Alexandre Lacassagne : Un médecin anthropologue face à la criminalité (1843-1924) Marc Renneville
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Marc Renneville. Alexandre Lacassagne : Un médecin anthropologue face à la criminalité (1843-1924). Gradhiva : revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie , Musée du quai Branly, 1995, pp.247-268. halshs-00130217
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1 CHACU connaît le nom de Cesare Lombroso Lacassagne est né le 17 août 1843 à Cahors. li vécut (1835-1909), celui de Lacassagne est pratique dans celle ville jusqu'en 1861 puis s ui vit ses études de ment o ublié des anthropologues. Il n'est guère médecine à Strasbourg, effectua un stage à l'école de per Sque les manuels français de criminologie qui fas fectionnement de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, fut sen1 encore allusion à son œ uvre, pour souligner que son interne dans les hôpitaux de Strasbourg et préparateur dans principal mérite fut d'opposer à la causalité biologique le service de Tourdes. passa sa thè e en 1867. fut aide du «criminel-né » de Lombroso une approche s'in1ércs major à Marseille puis revint en tant que répétiteur à l'école sant aux causes « sociales » du crime, voire « sociolo de Strasbourg e n 187()?. Il exerça ensuite ses fonctions de giques » (Léauté 1972, Gassin 1990)1. Un récent médecin militaire en Algérie de 1872 à 1874 puis de 1878 colloque sur l'histoire de la criminologie a permis de à 1880. C'est cette même année qu' il ob1 in1 la chai re de montrer combien celle représentation était redevable médecine légale à la faculté de médecine de Lyon. Ensei- d 'une hi storiographie forgée par « l'écolé de Lyon »elle même. li y eut en fait une grande variété de positions de l. On ..Wni1 souvent les conceptions de LacasSllgnc. Tarde el Durkheim en un mtme cooranL Gassin affirme. par exemple. que• l'élude de~ fac· part et d 'autre et ! 'opposition radicale e ntre une école teurs sociologiques du crime a sunout ~~ l'cruvre de l'école française françai:.e et italienne ne résiste pas à une analyse précise du milieu social de la fin du x1x• siècle a•ec Tarde. Durkheim. Lacas· des débats de l'époque (Mucchi elli 1994b, Renneville sagne cl Joly ». Ferri. fai sant. en llalie. figure d'cxccp1ion (Gassin 1990 : 32). Voir aussi Léau1é (1972: 30) ou Rennie (1978 : 104). Badin· l 994b). Nous ne développerons pas ici ce point qui ter estime que • Lacassagne cl l'école lyonnaise ouvrait plus direc1c semble définitivement acquis, mais nous chercherons ment encore [que Ferri) la voie à la sociologie criminelle ,. (1992 : 197). plutôt à montrer la cohérence et l'originalité de la pensée Pinatcl vo11 curieusement en l'école de Lyon l'une des sources d'inspira· tion de l'école de Chicago (Pinatcl 1987: 135) et David A. Jones estime de Lacassagne. Alexandre Lacassagne ( 1843-1924) fut que Lacassagne aurait inOucnc~ Edwin H. Sutherland (Joncs 1986 : durant la Belle Époque le chef de file de l'école de Lyon 168). C'cs1 Pinatcl qui. le premier. a suggén! qu ' il ne fallait pas voir et probablement le dernier médecin-anthropologue à d'opposi1ion radicale entre Lombroso et Lacassagne (Pinatcl 1961). Souchon l'a également signalé en analysanl les " aphorismeti • de avoir une audience très large dans le domaine de la << cri La ca~sagnc (1974) ainsi que Vun Ginneken ( 1992: 114- 11 5). Nous minologie » française. Sa théorie mérite d'autant plus espérons apponer ici un complément en mon1r.1m le rôle de l'héritage de d'être présentée pour elle-même qu'ell e ne se réduit pas à la phn!nologie chez Lacassagne et qui. par rappon li Tarde ou Manou· une critique de celle de son célèbre homologue italien car vricr. lui CSI sp«ifiquc. 2. Mme Lacassagne a vc~ aux archives de l'Écolc d'application du ser elle puise ses sources dans des références françaises qui vice de santé pour l'année de 1crrc (Val-de-Grâce) le journal que son lui sont antérieures ... mari 1.in1 pendant le si~gc de Stra>bourg (dossier C/ 1038). gradlriva 17, 1995 127 gnant pendant 33 ans dans cette ville, Lacassagne fut le nerveux était « le plus élevé dans la séri e hiérarchique des personnage central de ce que l'on allait appeler « l'école ti ssus »et qu'à ce titre, c'était sur lui que portait unique du milieu social »ou « l'école de Lyon ». li lui donna très ment l'hérédité des caractères acquis. Cette dernière, tôt un programme de recherche large qui consistait en réduite donc à la transmission des variations du système « l'étude des problèmes sociaux éclairés par la science nerveux. était pour Lacassagne subordonnée à l' influence moderne,» (Lacassagne l 882a : 2 11 ) et lui fournit surtout du « milieu », et les « modifications » qui résultaient de une assise institutionnelle avec une revue. les Archives celle action ne devaient être considérées comme « acquises, d'anthropologie criminelle, qui parut de 1886 à 1914'. et par conséquent transmissibles, que lorsque l'habirude ou Lacassagne c ultiva un réseau de relations professionnelles l'exercice les a suffisamment assimilées » ( 1876 : 674). très large. n entretint des relations d'amitié avec