Catalogue de la Collection du Frac Normandie Caen

2002 2014 SOMMAIRE / CONTENTS

Vues d’expositions 8 Exhibition views

Index des artistes et des auteurs 61 Artists and authors index

Préfaces 69 Forewords Fabienne Buccio, Préfète de la région Normandie et Préfète de la Seine-Maritime / Prefect, Normandie Region; Prefect, Seine-Maritime Hervé Morin, Président du Conseil régional de Normandie / President of the Conseil Régional de Normandie Bernard Millet, Président du Frac Normandie Caen / President of the FRAC Normandie Caen Sylvie Froux, Directrice du Frac Normandie Caen / Director of the FRAC Normandie Caen

Essais

Essays Au-delà des ruines / Beyond Ruins 78 Alice Laguarda Polymorphisme de la sculpture d’aujourd’hui / The Polymorphism of Contemporary Sculptures 98 Valérie Da Costa De près et de loin, regards désynchronisés sur notre histoire contemporaine / Near and Far: Desynchronised Perspectives of Our Contemporary History 116 Cécile Bourne-Farrell

Œuvres de la collection 126 Works from the collection

Appendices 407 Appendix

Expositions / Exhibitions

Publications / Publications

Conseil d’administration depuis 2002 / Executive Board since 2002

Comité d’acquisition depuis 2002 / Acquisition Committee since 2002 Vues d’exposition Exhibition views Vue de l’exposition « Martine Aballéa : Pink Jungle Nightclub » au Frac en 2OO2

8 9 Vues de l’exposition « Bruno Peinado : After Hate » au Frac en 2OO3 ; de gauche à droite : Sans titre, 2OO3 ; Sans titre, Remix Cubes, 2OO3 ; Sans titre, Goethe Mit Uns, 2OO3 ; Sans titre, 2OO3 ; Sans titre, 2OO3

10 11 Installation de l’artiste Damien Deroubaix pour l’exposition « Ah Dieu ! Que la guerre est jolie » au Frac en 2OO5

12 13 Vue de l’exposition « Échos d’époque » au musée des Beaux-Arts de Caen en 2OO5 ; de gauche à droite : Martine Aballéa, Chagrins infestés, Compassions fétides, Espoirs moisis, Larmes caustiques de la série « Épaves du désir », 1995 ; Laurent Malone, Salpêtrière, 1992 ; Kristina Solomoukha, Documents, 2OO4 ; Raymond Hains, Sans titre, 1976 ; Philippe Durand, Cours théoriques de la série « Crois-moi », 2OO1 ; Philip-Lorca diCorcia, Tokyo, 1994 / Collection Frac Normandie Caen

14 15 Vue de l’exposition « Børre Sæthre » au Frac en 2OO5 dans le cadre du festival « Les Boréales »

16 17 Vue de l’exposition « Gloria Friedmann : Mammalia » au Pavillon Normandie, à Caen en 2OO5 ; au premier plan : Gloria Friedmann, Kwiktime Osama, 2OO5, Collection Frac Normandie Caen

18 19 Vue de l’exposition « Pascal Pinaud : white de blanc » au Frac en 2OO6 ; de gauche à droite : PPP, 2OO6 ; Semences N°9, 2OO3 ; Semence n°1O SO3O12O, 2OO3, Collection Frac Normandie Caen ; Semence n°7, 2OO3 ; Moulin à prières d’angle, 2O11 ; Rosaces, 2OO6

20 21 Vue de l’exposition « Une proposition de Mathieu Mercier (collections Frac Haute-Normandie et Basse- Normandie) » au Frac en 2OO6 ; de gauche à droite : Bruno Peinado, Sans titre, Luxe interior, 2OO4, collection Frac Normandie Caen ; Tobias Rehberger, Smoking, Listening, for Himself - I Care About You Because You Do, 1996, collection Frac Normandie Rouen ; Bernard Piffaretti, (Sans titre), 1997, Collection Frac Normandie Caen ; Alain Séchas, French Lovers, 1997, collection Frac Normandie Rouen

22 23 Vue de l’exposition « Berdaguer & Péjus : Disparaître ici – Dreamland » au Frac en 2OO7 ; Jardin psychologique, 2OO6, collection privée, courtesy Galerie Martine Aboucaya

24 25 Vue de l’exposition « Taroop & Glabel : l’instinct des modules » au Frac en 2OO7 ; en bas à droite : Beuglophone électrique, 2OO7, Collection Frac Normandie Caen

26 27 Vue de l’installation Entrer dans la nuit de la nuit (I’m an Animal) pour l’exposition « Myriam Mechita : entrer dans la nuit de la nuit (I’m an Animal) » au Frac en 2OO8

28 29 Vue de l’exposition « Olivier Nottellet : bivouac et autre salle de sport » au Frac en 2OO8 ; Bivouac, 2OO8 ; La Mine, 2OO7

30 31 Vues de l’exposition « Bernard Joisten : illimité » au Frac en 2OO9 / mécénat de Forbo Sarlino, Comptoir Seigneurie Gauthier et La Maison du Document / CopyCaen

32 33 Vue de l’exposition « Anita Molinero » au Frac en 2OO9

34 35 Vue de l’exposition « À nous deux (collections Frac Basse-Normandie et Haute-Normandie) » à l’abbaye aux Dames de Caen en 2OO9 ; de gauche à droite : Renaud Auguste- Dormeuil, The Day Before_Star System, 2OO4, collection Frac Normandie Caen ; Marc Hamandjian, L’Échappée, 1993, collection Frac Normandie Rouen ; Myriam Mechita, Territoires rêvés, 2OO8, Collection Frac Normandie Caen

36 37 Vue de l’exposition « Philippe Durand : cabotage » au Frac en 2O1O ; Toubabou (musée), 2O1O, collection Frac Normandie Caen

38 39 Vue de l’exposition « Bernard Quesniaux : mais… » au Frac en 2O1O ; La Question du socle #2, 2O1O, Collection Frac Normandie Caen ; Surface à tableau, 2O1O ; Chien purement inventé, 2O1O

40 41 Vue de l’exposition « Stéphane Thidet : du vent » au Frac en 2O11 ; Fantôme, 2O11 (mécénat : Renault Trucks et Société Penvins)

42 43 Vue de l’exposition « Collection Frac Basse- Normandie » à l’Usine Utopik de Tessy-sur-Vire en 2O11 ; Kristina Solomoukha, Light House, 2OO3 ; Alain Séchas, Photomatou, 2OO7 ; Lilian Bourgeat, Chaise, 2OO8 ; Didier Marcel, Sans titre (Prefab Church, d’après E.T.), 2OO9 ; Gauthier Leroy, The XX Century’s Wolf, 2OO7 ; Bruno Peinado, Sans titre, Influenza Rainbow Warriors, 2OO3 ; Myriam Mechita, Territoires rêvés, 2OO8 ; Pascal Pinaud Peintre, Avant Gard Blu Mercedes (O2A17), 2OO2, Collection Frac Normandie Caen

44 45 Vue de l’exposition « Amy O’Neill : Victory Garden » au Frac en 2O12 ; Victory Garden, production Centre culturel suisse, Paris

46 47 Vue de l’exposition « Julien Prévieux : 1O12O » au Frac en 2O12 ; La Totalité des propositions vraies (avant), 2OO9

48 49 Extrait du film La Soupe américaine réalisé par Jordi Colomer et présenté au Frac en 2O13 dans l’exposition « Jordi Colomer : La Soupe américaine / The American Soup » ; Michel Blazy, produit mousse, cuisine du UK 1OO de M. Vesque

50 51 Vue de l’exposition « Spencer Finch : peindre l’air » au Pavillon Normandie Caen en 2O13

52 53 Vue de l’exposition « Séverine Hubard : on n’a jamais été si proche » au Frac en 2O14 ; installation ZIG-ZAG, 2O14

54 55 Vue de l’installation REEF, 2O14 présentée lors de l’exposition de Simon Faithfull « Récif 1, Antipode » au Frac en 2O14, réalisée dans le cadre du programme européen de coopération trans- frontalière INTERREG IV A France (Manche) - Angleterre, cofinancé par le FEDER

56 57 Vue de l’exposition « Gare et connexion : Chérie-Chérie, collection Frac Basse-Normandie » à la gare de Trouville- Deauville en 2O14 ; Piero Gilardi, Spiaggia con Nautilus, 2OO9 ; Dominique Figarella, Sans titre, 2O13; Delphine Coindet, Chérie, Chérie, 2OO6, Collection Frac Normandie Caen

58 59 Index des artistes / List of artists

Martine Aballéa 126 A Scoli Acosta 128 Saâdane Afif 130 Wilfrid Almendra 134 Jean-Luc André 136 Knut Åsdam 138 Michel Aubry 140 Renaud Auguste-Dormeuil 144 Adela Babanová 146 B Bertille Bak 148 Élisabeth Ballet 150 Virginie Barré 152 Yves Bélorgey 154 Berdaguer & Péjus 156 Bertran Berrenger 158 Hervé Bezet 160 Olivier Blanckart 162 Michel Blazy 164 Véronique Boudier 168 Lilian Bourgeat 170 Alain Bublex 172 Peter Buggenhout 174

Sophie Calle 176 C Boris Chouvellon 178 Claude Closky 180 Benoit Grimbert 244 Delphine Coindet 184 Bénédicte Hébert 248 H Martha Colburn 186 Jeppe Hein 250 Jordi Colomer 188 Hedwig Houben 252 Alexandre da Cunha 192 Séverine Hubard 254 François Curlet 194 Joël Hubaut 256

Philippe Decrauzat 196 D Lydie Jean-Dit-Pannel 258 J Koenraad Dedobbeleer 198 Sven ’t Jolle 260 Anne Deguelle 200 Véronique Joumard 262 Damien Deroubaix 202 Valérie Jouve 266 Dewar & Gicquel 204 Žilvinas Kempinas 268 K Marcel Dinahet 206 Ian Kiaer 270 documentation céline duval 208 Carlos Kusnir 272 Noël Dolla 210 Philippe Kuznicki 274 George Dupin 212 Lucas L’Hermitte 276 L Philippe Durand 216 Emmanuelle Lainé 278 Ida Ekblad 220 E Micha Laury 280 Franck Eon 222 Bertrand Lavier 282

Leo Fabrizio 224 F Laurent Le Deunff 284 Dominique Figarella 228 Simon Le Ruez 286 Gregory Forstner 230 Farida Le Suavé 288 Charles Fréger 232 Ange Leccia 290 Gloria Friedmann 234 Bernard Legay 292 Bernard Frize 236 Gauthier Leroy 294 Meschac Gaba 238 G Maria Loboda 298 Christiane Geoffroy 240 Mac Adams 300 M Piero Gilardi 242 Made in Éric 302

Éric Madeleine 304 Sophie Ristelhueber 360 Gilles Mahé 306 Martha Rosler 362 Didier Marcel 308 Jacqueline Salmon 364 S Maude Maris 310 Éric Sandillon 366 Matthieu Martin 312 Pierre Savatier 368 Philippe Mayaux 314 Hans Schabus 370 Myriam Mechita 316 Franck Scurti 372 Anita Molinero 318 Alain Séchas 374 Tania Mouraud 320 Bruno Serralongue 376 Musée Khômbol 322 Hrafnkell Sigurðsson 380 Hajnal Nemeth 324 N Kristina Solomoukha 382

