Général L.D. BÉZÉGHER (du C.R ) HISTOIRE DE MERVILLEou Les heurs et malheurs d'une cité flamande

/Général L.D. BÉZÉGHER (du C.R.) HISTOIRE DE MER VILLE ou Les heurs et malheurs d'une cité flamande

Edité sous l'égide du Comité d'Edition de l'Histoire de Merville, Mairie 59660 Merville Dépôt légal 2m. trimestre 1976 - Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

AVANT-PROPOS FLANDREAU LION ! FLANDREFLANDRE AUX LIENS... Ces deux cris paraissent symboliser le destin de notre terroir. Le premier — qui est le cri de guerre des vieux Flamands — rappelle leur légendaire courage tant sur les champs de bataille que dans les durs labeurs de l'exis- tence, tandis que le second, amère constatation d'un anonyme, évoque le sort tragique d'un pays qui, sur cette frontière que constitua longtemps la supérieure, a vécu un grand nombre d'heures douloureuses et passé trop souvent de mains en mains. Passionné d'histoire dès l'enfance, nous avions toujours été frappé par le fait que le passé de Merville — le cher pays de notre famille maternelle, où nous ramenèrent chaque année les vacances scolaires et plus tard l'exode d'octobre 1914 - n'avait jamais fait l'objet d'une étude d'ensemble. Lorsqu'on questionnait à ce sujet nos concitoyens plus âgés, l'on obtenait généralement que des réponses vagues et le plus1 souvent erronées... C'est donc d'abord la curiosité qui nous a incité à entreprendre cet ouvrage que nous envisagions comme un hommage à notre petite patrie, si meurtrie en 1918, mais, par la suite —horrifié par l'ampleur et la fréquence des désastres subis — nous avons considéré comme un véritable devoir de signaler au public non averti que notre malheureuse cité, en un palmarès peu enviable, avait connu entre 879 et 1940 six destructions totales et au moins cinq destructions partielles, auxquelles s'ajoutaient d'innombrables et dévastatrices inondations. Bien entendu, cet hommage s'adresse surtout à nos devanciers qui, grâce à l'exceptionnelle richesse de notre terre et surtout grâce à l'énergie et à la légendaire ténacité de la race flamande, sont toujours parvenus à relever leurs ruines et à rendre à leur ville et à leurs fermes leur belle activité. Ayant constaté combien la croyance populaire locale comportait d'injustice à l'égard de nos alliés anglais à propos de leur rôle en 1918, nous avons été heureux de pouvoir mettre au contraire en évidence le glorieux sacrifice que plusieurs de leurs unités ont consenti pour une défense sans espoir autour de Merville. C'est intentionnellement que nous avons conservé à ce livre la forme d'une suite chronologique et, pour rendre plus intelligible la succession des événe- ments, nous n'avons pas cru devoir nous borner à isoler étroitement la vie locale, mais nous avons voulu à la fois la rattacher à celle des communes voisines et l'intégrer dans l'histoire de la Flandre Maritime, ou flamingante (le « » ou coin de l'Ouest). C'est en effet à celle-ci que — bien que de langue française — elle s'est trouvée étroitement mêlée, puisque, pendant longtemps et pour son malheur, sa situation périphérique en a fait paradoxa- lement la véritable « marche méridionale ». Certes, ce travail comporte de nombreuses lacunes dues à la destruction de nos archives (surtout celle du 11 avril 1918), mais, à défaut des documents eux-mêmes disparus, nous avons eu la bonne fortune d'en trouver une analyse suffisamment explicite dans maints inventaires ayant subsisté et, surtout, dans celui, si complet, que la municipalité de Merville en avait fait dresser avant 1893, sous une forme très claire et suivant une classification maintenant officielle. Il subsiste néanmoins un déséquilibre certain entre le XVIIIe siècle, pour lequel les documents abondent, et le XIXe où ils sont — hélas ! — assez rares. Au fur et à mesure du déroulement des événement sous notre plume, nous avons pu constater l'insuffisance et le caractère parfois tendancieux des informations de certains historiens francophones quant au passé de la Flandre flamingante, mais surtout nous avons pu apprécier le caractère exceptionnel du destin de cette cité qui, — comme en atténuation à ses nom- breux malheurs — n'a connu jusqu'à la Révolution d'autre seigneur temporel que les Chanoines de Saint-Amé de , dont la lointaine mouvance s'est toujours voulue souple et libérale : on sait qu'un proverbe allemand affirme que « l'on était heureux sous la crosse » (abbatiale). Pour ne pas alourdir notre texte, nous avons rejeté « in fine », aux Annexes, l'énumération des multiples fiefs vicomtiers de notre terroir — seigneuries souvent de minime importance et n'impliquant nullement noblesse — ainsi que des notes généologiques et héraldiques sur quelques familles mervil- loises, et de très nombreuses listes. Nous nous excusons d'avoir introduit dans la période contemporaine quelques notes strictement personnelles, mais se rapportant à des faits vécus. Enfin — après avoir souligné que, par une extraordinaire coïncidence, nous avons habité tout enfant à Douai, place Saint-Amé, sur l'emplacement même de la vieille collégiale de nos chanoines — nous remercions ici chaleureu- sement tous ceux et celles, si nombreux qui ont bien voulu nous aider ou nous conseiller dans nos recherches — et tout particulièrement Mme Henriette Frison, le capitaine Édouard Bourel, M. Claude Vanlaer et M. le professeur Louis Trenard. L.D. BEZEGHER (Claix, septembre 1971-octobre 1972) NOTA : 1) Notre couverture porte, à gauche, les armoiries de la ville de Merville, qui, fort anciennes, sont aussi celles du Chapitre de Saint-Amé de Douai. Elles se lisent : « Coupé d'or et d'azur ; à trois fleurs de lis de l'un à l'autre », et à droite, celles de la Flandre : « D'or au lion de sable, armé et lampassé de gueules ». 2) Des énumérations parfois longues d'actes ou de pièces d'archives d'intérêt local ont été groupées en paragraphes imprimés en caractères plus petits ; plus - , spécialement destinées aux Mervillois, elles peuvent être négligées par le lecteur pressé ou étranger au pays. r a la fin de cet ouvrage, les Annexes suivantes : Liste des Prévôts du Chapitre de Saint-Amé. 256 Liste de leurs receveurs. 259 Les Méreaux du Chapitre de Saint-Amé. 260 Les fiefs vicomtiers de Merville. 263 Le texte de la Ghisle (ou coutume) de Merville du 2 septembre 1451. 271 Essai d'une liste des Baillis de Merville. 278 Essai d'une liste des Mayeurs et Premiers échevins de Merville. 280 Liste des Curés de Merville. 282 Liste des Bourgeois de Merville de 1703 à 1722. 284 Notes héraldiques et généalogiques succinctes sur quelques familles notables de Merville. 288 Liste des Mervillois morts pour la entre 1796 et 1962. 302 Liste des victimes du bombardement aérien du 12 juin 1944. 314

ROQUIS ET ILLUSTRATIONS Environs de Merville (extrait de la carte au 1/ 50.000e). 10 Le « Briquet de Bourgogne » , 55 Merville, dans la « Flandria Illustrata » de Sanderus (XVIIe siècle). 74 bis. Le château de La Motte-au-Bois avant 1645. 84 L'Hôtel de Ville de 1720. 118 La bataille de Jersey 1781, par John Singleton Copley. 140 Portrait de J.-B. de Songnis fils. 182 Les ruines de l'église après l'incendie de 1881. 196 L'église Saint-Pierre vers 1914. 206 L'offensive allemande dans les Flandres en avril 1918. 220 Les insignes régimentaires des principales unités britanniques s'étant illustrées autour de Merville en 1918. 224 Les ruines de l'Hôtel de Ville en 1918. 226 Les ruines de l'église paroissiale en 1918. 227 Les ruines de la rue Thiers en 1918. 228 La nouvelle église Saint-Pierre en 1927. 236 Son maître-autel et ses fonts baptismaux. 238-240 Le nouvel Hôtel de Ville et son beffroi. 242 L'église de Caudescure. 244 L'achèvement du pont provisoire sur la Lys par le Génie britannique en septembre 1944. 250 Blasons de quelques familles mervilloises. (2 planches 290 Blasons de quelques familles mervilloises. à l'annexe n° 10) 296 DT) MÊME AUTEUR — Historique du 21" Bataillon de chasseurs à pied (1952) (épuisé) — Le Pays Souabe (1953) (épuisé). — Le Pays de Bade (1954) (épuisé). — Le Pays Rhénan de la zone française d'occupation (1955) (épuisé). — Claix et Pont-de-Claix à travers les siècles (aux cahiers de l'Alpe à Grenoble; novembre 1968). En préparation : — Manuel d'héraldique franco-allemand. — « Galerie » des militaires dauphinois. — Histoire de . Chapitre 1 Le cadre climatique et géographique

Merville, important chef-lieu de canton du depuis la Révolution, est un gros bourg aux confins de la Flandre française et de l'Artois : sa limite sud, marquée approximativement par la Lys, se confond avec celle séparant les départements du Nord et du Pas-de-. Elle est distante à vol d'oiseau de 50 km de Dunkerque, 30 de , 12 d', 14 de la frontière belge et 30 d'Ypres, et fait partie de l'arron- dissement de Dunkerque. Son territoire absolument plat offrirait des horizons illimités s'il n'était coupé dans toutes les directions de haies et de lignes d'arbres. Situé au point le plus bas de la région, il n'est qu'à seize mètres au-dessus de la mer, sur un sol d'argile imperméable à travers lequel l'infiltration des eaux est pratiquement nulle. Il est traversé par trois rivières, au cours forcément lent : — D'ouest en est, la Lys, venue des Monts d'Artois et dont la large vallée rappelle un peu la plaine côtière ; — Du nord au sud, la Bourre, née aux contreforts des Monts de Flandre et confluant avec la Lys à l'ouest de la ville ; — Et au sud, la Clarence, non navigable, qui, descendue aussi des Monts d'Artois, conflue avec la Lys en aval de Merville. Il existe en outre un canal de dérivation de la Lys (depuis 1885) et un canal de décharge de la Bourre. Ce réseau de cours d'eau, complété par d'innombrables fossés d'irrigation, donne à la cité un caractère tout particulier de véritable îlot et même d'obstacle. - Il explique que les inondations soient si fréquentes, en période pluvieuse, à défaut d'une pente suffisante pour accélérer l'écoulement.

