Les Dessins De CAILLEBOTTE @ Hermé, Mai 1989 Editions Hermé 3, Rue Du Regard — 75006 Paris Tél
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Les dessins de CAILLEBOTTE @ Hermé, mai 1989 Editions Hermé 3, rue du Regard — 75006 Paris Tél. : (1) 45 49 12 50 ISBN : 2-86665-084-0 Maquette : Jacques Blot JEAN CHARDEAU Les dessins de CAILLEBOTTE fI ktotâ LES DESSINS DE GUSTAVE CAILLEBOTTE par Kirk Varnedoe . our la plupart des gens, l'étiquette ture linéaire, et sur des études de détail soi- Mais Caillebotte utilisa ces méthodes clas- « '« Impressionnisme » suggère un art gneusement assemblées. siques d'une façon très personnelle. En p basé sur une réponse immédiate et construisant délibérément des perspectives spontanée aux impressions fugitives de la cou- Je me rappelle l'émotion que j'ai ressen- inhabituelles telles celles que donnent des pri- leur et de la lumière naturelle. tie, lorsque, grâce à la bienveillante coopé- ses de vue avec un grand angle, Caillebotte Nous attendons de la peinture présentée par ration des descendants de l'artiste, j'ai a su acquérir un sens dramatique original, les impressionnistes aux expositions des découvert les études de perspective et de sil- novateur, avec des premiers plans imposants années 1870 de s'intéresser à ce qui est ins- houettes qui ont préfiguré l'exécution et des perspectives fuyantes. Il a donné à ses tantané et fugitif, et d'être exécutée comme d'oeuvres comme « Rue de Paris ». Ces des- personnages un réalisme particulier par les une rapide esquisse. Le seul peintre qui sins prouvent combien sont injustes les criti- bizarreries des attitudes inhabituelles dans des échappe à cette règle est évidemment Edgar ques de l'époque, qui ont eu tort de suggérer gestes spécifiquement ordinaires, et en parti- Degas. Bien que ses peintures captent une cer- que «Caillebotte considère la composition culier n'a pas idéalisé les vêtements modernes. taine spontanéité et un mouvement instan- d'un tableau comme une affaire indigne de C'est la combinaison dans ses meilleures tané, leurs compositions construites, leurs lui... ses personnages sont groupés au œuvres de ces rigoureux espaces et de ce goût lignes saillantes montrent que ses dessins sont hasard... Caillebotte n'a pas appris la pers- spécifique dans l'originalité de la réalité obser- le fruit d'une préparation soigneuse et pective...». Ces dessins confirment, au vée qui donne à l'art de Caillebotte sa qua- patiente. L'autre exception, à l'intérieur du contraire, ce qu'écrit Georges Rivière : « Ceux lité intrinsèque et personnelle. Construisant noyau du groupe des impressionnistes, est qui ont critiqué ce tableau (« Rue de Paris ») sa vision à partir de ses dessins préparatoires Gustave Caillebotte. n'ont pas songé combien il était difficile et élaborés avec soin, Caillebotte était capable Dans le cas de Caillebotte une préparation quelle science était nécessaire pour mener à de saisir et de transcrire, à partir de sensations soignée, qui est mise en évidence dans les fini- bien une toile de cette dimension. » La grande fugitives de la vie moderne (son frère regar- tions scrupuleuses de ses œuvres principales majorité des dessins de Caillebotte qui ont été dant par la fenêtre, des passants marchant au comme « Rue de Paris », « Temps de pluie » conservés sont des études de travail pour des coin d'une rue), une étrange impression de et « Pont de l'Europe », obéit à un motif dif- vues de rues de villes ou des scènes d'inté- temps suspendu, et des espaces déformés par férent. Si la magie picturale de Degas adopte rieur; elles datent des années 1870 à 1880. une psychologie subjective. la technique d'Ingres pour saisir le monde Un peintre académique de l'époque Par sa vision de la modernité bizarrement rapide de Monet et de Renoir, celle de Cail- n'aurait rien trouvé d'anormal dans cette « archaïsante » et par son ambition de créer lebotte trouve dans la réunion entre les sujets méthode de base qui consistait à concentrer de grandes images, qui se révéleraient confor- strictement modernes et les méthodes pure- les espaces dans la perspective grâce à une mes à la fois à la sensation immédiate et à ment traditionnelles le pressentiment d'une règle et à des calculs très poussés ; il a des- l'ordre logique du grand art traditionnel, autre vision de la modernité proche de la rapi- siné les personnages séparément pour les Caillebotte était une « anomalie » au sein du dité émotionnelle que l'on trouve dans la reproduire ultérieurement sur la toile au groupe de ses amis comme Monet et Pissarro. peinture de Seurat. moyen de calques. Les petites études de pers- Ce n'est que bien plus tard, grâce à une Lorsque j'ai commencé à être fasciné par pective pour des tableaux comme le « Pont œuvre comme «Un dimanche d'été à la la peinture de Caillebotte au milieu des années de l'Europe» suggèrent la possibilité d'une Grande Jatte » de Seurat, que