le juriste Lacassagne résuma sa théorie en affirmant que l'hérédité Gabriel Tarde, l'anthropologue Léonce Manouvrier. le suivaic les trois lois suivantes : médecin légiste Paul Brouardel, avec Paul Dubuisson qu'il 1. La loi de « modificabilité » des êtres vivants, qui rencontra dès 1874 à la Société positiviste animée par pose que l'homme étant l'animal le plus complexe, il est Pierre Lafitte et Charles Jeannole (Dubuisson fut pendant aussi le plus modifiable. cinq ans le rédacteur en chef de la Revue occidentale). le 2. La loi de « perfectionnement » qui fait que te cer médecin Maurice Debove (qui fut secrétaire perpétuel de veau humain « acquiert des idées plus élevées et dans les l'Académie de médecine de 1913 à 1920). le spécialiste de quelles l'intérêt de la société tend à prédominer sur la puériculture Adolphe Pinard. le médecin montpelliérain l'intérêt de l'individu ». Joseph Gra:.sct. À Lyon, Lacassagne se lia avec le méde 3. La loi « d'appareillement » qui rend compte du fait cin Charles Debierre, qui fut chef du parti radical du Nord que l'hérédité n'est assurée que « pour les formes qui se et président du Grand-Orient de France (il ne quitta Lyon renconlrent à la foi s chez le père et la mère, sauf le cas qu'en 1888) mais aussi avec ses collègues Henri Cou d'atavisme »s. tagne, Léon Mayet, Robert Garraud. etc. Lacassagne ~e Ayant posé ces trois lois, Lacassagne affirmait que la définissait sur le plan politique comme un « vrai » conser consanguinité donnait la « mesure de l'état physiologique vateur. « dans le bon sens du mot ». Il cultiva d ·ailleurs du milieu social ». Elle n'offrait donc aucun danger en soi des relations plus spécifiquement politiques avec le séna et il pensait au contraire que «dans les races pures, elle y teur Élisée Déandreis et surtout avec Léon Gambetta, qu 'il favorisait la transmission des meilleures qualités physiques connut très probablement à Cahors4 • et morales ». En revanche, dans la population urbaine, la Médecin-légiste a ux compétences reconnues, Lacas consanguinité était du plus mauvais effet car elle assurait sagne remporta un incontestable succès lorsqu'il identifia la transmission des vices et des défauts acquis par les deux en 1889 le corps partiellement décomposé de l 'huissicr parents. Les aspects néfastes de la ville et de ta « vie assassiné dans la célèbre affaire de la « malle à Gouffé ». moderne » atteignaient d 'ailleurs indis tinctement les li pratiqua également l'autopsie du président Sadi Carnot, clas es aristocratiques et bourgeoises comme les classes assassiné à Lyon en 1894, et fit l'examen médico-légal de ouvrières. l'anarchiste Casério. Lacassagne participa aux grandes La détermination de la valeur de la consanguinité divi affaires criminelles de son temps (Vidal, le « tueur de sait beaucoup les médecins de l'époque (Léonard 1983 : femmes », Vacher « l'éventreur ». etc.) cl fu t très productif 192) et elle fut ! 'enjeu de nombreuses discussions à la dans sa vie professionnelle, tant par ses écrits que par son Société d'anthropologie de Paris. Dans son article, Lacas action de directeur de recherches auprès de 207 élèves sagne prenait clairement partie contre le déterminisme (Lacassagne 1913 : 348). Nous devons donc préciser que héréditaire du sang: cc n'était pas pour lui la consanguinité nous ne nous intéresserons ici à ses travaux qu'en tant qui était « saine ou malsaine » mais « le terrain sur lequel qu'ils éclairent sa vision de la criminalité. elle se produit » (op. cit. : 694-695). C'est en appliquant cette théorie qu'il expliquait la « dégé nérescence » des Hérédité et milieu nobles de France : « lorsque la noble:.sc a, dans un géné reux et dernier élan, renoncé à ses privilèges dans la nuit Lacassagne a développé ses thèses d'anthropologie cri minelle à partir de sa nomination à la chaire de médecine 3. Sur la postUité de l'«olc lyonn:iise. voir Pinatcl (1961). Pour unc étude légale. Avant 1880, il publia toutefois deux articles qui détaillée des Arr:hÎl'"s d' an1hropolog1" criminelle(-'"' c. dans la suite de préfigurent l'approche qu' il allait appliquer a u problème cet anicle). voir Kalw.z)nsl:i (1988). criminel. Le premier est une contribution au prestigieux 4. Ces liens é tablis d~ s l'adolescence sonl invoqués par Coquard (Storck). Manin (1924: 660). Vcrvacck (1924: 61) et Soochoo (1974 : Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales de S4S). À Cahors. les parents de Lacassagne tenaient l'hôtel du Palais Dechambre. À la faveur de cet article sur la « consangui Royal tandis que ceux de Oambcna tenaient un « ba1.ar génois » (Chru.te nité», Lacassagne exposa une théorie de l'hérédité dont il net 1968: 27). 5. Lacassagne délïnit l'u1uvisme en empruntant la formule de son ami reprit certains passages tout au long de sa carrière (Lacas 1ootechnicien A. Sanson comme« l'ensemble des puissances héridi· sagne 1876). Elle esl essentielle en ce qu'elle nous permet taires de la race "· Jouant sur les caractères les plus anciens. donc les tra d'expliquer plus loin sa conception de « l' hérédité mieux fixés, c ·est le phénomène héréditaire qui a scion lui le moins de criminelle ». chance de varier : on vo11 ici toute la d1Stance quo sépare ccne définition de l'emploi que Lombroso fait du même terme. Sur le con1cx1e scienti· S ' appuyant s ur l' autorité de Comte. Broussais et fique qui fai1 prtférer en France la rtférencc à Lamarck qu'à la lhéorie Moret, Lacassagne affirma dans cet article que le système darwinienne de l'évol ution. voir Conry (1974). 