À L'abordage ! Corsaires, Pirates Et Flibustiers : De L'histoire Au Cinéma
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A L'ABORDAGE ! @ Corlet, Imprimeur, S.A., département éditions, 1996 ISBN : 2-85480-523-2 Michel GIARD A L'ABORDAGE ! Corsaires, Pirates et Flibustiers de l'histoire au cinéma EDITIONS Z.I. route de Vire 14110 Condé-sur-Noireau Du même auteur : Aux éditions La Fenêtre ouverte du Cotentin Les Pieux d'avant, Normandie d'hier, 1986 Flamanville, d'une marée à l'autre, 1988 Aux éditions Charles CORLET Naufrages et sauvetages en Manche, 1989 Les canotiers de l'impossible, 1990 Sauveteurs de Normandie, 1991 (prix des Libraires de Normandie) Naufrages et sauvetages en Bretagne, 1992 préface de Didier Decoin (Prix Goncourt) La Mer et rien d'autre !, 1993 Ouistreham, d'une tempête à l'autre, 1994 Chacun, nous combattons pour acquérir ce qui nous manque. Robert Surcouf FEU VERT POUR LA COURSE - « Navire sous vent à nous ! » Perché tout là-haut, dans le nid de pie, à la pointe du grand mât, la vigie vient de lancer son cri. L'officier de quart ajuste sa longue vue et repère un navire. - Faites donner toute la toile. Les gabiers courent dans la mâture, ils déferlent les perroquets et filent à bout de vergue les bonnettes. Toute la toile a été établie. Le corsaire fend la mer à toute vitesse vers ce qui n'est encore qu'une tache sur l'horizon. Les voiles montent sur la mer, elles grandissent. Quand les deux navires sont assez proches, le capitaine cor- saire donne un ordre : - Envoyez-lui un coup de semonce. Qu 'il se décide à hisser ses couleurs ; que l'on sache s'il est ami ou ennemi. Quelques minutes plus tard, la réponse tombe : - Ennemi. Une bordée descend dans la Sainte-Barbe, la soute à muni- tions ; elle remonte sur le pont chargée de paniers de grenades ; les canonniers font le plein de caisses à gargousse, les charges de poudre à canon. A côté de l'homme de barre, le capitaine cherche à tromper son impatience ; il passe son poignet dans l'estrope du manche d'une hache d'abordage. Il la pose pour frotter la pierre de ses pistolets avec son ongle. Tout près de lui, des matelots passent en portant des grappins d'abordage. Dans l'entrepont, les canonniers attendent que les sabords se relèvent. L'ordre tombe enfin : - Envoyez ! Le tonnerre des canons se déchaîne. La poudre parle et les boulets agressent les flancs du navire ennemi. Sur le pont, le spectacle semble figé : - Tout le monde à plat ventre, jusqu 'à nouvel ordre ! L'ennemi ne reste pas inactif et ses canons se mettent à cra- cher ; de part et d'autre d'un petit carré d'océan, l'orage de fer se déchaîne. Le corsaire suit chaque mouvement de son ennemi ; il hausse les épaules pour dire à l'un de ses lieutenants : - « Qu'il s'y prenne comme il voudra, il sera bientôt à nous ! » Les deux navires s'approchent dans des volutes de fumée et s'accrochent ; les grappins sont lancés. A bord du corsaire français, des hommes résolus attendent leur heure, les lèvres crispées par la colère, les muscles bandés, prêts pour le combat. Ils attendent le cri libérateur qui va les lancer à l'attaque. Dans les poitrines les moins aguerries, le cœur bat plus vite qu'à l'ordinaire. - A l'abordage ! crie le capitaine. - A l'abordage ! répondent cinquante poitrines avec un ensem- ble étonnant. Arrêt sur image. L'écran technicolor déborde de marins qui sautent, qui cou- rent sabre à la main, pour certains, pour d'autres, armés de haches d'abordage, piques et poignards, c'est la curée. Errol Flynn apporte la magie du cinéma pour ressusciter pendant une heure ou deux l'univers des corsaires et des pirates. Des images de même nature vous envahissent si vous lisez les mémoires de Duguay-Trouin ou de Jean Bart. Alors, pour une mi- nute, que les lignes du livre cessent de danser au rythme de la houle qui porte ces navires et leurs équipages ! Miracle du cinéma ou de l'écriture, évadez-vous avec les aven- turiers de la mer et découvrez leur histoire véritable ! En les voyant, écrira Louis Garneray, je crois aux héros d'Ho- mère et je comprends les exploits de Duguesclin ! Nous reviendrons plus tard car le combat cesse d'être un combat pour devenir une boucherie grandiose. Didier Decoin me disait que depuis Homère les hommes adorent qu'on leur raconte des histoires. Alors, n'at- tendez plus. Embarquement immédiat. 