Olivier Nottellet 326 Taroop & Glabel 384 T Amy O’Neill 328 O Zin Taylor 386 Paulien Oltheten 330 Patrick Tosani 388 ORLAN 332 Pekka Turunen 390 Florence Paradeis 336 P Jean-Luc Verna 392 V Pascal Pinaud Peintre 338 Stéphane Vigny 394 Pierre Paulin 340 Camille Virot 396 Bruno Peinado 342 Christoph Weber 398 W Estefanía Peñafiel Loaiza 344 Raphaël Zarka 400 Mick Peter 346 Brigitte Zieger 402 Z Guillaume Pilet 348 Présence Panchounette 350 Julien Prévieux 352

Bernard Quesniaux 354 Q Hugues Reip 356 R Georges Rey 358 Index des auteurs / List of authors

Alain Berland A.B. Cécile Bourne-Farrell C.B.-F. Caroline Caillet C.C. François Coadou F.C. Valérie Da Costa V.D.C. Fabien Danesi F.D. Camille Debrabant C.D. Anaïd Demir A.D. Jérémie Elalouf J.E. Frédéric Emprou F.E. Fabien Faure F.F. Sylvie Froux S.F. Claire Kueny C.K. Alice Laguarda A.L. Marie Lechner M.L. Sarah Lubineau S.L. Valérie Mavridorakis V.M. Catherine Mayeur C.M. Hélène Meisel H.M. Adeena Mey A.M. Eva Prouteau E.P. Camille Prunet C.P. Isabelle Rocton I.R. Nikoleta Tsagkari N.T. Fabienne Buccio Préfète de la région Normandie Préfète de la Seine-Maritime Fabienne Buccio Prefect, Normandie Region Prefect, Seine-Maritime Depuis 1983, le Frac Normandie Caen assure l’acqui- sition, la présentation et la médiation d’œuvres d’art contemporain pour le public le plus large. D’Olivier Debré à Duane Michals, de la peinture à la photogra- phie, d’Ernest Pignon-Ernest à Nils-Udo, de l’art dans Since 1983, the Frac Normandie Caen has been l’espace urbain au land art, la collection reflète tous proud not only to acquire and exhibit works of art, les courants majeurs de la fin du xxe siècle et du début but to reach out and make them accessible to the du xxie siècle. Il s’agit là de notre patrimoine commun. widest possible public. From Olivier Debré to Duane Il s’est constitué au fil des années avec deux entrées Michals, from painting to photography, from Ernest importantes pour notre région, l’histoire du xxe siècle Pignon-Ernest to Nils-Udo, from urban public art to et les relations entre art et architecture. L’héritage land art, its collection reflects all major currents of the que nous livre ce siècle meurtri et reconstruit y est late 20th and early 21st centuries. This is our common observé avec le décalage propre à la création artis- heritage. It has grown over the years, with two signifi- tique. Les photographies acquises depuis le début des cant themes: the history of the 20th century and the années 2000 montrent à la fois une préoccupation relationship between art and architecture. The herit- politique, avec par exemple les œuvres de George age we have received from the wounded and recon- Dupin, et sociale, avec celles de Pekka Turunen. Les structed century just past is observed here with the œuvres en volume occupent progressivement une distance appropriate to artistic creation. Photographs place plus importante au sein de la collection, des acquired since the beginning of the 2000s demon- architectures improbables de Saâdane Afif aux ins- strate a concern for the political, as for example in tallations d’Emmanuelle Lainé et de Julien Creuzet. the works of George Dupin, and the social, with those Elles témoignent de l’éclatement des formes et de la of Pekka Turunen. Little by little, large-scale works création exponentielle de nouvelles fonctionnalités come to the fore in the collection, from the improb- qui caractérisent le monde contemporain. able architectures of Saâdane Afif to the installations Ainsi le Frac prend-il le pouls de notre société of Emmanuelle Lainé and Julien Creuzet. They bear et s’efforce-t-il d’élucider ce qui, parfois, échappe witness to the explosion of forms and the exponential à notre compréhension. Les résidences d’artistes, growth of new functionalities characterising the con- les expositions menées depuis ses débuts en région temporary world. Basse-Normandie d’abord puis dans la grande région In this way, the Frac takes the pulse of our soci- Normandie offrent des modalités toujours renouve- ety and attempts to elucidate that which sometimes lées de rencontre avec les publics. Le Frac est pré- seems beyond our comprehension. Its artists in resi- sent dans de nombreux lieux (centres d’art, musées, dence and exhibitions, from its beginnings in the centre culturels, etc.) et tout particulièrement dans les Basse-Normandie region to the greater Normandie

69 établissements scolaires, il accompagne ses œuvres area, continue to offer fresh modalities of encoun- Par ailleurs, la réunification de la Basse et de la of action and accomplish its mission of creation, diffu- et les donne à lire, il perpétue le précieux lien social tering art to the public. The FRAC is present in various Haute-Normandie en une seule et même région, la sion and accessibility in the field of contemporary art. qui va du créateur au public. venues (art centres, museums, cultural centres, etc.), Normandie, appelle à penser désormais une politique In addition, the reunification of lower and upper Je tiens à remercier l’équipe du Frac pour le travail particularly in schools, accompanying its works and conjointe autour de l’art contemporain. Le prochain Normandy into one single region, Normandy, now qu’elle accomplit à l’heure où elle investit ses nou- making them accessible, reinforcing the precious défi pour le Frac Normandie Caen sera, avec le Frac encourages us to think about a joint approach for veaux locaux du quartier Lorge à Caen, ainsi que les social connection between creator and public. Normandie Rouen, d’unir dans une structure unique contemporary art. The next challenge for the Frac différents membres qui se sont succédés au comité I must thank the FRAC team for their work during the leurs compétences et leur connaissance du territoire Normandie Caen will be to join its skills and knowl- technique d’acquisition. Et à féliciter les auteurs de ce great move into the new space in the Lorge neighbour- pour offrir à tous les publics l’accès le plus large pos- edge of the region with that of the Frac Normandie catalogue qui contribuera à accroître la réputation de hood of Caen, as well as the succession of members sible à l’art contemporain. Rouen and to come together into a single facility able cette belle collection. on the technical acquisitions committee. And, finally, Enfin, je tiens à souligner que la Région Normandie to offer the largest possible public access to contem- I congratulate the authors of this catalogue, which will a fait pleinement le pari de l’art contemporain dans le porary art. further enhance the reputation of this fine collection. cadre de sa nouvelle politique culturelle annoncée en Finally, I would like to emphasise the support that 2017. D’un budget annuel de quarante millions d’euros, Région Normandie has given to contemporary art as elle vise notamment, en plus du soutien aux Frac, à part of its new cultural policy announced in 2017. With faire de la Normandie un territoire culturel et créatif an annual budget of forty million euros and in addi- Hervé Morin qui valorise la richesse de ses collections et contri- tion to its support of both Fracs, its aim is to trans- bue à une meilleure visibilité des événements. Elle vise form Normandy into a cultural and creative region Président du Conseil régional Hervé Morin également à soutenir les projets de lieux d’exposition that will showcase the rich diversity of its collections dédiés partout en Normandie. and contribute to improved visibility of its events. de Normandie President of the Conseil It also intends to support the projects of dedicated exhibition spaces throughout Normandy. Régional de Normandie Bernard Millet Trente ans après leur création, les Frac sont désor- mais pleinement inscrits dans les territoires régio- Président du Frac Normandie naux et relèvent quotidiennement le défi de rendre Thirty years after their creation, Fracs are now Bernard Millet accessible la création contemporaine. Ainsi, le Frac thoroughly embedded in their regional areas and are Caen Normandie Caen continue avec succès de répondre meeting the challenge of making contemporary crea- President of the Frac aux missions qui lui ont été confiées par l’acquisition tions accessible to everyone. The FRAC Normandie régulière d’œuvres, leur exposition et leur diffusion en Caen continues to successfully complete the mission Normandie Caen et hors ses murs, la sensibilisation à l’art contemporain entrusted to it of regularly acquiring works, exhibiting et le soutien à la production d’œuvres et à la création them, and contributing to their circulation both within « J’aime que l’art ne serve à rien, affirme l’artiste artistique. its walls and outside of them, of raising awareness of Claude Lévêque, mais c’est peut-être ce qui le rend Par la richesse de ses actions, le Frac Normandie contemporary art, and of supporting the creation of plus nécessaire », précise-t-il. C’est cette nécessité Caen est un formidable moyen de rencontre entre les works and the artistic endeavour. qui a conduit l’État et les régions à promouvoir l’art ‘I like the fact that art is useless,’ affirms artist œuvres et les publics. Ce catalogue fait suite au pre- Through the rich diversity of its sphere of action, actuel en créant, en 1982, les Fonds régionaux d’art Claude Lévêque, ‘but that is possibly what makes it mier, publié en 2002, et témoigne de la richesse des the FRAC Normandie Caen is a tremendous force for contemporain. more necessary,’ he explains. It is this necessity that acquisitions du Frac durant la dernière décennie ainsi bringing together artistic works and the public. This La collection du Frac Normandie Caen est de dimen- led the government and the Régions to promote que des orientations données à la collection. C’est un catalogue follows on from the first, published in 2002, sion nationale, voire internationale. Elle a permis à des contemporary art by creating, in 1982, the Regional outil essentiel de connaissance et de valorisation de and reveals the wealth of acquisitions made by the publics divers de découvrir la création contemporaine Contemporary Art Funds. son fonds. Frac over the last decade, as well as the various areas sur le territoire normand. La politique d’acquisition du The FRAC Normandie Caen collection is on a La publication du présent catalogue intervient au of specialisation in its collection. It performs a vital Frac a conduit à développer une proximité avec les national or even international scale. It has enabled moment où le Frac Normandie Caen s’apprête à inves- role as a repository of knowledge and a tool for pro- créateurs d’aujourd’hui, à travers les expositions tem- diverse audiences to discover contemporary creation tir son nouveau bâtiment. Situé au cœur de la ville moting the Fund. poraires, impliquant souvent la production d’œuvres in the Normandy region. The political acquisition of dans le quartier Lorge à Caen, ce bâtiment, d’une The publication of this current catalogue comes at a et la possibilité de résidence. the Frac has led to the development of proximity with superficie quatre fois supérieure au précédent, offrira time when the FRAC Normandie Caen is getting ready Un premier catalogue raisonné couvrant la période contemporary artists, through temporary exhibitions, au Frac des espaces qui lui permettront d’élargir le to invest in its new building. Located in the heart of 1983-2001 a été publié, ce second catalogue présente often involving the production of artworks and the champ de ses actions et de poursuivre la réalisation Caen in the Lorge district, this building, with four times donc les acquisitions à partir de 2002. Il s’agit encore possibility of residencies. de ses missions de création, de diffusion et d’accès à more floor surface that the previous one, will provide d’un ouvrage papier qui accompagnera l’ouverture du An initial catalogue raisonné covering the 1983- l’art contemporain. the Frac with the space necessary to increase its field nouveau Frac. 2001 period was published and this second catalogue