128 du 4 aoû1, el le avai1 perdu depuii. long1emp~ lei. carac1ères physiques et les quali1<:s morales qui l 'avaien1 placée cl main1enue pendan1 tant de siècles à la 1ê1e du pays». ou ~ avons là une première approximalion de cc que Lacas sagne e n1endait par « milieu social » car ce qui perme11ai1 selon lui à la race de se conserver était « l e~ c limat~. la nourriture et les mœurs » (ibid. : 697). L'approche était donc résolumenl médicale et le « milieu social » invoqué n ·avait pas grand rapport avec la notion développée par nos con1emporains. Il rclcvai1 plus d'une pensée (< écolo gique » héritée du courant hygi é ni ~ tc el du vitalisme que d'une véritable sociologieo. Le second anicle rcndai1 compte d'une recherche sur le rappor1 entre la forme et le volume de la tê1c el le 1ravail in1ellectuel (Lacassagne & Cliquet 1877-79). Cc genre d'étude avait été initié dès la Monarchie de Juille1 par des phrénologues dissident1>, comme François Lélut el Max Parchappe : mais il avait été remis d'ac1uali1é par Paul Broca au début des année 70 (Broca 1872). Six ans après celle première recherche. Gustave Le Bon obtint d'ailleur.. le prix Godard de la Société d'anthropologie de Paris pour une longue étude sta1istique s ur le même sujet (Le Bon 1878. Le1oumeau 1879). La meilleure preuve de l'ac1uali1 é du thème rfaide tou1efois dans la mise au point qui eul lieu à la suite de la pré enta1ion que le doc1eur Luys fit du 1ra vail de Lacassagne e1 Cliquet à l'Académie de médec in e (séance du 20 aoÛI 1878). Jules Guérin tint en effe1 à rap peler qu 'il av ail déjà affirmé dan!> ~on Essai de plrysiolo8ie générale ( 1843) que « la fon ction » faisail « l'organe » (formule auribuée ré1ro~pec 1iveme n1 à Lamarck) cl il alla même jusqu'à réclamer l'antériori1é de son in1érê1 pour le domaine: ce qui n'es! pas ici la moindre ironie de l'affaire, quand on !.ail qu'il fui le rédacteur en chef d' une Ga:ette médicale qui s'é1ai1 placée à la 1ê1c, plu!> de 1re01e ans auparavanl. de la réac1ion anliphré nologique (Guérin 1878) ... Tête en plàtre présentant les d1v1S10ns phrénologiques selon Spurzheom Lacassagne el Clique! avaienl pour leur part mesuré (Ph. Mil) environ 400 lêle!> dans des milieux divers. Ayant relié cci. mes ures aux profei.~i o n des individus. Lacassagne 2. « Au fa1ali sme qui découle inévi1ablement de la confirma que la tête était effec1ivemen1 plus développée théorie anthropologique. nous opposons 1'initiativ e chez les « gens instrui1i. qui ont fait travailler leur cer sociale'" veau» que chct les ille11rés e1, qu'en outre, c'étai t sur1ou1 3. « La ju,1ice Oétrit. la pri~on corrompt et la i.ociété a la région fron1ale du cerveau qui bénéficiait de cet accrois les criminels qu'elle mérite». sement, alors que che1. le!> illett ré~. c'était la région occipi Ces aphorismes n'ont 1o utefois qu ·une faible valeur tale qui prédominait. explicative e n eu~-mêm cs. Le premier es1 as~c 1 ambigu. car il ne nou ~ permel pa ~ de savoir ce que recouvre Anthropologie ou sociologie '? l'expression de « milieu social ». Le criminel cs1-il un Les aphorismes de Lacassagne mi crobe par rapport à l' honnête homme ? E1 dan~ ce cas. n ·y aurait-il pas de différence de na1ure entre ces deux On a souvent résumé les concep1ions criminologique~ populations ? La métaphore perd en outre de son originalilé de Lacassagne par ces fameux « aphorismes » qu'il citai1 lorsqu'on la compare à celle de Quételc1. écrite plu~ de dix volonliers comme étanl l'expression de l'école du « milieu an ~ auparavant : « La ociélé renfem1e en elle l e~ germes social », et qu'on reprenait de bonne grâce. Ceux qui de tous les crimes qui vont ~e comme ure » ( 1869. 1,: 97). eurent le plu ~ de succès é1aien1 le!> suivanti. (Lacassagne 1894. 1913: 364): l. « Le milieu social cs1 le bouillon de culture de la cri 6. Il c;,1 1rès probable aussi, comme le noie Souchon ( 1974 : 546). que minalité: le microbe. c'est le criminel, un élément qui n'a l'in1frê1 de Lacas;agne pour le • milieu • date de son pas;age à la Facuht de Monrpclher. où tl prép.1ra ragté!!allon (de 1870 à 1872). Sur d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait la pen~ hygiém~IÇ et M>n fooc1ionncment comme • pl'Olo-soc1ologie •. fcrmemer ». voir Lécuycr { 1986). gradltiva 11. 