Une légende forestière LE TIRE ET AIRE

Étude historique sur l'ancien traitement des futaies feuillues, envisagé au point de vue de l'assiette des coupes

Par Eugène REUSS

CONSERVATEUR HONORAIRE DES EAUX ET FORETS CORRESPONDANT DE I. ' ACADBNIE D 'AGRICULTURE

Publié par Reger BLAIS

INSPECTEUR-ADJOINT DES EAUX ET PORTS

EUGÉNE REUSS DANS LA FORÉT DE FONTAINEBLEAU Eugène REUSS (1847-1926)

Eugène REUSS est né à Saverne le 19 décembre 1847, d'une famille dont on possède la généalogie jusqu'à la Réforme. Édouard REUSS, une des gloires de l'ancienne faculté de Théo- logie protestante de , était son oncle ; Rodolphe REUSS, le célèbre historien de l', son cousin. REUSS entra à l'École forestière en 1868 avec la 45e promotion; il en sortit major en juillet 187o, pour être incorporé dans la garde mobile de Strasbourg. Nommé à Villers-Cotterêts comme garde général, il y resta huit ans. Après un court séjour à Paris, il fut appelé comme répéti- teur à l'École forestière en remplacement de BROILLARD (188o) et y enseigna l'aménagement et l'économie politique pendant neuf ans. En 1889, il fut nommé inspecteur à Alger, et en 1897 à Fon- tainebleau où il demeura jusqu'à la retraite (1912). Il reprit du service pendant toute la guerre et assuma la gestion de son ancienne Inspection. Il décéda à Fontainebleau le 17 avril 1926. Ses publications les plus importantes s'échelonnèrent de 1885 à 1895. Plusieurs d'entre elles ont été rédigées en collaboration avec BOPPE ou avec BARTET. Parmi ses travaux les plus importants, signalons, outre son Cours d'aménagement, deux articles parus dans la Revue des Eaux et Forêts sous le pseudonyme de REAUMONT : 1' « Aménagement des forêts en Saxe » (1889) et le « 9ardinage qualifié » (1895). . INTRODUCTION Par R. BLAIS.

Dans son étude sur l'aménagement des forêts en Saxe (1), parue en 1889, REUSS, dessinant à grands traits le développement de notre sylviculture, montre qu'elle a pour substratum la science germanique du commencement du siècle, puis il écrit : « Si au lieu de cela, ou à côté de cela, elle avait des racines plus profondes dans notre propre passé, nous devrions certainement nous en réjouir. J'applaudis donc énergiquement aux travaux encore trop peu nombreux, hélas ! qui font connaître le mode d'exploitation et l'état de nos forêts avant 1789. » Excellent germaniste, REUSS se dissimule moins que personne l'ef- fort accompli en matière forestière par les Allemands, les Autrichiens. Mais il a la connaissance obscure de tout un effort proprement fran- çais et il aspire fortement à le mieux connaître. Alsacien exilé d'Alsace, il ne peut regarder à l'Est qu'avec serrement de coeur. Aussi quel apaisement, quelle réjouissance, si sans altérer la vérité, tout au contraire, en la servant, on arrivait par des fouilles et des déblaie- ments, à exhumer de notre propre passé des racines intactes à partir desquelles on pourrait reconstituer l'arbre de notre vieil art forestier. C'est là une noble idée d'Eugène REUSS. S'il l'a imparfaitement réalisée, il appartenait à un autre Alsacien de prendre l'outil et de restituer notre passé forestier, de nous faire découvrir notre patri- moine. Oui, à la lumière de cette filiation l'oeuvre historique de Gustave HÜFFEL nous paraît acquérir un nouveau prestige. Dans le sub- conscient peut-être, l'élève et le successeur de REUSS a épousé la nostalgie du maître et du compatriote et c'est à juste titre que M. le Conservateur VAILLANT a écrit dans la remarquable biographie consacrée à son maître que HÜFFEL a « surtout mis en lumière l'origine

(I) L'aménagement des forêts en Saxe. Sous le pseudonyme de REAUMONT. (R. E. F., 1889.) 6 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE bien française de certaines notions considérées souvent et à tort comme nées outre-Rhin, mais en réalité oeuvre de nos devanciers d'il y a deux siècles; il a rappelé que nous pouvons à bon droit nous enor- gueillir de RÉAUMUR, BUFFON, DUHAMEL DU MONCEAU, VARENNE DE FENILLE, FROIDOUR, DRALET et tant d'autres que son érudition a cités et que l'aménagement des forêts fut, dès ses débuts, une science française » (I). Ainsi se trouvent unis, de la manière la plus heureuse, REUSS et HÜFFEL, le maître et le disciple; et un disciple peut-être plus grand que le maître sans lui porter ombrage.

De toutes façons, notons-le, l'éditeur de l'ouvrage posthume de REUSS sur le tire et aire devait se poser une question préjudicielle à cause précisément de l'ceuvre historique de Gustave HUFFEL. Ne devait-il pas apprécier l'importance de l'apport propre de REUSS par rapport à l'état actuel de notre littérature forestière? REUSS a pu, dans son cours d'aménagement autographié, formuler quelque timide restriction sur les rapports couramment admis entre l'ordonnance de 1669 et le tire et aire; il a pu écrire en 1910 sur un carton : « Ce dossier renferme les notes que je prends depuis une trentaine d'années, en vue d'un travail destiné à établir qu'avant 1827 les forêts n'étaient pas traitées, comme le prétendent tous les auteurs, suivant un mode appelé tire et aire. La réfutation de cette erreur colossale est le principal objectif que je vise en tant que fores- tier et ancien professeur... » Il n'y a de priorité en matière scienti- fique que lorsque la pensée est exprimée! Or HüFFEL a dénoncé dans son Économie forestière parue en 1904 la légende du tire et aire. Plus tard, en 1927, dans son précieux travail sur Les Méthodes de l'Aménagement forestier en (2), il n'use même plus de l'expression tire et aire dans le texte, et n'en fait mention que dans de simples notes (p. 66, note 2; p. 148, note 1). Prêt et parti le premier pour le combat, on peut arriver après la bataille. Tel peut être le cas de REUSS. Remarquons qu'après avoir procédé, vers 1911 seulement, à une lecture attentive et sympathique de l'Économie forestière, REUSS

(1) Gustave Hüffel (1859-1 935), par H. VAILLANT. Ann., t. V, f. 3, 1 935. HiiFFEL, de la 55e promotion de l'École (1881) fut élève de REUSS. Il fut appelé à lui succéder en 1889. (z) Ann., 1927. LE TIRE ET AIRE 7 jugeait utile de poursuivre et de publier ses propres recherches. Son ouvrage même contient la justification détaillée de cette décision. Nous dirons dans un instant pourquoi nous nous sommes rangé à son avis. Quant aux travaux plus récents, que REUSS n'a pas connus, il n'y a pas lieu de s'y arrêter longuement. Le plus important, dû à POTEL (I), constitue une reprise explicite des thèses de HÜFFEL avec leur application dans la forêt de Bercé, si bien connue de l'auteur. Et si M. l'inspecteur général MouGix, dans son histoire des forêts de Savoie, M. GOBLET D'ALVIELLA dans celle des forêts belges, parlent du tire et aire, ils n'en font qu'une rapide et sommaire mention (2). La circulaire no 907 de la Direction générale (8 avril 1924) dans le précieux et précis tour d'horizon qu'elle donne des méthodes d'amé- nagement mentionne rapidement une méthode par contenance « à tire et aire ». On y reconnaît une évidente inspiration d'HÜFFEL. Il conviendrait bien, pour être complet, de signaler que notre ouvrage sur « La conversion » (3) relate à plusieurs reprises les mé- thodes de tire et aire; nous sommes certain que Reuss aurait soumis à son crible impitoyable nos pages sur la question; nous aurions, certes, été inculpé de chercher à infuser un renouveau de vie à un complexe abusivement enrichi par des imaginations successives mais nous sommes sûr que nous aurions échappé à l'accusation d'avoir une fois de plus compliqué le problème. Sans insister davantage, pré- sentons le tire et aire d'Eugène REUSS.

REUSS a laissé un manuscrit d'une soixantaine de pages définitive- ment rédigé, un manuscrit non définitif et inachevé faisant suite au

(1) Du traitement en futaie par le mode dit « d tire et aire » et de son application dans les futaies feuillues de l'Ouest, spécialement en forêt de Bercé, par POTEL. (R. E. F., juin-juillet 1925.) (2) MOUGIN, Les Forêts de Savoie. Paris, 1919. Les coupes à blanc étoc, si fréquentes alors (sous le régime des lettres patentes du duc Charles Félix : 15 octobre 1822) étaient pratiquées à tire et aire ou en damiers plus ou moins irréguliers (p. 542). n GOBLET D'ALVIELLA, Histoire des bois et forêts de Belgique, tome II, 1927. « Du système de la coupe à blanc avec repos de cinq ans consécutifs à l'exploita- tion et replantations, nulle trace dans les documents relatifs à l'aménagement de la forêt (de Soignes) jusqu'à la fin de l'ancien régime. Bien au contraire, nous voyons continuer la méthode du tire et aire avec tentative de régénération naturelle au moyen de semenciers laissés debout sur le sol de la coupe et avec léger regarnissage (p. 1 94) . s Cf. aussi p. 117. (3) R. BLAIS, Une grande querelle forestière : La conversion. Paris, 1936. 8 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE précédent, des notes enfin. Appelé à dépouiller ces documents, remis par sa veuve à l'École forestière en 1 935, nous fûmes frappé par l'im- portance et la qualité du travail accumulé et nous entreprîmes, avec l'assentiment de M. le Directeur de l'École, de mettre cet ouvrage en valeur (1). Nous avons essentiellement pratiqué la fidélité spirituelle et nous n'avons pas craint de faire des coupures même dans la partie achevée, afin de l'équilibrer avec le surplus. Une des caractéristiques de cet ouvrage est — nous allons y revenir — de rechercher la vérité par approximations successives et de faire passer le lecteur par tous les chemins, tous les défilés où l'auteur lui-même s'est engagé. Cette méthode a l'inconvénient d'être longue; il n'est pas nécessaire qu'elle suscite des imitateurs; pourtant nous y avons vu un attrait et nos élagages ont conservé au livre son caractère original. Nous avons généralement contrôlé les références et les citations; exceptionnellement nous nous sommes livré à quelques redressements. Dans un cas nous avons maintenu contre notre gré une interpré- tation de REUSS : une note précise la divergence (2). Ce labeur nous a été rendu relativement facile par la richesse de la collection d'histoire forestière de l'École. Tel quel, cet ouvrage apparaîtra aux yeux de certains dispropor- tionné. On jugera peut-être la partie critique plus poussée, plus définitive que les chapitres proprement constructifs; l'apport de ceux-ci pourra sembler un peu mince; on résumerait en quelques propositions les thèses de l'auteur. Mais quels livres d'histoire échappent peu ou prou à des critiques de cette nature? Le métier d'historien est-il de formuler le passé en théorèmes ou de l'évoquer? Que le lecteur pressé ferme hâtivement ce livre, mais que celui qui a quelque loisir, par amour pour notre passé forestier, les y consacre; il en sera récompensé. En premier lieu, le tire et aire de REUSS a une valeur pédagogique considérable, une valeur de formation. Nos jeunes camarades y trouveront un exemple de la manière dont une vie d'administrateur et de technicien comme la nôtre s'allie avec la recherche désinté- ressée, alliance souvent entravée sans doute, mais pleine d'imprévus

(I) Nous avons l'agréable devoir de dire ici tout ce que ce travail doit à Mme VEL- LANDE-CHAPOU, qui a transcrit à la machine un manuscrit souvent plein de sur- charges, avec une intelligence consommée du vocabulaire forestier. (2) Les notes sont généralement de REUSS. Dans le cas de notes mixtes, la partie de REUSS est signée E. R., celle de l'éditeur R. B. R. E. F. Revue des Eaux et Forêts. Ann. Annales de l'École Nationale des Eaux et Forêts et de la station de Recherches et Expériences foree.tières. LE TIRE ET AIRE 9 et de charmes. Les peines de cette recherche pourraient faire rire un professionnel, un archiviste coiffé à sa naissance d'une vraie méthode et doué de cette sensibilité particulière — apparentée au doigté du pianiste — qui fait qu'il n'est lui-même que dans les biblio- thèques publiques et les dépôts d'archives. En réalité cet archiviste ne rit pas de nous et s'il sourit c'est en nous offrant l'aide de ses conseils. Nul historien, en tous cas, nous semble-t-il, ne saurait se moquer du Tire et Aire, ni de sa démarche un peu lourde. On se moque d'un impatient qui croit à chaque cote qu'il dépouille faire une découverte incendiaire; on ne peut que révérer les exigences scientifiques d'un esprit comme celui de REUSS. Moins scrupuleux, il aurait eu le temps de l'achever, de l'éditer, avant la maladie, avant la mort... Son livre, qui est d'une rare probité littéraire, est aussi d'une rare modestie. Il représente un labeur considérable, l'effort d'une pensée rigoureuse et personnelle. En second lieu, cet ouvrage apporte un exemple frappant, vraiment énorme, du développement d'un mythe dans notre technique fores- tière. C'était très séduisant, à l'orée du xIxe siècle, de définir la nou- velle sylviculture, qui s'avançait cohérente et armée de toutes pièces, par opposition avec l'ancienne. Notre goût des idées générales fit le reste. Sous le nom de tire et aire on prétendit construire le mécanisme servant précédemment au traitement des futaies dont la démons- tration eut bien étonné le garde-marteau moyen — pourtant éclairé — du siècle de Voltaire. Le plus grave était que toutes les pièces du mécanisme, ou presque toutes, présentaient une réelle authenticité. Le montage seul était défectueux. C'est merveille de voir REUSS démonter l'appareil, classer les pièces, préciser leurs véritables fonctions, percer à jour l'affabulation, et, avouons-le, manquer parfois de patience devant les confusions accu- mulées. Enfin, le lecteur de ce livre, s'il lui arrive d'en oublier les conclu- sions forestières, conservera toujours l'impression d'avoir fait un véritable tour d'horizon de notre littérature et de nos grands édits forestiers. Auprès de lui, ce n'est pas la voix d'un professeur qu'il entend, mais celle d'un grand frère, qui a été professeur et qui ne s'en sou- vient plus. Une voix qui raconte le voyage de sa propre vie en même temps que ses explorations dans le passé; d'outre-tombe, cette voix ne s'accorde-t-elle pas avec l'histoire?

A Arthur BARTE DE SAIN TE-FARE,

Ancien Conservateur des Forêts, Mon compatriote de Saverne, Mon prédécesseur de Fontainebleau.

E. REUSS.

Cette dédicace est la réalisation d'un projet cher à E. REUSS. Arthur BARTE DE SAINTE-FARE, un forestier droit, précis, exact, une conscience, comme Eugène REUSS. De Sainte-Fare et Reuss : deux enfants de Saverne que de dures circonstances contraignirent à servir la France, loin des forêts de leur Alsace natale. De Sainte-Fare : nom symbolique à la page d'honneur d'un livre consacré aux anciennes méthodes forestières. Son père, Alexandre B. de Sainte-Fare (1806-1898) appartenait à la première promotion de l'École. Il fut de ceux « qui marquèrent dans cette jeunesse de 1825 et qui, à défaut de tradition, ont été à

eux-mêmes leurs ancêtres » ( DE VENEL). Sa mère, née Amélie Kolb, était fille d'un conservateur des Forêts de l'Empire, petite-fille d'un maître particulier de forêts de Saverne, arrière-petite-fille d'un officier de la maîtrise d'Haguenau.

Cf.: Nécrologie, R. E. F., 1 92 5, P. 585 (par Victor de Larminat) et La gestion des Forêts au ministère des Finances. DE VENEL (Paris, 1884).

LIVRE PREMIER

COMMENT LE TIRE ET AIRE DEVINT, POUR MOI, UN PROBLfME?

S'il y a jamais eu une opinion profondément ancrée dans l'es- prit des forestiers du xixe siècle, c'est qu'avant l'application du mode de réensemencement naturel et des éclaircies, et sous le régime de l'ordonnance de 1669, les futaies feuillues se traitaient « à tire et aire s. Cette méthode d'exploitation, déclarait-on à l'époque où je suivais comme élève les cours de Nancy, était prescrite par l'or- donnance susmentionnée et consistait : à diviser (au moins par la pensée, sinon sur le papier et sur le terrain) la forêt considérée, ou une fraction importante de celle-ci, en un certain nombre de parties aliquotes correspondant à l'âge de la futaie exploitable; à attaquer le canton le plus vieux, en asseyant de proche en proche des coupes annuelles d'une contenance calculée comme il vient d'être dit; à abattre chaque fois tout le matériel, sauf une réserve de dix arbres par arpent; à continuer de la sorte pendant toute la durée de la révolution, sans jamais revenir en arrière. On ajoutait d'ailleurs que ce système ne comportait ni pro- duits intermédiaires ni régénération progressive de chaque peu- plement. LORENTZ et PARADE, en l'admettant dans leur Cours de Culture, avaient revêtu cette doctrine de leur autorité légitime et lui avaient donné la plus haute sanction d'ordre scientifique à laquelle elle pût prétendre à cette époque. Dans toutes les éditions du Cours, elle fait l'objet de l'article 14 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE du chapitre IV, livre III, et s'y trouve exposée à l'aide des mêmes termes à quelques légères variantes près (I). NANQUETTE, BAGNERIS, BROILLIARD, élèves et continuateurs de PARADE, étaient devenus à leur tour les fidèles propagateurs de la thèse en question (2). Du foyer de notre enseignement sylvicole, cette thèse avait rayonné dans la France entière et y était même parvenue, pour ainsi dire, à l'état de dogme. Non seulement tous les forestiers de profession, mais aussi les personnes qui s'occupaient à un titre quelconque de la production ligneuse, économistes, finan- ciers, hommes politiques, parlaient de l' « ancien tire-et-aire », et énuméraient ses mérites ou ses inconvénients. Les arbres exceptionnellement vieux que renfermaient les futaies plus jeunes étaient désignés sous le nom de « réserves du tire et aire », et leur présence sur le terrain semblait confirmer l'exactitude de la théorie en cause. Comme preuve qu'elle répondait à l'opinion généralement admise en France, au milieu du xixe siècle, je citerai le discours prononcé à l'Assemblée Constituante, le 4 décembre 1848, par le représentant du peuple MAISSIAT, en vue de défendre l'Admi- nistration et ses nouvelles méthodes, alors très critiquées. On y lit le passage suivant (Annales forestières de 1848, p. 475 - 505) Que faisait-on... sous le régime de l'ordonnance de Colbert? Pre- nons le cas d'une futaie : on divisait la futaie en parties égales, comme un échiquier; et puis, à des époques successivement équidistantes, on coupait une de ces portions, en y laissant çà et là un certain nombre défini d'arbres d'avenir et de graine ; ainsi de suite, de quar- tier en quartier.

Au même ordre d'idées correspondent les lignes que voici, tirées d'un article que le Conservateur BÉRAUD publia en 1861

(r) Sur les éditions du Cours élémentaire de culture des bois, voir HüFFEL, op. cit. Ann. 1927 (p. 132). (2) Les Cours d'Aménagement de NANQUETTE et de BROILLIARD, le Manuel de Sylviculture de BAGNERIS sont, comme le livre de LORENTZ et PARADE, des ouvrages trop connus pour que j'aie besoin de transcrire ici les assertions qu'ils renferment relativement au « tire et aire u. Je me bornerai donc à rappeler que ce qu'on y trouve de plus intéressant et de plus complet sur l'ancien traitement des futaies feuillues, c'est la s Notice historique N placée par PARADE en tête du Cours d'Aménagement de NANQUETTE. LE TIRE ET AIRE 1 5 dans les Annales forestières (De l'ancienne et de la nouvelle Culture, P. 147) Avec le régime de tire et aire, l'aménagement des futaies consistait à établir, en commençant par les parties les plus âgées, des coupes annuelles de contenances égales et en nombre égal à celui des années de la révolution d'exploitation de la forêt; la reproduction s'opérait par l'ensemencement.

Quant aux forestiers étrangers, ils répétaient naturellement ce qu'ils nous entendaient dire à nous-mêmes, et, pour eux comme pour nous, la « méthode du tire et aire » était une des caractéristiques de la vieille sylviculture française (I). Sans doute, avouait-on, la pratique courante s'écartait souvent de la règle : le recépage des jeunes peuplements mal venus ame- nait des retours en arrière; les dix baliveaux à l'arpent étaient une moyenne dont pouvait beaucoup différer le chiffre de la réserve effective; le terme d'exploitabilité choisi changeait par- fois en cours de révolution, avant que toute la surface aménagée fût parcourue; etc... Mais on regardait ces mesures perturba- trices comme des dérogations formelles à l'ordonnance, et celle-ci passait toujours pour prescrire, sous le nom de tire-et-aire, le traitement rigide esquissé plus haut. Voilà aussi, bien entendu, ce que je pensais moi-même quand, en juillet 187o, mes camarades de la 45e promotion et moi, nous quittâmes l'École forestière avec le grade de garde général, pour participer à la défense de la patrie. Par suite de l'insuccès que subirent cette fois-là les armes françaises, et en raison des dou- loureuses exigences du traité de Francfort, ceux d'entre nous qui avaient demandé, au sortir de Nancy, à faire leur stage dans des portions du territoire cédées depuis lors à l'Allemagne, furent dirigés, en mai 1871, vers des postes nouvellement choisis et l'Administration m'envoya à Villers-Cotterêts. Cette résidence était, à l'époque dont il s'agit, le siège d'une École forestière secondaire (2). J'y fus chargé d'un cours de

(r) Voir, par exemple, l'ouvrage du Rév. John CROUMBIE BROWN, paru vers 188o et intitulé : French Forest Ordinance of 1669, with historical sketch of previous Treatment of Forests in France. Edinburgh, Oliver and Boyd. (2) Voir sur cette institution : L'Enseignement forestier en France, par Ch. GUYOT. Nancy, 1898, p. 24 et ss. R. B. 16 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE mathématiques appliquées que je professai pendant neuf années, successivement comme stagiaire, comme membre d'une com- mission d'aménagement et comme chef du cantonnement de Villers-Cotterêts-Nord. Je pus donc examiner de près, dans tous ses recoins, cette célèbre forêt de Retz que LALLEMAND DE LES- TRÉE, son « réformateur » au temps de Colbert, proclamait « la plus noble et la mieux plantée du royaume ». « S'il existe, me disais-je au début de mon stage, un vaste massif boisé où les prescriptions de l'ordonnance de 1669 aient été exactement suivies, ce doit être le domaine en présence duquel je me trouve, puisqu'il a fait l'objet d'une « réformation » spéciale postérieure seulement de trois années à la loi forestière générale, applicable à toute la France. Quelque grand que soit, ajoutais-je en moi-même, l'écart entre la pratique et la théorie, il serait étonnant que la forêt de Retz ne portât pas encore aujourd'hui des traces très apparentes du système d'exploi- tation qui fut officiellement en vigueur pendant deux siècles. « Envisageons, par exemple, l'assiette des coupes, et suppo- sons que les futaies aient été déclarées mûres à 120 ans. Il va de soi que jamais aucun officier de maîtrise n'a songé à diviser une forêt de 13.000 hectares en 120 parties aliquotes, à installer, en conséquence, des « ventes » d'un seul tenant de plus de ioo hectares chacune et à disposer ces ventes de proche en proche sur le terrain, chaque coupe annuelle étant localisée dans un seul et même district : les inconvénients d'une pareille méthode sautent aux yeux, et nos pères ont sans doute eu de bonne heure la notion de la « série ». Mais alors, si les « séries » primitives étaient conformes à ce qui fut plus tard enseigné à Nancy, c'est-à-dire si chacune d'elles constituait un gros tène- ment d'un millier d'hectares, à limites permanentes, il a dû se créer peu à peu une suite de vastes peuplements d'âges gradués, encore reconnaissables aujourd'hui. » Telle était l'argumentation à laquelle je me livrais. Or, j'avais beau chercher à identifier ces anciennes coupes, je n'arrivais à aucun résultat satisfaisant : les peuplements équiennes aux- quels j'avais affaire étaient disposés pêle-mêle, les vieux à côté des jeunes ou de ceux d'âge moyen, sans qu'un ordre quelconque parût avoir présidé à leur juxtaposition. LE TIRE ET AIRE 1 7 La règle des dix baliveaux à l'arpent m'intriguait d'une façon analogue; dans aucun canton, en effet, je ne constatais que la moyenne du nombre d'arbres de réserve réellement existant approchât de ce chiffre. Le facies de la forêt se montra donc à moi fort différent de ce que je m'étais imaginé. Mes tentatives en vue de me rendre compte de l'ancien mode de traitement des futaies ne se bornèrent pas, d'ailleurs, à des recherches sur le terrain. En 1875, au cours d'un procès intenté par un riverain des « rûs de flottage » (I), je fus chargé de com- pulser aux Archives nationales la partie du fonds d'Orléans relative au duché de Valois (2). Il me passa de la sorte entre les mains une quantité considérable de documents ayant trait à la gestion des forêts apanagères de Retz et de Laigue (3). Néanmoins, dans aucun d'entre eux, je ne rencontrai le terme « tire et aire ». Je m'attendais pourtant à ce qu'il y fût employé à propos de la marche des coupes, puisque, d'après l'enseigne- ment que j'avais reçu, il désignait le mode d'assiette obligatoire. D'autre part, ce mot ne serait certainement pas demeuré inaperçu pour moi si les textes parcourus l'avaient renfermé à un endroit quelconque, car je le recherchais avec un soin extrême. Son absence me causa donc une grande déception. Un peu plus tard, j'eus à rédiger, en qualité de membre de la 8e Commission d'aménagement, quelques-unes des « Statis- tiques générales » qui se placent en tête des projets soumis à l'Administration. Je consultai à cette fin les archives départe- mentales du Pas-de-Calais et de l'Aisne, avec l'espoir qu'elles me fourniraient, peut-être, à l'égard du mystérieux « tire et

(r) Jusque vers 190o, l'Administration des Forêts a gardé sous sa dépendance, dans le Valois, de petits cours d'eau canalisés qui servaient depuis un temps immé- morial au flottage à bûches perdues, et amenaient aux rivières d'Ourcq, d'Aisne et d'Oise, puis, de là, par trains à Paris, les bois de feu provenant de « la Côte de Retz n. Ces produits, grâce à leur mode de transport peu coûteux, arrivaient donc en abon- dance dans la grande ville. Liés en petits fagots, pour la facilité de la vente au détail, ils devinrent vite populaires sous le nom abréviatif de « cotrêts », encore en usage aujourd'hui pour une marchandise analogue. Voir, du reste, à ce sujet, R. E. F., 1 897, p. 176 à 178. (2) Les Domaines du Valois, dont la forêt de Retz était le plus riche joyau, entraient dans l'apanage de la maison d'Orléans. (3) Les cotes de ces pièces ou dossiers figurent aux colonnes 651 et 652 de l'Inven- taire méthodique des Archives.

ANN. FOREST. -- T. VII — FASC. I Iô UNE LÉGENDE FORESTIÈRE aire », les données que je n'avais pas découvertes dans le grand dépôt parisien. En effet, au cours desdites recherches, je mis la main sur deux documents manuscrits où s'étalait la fameuse expression. Mais, comme on va le voir à l'instant, ma joie fut de courte durée. La pièce la plus ancienne, datée du 25 août 1666, est un « Pro- cez-verbal du sieur Feramus, lieutenant en la justice de Calais, contenant la visite par lui faite de la forest de Guisnes » ( I). On y lit les passages ci-après : ...Les ventes se sont faites cy devant en confusion, sans nombre certain et sans ordre ny suitte, tant à cause des guerres que de la négligence des officiers... ce qui a causé la ruine de la forest. Pour la restablir, il est expédient de régler les dites ventes à cent dix mesures, qui est de seize ans de rejets, sans remplage ny déduc- tions de rietz (pâturages) et d'obliger les fermiers et adjudicataires de recéper les endroits qui se trouveront abroutis et de mauvaise nature en leur vente, ce qui tiendra lieu de recépage... Il est à propos de réduire la vente à une seule contrée, sans buis- sonnage ny division et de l'exploiter à tire et aire, tant pour empes- cher les mésus que font les marchands ventiers lorsque il y a plu- sieurs ventes ouvertes, que pour donner un aage égal à tous les taillis, mesme à ceux qui sont abroutis et se trouverront recepez dans les ordinaires.

Au premier abord, j'avais là une confirmation pleine et entière de la théorie classique : pour remédier aux abus commis, le sub-délégué de Charles Colbert proposait d'établir ce que nous appellerions aujourd'hui une seule « série d'exploitation », de donner aux coupes une contenance rigoureusement égale au quotient de la surface de la forêt par la durée de la révolution, et d'asseoir ces coupes à tire et aire, de façon à créer une gra- dation d'âges parfaite.

(r) Ce document est conservé aux archives du Pas-de-Calais. Il y en a aussi un exemplaire à l'Inspection des Eaux et Forêts de Boulogne. Le Sr Feramus était « subdélégué, pour procéder à la réformation des forests seizes es ressort de la dite ville de Calais et de celle d'Ardre, par Mg' Colbert, conseiller du Roy en ses conseils, maistre des requestes ordinaire de son hostel, intendant de la justice, police et finance de Picardie, etc., commis par S. M. à la réformation souveraine des eaües et forests des dites villes, pays et provinces s. Il s'agit, dans cette délégation, de Charles Colbert, frère de Jean-Baptiste, le grand ministre. Chartes Colbert, marquis de Croissy, s'était distingué, de 1655 à 1663, comme intendant d'Alsace. Il devint, en 1679, secrétaire d'État aux Affaires étrangères. LE TIRE ET AIRE 19 Oui, tel semblait bien être le dispositif adopté, mais il s'appli- quait à une petite forêt de 1.760 arpents seulement et qui devait être exploitée en taillis à la courte révolution de 16 ans. Le Sr Feramus aurait-il proposé quelque chose de semblable pour un grand massif boisé traité en futaie? C'est précisément cela qu'il fallait savoir. Quant à la deuxième pièce, elle ne procurait aucune clarté à ce sujet, car, elle aussi, se rapportait à une forêt de faible étendue exploitée en taillis, et, par-dessus le marché, appartenant, non au Roi, mais à une communauté ecclésiastique. Ce second document est une décision du Grand Maître du Département de Paris du 8 novembre 1725, relative aux bois de l'abbaye cistercienne de Vauclair (I). Elle stipule qu'après la dislocation du quart en réserve, on procédera

au règlement du surplus... en coupes ordinaires à l'âge de vingt-cinq ans et à la désignation d'icelles par première et dernière, à tire et aire... lors desquelles coupes il sera réservé par chacun arpent vingt-cinq baliveaux de l'âge du taillis.

Ainsi, en définitive, la seule conclusion susceptible d'être dégagée de ces textes c'est que les coupes se réglaient à « tire et aire s dans les taillis. Mais quid? lorsque la forêt ou la portion de forêt envisagée était exploitée en futaie? La persistance du mystère me décida alors à me reporter à l'Ordonnance elle-même; j'aurais, d'ailleurs, évidemment dû commencer par là, mais la nécessité d'une pareille vérification ne m'était pas apparue de suite, tant les affirmations péremp- toires faites au sujet de ce monument législatif m'avaient influencé. Je recherchai donc tous les articles de l'Ordonnance où il pou-

(r) La pièce se trouve aux archives départementales de l'Aisne. Les bois en ques- tion constituent depuis 1790 la forêt domaniale de Vauclerc (316 ha. 66 a.) fusionnée aujourd'hui, au point de vue de l'aménagement, avec la forêt voisine dite de Laverny. C'est à tort que la graphie Vauclerc a été adoptée par l'Administration, l'abbaye s'appelant, en latin, Vallis clara et non Vallis Clerorum. En français, on a obtenu Vauclair en retournant le nom de Clairvaux que portait la maison mère. 20 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE vait s'agir de l'exploitation des bois et des opérations sylvi- coles (I). Or, ce que je trouvai en consultant directement la loi elle- même fut loin de justifier les idées reçues : je ne constatai nulle part la mention, sous le nom de tire et aire ou sous un autre nom quelconque, d'une méthode officielle de traitement des futaies, en vertu de laquelle les coupes auraient été assises de proche en proche, et les peuplements exploités à un âge déter- miné; je ne vis non plus à aucun endroit qu'il fût interdit de jardiner ou d'éclaircir. Toutes les dispositions de l'Ordonnance relatives au traitement des futaies pleines se montrèrent à moi groupées dans le titre XV qui a pour rubrique « De l'Assiette, Ballivage, Martelage et Vente des Bois » (2), et même réduites au contenu des articles I, 5, 6 et II. Les articles I et 5 se rapportent à l'assiette des coupes, c'est-à- dire à la fixation de leur emplacement; l'article 6 traite de leur arpentage et de l'indication précise de leurs limites; l'article II concerne le balivage et le martelage. Aux termes des articles I et 5 combinés, les assiettes des ventes ordinaires « soit de futaye ou de taillis » sont soumises à une seule condition, celle d'être désignées a chaque année » par le Grand Maître, qui a expédiera ses Mandemens et Ordon-

(i) Je me suis servi, dés le début, pour l'étude de l'ordonnance de 1669, d'un petit

in - 12 intitulé : Commentaire sur l'Ordonnance des Eaux et Forets du mois d'août x669, publié à Paris, en 1772, chez Debure père. Le nom de l'auteur ne figure pas sur le volume, mais, grâce à l' « approbation » (p. xxii) et à d'autres renseignements dont je dispose, je sais que cet ouvrage, qui a obtenu un grand succès dès sa publi- cation, est chi à Daniel Joussx, conseiller au baillage d'Orléans. Toutes les citations d'articles ou de passages de l'ordonnance de 1669 que renferme le présent travail sont conformes au texte donné par Joussx. (a) On pourrait croire, d'après les termes de cette rubrique, qu'il est question dans le titre XV de toutes les ventes de bois, quel que soit le propriétaire de la forêt où la vente est assise. Mais, ainsi que le remarque JoussE (op. cit., p. 209), le titre XV ■ n'a pour objet que la vente des bois du Roi o. Je remarquerai à mon tour que les rédacteurs paraissent s'y être occupés de bois feuillus. Il n'y a pas lieu, d'ailleurs, de s'en étonner. La France de 1669 ne comprenait en effet ni les sapinières de Franche-Comté, ni celles de Lorraine, et l'Alsace était réunie depuis trop peu de temps pour que Colbert et ses délégués donnassent aux bois résineux du versant rhénan des Vosges l'attention qu'ils méritaient. Le Roi possédait, il est vrai, dans le Dauphiné, la Provence, l'Auvergne, le Languedoc, le Béarn, de grandes étendues garnies d'arbres verts; mais ces forêts de haute montagne n'étaient pas en général susceptibles d'exploitations réglées, faute de chemins; les populations riveraines en absorbaient sans doute les rares produits réalisables, et le pouvoir cen- tral se désintéressait à peu prés de leur existence. LE TIRE ET AIRE 2I nances... conformément aux Règlemens arrestez en nostre Conseil D. Cela ne signifiait-il pas, dans le langage d'aujourd'hui, que le Grand Maître était tenu d'appliquer l'aménagement sanctionné par le chef de l'État, absolument comme c'est le cas depuis 1827 pour le conservateur et ses subordonnés? Mais alors, ne pouvait-il y avoir, en 1669 aussi bien qu'actuel- lement, une très grande diversité dans la réglementation des coupes, et, en particulier, dans l'exploitation et l'éducation des futaies? Ne pouvait-il pas se faire, par exemple, qu'en vertu même des règlements, les coupes, au lieu de marcher de proche en proche, fussent assises dans les endroits où, tout bien pesé, elles seraient le mieux à leur place? L'article 6 déclare, il est vrai, que « l'arpenteur... sera tenu de se servir au moins de l'un des pieds corniers de l'ancienne vente ». Mais cette prescription doit-elle être interprétée more judaico? Son auteur n'a-t-il pas sous-entendu qu'elle s'applique seulement au cas où l'emplacement voisin de « l'ancienne vente » mérite à tous égards d'être choisi pour l'exploitation nouvelle, et que, dans le cas contraire, il faut jeter son dévolu sur des bois plus vieux ou moins bienvenants, fussent-ils très éloignés des premiers? L'ordonnance réglementaire du Code de 1827 renferme (art. 76- § 2) une disposition identique à celle qui nous occupe : a-t-on jamais prétendu que l'alinéa en cause eût une réelle portée en matière d'aménagement? Pourquoi la même règle, exprimée à peu près à l'aide des mêmes mots, aurait-elle un sens plus étroit lorsqu'elle figure dans un texte signé Louis XIV, que lorsqu'elle est édictée une seconde fois par Charles X? Si le traitement des futaies sous le régime de l'Ordonnance de 1669 comporte déjà une grande diversité quand on envisage le seul facteur assiette, il devient, a fortiori, susceptible d'une foule de variations si le facteur réserve entre également en ligne de compte. L'article I i du titre XV stipule bien que « le Garde-marteau... fera choix de dix arbres en chacun arpent de fustaye ou haut recrû », mais, là aussi, ne faut-il pas voir, au lieu d'une pres- cription rigoureuse, une simple indication analogue à celle que renferme l'article 12 du même titre XV à l'égard des « baliveaux 22 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE anciens et modernes » dans les coupes de taillis. Il ressort, en effet, de cet article 12 que si, dans les taillis, on doit en principe réserver, outre un certain nombre de baliveaux de l'âge, « tous les baliveaux anciens et modernes », on peut également, à l'aide de propositions spéciales, éviter la pléthore d'arbres de réserve qui résulterait de l'application stricte de cette règle. Cela revient à dire, en somme, que le balivage des taillis peut être opéré différemment d'une forêt à l'autre, pourvu que l'autorité compétente en ait décidé de la sorte. Si donc telles étaient les vues des délégués de Colbert sur le martelage dans les taillis, à plus forte raison avaient-ils des idées semblables à propos des futaies pleines et considéraient-ils la fixation à dix du nombre d'arbres à réserver, soit comme une donnée arbi- traire dont on s'écartera sans scrupule, soit, tout au plus, comme un minimum. Mais ce qui me déconcerta surtout, ce fut l'affirmation qu'une lecture attentive de l'ouvrage de LORENTZ et PARADE me fit découvrir dans le paragraphe où ces écrivains ont donné les principales caractéristiques du « régime dit à tire et aire » tel qu'ils le concevaient. En effet, à partir de 1855, date de la troisième édition de leur livre, les auteurs du Cours de Culture ont accompagné (§ 507, p. 289) de la référence suivante, l'exposé sommaire qu'ils fai- saient du mode de traitement en question : « Voyez Dictionnaire des Forêts, par BAUDRILLART, p. 913. » Or, si l'on se reporte à l'endroit indiqué (t. II, verbo Tire et Aire), on tombe, il est vrai, sur un article commençant par la phrase ci-après, qui jus- tifierait la thèse classique :

L'art. i i du tit. XXV de l'ordonnance de 1669 dit que les coupes seront faites à tire et aire, c'est-à-dire de suite, sans relâche et sans intermission de la vieille vente à la nouvelle, et en allant toujours devant soi. Le contraire, en allant çà et là, s'appelle fureter ou jardiner un bois.

Mais, qu'on prenne un exemplaire quelconque de l'Ordon- nance, on verra que le titre XXV a pour en-tête : « Des Bois appartenant aux Communautés et Habitants des Paroisses », et on constatera qu'aux termes de l'article 3 du même titre, les LE TIRE ET AIRE 23 parties desdits bois affectées aux coupes ordinaires étaient trai- tées exclusivement en taillis (i). Par conséquent, pas plus dans l'Ordonnance elle-même que dans les documents d'archives qui m'avaient passé par les mains, je ne voyais la prescription d'exploiter « à tire et aire » formulée à l'égard des futaies; les taillis seuls étaient visés (2). Ces découvertes corroborèrent singulièrement les doutes que m'avait déjà inspirés la thèse historique en honneur et me firent penser que, si l'ancien traitement des futaies feuillues s'appelait « méthode du tire et aire », ce n'était pas l'Ordonnance de 1669 qui lui avait donné ce nom. De plus en plus intrigué, je me dis que, comme LORENTZ et PARADE basaient leur doctrine sur le Dictionnaire de BAUDRIL- LART, j'avais intérêt à examiner de très près cette vaste compi- lation; peut-être y découvrirais-je, en sus du passage auquel renvoyait le Cours de Culture, d'autres renseignements aptes à m'éclaircir. Mon entreprise, hélas ! loin de me procurer une certitude quel- conque, ne fit qu'augmenter le désarroi où je me trouvais. Je ne reproduirai pas les principaux passages du Dictionnaire, où l'expression tire et aire est employée (articles : aire, aména- gement, coupes de bois, éclaircie, éclaircissement, exploitation, tire et aire); de l'examen minutieux auquel je me suis livré, ressort que l'expression en cause est revêtue de sens divers dans le corps même d'un article. La confusion est grande et vient en partie, de ce qu'on n'a point distingué ce qui se réfère, dans l'Ordonnance de 1669, aux bois du domaine souvent traités en futaie et aux bois des communautés presque toujours placés sous le régime du taillis. Bref, on qualifierait de coq à l'âne les

(r) Ledit article 3 du titre XXV débute ainsi : « Ce qui restera (dans les bois com- muns), la réserve (du quart) étant faite, sera réglé en coupes ordinaires de taillis. (2) L'article 2 du même titre XXV stipule que « le quart des bois communaux sera réservé pour croistre en futaye «. On pourrait vouloir prétendre que l'article ri s'applique à ces futaies éventuelles aussi bien qu'aux taillis du restant de la forêt, et il y aurait là un argument en faveur de la doctrine classique. Mais les termes de l'article rr que je reproduis plus loin in extenso montrent d'une façon irréfutable que ledit article concerne uniquement les coupes affouagères, celles qui sont « dis- tribuées suivant la coutume ”. L'argumentation serait, du reste, de pur ordre spécu- latif, car les « futaies pleines 0 des quarts en réserve communaux d'essence feuillue paraissent n'avoir guère existé que sur le papier. 24 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE assertions de BAUDRILLART au sujet du tire et aire, n'était le respect que mérite la mémoire de l'éminent compilateur. On doit remarquer d'ailleurs que si BAUDRILLART attribue à son insu au mot tire et aire des significations différentes les unes des autres, il n'est pas le premier écrivain forestier qui ait commis la faute en question. Qu'on se reporte simplement au commentaire de JoussE, on trouve le texte de l'article i I, titre XXV, accompagné de la note suivante :

I. A tire et aire. C'est-à-dire à fleur de terre, et tout de suite, sans laisser ni intervalles, ni aucune intermission de l'ancienne coupe à la nouvelle; ni aucun bois entre deux, abattant les arbres de bout et ôtant et recépant les vieilles souches.

Or, on voit immédiatement que le membre de phrase : « sans laisser ni intervalle, ni aucune intermission de l'ancienne coupe à la nouvelle » ne concerne pas le tire et aire tel que l'entendait le rédacteur de l'Ordonnance; celui-ci visait uniquement l'ex- ploitation de la coupe d'un exercice donné. Dans la forêt des références au tire et aire contenues dans le Dictionnaire de BAUDRILLART, je m'arrêterai toutefois à l'une d'elles qui n'est sans doute pas étrangère à la légende déve- loppée par la suite. BAUDRILLART regarde la coupe à tire et aire comme prescrite, non seulement pour les taillis, mais encore pour les futaies feuil- lues, car voici ce qu'il déclare au « mot » AMÉNAGEMENT, dans un chapitre intitulé : Des futaies pleines et des différentes ma- nières de les exploiter (t. I, p. 1 73) Les futaies pleines... qui sont composées de bois à feuilles, c'est-à- dire de bois autres que les bois résineux, s'exploitent dans l'intérieur de la France, par contenance à tire et aire, et à la réserve de 20 bali- veaux par hectare pris parmi ceux de la plus belle venue et d'essence chêne autant que possible.

BAUDRILLART qualifie donc ici de tire et aire la méthode esquissée dans l'article II du titre XV de l'Ordonnance de 1669. C'est un prélude à la thèse que soutiendront plus tard LORENTZ et PARADE, sauf qu'à l'endroit dont je m'occupe, BAUDRILLART laisse dans l'ombre la question de l'assiette des coupes d'une LE TIRE ET AIRE 25 année à l'autre, mise en évidence dans le même article au cha- pitre : Mode d'exploitation (p. 169) : On connaît trois modes d'exploiter les bois, savoir : Io la coupe à tire et aire; 2° la coupe par pieds d'arbres, en jardinant; 3 0 la coupe par éclaircies ou expurgades. Le premier de ces modes est le seul qui soit autorisé par les anciennes lois; elles veulent que les coupes se fassent par contenance et de proche en proche, sans rien laisser en arrière (Ord. de François Ier du mois de juillet 1 544. — États de Blois, du mois de novembre 1576. — Édit de Henri III, du mois de mai 1579. — Ord. de 1597, art. I. — Ord. de Louis XIV, du mois d'août 1669). Le second mode (etc...).