D'où la nécessité de multiples ponts et passerelles, soit une quinzaine pour l'ensemble de la localité. Un autre détail caractéristique est la présence à trois kilomètres seulement au nord de la ville de la Forêt de , massif boisé encore important qui n'est plus que le reste d'une sylve jadis beaucoup plus étendue vers l'est — au moins jusqu'au village dont elle porte le nom (en flamand n'Ypen : des ormes). (C'est le même « Veld » qu'on retrouve en Belgique, vers Houthulst). Cette forêt a toujours joué un rôle stratégique important : un ennemi venant de l'est ou du sud hésitant à s'y engager. Elle a peut-être également constitué une frontière linguistique entre le français et le flamand (?). Celui-ci est en effet à peu près inconnu à Merville — où il n'y aurait guère qu'une cinquantaine de personnes à le comprendre vaille que vaille — tandis qu'il est parlé couramment au nord, à La Vierhouck et à Préavin, hameaux avancés de Vieux-Berquin et de La Motte-au-Bois, qui sont bilingues. Avant la guerre de 1914, la population était environ 7 500 habitants ; elle dépasse maintenant 8 600. Toujours mi-urbaine, mi-rurale, elie compte deux hameaux importants : Le Sart et Caudescure, mais la dispersion de la population rurale reste très grande, comme partout en Flandre, en raison de la multiplicité des points d'eau et de l'attachement « viscéral » du paysan à son lopin de terre. Le canton compte six communes, qui groupaient en 1914, 20 800 habitants sur 8 528 hectares. Une seule n'a pas été envahie en 1918 : . Ces six communes parlent le français, mais ont conservé leur patois — pas toujours très harmonieux— dérivé du picard, proche du vieux français et truffé de dérivés du germanique.

Quant au climat, nettement océanique, il est assez rude et souvent brumeux. L'hiver est long et froid, avec une moyenne d'environ 20 en janvier, alors que juillet se maintient vers 18°. Le nombre des jours de gelée, atteint généralement la soixantaine, mais la neige dure rarement. Dégel et humidité détériorent fréquemment les chemins ruraux (ou « graviers ») dont l'empierrement est insuffisant sur un socle trop fragile favorisant une boue tenace. La pluie se répartit à peu près sur toute l'année, avec un maximum en automne. Pourtant, en dépit des apparences, il pleut moins sur la région (avec 700 millimètres en moyenne) qu'à Brest ou Bordeaux, qui reçoivent largement les 800 millimètres. L'ennemi véritable est le grand vent du nord ou du nord-ouest, qu'aucun obstacle naturel ne vient arrêter depuis la mer et qui est particulièrement violent les jours de tempête ou de grande marée. Chapitre II LES ORIGINES Ce chapitre des histoires locales débute habituellement par une analyse de ce qu'était la vie du terroir considéré à l'époque de la préhistoire, d'après les découvertes de patients archéologues ou de chercheurs occasionnels. Dans le cas particulier de Merville, toutes les hypothèses demeurent permises, mais il n'est pas sûr du tout qu'il y ait eu là trace de préhistoire ou de protohistoire. En effet, le cordon littoral bordant la mer du Nord a dû se constituer quelque 2 000 ans avant notre ère, laissant en arrière de ses dunes toute une zone marécageuse et boisée d'un accès difficile, où il est impossible de dire à quel moment exact se sont installés des humains. Cette zone étant encore presque totalement inondée un siècle avant J.-C., peut-être vivait-on là dans de petites cités lacustres (?), dans le genre de ces palafittes retrouvés à Houplin, près de , mais dont aucun vestige n'a été découvert en Flandre maritime. Faute de document manuscrit, il n'est pas jusqu'à l'étymologie même du nom de Merville qui ne soit une énigme, ainsi que nous le verrons plus loin. Le plus vieux nom de ce pays qui soit venu jusqu'à nous est celui d'un lieu situé au bord du Meld (ou Lys, ou Legia, dans la toponymie pré-belge), en amont de Pont d' (le Minariacum des Romains) : Bruël (en latin Broïlus), vocable qu'on retrouve un peu partout en France, sous la forme de Breuil, désignant tantôt un lieu couvert de marais et coupé de buissons, tantôt un « bois humide ». L'histoire ne fournit aucun renseignement valable sur les habitants de la contrée avant l'époque romaine. L'on sait que César, après que ses légions eurent submergé la Gaule, s'en prit aux Morins, riverains du Pas-de-Calais, vers 56 avant J.-C. D'après ses Commentaires : « les Morins et les Ménapes (leurs voisins de l'Est, c'est-à- dire de la Flandre proprement dite) habitent un pays de forêts et de marais derrière lesquels ils s'abritent ». Ces Morins (dont le nom de Morini, probablement celtique, paraît dériver de Mori, la mer) étaient qualifiés par Virgile : « les plus reculés des hommes » (extremi hominum Morini). Ils étaient, suivant Tacite et Sidoine Apollinaire, de grands gaillards roux, moustachus, courageux jusqu'à la témérité, fort habiles dans le maniement de leurs piques et de leurs haches, le plus souvent presque nus, sauf un pantalon serré à la cheville. Leur capitale, ou mieux, leur centre, était Thérouanne (Tarvanna), dérivant du mot gaulois «Tarvos» (le taureau). Aucune autre agglomération (sauf Cassel, de beaucoup postérieure) ne paraît avoir existé, et il n'y avait sans doute que des chaumières ou cabanes plus ou moins groupées, soit au milieu de terres cultivées, soit dans les forêts et marécages. C'est dans ces derniers lieux qu'ils se réfugièrent avec tous leurs biens a l'arrivée de César et, déjà habitués à une vie semi-aquatique, ils bloquèrent sans peine la progression de ses légionnaires à travers la forêt de Nieppe et la région paludéenne de Clairmarais. (La forêt de Nieppe s'étendait beaucoup plus à l'Est : une vaste sylve couvrait alors tout le territoire de Thérouanne à Tournai et de Cassel presque jusqu'aux rives de la Lys). Le chef romain avoue d'ailleurs dans ses Commentaires que ne pouvant les atteindre, il dévasta leurs champs et leurs villages (1), ajoutant : « ... Pendant que César s'attardait chez les Morins pour apprêter sa flotte (en vue d'une invasion de l'Angleterre), beaucoup de leurs tribus font leur soumission..., prêtes à exécuter les ordres de César, qui exigea un nombre élevé d'otages » (2). C'est ce que le Père jésuite Malbrancq, dans son Histoire des Morins », explique en disant que ceux-ci, avec les autochtones occupant la rive gauche de la Lys, auraient fourni le bois nécessaire à la flotte qu'il constituait vers Boulogne et sans doute prélevé sur les futaies de Nieppe... (?) A la longue et en dépit de la répugnance des fonctionnaires romains à venir s'installer dans nos pays de frimas, la pénétration pacifique des conquérants s'opéra et on assista à la naissance du monde gallo-romain. Tacite écrit à ce sujet : « ...Qui voudrait quitter les doux rivages de l'Ausonie (le Bordelais) pour habiter cette terre sans beauté, au rude climat, et où tout revêt un aspect de tristesse, à moins d'y être né?... » Lorsqu'on sait que de Pont d'Estaires partaient quatre des fameuses voies romaines, respectivement vers , Cassel, Werwicq et Tournai, on peut admettre que le Merville de ce temps n'était qu'un maigre habitat rural sans importance, puisque d'Estaires la route partait directement vers Cassel, par Berquin et Caestre (d'après IV Itinéraire d'Antonin, sorte de Guide des gîtes d'étapes probablement rédigé vers 280-290). Vers la même époque, les Ménapes avaient dû glisser davantage vers l'ouest, car Bailleul et Cassel sont encore indiqués au début du Moyen Age tantôt comme leur appartenant, tantôt comme appartenant aux Morins. Notre Bruël fut sans doute occupé par ces Ménapes, qui s'y mélangèrent aux autochtones, et fit partie du petit royaume de Thérouanne englobant presque toutes les terres flamandes au nord de la Lys alors que l'occupation romaine se faisait de plus en plus superficielle et sporadique. Vers l'an 300, Eumène écrivait, dans son Panégyrique de l'Empereur Constance Chlore (« le pâle ») (3) : « Le pays des Ménapes (la plaine flamande) mérite peu le nom de terre ; il est tellement imbibé par les eaux que, non seulement dans les parties marécageuses il cède aux efforts et se dérobe sous les pieds, mais dans les endroits mêmes où il paraît le plus ferme, il frémit sous les pas et semble flotter sur les abîmes... » Pour en terminer avec ces Morins, indiquons que, suivant certains auteurs, ils connaissaient déjà le tissage et vendaient leurs étoffes aux peuples voisins. D'autres vont jusqu'à prétendre qu'ils auraient été les précurseurs de la Sécurité sociale, avec une ingénieuse association ou Guilde, pour venir en aide aux malades et aux malheureux....