Troupiers [BANDES À PART] E Fut Une Parenthèse En- Tout L’Été, «Libération» Baguenaude Dans Des Groupes Chantée Au Faîte De La Mu- À La Marge

Aujourd’hui : Dans la chambre de Nicolas Le Riche, des moules farcies à Sète, Doc Gynéco sur le périph… Le bassiste allemand d’Ash Ra Tempel, Hartmut Enke (à g.), au côté de l’Américain Timothy Leary. Eté 1972. MARCEL FUGERE.2011 MG.ART Cosmiques troupiers [BANDES À PART] e fut une parenthèse en- Tout l’été, «Libération» baguenaude dans des groupes chantée au faîte de la mu- à la marge. Aujourd’hui, le compagnonnage sous acide entre le chantre sique pop, une poignée de C demi-dieux qui passaient américain du LSD, Timothy Leary,et des musiciens allemands réunis par leur temps torse nu, ou plutôt de «messagers cosmiques» (puis- une vision. C’était en Suisse, à l’été 1972. Par GRÉGORY SCHNEIDER qu’ils se considéraient comme tels) LIBÉRATION Lundi 18 juillet 2011 www.liberation.fr II • BANDES À PART La bande du projet et disque Seven Up au complet dans la ferme de Mindy, près de Berne, en 1972. PHOTO MARCEL FUGERE. 2011 MG.ART réunis par une sorte de vision. Et dre puisqu’il suppose l’annihilation de plus en plus lointain au fil du temps prôner la libération de la conscience par les circonstances: les subtilités de la lé- complète de l’ego. Il y avait aussi le dé- qui passe et des écoutes. l’absorption d’acide et envoyer la jeu- gislation helvète, un appel d’air à en- sir de «consolider le monde avec un mé- Cette affaire s’est tramée deux ans plus nesse dans des hôpitaux psychiatri- gloutir une planète et l’ambition floue lange de héros rock’n’roll et d’illumina- tôt, dans la prison de Luis Obispo (Cali- ques: le président Richard Nixon parle d’inventer le son du paradis mais aussi, tions», comme l’a synthétisé le fornie), où Leary, 51 ans à l’époque, alors de Leary comme de «l’homme le qui sait, le monde qui va avec. musicien et critique britannique Julian purgeait une peine de dix ans pour dé- plus dangereux des Etats-Unis». Cela a duré le temps d’un été: 1972, une Cope. Et de remodeler leur environne- tention de marijuana. Officieusement, petite ferme perchée dans les environs ment: celui de gamins élevés en Alle- il est clair que Leary et ses mantras Intenses vibrations de Berne appartenant à un dénommé magne juste après la guerre, dans («Harmonie, ouverture, détachement») Albert Mindy. Trente ans plus tard, il l’ignorance des actions de leurs parents. exaspéraient une administration améri- Dans la nuit du 12 au 13 septembre 1970, reste peu de chose. Les morts: le chan- Plus un disque bordélique intitulé Seven caine qui ne supportait plus de voir cet Leary s’enfuit en se suspendant aux fils tre américain du LSD, Timothy Leary, Up, légendaire à sa sortie et qui apparaît authentique docteur en psychologie télégraphiques. Les Black Panthers d’El- ou son scribe (anglais) de l’époque, dridge Cleaver exfiltrent le fugitif vers Brian Barritt; le poète mystique suisse l’Algérie. Il y rencontre l’écrivain Brian Sergius Golowin; le bassiste du groupe Barritt, partage avec lui des visions psy- de rock allemand Ash Ra Tempel, Hart- chédéliques au fond des rivières assé- mut «Eagle» Enke, qui vécut le plus chées près de Bou Saada et entraîne son souvent dans la rue entre 1974 et son nouvel ami en Suisse, car Cleaver, rendu décès, en 2005. Les disparus: le pro- agressif par un mauvais trip, tente de lui ducteur de musique et visionnaire-es- extorquer les droits d’auteurs de son croc Rolf-Ulrich Kaiser, sa compagne, ouvrage à venir, Confessions of a Hope Gille «Sternmadchën» («la Fille des Fiend. Du point de vue d’un fugitif, la étoiles») Letmann. Les autres: le père Suisse est une oasis: chaque canton est de la pop électronique, Klaus Schulze; indépendant des autres et, en en chan- le guitariste d’Ash Ra, Manuel Götts- geant vite, Leary peut se jouer des de- ching; la galaxie Leary (Liz Elliott, mandes d’extradition. Mieux: folklorisé quelques anonymes) ou encore l’artiste dans une posture de papy rebelle aux divinatoire gitan, Walter Wegmüller. Etats-Unis, il retrouve une virginité en Qu’ont-ils partagé? Du LSD, parfois à Europe. «Là, on a étécontactépar des éli- la bouteille, on en est sûr. Ce qui rend tes, a-t-il expliqué dans le magazine Oz, les témoignages délicats à manier. On en 1972. Des aristocrates, des camés dé- sait qu’il y eut des conversations à la cadents, les fumeurs de haschich et ceux nuit tombée sur les différents niveaux qui s’adonnent à l’opium.» de conscience, et notamment le der- C’est sur ce terreau que viendront s’im- nier, le 8 e, celui que l’on ne peut attein- Hartmut Enke (à g.) et Timothy Leary (à l’opposé). PHOTO MARCEL FUGERE. 