Jean Knauf. La Comédie-Française 1942 PPA
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Jean Knauf LLaa CCoommééddiiee--FFrraannççaaiissee 11994422 Affiche de La Reine morte de Montherlant, mise en scène de Pierre Dux, 8-9 décembre 1942 - © Comédie-Française 1 2 avant-propos Deux évènements majeurs marquent l’année 1942 à la Comédie-Française : la création de La Reine morte d’Henry de Montherlant et la nouvelle présentation de Phèdre de Jean Racine dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault. La Reine morte est la très libre adaptation d’une comedia de l’andalou Luis Velez de Guevara, Reinar después de morir ( Régner après sa mort )1 par Henry de Montherlant à qui Jean-Louis Vaudoyer avait proposé de composer une pièce pour la Comédie-Française. 2 L’œuvre de l’auteur espagnol met en scène les amours de Don Pedro, prince héritier du trône du Portugal et d’Inès de Castro alors que la raison d’Etat commande qu’il épouse l’Infante de Navarre. Les injonctions du roi Don Alonso, la colère de Doña Blanca, l’infante de Navarre offensée, ne parviennent pas à séparer ce couple. Finalement, le roi, sous la pression de ses conseillers, décide la mort d’Inès. Pour l’essentiel, Montherlant, séduit par les situations dramatiques et le pathétique de certaines scènes, reprend l’intrigue de son modèle mais il modifie le propos. Alors que la pièce espagnole reste l’histoire d’une passion amoureuse confrontée à la raison d’état, La Reine morte se présente avant tout comme une pièce politique opposant les exigences du royaume à l’inaptitude du prince à gouverner. Le Roi du Portugal, devenu Ferrante, est protagoniste du drame ; le conflit dramatique met en scène un père et un fils faible, incapable de gouverner. Du même coup, le thème de l’amour profond qui unit Pedro à Inès se trouve dévalorisé, voire caricaturé. La pièce connaît un immense succès puisque qu’en une année, elle atteint les 100 représentations. Le public est sensible au néo-classicisme de la langue, à la grandeur et au pathétique des situations … Il reste que la pièce est violemment attaquée et qualifiée de collaborationniste 3 dans les colonnes des Lettres françaises qui paraissent clandestinement 4. Selon Patrick Marsh, auteur d’un numéro de La revue d’histoire du théâtre intitulée Le théâtre à Paris sous l’occupation allemande 5, nuance un propos qui fait de La Reine morte une pièce fasciste. S’il est certain que la philosophie personnelle d’Henry de Montherlant est nourrie de lectures d’écrivains exaltant des valeurs de violence 1 On lira le texte de cette pièce dans Théâtre espagnol du XVII° siècle, 1, traduction André Nougué, p. 993-1042, Bibliothèque de la Pléiade, nrf. 2 Henry de Montherlant, Comment fut écrite La Reine morte in Théâtre , p. 179-182, Bibliothèque de la Pléiade, nrf, 1972 3 On soulignera que les poètes engagés dans le combat de la résistance au nazisme (Aragon, Eluard, Pierre Emmanuel, Elsa Triolet, Jean Cayrol, Robert Desnos …) ont exalté le sentiment de l’amour contre les valeurs guerrières et “machistes“ que véhiculent les idéologies fascistes. Dans La Reine morte , de nombreuses répliques dévalorisent le lien amoureux. On lira également les textes de L’équinoxe de septembre dans Montherlant, Essais , Bibliothèque de la Pléiade, nrf. 4 On lira en annexe les deux articles que cette publication a consacré à La Reine morte . 5 1981, III. 3 guerrière, l’héroïsme qu’il prône est ambigu. Doit-on le considérer comme raciste ? Certaines répliques fustigeant la lâcheté ont été reçues comme s’adressant à la politique menée par le Front populaire. Pierre-Henri Simon écrit : “ Il [Montherlant] a jeté dans un sujet classique l’accent de sa philosophie personnelle, un nihilisme absolu qui ôte toute limite à l’orgueil et toute raison à la conduite. Dès lors le drame perd cette généralité de sentiments sans laquelle il n’est pas de grandeur tragique .“ 6 Quoi qu’il en soit de la portée idéologique de cette oeuvre, on est tout de même sidéré de lire sous la plume de Pierre Sipriot, voulant sauver Montherlant de l’opprobre : “ De 1940 à 1944, Montherlant s’est comporté comme un révolutionnaire à qui un besoin de sécurité, d’assurance, de tranquillité, a donné le goût de ne plus passer à l’action .