(?) Vers la fin du IIIe siècle et au début du IVe, les Saxons, venus par mer, et les Frisons, peuple essentiellement maritime, s'installèrent progressivement le long de la côte, tandis que les Francs, délaissant les bords du Rhin et dédaignant les difficultés de celle-ci, se glissaient au sud de la forêt de Nieppe et remontaient le 'cours marécageux de la Lys, aux innombrables « becques » ou fossés, vers le haut Artois et le Boulonnais. Mais, à la fin du IVe siècle, la mer ouvrit une brèche dans le cordon littoral et déferla sur la majeure partie du plat pays, qui fut presque totalement inondé, sans toutefois dépasser à l'ouest le goulet de Watten (suivant J. Gosselet). Les pseudo-« colons » de la côte durent se réfugier en hâte sur les parties encore émergées de ce nouveau golfe, ce qui leur valut l'appellation de « Flamm Wandras », c'est-à-dire « d'errants dans les marais », devenus « Vlanderen », d'où : Flandre et Flamands. Lorsque s'acheva le siècle suivant, le jeune Clovis, maître de Tournai, décida d'annexer à son profit la partie nord de la Flandre Gallicane, déjà occupée par d'autres tribus franques, et il installa ses Francs Saliens au sud de la Lys, entre Scarpe et Escaut (vers 481) ; puis, pour agrandir son domaine cultivable, il fit d'abord alliance avec Chararic, roi de Thérouanne (parfois considéré comme son frère ?). Ayant ensuite assuré ses arrières face à Soissons, il leva le masque et, suivant Grégoire de Tours, fit arrêter Chararic et son fils, les jeta en prison et les fit tondre, puis décapiter, ce qui le rendait maître des deux Flandres. Suivant Lavisse, des propos inconsidérés du fils de Chararic auraient précipité cette fin tragique, mais il est également possible que Clovis ait ainsi tiré vengeance du peu d'empressement montré par Chararic à marcher avec lui contre les derniers fidèles de l'Empire romain, comme Syagrius. Où Douai apparaît dans le destin de Merville Les précisions manquent en ce qui concerne la vie et l'administration du terroir à cette époque, mais déjà naissait une extraordinaire activité d'évangélisation sur toute la contrée. Notre propos n'est pas d'énumérer ici tous les vaillants apôtres qui répandirent dans notre Flandre la foi chrétienne, mais cette évangélisation nous amène simultanément au premier seigneur connu de Merville, Maurand (ou Maurond, ou Maurant) et aux relations qui se maintinrent pendant des siècles, de façon plus ou moins étroite, entre Merville et Douai. (L'on peut noter à ce sujet qu'à l'occasion des fêtes jubilaires qui marquèrent à Douai en juin 1855, le 6e centenaire du Miracle du Saint Sacrement, les deux cités étaient encore qualifiées de « villes sœurs »). Le Cistercien dom Eugène Arnould, d'origine mervilloise (4), et Mgr Henri Dupont, ancien curé-doyen de Merville (5) rapportent en effet — d'après les récits des Jésuites Malbrancq et Martin l'Hermite — que, vers 660, ce leude, qualifié de « duc de Douai », haut personnage riche et puissant, possédait d'importants domaines sur la rivières de Lys, à Bruël. (Force est d'ouvrir ici une parenthèse pour situer Douai dans le cadre de cette tranche d'histoire : Ignorée par César, l'agglomération avait sans doute été fondée au Ier siècle autour d'une forteresse élevée par les Atrébates contre les Nerviens et dite « Tour des Creux », dans l'île qui prendra précisément plus tard le nom de Saint-Amé, au milieu des étangs et des marais de la Scarpe. Ce castrum Duacum, qui devait cette appellation aux deux bras de la Scarpe (« Duae aquae »), formait un rectangle d'environ soixante mètres sur trente et il était, paraît-il, si haut que dans l'avenir il gênait le guetteur du beffroi et dut être abattu. Au temps de l'Empereur Commode, il aurait été assiégé par le duc de Trèves Waricus, pour venger son fils, massacré à Rome (?). Par la suite, Douai servit de refuge aux populations de l'Ostrevant, mais l'écroulement de l'Empire romain et le déferlement des invasions barbares (notamment celles des Vandales et des Saxons) amenèrent sa ruine quasi totale. Pendant plusieurs siècles, la ville presque déserte et sans défenses, fut détrônée par sa voisine Lambres — devenue port, marché et résidence royale — et elle n'était plus que « Duacum apud Lambras » (Douai près Lambres). C'est seulement au Vie siècle que Douai retrouva sa primauté locale, avec Théobald, roi des Francs. Et c'est plus tard encore que les deux petits-fils de celui-ci, Aaaioald et Erchinoald, élevés à la cour de Clotaire II, commen- cèrent la reconstruction du château, à leur retour en Flandre, vers 630. Selon Martin l'Hermite, leur dessein était d'attirer autour de cette belle demeure — à la magnifique église dédiée à la « Reine des Anges » — leurs voisins de Lambres et d'y amener peu à peu tout le trafic commercial de l'Artois vers la Flandre. La réalisation de ce projet aurait été laisée aux soins d'Erchinoald, tandis que son aîné, Adalbald, allait guerroyer en Gascogne, y prenait pour épouse Rictrude, fille du Seigneur Elrold, de Toulouse, puis y revenait pour s'y faire tuer au cours d'un complot ourdi contre sa personne, en 652, près de Périgueux. Adalbald avait par ailleurs recueilli la meilleure part de l'héritage paternel : le château de Boiry, en Artois, de grands domaines en Pévèle et en Ostrevant, ainsi que de belles seigneuries au bord de la Lys, que Martin l'Hermite appelle « la moelle de la Flandre »). Devenue veuve, Rictrude aurait fondé l'abbaye de et s'y serait retirée aves ses trois filles, en en devenant l'Abbesse. Son fils Maurand aurait eu pour parrain le grand saint Riquier qui, au cours de ses tournées d'évangélisation de l'Ostrevant et du Hainaut, séjourna effectivement à Douai, chez Adalbald et Rictrude, vers 630-640. Le fait est confirmé par le martyrologe de l'abbaye Saint-Riquier (ex-Centule) en Picardie qui fixe au 5 mai la fête de saint Maurand. Jusque-là et malgré l'absence de texte de l'époque, on demeure dans les limites du vraisemblable ; c'est ensuite qu'on tombe dans le domaine de la légende et que s'affrontent les chroniqueurs : Vient d'abord l'assertion de Malbrancq indiquant que Maurand serait né à Auxi-le-Château, chez son oncle Sigefroi, époux de sainte Berthe, fondatrice du monastère de Blangy-sûr-Ternoise —opinion unanimement rejetée (6). Puis les chroniques d'Alcuin et d'Hariulfe (7) nous rapportent sensiblement ce qui suit sur ce qu'on a appelé « le Miracle de saint Riquier », ou « la Tentation de l'esprit malin »: « ...Saint Riquier avait visité Rictrude, sa pieuse et illustre commère ; on avait beaucoup parlé des choses de Dieu.... L'heure de la séparation étant arrivée, Rictrude avait accompagné saint Riquier pendant quelque temps, selon l'usage du pays, portant dans ses bras son petit Maurand, afm que son père spirituel lui donnât encore une dernière bénédiction avant de le quitter. Au moment du dernier adieu, lorsque le saint Abbé prend le jeune enfant pour l'embrasser et le bénir, l'antique ennemi, jaloux de la grâce, des heureuses dispositions et du glorieux avenir de Maurand, se prit à tour- menter le cheval que montait l'homme de Dieu. Excité par une fureur inconnue, l'animal commence à battre du pied, à mordre son frein ; bientôt il frémit de tous ses membres et s'élance à bride abattue à travers la plaine. Qu'on juge des terreurs et des angoisses de la pauvre mère !... Elle se couvre la face pour ne pas voir son enfant emporté avec son père spirituel dans un galop vertigineux. La