Joséphine, Impératrice Des Français Et Reine D'italie
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JOSÉPHINE IMPÉRATRICE DES FRANÇAIS - REINE D'ITALIE PAR SAINTE-CROIX DE LA RONCIÈRE PARIS - 1934 INTRODUCTION. I. — La Martinique attaquée par les Anglais en 1759 est glorieusement défendue par M. de Beauharnais. II. — Conquête de l'île par les Anglais (février 1762). Retour de l'île à la France (traité de Paris, février 1763). III. — Naissance de Joséphine aux Trois-Ilets (23 juin 1763). Sa jeunesse à la Martinique. L'ouragan du 13 août 1766. Fort-Royal en 1779. IV. — Une excursion au Mont Pelée. Joséphine fait la connaissance d'un officier anglais, Williams. Le premier amour : le capitaine Tercier. V. — La prophétie. La Jeanne d'Arc des Antilles. Pakiri, un grand chef caraïbe. Eliama, la sorcière rouge. VI. — Le départ pour la France (1779). Bataille navale de Rodney (1780). Le premier mariage avec Alexandre de Beauharnais (13 décembre 1779). Le retour à la Martinique (11 août 1788). VII. — La Martinique sous la Révolution. VIII. — A l'ombre de l'échafaud. IX. — Le deuxième mariage. X. — Impératrice et Reine. XI. — Le divorce. La Malmaison. XII. — La mort de Joséphine. Visite de Napoléon au tombeau. INTRODUCTION La façon d'être du pays est si agréable, la température si bonne et l'on y vit dans une liberté si honneste, que je n'ay pas veu un seul homme, ny une seule femme qui en soient revenus, en qui je n'aye remarqué une grande passion d'y retourner. DU TERTRE . Le voyageur qui visite les Antilles, ces vastes fleurs aquatiques épanouies sous le soleil tropical, ces verdoyantes corbeilles de verdure qui surgissent du sein des flots limpides et azurés de l'Océan Atlantique, est émerveillé par la beauté des paysages, la variété des formes et des couleurs sans cesse multipliées par une nature prodigue, et il éprouve l'admiration involontaire de la faiblesse pour la puissance. Sous un ciel éclatant, des plages endormies dans une dentelle de cocotiers, de palmiers, de manguiers, de flamboyants, de tamariniers où les oiseaux-mouches prennent leurs ébats amoureux ; des buissons étoilés de fleurs, coquillages nacrés qui semblent attentifs aux pudiques secrets de ce que disent entre eux les papillons ; des forêts vierges où les lianes dessinent une résille de vitraux ; des montagnes ciselées pour le plaisir des dieux, incrustées de rubis, d'émeraudes, de topazes, d'améthystes ; des cascades, des volcans ; toute une nature largement humectée de bonheur et chargée de magie ! Et plus la montagne s'élève, plus l'abîme se creuse, plus la cataracte augmente ou la forêt s'assombrit, davantage s'émeut l'âme par la variété des tons harmonieux, la blancheur des routes alignées de palmiers, de fougères géantes ; par l'âpreté des sentiers ombragés, bordés de gommiers, de bambous, de flamboyants ; par la violence des parfums que l'on respire, l'arome que dégagent les mangles dorées, les grenades savoureuses, les monbins, les bananes ; par le bruit harmonieux des chutes d'eau qui projettent des flots de dentelles folles, déchirant.des rubans comme pour mettre à nu les rochers ; par la mélancolie obsédante des paysages et la magnificence de la forêt vierge. Dans le ciel, la brise joue avec les nuages de coton blanc. Sur la surface moirée de l'océan pointillé d'or, des petits voiliers blancs glissent, poursuivant une course d'escargots ; des méduses roulent comme des pierres précieuses, des algues ondoient comme des banderoles de fête et, le soir, sur l'onde couleur de rêve, le paquebot laisse une longue traînée phosphorescente, une queue de diamants, tandis que, sur la crête des vagues, les étoiles bondissent et suivent joyeusement les poissons-volants fous. Le vent siffle dans les cordages : c'est une voix qui chante, profonde, vibrante, un chant des tropiques, un ardent appel d'amour qui emplit l'espace, fil d'or tendu jusqu'à se briser, cri passionné qui bouleverse la pensée jusqu'au vertige, Angélus des cloches de bronze qui fait vibrer l'atmosphère et palpiter les nids. Tous ceux qui ont connu ces rives ensoleillées, qui ont subi l'enchantement de cette vie nonchalante, ne peuvent oublier ces iles au masque somptueux, bleu, vert, rouge et violet, si différent du maussade et brumeux continent et, dans leur cœur ( hante éternellement la plainte nostalgique des bambous, des cocotiers et des filaos ! Si ces iles n'existaient pas, il manquerait quelque chose aux plus belles promesses de l'Univers , m'écrivait, peu avant sa mort, Léon Talboom, le bel écrivain, le délicieux poète antillais, qui a chanté les charmes de son pays natal, la Guadeloupe, les poissons-volants rivalisant de vitesse avec les marsouins, les oiseaux-mouches s'enivrant du parfum des fleurs, les madras aux vives couleurs et les coliers-choux rehaussant la beauté des femmes créoles, la volupté des