Une Légende Forestière LE TIRE ET AIRE
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Une légende forestière LE TIRE ET AIRE Étude historique sur l'ancien traitement des futaies feuillues, envisagé au point de vue de l'assiette des coupes Par Eugène REUSS CONSERVATEUR HONORAIRE DES EAUX ET FORETS CORRESPONDANT DE I. ' ACADBNIE D 'AGRICULTURE Publié par Reger BLAIS INSPECTEUR-ADJOINT DES EAUX ET PORTS EUGÉNE REUSS DANS LA FORÉT DE FONTAINEBLEAU Eugène REUSS (1847-1926) Eugène REUSS est né à Saverne le 19 décembre 1847, d'une famille dont on possède la généalogie jusqu'à la Réforme. Édouard REUSS, une des gloires de l'ancienne faculté de Théo- logie protestante de Strasbourg, était son oncle ; Rodolphe REUSS, le célèbre historien de l'Alsace, son cousin. REUSS entra à l'École forestière en 1868 avec la 45e promotion; il en sortit major en juillet 187o, pour être incorporé dans la garde mobile de Strasbourg. Nommé à Villers-Cotterêts comme garde général, il y resta huit ans. Après un court séjour à Paris, il fut appelé comme répéti- teur à l'École forestière en remplacement de BROILLARD (188o) et y enseigna l'aménagement et l'économie politique pendant neuf ans. En 1889, il fut nommé inspecteur à Alger, et en 1897 à Fon- tainebleau où il demeura jusqu'à la retraite (1912). Il reprit du service pendant toute la guerre et assuma la gestion de son ancienne Inspection. Il décéda à Fontainebleau le 17 avril 1926. Ses publications les plus importantes s'échelonnèrent de 1885 à 1895. Plusieurs d'entre elles ont été rédigées en collaboration avec BOPPE ou avec BARTET. Parmi ses travaux les plus importants, signalons, outre son Cours d'aménagement, deux articles parus dans la Revue des Eaux et Forêts sous le pseudonyme de REAUMONT : 1' « Aménagement des forêts en Saxe » (1889) et le « 9ardinage qualifié » (1895). INTRODUCTION Par R. BLAIS. Dans son étude sur l'aménagement des forêts en Saxe (1), parue en 1889, REUSS, dessinant à grands traits le développement de notre sylviculture, montre qu'elle a pour substratum la science germanique du commencement du siècle, puis il écrit : « Si au lieu de cela, ou à côté de cela, elle avait des racines plus profondes dans notre propre passé, nous devrions certainement nous en réjouir. J'applaudis donc énergiquement aux travaux encore trop peu nombreux, hélas ! qui font connaître le mode d'exploitation et l'état de nos forêts avant 1789. » Excellent germaniste, REUSS se dissimule moins que personne l'ef- fort accompli en matière forestière par les Allemands, les Autrichiens. Mais il a la connaissance obscure de tout un effort proprement fran- çais et il aspire fortement à le mieux connaître. Alsacien exilé d'Alsace, il ne peut regarder à l'Est qu'avec serrement de coeur. Aussi quel apaisement, quelle réjouissance, si sans altérer la vérité, tout au contraire, en la servant, on arrivait par des fouilles et des déblaie- ments, à exhumer de notre propre passé des racines intactes à partir desquelles on pourrait reconstituer l'arbre de notre vieil art forestier. C'est là une noble idée d'Eugène REUSS. S'il l'a imparfaitement réalisée, il appartenait à un autre Alsacien de prendre l'outil et de restituer notre passé forestier, de nous faire découvrir notre patri- moine. Oui, à la lumière de cette filiation l'oeuvre historique de Gustave HÜFFEL nous paraît acquérir un nouveau prestige. Dans le sub- conscient peut-être, l'élève et le successeur de REUSS a épousé la nostalgie du maître et du compatriote et c'est à juste titre que M. le Conservateur VAILLANT a écrit dans la remarquable biographie consacrée à son maître que HÜFFEL a « surtout mis en lumière l'origine (I) L'aménagement des forêts en Saxe. Sous le pseudonyme de REAUMONT. (R. E. F., 1889.) 6 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE bien française de certaines notions considérées souvent et à tort comme nées outre-Rhin, mais en réalité oeuvre de nos devanciers d'il y a deux siècles; il a rappelé que nous pouvons à bon droit nous enor- gueillir de RÉAUMUR, BUFFON, DUHAMEL DU MONCEAU, VARENNE DE FENILLE, FROIDOUR, DRALET et tant d'autres que son érudition a cités et que l'aménagement des forêts fut, dès ses débuts, une science française » (I). Ainsi se trouvent unis, de la manière la plus heureuse, REUSS et HÜFFEL, le maître et le disciple; et un disciple peut-être plus grand que le maître sans lui porter ombrage. De toutes façons, notons-le, l'éditeur de l'ouvrage posthume de REUSS sur le tire et aire devait se poser une question préjudicielle à cause précisément de l'ceuvre historique de Gustave HUFFEL. Ne devait-il pas apprécier l'importance de l'apport propre de REUSS par rapport à l'état actuel