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Ciné-Bulles

La chasse aux patrons est ouverte Louise-Michel de et Benoît Délépine Stéphane Defoy

Volume 27, Number 3, Summer 2009

URI: https://id.erudit.org/iderudit/33174ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Defoy, S. (2009). Review of [La chasse aux patrons est ouverte / Louise-Michel de Gustave Kervern et Benoît Délépine]. Ciné-Bulles, 27(3), 38–39.

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La chasse aux patrons est ouverte

STEPHANE DEFOY

ien qu'ils soient Français d'origi­ gument de départ est similaire dans le troi­ mour décapant se concentre sur le person­ ne, les réalisateurs Gustave Kervern sième long métrage de Kervern et Delépine. nage de Louise, ouvrière mal dégrossie, gro­ Bet Benoît Delépine sont souvent L'intrigue de Louise-Michel se déroule gnonne et analphabète à qui il ne faut surtout associés au cinéma belge. Cette confusion dans une usine de fabrication de cintres en pas dire qu'elle ne sait pas lire, de même tient à quelques éléments. Le tandem tra­ Picardie. Un week-end, le patron décide que sur Michel, un tueur à gages de paco­ vaille avec les comédiens belges Bouli Lan­ de fermer en douce la manufacture pour la tille, pleutre et sans ambition. Ce couple ners, Benoît Poelvoorde et , délocaliser dans un pays inconnu. Les ex­ singulier, loufoque et dangereusement im­ pour ne nommer que ceux-là. De plus, ces employées rassemblent leurs indemnités prévisible, dont l'identité sexuelle devient cinéastes situent chaque fois l'action de pour faire tuer ce patron qui vient de les de plus en plus ambiguë au fil du récit, in­ leurs films en Picardie ou dans le Nord- mettre à la rue. Elles confient la tâche de carne à la perfection le rejet social. On peut Pas-de-Calais, deux régions françaises voi­ trouver un tueur professionnel à leur col­ cependant reprocher aux cinéastes l'utili­ sines de la Belgique et qui, d'un point de lègue Louise, une femme qui, derrière des sation de Yolande Moreau (Séraphine, vue géographique, présentent de nombreu­ apparences simplettes, cache une volonté Quand la mer monte) dans son registre ses similitudes avec la Wallonie. de fer et un tempérament fougueux. habituel de la femme bébête, bien que ter­ riblement débrouillarde. En revanche, le Le cinéma de Kervern et Delépine fait aussi Comme les frères Dardenne et Belvaux, comédien , dont la première dans le social, à l'instar d'un cinéma belge les deux réalisateurs s'intéressent au sort fiction à titre de réalisateur. Eldorado, fut qui s'est démarqué ces dernières années de ceux qui font les frais d'un système l'une des belles trouvailles de l'année 2008, grâce à des films s'inscrivant dans la tradi­ écartant les salariés sans diplôme ou sans s'insère à merveille dans l'univers déjanté tion du réalisme social où chacun lutte pour spécialisation lorsque vient le temps de du tandem Kervern-Délépine. Sa mytho­ sa survie, le plus souvent avec les moyens rationaliser les coûts. Mais là s'arrêtent manie mal assumée, combinée à des gestes du bord. Se tenant à distance du cinéma à les comparaisons, car Kervern et Delépine de fauché sans envergure, finit par le rendre thèse, les frères Luc et Jean-Pierre Dar­ n'optent pas pour l'esquisse sociale sobre sympathique, voire attachant. denne (Le Silence de Lorna, L'Enfant) et mesurée. Ils préfèrent mettre à profit sont à cet égard un exemple de rigueur et l'humour caustique qu'ils ont affûté lors Si le récit met un certain temps à réunir les de subtilité dans leur manière de dépein­ de leur passage à Canal +. Ils ont été à une deux illuminés, c'est pour mieux faire ap­ dre les gens ordinaires dans des situations époque les maîtres d'œuvre de Grolandsat, précier, par la suite, des séquences hilaran­ criantes de vérité. Dans un registre simi­ une émission irrévérencieuse constituée tes. Il faut savoir que chez les deux réali­ laire, le comédien belge est de sketches provocateurs au contenu sul­ sateurs français, la mécanique du gag est passé derrière la caméra pour proposer, en fureux. L'esprit contestataire qui a fait leur terriblement bien huilée. Chaque scène est 2006, La Raison du plus faible, un drame marque, moins présent cependant dans leurs pensée en fonction d'une chute la plus social poignant sur des individus sans em­ deux films précédents, (2004) et imprévisible possible. C'est ainsi que le ploi qui décident de commettre un vol pour Avida (2006), reprend du service dans scénario comporte des trouvailles formi­ se sortir de la misère. Dans chacun de ces Louise-Michel, dont le titre est un hom­ dables comme cette séquence d'un grand films, une situation précaire force des gens mage à la célèbre militante anarchiste burlesque, en ouverture du film, où l'inci­ à se solidariser pour tenter l'impossible afin (1830-1905). Prenant la forme d'une épo­ nération d'un cercueil prend une tournure d'améliorer leurs conditions de vie. L'ar­ pée déglinguée, ce long métrage gorgé d'hu­ insoupçonnée. Les bons sentiments et la