1995 129 De plus. la phrase de Quételet est si l'on ose dire plus ri e de notre ami Lombroso et vient s'ajo uter a ux preuves ((sociologique », car elle n'assimile pas l'individu criminel déjà fournies par le professeur de médecine légale de à un « germe ». Le second aphorisme mérite une précision : Turin ,. (Lacassagne l882c : 589). Un an plus tard, il fit lorsque Lacassagne parle de « théorie anthropologique », une communication à la même société sur (( La question c'est évidemment à celle de Lombroso qu'il fait allusion et du coït chez les peuples primitifs dans ses rapports avec le fataJi s ~ qu'il lui impute mériterait d'être nuancé: c'est les peuples civilisés ». Constatant que le coït se faisait fré avant tout un argument polémique. Quant au troisième quemment « more f erarum » (en arrière) chez les « primi aphorisme, il recouvre trois proposilions qui n'ont absolu tifs » (Arabes, Égyptiens, Syriens ...), il rapprochait ce fait ment rien de spécifique à la pensée de Lacassagne. Une des actes de sodomies pratiqués dans les peuples civilisés minutieuse exégèse de ces aphorismes ayant déjà été tentée par des hommes adultes sur de je unes victimes et insistait (So uchon 197c4 ), nous hercherons plutôt ici à les replacer s ur l'inté rêt d ' un rapprocheme nt entre les deux phé no dans un contexte théorique pl us large qui, du point de vue mènes : « il est c urie ux de constate r q ue les anitudes prises de Lacassagne, nous permettra de mieux comprendre com par ces criminels reproduisent celles du coït physiologique bien ces aphorismes impliquaient une criminogenèse sans chez les peuples primitifs comme s'ils descendaient d'un rappon avec l'approche sociologique de Durkheim. degré dans l'échelle de l'humanité » (Lacassagne 1883 : La théorie criminologique de Lacassagne offre cet 169). Lombroso n'eut pas dit mieux... avantage po ur l'histo ri en qu'elle ne varia guère dans le Les rappons de Lacassagne à la th éorie lombrosienne temps. Des années 80 aux pro pos tenus au début de ce ne cessèrent to utefois d'être ambigus. On peut e n retenir siècle, on ne perçoit d'évolution que sur les auteurs que que Lacassagne s'opposa à l'existence d 'un type criminel Lacassagne cite à son appui. Cenains, omniprésents dans et d' un «criminel-né» gé néralisé mais qu'il sut toujours les références des premiers écrits, seront ensuite peu à peu conserver une place aux concepts de Lombroso. Lors du délaissés. C'est d'abord E. B. Tylor, dont La Civilisation décès de ce dernier, Lacassagne publia dans sa revue un primitive (1 876-78) lui ins pi re le thème des« s urvi texte en forme de bilan qui expliquait que Lombroso avait vances». C'est ensuite Arthur Bordier ( 1879) dont Lacas exagéré e n pensant que l'on pouvait diagnostiquer le cri sagne appro uva sans réserve dans un premier temps les minel-né à l'œil nu1. L'existence du «criminel-né» n'y diagnostics craniologiques. Ainsi l'assassin Choffron (qui était pas rejetée, mais nettement circonscrite : « Très jeune, avait déjà beaucoup intéressé les phrénologues) était l'individu se montre avec cet ensemble de perversités ins considé ré pa r ces de ux anthro pologues comme l' un des tincti ves. si fréquentes dans l'enfance, mais qui disparais « types de l'homme primitif ,. et pour Lacassagne, il avait sent au moment de l'adolescence. Quand elles persistent, cumulé « tous les défauts ou toutes les qualités des sau le sujet est incorrigible, c'est un criminel-né ,. (Lacassagne vages : rusé, violent, envieux, goulu, luxurieux ». Même l 909a : 892). Lacassagne ajoutait que ce « criminel-né » Lacenaire devenait dans ces études un « occipito-pariétal » pouvait parfois avoir présenté le« type criminel », qu'il présentant des « lésions assez caractéristiques d'ostéite et décri vait ainsi : « système musculaire très déve loppé, de méningite», possédant des« arcades sourcilières qui ne faciès caractéri sé par la saillie des zygomes et la lourdeur sont plus de notre temps » et dont la région pariétale du de la mandibule». La liste des stigmates était - par rappon cerveau était « semblable à celle de la caverne de l'Homme à celle de Lombroso - très limitée, et très « française», car mort ,. (Lacas agne l 882a : 250-25 1). le second caractère avait été mis e n évidence et défe ndu La troisième référence notable est celle de Ce a re par ce grand antilombro ien que fut Léonce Manouvriert. Lombroso. Il faut rappeler ici que Lacassagne construisit Il est certain toutefois q ue Lacassagne n'adhé ra j amais en partie sa théorie e n réaction à cell e de son homologue totalement à la chèse de l'atavisme criminel défendue par transalpin. « Séduit » to ut d ' abord par les thèses du Lombroso (Lombroso 1887). Ain i dès 1881, dans l'étude « maître de Turin » comme il l'avouait volontiers, il ne anthropologique qu' il consacr.1 aux tatouages, Lacassagne tarda pas dans les faits à se démarquer de son collègue, concluait en se démarquant explicitement de son collègue sous l'innuence probable de son ami juriste Gabriel Tarde transalpin. Les tatouages n'étaient pas pour lui des effets (Lacassagne 1909b). La date de rupture, plus « s traté de retour aux coutumes de nos ancêtres par atavisme mais gique » que réelle selon nous (Renneville 1994b) se situe assez c laireme nt en 1885 , lors du premier cong rès d 'anthropologie criminelle à Rome. Lacassagne fut pour 7. Lacassagne se disait incapable d'un tel diagnos1ic. mais son collègue tant e n France l'un des premiers (et des rares) partisans de Tarde. qui rejetai• le « criminel-né • affirmai• que " la physionomie - Lombroso. Il tint même à apporter sa pie rre à