70 71 La collection est représentative des grandes frac- thus presents the acquisitions from 2002 onwards. tures de notre société depuis les années 1990. Tout Once again, it is a publication that will accompany the en restant de type généraliste, elle fait apparaître opening of a new Frac. des lignes de force : par exemple le développement The collection is representative of some of the Sylvie Froux d’un axe « art et architecture », ou encore d’un autre, major fractures in our society since the 1990s. While « histoire contemporaine » en lien, entre autres, avec remaining general-interest, it highlights some key Directrice du Frac Normandie la seconde guerre mondiale. Les supports ont évo- points: for instance the development of the axis ‘art lué : si la peinture est encore représentée par l’abs- and architecture’ or that of ‘contemporary history’ Caen traction, le médium photographique trouve une place in relation, among other things, to World War II. The importante, avec pour thématiques le paysage urbain media has evolved: while painting is still represented Sylvie Froux ou le corps dans tous ses états. L’ouverture à la vidéo by abstraction, the photographic medium plays an et aux œuvres en volume – sculptures et installations – important role, featuring the themes of the urban Director of the Frac Normandie constitue, ces dernières années, un apport majeur à landscape or the body in all its forms. The opening La collection du Frac Normandie Caen, au plus la collection. up to video and three-dimensional works – sculptures proche de la création d’aujourd’hui, est parfois envi- Caen Fabriquer une collection est un engagement poli- and installations – has constituted a major contribu- sagée comme un moment donné de l’histoire de l’art, tique fort de la région et de l’État, mais c’est aussi tion to the collection in recent years. ce qui peut sembler réducteur, en même temps qu’elle une prise de risque. Il s’agit toujours d’une aventure Creating a collection is a strong political commit- essaie d’en imaginer le futur. Les choix artistiques collective et partagée, qui implique la direction du ment for the Region and the State, but it also repre- multiples issus des différents comités renouvelés Frac, le Comité technique d’acquisition et le Conseil sents a risk. It is always a collective, shared adven- régulièrement garantissent une diversité d’artistes, Closely reflecting contemporary creation, the col- d’administration. Que deviendront ces œuvres dans ture that involves the Frac leadership, the technical de médiums et d’approches rendant bien improbable lection of the FRAC Normandie Caen is sometimes trente ans : seront-elles seulement le reflet de nos acquisition committee, and the board of directors. le fil d’Ariane qui relierait l’ensemble. considered as a given moment in the history of art, obsessions du moment, de l’effet de mode, voire du What will become of these works in thirty years time: On trouve dans les textes qui suivent la trace assu- which may seem reductive, even as it strives to imag- conformisme institutionnel ? Ou traverseront-elles le will they be no more than the reflection of our obses- mée des signes particuliers qui permettent néanmoins ine the future of art. The many artistic choices of the temps, non pas comme témoins d’une époque, mais sions of the moment, mere fads, or even institutional assemblages et compréhension de cette collection. various committees regularly guarantee a diversity in comme des œuvres s’inscrivant dans l’histoire de conformism? Or will they traverse the ages, not as the Ils en explorent les lignes qui la mettent en musique the artists, media, and approaches selected, making l’art ? Les deux probablement. witnesses of an era, but as artworks belonging to the autour du fonds art et architecture, de l’histoire it highly unlikely that there is one common thread that L’installation du Frac Normandie Caen dans un history of art? Both, in all likelihood. contemporaine ou encore de la sculpture présente en would tie the whole collection together. magnifique bâtiment, classé monument historique, va The installation of the Frac Normandie Caen in a son sein. Cet ouvrage se veut un outil de découverte, We find in the texts that follow the acknowledged permettre à la collection d’accroître sa visibilité. À la magnificent building, listed as a historic monument, de consultation et de connaissance tout en conser- trace of particular signs that nonetheless enable ele- différence des autres Frac, dits de nouvelle généra- will enable the collection to increase its visibility. Unlike vant jusque dans sa mise en page même la dynamique ments of this collection to be assembled and under- tion, il ne s’agit pas d’une architecture nouvelle, mais other so-called ‘new generation’ Fracs, it is not a de principe d’un Frac. stood. They explore the pathways that orchestrate it, d’un monument qui, par son histoire, sa configuration, question of new architecture, but of a monument that Au médium photographique qui constitua le fonds within the art and architecture collection, or those crée une certaine intimité. – owing to its history and configuration – will create art et architecture dans ses premières années of contemporary history or sculpture. This book is En faire un lieu d’hospitalité, avec une forte appro- a degree of intimacy. s’ajoutent désormais toutes les formes de création, intended as a tool for discovery, consultation, and priation des publics, est notre ambition. Il est important Our ambition is to transform it into a hospitable telles que la surprenante œuvre de Christoph Weber, knowledge, while conserving within its very format the que les arts plastiques sortent de leur isolement relatif place that is user-friendly for our audiences. It is fabriquée à partir de longues tiges de fer à béton key dynamics of a FRAC. pour créer de nouveaux rapports avec les collectivités important that the fine arts emerge from their relative enveloppées de tissu et d’une fine couche de béton, To the photographic medium that constituted the et les publics. Ce nouvel équipement sera aussi une isolation in order to form new bonds with regional à la fois solide et fragile ; celle de Séverine Hubard qui art and architecture collection in its early years are tête de pont du réseau régional d’art contemporain, authorities and audiences. This new infrastructure will fait référence à une fontaine existant dans la ville de now added all forms of creation, such as the surprising avec pour objectif de développer des liens avec les also be a spearhead of the regional contemporary art Caen ; ou encore celle de Jeppe Hein qui joue avec le work by Christoph Weber, made out of long reinforced autres institutions culturelles, et de s’ouvrir à d’autres network, with the aim of developing relationships with mobilier urbain. concrete rods wrapped in fabric and a thin layer of expressions artistiques telles que la danse, la musique, other cultural institutions, and embracing new artistic Les sculptures, installations et vidéos occupent concrete, at once solid and fragile; that of Séverine le design, l’architecture, la poésie. expressions such as dance, music, design, architecture, désormais une place prépondérante au plus près de Hubard that refers to an existing fountain in the city and poetry. la réalité de la création contemporaine ; si certaines of Caen; or that of Jeppe Hein that plays with urban d’entre elles s’inscrivent dans les champs déjà cités, furniture. celle d’Élisabeth Ballet, aux matériaux bruts (alumi- Sculptures, installations, and videos now have a nium et parpaings), est abstraite, graphique et monu- prominent role that closely reflects the reality of con- mentale à la fois. L’abstraction, quant à elle, est bien temporary creation; while some of them fall within là dans un fonds qui se construit autour du médium the fields already mentioned, that of Élisabeth Ballet pictural avec, par exemple, les œuvres de Dominique uses raw materials (aluminium and breezeblocks) in Figarella, de Bernard Frize et de Noël Dolla. works that are abstract, graphic, and monumental all

72 73 Depuis 2002, le fonds histoire contemporaine at once. As for abstraction, it is well represented by explore le lien au territoire et à son histoire particu- the collection based on the pictorial medium with, for lière. L’œuvre de Jordi Colomer, produite à l’occasion instance, works by Dominique Figarella, Bernard Frize, du trentième anniversaire des Frac, en est l’un des and Noël Dolla. points d’orgue, l’artiste y ayant subtilement convo- Since 2002, the contemporary history collection qué la collection, le contexte local historique et la vie has explored the relationship between the territory actuelle en unissant film et installation. and its specific history. One highlight is the work Enfin un fil poétique se déplace à l’intérieur de cet by Jordi Colomer, created on the occasion of the ensemble avec Martine Aballéa, Sylvie Auvray, Annette thirtieth anniversary of the FRACs, as the artist subtly Messager, Martha Colburn, les vidéos de Julien Creuzet convoked the collection, the local historical context, ou de Louidgi Beltrame que l’on peut mettre en rela- and contemporary life, bringing film and installation tion avec l’œuvre de Sophie Calle dans une réflexion together. sur la création elle-même. Finally, a poetic theme wends its way through this Une nouvelle orientation, amorcée avec les œuvres collection with Martine Aballéa, Sylvie Auvray, Annette d’Artie Vierkant et de Pierre-Olivier Arnaud, s’inté- Messager, Martha Colburn, the videos of Julien Creuzet, resse plus directement à l’image contemporaine et or Louidgi Beltrame, which we can compare to the à l’évolution de son statut en résonnance avec notre work of Sophie Calle in terms of its examination of époque et sa déferlante d’images. creation itself. On pourra peut-être entrevoir une difficulté mo- A new orientation, launched with works by Artie mentanée à évoquer un ensemble, à concevoir une Vierkant and Pierre-Olivier Arnaud, focuses more exposition, ou encore à se repérer pour le regardeur, directly on the contemporary image and the evolu- mais l’ouverture de la collection constitue à coup sûr tion of its status as it resonates with our times and its une chance pour les œuvres toujours prêtes à résister flood of imagery. aux « manipulations » comme aux interprétations, et à It may be possible to glimpse a momentary difficulty préserver elles-mêmes leur valeur intrinsèque. in evoking a whole, devising an exhibition, or in finding Œuvres et visiteurs / regardeurs sont appelés à one’s bearings for the viewer, but the opening of the se rencontrer dans les lieux les plus divers, les plus collection certainly constitutes an opportunity for the contraints ou les plus ouverts à l’étude, à la contem- artworks, always ready to resist ‘manipulations’ and plation, ou à la déambulation. Autant de situations interpretations, and preserve their own intrinsic value. incongrues et originales que les Frac savent inventer Artworks and visitors / spectators are invited to sans jamais se départir d’une conscience aiguë de gather in the most diverse of locations, the most con- l’œuvre qui reste le point d’ancrage préalable à toutes strained or the most open to study, contemplation, les expériences proposées. or wandering. The FRACs are able to invent all kinds Il nous revient aussi et avant tout de penser l’espace of incongruous and original situations without ever et le temps du regardeur, qui profite par ailleurs de departing from an acute awareness of the artwork, nombreux outils de connaissance et d’accompagne- which remains the anchorage point that predates all ment mis à sa disposition. Notre travail de passeur vers of the experiences presented. l’art contemporain est avant tout un éveil, une éduca- It is also our task above all to think about the space tion du regard et du sensible en vue d’une appropria- and time of the viewer, who can also take advantage of tion du monde symbolique. the numerous tools made available to guide and inform them. Our role as the mediators of contemporary art is first and foremost that of awakening, educating the gaze, and rendering it sensitive to an appropriation of the symbolic realm.