2011 MG.ART planter Rolf-Ulrich Kaiser et sa bande. LIBÉRATION Lundi 18 juillet 2011 www.liberation.fr BANDES À PART • III Kaiser est alors déjà passé de l’agit-prop serait d’exposer toute la musique à ve- Cette histoire connaîtra un épilogue dé- à la prise de contrôle de toute l’industrie nir. Leary et Barrit passent leur temps lirant. En 1975, Kaiser remonte des POUR ALLER bourgeonnante du rock allemand: il a à élaborer ce qu’ils conçoivent comme morceaux de musique déjà enregistrés PLUS HAUT monté Ohr Musik, s’est vu confier Piltz une cartographie de l’esprit, qui com- et publiés (dont certaines parties de (une filiale de BASF) et s’amuse à trans- prendrait sept «niveaux» ou «étages». Seven Up ), et les ressort sous l’étiquette férer les artistes d’un label à l’autre en De la naissance à l’adolescence: l’at- d’un groupe fantôme, Cosmic Jokers. tirant des plans sur la comète. Et attend traction, le pouvoir, la position sociale, Sans prévenir ni payer personne. Götts- l’étincelle. «On voulait faire un truc avec le sexe. Puis le sens de la beauté, la fa- ching apprendra la forfaiture en le poète beat Allen Ginsberg, a expliqué culté à se connecter avec le cosmos et, s’entendant jouer avec un accompa- Manuel Göttsching, le guitariste d’Ash finalement, la compréhension pleine et gnement inconnu à travers les haut- Ra Tempel, à Libération. Mais il était in- entière de l’histoire pour peu que l’on parleurs d’un magasin de disques. Cette trouvable à cette époque.» parvienne à faire un pas en dehors du initiative précipitera la chute de Kaiser, La jonction s’opère sous les auspices temps. Si cela paraît quelque peu fan- en fuite depuis lors avec Gille Letmann. d’une sorte d’incompréhension char- tasque avec le recul, ça l’est objective- C’est le cinquième et dernier disque des meuse. «On ne connaissait alors pas Ash ment moins que le disque que tout ce Cosmic Jokers, Gille Zeitschiff, qui Ra Tempel, a déclaré Brian Barritt beau monde part enregistrer en août donne le frisson: pensée comme un vé- en 1973 au magazine Mojo. Ces gars-là aux studios Sinus de la Munstergasse à hicule pour la voix de Letmann, la mu- w Manuel GöttschingGötGöttschin ressort [les Allemands Göttsching, Enke, Berne, «une espèce d’horrible chapelle sique présente une description à la fois les quatre premiers CD Kaiser…] essayaient d’être des pop stars souterraine à double porte donnant direc- cosmique (l’environnement sonore) et d’Ash Ra Tempel, ceux avec ou un truc approchant, mais ils venaient tement dans la rue, qui donnait l’impres- précise (les sentiments et descriptions) Hartmut Enke: Ash Ra Tempel, d’un pays qui n’avait aucune tradition en sion de sortir d’une crypte», selon Julian de cet été 1972, comme si le couple était Schwingungen, Seven Up et Join matière de pop stars. C’était plus une Cope. Qui, en tentant de définir Seven bloqué à jamais sur ces quelques semai- Inn. Même après des dizaines bande de types qui aimaient jouer ou étu- Up dans son livre Krautrocksampler, ap- nes. La voix de Letmann: «Tim reste d’écoutes, les fans de musique dier la musique, des types capables de proche la vérité du mieux qu’il peut en parmi nous… Tim est notre ami… kosmische éprouvent toujours grandes choses. De toute façon, la manière parlant d’un «album conçu dans le chaos l’edelweiss est en fleur…» Dans la somme une appréhension au moment dont nous vivions aux Etats-Unis [pour et enregistré dans le chaos». qu’il a consacrée à la musique cosmique de s’y plonger; l’intensité et Leary] et en Angleterre [pour lui, Barritt] A l’oreille, c’est comme si des extrater- allemande, Au-delà du rock, Eric Des- le déchaînement des musiciens était un peu plate comparée à ce que nous restres écoutaient depuis l’espace des hayes raconte cette anecdote: en 1980, ayant quelque chose d’intimidant avons connu en Suisse.» Barritt a affirmé courtes séquences prises sur la bande un membre du groupe Mythos est par- (disponibles sur www.ashra.com). avoir assisté à au moins une partie fine FM d’un obscur bled du Wisconsin. Cet venu à récupérer l’adresse de Letmann dans la ferme où tout le monde cohabi- album prouve par ailleurs que les deux et lui a écrit. Elle a retourné sa lettre w Au-delà du rock-La vague tait, mais certains présents ont dé- bandes –Leary et sa cour de pique-as- avec ces mots: «Je ne peux pas l’ouvrir. planante électronique et menti. En revanche, l’acide était par- siette, Kaiser et les musiciens– ne se Elle est adressée à Gille Letmann, pas à la expérimentale allemande des tout.

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