l'édifice non pas au repos comme dans une photographie. mais en mouvement. - l'allure corporelle. les gestes. sont les meilleurs ~igncs où se décèle à un lombrosie n car il fit - bien qu' il n ·ait jamais beaucoup a:il exerct le virus criminel incx:ulé à quelques cellules cérébrales " (Tanlc apprécié les grands nombres - une étude anthropométrique 1888 : 522). sur 800 criminels pour étudier le rappon entre leur taille et 8. MWlOUvrier ( 1858-1927) estimait que l'indice cranio-mandibulaire élevé était le signe de la " brutalité •.et qu'il était carac1éri~t iq ue du " type leur envergure de bras. Cette étude fit l'objet d 'un compte grossier de la race • évoqué plus bas. Très versé dans les érudcs sur les re ndu à la Société d' anthro pologie de Lyon le 27 juillet cranes de cri minels au débu1 des années 80. Manouvrier affirmait qu'il y 1882, qu'il conclut en ces termes:« nous pouvons dire, au avait lieu « d'étudier les crânes d'assaosins exécutés comme on étudie les crânes de telle ou telle profession. de telle ou telle race " (Manouvrier point de vue de l'anthropologie criminelle, que les crimi 1883 : 99). Ses conceptions évoluèrent peu 11 peu sous les critiques nels se rapprochent des races primitives par la grande d'Eugène Dally, du moins le pensons-nous. cur il eut l'habileté de les res envergure. Cette remarque est un nouvel apport à la théo- servir ensuite à ... Lombroso. 130 Tatouagos. • Le caractère spécial du dessin d0 aprés sa localisation, et sunout le nombre de tatouages sont la manifestation de œne vanité instinctive et do co besoin d'étalage qui sont une des caracténstlques de l'homme primitif ou dos natures cnmlnolles •(Lacassagne, Les Tatouages, 1881 · 27). {Ph MH)
« la répétition de coutumei. !>pécialei. aux peuples primi rappon au reste du crâne. etc. ; le 'iccond, par des carac tif!. ,. : « là où le profe !leur de Turin voit une interruption. tères opposés. ( ... 1 Pourquoi s'étonnerait-on davantage de pui\ un retour e n arrière. je montre une '>érie non interrom rcncon1rcr plus fréquemment le type grossier parmi le., cri pue et une trani.formmion !.uccesi.ive d'un instinct [ ... I où minels et en particulier parmi les as!ta\\in'>. qui, presque Lombrol>o trouve de!> types anciens. tout à coup reproduits, 1ous, sortent d'un milieu inculte et qui ont agi. après 1ou1, nou!> ne voyons que des types rctardéi. ,. (188la : 115. Plas comme des brutes ? » (i11 Orchanski 1882 : 781 ). Manou 1994). Les différences d'approches étaient patentes: Lom vrier ne fut d'ailleurs pas le seul des collaborateur<, de bro'>O parlait d'atavisme criminel en se référant à l'évolu Lacassagne à effecruer dan., ces années-là de érudes pure tionnisme e t au transformisme darwinien. tandis que ment anthropométrique!. !>Ur les criminel'> : Armand Corre Lacassagne privilégiait l'idée d'un criminel retardé dans eu la même tentation (1881, 1882. 1883)... l'évolution du corps social. Dans un anicle tardif écrit en collaboration avec Étienne Lacassagne défendait ici une po'>ition très proche de Manin (qui lui succédera à la chaire de médecine légale), celle que prônait au même moment Léonce Manouvrier. Laca'>'>agne dressa un bilan des acqui' de l'anthropologie Anrhropologue disciple de Broca et furur collabora1eur à la criminelle (1905). Il retint cinq poinh qui lui semblaient revue de Lacassagne. Manouvrier oppo~ait alors à la 1héo indi'>cutable~ : la démonwation de « l'hérédité du crime ,.. rie de l'atavisme lombrosien l'existence dans toute race la mi'>c en évidence d'une hérédité p
prfrée et sociale qui fut d'après Manin, « lu, annoté et par ncl parce qu'on a négligé de soigner dans son enfance les ticu l ièrcmcnt apprécié par Gambetta » (Martin 1924 : affections du crâ ne o u du cerveau à leur début, parce 660). Lon.que la Société de médecine publique et d'hygiène qu'on a négligé de corriger par l'altitude morale et par professionnelle fut fondée en 1875 autour de Bouchardai l'éducation une tendance vicieuse » (Bordier 1879 : 300). (alors professeur d'hygiène à la faculté de médecine de Enfin. lorsque Lacassagne projeta à la fin de 'a vie une Pari ~). Laca'>sagne fut immédiatement nommé secrétaire Société de 'éniculture. il établit des lignes directrice pour général. L' hygiè ne était pour ces médecin'> la i.cie nce l'hygiène physique et morale du vieillard qui n'étaient ri en générale par excellence puisqu'elle se proposait i,elon les moins que les préceptes de l'hygiène pédagogique que i.on moh de La ca.,~ a gne « de donner à l'homme le maximum collègue Dally défendait déjà plus de vingt uni, aupamvant de développement de ses facultés morales avec un exercice (Lacassagne 1920, Dally 1877-79). Pour tous ces méde parfait de toutes i.es fonction!> » ( Laca~sagn e 1877-79a : cins donc. il était clair que l'on ne c hoisi~Mtit pas son héré 24). Elle repo~ait sur le principe d 'une symbiose de l'indi dité, mais il élêli t de la liberté de chacun de se luis!>cr aller, vidu avec son environnement et s ur une caui.alité circulaire ou au contraire de contrecarrer de fâchcu!>cs di!