Peintures Murales Et Manuscrits Illuminés Un
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doi: 10.2143/GBI.38.0.3139359 PEINTURES MURALES ET MANUSCRITS ILLUMINÉS UN NOUVEAU REGARD SUR LE TRAVAIL DES PEINTRES À TRAVERS QUELQUES PEINTURES MURALES DES XVe ET XVIe SIÈCLES EN LORRAINE ET EN ALSACE ILONA HANS-COLLAS Als Dank an Walter für seine Groβzügigkeit und seinen feinfühligen Umgang mit Wandmalereien Préambule Les sources d’archives présentent un autre problème. Dès les XVe et XVIe siècles, les livres de comptes, prix-faits, Les interactions entre la peinture murale et la miniature ont registres ou testaments, mentionnent de nombreux noms déjà attiré l’attention des chercheurs. Il est désormais bien d’artistes ou d’artisans et fournissent des informations pré- connu qu’un même artiste ou un même atelier pouvait réa- cieuses sur les métiers, les pratiques d’atelier, l’organisation liser des travaux sur des supports variés.1 Même si cette des chantiers, les talents variés des artistes et les inter- polyvalence n’est plus à démontrer, le chercheur se heurte à relations entre les métiers d’art. Or, en ce qui concerne la des difficultés qui résultent notamment de la perte irrémé- peinture murale, la quasi-totalité des œuvres authentifiées diable de décors peints, de leur mauvais état de conserva- a disparu. Pour d’autres décors mentionnés, les textes ne tion ou de lourdes restaurations des XIXe et XXe siècles qui livrent pas forcément la nature précise du support de ont souvent dénaturé la peinture originale. Ces facteurs qui l’œuvre (enduit, bois, parchemin, papier, etc.). affectent un grand nombre d’ensembles du Moyen Âge ont sans doute contribué à freiner le travail comparatif entre Malgré ces difficultés, inévitables et souvent insurmontables, les différents types d’œuvres d’art, chacun souffrant d’un l’historien et l’historien de l’art ont progressé dans leur certain cloisonnement et d’un repli sur lui-même. réflexion en croisant notamment leurs regards et en prêtant plus d’attention à la pratique d’exécution, aux matériaux Il est une évidence qu’au Nord des Alpes très peu de pein- employés et à l’analyse fine du style. Ces études compara- tures murales peuvent être attribuées à un artiste particulier tives permettent de nouvelles approches pour définir le ou situées dans l’entourage d’un peintre ou d’un atelier. Étu- contexte d’une œuvre et de lui trouver un auteur ou tout au diant ces œuvres anonymes, les spécialistes de la peinture moins la rapprocher d’un entourage artistique précis. murale n’ont pas forgé de noms de convention d’artistes alors que cette pratique est largement employée, depuis le XIXe siècle, dans le domaine de la miniature, de la sculpture, Des exemples prestigieux du vitrail ou encore de l’orfèvrerie. La formule si fréquente de « Maître de … » n’a pas connu de succès dans le milieu Dans les régions de l’Europe septentrionale et contraire- de la peinture murale, ni d’ailleurs la participation de plu- ment aux pays méridionaux (notamment l’Italie) l’attribu- sieurs mains au sein d’une même œuvre, qui pour bon tion de peintures murales médiévales à des artistes identi- nombre d’historiens de l’art devient un critère absolu pour fiés et nommés n’est que très rarement possible. Ce fait est les œuvres enluminées ou sculptées. À cet égard, la peinture curieux, surtout si l’on considère que les archives pour murale reste donc isolée, « échappant » aussi à la volonté – cette période sont particulièrement abondantes et que la parfois obsessionnelle – de classer une œuvre et de localiser fin du Moyen Âge nous a laissé une quantité extraordi- les mains. Quant à la datation d’une peinture murale, il faut naire de peintures murales et avec elles un matériel poten- souvent se contenter d’une fourchette assez large puisque tiellement riche pour les comparaisons stylistiques et. l’architecture qui la porte ne livre pas suffisamment de Néanmoins, quelques exemples confirment la polyvalence repères, alors que le nom du scribe et de l’enlumineur d’un des maîtres. Parmi les artistes les plus célèbres, connus manuscrit est parfois précisé par le prologue ou le colophon. pour avoir réalisé plusieurs types d’œuvres – panneaux 122 ILONA HANS-COLLAS peints, dessins, gravures et peintures murales – figurent Paul Rolland proposa également d’attribuer à Robert Cam- sans conteste Robert Campin ou Martin Schongauer. Les pin la polychromie d’une Annonciation sculptée par Jean efforts conjugués qui ont permis de pouvoir leur attribuer Delemer, autrefois à l’église de la Madeleine, réalisée en des peintures murales ont largement contribué à une valo- 1428.6 Cette œuvre révèle un travail de collaboration et risation des décors peints, considérés comme mineurs au souligne le caractère polyvalent de l’artiste tournaisien. regard de chefs-d’œuvre d’artistes réputés. Actif pendant plusieurs décennies, Campin réalisa notam- ment des panneaux peints à sujet religieux (triptyques, retables). Les peintures