Albert Camus Maria Casarès
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Albert Camus Maria Casarès Correspondance (1944-1959) COLLECTION FOLIO Maria Casarès et Albert Camus (148 rue de Vaugirard, Paris) Albert Camus Maria Casarès Correspondance 1944‑1959 Texte établi par Béatrice Vaillant Avant-propos de Catherine Camus Gallimard © Éditions Gallimard, 2017. Couverture : Albert Camus et Maria Casarès lors des répétitions de la pièce Les Justes, au théâtre Hébertot, Paris, décembre 1949 (détail). Photo © Bernand Collection Armelle & Marc Enguérand. AVANT-PROPOS « Un temps viendra où malgré toutes les douleurs nous serons légers, joyeux et véridiques. » Albert Camus à Maria Casarès, 26 février 1950. Maria Casarès et Albert Camus se sont rencontrés à Paris le 6 juin 1944, jour du débarquement allié. Elle a vingt et un ans, il en a trente. Maria, née à La Corogne en Espagne, était arrivée à Paris à quatorze ans, en 1936, comme d’autres républicains espagnols. Son père, Santiago Casares Qui‑ roga, plusieurs fois ministre et chef du gouvernement de la Seconde République espagnole, fut contraint à l’exil après la chute de la Catalogne et la prise de pouvoir de Franco. Longtemps après, Maria Casarès dira qu’elle est « née en novembre 1942 au Théâtre des Mathurins ». Albert Camus, alors séparé de sa femme Francine Faure par l’occupation allemande, était engagé dans la Résis‑ tance. D’ascendance espagnole par sa mère, tuberculeux comme Santiago Casares Quiroga, en exil aussi puisque originaire d’Algérie. En octobre 1944, lorsque Francine Faure peut enfin rejoindre son mari, Maria Casarès et Albert Camus se séparent. Mais le 6 juin 1948, ils se croisent boulevard Saint‑Germain, se retrouvent et ne se quittent plus. Cette correspondance, ininterrompue pendant douze ans, montre bien le caractère d’évidence irrésistible de leur amour : 8 Avant-propos Nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes reconnus, nous nous sommes abandonnés l’un à l’autre, nous avons réussi un amour brûlant de cristal pur, te rends‑tu compte de notre bonheur et de ce qui nous a été donné ? Maria Casarès, 4 juin 1950. Également lucides, également avertis, capables de tout com‑ prendre donc de tout surmonter, assez forts pour vivre sans illusions, et liés l’un à l’autre, par les liens de la terre, ceux de l’intelligence, du cœur et de la chair, rien ne peut, je le sais, nous surprendre, ni nous séparer. Albert Camus, 23 février 1950. En janvier 1960, la mort les sépare, mais ils auront vécu douze ans « transparents l’un pour l’autre », solidaires, pas‑ sionnés, éloignés très souvent, vivant pleinement, ensemble, chaque jour, chaque heure dans une vérité que peu d’êtres auraient la force de supporter. Les lettres de Maria Casarès nous font découvrir la vie d’une très grande actrice, ses courages et ses défaillances, son emploi du temps démentiel, les enregistrements à la radio, les répétitions, les représentations avec leurs aléas, les tour‑ nages de films. Elles dévoilent aussi la vie des comédiens à la Comédie‑Française et au Théâtre national populaire (TNP). Maria Casarès joue avec Michel Bouquet, Gérard Philipe, Marcel Herrand, Serge Reggiani, Jean Vilar, et elle les aime. Originaire de Galice, l’actrice avait l’océan pour élément : comme lui, elle déferle, se brise, se ramasse et repart avec une vitalité ahurissante. Elle vit le bonheur et le malheur avec la même intensité, s’y abandonne tout entière, en profondeur. Cette façon de vivre se retrouve même dans son ortho‑ graphe, que nous avons corrigée pour la clarté du texte. Espagnole, elle écrit toujours « pour que » « pourque ». Elle met deux t à « plate », ce qui rend la chose encore plus insi‑ gnifiante. « Hommage » ne prend qu’un m, et l’accent circon‑ flexe qu’elle appose sur le u de « rude » rend bien mieux le caractère pesant de ce mot. Quant à « confortable », il s’écrit « comfortable », comme si ce qu’il signifie ne pouvait concer‑ ner que les gens du Nord qui n’ont ni la lumière ni la chaleur dont jouissent les gens du Midi, et qui leur permet de vivre au plus près de l’essentiel. Avant-propos 9 Les lettres d’Albert Camus sont beaucoup plus concises, mais traduisent le même amour pour la vie, sa passion pour le théâtre, son attention permanente pour les acteurs et leur fragilité. Elles évoquent aussi les thèmes qui lui sont chers, le métier d’écrivain, ses doutes, le travail acharné de l’écriture, malgré la tuberculose. Il parle à Maria de ce qu’il écrit, la préface à L’Envers et l’Endroit, L’Homme révolté, les Actuelles, L’Exil et le Royaume, La Chute, Le Premier Homme, il ne se sent jamais « à la