>positions entre le physique et le moral. Pour Eugène Dally « Les par une bonne hygiène morale ... di~tinctionl. habituelles et profondes entre l'&lucation phy La i,ccondc hypothèM:. qui n'est d'ailleur.. pll!> exclusive sique et l'éducation mentale » n 'avaient « rien qui soit de la première, c'est q ue Lacassagne insista de plus e n fondé sur la nature des choses » (Dally 1877-79 : 200- plus au fil du temps sur le principe de la « défcnM: M>Ciale », 201 ). L'utopie de I' « orthophrénie » et la fascination pour au détriment du libre-arbitre . ce qui lui p~rmit ainsi le « traitement moral » initié dans la pi.ychiatrie du début d 'esquive r l'épineux problème de la responsabilité ( 1913 : du XIX• siècle par Philippe Pinel (Swain 1977) lit long feu 337-340). Il n'est pas impossible d'ailleur.. qu' il ait cultivé dans l'imaginaire médical. Bordier par exemple, pouvait sur ces thèmes un double di scours car la défense du libre conclure sans risque de contradiction son étude s ur les arbitre et du déte rminisme social coexistaient rarement caractères primitifs du crâne des criminels par un pro dans un même article. Le premier argument visait très cer gramme moralisateur: « Plus d'un homme devient crimi- tainement la communauté juridique, afin de se concilier gradl1iva 17. 1995 135 ses bonnes grâces, tandis que le second était toujours po é sélecrion, il estimait qu'elle« couverait le crime en serre en contradicti on avec le « fatalisme » de la théorie de chaude» et que l'on verrait « augmente r ces deux plaies Lombroso. Les références intellectuelles de Lacassagne modernes que sont les dérivatifs de la criminalité : le sui plaident d 'ailleurs en faveur de cette hypothèse puisqu' il cide et la prostitution ». revendique l'héritage de Prosper Oespine (Despine 1868). On pourrait attribuer certe prise de position à la période Or ce demie r avait affirmé dans son œuvre maîtresse « lombrosie nne » de Lacassagne. En fait. elle relève plus l'irrespon·sabilité morale des criminels, qu' il considé rait de la philosophie pénale de GaJI, que Lacassagne connais comme des • idiots du sens moral ,. (Lombroso parlera de sait bien, que de Lombroso". De toute façon, Lacas agne «crétin du sens moral » ...) . ne se démarquait guè re ici de ses collègues : Garraud Pour saisir plus directement la philosophie pénale de demandait des « mesures exclusives » contre les « crimi Lacassagne, il faur donc mieux délaisser ces questions nels incorrigibles ( 1886 : 22) et Coutagne était plus précis d'exégèse, et se reporter aux positions concrètes qu 'il prît encore en proposant la transportation en Nouvelle-Calédo lors de deux grands débats sur la pénalité qui agitèrent le nie (dans des établissements spéciaux) pour les « aliénés parlement durant son acrivité professionnelle. Le premie r pe rsécute urs ,. ( 1891 : 443). Ces propositions étaie nt débat eut lieu dans les années 1880. li concernait la reléga pa rtagées par bon nombre de non-médecins (Reinach tion des récidivi ces. er il aboutit à la loi du 27 mai 18851l. 1882). Cenes, Lacassagne n'eut de cesse d 'affirmer lares Le second débat important fut la rentative d 'abolition de la ponsabilité de la société dans le développement de la cri peine de mort proposée e n 1906 sous la pression de minai ité, et il proposa tout au long de sa carrière des l'alliance des radicaux et des socialistes, et qui échoua en réformes pour les enfants abandonnés, e ncouragea le mou 1908. Concernant la re légation, Robert A. Nye a bien vement de patronage des libérés, la lutte contre la misère, montré que le projet dé posé par Waldeck-Rousseau et contre l'alcoolisme, l'opium, les récits de crimes, la publi Martin-Feuillée était appuyé et voulu par Léon Gambetta, cité des débats judiciaires, la reproduction des portraits de qui décéda avant d 'en voir l'aboutissemen1 (Nye 1986: criminels, etc. ( 1894, l 908b : 18 1- 182). Ces propositions 49-96). Si l'on ne met pas en doute la olide amiùé qui n'avaient toutefois rien de rrès novatrices car il existair sur unissait Gambetta et Lacassagne, on peut raisonnableme nt celles-ci un consensus très large dans la société et il fau penser que le second influença le premier sur cette ques drait nous garder de voir en Lacassagne la figure moderne tion. Cette hypothèse est renforcée par l'activité déployée du philanthrope de la monarchie censitaire du début du dès 1881 par I 'Alliance républicaine socialiste de Lyon et XIX• siècle. les loges maçonniques pour inscrire ce projet dans les pro En fait, le chef de file de l'école lyonnaise avait du mal grammes radicaux. Or l'esprit positiviste, le radicalisme et à cacher son pessimisme et en matière de politique crimi la franc-maçonneri e étaient alors en parfaite symbiose et nelle, il ne cessa de re prendre à son compte la vie ille bien représentés chez les médecins proches de Lacassagne antienne des panisans de « l'ordre». Malgré la loi de la (Dubuisson, Debierre etc.). L'alliance républicaine socia relégation, la société ne savait plus « se défendre » : « les lis te de Lyon demanda même la déportation des récidi lois du sursis, de li bération conditionnelle, de relégation vi s tes après seulement trois condamnarions de droit n 'ont pas fortifié la