BAUDRILLART persiste donc à croire qu'en vertu de l'Ordon- nance de 1669 les exploitations doivent se faire à tire et aire d'une année à l'autre. Voilà où j'en étais en 1880, lorsque je fus envoyé à Nancy comme suppléant de M. BROILLIARD. Chargé du cours d'amé- nagement à partir de 188,, je ne pus, bien entendu, m'acquitter de la leçon traditionnelle sur les « forêts irrégulières » sans subir une certaine gêne résultant de mes découvertes. Néanmoins, je n'apportai que de faibles retouches à l'exposé classique de l'an- cien traitement des forêts royales. J'attendais donc, pour me prononcer catégoriquement, que grâce à des recherches com- plémentaires je puisse argumenter sur des bases solides. Comme moyen d'aboutir, j'envisageai en première ligne l'étude de la réformation dont la forêt de Retz a été l'objet en 1672. Ce précieux document était conservé dans les archives de l'Ins- pection de Villers-Cotterêts; j'avais eu le grand tort de ne pas l'examiner à fond pendant que je résidais dans cette localité et j'espérais bien réparer ma négligence le plus tôt possible. J'y serais, sans doute, arrivé pendant les vacances scolaires, si ma carrière de professeur s'était normalement poursuivie. J'aurais même élargi le cadre de mes recherches, en vue du cours d'histoire de la sylviculture que l'Administration m'avait autorisé à créer en 1886. Mais les circonstances m'amenèrent à quitter Nancy dès l'automne de 1889, et à laisser au rang d'ébauches tout aussi bien mes leçons sur l'aménagement que celles qui avaient trait à mes autres cours. Je devins alors fonctionnaire algérien et cessai de me préoc- 26 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE cuper du tire et aire, attendu que, transplanté en pays barba- resque, le forestier voit s'étendre devant lui un champ d'activité nouveau, d'une telle amplitude et d'un si puissant attrait, qu'il ne tarde pas à abandonner, au moins provisoirement, les recher- ches d'ordre professionnel dont il était le plus féru avant d'avoir franchi la Méditerranée. Toutefois ma carrière administrative ne se termina point en Algérie : mon destin d'Alsacien déraciné voulait qu'à la der- nière étape, comme à la première, je vécusse sous le doux ciel de l' Ile de France, et je fus appelé, à la fin de 1897, au périlleux honneur de gérer la forêt de Fontainebleau. Ce célèbre domaine renferme, on le sait, des chênaies et des hêtraies séculaires, moins vigoureuses sans doute mais — n'en déplaise aux mânes de M. DE L'ESTRÉE (I) - aussi « nobles » d'origine et d'aspect que celles qui avaient provoqué dans le pays de Valois l'enthousiasme du stagiaire de 1871. En même temps que la garde m'en fut confiée, je devins le dépositaire des précieux in-folio où les trois réformateurs de l'antique forêt de Bière (c'est le nom qu'elle portait jadis) ont décrit en détail ses états successifs sous les règnes de Louis XIV et Louis XV, et indiqué à quels traitements elle devait être soumise. Ma rentrée en contact avec la vieille foresterie française réveilla donc naturellement mes souvenirs de jeunesse : la question du « tire et aire » me hanta de nouveau, et je conçus le dessein de la résoudre une bonne fois, si possible. Pour éviter la faute que j'avais commise à Villers-Cotterêts, je m'efforçai, dès mon installation à Fontainebleau, de profiter de tous mes moments de loisirs pour étudier avec soin les trois réformations susmentionnées.

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La première remonte à 1664 et a pour auteur BARRILLON D'AMONCOURT, maître des requêtes au Conseil du Roi, commis- saire départi pour la réformation générale des Eaux et Forêts

(i) Voir plus haut, p. 16. LE TIRE ET AIRE 27 dans l' Ile de France, la Brie, le Perche, la Picardie et le Pays reconquis (i). La seconde réformation eut lieu en 1716, par les soins de LA FALUÉRE, grand maître du département de Paris. Le successeur de ce dernier au siège de Paris, DUVAUCEL, effectua la troisième réformation en 175o. Voici en substance, ce que renferment, relativement à l'as- siette des coupes, les trois registres que je viens de mentionner (2).

RÉFORMATION DE 1664. — BARRILLON, laissant de côté les 14.000 arpents de terrains « inutiles et stériles » et de « places vuides et vagues » qu'englobaient alors les limites de la forêt royale, considère seulement les 13.212 arpents 69 perches aux- quels un procès-verbal d'arpentage du 29 janvier 1659 avait évalué la contenance réellement boisée de la forêt. Le réformateur détache d'abord de ce bloc environ 7.000 arpents garnis de ce qu'il nomme « les bois de première qualité ».

(I) BARRILLON était un légiste dont les connaissances forestières présentaient, sans doute, beaucoup de lacunes, mais Colbert plaça auprès de lui, en qualité de procureur du Roi, un spécialiste éminent, FROIDOUR, qui occupait une charge de maître des Eaux et Forêts en Picardie, et qui avait déjà participé à diverses réfor- mations dans l'Ile de France. FROIDOUR se distingua plus tard à la tête de la grande maîtrise de Toulouse, et on lui doit la remarquable Instruction pour la Vente des Bois du Roi, dont j'aurai à parler à mainte reprise. A l'époque où BARRILLON s'acquitta de sa tâche forestière, la charge de grand maître de l'Ile de France était occupée par deux titulaires alternatifs, M. DE CANIDÉ et le marquis DE CARTIGNY. (2) Nous avons décidé de maintenir ici cette longue analyse des réformations de Fontainebleau. Elle ne vient pas doubler en effet l'histoire de la forêt de Fontaine- bleau, publiée en 1873 par Paul DOMET, assez sommaire sur ce point. Les publi- cations les plus récentes, concernant l'histoire de ce massif, si elles mentionnent la réformation, le font en passant ou d'après DOMET.

Cf.: Les réserves de la forêt de Fontainebleau, par Henri DALMON. - La forêt de Fontainebleau (Travaux des naturalistes de la vallée du Loing), fasc. I. Moret-sur- Loing, 1927. — Études sur le régime de la forêt de Fontainebleau au Moyen Age et jusqu'à la Révolution, par Maurice DEROY, œuvre posthume en cours de publi- cation dans les Annales de la Société historique et archéologique du Gatinais, années (930 et ss. Outre les s réformations analysées ici au point de vue tire et aire, DEROY men- tionne des réformations de 1400, 1528, 1540, 1 547, 1 595, 16oS. Ajoutons que dans un article intitulé : Les anciens aménagements de la forêt de Fontainebleau, M. GRANGER a écrit : s Un manuscrit encore inédit de M. le conser- vateur Reuss donne sur l'application de la méthode du tire et aire à la forêt de Fontainebleau les détails les plus circonstanciés; il serait à souhaiter qu'il 'At être publié un jour, car il comporte, avec de très nombreuses références des vues d'en- semble sur cette question trop peu connue. » (R. E. F., 1931, p. 141.) (R. B.) 28 UNE LEGENDE FORESTIERE Ce sont « des fustayes, demy-fustayes et quart de fustayes d'es- sence de chesnes, hestres et charmes... la plus grande partie desquels proffite, et laquelle peut subsister encore longtemps» (i). Leur coupe « doidt estre différée jusques après l'autre usance des plus vieux bois qui sont (sur) le retour et de ceux dont le recépage doibt estre faict a. BARRILLON ne donne pas le détail des 7.000 arpents dont l'exploitation est ainsi remise à une époque ultérieure, mais ce qu'il dit dans la suite de son procès-verbal fait deviner que ces bois, destinés à rester provisoirement debout, ne sont nulle- ment massés sur un seul point de la forêt et se trouvent, au contraire, disséminés en beaucoup d'endroits. Après avoir signalé leur existence, le « Commissaire départi » ne s'en occupe plus : ce sera la tâche de ses successeurs d'en réglementer la coupe plus tard. En attendant, il n'envisage que les 6.212 arpents constitutifs du restant de la forêt. Ce sont : des anciennes fustayes qui sont sur leur retour ou qui ont esté pillées et desgradées; des demys fustayes qui dépérissent à cause de l'ingra- titude du fonds... ou qui sont mal plantéez, pillées et ruinées, des recreus de vieilles ventes de trente à quarante ans, desgradez et abrou- tis par les bestiaux ou par les fauves; et des bois qui ont esté bruslez... Tous les quels bois... abusent la terre (et demandent à être coupés) par forme de recépage et par quantité réglée par chacun an, pour tenir lieu de vente ordinaire. Là-dessus, BARRILLON commence par prélever 1.206 arpents qu'il ordonne de recéper « avec ordre et mesure... pendant les dix premières années prochaines », c'est-à-dire de 1665 à 1670, « pour tenir lieu de ventes ordinaires D. Les « triaiges » à soumettre à ces recépages sont indiqués d'une façon précise, de même que l'étendue qu'on doit y parcourir

(r) Je rappelle qu'au temps de BARRILLON on ne désignait sous le nom de futaies que les peuplements composés de tiges d /lits, ayant atteint une certaine grosseur

et, par conséquent, un certain âge. Quant aux expressions demi - futaies et quarts de futaies, elles ont également besoin d'être expliquées, car elles sont peu claires et tombées à juste titre en désuétude. Une demi-futaie était, pour BARRILLON et ses contemporains, une futaie parvenue à la moitié de sa longévité réglementaire, et l'on nommait ainsi, par exemple, une futaie de 8o ans quand on avait fixé à r6o ans son terme d'exploitabilité. Dans la même hypothèse, la futaie de 4o ans s'appelait quart de futaie. L'Instruction sur les Bois de Marine et autres de TELLES D'AcoSTA montre (p. 58 à 6o) que ces expressions étaient encore employées en 5782. LE TIRE ET AIRE 29 annuellement. Cela permet de constater que le groupe de 1.206 arpents dont il s'agit est très morcelé et que les contenances à y vendre varient, parfois, sensiblement d'une année à l'autre. Ainsi, on recèpe : en 1665, 200 arpents répartis entre trois « gardes » et cinq « triaiges »; en 1666, 200 arpents répartis entre deux « gardes » et cinq « triaiges »; en 1667, 246 arpents concen- trés dans une seule « garde », mais dépendant de sept « triaiges a; en 1668, 150 arpents situés dans une seule « garde » et six « triai- ges »; en 1669, 210 arpents, une « garde » et deux « triaiges »; en 1670, 200 arpents, une « garde » et deux « triaiges » (I). Que va faire maintenant BARRILLON avec les 5.006 arpents qui forment le reste du lot de bois mûrs, dégradés ou dépourvus d'avenir, à exploiter après 1670? Il édicte à leur sujet les pres- criptions que voici : Et ces coupes (de recépage) estant finies et usées, après l'expiration des six années ci-devant déclarées, nous sommes d'avis que, pour ventes ordinaires (2), il sera couppé par chacun an la quantité de quatre vingt dix arpens, tant pleins que vuides, en trois pièces, ou trois triaiges, de ceux cy après déclarés, qui sont les plus dépérissant et dont la couppe est le plus nécessaire. Et, pour observer quelque ordre et quelque esgalité dans les dites couppes, il sera pris : trente arpens des meilleurs bois qui se trouvent esdits triaiges, trente arpens de médiocres,

(r) Dans le vieux langage forestier, le mot « triage » désignait ce qu'on appelle aujourd'hui canton ou lieudit (Voir Ord. de 1669, titre XV, art. 5 et ro). La « garde » était la portion de forêt confiée à la surveillance d'un préposé respon- sable, lequel possédait indifféremment le titre de « sergent à garde » ou de « garde » tout court (Voir Ordonn. de 1669, titre X passim; titre XV, art. 4, 5, 6, 46, 5o). Dès le milieu du xvirle siècle, on a commencé, au moins à Fontainebleau, à dire le canton » et non plus « la garde », pour parler de la circonscription d'un préposé, et cet usage a duré jusqu'après la Révolution française. Mais cela n'a pas empêché d'employer aussi le mot « canton » pour désigner le lieu-dit » et, parfois, les deux termes se rencontrent dans le même document revêtus du même sens. Depuis l'année 1800 environ, le vocable triage s'applique exclusivement à l'étendue territoriale pour laquelle le garde est commissionné. Ces changements dans la signification des mots et ces chassés-croisés entre leurs acceptions ne laissent pas d'obscurcir nos vieux textes. Il est fâcheux que l'expres- sion très claire de garderie, à laquelle on a déjà eu recours sous Louis XIV, n'ait pas été plus en honneur. (2) On ne voit pas bien, au cas particulier, en quoi BARBILLON différencie les ventes ordinaires » des « recépages », car ce sont, en somme, des bois de même nature qu'il soumet à ces deux sortes de coupes. En général, nos pères entendaient par recépages des exploitations à blanc étoc portant sur des produits d'une valeur parti- culièrement minime. 30 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE et trente arpens des moindres, par chacune année, de suitte en suitte et de proche en proche, tant et si longtemps que dureront lesd. triaiges, sçavoir : en la garde de la Croix de Guise (etc.). Vient alors l'énumération, par « garde », des « triaiges » où doivent être assises les « ventes ordinaires » susmentionnées. La marche qu'on adoptera pour les effectuer n'est pas indiquée nettement, pas plus que n'est énoncée la catégorie (meilleure, médiocre ou moindre) à laquelle appartient chaque « triaige ». Ainsi, par exemple en ce qui touche la « garde » de Franchart, le réformateur prescrit d'exploiter « la plus grande partie des triaiges d'icelle qui ont esté endommagez par le feu il y a douze ans, commençant au Bois Rond, au triaige de la Touche au Mulet, et continuant de proche en proche dans les Ventes Bar- bier, l'Attrape Charette, Ventes Caillot et autres ». Mais ces « ventes ordinaires », à raison de go arpents à l'année, ne sont pas les seules réalisations de matériel qu'on opérera, à partir de 1671, dans les 5.006 arpents disponibles à cette époque. Comme le déclare BARRILLON : En outre les dites ventes, sera coupé par chacun an, par forme de recépage, soixante arpens, tant pleins que vuides, des bois ruinez qui sont aux rives de la dite forest..., à commencer par le triaige de la Vente aux Moynes et continuant de proche en proche. Plus sera encore recépé par chacun an, pendant les dites couppes, la quantité de cinquante arpens de recreu de ventes usées, il y a vingt cinq ans, les plus abroutis, rabougris et malvenant.

Il y aura donc, chaque année, à partir de 1671, go arpents de ventes ordinaires en trois morceaux, plus, en deux mor- ceaux, Ho arpents de recépages, c'est-à-dire que la vente annuelle comportera 200 arpents, comme c'était le cas pour la sexennie 1665-1670. Et quand les 6.212 arpents à exploiter suivant les indications qui précèdent auront été épuisés, par conséquent au bout de vingt-cinq ans, on attaquera, pensait BARRILLON, les 7.000 arpents de bons bois mis en réserve au début de la réformation (I).

(r) D'après les vues de BARRILLON, cette éventualité se serait produite au bout (6.2x2 d'une trentaine d'années --- = 3 rl. \ 200 LE TIRE ET AIRE 3 1

Des extraits qui précèdent, il résulte que BARRILLON, loin de vouloir concentrer chaque fois la vente annuelle sur un point de la forêt, désirait, au contraire, la morceler dans une large mesure, puisqu'il prescrivait de la répartir, pour les années 1671 et suivantes, entre cinq emplacements distincts. On a, d'ailleurs, vu plus haut que les exploitations étaient déjà très fragmentées du fait que l'on groupait, pour les soumettre à un même ordre de coupes, par exemple à des recépages, des « triaiges » parfois très éloignés les uns des autres. Sans doute BARRILLON recommande à diverses reprises, de conduire les exploitations « de suitte en suitte » ou de « proche en proche », mais il subordonne toujours l'application de cette règle aux considérations tirées de l'âge et de la nature des peuplements. Le désir d'éviter le plus possible les coupes pré- maturées ou tardives apparaît dans chacune de ses combinai- sons et explique pourquoi il n'a pas craint de grouper, en vue de les soumettre à un même traitement ou de les exploiter à la même époque, les « triaiges » les plus éloignés les uns des autres. Il s'inspire surtout de la maxime : maintenez sur pied le bois qui « proffite », abattez celui qui ne « proffite » pas. L'ceuvre du réformateur de 1664 donne lieu, en outre, à la constatation ci-après. Les notions techniques fondamentales qui se traduisent aujour- d'hui, pour nous, par les mots exploitabilité, révolution, grada- tion d'âge, rapport soutenu, etc. n'existaient pas encore au temps de Colbert, ou, tout au moins, n'étaient pas encore formulées et manquaient de précision. Mais cela n'empêchait pas les colla- borateurs du grand ministre de concevoir des règlements de coupes très judicieux et visant les buts essentiels que doit se proposer tout aménagiste, à savoir de couper chaque peuple- ment à un âge convenable, sans jeter sur le marché trop de produits à la fois, et en mettant, sur le terrain, de l'ordre dans les exploitations. BARRILLON esquisse même, â l'égard d'une des « quatre qualités différentes de bois dont la forest est plantée », un petit aména- gement en taillis qui serait acceptable de nos jours : La quatrième qualité de bois, dit-il, sont les boulins ou boulleaux et autres mort-bois qui sont dans les rochers. Pour éviter le dépéris- 32 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE sement desquels il est nécessaire de les coupper de trente en trente ans; et pourquoy les ventes d'iceux seront faictes et partagées en trente coupes, qui seront désignées par les chemins dont elles se trouveront encloses et par pieds corniers; commençant par les triaiges qui ont été endommagez du feu, et continuant en suitte, de proche en proche, et à la réserve de tous les chesnes et hestres qui se trouveront dans les dites ventes (I).

RÉFORMATION DE 1716. — Le règlement de 1664 ne fut pas observé, le désordre se réintroduisit ou plutôt se maintint dans la forêt, et, dès le début du règne de Louis XV,une réformation nouvelle se manifesta comme indispensable. On en chargea M. de LA FALUkRE, l'un des deux grands maîtres alternatifs qui administraient alors les forêts de l'Ile de France, l'autre étant le marquis DE CANY. Tandis que BARRILLON avait dû songer surtout à la répression des énormes abus qui se commettaient dans la propriété du Roi, LA FALUÉRE s'est occupé exclusivement de la question sylvi- cole. Il l'a fait avec beaucoup de soin et de compétence, et la supériorité, au point de vue technique, de son oeuvre par rap- port au travail de BARRILLON semble tenir autant à ses connais- sances professionnelles qu'aux progrès réalisés depuis Colbert dans l'art de l'aménagiste. La contenance de la forêt est fixée par un arpentage des 23 avril-3o juin 1716 à 27.925 arpents 52 perches et demie « tant plein que vuide ». A l'instar de son prédécesseur, LA FALULRE commence par distraire de la masse totale les parties qu'il estime inopportun de comprendre dans le roulement des coupes ordinaires, à savoir des « vieilles futayes usées et ruinées » qu'il ne spécifie pas autrement, « ensemble des vieux arbres épars, places vagues

(r) La marche de proche en proche n'aurait pu, toutefois, s'opérer strictement sur l'ensemble de ce que nous appellerions, aujourd'hui, la « série de taillis », attendu que les bancs et éboulis de grès connus à Fontainebleau sous le nom de « rochers » forment plusieurs tènements distincts. En fait, les boulaies de Fontainebleau n'ont jamais été soumises au traitement spécial prévu par BARRILLON. Elles commen- cèrent, d'ailleurs, dès le xvirre siècle, à souffrir beaucoup des extractions de pavés, et leurs derniers lambeaux disparurent au xrxe siècle, par l'effet des plantations de résineux. Mais, actuellement, le bouleau tend à reprendre possession de son ancien domaine, à la suite des incendies qui, depuis une quarantaine d'années, rava- gent tous les a rochers » les uns après les autres, détruisant les pins et favorisant ainsi le retour d'une essence spontanée. LE TIRE ET AIRE 33 à planter, terreins ingrats et rochers stériles à abandonner », soit un bloc de 14.980 arpents 35 perches dans lequel il n'y aura pas d'exploitations régulières. On se bornera à y abattre — sur propositions spéciales, dirions-nous aujourd'hui — les bois sans grande valeur qui s'y rencontrent. Restent

1 2.945 arpents 17 perches de bois tant bon que mauvais de toutes natures et tous âges jusques â 120 ans, consistant en futaye sur le retour, dont le fonds excédé au delà de sa possibilité ne peut plus fournir (d'aliment?) à la superficie trop aagée; et en demie et quart de futaye ou anciennes ventes, partie bien venantes et qui profiteront encore longtemps, partie en age de couppe et partie qui dépérit pour avoir esté frappées de la gellée de 1709 ou abrouties par les bestes fauves.

Les « triages » de ce second bloc sont disséminés dans les huit « gardes » de la forêt, côte à côte avec les « triages » du premier bloc. Le réformateur répartit ces « triages » du second bloc en cinq groupes, auxquels il assigne comme termes d'exploitation respectifs les âges de 30, 50, 80, 100 et 120 ans. Chacune de ces espèces de séries est naturellement très morcelée. Ainsi, le groupe soumis à la révolution de ioo ans (j'emploie le langage d'aujourd'hui) se compose de cinquante « triages » épars dans les huit « gardes »; sa contenance est de 4.244 arpents; les 2.387 arpents du groupe exploité à 120 ans sont empruntés à trente- trois « triages » et à sept « gardes », etc. La constitution des cinq groupes susmentionnés témoigne à elle seule que LA FALURE, pas plus que BARRILLON, ne cher- chait à localiser en un tènement unique « l'ordinaire » de chaque année, ni à juxtaposer indéfiniment les « ordinaires » successifs. Une des pièces annexées à son procès-verbal, ou, comme il dit, l'un des « dépouillemens » auxquels il a soumis ses notes du terrain, précise, d'ailleurs, d'une façon très nette sa manière de concevoir l'assiette des coupes. Il a dressé, en effet, pour les cent deux années allant de 1717 à 1818 (1) un état d'assiette minutieux indiquant, millésime par millésime, les « triages » ou portions de « triages » à exploiter

(r) Pourquoi LA FALUERE a-t-il établi ses prévisions pour 102 ans, plutôt, par exemple, que pour roo ans, nombre rond, ou pour 120 ans, terme d'exploitation des bois de première qualité? Je me le suis demandé vainement.

ANN. FOREST. - T. VII - FASC. I 34 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE et les surfaces à prendre dans chaque « triage ». Or, en examinant cet état, on fait les constatations suivantes : L' « ordinaire » est, en général, réparti entre plusieurs « gardes », souvent 4, 5, parfois 6, 7; en 1720, il est même morcelé entre toutes les 8. Rarement la coupe annuelle est concentrée en entier dans un seul « triage »; cela n'a guère lieu que pour des millésimes lointains, à l'égard desquels les prévisions du réformateur sont nécessairement moins sûres que pour les millésimes rapprochés. Les surfaces parcourues présentent des écarts considérables d'une année à l'autre. La contenance globale à exploiter de 1717 à 1818 s'élevait, d'après le projet de LA FALUÉRE, à 19.960 arpents 88 perches 1/4 (1) : cela met la coupe annuelle moyenne à 195 arpents 69 perches; or, on parcourait avant cela, certaines années, jusqu'à trois fois plus d'arpents et, certaines autres années, jusqu'à deux fois moins d'arpents. Voici d'ailleurs, quelques spécimens des variations de la sur- face et de la fragmentation de l' « ordinaire ». Pour 1720, les ventes devaient s'étendre sur 737 arpents pris dans 17 « triages » et 8 « gardes »; pour 1723, elles portaient sur 461 arpents, 14 « triages » et 7 « gardes »; pour 1734, sur 166 arpents, 4 « tria- ges » et 2 « gardes »; pour 1745, sur 91 arpents, I « triage »; pour 1749, sur 162 arpents, 4 « triages » et 3 « gardes ». Le règlement de 1716 répond même moins que celui de 1664 à la définition de la méthode classique du tire et aire. BARRILLON, quoique se préoccupant surtout lui aussi, de l'âge et de la puis- sance végétative des massifs, recommandait cependant, çà et là, de marcher de « suite en suite ». LA FALUÈRE n'évoque pas une seule fois le principe de la contiguïté des coupes des exer- cices successifs. Bien plus à en juger par l'en-tête de son état d'assiette, il a systématiquement éparpillé les ventes (et, sans doute aussi, fait varier systématiquement leur étendue), de façon à éviter le plus possible les sacrifices d'aménagement. Voici, en effet le libellé de cet en-tête : État de règlement de couppes et recépages à commencer la présente

(r) Les massifs à couper à 3o ans, figurent, bien entendu, au moins trois fois sur l'état, et ceux à couper à 5o ans au moins deux fois : il est dès lors naturel que la contenance globale susmentionnée dépasse sensiblement l'étendue des a triages » affectés aux coupes ordinaires. LE TIRE ET AIRE 35 année 1716 pour 1717, dans la Forest de Bierre dite de Fontainebleau distribuées inégalement suivant les plus pressans besoins de la ditte forest (1) pour tenir lieu de couppes pendant cent années, et mettre les triages en état de demeurer à l'avenir réglés à différents aages, sui- vant la « possibilité du fonds ».

RÉFORMATION DE 1750. — Le règlement de 1716 ne fut pas plus observé que celui de 1664. LA FALUÈRE, qu'il faut considérer à beaucoup d'égards comme un précurseur des aménagistes mo- dernes, avait placé à la fin de son travail une sorte de sommier de contrôle où l'on devait inscrire les coupes au fur et à mesure de leur exécution et consigner les faits importants survenus dans la gestion de la forêt (2). On voit par les mentions placées dans ce cadre que, de 1717 à 1721, les officiers de la maîtrise se conformèrent à peu près aux prescriptions du réformateur; mais, comme le sommier a cessé d'être tenu à partir de 1722, il est probable que, dès cette époque, les ventes commencèrent à être assises, non plus d'après les propositions de LA FALUÈRE, ni même suivant un plan quelconque, mais selon les caprices du moment. Le désordre qui en résulta fut, sans doute, le prin- cipal motif de la nouvelle réformation confiée en 1750 à Du- VAUCEL. Ce grand maître, par analogie à ce qu'ont déjà fait ses prédé- cesseurs, retranche d'abord des 30.445 arpents auxquels il fixe la « continence » de la forêt les « 4.40o arpents » qu'il convient abandonner, tant à cause de l'ingratitude du terrein que par le fond de roches » : ce sera une section dent il ne s'occupera plus au point de vue sylvicole. Après cela viennent 14.260 arpents « qui demandent un amé- nagement suivi, pour réparer les mauvois qui ont été faits jus- qu'à ce jour ». Ce sont tantôt des futaies « caduques et dépéris- santes », tantôt des recrûs abroutis, des plantations malvenantes, voire parfois des « places vaines et vagues » d'où la végétation ligneuse a disparu, mais toujours des portions de forêt où le sol est apte à produire du bois. « Il convient, dit DUVAUCEL, ne pas les abandonner : ils n'ont péris que par mauvois aménagements

(e) C'est moi qui souligne le membre de phrase. (2) Cette partie du registre est intitulée : « Etat de ce qui a esté fait en consé- quence des projets du procès-verbal, tant par couppes et recépages de bois que repeu- plemens, acquisitions et réunions proposées. n 36 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE et non par l'ingratitude du terrein, et l'on peut assurer du succez au moyen des précautions et aménagements indiqués (i). » Ces parties seront, en conséquence, pendant une période transitoire de 40 ans, l'objet de recépages suivis de plantations. Les 11.785 arpents qui restent sont les « triages en pleine valleur », c'est-à-dire occupés, soit par de belles futaies exploi- tables ou avoisinant l'exploitabilité, soit par des bois en crois- sance. C'est la section où l'on assiéra les coupes « ordinaires » quand la période transitoire aura pris fin. Chacune des deux sections productives dont il vient d'être parlé se compose, comme celles qu'avaient formées BARRILLON et LA FALUÈRE, de « triages » pris dans toutes les « gardes »; elles sont enchevêtrées l'une dans l'autre et la section des rochers stériles s'y intercale par surcroît. Mais DUVAUCEL n'a pas le goût de LA FALUÈRE pour la réglementation minutieuse : prenant plutôt BARRILLON comme modèle, il laisse une grande liberté aux officiers de la maîtrise et ne dresse pas d'état d'assiette. En ce qui concerne les 14.26o arpents à « aménager » ou à « recéper » pendant la période transitoire, — nous dirions aujour- d'hui : à exploiter à blanc étoc et à régénérer artificiellement, — il se borne : i° à déclarer qu'on les parcourra en commençant par les futaies « les plus dépérissantes et les plus caduques »; 20 à indiquer la moyenne annuelle des surfaces sur lesquelles les recépages devront avoir lieu. Quant aux 11.785 arpents qui seront affectés, au bout d'un délai de quarante ans, aux coupes « ordinaires », ils comprennent trois groupes de « triages », savoir :

1 0 des « gaulis » dont « la plus grande partie ne pouvant pas supporter un âge de plus de 10o à 15o ans » (2). 3.777 arpents 2° des taillis de 30 à 50 ans, « parmi lesquels on pourroit choisir environs moitier pour conserver des bois de moyen âge de I00 ans ». 4.111 arpents A reporter 7.888 (r) Sous la plume de DUVAUCEL, le mot « aménagement » désigne, on le voit, non point l'opération consistant à régler les coupes, mais la mise en valeur du sol par des travaux culturaux. (2) DUVAUCEL et ses collaborateurs entendent par « gaulis » ou « hauts gaulis », non pas les jeunes peuplements à tiges encore d'assez faible grosseur que, d'accord LE TIRE ET AIRE 37 Report 7.888 arpents 30 des « taillis de l'âge de 30 ans et au-des- sous» au sujet desquels il est dit « que l'on peut pareillement y choisir différents cantons qui pourroient supporter l'âge de 80 à Ioo ans, le surplus ne (pouvant) guère passer le susdit âge de 30 à 40 ans, à cause du peu de profon- deur du fond sur lequel ils sont plantés ». . . 3. 897 — Total 11.785 arpents

DUVAUCEL ne propose pas de règlement plus minutieux à l'égard de cette section de forêt qu'en ce qui touche les 14.260 arpents à recéper et à regarnir, et il laisse au personnel de ges- tion une latitude extrême. L'unique recommandation qu'il for- mule, c'est de ne pas couper les bois à un âge trop avancé et d'adopter des termes d'exploitation convenables. Si donc, nous autres forestiers du xxe siècle, nous étions réduits à la seule lecture du procès-verbal de 1750 pour connaître les idées de son auteur sur la marche des coupes dans la forêt de Fontainebleau, nous n'en saurions pas long à ce sujet. Heureusement que DUVAU- CEL demeura à la tête de la grande maîtrise de Paris plus de trente ans encore après avoir opéré la troisième réformation (i) et que le registre consacré à celle-ci se termine, comme le registre de la seconde réformation, par une sorte de sommier de contrôle où sont inscrites toutes les ventes qui eurent lieu de 1750 à 177o. avec l'étymologie, nous désignons aujourd'hui sous ce vocable, mais des massifs de la catégorie de ceux qu'on appelait, en général, quarts de futaies ou demi-futaies et que nous nommons aujourd'hui perchis ou hauts perchis. PLINGUET (Traité sur les Réformations et les Aménagements, Orléans, 1789) donne au mot gaulis un sens analogue. Pour lui, les gaulis sont « des taillis doubles «, c'est-à- dire ayant deux fois l'âge auquel on coupe habituellement les taillis. Les peuplements qui ne dépassent pas cet âge, soit une quinzaine d'années au maximum, sont, pour PLINGUET, des « taillis simples ». (r) D'après la Bibliographie forestière française de JACQUEMART (Paris, Bureau des Annales lorestières, 1851, voir p. 2r), DUVAUCEL aurait exercé ses fonctions jus- qu'à la suppression des maîtrises, c'est-à-dire jusqu'en 1791. Paul DoIIET (op. cit.) déclare (voir p. 81) que le dernier des grands maîtres de l'Ile de France fut, non pas DUVAUCEL, mais M. DE CHEYSSAC, qui aurait remplacé DUVAUCEL en 1 784. J'ignore jusqu'à présent où est la vérité sur ce point. (E. R.) La précieuse Chronologie des grands-maitres des Eaux et Forêts, de M. DE COINCY (Revue des Eaux et Forêts, 1929), indique que Louis-François LE FEVRE DU VAUCEL fut grand-maître de 1746 à 1785; André DE CHEYSSAC, de 1786 à 179o. (R. B.) 38 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE On trouve donc là un aperçu de la conduite des exploitations pendant deux décennies, ainsi que le montrent les extraits sui- vants : Pour l'exercice 1752, un arrêt du Conseil prescrit de couper dans deux « gardes » différentes, 49 arpents de bois de 200 ans et 54 arpents de bois de 6o ans. Pour 1753, on n'abat en tout que 96 arpents situés, d'ailleurs, eux aussi, dans deux « gardes » distinctes. Pour 1754, on prend, dans cinq « gardes », 382 arpents for- mant six pièces. Un arrêt remontant au 25 novembre 1753 et se rapportant à la fois à deux exercices stipule « que, pour tenir lieu de ventes ordinaires pour les années 1755 et 1756, il sera fait vente de 444 arpens de futaye, gaullis et taillis ». Ces bois dépendent de cinq « triages » et de trois « gardes ». Une décision du Io août 1756 concernant les « ordinaires de 1 757 et 1758 » avait prévu l'exploitation, au titre de ces deux exercices, de 413 arpents répartis entre six « triages » ou portions de « triages » et cinq « gardes ». Mais, dès 1757 (24 mai), un autre arrêt ajoute à la quantité mentionnée ci-dessus 190 arpents de futaie qui devront être pris dans deux « triages » d'un même « canton » (garderie) et exploités « pendant le nombre d'années que ledit Sr Grand Maître croira que les dittes ventes pourront suffire, tant pour former les fonds ordinaires des d«« années, que pour subvenire à celuy qui sera nécessaire pour la confection d'un grand chemin allant dudit Fontainebleau à Melun ». Les 413 -}- 190 = 603 arpents dont il vient d'être question paraissent avoir formé les « ordinaires » de 1757 à 1760. Un arrêt du 2 juin 1760

ordonne que, pour tenir lieu de ventes ordinaires pendant quatre ou cinq années, à commencer pour l'ordinaire de l'année prochaine 1761 jusqu'à deub concurrence, il sera... procédé... à la vente et adjon au plus offrant etc. neuf cent soixante dix huit arpens quatre vingt dix perches de bois... sçavoir...

Suit l'énumération de treize « triages » ou portions de « triages » dépendant de six « cantons » (garderies). Ces bois ont été exploités au titre de ventes ordinaires de 1761 à 1764. LE TIRE ET AIRE 39 Pour les années 1765 à 1768, il a été assis des coupes de deux ordres. Un premier arrêt, du Io juillet 1764, ordonne à titre extra- ordinaire la vente, par les soins du grand maître DuvAUCEL, de vieilles futaies dépérissantes occupant les trois « cantons » de la Petite Haye, des Fraillons et de la Pointe d'Hirey, contigus entre eux et couvrant ensemble 378 arpents 52 perches. Cette vente est autorisée à la charge par ceux qui s'en rendront adjudicataires d'en faire la couppe par recépage, sans aucunes réserves de baliveaux ...(et)... d'en faire l'exploitation en quatre années (1765 à 1768), en commençant par le canton de la Petite Haye, continuant de suitte (I) par celuy des Fraillons et finissant par la Pointe d'Hiray. Un autre arrêt, du 31 juillet de la même année, stipule que pour tenir lieu de ventes ordinaires..., et ce pendant le nombre d'années que le Sr Duvaucel... croira que les parties des bois cy après énoncés pourront suffire, il sera... procédé... aux ventes et adjudi- cations... des parties de bois composant 787 arpens 6 perches, sçavoir... Ici se place la liste des neuf « triages » et des cinq « cantons » (garderies) dont dépendent les bois en question. Ces derniers, comme le montre la suite du registre, formèrent les « ordinaires » de 1765 à 1768, et furent par conséquent, affectées aux années pour lesquelles les ventes extraordinaires mentionnées ci-dessus avaient été prévues. En vertu d'un arrêt du 25 septembre 1764, l'une des ventes à asseoir pour 1765 est changée de « triages », mais en gardant exactement sa contenance primitive de 191 arpents 15 perches. Le « triage » nouvellement choisi se trouve très loin de l'ancien et dans une garderie différente. Un arrêt du 8 septembre 1765 porte qu'il sera incessamment fait délivrance au Sr Collinet, marchand de bois, des parties de bois à coupper pour les ordinaires de 1766, 1767 et 1768, à la charge par ledt Collinet d'exploiter les dittes parties de

(i) C'est, dans tout le registre de la troisième réformation, le seul endroit où la marche « de suitte » , c'est-à-dire de proche en proche, soit spécialement recommandée. Une autre marche aurait, du reste, été inexplicable, les trois « cantons » se touchant et étant peuplés d'une façon analogue. Pour le même motif, la vente extraordinaire dont il s'agit a été exploitée en quatre parties strictement égales. 40 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE bois en trois années, suivant les assiettes, balivage et martelage qui en seront préalablement faits par les dts officiers et d'en payer le prix... aussi en trois années... et ce suivant l'estimation qui sera faitte des dittes parties de bois... par l'expert qui sera à cet effet nommé par le dt Sr grand-maître.

D'un arrêt du 3 novembre 1768, il résulte qu'au lieu d'avoir à exploiter en 1768 comme c'était prévu (arrêt du 31 juillet 1764), 270 arpents 96 perches répartis entre les garderies III, V et VI, le Sr Collinet coupera seulement, en vertu de l'arrêt du 8 sep- tembre 1765, 181 arpents 99 perches pris dans les garderies I, III et VII. Persévérant dans la pratique inaugurée le 8 septembre 1765, un arrêt du 24 mai 1768 ordonne qu'il « sera fait délivrance au Sr Collinet... des parties de bois... destinés pour former les coupes ordinaires des années 1769 et 1770 à la charge par led. Collinet d'exploiter lesd. parties de bois en deux années ». Mais les « parties de bois » cédées de la sorte ne se trouvent mentionnées que dans un arrêt du 10 novembre 1768. Il en ressort que 511 arpents se répartissent entre cinq cantons et douze triages. Les pages suivantes du registre montrent enfin que le Sr Col- linet a pu, en sa qualité de bénéficiaire de l'arrêt du 24 mai 1768, exploiter : en 1769, une surface de 121 arpents 90 perches, prise dans deux « triages » et un « canton »; et, en 1770, une surface de 132 arpents 29 perches prise dans quatre « triages » et deux « cantons ». Ainsi, en résumé, de 175o à 1770, la vente annuelle, ce que nos prédécesseurs appelaient « l'ordinaire », a été très morcelée et les fragments afférents à un même exercice étaient recrutés, non pas seulement dans divers « triages », mais encore dans diverses garderies, au point que, pour certains exercices, on constate que les ventes de l'année envisagée vont jusqu'à com- prendre douze ou treize tènements épars dans cinq ou six gar- deries. Les surfaces parcourues pendant cette période vicésimale ont, d'ailleurs, beaucoup varié d'une année à la suivante. Alors que la moyenne arithmétique calculée pour l'ensemble de la période est de 197 arpents, on n'a exploité, certaines années, que 100 LE TIRE ET AIRE 41 arpents environ, tandis que d'autres fois, on a dépassé 400 arpents. En lisant l'espèce de chronique sylvicole qui précède, on aura, sans doute, remarqué aussi les innovations importantes qui furent introduites dans la gestion de la forêt sous la magistra- ture de Duvaucel. En voici une tout d'abord. A partir de 1753, le Conseil fixe d'avance les surfaces et les emplacements des ventes à asseoir pendant deux ou plusieurs années à la fois (par exemple : 1 755 et 1756; 1761 à 1764) et il laisse généralement le Grand Maître arbitrer la durée de la période au cours de laquelle « les parties de bois dont il s'agit pourront suffire ». Cette manière de procéder paraît peu en harmonie avec l'ordonnance de 1669 qui porte, à l'article 5 du titre XV : « Chacune année le Grand Maître expédiera ses mandemens et ordonnance pour les assiètes des ventes ordinaires de nos Bois et Forêts. » L'année 1765 forme même, comme nous l'avons vu, le point de départ d'une mesure encore plus grave : les bois à exploiter, au lieu d'être vendus par adjudication publique, sont cédés de gré à gré, à dire d'expert, au marchand Collinet nominativement désigné par le Conseil. C'est un acte absolument contraire à tout l'ensemble du titre XV de l'Ordonnance et susceptible d'entraîner de sérieux abus. J'aurais désiré de savoir dans quelles circonstances exceptionnelles il a été effectué, mais je n'ai encore rien découvert à ce sujet. Le registre de la troisième réformation nous apprend enfin que, de 1765 à 1768, il y a eu simultanément des ventes « ordi- naires » et des ventes « extraordinaires ». En théorie, ces deux sortes d'exploitations se distinguent nettement l'une de l'autre : les premières sont prévues par le règlement de coupes, les secondes sont faites par dérogation au règlement. Mais, étant donné l'élasticité du système de DUvAUCEL, on ne découvre pas, au cas particulier, d'après quel critérium il a établi sa discrimi- nation. Telles sont les dispositions que les volumineux manuscrits dont je viens de donner des extraits renferment à l'égard de l'assiette des coupes. Il est inutile de dépeindre la satisfaction que j'éprouvai, après 42 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE les avoir lus et copiés en partie, à connaître enfin, grâce à des spécimens concrets de l'art de l'aménagiste sous Louis XIV et Louis XV, la manière dont les officiers des maîtrises entendaient la marche des exploitations dans un domaine boisé important, affecté à l'éducation des futaies. Que la réalité était loin de la conception simpliste dont tout le monde s'accommodait ! Quels démentis les procès-verbaux signés : BARRILLON, LA FALUÉRE, DUVAUCEL n'apportaient-ils pas à l'enseignement de l'École, et jusqu'où mon digne et excellent maître BAGNERIS ne poussait-il pas la méprise lorsqu'il lançait, par exemple, contre ce qu'il croyait l'ancienne méthode, des critiques comme celle-ci :

On peut également reprocher au mode à tire et aire de ne tenir aucun compte des exigences des différentes essences ni de leurs em- plois. Une même forêt était soumise à une même révolution et était exploitée de proche en proche, de telle sorte que toutes les essences . étaient coupées au même âge, souvent au détriment de la qualité et de l'utilité des produits (i). Non seulement plusieurs révolutions pouvaient être appli- quées concurremment dans une grande forêt, mais les âges d'ex- ploitation pouvaient même varier de « triage » à « triage », c'est- à-dire de canton à canton, sans être uniformisés sur de grandes surfaces. Les « triages » auxquels avait été attribué le même terme d'exploitabilité étaient groupés ensemble, quelle que fût leur situation topographique, et formaient à peu près ce que nous appellerions aujourd'hui des séries morcelées. Les groupements de BARRILLON et de DUVAUCEL ne sont pas arrêtés d'une façon définitive par le réformateur : celui-ci se borne à indiquer grosso modo les diverses classes de triages de même nature qu'il convient d'établir (par exemple : bois ma- lingres à recéper immédiatement; demi-futaies médiocres à ne conduire que jusqu'à ioo ans; futaies déjà anciennes, mais bien venantes, à laisser vieillir encore davantage, etc...) ; et il abandonne aux officiers locaux le soin de constituer chacune de ces catégories. Les groupements de LA FALUÈRE, bien qu'an- térieurs à ceux de DUVAUCEL, se rapprochent plus de nos séries

(r) Manuel de Sylviculture. Berger-Levrault, Paris-Nancy. Voir la page io6 de l'édition de 1873, et la page 114 de l'édition de 1878. LE TIRE ET AIRE 43 classiques, en ce sens qu'ils sont formés par l'aménagiste lui- même, pour un laps de temps déterminé (I). Mais aucun des trois réformateurs ne songe à asseoir systéma- tiquement une vente annuelle dans chacun des groupes qu'il a établis. Les « ordinaires » se prennent là où il y a des bois exploi- tables tantôt dans tel groupe, tantôt dans tel autre, ou bien encore simultanément dans plusieurs groupes si cela est néces- saire pour assurer le rapport soutenu. Étant donné un groupe, on voit les exploitations y avoir lieu à intervalles irréguliers et s'y étendre sur des surfaces inégales. Les anciens forestiers de Fontainebleau n'ont jamais cherché à créer dans les futaies, au prix de sacrifices coûteux, cette gradation normale des âges qui fut un des principaux objectifs des aménagistes au cours du xixe siècle. Ils ne semblent l'avoir conçue qu'en ce qui touche les taillis (2). J'ai parlé, tout à l'heure, de l'inégalité des surfaces parcou- rues dans chaque groupe de « triages ». La même inégalité s'ob- serve pour «l'ordinaire entier », je veux dire pour l'ensemble des ventes afférentes à un même exercice mais situées dans divers groupes. Ces fluctuations s'expliquent du reste par les différences de valeur que présentent les massifs en tour d'exploitation : du moment qu'on veut, avec des bois d'âges mal gradués et de qualité variable, maintenir le revenu annuel pécuniaire de la forêt à un niveau à peu près fixe, il faut bien que les contenances parcourues en coupes changent d'un exercice à l'autre. Or, de la lecture des documents qui viennent d'être analysés, on retire

(r) J'entends par série classique, la série d'exploitation telle que l'ont définie les créateurs de notre enseignement forestier (Cours de Culture, 1837, p. 140 -141) et telle que l'Administration la conçoit depuis près d'un siècle. On se souvient que c'est une « grande division » de forêt « destinée à fournir durant toute la révolution une série de coupes successives et annuelles », d'où son nom. Elle a toujours été, en principe, d'un seul tenant, et on ne la morcelle que dans des cas exceptionnels. (2) Les groupes de « triages » qiu viennent d'être décrits ont beaucoup de points communs avec les Betriebsklassen allemandes (Voir R. E. F., 5889, p. 334, L'Aména- gement des Forêts en Saxe, que j'ai signé : REAUMONT). L'idée-mère qui présidait à leur conception a subi une éclipse en France, pendant la tourmente révolutionnaire, par suite de la suppression des maîtrises ;mais elle a, sans doute, franchi le Rhin à un moment donné, à moins qu'elle ait aussi germé un jour, d'une façon spontanée, dans un cerveau allemand. Si j'ai été bien renseigné, elle a été remise en honneur chez nous, vers 1895, sous la forme de ces « quartiers bleus » et « quartiers blancs » que l'Administration tend à substituer, paraît-il, dans certaines forêts, aux « affec- tations » classiques. Cette mesure, au cas où elle se généraliserait, nous conduirait, sans doute, peu à peu, à modifier notre vieux concept de la série. 44 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE l'impression que nos prédécesseurs de l'ancien régime se préoc- cupaient beaucoup du rapport soutenu en argent. Quant à la marche de proche en proche, par assiettes conti- guës, elle ne se pratique ni dans la forêt entière, ni même dans le groupe, mais seulement dans l'intérieur d'un « triage»; l'ordre d'exploitation des « triages » dépend de l'âge des bois et de leur croissance, et non de leur emplacement. Enfin, je fus très frappé de ce que les vieux registres de Fon- tainebleau ne renfermaient pas une seule fois l'expression « tire et aire », ni comme synonyme de « proche en proche » ou de « suite en suite », ni dans un autre sens quelconque. Cette absence avait lieu de surprendre, car les procès-verbaux des réforma- teurs donnaient asile à la plupart des termes techniques en usage à l'époque de leur rédaction. J'en conclus que, contraire- ment à l'opinion générale, le mot « tire et aire » n'était pas de ceux dont les forestiers d'autrefois devaient fatalement se servir quand ils réglementaient l'exploitation des futaies royales, et je voyais là une nouvelle preuve de l'inexactitude de la doctrine classique. Grâce aux trouvailles énumérées ci-dessus, je me sentis un peu dégagé des entraves qui avaient paralysé mon enseignement à Nancy, et la perspective de remplacer la légende par quelque chose de plus conforme à la réalité commença à s'ouvrir devant moi. Je ne me dissimulai pas, cependant, que bien des difficultés encore seraient à vaincre, et que, si les vieux registres de Fontai- nebleau m'avaient livré leurs secrets, ils constituaient, réduits à eux seuls, une documentation insuffisante. La Forêt de Fontainebleau, en effet, appartient à un type exceptionnel; on est même en droit de la déclarer unique en son genre. Avec son sol ingrat, tantôt calcaire, tantôt sablon- neux ou gréseux, avec ses peuplements qui, eux aussi, sont en général de qualité inférieure au point de vue sylvicole, et qui changent, à chaque pas, de nature et d'aspect, elle a toujours embarrassé les techniciens. La tâche de ses aménagistes fut, jusqu'en 187o, d'autant plus ardue que l'on regardait le domaine de Fontainebleau, dans ses parties boisées non moins que dans ses « déserts », comme un terrain de chasse, voire un parc à gibier, LE TIRE ET AIRE 45 pour les plaisirs du souverain, plutôt que comme une source de production ligneuse. Par-dessus le marché, les considérations d'ordre esthétique qui, aujourd'hui, influent tant sur la façon d'exploiter ce massif, y intervenaient déjà sous l'ancienne monarchie, ainsi qu'en témoignent précisément les cahiers des réformateurs. Dans le règlement de coupes de 1664, on lit (folio 263 recto) : Nous avons veu et visitté... le Petit Mont Chauvin, contenant qua- rante arpens ou environ, plantez de chesnes de deux cent ans et plus, pillez et estestez par les habitants de Pu, dont le fond est fort ingrat et ne pouvant produire que très peu de bois estant coupé... Lequel bois estant de petite valleur... nous avons estimé qu'il estait à propos de le conserver d'autant qu'il sert d'ornement au chasteau, à la veue duquel il est exposé et cache des roches qui serviroient d'obiects de veue.