38. VOLUME 27 NUMÉRO 3 CINF3L/LZ.ES Bouli Lanners (Michel) et Yolande Moreau (Louise) dans Louise-Michel mièvrerie laissent place à une approche place, le film prend tout à coup des allures chanteur , le temps d'un joyeusement cinglante qui n'épargne rien de scandale laissant l'auditoire pantois. intermède musical lors d'un strip-tease pour ni personne sur son passage. En revanche, le moins étonnant. Louise-Michel procu­ à vouloir chercher la blague au détour de Privilégiant le cadre fixe et les décors natu­ rera un plaisir incommensurable aux ama­ chaque rebondissement, l'intrigue s'étire rels pour laisser libre cours à leur imagina­ teurs d'humour noir doux-amer, d'autant parfois. Heureusement, elle est savamment tion foisonnante, les réalisateurs écorchent que le film met en scène une activité qui appuyée par un propos faisant écho à la certaines tendances du cinéma actuel au risque d'en faire saliver plus d'un : la chasse situation actuelle où les dirigeants tirent passage, entre autres le retour en force de aux patrons! • avantage de la crise économique pour délo­ la pensée écologique. Dans un extrait met­ caliser des usines. Ainsi, les réalisateurs tant en scène (égale­ ne se satisfont pas uniquement de la rigo­ ment producteur du film), les excréments Louise-Michel lade, ils façonnent leur film en une sorte humains se transforment en matière recy­ 35 mm / coul. / 90 min / 2008 / fict. / France de plaidoyer contre l'injustice du néolibé­ clable. Leur humour féroce s'appuie sur la ralisme sauvage. Ils parviennent à doser grande tradition du burlesque dans laquelle Réal. et scén. : Gustave Kervern parfaitement les railleries incisives et le les dialogues sont souvent réduits à leur et Benoît Delépine pamphlet social. Le duo Kervern-Délépine plus simple expression au profit du visuel. Image : Hugues Poulain Mus. : Gaétan Roussel se permet même des moments où le rire Cette virée incertaine est appuyée par une Mont. : Stéphanie Elmadjian initial tourne au malaise. Alors que Mi­ musique joliment déglinguée signée Gaé­ Prod. : Mathieu Kassovitz chel utilise une cousine atteinte d'un cancer tan Roussel, leader de Louise Attaque. Il Dist. : FunFilm en phase terminale pour tuer le patron à sa Int. : Yolande Moreau, Bouli Lanners, Benoît faut également souligner la présence du Poelvoorde, Mathieu Kassovitz

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