leur mort dans la tradition des sagas nordiques du poète Jersiais Robert Wace. Philippe Auguste poursuit une guerre d'expansion territoriale du trône de France et ce, au détriment de la couronne d'Angleterre. Les îles de la Manche ne retiennent pas son attention et s'inscrivent désormais dans la mouvance de la couronne d'Angleterre. Nous retrouvons Eustache Le Moine en 1212 quand Jean sans Terre conclut une alliance importante puisqu'elle regroupe l'empe- reur d'Allemagne, le comte de Flandre et le comte de Boulogne. Leur objectif : écraser Philippe Auguste. Pourtant Eustache Le Moine réagit vivement quand il apprend que le comte de Boulogne, son ami personnel de longue date, se voit confier le commande- ment des troupes de la coalition. C'est plus que son orgueil ne peut supporter. Cependant, ce n'est pas sa seule motivation car le Pape venait d'excommunier Jean sans Terre. Eustache répète à qui veut l'en- tendre qu'il ne respecte personne à l'exception de Dieu et de son vicaire. Il se souvient également qu'il a été moine dans le passé, avant d'être corsaire. A ce titre, il ne saurait plaisanter avec les décisions de Rome. Il passe donc dans le camp adverse avec ses bateaux et son expérience de la guerre navale. Il retrouve autour de Philippe Auguste, Geoffroy de Lucy, trans- fuge du camp anglais avec les renforts qu'il devait conduire en Anjou. Ce seigneur du Cotentin, mais aussi l'un des grands barons anglais, connaissait donc parfaitement et les îles et Eustache Le Moine. Une expédition s'organise. Victoire sans lendemain car les îles se délivrent par elles-mêmes et reviennent dans le giron de la cou- ronne d'Angleterre. En juillet 1214, la bataille de Bouvines scelle la victoire du roi de France et la défaite de la coalition. Philippe-Auguste avait une flotte de plus de mille navires prête pour attaquer Jean sans Terre. La soumission de ce dernier rendait cette concentration de bâtiments presque sans objet. Aussi fut-il décidé de l'envoyer combattre la ville de Bruges et son seigneur afin de le ramener à la raison. L'affaire débute mal car deux capi- taines avaient pris la flotte à revers et lui causèrent de sérieux dom- mages. Il fallut toute l'intervention d'Eustache pour rétablir la situa- tion. Par la suite, il reprend le projet d'un débarquement en Angle- terre afin de destituer Jean sans Terre et le remplacer par Louis de France, fils de Philippe Auguste. Le ciel ne devait sans doute pas bénir ce projet car le mauvais temps disperse la flotte d'invasion durant sa traversée du Pas-de-Calais. Informé de l'expédition, Jean sans Terre s'enfuyait et eut le mauvais goût de mourir tandis que Louis de France débarquait. La mort de Jean sans Terre suffisait aux Anglais ; ils ne vou- laient cependant pas de Louis de France comme successeur ; aussi se retournèrent-ils contre les troupes françaises en harcelant les convois de ravitaillement. Les combats se portèrent également en mer et Eustache y combattait, entouré de chevaliers français. Un jour, son navire est attaqué par quatre grandes nefs anglai- ses. Malgré leur ardeur, Eustache et les siens finissent par plier sous le nombre et la plupart y perdent la vie. Fait prisonnier, Eustache essaie une tractation : - Je suis riche, j'offre une importante rançon. Et le moine-corsaire eut l'idée saugrenue d'ajouter : - Je jure fidélité inviolable au roi d'Angleterre. Maladresse coupable, car celui qui faisait face n'était autre que Richard, bâtard de Jean sans Terre, qui éclata de colère : - Jamais plus, traître, tu ne chercheras à séduire par tes faux serments ! Et de sa main, il lui coupa la tête. Le premier grand corsaire de l'histoire de France connaissait le sort enviable de mourir sur la mer. La guerre de Cent Ans affecte durablement le développement des royaumes de France et d'Angleterre. Le conflit s'étend dans une Europe en proie aux difficultés économiques et dépeuplée par le passage de la peste noire en 1348. Les contours de la France mo- derne vont naître à l'issue de ce conflit marqué par le retrait de l'Angleterre du territoire national, puis par la défaite des états du duc de Bourgogne et la mort de Charles le Téméraire. Pendant la guerre de Cent ans, les marins, qu'ils soient pê- cheurs ou maîtres au cabotage, deviennent corsaires. Puisqu'il n'existe pas d'armée navale appartenant au Roi, ils vont porter la bataille sur la mer afin de désorganiser les liaisons de l'ennemi qui doit régulièrement franchir la Manche. Les corsaires courent la mer et ne se contentent pas d'attaquer et d'arraisonner les navires en- nemis. Ils effectuent, à la manière des vikings, des raids audacieux contre Southampton, Plymouth et Douvres. En représailles, les An- glais débarquent à Dieppe. En juin 1340, près de deux cents nefs se regroupent à Dieppe. L'amiral Hugues Quieret veut tenter un débarquement en Angle- terre. La flotte vient croiser en Manche avant de s'embosser dans la baie de l'Ecluse. Les Anglais viennent les chercher dans ce cul-de-sac et taillent en pièces la marine française. La Manche leur appartenait pour un temps car, avec beaucoup de détermination, les Dieppois se mirent à reconstruire leur flotte et à retrouver le sens du commerce. En 1364, deux navires normands atteignent les rivages de Gui- née. Alors que le royaume se débat entre deux soubresauts de cette guerre interminable, le commerce au long cours passionne toute une région. Puis Jean de Béthencourt débarque en 1402 aux îles Canaries. Pourtant après la défaite de la chevalerie française à Azincourt, le 15 novembre 1415, la Normandie revient au centre de la guerre. Dieppe compte sous Charles VII un corsaire dont le navire « le Petit Eveillé qui dort » terrorisait les Anglais. Avec ses barges, Perrot Ferré courait la Manche et la mer du Nord jusqu'au jour où les Flamands les enlevèrent. Capturés, les Français furent conduits jusqu'à la grande place de Bruges où ils furent décapités. A titre de représailles, un autre corsaire dieppois, Robin Berbey, attaque à son tour les Flamands. L'affaire n'en restera pas là car l'année sui- vante, les Dieppois attaquaient les barques de pêche de Flessingue et de Westcapelle.

