“ZYX Music”. Les Dérives Continentales De L'italo Disco
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Volume ! La revue des musiques populaires 15 : 1 | 2018 Varia “ZYX music”. Les dérives continentales de l’italo disco “ZYX music”. The Continental Chronicle of Italo Disco Philippe Birgy Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/volume/6023 DOI : 10.4000/volume.6023 ISSN : 1950-568X Éditeur Association Mélanie Seteun Édition imprimée Date de publication : 5 décembre 2018 Pagination : 5-21 ISBN : 978-2-913169-45-6 ISSN : 1634-5495 Référence électronique Philippe Birgy, « “ZYX music”. Les dérives continentales de l’italo disco », Volume ! [En ligne], 15 : 1 | 2018, mis en ligne le 05 décembre 2021, consulté le 13 janvier 2021. URL : http:// journals.openedition.org/volume/6023 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.6023 L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun de ce discours polémique que nous souhaitons examiner ici music Article afin d’envisager l’italo disco comme arrangement discursif et comme opérateur assurant par intérim la continuation ZYX d’une formation subculturelle antérieure. Mots-clés : italo disco / authenticité / club culture / « ZYX music » postmodernité / EDM Les dérives Abstract: Italo disco, as a field of musical production, has frequently been described as the missing link between continentales Disco and the alternative electronic dancing scenes which developed in America in the late eighties. Its extreme vitality de l’italo disco throughout a period of eight years (1979-1986) is evidenced by a very large range of productions, bearing proof to its continued existence. Certainly Italo disco has lent itself to Par Philippe Birgy (Université Toulouse II such purpose and it is this very capacity which is at issue, Jean Jaurès) because Italo disco did not possess any of the features which would have made it an efficacious operator of collective Résumé : L’italo disco, en tant que champ de production subcultural practice. Though a minor and deviant genre, it musicale, a fréquemment été décrit comme le chaînon was also evidently a by-product of the consumer society manquant entre le disco et les scènes musicales alterna- without subcultural legitimacy, and could not claim for itself 15 tives qui se développèrent en Amérique du Nord à la fin des any authenticity. Nor did it endeavor to do so, thereby circu- 1 années 1980. Son histoire sur une période d’environ huit ans mventing and problematizing the underground/mainstream est attestée par un très large éventail de productions qui dichotomy. All attempts at defining it as a genre have been témoignent d’une vitalité et d’une persistance remarquables. thwarted by the complex criss-crossing of influences and L’italo disco s’est certainement prêté à ces fins, mais c’est interactions which fragment its supposed unity. précisément sa capacité à jouer ce rôle de passeur qui But pragmatically, and to all purposes, the label Italo disco pose problème : sans lien direct avec un substrat local, has obtained and generated a consensus around it, making faisant fi de toute identité ou intégrité artistique et disposé it possible for listeners and users to communicate through it. à s’accommoder des circonstances de sa marchandisation, Accordingly, it might be more conducive to a scholarly assess- il ne semblait posséder aux yeux de ses détracteurs aucun ment to envisage Italo disco as a discursive arrangement, des traits définitoires qui auraient pu en faire un vecteur an operator in the structuration of subcultural constructs. de pratiques subculturelles collectives ou communau- taires. Toutes les tentatives de description du genre ont été Keywords: italo disco / authenticity / club culture / postmodernity / EDM compliquées par le réseau intriqué des interactions et des influences croisées qui fragmentaient son unité supposée. Néanmoins, en pratique, et à toutes fins utiles, l’italo disco L’italo disco est fréquemment décrit 1 a permis le maintien d’une « culture des clubs » tout comme comme le chaînon manquant entre le disco et l’entretien d’un dialogue entre ses producteurs, ses auditeurs et ses usagers, toutes choses qui supposaient, bien que Article l’appellation elle-même fut disputée, l’établissement d’un 1 On retrouve ce récit dans les ouvrages de référence « consensus » au sujet de son existence. Ce sont les éléments musicaux (voir par exemple Ray, 2013 : 147 ; 187), 5 les scènes de musique de danse alternatives subculturelle, et ne pourrait faire valoir qui se développèrent en Amérique du Nord aucune authenticité. Il n’aurait d’ailleurs dans la seconde moitié des années 1980. Mais jamais fait preuve d’aucune velléité de cet là où l’avènement du disco, d’une part, et ordre, contournant et problématisant ainsi Philippe Birgy Philippe l’émergence de la culture du clubbing d’autre la dichotomie underground/mainstream. part, ont été abondamment documentés, Les tentatives de réhabilitation de l’italo disco a rarement reçu d’attention cri- l’italo disco ainsi que son « anthologisation » tique en tant que phénomène général. En se résument encore aujourd’hui le plus sou- effet, il est chargé de paradoxes qui semblent vent à