Alexandre Lacassagne : Un Médecin Anthropologue Face À La Criminalité (1843-1924) Marc Renneville
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Alexandre Lacassagne : Un médecin anthropologue face à la criminalité (1843-1924) Marc Renneville To cite this version: Marc Renneville. Alexandre Lacassagne : Un médecin anthropologue face à la criminalité (1843-1924). Gradhiva : revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie , Musée du quai Branly, 1995, pp.247-268. halshs-00130217 HAL Id: halshs-00130217 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00130217 Submitted on 16 Mar 2018 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Alexandre Lacassagne Un médecin-anthropologue face à la criminalité (1843-1924) Marc Renneville 1 CHACU connaît le nom de Cesare Lombroso Lacassagne est né le 17 août 1843 à Cahors. li vécut (1835-1909), celui de Lacassagne est pratique dans celle ville jusqu'en 1861 puis s ui vit ses études de ment o ublié des anthropologues. Il n'est guère médecine à Strasbourg, effectua un stage à l'école de per Sque les manuels français de criminologie qui fas fectionnement de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, fut sen1 encore allusion à son œ uvre, pour souligner que son interne dans les hôpitaux de Strasbourg et préparateur dans principal mérite fut d'opposer à la causalité biologique le service de Tourdes. passa sa thè e en 1867. fut aide du «criminel-né » de Lombroso une approche s'in1ércs major à Marseille puis revint en tant que répétiteur à l'école sant aux causes « sociales » du crime, voire « sociolo de Strasbourg e n 187()?. Il exerça ensuite ses fonctions de giques » (Léauté 1972, Gassin 1990)1. Un récent médecin militaire en Algérie de 1872 à 1874 puis de 1878 colloque sur l'histoire de la criminologie a permis de à 1880. C'est cette même année qu' il ob1 in1 la chai re de montrer combien celle représentation était redevable médecine légale à la faculté de médecine de Lyon. Ensei- d 'une hi storiographie forgée par « l'écolé de Lyon »elle même. li y eut en fait une grande variété de positions de l. On ..Wni1 souvent les conceptions de LacasSllgnc. Tarde el Durkheim en un mtme cooranL Gassin affirme. par exemple. que• l'élude de~ fac· part et d 'autre et ! 'opposition radicale e ntre une école teurs sociologiques du crime a sunout ~~ l'cruvre de l'école française françai:.e et italienne ne résiste pas à une analyse précise du milieu social de la fin du x1x• siècle a•ec Tarde. Durkheim. Lacas· des débats de l'époque (Mucchi elli 1994b, Renneville sagne cl Joly ». Ferri. fai sant. en llalie. figure d'cxccp1ion (Gassin 1990 : 32). Voir aussi Léau1é (1972: 30) ou Rennie (1978 : 104). Badin· l 994b). Nous ne développerons pas ici ce point qui ter estime que • Lacassagne cl l'école lyonnaise ouvrait plus direc1c semble définitivement acquis, mais nous chercherons ment encore [que Ferri) la voie à la sociologie criminelle ,. (1992 : 197). plutôt à montrer la cohérence et l'originalité de la pensée Pinatcl vo11 curieusement en l'école de Lyon l'une des sources d'inspira· tion de l'école de Chicago (Pinatcl 1987: 135) et David A. Jones estime de Lacassagne. Alexandre Lacassagne ( 1843-1924) fut que Lacassagne aurait inOucnc~ Edwin H. Sutherland (Joncs 1986 : durant la Belle Époque le chef de file de l'école de Lyon 168). C'cs1 Pinatcl qui. le premier. a suggén! qu ' il ne fallait pas voir et probablement le dernier médecin-anthropologue à d'opposi1ion radicale entre Lombroso et Lacassagne (Pinatcl 1961). Souchon l'a également signalé en analysanl les " aphorismeti • de avoir une audience très large dans le domaine de la << cri La ca~sagnc (1974) ainsi que Vun Ginneken ( 1992: 114- 11 5). Nous minologie » française. Sa théorie mérite d'autant plus espérons apponer ici un complément en mon1r.1m le rôle de l'héritage de d'être présentée pour elle-même qu'ell e ne se réduit pas à la phn!nologie chez Lacassagne et qui. par rappon li Tarde ou Manou· une critique de celle de son célèbre homologue italien car vricr. lui CSI sp«ifiquc. 