Pelisses De Psappha (2011-14)
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1 Les Pelisses de Psappha. Neuf tableaux et un récit (2011-14). 2 Tableau de John William GODWARD (1861-1922), « Dolce Far Niente » (19O4). Andrew Lloyd Webber collection. 3 « Nue sous un manteau de paroles je suis ce que l’on voudra moi seule sait ce que je suis » Anne-Marie DERESE. « Nue sous un manteau de paroles », Maison internationale de la poésie, 1980. 4 Fourrure typique de femme anglaise sous le règne d’Edouard VII (vers 191O). http://weheartit.com/entry/239333 5 LA FOURRURE ( poème 1 ) Je hume en frémissant la tiédeur animale D’une fourrure aux bleus d’argent, aux bleus d’opale ; J’en goûte le parfum plus fort qu’une saveur, Plus large qu’une voix de rut et de blasphème, Et je respire avec une égale ferveur, La Femme que je crains et les Fauves que j’aime. Mes mains de volupté glissent, en un frisson, Sur la douceur de la Fourrure, et le soupçon De la bête traquée aiguise ma prunelle. Mon rêve septentrional cherche les cieux Dont la frigidité m’attire et me rappelle, Et la forêt où dort la neige des adieux. Car je suis de ceux-là que la froideur enivre. Mon enfance riait aux lumières de givre. Je triomphe dans l’air, j’exulte dans le vent, Et j’aime à contempler l’ouragan face à face. Je suis une fille du Nord et des Neiges, — souvent J’ai rêvé de dormir sous un linceul de glace. Ah ! la Fourrure où se complaît ta nudité, Où s’exaspérera mon désir irrité ! – De ta chair qui détend ses impudeurs meurtries Montent obscurément les chaudes trahisons, Et mon âme d’hiver aux graves rêveries S’abîme dans l’odeur perfide des Toisons. Renée VIVIEN (1877-19O9, France) « La Vénus des aveugles », La Bartavelle, 1997. 6 Kate MOSS. 7 Pas une réclame, moins encore un plaidoyer. On peut le voir tel. Ce n’est pas mon objectif. Il existe déjà un « Eloge de la fourrure » auquel je ne soustrairai rien, y compris des réserves qu’il m’inspire. Cet opuscule thématique donne pour sa part la parole aux poètes. Bien que ne pensant pas en être, j’ai toutefois appris à sentir et à me sentir à leurs côtés. « Elevés » puis mis à morts par la classe dominante afin de s’offrir à bien peu de frais son vernis de cultures, le cas échéant de « subversion », les voici, femmes et hommes de la Lyre, entrant dans un monde où, pour la première fois, la bourgeoisie qui prend les rênes n’a plus à s’encombrer de la moindre idée de ce que fut ce dit vernis. Est-ce un bien, un mal en soi? Qu’y changera la meule de foin prétendument salvatrice de la Toile ?-à l’heure où les aiguilles-quêteuses non de « reconnaissance » mais d’intégrer de nouvelles dynamiques de création, n’auraient qu’à se réjouir d’un bien curieux « communisme numérique réalisé » (on nous en chante de si « bonnes » !). Il est peut-être trop tôt ou déjà trop tard pour répondre. Alors, si je n’oublie pas que le Luxe ainsi que l’observe Péladan dans son « Livre du Sceptre » (1895) permit à l’art dans la civilisation médiévale occidentale de renaître, si, tout populisme facile me révulsant, j’ai toujours refusé de juger un individu à ses goûts (assez j’ai vu d’adeptes de la fourrure qui n’avaient rien de bourgeois au matérialisme putride et de prohibitionnistes ne valant pas plus sur le plan humain qu’un pet de lapin), je ne veux en aucun cas être assimilé, en finalité, au nihilisme trivial d’un fin monde (y eût-on révisé son point de vue sur la fourrure) en train d’écraser partout, d’exterminer, fût-ce en toute inconscience, ce qui me maintint spectral dans le « snuf movie » défilant de la vie (le script du « contre-film » étant facile à suivre : « livres et poèmes, où on en meurt, où on en lit pas »). Voici une invitation à d’autres perceptions (et plus qu’un « Livre d’heures », mettons une heure à lire ou à décliner de mes livres), pas un passe-droit « intellectualisant » aux néo-boyard(e)s n’ayant cure-réaction chez eux légitime !- d’essayer simplement de savoir pourquoi, sans pour ainsi dire de fourrures en avoir jamais possédé et sans besoin de jalouser personne, tant j’ai, sur ces vagues pelissées d’écume (néologisme de Paul Morand) joué solo les maîtres-planeurs… Dans l’ancienne Russie, il fut une époque où dire d’un homme qu’ « il s’était adonné aux livres » équivalait dans le paradigme de la maladie mentale d’alors à le désigner comme « zinzin ». Ce paradigme, il est redevenu le nôtre, d’où ma dénomination « néo-boyard(e)s »- là aussi, c’est sans doute une réaction légitime…- à l’adresse de qui détient désormais, sous du lynx ou pas, nos destinées. Sans me prendre pour le Christ, pas même le Christ climatiquement le plus septentrional de Dürer, je crois ainsi que mon royaume (en fourrure) n’est pas (ou n’est plus) de ce monde. Avec dilection nonobstant je dédie ces pages improbables à celles qui auront le sentiment de s’y être (« avec » ou « sans ») déjà promenées, attendant que s’achève pour elles, gibier de potence béni de mes déshérences, l’exécution d’une sentence initiée au bout d’un cordon ombilical. Bien que ne me voulant pas élitiste pour un sou, les pans de mes imaginaires comme de mes hantises formulées - ouverts à tous , je dirai : Aux spectrales dans leur vie qui s’y reconnaîtront. Et puis là-dessus, vous l’aurez saisi, ce sera tout. 2014. 