Christophe Colomb avait élargi l'horizon des hommes en dé- couvrant de nouvelles terres à l'ouest. L'année suivante, le 4 mai 1493, le pape Alexandre VI avait réparti les découvertes à venir entre Espagnols et Portugais dans un texte très officiel, la bulle Inter Caetera. Il le précise en ces termes : « Nous donnons toutes les îles et terres nouvellement décou- vertes pourvu qu'elles n'appartiennent encore à aucun roi chrétien, à vous et à vos héritiers et nous défendons à tous autres, à peine d'excommunication, de s'y rendre et d'y faire commerce sans votre permission ». Point n'est utile de se demander quelle bannière pourrait flotter sur ces terres vierges, il suffit de connaître leur position par rapport au méridien de Florès pour déterminer le pays souverain. Les autres nations européennes peuvent faire leur deuil de ces aventures au- delà du grand océan. Elles sont purement et simplement évincées de ce partage. Si la bénédiction papale n'était pas suffisante, les chancelleries espagnole et portugaise signent dans cet esprit le traité de Tordésillas en 1494. Des hommes intrépides, avec l'accord et le soutien de leurs gouvernements respectifs, peuvent partir à la découverte de nouveaux mondes. Doit-on pour autant croire que Français et Anglais, par exem- ple, vont rester sans réagir ? Car si la règle du jeu est définie, toute loi n'est-elle pas faite pour être contournée ? En fait, à ce moment personne ne soupçonne véritablement les richesses des pays d'Amérique. Ce qui intéresse au plus haut point les Espagnols, c'est l'or que Christophe Colomb n'a pas trouvé en quantité suffisante. Les esprits savants qui fréquentent les grands d'Espagne n'ont pas oublié ce que décrivait le Livre des Merveilles de Marco Polo. Il parlait des fabuleuses richesses de l'Extrême- Orient, de cet or que renferment les mines de Cipango. Les navigateurs espagnols cherchent donc cette voie, toujours plus à l'ouest, qui doit les conduire vers ces trésors. Le rêve, le mirage deviennent réalité quand en 1517 Ferdinand Cortès met le pied au Mexique. De l'or, les Espagnols en trouvent en quantité intéressante sur les Mayas tués ou blessés. Quatre ans plus tard, quand l'empereur aztèque, Montezuma, offre à Cortès de nombreuses pièces d'orfèvrerie, il n'imagine pas l'étendue de l'erreur qu'il vient de commettre. Cortès veut à tout prix s'emparer de Mexico et de ses trésors. L'or demeure le maître- mot de cette conquête. Mais les capitaines espagnols, une fois les trésors débarqués à leur retour, ne savent pas tenir leur langue. La nouvelle franchit les Pyrénées, remonte l'Atlantique pour atteindre la mer de la Manche puis celle du Nord. A défaut de participer à la conquête des nouveaux territoires, Français et Anglais devien- nent pirates ou corsaires selon les époques. Au-delà de la mer des Caraïbes, les Espagnols succombent à la fascination de la partie la plus ténue de l'Amérique Centrale qu'ils baptisent Castillo del Oro. Pourtant, plus qu'à une véritable colonisation, c'est-à-dire à une mise en valeur rationnelle et à une exploitation intelligente des nouvelles contrées, les Espagnols se livrent à un pillage organisé. D'une façon plus générale, l'Espagne ne tire pas parti de ces trésors importés, ni de sa stabilité politique au XVI siècle. Alors que les autres nations européennes se déchirent en de sanglantes guerres de religion, l'Espagne laisse passer sa chance qui en aurait fait la première puissance européenne. Malgré des atouts formidables en main, le règne de Philippe II connaîtra une faillite et une banqueroute fatales à l'hégémonie espagnole. Avant d'en arriver là, l'or des Amériques suscite bien des convoitises et bien des tentations. Du reste, les premiers convois n'atteindront jamais leur destination si ce n'est de manière frag- mentaire. La tempête sans doute, mais surtout les corsaires sont passés par là, tout près des Açores où les navires espagnols et por- tugais avaient l'habitude de faire relâche pour s'approvisionner en eau et en vivres frais. Ces corsaires, qui sont-ils ? Venant de Dieppe ou de Honfleur, des Normands, comme leur armateur Jean Ango. La famille Ango quitte Rouen en 1463 pour venir s'installer à Dieppe. Le banquier répondait à l'appel de la mer. La bataille de Formigny en 1450 avait marqué la fin de la guerre de Cent Ans et le retrait définitif des Anglais de Normandie. Avec la paix retrouvée, peut s'instaurer une période active pour le commerce. Les chantiers ont retrouvé leur agitation. Tenant d'une main ferme un passe- partout, les scieurs débitent un tronc ; plus loin, les calfats assurent l'étanchéité d'une coque. Le jeune Jean Ango se familiarise avec l'univers maritime et la variété de ses activités. Plutôt que fréquenter les bancs de l'université à Rouen et à Caen, le jeune homme em- barque et apprend sur le tas l'art de mener un navire à bon port, de diriger un équipage, de commander des officiers. Ce vrai Nor- mand, descendant des conquérants du Nord, a conduit ses pas jusque sur les côtes d'Afrique. A la mort du chef de famille, les Ango représentent ce qu'il est convenu d'appeler une puissance financière. Leurs nefs sillonnent les mers et sont régulièrement attaquées par les Espagnols et par les Portugais. Jean Ango n'appartient pas à la race des hommes qui subissent sans réagir. Alors, décidé à rendre coup pour coup, il obtient du roi des lettres de marque. Ses capitaines vont enfin se muer en corsaires. Les Normands qui s'étaient installés au Brésil dès le début du XVI siècle pour le commerce des bois et des plantes tinctoriales, voient leurs comptoirs anéantis par des navires portugais. Les Diep- pois sont bien décidés à venger pareil affront. Alors pourquoi ne pas s'attaquer aux convois qui rentrent vers Cadix ou vers Lis- bonne ? L'intelligence vive de Jean Ango a très vite flairé la bonne affaire. C'est là-bas qu'il faut porter les coups ! Si Jean Ango dispose pour la guerre de course de capitaines audacieux, Michel Féré, Silvestre Bille, Jean Fain, Guyon d'Estimau- ville par exemple, Jean Fleury les surpasse tous par ses coups d'éclat et par le respect dont chacun l'entoure. Comme les autres capitaines, Jean Fleury avait sans doute fait sienne cette prière : « Seigneur, nous ne te demandons pas de nous donner les ri- chesses du monde, dis-nous seulement où elles sont ! » En Normand avisé qu'il était, il avait fort bien compris où elles se localisaient. Le veto papal n'avait pour lui aucune importance et il avait trouvé en Jean Ango un armateur audacieux. Nous le retrouvons, croisant au large des Açores en 1521 à la tête d'une escadre forte de trois nefs et de cinq galions. Quand l'homme de vigie signale l'approche de trois caravelles espagnoles, Fleury alerte son monde par signaux. L'étau se ferme sur les bâti- ments, la chasse est lancée. Deux caravelles sont rejointes et enle- vées, à l'abordage. La troisième réussit à s'enfuir et apportera en Espagne la nouvelle de ce grand malheur. Jean Fleury a tiré la bonne carte à ce jeu de la chance qu'est la guerre de course. Les trois caravelles rapportaient dans leurs cales les prises de Cortès qui avait ravagé les palais des Aztèques. L'empereur Quatimozin, avait, avec ses alliés d'hier, succombé à la fièvre de l'or. Pillages, massacres, tortures, les Espagnols ne lésinaient sur aucune bassesse pour obtenir du métal jaune. Les objets d'art n'avaient aucun intérêt en tant que tel ; l'important était l'or dont ils étaient composés. Beaucoup étaient fondus en lingots, d'autres emportés en l'état. Les deux caravelles recélaient des trésors étonnants : « Une émeraude fine, aussi large que la paume de la main, un ameuble- ment de vaisselle d'or et d'argent comme des tasses, des vases, des écuelles, des pots et d'autres pièces où étaient gravées des figures d'oiseaux, de poissons et autres animaux de divers genres et d'au- tres en façon de fruits et de fleurs ; quelques idoles avec des sar- bacanes d'or et d'argent ; des masques de mosaïque de pierres fines avec les oreilles d'or et les dents d'os qui surpassaient les lèvres ; des vêtements de prêtres, des os de géants ». Le convoi était pourtant sous le commandement d'Alonso d'Avila, un des lieutenants de Cortès. En quelques heures, ses tré- sors venaient de changer de main. Quand il apprend la catastrophe, le conquérant espagnol est effondré. Il adresse de Mexico une lettre à Charles Quint pour lui exprimer sa consternation : « Je désirais vivement que ces choses belles, riches et