l’épopée ou à la chronique. Lorsque interdire son inscription dans un récit d’agen- ses défenseurs en ont fait l’anthologie, ils tivité artistique et de subversion créative en ont systématiquement passé les produc- ou dans une geste héroïque. Il semble pré- tions au crible pour n’en retenir que les com- cisément incarner ce contre quoi les contre- positions « prégnantes » ou « séminales » cultures oppositionnelles s’appuient pour dotées d’un pouvoir d’engendrement ou faire saillie et s’affirmer en décrochement. d’une fonction de matrice. C’est ainsi qu’on L’italo disco est d’un avis assez uni- entendra répéter combien certaines compo- forme une démonstration d’opportunisme. sitions on pu fertiliser la techno américaine. En lieu et place d’une expression authentique, Les noms de BHW, Charlie, Gino Soccio, profondément motivée, donc sincère, et d’un Doctor Cat, Klein + M.B.O, Kasso, Kano, enracinement dans un substrat culturel garan- Lectric Worker, Mr. Flagio ou Amin Peck tissant le caractère « naturel » de sa croissance, étaient ainsi retenus par opposition à la vaste il se serait contenté, aux yeux de ses détrac- masse indistincte des produits supposément teurs, de formules convenues, se développant dénués d’âme et tournés vers le passé, mal- exclusivement à la faveur des besoins et des heureusement tributaires d’une tradition attentes fixées par le marché (voir notamment médiocre de reprises orchestrales, passive- Straw, 2008). Quoique mineur et déviant, le ment dépendants des conventions dépassées genre est aussi manifestement un produit de de la chanson ou de la variété (de Ryan Paris, la société de consommation, sans légitimité P. Lion, Gazebo, Savage, Miko Mission et RAF jusqu’à Ken Laszlo, Baltimora and Spagnia 2). Une telle distinction, pourtant, occulte totalement la contradiction inhérente les sites dédiés au genre historique (comme http:// à l’italo disco. italodiscoradio.com) dont les contenus sont dupliqués sur de nombreuses pages de fans, les forums, En effet, la contradiction qui nous occu- les blogs (comme http://freethoughtblogs.com/ pera dans ces pages n’est pas tant que l’opinion nataliereed) jusqu’aux sites dédiés à l’actualité des musiques de danse contemporaines : « L’Europe n’a pas cessé d’adorer et de faire fructifier le disco. On pourrait croire que ce que j’affirme là, c’est la supériorité de l’Europe sur les États Unis. Eh bien, en 2 Voir l’interview de Mike Simonetti et Bottin l’occurrence, c’est exact. Dans cette période d’entre- (https://thump.vice.com) et les forums spécialisés deux, l’Europe a fait de la dance music un gigantesque (http://www.discomusic.com/forums/showthread. empire et elle l’a revendu direct aux États-Unis, par php/1903-/page2). Même les laudateurs de l’italo wagons entiers. » (https://boilerroom.tv/i-predict-a- disco reprennent cette distinction (Verrina, 2013 : 6 riot-the-edm-crackdown) 31-32). se scinde en deux camps adverses à son sujet, pré-conditionnent toute identification de music mais que deux évaluations contraires (valo- ses produits et de ses manifestations à des risante et dévalorisante) s’affrontent au sein fins d’étude, nous insisterons sur les aspects des mêmes discours. langagiers de la mise en récit de l’italo disco ZYX Nous exposerons dans un premier et sur l’articulation de cette lignée épisodique temps la chronique de l’italo disco, qui s’ef- dans laquelle l’italo disco se présente struc- force de retracer le lignage présumé du genre. turellement et ontologiquement comme un Nous insisterons sur les liens que cette chro- maillon faible : d’où le glissement des termes, nique tisse avec les origines américaines les stratégies de dissimulations et de recodage du genre et comment elle s’immisce dans qui recouvrent ses incertitudes identitaires. l’histoire « globale » du disco 3. Il nous sera Nous observerons en particulier un élé- donc nécessaire d’en passer par une récapi- ment de la critique idéologique et esthétique tulation pour repérer les points d’ancrage du de l’italo disco qui le place en décrochage vis- genre étudié : sa modularité, ses formules à-vis de ces précédents : nous viserons ici la toutes faites et son montage en séquences discontinuité résultant de son découpage en et en strates. segments stéréotypés. Ces coupures auraient, Dans un second temps, nous nous inter- selon ses détracteurs, compromis son authen- rogerons de manière critique sur tout ce qui, ticité, son intégrité et son organicité en le dans les témoignages, contredit le principe séparant du « flux vital » des influences, tout de succession qui est pourtant posé comme autant que des fluctuations et variations qui 15 garant de l’historicité du genre. Nous observe- seraient le propre de l’expressivité humaine. 1 rons ainsi les combinaisons et superpositions d’une série de segments incluant la Hi-nrg, la new wave, l’électro-pop, l’euro-disco, La fable des origines pour en relever les désajointements et les contradictions, ceci notamment en nous de l’italo disco appuyant sur la notion d’asynchronie, déjà pensée par Ernst Bloch et Henri Lefebvre, De nombreux commentateurs s’ac- qui désigne une forme de développement cordent sur le constat selon lequel le disco historique non-linéaire.