suivante pousse des cris et se tord les bras de désespoir... Or, le bras qui avait soutenu saint Pierre sur les flots au moment où il allait plonger, protégea aussi l'enfant et l'empêcha de se briser la tête : grâce à la prière fervente du serviteur de Dieu, il tomba doucement à terre comme un petit oiseau soutenu dans sa chute par ses ailes déployées, et la mère, quand elle accourut pour le prendre dans ses bras, le trouva souriant et sans aucune blessure. Le cheval s'était aussi calmé et était redevenu aussi doux que de coutume... ». La fondation du monastère de Bruël, prémice de Merville Maurand, ayant grandi en savoir et en sagesse sous des maîtres éminents, suivit son oncle Erchinoald, devenu maire du Palais du Roi de Neustrie, mais malgré les assertions d'Hariulfe, il semble bien qu'il n'ait pas été le chancelier du roi Dagobert. Bientôt, las des honneurs et de la vie du siècle, il suivit l'exemple de sa mère et de saint Amand et décida de se retirer dans la solitude et la paix du cloître. (Peut-être était-il honteux de la conduite de son oncle Erchinoald, à qui saint Ouen - dans sa «Vie de saint Éloi » - reproche des crimes graves et surtout une cupidité et une avarice forcenées. Il est toutefois équitable de dire que d'autres historiens n'ont au contraire que des louanges pour lui... ?). C'est ainsi que Maurand fut amené à fonder sur son patrimoine de Bruël un monastère sous la règle de saint Benoît. Suivant le père Malbrancq, il aurait accueilli dans le voisinage de celui-ci son parrain, saint Riquier, lorsqu'il décida de vivre en ermite, mais il s'agit d'une erreur d'un copiste de la chronique d'Hariulfe, qui a confondu Creciacum et la forêt de Crécy, avec Tristiacum (a) et la forêt de Nieppe (Nepi). Par ailleurs, Malbrancq prolonge la vie de saint Riquier jusqu'en 671 et place son passage à la vie érémitique en 645, date qui paraît plutôt celle de sa mort et à laquelle le jeune Maurand n'avait qu'une quinzaine d'années... Autre sujet de controverse entre les historiens : les uns font mourir Maurand dans son abbaye de Bruël en 701 ; les autres affirment qu'il s'était démis de sa charge longtemps auparavant et s'était retiré comme simple moine bénédictin au couvent de Marchiennes, fondé par sa mère Rictrude, morte en 688. Cependant, en dépit de multiples incertitudes et contradictions, il est généralement admis que le successeur de Maurand à la tête de son monastère fut saint Amé, évêque de Sion, en Valais (et non de Sens, comme il a été parfois écrit). Ce dernier, exilé par Ebroïn, successeur d'Erchinoald comme maire du palais de Thierry III — pour avoir blâmé les agissements de certains officiers royaux au nom d'Ebroïn— se serait d'abord réfugié auprès de son ami Ultan, abbé de Fourcy-les-Péronne, puis aurait été « assigné à résidence » dans notre abbaye de Bruël, « au milieu de marais et de bois qui rendaient l'endroit presque inabordable ». Voici l'essentiel de ce que raconte dom Arnould à se sujet : Maurand aurait accueilli avec empressement son « captif » qu'il aurait rencontré aux portes de , et se serait jeté à ses pieds — un miracle lui faisant présager la sainteté d'Amé, qui « avait déposé ses gants et sa coule sur un rayon de soleil ». L'événement était jadis dépeint sur un tableau qu'on pouvait voir dans l'ancienne église de Merville, avec pour légende le quatrain suivant : 0 fortunée rencontre, ô présage divin, Que Mauront et Amé s'entr'aiment enfin ! Tu en dois, Brusleville, recevoir la lumier Et le nom et la vie et le salut entier. A leur passage à Hamage et Marchiennes, Rictrude joignit ses instances à celles de son fils pour prier l'évêque d'accepter la direction de Bruël. Amé y consentit et le duc de Douai redevint simple religieux sous la houlette du saint et éminent prélat. D'après le Père Malbrancq, il existait aussi autrefois dans notre église un autre tableau qui représentait la passation des pouvoirs entre les deux saints, le démissionnaire disant : « Au prélat auquel je me confie, je remets ma personne et mes biens » ; et Amé répondait : « J'accepte volontiers le don que vous me faites de votre personne et de vos biens ». Poursuivant avec ses moines l'évangélisation de notre région, il la parcourut souvent, baptisant, construisant des chapelles, le plus souvent en bois —la première étant celle qu'il consacra à (en flamand : église en , bois). Les églises de Nieppe et de Lestrem sont sous le vocable de saint Amé, auquel on a parfois donné le titre de « coadjuteur de l'évêque de Thérouanne ». : Ayant gouverné cinq (ou dix ?) ans Bruël, il se démit de ses fonctions et se retira dans une cellule, à l'emplacement futur de la prévôté du Chapitre (au nord de l'égl;se Saint-Pierre de 1881), pour se préparer à la mort dans une solitude absolue. On rapporte qu'à sa mort, en 687, son cadavre exhala un parfum « sublime », et on trouva autour de son cou un morceau ds fer (anneau ou chaîne) qu'il portait pour sa mortification. Maurand, redevenu Abbé de Bruël, recueillit avec beaucoup de vénération les restes de saint Amé et les plaça près de son oratoire, où ce sépulcre aurait attiré de nombreux miracles. Doté avec munificence par son Abbé, le monastère ne tarda pas à s'entourer d'une agglomération qui aurait pris le nom de Maurontville (Monrontisvilla), effaçant celui de Bruël, pour devenir plus tard Merville. Cette étymologie, d'abord généralement admise, est maintenant révoquée en doute, en raison du fait qu'il existe en France trois autres Merville et un Mervilla — en Haute-Garonne, Somme et Calvados — qu'il ne saurait être question de faire dériver de Maurond... C'est pourquoi certains philologues ont été tentés de suivre la graphie de ce Salperius, d', qui, au XVI' siècle, indique qu'il a fait ses études dans une institution de « Minorvilla, prope Lyssam » (près de la Lys), ce qui pourrait s'accueillir comme impliquant l'existence d'une seconde agglomération, profane et moins importante, auprès de celle des fils de saint Benoît : acception paraissant vraisemblable ! Toutefois Mgr Henri Dupont (8) indique une autre prononciation de la première version étymologique liée au nom de Maurand : celle de Merinvilla, issue d'une transposition picarde du même nom : Merin. Cette acception paraît plus satisfaisante pour l'esprit, en raison du fait que la Ghisle (ou coutume) de Merville de 1451 emploie le terme de Merinville et qu'il existait avant 1914 à la bibliothèque municipale de Lille un exemplaire de la règle de saint Chrodegang pour les Chanoines de Metz (qui fut généralement adoptée par les autres chapitres) avec cette mention latine : « Hic liber allatus a Merinvilla remanere debet ad usum Canonicorum et collegii Domini Amati » (c'est-à-dire : ce livre emporté de Merinvilla doit demeurer à l'usage de la Collégiale Saint-Amé). Pour en terminer avec cette trop longue digression linguistique, ajoutons que : — Dans les archives du monastère des Bernardines de Beaupré, près de (dont il sera parlé plus loin), on relève — mais là seulement — Merville désignée sous le nom de Morienne ; — Sous la plume des Bollandistes, Merville garde son appellation flamande de Merghem (ville des marais), reproduite sur les cartes jusqu'au XVIe siècle, i notamment la Flandria de Guichardin (Descrittione de tutti Paesi Bassi) éditée chez Plantin en 1588, ou de Mergem, sur la carte de Flandre de Tramezini (I 555) (La Motte-au-Bois, gardant son appellation flamande : ter Walle) ; — L'abbé Vanhove - dans son « Essai de statistique féodale de la Flandre Maritime », page 216 — mentionne une seigneurie de Merghem, située sur le territoire de . (Enfin, à titre documentaire, signalons l'appellation curieuse, trouvée sur la carte de J.