biguines, l'éclat du soleil, maitre de la nature, dispensant généreusement son or sur le sable des grèves, sur l'eau, les maisons, la forêt. Son livre Karukera restera pour ses amis l'expressive évocation des charmes de ces pays lointains et le régal des heures d'extase. *** La Martinique 1, que les Caraïbes appelaient Madinina , est une de ces perles dont on ne se lasse pas d'entendre chanter la beauté ou dépeindre la somptuosité. Née dans les spasmes volcaniques, façonnée au nord par la houle de l'Atlantique, fouettée au sud d'embruns, ourlée à l'est de rochers et de récifs, parsemée à l'ouest de plages dorées de sable fin, l'île fut occupée et farouchement défendue par les Caraïbes, peuple de pirates anthropophages qui vivait à l'état primitif dans les forêts aux vertes frondaisons, ou aux embouchures des rivières, et parlait un rude langage, jusqu'à ce que Colomb, comme un dieu tombé du ciel, vint les découvrir en 1493. Le grand navigateur se contenta, le 15 juin 1502, de débarquer à l'endroit où s'élève aujourd'hui le village du Carbet, nom emprunté de l'idiome caraïbe qui veut dire : camp de retranchement , d'y faire de l'eau et du bois et de continuer sa route pour le pays de l'or, plus à l'ouest. Des Caraïbes qui occupaient l'île, à l'arrivée des Européens, il ne reste guère que certaines traditions de médecine empirique et des superstitions que les nègres ont adoptées, héritage naturel de la sauvagerie. Sur leur origine, les premiers voyageurs ne nous ont laissé que des conjectures. Suivant toutes probabilités, ils descendaient des Galibis, peuplade établie sur les frontières de la Guyane. Dans leur traditions, ils racontaient qu'un chef nommé Callinago, petit de corps, mais grand de courage, qui mangeait peu et buvait encore moins, s'était embarqué à la tête d'un certain nombre de guerriers et était venu aborder aux petites Antilles. Il attaqua les Ygneris, qui y habitaient, et les extermina jusqu'au dernier. Les femmes seules furent épargnées, et conservèrent depuis une langue particulière, qui était celle de leurs ancêtres. Cette tradition a pour preuve l'étroite alliance qui unissait les Galibis de la terre ferme aux Caraïbes des Antilles, car souvent ils se rejoignaient pour faire des expéditions contre leurs ennemis, les Allouagues. Refoulés tout d'abord dans l'intérieur de l'île, ces insulaires ont été lentement exterminés ou se sont enfuis, car les serpents qui abondaient dans les forêts leur inspiraient une grande terreur. Ils rapportaient que ces serpents, que l'on ne rencontrait pas dans les autres îles, avaient été apportés par leurs ennemis, les Allouagues, qui avaient ainsi voulu placer la flèche de guerre sous chaque feuille . 1 Son nom lui vient de ce qu'elle fut découverte par Colomb le jour de saint Martin. Les Caraïbes ont préféré la misère dans la liberté au travail dans la servitude, leur grossier fétichisme à une civilisation chrétienne dont les vices et la tyrannie voilaient les bienfaits. Peut-être quelques gouttes de sang rouge coulent-elles encore dans les veines de rares individus dont la taille élancée, le teint olivâtre, les yeux obliques, largement ouverts, voilés de longs cils et pleins de mélancolie, les cheveux plats et collés sur les tempes et la nuque, rappellent un type qui n'a pas encore disparu dans certaines îles et sur le continent. Les hommes rouges ont cédé la place aux blancs et aux noirs, seuls possesseurs et seuls cultivateurs depuis bientôt trois siècles des iles Caraïbes. Avant l'arrivée des Européens, les Caraïbes vivaient heureux. N'ayant point à craindre, grâce à leur isolement au milieu de la mer, les surprises de l'ennemi, ils ne connaissaient point cette inquiétude soupçonneuse qui faisait de la vie des sauvages du continent une éternelle angoisse. Couchés dans leurs hamacs de coton colorié, qu'ils suspendaient le plus souvent à des arbres au-dessus d'un feu brillant 1, ils passaient les heures laborieuses de la journée à garnir leurs flèches de pierres aiguisées, à orner leurs boutous ou casse-têtes de ciselures passées à la mouchache 2, à fabriquer des ibichets 3. Le reste du temps était employé à s'arracher la barbe ou se faire peindre par les femmes avec du rocou 4, à jouer de la flûte et à rêver 5. Les plus actifs creusaient, au moyen du feu, des canouas ou pirogues, qui devaient leur valoir le titre de capitaine, construisaient avec des branches d'arbres et des feuilles de balisiers des carbets ou défrichaient quelques coins de terre en brûlant les arbres et semant sur la cendre 6. Les Caraïbes se nourrissaient de grands lézards — les iguanes — qu'ils attrapaient au lacet, d'oiseaux qu'ils grillaient sur le feu avec leurs plumes et leurs entrailles, de tortues varrées sur le sable, de lambis, de burgaux7, de crabes et de poissons péchés à la ligne ou à l'arc dans la mer et les rivières.