74 Essais Essays À l’échelle du corps humain comme d’un territoire, les artistes cherchent à saisir ce qui définit et transforme notre condition urbaine. Ils nous font accéder aux signes qui peuplent les espaces urbains et périurbains, aux traces de vie et d’usages qui se déploient au sein de territoires envahis par des logiques de séparation sociale et économique. Au-delà des ruines Sédimentations Alice Laguarda Depuis les années 1990, Yves Bélorgey réalise d’après photogra- phies des peintures de l’architecture des grands ensembles. Utilisant des constantes de format et de cadrage (vues perspectives ou fron- tales), l’artiste montre, de Nanterre à Erevan, de Marseille à Caracas, les mêmes barres de logement qui se succèdent. La dureté esthé- tique de ces constructions prend une nouvelle dimension dans les Au-delà des ruines peintures. De chaque image – d’où la figure humaine est toujours absente – surgissent des détails, des traces de la vie quotidienne : L’architecture et l’urbanisme du xxe siècle ont transformé dura- balcons occupés par des objets, appartements personnalisés par blement les territoires. Mais si l’esprit moderne rêvé par Le Corbusier, des rideaux… Yves Bélorgey intègre aussi dans ses toiles les signes les fondateurs de l’école du Bauhaus ou encore les auteurs des Case d’usure des bétons, les fissures et les dégradations des bâtiments. Study Houses se voulait la promesse d’une révolution – technique, Ces images renvoient aux faillites comme aux promesses de vie meil- esthétique, politique –, son application à l’échelle de la construc- leure de l’urbanisme moderne : « L’immeuble collectif est devenu le tion de masse semble avoir produit le pire. Le critique d’architec- mauvais objet par excellence ou l’objet d’une mauvaise conscience. ture Charles Jencks annonçait ainsi la fin dans un texte resté célèbre : Il bloque à la fois l’adhésion au modèle anthropologique de la mai- « L’architecture moderne est morte à Saint Louis, Missouri, le 15 juillet son comme abri et le processus d’identification que l’œuvre d’art est 1972 à 15 h 32 (ou à peu près), quand l’ensemble tant décrié de Pruitt- censée mettre en place […]. Il rappelle en version soft la caserne Igoe, ou plus exactement certains de ses blocs reçurent le coup de et les baraquements concentrationnaires […]. Je ne montre pas un 2. Yves Bélorgey, « Immeubles, tableaux, documents », grâce final à la dynamite […]. Incontestablement, il faudrait sauve- monde idéal, je tente de restituer ce que j’ai vu. Je me situe dans in Communications, no 79, juin 2006, garder et classer ces ruines comme un vivant témoignage de faillite l’écart entre l’utopie et ce qu’il en reste dans l’inachevé de l’actua- p. 171-172. architecturale et urbanistique 1. » 1. Charles Jencks, Le Langage lité 2. » Écho à ces paradoxes, la forme symbolique de l’immeuble est 3. « Robert Smithson conçoit Les œuvres de la collection du Frac Normandie Caen offrent diffé- de l’architecture postmoderne, chez Yves Bélorgey au service d’une représentation de l’architecture Paris, Denoël, 1985, p. 9. le paysage comme une collision de rentes manières d’appréhender cette histoire et les paradoxes de ses moderne, nourrie d’emprunts aux imaginaires romantiques et aux temporalités hétérogènes : c’est dans productions idéologiques, symboliques et matérielles. L’observation théories de Robert Smithson 3. leur agencement et leur synthèse que réside l’originalité de son approche de territoires urbains marqués par les phénomènes de sédimenta- On trouve une préoccupation similaire dans le travail photogra- des paysages qu’il définit comme des tion, de destruction ou de dégradation conduit chez certains artistes phique de Philippe Durand. De ses « dérives » urbaines, l’artiste extrait “sites de temps”. » Laurence Corbel, à une interrogation sur la représentation des ruines. S’intéressant aux des signes de l’ordre de l’infime : écritures trouvées sur des vitrines, « L’œil pittoresque de Robert Smithson », in Fabienne Costa usages individuels et collectifs de l’espace urbain, les artistes pro- affiches publicitaires et commerciales délavées, pancartes, autocol- et Danièle Méaux (dir.), Paysages posent des expériences sensorielles renouvelant notre rapport aux lants… Ces éléments (séries « Doigts, pollution », 1999 ; « Crois-moi », en devenir, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, imaginaires urbains et notre conception de l’espace public. D’autres 2001 ; « Reversal Paris », 2009) font apparaître des processus de vieil- 2012, p. 173. encore s’approprient la maquette d’architecture, outil de spécula- lissement et de recouvrements successifs. L’artiste se dit ainsi inté- tion, de formalisation et de communication qui devient un élément ressé par « la vie qui continue sous toutes ses formes malgré l’abandon 4. « Un retentissement moderne », de réflexion critique sur la relation entre utopie et réalité propre à des structures et des messages 4. » Une sédimentation permanente entretien avec Michel Poivert, in Bulletin de la SFP, no 12, décembre 2001. l’histoire de la modernité. de la ville apparaît à travers ces traces vouées à se superposer et à

78 79 Alice Laguarda Au-delà des ruines disparaître. Dans ses photographies, Philippe Durand met en avant Habiter, c’est jouer des gestes singuliers, « faibles », comme autant de tentatives pour s’inscrire dans le monde urbain. Ces signes fragiles, parfois illisibles, Partout dans le monde, les territoires urbains se déclinent en manifestent une résistance vis-à-vis d’un monde urbain structuré zones de passage, de transit, d’attente. Elles correspondent à ce que en différents ordres et codes, parce qu’ils agissent comme autant l’anthropologue Marc Augé appelle les « non-lieux 8 » : des espaces qui 8. Marc Augé, Non-lieux. Introduction d’« archaïsmes s’infiltrant dans les symboles de la modernité 5. » Le 5. Pascal Beausse, Dérives, Paris, créent de l’isolement, de la solitude ; des espaces vides de mémoire, à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992. critique d’art Pascal Beausse parle ainsi d’une forme de vernaculaire 779 Éditions, 2001, p. 5. d’histoire. Supermarchés, multiplexes, gares, aéroports, voies rapides dont la présence dans l’espace urbain permet la prise de conscience et camps de transit sont autant de « non-lieux », instruments d’une de la sédimentation des histoires et des usages. division et d’une fragmentation des espaces à laquelle correspond Chez Yves Bélorgey et Philippe Durand, ce rapport au temps s’ac- une atomisation des activités et des liens sociaux. Dans la photogra- compagne d’une réflexion sur les relations entre le sujet et son mode phie de Pierre Faure (Sans titre no 28, 1999), des chauffeurs de taxi de représentation. Les fonctions mimétiques et illusionnistes de la sont à l’arrêt, près d’une gare ou d’un aéroport. Dans une autre image peinture dans les œuvres d’Yves Bélorgey sont reproblématisées du (Sans titre no 30, 1999), ils jouent aux échecs. Ces hommes profitent fait de l’ingratitude de son sujet, la « barre de logement ». Les proces- d’un creux d’activité, d’une situation de désœuvrement pour créer sus auxquels s’attache l’artiste acquièrent une force esthétique grâce un espace convivial au sein d’un territoire dédié au transit. Par une à l’importance donnée aux couleurs dans les toiles qui vise, comme le appropriation de l’espace, apparaît un usage inattendu, qui semble note avec justesse Jean-Marc Huitorel, à révéler un « triomphe de la jouer contre la menace d’une dissolution, d’une disparition. Les deux peinture » sur l’architecture 6. La photographie selon Philippe Durand 6. Jean-Marc Huitorel, « L’immeuble photographies illustrent ainsi des tentatives pour essayer d’y vivre est comme l’outil d’un ethnographe « observant le monde industriel comme tableau », in Yves Bélorgey. tout de même, d’y construire quelque chose, même éphémère, de Anthropologie dans l’espace, Genève, contemporain, d’un voyageur explorant l’espace de la postmoder- Mamco, 2012, p. 16. faire avec. Car l’individu « n’est pas voué à être un simple figurant nité, d’un touriste dont l’objet ne serait pas de reproduire les images mais un élément actif, au sein d’un monde qu’il ne s’est pas construit, des cartes postales mais de regarder juste à côté, là où le décor se 7. Ibid., p. 5. qui ne lui appartient pas vraiment 9. » 9. Estelle Pagès, Pierre Faure. craquelle 7. » Pour Ian Wallace et Jordi Colomer, le corps est l’instrument d’une Dans le courant du commun, Bourges, La Box, 2001, n. p. L’observation de la sédimentation matérielle et temporelle de la appropriation ludique et critique de l’environnement urbain. Les ville peut aussi mener à une réflexion sur la composition de l’image images des skaters isolés photographiquement par Ian Wallace sur de photographique. Pour sa série « Normandie » (2004-2005), Benoit grands panneaux peints (Free Play I et III, 1996) traduisent une relation Grimbert travaille à partir d’un fonds photographique du ministère d’égalité avec leur environnement architectural. Par leur composition de la Reconstruction et de l’Urbanisme consacré au territoire nor- (des pans verticaux peints viennent rompre la continuité de l’image mand. Ses images mêlent des vues de projets phares de la recons- photographique), l’artiste crée une rythmique qui met en avant le truction et celles d’espaces ordinaires, banals, à Caen, Sotteville-lès- mouvement du corps et dynamise l’espace. Le corps humain trouve Rouen ou Saint-Lô. De format carré (50 × 50 cm), les photographies sa place dans un espace dont les règles d’organisation et d’occupa- répondent à un jeu savant de composition. Ce sont des vues d’en- tion deviennent flexibles, modulables. Chez Jordi Colomer, le corps semble d’architecture, d’espaces de circulation et parfois de nature humain est un instrument de mesure mais aussi un élément qui vient qui révèlent une profondeur inattendue, loin de la vision caricaturale perturber l’ordre urbain et mettre en crise la soumission à des com- d’espaces hermétiques les uns aux autres, objets d’une juxtaposition portements normés. Dans Anarchitekton (installation vidéo et pho- absurde. Le photographe met en effet l’accent sur des entre-deux, tographies, 2002-2004), le personnage d’Idroj Sanicne sillonne les des lisières, des zones de passage où différentes strates d’aménage- villes de Bucarest, Barcelone, Brasilia et Osaka. Il porte des grandes ment se rencontrent. Dans ses images, Benoit Grimbert accorde aux maquettes en carton partiellement peint qui reproduisent certains vides et aux sols une place importante, faisant apparaître un équilibre des bâtiments présents à l’arrière-plan. Un dialogue se noue entre entre les éléments qui structurent ces espaces, entre leur variété et le cadre urbain, les modes de déplacement du personnage et les leur récurrence, qui modifie la perception de ces paysages marqués maquettes-sculptures. Les villes que parcourt Idroj rendent compte par la destruction. d’une hétérogénéité des espaces et des histoires, des vestiges de l’architecture totalitaire et des utopies modernistes jusqu’aux villes nouvelles et terrains vagues. Idroj contamine ces espaces de fiction,