“ 7 Une chose est certaine, en choisissant de jouer Montherlant 8, la Comédie-Française se range du côté d’une esthétique néo-classique qui la pénalisera longtemps en l’éloignant des tendances innovantes du théâtre. Après guerre, le paysage théâtral prendra trois directions : • Le théâtre des nouvelles écritures : Adamov, Audiberti 9, Beckett, Ionesco 10 , Sarraute, Pinget, Duras … ; • La compagnie Renaud-Barrault, héritière de Claudel et d’un théâtre poétique : Vauthier, Schéhadé, … ; • Le T.N.P. de Jean Vilar, héraut d’un théâtre social et citoyen, Brecht, Büchner, Kleist, Pichette, Vauthier, O’Casey, Hugo, Lorenzaccio de Musset … suivi par les metteurs en scène de la décentralisation (Dasté, Planchon, Sarrazin, Garran, Rétoré, Gignoux …) La fracture entre conservatisme et innovation apparaîtra clairement et, hélas, elle ne sera pas au crédit du premier théâtre de France. Les prochains numéros de cette édition permettront de mieux situer la place du Français dans l’évolution générale du théâtre. Le second événement majeur est la présentation de Phèdre de Racine dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault. Ce projet était celui de Bourdet qui l’avait confié à Louis Jouvet et Jean Hugo pour le décor. Par ailleurs, Marie Bell souhaitait interpréter le rôle-titre. Le départ de Jouvet pour l’Amérique du Sud en différa la réalisation. Marie Bell, qui tenait absolument à 6 Pierre-Henry Simon, Procès du héros , p. 95 cité par Pätrick Marsh, opus cité, p. 335 7 Pierre Sipriot, Montherlant sans masque , tome II, Ecris avec ton sang, 1932-1972 , Biographies sans masque, Rober Laffont, p. 258 8 Avec 1030 représentations, Henry de Montherlant est un des auteurs les plus représentés au XX° siècle. Seul Georges Feydeau, du point de vue des chiffres, dont la première pièce Feu la mère de madame fut créé à la même époque, peut lui être comparé. Après La Reine morte suivront Pasiphaé (1953), Port-Royal (1954), Brocéliande (1956), Le Maître de Santiago (1957), Le Cardinal d’Espagne (1960) et Malatesta (1969). 9 Fera exception Les Femmes du bœuf , pièce créé le 23 novembre 1948, jouée 8 fois. La Fourmi dans le corps fera scandale lors de son entrée au répertoire le 27 mars 1962. 10 La Soif & la faim sera créé le 27 février 1966. 4 aborder ce rôle emblématique, s’adressa à Barrault pour réaliser cette mise en scène. Jean- Louis Barrault aborde la pièce la plus célèbre de Racine comme un opéra, une symphonie : “Symphoniquement les cinq actes de Phèdre peuvent se diviser en quatre interventions : 1 er mouvement : acte I. 2° mouvement : acte II. 3° mouvement : actes III et IV. 4° mouvement : acte V.“ 11 Et Jean-Louis Barrault, chef d’orchestre-metteur en scène, va organiser les différents instruments qui forment le spectacle : le verbe, la voix, le geste …“ 12 D’ailleurs, les personnages sont définis à partir de leur tessiture vocale : “ Thésée, baryton (…), Phèdre, mezzo-soprano dramatique, 1 er rôle tragique, Hippolyte, ténor, jeune premier tragique, Aricie, soprane, jeune première tragique, Oenone, contralte, mère tragique, Théramène, basse, père noble tragique, Ismène, soprane, confidente tragique, Panope, mezzo-soprane, confidente tragique “13 . Cette approche est résolument moderne qui organise la représentation théâtrale en un ensemble d’éléments non purement textuels. “ L’étude de Phèdre devait me marquer pour toujours : élixir alchimique des secrets de notre art. Quintessence de la poésie théâtrale : Amour, haine, agressivité, théâtre de la cruauté. Racine m’apparut comme le plus musicien des poètes français. Je fis une étude des mouvements symphoniques de Phèdre. J’en décomposai la métrique comme pour une tragédie grecque. Je l’étudiai tellement que je pus un jour, dans un couvent de dominicains, en faire lecture sans recours au texte. Les 1654 vers me sortaient de la peau. Je revins de cette plongée plus convaincu que jamais .“ 14 La distribution réunit Maurice Escande et Marie Bell, Maurice Donneaud et Mary Marquet. Renée Faure, jeune sociétaire nouvellement promue, joue Aricie mais c’est surtout la présence de Jacques Dacqmine, encore élève du Conservatoire, interprète du rôle d’Hippolyte, qui surprend : aucun sociétaire ni pensionnaire n’ayant été choisi pour ce rôle important. Dès lors qu’il s’agit de hardiesse dans la création, la critique, installée dans ses habitudes, fait la moue. Georges Ricou dans La France socialiste ne comprend pas les intentions du metteur en scène lorsqu’il écrit que Barrault a contraint les acteurs à adopter: “ une récitation artificielle, traînante ou asthmatique. Cette curieuse interprétation fausse tout, éteint la sensibilité, tue l’émotion .“ 15 Quant à Alain Laubreaux qui ne peut que détester la hardiesse de Barrault, il se livre à une longue analyse du Cheval arabe donné en lever de rideau et clôt de façon 11 Jean-Louis Barrault, Nouvelles réflexions sur le théâtre , p. 186 Flammarion 1959. 12 On lira dans l’excellent collection Mise en scène aux Editions du Seuil, La Mise en scène de Phèdre par Jean- Louis Barrault. Points-Seuil, 1946, 1972 13 Jean-Louis Barrault, La Mise en scène de Phèdre , p. 28, opus cit. 14 Jean-Louis Barrault, Souvenirs pour demain , p. 151, Seuil, 1972. 15 2 décembre 1942, cité par Patrick Marsch, op. cit., p. 331 5 lapidaire : “ Le spectacle se terminait par une reprise de Phèdre.“ 16 Jean Cocteau consacre à Marie Bell une analyse sensible et juste que l’on retrouvera en annexe 17 . Ce même Jean-Louis Barrault aborde le rôle de Hamlet 18 .