Le règlement de 1750 porte (p. 340) :

On pourrait touttes fois... conserver (parmi les 3.776 arpents 65 per- ches à exploiter entre Io() et 15 ■ ans), douze à quinze cens arpens pour perpétuer dans cette forest des parties de futayes toujours utiles, non seulement pour la décoration, mais encore pour les ressources que l'on en peut tirer (I).

Il est donc possible, me disais-je, que les règlements de coupes adoptés pour un domaine aussi exceptionnel donnent une notion fort inexacte des méthodes usitées dans les forêts ordinaires, j'entends celles qui sont destinées surtout à produire du bois et où la « décoration » ne joue aucun rôle important. Le travail du grand maître DUvAUcEL se termine, d'ailleurs, par les lignes suivantes qui justifiaient amplement mes craintes : « Cette forest étant principalement destinée aux plaisirs de nos rois, on ne doit pas la couper de suitte en suitte qui est la

(r) La proposition de maintenir indéfiniment sur pied ces bois d' « ornement » ou de « décoration » contient en germe l'idée de la fameuse série artistique de Fontaine- bleau réalisée par les aménagistes de 186o. Cela prouve les origines lointaines d'une mesure qu'on croit, en général, avoir été prise uniquement à la suite de la campagne menée par les peintres de Barbizon, contre les coupes faites à la fin du règne de Louis- Philippe et au commencement de celui de Napoléon III. (E. R.) On nous permettra de compléter cette intéressante remarque en renvoyant à notre article : « Une esthétique forestière officielle. (R. E. F. juin 1937) (R. B.) 46 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE seulle véritable façon de bien aménager une forest. Ce n'est donc que par une parfaite connaissance du local et une attention suivie que l'on peut espérer de la rétablir et de la conserver. » Ainsi, le réformateur de 175o considère l'assiette de « suitte en suitte » comme devant être adoptée en principe, et, s'il s'en écarte considérablement pour Fontainebleau, cela tient au carac- tère spécial de ce massif. Dès lors, pensais-je, il suffirait que la manière de voir de DUVAUCEL eût été celle de beaucoup de fores- tiers de l'ancien régime, et eût été appliquée dans des massifs importants pour que la doctrine des fondateurs de l'École de Nancy fût, sinon tout à fait exacte, du moins soutenable.

Tels étaient, en décembre 1911, quand sonna pour moi l'heure de la retraite, les faibles résultats que j'avais obtenus sur le terrain historique. Les registres dont je viens de donner le contenu essentiel, formaient l'unique source d'information à laquelle j'eusse eu recours pour étudier la question du tire et aire pendant les quatorze ans qu'avait duré mon service de Fontaine- bleau. Là, en effet, comme à Alger, ma besogne administrative s'était montrée inconciliable avec des travaux d'ordre purement scientifique. Je résolus donc de profiter sans délai de ma nou- velle situation pour activer mes recherches et les rendre fruc- tueuses. Le meilleur moyen d'arriver à ce but consistait évidemment à parcourir le plus grand nombre possible d'ouvrages antérieurs au Dictionnaire de BAUDRILLART, de façon à avoir une connais- sance directe et sûre de l'ancienne législation forestière et de l'esprit dans lequel opéraient les maîtrises (I).

(i) Ma remarque serait interprétée à tort comme un lourd reproche adressé aux auteurs du Cours de Culture, pour avoir eu, sur le traitement traditionnel de nos futaies feuillues, des notions se réduisant au contenu d'un court article de diction- naire (Voir la page 22 du présent travail). Pénétrés, comme beaucoup de leurs contem- porains français, de la valeur, du reste très réelle, des théories allemandes, LORENTZ et PARADE n'étaient pas incités à entreprendre un examen approfondi de la vieille sylviculture française, et leur abstention à cet égard mérite d'autant plus d'indul- gence que leur qualité d'initiateurs d'une doctrine nouvelle rendait leur tâche écra- sante. LE TIRE ET AIRE 47 Avant de me mettre à feuilleter une multitude de vieux livres, je songeai à prendre une précaution : il se pouvait qu'au cours des vingt-deux ans (1890-1911) où j'étais demeuré étranger au mouvement scientifique, la question du tire et aire eût été reprise par quelqu'un au point où je l'avais laissée; je devais donc m'épargner une peine inutile au cas où les obscurités qui me tourmentaient auraient été dissipées par un confrère plus pers- picace ou plus expéditif que moi, ou encore disposant de plus de loisirs. Mon premier soin fut donc de rechercher si, depuis 1890, il n'avait point paru d'ouvrages ou d'articles de revues se rap- portant, en tout ou en partie, à l'objet de mes préoccupations. De cette enquête il résulte, ou je me trompe fort, que deux écrivains seulement ont jugé à propos de me suivre sur le ter- rain où je m'étais engagé, à savoir deux professeurs de Nancy, MM. PUTON et HUFFEL. On ne s'étonnera pas, d'ailleurs, que le problème en cause, qui est surtout du domaine de l'érudition, ait séduit des membres du corps enseignant plutôt que des techniciens du service actif. Je vais reproduire aussi fidèlement que possible les idées qu'ils ont émises, et, pour la clarté du débat, je formerai, en ce qui concerne chaque auteur, deux groupes de citations. Le premier se rapportera au sens du mot tire et aire, le second aux prescriptions des anciennes ordonnances sur l'assiette des coupes annuelles, ou aux règlements de coupes eux-mêmes.

LE TIRE ET AIRE D'APRÈS PUTON. La pensée de PUTON m'a paru parfois quelque peu subtile et difficile à saisir, d'autant plus que la terminologie simplifiée à laquelle il a eu recours dans ses dernières œuvres (1) n'apporte peut-être que complications et manque de clarté. A ses débuts de publiciste, lorsqu'il dédiait à LORENTZ fils et à la mémoire de LORENTZ et PARADE son excellent petit traité d'aménage-

(i) Traité d'Économie lorestiére, 3 vol. in-8, Paris, Marchai et Billard. Le premier volume, paru en 1888, comprend les paragraphes ou nos I à 157; les deux autres volumes ont été publiés en 1890 et 1891, avec le sous-titre : Aménagement. Ils sont formés respectivement des nos 158 à 245 (Aménagement, I) et 246 à 343 (Aménage- ment; II). 48 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE ment (i), Puton se faisait mieux comprendre et lorsque, loin de proscrire comme inutiles des termes de sylviculture aussi consa- crés par l'usage qu'exploitabilité ou révolution, il employait ces mots couramment, à l'exemple de ses maîtres. Mais, qu'il ait eu raison ou tort d'évoluer de la sorte, voici quelles sont ses énonciations relatives au problème qui nous occupe.

A) SENS DU MOT « TIRE ET AIRE D. — Préconisant, comme je l'avais fait dans mon Cours, la forme « tire aire » et se réfé- rant à LITTRÉ, PUTON déclare (no 62) que, lorsqu'on a employé pour la première fois l'expression en cause, on a voulu dire « que le sol (l'aire) se tire, apparaît nettement entre les arbres laissés sur pied ». Voilà pour l'étymologie du terme. D'un autre côté, s'inspi- rant de DRALET (2), il établit en tête du même no 62 que « dans les exploitations forestières, la récolte se perçoit par des coupes dont les dispositions sont en harmonie avec la nature de l'exploi- tation et forment trois types (3) : « la coupe à blanc estoc, la coupe en jardinant, la coupe à tire-aire », et il donne, de ce der- nier type, la définition suivante (ibid.) : La coupe à tire-aire consiste à abattre et à nettoyer toute la sur- face du terrain consacré à la récolte, en laissant un certain nombre d'arbres; c'est le blanc estoc, sauf les arbres réservés.

Il ajoute un peu plus loin (ibid.) : La coupe à tire-aire se pratique dans les taillis sous futaie et dans les forêts de peuplements à arbres de réserve. et, au no 63 : Pour les coupes à tire- aire... les arbres à conserver sont balivés,

(s) L'Aménagement des Forêts. Traité pratique, in - 12, J. Rothschild, Paris, 1867. Il y a eu, en 1878, une deuxième édition, revue et corrigée de cet ouvrage, et une troisième en 1883. (2) PUTON renvoie à la p. 96 de l'ouvrage de DRALET intitulé : Traité des Forêts d'arbres résineux, paru en 182o. Il aurait également pu se référer, dans la circons- tance, au tome I, p. sox et 202, du Traité du Régime forestier, publié par le même auteur dès 1812. Le présent travail montrera la place considérable qu'il faut donner à l'ceuvre de DRALET dans l'étude de la question du tire et aire. (3) Les a types de coupes » qu'a adoptés Puton sont différents de ceux de Dralet. Ce dernier distingue : I° Les coupes blanches et les coupes à tire-aire; 2 0 les coupes par éclaircies ou expurgades; 3° les coupes en jardinant. LE TIRE ET AIRE 49 c'est-à-dire marqués... de telle sorte qu'on puisse les retrouver... quand la coupe sera libre... Pour les coupes en jardinant, la limitation de l'enceinte n'est qu'une indication de l'emplacement où l'acquéreur trouvera les arbres qui lui sont vendus. Ces arbres sont martelés... Les arbres dont le martelage a été fait sont seuls vendus et délivrés.

Ainsi, d'après PUTON, l'élément réserve est essentiel dans le « tire-aire » : là où il n'y a pas d'arbres réservés, il n'y a pas de « coupe à tire-aire », et ce genre de coupe n'existe pas pour une forêt traitée en taillis simple, chaque vente annuelle fût-elle rigoureusement contiguë à la vente précédente.

Pour éviter de se contredire, il va même jusqu'à présenter (no 62 in fine) comme s'appliquant seulement aux taillis sous futaie, et non aux taillis simples, la clause traditionnelle du cahier des charges de l'Administration forestière qui prescrit aux marchands d'exploiter les taillis à tire et aire. Cantonné dans ce système, il n'hésite même pas à qualifier d'erronées les définitions de la coupe « à tire-aire » autres que celle qu'il a admise.

Quand on a prétendu, déclare-t-il (no 62), que couper à tire-aire signifiait asseoir les coupes en suivant, de proche en proche, et sans intermission d'une année à l'autre, on a commis une erreur, car toutes les coupes de toute nature et dans tous les modes de traite- ment s'effectuent de proche en proche.

Et, en tête du groupe d'écrivains mal renseignés ou mal inspirés qu'il désigne par cet « on » collectif, il place (p. 120, ad notam) CHAILLAND, BAUDRILLART, « etc. », c'est-à-dire les auteurs de nombreux dictionnaires et non des moins connus, se rapportant à la foresterie sous l'ancien régime. L'expression « couper à tire-aire » a été, en outre, employée par PUTON dans les passages ci-après, que je crois utile de repro- duire pour donner un aperçu suffisamment complet des idées de leur auteur à l'égard de la question qui nous occupe. Dans tous les actes anciens et dans toutes les vieilles ordonnances, la coupe à tire-aire est toujours opposée à la coupe en jardinant; cette opposition montre qu'il s'agit d'un mode de réalisation de la récolte et non d'un traitement spécial des forêts. Nulle part on ne

ANN. FOREST. - T. VII - FASC. I 4 50 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE voit le mot tire-aire appliqué à un régime ou mode cultural. Les coupes pratiquées à tire-aire s'appliquent aussi bien aux taillis sous futaie qu'aux futaies avec réserves décrites dans l'ordonnance de 1669 et à toutes les forêts dans lesquelles on garde plus ou moins d'arbres. On a donc eu tort de donner ce nom au mode cultural résultant unique- ment des réserves prescrites par l'ordonnance de 1669, car le traite- ment résultant de la coupe n'aurait jamais été limité à ce point et à ce seul cas (n° 62). Un simple mode d'assiette des coupes à tire-aire avait été pris (en 1824, lors de la fondation de l'École de Nancy) pour un mode de trai- tement et d'aménagement (n° 1 95). Certains livres classiques... allaient même jusqu'à inventer sous le nom de tire et aire un régime cultural qu'ils confondaient avec un mode de coupe pour en condamner l'application, méconnaissant les belles futaies à arbres de réserve que les anciens forestiers nous avaient léguées (no 317). Je n'en finirais pas si je voulais formuler toutes les objections qui me sont venues à l'esprit au fur et à mesure que je prenais connaissance de ces thèses et que je cherchais à les coordonner et à les concilier entre eux. Je me bornerai, pour le moment, aux quatre remarques suivantes : I° PUTON, par sa définition fondamentale de la « coupe à tire et aire » et par les commentaires dont il l'accompagne, apparente jusqu'à un certain point ladite coupe à la catégorie des coupes à blanc étoc ou coupes rases, et ne la différencie de ces dernières que par la présence d'un certain nombre d'arbres de réserve. Mais quand on passe aux exemples qu'il donne à l'appui de son concept, on voit qu'il attribue parfois à la réserve, au point de vue du nombre et de la grosseur des tiges, une composition telle que, l'exploitation étant finie, le terrain reste encore abon- damment boisé. Ainsi, dans l'un des spécimens de « coupe à tire-aire » qu'il indique aux numéros 77 et 107 de son ouvrage (spécimen se rapportant à ce qu'il nomme la « futaie étagée »), il maintient sur pied, par hectare, 270 arbres, dont 160 d'au moins o M. 20 de diamètre, sans compter 120 brins de moins de o M. I o de diamètre. Une pareille opération s'éloigne singulièrement de ce que la presque universalité des forestiers entend par coupe à blanc LE TIRE ET AIRE 51 étoc, et elle mériterait plutôt d'être qualifiée de coupe jardi- natoire. L'exemple de coupe à tire-aire choisi par PUTON a surtout lieu d'étonner lorsqu'on se rappelle que, se référant aux anciennes ordonnances, il attribue à la coupe en question le caractère essentiel d'être « toujours opposée à la coupe en jar- dinant ». 2° En accusant, à son n° 62, CHAILLAND et BAUDRILLART d'avoir méconnu le sens du mot « tire-aire », PUTON me sem- ble hardi (I), et en prétendant que, dans tous les modes de traitement, toutes les coupes quelconques s'effectuent de proche en proche, il énonce un aphorisme de nature à nous déconcerter. D'ailleurs, sous le n° 184 de son ouvrage il contredit ses assertions antérieures et établit que l'assiette de proche en proche doit être évitée lorsqu'elle entraînerait de lourds sacrifices résultant de l'abatage de bois trop jeunes ou du maintien sur pied de bois trop vieux; qu'un système d'exploitation bien raisonné peut consister précisément à asseoir la coupe d'une année de telle façon qu'elle ne touche pas la coupe de l'année précédente. 3° PUTON distingue : d'une part, le « mode de réalisation de la récolte », ou « mode d'assiette des coupes », ou encore « mode de coupe »; et, d'autre part, « le traitement », ou « mode cultural », ou « régime cultural ». Mais il omet d'indiquer en quoi se diffé- rencient au juste, dans son esprit, les deux concepts correspon- dant à ces deux groupes de dénominations. Je ne m'explique pas, dès lors, pour quel motif, le « tire-aire » ainsi qu'il le définit n'est pas, à ses yeux, un « mode cultural ». Dans l'Introduction du tome I de l'Aménagement (p. 4), et en tête du n° 219 du même volume (p. 170), il classe le jardinage parmi les « modes culturaux » ou « modes de traitement » : la logique ne lui com- mandait-elle pas de faire figurer aussi parmi ces modes le système d'exploitation de la coupe qu'il proclame être l'opposé du jardi- nage? 4° Dans ce qu'il dit à propos du « tire-aire », PUTON prend plusieurs fois à partie les fondateurs de notre enseignement

(r) On a déjà vu, il est vrai, que Baudrillart s'est parfois lourdement trompé dans ses gloses sur la coupe à tire-aire, et on constatera plus loin que Chailland n'a pas toujours été impeccable à ce sujet : mais les erreurs de ces deux publicistes n'ont rien de commun avec celle que leur reproche Puton. 52 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE forestier (voir notamment les paragraphes nos 195 et 217 de son ouvrage), et le principal reproche qu'il leur adresse, c'est d'avoir confondu « un simple mode d'assiette » avec « un mode de traite- ment et d'aménagement ». L'un des buts du présent travail consiste précisément à savoir dans quelle mesure les accusa- tions dont il s'agit sont justifiées. B) PRESCRIPTIONS DES ORDONNANCES ET DES RÈGLEMENTS

DE COUPES (I). — Si PUTON a soulevé contre LORENTZ et PARADE la querelle de mots dont je viens de donner un aperçu, il est demeuré d'accord avec eux sur un point essentiel de la ques- tion de fond et il pense comme eux que nos futaies feuillues ont été soumises jadis au mode de traitement décrit par les auteurs classiques. On trouve, expose-t-il au no 60, les forêts de peuplements avec arbres de réserve (2) dans les futaies feuillues dont l'ordonnance de 1669 nous a indiqué le type. Et il ajoute, au no 322 : Les futaies étagées de l'Ordonnance de 1669 ont été trop décriées et trop généralement abandonnées (3). Il croit donc, absolument comme LORENTZ et PARADE, que l'Ordonnance a institué, pour le traitement des futaies, une mé- thode officielle tendant à la réalisation d'un certain type de peuplement. Sans doute il n'affirme pas que le type « indiqué » soit prescrit d'une façon explicite, mais il ne déclare pas non plus le contraire. Il insiste d'ailleurs sur l'égalité de surface des coupes annuelles et sur leur numérotage de proche en proche : Nos grandes et belles forêts du Nord et du Centre, dit-il au no 1 95, étaient jadis aménagées en coupons d'égale contenance, se suivant

(r) Comme on le verra plus loin, Puton ne parle pas des règlements de coupes et les appelle des « ordonnances de réformation »; mais je n'en crois pas moins devoir, pour rendre compte de ses idées, recourir à la terminologie historique. (2) Dans la catégorie de peuplements qu'il nomme « peuplements avec arbres de réserve », Puton n'envisage que les massifs élevés en futaie pleine; les taillis sous futaie forment pour lui une autre catégorie. (3) Au no 6o de son ouvrage, Puton fait rentrer les futaies de l'Ordonnance de 1669 dans son système des « exploitations mixtes s; au no 322, il les appelle, comme on le voit ci-dessus, « futaies étagées » et les rattache au système qu'il nomme, au no 57, « exploitation d'arbres isolés D. LE TIRE ET AIRE 53 de proche en proche (I) avec la régularité et la simplicité des taillis.

Le système des coupons de futaies assis sur le terrain et numérotés comme ceux de taillis est même, à ses yeux, le système français par excellence, celui que nous ont légué nos pères; il donne à son sujet des renseignements très précis et très affir- matifs; il le conçoit comme un mécanisme des plus rigides, fonctionnant d'une façon automatique. Ni LORENTZ et PARADE, ni leurs successeurs immédiats, ni l'un quelconque de leurs dis- ciples les plus convaincus ne sont jamais allés aussi loin dans cette interprétation étroite du principe de la marche de proche en proche dans les futaies feuillues. Voici, en effet, quelles sont les assurances de PUTON sur le point dont il s'agit : L'aménagement de nos plus belles forêts reviendra (un jour) à nos traditions nationales, et l'ancienne méthode française reprendra son assiette dans la gestion de nos grands domaines forestiers. Cette méthode française consiste à diviser la contenance en autant de cou- pons égaux qu'il y a d'années dans l'âge d'aménagement. Les conte- nances de ces coupons sont rendues équiproductives par la distraction des vides et par la fertilité des divisions naturelles; c'est le même système que pour les taillis (2). Or, faut-il se plaindre de ce que l'ordre et la régularité des aménagements de taillis se transportent dans ceux de futaie, alors surtout que cette méthode, appliquée avec esprit de suite par les anciennes maîtrises, nous a transmis des forêts en bon état et bien constituées par classes d'âges? Toutefois un tem- pérament doit être apporté à la pratique des anciennes maîtrises : l'obligation de suivre l'ordre des numéros était trop absolue et on procédait trop par coupons, sans avoir assez souci des nécessités culturales de la régénération (no 203). Les anciens forestiers faisaient de l'assiette sur le terrain la base même de l'aménagement, à ce point que les ordonnances de réfor- mation la prescrivaient toujours et que la forêt n'était, pour ainsi

(i) Puton admet ici, d'une manière implicite, que le fait d'asseoir les coupes de proche en proche caractérise un mode d'aménagement ou de traitement. C'est un nouveau démenti qu'il donne à son aphorisme du n° 62 et une nouvelle preuve de la fragilité de sa distinction entre ce qui serait un mode cultural et ce qui consti- tuerait seulement un mode de réalisation de récolte. (2) En parlant de la péréquation du rendement des coupons, Puton a, peut-être, visé une amélioration apportée seulement de nos jours à l'ancienne méthode; mais, dans l'ensemble de son exposé, il prétend bien faire le tableau de ce qui se passait au temps des maîtrises. 54 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE dire, point considérée comme mise en règle (I) tant que les coupes n'avaient pas été marquées sur le sol; ils n'hésitaient jamais devant la dépense de cette opération (no 331) (2).

Enfin, au no 301, PUTON formule la réflexion suivante au sujet d'un autre point important de l'éducation des futaies : Quand l'ordonnance de 1669 prescrivait d'exploiter les futaies du Roi à 120 ans, et d'y laisser 20 arbres par hectare, elle entendait implicitement que ces arbres seraient destinés à atteindre l'âge de 24.0 ans ou à être coupés dans l'intervalle pour des besoins imprévus.

Il semble donc bien s'imaginer que l'Ordonnance de Louis XIV fixe l'âge auquel on doit couper les futaies domaniales (3). Les deux séries d'extraits qui se terminent ici et les réflexions dont je les accompagne ont, sans doute, déjà révélé à mes lec- teurs le sentiment que j'éprouvai à l'égard des idées de PUTON dès que j'eus pris connaissance de ces dernières. Presque toutes me parurent inconciliables avec les résultats de mes propres recherches. En somme, quand j'eus fermé les trois gros volumes dont je viens de rendre un compte partiel, je ne fus pas plus avancé qu'auparavant. Le problème du tire et aire me sembla embrouillé encore davantage.

LE TIRE ET AIRE D'APRP:S M. HUFFEL.

Ainsi que je l'ai avoué plus haut, j'ai vécu, de 1890 à 1911, comme un simple praticien, absorbé par sa tâche de chaque jour : mes oreilles, il est vrai, n'étaient pas demeurées closes à tous les bruits du monde sylvicole, et le renom de l'Économie

(r) Les expressions « ordonnances de réformation » et « mise en règle « ne se ren- contrent pas, à ma connaissance, dans les documents émanant de la chancellerie royale française. Peut-être Puton les a-t-il trouvées dans des textes lorrains. (2) Ainsi qu'on le verra plus loin, rien de ce que dit Puton, relativement à la délimitation des coupons sur le terrain, à l'aide de signes visibles, n'a été confirmé par la présente étude. (3) Je renvoie également, en ce qui concerne cette affirmation, à la suite de la présente étude. On y verra que cette Ordonnance laisse aux « règlements de coupes u le soin de décider à quel âge les futaies seront abattues et qu'elle est muette sur la durée d'existence des arbres de réserve. LE TIRE ET AIRE 55 forestière de M. HUFFEL (i) avait forcé ma solitude, mais je n'avais encore eu aucun des quatre volumes entre les mains. Ce fut donc avec une certaine curiosité que je me mis à les parcourir, curiosité, d'ailleurs, très sympathique, car M. HUFFEL n'est pas un étranger pour moi : il a appartenu à la promotion d'élèves qui composa mon premier auditoire, quand je débutai à Nancy comme chargé de cours, et je garde un excellent sou- venir de tous ces jeunes camarades d'autrefois, passé mainte- nant à leur tour dans la catégorie des vétérans, sinon, aussi, hélas ! pour un trop grand nombre, dans celle des disparus. L'écrivain avait-il adopté, au moins en partie, les idées de PUTON, ou s'était- il formé une opinion indépendante et nouvelle? Et, dans la seconde hypothèse, avait-il définitivement tranché le noeud gordien? Avant de me prononcer sur ces points, je tiens à dire de suite que la lecture de l'ouvrage du savant professeur m'intéressa beaucoup et que, sans pouvoir toujours me ranger à son avis, je me demandai ce qu'il fallait le plus louer chez lui : l'étendue et la variété des connaissances, la puissance de travail, le talent d'exposition, le sens historique, l'agrément du style. J'ajoute que je fus également très heureux de retrouver dans les substantielles « Études » de M. HUFFEL, les mots si com- modes d'exploitabilité et de révolution que PUTON avait inconsi- dérément proscrits. J'eus même le plaisir d'y rencontrer çà et là un néologisme dont la création m'était depuis longtemps parue avantageuse, sinon nécessaire (2). Enfin, j'appréciai comme elle méritait de l'être l'adjonction à l'Étude des méthodes forestières d'autrefois (Neuvième Étude, t. III) de nombreuses pièces anciennes, en partie inédites.

(r) 4 vol. (3 tomes), Paris, Lucien Laveur, 1904-1920. Sauf erreur, le tome I (Études I à 4) a paru une première fois en 1904; il a été réédité, après remaniements, en deux parties dont la première (Études r et 2) date de 1910 et dont la deuxième (Etudes 3 et 4) a donné lieu à un premier tirage en 1913 et un second en 192o; le tome II (Études 5 à 7) a été publié une première fois en 1905 et une deuxième en 1919; le tome III (Études 8 à ro) remonte à 1907 et n'a pas eu d'autre édition à ma connaissance [E. R.] (2e édition en 1926. R. B.) (2) Il s'agit de l'adjectif équienne et de sa contre-partie inéquienne. Voir mon Cours d'Aménagement, lei Cahier, p. 11 ad notam. 56 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE Depuis qu'a été anéanti sous la Commune le principal dépôt de documents relatifs aux forêts françaises, les travailleurs qui reproduisent de nos jours, ne serait-ce que par extraits, des textes de cet ordre, rendent d'immenses services à leurs con- frères (I). Les ouvrages de M. HUFFEL sont devenus classiques. Je me contenterai d'un exposé aussi bref que possible de son apport, quant au tire et aire.

A) SENS DU MOT TIRE ET AIRE. — M. HUFFEL conclut, d'un passage de SAINCT-YON sur lequel je reviendrai, que faire les coupes à tire, c'est les asseoir de proche en proche, en avançant dans une même direction (t. III, p. 25, 26, 49). En ce qui concerne la signification du mot aire, au sujet de laquelle SAINCT-YON est demeuré muet, M. HUFFEL, sans jus- tifier sa manière de voir, regarde le terme comme purement et simplement anonyme de surface, de contenance, et une « coupe

(r) A la page vi de son tome III, M. Huffel, sans oser se prononcer d'une façon trop affirmative, parle de l'incendie qui a détruit, en mai 1871, les procès-verbaux de la « grande réformation de Colbert ». On ne peut malheureusement douter de cette déplorable conséquence de nos discordes civiles. Au fameux cri « flambez Finances » poussé par les insurgés, furent mises à feu les archives de toutes les admi- nistrations centrales installées dans l'hôtel du ministère et dans des bâtiments voisins. Or, la Direction générale des Forêts occupait précisément une maison située à l'angle de la rue de Luxembourg (aujourd'hui rue Cambon) et de la rue du Mont- Thabor, et ayant appartenu jadis, paraît-il, à Mile Mars, la célèbre actrice. J'eus, au début de ma carrière, le grand avantage d'être en relations avec Marius Cézard, inspecteur des Forêts, chef de la section des aménagements à l'Adminis- tration centrale, qu'une mort prématurée enleva en 1884, quand il était chef de la Commission d'aménagement de Paris. Ce fonctionnaire distingué avait déjà été attaché à la Direction générale en 186o et avait pu, à ce titre, pénétrer dans les salles où l'on gardait les plans des forêts de l'État, les procès-verbaux de réformation, d'aménagement, de délimitation, et autres pièces du même genre. Il ne savait assez déplorer le sort de ce dépôt, aussi riche au point de vue de la valeur artistique de beaucoup des documents qui y figuraient qu'à celui de leur nombre et de leur ancienneté : la perte en a été irréparable pour l'histoire des forêts et de la science forestière. (E. R.) Voir des détails sur l'incendie du ministère et le beau rôle du directeur général Faré, dans la R. E. F., 1871, Chronique, p. 29 et ss. Voir aussi Le dernier Directeur général des Forêts (1868 - 1877), par DE VENEL. Paris, 1884, p. 180 et ss. D'après cette dernière étude, la maison où était située la Direction générale échappa, après des efforts désespérés, à l'incendie. Des services financiers, seul celui des Forêts, retrouva ses instruments de travail. Mais les documents dont parle Reuss, d'après Cézard, étaient certainement conservés en dehors de cet immeuble dans une autre partie du ministère. (R. B.) LE TIRE ET AIRE 57 par aire » ou coupe « à aire » est, pour lui, une coupe assise par contenance. Il déclare (p. 48) : L'emploi de la possibilité par contenance, que nos prédécesseurs appelaient la coupe par aire ou par arpents, ou encore par assiette, est certainement de beaucoup le plus ancien.

Il est regrettable, soit dit en passant, que M. HUFFEL n'ait pas indiqué quelques-unes des sources où il a puisé les expres- sions « coupe par aire » et « coupe par assiette », car je ne connais aucun auteur qui en ait fait usage. Tout au plus a-t-on opposé la « coupe par arpents » à la coupe par pieds d'arbres. 3usqu'à ce jour je n'ai jamais vu, ni dans un livre ni dans un document manuscrit antérieurs au xIxe siècle, qu'une coupe fixée à tant et tant d'arpents fût appelée de ce chef « coupe par aire » ou « coupe à aire ». D'ailleurs, même les termes « coupe par arpents », « coupe par contenance », paraissent ne s'être introduits dans notre langage technique que depuis l'époque où l'on parle de possibilité par contenance, c'est-à-dire depuis l'enseignement de LORENTZ et PARADE. Quant à l'expression « coupe par assiette », je ne l'ai jamais rencontrée ailleurs que chez M. HUFFEL. A-t-il été influencé par le Procès-verbal de Visite des Forêts de la Maîtrise de Saint-Dié dont il donne un extrait dans son livre (t. III, p. 272 et 273, pièce justificative n° 23 remontant à 1783)? BAZELAIRE, le signa- taire de ce document, parle, en effet, de « coupes ouvertes par assiettes réglées de suite en suite », et les oppose aux coupes « s'exploitant aux pieds d'arbres en jardinant ». Mais on se tromperait, je crois, en concluant de là que l'expression coupe par assiette réduite à ces trois mots, a été d'un usage courant pour désigner le contraire du jardinage. Dans un autre passage du même procès-verbal, Bazelaire appelle « assiettes ordinaires » les emplacements des coupes intensives « limitées par pieds cor- niers et parois ». Ne peut-on en conclure que, pour lui aussi, les coupes jardinatoires ont des assiettes, sauf que ce sont des assiettes d'une nature spéciale, différentes des assiettes habi- tuelles? D'autre part il entend (p. 48) par possibilité la « quotité du 58 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE revenu assigné à la forêt par l'aménagement » (i). Cela le conduit à la définition suivante (p. 49) Couper à tire et aire, c'est appliquer la possibilité par contenance à des coupes assises de proche en proche. Il adopte donc, sauf à la traduire en langage moderne, la définition de CHAILLAND que PUTON a si carrément condam- née (2). Mais tel est le degré d'embrouillement qu'a atteint la malheureuse question du tire et aire, que M. HUFFEL, tout en se séparant de Puton sur un point capital du débat (celui de savoir ce que le mot tire et aire signifie au juste), demeure à d'autres égards dans son sillage. Ainsi, sa définition est immédiatement accompagnée des remarques ci-après : On a voulu faire du « tire et aire » une méthode d'aménagement spéciale aux futaies qui aurait été prescrite par l'ordonnance de 1669; cela est entièrement inexact. Toutes les coupes se faisaient à aire (par contenance) sous l'ancien régime, et à tire (de proche en proche), aussi bien celles de taillis que de futaie, aussi bien pour les recépages, expurgades ou éclaircies que pour les coupes principales, sauf toujours l'exception des forêts de sapin. Il y a là un écho des critiques adressées par PUTON au Cours de Culture et un reflet de la façon dont l'auteur du Traité d'Éco- nomie forestière concevait la marche des exploitations dans ce qu'il appelait le « système français ». Toutefois, comme on le verra plus loin, M. HUFFEL n'est pas aussi affirmatif que PUTON, et lorsque, parlant de l'assiette des coupes sous le régime de l'Ordonnance de Louis XIV, il vise l'article 6 du titre XV, il reconnaît que l'obligation d'aller de proche en proche compor- tait des accommodements.

B) PRESCRIPTIONS DES ORDONNANCES ET DES RÉGLEMENTS

DE COUPES — Le chapitre II de la HUITIÉME ÉTUDE traite de

(r) Je reviendrai dans l'Annexe II sur les assertions de M. Huffel relatives à la possibilité. (2) En 1895, M. Huffel partageait encore la manière de voir de Puton, s'abstenait de parler de la marche de proche en proche et écrivait un article intitulé : Le Bali- vage des Coupes de taillis sous futaie (R. E. F., p. 274) où il disait : « Dans le langage forestier des siècles précédents, la coupe à tire -aire est toujours opposée à la coupe en jardinant. s LE TIRE ET AIRE 59 l'assiette des coupes en général. Les considérations relatives à la coupe de proche en proche y forment un paragraphes entier, nous y lisons :

Les coupes de taillis paraissent avoir toujours été assises à tire, de proche en proche, de temps immémorial... Les parties centrales des forêts importantes restèrent longtemps soumises au régime des coupes extraordinaires par pieds d'arbre... Les exploitations par pieds d'arbres disséminés, d'un contrôle diffi- cile, étaient l'occasion de grands abus, et nous voyons de bonne heure les ordonnances s'efforcer de les supprimer en leur substituant des coupes par contenance, par aire... Lorsque les exploitations commencèrent à être pratiquées réguliè- rement dans les futaies, on y procéda, comme il était d'usage dans les taillis, de proche en proche. Ce n'est donc que vers le milieu du xvle siècle qu'on voit apparaître, avec la pratique des coupes réglées dans les futaies, celle des coupes de proche en proche, à tire. L'ordon- nance de 1 544, par son article Io, prescrit que, dans les futaies, les coupes se feront à tire et aire, c'est-à-dire, explique Sainct-Yon, qu'elles se suivront de proche en proche, en avançant dans une même direction. L'ordonnance rendue par Henri IV en 1597 est plus expli- cite encore, en enjoignant de « faire les ventes de proche en proche, à tire et aire (art. I). L'arpenteur devait prendre comme base de son mesurage la laie (la ligne) de la coupe précédente, en utilisant les mêmes arbres de limite déjà employés pour fixer la ligne commune (ordonn. de 1 544, art. Io; de 1669, XV, 6; de 1827, art. 76...). On était de la sorte assuré, en obligeant les arpenteurs à utiliser pour l'assiette les arbres de limite de la coupe précédente, que les exploitations se suivaient sans omission. L'habitude de couper de proche en proche est entrée si profondément dans nos moeurs forestières que nous nous y confor- mons encore de nos jours, quelquefois plus qu'il ne serait raisonnable. Elle est née d'un besoin d'ordre et de simplicité dans les assiettes, à une époque où les forêts n'étaient pas divisées, découpées, parcellées comme elles le sont actuellement, et où le seul moyen de couper avec ordre, sans rien omettre, était de couper à tire, de proche en proche, en avançant toujours dans la même direction.

C'est essentiellement dans sa Neuvième étude que M. HUFFEL entre dans le détail des méthodes forestières d'autrefois. Il signale d'abord le « Règlement général des Eaux et Forêts » qu'Henri IV signa en 1597, à Rouen, et en vertu duquel (art. i), l'âge d'exploitation des bois d'une forêt ou d'une portion de forêt ayant été fixé, on devait marquer une fois pour toutes 60 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE sur le terrain, à l'aide de bornes, les emplacements d'autant de ventes que cet âge comprenait d'années, et dresser des plans indiquant les limites et la contenance de chacune desdites ventes. C'est sans doute sur cette prescription rigoureuse et formelle que PUTON s'est fondé lorsqu'il a déclaré, comme on l'a vu plus haut, que « nos grandes et belles forêts du Nord et du Centre étaient jadis aménagées en coupons d'égale contenance se sui- vant de proche en proche », et a prétendu caractériser de la sorte « l'ancienne méthode française » appliquée « à la gestion de nos grands domaines forestiers » aussi bien dans le cas du trai- tement en futaie que lors de l'exploitation en taillis. Je m'empresse d'observer que M. HUFFEL, tout en applaudissant à la mesure dont il s'agit et en qualifiant l'Ordonnance de 1 597 de « document de premier ordre » ne lui attribue pas la valeur historique qu'elle aurait si les assertions de PuTON étaient exactes. Voici, en effet, ce qu'on lit à la page 125 :

Les excellents prescriptions (d'Henri IV) relatives à la division des forêts en coupes annuelles n'ont été suivies nulle part, à notre connaissance, dans les futaies, ni même partout dans les taillis. Ce progrès considérable, la première condition de l'ordre et de la clarté des aménagements, ne fut guère réalisé d'une façon complète avant le commencement du xviiie siècle pour les taillis; il ne l'est pas encore de nos jours (du moins généralement) pour les futaies.

Le chapitre III se rapporte à la période allant de 1661 à 1791, c'est-à-dire de l'entrée en fonctions de Colbert comme succes- seur de Mazarin à la suppression des maîtrises. Il renferme un exposé succinct, mais très réussi, de l'admirable réforme à laquelle Louis XIV et son ministre ont attaché leur nom, et il conduit le lecteur à travers le xvIlIe siècle jusqu'à la crise subie par la vieille foresterie française, du fait de l'abolition de l'ancien régime politique et administratif. Dans le § 1, l'écrivain raconte comment l'ordonnance fut élaborée, et il en indique les principales dispositions relatives à l'aménagement. Il mentionne tout d'abord une lettre que Colbert adressait en 1662 à CHAMILLART, au sujet de la forêt LE TIRE ET AIRE 61 de Compiègne, et qui contient le membre de phrase que voici : ...il faudra surtout, dans l'assiette, prendre garde qu'elle soit faite en un tenant (dans chaque triage) et qu'on ne choisisse pas divers endroits des meilleurs bois, comme on l'a fait cy-devant, estant néces- saire que la première vente règle toutes les autres.

M. HUFFEL accompagne cette citation d'une note ainsi libellée (P. 1 57) Ce passage, que nous soulignons, renferme implicitement la pres- cription de couper de proche en proche dans chaque triage.

Déjà, à propos de la « possibilité par contenance », il avait dit dans sa Huitième Étude, chapitre III (p. 49) les anciens règlements indiquent toujours le nombre d'arpents à couper dans chaque triage de la forêt, soit en taillis, soit en futaie.

Mais quel est le sens qu'il attribue dans ces deux cas au mot triage? Nous avons vu que, sous la plume des réformateurs de la forêt de Bière, le terme désigne ce que nous appelons canton ou lieudit. M. HUFFEL donne bien cette acception (p. 160, 182, 2 53 ad notam); mais le sens série paraît être celui qu'il a le plus souvent en vue (p. 6 ad notam, 14 ad notam, 29, 30, 185 ad notam, 228 ad notam, 253). Or, selon qu'on adopte l'une ou l'autre interprétation, on résout très différemment le problème que je me suis posé. Quoi qu'il en soit, c'est surtout quand j'arrivai à la partie de son livre où M. HUFFEL traite de l'ordonnance elle-même (p. 1 59 à 163) que je découvris des passages se rapportant à l'objet de mon étude. Je les transcris ci-après :

... Il est ordonné (titre XV, art. 1) que, dans toutes les forêts du Roi, l'exploitation sera faite conformément aux règlements arrêtés par le conseil... Tout ce qui concerne l'aménagement, dans l'ordon- nance, n'est donc obligatoire qu'à défaut de règlement ou d'indica- tion spéciale d'un règlement... Les méthodes d'aménagement les plus variées ont été suivies au xvine siècle dans nos forêts, en vertu de règlements spéciaux qui existaient pour toutes les forêts royales dès le début de ce siècle. 62 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE Voici les dispositions de l'ordonnance qui intéressent la matière qui nous occupe. 1° Assiette des coupes... — L'aménagement renfermait le plus sou- vent des indications détaillées sur le point par lequel chaque canton devait être abordé, sur le sens de la progression des coupes et la direction à donner aux laies séparatives des assiettes annuelles. Cependant quelquefois, ces indications manquaient. L'Ordonnance de 1669 n'y supplée pas, au moins explicitement, et c'est en vertu d'usages anciens, établis par des textes du xvie siècle, qu'on exploi- tait alors de proche en proche. Il est vrai que l'article 6 du titre XV ordonne à l'arpenteur de se servir des pieds corniers de la coupe de l'exercice précédent, pour délimiter celle qu'il asseoit, mais cela ne déroge nullement, à notre avis, au droit qui est conféré par l'article 4 du même titre au grand-maître (ou, par délégation, au maître parti- culier) de désigner chaque année l'assiette, dans les limites des pres- criptions de l'aménagement (I). 20 Réserve d'étalons (p. 161). — L'Ordonnance déclare qu'il ne sera fait aucune coupe sans qu'on constitue une réserve en arbres épars d'au moins dix arbres par arpent... Puis viennent (p. 161 à 163) les importants passages qui suivent : A cela se bornent les prescriptions de l'ordonnance touchant au mode d'aménagement des forêts du domaine. Nous ne pouvons concevoir sur quoi basaient leurs assertions ceux qui ont dit et imprimé que l'Ordonnance de 1669 a prescrit, pour toutes les forêts, la coupe à blanc étoc, de proche en proche, avec réserve de dix arbres par arpent, et interdiction de toute coupe inter- médiaire, méthode d'aménagement à laquelle on a donné le nom de traitement à tire et aire. En réalité, l'Ordonnance ne parle ni de coupes à blanc, ni de coupes de proche en proche, elle interdit seulement de laisser moins de dix arbres de réserve par arpent (2), et elle ne fait aucune mention ni des coupes intermédiaires ni des coupes par pieds d'arbres, qu'elle ne défend pas plus qu'elle ne les ordonne ou recommande... C'est donc bien à tort qu'on a considéré la foresterie du temps de Colbert comme ne connaissant d'autre système que la coupe à blanc, de proche en proche, avec réserve de quelques baliveaux.

(r) Cette observation relative à l'article 6 du titre XV apporte un heureux cor- rectif aux assertions que nous avons vu émettre plus haut (p. 59 du présent travail) par Huffel et, d'après lesquelles l'assiette de proche en proche aurait été invaria- blement prescrite à toutes les époques de l'ancien régime. (2) Par l'effet d'une erreur matérielle aussi excusable qu'évidente, le texte repro- duit renferme ici le mot hectare au lieu du mot arpent. LE TIRE ET AIRE 63

Le paragraphe 4 (p. 182 à 197), consacré aux futaies feuillues, est celui où je m'attendais à trouver le plus d'éléments d'infor- mation utiles à mon étude; néanmoins la question n'y a été touchée que d'une façon sommaire :

Les aménagements en futaie des réformateurs du temps de Colbert sont d'une simplicité extrême. On se contente, après avoir divisé les forêts en gardes ou garderies et celles-ci en triages (ou cantons), de classer ces triages en un certain nombre de catégories. La première, formée des meilleures parties, est mise en défends et laissée, comme nous dirions aujourd'hui, en dehors du cadre de l'aménagement. Du surplus, on forme 2 ou 3 ou plusieurs séries ou aménagements dont l'âge d'exploitation est d'autant plus élevé que les conditions de végé- tation sont plus favorables. Chacune de ces séries, comprenant des cantons d'un seul tenant ou disséminés, est exploitée de proche en proche, dans chaque canton, et de suite en suite dans l'ensemble, c'est-à-dire qu'on épuise un canton avant d'aborder le suivant voisin.

La réformation de Fontainebleau, par BARRILLON, en 1664, m'avait montré que les aménagements de cette époque n'étaient pas aussi simples que le pense M. HUFFEL; mais à part cela, rien de ce qui précède n'est contraire à ce que mes propres travaux m'avaient déjà appris au moment où je lisais son livre, notam- ment que les séries d'autrefois pouvaient comprendre des can- tons disséminés. Le Chapitre IV est constitué par les documents et pièces justificatives que M. HUFFEL a eu l'heureuse inspiration d'an- nexer à sa Neuvième Étude. Le n° 2 (Procès-verbal de description des forêts du comté du Perche) est, de tous les documents reproduits par M. HUFFEL, le seul, semble-t-il, où la recommandation de couper « à tire et ayre » s'applique à des futaies; et, chose importante à noter, il date de 1561, c'est-à-dire qu'il précède de plus d'un siècle l'Ordonnance de 1669. Voici, du reste, la partie essentielle du passage dudit procès-verbal que je vise actuellement et qui se trouve au bas de la page 224 du tome III :

Avons esté... d'advis... que, pour son proffit (le profit du Roi) et augmentation de son domaine.., mélioration et repeuplement des dictes forests, aussy pour corriger les ventes extraordinaires que l'on avoit accoustumé d'y faire confusément et sans ordre, et icelluy (domaine) 64 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE réduire en ordinaire et en couppe à tire et ayre suivant ses ordon- nances; « que les trois forests dessus dictes et buisson d'Ambray... doibvent estre réglées en ventes et couppes ordinaires, tant pour le dict bois de haulte fustaye, bois fusté et malplanté, que taillis et ventes non coup- pées.