80 81 Alice Laguarda Au-delà des ruines de fable, endossant diverses identités : est-il un sportif, un manifestant L’idée d’une spatialité existentielle propre à la ville moderne est au destin dérisoire ou au contraire prêt à déclencher une révolution ? tout aussi importante dans la série « Streetwork » de Philip-Lorca Dans Anarchitekton, le corps humain a pour fonction de révéler et diCorcia réalisée à Tokyo, Berlin, New York et Paris (1993-1997). contester les standards et les aberrations de l’espace urbain né de la L’artiste y théâtralise la représentation de l’espace urbain en utilisant vision moderne. Les attitudes et les déplacements d’Idroj, confronté des dispositifs d’éclairage lors de ses prises de vues qui isolent un 10. Cf. Paul Ardenne, L’Image-corps. à un espace semblable à un décor, irréel et abîmé, relèvent souvent Figures de l’humain dans l’art du ou plusieurs personnages dans la foule. Au milieu des rues, au pied du burlesque. À Bucarest, il utilise des objets trouvés dont la fragi- xxe siècle, Paris, Éditions du Regard, des immeubles, des visages et des corps anonymes se détachent. lité crée un décalage comique avec le gigantisme de l’environnement 2002. La composition des photographies emprunte aux vocabulaires de la urbain. À Barcelone, il remet à des passants les clés d’un appartement peinture et du cinéma : on y retrouve la thématique de l’apparition. 11. Fabio Rieti, « Fonction du jeu 10 imaginaire. C’est un « corps-jeu » qui se manifeste ici, instrument et terrains de jeu », in Traverses, no 4, C’est comme si l’artiste proposait des images d’une ville resingulari- d’une réciprocité à construire et à inventer avec la ville, son centre « Fonctionnalismes en dérive », sée, dont toute la matière psychique nous apparaîtrait brutalement, et ses marges, où « il faudrait que la ville même puisse être “jouable”, Paris, Éditions du Centre Georges frontalement. Mais dans le même temps, ces figures demeurent énig- Pompidou, 1976, p. 42. qu’on puisse “se jouer” d’elle, la “déjouer” le plus souvent possible 11. » matiques, elles sont figées par le dispositif de Philip-Lorca diCorcia, statufiées et murées dans leur intériorité. L’image de l’individu est une façade impénétrable. L’artiste joue de l’analogie avec l’environ- Résistances à la désorientation nement architectural et urbain : les façades « neutres » des buildings de verre, univoques, froides, mettent à mal l’idéal de transparence. La ville est un réservoir de matière psychique, d’émotions et de Une opacité demeure. C’est une constante dans le travail de Philip- fantasmes révélant des sentiments et des perceptions contrastés : Lorca diCorcia de montrer des individus isolés qui s’exposent et appa- solitude, peur, instabilité, mais aussi désir de la rencontre, solidarité, raissent tout en restant énigmatiques. Ici, la rue n’est plus l’espace échange. Knut Åsdam s’intéresse dans ses photographies et films à de la rencontre, du partage, de l’être ensemble. Elle est l’espace de cet « être » de la ville, à ses effets sur le psychisme humain, à ce qui solitudes qui se juxtaposent sans jamais se reconnaître. se noue entre l’habitant et son environnement. Sa série photogra- Dans nos sociétés dominées par les logiques utilitaristes, l’archi- phique « Psychasthenia 10 » (2000-2001) présente ainsi des façades tecture et l’urbanisme peuvent être perçus comme les instruments d’immeubles vues de nuit où dominent la lumière crue des éclairages d’une aliénation des individus. L’espace public représente ainsi un publics et de grands arbres. Ce qui intéresse l’artiste, c’est la tension enjeu pour les artistes, en tant que lieu possible d’une « économie de dans la ville entre ce qui est dissimulé et apparent, générique et par- l’échange » qui fournit « des dispositifs de transfert où il appartient au ticulier, commun et singulier. « Psychasthenia 10 » souligne un senti- spectateur de s’approprier ou non le champ cognitif et perceptuel qui ment d’opacité, une désorientation engendrée par l’anonymat et le lui est proposé » 14. Dans plusieurs de ses travaux, Jeppe Hein détourne 14. Marie-Ange Brayer, Domaines gigantisme des architectures. Cette désorientation est renforcée par la fonction du mobilier urbain pour créer des situations basées sur la publics, Orléans, Éditions HYX, 1999, p. 11. le traitement des photographies, vidées de toute présence humaine, surprise et l’inconfort : la série « Moving Bench » (2000) consiste en baignées d’une lumière verdâtre rappelant certaines images produites des bancs motorisés qui se déplacent lorsque quelqu’un s’y installe ; par les caméras de vidéosurveillance. Se référant à un texte de Roger le banc de Did I Miss Something ? (2001) est équipé de capteurs de Caillois 12, Knut Åsdam reprend la théorie selon laquelle la psychas- 12. Roger Caillois, « Mimétisme présence qui déclenchent, lorsque l’on s’y assied, une fontaine située thénie peut conduire à une « dépersonnalisation par l’assimilation à et psychasthénie légendaire », devant le banc, celle-ci s’arrêtant dès que les occupants se lèvent. in Minotaure, no 7, 1935. l’espace ». L’espace urbain devient une force absorbante, dévorante, Les « Modified Social Benches » (2005-2006), encore, installés dans ce qu’illustrent le choix des grands formats et les cadrages des images 13. Propos de Knut Åsdam sur son des espaces publics, invitent les spectateurs à des actions qui trans- en contre-plongée. Les photographies de Knut Åsdam mettent ainsi site internet : www.knutasdam.net forment leur perception de l’environnement urbain et leur relation à en valeur la co-dépendance de la ville et de ses habitants, celle-ci l’objet. La forme de ces bancs et certains des éléments qui les com- réunissant des dimensions « à la conjonction du social, du person- posent ont été altérés, ramollis, supprimés ; d’autres se tordent, se nel, du paranoïaque et du public 13 ». La froideur des espaces semble prolongent en lignes obliques ou sinueuses. L’expérimentation de ouvrir à un espace-temps autre, celui d’une projection intime et ima- ces situations vise à redéfinir l’usage du mobilier urbain, à fournir un ginaire qui nous fait osciller entre états de conscience et de torpeur, effort pour en réinventer les fonctions. L’interaction du corps humain fascination pour la surface et angoisse de la profondeur. avec ces éléments de mobilier transformés permet de faire advenir

82 83 Alice Laguarda Au-delà des ruines une réciprocité, d’introduire du jeu dans un espace urbain lissé et Wilfrid Almendra choisit de s’appuyer sur un visage expérimental policé qui tend à figer les échanges et les circulations. de la modernité dans Killed in Action (Case Study Houses) (2009). Programme lancé en 1945 par un journaliste et éditeur californien et poursuivi jusqu’en 1966, les Case Study Houses sont des projets Haute et basse cultures innovants de maisons individuelles. L’artiste reprend en une série de maquettes-sculptures celles qui n’ont pas été réalisées. Le purisme Le vocabulaire esthétique de l’architecture moderne semble s’être et la quête de perfection formelle des architectes des Case Study dilué dans la banalité et la trivialité de l’économie du grand nombre et Houses sont contaminés dans les sculptures par l’emploi de maté- les projets des lotisseurs, à travers la production d’un habitat uniforme. riaux qui caractérisent l’habitat pavillonnaire (crépi, frisette, lino- C’est sur ces glissements que travaille en partie Didier Marcel, brouil- léum, tôle, etc.). Les sculptures sont conçues comme des bas-reliefs. lant les fonctions sémantiques de l’architecture dans des maquettes Leur accrochage mural – horizontal ou vertical – renforce l’analogie qui reproduisent des bâtiments standardisés. Ainsi de Prefab Church, avec le vocabulaire du dessin d’architecture (représentation en plan- d’après E.T. 15 (2009), maquette d’un bâtiment fixée sur un pied rota- 15. En référence au travail masse) et avec des éléments de mobilier. Leur aspect rudimentaire, tif en acier : s’agit-il d’un lieu de culte (une croix est dessinée sur photographique d’Éric Tabuchi encore, rappelle le lien à l’économie, écho possible à cette affirma- qui montre notamment des l’un des pignons), d’une maison, d’un hangar agricole ou industriel ? À constructions situées dans les tion des architectes Alison et Peter Smithson, défenseurs du style travers cette hésitation dans l’interprétation, Didier Marcel propose territoires périurbains. brutaliste dans les années 1950 : « Le brutalisme essaye de prendre en de repenser la domination du vocabulaire formel de l’architecture compte une société de production de masse, et d’arracher une poé- moderne dans sa confrontation à la banalité mais aussi à la nature sie rugueuse des forces confuses et puissantes qui sont à l’œuvre 18. » 18. Alison et Peter Smithson, hétéroclite des paysages périurbains. Il fait dialoguer l’architecture L’intérêt pour la maquette d’architecture ouvre aussi à des repré- « Thoughts in Progress. The New Brutalism », in Architectural Design, des non-architectes avec la « grande histoire » des modernes (pou- sentations de l’habitat, à la création d’un monde en réduction, celui- avril 1957. Les architectes bruta- vant par exemple faire écho à la fascination de Le Corbusier pour les ci devenant l’objet de tous les fantasmes, de toutes les projections. listes disent s’inspirer de Mies van usines et les silos à grains). Les bâtiments, décontextualisés, modé- C’est ce que montre l’univers baroque de Myriam Mechita. der Rohe et des œuvres tardives de Territoires Le Corbusier – en particulier la ville lisés, acquièrent un statut à la fois dérisoire et iconique, comme si rêvés (2008), sculpture réalisée d’après des dessins d’espaces ima- de Chandigarh. Le style brutaliste l’artiste se livrait à une archéologie critique des formes architec- ginaires, évoque une ville ou un château-fort. On ne sait s’il s’agit de repose sur l’utilisation de matériaux bruts et le principe d’une architec- turales. Dans un esprit similaire, Kristina Solomoukha se joue « des ruines ou d’une ville en cours de construction. Il n’y a ni portes ni ture rationnelle qui refuse les effets. valeurs identitaires de l’architecture, mettant en crise ses signes de fenêtres, juste des blocs noirs massifs et brillants. Le matériau uti- reconnaissance, ceux-là mêmes qui, pour Robert Venturi dans les lisé, le Lego noir, support d’un imaginaire enfantin universel, acquiert années 1970, maintenaient la cohésion symbolique de la ville et qui, une nouvelle dimension, entre rêve et cauchemar. C’est comme si aujourd’hui, tournent en vrille sur leur propre vacuité sémantique 16. » 16. Marie-Ange Brayer, « La maquette, la puissance de l’imaginaire venait réécrire entièrement la relation à Dans ses sculptures, films et installations, l’artiste crée des représen- un objet modèle ? Entre art et l’histoire de l’architecture moderne pour transformer une expérience architecture », in L’Art même, no 33, tations qui s’appuient sur l’illusion et l’absurdité. Kristina Solomoukha 4e trimestre 2006, p. 14. traumatique de l’habitat (celle de l’artiste qui passa son enfance dans fait dialoguer les esthétiques et les typologies urbaines du xxe siècle : une cité HLM) en un « rêve échoué ». Light House (2003), une maquette d’immeuble posée sur un pylône, 17. « La grande originalité de la ville En suivant Tristan Trémeau, on peut penser que les propositions générique, c’est tout simplement peut par exemple évoquer le formalisme postmoderne d’un Aldo l’abandon de ce qui ne marche pas, de Wilfrid Almendra et Myriam Mechita cherchent à dépasser un « art Rossi qui aurait triomphé des symboles de la modernité. Dans Identité de ce qui n’a plus d’utilité (défon- allégorique qui fétichise les signes modernistes ruinés en les repro- permutable (2005-2006), des volumes en plexiglas et miroirs formant cer l’asphalte de l’idéalisme avec duisant » et en répétant « mélancoliquement et cyniquement les pro- le marteau piqueur du réalisme) et 19 la maquette d’une ville accueillent les images d’échangeurs autorou- l’acceptation de ce qui pousse à la cessus de délitement et de réification sur lesquels cet art porte » . 19. Tristan Trémeau, « Pour en finir place » ; « La ville générique, c’est le avec le Zeitgeist mélancolique », tiers et de façades d’immeubles. Les relations entre les signes et les Avec sa série de sculptures consacrées aux Case Study Houses, Wilfrid o relâchement de tout ce qui pouvait in L’Art même, n 50, « Néo- images que l’artiste crée sont troublées, elles introduisent une ironie Almendra ne juge ni ne condamne les productions de l’architecture er auparavant structurer un groupe et modernes ? », 1 trimestre 2011, p. 6. face au devenir générique de la ville et de l’architecture, où tout assurer sa cohésion ». Rem Koolhaas, moderne. Il opère un mixage de formes et de matériaux qui per- semble s’être dissous dans le cynisme et l’anarchie 17. « Junkspace », in Mutations, , met de comprendre plus précisément les contradictions propres au Face à la domination de la ville générique, face à la pauvreté arc en rêve centre d’architecture / modernisme. Myriam Mechita, quant à elle, revendique l’appropria- actar, 2000, p. 728 et 732. esthétique des productions architecturales et urbaines de la seconde tion subjective d’un habitat générique et sans qualité, où l’ouverture moitié du xxe siècle, il s’agit de rejouer l’histoire, de la réinventer. à la fiction le dispute à la tentation de la mélancolie.