merveil- leuses, fussent remises à Votre Majesté, car, en dehors du plaisir qu'elles auraient fait, Votre Altesse eut mieux apprécié mes servi- ces. J'ai donc profondément regretté cette perte ». Pour les Espagnols, l'affront politique est terrible et l'exploit en Normandie - car c'en est un - reçoit tout le faste et l'apparat qu'il mérite. Si les corsaires dieppois deviennent, en ce début du XVI siècle, les premiers de France, ils apportent à leur armateur une fortune considérable. Cet événement, bien mince qu'est la prise de deux caravelles, fussent-elles richement chargées, entraîne une réaction en chaîne des Espagnols. Charles Quint interdit le transport des trésors du Nouveau Monde sur de petits navires. Il impose par ailleurs la pré- sence de soldats sur chaque navire qui devra s'équiper en outre de pièces d'artillerie. Certains murmurent à la Cour que l'on devrait faire naviguer ces bâtiments en convois ; d'autres conseillent d'uti- liser des navires plus importants. Quoi qu'il en soit, ces dispositions n'arrêtent pas Jean Fleury ni son commanditaire Jean Ango. En 1522, il récidive en s'emparant de sept caravelles. Jusqu'en 1527, le Dieppois tient la mer, courant de Cadix aux Canaries, des Canaries aux Açores. Cette année-là, la chance qui, avec la mort, est la compagne habituelle de tout corsaire, abandonne Jean Fleury. Au Cap Saint- Vincent, le Dieppois est assailli par une escadre plus importante. Ses hommes tombent les uns après les autres. Même si son artillerie éclaircit les rangs adverses, Jean Fleury doit se rendre. Prisonnier des Espagnols. Les Portugais le réclament à leur tour : - Dix mille ducats pour Fleury, proposent-ils au vieux capitaine qui le détient. - Non, il est d'abord pour mon maître, le roi Charles Quint. Le corsaire dieppois est conduit en Espagne. Quand il apprend la nouvelle, Charles Quint baisse le pouce à la manière d'un em- pereur romain : - « Malheur aux vaincus ! Qu'il soit décapité ! » Quant aux équipages, le capitaine corsaire Sylvestre Bille en tête, ils sont condamnés à la chiourme et au banc des galères. Dès lors, les Espagnols mettent en place toute une organisation modèle pour rapatrier les prises faites de l'autre côté de l'océan. De nouveaux navires sont mis en service : les galions, navires im- posants de plus de quarante-cinq mètres de long, gros, larges de fond et très toilés. Les Espagnols choisissent la rade de Cadix comme point de départ et d'arrivée de ces convois, les Plata Flota. Chaque année, la ville et le port s'animaient pour le grand départ, offrant aux gamins qui couraient pieds-nus sur les quais le prodi- gieux spectacle d'une flotte entière qui mettait à la voile cap sur les Amériques. Etonnant mariage d'une ville, des rêves et des es- poirs de toute une population. Ango ne sera pas seulement l'armateur des corsaires. Il s'inté- resse également aux découvertes des territoires lointains. Son nom est étroitement associé à celui de Verrazzano dont le navire décou- vre l'embouchure de l'Hudson. Puis il envoie les frères Parmentier, à bord du Sacre et de la Pensée reconnaître les îles de la Sonde et les rivages de l'Indonésie. Ces Normands, sur des routes maritimes que les Portugais considèrent comme les leurs, irritent. Aussi la réaction est-elle violente : navires enlevés, équipages pendus. C'est plus que n'en peut supporter Jean Ango. Il demande des lettres de marque pour redevenir corsaire et faire payer aux Portugais le juste prix de leurs outrages. Au printemps 1531, il arme trente navires corsaires qui viennent bloquer Lisbonne et les Açores. Le roi du Portugal trouve un allié en la personne de Charles Quint. Les deux souverains envoient une ambassade auprès de François I La réponse du roi de France est passée à la postérité : - Ce n 'est pas moi qui vous fais la guerre, c 'est Ango. C'est donc à Ango qu 'il faut demander la paix. Pour la première fois dans l'Histoire, un bourgeois fait la guerre à une nation et gagne. Quelle leçon ! Les compagnons de Jean Fleury sont enfin élargis des galères. Si demain le souvenir de ces histoires s'est envolé, n'oubliez pas cependant comment on fait le barbecue selon les règles des boucaniers : - « On couche la bête sur le gril – un superbe cochon sauvage - le ventre en l'air, les pattes maintenues écartées par des bâtons afin que la chaleur du feu ne le refermât point. Ensuite le Père Anselme versa dans le ventre ouvert le jus de vingt-quatre citrons, deux bouteilles de vin blanc et une bouillie faite de piment écrasé, de poivre et de lait de coco. Après quoi les nègres apportèrent dans des pelles de bois force charbons en braise qu'ils entassèrent sous le gril, de manière que le cochon s'attendrît lentement dans sa peau. » Avec L'Ile des Perroquets, Robert Margerit nous invite à pénétrer dans un univers endiablé comme les sept mers. L'auteur le confesse, son roman est un hommage avoué à Stevenson. Le jeune héros échappe à la potence en son pays du Limousin pour trouver refuge sur un bateau corsaire et apprendre le beau métier de frère de la côte. S'appuyant sur une documentation de premier ordre où ont dû cohabiter Exmelin, Defoe et Trelawny, Robert Margerit nous of- fre un livre rempli de plaies et de bosses, de rhum et de rencontres pittoresques. Grâce à cet ouvrage, nous retournons à nos rêves ca- raïbes qui s'estompaient. Trésors, tortues et perroquets leur donnent une nouvelle jeunesse. Borgnefesse, de son vrai nom Louis Adhémar-Thimothée Le Go- lif a fait une entrée en fanfare dans la littérature en 1952. D'un obscur corsaire contemporain du Roi Soleil, le peintre Gustave Alaux aurait retrouvé les carnets dans les décombres fumants après les bombardements de l'été 1944. Aurait, le conditionnel est de mise, car ce manuscrit, remis au goût du jour, semble en fait avoir été composé et inventé pour la circonstance. Pourquoi Borgne- fesse ? Tout simplement parce que ce marin courageux a perdu la moitié de la partie de la plus charnue de son organisme au cours d'un combat naval. Le ton est donné ; de combats à l'arme blanche, en bacchanales infernales, Gustave Alaux sait nous enlever aux quais de Saint-Malo pour nous faire atterrir à l'île de la Tortue. Fleurs et femmes des Caraïbes sont au rendez-vous de scènes corsées et épicées à souhait. Quelle santé, ce Borgnefesse et quel talent, ce Gustave Alaux ! Entre un ti'punch et un ti'bo, vous pouvez déguster quelques lignes rédigées par ce gaillard. Maurice Larrouy, écrivain maritime à succès, consacrera un livre à Armande, corsaire du Roy et nièce du cardinal de Richelieu. L'écrivain américain Frank G. Slaughter publiera plusieurs ro- mans de corsaires et de pirates, que les Editions Plon ont réuni dans un livre de la collection Omnibus : De galère en palais. Les héros de cet auteur prolixe, très agréable à lire, sont toujours mé- decins ou chirurgiens. Dans la littérature enfantine, il serait injuste d'oublier James Mathew Barrie et son délicieux Peter Pan, surtout avec les adapta- tions cinématographiques que l'œuvre a pu connaître. Certains grands romans n'ont pas la piraterie comme sujet prin- cipal, mais une aventure maritime peut décider du destin d'un hé- ros. Rappelons-nous Ben Hur sauvant le consul Quintus Arrius dans le chef-d'œuvre de Lewis Wallace. Mais, dans la création, il ne faut pas oublier un secteur long- temps décrié, mais qui a su s'imposer, trouver ses lettres de no- blesse au même titre que la littérature : la bande dessinée. Ainsi, deux albums des aventures de Tintin évoquent notre thème, Le secret de la Licorne, et Le trésor de Rackham le Rouge (éditions Casterman). Hergé met en scène un ancêtre du capitaine Haddock. M. Remacle, avec les aventures du vieux Nick, met Barbe Noire à l'honneur : Barbe Noire joue et perd, les mésaventures de Barbe Noire, Les mutinés de la Sémillante, Sous les voiles, Les nouvelles aventures de Barbe Noire, Sous la griffe de Lucifer, albums publiés aux éditions Dupuis. Ces flibustiers-là sont bons enfants, à côté du Barbe Rouge de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon, dont les éditions Dargaud ont publié les aventures : Les révoltés de l'Océa- nie, Le roi des sept mers, Mort ou vif, etc. D'ailleurs les pirates qui surgissent dans la série des albums d'Astérix sont commandés par un capitaine qui est physiquement une parodie de notre Barbe Rouge. (On nous a enc' foutu 'une 'tripotée !). Les malheureux pré- fèrent d'ailleurs souvent se saborder plutôt que d'aborder nos gau- lois gavés de potion magique.