-S. Montensi, de la fin du XVI' siècle, pour la Motte-au-Bois : « Le Chidemont... »). L'église initiale de Bruël s'avérant trop petite pour contenir à la fois les moines, les pèlerins et les habitants en nombre toujours croissant, Maurand en fit bâtir une grande — « à une portée de mousquet de là » — et y ajouta vraisemblablement de nouveaux bâtiments conventuels plus vastes. On y transporta le corps de saint Amé. Le tout fut consacré en grande pompe par saint Bain, 5 e évêque de Thérouanne, le 28 avril 698, peut-être en présence de saint Omer (?). Les Capucins s'installèrent en 1617 sur le même emplacement, occupé ultérieurement par le Magasin des Tabacs, et actuellement, depuis la Grande Guerre, par la brigade de Gendarmerie. Selon dom Arnould, le sucesseur de saint Maurand comme Abbé, se nommait Hacbert. On ne sait si c'est lui qui, avec l'évêque de Thérouanne Reynald, assista aux obsèques de saint Venant, fils d'Amalberge, comtesse de Hainaut, assassiné dans son ermitage en 762 (?). Notes et références du chapitre II 1. Commentaires de César. Livre II, 28 et 29. 2. Commentaires de César. Livre IV, 22. 3. Chanoine Coolen. La Morinie ancienne, Saint-Omer, 1959, p. 10. 4. Dom Eugène Arnould. Bruël, Les origines de Merville, Lille, 1909. 5. Mgr Henri Dupont. Bulletin du Comité flamand de France, 1965, p. 181. 6. Malbrancq, de Morinis, tome I, p. 371. 7. Hariulfe. Chroniques de Centule, livre I, chapitre XVI. 8. Mgr Dupont, op. cit., p. 187. (a) Suivant« Tristiacensis la chronique sylva » l'anciennede l'Abbaye forêt dede Nieppe,Saint-Riquier, très denseAlcuin et trèsappelait sombre. Chapitre III Sous les Comtes de Flandre (863-1384)

Bien que certains auteurs — comme le Docteur Sproemberg et le Chanoine Léman— tiennent Baudouin le Chauve comme le fondateur du Comté de Flandre, il semble bien que ce soit son père, Baudouin 1er, surnommé Bras- de-Fer, qui en fut pratiquement le premier seigneur. En effet, ayant enlevé en 862 Judith, veuve d'un roi d'Angleterre et fille du Roi Charles le Chauve, il contraignit ce dernier à l'accepter pour gendre et reçut de lui l'année suivante tout le pays entre Somme, Escaut, Meuse et la mer,, sous la condition de la défendre contre les Normands : il devenait bien ainsi, au sens initial, le « marquis », c'est-à-dire « le défenseur de la marche » des Flandres. On ne sait s'il revendiqua immédiatement la possession de Douai, mais celui- ci fut abandonné dès 863, par les Princes d'Ostrevant, qui transportèrent leur capitale à . Les Normands La prospérité amenée par une longue période de trêve fut anéantie par le déferlement des invasions saxonnes ou normandes qui ravagèrent la région pendant plusieurs lustres. Dès 836, la Belgique, subit l'assaut des Normands. En 845, Saint-Riquier et sa riche abbaye avaient été quasi rasées, puis vint le tour de Thérouanne en 851. Elle fut ensuite entièrement brûlée et démolie par les Danois en 881. Elle resta vingt ans déserte ; son abbaye de Saint-Jean du Mont ne fut rebâtie que cinquante années plus tard; quand les Comtes Arnoul le Grand et Baudouin IV entreprirent la reconstruction de la capitale de la Morinie. Suivant les Annales de Saint-Bertin, les pirates norniands remontant l'Escaut et la Lys arrivèrent devant Merville en 879, en détruisirent l'agglomération et l'abbaye, tandis qu'Aire et Estaires étaient également incendiées. Nos Bénédictins et leur abbé Eruanic, se seraient alors enfuis et réfugiés à l'abbaye Saint-Médard de Soissons, en emportant le corps de saint Amé. (Il semble que Bourbourg, que le comte Baudouin II avait entourée de fossés et de remparts vers 900, aurait échappé à cette deuxième série des invasions barbares ?) Très rapidement Merville voit se regrouper sa population dispersée par les envahisseurs, puis s'accroître: dès l'an 1000 le prêtre Évrard de Merville, donne 40 livres pour aider à la constitution de la XIXe prébende .du Chapitre de Saint-Barthélémy à Béthune. Mais vers 970, les moines de Merville, renonçant à rebâtir leur couvent, reviennent à Douai, ramenant avec eux non seulement les corps des saints Amé et Maurand, mais aussi ceux des saints Gourdinel et Onésime (?) Ils y fondent alors une Collégiale dédiée à saint Amé et se transforment en un Chapitre de Chanoines suivant la règle de saint Chrodegang, inspirée de celle de saint Benoît, — dont nous avons dit qu'ils la connaissaient avant leur départ de Merville. (Des documents postérieurs affirment que les moines auraient fui Merville une première fois vers 870 pour se réfugier à Douai, mais on n'en trouve aucune confirmation... ?) Parallèlement à l'organisation des quatre châtellenies du Westhoek (Bailleul, , Bourbourg et Cassel) s'organise et se développe la châtellenie de Douai, avec, comme fiefs secondaires les plus importants : les seigneuries de Montigny, Estrées, , et Lécluse. Toutefois, les chanoines du nouveau Chapitre de Saint-Amé, enrichis de larges donations du Comte Arnoul, —en reconnaissance d'une guérison miraculeuse due à ce saint —, conservent et conserveront jusqu'à la Révo- lution leurs biens anciens de Merville. (Il est incontestable que la base la plus solide et la plus nette de ce Franc- Alleu (terre de libre et pleine propriété, affranchie de toute servitude et avec toute juridiction) remonte à la visite de repentir que fit Thierry III à Brüel, au tombeau de Saint-Amé, entre 683 (date de l'assassinat du cruel Ébroïn) et 687 (ou 691, mort de Thierry). Ce dernier non seulement confirma aux Bénédictins les dons de Maurand, mais y ajouta les siens propres, comme il avait doté richement au passage l'abbaye de Saint-Vaast d'Arras et l'abbaye reconstruite de Saint-Jean de Thérouanne.) Dès leur installation nouvelle, les Chanoines reçurent en outre une partie des droits d'afforage et d'étalage perçus sur les habitants de l'agglomération de Douai, — qui seront dès lors connus sous le vocable « d'hommes de Saint- Amé ». Ceux-ci, ainsi que les officiers du bailliage, occupaient la partie basse du terrain autour du château, où se tenaient les marchés, les foires et les plaids, — tandis que les vassaux du Chapitre, ses clients, les parents et amis des chanoines se réunissaient sur un autre terrain, à l'opposé de celui-ci. Suivant les assertions d'Hariulfe, il est possible que les moines de Saint- Riquier, en Picardie, aient possédé vers cette époque, aux environs de Merville ou Merghem, le domaine de Mermort, ou Merimont; —avec une chapelle de Maris et ses manses, cité dans un dénombrement de 831 et une charte de 844 ; d'après dom Cotron, Merimont est encore cité dans une Bulle du Pape Alexandre, datée de 1172, sur les privilèges de cette abbaye, mais on ne sait s'il a été ensuite échangé ou vendu, pas plus qu'on ne trouve la moindre précision sur son emplacement exact (?). Toutefois ceci doit être accueilli sous toutes réserves. En effet, le savant Abbé d'Oudenbourg paraît avoir fait une confusion de lieux : La Chronique de l'Abbaye de Saint-Riquier indique que son XVIII' Abbé, Ingelard (de 981 à 1020) aurait fait « une précaire du domaine de Miremont, sur les confins du Pays de Liège, « à un chevalier nommé Hubert », et plus loin, qu'un miracle se serait produit « au village de Mérimont, près de Liège, soumis « de temps immémorial à Saint-Riquier... » (Acta Sanctorum ord. Ben. Tome VII). C'est le moment où s'installe dans toute la région une féodalité nombreuse, dont les plus anciens représentants passent généralement pour avoir été, en Flandre maritime, les barons d'Haverskerque, puisqu'un Rodolphe d'Haverskerque est connu dès 1047. Et pourtant dom Arnould (1) affirme que la même année on vit avec étonnement le comte Jean de Houtkerque céder une partie de ses revenus aux moines de Brüel : il s'agissait sans doute d'une dette de reconnaissance envers les Chanoines de Saint-Amé (?) Le Chapitre de Saint-Amé devient le seigneur légitime de Merville D'emblée les Comtes de Flandre avaient revendiqué l'avouerie (c'est-à-dire la protection qui aboutissait le plus souvent à une main-mise déguisée...), de Merville. Pourtant, les Chanoines obtinrent dès 1076 deux « diplômes » consacrant leurs droits et leurs biens de Merville qui allaient sans cesse croissant, puisqu'on trouve aux Archives la trace de donation qui leur furent faites en 1024. Ces diplômes, qui sont les premiers matériaux écrits de. cette histoire, émanaient l'un du Comte Robert