Les deux séries d'extraits que l'on vient de lire, et les réflexions dont je les ai accompagnées laissent pressentir mon sentiment à l'égard de leur contenu. Tandis que les thèses de PUTON me parurent impossibles à admettre un instant, je me trouvai d'accord avec M. HUFFEL sur des points capitaux. Ainsi qu'on l'a vu, je n'avais pas osé pendant mon professorat émettre des affirmations formelles, mais j'étais arrivé à consi- dérer comme à peu près acquis les trois groupes de faits sui- vants : 1 0 L'Ordonnance de 1669 n'impose ni exclut aucune méthode de traitement quelconque; 20 La doctrine d'après laquelle les futaies feuillues auraient été assujetties au système d'exploitation rigide décrit sous le nom de tire et aire ne répond pas à la réalité des choses; 30 En vertu de l'article 5 du titre XV de l'Ordonnance, chaque forêt était l'objet d'un règlement arrêté par le Conseil du Roi et s'inspirant dans une large mesure des circonstances locales, de telle sorte que, d'une forêt à l'autre, les aménagements pou- vaient différer entre eux autant que c'est le cas aujourd'hui sous le régime du Code forestier de 1827. Or, ces notions me semblèrent découler également de l'Éco- nomie forestière de M. HUFFEL, de sorte que le légitime succès obtenu par cet ouvrage dans les milieux sylvicoles avait dû, pensai-je, porter un coup sérieux à la légende contre laquelle je m'étais timidement élevé comme jeune répétiteur (I).

(r) Toutefois, la marche de la vérité n'est jamais rapide, et longtemps encore sans doute, les professionnels, voire ceux qui écrivent des livres, resteront fidèles à l'ancienne doctrine. Le fait suivant autorise cette supposition : la Revue des Eaux et Forêts du fer mai 1910, postérieure de trois ans à la mise en vente du tome III de M. Huffel, donne (p. 284 à 287) des fragments d'une notice de M. W. R. FISCHER, professeur à Oxford, sur l'Histoire de la Sylviculture de M. B. E. FERNOW : or, M. Fisher, tout en faisant justice des appréciations si désobligeantes de M. Fernow à l'égard de la science forestière française, ne paraît ne s'être encore écarté en rien des idées régnantes en ce qui touche le tire et aire. LE TIRE ET AIRE 65 Je me demandai dès lors si, en présence de l'important pro- grès réalisé dans l'enseignement de Nancy, je ne renoncerais pas à poursuivre des recherches devenues en grande partie, sans inté- rêt. Tel fut mon premier mouvement, mais, à la réflexion, je changeai d'avis, car le problème que je m'étais posé comprenait des questions demeurées irrésolues. Ainsi, par exemple, M. HUFFEL admet sans justification suffi- sante la synonymie pure et simple des mots aire et contenance; sa définition de la coupe à tire et aire néglige un des emplois les plus usuels dont ce terme est revêtu; il déclare : tantôt que la marche des coupes sous l'ancien régime s'opérait rigoureuse- ment de proche en proche, au prix d'énormes sacrifices d'ex- ploitabilité; tantôt qu'elle s'effectuait, non pas d'un bout à l'autre de chaque forêt, mais seulement dans un même « triage » et comportait quelque chose d'analogue à nos « séries »; et il se prononce de la sorte sans faire voir nettement si, selon lui, les deux systèmes ont parfois coexisté ou s'ils ont été appliqués à des époques différentes, en raison des différences de rédaction que présentaient les ordonnances en vigueur (1). D'ailleurs, M. HUFFEL a reconnu très loyalement, dans un passage transcrit plus haut, qu'il renonce à expliquer comment on est arrivé à croire que l'Ordonnance de 1669 a prescrit le système d'exploitation si étroit et si rigide qu'on a dénommé méthode du tire et aire. Or, un de mes buts est précisément de chercher comment est née cette légende, et comment elle s'est implantée avec tant de force dans le monde sylvicole. C'est même vers ce point mystérieux que se portait surtout ma curiosité depuis que les inexactitudes de la doctrine classique m'étaient apparues. Je résolus donc de consacrer les loisirs de ma retraite à l'exé- cution du projet depuis si longtemps caressé et me mis à la

(1) Ma critique vise surtout les énonciations contenues dans la HUITIÈME ETUDE (Chapitre II : Assiette des Coupes; Chapitre III : Les Trois modes de Possibilité), énonciations qui ne cadrent pas avec celles de l'Étude no 1X. Aujourd'hui que j'ai disséqué de très près les ordonnances de 1 544, 1597 et 1669 et que j'ai discriminé les diverses acceptions du mot tire et aire, je me rends compte des motifs pour lesquels Huffel est demeuré obscur; mais je n'en étais pas encore capable quand je lus pour la première fois les deux études susmentionnées, et qui- conque a cherché à concilier les thèses de l'auteur, a éprouvé, sans doute, les mêmes difficultés que moi.

ANN. FOREST. - T. VII - FASC. I 5 66 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE recherche de tous les livres qui, en raison de leurs titres ou pour d'autres motifs, me paraissaient aptes à jeter quelque lumière sur les points que je n'étais pas encore arrivé à éclaircir. D'après mon plan primitif, une fois que j'aurais eu puisé dans les livres tous les éléments d'information que ceux-ci étaient susceptibles de me fournir, je serais passé aux docu- ments manuscrits. Pour acquérir, en effet, des notions exactes sur l'ancien traitement des futaies feuillues, il est indispensable d'étudier de près, avec l'aide de plans topographiques, les règle- ments de coupes d'un grand nombre de massifs importants : quelque familières que me fussent par exemple les «réformations» de Fontainebleau, j'étais exposé, en ne connaissant qu'elles, à commettre des généralisations hâtives, d'autant plus que le domaine de Fontainebleau est d'un caractère très spécial. Or, il y a eu, je crois, bien peu de procès-verbaux de réformation qui aient été imprimés in extenso, et les ouvrages qui donnent des extraits de cette sorte de pièces négligent souvent de repro- duire des indications qui seraient utiles au point de vue où je me place. J'aurais donc été obligé, si j'étais demeuré fidèle à mon idée première, de faire un véritable tour de France, pour consulter dans des bureaux d'inspection ou dans des dépôts d'archives départementales, les registres des anciennes maîtrises. Mais, même en admettant que les circonstances m'eussent favorisé, l'achèvement de mon travail aurait été, par la force des choses, sinon renvoyé aux calendes grecques, du moins à une époque très lointaine, en raison de l'ampleur excessive du projet que j'avais conçu. Je renonçai dès lors à mon grand dessein et me contentai de mettre en œuvre les matériaux déjà réunis jusque-là (I).

(s) Je ne cacherai pas, cependant, la peine que j'eus à prendre cette détermi- nation. Il m'en coûta surtout de me fermer une perspective qui, comme je l'ai dit plus haut (p. 25), m'avait toujours séduit depuis mon départ de Villers-Cotterêts : celle de réparer la lourde faute dont je m'étais rendu coupable pendant mon séjour là-bas en négligeant d'étudier à fond la réformation de 1672. Les prescriptions de Lalle- mand de Lestrée relatives au riche agrégat d'arbres qui orne le Valois auraient été avantageusement mises en parallèle avec le concept de Barrillon à l'égard des maigres peuplements moins denses du Gâtinais. Le présent travail eut ainsi porté à la fois sur la forêt où débuta le stagiaire de 1872, et sur celle où le même agent devenu inspecteur chevronné termina sa carrière quarante ans plus tard. LE TIRE ET AIRE 67 Mon essai se rapporte surtout à la période de deux cent cin- quante ans qui va des édits de François leT au décret par lequel l'Assemblée nationale de 1791 a supprimé les maîtrises. Les quelques énonciations que j'ai faites au sujet de la foresterie telle qu'on l'entendait à d'autres époques, doivent être regar- dées comme de simples coups de sonde opérés en dehors de mon étude. De tout ce qui précède, il résulte que le problème du tire et aire, tel que je l'ai posé, n'est pas encore complètement résolu et que les esprits curieux qui voudront l'aborder à leur tour y trouveront encore ample matière à recherches. Un certain nombre de mes anciens élèves de Nancy, devenus des fonctionnaires distingués, ont manifesté de réelles dispo- sitions pour les recherches historiques et d'excellents articles de revue sont sortis çà et là de leurs plumes. Je serais heureux si l'un d'eux reprenait ma tentative au point où je l'ai conduite et la menait à bonne fin. Même au cas où il signalerait des erreurs dans les assertions que j'ai émises, je lui serais reconnaissant du service qu'il aurait rendu à la science forestière. Aucune histoire d'ensemble de la foresterie française n'a encore été tentée et on ne pourra en écrire une qu'après la publication de nombreuses monographies ayant trait chaque fois à un massif ou à une région boisée, soit à une pratique ou à une doctrine. Les tra- vailleurs qui se livreront à ces études mériteront des remercie- ments chaleureux de tous les amis de la clarté et de la vérité.

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LES EDICTS ET ORDONNANCES DES ROYS

par le chevalier de Sainct-Von (1610) (frontispice).

Cet ouvrage de 1.254. pages est fondamental pour notre histoire forestière. L'auteur y a rassemblé les Ordonnances, les coutumes, la jurisprudence et les règlements concernant les Eaux et Forêts. Des tables détaillées facilitent l'accès de cet important recueil. La fragmentation des Ordonnances sous diverses rubriques constitue toutefois pour l'historien un obstacle sur lequel REUSS a insisté ici- même. LIVRE II L'EXPRESSION " A TIRE ET AIRE "

CHAPITRE I. — Formes variées et graphies diverses.

Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, l'expression qui nous occupe n'a pas toujours revêtu la forme sous laquelle on l'em- ploie généralement aujourd'hui et qui figure en tête de ce chapitre : elle a donné lieu à des variantes dont quelques-unes, au moins, méritent d'être notées. 1. La forme à tire et à aire est la plus ancienne à ma connais- sance. On la trouve dans un texte datant de l'année 1501 et que cite Frédéric GODEFROY dans son Dictionnaire de l'ancienne Langue française (Io vol., Paris, Vieweg, 1881-1898) : « Si ont esté abattus tous les chesnes gros et menus, à tire et à aire. (Recueil de Documents inédits concernant la Picardie, par Victor DE BEAUVILLÉ, 4 vol. in-4, Paris, Impr. impériale, 1860- 1882. T. IV, p. 229.) Parmi les ouvrages anciens qui renferment la leçon « à tire et à aire », je mentionnerai : SAINCT-YON, Les Édicts et Ordonnances... des Eaués et Forêts, p. 304 et 1121 de l'édition de 161o. GALLON, Conférence de l'Ordonnance... du mois d'août 1669, p. 855, 857, 871, t. I, édit. de 1725. FURETIÈRE, Dictionnaire universel, La Haye, 1727. Verbo Aire. Michel NOËL, Mémorial alphabétique, p. 133 et 235, édition de 1737. Verbo Couper, Coupes et verbe Fureter. DUHAMEL DU MONCEAU, Des Semis et Plantations, Paris, 1760, p. LXVII, 360 et 362. MASSÉ, Traité des Bois, 2 vol., Paris, 1769, t. I, p. 176. On trouve aussi la forme en question dans un petit in-8 publié 70 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE en 1750 à Besançon, chez la veuve de Claude ROCHET et Jean- Antoine VIEILLE et dont voici l'intitulé : Ordonnance de Louis XIV sur le fait des Eaux et Forêts du mois d'août 1669. Registrée au Parlement de Besançon le 27 avril 1694. Augmentée, etc... Cet ouvrage présente la leçon « à tire et à aire » une première fois dans le texte de l'Ordonnance (art. i i du titre XXV, p. 12o), puis, à deux reprises, dans l'Explication de quelques mots parti- culiers de l'Ordonnance qui suit ledit texte (p. 4 de cette seconde partie du volume). Le petit livre dont il s'agit offre un certain intérêt au point de vue de mon étude parce qu'à la page 174, immédiatement après la transcription de l'Ordonnance, il est dit que le texte de celle-ci a été « collationné à l'original ». On peut donc admettre que la leçon « à tire et à aire » a eu cours dans la chancellerie, sous Louis XIV, vers 1669 (i). 2. La forme à tire et aire (sans répétition de à) se trouve dans SAINCT-YoN, à quelques lignes de la forme précédente. En outre, elle peut également être regardée comme ayant reçu une consé- cration officielle. En effet, parmi les innombrables éditions dont l'Ordonnance de 1669 a été l'objet au xViiie siècle, il y en a une publiée en 1753 à Paris, à la diligence de la Compagnie des Libraires associés. C'est un petit in-8 de xiv-558 pages intitulé : « Nouvelle Édition, plus correcte que les précédentes, et aug- mentée des Règlemens rendus en interprétation, depuis le mois de juin 1673 jusqu'en 1752. » Sous la rubrique Errata, se place un préambule d'après lequel cette édition n'est pas entachée des mêmes fautes que les anté- rieures. Or, elle donne, à l'article 1 i du titre XXV, la version « à tire et aire » et ladite version n'est pas comprise dans la liste des errata dressés à la suite d'une vérification qui eut lieu, paraît-il, à la fin de 1752 sur le texte original tiré des registres

(r) A la page 12 de l' « Explication », c'est la forme usuelle « tire et aire » et non la forme « à tire et à aire » qui a été employée; mais cette inconséquence des éditeurs n'infirme en rien mon observation sur le collationnement des textes; elle prouve seulement que les deux tournures étaient d'un usage courant au xviIie siècle et qu'on substituait l'une à l'autre sans y faire attention. LE TIRE ET AIRE 71 du Parlement de Rouen. (Le texte de l'exemplaire registré au Parlement de Paris ne fut point retrouvé.) D'autre part, la forme « à tire et aire », sans se différencier beaucoup de la précédente, est plus brève et d'un usage plus commode : je l'adopte donc pour la rédaction de mon travail. 3. Une troisième modalité consiste dans la simplification à tire-aire. GALLON s'en est servi une fois (Conférence, édit. de 1752, t. II, Table des matières, p. 838). On la rencontre çà et là dans les oeuvres de BAUDRILLART (Mé- moire sur l'Exploitation des Forêts d'Arbres résineux, p. 108 Annales forestières de 1812; p. 83 et 123, verbo EXPLOITATION; p. 196, verbo FUTAIE du Dictionnaire des Eaux et Forêts, t. II). La forme en cause mérite considération pour avoir été em- ployée de préférence à toute autre par DRALET, l'éminent fores- tier qui a dirigé si brillamment la Conservation de Toulouse sous le premier Empire. On verra, en effet, plus loin, que les publications de DRALET sont pour beaucoup dans la création de la légende que j'ai pris à tâche d'élucider (I). A l'époque où j'enseignais à Nancy, je croyais « tire-aire » plus ancien que « tire et aire », parce que j'avais trouvé la pre- mière de ces leçons dans je ne sais plus quel document antérieur à l'Ordonnance de 1669. Je m'imaginais même que, si la seconde leçon a prévalu dans les éditions de l'Ordonnance, cela tenait à une erreur de scribe ou de typographe. Mes nouvelles recher- ches m'ont fait revenir sur ce jugement hâtif. Je persiste cepen- dant à regarder la forme « tire-aire » comme bonne à plusieurs égards. C'est surtout pour ne pas rompre avec l'usage de mon temps que je suis demeuré fidèle à « tire et aire ». 4. D'après un procès-verbal de description des forêts du Perche remontant à 1561 et reproduit par M. HUFFEL (Économie

(r) Voici à quels endroits Dralet a eu recours au terme « à tire-aire » : p. 7, 35, 36, 40, 85 du Traité de l'Aménagement, édition de 1807; p. 'or, 21 5, 2 39, 2 44, 2 58 I du Traité du Régime forestier; p. 49, 5 2 , 55, 91 du tome II de la Des- du tome cription des Pyrénées; p. 9 6, 97, 123, 124, 127, 1 3 1 , 1 37, 138, 178 du Traité des Forêts d'arbres résineux; p. 98, 107, 109, III, 112, 113, 123 du Traité du Hêtre; p. 190 et 197 de la Notice sur les Forêts de Hêtre (Moniteur des Eaux et Forêts, année 1842). — C'est en copiant Dralet que Baudrillart a été amené à se servir à son tour de la forme en question. 72 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE forestière, t. III, p. 231), on a employé parfois la locution : à tire, à aire; mais je ne connais pas d'autre texte présentant cette variante. 5. La forme « de tire à aire » a été employée en 1727 par le grand maître MACLOT, dans son règlement pour les forêts affectées à la saline royale de Salins (Voir l'extrait donné par M. HUFFEL aux pages 260-262 du tome III de son Économie forestière, pièce justificative n° 16). Cette tournure se rencontre aussi dans le Mémorial alpha- bétique de Michel NoÊL (op. cit., édition de 1737, p. 633, verbo Règlemens). Mais, à d'autres endroits de l'ouvrage (p. 12, 134, 720), l'auteur utilise la forme « à tire et aire » et, à la p. 235, c'est la leçon « à tire et à aire » qu'il adopte. 6. Une sixième leçon, « à titre et aire », résulte, sans doute, d'une erreur typographique, car on aurait de la peine à l'expli- quer autrement. Pourtant, chose curieuse, la coquille a été com- mise à plus de cent ans d'intervalle, d'abord dans une édition de l'Ordonnance de 1669 publiée à Paris, chez la Veuve Langlois, en 1687 (p. 104), puis dans le Manuel du Forestier de J.-B. Lo- RENZ (2 vol. in-12, Sarrebourg, an X. — Voir notamment p. 69 du t. II). Peut-être cet écrivain, qu'il ne faut pas confondre avec Bernard LORENTZ, le premier directeur de l'École de Nancy (1), ne connaissait-il le terme tire-et-aire que par la publication de 1687. 7. Je signalerai en dernier lieu, sans m'y arrêter, la variante « coupe à tire d'aire et pleure de charbonnier » admise par BROILLIARD sur sa liste de Vieux Noms cueillis autour des Bois (R. E. F., 1895, p. 222). L'auteur n'indique ni la source où il a puisé cette étrange association verbale ni le sens qu'il lui attribue. On aurait tort maintenant de croire qu'ayant une fois adopté une certaine forme, chaque écrivain y soit demeuré constamment fidèle. Nous avons vu tout à l'heure que GALLON a introduit dans son édition de 1752 la leçon « à tire-aire » qui n'existe pas dans

(r) Voir sur cette question : Un manuel forestier de l'an X par Bernard Lorentz, premier directeur de l'École forestiPre, par R. BLAIS. (Ann. 1933) (R. B.) LE TIRE ET AIRE 73 l'édition de 1725. J'ajoute que, déjà en 1725, il s'est servi de la forme « à tire et aire » concurremment avec la forme « à tire et aire » (op. cit., p. 286). Nous avons également vu qu'une remarque analogue peut être faite à l'égard de SAINCT-YON, de Michel NOEL, et ce que je dis de ces deux auteurs pourrait se répéter, ou à peu près, pour DUHAMEL, MASSÉ et une foule d'autres écrivains. DRALET lui-même, malgré sa prédilection pour « tire-aire », a écrit ou a laissé imprimer une fois « tire et aire » (Traité du Régime forestier, t. I, p. 101). Outre les véritables variations de forme qu'a subies l'expression tire et aire, il y a aussi à noter les façons diverses dont le mot tire et le mot aire ont été orthographiés. On a écrit quelquefois tir sans e final. C'est ainsi que le Manuel forestier et portatif de GuloT (Paris, 1770) donne (p. 347) la forme tir-à-aire. Cette graphie vicieuse se rencontre à la page 293 du tome II du Dictionnaire de BAUDRILLART, verbo Jardinage, et elle tient évidemment là à une faute d'impression, parce que, partout ailleurs, dans l'ouvrage de BAUDRILLART, c'est la leçon tire qui est adoptée. Mais tir se retrouve dans le Traité de l'Aménagement des Forêts enseigné à l'École royale forestière par DE SALOMON (2 vol. avec atlas, 1837), et ici, la graphie peut être intentionnelle de la part de l'auteur, car elle apparaît aux deux seuls endroits de l'ou- vrage (p. 28 et 82) où il soit question des coupes à tire et aire. En ce qui concerne le mot aire, la leçon ayre donnée deux fois par Michel NOËL (op. cit.) ne retiendra pas notre attention. Il était d'usage courant jadis, de substituer l'y à l'i, sans raison aucune. Du reste l'auteur retourne à la graphie « aire » à la fin de son livre (p. 633, verbo Règlemens). Par contre, la leçon « Haire » mérite, par sa singularité, qu'on s'y arrête un peu plus longtemps. On la trouve dans un ouvrage de M. VAULOT, intitulé : Nouvelle méthode d'exploitation des futaies, ou exposé succinct d'un nouveau traitement à tire et haire, destiné à remplacer la méthode dite allemande (Langres, Dejussieu, 1876). Pour quel motif ce forestier, qui a émis parfois des idées fort 74 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE justes et fort intéressantes, a-t-il adopté une graphie aussi insolite? S'inspirait-il d'un précédent? C'est possible, car, comme je l'ai constaté récemment au cours d'une de mes lectures, la forme « haire » apparaît dans des factums de 1690 où M. Denis Desrousseaux, procureur du Roi en la maîtrise de Fontaine- bleau, attaque avec violence son chef, M. de Saint-Herem, et l'accuse d'avoir « fait couper les baliveaux' à tire et haire dans les bois taillis des garennes de Grosbois, Butte et Garenne du Monsseau » (Voir l'ouvrage de M. Félix HERBET sur l'Ancien Fontainebleau. Fontainebleau, 1912) (I). M. VAULOT a donc pu avoir lui aussi, sous les yeux, un document ancien où le mot « aire » est écrit avec un h. Quoi qu'il en soit, l'h ne se justifie par aucune raison d'ordre étymologique, et M. VAULOT n'a pas tardé à le reconnaître puisqu'à la table des matières de son Petit Manuel forestier publié à Dôle (Courbe-Rouzet) en 1882, on lit déjà « tire et aire » et non plus « tire et haire ».

CHAPITRE II. — Origine et sens primitif probables.

On a vu, au chapitre I, que l'expression « à tire et à aire », employée à propos d'un abatage d'arbres, se trouve dans un texte de 1501: elle est donc, en tous cas, antérieure au xvle siècle. Comment a-t-elle pris naissance, et en vertu de quelle asso- ciation d'idées le forestier médiéval inconnu qui s'en est servi pour la première fois en a-t-il été le créateur? Pour résoudre le problème, recherchons d'abord séparément le sens spécial de chacune des deux parties dont la locution se compose.

(r) M. Herbet (p. 172 ad notam) ne reproduit pas les factums et se borne à les analyser; mais, en sa qualité d'archiviste-paléographe très scrupuleux, il a dû transcrire le mot a haire n tel qu'il l'a vu dans l'original. (E. R.) Reuss se proposait de consulter M. Herbet, quand celui-ci mourut (1917). (D'après une note marginale du manuscrit). On doit à M. Herbet, outre un ouvrage sur Fontainebleau, un Dictionnaire histo- rique et artistique de la forêt de Fontainebleau, Fontainebleau, 1903, et une étude sur Les carriers de la forêt de Fontainebleau au XVIIe siècle, Fontainebleau, 1898. (R. B.) LE TIRE ET AIRE 75,

Tire.

Faire une chose à tire c'est la faire sans interruption, d'une façon continue, d'une traite. Cette manière de parler est, encore aujourd'hui, d'usage cou- rant dans certaines régions de la France. Le brigadier Crapart, natif de la Brie champenoise, que j'ai eu sous mes ordres à Fon- tainebleau, l'employait volontiers. La source la plus ancienne à laquelle je puisse me référer à ce sujet (Jean NICOT, Thresor de la Langue françoyse tant ancienne que moderne, Paris, David Douceur, MDcvi) fournit les indi- cations suivantes :

Tire. Est l'alleure d'un seul traict sans repos. Ainsi dit-on : Il va tout d'une tire, Uno tractu, Uno impetu, Uno incessu. Ce qu'on dit aussi tout d'un traict, metaphore prinse du iect d'arc... Tout d'une tire, Tractim, Continenter, Uno impetu, sans inter- mission. Voler à tire d'aile... (I).

GODEFROY (op. cit.) reproduit aussi diverses locutions où le mot tire figure avec le sens que je viens d'indiquer, notamment celles-ci (t. VII, p. 726, verbo Tire) :

A tire, sans interruption, de suite, complètement, d'un bout à l'autre... De tire, dans le même sens... D'une tire, d'une seule pièce, d'un seul morceau...

Il ressort, d'ailleurs, de ces citations que la locution adver- biale à tire exprime la continuité d'un acte, soit dans le temps,

(r) Le Dictionnaire historique de LA CURNE DE SAINTE-PALAYE (Io vol., Paris, H. Champion, 1875) indique verbo Tire, des textes antérieurs à l'ouvrage de Nicot et remontant au moyen âge; mais je m'abstiens d'en taire état, car les extraits qu'en donne La Curne sont trop écourtés pour que la véritable signification du mot tire y apparaisse. Les gloses de cet auteur laissent, du reste, beaucoup à désirer. Ainsi, d'après lui, l'expression d tire et d aire serait simplement syno- nyme de tout d /ait. Il ne semble pas avoir soupçon du rôle qu'elle joue dans le langage forestier. 76 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE soit dans l'espace, suivant le point de vue adopté par la per- sonne qui parle (i). Couper à tire sera donc ou bien couper sans arrêter, sans inter- rompre le travail par des temps de repos, ou bien couper de proche en proche sans laisser d'intervalle entre les parties cou- pées et les parties non coupées. En matière de coupes de bois, la question de continuité dans l'espace se pose beaucoup plus souvent et a beaucoup plus d'importance que la question de continuité dans le temps. Le marchand et le forestier s'occupent surtout de savoir si un emplacement boisé étant donné, on le dégarnit tout entier ou si on y maintient çà et là des bois sur pied. Dès lors, la coupe à tire et aire (ou à tire-aire) a dû être, dans l'esprit de l'inventeur de la locution, la coupe où l'aire créée se fait à tire, d'une tire, se poursuit, s'agrandit, se propage (2). Reste donc à examiner ce qu'il faut entendre par aire.

Aire.

Qu'on prenne un dictionnaire français quelconque, bilingue ou se rapportant seulement à notre langue maternelle, petit ou gros, récent ou vieux, on constatera que le sens principal du mot aire, celui qui figure presque toujours en tête de l'article consacré à ce vocable, est lieu où l'on bat le grain.

(r) A l'article Tire, du Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance de GAY (t. II, Paris, 1926) on lit « Tire = rangées, et on lit un exemple du mie siècle : « Et ces escus fist metre en tire Hors des fenestres sur la rue. n (Guillaume DE DOLE.) Dans le blason, des tires désignent des traits ou rangées de vair. Le sens général est bien celui indiqué par Reuss. (R. B.) (2) II n'y a selon nous aucun désaccord sur le sens de tire, et il nous semble juste de joindre à ce faisceau cohérent la définition de Sainct-Yon (Voir plus loin, p. 9o). « Tirer signifie avancer pays tout droit, et suyvant ce, on dit entre veneurs : Ceste beste tire pays, quant elle fuit sans tournoler et user de ruses. s Le rapprochement que fait Sainct-Yon, d'une façon toute spontanée, avec un terme de vénerie, nous paraît d'ailleurs très significatif, en un temps où les choses de la chasse étaient au premier chef les choses de la forêt. Tire serait un mot emprunté au veneur par le /orestier! (R. B.) LE TIRE ET AIRE 77 D'innombrables extraits pourraient être fournis à l'appui de cette assertion; en voici quelques-uns :

Dictionnaire de FURETIkRE (1727). Aire. Toute superficie plane sur laquelle on marche. Area. Il se dit plus particulièrement d'une place bien battue et préparée pour battre les grains, soit à la cam- pagne, soit dans une grange... Dictionnaire de la Langue Françoise, ancienne et moderne de Pierre RICHELET. 3 vol. in-4, Paris, Jacques Estienne, 1728: « Aire (Area). C'est la place où, dans la grange, on bat le grain (Une aire bien nette, une aire très propre. Netteïer l'aire de la grange, balaïer l'aire de la grange. Ils mangeront les grains que vous aurez vannez dans l'aire. (Port Royal, Isaïe, chap. 25...). Dictionnaire François-Allemand, etc. In-4, Strasbourg, Armand Kœnig, 1804. « Aire, eine Dreschtenne; Tenne; Scheunendiele... » mots allemands qui désignent une surface préparée pour le battage, un sol de grange.

LITTRi. Dictionnaire de la Langue française (1881). « Aire. // I° Sur- face unie et dure où l'on bat les blés. L'aire d'une grange. // 2° Toute surface plane...

Les autres acceptions, pour nombreuses et variées qu'elles soient, ne viennent qu'en seconde ligne et paraissent résulter de ce qu'une surface plane et dénudée évoque l'idée d'un sol de grange. Tel est notamment le cas de l'aire d'un grand oiseau de proie. Pour l'aire d'une figure de géométrie, d'une orbite de planète, etc., l'analogie est moins grande, mais on aperçoit néanmoins le lien qui réunit les différentes significations entre elles. Par conséquent, me suis-je dit aussitôt que j'ai eu abordé la question, l'aire, en langage forestier, ce doit être, non pas un espace de terrain quelconque, mais une place nette, débarrassée de la végétation ligneuse qui l'encombrait. Par conséquent aussi, la « coupe par aire » ou « coupe à aire », en admettant que ces expressions aient jamais été en usage, serait, non pas comme semble le croire M. HUFFEL, une coupe quelconque, pourvu qu'elle fût faite par contenance, « par arpent », mais une coupe intensive, où l'on enlève la plus grande partie du matériel ligneux, sinon la totalité de ce matériel, et 78 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE où les arbres réservés sont, sinon inexistants, du moins en petit nombre (I). Par conséquent, enfin, la méthode du tire et aire sera celle où l' aire ainsi entendue se déplace de proche en proche pendant toute la durée de la révolution adoptée. FURETIÈRE, que nous venons de citer, nous apporte d'ailleurs sur ce point une définition capitale.

L'ordonnance des Eaux et Forêts veut que les bois des habitans soient couppez à tire et à aire, c'est-à-dire qu'ils ne soient point choisis çà et là, mais couppez entre les lisières marquées, et qu'il s'y fasse un champ ou une aire, dans laquelle on ne laisse que les arbres de réserve (2).

Ainsi donc, en 1727, à une époque où nos vieux termes fores- tiers avaient, sans doute, gardé leur signification du début, le plus illustre lexicographe du xvIIIe siècle donne le mot aire comme synonyme de champ, et, par conséquent, de terrain déboisé. Il y a là un argument puissant en faveur de ma thèse, et, dès lors, je peux croire que la définition de la coupe à tire et aire qui répond le mieux à la pensée du promoteur de l'ex- pression est celle-ci : coupe intensive qui fait place nette et s'opère de proche en proche.

CHAPITRE III. — Significations de l'expression à tire et aire, dans le vocabulaire technique.

Les notions qui précèdent étant acquises, je constaterai que les écrivains qui ont eu recours au terme tire et aire ne se sont

(r) Voir ci-dessus, p. 57. (2) Les bois des « habitans » dont parle Furetière sont ceux des paroisses, et, en déclarant que l'ordonnance prescrit de couper « à tire et à aire », l'écrivain vise d'une façon implicite l'article r r du titre XXV. On verra plus loin le rôle important que cet article joue dans mon étude. La phrase de Furetière reproduite ci-dessus se retrouve dans le dictionnaire de Trévoux avec cette seule différence que les mots « des habitans » ont été supprimés, soit intentionnellement, soit par oubli. Littré, en déclarant (verbo TIRE), que « à tire-aire » signifie a en tirant l'aire a, paraît s'être inspiré de Furetière et des Trévultiens. Sa glose m'avait également échappé tout d'abord, noyée qu'elle est dans un article assez confus. LE TIRE ET AIRE 79 pas toujours placés au même point de vue. J'ai d'ailleurs déjà signalé (p. 24) que c'est ce qui a eu lieu pour BAUDRILLART, dans son Dictionnaire.

PREMIER POINT DE VUE

TIRE ET AIRE TERME D' Usance.

Dans une foule de cas où l'expression tire et aire a été em- ployée, l'auteur admet implicitement que la coupe est déjà assise, c'est-à-dire délimitée et marquée, et qu'il n'y a plus qu'à la mettre en « usance », c'est-à-dire à abattre les bois, les façonner, les empiler et les emmener hors de la forêt (I). La recommandation d'exploiter à tire et aire s'adresse alors, non pas au sylviculteur, à l'aménagiste, mais au bûcheron ou au marchand de bois : le gérant de la forêt n'intervient que pour s'assurer si les ouvriers chargés de la partie matérielle de l'ex- ploitation l'exécutent convenablement. L'exemple le plus ancien que je connaisse de cette manière d'envisager les choses remonte à la fin du xvIe siècle. Dans un règlement donné le 20 août 1582, par la Table de Marbre de Paris, à l'occasion d'un procès entre le seigneur et les habitants de Pressigny (Haute-Marne), on lit les passages sui- vants (2) :

... La contrée appellée la Bouchère..., à présent réduite en savart, ensemble tous les autres triages... qui... sont à présent et depuis vingt cinq ans... réduits en friches..., seront dedans deux ans.., labourés et semés de glands et foins (faînes), et ce qui se trouvera pillé, broutté, mangé et rabougri, et gâté des bêtes, sera dans ledit tems recoupé et recépé à tire et à aire le plus près de terre que faire se pourra... « Et quant aux... bois provenans des... taillis et coupes ordinaires,

(r) Le mot usance sert depuis un temps immémorial à désigner l'abatage des arbres et les autres opérations matérielles nécessaires pour la réalisation et l'enlè- vement des produits forestiers. L'article r du titre XXVI de l'ordonnance de 1669 lui a donné une consécration officielle : « Enjoignons à tous nos sujets... qu'... ils observent en l'exploitation ce qui est prescrit pour l'usance de nos bois. y (E. R.) Ce terme est vieilli et inusité; il est très heureusement choisi dans cette étude historique (R. B.) (2) PECQUET, Les lois forestières de France. Paris, 1 753, t. I, p• 528-531. 80 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE en sera baillé et délivré... aux... Habitans par chacun an, telle quan- tité... qu'il sera avisé et arrêté entr'eux pardevant les... Officiers..., à la charge qu'iceux Habitans seront tenus de couper ou de faire couper le dit bois taillis bien et duement à tire et aire à six pouces près de terre, et au-dessous, etc... » ( I).

L'ouvrage de PECQUET sera le seul livre écrit sous l'ancien régime auquel j'emprunterai un exemple de la conception du tire et aire usance appliquée aux forêts d'alors. En effet, je n'ai pas trouvé jusqu'à présent, pour la période 1754-1790, de textes où ladite conception se distingue nettement de celles auxquelles le même mot de tire et aire s'applique malgré leur caractère différent. On verra plus loin combien il y a eu de mélanges et de confusions entre ces conceptions. Sans m'arrêter aux années troublées au cours desquelles suc- comba la monarchie et s'installa la République, j'examinerai maintenant les cahiers des charges du Consulat et de l'Empire. Le mot tire et aire y figure pour désigner le mode d'abatage des arbres tout comme c'était le cas dans les anciens règlements. Les clauses appliquées de 1801 à 1815 aux forêts nationales et

(1) Ce règlement offre au point de vue de mon étude un intérêt spécial résultant de ce que les passages transcrits ci-dessus sont précédés d'un autre que voici : « Et le surplus des dits bois et lieux usagers et communaux sera remis en nature de bois, et réglé en taillis et coupes ordinaires de dix ans en dix ans, par égale por- tion, suivantes et consécutives, de proche en proche, le plus commodément que faire se pourra. Dans cet autre passage, les juges de la Table de Marbre considèrent, non plus l'usance d'une coupe déjà assise, mais la fixation des emplacements oh se feront des coupes non encore délimitées. Or, comme on le verra tout à l'heure, beaucoup d'écrivains forestiers emploient aussi, en pareil cas, le terme tire et aire chaque fois qu'ils veulent prescrire des coupes de proche en proche. Le fait que les rédac- teurs du Règlement de 1582 se sont abstenus de parler de tire et aire à propos de ce second concept est à retenir. J'ajoute, à titre de renseignement bibliographique, que M. Huff el donne quelques extraits du Règlement de r582, qu'il a également puisés dans PECQUET (Acon. For., t. III, p. 232). C'est cette circonstance qui a appelé mon attention sur le texte que je viens d'étudier. (E. R.) Reuss avait cru trouver un exemple plus ancien du tire et aire usance dans un texte de 1516, rappelé par GALLON (Conférence, t. I, p. 902 de la 7e édition de 1752). Mais Gallon a ajouté le mot dans une glose du texte en question, sans le reproduire avec fidélité. Il s'agit d'une ordonnance de François fer, de mars 1516, reproduite dans : Edits et Ordonnance des Eaux et Forêts de Claude ROUSSEAU (Paris, 1633). Gallon évoquait au même endroit un règlement pour Villers-Cotterets du 6 octobre 1605 (art. e1). Cet article est contenu dans Sainct-Yon : p. 1014, l'expression tire et aire ne figure pas. (R. B.) LE TIRE ET AIRE 81 impériales (1) renferment toutes l'article ci-après, qui peut changer simplement de numéro suivant l'année considérée : ART. 40 (du cahier de l'an X). — Les ventes seront exploitées à tire et aire, tous les bois coupés à la cognée et les souches et étocs ravalés le plus près de terre que faire se pourra, de manière que les anciens noeuds ne paraissent aucunement, et sans cependant rien écuisser ni éclater... L'exploitation dans les bois résineux sera faite suivant l'usage des lieux et sans dommage. (Voir passim : Mémorial forestier, 1801 à 1808. — Ann. forestières, 1808 à 1815.) Le cahier des charges de l'an XI pour les bois communaux contient à son tour un article semblable à celui que je viens de reproduire (Mémorial forestier, 1803). Dans son Traité du Régime forestier, au chapitre IX intitulé : Des Exploitations. Manière d'exploiter (t. I, p. 215), DRALET explique comme il suit l'article en question qui porte le n° 51 dans le cahier des charges générales de 1812 : « Les ventes doi- vent être coupées à tire-aire, c'est-à-dire que l'adjudicataire doit commencer à un bout et finir à l'autre, sans rien laisser en arrière, afin que l'exploitation soit plus régulière, plus facile à surveiller, et que ses nouveaux produits aient une croissance plus égale (2). Des dispositions analogues furent en vigueur sous la Restau- ration. L'article 51 du « cahier des charges pour l'adjudication des coupes de l'ordinaire 1822 e dans les forêts domaniales, porte : « Les ventes seront exploitées à tire et aire, tous les bois coupés à la cognée, et les souches et étocs ravalés... e (BAUDRILLART, Règlemens forestiers, t. II, p. 925.) De 1823 à 1827, même rédaction, tant en ce qui concerne les bois des communes qu'en ce qui touche les bois royaux. Mais, en 1828, on voit apparaître un petit changement; l'article 47 qui remplace, à l'égard des bois royaux, l'article 51 précité, commence par les mots : « A moins de clauses contraires, les coupes seront exploitées à tire-et-aire; tous les bois coupés à la cognée, etc... e (BAUDRILLART, Règlemens, t. III, p. 583.) Ces mots ont pour but d'accentuer la restriction que renferme déjà l'article 40

(r) Au début du xixe siècle, il y avait des cahiers distincts pour les bois de l'État d'une part, pour ceux des communes et des établissements publics de l'autre. (2) Ce passage de DRALET est transcrit littéralement dans le Dictionnaire des Eaux et Forêts de BAUDRILLART, verbo Exploitation ou Coupe de Bois, t. II, p. 83.

ANN. FOREST -T VII - FASC. I 6 82 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE du cahier de l'an X en ce qui touche les bois résineux; et, comme on va le voir, la restriction dont il s'agit sera, non seulement maintenue dans la suite, mais même étendue à toutes les coupes de futaie. Sous la monarchie de Juillet, les deux cahiers des charges précédemment applicables l'un aux bois de l'État, l'autre à ceux des communes et des établissements publics, ont été fusionnés, et tous les bois régis par l'Administration sont devenus l'objet de clauses réunies dans un même fascicule. L'article 24 du cahier de 1837 montre comment était rédigé à cette époque l'ordre de prescriptions qui nous occupe : A moins de clauses contraires, les bois seront exploités à tire et aire et à la cognée, le plus près de terre que faire se pourra, de ma- nière que l'eau ne puisse séjourner sur les souches. Les racines devront rester entières. (BAUDRILLART, Règlemens, t. V, p. 541.)

Cette rédaction reste telle quelle pendant tout le règne de Louis-Philippe, sous la deuxième République, sous le second Empire, sous la troisième République : il n'y a que le numéro de l'article où elle figure qui change de temps en temps. (BAU- DRILLART, Règlemens, t. VI et VII passim. — DALLOZ, Réper- toire de Législation, v° Forêts, t. XXV, Paris 1849, p. 1 35 ad notam. — MEAUME, Commentaire du Code forestier, t. I, Paris-Nancy, 1844, n° 1 93, p. 301. Imprimés de l'Administration forestière catalogués depuis trente ans et plus sous la cote Série 4, n° 23.) Mais, fait important à noter, l'obligation d'abattre à tire et aire a perdu son caractère général et ne s'applique plus qu'aux taillis. L'article 25 du cahier de 1844 et l'article 23 des cahiers de 1885 à 1900 sont en effet rédigés de la façon suivante : a Le mode d'exploitation dans les forêts traitées en futaie sera fixé par des clauses particulières. » C'est seulement en 1903, lors d'un remaniement complet de l'ancien cahier des charges, que la vieille rédaction de l'année 1837 a subi une atteinte. Sauf indications contraires ou complémentaires aux clauses parti- culières de l'adjudication, les bois seront exploités : Dans les coupes de taillis : à tire et aire, à la cognée, le plus près LE TIRE ET AIRE 83 de terre que faire se pourra et de manière que l'eau ne puisse séjourner sur les souches. Les racines devront rester entières; Dans les coupes de futaie : rez-terre, à la cognée ou à la scie. Les résineux abandonnés à l'exploitation dans les coupes de taillis pourront également être abattus à la scie (art. 2o).

L'article actuellement en vigueur n'a donc, comme on voit, rien innové quant au fond; il se borne à mettre mieux en lumière qu'auparavant deux faits déjà acquis : l'abatage à tire et aire n'est obligatoire que pour les taillis; l'usage de la scie est auto- risé pour les futaies et les résineux. Voilà, je crois, un nombre suffisant d'exemples aptes à faire ressortir l'acception du terme tire et aire que j'appellerai pour la commodité du discours, le tire et aire usance. Cette acception, comme on l'a vu, remonte au moins à 1582. Non seulement elle n'a pas cessé depuis lors d'être admise par les forestiers et d'avoir un caractère officiel, mais un arrêt solennel de la Cour de cassa- tion du 6 juillet 1837 l'a sanctionnée dans les circonstances sui- vantes. En 1835, les ouvriers d'un Sr Grand, adjudicataire d'une coupe domaniale dans le département de l'Yonne, au lieu d'ex- ploiter de proche en proche tous les bois vendus « avaient abattu, en furetant et jardinant », c'est-à-dire n'avaient coupé que les tiges des essences autres que le chêne et avaient laissé sur pied la totalité du taillis chêne avec l'intention de ne recéper celui-ci que plus tard, quand la saison serait meilleure pour l' écorçage. Le sous-inspecteur des Forêts à Sens vit dans cette manière de procéder une infraction au Cahier des charges qui prescrivait, comme nous le savons, d'exploiter « à tire et aire », et, le Ir avril 1835, il dressa procès-verbal en vertu de l'article 37 du Code forestier. Par jugement du 24 juin 1835, le tribunal correctionnel de Sens prononça la relaxe du prévenu et, sur appel de l'Admi- nistration, le tribunal d'Auxerre fit de même. Un des « motifs » invoqués par les juges de première instance et d'appel c'est « que la signification des mots tire et aire est obscure, ou au moins incertaine, et que cette obscurité ou cette incertitude avait pu induire l'adjudicataire en erreur ». Il faut avouer qu'en s'exprimant de la sorte, les magistrats 84 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE n'étaient pas tout à fait dans leur tort, à preuve les nombreux malentendus auxquels la présente étude a précisément pour but de mettre fin. Mais, à l'époque dont je parle, et, au cas parti- culier dont il s'agit, l'Administration ne pouvait guère admettre la thèse qu'on lui opposait. Aussi l'affaire fut-elle portée devant la Cour suprême. Pourtant, ce qui montre combien la question était discutable, c'est que la Cour de cassation ayant, par arrêt du 18 février 1836, annulé le jugement d'Auxerre, la Cour royale de Paris, saisie du renvoi, confirma la décision des premiers juges à son audience du 4 juin 1836. Alors, nouveau pourvoi à la suite duquel la Cour, toutes chambres réunies, donna gain de cause à l'Administration. Parmi les considérants de cet arrêt mémorable du 6 juillet 1837 (I), je noterai celui-ci : Attendu que cet article (26 du Cahier des charges) était clair...; que son texte, conforme à l'ordonnance de 1669, expliqué par tous les auteurs qui ont écrit sur l'exploitation des bois, et appliqué par un usage constant, exigeait que les coupes fussent exploitées de suite, sans intervalle, en allant toujours en avant, sans laisser aucun bois en arrière; que ce mode d'exploitation, opposé à celui qui est pra- tiqué dans quelques contrées, en furetant et en jardinant, ne doit être ignoré d'aucun marchand de bois. Sauf en ce qui touche les affirmations du début, il n'y a pas grand'chose à objecter contre le moyen qui vient d'être trans- crit. Son rédacteur passe sous silence les acceptions du terme tire et aire autres que celle que j'ai appelé tire et aire-usance, mais il donne une bonne définition de ce dernier. On trouvera au surplus des renseignements très détaillés sur le litige en cause dans les Règlemens forestiers de BAUDRILLART (t. V, p. 387 et 525 à 528). Il en a été également rendu compte en 1844 dans le Commentaire du Code forestier de MEAUME (t. I, p. 301-304, § 193 ad notam) et en 1849, dans le Répertoire de Législation de DALLOZ (V° Forêts, t. XXV) (2).

