Valérie Laure BENABOU Rapp. De La Mission Fabrice LANGROGNET
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RAPPORT DE LA MISSION DU CSPLA SUR LES « ŒUVRES TRANSFORMATIVES » Valérie Laure BENABOU Rapp. de la mission Fabrice LANGROGNET Contexte. Le présent rapport a été commandé par la ministre de la culture au Conseil Supérieur de la propriété littéraire artistique notamment pour prolonger la réflexion initiée sur les « œuvres transformatives » dans le rapport Lescure et examiner, en particulier, l’opportunité de suivre les pistes d’intervention qui y figuraient. Par ailleurs, la Commission européenne s’est saisie du dossier et a accéléré son agenda, comme en attestent à la fois l’étude commandée par ses services au cabinet De Wolf1, rendue publique en décembre 2013, qui couvre notamment la question des « User Generated Contents » et le questionnaire adressé aux parties intéressées en 2014 en vue de la rédaction d’un Livre blanc. La question est donc devenue d’une brûlante actualité communautaire, même si les orientations politiques semblent encore floues2. Les rédacteurs de ce rapport ne peuvent cependant pas ignorer le phénomène et inscrivent leur réflexion dans ce contexte3. Par ailleurs, les acteurs privés se sont partiellement organisés à travers des accords conclus entre les plateformes de diffusion telles que Youtube et les ayants droit. Bien que le contenu de ces accords demeure confidentiel et que les modalités de mise en œuvre échappent à la connaissance des rédacteurs, il convient, là encore, de prendre acte de ces évolutions dans les développements qui suivent. Enfin, parce que le phénomène de la création transformative est protéiforme, il est apparu nécessaire de ne pas réduire le champ de l’étude à une interrogation manichéenne sur l’opportunité de consacrer ou non une exception pour les contenus amateurs mais d’élargir la perspective à une réflexion d’ensemble sur le sort des œuvres ou réalisations empruntant des éléments d’œuvres antérieures, tout particulièrement dans l’environnement numérique. 1 http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/docs/studies/131216_study_en.pdf ; Study on the Application of the Directive 2001/29 on Copyright and Related Rights in the Information Society, rédigé par le cabinet De Wolf et le CRIDS, ci-dessous rapport De Wolf ou rapport Triaille. 2 Depuis plusieurs années, des documents de réflexion de la Commission européenne abordent ce sujet comme étant un point d’intérêt, avec des angles différents ; v. Livre vert sur le droit d’auteur et l’économie de la connaissance, 2008 : « The Directive does not currently contain an exception, which would allow the use of existing copyright protected content for creating new or derivative works. The obligation to clear rights before any transformative content can be made available can be perceived as a barrier to innovation in that it blocks new, potentially valuable works from being disseminated. However, before any exception for transformative works can be introduced, one would need to carefully determine the conditions under which a transformative use would be allowed, so as not to conflict with the economic interests of the rightholders of the original work. » ; Communication du 19 octobre 2009 sur le droit d’auteur et l’économie de la connaissance : « most of the stakeholders consider that it is too early to regulate » ; Communication of 24 May 2011 on a Single Market for Intellectual Property Rights Boosting creativity and innovation to provide economic growth, high quality jobs and first class products and services in Europe : « There is a growing realisation that solutions are needed to make it easier and affordable for end-users to use third-party copyright protected content in their own works. Users who integrate copyright-protected materials in their own creations which are uploaded on the internet must have recourse to a simple and efficient permissions system. This is particularly pertinent in the case of "amateur" users whose UGC is created for non-commercial purposes and yet who face infringement proceedings if they upload material without the right holders' consent. » ; Communication du18 décembre, 2012 sur les contenus dane le marché unique numérique: « The Commission's objective is to foster transparency and ensure that end-users have greater clarity on legitimate and non-legitimate uses of protected material, and easier access to legitimate solutions. […] ; This work strand should identify the extent to which user-generated content is licensed to relevant platforms, and identify how to ensure that end-users are informed about what is legal and illicit use on the internet. […] It should seek to ensure that end users benefit from easier access to, and greater clarity on what are the legitimate and non legitimate uses of protected material. » ; Discours du commissaire Barnier en date du 4 février 2013 : « Nous devons mieux cerner l’étendue des problèmes – s'ils existent car des arrangements pratiques dont déjà en place – et en tout cas faire en sorte que les solutions contractuelles ou technologiques soient trouvées pour le bénéfice de tous, lorsque le besoin existe. » 3 Le phénomène de la « création transformative » faisant l’objet d’une littérature francophone encore peu abondante, même si elle connaît un regain d’intérêt, nous avons également consulté des études parues en langue anglaise. Le corpus exploité reflète des tendances et des inégalités géographiques de la recherche actuelle, qu’elle soit esthétique, juridique ou économique, sur les créations transformatives. 