l'originalité de 1970, ses dessins n'étaient pas connus. Mais nouveauté dans la façon de travailler du pein- l'œuvre de Caillebotte deviendra compréhen- tout dans ses peintures, et en particulier son tre : un instrument optique ou un appareil de sible. Elle se résume en ces termes : les métho- extrême insistance à organiser ses espaces prise de vue photographique, utilisé pour des traditionnelles s'ajoutent au lieu de faire perspectifs, démontre que ses œuvres ont été effectuer une étude préliminaire du motif à obstacle à l'effort de découvrir une vision construites comme une charpente d'architec- dessiner. appropriée à l'expérience moderne. CAILLEBOTTE ET L'IMPRESSIONNISME utour des années 1860, de jeunes artis- Au printemps suivant, il expose huit livrent à l'artiste désireux de faire une étude de A tes, las de l'enseignement traditionnel, tableaux, dont « Les Raboteurs de parquet ». nu un torse et un buste que les autres corps vont planter leurs chevalets en pleine nature Cette toile est l'une des plus remarquées de de métier n'exposent pas aussi librement. pour peindre directement des paysages clairs cette nouvelle manifestation des « impression- «Les Raboteurs de M.'Caiiiebotte ne sont cer- et lumineux d'Ile-de-France. nistes ». Caillebotte est maintenant un tes pas mal peints et les effets de perspective «impressionniste» à part entière. Il est éga- ont été étudiés par un œil qui voit juste. Je Le chef de file de ces « révolutionnaires » lement le mécène de ses amis dont il achète regrette seulement que l'artiste n'ait pas mieux s'appelle Claude Monet. Il est suivi par choisi ses types, ou que, du moment où il Camille Pissarro, Alfred Sisley, Pierre- les oeuvres majeures. acceptait ce que la réalité lui offrait, il ne se Auguste Renoir, Edgar Degas, Frédéric Sans l'aide matérielle de Caillebotte, ils soit pas attribué le droit, contre lequel je puis Bazille, Berthe Morisot, Armand Guillaumin, subsisteraient avec difficultés et auraient tou- assurer que personne n'eût protesté, de les Paul Cézanne. tes les peines du monde à payer le loyer d'une interpréter plus largement. Les bras de ses misérable chambre. raboteurs sont trop maigres et les poitrines Rejeté des salons officiels, ce petit groupe trop étroites. Faites du nu... mais que votre nu décide de monter sa propre exposition, du Il faut dire que la presse n'est pas tendre soit beau, ou ne vous en mêlez pas! 15 avril au 15 mai 1874, parallèlement au avec eux. Dans la quasi-unanimité, leurs «Je ferai à peu près les mêmes observations Salon. œuvres sont condamnées par les critiques. au sujet du Jeune homme qui regarde à la fenêtre. Les objets matériels ne sont pas mal Ils choisissent comme lieu l'atelier d'un de peints et l'artiste a eu surtout le mérite de leurs amis, le photographe Nadar, au 35, bou- bien les placer à leur plan. Mais n'est-ce pas levard des Capucines. Monet y expose une vue un assez piètre emploi de son temps, de sa du bassin du Havre, peinte en 1872, où l'on Louis Enault (Le Constitutionnel, 10 avril 1876), couleur et de sa toile que de les consacrer à voit un soleil orange tenter de percer la brume porte un jugement sévère sur l'exposition de la peindre le dos d'un monsieur habillé d'un pale- qui enveloppe le port. Il intitule son oeuvre rue Le Peletier. tot de drap brun, acheté à la maison de «Impression, soleil levant ». confection qui est — ou qui n'est pas — au « Et cependant, parmi les dix-neuf noms qui coin de la rue ou au coin du quai? Le 25 avril, dans le journal le Charivari, viennent de s'affirmer très audacieusement, il « Le Jeune homme jouant du piano m'inspire Gustave Leroy, par dérision, traite ces nova- y en a qui appartiennent à des hommes aux- des craintes sérieuses... soit que ce beau teurs d'« impressionnistes ». Il a écrit : quels on ne saurait sans injustice refuser toute meuble en palissandre ne soit pas suffisam- « Impression, impression, je me disais aussi, espèce de talent. On en est donc réduit à cette ment calé, soit que les lois de perspective aux- puisque je suis impressionné, il doit y avoir alternative... de se demander si en organisant quelles, j'ai hâte de le dire, M. Caillebotte se de l'impression là-dedans. » Nul doute que cette exposition les Intransigeants ont cédé à montre ordinairement plus fidèle, n'aient pas Gustave Caillebotte est très intéressé par cette un égarement passager ou s'ils ont entendu été aussi strictement observées, l'instrument exposition. Il est vraisemblable que Caille- porter un défi à la patience du public... de musique menace de devenir un instrument botte connaît déjà Degas par une relation «Que M. Gustave Caillebotte sache son métier de torture ; on craint à chaque instant de le commune, le peintre Bonnat, et qu'il a donc c'est ce qu'il ne viendra à personne l'envie de voir tomber sur ce bon jeune homme qui va déjà rencontré les peintres « impressionnis- contester.