Corsaires, pirates et flibustiers font donc bon ménage en litté- rature. L'aventure maritime devenait un excellent support romanes- que alors que pendant longtemps les lecteurs n'avaient eu, pour calmer leur curiosité, que des récits de voyage et des biographies. Il est vrai que parfois certains auteurs ont vécu des aventures telle- ment invraisemblables que nous sommes déjà aux frontières du possible. La littérature maritime, bien avant les romantiques en général et Chateaubriand en particulier, utilise la mer non pas comme une simple toile de fonds mais comme un personnage à part entière. Elle nous conduit aux quatre coins de la planète, des brumes du Nord aux eaux chaudes des Caraïbes et de l'Océan Indien. Corsaires, pirates et flibustiers nous offrent vraiment une litté- rature d'évasion et, en ces temps de morosité, ce n'est pas un mince plaisir. CORSAIRES, PIRATES ET FLIBUSTIERS A L'ECRAN

La mer éternelle apporte avec elle un étonnant pouvoir de fascination et de mystère tout en évoquant également l'aventure. Bien avant que les vieux gréements ou les courses transatlan- tiques ne redeviennent à la mode, un large public se laissait séduire par ces navires anciens ou supposés tels, qui retiennent l'attention dans les films de corsaires et de pirates. Il est vrai que ces bâtiments naviguant sous voiles étaient particulièrement photogéniques, sou- vent sur fond d'azur car il fallait au metteur en scène des conditions météorologiques acceptables. Le ciel est donc bleu et la brise por- tante. Juste ce qu'il faut. Dans la série des films d'aventures, dans la lignée des films de cape et d'épée, pirates et corsaires ont créé un genre qui a surtout enthousiasmé Hollywood. Qu'ils soient pirates, corsaires ou flibustiers, ces marins com- battants ont séduit les metteurs en scène qui souvent ont relégué la vérité historique au second plan pour ne s'intéresser qu'aux élé- ments pittoresques qui contribuent largement au succès de ces pro- ductions : aventure, exotisme, révolte et juste une pointe de senti- ment. Aujourd'hui, le film de pirates est moribond. L'aventure et l'exo- tisme se cherchent du côté de Jurassic Park ou de la galaxie Spiel- berg.