(r) A la même date, un autre arrêt semblable fut rendu dans une espèce analogue (affaire Bonjour) qui avait eu pour point de départ un procès-verbal dressé égale. ment en 1835 par l'inspecteur des Forêts de l'arrondissement de Joigny. (2) MEAUME analyse l'affaire Grand; DALLoz l'affaire Bonjour. LE TIRE ET AIRE 85 Pour terminer ce que j'ai à dire sur le tire et aire usance, je ferai encore une remarque. L'abatage des arbres a maintes fois donné lieu à des recom- mandations du genre de celles que j'ai reproduites plus haut, sans qu'on se soit servi du terme tire et aire pour les énoncer. Dès 1603, CHAUFFOURT, dans son Instruction sur le Faict des Eaues et Forests, déclare : Les marchands doyvent faire coupper le bois de leurs ventes tout d'un suivant et à une seule fois, (et il ajoute, comme déve- loppement de ce principe) : Sont tenus les dits marchands coupper ou faire coupper et abattre le bois des dictes ventes tant gros que menu à une seule fois et à six poulces près de terre et au-dessous, ensemble tout le bois avorté, abroutty et mangé des bestes et autre- ment, et faire recepper toutes les souches tant grosses que menues estant dans `lesdites ventes, tout d'un suivant sans recourir : afin que le reste puisse mieux revenir (I). L'Instruction pour les Ventes des Bois du Roy de FROIDOUR (1668), contient le passage ci-après qui vise également le tire et aire usance, sans l'emploi du mot : Premièrement, pour ce qui regarde la manière de couper, les Mar- chands sont tenus de couper le bois à six poulces près de terre et au- dessous, selon la disposition de l'Ordonnance de François Ier, de l'année 1516, art. 3... En second lieu, ils doivent couper tout le bois avorté, abrouty, abougry, coupé par délit, et autrement perdu et gasté, afin qu'il puisse revenir, selon la disposition de la mesme ordonnance... En troisième lieu, ils doivent couper tout d'un suivant, à une fois, et sans recourir, suivant la mesme ordonnance, c'est-à-dire qu'ils doivent commencer à couper par un bout, aller tout de suitte, et finir à l'autre, sans rien laisser en arrière, afin que les ventes estant ainsi coupées reviennent mieux et également par tout. En quatrième lieu, deffences leur sont faites d'abattre aucun arbre à la scie... En cinquième lieu (etc...). (T. II, p. 132, treizième point : De la manière de couper, user, exploiter et vuider le bois.) Si donc le terme tire et aire a presque toujours paru utile pour désigner un certain mode d'abatage, il n'a pas été constamment lié à la description de ce mode, et maint auteur a pu se passer de lui, même quand il décrivait l'opération par le menu : le mot et la chose n'étaient pas inséparables.

(I) Nous n'avons pu vérifier ce texte que dans l'édition de 1642 (3 1 édition), p. 213. (R. B.). 86 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE

DEUXIÈME POINT DE VUE TIRE ET AIRE, TERME D'Assiette.

Au lieu de considérer une coupe déjà assise, martelée et vendue, l'auteur qui parle de « tire et aire » peut envisager une exploitation encore à l'état de projet et vouloir en indiquer l'une des principales caractéristiques. Il ne s'occupe plus alors de l'usance; les obligations du marchand, la tâche du bûcheron lui sont indifférentes; il vise l'assiette de la coupe, c'est-à-dire le choix par le propriétaire de la forêt ou par ses délégués, de l'emplacement des bois à abattre, des arbres à réserver, etc... (I). Dans l'hypothèse où je me place maintenant, l'expression tire et aire devient un ternie d'assiette et je me servirai de l'ex- pression tire et aire assiette chaque fois que cela me paraîtra nécessaire pour préciser ma pensée. Les cas où il s'agit du tire et aire assiette sont très nombreux, aussi nombreux sans doute, sinon plus, que ceux où l'auteur vise le tire et aire usance, et quand on les examine de près, on s'aperçoit même qu'ils forment deux groupes distincts.

Groupe A. — Le terme Tire et Aire vise l'intensité de l'exploi- tation. L'écrivain recommande ou condamne la coupe intensive, c'est- à-dire celle qui enlève en une seule fois une fraction considérable du matériel sur pied. Il ne s'intéresse pas à la disposition topo- graphique des ventes annuelles; il ne s'occupe pas de savoir si les ventes iront de proche en proche ou si leurs emplacements seront déterminés par des considérations d'exploitabilité ou autres. Pour lui, la coupe envisagée est une coupe à tire et aire uniquement parce qu'on y fait place nette, qu'on abat la plupart des tiges, qu'on ne se contente pas d'éclaircir le peuplement ou d'y opérer un jardinage.

(i) Les directives suivant lesquelles les agents d'exécution procèdent à l'assiette consistent, en général, pour les forêts importantes, en un règlement d'exploitation, ou, comme on disait autrefois, un règlement de coupes. Le règlement est une des parties essentielles de l'aménagement, ou de ce qu'on appelait sous l'ancienne mo- narchie, la réformation de la forêt en cause. LE TIRE ET AIRE 87 Le tire et aire ainsi entendu peut recevoir, par abréviation, le nom de tire et aire intensité qui me paraît le plus expressif et le plus approprié au but de mon étude. Comme spécimen de l'emploi du mot tire et aire dans le sens dont il s'agit, je citerai en première ligne un passage de l'ar- ticle Io de l'édit sur la réformation des Eaux et Forêts de Bre- tagne rendu par François Ier en juillet 1 544 (Edicts et Ordon- nances, Arrests et Règlemens des Eaues et Forests, Claude Rous- SEAU, Paris , 1633, p. 1 99-200). Avons ordonné et ordonnons qu'en chacune des dites Forests seront faictes par chacun an... ventes de certaine quantité de bois et jusques à la centiesme partie de chacune de nos dites Forests, visitation préalablement faicte du lieu ou chacune vente sera assi- gnée et mesure faicte : le tout ainsi qu'il est accoustumé faire, et que nos Ordonnances faictes sur nos dites Eaues et Forêsts le portent. Et seront faictes les dites ventes par arpens, à tire et aire, et non pas par arbres ainsi que par le cy-devant a esté fait et abusé, qui a esté l'une des principales causes d'avoir ruiné et gasté les dites Forêsts. A la suite de ce premier texte, pourrait se placer toute une série d'autres citations relatives à l'emploi du mot tire et aire dans le sens d'intensité de l'exploitation annuelle. Je me conten- tesai d'en signaler quelques-unes : Tout serait perdu sans ressources si l'on abattait à tire et aire, suivant l'esprit de l'Ordonnance, les bois de sapins. (DUHAMEL, Semis et plantations, préface, p. 95 -42.) L'exploitation des forêts de pins et de sapins mérite quelques atten- tions particulières. Si, conformément à la disposition générale de l'Ordonnance, on abattait une sapinière à tire et aire, comme l'on dit, elle serait entièrement détruite. (Ibidem, p. 360.) Ce seroit une très mauvaise méthode de faire la vente d'un taillis et de remettre à l'année suivante celle des baliveaux. Outre qu'il en résulteroit une vente par pieds d'arbres ou en jardinant, ce qui est défendu par les Ordonnances, qui veulent que l'on abatte â tire et aire, il est évident que, l'année suivante (etc.)... (DUHAMEL Exploitation des Bois, 1764, t. I, p. 140) (i). (s) Quoique Duhamel emploie ici le verbe abattre, il vise non pas le travail du bûcheron qui abat les arbres mais l'acte du forestier qui désigne les sujets à faire tomber sous la hache. Lesdits extraits sont donc bien à leur place ici et ils seraient colloqués à tort ,dans la partie de mon étude consacrée au tire et aire usance. En ce qui touche la défense de jardiner que Duhamel impute aux ordonnances, notamment à celle de 5669, je la discuterai plus loin. 88 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE Les pins et les sapins qui couronnent les moyennes sommités des Pyrénées ne peuvent s'exploiter à tire-aire, parce que cette espèce d'arbre ne se reproduit que par semences et que les jeunes sapins ne prospèrent qu'autant qu'ils sont ombragés par les anciens. On coupe donc çà et là... (DRALET, Traité de l'Aménagement, édition de 1807, P. 35.)

Groupe B. — Le terme tire et aire vise la contiguïté des coupes annuelles. A ce deuxième groupe appartiennent les cas où l'auteur du règlement, laissant de côté la nature de l'exploitation et son degré d'intensité, envisage la forêt soit pendant la révolution entière, soit au moins pendant plusieurs années consécutives, et déclare que les coupes annuelles marcheront de proche en proche, seront juxtaposées d'un exercice à l'autre, de façon que l'en- ceinte affectée à un exercice soit contiguë à celle de l'exercice précédent. J'appellerai cela le tire et aire contiguïté; là encore je me limiterai à quelques citations caractéristiques :

Faisons injonction à tous officiers sur le faict des dictes Eaues et Forests, en faisant les ventes de la dicte quantité de Bois qui leur sera prescripte par chacun an, de les faire de proche en proche, à tire et aire. (Extrait de l'article I de l'Ordonnance d'Henri IV de mai 1597. Voir Claude RoussEAu, op. cit., p. 478.) (I). Nous estimons qu'il est à propos de faire l'entier recepage de la dite forest (de l'Esquille, en Lauraguais, couvrant 40o arpents en fonds médiocre) à tire et aire, et sans aucune réservation, en quinze années la présente comprise, et de couper par chacun an vingt huit arpens de suite en suite et de proche en proche, allant de haut en bas, à com- mencer au lieu où nous avons estably la vente de la présente année etcontinuer iusques au bout. (DE FROIDOUR, Instruction pour les Ventes des Bois du Roy. Voir t. I, p. 509 de l'édition de 1668.) Les coupes se commenceront dans les taillis les plus âgez, et se feront d'année à autre, de tire à aire, sans pouvoir les transporter, sous tel prétexte que ce puisse être, le tout conformément au plan figuré qui sera déposé au Greffe du lieu, sur lequel les coupes seront

(r) Ce passage de l'Ordonnance de x597, se trouve dans SAINCT-YON (op. cit., P.319). Ladite Ordonnance est, d'ailleurs, reproduite en entier dans PECQUET et BAUDRIL- LART. (E. R.) Nous verrons plus loin (p. ic6, note r) que dans ce texte, le sens tire et aire conti- guité est très douteux, et qu'il s'agit encore du tire et aire intensité, c'est-à-dire de l'opposé de la coupe par pied d'arbres. Ces matières restent toutefois délicates et nous estimons préférable de ne pas modifier sur ce point la pensée de Reuss. (R. B.) LE TIRE ET AIRE 89 marquées et désignées par première et dernière. (Michel NOEL, op. cit. Voir p. 633, verbo Règlemens (I).)

TIRE ET AIRE. — L'art. II du titre 25 (de l'Ordonnance de 1669) porte que les Bois des Communautés d'Habitans seront faites à Tire et Aire, c'est-à-dire de suite, sans intermission de l'ancienne coupe à la nouvelle. Voyez Bois des Communautés. (CHAILLAND, Diction- naire raisonné des Eaux et Forêts, 2 vol. in-4, Paris, 1769, t. I, p. 550 (2). La division des coupes étant une fois établie sur le terrain on peut et on doit en faire tout de suite un réarpentage détaillé. Ce réarpen- tage constatera pour toujours la vraie quantité de chacune, que l'on pourra vendre à la suite, sans être obligé à l'assiette et à d'autres arpentages. Ainsi le propriétaire connaîtra sur le plan l'emplacement et la suite des taillis qui doivent se succéder de tir-à-aire, et il ne risquera plus d'être la dupe de ces mauvais arpenteurs ou Porte- Gaules, si communs dans les provinces. (GuloT, Manuel forestier et portatif, Paris, 177o, p. 346.) Les citations qui précèdent — choisies entre plusieurs autres — établissent la réalité du concept du tire et aire contiguïté tel que je l'ai défini. Il ne me reste donc plus qu'à formuler à son sujet une observation analogue à celle que j'ai faite tout à l'heure à propos du tire et aire usance (voir ci-dessus, p. 85), à savoir que, si on a souvent recommandé d'asseoir les coupes de proche en proche, on ne s'est pas toujours servi à cet effet de l'expression tire et aire. J'ai déjà signalé (p. 45) un pas- sage de la Réformation de 1750, où DUVAUCEL s'est abstenu de recourir à ladite expression, mais où il constate avec regret la difficulté qu'on a, à Fontainebleau, à « couper de suitte en suitte s : on trouverait probablement, en cherchant bien, beau- coup d'autres textes encore où l'idée du tire et aire contiguïté est exprimée sans le mot.

MELANGE DES ACCEPTIONS La pluralité des acceptions données au même terme depuis quatre cents ans aurait déjà suffi pour compliquer le problème

(r) La phrase que je reproduis ici d'après le Mémorial alphabétique de Michel NOEL, forme le début de l'article 5 d'un règlement de coupes arrêté le reL décembre 1732 par M. de Courtagnon, Grand Maître de Champagne, pour les bois communaux de son département. (2) C'est évidemment là le passage sur lequel Puton s'est fondé pour accuser Chailland d'avoir mal défini la coupe à tire et aire. 90 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE que je cherche à résoudre. Mais l'écheveau s'est embrouillé encore davantage du fait que maint auteur a attribué au vocable des sens différents, non seulement lorsqu'il s'en servait dans des parties différentes de l'ouvrage qu'il écrivait, mais jusque dans le corps d'une même argumentation. Les exemples de ces incon- séquences abondent dans les auteurs anciens (GALLON, MASSÉ) eussi bien que dans les modernes (DuMONT, PHILIBERT LE Duc, atc.). Je me contenterai de reprendre plus complètement ce que SAINCT-YON a écrit sur l'expression à tire et à aire. M. HUFFEL a mis la glose de cet auteur en vedette dans son étude et on s'étonnerait de la voir omise ici. Je suis très éloigné de la méses- timer, mais elle paraîtra maintenant, j'espère, quelque peu confuse. A tire et d aire. — Tirer signifie avancer pays tout droit. et suyvant ce, on dit entre Veneurs : ceste beste tire pays, quant elle fuit droit sans tournoier et user de ruses. On dit voler à tire d'aisle, quant l'oiseau tout d'un vol et à force de voler prend le gybier. Ainsi vendre et couper à tire et aire, c'est-à-dire tout d'un train et d'une suitte sans intermission et délaissement de bois entre deux, en abattant les arbres de bout et en ostant et receppant les vieilles souches des arbres dérobés ou brisés des vents, à six pouces près de terre, et nettoyant laire de tout le menus bois avorté, brouté et mangé des bestes, dont le contraire se fait, quant on couppe par pieds d'arbres, ou qu'on choisist le plus beau bois délaissant le pire, sans le vouloir coupper, ou bien en intention d'y repasser pour le coupper une autre fois, qui est le plus mauvais mesnage qu'on puisse faire en couppe de bois. (Les Édits et Ordonnances des Eaux et Forêts, Paris, 1610, P. 304•)

On trouve là un évident mélange de tire et aire intensité et de tire et aire usance. M. HUFFEL y a lu, quant à lui, un commen- taire de la règle des coupes de proche en proche (tire et aire contiguïté) mais je ne peux, me référant à ce seul texte de SAINCT- YON, relatif au tire et aire, le suivre dans cette voie (I).

(I) HUFF%L, op. Cit., 1926, p. 27. PLANCHE II. ORDONNANCE DE LOUIS XIV. ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE,

SUR LE FAIT DES EAUX ET FORESTS, Donnée à S. Germain en Laye au mois d'Août 1669, NOUVELLE ÉDITION, Plu: corret!e que lei précedentes, & augmentée de, Reglemens rendus en interprétation, depuis le moirh de Juin 16 73.- jufqu'en I 7 g z.

A PARIS; Par la Compagnie des Libraires at%ciés.

M. DCC. LIII. Avec Approbation & Privilége ds Roi.

L'ORDONNANCE DE COLBERT Une des très nombreuses éditions de l'Ordonnance de 1669, concernant les Eaux et Forêts. L'étude de REUSS montre d'une manière définitive qu'on a fait dire à cet important monument légis- latif plus qu'il ne contenait sur la question du tire-et-aire LIVRE III L'ASSIETTE DES COUPES

CHAPITRE I. — Législation antérieure au Code forestier.

De nos jours, les forestiers qui, dans leurs écrits, remontent au passé, ont, en général recours, pour la période antérieure au règne de Louis XIII, au volumineux in-folio de SAINCT-YON. Ils s'exposent, de la sorte, à commettre des erreurs, car ce magis- trat ne reproduit les ordonnances royales ni fidèlement ni inté- gralement. Le Livre I de son ouvrage est bien intitulé : Des Edicts et Ordonnances des Eaues et Forests, mais on n'y trouve pas ces lois transcrites tout au long par ordre chronologique. SAINCT-YON s'est borné à extraire de leur contenu un certain nombre de thèses qu'il a formulées lui-même de son propre chef, sauf à indiquer la ou les ordonnances d'où il en a tiré les élé- ments. A ces thèses réparties pas titres, correspondent des « articles » numérotés en chiffres romains qui ont l'apparence d'articles de lois mais sont de simples principes de jurisprudence basés sur la législation en vigueur ou considérés par SAINCT-YON comme ayant ce caractère. Ainsi, par exemple, à la page 304, SAINCT-YON pose, sous la rubrique : Ventes seront faictes par arpens et non par pieds d'ar- bres », une thèse pour laquelle il se réfère : Io à l'article Io de l'édit de 1 544; 2° à la déclaration d'Henri III aux États de Blois, de novembre 1576; et, à cette thèse correspond un article no XXVI ainsi conçu : « Les ventes et couppes de nos Bois seront faictes par arpens à tire et à aire, et non par pieds d'arbres » (I). (r) La citation de Sainct-Yon que j'ai reproduite à la page 90 du présent ouvrage, se rapporte à la thèse XXVI, que je prends ci-dessus comme exemple. (E. R.) Le jugement de Reuss sur Sainct-Yon est fondé. il reste néanmoins trop sévère : « Il a mieux travaillé que ses prédécesseurs et il est plus profond qu'aucun d'eux 92 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE Des observations analogues s'appliquent à une foule d'autres cas. Cette particularité du Recueil de SAINCT-YON ne se découvre que lorsqu'on a beaucoup manipulé le gros volume et qu'on a également eu entre les mains des ouvrages donnant les ordon- nances à la file, par ordre chronologique, dans leur texte réel. Beaucoup d'écrivains semblent ne s'être pas aperçus de l'espèce de camouflage dont il s'agit et cela a un peu contribué à l'em- brouillement de la question du tire et aire. Aussi ai-je toujours évité, dans mon présent travail, de consi- dérer comme authentiques les prescriptions que SAINCT-YON fait découler de telle ou telle ordonnance et ai-je puisé mes renseignements à d'autres sources. Je me suis généralement servi du Recueil de Claude ROUSSEAU qui m'a semblé être un des meilleurs de ce genre et que j'ai déjà plusieurs fois cité (I). Dans les circonstances où il m'a fallu le contrôler ou le com- pléter, je me suis servi d'un ouvrage similaire, d'égale valeur, qu'un juriste du nom de DURANT a publié en 1614, à Paris, chez la Veuve Abel l'Angelier, sous le titre : Édicts et Ordonnances des Eaues et Forests... plus (etc.) (2).

écrit Pecquet. Il serait seulement à souhaiter qu'il eût mis plus d'ordre, plus de lumière. » (PECQuET, Lois Forestières, II, p. 4ro.) En ce qui concerne l'exemple précis donné par Reuss, on est évidemment privé du moyen d'attribuer à chacun des textes de référence, ce qui lui revient, mais l'article synthétique de SAINCT-YON est d'une parfaite fidélité. Lisons Éplutôt : Édit de 1544, article ro : « En seront faites les dites ventes par arpens, à tire et à aire, et non par arbres. » (ROUSSEAU, op. cit., p. 1 99). Déclaration de 1576, art. 337: « Ne voulons... estre fait vente et couppe par pied. » (ROUSSEAU, p. 398.) Ajoutons que le travail de Sainct-Yon n'était pas toujours aisé, le texte des Ordonnances pouvant être altéré. Le savant éditeur du tome VIII des Ordonnances des Roys de France de la 3e race (Paris, I750) en publiant une ordonnance forestière de 1402, écrit en note, à propos de l'article 5o : « On peut voir comment Sainct-Yon a rédigé cet article qui ne paraît pas clair et dont le texte est peut-être corrompu. » (R. B.) (r) Reuss a été séduit par Rousseau qui, à l'opposé de Sainct-Yon, a publié des ordonnances in extenso, et dans leur ordre chronologique. Les textes de Rousseau ne sont pas toutefois nécessairement fidèles, et l'éditeur du recueil des Ordonnances des rois de la 3e race déclare, toujours à l'occasion de l'ordonnance de 1402, que Rousseau se donne quelquefois la liberté d'y faire des changements (t. VIII, p. 521). (R. B.) (2) Le nom de l'auteur ne figure pas sur la feuille de titre : on ne le trouve qu'au bas de la dédicace adressée à Mr Nicolas de Verdun, premier président au Parle- ment. Quant à la qualité de Durant, je ne l'ai pas encore découverte. Il y a lieu de noter que l'ouvrage de Durant et celui de Sainct-Yon ont été publiés chez le même éditeur. (E. R.) On peut inférer d'une note de Rousseau (p. 475) que Durant était officier à la Table de Marbre de Paris. (R. B.) LE TIRE ET AIRE 93

A) DOCUMENTS ANTÉRIEURS A 1669 : L'ordonnance de Melun (1376) (Charles V). L'ordonnance de Lyon (1515) et l'édit sur la réformation des Eaux et Forêts de Bretagne (1544) (François Ier). Le règlement de la vente des boys du Roy (1573) (Charles Ix). Le règlement général consécutif aux États généraux de Rouen (1597) (Henri IV).

En tête des actes de l'autorité royale qui renferment des dis- positions sur l'assiette des coupes, je placerai l'Ordonnance de Charles V, de juillet 1376 (I) (Claude ROUSSEAU, op. cit, p. 21 â 26), et j'en retiendrai tout d'abord ce passage de l'article 15 : Item, que quand les ventes se doivent faire en nos Forests, les Maistres en auront collation avec lesdits Verdiers, Gruyers ou mais- tres Sergens et aucuns des Sergens plus suffisans, avec des Marchands de chacune Forest s'il est mestier, pour adviser quantes, et où elles seront plus profitables à faire, sans retourner à l'erreur passée de faire à volonté tant de multiplications de ventes, ny si grandes; mais feront vente de vingt à trente arpens, ainsi comme ils escherront en siège, sans faire aucun remplage (2)... puis un passage de l'article 16 :

Item, que le Maistre qui ordonnera la vente voye en sa personne la place pour adviser (a) les lieux où elle sera mieux et plus profitable (b) et en estre certain en sa conscience (3).

Des deux extraits ci-dessus, il résulte que, vers la fin du xlve siècle, on ne songe pas encore à imprimer aux exploitations forestières une marche très précise. On ne spécifie même pas que, dans chaque forêt, les ventes seront annuelles. On se borne à stipuler que le personnel de gestion se concertera avec les marchands « pour adviser quantes et où elles (les ventes) seront plus profitables à faire » : l'époque et l'emplacement de la coupe ne sont pas fixés d'avance; ils dépendront des résultats de l'en-

(r) C'est l'ordonnance de Melun, qu'il faut considérer, après Huffel, comme le premier Code forestier de notre pays. (R. B.) (2) a C'est-à-dire (explique Claude Rousseau dans une note marginale) rempla- cement ou fourniture de bois planté, au lieu des places vagues, grands chemins, bois frusté (dégradé, mutilé) ou mal planté qui se trouvent dans les ventes. ■ (3)Aux endroit marqués a) et b), Claude Rousseau renvoie à des notes marginales sur lesquelles je reviendrai plus loin à propos de l'édit de 1573. Voir p. 203. 94 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE quête prescrite et nous devinons que le degré d'exploitabilité des massifs, comme on dit aujourd'hui, y tiendra la première place. Toutefois, on avait remarqué, paraît-il, la tendance des offi- ciers à former des lots de vente à la fois trop nombreux et trop grands, parce que c'était pour eux une façon d'augmenter leurs honoraires. L'Ordonnance fixe dès lors pour les ventes assises dans les grands massifs, une contenance moyenne de 20 à 30 arpents, à prendre « comme ils escherront en siège », c'est-à-dire comme ils se présenteront sur le terrain. L'existence de ces coupes mul- tiples montre, d'ailleurs, que l'idée de la « série d'exploitation » se trouvait déjà en germe dans les pratiques forestières du xive siècle. Quant à l'interdiction du « remplage » qui termine l'article 15 de l'Ordonnance de 1376, j'y reviendrai en parlant de l'Ordon- nance de 1669 (I). On rencontre en septembre 1402 un nouveau règlement géné- ral pour les Eaux et Forêts « donné à Paris par Charles VI (Ordonnances des Rois de France de la 3e race, t. VIII, Paris, 1750). Il ne modifie pas les principes posés en 1376 qui apparaissent d'ailleurs à nouveau dans le « Règlement général des chasses et des Forests » édicté par François Ier en mars 1515. Cependant, à l'occasion de la réglementation des dons de coupes de bois, on lit dans ce dernier :

Les Maistres des Forests feront livrées des dons qui serons faicts par nous d'une quantité d'arpens, selon l'état de la forest es lieux moins dommageables et feront estat du graigneur (c'est à dire du plus grand, du meilleur), du moyen et du moindre, au dire de gens à ce cognoissans, pas layes et mesures. (Version SAINCT-YON.)

Tout milite pour que les mêmes principes présidassent à l'assiette des délivrances d'arpents, et à celle des ventes ordi-

(r) L'ordonnance de 1376 renferme aussi un article 21 qui se rapporte à la » retenue des bailliviaux et estalons » et qui prescrit de conserver des arbres de réserve à raison . de dix ou huict en l'arpent ». J'ai déjà exposé que, ne faisant pas l'historique com- plet du traitement des futaies pleines et m'occupant de la seule question de l'as- siette des coupes, je ne donne pas place, dans le corps de mon travail, aux considé- rations relatives aux baliveaux, malgré le rôle important que jouent ces derniers aux points de vue économique et sylvicole. LE TIRE ET AIRE 95 paires. Or, le texte que je rapporte sous-entend une souplesse inconciliable avec la règle de proche en proche appliquée stricte- ment. Vers la fin du règne de François Ier, les conseillers de ce prince lui suggérèrent des innovations importantes qui firent l'objet de 1' « Edict sur la Réformation des Eaues et Forests de Bretagne » de juillet 1544 (Voir ROUSSEAU, op. cit., p. 187 à 204). Aux yeux de DRALET, cet Édit a constitué un progrès sylvi- cole si marquant, qu'il est qualifié, dans le Traité de l'Aména- gement (édit. de 1807, p. 76), de première ordonnance forestière. Son préambule ne vise que les forêts de Bretagne, mais il semble avoir été considéré de bonne heure comme pouvant s'appliquer dans toutes les parties du royaume. Reportons-nous à son article Io, qui traite « des ventes faictes par chacun an en « chacunes forests » et que j'ai déjà reproduit à la page 87 du présent travail, en tête de la série de citations données comme exemples de ce que je nomme tire et aire inten- sité. Les officiers des maîtrises ont encore à se conformer aux anciennes ordonnances sur les points où elles ne sont pas abro- gées; ils doivent, notamment, visiter chaque forêt et, suivant l'expression de DRALET (Traité du Régime forestier, t. I, p. 147), reconnaître le lieu... le plus convenable pour y asseoir une coupe, sauf à ne proposer aucune exploitation si pareil lieu ne se ren- contre pas. Mais voici les innovations annoncées : Les ventes seront faites en chacune des forests, par chacun an; elles se composeront de certaine quantité de bois, c'est-à-dire qu'elles couvriront un nombre d'arpents fixé d'avance; leur étendue ira iusques à la centiesme parti de chacune de nos dites forests. Ainsi, même au cas où les bois existant dans la forêt consi dérée auraient tous été plus jeunes que ceux qu'on exploitait sous l'ancienne norme, on devait, en vertu du nouveau règle ment, asseoir une vente et lui attribuer une surface égale au centième de la contenance de la forêt entière, de façon à établir une gradation parfaite des âges. Mais ce serait une erreur de croire que le choix d'une révolu- tion de cent ans a surtout eu pour but d'empêcher la coupe de 96 UNE LEGENDE FORESTIÈRE bois trop jeunes. En examinant de près les termes de l'Ordon- nance, on arrive plutôt à admettre que son rédacteur voulait éviter le maintien sur pied de futaies trop âgées et dépérissantes, car il demande qu'on aille iusques â la centiesme partie de la forêt et par conséquent, qu'on ne demeure pas en deçà et qu'on ne s'arrête point, par exemple, à une cent cinquantième ou une deux centième partie. Dans sa pensée, une surface de vente de I Rooe semble donc être minimum et, dès lors, une révolution de cent ans un maximum. Nous constaterons plus loin qu'en 1 573, cette révolution centennale a été maintenue mais dans une pensée différente. Enfin, l'Ordonnance de 1544 mérite une place particulière dans cette étude comme étant, à ma connaissance, le premier acte de l'autorité royale où figure l'expression tire et aire. En effet, ainsi que nous l'avons vu (p. 87), l'article Io se termine par la phrase : « Et seront faictes les dites ventes par arpens, à tire et aire, et non par arbres, etc... » Le rédacteur de ce texte a évidemment visé le tire et aire intensité, c'est-à-dire le contraire de l'exploitation par pieds d'arbres, car ce sont les abus de ce système, et ceux-là seule- ment qu'il mentionne et condamne. Rien dans l'article Io, ni dans le restant de l'Ordonnance, n'autorise à croire qu'il a voulu que les coupes fussent assises de proche en proche; si le tire et aire contiguïté avait été son objectif, il se serait exprimé d'une autre façon. ROUSSEAU, il est vrai, en reproduisant l'article Io, a accom- pagné le mot « tire et aire » d'une note ainsi libellée (op. cit., p. 199 ad notam) : « C'est-à-dire qu'il n'y ait aucune intermission entre la vieille et nouvelle vente »; mais il a, selon moi, complè- tement méconnu les intentions du rédacteur de l'Ordonnance. Victime du fait que, déjà de son temps, le terme tire et aire était pris dans plusieurs sens, ROUSSEAU se rattache à ce nom- breux groupe d'écrivains qui ont créé l'embrouillamini que je me propose précisément d'éclaircir. Résumées dans le langage d'aujourd'hui, les dispositions arrê- tées en 1544 relativement à l'assiette des coupes, sont les sui- vantes : Il y aura chaque année, dans chaque forêt, une coupe assise LE TIRE ET AIRE 97 à l'endroit le plus convenable au point de vue de l'exploitabilité et de la traite des bois; cette coupe aura une étendue égale au centième de la surface de la forêt; les exploitations par pieds d'arbres sont formellement interdites. Je n'ai trouvé dans le dispositif de l'Ordonnance de 1 544 aucune mention des défends, c'est-à-dire des parties de forêt destinées, en vertu d'une pratique très ancienne, à demeurer sur pied pendant un temps indéfini pour subvenir à un moment donné, sous forme de futaies exploitables, à des besoins imprévus en bois ou en argent. Mais la prescription générale et absolue de soumettre les forêts du Roi à des révolutions centennales, impliquait la suppression des défends et leur mise en coupes ordinaires. Nous allons voir que cette mesure ne tarda pas à être édictée d'une façon plus formelle. Voilà quelle était la situation vers la fin du règne de Fran- çois Ier Charles IX jugea nécessaire de réglementer de plus près les exploitations de son domaine, et il signa à cet effet, en 1563, des lettres patentes dont je ne connais pas le texte mais que Rous- SEAU a analysées comme suit (op. cit., p. 333 ,ad notam) : Le mesme Roy, auparavant (avant les lettres de 1571 dont je vais parler plus loin), par autres Lettres du 24 de janvier 1563, avoit ordonné que d'oresnavant tous les Bois et Forests de haute fustaye ou taillis seroient réduits en couppes ordinaires et que, pour ce faire, par le sieur de Rostaing, grand Maistre des Eaues et Forests (i), ou ceux qui seroient par luy commis, description seroit faite des dites Forests, et qu'elles seroient arpentées, et procez-verbal fait de l'es- sence et qualité du bois et que le dit grand Maistre bailleroit son advis, les officiers des lieux oûys (2).

La réforme que Charles IX désirait opérer dès 1563 ne ten- dait donc à rien moins qu'à aménager comme nous dirions aujour- (r) Signalons en passant que, d'après Meaume, Tristan de Rostaing aurait le premier préconiser les éclaircies. M. Huffel a vainement recherché ses oeuvres (op. cit., t. 2, p. 282, Paris, 1919.) (R. B.) (2) Nous n'avons pas davantage retrouvé, malgré quelques recherches, le texte résumé par Rousseau. De l'année 1563, on a en outre un règlement général pour la forêt de Cuise près de Compiègne, servant d'instruction pour toutes autres. Il est dû aux juges de la Table de marbre de Paris et a été signalé par Huflel (t. III, p. 116). Il est intégrale- ment reproduit dans un recueil que Reuss n'a pas connu : Édits ei Ordonnances des Eaues et Forests, Paris, chez Jean Houzé, 1588. (R. B.)

ANS'. FOREST. - T. VII - FASC. I 98 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE d'hui, toutes les forêts royales aussi bien celles qui étaient trai- tées en futaie que les simples taillis. Mais un projet aussi gran- diose nécessitait une étude préalable très approfondie de chaque massif, et la rédaction de ce que nous appellerions maintenant une « statistique générale » détaillée avec description minutieuse des peuplements. On comprend dès lors que le travail ait tardé à être fourni et que de nouvelles lettres patentes aient dû rap- peler les premières. Elles furent expédiées le 6 novembre 1571. On conçoit, d'un autre côté, que beaucoup d'entre les procès- verbaux ou « déclarations » finalement envoyés aient été trop sommaires et trop défectueux pour pouvoir servir de base à des règlements définitifs. Les conseillers de Charles IX renoncèrent donc à leurs hautes visées du début et se contentèrent de réglementer les exploi- tations d'une façon provisoire. Tel fut l'objet du « Règlement de la Vente des Bois du Roy » du mois d'août 1573 (ROUSSEAU, op. cit., p. 333 à 33 8 . — DURANT, op. cit., p. 349 à 35 6). J'en reproduis ci-dessous les passages qui se rapportent à la matière de mon étude, à commencer par le préambule où il y a un aperçu intéressant de ce que contenaient les lettres patentes de 1571 (I).

Règlement de la vente des bois du Roy.

Charles, etc... Ayant dès l'année mil cinq cens soixante onze, advisé de faire régler toutes et chacunes nos Forests, Bois et Buis- sons, pour réduire et mettre en couppes ordinaires le bois y estant, et par ce moyen pourvoir aux fautes et abus commis aux précédentes couppes et ventes faites; Nous aurions fait expédier nos lettres (2) patentes adressantes au sieur de Fleury, Gentilhomme ordinaire de nostre Chambre et grand Maistre Enquesteur et général Reformateur des Eaues et Forests de

(i) Une erreur matérielle fait attribuer par M. HUFFEL (Écon. for., t. III, p. 119) à un document de 1561 ce qu'il a voulu dire sans doute des lettres patentes de 1571 et ce qu'il a extrait du préambule de l'ordonnance de 1573. (E. R.) Nous ne pouvons être aussi affirmatif en l'absence du texte même de 1571 (?) Charles IX a régné de 1560 à 1$74, en sorte que sa mention en tête de la citation, n'éclaire rien. (R. B.) (2) C'est ici que s'intercale la note de Rousseau relative aux lettres patentes du 24 janvier 1563 que j'ai transcrite plus haut (p. 98). LE TIRE ET AIRE 99 nostre Royaume, pour mander à tous les Maistres particuliers, leurs Lieutenans et autres nos Officiers, de luy envoyer la déclaration et desnombrement de tous nos dits Bois et Forests, portant la quantité d'arpens, nature, essence et qualité, droicts d'usage et autres charges déclarées en nos dites Lettres. Et sur ce nosdits Officiers, ou la plus- part d'iceux, auroient envoyé leurs procez verbaux et déclarations, sur (sans?) lesquelles n'aurions peu establir un Reglement certain pour les dites ventes, d'autant qu'il est besoin de visiter et informer plus amplement de la commodité et possibilité (I) d'icelles par nouveaux mesurages, descriptions et visitations... Toutes fois, pour la nécessité de nos affaires et le désir que Nous avons de bien tost subvenir au rachapt de nostre dit Domaine, Nous avons advisé d'establir par forme de Reglement aucunes couppes de bois en nos dites Forests, en atten- dant l'estat au vray des droicts d'usage et autres charges prétendues sur icelles, afin de voir plus aisément par quel meilleur moyen Nous les pourrions régler et proportionner par couppes ordinaires par chacun an. Et sur ce... disons, déclarons, statuons et ordonnons par Edict perpétuel (2) et irrévocable, qu'en chacune de nos dites forests, bois et buissons à Nous appartenans, sera faite vente et couppe de bois de la quantité d'arpens déclarez particulièrement en l'estat et département que Nous en avons fait expédier, signé de nostre main, attaché à ces présentes sous le contrescel de nostre chancellerie. Aupa- ravant laquelle vente et couppe, ceux qui seront commis et députez pour vaquer à icelle, feront deuêment faire le mesurage et arpentage de la quantité des bois contenus et déclarez comme dit est au dit estat, à commencer à la plus vieille et ancienne haute fustaye, ou plus en dégast, à la réservation des bailliveaux portez par nos Ordon- nances, et autre plus grand nombre, si faire se doit, afin de propor- tionner après les couppes desdits bois, de sorte qu'en cent ans, et non moindre temps, il puisse revenir en bois de haute fustaye... Et les lieux et endroits esquels les dites couppes auront ainsi esté faites seront labourez et semez de gland, fossoyez et plantez de hayes vives, à la diligence des marchands ventiers adjudicataires. Enjoignons très expressément ausdits Maistres particuliers... de ne laisser entrer esdits lieux labourez et semez de gland aucun bestail, de quinze ou vingt ans, et plus longtemps, selon la qualité du fond et nature de bois. Lesquels bois ainsi couppez et réservez pour revenir en haute fustaye seront conservez à ceste fin, comme nostre propre fonds et Domaine, sans qu'il puissent estre aucunement couppez, pour quelque

(r) En ce qui touche la possibilité, je renvoie à l'annexe II. Ici, pas plus que dans l'ordonnance de 1583, le mot possibilité n'a le sens que lui donne M. Huffel. Le fait qu'en 1573 les termes commodité et possibilité sont juxtaposés, constitue, en faveur de mon opinion un argument analogue à celle qui résulte, dans l'ordonnance de 1583, de l'accouplement des termes possibilité et impossibilité. (2) On remarquera ce qu'il y a de singulier dans la qualification de perpétuel donnée à un édit qui institue un règlement provisoire. I00 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE cause et occasion que ce soit, iusques à ce qu'ils ayent atteint l'aage susdit de cent ans pour le moins... Et seront les lieux esquels ventes ont esté faites des bois de haute fustaye depuis vingt ans ou trente ans en (de) ça pareillement labourez et semez de gland, fossoyez et gardez comme dessus est dit, pour venir par succession de temps en bois de haute fustaye : et, pour cet effet sera fournie somme de deniers compétante par les Receveurs ordinaires des lieux, des deniers qui proviendront de la vente de nos bois de haute fustaye qui seront par après vendus (i)... Le surplus du Règlement de 1573 concerne les bois taillis appartenant soit aux particuliers soit au clergé et n'intéresse en rien dès lors la question que j'étudie. La lecture de ce copieux extrait provoque les observations suivantes : io L'Ordonnance de 1573 confirme solennellement le principe posé dans les lettres patentes de 1563, à savoir que toutes les forêts royales seront dorénavant mises en coupes réglées, aussi bien en ce qui touche les futaies que les taillis, et il découle de là, notamment, que les ventes de futaies cesseront d'être regar- dées comme « extraordinaires n, ainsi que c'était le cas jusque- là (2). La réglementation des coupes est même à un degré si évident le but de l'Ordonnance que cette dernière est désignée dans les recueils (Voir DURANT, ROUSSEAU, etc...) sous le titre de Règle- ment de (ou sur) la Vente des Bois du Roi.

(1) On remarquera à quel point l'ordonnance de 173 insiste pour que, sur les emplacements où seront assises les coupes, soient créées, par la main de l'homme, des chênaies destinées à un long avenir. Ce système cultural fut sans doute préco- nisé par Fleury lui-même : en tous cas il reçut une large application du vivant de l'illustre réformateur. La description des limites de la forêt de Fontainebleau telles qu'elles se présentaient en 1664 renferme, en effet, le passage que voici (Réformation, fol. 67 ro) : « ...lequel fossé fait séparation entre les taillis desd. sieurs Grasseteau et la pleine (sic) nommée la Glandée pour avoir esté semée de glands du temps de M. de Fleury. o Or le canton ainsi appelé ne couvre pas moins de 104 hectares. Il est vrai qu'Henri Clausse, seigneur de Fleury-en-Bière, résidait non loin de là et s'intéressait dès lors tout particulièrement à un travail dont il pouvait suivre la marche. Ajoutons toutefois que la vaste opération entreprise par lui n'eut pas le résultat durable qu'il espérait, car la Réformation de 1716 signale déjà (Fol. 166 vo) la « Plaine de la Glandée » comme « contenant deux cent onze arpens cinquante perches en bruyères D. Il faut, d'ailleurs, reconnaître que le terrain caillouteux choisi pour l'expérience grandiose que je viens de rappeler ne se prêtait guère à l'édu- cation de futaies de chêne pur. (E. R.) Sur Fleury, cf. HUFFEL, Ann. 1927 (op. cit.), p. 31 (ad notam). (R. B.) (2) Cette conséquence n'a pas échappé à Froidour (op. cit., t. I, p. 22 et 23). LE TIRE ET AIRE IOI

20 La façon dont s'expriment les rédacteurs de l'Ordonnance indique le progrès réalisé en trente ans chez les forestiers au point de vue de la précision du langage. Au lieu de dire simple- ment comme leurs prédécesseurs de 1544, qu'on coupera chaque année dans chaque forêt, « une certaine quantité de bois », ce qui est assez vague, les contemporains de Charles IX assignent formellement à la coupe annuelle une certaine « quantité d'ar- pens » et ils dressent, pour l'ensemble des forêts du domaine royal un « estat et département » (état de répartition) où ces nombres d'arpents sont portés. 30 Le contenu de l'état en question dont un exemplaire se trouvait attaché à l'original de l'Ordonnance n'est heureusement pas ignoré de nous : DURANT (op. cit., p. 356 à 362) et ROUSSEAU (op. cit., p. 33 8 à 344) reproduisent le document à la suite du texte de l'Ordonnance elle-même. Son titre a un caractère analytique qui en rachète l'intermi- nable longueur et est ainsi conçu : Département de la somme de trois cens mille livres dont le Roy entend faire estat en ses finances pour l'année prochaine, commen- çant en janvier 1574, à icelles sommes prendre sur les ventes et couppes de bois des Forests cy-après déclarées, et ce par provision, jusques à ce qu'il y ait eu Réglement et liquidation faite des droicts d'usages et autres charges prétendues sur les dites Forests et qu'il y ait esté plus amplement informé quelle quantité s'en pourra couper en chacun an, pour les reduire et mettre en coupes ordinaires.

Le corps du texte ainsi annoncé renferme ce passage : Laquelle somme (de 300.00o livres) se prendra par estimation, à scavoir deux cens quarante trois mille livres sur les couppes et ventes de bois qui seront faites particulièrement ès forests, et pour la quan- tité de bois cy après déclarés, des dites Provinces de l'Isle de France, Normandie, Orléans et Champagne, et le reste, montant cinquante sept mille, sur les forests des dits Duché de Bourgogne, Bretagne, Angoulmois et comté de Poictou.

En ce qui concerne les forêts de l'Ile de France, elles sont taxées au chiffre global de 353 arpents, dont, par exemple, 100 pour la « forest de Rets » et 26 pour celle « de Bière-lès-Fontaine bleau ». IO2 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE Le nombre total d'arpents à mettre en vente en 1574 pour l'ensemble du domaine du Roi s'élève à 2.436. Le document se termine par ces mots : « Fait par le Roy en son Conseil à Paris, le vingt neufiesme jour d'aoust, l'an mil cinq cens soixante treize. Ainsi signé, Charles. » Il est donc daté avec plus de précision que le règlement lui-même. Quoiqu'il ne concerne d'une façon explicite que les coupes de l'année 1574, il semble bien avoir été, dans la pensée de ses au- teurs, « l'estat et département » provisoire destiné à fixer la quotité des exploitations annuelles, en attendant qu'on pût dresser l'état définitif projeté en 1563 et rappelé en 1571. Jacques DE CIIAUFFOURT nous assure d'ailleurs qu'il a été presque toujours suivi jusqu'en 1614 (1). Les nombres d'arpents qui y figurent s'appelleraient aujour- d'hui des « possibilités par contenance », mais, je le répète, une pareille manière de s'exprimer n'a jamais été en usage avant que notre terminologie technique ait subi l'influence de l'ensei- gnement de Nancy. 40 Les officiers ne sont plus libres d'asseoir la vente à l'endroit qui leur paraît, à eux personnellement, le plus « profitable » ou « convenable » : ils sont tenus de « commencer à la plus vieille et ancienne haute fustaye, ou plus en dégast ». C'est donc l'âge et l'état de végétation des peuplements qui déterminera dorénavant la mise en coupe : l'Ordonnance le dé- clare d'une façon expresse; l'assiette de proche en proche des ventes annuelles n'est exigée d'aucune façon, ni par l'emploi du mot tire et aire ni à l'aide d'une autre forme de langage. Sans doute l'Ordonnance de 1544 bien comprise ne prescri- vait pas non plus la juxtaposition des coupes, puisque, comme nous l'avons vu, le mot tire et aire y avait le sens intensité et non le sens contiguité ; mais ce terme malencontreux y figurait; il pouvait donc induire en erreur, à preuve ce qui s'est passé pour ROUSSEAU (Voir p. 96 du présent travail). Il semble, d'ailleurs, qu'une sorte de compromis ait eu lieu entre les forestiers partisans de la contiguïté et ceux aux yeux

(r) Instruction sur le fait des Eaux et Forêts, par Jacques DE CIIAUFFOURT. Rouen, 1642, p. 17o. Cf. HUFFEL. (Ann. 1 9 2 7, P. 3 2 '330 (R. B.) LE TIRE ET AIRE I03 de qui la marche des coupes devait dépendre exclusivement de la nature des peuplements en cause. Les deux notes marginales dont ROUSSEAU accompagne le texte de l'article 16 de l'Ordon- nance de 1376 (voir p. 93 du présent travail) tendraient à jus- tifier mon hypothèse. Si, pour rendre ces notes compréhensives, on les intercale dans ledit article 16, à la place des renvois, on obtient, en effet, l'énonciation que voici :

Item, que le Maistre qui ordonnera la vente voye en sa personne la place pour adviser (après que les climats et triages entamez auront esté entièrement vendus) les lieux où elle sera mieux et plus profitable (commençant, pour la haute fustaye, à la plus ancienne ou plus en degast, suivant l'Edict du mois d'Aoust 1573) et en estre certain en sa conscience.