2. Mme Lacassagne a vc~ aux archives de l'Écolc d'application du ser elle puise ses sources dans des références françaises qui vice de santé pour l'année de 1crrc (Val-de-Grâce) le journal que son lui sont antérieures ... mari 1.in1 pendant le si~gc de Stra>bourg (dossier C/ 1038). gradlriva 17, 1995 127 gnant pendant 33 ans dans cette ville, Lacassagne fut le nerveux était « le plus élevé dans la séri e hiérarchique des personnage central de ce que l'on allait appeler « l'école ti ssus »et qu'à ce titre, c'était sur lui que portait unique du milieu social »ou « l'école de Lyon ». li lui donna très ment l'hérédité des caractères acquis. Cette dernière, tôt un programme de recherche large qui consistait en réduite donc à la transmission des variations du système « l'étude des problèmes sociaux éclairés par la science nerveux. était pour Lacassagne subordonnée à l' influence moderne,» (Lacassagne l 882a : 2 11 ) et lui fournit surtout du « milieu », et les « modifications » qui résultaient de une assise institutionnelle avec une revue. les Archives celle action ne devaient être considérées comme « acquises, d'anthropologie criminelle, qui parut de 1886 à 1914'. et par conséquent transmissibles, que lorsque l'habirude ou Lacassagne c ultiva un réseau de relations professionnelles l'exercice les a suffisamment assimilées » ( 1876 : 674). très large. n entretint des relations d'amitié avec le juriste Lacassagne résuma sa théorie en affirmant que l'hérédité Gabriel Tarde, l'anthropologue Léonce Manouvrier. le suivaic les trois lois suivantes : médecin légiste Paul Brouardel, avec Paul Dubuisson qu'il 1. La loi de « modificabilité » des êtres vivants, qui rencontra dès 1874 à la Société positiviste animée par pose que l'homme étant l'animal le plus complexe, il est Pierre Lafitte et Charles Jeannole (Dubuisson fut pendant aussi le plus modifiable. cinq ans le rédacteur en chef de la Revue occidentale). le 2. La loi de « perfectionnement » qui fait que te cer médecin Maurice Debove (qui fut secrétaire perpétuel de veau humain « acquiert des idées plus élevées et dans les l'Académie de médecine de 1913 à 1920). le spécialiste de quelles l'intérêt de la société tend à prédominer sur la puériculture Adolphe Pinard. le médecin montpelliérain l'intérêt de l'individu ». Joseph Gra:.sct. À Lyon, Lacassagne se lia avec le méde 3. La loi « d'appareillement » qui rend compte du fait cin Charles Debierre, qui fut chef du parti radical du Nord que l'hérédité n'est assurée que « pour les formes qui se et président du Grand-Orient de France (il ne quitta Lyon renconlrent à la foi s chez le père et la mère, sauf le cas qu'en 1888) mais aussi avec ses collègues Henri Cou d'atavisme »s. tagne, Léon Mayet, Robert Garraud. etc. Lacassagne ~e Ayant posé ces trois lois, Lacassagne affirmait que la définissait sur le plan politique comme un « vrai » conser consanguinité donnait la « mesure de l'état physiologique vateur. « dans le bon sens du mot ». Il cultiva d ·ailleurs du milieu social ». Elle n'offrait donc aucun danger en soi des relations plus spécifiquement politiques avec le séna et il pensait au contraire que «dans les races pures, elle y teur Élisée Déandreis et surtout avec Léon Gambetta, qu 'il favorisait la transmission des meilleures qualités physiques connut très probablement à Cahors4 • et morales ». En revanche, dans la population urbaine, la Médecin-légiste a ux compétences reconnues, Lacas consanguinité était du plus mauvais effet car elle assurait sagne remporta un incontestable succès lorsqu'il identifia la transmission des vices et des défauts acquis par les deux en 1889 le corps partiellement décomposé de l 'huissicr parents. Les aspects néfastes de la ville et de ta « vie assassiné dans la célèbre affaire de la « malle à Gouffé ». moderne » atteignaient d 'ailleurs indis tinctement les li pratiqua également l'autopsie du président Sadi Carnot, clas es aristocratiques et bourgeoises comme les classes assassiné à Lyon en 1894, et fit l'examen médico-légal de ouvrières. l'anarchiste Casério. Lacassagne participa aux grandes La détermination de la valeur de la consanguinité divi affaires criminelles de son temps (Vidal, le « tueur de sait beaucoup les médecins de l'époque (Léonard 1983 : femmes », Vacher « l'éventreur ». etc.) cl fu t très productif 192) et elle fut ! 'enjeu de nombreuses discussions à la dans sa vie professionnelle, tant par ses écrits que par son Société d'anthropologie de Paris. Dans son article, Lacas action de directeur de recherches auprès de 207 élèves sagne prenait clairement partie contre le déterminisme (Lacassagne 1913 : 348). Nous devons donc préciser que héréditaire du sang: cc n'était pas pour lui la consanguinité nous ne nous intéresserons ici à ses travaux qu'en tant qui était « saine ou malsaine » mais « le terrain sur lequel qu'ils éclairent sa vision de la criminalité. elle se produit » (op. cit. : 694-695). C'est en appliquant cette théorie qu'il expliquait la « dégé nérescence » des Hérédité et milieu nobles de France : « lorsque la noble:.sc a, dans un géné reux et dernier élan, renoncé à ses privilèges dans la nuit Lacassagne a développé ses thèses d'anthropologie cri minelle à partir de sa nomination à la chaire de médecine 3.