Qui personnalise mieux qu'Errol Flynn un héros d'aventures ? Il est vrai que cet Australien qui avait l'habitude d'interpréter les aventuriers, avait connu une existence mouvementée qui l'avait conduit dans le Pacifique et l'Océan Indien. A la différence de beaucoup d'autres comédiens, Errol Flynn connaissait l'étrange pouvoir de fascination de la mer mais également ses coups de co- lère. Tour à tour chercheur d'or et trafiquant d'esclaves dans la jungle de Papouasie, Errol Flynn débute à l'écran dans In the wake of the Bounty, où il interprète Fletcher Christian, le chef des mutins. Avec Michael Curtiz, il signe quelques-uns de ses meilleurs rôles, aussi à l'aise le sabre d'abordage dans une main, et le cœur roman- tique dans l'autre. Ses cachets lui permettent en 1946 de s'offrir le Zaca, une superbe goélette de 36 mètres, dont les plans sont large- ment inspirés de ceux du Bluenose, une goélette de pêche, la plus rapide des parages de Terre-Neuve au cap Hatteras. Lancé le 12 avril 1930, le Zaca a été construit par le chantier de Manuel Nunes pour le compte du milliardaire Charles Templeton Crocker qui ef- fectuera avec ce navire plusieurs tours du monde scientifiques : civilisations des peuples du Pacifique, biologie marine, faune mé- connue, Charles Templeton Crocker nous offre le portrait d'un fa- meux précurseur du commandant Cousteau. En 1946, Errol Flynn rachète le Zaca qui avait été cédé entre temps à la marine américaine. Pendant douze ans, l'acteur passe l'essentiel de ses loisirs sur son bâtiment, nous montrant qu'il est loin d'être un marin d'opérette. Dans son autobiographie, il nous confie ses impressions face à un cyclone affronté en mer des Ca- raïbes. « Jamais je n'avais entendu le vent souffler à une telle force. La proue du Zaca descendait, plongeait dans l'eau verte, et, je ne sais comment nous étalions le rouleau suivant, haut comme une montagne. Nous naviguions en bordure du cyclone, le ciel était aussi noir que la mer... Le tourmentin fut arraché le second jour. Pour nous ralentir, je sortis des ancres qui pesaient plusieurs tonnes. Pourtant, et nous pouvions à peine le croire, les deux énormes pièces de métal sautaient à la surface de l'eau comme des cuillères de pêche... Le ciel se nettoie subitement le quatrième jour, et je n'arrivais pas à reconnaître la curieuse terre qui émergeait de l'eau, avec ses falaises abruptes et ses sommets volcaniques... Quelques bateaux de pêche près de la côte, il y avait donc bien un port. Mais sur quel continent ? » Atterrissage mouvementé à la Jamaïque. Errol Flynn n'est pas seulement celui qui a défrayé la chronique d'Hollywood et noircit les pages de la presse du cœur ; c'était aussi un marin qui savait regarder la fureur des flots avec la modestie d'un homme de mer. Film français de Louis Feuillade, 1922. Avec A. Simon-Gérard, Biscot, S. Milowanoff. Le metteur en scène s'offre un paquebot majorquais qu'il re- hausse de superstructures et perce de sabords pour lui donner la silhouette d'un navire corsaire.

1925 : tournage du film Surcouf, Roi des corsaires avec Thommy Bourdelle dans le rôle principal. Un navire de Paimpol avait été transformé pour donner ses lignes au navire de Surcouf, la Confiance. Le Divalo était gréé en trois-mâts barque. Tout son arrière avait été transformé et chargé de carton pâte pour lui donner les traits d'un navire de l'époque de l'Empire. Après le tournage, le navire est resté longtemps à quai et com- mençait à faire eau. Aussi le capitaine du port le fit sortir et mouiller sur un haut-fond près de la jetée de Kernoa.

Film américain d'Alexander Parker, 1926. Avec Douglas Fairbanks, B. Dove, D. Crisp.

Film américain de Victor Fleming, 1934. Principaux interprètes : Jackie Cooper et Wallace Berry. Pour la première adaptation du succès de Stevenson, le met- teur en scène n'hésite pas à faire appel à Jackie Cooper pour in- terpréter le rôle de Jim Hawkins. Jackie Cooper partageait à l'épo- que, avec Jackie Coogan, le titre envié d'enfant prodige du cinéma américain. En face du jeune garçon, Wallace Berry devenait un John , l'homme à la jambe de bois, plus vrai que nature, à la fois coléreux, brutal mais également grand cœur. Le pirate, de Vincente Minelli. Collection Abbas Fahdel.