répression. Les criminels n'ont vu commun, ce qui constituait une mesure nettement plus dans ces mesures que des signes de faibl esse ou de crainte : ré pressive que les dispositions de la loi finale (Reinach ils sont difficilement inrimidables, que craindraient-ils 1882). d'aille urs ? On n'applique plus la peine de mon, les pri Il n'y a auc un do ute e n to ut cas s ur la position de sons sont des deme ures confortables, le bagne, un asile o ù Lacassagne : il fut un chaud partisan de la relégation et la l'existence est rarement dure, le plus souvent supportable plupart de es inte rventions avant 1885 furent pour lui et d'où il est possible de sonir ,. ( 1908: 11 7). La philan l'occasion de rappeler son attachement à ce proj et, en thropie devait pour lui avoir ses limites, et il estimait à cet appuyant à chaque fois sa position s ur une légitimité égard que la société avait affiché depuis 18 10 une « sensi scientifique. Voici par exemple en quels termes il s'expri bilité exagérée », une faiblesse coupable qui avait conduit ma sur le suj et e n 1881 lors de sa leçon inaugurale au à un adoucissement « excessif » des peines. Il y avait cours de médecine légale : « À l'heure actuelle, ce seront encore des médecins qui montreront aux magistrats qu'il y t 3. La uansporta11on comme la relégation sont de\ mesures de conuôle a parmi les criminels des incorrigibles, des individus social qui visent à pré>erver la métropole contre se~ criminels en les organiquement mauvais et défectueux, et obtiendront non envoyant dans les colonies. La transponation se distingue toutefois de la relégation en ce qu'elle n'a pas de caract~re ~fi01 1 if. La cransponation seulement le ur incarcération - la prison est pour les crimi fut décrétée par l'Angleterre d~s 1717; el elle pril fin en t863. Jnscrile nels d'actes et l'as il e pour l'aliéné criminel -, mais leur dans le code pénal de 1791, la 1ranspona1ion . faute de moyens matériels. déportation dans un endroit isolé, loin de notre société ne fut pas appliquée. Il fo llul uuendre le second Empire et lu loi du 30 mai 1854 pour que des fo rçais panent peu à peu en Guyane el en Nouvelle· actuelle trop ava ncée pour e ux » (Lacassagne 188lb: Calédonie (Pierre 1991 ). Sur les débats concernant le vole de la loi de 684). Lacassagne concluait en proposant de «sélection relégation du 27 mai 1885, voir Badinter (l992 : 111 - 18 1). ner » tous les « retardataires de la société » et, comme 14. Gall étnit lui·mêmc pnnisnn de la relégation. Sa philosophie pénale leur amélioration était parmi nous impossible, il convenait reposai! sur le pnncipc qu'il fallait déterminer la peine non pas llllll en fonction de l'acte qu'en fonction de l'étal du coupable (est-il amendable? de les obliger à vivre en commun afi n que leurs difficultés dangereux ?) mais. à la différence de celle de Lombroso, elle accordau d 'existence puissent pe rmettre l'es poir d ' une améliora encore une place très 1mponame à la valeur d'intimidation de la peine tion ... Tant que la société ne se résoudrait pas à faire cette (Gall 1822-25). 136 d'ailleurs selon Lacassagne une véritable « crise de la Ce contraste singulier entre le prestige de l'individu et répression » due à 1'impunité des crimes, aux acquitte l'apparente méconnaissance de sa théorie s'explique si ments trop fréquents et à la non-application des peines l'on tient compte de l'état des sciences à l 'époque. ( 1913 : 324-328). Le résultat. c'était ce fameux taux de D'abord, la phrénologie était devenue, et depuis au moins récidive dont l'augmentation obnubilait to us les crimina une trentaine d'années, une référence illégitime, qui n'était listes de l'époque. L'activisme des anarchistes. la délin plus prise au sérieux par la grande majorité des scienti quance des « apaches » et les mouvements revendicatifs fiques. L'anthropologue Topinard, qui critiqua fonement des cheminots étaient autant de :.ymptômes qui signalaient Lombroso et l'école de Lyon en leur opposant une concep au médecin les désordres du corps social. Il fallai1 réagir, tion « zoologique » de l'anthropologie criminelle, exprima et vite. S'appuyant s ur Gall, puis s ur la 1hèse de droit sans détours l'opinion généralement répandue à l'époque d'Émile Lauren• ( 1912), Lacassagne se déclara par s ur la phrénologie : « assurément. aucun craniologiste exemple « très partisan ,. du fouet et de la mise en place digne de ce nom ne croit aujourd'hui à la doctrine des d 'un «code de sûreté » pour les « incorrigibles » (Lacas bosses de Gall. l"un des produits les plus étranges de sagne 191 3: 337-338). l'imagination humaine. La phrénologie fut une folie épidé Ce genre de constat n'était cenes pas moins répandu à mique comme celle des tables tournantes » (Topinard l'époque que les propositions de réforme sociale évoquées 1891 : 138 ) ' ~ . Lacassagne tenta bien une fois de présenter plus haut mais il nous permet de constater que 1'« initiati ve officiellement sa tliéorie lors du troisième congrès interna sociologique ,. que Lacassagne opposait sy tématiquement tional d'anthropologie qui se tint à Bruxelles en 1892 mais au« fatalisme ,. lombrosien é1ai 