Or, ainsi présentée, la pensée de ROUSSEAU paraît être la sui- vante : conformément à l'Ordonnance de 1573, on prendra les peuplements dans leur ordre d'exploitabilité, mais on ne quit- tera pas un « climat » ou un « triage », nous dirions aujourd'hui un canton ou une parcelle, avant de l'avoir épuisé. Tel est encore, je crois, l'avis de la plupart des aménagistes du xxe siècle. 50 Les maîtres sont invités à « proportionner ... les couppes... de sorte qu'en cent ans et non moindre temps, il puisse revenir en bois de haute fustaye ». Cette fois-ci donc, à l'inverse de ce qui semble avoir été la préoccupation des forestiers de 1 544, cent ans représentent un minimum et c'est bien l'abatage de bois trop jeunes que le législateur de 1 573 a voulu éviter (1).

(r) Il me paraît intéressant de faire connaître à ce sujet les opinions de Chauf- fouet et de Froidour. Le premier (op. cit., fol. 51 v0 et 52 ro), s'occupe seulement de l'ordonnance de 1573, et, sans remonter à celle de 1544, déclare : a Le Roy Charles IX, par son Ordonnance et reiglement faict en son conseil en l'an 1 573, avoit ordonné que de là en avant il seroit couppé la centiesme partie de ses Forests, afin qu'elles feussent remises en fustayes de l'age de cent ans et qu'elles ne peussent estre couppées en moindre temps. n Froidour, lui, rapproche les deux documents royaux, mentionne même une ordon- nance de 1587 que je n'ai pas retrouvée. Il s'exprime de la sorte (op. cit., t. I, p. 1 1 et 12) : a Anciennement il ne se faisoit aucune coupe réglée de bois de haute fustaye, les Rois n'en faisant couper que pour les necessitez de leurs maisons et bastiments, et pour la deslivrance des usages dont les forests étoient chargées; mais, comme le tout alloit tomber dans une entière ruine, non seulement par le moyen de ces desli- vrances, et des infinies dégradations que l'on y faisoit, mais aussi par ce qu'elles I04 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE Les remontrances que les États généraux tenus à Blois en 1576 avaient fait porter sur toutes les branches de l'adminis- tration du royaume, donnèrent lieu, en mai 1579, sous le règne d'Henri III, à des ordonnances royales renfermant un nombre considérable d'articles. Quatre de ces articles, les nos 249, 336, 337 et 338, se rapportent aux eaux et forêts (RoussEAu, op. cit., p. 397 et 398), mais un seul concerne dans une certaine mesure l'assiette des coupes, à savoir l'article 337 qui renouvelle l'inter- diction de la « vente et couppe par pied a (i). En janvier 1583, se place l'édit d'Henri III dont j'ai déjà eu à m'occuper. Il ne contient pas de dispositions relatives aux ventes, c'est-à-dire aux coupes mises en adjudication, mais son article 2 mérite quand même d'être signalé ici, comme prescri- vant l'exploitation à tire et aire à propos des délivrances aux usagers. En voici le passage à retenir (ROUSSEAU, op. cit., p. 405 et 406) :

Et d'autant que plusieurs pretendans droict d'usage en aucunes de nos forests, couppent bois, tant en saison que hors saison, au desceu de nos Officiers et sans leur permission, ny sans garder les ordonnances et laisser les bailliveaux de brin et autre bon bois propre à faire revenir en haulte fustaye, ne faisant aussi les dites couppes à tire et aire, ains (mais) confusement et en desordre ainsi que bon leur estoient parvenues à un tel aage de vieillesse qu'au lieu de profiter, elles diminuoient tous les jours sans espoir de restablissement, les Ordonnances des Roys François I, de l'année 1$44, Charles IX, 1573, et Henry III, 1587, y ont pourveu en reglant la coupe des bois de haute fustaye à l'aage de cent ans. On a en effect reconnu qu'il estoit aussi dangereux de laisser trop vieillir le bois que de le couper trop jeune, parce qu'outre qu'il deperit, les racines en desseichent de maniere qu'elles manquent de seve et ne sont plus en estat de repousser de nouveau bois, et cela se voit parti- culièrement dans les forests des Montaignes de cette Province (la Gascogne) et de la Guienne. » Ainsi, selon Froidour, les textes prescrivant la révolution centennale ont eu de tout temps pour but d'empêcher la réalisation de bois trop vieux. Nous avons vu que cette thèse paraît exacte en ce qui concerne l'ordonnance de 1544, mais erronée en ce qui touche l'ordonnance de 1573. Ajoutons que, comme en témoigne la fin de l'extrait ci-dessus, Froidour, quand il écrivait son Instruction, remplissait la charge de grand maître à Toulouse et était influencé par l'aspect des futaies suran- nées et dépérissantes qui garnissaient les parties montagneuses et peu accessibles de son département. (s) C'est-à-dire qui prescrit sans le dire, le tire et aire intensité. Écoutons là-dessus la glose de Sainct-Yon (p. 348) : « Les ventes et couppes par pied, ruynent notoirement les forests, parce que ies plus beaux arbres sont choisis, qui ne peuvent estre abattus, parmi la haute fustaye, sans en faire cheoir plusieurs, ni le reject estre conservé le pasturage du bétail y estant permis aux usagers. 9 (R. B.) LE TIRE ET AIRE I05 semble : Qui cause la pluspart de nos dites forests et bois demeurer du tout dépeuplées et degradées, au grand préjudice de nous et de nos dits subjects : Deffendons très expressement à tous les dits pre- tendans droit d'usage,... de doresenavant coupper aucuns bois si ce n'est par la permission de nos dits Officiers, °t ès temps et saisons convenables...

La signification du terme tire et aire dans ce passage est impré- cise et voilà pourquoi je n'ai pas compris la citation parmi celles qui m'ont servi à en établir le sens; mais il me paraît probable qu'au cas particulier le rédacteur a voulu réglementer l'usance d'une coupe plutôt que d'assurer la juxtaposition des ventes de divers exercices. Puisque, même pendant la triste période des guerres de reli- gions, le sort des forêts a préoccupé les gouvernants, on ne s'étonnera pas que « le bon roi Henri s, aussitôt après la pacifi- cation de ses États, ait dirigé sa sollicitude vers ce qu'il regar- dait avec raison, comme une des principales sources de la pros- périté publique. Il songea, d'ailleurs, d'autant plus volontiers aux richesses forestières que, disciple fervent de Nemrod, il voyait dans les terrains boisés un lieu d'élection pour ses plaisirs cynégétiques. Le Règlement général de 1597 est la preuve de l'importance qu'il attachait aux questions sylvicoles. Les dispositions de ce document relatives à l'assiette des ventes sont toutes groupées dans l'article i dont on trouvera ci-après la transcription in extenso (Voir ROUSSEAU, op. cit., p. 47 6 à 47 8). Premièrement, à ce que l'estat auquel sont à présent tant nosdites forests que celles, par nous ou nos prédécesseurs, aliénées ou baillées, en appanage, douaire, usufruict, engagement, et des Ecclésiastiques, Abbez, Commanderies et Communautez, ne puisse estre changé à l'advenir, aucunes entreprises ne puissent estre faictes sur icelles, ne les ventes ordinaires de haute fustaye ou taillis augmentées ou dimi- nuées plus à une fois qu'à l'autre, ne l'ordre interverty et changé de lieu en autre à la volonté des Officiers; mesme pour obvier aux frais des assiettes des ventes et faire cesser infinies fraudes qu'aucuns de nos officiers commettent, à la diminution du prix d'icelles, faisans cinq ou six ventes de bien petite quantité de bois dont n'en deust estre faite qu'une seule : Nous voulons qu'incontinent après le règle- ment général des ventes ordinaires, tant de haute fustaye que taillis, â faire par chacun an, tant en nosdites forests que autres sur l'advis I06 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE qui nous en sera donné par nos Officiers ès Sièges des Tables de marbre, estre par eux commis et pris Arpenteurs iurez, pour, en leur présence et appelez ceux que besoin sera, faire borner de hautes et apparentes bornes, le circuit et rains desdites forests; et encore pour mesurer séparément et borner la quantité d'arpens dont se devra faire vente par chacun an en icelles, mesmes distinguer et séparer les unes des autres, et de tout ce qu'ils auront sur ce fait, en faire leurs procez verbaux : et par Peintres estre faictes cartes et figures des dites forests, où seront dénotées lesdites bornes : desquelles figures Nous voulons en estre mis autant esdits Sièges de Table de marbre et Maitrises particulières, pour y estre gardées et y avoir recours toutes fois et quantes que besoin sera (I). Faisons injonction à tous Officiers sur le faict des dites eaues et forests, en faisant les ventes de la dite quantité de bois qui leur sera prescripte par chacun an, de les faire de proche en proche, à tire et aire, garder les Ordonances et suivre en tout et par tout le règlement qui sera sur ce fait et ordonné.

De la lecture de l'extrait qui précède, il résulte que l'édit de

1 597 recommande, en substance : 1 0 D'établir, pour chaque forêt, le règlement de coupes dont les ordonnances et lettres patentes de Charles IX ont posé le principe ; 20 Le règlement une fois établi, de l'appliquer, en ne faisant pas trop varier d'une année à l'autre, les surfaces exploitées et en ne morcelant pas trop la vente annuelle; 30 De marquer à l'aide de bornes, non seulement le périmètre de chaque forêt, mais aussi les limites des coupes;

(r) En ce qui regarde les forêts attenant aux maisons royales, Henri IV ne se contenta point d'en faire dresser des plans d'un format maniable. Il voulut aussi en avoir des « figures » à grande échelle, et le peintre Dubreuil fut chargé, en 1600, de décorer de cette sorte d'images la galerie des Cerfs au château de Fontainebleau. C'est également sur l'ordre d'Henri IV que les grands massifs de la Couronne commencèrent à être dotés de voies carrossables. Bien qu'ouvertes uniquement pour permettre aux dames de suivre en voiture les péripéties des chasses à courre, ces routes sont encore aujourd'hui très utiles à la traite des bois : telles la route Ronde à Fontainebleau, la route Droite, la route Tortue et la route du Faîte à Villers-Cotterêts. (E. R.) Par une coïncidence singulière, Sainct-Yon mentionne dans sa belle dédicace au Roy, les peintures de Dubreuil. Il fait le voeu que les officiers réforment les forêts royales, en sorte que « vous les puissiez, Sire, veoir bien tost plus verdoyantes et fleurissantes que jamais, et que non seulement par les peinctures de celles que votre Majesté tient plus chères, et s'est si naisvement représenter en l'une des galleries de vostre Maison Royalle de Fontainebleau, mais aussi par ce portraict vivant et animé, etc. u. (Dans la langue du xvite siècle, naïf signifie vrai, sincère, ressemblant.) (R. B.) LE TIRE ET AIRE I07 40 de dresser les plans des forêts et des coupes et de conserver ces documents dans les archives des maîtrises et des tables de marbre; 50 D'asseoir les ventes « de proche en proche, à tire et aire ». Voilà un vaste programme sur lequel on pourrait beaucoup épiloguer. Je me contenterai de formuler à son sujet les remarques suivantes : La pose de bornes périmétrales est une mesure d'une utilité incontestable et elle semble avoir été mise peu à peu en exécu- tion dans la plupart des forêts royales. Le bornage des layons séparatifs des ventes, au cas où il aurait eu lieu, eût coûté fort cher et eût probablement perpétué comme parcelles de gestion des divisions défectueuses correspondant à des différences de peuplement tout à fait accidentelles. Nous verrons du reste, plus loin, que contrairement à ce que pensait PUTON, les ventes de futaies paraissent n'avoir jamais été abor- nées. La prescription de couper « de proche en proche, à tire et aire », vise, sans aucun doute possible, ce que j'appelle le tire et aire contiguïté. Les rédacteurs de l'édit de 1597 se sont donc séparés sur ce point de leurs prédécesseurs de 1544, puisque ces derniers entendaient par tire et aire l'opposé de la coupe par pieds d'arbres et non la juxtaposition des assiettes (I). L'édit d'Henri IV se distingue aussi de ceux de François Ier et de Charles IX en ce qu'il ne fixe pas de terme d'exploitation, soit pour les taillis, soit pour les futaies. Une considération dispense de procéder à un examen plus

(r) Rousseau donne, face à l'expression de proche en proche, la note marginale suivante : « Ordonnance de juillet 1544 pour Bretagne art. ro et de Blois art. 337. N Cela montre bien une fois de plus, que les sens multiples du mot tire et aire ont échappé à l'écrivain en cause (p. 96). (E. R.) Quant à l'exégèse de Reuss par laquelle il tend à revêtir pour la première fois le vocable discuté du sens tire et aire contiguïté, nous devons avouer qu'elle ne nous satisfait pas. Sainct-Yon, en publiant le même texte (p. 319) annote comme suit l'expression tire et aire : « et non par pied d'arbres ». Il pense donc bien comme Rousseau que la prescription de couper de proche en proche, est une chose, celle de couper à tire et aire, une autre. L'assimilation, c'est-à-dire précisément la notion de tire et aire contiguïté, analysée par Reuss avec beaucoup de justesse est postérieure au texte réglementaire analysé ici et aux travaux de Sainct-Yon et de Rousseau qui en furent les commentateurs et les contemporains. (R. B.). 108 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE minutieux de l'Ordonnance de 1597 : c'est qu'elle n'a jamais été enregistrée par un Parlement quelconque et n'a donc pas eu positivement force de loi. DURANT (op. cit., p. 554) et ROUSSEAU (op. cit., p. 475) ne l'ont même insérée dans leurs recueils qu'après avoir formulé des réserves sur son authenticité. M. HUFFEL (Écon. for., t. III, p. 125 ad notam) soupçonne le clergé d'avoir fait, avec succès, opposition à l'édit parce que ce dernier rétablissait, contre le voeu des bénéficiaires ecclésias- tiques, les quarts en réserve supprimés en 1580. ROUSSEAU (op. cit., p. 475) fournit une autre explication. D'après lui, ce seraient les grands maîtres eux-mêmes qui auraient dressé des obstacles à l'enregistrement, parce que, selon eux, l'édit « rele- vait trop les sièges des Tables de marbre et, particulièrement celui de Paris, à leur préjudice » ( 1). Mais, même si les vues de l'entourage du souverain avaient été accueillies dans les milieux intéressés, l'édit serait demeuré forcément, en grande partie, lettre morte. Les prescriptions qu'il renferme devaient, en effet, s'appliquer, non seulement aux forêts royales, mais aussi à celles des « Ecclésiastiques, Abbez, Commanderies et Communautez », c'est-à-dire à ce qui corres- pond aujourd'hui à l'ensemble des bois soumis au régime fores- tier. Or, je ne suis pas sûr qu'à l'heure qu'il est, toutes ces propriétés soient aménagées et bornées, qu'on en possède des plans et que les limites des parcelles de gestion y soient mar- quées sur le terrain. Je crois même pouvoir affirmer que ce n'est pas encore le cas pour toutes les forêts communales et d'éta- blissements publics. Le programme de 1597 était grandiose mais irréalisable. Entre l'édit inspiré à Henri IV par son fidèle Fleury et le célèbre monument dont la gloire de Louis XIV est redevable à Colbert, je ne connais qu'un acte de l'autorité souveraine réglementant l'exploitation des futaies : il s'agit d'une lettre patente de 1614 fixant l'étendue des coupes annuelles dans les forêts de la province de Normandie et qui se présente à mes yeux comme une revision partielle du règlement de 1 573 ( 2).

(r) Cet édit ne fut enregistré à la Table de marbre de Paris qu'en 161o. Cf. Rous- SEAU, op. cil., p. 525. Voir HUFFEL, Ann. 1927, p. 37. (R. B.) (2) Cf. CHAUFFOURT, p. 172 et ss. Voir HUFFEL, op. cil., p. 38. LE TIRE ET AIRE I09

B) L'ORDONNANC E DE 1669.

Ainsi qu'on l'a vu, toutes les prescriptions de l'Ordonnance relatives au traitement des futaies sont groupées dans le titre XV. Examinons de près celles qui se rapportent spécialement à l'as- siette des coupes (i).

ARTICLE PREMIER. — Il ne sera fait aucune vente dans nos Forests, Bois et Buissons, soit de fustaye, ou de taillis, que suivant le regle- ment qui en sera arresté en notre Conseil, ou sur Lettres patentes bien et deuement registrées en nos Cours de Parlement et Chambres des Comptes; à peine (etc...).

L'Ordonnance n'autorise donc l'assiette d'une coupe que dans deux cas seulement. Le premier est celui où la forêt a déjà été pourvue d'un de ces règlements dont les lettres patentes de 1563 et de 1571 avaient posé le principe, que l'édit de 1573 avait formellement prescrits et que les « réformations » du milieu du xvIIe siècle avaient multipliés et améliorés d'après les vues si judicieuses des conseillers de Charles IX. Dans le deuxième cas, lorsqu'aucune réglementation permanente n'a encore été éta- blie, il faut un acte de l'autorité souveraine spécialement rédigé en vue de la circonstance et ayant la même valeur juridique que le règlement (2). Et ici j'intercalerai une excellente remarque de FROIDOUR (op. cit., 2e partie, p. 20 à 22) sur les conséquences qui découlent du fait qu'il y a ou n'y a pas de règlement en vigueur, ou encore du fait que le règlement n'est pas applicable à tel ou tel cas imprévu.

Comme anciennement il n'y avoit aucune règle certaine pour la coupe des bois, les anciennes ordonnances, comme celles des Roys Charles V et VI..., vouloient qu'avant procéder aux assiettes des ventes on fit des exactes visites des forests, pour aviser où elles seroient mieux placées... Il ne s'agit plus maintenant de l'exécution de ces

(r) Tous les passages de l'Ordonnance que je cite sont, je le rappelle, conformes au texte donné par Jousse. (z) Toutefois, le règlement rendu « en Conseil » semble échapper à l'enregistrement et constituer une mesure soustraite à la « remontrance •. IIO UNE LÉGENDE FORESTIÉRE Ordonnances, parce que, dans la Reformation générale qui a esté faite de toutes les forests du Royaume, on a réglé les coupes qui doivent estre faites en chacune, de sorte qu'il n'y a rien autre chose à faire dans les assiettes qu'à suivre ce qui est porté par les réglemens. Et où il arriveroit quelque incendie, abroutissement, ou quelque autre délit considerable qui requist qu'on fist quelque recepage, ie n'estime point que les Officiers doivent l'ordonner de leur chef pour en faire une vente extraordinaire, ou luy faire tenir lieu de vente ordinaire; mais ils en doivent donner advis à celuy qui se trouvera chargé de la direction des forests pour y estre pourveu ainsi qu'il appartiendra.

A ces observations publiées en 1668, à la veille de la promul- gation de l'Ordonnance, j'ajouterai que l'Ordonnance, malgré son caractère de loi fondamentale du royaume n'émanait pas d'un pouvoir supérieur à celui qui avait sanctionné le règle- ment de coupe ou délivré les lettres patentes : il n'y avait point, sous l'ancien régime, la distinction qui existe aujourd'hui entre la loi votée par les représentants de la nation et le simple décret du chef de l'État. On conçoit donc que les règlements de coupes ou les lettres patentes, postérieurs à 1669, aient pu renfermer des dispositions ne s'harmonisant pas bien avec celles de l'Ordon- nance ou même lui étant formellement contraires. C'est ce que beaucoup d'auteurs ont perdu de vue quand ils ont parlé du régime forestier antérieur au Code de 1827, notamment en ce qui concerne le jardinage et les éclaircies (I). ARTICLE IV. — Les Grands Maistres feront chaque année, avant les adjudications de nos bois, leurs visites des ventes assises pour estre adjugées, dans lesquelles ils seront accompagnez de l'Arpenteur à ce destiné, auquel ils désigneront les bois à asseoir pour l'année suivante; luy marqueront en quelle forme la mesure en sera faite pour nostre plus grand profit et advantage; dont ils dresseront leurs procès-verbaux... Et quinze jours après son retour dans la principale ville de son département, il mettra un estat général de toutes les assietes au Greffe de la Table de Marbre, pour y avoir recours.

Retenons de ce mécanisme que le grand-maître, dans sa visite, doit : I° vérifier si la vente de l'année est assise conformément à ce qui a été décidé l'année précédente; 2° indiquer la portion

(r) Huffel, avant Reuss, a fait sur ce point de judicieuses remarques (op. cit., t. III, p. 153). (R. B.) LE TIRE ET AIRE III de forêt où la coupe de l'année suivante sera marquée et s'en- tendre avec l'arpenteur local sur la forme que recevra cette coupe. L'unique condition imposée pour le choix dont il s'ait, c'est le plus grand profit et advantage du Roi, autrement dit de l'État, et il n'est nullement question, du moins dans cet article 4, de placer la nouvelle vente à côté de l'ancienne. Le degré d'exploi- tabilité des divers peuplements sera donc, suivant l'esprit des ordonnances antérieures, le principal guide des officiers. Il va de soi, d'ailleurs, que, si la forêt considérée est déjà pourvue du règlement spécial dont parle l'article I, on appliquera ce règlement avec tout le soin désirable. N'est-ce pas là, en effet, que l'autorité compétente a fait connaître une fois pour toutes ses vues sur la marche de l'exploitation?

ARTICLE V. — Chaque année, le Grand Maistre expédiera ses Man- dements et Ordonnances pour les assiettes des ventes ordinaires de nos Bois et Forests, conformément aux Règlemens arrestez en nostre Conseil, où il employera le nombre d'arpens et l'essence du bois à vendre, dans lequel il désignera par le détail les gardes et triages (I), autant qu'il luy sera possible, suivant les observations qu'il aura faites dans le procès-verbal de sa visite, qu'il envoyera aux officiers de la Maîtrise avant le premier juin de chacune année, qui seront tenus incontinent après de s'assembler et prendre jour entre eux pour faire les assiettes, qui seront faites en leur présence par l'Arpenteur.

Cet article complète les dispositions des articles i et 4 et rappelle que la nature et l'étendue de la vente projetée dépen- dent du règlement de coupes en vigueur.

ARTICLE VI. — L'Arpenteur fera, en présence du Sergent de la garde (2), les tranchées et layes nécessaires pour le mesurage; mar- quera de son marteau... dans les angles, tel nombre de pieds corniers, arbres de lizières et parois qu'il estimera convenable;... et sera tenu de se servir au moins de l'un des pieds-corniers de l'ancienne vente; dressera les plans et figures de la pièce qu'il aura assise; et de tout fera son procès-verbal...

La prescription relative aux pieds corniers « de l'ancienne vente » a de l'importance pour mon étude, car interpréter à la

(r) Nous dirions aujourd'hui les triages et cantons. (2) Nous dirions le garde du triage. I12 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE lettre les clauses dont il s'agit reviendrait, en somme, à pré- tendre qu'en vertu de l'Ordonnance les coupes devaient être toujours assises de proche en proche et justifierait la thèse clas- sique. Le principe poussé à l'extrême conduirait même à empê- cher, dans un grand massif, la formation de plusieurs séries d'exploitation. A en juger par l'extrait de son Économie forestière que j'ai reproduit à la page 62 du présent travail, M. HUFFEL adopte l'interprétation stricte, mais en observant que l'article 6 du titre XV ne déroge pas à l'article 4, que celui-ci donne aux grands maîtres le droit de désigner les emplacements des ventes et que, dès lors, l'Ordonnance échappe au reproche de renfermer une clause draconienne dépourvue de tout correctif. M. HUFFEL aurait pu ajouter à l'appui de son système, comme remède à l'article 6, l'article 1 qui, en instituant le règlement de coupes, permet d'annihiler toute prescription générale de l'Ordonnance, puisque ledit règlement émane de l'autorité royale et que le grand maître lui-même est tenu de s'y conformer. Mais je me demande si la question juridique à laquelle je viens de toucher a jamais été posée par nos pères et si, aux yeux de ces derniers, la prescription des pieds corniers communs a eu l'importance que je lui ai attribuée tout à l'heure. Jusqu'à présent, en effet, je n'ai pas trouvé trace, dans l'ancienne litté- rature forestière, d'une discussion quelconque à ce sujet. Nous savons pourtant, par les aperçus que nous avons déjà pris de l'assiette des coupes sous le régime de l'Ordonnance de 1669, combien était considérable le rôle de l'exploitabilité dans le choix de l'emplacement de la vente, et combien dès lors l'auto- rité supérieure devait avoir le souci d'empêcher les officiers trop esclaves de la lettre de couper les bois prématurément ou tardi- vement. Par contre, il existe une preuve irréfragable de la façon large dont s'interprétait l'article 6. Elle est fournie par DRALET dont le Traité du Régime forestier publié en 1812, renferme (t. I, p. 148) le passage qui suit : C'est à l'officier supérieur, dans chaque arrondissement, à en faire la désignation (des parties de forêts à mettre en vente). En consé- quence, il marque de son marteau un arbre qui doit servir de point LE TIRE ET AIRE I13 de départ à l'arpenteur pour le mesurage... Cet arbre doit être, autant que possible, un des pieds corniers de l'ancienne vente (i).

Or, les mots autant que possible que j'ai soulignés ne sont pas dans le texte de l'Ordonnance; le fait que DRALET les y a inter- calés montre donc bien les tempéraments que l'article 6 com- porte selon lui. Rappelons-nous, d'ailleurs, que DRALET, conser- vateur à Toulouse, était un successeur immédiat des grands maîtres et que sa manière de voir s'inspirait probablement d'une tradition. Ainsi, en définitive, il n'y a aucune témérité à conclure que les forestiers d'autrefois ne tenaient compte de la prescription des pieds corniers communs que dans la mesure où l'assiette de proche en proche se justifiait par de bonnes raisons; ils la regar- daient comme non avenue dans les autres cas. Il ne faut pas s'étonner au surplus de ce qu'il en a été ainsi quelque chose d'analogue se présente aujourd'hui, sous le régime du Code forestier. Le deuxième alinéa de l'article 76 de l'Ordon- nance réglementaire de ce Code reproduit presque littéralement la clause de 1669 qui nous occupe (2); jamais personne, cepen- dant, à ma connaissance, ne s'est fondé là-dessus, pour pré- tendre que la contiguïté des coupes est imposée par la légis- lation actuelle (3). Tout le monde a le sentiment que la pres- cription des pieds corniers communs appartient à la catégorie de celles qu'on observe dans la mesure où le permettent des considérations d'ordre majeur.

ARTICLE X. — Ne pourront les Arpenteurs mesurer plus grande ny moindre quantité dans chacun triage, que celle qui leur aura esté prescrite par le Grand Maistre pour l'assiette, sous prétexte de rendre la figure plus régulière, ou pour quelque autre considération que ce puisse estre...

(s) Ici Dralet renvoie, dans une note marginale, à l'Ordonnance de 1669, titre XV, art. 6. La phrase de Dralet, avec les mots autant que possible et le renvoi se retrouvent dans le Dictionnaire de BAUDRILLART, verbo ASSIETTE, p. 299. (2) Ordonnance du reL août 1827 pour l'exécution du Code forestier. ■« Art. 76. — Les coupes seront délimitées par des pieds corniers et parois... l'ar- penteur sera tenu de faire usage au moins de l'un des pieds corniers de la précédente vente... s (3) Cs parallèle nous paraît très pertinent. (R. B.)

'NN. FOREST. — T. VII — FASC. r 8 II4 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE La façon dont est rédigée cette défense met en lumière un fait qui découlait déjà des réformations de Fontainebleau, à savoir que c'est le « triage » appelé aujourd'hui canton ou par- celle, qui constituait aux yeux de nos prédécesseurs d'avant 1830 l'unité de gestion par excellence et servait de base à l'as- siette des coupes. L'arpentage des ventes s'opérait toujours « triage » par « triage »; en principe, une vente n'était pas à cheval sur deux « triages » et, quand cela arrivait à titre excep- tionnel, la fraction de la surface totale afférente à chaque triage était indiquée.

ARTICLE XIII. - Ne sera donné aucun bois par forme de remplage, sous prétexte de places vuides et de chemins qui se sont rencontrez dans les ventes; mais l'adjudication en sera faite en l'estat qu'elles se trouveront...

Il est déjà question du « remplage », c'est-à-dire du remplace- ment dans l'Ordonnance de 1376 : l'obligation où se sont trouvés les législateurs de 1669 d'interdire à nouveau cette pratique montre à quel point elle s'était invétérée dans les moeurs fores- tières de l'époque. Pour expliquer en quoi elle consistait il faut rappeler qu'an- ciennement l'adjudication portait,non pas sur le prix total de la vente, mais sur la somme à payer par arpent. Or l'usage s'était établi, sur les sollicitations des marchands, de permettre à ces derniers d'exploiter, en sus de la surface indiquée au procès-verbal d'arpentage, une certaine étendue boisée à titre de compensation des vides englobés dans l'enceinte de la vente. Peut-être même donnait-on déjà à la coupe, lors de l'arpen- tage, une surface supérieure à celle que fixait le règlement de la forêt. On devine les malversations qui résultaient d'une pareille coutume, surtout à l'occasion des coupes de futaies, où le maté- riel sur pied pouvait avoir une valeur considérable. Non seule- ment la probité des fonctionnaires en souffrait, mais encore l'application de l'aménagement sus le terrain en était faussée. On comprend donc aussi que l'entourage de Colbert ait voulu mettre fin aux trafics dont je parle. Comme, depuis lors, l'au- LE TIRE ET AIRE I 15 torité royale n'a plus eu, je crois, à intervenir à cet égard, le but visé par l'article 13 semble avoir été atteint.

ARTICLE XIV. — Les ventes ne pourront estre changées en tout ou en partie, sous quelque prétexte que ce soit, après l'adjudication, sur peine de punition exemplaire contre les Officiers...

Cette défense, qu'on retrouve dans le Code forestier (art. 29), s'explique d'elle-même et n'a pas besoin de commentaires. Les sept articles que je viens de passer en revue (art. I, 4, 5, 6, Io, 13, 14) sont les seuls du titre XV qui se rapportent à l'assiette des coupes de futaie (i). Je n'ai pas non plus trouvé, dans un autre titre de l'Ordon- nance, de dispositions complétant ou modifiant d'une façon for- melle les articles dont il s'agit. Dès lors, il suffit de se reporter aux textes précédents pour savoir ce qui, en matière de traite- ment des futaies, est contraire ou non à l'Ordonnance. Sous le bénéfice de cette remarque, voici les principales conclu- sions à tirer de mon analyse : I 0 Les commissaires de Louis XIV, à l'exemple de ceux d'Henri IV, se sont abstenus de stipuler quoi que ce soit rela- tivement à la durée des révolutions de futaies : ils ont eu la sagesse de laisser aux auteurs des règlements de coupes le soin de statuer à cet égard. PUTON, en parlant du terme de 120 ans que l'Ordonnance aurait fixé pour l'exploitation des « futaies du Roi » (voir p. 54 de la présente étude), renvoie à l'article 11 du titre XV; mais cet article ne détermine que le nombre d'arbres à réserver dans les forêts domaniales par arpent de futaie, et il ne s'occupe pas de l'âge auquel on coupera, soit le gros du massif, soit les baliveaux eux-mêmes. La méprise de PUTON tient probablement à une interprétation trop large de l'article i du titre XXVI. L'âge de 120 ans y est, en effet,

(r) Pour des raisons déjà indiquées, je laisse en dehors de mon étude l'article r r qui a trait aux arbres de réserve. Je crois bon cependant de rappeler ici qu'en vertu de cet article le garde-marteau doit faire « choix de dix arbres en chacun arpent de fustaye ou haut recrû, des plus vifs et de la plus belle venue, de chesnes s'il se peut, brin(s) de bois et de grosseur compétente, qu'il marquera pour balliveaux... On remarquera à c_ propos que les arbres réservés dans les ventes de futaies s'appe- laient baliveaux aussi bien que ceux des ventes de taillis. Le terme étalons, bien qu'employé également par l'ordonnance de 1669 (art. 4 du titre XXXII) était beaucoup moins usité. I16 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE mentionné comme terme minimum d'exploitation pour la fus. taye; mais deux circonstances sont à retenir : I° le titre XXVI concerne uniquement les bois appartenants aux particuliers; 2° la limite inférieure de six vingts ans est indiquée pour l'aba- tage, non pas des futaies en massif, mais des baliveaux réservés dans lesdits bois de particuliers. Un argument en faveur de ma supposition m'est fourni par le passage suivant d'une brochure publiée en 1779 par DE SESSE- VALLE, maître des Eaux et Forêts de Clermont-en-Beauvoisis, et intitulée : Examen de l'essai sur l'aménagement des forêts de M. Pannelier d'Annel (In-8, iv-i5 p., Paris, chez Lottin l'aîné) (1) :

L'ordonnance... n'a point définitivement fixé l'âge auquel on pou- voit couper les futaies des Bois du Roi, ni même les réserves des Gens de main-morte; elle a laissé aux Grands Maîtres et aux offi- ciers chargés de l'Administration le soin de voir celles qu'il convenait d'exploiter, pour, sur leurs avis, être statué par le Conseil; cette même Ordonnance a seulement semblé annoncer qu'une futaie ne devoit être en coupe qu'à l'âge de 120 ans, en imposant aux particuliers (art. ter du Tit. 26) l'obligation de ne couper leurs futaies qu'après qu'elles auroient atteint cet âge. Mais, en même temps, elle ne leur a point ôté la faculté de se pourvoir pour les couper plus tôt, suivant leurs besoins et les circonstances.

SESSEVALLE a donc émis au sujet des six vingts ans de l'ar- ticle 1 du titre XXVI, une idée analogue à celle exprimée par PUTON, mais sans commettre l'erreur de ce dernier, en sachant bien que les bois du Roi n'étaient pas visés d'une façon expresse. J'ajouterai toutefois, pour être complet, que PUTON n'a point porté la brochure de SESSEVALLE sur sa bibliographie. 2° Les léislateurs de 1669, se séparant à cet égard de leurs devanciers de 1597, ont supprimé l'obligation draconienne de faire les ventes de proche en proche, à tire et aire. Ils savaient sans doute quels sacifices énormes auraient entraînés, dans les futaies, l'application aveugle du tire et aire contiguïté. J'hésite, d'ailleurs, à croire que, pendant les soixante-douze

(r) L'opuscule de Sessevalle est une réponse à la campagne menée par Pannelier contre les futaies en massif (Essai sur l'aménagement des forêts, in-8 de viii-27 p., Paris, chez G. Desprez, 1778). LE TIRE ET AIRE I17 ans où l'édit de 1597 a pu être considéré comme une loi fores- tière du royaume, les coupes de futaies aient été réellement assises de proche en proche : nous avons vu, en effet, que long- temps déjà avant Henri IV, le degré de maturité des peuple- ments plutôt que leur situation topographique déterminait l'ordre de leur mise en vente, et l'innovation de 1597 devait heurter les idées de la plupart des professionnels d'alors. 30 La dissection à laquelle je viens de soumettre l'Ordonnance de Louis XIV ne laisse subsister en moi aucun doute sur la réalité de l'erreur que j'avais découverte il y a quarante ans et qui m'avait tant troublé. Dans tout le célèbre monument législatif dont il s'agit, le seul endroit où l'on voit figurer le mot tire et aire est l'article i i du titre XXV, et cet article, que BAUDRILLART invoque tant de fois à l'appui de sa conception du traitement des futaies royales, n'a ni le sens ni la portée qui lui ont été attribués. Il ne concerne que les taillis commu- naux, et même à l'égard de cette classe de forêts, il ne semble pas revêtir le caractère de règle d'assiette comme on pourrait le penser tout d'abord. Si, en effet, on le lit avec soin (1), et si on étudie en même temps tout le titre XXV, on voit que l'as- siette des coupes communales est réglementée uniquement par les articles 9 et Io qui sont, d'ailleurs, les seuls où le mot assiette soit employé. Arrivés à l'article i i, les rédacteurs de l'Ordon- nance envisagent non plus les coupes à asseoir mais les coupes déjà assises, et en déclarant que ces coupes seront faites à tire et aire, ils visent le tire et aire des bûcherons et non celui des aménagistes. A l'appui de mon assertion, je remarquerai que le terme à tire et aire est immédiatement suivi, dans l'article i i, des mots à fleur de terre et de la recommandation d'avoir recours à des gens entendus choisis aux frais de la communauté et capables de répondre de la mauvaise exploitation. Quand on tient ce langage, on songe à la besogne de l'ouvrier qui abat le bois et non à celle du forestier qui désigne l'emplacement de la coupe.

(i) Ordonnance de 1669, titre XXV : Des bois, etc... appartenant aux Commu- nautés et habitans des Paroisses. ART. XI : « Les coupes seront faites à tire et aire, à fleur de terre, par gens entendus, choisis aux frais de la Communauté, et capables do répondre de la mauvaise exploitation... » II8 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE Enfin, dernier argument en faveur de ma thèse : dans la France de 1669, les forêts du clergé étaient, nous l'avons vu, presque exclusivement traitées en taillis, comme celles des com- munes : si donc les rédacteurs de l'article i i du titre XXV avaient voulu prescrire le tire et aire contiguïté, la logique les aurait conduits à insérer un article analogue dans le titre XXIV qui traite « des bois appartenants aux ecclésiastiques et gens de main-morte ». Or, ce titre ne renferme rien de pareil : son article 3 exige une révolution d'au moins dix ans pour les sous-bois, avec une réserve d'au moins seize baliveaux de l'âge et c'est tout ce qu'il stipule en matière d'assiette : la question de la marche des coupes demeure dans l'ombre. 4° Il faut reconnaître qu'avant BAUDRILLART, déjà, certains auteurs s'étaient mépris sur le véritable but de l'article i i du titre XXV et sur le sens qu'y a le mot tire et aire. Ainsi GALLON, en donnant en 1725 son commentaire de l'article 42 du titre XV, s'occupe incidemment de l'article II du titre XXV et semble croire que ce dernier a le caractère d'une règle d'assiette et interdit le système d'exploitation par pieds d'arbres. MASSÉ, en 1766, s'imagine que l'article i i du titre XXV exige l'assiette de proche en proche d'une année à l'autre (i). Mais ni chez GALLON ni chez MASSÉ le vice d'interprétation à l'égard de l'article I i du titre XXV n'est poussé aussi loin que dans le Dictionnaire de BAUDRILLART, dont les erreurs ont eu une répercussion dans l'enseignement de Nancy et de là dans tout le monde sylvicole. 50 Si l'on se reporte au passage de CHAILLAND que j'ai cité à la page 89 de mon travail comme exemple du mot tire et aire pris dans le sens de contiguïté des assiettes, on constate qu'à cet endroit l'éminent juriste de Rennes n'a pas mieux expliqué l'article II du titre XXV que ne l'ont fait MASSÉ et GALLON. Voici par contre, des paragraphes de son Dictionnaire où ce qu'il dit sur l'article en question corrobore ma thèse, attendu qu'il

(s) Le passage du Dictionnaire portatif de MASSÉ auquel je viens de faire allusion, est l'objet d'une référence dans la partie du même ouvrage consacrée au mot Fureter et libellée ainsi (p. 342) : « C'est fureter un bois que de le couper çà et là, ce qui est défendu, l'article II du titre 25 voulant que les coupes soient faites d tire et aire, c'est-à-dire, de suite et toujours devant soi. Voyez Aire. Ici encore l'article rr du titre XXV parait mal compris. LE TIRE ET AIRE I19 y parle seulement du tire et aire abatage tel qu'on doit le pra- tiquer dans les forêts communales.

Les coupes doivent être faites à tire et aire (c'est-à-dire de suite en suite) à fleur de terre, par gens entendus... Art. I I du tit. 25 confirmé par Arrêt du Conseil du 13 janvier 1756, T. I, p. 84 (Verbo Bois, Section Bois appartenant aux Communautés laïques.) Les coupes des Bois des Communautés doivent être faites à tire et aire, à fleur de terre, par gens entendus, choisis par les Communautés, et capables de répondre de la mauvaise exploitation, pour être ensuite distribuées suivant la Coutume. Art. I I du tit. 25. T. I, p. 176 (Verbo COUPES DE BOIS).

6° BAUDRILLART n'a pas seulement prétendu que l'exploi- tation des futaies royales à tire et aire est formellement stipulée dans l'Ordonnance de 1669. D'après lui cette dernière a aussi interdit le jardinage, ou, pour parler d'une façon moins ana- chronique, la coupe par pieds d'arbres. Le point de départ de sa thèse se trouve à la page 723 du tome II de son Dictionnaire, verbo COUPE DE BOIS, sous la forme d'un alinéa ainsi conçu :

Coupe par pieds d'arbres. C'est celle qui se fait çà et là dans un bois, où l'on n'enlève que quelques arbres, ordinairement les plus beaux; elle est l'opposé des coupes à tire et aire. Les coupes par pieds d'arbres sont prohibées, et il n'est permis d'en faire qu'en vertu d'une ordonnance du Roi (Ordonn. de 1669, tit. XXI, art. I, 2 et 3.)

Le titre XXI de l'Ordonnance de 1669 auquel renvoie BAU- DRILLART traite Des Bois à bâtir pour les Maisons royales et Bâtiments de mer. Voici le libellé des articles de ce titre dont l'auteur du Dictionnaire se réclame :

ART I. - Ne sera fait aucune vente extraordinaire par arpent, ny par pieds d'arbres, pour constructions et réparations de nos Maisons Royales, ou Bastimens de Mer; mais pourra le Grand Maistre charger l'Adjudicataire des ventes ordinaires de nos Forests de fournir le bois nécessaire pour ces ouvrages, en luy payant le prix, etc...

ART. 2. - Si toutefois on avoit besoin d'aucunes pièces de telle grosseur et longueur qu'elles ne se pussent trouver dans les ventes ordinaires, en ce cas le Grand Maistre, sur les estats qui en seront arrestez en nostre Conseil, et Lettres Patentes deuêment vérifiées, en I20 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE pourra marquer et faire abattre dans nos Forests ès lieux moins dommageables, et s'il ne s'y en trouvoit pas, les fera choisir et prendre dans les Bois de nos Sujets, tant Ecclésiastiques qu'autres..., etc. ART. 3. - Défendons au Grand Maistre de procéder au martelage des Bois ainsi nécessaires, hors les ventes ordinaires, qu'en vertu de Lettres Patentes expédiées en conformité des estats et avis du Surin- tendant de nos Bastimens, ou Contrôleur général de nos Finances... etc., etc.

Se basant sur ces textes, BAUDRILLART semble avoir raisonné de la façon suivante : L'article 3 du titre XXI de l'Ordonnance de 1669 n'autorise le grand maître à marquer des arbres hors des coupes ordinaires que s'il a obtenu, à cet effet, des lettres patentes; ces lettres émanent du Roi, de qui émane aussi l'Ordonnance; donc les coupes par pieds d'arbres constituent des dérogations à l'Ordon- nance; donc, en définitive, l'Ordonnance les interdit. Une pareille conclusion n'est pas légitimée par les prémisses. Quand BAUDRILLART déclare, d'une façon générale, que l'Ordon- nance de 1669 prohibe les coupes par pieds d'arbres, il laisse entendre qu'il envisage ces dernières comme constituant un mode de traitement des forêts. Or, l'extraction d'arbres de choix destinés à construire des bâtiments royaux de terre ou de mer est une opération accidentelle qui n'absorbe qu'une faible partie des produits d'un domaine boisé : on ne saurait y voir une déro- gation au système de la coupe par arpents tel qu'il se pratiquait en grand dans les forêts du royaume. D'ailleurs, BAUDRILLART a mal lu l'article I du titre XXI : l'épithète extraordinaire qui accompagne le mot vente est demeu- rée inaperçue de lui : il n'a pas remarqué que la vente extra- ordinaire par arpent est interdite tout aussi bien que la vente oridnaire par pieds d'arbres. L'article 1 prohibe cette dernière non point parce que par pieds d'arbres mais seulement parce qu'extraordinaire, c'est-à-dire non prévue par le réglement de coupes. L'article 3 rappelle au surplus que, seul, le Roi peut déroger au règlement qu'il a sanctionné et autoriser une coupe extra- ordinaire. Le titre XXI ne s'oppose donc pas formellement au jardinage LE TIRE ET AIRE I2I et il serait inexact de prétendre, par exemple, que les arrêts du Conseil qui ont introduit le système de MACLOT dans les sapi- nières domaniales de la Franche-Comté sont en désaccord avec la lettre de l'Ordonnance. Reconnaissons cependant qu'en fait l'Ordonnance laisse le mode jardinatoire dans l'ombre et que ses prescriptions cultu- rales sous-entendent toujours l'exploitation par arpents, le sys- tème que j'appelle tire aire intensité. Dès lors, tout bien pesé, on peut dire que le tire et aire est conforme à l'esprit de l'Ordonnance. Si nous nous reportons aux citations relatives au tire et aire intensité, nous constatons que telle a été précisément l'avis de DUHAMEL DU MONCEAU. Nous avons vu, du reste, pourquoi les spécialistes chargés par Colbert de la confection de l'Ordon- nance songèrent peu au traitement des forêts résineuses. 70 Quand on manipule le Dictionnaire de BAUDRILLART, on ne tarde pas à s'apercevoir que cet auteur, en établissant une connexité entre l'exploitation à tire et aire et l'Ordonnance de 1669, se réfère souvent à DRALET. Or la lecture des ouvrages de ce dernier montre qu'il est du même avis que DUHAMEL, c'est-à-dire que, selon lui, l'Ordon- nance de 1669 ne permet que les coupes à tire-aire (Traité de l'Aménagement, Ire édit., p. 34; Traité des Forêts d'Arbres rési- neux, p. 178), mais n'interdit pas le jardinage d'une façon for- melle; elle le proscrit tacitement (ibid.) et la défense de couper par pieds d'arbres découle du silence de la loi (ibid., p. 81 et 84). On constate aussi qu'en parlant de l'exploitation à tire-aire DRALET vise, dans la presque totalité des cas, uniquement le contraire de la coupe par pieds d'arbres, ce que j'appelle le tire et aire intensité. Cela ressort de l'ensemble de son oeuvre et je n'en finirais pas si je voulais reproduire tous les passages venant à l'appui de mon assertion. Je me bornerai donc aux citations suivantes :

Les forêts appartenant à l'empire, aux communes... ne pourront, à l'avenir, être exploitées que de deux manières, savoir par conte- nance à tire-aire, ou par pieds d'arbres en jardinant. (Ibid., p. 85.) Il y a trois manières d'aménager les bois : la première consiste à diviser une forêt en plusieurs portions égales que l'on coupe succes- I22 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE sivement d'années en années, sans rien y laisser; c'est ce qu'on appelle faire coupe blanche; ou en y laissant les baliveaux destinés au repeu- plement : c'est la coupe à tire-aire. Le second... est la coupe par éclaircie ou expurgade. Suivant le troisième mode, que l'on nomme jardinage, on coupe annuellement les arbres les plus forts dans toute l'étendue d'une forêt, ou successivement dans ses divers quartiers. (Ibid., p. 95 -96.)