L'Île au trésor, de Byron Haskin. Collection Abbas Fahdel. Le faucon d'or, de Sydney Salkow. Collection Abbas Fahdel.

A l'abordage !, de George Sherman. Collection Abbas Fahdel. Film américain de Michael Curtiz, 1935. Existe en cassette vidéo - Warner Home Video. Principaux interprètes : Errol Flynn et Olivia de Haviland. Ce film crée ce couple typique du cinéma américain. Le clas- sique du film d'aventures. John Blood, médecin et pirate sous Jacques II, fournit donc la trame de ce film plein de rebondissements. Errol Flynn y est plus alerte que jamais, sublime dans les combats et les duels. L'ensem- ble est tourné dans des décors réalistes qui contribuent à faire de ce film un monument. Incontournable archétype du film d'aventu- res.

Film américain de Cécil B. De Mille, 1937. Titre original : The . Interprètes : Frederic March, F. Gaal, A. Tamiroff.

Film américain de Michael Curtiz, noir et blanc, 1940. Durée 1 h 44 mn. Existe en cassette vidéo - Collection Légendes d'Hollywood, Warner Home Video. Principaux interprètes : Errol Flynn, B. Marshall, C. Rains. Geoiffrey Thorpe, le corsaire anglais, rappelle à s'y méprendre Francis Drake. Entrons dans ce film, formidable machine à rêver. Narration sans faiblesses, enchaînements rapides, cadrages et dialogues pri- vilégient l'action. Pour les deux batailles navales du film, deux vais- seaux grandeur nature furent reconstitués. C'est grâce à ce genre de film mais également à Robin des Bois, ou La charge de la brigade légère, qu'Errol Flynn est entré dans la légende hollywoodienne.

Film américain de Cécil B. De Mille, 1942. Titre en anglais : Reap the wild wind. Principaux interprètes : R. Millaud, J. Wayne, P. Godard, R. Mas- sey. Après le succès des Flibustiers, Cécil B. De Mille récidive avec ce film qui puise ses sources dans l'univers maritime. A retenir quelques scènes d'abordage qui dénotent dans la mise en scène un très grand professionnalisme, souvent imitées, rarement égalées.

Film américain de Henry King, 1942. Principaux interprètes : Tyrone Power et Maureen O'Hara, G. Sanders, Anthony Quinn. Le film a été monté essentiellement pour contrer l'omnipré- sence d'Errol Flynn sur ce créneau. En imposant Tyrone Power, l'un des grands séducteurs américains, Henry King jouait placé. Mieux, en signant l'un des meilleurs films de pirates, il occupait pendant un temps la première place.

Film américain de Raoul Walsh. Principaux interprètes : Robert Newton et Linda Darnell.

Film américain de Byron Haskin. Disponible en cassette vidéo - Walt Disney Home Video. Principaux interprètes : Robert Newton.

Film américain de Jacques Tourneur, en technicolor, 1951. En anglais : Anne of the Indies. Scénario de Philipp Dune et Arthur Caesar. Avec Jean Peters, Louis Jourdan, Debra Paget, Herbert Mars- hall. Un bon film plein d'entrain et de charme qui nous entraîne au XVIII siècle. La piraterie bat son plein. Parmi ces marins étonnants, le capitaine Providence tient son rang. Précisons que ce capitaine est une femme prénommée Anne, joué par l'enjôleuse Jean Peters. Au cours de la capture d'un navire anglais, elle laisse la vie sauve à un jeune Français, Pierre François interprété par Louis Jour- dan. L'inévitable survient : Anne Providence s'éprend de ce jeune homme. S'ajoute une histoire de trésor et d'une carte qui ne révèle que la moitié de l'énigme. Pierre François laisse entendre qu'il sait où se trouve l'autre moitié. Tout est réuni pour réussir un film qui sent bon la mer et l'aven- ture.

Film américain de Raoul Walsh, 1951. En anglais : Captain Horatio Hornblower. Principaux interprètes : Grégory Peck, Virginia Mayo, Robert Beatty, James Robertson-Justice, Stanly Baker, Christopher Lee. D'après les beaux romans de Cecil Scott Forester.

Film de George Sherman, 1952, durée 1 h 20 mn. Scénario de A. Mackenzie et Joseph Hoffman. Principaux interprètes : Errol Flynn, Maureen O'Hara, Anthony Quinn et Alice Kelley. Une histoire de pirates installés sur la côte de Madagascar qui écument la route des Indes. Ambiance exotique et combats navals en prime. Superbe film en technicolor.

Film américain de Edward Ludwig, 1952. Disponible en vidéo MPM. Principal interprète : John Payne.

Film américain de William Keighley, 1952. Disponible en vidéo - Warner Home Video. En anglais : The master of Ballantrea. Principaux interprètes : Errol Flynn, R. Livesey, A. Stell.

Un film de Robert Siodmark, 1952, durée 1 h 45 mn. En anglais : The crimsan pirate. Principaux interprètes : Burt Lancaster, Eva Bartok, Nick Cravat, Torin Thatcher. Le thème du pirate est traité ici de façon parodique, ce qui vaudra au film un honnête succès. Action, passion et humour dans la mer des Caraïbes. Un beau capitaine se trouve pris entre une fructueuse opération de livraison d'armes et un amour soudain pour la fille de l'homme qu'il doit livrer aux Espagnols. Burt Lancaster tient ici l'un de ses plus beaux rôles. Quelques morceaux de bravoures font sourire toutes les géné- rations.

Film américain de Sydney Slakow, 1953. En anglais : Raiders of the seven seas. John Payne, qui a été longtemps interprété de seconds rôles dans les comédies musicales, a trouvé dans ces films de pirates le moyen de s'exprimer devenant le spécialiste de ce genre de com- position.

Film américain de Byron Haskin, 1954. En anglais : . Robert Newton reprend le rôle du célèbre personnage de L'Île au trésor, dans une suite que n'avait pas imaginée Robert Louis Stevenson. Jim Hawkins, le mousse, reprend également son service.