8 -Ses yeux sont comme sa pelisse, sa pelisse, comme ses yeux. (Sur sa fille Alya, 1919) Tableau de Jules PASCIN (1885-1930) « Lucy avec fourrure» (1927). 9 1. DE LA ZIBELINE ET L’EPINE Sur Marina T. et la fourrure. « Déploie tel un chant sa fourrure… pour protéger ce qui la bouleverse » …dit René Char dans « Commune présence » (1967). Gautier dans « Emaux et camée » (1852) avait écrit: « Ouate de sa blanche fourrure les épaules et les blasons » Si les sépulcres des poètes étaient des châteaux-forts-et si de sa tombe à elle on n’avait « égaré » l’emplacement - voici deux oriflammes qui seraient à leur place sur le donjon d’une des plus grandes poétesses russes du XX è siècle disparue voici tout juste septante ans à l’heure où j’écris : Marina Ivanovna Tsvétaïéva (Moscou, 26 septembre 1892-Elabouga, 31 août 1941). Marina « sujet » ? Galaxie ! Vu l’étendue de son œuvre qui balaie tous les lilliputiens de la rime devant elle (le torrent lâché sans pitié depuis la levée en 2OOO d’un interdit familial) ? Certes !, mais moins que d’être, de rester, en dépit de ce rush éditorial, une infréquentable jusqu’au jour du Jugement et qui sait après ??? Un tout petit peu de l’histoire de Z.-comme il en arrive orthographiquement à son patronyme, Zvédaeva , Zwedajewa , comme en russe on nomme les étoiles…« Zviozdy » … … 10 APPROCHE (Tentative) I. A Moscou (1913) Avec sa sœur Anastasia et son mari Serguei sous le portrait de sa mère Maria. Dans ses dernières lettres, Marina rapporte l’importance pour elle d’une veste à col de renard énorme. Bien plus que protection contre les glaces !, du stalinisme, certes, mais pourquoi pas encore, dès ses débuts d’écrivaine, dès le moment où elle envisagera de placer sa création par- dessus toute quête d’honneur et de richesse, contre celles où la société taillera ce pic à nu qu’elle décrit d’une poésie -à côté de laquelle qui a jamais tâté des caractères typos ne peut qu’éprouver l’envie pure et simple d’aller, de fourrure ou non se rhabiller, capituler . Oreilles cachées dans les chapkas, âmes cachées dans les pelisses, têtes rentrées dans les cous, yeux cachés derrière les verres. Eblouissante-à la lueur d’une allumette-vision de peaux de bêtes Révolution, chaos , guerre civile, chaos , mort d’une petite fille de trois ans, chaos , mort d’un empire, vingt années dans le dénuement et l’indifférence en Europe (Allemagne, Tchécoslovaquie, …France) avant de regagner les pénates minées d’avance d’une « soviétorussie » qui ne lui sera guère plus chaleureuse qu’à son départ de Moscou en 1922. Barbarossa, enfin (pas très longtemps pour elle mais bien assez) : 11 Saurai-je où je vais, Dans le désordre Des Himalayas de duvets ? C’est que la présence astrale de la fourrure dans l’œuvre d'une antimatérialiste entre toutes, en de petites ourses versifiées ci là (puis aux confins de l’exil- « beyond the infinite » eût-on précisé dans un film de SF- vint la fortune du dit col de renard), si loin nous en dit sur ses filles à elle du firmament. (…) Ma fourrure se soulève- Non mes cheveux, un vent étouffant me souffle droit dans l’âme. Beyond the infinite ? …Au-delà de deux soleils de verre nyctalopes- du bleu des renards bleus de son Kamtchatka romantique (là où Sainte-Beuve reléguait « Les fleurs du Mal ») ?, nenni !, …ainsi que le loup bleu , son animal-fétiche, du bleu céleste de Gengis Khan ou, pour ne rien oublier en route, du bleu du tricolore d’un autre conquérant peint par David en Herminie et qu’à l’instar de Pouchkine, Tsvétaïéva, pas à un paradoxe près mais rageusement francophile, divinisait dans son adolescence... …d’heure proche au sommet des monts et de la Passion… Et tout rêve de grandeur dissout, absout ou de préférence guère absout, demeurent au réveil, métaphore de choix à toute fourrure lustrée de mystère-chez elle, l’aventurée qui fut gothique avant tout le monde (et au sens le plus complet du terme)- ces inquiétantes: …Brumes des amours anciennes … Tsvétaïéva dont on a écrit avec effroi qu’elle ne fut « rien qu’âme nue », disait porter la Russie.