L'idée d'assiette de proche en proche semble presque toujours absente de la pensée de DRALET et, pour lui, ni l'expression coupe â tire-aire ni son synonyme coupe par contenance ne paraissent sous-entendre la contiguïté des ventes d'un exercice à l'autre. Je ne trouve dans toute son oeuvre que les passages ci-après qui puissent être supposés de prime abord contenir ce sous- entendu :

On connaît trois modes d'exploiter les bois, savoir : j 0 la coupe à tire-et-aire ; 20 la coupe par pieds d'arbres en jardinant ; 30 la coupe par éclaircies ou expurgades. Le premier de ces modes est le seul qui soit autorisé par les anciennes lois; elles veulent toutes que les coupes se fassent par contenance et de proche en proche, sans rien laisser en arrière. Le second... (i). (Traité du Rég. for., t. I, p. IoI-102.) A peine les dispositions de l'ordonnance de 1669 relatives à l'amé- nagement et au mode uniforme d'exploitation des bois furent-elles connues, qu'elles donnèrent lieu à beaucoup de réclamations de la part des habitans des montagnes. Ces réclamations furent accueillies, en ce qui concerne les forêts de sapin; on reconnut qu'elles ne pour- raient être exploitées par contenance, à tire-aire; mais les règlemens qui en autorisèrent le jardinage le défendirent dans les forêts de hêtres situées dans les Pyrénées. Les coupes doivent y être assises par contenance, avec réserve de baliveaux et être exploitées à tire- aire, sans rien laisser en arrière, conformément à l'ordonnance. (Traité du Hêtre, p. 107.)

Et encore les mots de proche en proche et sans rien laisser en arrière qui, dans ces deux extraits, évoquent chez le lecteur non averti l'idée d'assiettes contiguês visent-ils plutôt, selon moi, l'exploitation d'une même vente. 80 De même que l'ordonnance de 1669 a été considérée comme

(r) Ce passage est reproduit intégralement par BAUDRILLART: Dictionnaire, v0 Aine- nagement, p. 169. PLANCHE III,

LE 'l'7 RF:-t i— TKE Planche extraite de l'ouvrage de D0 Il AM I': I. oti MCNCi::v : DePerploilaliou des bois

( 1 764) L'objet de cette planche est de représenter le façonnage de certaines catégories de marchandises comme les bois de marine, le chauffage, etc..... Nous la faisons figurer ici, non pour ces détails, ruais comme exemple d'une coupe ù tire-et-aire, dans le sens de Lire - el-aire usance et de lire- el - aire intcnsit,'. La coupe, assise dans une futaie, provoque une aire, une surface nue qu'on agrandit d'une façon continue, qui se lare régulièrement. LE TIRE ET AIRE I23 interdisant l'exploitation par pieds d'arbres, elle a été présentée comme contraire au traitement par le mode des éclaircies. La logique voulait qu'il en fût de la sorte puisque jardinage et éclaircie sont des opérations entraînant toutes deux de faibles réalisations de matériel et pouvant, à ce point de vue, être opposées l'une et l'autre au tire et aire intensité. Le passage du Traité du Régime forestier que j'ai transcrit plus haut montre bien que telle était la pensée de DRALET en 1812. Quant à BAUDRILLART voici ce qu'il se contente de dire, en 1823, dans son Dictionnaire (v° FUTAIE, p. 196) :

A l'égard des exploitations par éclaircie, l'ordonnance n'en parle pas, il est vrai, mais, en prescrivant que les coupes seront faites à tire-aire, elles les prohibe implicitement.

Le chef de bureau à l'Administration centrale s'accorde donc avec le conservateur à Toulouse pour déclarer que l'interdiction des éclaircies n'est pas formelle. On remarquera toutefois que les deux écrivains ne raisonnent pas de la même façon. Pour BAU- D=:ILLART, l'interdiction tacite des éclaircies découle de la pré- tendue prescription formelle du jardinage; pour DRALET, il n'y a que des interdictions tacites. Le mutisme de l'Ordonnance à l'égard des éclaircies tient, d'ailleurs, à une cause analogue à celle qui a empêché les colla- borateurs de Colbert de parler du jardinage. Au temps du grand ministre les expurgades n'étaient plus pratiquées; peu de forestiers se rendaient compte de l'intérêt que présente le desserrement des massifs en croissance, et certains, comme FROIDOUR, ne voyaient dans les coupes intermédiaires qu'une source de malversations.

CHAPITRE II. — L'Assiette des coupes dans la pratique.

Nous venons de voir quelles étaient, à l'égard de l'assiette des coupes de futaies, les directives tracées par les ordonnances ou édits. Il faut maintenant serrer la question de plus près et rechercher comment les aménagistes à leur tour entendaient la I24. UNE LÉGENDE FORESTIÉRE marche des exploitations. Ce supplément d'enquête s'impose car les textes de loi n'indiquent que les grandes lignes que doi- vent suivre les techniciens. Je vais donc examiner du point de vue où je me place les anciens règlements de coupes que j'ai pu consulter, sauf à tirer seulement des présomptions de ceux que je ne connais que par extraits. A côté des anciens règlements, il semble qu'on pourrait placer les ouvrages proprement techniques qui devraient formuler les règles d'assiette et de culture. Mais cette recherche s'est avérée infructueuse en ce qui concerne les premières : les ouvrages de DUHAMEL et de GUIOT, dont j'ai déjà parlé, la -Grande Ency- clopédie restent muets ou quasi-muets sur cette question.

No I. — Réformation des Forêts du Comté du Perche, en 1560. (Document conservé à l'Inspection des Eaux et Forêts de Mor- tagne et reproduit in extenso par M. HUFFEL, sous le no 2 de la série de ses pièces justificatives.) Le procès-verbal en cause concerne les trois forêts de Reno, de Bellême et du Perche, plus le « buisson » d'Ambray, le tout couvrant 10.740 arpents, dont 8.049 garnis de futaies plus ou moins bienve- nantes et 2.691 peuplés de taillis ou restés à l'état de landes impro- ductives (i). En envisageant l'ensemble de ce domaine du Perche, le réformateur

(r) A propos de ces renseignements statistiques, je rappelle que ce j'ai dit au Livre I sur la signification exclusive de peuplement d fûts constitués qu'avait le mot futaie antérieurement à l'époque où le Cours de Culture de Lorentz et Parade l'a revêtu d'acceptions nouvelles. Jusque-là un jeune peuplement à tiges flexibles et branchues ne se rangeait jamais dans la catégorie des futaies, même quand il était destiné à devenir futaie plus tard. On ne le désignait pas non plus, par conséquent, sous le nom de jeune futaie : cette appellation était réservée à celles des futaies définies tout à l'heure qui se trou- vaient encore au premier stade de leur développement. Quand on parlait d'un peuplement en bas âge, on l'appelait taillis, quelle que fût son origine. Si l'on voulait faire entendre qu'il devait, en vertu du règlement de coupe ou pour tout autre motif, croître en futaie, être élevé en futaie, on se conten- tait d'employer une de ces périphrases. On disait aussi parfois qu'il revenait ou qu'on l'attendait en futaie (pour cette dernière expression, voir les ouvrages de Pan- nelier et Sessevalle que j'ai déjà cités. Voir aussi HENRIQUEZ, dans ses Observations impartiales sur l'Aménagement, Paris, 1781). De tout cela, il résulte que les futaies dont l'auteur du procès-verbal de 156o donne le détail et dont l'ensemble couvre 8.049 arpents de terrain répondent toutes au véritable sens du mot. Elles ne comprennent pas de bois ayant sensiblement moins de 5o années d'existence. LE TIRE ET AIRE I25 Louis Petit, afin de se conformer aux ordres du Roi, recherche les mesures à prendre « pour son proffit et augmentation de son domaine... mélioration et repeuplement des dictes forests, aussy pour corriger les ventes extraordinaires que l'on avait accoustumé d'y faire confusément et sans ordre et icelluy réduire en ordinaire et en couppe à tire et ayre suivant ses ordonnances. » Il serait risqué de conclure de là que les ventes de toute espèce, celles de futaie aussi bien que celles de taillis, dussent être assises de proche en proche. Nous avons vu, en effet, qu'en 1560, l'ordonnance en vigueur pour l'assiette des coupes était celle de 1 544, et que celle-ci entendait sous le nom de coupe à tire et aire la coupe intensive par arpents, opposée à la coupe par pieds d'arbres, et non la contiguité des exploitations annuelles. Dans le passage du procès-verbal trans- crit ci-dessus, le terme tire et aire semble donc avoir également le sens de tire et aire intensité. Les seules données précises que le procès-verbal de Louis Petit fournisse sur l'assiette des coupes ordinaires de futaies, c'est qu'elles devront, selon lui, être réglées à I0o ans, avec une surface de Io arpents pour Reno; à 150 ans et 20 arpents pour Bellesme; à 150 ans et 15 arpents pour le Perche. Par contre, en ce qui touche les peuplements à exploiter avant qu'ils aient atteint l'âge de futaie, le réformateur s'exprime d'une façon très claire : « Et pour les bois taillis et recépages continuant les couppes pré- cédentes faictes du diet bois taillis ès dictes trois forests.., (il faudra) icelles ventes et couppes continuer et poursuivre pour l'advenir à tire à ayre sans intermission d'aucuns triages. » Les cinq derniers mots que je souligne montrent péremptoirement qu'ici c'est le tire et aire contiguïté que préconise l'aménagiste.

No 2. — Règlement pour la forêt seigneuriale de Pressiguy, pré- tendue communale par les habitants (Arrêt de la Table de Marbre de Paris, de 1582. Reproduit in extenso par PECQUET, op. cit., t. I, p. 528-531. Un extrait de ce document constitue la pièce justificative no 3 de HUFFEL).

Après avoir prescrit de « conserver à l'avenir en nature de bois de haute futaye » le tiers de la surface des bois litigieux en question, les juges déclarent : « Et le surplus des dits bois et lieux usagers et communaux sera remis en nature de bois, et réglé en taillis et coupes ordinaires de dix ans en dix ans, par égale portion suivantes et consécutives de proche en proche le plus commodément que faire se pourra. » I26 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE L'arrêt stipule donc, pour les coupes de taillis, le tire et aire conti- guïté, mais sans recourir au mot tire et aire. Ce mot, par contre, est employé à deux reprises dans l'arrêt avec le sens de tire et aire usance. Les passages auxquels je fais allusion sont les suivants : « La contrée appelée la Bouchère... ensemble tous les autres triages... qui étaient ci-devant plantés en bois et sont à présent... réduits en friches, savart, terres vaines et vagues... seront dedans deux ans... labourés et semés de glands et foins, et ce qui se trouvera pillé, broutté, mangé et rabougri et sera recépé à tire et à aire le plus près de terre que faire se pourra... « Et quant auxdits bois provenans desdits taillis et coupes ordi- naires... iceux habitans seront tenus de couper ou faire couper ledit bois taillis bien et duement à tire et aire à six pouces près de terre, et au-dessous, et d'y retenir et réserver la quantité de vingt baliveaux... On constatera enfin que l'arrêt actuellement analysé contient en germe l'article II du titre XXV de l'ordonnance de 1669 et qu'il justifie la manière dont j'interprète cet article.

No 3. — Réformation de la Forêt de Fontainebleau, en 1664 (Original conservé â l'Inspection de Fontainebleau).

Cette première réformation de Fontainebleau, terminée en 1666 est, on l'a vu, l'eeuvre de Barrillon d'Amoncourt, qui fut assisté, dans la circonstance, de Froidour, remplissant les fonctions du Pro- cureur du Roi. Comme je l'ai exposé, le règlement de coupes de 1664 ne stipule rien pour un long laps de temps et est une sorte d'aménagement provisoire. Les seules prescriptions qu'il contienne se rapportent : I° aux « recépages » à faire, dans les six premières années, sur 1.200 arpents de mauvais bois; 20 aux coupes « ordinaires » à asseoir pen- dant 25 ans sur les 5.000 arpents de bois marchands mais dépourvus d'avenir. Quant à la plus importante partie de la forêt, aux 7.000 arpents de futaies « de première qualité » qui « profitent » encore, Barrillon laisse à ses successeurs le soin d'en régler la coupe ulté- rieurement. Les coupes ordinaires susdites peuvent être assimilées à des coupes de futaie. Si leur assiette repose, jusqu'à un certain point, sur le principe du tire et aire contiguïté, elle n'en est, en tous cas, qu'une application très large; au cours d'une même année, la surface globale à exploiter se répartit entre plusieurs cantons et on emparque des ventes là où le commandent l'âge et l'état des bois. Le règlement est conçu de telle façon que la coupe de l'année porte à la fois sur un « meilleur triage », un «triage médiocre » et un « triage moindre », LE TIRE ET AIRE I27 afin que d'une année à l'autre il n'y ait pas trop de variations (I.) Pas un instant BARRILLON n'a songé à concentrer toutes les ventes d'un même exercice sur un point de la forêt, comme tendrait à le faire croire la définition du tire et aire classique. BARRILLON recom- mande bien, à diverses reprises, d'aller de proche en proche, mais, même quand il ne le dit pas positivement, il sous-entend que la pres- cription concerne un groupe de triages et non la forêt entière; il fractionne la coupe annuelle et crée des espèces de séries.

N° 4. — Réformation de la forêt de Bellême en 1665 (Document conservé à l'Inspection de Mortagne et dont un extrait forme la pièce justificative no 5 de M. HUFFEL).

La forêt de Bellême avait été englobée, en 1560, dans la réformation générale des Forêts du comté du Perche (Voir p. 122). En 1665, elle couvre environ 4.747 arpents, y compris les 171 du buisson d'Ambray. Là-dessus, 3.510 arpents sont garnis de futaies de tout âge et de toute venue. Le réformateur, Barrillon d'Amoncourt, que nous venons de voir opérer à Fontainebleau, maintient, pour les futaies, la révolution de 150 ans déjà adoptée en 1560; ce qui met à 30 arpents la conte- nance de la « vente ordinaire », mais il estime que pendant une période provisoire de 30 ans, « l'ordinaire » de futaie devra être réduit à 20 arpents, pour compenser les 30 arpents de recépage qui seront effectués annuellement, au cours de la dite période, en sus des coupes de futaies. Comment ces coupes de futaies seront-elles assises? Le procès- verbal, ou tout au moins l'extrait qu'en donne M. HUFFEL, est trop peu explicite pour permettre de répondre d'une façon sûre. Mais je n'y vois nulle part l'obligation de marcher de proche en proche, et j'y constate, au contraire, que les officiers auront surtout à se guider d'après l'état des massifs. On s'étonnerait, d'ailleurs, à bon droit, que Barrillon eût réglementé les coupes de Bellême suivant des principes différents de ceux dont il s'était inspiré à Fontainebleau l'année précédente. La phrase par laquelle se termine le projet est au surplus très suggestive; elle annonce notamment la création de deux séries de futaie : « Et les dictes trente années expirées sera la dicte couppe de trente arpens établie dans les dictes anciennes fustayes et continuée ensuite dans les jeunes, à commencer toujours par les plus agées dans les triages qui ont esté remarquez ci-dessus, la moitié en une garde, et moitié en une autre. »

(r) On trouve ici comme un écho du texte de r5r5 rapporté ci-dessus (p. 94). I28 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE No 5. — Réformation de la forêt de Guisnes, en 1666 (Document conservé à l'Inspection de Boulogne-sur-Mer). Il s'agit d'une forêt d'environ 1.50o arpents (sa contenance officielle en 1878 était de 784 ha. 82 a.). Le procès-verbal de visite a été rédigé par le Sr Feramus, lieute- nant en la justice de Calais, subdélégué par Charles Colbert, intendant de Picardie, frère du grand ministre. On y lit les passages suivants : « Les ventes se sont faites cy devant sans nombre certain et sans ordre ny suitte... ce qui a causé la ruine de la forest. « Pour la restablir il est expédient de régler les dites ventes à cent dix mesures qui est de seize ans de rejets sans remplage ny déduc- tions de rietz (pâturages) et d'obleiger les... adjudicataires de recéper les endroits qui se trouverront abroutis et de mauvoise nature... « Il est à propos de réduire la vente à une seule contrée, sans buis- sonnage ny division, et de l'exploiter à tire et air (sic), tant pour empescher les mésus que font les marchands ventiers lorsqu'il y a plusieurs ventes ouvertes, que pour donner un aage égal à tous les taillis, mesme à ceux qui sont abroutis et se trouveront recépez dans les ordinaires. » C'est le tire et aire contiguïté prescrit pour une forêt de faible étendue, traitée en taillis, et formant une seule série d'exploitation.

No 6. — Réformation de la forêt de Garrigueclave, en 1667 (voir FROIDOUR, Instruction, I re partie, p. 62 à 64). Il concerne une forêt royale de 1.044 arpents dépendant de la maî- trise particulière de Toulouse. Comme c'est un « bois de petite consi- dération », Froidour, l'auteur du projet, estime que les coupes « doi- vent estre réglées au vingt cinquième » et « en allant de proche en proche » à partir d'un point donné. Elles se suivront d'abord d'un côté d'une laie sommière traversant la forêt de part en part, puis de l'autre côté de cette laie. Ainsi qu'ils opèrent dans le Languedoc ou dans le Calaisis, dans le Midi ou dans le Nord de la France, les commissaires envoyés par Louis XIV conçoivent de la même façon l'aménagement des petites forêts.

N° 7. — Réformation de la forêt de Gaborn, en 1667 (voir Froidour, ibid., extrait donné par M. HUFFEL sous le n° 6 de ses pièces justificatives). La forêt en cause est un petit buisson de 50 arpents « ayant tou- jours esté coupé à tire et aire, et sans réserve, à l'aage de sept ans ». LE TIRE ET AIRE I29

FROIDOUR propose d'y porter la révolution à 14 ans avec coupes biennales, et de conserver des baliveaux. L'extrait ne me permet pas de savoir si, en parlant de tire et aire, l'auteur a visé le tire et aire contiguïté on a eu simplement en vue l'intensité de l'exploitation; mais, à en juger par ce qu'il a fait à l'égard d'autres forêts également mentionnées ici, la première hypothèse a les probabilités pour elle.

N° 8. — Réformation de la forêt de Giroussens, en 1667 (Voir FROIDOUR, ibid., p. 74 et 75. Extrait donné par M. HUFFEL sous le no 7 de ses pièces justificatives).

La forêt de Giroussens couvre 1.287 arpents de la mesure de Toulouse, soit environ 1.416 arpents des Eaux et Forêts. Elle est peuplée en partie de chênes bien venants, mais elle a subi de tels dégâts que FROIDOUR remet à plus tard le soin de décider si on devra ou non « laisser croistre le tout en fustaye ». Pour le moment, il pro- pose un aménagement en taillis, à 25 ans. En ce qui touche l'assiette des coupes, voici l'avis qu'il formule : « Continuer de couper à la suite des ventes que nous avons adju- gées l'année dernière, mettant ordinairement un bout de la vente au grand chemin de la passe qui partage la dite forest de bout à autre en deux parties, un autre bout à l'extrémité de la dite forest, une lisière à la coupe précédente successivement, et l'autre à ce qui sera en coupe l'année suivante, jusques à ce que toute la partie qui est entre le dit chemin et la ville de Giroussens soit entièrement coupée, ensuite de quoy on coupera de l'autre costé et en la mesme manière. » C'est à peu de chose près le règlement de la forêt de Garrigueclave (voir ci-dessus) caractérisé par une série unique, et par des coupons de taillis disposés à droite et à gauche d'une sommière traversant toute la forêt, les dits coupons étant numérotés de proche en proche, d'abord d'un côté de la sommière puis de l'autre. Voilà donc encore une fois une forêt de médiocre grandeur traitée en taillis où l'aménagiste prescrit le tire et aire contiguïté.

No 9. — Réformation de la forêt de Villemur, en 1667 (Voir FROIDOUR, ibid., p. 79 à 83. Extrait donné par M. HUFFEL sous le n° 8 de ses pièces justificatives).

Il s'agit d'une forêt feuillue (chêne, hêtre et bois blancs) d'environ 985 arpents (895 à la mesure de Toulouse) qui, « ayant toujours esté réglée en coupes ordinaires de fustaye » offre un intérêt tout spécial au point de vue où je me place. Moitié de la surface est en taillis et autres jeunes bois et l'autre

ANN. FOREST. - T. VII - FASC. I 9 130 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE moitié « en bois de jeune fustaye depuis trente jusques à quatre vingts ans » mais le tout se trouve en fort mauvais état. Avant l'intervention de FROIDOUR, les coupes étaient faites « par pieds d'arbres vaguement par toute la forêst, tantost de too pieds, tantost de 200, 300 et jusques à 700 pour une fois ». « Quelques ventes par éclaircissement » avaient aussi eu lieu « pour ensuite laisser

croistre le bois réservé en fustaye » ( i). Mais l'auteur de l'Instruction n'était point, on le sait, partisan des coupes par pieds d'arbres, surtout dans les feuillus : aussi, renonçant à l'ancien système, propose-t-il de régler les coupes de futaie par arpents, à 100 ans d'âge, soit à 8 ou 9 arpents de surface, avec réserve seulement de 8 à Io baliveaux. En ce qui touche l'assiette de ces coupes, il stipule qu'elles « se feront de proche en proche, à la suite des dernières dont nous avons fait l'assiette, jusques à l'entière exploitation des dites futaies, après l'usance desquelles les coupes seront faites dans les 296 arpens de haut taillis (326 arpents des Eaux et Forêts), et commencées par le lieu appelé le clos de la Quovo et ensuite continuées de proche en proche ». C'est évidemment le tire et aire contiguité sans l'emploi du mot tire-et-aire. Ainsi donc, en 1667, deux ans avant l'ordonnance dont il sera un des rédacteurs, FROIDOUR introduit dans une forêt traitée en futaie un système d'aménagement qui répond de tous points à la définition que, cent soixante ans plus tard, LORENTZ et PARADE donneront du tire et aire classique. Le fait est à noter. On remarquera d'ailleurs que le millier d'arpents à l'égard duquel le délégué de Colbert innove de la sorte ne constitue pas un domaine boisé d'une importance considérable.

No Io. — Réformation de la forêt d'Esguille, en 1667 (Voir FROIDOUR, ibid., p. 108 et 109). Forêt de 404 arpents « à la mesure de Lauragois » en fond médiocre et dégradée. « Nous estimons (déclare FROIDOUR) qu'il est à propos de faire l'entier recépage de la dite forest à tire-et-aire... en quinze années... et de couper par chacun an vingt huit arpens de suite en suite et de proche en proche, allant de haut en bas, à commencer au lieu où nous avons estably la vente de la présente année et continuer jusques au bout. »

(s) D'après cela, dans l'esprit de Froidour, les « éclarcissements ■ se différencient des coupes « par pieds d'arbres » en ce qu'ils portent sur des bois encore jeunes, dont les tiges ne méritent pas la qualification d' « arbres » proprement dits. LE TIRE ET AIRE 131 C'est encore, sans aucun doute possible, le tire et aire contiguïté, mais appliqué à un taillis.

No Ii. — Réformation de la forêt de Boutonne, en 1667 (Voir FROIDOUR, ibid., p. 132 à 142).

Forêt de 4.435 arpents (I) « tant bien que mal plantée de chesne, meslé de peu d'autre bois ,en taillis... coupée sans règle, ordre ny mesure, et réduite en très mauvois estat. » Après avoir assigné une circonscription spéciale à chacun des quatre sergents qui étaient censés jusque-là surveiller l'ensemble des « triaiges », FROIDOUR expose le règlement de coupes de taillis auquel il juge opportun de soumettre la forêt, en attendant qu'on sache si l'élevage en futaie y est avantageux. En principe, il serait d'avis d'adopter une révolution de 25 ans avec une vente annuelle de 153 arpents. Mais, si l'on marchait sur ce pied dès le début, on tomberait bientôt dans des bois trop jeunes. Il estime donc « que pendant les vingt premières années, les coupes doivent être réglées à six vingts arpens pour chacun an, à commencer par (tel endroit) et continuant successivement de suitte en suitte et de proche en proche, une année de costé d'orient et la suivante du costé d'oc- cident, de manière que le chemin salinier serve de séparation aux ventes qui seront faites de costé et d'autre... jusques au Chesne de l'Estang, depuis lequel il sera fait une lisse qui partagera la largeur de la dite forest autant que faire se pourra... « Et après les dites vingt années expirées (quand on aura, par consé- quent, parcouru 2.400 arpents), les dites coupes de cent cinquante trois arpens seront establies jusques à l'entière exploitation des anciens bois, après laquelle elles seront continuées dans les quatre cens six arpens de taillis de la garde du Chesne de l'Étang, continuées en suitte dans les recépages; après l'usance desquels on reprendra la mesme route (le chemin salinier) que celle dont on se sera servy pour l'exploitation des coupes ordonnées pour les vingt premières années. » Les coupes temporaires de taillis seront donc, en fin de compte, assises de proche en proche, à droite et à gauche d'une « lisse », sui- vant le dispositif déjà employé pour les forêts de Garrigueclave et de Giroussens. On y formera une seule série d'exploitation, malgré la surface relativement considérable de la forêt envisagée.

(r) Le procès-verbal de Froidour n'est pas clair en ce qui touche la contenance totale et les contenances partielles de la forêt. L'obscurité tient, peut-être, à ce qu'il s'est basé tantôt sur l'arpent des Eaux et Forêts, tantôt sur l'arpent de Toulouse ou quelque autre mesure locale. 132 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE

N° 12. — Réformation de la forêt de Bourse, en 1667 (Document conservé à l'Inspection d'Alençon, et dont un extrait forme la pièce justificative n° 9 de M. HUFFEL).

La forêt de Bourse a une contenance totale de 2.344 arpents. Son réformateur, Bernard-Hector de Marie, la divise, d'après la nature des bois et la qualité du fonds en quatre parties qu'il appelle des « espèces » et dont voici les caractéristiques :

I 7e espèce, 686 arpents, à mettre « en défends » pour un temps indé- terminé comme étant situés sur le meil- leur fonds. 2e espèce, 904 — à réduire en « coupes ordinaires de cent ans » comme pouvant « profiter » jusque-là. 3e espèce, 204 — à réduire en « coupes ordinaires de qua- rante ans». 4e espèce, 550 — à réduire en « coupes ordinaires de vingt- cinq ans ».

Chaque espèce correspond évidemment à ce que nous appelons aujourd'hui série d'exploitation, mais l'extrait du procès-verbal reproduit par M. HUFFEL ne fournit pas de renseignements sur la composition de ces séries, et en particulier sur le point de savoir si elles étaient d'un seul tenant. Comme, d'un autre côté, le cas offrait de l'intérêt pour mon étude, je me suis adressé à M. l'inspecteur Sergent qui a eu jadis à gérer la forêt de Bourse, et je l'ai prié de vouloir bien me donner les indications qui me manquaient. Il m'a appris ce qui suit : Les « espèces » sont composées de « triages », ou même de parties de « triages », disséminés dans la forêt entière; d'ailleurs celle-ci est formée de quatre morceaux séparés les uns des autres par de la plaine. La première « espèce » par exemple, comprend : Dans la « garde » de Montmiral, un « triage » en entier et une partie d'un autre « triage s. Dans la « garde » de la Boyère, deux « triages » en entier; Dans celle des Haut-Faîtes, dix-sept triages en entier. De même, les éléments constitutifs de la deuxième «espèce» ont été empruntés à trois « gardes » dont celles de Montmiral et des Haut- Faîtes mentionnées ci-dessus. Et ainsi de suite. Le morcellement des séries d'exploitation créées par Hector de Marle étaient donc poussé très loin et ce réformateur avait, en ce qui touche l'assiette des coupes, des idées peu différentes de celles . de son collègue Barrillon. LE TIRE ET AIRE 133 No 13. — Réformation de la forêt de Bercé, en 1667 (1). — D'après R. POTEL, a Du traitement en futaie... (op. cit. in R. E. F. (1 92 5). En 1669, le grand maître enquêteur Hurault de Saint-Denis et le député Le Féron visitèrent la forêt de Bercé de 8.309 arpents et pres- crivirent en 1672, un règlement général. Elle était divisée en six gardes et offrait à côté de 6.356 arpents en futaie de divers âges en bon état, 1.953 arpents ruinés et abattus. Un recépage de ceux-ci était prescrit dans le délai de huit ans, le surplus étant exploité à la révolution de 200 ans. En ce qui concerne l'assiette des coupes pratiquées avant la réfor- mation, il ressort de la description, d'après M. POTEL, qu'elles n'étaient généralement pas faites de proche en proche, les jeunes et vieilles ventes étant le plus souvent disséminées dans les divers cantons. Le surplus de l'étude ne permet pas de dégager les prescriptions des réformateurs quant aux règles d'assiette, ni la technique suivie après la réformation. Tout cependant permet de croire que le tire et aire classique n'était point de règle.

No 14. — Réformation des , forêts du Bourbonnais, en 1670 (Document dont des extraits forment la pièce justificative no 9 bis de M. HUFFEL).

Le procès-verbal rédigé par les réformateurs de Bercé, Hurault et Le Féron, concerne principalement les 18.300 arpents « en un seul corps » de la forêt de Tronçay. Ce célèbre massif, bien que « sittué dans un fond très propre à porter des bois de haute fustaye jusqu'à l'âge de deux cents ans » pré- sentait, paraît-il, un tel aspect de ruine que les réformateurs jugèrent à propos de le soumettre d'abord à un recépage général « en quatre vings années, à raison de deux cens arpens par chacun an... pour tenir lieu de ventes ordinaires ». Les extraits donnés par M. HUFFEL ne renferment, pour la durée de cette sorte de révolution transitoire, d'autre prescription d'assiette que celle-ci : « Les dits recépages... seront pris en trois différents cantons, tant pour la commodité du pays, que pour la facilité des bûcherons et charretiers, vente et débit des marchandises, mesme pour empêcher les délits... » Je me borne donc à constater que Hurault et Leferon ont créé, en vue du traitement temporaire dont il s'agit, trois séries d'exploi-

(r) Ajouté par l'éditeur. 134 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE tation entre lesquelles devaient se répartir les 200 arpents à mettre en vente chaque année. La composition de ces séries, leur degré de morcellement, la marche des coupes dans chacune d'elles demeurent ignorées de moi.

No 15. — Réformation de la forêt de la Braconne, en 1674 (Document conservé aux archives départementales de la Cha- rente et dont les extraits forment la pièce justificative no Io de M. HUFFEL). Cette forêt de 10.299 arpents a, comme celle de Tronçais, souffert de la part des riverains d'abus si énormes que FROIDOUR, chargé d'en opérer la réformation, diffère aussi l'aménagement en futaie jus- qu'à l'époque où l'on se rendra mieux compte de la façon dont le bois profite. Il est, en conséquence, d'avis de laisser s'écouler une période d'au moins douze ans pendant laquelle on recèpera « annuellement... la quantité de 500 arpents pour parvenir jusqu'au nombre de 6.000 D de bois de mauvaise qualité à réaliser à bref délai. Afin de satisfaire aux besoins locaux, on devra « asseoir les coupes (de recépage) en trois triages », c'est-à-dire séries. M. HUFFEL ne reproduit pas les indications détaillées que renferme le procès-verbal sur la formation des trois séries et sur l'ordre dans lequel les recépages devront parcourir chacune d'elles. Mais, dans une autre partie de l'extrait, relative aux « lisières ou orées » à laisser indéfiniment en taillis, je vois que les coupes sont à faire « sur le pied de la vingt- cinquième ou trentième partie » et qu'elles doivent aller de « proche en proche ». Ainsi, à la Braconne, comme ailleurs, l'exploitation en taillis repose sur le tire et aire contiguité.

No 16. — Réformation de la forêt de Lyons, en 1688 (Voir p. 356 à 361 de l'ouvrage de Noêl DUVAL DE LA LISSANDRIÉRE, intitulé : Traité universel des Eaux et Forêts, Paris, 1699) . La forêt de Lyons, d'une contenance de près de 22.000 arpents (I), a été l'objet d'un règlement proposé par Leferon du Plessis, Grand Maître des Eaux et Forêts de Normandie et sanctionné par un arrêt du Conseil du 20 juillet 1688 (2).

(r) La contenance totale exacte ne ressort pas des chiffres parfois contradictoires entre eux que le procès-verbal indique pour les contenances partielles. (2) D'après M. HUFFEL (op. cit., t. III, p. 248) ce Leferon du Plessis n'est autre que Jean Leferon qui a coopéré en «67o à la réformation de Tronçais (Voir plus haut, pièce n° 14). LE TIRE ET AIRE 135 Sur les quatre « verderies » (circonscriptions de verdiers ou gardes) que comprend la forêt en cause, Leferon du Plessis ne soumet au régime de la futaie que les deux premières, celles de Lyons et de Beauvoir, couvrant ensemble 18.600 arpents. La troisième verderie, dite du Neuf-Marché ,d'une surface de 1.60o arpents, sera traitée en « demie-futaye » à la révolution de 4o ans; la quatrième verderie, dite de Longchamp, 96o arpents, sera exploitée en taillis à la révo- lution de 25 ans; enfin 600 arpents environ, de mauvais bois de toute sorte, seront recépés pendant quinze ans, à raison de quarante arpents par an. Étant donné mon programme, je ne retiens de ce dispositif que la partie du règlement relative aux 18.600 arpents de futaie. Leferon du Plessis y fixe à 124 ans l'âge de maturité des massifs, ce qui met à 150 arpents l'étendue de la vente annuelle. Toutefois, cet « ordi- naire » ne sera pas d'un seul morceau, et sera réparti entre deux contrées : « scavoir, cent arpens de vente flottable sur les Rivières d'Andelles et de Lièvre, et cinquante arpens de vente non flottable ». Le partage de la section de futaie en deux séries de coupes, afin d'assurer l'écoulement des produits, est une mesure d'aménagement qui méritait une mention spéciale.

Ne 17. — Arrêt du Conseil du 26 mai 1714 portant aménage- ment de la forêt de l'Abbaye de Fontaine-Daniel, diocèse du Mans (Document dont les extraits forment la pièce justificative no 14 bis de M. HIFFEL) (GALLON, Conférence, 1752, t. I, p. 828). Le Roi ordonne que les 450 arpents non compris dans le quart en réserve « seront réglés en coupes ordinaires de futaies de l'âge de cent ans, à raison de quatre arpens et demi par an, à commencer en la présente année par les cantons les plus âgés et dépérissants, en continuant à l'avenir de proche en proche... à la charge de réserver par chacun arpent dix arbres chênes de l'âge du bois des mieux venants... ». Nous sommes donc ici, comme dans le cas de la forêt de Villemur (voir plus haut, no 9) en présence d'un aménagement de futaie à Ioo ans, d'après le principe du tire et aire contiguïté, avec cette circons- tance que le massif considéré est encore moins étendu que celui de Villemur.

No 18. — Réformation de la forêt de Fontainebleau, en 1716 (Original conservé à l'Inspection de Fontainebleau). Ainsi que nous l'avons vu au livre I, les 12.945 arpents que La Faluère juge seuls dignes d'être mis en coupes réglées, sont répartis en cinq groupes, suivant que les peuplements qui les garnissent seront 136 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE exploités à 3o, 5o, 8o, Ioo ou 120 ans. Le morcellement de cette sorte de séries est poussé à l'extrême, d'autant plus que les cinquante « triages » dont se compose, par exemple l'une d'elles, se trouvent emmêlés, non seulement avec des « triages» d'autres séries, mais encore avec des places vagues dépendant de la partie de forêt non aménagée. Le deuxième réformateur de Fontainebleau jette donc par dessus bord le principe du tire et aire contiguïté et considère surtout la nature des peuplements et leur état de végétation. S'il avait donné à son projet la forme d'un plan colorié où les « triages » d'un même groupe eussent reçu la même teinte, il aurait obtenu une mosaïque.

No 19. — Règlement pour la forêt de Vauclair, 1725 (Original conservé aux archives départementales de l'Aisne). La pièce se rapporte à un petit massif de 317 hectares, aujourd'hui domanial, qui appartenait avant 1790 à une abbaye de Cisterciens. Par décision du 8 novembre 1725, le Grand Maître au département de l'Ile de France ordonne qu'après la distraction de la réserve « qui sera conservée en l'état qu'elle est pour croître en futaye », on pro- cèdera « au règlement du surplus desdits bois en coupes ordinaires à l'âge de 25 ans et à la désignation d'icelles par première et dernière à tire et aire ». L'aménagement des taillis continue à se faire d'après le principe de la contiguïté des coupes.

NO 20. — Réformation des Forests de la maîtrise d'Arques, 1734. — Étude de M. DE LA SERRE, R. E. F., 1925 (t. 63, p. 115) (1). La forêt d'Arques de 925 hectares, est divisée en deux gardes et est soumise à une révolution de 98 ans. Celle d'Eawy, de 6.846 hec- tares, contient dix gardes et la révolution moyenne est de 167 ans. A chaque garde est attribuée une possibilité par contenance (qui a permis précisément à DE LA SERRE de calculer les durées de révo- lution non indiquées dans le règlement général de réformation. L'ordre des coupes est fixé par l'article 13 : « Ordonnons que les assiettes de ventes se feront de proche en proche, et toujours à la suite de la dernière vente usée, sur une même ligne droite, à commencer par les bois les plus âgés et sans aucune interruption sous quelque prétexte que ce soit. » Je note qu'il s'agit d'une réformation consécutive à des abus notoires des officiers locaux, et la rigidité de l'article ci-dessus est vraisemblablement en corrélation avec ceux-ci ; quoi qu'il en soit, la méthode prescrite ici viendrait étayer le tire et aire classique.

(r) Ajouté par l'éditeur. LE TIRE ET AIRE 137

NO 21. - Réformation de la forêt de Fontainebleau, en 1750 (Original conservé à l'Inspection de Fontainebleau). Par analogie à ce que j'ai fait pour les deux réformations anté- rieures (voir ci-dessus nos 3 et 18), je rappelle ici que le règlement de coupes de 1750 est très sommaire, mais que le registre de contrôle tenu jusqu'en 1770 nous indique la façon dont l'assiette a été entendue, et que cette façon ne ressemble guère à la méthode du tire et aire classique. De ce rapide examen je crois devoir tirer les conséquences suivantes : Sur 21 espèces examinées, II se rapportent à des futaies, 9 à des taillis. Pour ces derniers, le tire et aire, avec le sens de tire et aire contiguïté, est la règle ; nul n'a jamais songé à le contester. Il n'est toutefois pas sans intérêt de relever que l'expression tire et aire n'est pas nécessairement employée pour qualifier la marche des coupes. En ce qui concerne les futaies, je relève 3 cas sur 12 seu- lement où la marche des coupes est prescrite comme devant s'opérer de proche en proche (cas 9, 17 et 20). Il est remar- quable de constater que là, pas plus que pour les taillis, l'ex- pression de tire et aire s'impose à la plume des réformateurs.

CONCLUSION par Roger BLAIS

S'il avait été donné à Eugène REUSS d'achever son livre, il aurait tiré de ses recherches — nous le savons avec certitude — deux catégories de conclusions. Il aurait établi en premier lieu les principales caractéristiques du traitement des futaies feuillues -- notamment au point de vue de l'assiette des coupes — avant la fondation de l'École de Nancy et la promulgation du Code forestier. Ensuite il aurait décrit la gestation singulière qui a abouti à mettre en circulation sous le nom de tire et aire, une forme quintessenciée de ce trai- tement. Ses auteurs, faute de recherches historiques suffisantes, amputèrent l'ancien traitement de tout ce qu'il avait de souple, d'adapté aux conditions locales : ils firent une doctrine impé- rative, suprêmement logique et universelle, mais pleine de rai- deur. Pour nous, en cette année 1938 où nous publions cet ouvrage, nous sommes incité à ne pas revenir sur les traits de l'ancienne culture par suite notamment du dernier grand travail d'HUFFEL : Les méthodes de l'aménagement forestier en France. Encore que l'apport de REUSS, sur ce point, ne soit pas dénué d'originalité, c'est sur le second ordre de conclusions, en dégageant la légende du tire et aire, que nous voudrions mettre le point final à cette publication. Il faut partir nécessairement de la documentation rassemblée par REUSS, des sens divers que l'expression tire et aire a revêtus. Quelle que soit la manière, en effet, dont on recevra ces conclu- sions qui sont en substance les siennes, on ne saurait, croyons- nous, mettre en doute les résultats de son analyse philologique et historique, plus jamais on ne pourra se passer de faire appel à son tire et aire usance et à son tire et aire assiette, au 140 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE tire et aire règle d'action pour le bûcheron et au tire et aire règle d'action pour le forestier. Et à l'intérieur même de ce dernier sens, suivant que l'expression s'appesantira davantage sur tire ou sur aire, on fera apparaître la distinction entre le tire et aire contiguïté et le tire et aire intensité. Les définitions de REUSS ne procèdent pas d'une recherche de l'esprit en vue de donner immédiatement un contenu à des mots, elles sont nées après un véritable investissement des choses qui, cernées de plus en plus près, ont finalement été atteintes et définies. Ce travail fait, et seulement une fois fait, il n'y a plus d'in- convénient majeur à employer l'expression de tire et aire, chan- tante à nos oreilles de forestier, claironnante comme un coup de langue de piqueur au milieu du bois, évocatrice parce que archaïque, parce que riche, parce que complexe. Cette richesse implicite étant d'ailleurs, sans doute possible, à l'origine des confusions. Dans l'histoire de la sylviculture, l'Ordonnance de 1669, comme l'a bien vu HUFFEL, n'est pas à retenir. Elle a été le fondement d'un magnifique redressement du point de vue de la discipline et de l'ordre : elle n'est pas un monument de sylviculture. La méthode de traitement des taillis qu'on peut raisonna- blement appeler à tire et aire avec le sens de tire et aire conti- guïté était pratiquée d'ancienneté; elle s'identifie d'une façon singulière avec l'aménagement. Rien d'étonnant que partout où un redressement s'impose, là où on n'y comprend plus rien, on ait été amené, bien avant 1669, à généraliser cette prescrip- tion de contiguïté dans l'espace entre deux coupes successives dans le temps. Le livre III de la présente étude montre d'une manière déci- sive le souci croissant de la part du souverain de régler les coupes de son domaine. Cette prescription atteint son apogée dans l'édit de 1597 qui crée l'obligation impérative de couper de proche en proche. L'Ordonnance de 1669 ne renouvelle pas cette prescription, vraisemblablement restée lettre morte; elle n'impose pas le tire et aire contiguïté : l'enseignement de LORENTZ, de PARADE, etc... est donc erroné sur ce point. REUSS démonte avec sûreté le mécanisme de l'Ordonnance quant à l'assiette des coupes et LE TIRE ET AIRE I41 ramène à son objet propre, après HUFFEL, le fameux article II du titre XXV : cet article vise expressément le tire et aire usance qu'il rend obligatoire dans les forêts des communautés, mais peu à peu, ses interprétateurs : MASSÉ, CHAILLAND, BAUDRIL- LART l'ont abusivement étendu aux futaies avec le sens de tire et aire contiguïté. Ceux-ci, en même temps, commentaient de la façon la plus stricte les prescriptions relatives aux pieds- cor- niers que REUSS ramène à une pratique raisonnable. Le long du chemin, notamment à l'occasion de l'Ordonnance sur les Eaux et Forêts de Bretagne, REUSS a rencontré le tire et aire nommément désigné, mais avec le sens de tire et aire intensité. Cette prescription s'oppose aux exploitations par pieds d'arbres, c'est-à-dire à une pratique qui peut être cultu- ralement excellente mais qui, à des époques de gestion extensive et de contrôle difficile, se prête aux malversations et risque d'en- gendrer le désordre. REUSS n'a pas suivi l'évolution de ce tire et aire intensité, comme il l'a fait pour le tire et aire contiguïté. Son apport, à ce sujet, mérite cependant d'être relevé. Le tire et aire intensité signifie, rappelons-le, l'enlèvement en une seule fois d'une fraction considérable du matériel sur pied; en tant qu'il s'oppose au jardinage, il est légitime de dire après DUHAMEL DU MONCEAU que le tire et aire est conforme à l'esprit ou encore à la disposition générale de l'Ordonnance de 1669 (Cf. p. 87 du présent travail). On saisit maintenant le défaut de l'expression courante : réserves du tire et aire, pour désigner les plus vieux arbres des vieilles futaies qu'on suppose avoir vécu pendant deux révolutions. Elle n'est pas vicieuse en soi, mais on court le risque en l'employant d'arriver à caractériser le tire et aire par ces réserves mêmes, c'est-à-dire par ce qu'il n'est pas. Et le mythe de l'ancienne culture s'insinue dans la fissure. GURNAUD a poussé à un degré extrême et jusque dans ses dernières conséquences la théorie des réserves du tire et aire. REUSS a examiné avec son soin habituel les idées, sur ce point de détail, du fondateur du contrôle et les a réfutées dans l'an- nexe III du présent travail. Mentionnons incidemment ici le coup de théâtre auquel a donné lieu la mort du Chêne BOPPE en forêt de Bercé. Cet arbre magnifique, salué comme un vétéran 142 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE du tire et aire, s'est révélé à l'abatage à peine plus âgé que ses voisins (I) Il y a donc lieu à l'avenir d'être circonspect dans cette ma- tière et de se garder, prenant prétexte de la bonne mine de ces réserves ou soi-disantes réserves, de prôner un retour à l'an- cienne exploitation imprudemment qualifiée de tire et aire. A l'autre pôle, nous devons rejeter la formule trop souvent ren- contrée et par laquelle le tire et aire aurait appauvri les forêts. Le travail de REUSS, notamment le chapitre 2 du livre III, montre que la sylviculture de l'ancien régime était nuancée et souple. Avant lui déjà, BÉRAUD, PUTON nonobstant certaines erreurs, HUFFEL surtout, plus récemment POTEL avaient réagi dans le même sens contre une représentation simpliste et rigide. N'a-t-on pas vu ci-dessus DUVAUCEL prescrire dans la forêt de Fontainebleau les coupes de suite en suite, comme la seule véri- table façon de bien aménager une forêt, mais s'écarter en fait de ce principe chaque fois que les circonstances l'exigeaient. L'heure est venue de conclure : nous ne pensons pouvoir mieux faire que de reproduire une ébauche de la main même de REUSS notée au crayon en avril 1921. Ces conclusions ne sont pas enrichies de toutes les nuances que l'étude révèle et que REUSS n'eût pas manqué d'y apporter, mais nous aimons leur dessin ferme et nerveux : « I° Le traitement des futaies feuillues fut toujours assez diffé- rent de ce qu'on a enseigné pendant plus d'un demi-siècle et de ce que croient encore maintenant la plupart des forestiers qui s'intéressent à la question; 2° L'Ordonnance de 1669 n'a pas plus prescrit un traitement quelconque que le prétendu traitement à tire et aire; 30 La légende est née de ce que l'expression tire et aire a été employée depuis un temps immémorial dans différentes accep- tions, de ce que les auteurs ont souvent confondu ces acceptions entre elles et n'ont pas lu attentivement les textes où elles figu- raient, enfin de ce que les erreurs commises par des écrivains notables ont, en général, été transcrites, les yeux fermés, dans les ouvrages de leurs successeurs ». (r) Le chêne Boppe, par R. POTEL (Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 1936.) ANNEXE I

Exposé de la méthode dite à TIRE et AIRE telle que l'ont conçue LORENTZ et PARADE dans leur COURS de CULTURE

L'exposé sommaire dont il s'agit se trouve en tête du para- graphe 461 de l'article r, chapitre IV, livre III de l'édition princeps (1837) de l'ouvrage. Il est rédigé comme il suit :

Outre les forêts jardinées, il existe encore, en France, d'autres futaies irrégulières qui, le plus souvent, ont pour essences dominantes le chêne et le hêtre. Leur état est d'ordinaire peu satisfaisant et pro- vient, en général, du régime d'exploitation dit à tire et aire, auquel ces bois étaient soumis en vertu d'anciennes ordonnances. Ce régime, qui semble avoir été conçu dans le but de remédier aux nombreux abus nés du jardinage, consistait surtout à asseoir les coupes par contenances égales, de proche en proche, et sans rien laisser en arrière. Quant aux arbres de réserve, ils étaient peu nombreux dans les coupes, et celles-ci une fois vidées, restaient abandonnées pendant tout le cours de la révolution, sans que l'on y fît aucune exploitation, ni pour assurer les conditions de repeuplement naturel, ni pour favo- riser la croissance des jeunes bois. L'ordonnance des Eaux et Forêts de 1669, par exemple, qui a généralisé l'application du régime à tire et aire et dont les dispositions sont demeurées en vigueur jusqu'à la promulgation du Code forestier, portait que la réserve dans les coupes de futaie serait de dix arbres par arpent (20 par hectare); et du reste elle ne permettait point, ainsi que nous venons de le dire, que, dans une même révolution, ces coupes fussent soumises à plu- sieurs exploitations.