Film américain d'Anthony Quinn, en couleurs, 1959, durée 1 h 55 mn. Scénario de Harold Lamb, Edwin Mayer et C. Gardinier Sulli- van. Principaux interprètes : Yul Brynner, Charlton Heston, Claire Bloom, Charles Boyer, Inger Stevens, Lorne Green. Unique film réalisé par Anthony Quinn avec l'appui technique de son beau-père, Cécil B. De Mille. Film à grand spectacle qui ressuscite les histoires de pirates de notre enfance. En 1812, pendant les guerres napoléoniennes, le corsaire est épris de la fille du gouverneur de la Nouvelle-Orléans. La Nouvelle-Orléans et la Louisiane, colonie française vendue au jeune état, se battent contre les Anglais aux côtés des Français. Le général américain Jackson est menacé par les troupes anglaises. Jean La- fitte vole à son secours.

Film américain de John Farrow, en couleurs, 1959. Principaux interprètes : Bette Davis et Robert Stack.

Film de Tulio Demicheli. Disponible en cassette vidéo - René Chateau Vidéo. Principal interprète : Sean Flynn. Une curiosité, interprétée par le fils d'Errol Flynn.

Film franco-italien de Domenico Paolella - durée 1 h 25 mn. Scénario d'Hugo Querra. Avec Michèle Mercier et Richard Harrison. Les autorités anglaises envoient au début du XVII siècle des détenus pour pêcher des perles. Le capitaine du navire les oblige à plonger jour et nuit dans un océan Pacifique infesté de requins. Le second capitaine se rebelle et s'associe à des pirates pour abattre son commandant. Il trouve un sympathique renfort auprès de Mi- chèle Mercier, pulpeuse fille de corsaire. Film franco italien d'Umberto Lenzi, 1961, durée 1 h 24 mn. Scénario : Ugo Guerra et Luciano Martino. Avec Lisa Gastoni, Jérôme Courtland, Walter Barnes. Sur le thème, héroïsme, vengeance et romance au temps des flibustiers, nous suivons Mary la Rousse dans ses péripéties. En prenant l'identité d'un pirate disparu, cette aventurière sème la panique dans la flotte anglaise et réserve quelques surprises à son fiancé qui ignore sa double identité.

De Sergio Bergonzelli, 1965, durée 1 h 45 mn. Avec Gérard Barray, Antonella Lualdi et Geneviève Casile. Robert Surcouf amoureux sans fortune de la belle Marie-Cathe- rine, part à l'île Maurice pour s'enrichir. Belle reconstitution historique avec des combats navals réglés de façon impressionnante. Une histoire romanesque qui donne du rythme à un film tré- pidant. Gérard Barray bondit, virevolte, se bat en duel pour devenir un Surcouf de légende. Divertissement de bon niveau.

Film anglais d'Alexander MacKendrick, 1965. En anglais : A high wind in Jamaica. Principaux interprètes : Anthony Quinn, James Coburn, Gert Froebe, Viviane Ventura, L. Kerdrova. Le réalisateur de Whisky à gogo ne pouvait pas aborder le film de pirates avec un regard conventionnel. Il nous offre donc une œuvre d'un tragique insolite. Un cyclone s'est abattu sur la Jamaïque dévastant les planta- tions de la famille Thorton. Les cinq enfants vont rejoindre l'Angle- terre. Le navire où ils ont pris place est attaqué par le pirate Chavez qu'interprète Anthony Quinn. Voilà les enfants prisonniers des pi- rates. Passée la première crainte, ils sont vite comme chez eux à bord de ce bateau. Regard sur le monde de l'enfance qui comprend mal les no- tions de bien et de mal et en parallèle un superbe film de pirates avec le parfum de navires. Alexander MacKendric vise juste et fait mouche : les navires sont beaux, les voiles rebondies, les abordages féroces et la mer des Caraïbes toujours bleue sauf quand une traî- née de sang la fait rougir. Face à un monde brutal, face à des individus brutaux, les enfants opposent leur grâce et leurs jeux qui déroutent leurs adversaires. A ne pas manquer.

Film américain de Robert Stevenson. Disponible en cassette vidéo - Walt Disney Home Video. Principal interprète : Peter Ustinov. Le fantôme du célèbre pirate est condamné à revenir sur terre.

Film de James Glodstone. Disponible en cassette vidéo - CIC Video. Avec Robert Shaw.

Film de Roman Polanski, 1985, durée 2 h 14 mn. Avec Walter Matthau. Disponible en cassette vidéo - Warner Home Video. Il aura fallu dix années de persévérance au sulfureux Roman Polanski pour mener à son terme ce projet. Les projets avortés ne se comptent plus et enfin le producteur tunisien Tusk Ben Ammar accepte de relever le défi. Le capitaine Red peut enfin faire flotter le pavillon noir sur les mers les plus diverses. Gérard Brach, complice de longue date de Polanski, co-signe avec le metteur en scène un scénario que n'aurait sans doute pas désavoué Robert Stevenson. Le scénariste et le metteur en scène n'ont pas hésité à utiliser tous les lieux communs au sujet : radeau, îles désertes, trésor, com- bats, abordage, traître en y ajoutant un zeste d'humour qui fait de Pirates parfois un film franchement comique. La distribution : Roman Polanski ne tenait pas, pour ce film, à disposer de têtes d'affiche trop connues. Walter Matthau campe un truculent capitaine Red, tandis que le jeune comédien français Chris Campion interprète la Grenouille, un jeune lieutenant français, intrépide et romantique.

Film de Steven Spielberg. Avec Dustin Hoffman, Robin Williams, Julia Roberts. Peter Pan revisité par la magie hollywoodienne.

Film américain écrit et réalisé par Fraser C. Heston, 1990, durée 2 heures. Disponible en cassette vidéo - Warner Home Video. Principaux interprètes : Charlton Heston dans le rôle de Long John Silver, Christian Bale, Julian Glover, Richard Johnson, Oliver Reed, Christopher Lee. Une autre adaptation du roman de Stevenson, fort honorable.

