Fanny De Beauharnais Et Ses Amis

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Fanny De Beauharnais Et Ses Amis FANNY DE BEAUHARNAIS ET SES AMIS DOCUMENTS INÉDITS Dans une modeste chambre du couvent des Dames de la Visi• tation de la rue du Bac, la comtesse Fanny de Beauharnais appre• nait, le 25 décembre 1784, la mort survenue à Rochefort de son mari, le chef d'escadre Claude de Beauharnais. Les obsèques furent célébrées à Paris, en l'église Saint-Eus- tache, selon la volonté exprimée par Fanny qui, baptisée en 1738 dans cette paroisse royale, y avait été mariée à quinze ans. Etaient présents : son fils, Claude, officier aux Gardes françaises, et ses deux filles, Marie-Françoise (1), épouse de François de Beauharnais, beau-frère de Joséphine, son cousin, et Anne-Amélie, comtesse de Barrai (2). A l'ombre de l'un des majestueux piliers d'où la nef s'élance en flèche pour se confondre, à la voûte, en une éblouissante florai• son de pierres, une femme brouillée avec son mari et qui ignore le destin qui la fera impératrice, est venue se joindre à ses cousins, laissant aux soins de sa nourrice, Mme Rousseau, la petite filleule de Fanny, la future reine Hortense. Depuis plus de vingt ans, la comtesse Fanny, muse du poète Dorât, vivait séparée du défunt que sa légèreté et ses prétentions littéraires avaient bientôt excédé. Réfugiée d'abord rue Mont• martre chez son père, le conseiller secrétaire du roi Mouchard de (1) Mère d'Emilie Lavalette. (2) Voir sur ces Beauharnais, l'intéressant ouvrage de Mme Wrtz-Daviau, Les Beau• harnais des Roches-Baritaud. FANNY DE BEAUHARNAIS ET SES AMIS 701 Chaban (1), elle y avait ouvert, en 1765, son premier salon littéraire. La mort du conseiller, survenue en 1782, deux années après celle du poète, avait obligé Fanny à se retirer chez les religieuses de la rue du Bac, où ses amis des lettres s'étaient regroupés autour d'elle. Devenue veuve, elle sollicite du maréchal de Castries l'octroi d'une pension de la. Couronne en invoquant les « longs services » de M. de Beauhàrnais et ceux de ses pères et oncles, en obtient gain de cause, grâce à l'appui de la comtesse de La Tour d'Au• vergne, sa proche parente, du maréchal de Soubise et du prince de Monaco. Ainsi nantie, Fanny fixe son choix sur le bel hôtel du duc de Brancas, au 6 de la rue de Tournon, qui abritera son troisième salon littéraire. Ce cercle brillera d'un vif éclat durant les cinq années qui précéderont la chute de l'Ancien régime. En soulevant les draperies qui voilent ses fenêtres, Fanny peut guetter les visiteurs qui, ayant franchi l'harmonieux portail, s'acheminent vers le large escalier de marbre conduisant à ses appartements. Ce sont les disciples de Dorât, les habitués du Palais Royal ou du Caveau, les parents et les amis des Beauhàrnais qui lui sont restés fidèles. On distingue parmi eux l'aimable et savant Lavoisiér ; Buffon et Angiviller, deux inséparables amis; « le polisson d'abbé Barthélémy, si plein de bonhomie », au dire de Mme du Deffand ; Marmontel, l'encyclopédiste, et Fontanes, le libertin ; leur plus cher compagnon le philosophe Joubert ; la célèbre Julie de Rousseau, Mme d'Houdetot, la très proche voisine du 12 de la rue de Tournon ; Champcenetz et sa femme dont Greuze immortalisa les traits ravissants ; Choderlos de Laclos suivi de Marie-Soulange Duperré, sœur de l'amiral, au charmant visage, aux yeux de velours dont il fut l'amant avant de devenir le mari exemplaire. Bien d'autres encore que nous allons voir se joindre à eux furent notables et ont marqué dans les annales littéraires ou politiques de ce temps. Fanny, qui reçoit avec une grâce encore pleine d'attrait, n'est cependant plus la jeune et belle Muse du poète des Baisers. Les épreuves et les années ont marqué son front, mais d'admirables yeux attachent à son destin celui de l'écrivain Cubières, devenu (1) Les Mouchard appartenaient à une ancienne famille d'Aunis qui a donné : François Abraham Marie Mouchard, conseiller secrétaire du Roi en 1715, seigneur de Chaban; François Philippe Auguste Mouchard, major aux Gardes françaises, qui épousa sa cousine, la sœur de Fanny. Leur Ills, né en 1757, marié à Mlle Dijon, était lieutenant aux Gardes françaises en 1789. Il fut fait par Napoléon préfet, intendant, conseiller d'Etat et mourut comte de l'Empire en 1814. 702 LA REVUE son amant attitré aussitôt après Ja mort de Dorât.