Le passage qu'on vient de lire est reproduit littéralement sans modification aucune dans la 3e édition (1855), et les auteurs y ont simplement ajouté, après les mots : « asseoir les coupes par contenances égales, de proche en proche et sans rien laisser en 1 44 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE arrière », un renvoi à une note au bas de la page ainsi libellée : « (I) Voyez Dictionnaire des Forêts, par BAUDRILLART, p. 913. » Dans la 4e édition (1860), le seul changement apporté au texte primitif du passage en cause est la substitution du mot mode au mot régime aux trois endroits où figurent ce dernier. Les textes de la 5e édition (1867) et de la 6e (1883) sont iden- tiques à ceux de la 4e. ANNEXE II

POSSIBILITÉ

Comme on l'a vu plus haut, à la page 57, M. HUFFEL, en défi- nissant la coupe à tire et aire, a eu recours à la notion de la possibilité. M'occuper ici à fond de cette dernière serait m'écarter du plan que je me suis tracé. Je crois toutefois devoir protester dès maintenant contre la thèse historique dont la possibilité a été l'objet de la part de M. HUFFEL. J'encombrerai de la sorte, je le sais, la présente étude d'une véritable digression; mais on m'excusera sans doute, en songeant que les longs espoirs sont interdits aux septuagénaires et que, si je ne saisissais pas l'oc- casion qui m'est offerte aujourd'hui de rectifier ce que je consi- dère comme une erreur de doctrine importante, je risquerais de disparaître avant de l'avoir signalée : or, il ne faut jamais, au moins en matière scientifique, laisser se perdre les parcelles de vérité qu'on s'imagine détenir. M. HUFFEL définit la possibilité : « La quotité du revenu assigné à la forêt par l'aménagement », ou, si l'on préfère, par le « règlement particulier établi pour l'exploitation ». Cette définition est parfaitement légitime; elle répond à l'un des concepts que l'on a en vue depuis près d'un siècle lorsqu'on traite de la possibilité. Ainsi, dans la terminologie actuelle, la possibilité d'UNE FORÉT est bien ce que l'on y exploite chaque année en vertu de l'amé- nagement en vigueur; l'on se sert, du reste, du terme quelque soit cet aménagement, qu'il soit bon ou mauvais, conservateur ou destructeur du capital ligneux, qu'il règle les coupes par volume, par contenance ou par pieds d'arbres; la seule varia- tion de sens que subisse le terme possibilité D'UNE FORÉT, c'est que ledit terme représente tantôt un nombre de mètres cubes,

ANN. FOREST. T. VII — FASC. I Io I46 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE tantôt un nombre d'arbres, suivant la manière dont l'aména- giste cherche à réaliser le rapport soutenu. De même, dans la terminologie actuelle, on entend par possi- bilité D'UNE COUPE OU D'UN GENRE DE COUPES (par exemple possibilité DES COUPES DE RÉGÉNÉRATION 011 possibilité PRIN- CIPALE, OU encore possibilité DES COUPES D'AMÉLIORATION), le volume, le nombre d'arbres ou le nombre d'hectares que le règlement d'exploitation prescrit d'abattre ou de parcourir à l'aide du genre de coupes considéré. Cette manière de s'ex- primer est, elle aussi, très légitime sinon très heureuse, et on saurait d'autant moins reprocher à un professeur de l'École nationale d'y avoir recours qu'elle a passé dans le langage officiel et que les décrets d'aménagement la sanctionnent. Mais, où M. HUFFEL montre une extrême hardiesse, c'est quand il affirme que la signification actuelle du mot possibilité était déjà « exactement » celle que donnait audit mot l'article Io de l'Ordonnance de 1583. Je ne vois pas que le texte de cet article autorise une pareille assertion, je n'y trouve d'ailleurs aucune définition de la possibilité et, du fait que les termes possibilité et impossibilité y figurent tous deux l'un à côté de l'autre, je tendrais à conclure que le rédacteur s'est servi du vocable non pas en le revêtant d'un sens technique spécial, mais en lui gardant le sens qu'il a encore aujourd'hui dans le langage ordinaire, lorsqu'on parle par exemple de la possibilité d'une mine, d'une source, d'une région, etc... (I). Tel semble au surplus avoir été le sens vague du mot possi- bilité dans tous les documents anciens que j'ai eus jusqu'à pré- sent entre les mains. Le terme n'est devenu que très tard une expression profes- sionnelle à sens précis. A ma connaissance, la première en date de toutes les défini-

(r) Edit de règlement de janvier 1583 (dans ROUSSEAU, op. cit.), art. ro : a Et parce que nos distes forêsts sont venues en la ruine et degasts où l'on les voit à présent... Nous voulons qu'il soit informé par les dits grands maîtres, leurs lieute- nants et maistres particuliers, de la possibilité et impossibilité de nos dites forêsts. U L'opinion exprimée par Reuss, nous paraît très sure. Le sens général du terme possibilité, se retrouve dans l'ordonnance de 1376. L'article 3o, consacré aux usagers limite les droits de ceux-ci « selon la possibilité des forests et la qualité des per- sonnes. » L'article 46 de l'Ordonnance de 1515 reproduit exactement les mêmes termes. R. B.) LE TIRE ET AIRE 147 tions dont la possibilité ait été l'objet est celle que donne le Cours de Culture de LoRENTZ et PARADE. En voici le libellé com- plet :

« On entend par possibilité la quotité des matières;qu'on peut retirer annuellement des forêts, sous la condition d'en maintenir la pro- duction constante autant que possible : résultat que nous exprimons par le terme de rapport soutenu. » Édition princeps de 1837, p. 128, § 3 1 9 (i).

Cette définition est le point de départ de tous les emplois qu'on a faits depuis lors, qu'on fait encore aujourd'hui du mot possibilité. Ledit mot y a le sens de chiffre d'exploitation, de taxe; c'est-à-dire qu'il désigne, soit un nombre d'unités de volume ou de surface, soit un nombre d'arbres fixé d'avance par un règlement de coupes. Je n'ai pas découvert, jusqu'ici, de publication antérieure au Cours de Culture où le mot ait le sens que je viens d'indiquer. Ce sens ne se rencontre pas, notam- ment, dans l'article 5 du titre XX de l'Ordonnance de 1669 que M. HUFFEL invoque aussi à l'appui de sa thèse. Il ne se trouve pas non plus dans d'autres articles de cette Ordonnance, ni dans le Code forestier de 1827. En 1825, quand BAUDRILLART publia son dictionnaire, il ignorait encore l'acception dont il s'agit : le petit article placé sous la rubrique Possibilité ne la mentionne pas et ne la laisse même pas pressentir. Au point où j'en suis dans mes recherches, la possibilité d'une forêt, au temps des maîtrises, était l'ensemble des éléments d'in- formation recueillis en vue d'établir un règlement de coupes conve- nable et non le résultat de ce règlement, non un chiffre, non une taxe. C'est précisément ce sens primitif d'élément d'information que possède le mot possibilité dans l'article Io de l'Ordonnance de 1583. Si on le lit avec soin, on constate en effet que la possibilité y représente une notion préalable à l'aménagement, un élément devant servir de base aux « tèglements particuliers » et non pas,

(i) En cette même année 1837, où Lorentz et Parade, faisaient paraître la 1 7e édi- tion de leur Cours de Culture, de Salomon, qui était alors directeur de l'École, publiait son Traité de l'Aménagement. Il est question (t. I, p. 321) « de la possibilité déter- minée par le travail de l'aménagement », laquelle est définie un peu plus loin (p. 322 par la quantité de bois à exploiter annuellement. 148 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE comme le déclare M. HUFFEL, la gnotité de revenu assigné â la forêt par l'aménagement. Attribuer aux contemporains d'Henri III un langage conforme à la définition formulée seulement deux siècles et demi plus tard par des fondateurs de l'École de Nancy, c'est commettre un anachronisme. Le sens de chiffre d'exploitation fixé par un règlement de coupes ne s'attache, je le répète, au mot possibilité que depuis l'époque relativement très récente où la foresterie est devenue un objet d'enseignement et a formé un corps de doctrines. En se livrant à ces considérations historiques sur la possibilité, M. HUFFEL semble avoir été influencé par les idées de PUTON (Voir le Traité d'Économie forestière de cet auteur, no 109).

Puisque je me suis lancé dans la digression qui précède, je n'aggraverai pas beaucoup mon cas en signalant dans le présent hors d'oeuvre, la façon curieuse dont un des plus anciens de nos écrivains forestiers, Jacques DE CHAUFFOURT, lieutenant-général des Eaux et Forêts au baillage de Gisors, a proposé, au début du xv11e siècle, de régler les coupes dans les forêts royales. Voici ce que nous apprend à cet égard son Instruction sur le Faict des Eaues et Forests (Paris, Jamet et Pierre Métayer, 1603) (1). Après avoir indiqué comment il fallait appliquer l'Ordonnance de 1573 et délimiter sur le terrain le nombre d'arpents fixé pour la coupe annuelle « ordinaire » (en dehors des triages à mettre « en réserve et en deffends »), CHAUFFOURT ajoute (recto du folio 54 de son ouvrage) : Il y a aussi un autre ordre que l'on pourroit tenir selon l'estat des Forests (l'état des peuplements envisagés). Seroit que, au lieu de certaine quantité d'arpens par chacun an, on ordonnast estre levée certaine somme d'argent selon que chacune Forest pourroit commo- dément porter, les charges déduictes. Pour laquelle somme on feroit autant de ventes de bois qu'il conviendroict, en prenant toujours

(r) L'ouvrage a été réédité en 1642 par l'auteur lui-même avec une liste a des lieux où l'on a accoustume mettre les relais pour faire la chasse au cerf r . LE TIRE ET AIRE 149 les lieux et trièges qui seroient le plus en dégast, plus fouliez du peuple et plus nécessaires de coupper; sans toutes fois que cela se fist dans aucun désordre et confusion. En quoy faisant, le meilleur bois demeureroit conservé pour la nécessité, et le pire osté pour en éviter la totalle perte. Tout cecy sera dict comme en passant seule- ment et par advertissement, l'effect dépendant de la seulle volonté de Sa Majesté.

Ainsi à une époque où la réglementation des coupes par conte- nance était encore une nouveauté (elle date officiellement de 1 544), et deux cents ans avant que les Allemands aient fixé à un certain volume la portion du matériel ligneux à exploiter chaque année dans chaque forêt, un de nos compatriotes a imaginé d'égaliser d'une année à l'autre le rendement en argent des coupes, sans se préoccuper directement des surfaces par- courues. Cette conception bizarre n'était pas viable, mais elle forme le point de départ de la voie qui a conduit à ce qu'on appelle maintenant la possibilité par volume, et elle méritait à ce titre d'être signalée. Elle montre combien la question du rap- port soutenu hantait déjà l'esprit des professionnels au début du xvile siècle.

ANNEXE III

TIRE ET AIRE ET JARDINAGE Système GURNAUD (I)

Dans mon exposé relatif aux divers sens du mot tire et aire (livre II, chap. II) j'ai fait complètement abstraction des écrits de GURNAUD, le forestier jurassien bien connu, dont la méthode, dite du Contrôle, a eu un certain retentissement à la fin du xixe siècle et qu'un groupe non négligeable de partisans applique et préconise encore aujourd'hui. Si l'on se rapporte aux nombreuses publications, échelonnées de 1858 à 1894, entre lesquelles se fragmente l'oeuvre de ce novateur, on y trouve des passages tels que les suivants :

Dans les forêts résineuses... cette méthode (celle du tire et aire) fut désignée par les populations sous le nom de jardinage. (Origine et Progrès des méthodes forestières. R. E. F., 1880, p. 243.) L'ordonnance de 1544 inaugura dans les futaies feuillues le régime à tire et aire qui s'étendit, dans la première moitié du xvitte siècle, aux forêts résineuses, sous le nom du jardinage. (Le Contrôle, Ibid., P. 542.) (2)- Le jardinage, qu'il faut éviter de confondre avec les pratiques grossières que l'on désigne souvent par ce mot, est lui-même un per- fectionnement du tire et aire. On voit, en effet, par les arrêts du

(s) Les lecteurs de Gurnaud ont tous remarqué son souci, souvent exprimé, de rat- tacher le contrôle aux vieilles traditions forestières françaises. Dès notre sortie de l'École, les aphorismes de La sylviculture française nous avaient plongés dans la plus grande perplexité. Reuss a eu le mérite d'essayer de voir clair dans cette ques- tion, c'est dire toute l'importance que nous attachons à cette étude. Est-il besoin d'ajouter que les pages pénétrantes qui suivent n'ébranlent en rien le contenu objectif du contrôle ! REUSS semble avoir varié sur la place à donner à cette étude. En dernier lieu, il en fit le livre III. Nous croyons préférable pour ne pas rompre la suite logique des recherches, d'en faire une simple annexe. (R. B.) (2) J'ai reproduit plus haut, p. 87, à propos de ce que j'appelle le tire et aire inten- sité, le passage de l'ordonnance de 1544 que Gurnaud vise ici. 152 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE conseil, que la coupe principale, dans la forêt jardinée, se fait par contenance et par nombre d'arbres, c'est-à-dire par volume, qu'elle se renouvelle régulièrement dans les mêmes assiettes à une période déterminée... Le jardinage procède donc bien du tire et aire, et le perfectionnement consiste dans ce que, sans cesser d'être prise par contenance, la possibilité est fixée par volume, d'après l'état de la forêt et les besoins de la consommation. (Le Contrôle et le Régime forestier, R. E. F., 1882, p. 6.) Le taillis sous futaie n'est autre que l'ancienne futaie à tire et aire parvenue jusqu'à nous avec ses imperfections primitives de plus en plus apparentes et auxquelles l'Administration n'a pas encore remé- dié. (Ibid., p. 7.) L'objectif de la méthode dite naturelle est le type de la forêt d'âge gradué; celui de la méthode à tire et aire est la forêt en bois de diffé- rents âges entremêlés dans une ordonnance particulière. (Ibid., p. Io.) Le tire et aire, qui s'était modifié lorsqu'il s'introduisit dans les sapinières, où il prit le nom de jardinage, se perfectionnait dans les forêts d'essence feuillue... lorsque l'on abandonna tout à coup et sans motif le tire et aire et le jardinage, pour adopter sans examen la méthode allemande. (La Sylviculture française, Besançon, Jacquin, 1884, p. 35 et 36.) De ces aphorismes qui renferment ample matière à contro- verse, je ne retiendrai que les assertions d'après lesquelles le jardinage et le taillis sous futaie, c'est-à-dire deux méthodes génératrices de peuplements inéquiennes, seraient des perfec- tionnements et par conséquent de simples modalités de l'ancien tire et aire, et se rattacheraient dès lors à ce vieux système d'exploitation. N'avons-nous pas vu pourtant que, parmi les significations du mot tire et aire, l'une des plus universellement admises est celle que je nomme tire et aire INTENSITÉ, qui implique l'abatage de presque tous les bois situés dans l'enceinte de la vente, et non la création d'un mélange intime de tiges de différents âges? Cette opposition entre le tire et aire d'une part, le jardinage et le taillis sous futaie de l'autre, n'a-t-elle pas été établie dès l'origine par les fondateurs de notre enseignement sylvicole? PUTON lui-même, tout en rompant sur quelques points avec le langage de ses prédécesseurs, ne déclare-t-il pas qu'on a fait fausse route chaque fois qu'on a envisagé le tire et aire comme autre chose que l'opposé du jardinage? Comment alors GURNAUD arrive-t-il à prétendre que le second LE TIRE ET AIRE 153 des deux modes est un perfectionnement du premier et que les forêts traitées à tire et aire se composent, ainsi que les forêts jardinées, de « bois de différents âges entremêlés dans une ordon- nance particulière »? Pour quels motifs, en suite de quelles cir- constances, se sépare-t-il du restant des forestiers sur ce point important de la terminologie professionnelle? J'ai cherché en vain, dans ses écrits, une réponse formelle à la question que je viens de poser : je ne l'ai trouvée nulle part; nulle part, d'ailleurs, Gurnaud ne définit ce mot de tire et aire dont il fait, pourtant, un si fréquent usage. J'ai été réduit dès lors à me livrer à des conjectures pour décou- vrir sa pensée, et voici, en définitive, l'argumentation plus ou moins consciente en vertu de laquelle il a été amené selon moi à grouper, sous la rubrique tire et aire des méthodes aussi distinctes les unes des autres que le tire et aire classique, le jar- dinage et le taillis sous futaie. Les sapinières de la province natale de GURNAUD paraissent avoir constitué la catégorie de forêts qu'il appréciait le plus et vers laquelle se tournait de préférence son esprit. Déjà avant leur incorporation dans la monarchie française, ces importants masifs semblent avoir été soumis à un mode de traitement appelé jardinage ; mais, comme le dit GURNAUD dans un des passages que j'ai reproduits ci-dessus, il ne faut pas confondre le système en question avec les exploitations barbares, par pieds d'arbres, pratiquées jusqu'au milieu du xvie siècle, sans règle et sans soins, dans toutes les forêts de France. Pour em- ployer le langage d'Ernest GUINIER (Aménagements des Futaies en Montagne (R. E. F., 1879, p. 246), le jardinage comtois était un système « raisonné, à opposer au « jardinage brutal » des époques antérieures » (I).

(r) Je me suis demandé si le nom de jardinage a été donné dès le début à la mé- thode perfectionnée dont parle Gurnaud. Jusqu'à présent, le texte le plus ancien où j'aie vu figurer ce nom et ses dérivés (jardiner, jardinatoire, etc.) est, non pas un document d'origine comtoise ou se rap- portant à une forêt de Franche-Comté, mais un document lorrain, à savoir le règle- ment donné à Lunéville en 1707 par le duc Léopold, et dont M. Huffel a cité un extrait sous le n° 14 de ses pièces justificatives (Eton. for., t. III, p. 258-259). Le règlement manuscrit du ter avril 1717, rédigé, paraît-il, par Maclot (Voir HUFFEL, pièces justificatives no 16), ne renferme pas l'expression en cause; ou tout au moins, cette expression ne se trouve pas dans les extraits cités par M. Huffel. Dans l'état actuel de mes recherches, le plus vieux des documents originaires de 1 54 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE Après 1678, quand le traité de Nimègue eut confirmé Louis XIV dans la possession de la Franche-Comté, les officiers des maîtrises nouvellement instituées se demandèrent proba- blement si le jardinage serait maintenu, ou si l'on appliquerait un mode d'exploitation plus en harmonie avec les principes de l'Ordonnance de 1669 (I). MACLOT, qui avait occupé la grande maîtrise de Champagne, fut délégué pour résoudre la ques- tion (2). Il la trancha en faveur du maintien des coupes jardi- natoires; mais j'ignore s'il modifia beaucoup les errements suivis sous la domination espagnole ou s'il n'y ajouta que peu de chose de son crû. En tous cas, le système qu'il fit appliquer porte aujourd'hui son nom. Le jardinage à la MACLOT consistait à extraire, chaque année, de la forêt envisagée (ou de la portion de cette forêt prise comme unité de gestion, ce que nous appelons aujourd'hui une série) un certain nombre d'arbres d'un minimum de grosseur choisis parmi « les plus anciens, secs, morts en cime, dépérissants et hors d'état de profiter » (3). Mais, au lieu de prendre les tiges exploitables çà et là, suivant l'inspiration du moment, sans plan d'ensemble, on partageait la forêt en un certain nombre d'as- siettes ou divisions, par exemple une dizaine, numérotées de proche en proche, affectées chacune à la coupe d'un exercice, et

Franche-Comté où apparaisse le mot jardiner est l'arrêt du Conseil du 29 août 1730 (Baudrillart en a inséré dans ses Règlemens un extrait que M. Huffel a reproduit en partie, sous le n° 27 de ses pièces justificatives). Il est possible cependant que la coupe méthodique par pieds d'arbres, tout en étant pratiquée en Lorraine dés 17o7, ait été d'abord imaginée en Franche-Comté et ait reçu plus tard le nom de jardinage dans cette dernière province. Je laisse à un chercheur futur le soin d'éclaircir ce mystère. J'ajoute que les ordonnances royales de »544 et de 2669 parlent seulement de coupes par pieds d'arbre . et non de jardinage. Le premier ouvrage scientifique où je constate la présence du verbe jardiner est le Traité des Semis et Plantations de DUHAMEL, publié en 1760. On y lit ce passage : w Il est absolument nécessaire de n'abattre les sapinières que par éclaircissement et en jardinant. » (1) Je rappelle d'ailleurs que l'ordonnance ne pose en matière sylvicole qu'un certain nombre de principes très larges : elle ne prescrit d'une façon formelle aucune méthode étroitement définie. (2) Voir HUFFEL, Écon. for., t. III, p. 262. Je ne possède pas sur Maclot, sa per- sonne, sa carrière, sa mission en Franche-Comté, un aperçu plus complet que celui donné par le professeur de Nancy. Je constate seulement dans un arrêt du Conseil du 29 mars 1712 (GALLON, Conférence, édition de 2725, t. II, p. 168 à »82) qu'à l'époque du dit arrêt Maclot était encore Grand Maitre du département de Cham- pagne. (3) Règlement Maclot du Ie1 avril 1727. Voir HUFFEL, Écots. for., t. III, p. 262. LE TIRE ET AIRE 155 dans chacune desquelles on revenait, au bout du laps de temps indiqué par le nombre des assiettes. On se conformait, en d'au- tres termes, pour l'ordre des exploitations, au principe que je nomme le tire et aire contiguïté (i). Or, c'est précisément à cause de ce numérotage de proche en proche des assiettes établies pour les coupes jardinatoires que GURNAUD semble devoir considérer le jardinage comtois comme un perfectionnement de l'ancien tire et aire. De l'expression tire et aire, il n'a retenu que le sens appelé par moi tire et aire contiguïté, et, du fait que la règle du tire et aire contiguïté était en vigueur dans les deux méthodes, il a conclu que celles-ci avaient entre elles d'étroites affinités et devaient porter le même nom. Il a complètement perdu de vue que des deux méthodes en présence, l'une comporte des coupes intensives et crée des peu- plement équiennes, tandis que, si l'on applique l'autre, on n'opère, dans chaque assiette, que des abatages très modérés, sauf à y revenir à des intervalles très fréquents et à y constituer peu à peu un mélange intime de leur intensité. En vertu de la termi- nologie de LORENTZ et PARADE qui a prévalu dans le monde sylvicole, seules sont dites à tire et aire les futaies où la réserve se réduit à un petit nombre de baliveaux (par exemple au chiffre de dix à l'arpent mentionné à l'article 11 du titre XV de l'Ordonnance de 1669) et où le peuplement garde son carac- tère équienne. Quand le facteur réserve est assez important pour qu'on doive envisager l'ensemble du massif comme composé de tiges de différents âges, la futaie peut recevoir un autre nom quelconque, mais elle n'est plus qualifiée futaie du tire et aire. Voilà, je le répète, ce qui a été tacitement mais universellement convenu entre professionnels. Or, GURNAUD ne se soumet pas à cet usage et il emploie l'expression futaie à tire et aire aussi bien dans le cas d'une réserve abondante que dans celui d'une réserve rare ou nulle. Bien plus, il présente le maintien, dans chaque assiette, de bali- veaux nombreux appartenant à diverses catégories de grosseur,

(r) Voir GURNAUD, Le Contr6le en Sylviculture. Les Plans d'Exploitation de courte durée, Besançon, 1886. — C. MOUGENOT, La Forét domaniale de Levier. Paris, Lucien Laveur, 1912. 156 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE comme une caractéristique de l'ancien traitement des futaies feuillues. Il va même plus loin encore. On garde de la lecture de ses ouvrages l'impression que sa futaie à tire et aire inéquienne s'obtenait et se perpétuait d'une façon très systématique : les arbres qui la formaient se répartissaient suivant leur âge et leur grosseur en plusieurs classes nettement spécifiées; le nombre de sujets attribué à chaque classe dépendait du degré d'impor- tance qu'on voulait donner à la réserve et était déterminé par la considération du rapport soutenu; le renouvellement pro- gressif de cette réserve à l'aide de jeunes baliveaux avait lieu, non seulement au terme de la révolution de futaie adoptée, mais encore pendant la durée de celle-ci, au quart de révolution, ou à mi-révolution, ce qu'on exprimait en disant que les bois destinés à devenir futaies étaient arrivés à l'état de quarts de futaies ou de demi-futaies; le nombre d'assiettes délimitées une fois pour toutes sur le terrain ,en vue de la vente des bois et numérotées de proche en proche (conformément à ce que j'ap- pelle tire et aire contiguïté) était égal au nombre d'années, non pas de la révolution de futaie, mais du quart ou de la moitié de cette révolution, par exemple égale à 25 ou 50 si la révolu- tion était de ioo ans, etc... Je demeure, je l'avoue, assez incrédule en face de ces asser- tions, ne serait-ce qu'à cause de l'anachronisme dont est enta- chée l'une d'entre elles. En effet, l'idée de diviser les révolutions de futaies, en parties aliquotes appelées périodes et d'exécuter au cours de ces révolutions des coupes intermédiaires, c'est-à- dire des opérations analogues à nos éclaircies, parait n'avoir été réalisée pratiquement en France que vers l'époque où fut créé notre enseignement technique. Et cependant, reconnaissons-le, la conception du quart de futaie et celle de la demi-futaie, auxquelles se réfère GURNAUD sont bien antérieures au xixe siècle, puisque FROIDOUR les men- tionne déjà en 1668, dans son Instruction (iLe partie, p. 9 et Io) : la thèse de GURNAUD peut donc renfermer une dose de vérité. Pour pouvoir concilier ces observations divergentes, il faut se rappeler un fait généralement perdu de vue, c'est qu'avant l'ap- parition du Cours de Culture de LORENTZ et PARADE, les fores- LE TIRE ET AIRE 157 tiers de France ne distinguaient pas les trois régimes aujour- d'hui si universellement admis, de la futaie, du taillis et du taillis sous futaie, et songeaient encore moins à fonder une classification des méthodes culturales sur la manière dont on régénère les massifs. Ils différenciaient les taillis des futaies en déclarant que les premiers étaient de jeunes bois propres seule- ment au chauffage, tandis que les secondes consistaient en groupes d'arbres ayant atteint au moins un certain âge et une certaine grosseur et fournissaient du bois d'oeuvre : nos pères n'avaient pas nommé et défini comme un régime propre ce que les fondateurs de l'École de Nancy ont appelé taillis sous futaie. Dès que les jeunes bois feuillus, fussent-ils tous des rejets de souche, étaient surmontés d'une quantité notable de tiges desti- nées à acquérir de fortes dimensions, le peuplement ainsi cons- titué pouvait recevoir, dans son ensemble, la dénomination de futaie, tout aussi bien que celle de taillis (1). Or, GURNAUD paraît en être resté, pour ce qui touche les « ré- gimes », aux idées qui régnaient dans nos milieux sylvicoles avant que l'enseignement de LORENTZ et PARADE y eût pénétré. Si nous parcourons ses écrits, nous voyons que pour lui, le taillis sous futaie est non pas un régime spécial, mais seulement une des formes de la futaie à tire et aire, et qu'il rattache à ce der- nier type la méthode qui, pour tous ses contemporains, était depuis longtemps dénommée taillis sous futaie ou taillis com- posé (2). Dès lors, de ce fait qu'il englobe dans sa définition de la futaie à tire et aire le cas de la réserve nombreuse superposée aux jeunes bois, il conclut à un deuxième trait de ressemblance entre la futaie à tire et aire et la futaie jardinée. (On se rappelle que le

(r) Le Dictionnaire des Eaux et Forêts de BAUDRILLART, publié de 1823 à 1825, renferme un article consacré au mot futaie où l'auteur traite de l'éducation et de la régénération des futaies en massif; un autre article intitulé taillis concerne les bois coupés jeunes; MAIS LA RUBRIQUE taillis sous futaie N'EXISTE NULLE PART, et je n'ai trouvé dans aucun endroit de l'ouvrage la mention du concept qui répond aujourd'hui à ce dernier vocable. (2) L'article de la Revue de 1882 déjà citée plus haut renferme, à la page 7, la phrase suivante, qui est une justification péremptoire de mon dire : e Le taillis sous futaie n'est autre que l'ancienne futaie à tire et aire parvenue jusqu'à nous avec ses imperfections primitives de plus en plus apparentes et auxquelles l'Administration n'a pas encore remédié. n 158 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE premier caractère commun réside dans le numérotage de proche en proche des assiettes des coupes annuelles.) Voilà la façon dont je m'explique l'énonciation paradoxale de GURNAUD. Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'explication n'est pas ici synonyme de justification. Sans doute chaque auteur a le droit de définir comme il l'entend les termes techniques aux- quels il a recours (l'essentiel est qu'il demeure toujours fidèle à la définition adoptée, et tel a été GURNAUD au cas particulier). Mais quand il revêt, sans avertissement préalable, une expres- sion classique d'un sens nouveau très distinct du sens usuel, il se soucie vraiment trop peu de la clarté du langage. En somme, il a embrouillé la question du tire et aire plus encore qu'elle ne l'était déjà avant lui (I).

(r) Les inventeurs, et Gurnaud en est un, n'ont pas coutume de mettre l'accent sur ce qui les rattache à d'autres, mais sur ce qui les distingue. L'appréciation de Reuss admise, il est ban de faire bénéficier Gurnaud de cette remarque. (R. B.) INDEX DES NOMS DE PERSONNES

BAGNERIS, 14, 42. DRALET, 6, 48, 71, 73, 81, 88, BARRILLON D'AMONCOURT, 26 à 95, 112, 113, 12I à 123. 34, 42, 63, 126, 127. DUBREUIL, I06. BARTE DE SAINTE-FARE, II. DUHAMEL (DU MONCEAU), 6, 69, BARTET, 3. 73, 121, 141, 154. BAUDRILLART, passim. DUMONT, 90. BAZELAIRE, 57. DURANT, 92, 98, I00, IOI. BÉRAUD, 14, 142. DUVAL (DE LA LISSANDRIARE), BLAIS, 7, 72. 134. BOPPE, 3. DUVAUCEL, 2 7, 35 à 4 2 , 8 7, 8 9, BROILLARD, 3, 14, 25, 72. 142. BROWN, 15. FALUÈRE (LA), 2 BUFFON, 6. 7. 3 2 à 35, 42, 135. CAND, 27. FERAMUS, 18, 19, I28. FERNOW, 64. CANY, 32. CARTIGNY, 27. FISCHER, 64. FLEURY, I00, 108. CÉZARD, 56. FROIDOUR, 6, 27, 85, 88, 103, 104, CHAILLAND, 49, 51, 58, 89, 118, 141. 109, 128 à 131, 156. CHAUFFOURT, IO2, I03, I08, 148. GALLON, 69, 72, 80, 90, I28, CHEYSSAC, 37. 1 35, 1 54. CLAUSSE, I00. GOBLET (D'ALVIELLA), 7. COINCY (DE), 37. GRANGER, 27. COLBERT (Jean -Baptiste), 18, 6o, GUIOT, 73, 8g. Io8, 114, 123. GURNAUD, 141, 151 à 158. COLBERT (Charles), 18, 128. GUYOT, 15. COURTAGNON, 89. HENRIQUEZ, I24. DALLOZ, 82, 84. HERBET, 74. DALMON, 27. Houzi, 97. DEROY, 27. HUFFEL, 55 à 65 et passim. DOMET, 2 7, 37. HURAULT, 133. 16o UNE LÉGENDE FORESTIÉRE

JACQUEMART, 37. PARADE, passim. JoussE, 20, 24, 109. PECQUET, 79, 80, 88, 92, ii6, 125. PLINGUET, 37. KOLB, I I. POTEL, 7, 133, 142. PUTON, 47 à 55 et passim. LALLEMAND DE LESTRÉE, 16, 26. RÉAUMUR, 6. LARMINAT (DE), II, ROSTAING, 97. LE FÉRON, 1 33, 1 34. ROUSSEAU, 8 7, 92, 93, 95, 96, LE Duc (Philibert). 90. 98, Ioo à ro8, 146. LORENTZ, passim. SAINCT-YON, 56, 70, 73, 76, 88, MACLOT, 121, 1 53, 1 54. 9o, 9 1 , 92 , 94, 104, 106, 107. MAISSIAT, 14. SALOMON (DE), 147. MARLE, 132. SERRE (DE LA), 136. MASSÉ, 69, 73, 90, 118, 141. SESSEVALLE, I16. MEAUME, 82, 84, 97. TELLÉS (D'ACOSTA), 28. MOUGENOT, 155. MOUGIN, 7. VAILLANT, 5. VARENNE (DE FENILLE), 6. NANQUETTE, 14. VAULOT, 73, 74. NOEL, 69, 7 2 , 73, 89. VENEL, II, 56. A FOREST MYTH

THE " TIRE ET AIRE "

This work was wrotten by Eugène Reuss (1847-1926) who was lecturer in second for the lectures on the forest management at the Ecole Nationale des Eaux et Forêts from 1880 to 1889.

Reuss, Alsatian by origin, was quite master of the german language; he devoted a part of his works to get the forets management and the forest organisation of the german countries known.

Let us quote specially :

Study on the forest experimentation in Germany and in

Austria in Annales de la Science agronomique, 1884; The Spessart

Forest, in Annales de la Science agronomique, 1896; The Forest teaching in Austria and in Bavaria, Annales de la Science agro- nomique, 18851 The Baron of Seckendorf, Revue des Eaux et Forêts, 1887; The Forest Management in Saxony (on the pseu- donym of Reaumont in Revue des Eaux et Forêts, 1885; The

Qualified Selection System, report on the work by Tichy « Der qualifizierte planterbetrieb, , 1891, », etc.

In 1896 Reuss published a work on the International Forest

Exhibition of 1884 in Edinburgh.

Reuss is died leaving unfinished a voluminous manuscript on the question of the " Tire et Aire " (system of clear — cutting by successive compartments leaving 6 to 8 standards per acre).

It is known that this point out currently the chief method of forest management used by the french foresters on the " Ancien

Régime ".

The study of Reuss is built on the knowledge of numerous texts of archives, concerning specially the famous forest of

Fontainebleau that he managed from 1897 to 1911 and from

1914 to 1918, and on the conscientious and methodic abstr acts

A:^N. FORJST. - T. VII - FASC. I I62 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE of the old forest works, specially of the collections of the regula- tions of the XVII° century. This manuscript was revised, often curtailed, sometimes completed by Mr. Blais, inspecteur des Eaux et Forêts, à Nancy, who, besides, gave an introduction and a conclusion. This study includes 3 book :

Book I. — The author, in a kind of autobiography, indicates how he came to doubt the classic position of the problem of the " Tire et Aire ". He does so a serious criticism of the authors who preceded him and gives the first complete account of the Great Reformations of the forest of Fontainebleau.

Book II. — The author scrutinizes the different forms of the expression " Tire et Aire ". It is one of the most important parts of the book. A philological and historical analysis leads him to distinguish the " Tire et Aire " commonage (or tire et aire wood cutter from the " Tire et Aire location ". In the first case the " Tire et Aire " gives to the wood cutter the obligation for cutting in following and for making ground clean. In the second case, it is equivalent to a rule of location of fellings. This last case assumes also modalities. If you lay a stress on the word " Tire ", you are led to the " Tire et Aire contiguity " which is equivalent to the prescription of marking two successive fellings in following, from place to place. If, on the contrary, you lay a tress on the word " Aire ", that is to say, on the idea of empty space, you are led to the " tire et aire intensity " which can be expressed by the rule of removing alltogether, at the time of the felling, the greater part of the growing stock. The " Tire et Aire intensity " is then alike the clean felling.

Book III. — These distinctions been done, Reuss examines the notion of " tire et aire " in general texts and in ones peculiar to some forests. He reviews so very suggestively our old forest bills. Amongst the results of this important study, it is right to point out essentially, that the old method of high forests mana- LE TIRE ET AIRE 163 gement does not include the prescription of felling from place to place. The reality was much more compliant, much more shaded, ant it is wrongfully that the famous ordonnance of Colbert 1669 was made to mean that it ordered the " Tire et Aire " as a method of forest management. It is a very good exemple of scientific method which is given by the author when he concludes : " The myth sprung from that the expression " "Tire et Aire " was used from immemorial time in various respects; from that the authors have often involved these respects between them and have not attentively read the text where they were; lastly from that the mistake committed by authors of note have been, generally speaking, transcribed, with eyes shut, in the works of their sucessors." It is right to point out that the professor Huffel in his famous works on the forest history, had already criticized, very ear- nestly, the silly and as all of a lump, way, in which the old french sylviculture was fancied. The researchs of Eugène Reuss, on this point, undertaken before the ones of Gustave Huffel and drawn out during all his life bring, on their posthumous form, something new. The french forest history, in order to be known in an adequate man- ner, will require many general or regional monographies. Eu- gène Reuss contributed by this work to light some dark recesses of our forest past time. The publication of that important general monography put to the disposal of the seekers a tool of first value. (Trad. G. RABOUILLa). EINE FORSTLICHE LEGENDE

TIRE ET AIRE

Diese Arbeit entstammt der Feder Eugen Reuss's (1847-1927), der von 1880 bis 1889 an der forstlichen Hochschule Vorlesungen über Forsteinrichtung hielt. Als Elsässer beherrschte Reuss die deutsche Sprache voll- kommen : so ist ein Teil seiner Arbeiten der Forsteinrichtung und der Organisation der Fortsverwaltung in den deutschen Ländern gewidmet. Hierunter wären zu erwähnen : Étude sur l'expérimentation forestière en Allemagne et en Au- triche (Annales de la Science agronomique, 1884). La forêt du Spessart (id., 1886). L'enseignement forestier en Autriche et en Bavière (id., 1885). Le baron de Seckendorf (Revue des Eaux et Forêts, 1887). L'aménagement des forêts en Saxe (unter dem Pseu- donym Reaumont in der Revue des Eaux et Forêts, 1885). Le jardinage qualifié (id., 1885). Bericht über die Abhandlung Tichy's « Der qualifizierte Plenterbetrieb », München, 1891. Im Jahre 1886 veröffentlichte Reuss eine Arbeit über die internationale Forstausstellung von 1884 zu Edinburg. Bei seinem Tode hinterliess Reuss ein beträchtliches, aber unvollendetes Manuscript über die Frage des « Tire et Aire ». Wie bekannt, bezeichnet man geläufig unter diesem Namen die unter dem alten Regime in erster Linie angewandte Wirtschafts- methode. Reuss basiert sich in seiner Studie auf die Keuntnisse, die er aus zahlreichen Archivtexten erworben hatte, insbesondere aus denen, die ben berühmten Wald von Fontainebleau betreffen und den er selbst von 1897 bis 1911 und von 1914 bis 1918 verwaltet hat; dann stützt er sich auch auf eine sorgfältige und LE TIRE ET AIRE 165 methodische Analyse der älteren Fortswerke, wobei haupt- sächlich die Sammlung der Ordonnanzen aus dem XVI. Jahr- hundert zu nennen sind. R. Biais, Inspecteur adjoint des Eaux et Forêts in Nancy, hat dieses Manuscript durchgesehen, vielfach abgekürzt und zum Teil auch vervollständigt und hat dazu eine Einleitung und eine Schlussfolgerung geschrieben. Diese Studie umfasst drei Bücher :

Erstes Buch. — In einer Art Selbstb ographie gibt der Ver- fasser an, wie er dazu kommt, an der klassischen Stellung zum Problem des « Tire et Aire » zu zweifeln. Er übt ernste Kritik an den Autoren, die ihm vorangegangen sind, und schreibt als erster eine vollständige Abhandlung über die grossen im Wald von Fontainebleau durchgeführten Reformen.

Zweites Buch. — Der Verfasser untersucht die verschiedenen Formen und den Sinn des Begriffes « Tire et aire ». Es handelt sich hier um den bedeutesten Teil dieses Buches. Durch eine philologische und historische Analyse wird der Verfasser dazu geführt, einen Unterschied zwischen dem nach Brauch gehand- habten « Tire et aire » (oder Holzhauer — tire et aire) und dem auf planmässiger Wirtschaft aufgebauten «Tire et aire » zu machen. Im ersten Falle zwingt genannte Bewirtschaftung den Holz- hauer fortschreitend zu hauen und aufzuarbeiten; im zweiten Falle handelt es sich hingegen um regelrechte Schlageinteilung. Letztere Auslegung zeigt wiederum verschiedene Modalitäten Stützt man sich hauptsächlich auf das Wort « tire », so kann von « Angrenzen » gesprochen werden, was wiederum bedeutet, dass zwei sich folgende Schläge zur Auszeichnung bestimmt sind. Legt man im Gegenteil mehr Gewicht auf das Wort « aire », das heisst auf den Begriff der « leeren Fläche », so bedeutet dies intensive « tire et aire — Wirtschaft », wobei als Regel gilt, auf einmal, gelegentlich des Schlages, möglichst viel Material zu entnehmen. Diese Wirtschaftsart gleicht dann dem Kahlhieb.

Drittes Buch. — Nachdem Reuss diese Unterschiede hervor- gehoben hat, prüft er den Begriff « Tire et aire » an Hand von 166 UNE LÉGENDE FORESTIÈRE allgemeinen Texten und solcher, die sich besonders auf die gegebenen Waldungen beziehen. So behandelt er eingehend und nacheinander unsere ältesten Forstedikte. Unter den Resultaten dieser bedeutenden Studie wäre hautp- sächlich hervorzuheben, dass in der alten Hochwaldwirtschaft eine Vorschrift hinsichtlich der räumlichen Iliebsfolge nicht bestand. In der Wirklichkeit war die Bewirtschaftung viel geschmeidiger, viel nuancierter, sodass unter anderem auch zu Unrecht behauptet wurde, die berühmte Ordonnanz Colbert's (1669) hätte die Methode des « Tire et aire » als Einrichtungs- methode vorgeschrieben. Ein gutes Beispiel wissenschaftlicher Methode gibt uns der Verfasser in seiner Schlussfolgerung : « Die Legende hat ihren Ursprung darin, dass der Ausdruck « Tire et aire » seit undenklicher Zeit unter verschiedenartigen Begriffen angewandt wurde, dass die Autoren diese Begriffe öfters untereinander verwechselten, dass sie die Texte, in denen sie vorkamen, nicht sorgfältig durchlasen und dass endlich die von bekannten Schriftstellern begangenen Irrtümer von ihren Nachfolgern blindlings in ihren Werken übernommen wurden ». Es ist nicht mehr als billig zu erwähnen, dass es Professor Huffel war, der in seinen berühmten, forstgeschichtlichen Wer- ken heftige Kritik an der einfältigen und starren Auslegung übte, unter der man sich die alte französische, unter dem Namen « Tire et aire » bekannte Waldbaumethode vorstellte. Die Forschungen Eugen Reuss's, die denen Gustav Huffel's vorangehen und die der Autor während seiner ganzen Lebzeit fortgesetzt hat, bringen in der Form ihres literarischen Nachlasses viel neues. Die französische Forstgeschichte kann nur dann genügend bekannt werden, wenn zahlreiche Monographien allge- meinen und regionalen Charakters geschrieben werden. Eugène Reuss hat dazu beigetragen, dunkle Stellen unserer forstlichen Vergangenheit zu beleuchten; die Veröffentlichung dieser bedeut- samen, allgemeinen Monographie ist für die Forscher ein Werk- zeug ersten Ranges. (Trad. G. MuctER).