le Frison, l'autre du Roi de France, Philippe 1er, —disant notamment: « ...totam Merinvillam, ab antiquis Broïlum nominatum, juxta Lisis fluvii decursum sitam, cum silvis, pratis, molendinis ; terris cultis et incultis, cum decima, cumque omni respectu persolvende legis. » (c'est-à-dire « ...Tout Merville, autrefois appelée Broïlus, au bord de la rivière de la Lys, avec ses forêts, ses prés, ses moulins, ses terres cultivées ou non, avec sa dîme et tout ce qui a trait à la justice. »). C'est bien là le texte qui faisait des Chanoines de Saint-Amé, et ce jusqu'à la Révolution, les seuls maîtres de la seigneurie allodiale de Merville. Le Chapitre, qui avait tous les droits de justice, était représenté sur place par un mandant du Prévôt, qui en était le dignitaire le plus important, choisi parmi les chanoines par leur suzerain et qui était aussi de droit Chancelier de l'université de Douai. (après 1560). Le Doyen, élu par les chanoines, en était vice-chancelier, et, ultérieurement, l'évêque de Boulogne fut toujours du nombre de ceux-ci. Les deux documents ci-dessus, se virent encore renforcés par une recon- naissance de l'évêque de Cambrai, Gérard III, en 1081, et une autre du Pape Pascal II, en 1104. Mais déjà en 1081 avaient commencé les contestations sur la juridiction de Merville : Le Comte Robert le Vieux, tout en reconnaissant les propriétés allodiales du Chapitre, prétendait que celui-ci n'avait droit qu'à un « bailli d'hostes », c'est- à-dire exerçant seulement la juridiction foncière, alors que lui-même avait le droit de désigner un vrai bailli et se réservait à la fois la haute justice et la propriété de la rivière de Lys. (Nous verrons plus loin comment cette question fut résolue par un arbitrage en 1265.) En cette fin du XI' siècle, l'œuvre de défrichement entamé par les moines de toute obédience se poursuit et c'est probablement à ce moment que la forêt de Nieppe (qui doit son nom au flamand « het bosch van Ypen », la forêt d'ormes) commence à se rétracter vers l'Ouest. C'est en 1084, que Gérard, évêque de Thérouanne, accorde exemption de toute redevance aux religieux de Saint-Martin de Marmoutier, près Tours, venus résider dans le village de Nieppe (Niepkerke), - certainement en vue de ce défrichement - « sous réserve de deux sols de rente annuelle à payer par eux à « l'église-mère ». Ce serait vers 1105 que Robert le Frison aurait fait construire au centre de ladite forêt une forteresse, le château de La Motte-au-Bois — à la partie la moins dense — pour mettre les Flandres à l'abri des attaques des gens d'Artois venant de l'Ouest. C'était en quelque sorte une prolongation de la longue tranchée que le Comte Baudouin V de Lille (1035-1067) avait fait creuser artificiellement pour servir de frontière entre les deux provinces et connue sous le nom de Neuffossé. Celui-ci partait du château de Rihout, à la lisière ouest de la forêt de Clairmarais et était jalonné par plusieurs fortins : Scram, le Fort Rouge, Pont-Asquin, avant de rejoindre Aire-sur-la-Lys. Le canal qui prendra ultérieurement son nom passera en réalité un peu plus à l'ouest, empruntant en grande partie l'ancien lit du cours supérieur de l', à l'époque lointaine où il était affluent de la Lys. Il sera reparlé par la suite assez longuement de ce château de La Motte-au- Bois, qui fut souvent le douaire des Comtesses de Flandre. Mais il faut souligner que cette châtellenie fut le siège d'une seigneurie particulière, dans le sein même de la Châtellenie (ou Noble Cour) de Cassel. Elle était formée de cinq juridictions : La Motte même, Merville, Borre (parfois appelée La Bourre dans les textes anciens), Préavin, et Pradelles, pour les délits de moyenne justice. Seuls, dans certains cas, les délits fores- tiers et ceux de pêche commis par des Mervillois lui étaient soumis. (Par ailleurs, il n'est pas sans intérêt de noter qu'Aire-sur-la-Lys, — dont le château existait sûrement dès 1059 — possédait dès lors une sorte de « commune », dite « Amitié », qui avait vocation de rechercher le bien et la paix publics). Au siècle suivant, avec l'approbation du Comte, ses représentants ou jurés, se transformèrent en échevins. Enfin, Vieux-Berquin existait sans doute déjà à cette époque, puisque, — quoique le premier seigneur connu portant le nom de Berquin, Boissia, ou Broissia, de Berquin, ne soit cité qu'à partir de 1202 — il est forcément anté- rieur à Neuf-Berquin (qui est toujours Sud-Betquin pour les Flamands) créé seulement par le Comte Thierry d'Alsace, petit-fils de Robert le Frison, qui vécut de 1128 à 1168. En ce qui concerne Douai, c'est en 1139, que le corps de Saint Maurand fut placé dans une magnifique châsse en argent massif, ornée de sept colonnes et de douze statues d'apôtres et d'anges. Le transfert fut opéré par les chanoines Gossuin (plus tard Abbé d'Anchin) et Alvisus, futur évêque d'Arras, dans le diocèse duquel était alors Douai. Et, en 1191, on décida de recontruire l'église collégiale de Saint-Amé, dont les travaux étaient assez avancés en 1206 pour qu'on put procéder là à une nouvelle translation des reliques de Saint Amé. (2) En 1143, Didier, Prévôt de Saint-Amé, cède à Milon, évêque de Thérouanne, l'autel de Merville, ne s'en réservant que le personnat (c'est-à- dire la préséance sur les autres religieux présents à un office). Ceci sera renouvelé par une confirmation de 1198 et en 1176, l'autorisation est donnée d'édifier un oratoire à Merville. Les Cisterciens s'installent à Préavin vers 1150. Un Guillaume de Caudescure figure aux Croisades en 1200 et Neuf-Berquin se détache, en tant que paroisse, de celle d'Estaires dès 1239. Premiers conflits entre la Flandre et la France Dans l intervalle s'étaient déroulés des événements dramatiques pour notre région : Le Comte Philippe d'Alsace (1157-1191) parrain du futur roi de France Philippe-Auguste, couronné en 1180, fut d'abord son conseiller et le maria à sa nièce, Isabelle de Hainaut. Les deux hommes, aussi autoritaires et ambitieux l'un que l'autre, ne tardèrent pas à se heurter, —le Comte de Flandre rêvant de supplanter le Roi et celui-ci voulant récupérer le Vermandois, l'Amiénois et le Valois, que son parrain tenait de sa femme. Ils partirent séparément à la troisième croisade en 1191, mais le Comte Philippe — qu'avaient accompagné notamment Conon de Béthune et Josse de Méteren — mourut devant Saint-Jean-d'Acre. Son successeur fut Baudouin IX, frère de la Reine —lequel, devenu Empereur de Constantinople en 1204, devait mourir prisonnier des Bulgares l'année...... suivante. (Conon de Béthune, né vers 1150, était le frère de Guillaume II, dit le Roux, époux de Mahaut de Termonde, qui prit le titre d'avoué de Béthune en 1194, se croisa en 1200 et revint en 1205. Conon se distingua à la fois comme diplomate, comme guerrier et comme poète patoisant. Il joua un grand rôle dans la fondation de l'Empire latin de Constantinople, dont il fut le sénéchal et plusieurs fois le régent, notamment en 1220. Il mourut en 1222 et sa mort fut considérée par les Croisés comme une calamité publique. Pour sa part, de la conquête, il avait reçu , la seigneurie d'Andrinople. On a de ses poésies dans la bibliothèque du Vatican, celles de Berne et de Paris. Elles ne roulent pas seulement sur l'amour. Conon s'était déclaré « admirateur » de la Comtesse de Champagne, Marie de France, veuve d'Henri Ier et fille d'Éléonore de Guyenne. (d'aorès la chronique de Lambert d'Ardres. Paris, 1855 p. 456). Mais, aussi ambitieux que son prédécesseur, Baudouin chercha à s'emparer de l'Artois, encouragé par les Artésiens eux-mêmes, et, dès le 1er janvier 1977, ses hérauts allèrent sommer Philippe-Auguste de restituer l'Artois. Sur le refus du Roi, Baudouin, à la tête de ses troupes, occupe Douai, Roye et Péronne, mais échoue devant Compiègne et revient mettre le siège devant Arras qui résiste, tandis que le Roi, ayant pris personnellement le comman- dement de son armée, s'approche pour débloquer la place. Baudouin est contraint de se retirer vers le nord-ouest et