hauteur ». Elle le rassure inlassablement, elle croit en lui, en son œuvre, non pas aveuglément, mais parce que, en tant que femme, elle sait que la création est la plus forte. Et elle sait le dire, avec sincérité et une vraie conviction. Il lui écrit le 23 février 1950 : « Ce que chacun de nous fait dans son travail, sa vie, etc., il ne le fait pas seul. Une présence qu’il est seul à sentir l’accompagne. » Cela ne se démentira jamais. Comment ces deux êtres ont‑ils pu traverser tant d’années, dans la tension exténuante qu’exige une vie libre tempé‑ rée par le respect des autres, dans laquelle il avait « fallu apprendre à avancer sur le fil tendu d’un amour dénué de tout orgueil1 », sans se quitter, sans jamais douter l’un de l’autre, avec la même exigence de clarté ? La réponse est dans cette correspondance. Mon père est mort le 4 janvier 1960. En août 1959, il semble qu’ils aient réussi à marcher sur ce fil, sans faillir, jusqu’au bout. Elle lui écrit : […] il ne me paraît pas inutile de jeter des coups d’œil sur la vilaine confusion de mon paysage intérieur. Ce qui me navre, c’est que je ne trouverai jamais le loisir, l’intelligence, la force de caractère nécessaires à mettre un peu d’ordre là‑dedans et je me désole à l’idée que je mourrai irrémédiablement comme je suis née, informe. Il lui répond : Sinon informe, il faudra mourir obscur en soi‑même, dis‑ persé […]. Mais peut‑être aussi que l’unité réalisée, la clarté imperturbable de la vérité, c’est la mort elle‑même. Et que pour 1. Maria Casarès, Résidente privilégiée, Fayard, 1980. 10 Avant-propos sentir son cœur, il faut le mystère, l’obscurité de l’être, l’appel incessant, la lutte contre soi‑même et les autres. Il suffirait alors de le savoir, et d’adorer silencieusement le mystère et la contradiction – à la seule condition de ne pas cesser la lutte et la quête. Merci à eux deux. Leurs lettres font que la terre est plus vaste, l’espace plus lumineux, l’air plus léger simplement parce qu’ils ont existé. CATHERINE CAMUS Pour ne pas déroger à la loyauté et à la fidélité que mon père m’a enseignées, je tiens à remercier ici même mon amie Béa- trice Vaillant pour le travail de bénédictin qu’elle a accompli. C’est elle qui a transcrit, daté (!!), établi cette correspondance pendant des jours et des jours. Elle y a apporté un soin, une précision, une délicatesse que seul son cœur généreux et désin- téressé pouvait y mettre. CORRESPONDANCE 1944 1 – ALBERT CAMUS À MARIA CASARÈS 1 [juin 1944] Chère Maria2, J’ai un rendez‑vous d’affaires à 18 heures 30 à la NRF avec un éditeur de Monte‑Carlo. De la NRF nous irons sûrement au Cyrano qui est au coin de la rue du Bac et du boulevard Saint‑Germain3. Je t’y attendrai jusqu’à 19 heures 30. À 19 heures 30, je serai à la Frégate, au coin de la rue du Bac et des quais, où m’attendent Marcel et Jean4. À 20 heures 1. Pneumatique. 2. Albert Camus et Maria Casarès se sont croisés chez Michel et Zette Leiris lors de la représentation-lecture du Désir attrapé par la queue de Pablo Picasso, le 19 mars 1944. L’écrivain propose à la jeune actrice, ancienne élève du Conservatoire d’art dramatique sous contrat au Théâtre des Mathurins, d’interpréter le rôle de Martha dans Le Malentendu. Les répétitions commencent et Albert Camus tombe sous le charme de l’actrice. La nuit du 6 juin 1944, à l’issue d’une soirée chez le metteur en scène Charles Dullin et le jour même du débarquement des troupes alliées en Normandie, ils deviennent amants. Depuis octobre 1942, le jeune écrivain algérois vit seul en métropole : son épouse Francine, née Faure, institutrice à Oran, n’a pu le rejoindre, suite à l’occupation de la zone sud par les Allemands. 3. Le siège des Éditions de la NRF se situe dans le septième arrondissement, rue Sébastien-Bottin, au croisement de la rue de Beaune et de la rue de l’Université. Albert Camus y a publié en 1942 L’Étranger et Le Mythe de Sisyphe puis en mai 1944 Caligula et Le Malentendu. Le 2 novembre 1943, il fait son entrée au comité de lecture, commençant ainsi sa carrière d’éditeur et de lecteur dans la maison de Gaston Gallimard. 4. Les acteurs Marcel Herrand (1897-1953) et Jean Marchat (1902-1966) dirigent le Théâtre des Mathurins depuis 1939. Alors que la jeune Maria Casarès, fille de l’ancien président du conseil des ministres de la Seconde République espagnole, exilée à Paris avec sa mère depuis 1936, est encore élève au Conservatoire, ils l’engagent pour un an le 1er octobre 1942. Elle débute ainsi, avec succès, sa grande carrière de tragédienne dans sa vingtième année, avec le rôle-titre de Deirdre des douleurs de John Millington Synge (1942).