de notre littérature forestière? REUSS a pu, dans son cours d'aménagement autographié, formuler quelque timide restriction sur les rapports couramment admis entre l'ordonnance de 1669 et le tire et aire; il a pu écrire en 1910 sur un carton : « Ce dossier renferme les notes que je prends depuis une trentaine d'années, en vue d'un travail destiné à établir qu'avant 1827 les forêts n'étaient pas traitées, comme le prétendent tous les auteurs, suivant un mode appelé tire et aire. La réfutation de cette erreur colossale est le principal objectif que je vise en tant que fores- tier et ancien professeur... » Il n'y a de priorité en matière scienti- fique que lorsque la pensée est exprimée! Or HüFFEL a dénoncé dans son Économie forestière parue en 1904 la légende du tire et aire. Plus tard, en 1927, dans son précieux travail sur Les Méthodes de l'Aménagement forestier en France (2), il n'use même plus de l'expression tire et aire dans le texte, et n'en fait mention que dans de simples notes (p. 66, note 2; p. 148, note 1). Prêt et parti le premier pour le combat, on peut arriver après la bataille. Tel peut être le cas de REUSS. Remarquons qu'après avoir procédé, vers 1911 seulement, à une lecture attentive et sympathique de l'Économie forestière, REUSS (1) Gustave Hüffel (1859-1 935), par H. VAILLANT. Ann., t. V, f. 3, 1 935. HiiFFEL, de la 55e promotion de l'École (1881) fut élève de REUSS. Il fut appelé à lui succéder en 1889. (z) Ann., 1927. LE TIRE ET AIRE 7 jugeait utile de poursuivre et de publier ses propres recherches. Son ouvrage même contient la justification détaillée de cette décision. Nous dirons dans un instant pourquoi nous nous sommes rangé à son avis. Quant aux travaux plus récents, que REUSS n'a pas connus, il n'y a pas lieu de s'y arrêter longuement. Le plus important, dû à POTEL (I), constitue une reprise explicite des thèses de HÜFFEL avec leur application dans la forêt de Bercé, si bien connue de l'auteur. Et si M. l'inspecteur général MouGix, dans son histoire des forêts de Savoie, M. GOBLET D'ALVIELLA dans celle des forêts belges, parlent du tire et aire, ils n'en font qu'une rapide et sommaire mention (2). La circulaire no 907 de la Direction générale (8 avril 1924) dans le précieux et précis tour d'horizon qu'elle donne des méthodes d'amé- nagement mentionne rapidement une méthode par contenance « à tire et aire ». On y reconnaît une évidente inspiration d'HÜFFEL. Il conviendrait bien, pour être complet, de signaler que notre ouvrage sur « La conversion » (3) relate à plusieurs reprises les mé- thodes de tire et aire; nous sommes certain que Reuss aurait soumis à son crible impitoyable nos pages sur la question; nous aurions, certes, été inculpé de chercher à infuser un renouveau de vie à un complexe abusivement enrichi par des imaginations successives mais nous sommes sûr que nous aurions échappé à l'accusation d'avoir une fois de plus compliqué le problème. Sans insister davantage, pré- sentons le tire et aire d'Eugène REUSS. REUSS a laissé un manuscrit d'une soixantaine de pages définitive- ment rédigé, un manuscrit non définitif et inachevé faisant suite au (1) Du traitement en futaie par le mode dit « d tire et aire » et de son application dans les futaies feuillues de l'Ouest, spécialement en forêt de Bercé, par POTEL. (R. E. F., juin-juillet 1925.) (2) MOUGIN, Les Forêts de Savoie. Paris, 1919. Les coupes à blanc étoc, si fréquentes alors (sous le régime des lettres patentes du duc Charles Félix : 15 octobre 1822) étaient pratiquées à tire et aire ou en damiers plus ou moins irréguliers (p. 542). n GOBLET D'ALVIELLA, Histoire des bois et forêts de Belgique, tome II, 1927. « Du système de la coupe à blanc avec repos de cinq ans consécutifs à l'exploita- tion et replantations, nulle trace dans les documents relatifs à l'aménagement de la forêt (de Soignes) jusqu'à la fin de l'ancien régime. Bien au contraire, nous voyons continuer la méthode du tire et aire avec tentative de régénération naturelle au moyen de semenciers laissés debout sur le sol de la coupe et avec léger regarnissage (p. 1 94) . s Cf. aussi p. 117. (3) R. BLAIS, Une grande querelle forestière : La conversion. Paris, 1936. 8 UNE LÉGENDE FORESTIÉRE précédent, des notes enfin. Appelé à dépouiller ces documents, remis par sa veuve à l'École forestière en 1 935, nous fûmes frappé par l'im- portance et la qualité du travail accumulé et nous entreprîmes, avec l'assentiment de M. le Directeur de l'École, de mettre cet ouvrage en valeur (1). Nous avons essentiellement pratiqué la fidélité spirituelle et nous n'avons pas craint de faire des coupures même dans la partie achevée, afin de l'équilibrer avec le surplus.