manœuvre pour attirer l'armée française en deçà de la Lys, dans cette région, encore couverte à l'époque de boqueteaux et de marais. Cette armée traverse la Lys et pille consciencieusement Estaires et Merville, mais le souverain constate alors, en arrivant vers Steenvorde, qu'il a été attiré dans un traquenard : En effet, routes et ponts sont coupés autour de lui, vivres et renforts inter- ceptés ; les troupes demeurent là trois jours sans ravitaillement. Sur l'avis des chefs de l'armée, Philippe-Auguste décida de s'arrêter et envoya des émissaires auprès de Baudouin IX. Suivant un commentateur, il était temps : « ...Les milices flamandes entouraient le camp royal et déjà les « femmes elles-mêmes accouraient pour prendre une part glorieuse à « l'extermination des ennemis... » Le même décrit ainsi l'attitude du souverain lors de l'entrevue qui eut lieu à Bailleul : « ...Dès que le Roi aperçut le Comte, il descendit de cheval pour le saluer, protestant humblement que — bien qu'il eût envahi la Flandre avec une armée — il n'y était venu que pour engager Baudouin à une réconciliation sincère ; qu'il se souvenait d'ailleurs que le Comte de Flandre était son vassal et l'un des pairs du royaume, et qu'il était prêt à lui restituer l'Artois et tous les châteaux enlevés à ses domaines ?... » Il proposa alors pour le 18 septembre 1197 une assemblée solennelle entre Vernon et Les Andelys, — au cours de laquelle il confirmerait ces enga- gements. Mais, une fois hors de danger, il s'abstint de tenir « des promesses qu'on lui avait arrachées par la force... », disait-il. Baudouin, furieux, reprit les hostilités, enlevant Saint-Omer en octobre 1198, puis Aire-sur-la-Lys et plusieurs autres villes. Pour se venger, Philippe-Auguste tenta de faire excommunier toute la Flandre par l'archevêque de Reims, mais le Pape désapprouva cette excom- munication, si bien que le souverain dut s'incliner : par le traité de Péronne, en janvier 1200, il rendait au Comte de Flandre tout le Nord de l'Artois, avec Saint-Omer, Aire, Lillers, Ardres, Béthune et le fief de Guines. Merville demeurait donc flamande...... Un événement local mérite d'être signalé vers 1212 : la création d'un couvent de Bernardines (de l'ordre de Citeaux), qui fut dit l'Abbaye de Beaupré (Bellum Pratum) parce que situé dans une riante prairie près du moulin de La Gorgue, au confluent de la Lys et de la Lawe, où il est encore marqué par une ferme de ce nom. Il s'agissait en réalité de la transformation d'un prieuré plus ancien, dit « l'abbaye de la Fosse », dont la dernière Prieure, Marie, devint l'Abbesse de Beaupré. Celui-ci, qui reçut nombre de donations, fut rapidement très riche. En parti- culier, Eustasie, sœur du comte de Saint-Pol, accorda dès 1232, aux « nonnainnes de Beaupré » le droit de moudre leurs grains sans redevances au moulin de La Gorgue et, parmi les nombreux biens qu'elles possédèrent dans la région jusqu'à la Révolution, se trouvait notamment la seigneurie de La Morianne (ou Maurianne), fief vicomtier en Estaires, jouxtant 'Merville. (Au XVIIe siècle, une des Abbesses fut une Mervilloise, Anne Facon, morte . le 22 septembre 1649, et l'on trouve plus tard une des religieuses de Beaupré, Barbe-Alexandrine Boudeville (ou Boudville) peut-être aussi Mervilloise, sur une liste d'émigrés du Nord). (3)...... Bientôt renaissaient pour les Flandres les pires difficultés. Dès 1212,- Philippe-Auguste mariait à Ferrand de Portugal Jeanne de Constantinople, — une des deux filles de Baudouin IX, dont la mort l'avait fait le tuteur — mais son autoritarisme, suscita bientôt mille rancunes chez les vassaux du nouveau Comte, lequel, excédé, lia finalement alliance avec Otton IV de Brunswick et Jean sans Terre, contre son souverain. La flotte royale fut brûlée par les Anglais devant Damme, mais Lille, prise et reprise par le Roi, fut incendiée en 1213. Puis ce fut Bouvines (27 juillet 1214) , victoire chèrement acquise qui valut à Philippe-Auguste de nombreux partisans dans les rangs de la noblesse et de la bourgeoisie flamandes, tandis que Ferrand, fait prisonnier, était mis au ca- chot pour douze ans. L'armée du Roi détruisit Cassel, Steenwoorde et Bailleul, et son fils Louis alla battre en Anjou le roi d'Angleterre Jean sans Terre. Troubles et conflits se prolongèrent jusque vers 1220. Les différends entre le Chapitre et la Comtesse de Flandre Quatre ans plus tard, soit en 1224, Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre, soulève un différend qui l'oppose à la Collégiale de Saint-Amé au sujet du village canonial de Merville : Une sentence arbitrale antérieure rendue par deux ecclésiastiques non dénommés l'avait condamnée à payer au Chapitre une indemnité de 40 livres, sous peine d'excommunication mais elle refusait de s'incliner (4). La querelle rebondit et le Chapitre demande alors que la Comtesse lui reverse 200 livres pour les dommages subis par lui et ses hommes qu'elle ne protégeait pas suffisamment et convoquait indûment au premier ban de son « ost » (armée) (alors qu'elle ne pouvait le faire que pour le second et sa défense propre). Dans l'intervalle, le Bailli de la Comtesse avait provoqué un incendie à Mer- ville (?) Son mandataire devant les arbitres était le Sire Gontier. Ceux-ci devaient être trois : Bigardes, archidiacre d'Anvers, J. de Béthune, chanoine et officiai de Cambrai, mais le troisième, Barthélémy, abbé de Saint-Aubert de Cambrai, avait fait défection. Après dix jours de discussion, ils donnèrent entière satisfaction au Chapitre, qui était remis en possession du marché local. Cette fois, la Comtesse s'inclina par lettre du Quesnoy du 22 janvier 1225 (ce que confirma le comte Ferrand en 1227) (5). Les biens du Chapitre continuaient par ailleurs à s'accroître et il reçut de nombreuses donations entre 1223 et 1269. En 1226, Guillaume V, châtelain de Saint-Omer, reconnaissait aussi les droits dudit Chapitre. Merville continuait ainsi à jouir d'une relative indépendance, dans la mouvance des Chanoines de Douai, grâce à son statut particulier, et d'aucuns ont voulu voir dans ce fait, une raison de la prédominance cons- tante de la langue française à travers les siècles, en lisière du gros bastion flamingant. Le Pays de l'Allœu Il a paru intéressant de noter ici que dès cette époque, un petit pays voisin, dit le « Pays de l'Allœu, ou de l'Alleu », comprenant en gros l'actuel canton de Laventie, jouissait d'une autonomie beaucoup plus grande. En effet, suivant le Recueil des arrêts du Parlement de Flandre (page 97) publié par Dubois d'Hermanville : « ...Les quatres paroisses de Laventie, Sailly-sur-la-Lys, Fleurbaix et La Gorgue (moins son bourg) composaient un franc-alleu, qui était autrefois du patrimoine de Saint-Pierre, donné depuis à l'abbaye Saint-Vaast d'Arras, en faveur de laquelle ce petit pays a été amorti de manière qu'il n'a jamais été sujet à aucun impôt, ni subside, envers aucun prince séculier. » Et le texte original, ,de ses franchises et coutumes, appelé « La loi du Pays de l'Alleu », qui date de 1245 et se trouve en original aux archives du Nord, précise que : « Les échevins des quatres paroisses réunissaient en leurs mains les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire du pays. Sous ce dernier rapport, ils connais- saient de toutes les affaires civiles, criminelles et de police... » Ils exerçaient en outre l'office de notaires. Le Miracle du Saint Sacrement En raison des liens étroits unissant Merville à Douai, nous ne pouvons passer sous silence l'événement extraordinaire survenu dans cette dernière ville le lundi de Pâques 1254, et qui reçut le nom de « Miracle du Saint Sacrement ». En effet ce jour-là, au cours d'une messe à la collégiale de nos Chanoines, Jésus enfant serait apparu sur l'hostie pendant la consécration entre les mains du doyen Pikete (ou Piquette). Le fait fit naturellement grand bruit et attira des foules immenses de fidèles. Il est notamment attesté par : Le célèbre Dominicain Thomas de Cantimpré, collaborateur de l'évêque de Cambrai, Mgr