1 Méthode. Bien que le présent rapport soit nécessairement le fruit de la subjectivité de ses auteurs, il est apparu indispensable de consulter le plus largement possible, et avec la plus grande curiosité, des acteurs multiples sur la question de la création transformative, tant le phénomène échappe, a priori, à toute tentative de systématisation. Pour ce faire, la mission a choisi d’auditionner des personnalités nombreuses, issues d’horizons divers, nourrissant des intérêts intellectuel, professionnel et personnel variés pour les créations transformatives. Alternant les entretiens individuels, les auditions collectives et la réception de contributions écrites, nous avons recueilli les observations de plus de quarante personnes, à la faveur d’une cinquantaine d’heures de dialogue4. Elaboré dès les premiers jours de travail, un questionnaire a été diffusé, en amont, à l’ensemble des personnes interrogées ; ce document, rédigé à dessein du point de vue des créateurs, a suscité, par ses imperfections inévitables et les présupposés que certains ont cru y déceler, des réactions diverses mais toujours fécondes5. La tonalité générale de ces entretiens fut positive : la plupart des personnes rencontrées se sont dites intéressées par le travail exploratoire confié à la mission, même si le constat de l’émergence d’un nouveau phénomène culturel, dont les caractéristiques justifieraient d’aménager le droit de la propriété intellectuelle, semble loin d’être unanimement partagé. Le plan du présent rapport s’organise en deux temps. En premier lieu, un tour d’horizon analytique des différentes questions soulevées par les créations transformatives s’appuie sur le diagnostic porté par les acteurs sur les notions en jeu (I). Vient ensuite avec la présentation du droit existant, celle des différents ferments d’évolution juridique que nous avons identifiés, et des mérites de chacune des pistes d’action éventuelles en fonction de la nature, du degré et du niveau des aménagements qui pourraient être envisagés (II). 1. L'ETAT DE L'ART DE « LA TRANSFORMATION DES ŒUVRES », A LA CROISEE DE QUESTIONNEMENTS HISTORIQUES, POLITIQUES, ECONOMIQUES ET IDEOLOGIQUES « Par ma foi, il y a des siècles que je fais de la création transformative sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela ! » Voilà qui pourrait résumer, à la manière de M. Jourdain, le statut de la transformation en matière artistique. Au-delà d’une focalisation présentiste sur l’émergence d’un art numérique, l’idée de la transformation des œuvres n’est inédite qu’en apparence (1.1.). Sa fluidité, sinon son incertitude, permet d’y ranger de nombreuses pratiques (1.2.), dont l’appréhension est étroitement liée aux enjeux économiques de la création (1.3.). 1.1. La (re)découverte d’un phénomène ancien En art, la transformation6 constitue un phénomène ancien (1.1.1.) relayée par l’approche philosophique de la création (1.1.2.). Toutefois cette idée se compose mal avec l’approche de la création par le droit, mue par des préoccupations de sécurité juridique, qui préfère y voir un objet fini assigné à un individu plutôt qu’un processus perpétuel de modification auquel participent une multitude de personnes (1.1.3.). 1.1.1. Histoire de l'art : l'ancienneté de la transformation La transformation est, dans l’art, un phénomène ancien. Même en s’en tenant aux réinvestissements les plus flagrants, les mieux identifiables, l’art de la reprise et du remploi n’est pas 4 La liste des personnes auditionnées figure en annexe. 5 V. Annexe. 6 Selon l’expression bien connue de Lavoisier formulant la théorie de la conservation de la matière, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». 2 nouveau7. Réelle, concernant les reliques matérielles d’un objet préexistant, ou virtuelle, pour ce qui est de la citation ou de l’allusion plus ou moins directe, la « spoliation », l’hommage artistique ou l’appropriation remontent à la plus haute Antiquité8. Nombre de personnes interrogées par la mission ont souligné que la création artistique était toujours un « recyclage », dans des proportions variables, d’éléments antérieurs : la pratique transformative a une histoire. Depuis longtemps, le simple contexte peut suffire à déterminer le sens des objets et, partant, à les transformer : on peut penser au cas des boîte en ivoire médiévales, réalisées par des artisans musulmans pour servir de réceptacle à des parfums ou des onguents, et qui devinrent des reliquaires une fois passés dans le trésors ecclésiastiques de la chrétienté. Ainsi, les artistes, les objets et les pratiques créatives peuvent se modifier sous l’effet de contacts interculturels, que ceux-ci soient délibérés, accidentels ou même réprouvés9.