1860, le congrès de Paris, en décidant d'abolir la guerre de course, faisait des corsaires des marins du passé. Toutefois, en tour- nant une page de son histoire, la guerre de course trouvait un nou- veau souffle. Quelques années auparavant, Louis Garneray publiait ses souvenirs. Embarqué très jeune sur les navires corsaires qui croisent dans l'océan Indien, Garneray devient un témoin qui connait les plus fortes émotions en montant à l'abordage ; au grand balancier de l'histoire, il découvre ensuite le pire sur les pontons anglais. Né dans une famille où l'on était peintre et graveur de père en fils, Garneray possède un remarquable sens de l'observation. De retour en France, il deviendra un honorable peintre de marine et ce n'est que sur le tard qu'il écrira ses souvenirs qui forment la matière de trois livres chargés de rythme, de parfums et de combats. Contre toute attente, son ouvrage « Voyages, aventures et com- bats » connaît un grand succès de librairie. A la même époque, quand Plucket publie ses mémoires, celui que l'on appelle à Dunkerque l'autre Jean Bart voit son ouvrage tiré seulement à deux cents exemplaires. Bien vite réimprimé, car c'est à nouveau un succès ; voilà encore un corsaire qui tient le haut du pavé et qui passionne les curieux. La mer devient un centre d'intérêt pour de nombreux lecteurs du XIX siècle qui, sous l'influence des romantiques, ont retrouvé le goût d'une nature forte. Chateaubriand, fils d'un armateur de Saint- Malo, avait passé sa jeunesse sur les grèves de la cité. Les veillées familiales étaient bercées de récits de voyages au long cours, de combats et de naufrages. Saint-Malo a été sous Louis XIV l'une des grandes cités de la guerre de course. Les plus grands noms de l'épo- que y ont foulé, sous le crachin, les pavés luisants de ses quais. Partir à la rencontre de ces marins nous offre l'opportunité de revisiter l'histoire de France depuis 1492, date à laquelle Christophe Colomb pose le pied aux Antilles, dans les îles Lucayes, à l'orée du détroit de Floride. Trois mots du langage courant recouvrent chacun une réalité propre : corsaire, pirate, flibustier. La guerre de course a longtemps été la seule forme de guerre sur mer. Est corsaire, le marin qui dispose d'une lettre de marque établie par l'administration royale qui lui donne mandat pour courir sus aux ennemis. Elle connaît son âge d'or en France, de 1650 à 1750, sans toutefois être notre seul apanage. Anglais, Hollandais connaîtront eux aussi dans leurs rangs de fameuses figures que la postérité n'a pas oubliées. Dans son fonctionnement, la guerre de course se présente tan- tôt sous forme artisanale, tantôt sous forme professionnelle. Ce n'est pas tant une question d'époque que la capacité des hommes à réunir des capitaux et des capitaines pour s'associer à des opéra- tions plus ou moins importantes. La course artisanale s'effectue donc avec de petits navires qui ne nécessitent qu'un investissement réduit. L'armement est faible et l'on compte davantage sur la vaillance d'un équipage peu nom- breux et donc facile à recruter que sur la puissance du feu. Dans ces conditions, il ne peut s'agir que de préparer des opérations de courte durée qui s'effectuent à partir d'une base permanente. Le rayon d'action est par définition restreint et les résultats ne peuvent être que modestes, en corrélation avec l'investissement initial. A cette forme de course, nous pouvons opposer une course plus professionnelle qui met en œuvre une réflexion, d'importants moyens et parfois la mise à disposition de navires de la marine royale. Les capitaines pratiquent par campagne au large. Dès lors, les prises sont conduites vers les ports amis les plus proches par des marins qui portent le titre de capitaine de prise ; sinon les cor- saires regagnent le large sans tarder. Compte tenu des moyens utilisés, la guerre de course va peser sur le déroulement des différents conflits jusqu'à la guerre d'Indé- pendance d'Amérique. En cette fin du XVIII siècle, les convois mar- chands sont mieux organisés. De puissants navires assurent leur escorte, les prises deviennent plus incertaines ; aussi les armateurs préfèrent-ils consacrer leur énergie et leurs ressources au grand commerce colonial, plus lucratif. Au début du XVI siècle, lors du traité de Londres, la course est réglementée tant elle perturbait le trafic commercial. La lettre de marque ou commission en guerre valait à son bénéficiaire le privi- lège d'attaquer les ennemis de l'Etat et ce, dans un laps de temps précis, qui pouvait aller de trois mois à un an. A expiration du délai, il fallait rentrer au port, solliciter une nouvelle lettre de marque, sinon le capitaine franchissait la ligne si mince qui sépare un honnête homme d'un hors-la-loi, et celle qui distingue un corsaire d'un pirate. Parmi les règlements édictés, il est interdit au corsaire de dis- poser de doubles pavillons. S'il est pris en flagrant délit, il perd le privilège que lui confère la lettre de marque et se voit ravalé au rang médiocre de pirate avec le châtiment qui s'y rattache.