Fontaine, dans son livre « de Apibus » (des abeilles) : il svétait rendu sur place, mais avait vu sur l'hostie Jésus adulte (?) ; — Buzelin (Annales Gallo-Flandriae, du XVIIe siècle) qui a vu et cite des extraits du manuscrit de Saint-Amé contemporain de l'événement et aujour- d'hui disparu ; — Plusieurs manuscrits de Metz et de Charleville du XIIIe sicèle ; — Martin l'Hermite, dans un ouvrage paru à Douai en 1637 et intitulé « Les Saints de Douai ». (6) L'arbitrage de 1265 Les difficultés entre le Comte ou la Comtesse, et le Chapitre avaient repris en 1258. Une série d'arbitrages décida que le Comte pourrait maintenir un Bailli à Merville et que celui-ci devait tenir, pour la haute justice, trois plaids généraux par an dans la maison du Chapitre. Les échevins restaient soumis au Hoop (ou Mont) d'Hazebrouck, tandis que les manants relevaient de la « Franche Vérité » de Cassel. Un important jugement rendu le lundi de Pâques, 13 avril 1265, par les arbitres désignés par la Comtesse Marguerite et le Chapitre de Saint-Amé « pour terminer leurs difficultés au sujet de Merville » vint compléter cet ensemble de dispositions administratives et judiciaires, qui restera valable pour notre cité jusquà la Ghisle (ou Coutume) que lui accorda le Duc Philippe le Bon en 1451. Les arbitres, choisis en février, étaient le frère Michel de Novirelle, Prieur des frères prêcheurs, Maître Simon, trésorier de Saint-Amé, et Maître Jean Gautier de Furnes, chanoine de Tournai. Les décisions furent acceptées le 30 avril par la Comtesse Marguerite et le Comte Guy de Dampierre, en mai par le Prévôt et le Chapitre de Saint-Amé (7). Voici succinctement résumées les diverses parties de ce jugement : 1. Rappel des droits du Chapitre en « alleu » sur tout Merville : « ...Par la suite, lisait-on, des hommes vinrent troubler par méchanceté ladite église (Saint-Amé) dans ses biens, ses droits et sa justice, d'où la nécessité de définir les droits de cette église et ceux du Comte de Flandre »... 2. L'église de Saint-Amé aura de façon générale deux tiers des alleux soumis à ses échevins, et le Comte de Flandre, ou ses successeurs, le troisième tiers, tant en meubles qu'en fonds. 3. Il y aura obligation pour le Comte ou son bailli de défendre les personnes et les biens de l'église de Merville et de livrer les délinquants aux échevins de Merville. Aucune loi ne sera instaurée dans la ville sans que les trois parties (l'Église, le Comte ou son représentant, et les échevins en aient discuté et jugé). 4. Et si l'Église commet une injure grave envers un homme du Comte, ce dernier ou son bailli peuvent faire arrêter le coupable jusqu'à ce qu'il soit absous par le Comte. 5.... 6. Le Comte ne peut recevoir sa tierce part (d'amendes ou d'impôts) que si l'Église a reçu les siennes. 7. Le Mayeur (Maire) de Merville est l'homme du Comte, (choisi) parmi les anciens dépendant de celui-ci dans la ville, et aussi le féal de l'église de Saint- Amé... 8. Prisonniers et inculpés doivent être déposés dans la Maison de l'Église de Merville et y être maintenus jusqu'à la fin du temps imparti. 9. A chaque mutation du bailli, des lettres patentes du comte devront définir ce qui est entre les mains de celui-ci et ce qui demeure dans celles de l'Église. Avant d'intervenir dans la justice de cette ville., le bailli devra jurer de servir avec bonne foi l'Église, ses hommes, ses biens et ses droits. 10. En cas d'homicide ou de crime flagrant causé par un étranger aux trois parties et que son jugement ne souffre pas de délai, le comte, ou son repré- sentant, rend ce jugement : une part des amendes va au comte et deux autres à l'Église. 11. Si un crime de lèse-majesté commis par un sujet de l'Église ou du comte est soumis à la justice, s'il est commis un crime d'hérésie ou un autre crime non soumis à la justice des échevins, même répartition des biens et des fonds du coupable. 12. Bans et proclamations qui se font dans ladite ville doivent l'être au nom de Dieu, de l'Église de Saint-Amé, du comte et du châtelain. 13. Les échevins ne peuvent être changés qu'en présence d'un représentant du Comte. 14. Le châtelain est un féal du comte de Flandre et non de l'Église. Il exerce la justice au nom du comte, et doit veiller à la protection des droits de l'Église et du comte. C'est pourquoi s'il ne rend pas une justice exacte ou ne défend pas les droits de l'Église, celle-ci peut le faire arrêter. 15. Au cas de profits provenant de ressources extérieures (?), l'Église recevra deux parts et le comte une seule. 16. L'Église de Saint-Amé auia un percepteur appliquant les droits ecclésias- tiques sur le pont de la Lys, à Merville. Si quelque étranger traverse le pont en poursuivant un débiteur, celui-ci doit être jugé par les échevins de Merville, si le cas ne dépasse pas leur compétence. 17. La rivière de Lys, ainsi que le droit de pêche et la justice sur cette rivière, appartiennent normalement au comte de Flandre. 18. Si néanmoins quelque bateau aborde au rivage et que quelque tapage entraînant arrestation se produit à bord, le cas sera jugé par les échevins de la ville, comme si tapage et arrestation avaient eu lieu sur celle-ci. 19. Il est permis aux habitants de creuser des fossés sur leurs terres, soit pour faire écouler l'eau des inondations, soit pour irriguer leurs champs avec l'eau de la Lys. 20. La pêche dans l'affluent la Bourre, qui est un alleu de l'Église, est commune : chacun peut y pêcher. S'il s'y produit un délit entraînant plainte ou arrestation, le coupable sera jugé par les échevins, comme si le délit avait été commis en ville. 21. Les échevins de Merville doivent se rendre au « Hoop » d'Hazebrouck, comme ils ont l'habitude de le faire. Si une décision y est prise par la majorité des échevins, il est cependant nécessaire qu'elle soit ratifiée à Merville, si elle intéresse cette ville... 22.... Cet arbitrage apparaît du reste comme un des épisodes de l'agitation qui secouait la population des villes flamandes pour la conquête de ses privilèges communaux à cette époque, bien qu'à Merville tout se fut passé dans le calme. Cependant, un document de 1570, recopiant un autre antérieur, de 1265, parle de confiscations à cause de troubles (?) à Merville et d'un procès entre le Chapitre et les Fiscaux de Flandre (8). L'organisation municipale de Merville Dès lors, l'organisation municipale, administrative et judiciaire de la ville se présentera comme suit pendant de longues années (d'après Pagart d'Hermansart, au Tome XIX des Mémoires des Antiquaires de la Morinie) : Pouvoirs du Comte : Ils étaient exercés sur place par son Bailli. Celui-ci était aidé par le Mayeur (ou Maire) dans la tenue des trois plaids annuels (assemblées judiciaires publiques), où les hommes de fief jugeaient avec les échevins. Outre ces plaids, il y avait à Cassel, d'abord, à Merville ensuite (dès 1331) des assemblées extraordinaires plus solennelles dites « Franches, ou Communes, Vérités ». Tous les habitants de quinze à soixante ans affranchis du servage devaient s'y rendre sous peine d'une amende de deux à soixante- deux sols ; ils avaient obligation de dénoncer sous serment tout délit ayant échappé aux sanctions du bailli (ceci dans le but de redresser les abus qui auraient pu se glisser dans la façon de rendre la justice). Les « Vérités parti- culières » avaient lieu tous les ans et les « Vérités générales » habituellement tous les sept ans. La ville ne comportant pas de château comtal, c'est le bailli qui remplissait le rôle du châtelain, habituel représentant local du Comte en tant que seigneur féodal et qui convoquait éventuellement les habitants (même ceux des alleux du Chapitre) pour une réunion de l'armée (ost ou arrière-ban), qui percevait les amendes frappant ceux qui ne s'y rendaient pas ou payaient pour ne pas rejoindre. (En cas d'appel, le contingent mervillois se joignait à celui de .). Imprimé sur les presses de l'Imprimerie RÉVILLION 164, rue de Merville 59940 ESTAIRES Tél. 43.86.51

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.