murales de l’église Saint-Brice, les Robert Campin et l’Annonciation de Tournai (fig. 1) dessins et enluminures proches de la main de l’artiste, confirment sa polyvalence. Dès 1942, Paul Rolland attribue à Robert Campin une peinture murale représentant une Annonciation à la Vierge et deux bustes d’anges, provenant de l’église Saint-Brice de Martin Schongauer et les peintures murales à Brisach Tournai.2 La peinture, découverte après le bombardement (fig. 2) et l’incendie de l’édifice en 1940, dut être détachée du mur pour être déposée sur un autre support.3 Dans ces circons- L’œuvre du Colmarien Martin Schongauer n’englobe pas tances plutôt tragiques, il eut la satisfaction de reconnaître seulement des gravures et des panneaux peints. Cet artiste dans cette peinture murale, très usée et lacunaire, l’œuvre réalisa aussi des peintures monumentales, notamment celles d’un des plus célèbres Primitifs flamands. En effet, les de la vaste église Saint-Étienne à Brisach.7 Il s’était installé archives permettent de créditer cette Annonciation à dans cette localité, située au bord du Rhin, à la fin de « mestre Robiert le pointre », mentionné ainsi dans les sa vie.8 L’impressionnant Jugement dernier, réalisé sans comptes de l’église Saint-Brice de 1406-1407 au sujet de doute vers 1490,9 présente de telles affinités avec l’œuvre l’agrandissement du chœur de l’église.4 Lors de cet aména- de Schongauer qu’on ne doute plus de son attribution au gement, l’autel de la Vierge fut déplacé contre un nouveau mur que Campin fut chargé de décorer d’une Annoncia- tion. Nul doute que cette scène, utilisée comme retable, correspond aux fragments découverts pendant la guerre. Par ailleurs, l’examen stylistique a lui aussi confirmé l’attri- bution à Robert Campin. La réalisation de l’Annonciation se situe au début de la carrière de l’artiste qui avait alors une trentaine d’années. Elle n’est pas sans évoquer une autre Annonciation (Lille, Musée des Beaux-Arts), brodée et peinte vers 1400-1410 pour l’église de Noyelles-les- Seclin, dans l’entourage de Campin, ou par le peintre lui- même.5 Fig. 1. Fragments de peintures murales déposées provenant de l’église Saint-Brice de Tournai, a. Annonciation ; b. figure d’ange ; attribués à Robert Campin, vers 1407. – Tournai, musée d’Histoire et d’Archéologie. (© KIK-IRPA,1941) PEINTURES MURALES ET MANUSCRITS ILLUMINÉS 123 compétences de dessinateur à la surface murale et a adapté son style à la peinture monumentale : le trait et la couleur accusent une force dans la composition et dans les détails qui rendent ce Jugement dernier unique. Le rayonnement de l’art de Schongauer est important. Plu- sieurs ensembles de peintures murales, conservés dans des églises paroissiales en Alsace, sont inspirés des cycles gravés d’apôtres. Les similitudes relèvent davantage de la copie. On peut notamment évoquer l’ensemble des apôtres au Credo, peint à l’église de Walbourg (Bas-Rhin). Les grandes figures en pied, accompagnées de leurs attributs et de phy- lactères sont très proches des gravures de Schongauer qui ont dû servir de modèle au peintre.12 Le Jugement dernier et le cycle d’apôtres, peints à l’église de Baldenheim (Bas- Rhin) sont d’autres témoins de l’art de Schongauer et relèvent eux aussi d’une problématique de modèles. Peintres et enlumineurs Les œuvres d’autres artistes – restés anonymes – permettent un rapprochement évident entre peinture murale et l’enlu- minure. Deux cas choisis parmi d’autres – l’un de l’aire parisienne, l’autre de l’aire franco-flamande – reflètent cer- tainement des pratiques assez courantes. Fig. 2. Brisach sur le Rhin (Breisach am Rhein), église Un riche décor peint orne l’une des chapelles rayonnantes Saint-Étienne, détail du Jugement dernier attribué à Martin du chœur de la cathédrale d’Amiens. Les arcatures aveugles Schongauer, vers 1490. (© I. Hans-Collas) du soubassement de la chapelle Saint-Éloi accueillent un ensemble de huit sibylles réalisé vers 1506 pour Adrien de Hénencourt, doyen du chapitre cathédral († 1530) (fig. 3). pictorum gloria (« la gloire des peintres »).10 La représenta- Somptueusement vêtues et accompagnées de larges phylac- tion couvre une hauteur d’environ 13 à 14,5 mètres et se tères contenant leurs prophéties, ces grandes figures en pied répartit sur trois murs de la travée occidentale : à l’ouest, le sont d’une élégance gracieuse et d’une grande finesse d’exé- Christ Juge entouré des intercesseurs Marie et saint Jean cution. Leurs physionomies, le drapé, la forme de leurs Baptiste, des anges portant les instruments de la Passion et doigts et leur gestuelle rappellent clairement les figures d’une scène de la Résurrection ; au nord, le paradis paisible peintes dans l’épistolier à l’usage d’Amiens réalisé dans cette avec les élus guidés par des anges, surmonté d’anges musi- ville pour Antoine Clabault et son épouse Ysabeau Fauvel ciens qui apparaissent derrière une balustrade ; au sud, (Paris, BNF, Bibliothèque de l’Arsenal, ms.