84 85 Alice Laguarda Au-delà des ruines D’autres artistes de la collection du Frac Normandie Caen dimensions questionnent notre désir de comprendre et d’habiter des conçoivent leurs créations à partir d’une collision de signes qui fait paysages et des territoires qui oscillent sans cesse entre ordre et coexister haute et basse cultures, folklores populaire et savant. chaos, théâtres d’inégalités sociales et d’absurdités esthétiques. Gauthier Leroy utilise des objets banals et de consommation courante Car de fondation il est toujours question. Mais ce n’est plus celle, dans ses sculptures, mêlant les références à l’architecture moderne massive, qui correspondait aux sociétés totalisantes et holistes du (la maison sur la cascade de Frank Lloyd Wright dans The XX Century’s passé. Les tempêtes de la modernité puis de la postmodernité ont Wolf, 2007, et Bear Head House, 2008), à la bande dessinée ou encore balayé les territoires urbains, les crises ont tout bouleversé, renversé, aux musiques rock et blues. Les sculptures sont ornées de reproduc- inversé, mais le besoin de fondation est toujours là. Les hommes errent tions d’objets triviaux (mégots de cigarettes, cacahouètes, figurines, dans de nombreuses directions parfois opposées, ils cherchent, ils canettes de bière). L’emploi de matériaux hétéroclites (bois, métal, traversent des territoires désertiques parce qu’ils ont été « déser- céramique, mousse) laisse aussi apparaître un goût pour l’ornement tés ». Les artistes contemporains – et ceux de la collection du Frac et le kitsch qui viennent contrarier l’austérité moderne. Saâdane Normandie Caen en particulier – assurent un rôle de veille, replacent Afif procède d’un geste similaire lorsqu’il reprend les empilements du jeu au cœur de la ville, montrent des voies de résistance aux forces d’enceintes utilisés lors de rave parties pour créer des sculptures d’aliénation et de dépersonnalisation. C’est pourquoi, plus que des (Babel [astrofonik], 2007). Celles-ci sont en carton peint en blanc veilleurs, ce sont des éveilleurs. posées sur des socles en plexiglas noir de la taille de vinyles 33 tours. Semblables à des tours, elles évoquent à la fois les œuvres des artistes constructivistes et suprématistes russes des années 1910-1920 et les bâtiments des architectes métabolistes japonais des années 1960- 1970. La maquette d’architecture n’est plus chez ces deux artistes un sujet en soi, elle est insérée dans des ensembles complexes et devient un élément de récits fondés sur les transferts de sens, les jeux d’échelles et de matériaux.

La fascination pour l’architecture et la ville modernes a marqué l’histoire de l’art de la première moitié du xxe siècle. Dans les champs de la photographie comme de la sculpture, les artistes explorateurs des zones urbaines, périurbaines et industrielles ont dressé au cours des années 1960-1970 une archéologie de ces territoires ouvrant à divers imaginaires : goût des ruines et pensées de l’entropie (Robert Smithson, Tony Smith, etc.), représentations de type documentaire ou sociologique (Ed Ruscha, Bill Owens, Bernd et Hilla Becher, etc.), réflexions sur les relations entre l’espace architectural, l’objet et l’échelle du corps humain (Donald Judd, Robert Morris, etc.). Nourris de ces héritages, de nombreux artistes en proposent aujourd’hui d’autres modalités d’appréhension et de représentation. La distance temporelle avec la modernité invite en effet à repenser les cycles de construction / destruction propres à son histoire esthé- tique et politique, à ses excès et ses errements comme à ses apports fondateurs. L’architecture, considérée comme un langage autonome, objet d’une connaissance critique, appelle à des jeux fondés sur les déplacements ou la déconstruction des systèmes de représenta- tion. Un nouveau moment de dialogue s’instaure ainsi dans l’art entre l’idéal moderniste et les dissonances postmodernes. Ces multiples

86 87 Alice Laguarda Au-delà des ruines On the scale of the human body as well as that of a territory, artists seek out what defines and transforms our urban condition. They give us access to the signs populating urban and peri-urban spaces, the traces of life and use persisting in territories invaded by logics of social and economic separation.

Beyond Ruins Sedimentations

Alice Laguarda Since the 1990s, Yves Bélorgey has been making photo-derived paintings of large-scale housing developments. Using consistent format and framing (perspective or frontal views), the artist shows, from Nanterre to Erevan, from Marseille to Caracas, the same slabs rising up. The aesthetic harshness of these constructions takes on a new dimension in his paintings. From each image – where the human figure is always absent – arise details, traces of daily life: balconies Beyond ruins cluttered with objects, apartments personalised by curtains … Yves Bélorgey also includes in his pictures the concrete’s signs of wear, the Twentieth-century architecture and urban planning lastingly buildings’ cracks and crumbling. These images recall modern urban transformed territories. But although the modern spirit dreamed planning’s failures, as well as its promises of a better life: ‘The col- of by Le Corbusier, the founders of the Bauhaus School, and the lective building has become the guilty object par excellence, or the creators of the Case Study Houses aimed at a promised revolution object of a guilty conscience. It blocks both adhesion to the anthro- – technical, aesthetic, political – its application at the level of mass pological model of the house as shelter and the process of identi- construction seems to have produced abysmal results. The archi- fication that a work of art is supposed to establish [...]. It recalls, in tectural critic Charles Jencks announced its end term in a still- a “lite” version, the barracks and the concentration camp […]. I’m famous text: ‘Modern architecture died in St. Louis, Missouri on not showing an ideal world, I’m trying to represent what I see. I place July 15, 1972, at 3:32 pm (or thereabouts) when the infamous Pruitt- myself in the gap between utopia and what remains of it in the unfin- Igoe scheme, or rather several of its slab blocks, were given the final 2 As an echo of these paradoxes, the sym- ished elements of today.’ 2. Yves Bélorgey, ‘Immeubles, coup de grâce by dynamite. […] Without doubt, the ruins should bolic form of the building, for Yves Bélorgey, serves a representation tableaux, documents’, Communica- be kept, the remains should have a preservation order slapped of modern architecture that borrows from the Romantic imagination tions, no. 79 (June 2006), 171-172 [all translations ours]. on them, so that we keep a live memory of this failure in planning and the theories of Robert Smithson.3 1 and architecture.’ 1. Charles Jencks, The New Paradigm One sees a similar preoccupation in Philippe Durand’s photo- 3. ‘Robert Smithson conceives lands- The works in the Frac Normandie Caen collection propose in Architecture: The Language graphic work. In his urban ‘drifts’, the artist extracts signs from the capes as a collision of heterogeneous of Post-Modernism (New Haven: different ways of apprehending this history and the paradoxes of negligible: writing on shop windows, faded posters, notice boards, temporalities: in their arrangement Yale University Press, 2002), 9. and synthesis lies the originality its ideological, symbolic, and material productions. Certain artists, stickers … These elements (in the three series ‘Doigts, pollution’, of his approach to landscapes, observing urban territories marked by phenomena of sedimenta- 1999; ‘Crois-moi’, 2001; ‘Reversal Paris’, 2009) expose succes- which he defines as “sites of time”.’ tion, destruction, or degradation, are led to interrogate the repre- sive processes of aging and recovering. The artist proclaims himself Laurence Corbel, ‘L’œil pittoresque de Robert Smithson’, in Fabienne sentation of ruins. Inspired by individual and collective use of urban interested by ‘life that goes on in all its forms despite the abandon- Costa and Danièle Méaux (eds.), space, these artists offer sensorial experiences renewing our rela- ment of structures and messages.’ 4 A permanent sedimentation of Paysages en devenir (Saint-Étienne, Presses universitaires tionship to the urban imagination and our concept of public space. the city appears through these traces, destined to be superimposed de Saint-Étienne, 2012), 173. Others appropriate the architectural model, a tool for speculation, and to disappear. In his photographs, Philippe Durand foregrounds formalisation, and communication, which becomes an element particular, ‘weak’ gestures, attempts to inscribe oneself in the urban 4. ‘Un retentissement moderne’, of critical reflection on the relationship between utopia and reality world. These fragile, sometimes illegible signs manifest a resist- interview with Michel Poivert, Bulletin de la SFP, no. 12 (December 2001). in the history of modernity. ance to an urban world structured by different orders and codes,