1. - si l'on ose dire - à malgré l'absence de ses adversaires italiens, il n 'obtint double tranchan1. aucun succès (Lacassagne 1892). Justement, Lacassagne s'engagea très clairement dans Les contemporains de Lacassagne apprécièrent donc le débat sur la peine de mon qui eut lieu en 1908 au Parle peu sa théorie socio-phrénologique et il est très probable ment. Le suje1 lui tint même suffisamment à cœur pour que les rares personnes qui y firent allusion en termes qu'il y con acra un ouvrage et il estima rétrospectivement conciliants étaient motivées par des raisons affectives que son opinion avait eu « quelque innuence » dans Je (Tarde par exemple) el, le plus souvent, stratégiques : atta débat (19 13: 324). D'après ses études comparatives, et quer Lacassagne, c'éLait risquer en conLrecoup de renfor contre « les arguties de l'humanitarisme», il affirma dans cer la position de Lombroso. ce livre qu'il fallait maintenir la peine capitale car à C'est ainsi que l'on préférait associer le nom de Lacas l 'égard des « imparfaits et méchants », il convenait sagne à ses aphoris mes, qui possédaient au moins deux d'employer la « manière fone ». Pour cela, il fallait appli avantages : ils étaient facilement détachables de leur quer systématiquement les condamnations à la peine de contexte théorique et avaient l'incontestable mérite de mon « pendanl au moins dix ans » si la statisti que crimi contenter Lout le monde par des lieux communs qui ne sus nelle révélait que les crimes de sang étaient en augmenta citèrent aucun débat de fond. L'absence de toute postérité tion. li proposai1 toutefois d'aménager les conditions théorique de Lacassagne se comprend donc mieux lorsque d'exécution de la peine capitale : il fallait remplacer la l'on a mis en évidence son attachement à la phrénologie. guillotine par la pendaison - plus « hygiénique ,. - et pro La réduction de sa théorie de la criminogenèse en une céder aux exécutions dans l'enceinte des prisons. afin de série d'aphorismes est une conséquence de l'oubli dans soustraire ce spectacle au regard de la foule elle-même lequel elle est tombée. et non une cause. Notre analyse occipitale, c'est-à-dire « obscène et sanguinaire». Naturel diverge ici d'avec celle de Souchon. Pour cet auteur. la lement, les cadavres devraient être soumis systématique théorie du« milieu social» aurait échoué parce qu'ell e ne ment à une autopsie. Là encore, Lacassagne reflétait bien parvint pas à unifier« l'ensemble des causes sociales sous l'opinion de ses coll aborateurs. Corre par exemple. com une détermination unique » (Souchon 1974), parce que la mentant son livre dans les Archfres. approuva sans réserve pensée de Lacassagne était réduite en aphorismes, parce l'idée selon laquelle la peine de mon était finalement « la qu'enfin, la « poussée des idées marxistes ,. aurait « radi seule peine compatible avec les progrès du sentiment calisé la thèse française », et « contribué à son efface humanitaire » (Lacassagne cité par Corre 1908: 208-241). ment » (ibid. : 537). li nous semble plutôt, suivant en cela C'était opérer là un singulier renversement avec la philan Lhropie médicale du début du siècle... 15. Celte concepiion « 1oologiquc " reposait sur la défense d'une ~1cncc •pure"· sans applications immédiates pour la société ce qui n·~ait évi L'échec théorique et la persistance du regard demment pas le cas de l'anthropologie criminelle telle qu'elle i!tait conçue par Lacassagne, Lombroso. Bordier, Manouvrier, Letoumeau etc. li nous reste à éclaircir une énigme. Alors que Lacas (Topi nard 1887). Il conviendrait toutefois de replacer ceue critique dans sagne a été reconnu sans aucune difficulté de son vivant un contexte plus large et. en particulier, dan~ son conflit a~ec le.~ matüia• li~tcs républicains. libres-penseurs de la Socii!té anthropologique de Paris comme le chef de file de l'opposition aux «exagérations ,. (Oins î11 Topinard 1990). D'abord parce que Topinard ne refusait pas la de la théorie du criminel-né que développait Lombroso, poss1b1hté d'une anthropologie criminelle « pure • (Renneville l 994a : alors même que ses aphorismes étaient périodiquement 200-20t): ensuite p:irce qu'il légitimait sa position en référence à Paul Broca ce qui. sur cc th~me pricis, était une erreur. puisque Broca lui repris ; aucun de ses élèves, pas un de ses amis n ·a cité mame ne dédaigna pas r étude des criminel,, et qu ï 1 profita même de son comme alternative la théorie néophrénologique exposée autopsie sur Lemaire pour se déclarer ouvertement contre la peine de plus haut... 1110.n (Broca 1867). g radlriva 17, 1995 137 la démonstration de Mucchielli ( l 994b) que l'école lyon qu'elle doit garder une place dans l'histoire de ces deux naise n'a pas eu de postérité pour la simple raison qu'ell e disciplines et que l'on peut réaffirmer, 70 ans après Ver n'était pas une école. qu'elle n'avait pas de programme de vaeck. que Lacassagne fut avec Lombroso le cocréateur de recherche, ou plutôt, qu'elle n'a jamais sui vi le seul pro l' Bibliographie A.A.C. = Arclti1 es tl' a111hropolagie cr1mmelle (Lyon. 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