La télévision française s'intéressera elle aussi au corsaire. Le réalisateur Claude Barma, sur un scénario de Jacques Armand et de Pierre Gaspard-Huit proposera en 1966 un feuilleton de quinze épisodes de trente minutes intitulé Les Corsaires. La distribution regroupe autour de Michel Le Royer, comédien très populaire grâce au succès du Chevalier de Maison-Rouge, Christian Barbier, Gene- viève Page, Nancy Holloway, Robert Porte et Maurice Chevit pour les rôles principaux. Les auteurs s'inspirent de personnages historiques pour créer leurs personnages de fiction. Ainsi, le héros Nicolas de Coursic rap- pelle-t-il traits pour traits Monsieur de Grammont, flibustier de bonne famille qui avait tué un homme qui courtisait sa sœur de trop près. Vrai marin, habile tacticien, de Grammont devient pour l'enchantement du téléspectateur Nicolas de Coursic. A ses côtés, la comédienne Geneviève Page qui tient le rôle de Mary Brown. Là encore, le personnage puise ses racines dans la vie trépidante d'une femme pirate, la dame de Clisson, un des personnages les plus extraordinaires de l'histoire de la piraterie. Nous ne sommes pas à une entorse près avec la vérité historique. La dame de Clisson n'a pu rencontrer de Grammont. Ses exploits se situent au XIV siècle. Nous rencontrons également dans ce feuilleton la silhouette de François Nau, l'Olonnois qui devient pour la circonstance Guy De- lonne. Il aura le regard méchant que l'on peut prêter à l'un des plus célèbres flibustiers. Ce qui lui vaut les faveurs du public. Le feuilleton séduit les télespectateurs car il apporte un souffle romanesque, des rebondissements à chaque épisode qui font cruel- lement défaut dans le cinéma maritime français. Sur un petit écran, en noir et blanc, corsaires, pirates et flibustiers savaient captiver les spectateurs. Rêves d'évasion, îles paradisiaques, poursuites et com- bats, la mer réunissait autour de ces aventuriers les mirages de l'imaginaire et le téléspectateur n'en demandait pas plus. L'AVENTURE EST AU BOUT DU QUAI

L'aube avait croqué ce qu'il restait d'obscurité à la nuit finis- sante. Saint-Malo dormait encore à l'abri de ses remparts qui avaient connu tant de tempêtes et tant d'assauts. De l'Auberge du Chien Jaune, un groupe de gaillards sortait, l'esprit échauffé par le punch des îles, les bolées de cidre et le cri du pur malt qui s'échappe d'un flacon à qui l'on tord le cou. Ils avaient tant parlé cette nuit et la veillée avait tenu toutes ses promesses. Ces spectres qui s'enfonçaient dans la ruelle rappe- laient les silhouettes des Duguay-Trouin, des Porée, des Surcouf et des anonymes qui les accompagnaient dans leurs courses lointai- nes. Corsaires, pirates et flibustiers, ces gens de mer ne constituaient pas une corporation mais une véritable race avec ses mœurs, ses traditions et son langage. Ils se distinguaient des autres mortels par leur étonnante façon de vivre mais également de mourir, parfois héroïque, quelquefois tragique, toujours courageuse. Très jeunes, ils portaient dans leur chair les traces indélébiles de blessures re- çues au combat ou dans un cabaret, lors d'une escale. Ceux qui formaient parmi le monde des marins une tribu d'élite vivaient une existence où la rudesse l'emportait largement sur les moments de répit. Pour nous qui sommes à terre, comme des albatros aux ailes coupées, corsaires et pirates appartiennent à cette race d'hommes qui nous conduisent un peu plus près des étoiles pour oublier un univers traversé par les colères du vent et l'inconscience dévasta- trice des hommes. Il existera toujours des îles sur la mer et ces îles hanteront souvent les rêves des terriens. Quand les vaisseaux revenaient char- gés de poivre blanc, de sucre roux et d'indigo, quand les cales regorgeaient de rhum et de tabac, quand les matelots parlaient d'oiseaux merveilleux et de caresses inoubliables, les quais étaient portés par un parfum d'exotisme et de mystère. On oubliait les épices et l'on ne conservait que la part du rêve. Des matelots, un anneau dans l'oreille, un tatouage sur le bras, un perroquet sur l'épaule, avaient de superbes histoires à raconter. Qui, sur les quais d'Honfleur, de Saint-Malo et de Nantes, ne se serait laissé emporter par la magie des mots ? Le charmeur des rats avait conduit à la rivière les enfants des bourgeois ; ceux qui évo- quent les terres merveilleuses et les îles au trésor savent conduire jusqu'au quai les candidats au voyage. Il faut embarquer sur un bâtiment qui pue la sentine, manger des fèves et du lard rance, boire de l'eau qui a « pris le rouge », d'un goût exécrable. Nous sommes bien loin du tableau idyllique. Et pourtant, les matelots oublieront les durs moments passés à bord pour ne conserver que leurs souvenirs cueillis dans les îles ou forgés sur la mer, le sabre d'abordage à la main. Comme ils sont bavards, ces conteurs du gaillard d'avant. Quand ils n'ont plus d'histoires à raconter, alors ils entonnent une chanson à virer, chanson qui rejoint sur l'immensité de la mer d'au- tres mélodies emportées par les doux alizés, par les moussons de l'océan Indien et les houles profondes de l'Atlantique. Deux bavards évoquent encore, dans un dernier sursaut, les voyages au soleil, les coups de chien entre Irlande et Ouessant, la guerre jamais éteinte et des images qui reviennent de façon lanci- nante. Ils partent rejoindre une île de lumière, à la Tortue, à Bour- bon ou plus prosaïquement à Chausey. Un homme les suit ; son pilon de bois qui frappe le pavé de granit suffit à nous rappeler son nom : Long John Silver. Ce bruit cogne dans notre tête comme le chant d'un tam-tam du Gabon. Inoubliable. Il nous conduit vers la mer, source de mythes, de beauté et parfois de drames, vers l'océan qui porte des bateaux qui laissent dans leur sillage l'histoire et des histoires. Il nous regarde dans le blanc des yeux et ses lèvres parviennent à murmurer : - « L'aventure est au bout du quai. Cours-y vite, cours-y vite. L'aventure est au bout du quai. Cours-y vite, Elle a filé. » BIBLIOGRAPHIE

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