88 89 Alice Laguarda Beyond Ruins acting like ‘archaicisms infiltrating themselves among the symbols are ‘non-places’, instruments of spatial division and fragmentation of modernity.’ 5 Thus the art critic Pascal Beausse describes a kind 5. Pascal Beausse, Dérives to which corresponds an atomisation of activities and social bonds. of vernacular whose presence in the urban environment facilitates (Paris: 779 Éditions, 2001), 5. In Pierre Faure’s photograph (Sans titre no 28, 1999), taxi drivers wait awareness of the sedimentation of histories and usages. in their cars near a station or an airport. In another picture (Sans For Yves Bélorgey and Philippe Durand, this relationship to time titre no 30, 1999), they play chess. These men take advantage of a is accompanied by a reflection on the relationship between the sub- work break to create a convivial space within a territory dedicated ject and its mode of representation. The mimetic and illusionistic to transit. Through this appropriation of space appears an unex- functions of painting in Yves Bélorgey’s works are reproblematicised pected utilisation of it, seeming to play against the threat of disso- by the harshness of his subject, the ‘housing block’. The artist’s lution and disappearance. The two photographs illustrate attempts processes acquire aesthetic force through the importance given to live in that space nonetheless, to construct something there, to paint itself in the canvases, which aims, as Jean-Marc Huitorel ephemeral though it may be, to make do. For the individual ‘is not acutely notes, to reveal a ‘triumph of painting’ over architecture.6 6. Jean-Marc Huitorel, ‘L’immeuble meant to be merely a background figure but an active element, Photography, according to Philippe Durand, is like the tool of an comme tableau’, in Yves Bélorgey. in a world he didn’t make, that doesn’t really belong to him.’ 9 9. Estelle Pagès, Pierre Faure. Anthropologie dans l’espace ethnographer, ‘observing the contemporary industrial world, For Ian Wallace and Jordi Colomer, the body is the instrument of Dans le courant du commun (Bourges: (Geneva: Mamco, 2012), 16. La Box, 2001), n. p. a traveller exploring the space of postmodernity, a tourist whose a playful and critical appropriation of the urban environment. Images goal is not to reproduce the images on postcards but to look just 7. Huitorel, 5. of skaters, photographically isolated by Ian Wallace on large painted a little to the side, where the scenery is cracking and flaking.’ 7 panels (Free Play I and III, 1996), express a relationship of equality with Observing the material and temporal sedimentation of the city their architectural environment. Through their composition (painted may also lead to reflection on the composition of the photographic verticals interrupt the continuity of the photographic image), the art- image. For his ‘Normandie’ series (2004-2005), Benoit Grimbert ist creates a rhythm that foregrounds the body’s movement and dyna- worked from the French Ministry of Reconstruction and Urban mises the space. The human body finds its place in space whose rules Planning’s photographic archive devoted to that territory. His images of organisation and occupation become flexible, modulable. For Jordi combine views of key projects in the reconstruction and of ordi- Colomer, the human body is a measuring instrument but also an ele- nary, banal spaces in Caen, Sotteville-lès-Rouen, and Saint-Lô. The ment that disturbs urban order and challenges submission to stand- photographs’ square format (50 × 50 cm) suits a studied compo- ard behaviours. In Anarchitekton (video installation and photographs, sitional strategy. They are overall views of architecture, spaces for 2002-2004), the figure of Idroj Sanicne passes through the cities of circulation and (sometimes) nature, showing an unexpected depth, Bucharest, Barcelona, Brasilia, and Osaka. He carries large-scale mod- far from the caricatural vision of spaces sealed off from each other, els in partially-painted cardboard of some of the buildings visible in the objects of an absurd juxtaposition. The photographer emphasises background. A dialogue arises between the urban setting, the figure’s the ‘in-between’, borders and intermediate zones, where differ- modes of travelling, and the sculpture-models. The cities Idroj travels ent strata of development meet. In these images, Benoit Grimbert through show a heterogeneity of spaces and histories, from vestiges of gives an important place to underfoot and empty space, bringing out totalitarian architecture and modernist utopias to new cities and vacant a balance between the elements structuring these spaces, between lots. Idroj contaminates these spaces with fiction and fable, taking on their variety and recurrence, modifying the perception of these various identities: is he an athlete, a hapless demonstrator, or a deter- landscapes marked by destruction. mined revolutionary? In Anarchitekton, the human body reveals and challenges the standards and aberrations of the modern urban space. The attitudes and peregrinations of Idroj, confronted with a space like 10. See Paul Ardenne, L’Image-corps. Figures de l’humain dans l’art du To inhabit is to play a stage set, unreal and decrepit, often suggest burlesque. In Bucharest, xxe siècle (Paris: Éditions du Regard, he uses found objects whose fragility creates a comic contrast with the 2002). Throughout the world, urban territories are marked by zones gigantism of the urban environment. In Barcelona, he hands passers- 10 11. Fabio Rieti, ‘Fonction du jeu et of passage, transit, waiting. These correspond to what the anthro- by the keys to an imaginary apartment. It’s a ‘play-body’ in action, the terrains de jeu’, Traverses, no. 4, pologist Marc Augé calls ‘non-places’: 8 spaces that create isolation 8. Marc Augé, Non-lieux. Introduction instrument of a reciprocity in constructing and inventing with the city, ‘Fonctionnalismes en dérive’ and solitude; spaces void of memory or history. Supermarkets, à une anthropologie de la its centre and its margins, where ‘the city itself must be “playable”, (Paris: Éditions du Centre Georges surmodernité (Paris: Seuil, 1992). Pompidou, 1976), 42. multiplexes, railroad stations, airports, highways, and transit camps so that one may “be playful” with it, “play it off” as often as possible.’ 11.

90 91 Alice Laguarda Beyond Ruins Resistances to disorientation and appearance nonetheless leaves them enigmatic. Here the street is no longer a place of meeting, sharing, togetherness. It is The city is a reservoir of psychic material, of emotions and fan- a space of solitudes that are juxtaposed without ever coming to tasies deriving from contrasted feelings and perceptions: solitude, know each other. fear, instability – but also sociability, solidarity, exchange. Knut In the utilitarian logic of our societies, architecture and urban Åsdam’s photographs and films investigate this ‘being’ of the city, planning may be seen as the instruments of individuals’ alienation. its effects on the human psyche, the bond between inhabitant and Public space represents something important for our artists as a environment. His photographic series ‘Psychasthenia 10’ (2000- possible place for an ‘economy of exchange’ supplying ‘opportu- 2001), thus, presents building facades at night, dominated by the nities for transfer, where the spectator decides whether or not to harsh illumination of streetlights and large trees. The artist’s focus is appropriate the cognitive and perceptual field offered’. 14 In several 14. Marie-Ange Brayer, Domaines the tension in the city between hidden and apparent, standard and of his works, Jeppe Hein disrupts the function of street furniture publics (Orléans: Éditions HYX, 1999), 11. specific, common and singular. ‘Psychasthenia 10’ underlines a feel- to create situations based on surprise and discomfort: the ‘Moving ing of opacity, a disorientation engendered by anonymity and archi- Bench’ series (2000) consists of motorised benches that move tectural gigantism. This disorientation is reinforced by the treatment when someone sits on them; the bench in Did I Miss Something? of the photographs, emptied of any human presence, bathed in a (2001) is equipped with sensors that set off a fountain in front of greenish light recalling certain images produced by security cam- the bench when people sit down and turn it off when they get up. eras. Calling upon a text by Roger Caillois, 12 Knut Åsdam adopts the 12. Roger Caillois, ‘Mimétisme et The ‘Modified Social Benches’ (2005-2006), installed in public areas, theory according to which psychasthenia may lead to a ‘deperson- psychasthénie légendaire’, Minotaure, invite spectators to actions that transform their perception of the no. 7, 1935. alisation by assimilation to space’. The urban space becomes an urban environment and their relationship to the object. The shape absorbing, devouring force, as illustrated by the large formats and 13. Knut Åsdam, on his website: of these benches and some of the elements composing them have low-angle framing of the images. Knut Åsdam’s photographs high- www.knutasdam.net been altered, softened, removed; others are twisted or extended light the co-dependence of the city and its inhabitants, bringing in oblique or sinuous lines. Experimentation, in these situations, together dimensions ‘at the conjunction of the social, the personal, aims to redefine the use of street furniture, to make an effort the paranoid, and the public’. 13 The coldness of these spaces seems to reinvent its functions. The interaction of the human body to open an alternative space-time, that of an intimate, imaginary with these transformed furniture elements creates a reciprocity, projection that keeps us oscillating between consciousness and introduces play into a polished, policed urban space that tends torpor, fascination by the surface and fear of the depths. to freeze exchange and circulation. The idea of an existential spatiality particular to the modern city is equally important in the ‘Streetwork’ series by Philip-Lorca diCorcia, made in Tokyo, Berlin, New York, and Paris (1993-1997). High and low cultures The artist theatricalises the representation of the urban space in his photo shoots, using lighting that isolates one or several figures in Modern architecture’s aesthetic vocabulary seems to have the crowd. In the street, at the base of buildings, anonymous faces been diluted, in the banality and triviality of economies of scale and bodies stand out. The photographs’ composition borrows from and developers’ projects, to produce a uniform habitat. This slip- the vocabularies of painting and cinema: the theme of apparition page informs the work of Didier Marcel, who blurs the architec- surges forth. It is as though the artist offered images of a resingu- ture’s semantic functions by means of models reproducing stand- larised city, of which all the psychic material appeared to us bru- ardised buildings. For instance, Prefab Church, d’après E.T. 15 (2009), 15. A reference to the photography of tally and head-on. But, at the same time, these figures remain enig- a building model set on a revolving steel base: is it a house of wor- Éric Tabuci, which features construc- tions in peri-urban territories. matic, petrified by Philip-Lorca diCorcia’s camera, statues walled ship (a cross is drawn on one of the gables), a house, an agricul- up in their interiority. The image of the individual is an impenetra- tural or industrial storage hangar? Through this interpretive fluidity, ble facades. The artist plays upon analogy with the architectural and Didier Marcel offers a way of rethinking the domination of the for- urban environment: cold, univocal, ‘neutral’ glass facades belie the mal vocabulary of modern architecture in confrontation with both ideal of transparency. Opacity persists. A constant in Philip-Lorca banality and the heterogeneous nature of peri-urban landscapes. diCorcia’s work is to show isolated individuals whose exposure He creates a dialogue between the architecture of non-architects