- Cet ancien écuyer de la comtesse d'Artois, frère de l'écuyer calvacadour de Louis XVI, est un auteur médiocre au visage sans agrément qui porta le petit collet au séminaire d'Avignon. Fanny est-elle vrai• ment éprise ? Est-ce par pitié romanesque, ainsi que certains ont pu le prétendre, qu'elle s'est donnée à Cubières ? En tout cas le lien qui les unit ne sera tranché que par la mort de Fanny. Le fils de Fanny ne fréquente guère le salon de sa mère, ses opinions monarchiques se heurtent à celles d'un milieu favorable aux idées nouvelles. Marié depuis peu il se consacre à sa charmante femme et à son métier militaire. La fille de Fanny que n'attirent pas les gens de lettres, mariée à son cousin François de Beauharnais, beau-frère de Joséphine, découragée par les infidélités de son époux, vit un peu à l'écart du monde. Sa nièce Rose-Joséphine, avec laquelle elle entretient des relations affectueuses, et la petite Hortense, sa filleule, partent toutes deux, en juin 1788, pour la Martinique. Fanny, qui ne saurait vivre seule et que possède le désir de paraître, noue, pour échapper à sa solitude, des aventures sentimentales et donne libre cours à ses fantaisies littéraires. L'épigramme bien connue, attribuée à Lebrun (1), qui conteste l'authenticité de ses poèmes et semble en attribuer le mérite à Cubières, est démentie par les brouillons écrits et raturés de sa main. Sa nature frivole se reflète dans les contes, poèmes et comé• dies qu'elle compose et qui ne sont qu'un élégant badinage. Le 17 janvier 1787, le rideau est tombé au Théâtre Français avant le troisième acte de La Fausse Inconstance. Il ne reste plus à Mme de Beauharnais que la consolation d'avoir été jugée sans être entendue. Cubières s'efforce d'atténuer la déconvenue de son amie en évoquant un souvenir personnel : Louis XVI n'a-t-il pas infligé la même disgrâce à son Dramaturge en faisant baisser la toile au milieu d'une scène ? Ce qui ne l'a pas empêché de continuer à écrire épîtres, drames et comédies, et à inonder de poésies YAlmanach des Muses. Fanny, elle, après deux nouveaux essais malheureux, renonce à composer des pièces de théâtre, mais s'efforce d'agrandir le cercle de ses relations. Elle publie encore des poèmes et adresse à ses adorateurs force lettres émaillées de fautes d'orthographe, prodi• guant à tous ses louanges. Au comte de Lauraguais ,qui lui re• proche sa répugnance envers les savants et les philosophes, elle (1) Eglé, belle et poète, a deux petits travers : Elle fait son visage et ne fait pas ses vers FÂNNY DE BEAUHARNAIS ET SES AMIS 703 riposte en évoquant le souvenir de Voltaire (1) qu'elle aimait pour son « humanisme » et ajoute : Oui, je les crains ces grands docteurs Qui savent tout, hors l'art de plaire. Je les crains et mes petits vers Dont vous gardez la souvenance Ont sifflé leurs petits travers Et ri de leur vaine science. Fanny avait rencontré naguère chez d'Alembert Antoine de Rivaroï, et n'avait pas oublié cet homme à la conversation étin- celante qui, en sus de la noblesse dont il se parait (2) était un maître dans l'art de plaire ; depuis lors, Rivarol s'était épris d'une \ jeune Anglaise, Miss Mather-Flint, fille d'un professeur de langue anglaise, personne d'une condition modeste mais d'une grande beauté qu'il avait épousée vers 1781. L'union mal assortie devait être éphémère ; Fanny, le sachant malheureux et brûlant du désir de le recevoir chez elle, dépêcha Cubières à sa rencontre ; elle fut, semble-t-il, une conquête facile pour le plus séduisant des convives. Dès lors, rue de Tournon, on avait pu constater entre ces deux anciens amis venus de leur lointaine Provence et qui, prétend Sainte-Beuve, avaient porté ensemble le petit collet au séminaire d'Avignon, l'hostilité méprisante de l'un et la jalousie de l'autre. Cubières publie contre Rivarol, en collaboration avec Cerutti, ses Bagnolaises et autres pièces plus, plates que vengeresses. Mais, auprès de Fanny, il masque son dépit sous un flot de louanges. « On oublie de se mettre à table pour l'entendre, dira-t-il de Rivarol, il n'y a auprès de lui de ventre affamé qui tienne, les sens deviennent tout oreilles, le. cœur est en extase et l'esprit,dans l'enchantement. » De son côté, Rivarol dit de Cubières : « C'est un ciron en délire qui veut imiter la fourmi », et il lui reproche de singer Dorât dont, pour plaire à Fanny et pour « rendre hommage à son maître », Cubières vient de joindre son nom au sien. Mais, s'adressant à la sensible Fanny et comme pour s'excuser de sa verve mordante, il ajoute : « Le cœur rectifie tout dans l'homme ». Un soir de novembre 1788, c'est chez Fanny et Cubières, faisant (1) Fanny avait longuement correspondu avec Voltaire et lui Écrivait : . Je liais Paris qui me tient loin de Ferney et j'envie M. de Saint-Amaranthe qui peut vous y aller chercher. • (2) Les titres de noblesse de Rivarol étaient contestés.
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