92 93 Alice Laguarda Beyond Ruins with the capital-H History of modern architecture (recalling, for sies and projections. So Myriam Mechita’s baroque universe shows. instance, Le Corbusier’s fascination with factories and grain silos). Territoires rêvés (2008), a sculpture derived from drawings of imagi- Decontextualising and modelling buildings makes them simultane- nary spaces, evokes a city or fortified castle. Is it in ruins or under ously negligible and iconic, as though the artist were giving him- construction? There are neither doors nor windows, just massive, self over to a critical archaeology of architectural forms. In a similar shiny black blocks. The material used, black Lego pieces, a univer- approach, Kristina Solomoukha plays with ‘the identity-based values sal component in childhood imagination, acquires a new dimension, of architecture, destabilising its signs of recognition, the very signs between dream and nightmare. It is as though the power of that, for Robert Venturi in the 1970s, maintained the symbolic the imagination were to completely rewrite modern architecture’s cohesion of the city and that, today, revolve around their own 16. Marie-Ange Brayer, ‘La maquette, relationship with history, transforming a traumatic habitat experi- un objet modèle? Entre art et 16 semantic emptiness’. In her sculptures, films, and installations, architecture’, L’Art même, no. 33 ence (the artist’s, who spent her childhood in a housing project) the artist creates representations based upon illusion and absurdity. (4th trimester 2006): 14. into a ‘wrecked dream’. Kristina Solomoukha creates a dialogue between the aesthetics Following the lead of Tristan Trémeau, we might think that 17. ‘The great originality of the generic and urban typologies of the 20th century: Light House (2003), city is quite simply to abandon what Wilfrid Almendra and Myriam Mechita seek to go beyond an for example, a building model set on a pylon, may evoke the post- no longer works or is of use (shat- ‘allegorical art that fetishizes ruined modernist signs by reproducing modern formalism of an Aldo Rossi triumphing over the symbols of tering the asphalt of idealism with them’ and repeating ‘in a melancholy and cynical way the processes the jackhammer of realism) and 19 modernity. In Identité permutable (2005-2006), volumes in plexiglas accept what springs up in its place’; of disintegration and reification on which that art bears’. With 19. Tristan Trémeau, ‘Pour en finir and mirror, forming the model of a city, host the images of highway ‘The generic city is the letting go his series of sculptures dedicated to Case Study Houses, Wilfrid avec le Zeitgeist mélancolique’, L’Art même, no. 50, ‘Néo-modernes?’ interchanges and building facades. The relationship between signs of everything that previously could Almendra neither judges nor condemns the products of modern structure a group and ensure (1st trimester 2011), 6. and images created by the artist is troubled, introducing an irony its cohesion’. Rem Koolhaas, architecture. He mixes forms and materials to expose more exactly regarding the evolution towards the generic of the city and of archi- ‘Junkspace’, in Mutations (Bordeaux: the contradictions inherent in modernism. Myriam Mechita, on the arc en rêve centre d’architecture / tecture itself, where everything seems to dissolve into cynicism actar, 2000), 728 and 732. other hand, lays claim to the subjective appropriation of a generic and anarchy. 17 habitat, without qualities, where openness to fiction vies with Faced with the domination of the generic city, the aesthetic the temptation to melancholy. poverty produced by architecture and urban planning in the sec- Other artists in the Frac Normandie Caen collection devise ond half of the 20th century, we must replay and reinvent history. their creation from a collision of signs in which there coexist high Wilfrid Almendra chooses an experimental face of modernity in and low cultures, popular and academic lore. Gauthier Leroy uses Killed in Action (Case Study Houses) (2009). The Case Study House banal consumer objects in his sculptures, combining references to programme, initiated in 1945 by a Californian journalist and pub- modern architecture (Frank Lloyd Wright’s Fallingwater in The XX lisher and continuing through 1966, championed innovative individual Century’s Wolf, 2007, and Bear Head House, 2008) with comic strips house projects. The artist creates a series of sculpture-models or rock and blues music. The sculptures are decorated with repro- of houses that were not produced. In them, the purity and quest ductions of trivial objects (cigarette butts, peanuts, figurines, beer for formal perfection of the Case Study Houses architects are cans). The use of heterogeneous materials (wood, metal, ceramic, contaminated by the use of materials characteristic of cheap hous- foam rubber) also demonstrates a taste for ornament and kitsch ing (roughcast, planking, linoleum, corrugated tin, etc.). The sculp- that disrupts modernist austerity. Saâdane Afif makes a similar tures are designed as bas-reliefs. Their placement on the wall gesture when he appropriates the towers of speakers used for rave – horizontal or vertical – reinforces the analogy with the vocabulary parties to create sculptures (Babel [astrofonik], 2007). They are in of architectural drawing (block plan) and furniture elements. Their 18. Alison and Peter Smithson, white-painted cardboard set on black plexiglas pedestals the size ‘Thoughts in Progress: The New rudimentary aspect also recalls the link with economy, a possible Brutalism’, Architectural Design (April of 33rpm vinyl records. Like towers, they evoke both the works of echo of the affirmation of architects Alison and Peter Smithson, 1957). Brutalist architects were ins- Russian Constructivist and Suprematist artists of the 1910s and the defenders of the Brutalist style in the 1950s: ‘Brutalism tries pired by Mies van der Rohe and late buildings of Japanese Metabolist architects of the 1960s. The archi- Le Corbusier – particularly his work to face up to a mass-production society, and drag a rough poetry in Chandigarh. The Brutalist style is tectural model is no longer, for these two artists, a subject in itself; out of the confused and powerful forces which are at work.’ 18 based on the use of raw materials it is inserted in complex ensembles and becomes an element in nar- The architectural model opens the way to representations of and the principle of a rational archi- ratives based on transfers of meaning, games of scale and material. tecture that does not aim at effect. habitat, the creation of a world in miniature, object of all fanta-

94 95 Alice Laguarda Beyond Ruins Fascination for modern architecture and cities shaped the history of art in the first half of the 20th century. Photographers and sculptors explored urban, peri-urban, and industrial zones, creating over the course of the 1960s an archaeology of these ter- ritories, open to various imaginations: a taste for ruins and thoughts of entropy (Robert Smithson, Tony Smith, etc.), documentary or sociological representations (Ed Ruscha, Bill Owens, Bernd and Hilla Becher, etc.), reflections on the relationships between architectural space, object, and the human corporeal scale (Donald Judd, Robert Morris, etc.). Drawing upon these heritages, today many artists offer other modalities of apprehension and representation. Temporal dis- tance from modernity invites us to rethink the cycles of construc- tion / destruction inherent in its aesthetic and political history, its excesses and divagations as well as its fundamental contributions. Architecture, considered as an autonomous language, the object of critical knowledge, calls upon the play of displacements or deconstruction of systems of representation. A new moment of dialogue is established in art between the modernist ideal and postmodern dissonances. These multiple dimensions interrogate our desire to understand and inhabit landscapes and territories that alternate ceaselessly between order and chaos, theatres of social inequality and aesthetic absurdity. For the question is always one of foundation. Not the monolithic foundation of totalitarian or holistic societies of the past. The tem- pests of modernity, then postmodernity, have swept urban territo- ries, crises have disrupted, toppled, turned inside-out everything we knew, but the need for foundation persists. People scatter in many directions, sometimes directly opposed; they seek, they wan- der in the desert because they have been ‘deserted’. Contemporary artists – and those of the Frac Normandie Caen collection in particular – keep faithful watch, restore play to the heart of the city, show paths of resistance against the forces of alienation and depersonalisation. They are more than watchers, they are wakers.

96 Alice Laguarda En 2010, dans le catalogue de l’exposition « Gabriel Orozco » (Centre Pompidou, Paris), l’historien de l’art américain Benjamin Buchloh parlait d’un soi-disant endormissement de la sculpture en France : « C’est le cas en France, depuis les années 1960, où la sculp- ture, en dépit de sa grandeur passée – d’Auguste Rodin à Henri Matisse, Polymorphisme de Brancusi à Alberto Giacometti –, a atteint un état de “fatigue” paradigmatique qui la fait apparemment disparaître du paysage des de la sculpture d’aujourd’hui arts plastiques 2. » Le constat de Buchloh, pour le moins saisissant, 2. Benjamin Buchloh, « La sculpture nécessite d’être discuté quant à la vision partiale qu’il donne de la entre l’État-nation et la production mondialisée de biens culturels », in Valérie Da Costa scène sculpturale française. Car il n’y a qu’à circuler dans les écoles Christine Macel (dir.), Gabriel Orozco, d’art, galeries, centres d’art, Frac et autres institutions pour voir Paris, Éditions du Centre Pompidou, combien la sculpture est présente à travers une diversité de moyens 2010, p. 50-59. qui va du ready-made à la céramique. Alors, sans parler d’un retour de la sculpture, comme on a entendu parler il y a quelques années d’un retour de la peinture, comme si elle avait disparu et revenait De toutes les formes d’expression artistique qui ont traversé la d’un long voyage, il s’agirait plutôt de parler d’un renouveau de la création du xxe siècle, la sculpture semble être celle qui a subi le plus sculpture à travers l’engouement que manifestent artistes et institu- de bouleversements esthétiques. Il y a peu de points communs entre tions pour ce médium, comme l’ont été dans les années 1990 et 2000 des plaques d’acier de Richard Serra, une performance de Gilbert & la vidéo et la photographie. Contrairement à ce qu’affirme péremp- George, une déclaration de Ian Wilson ou une œuvre pneumatique toirement Benjamin Buchloh, la sculpture en France n’a jamais mon- de Piero Manzoni, sauf l’affirmation commune de ces artistes de se tré un soi-disant état de « fatigue ». Bien au contraire, des artistes situer dans le champ de plus en plus élargi de la sculpture. La sculp- ont toujours considéré agir dans le champ de la sculpture, comme ture n’est donc plus, selon la formule lapidaire fameusement attri- d’autres dans le champ de la peinture, mais le système de l’art (cri- buée à Ad Reinhardt, « ce sur quoi l’on se cogne lorsque l’on recule tiques, institutions, galeries) a moins cherché à les voir donc à écrire, pour regarder un tableau », mais désormais une manifestation plas- exposer et vendre leur travail. tique dans laquelle la matière peut se trouver tout autant dématéria- lisée qu’exister à travers un objet autonome ou environnemental qui intègre et repense l’espace de l’exposition. Un art du geste Rosalind Krauss avait, à la fin des années 1970, remarqué ces nouvelles perspectives sculpturales en soulignant dans un texte bien L’intérêt porté, depuis ces dernières années, au travail d’Anita connu, paru dans la revue October, qu’ « au cours des dix dernières Molinero (née en 1953) est à ce titre assez exemplaire et représen- années, on s’est mis à nommer sculpture les choses les plus diverses : tatif d’une nouvelle considération portée à la sculpture, à sa sculp- d’étroits corridors équipés d’installations vidéos à leurs extrémités ; ture. La question de l’assemblage de matériaux ordinaires, qui est de vastes photographies traçant le relevé de promenades à pied dans fondatrice de la modernité sculpturale du xxe siècle, et leur manipu- la campagne ; des miroirs placés dans des pièces ordinaires, mais à lation – qu’elle partage, entre autres choses et sous des modes diffé- des angles inhabituels ; des lignes provisoires creusées dans le sol rents, avec des artistes de sa génération telles Isa Genzken, Phyllida du désert. Rien ne semble autoriser des œuvres aussi disparates à Barlow ou Nancy Rubins, ne semblait pas vraiment au goût du jour revendiquer le statut de sculpture, quel que soit le sens qu’on donne lorsque l’artiste commença à se faire connaître au début des années à ce terme. À moins, précisément, de pouvoir lui conférer une mal- 1980, période largement dominée par le goût du ready-made et de léabilité infinie 1. » 1. Rosalind Krauss, « Sculpture in l’art (post)conceptuel. En réalisant des œuvres en carton, mousse, C’est justement de cette question d’une « malléabilité infinie » de the expanded field », October, no 8, plastique ou polystyrène, qui étaient le résultat d’une multiplicité été 1979. Repris dans L’Originalité la forme sculpturale dont il sera ici question, en s’intéressant plus de l’avant-garde et autres mythes de gestes, Anita Molinero n’a cessé, depuis trente ans, d’envisager particulièrement aux choix opérés par le Frac Normandie Caen qui, modernistes, Paris, Macula, 1993. la sculpture comme une tauromachie c’est-à-dire comme un face- depuis plusieurs années, a orienté sa collection vers la sculpture. à-face, une confrontation directe avec la matière dont l’œuvre est

98 99 Valérie Da Costa Polymorphisme de la sculpture d’aujourd’hui le résultat de ce processus gestuel et de cette énergie figée. À ce La sculpture comme art de la représentation titre, le corps tient chez elle une place centrale qui relève de l’impact (Cocoerrance, 2007), de la trace et parfois de la citation, comme Depuis les photographies nocturnes du Balzac de Rodin prises par si cette présence corporelle, traitée sur le mode de l’absence, et Edward Steichen au début du xxe siècle ou celles faites par Brancusi nécessairement liée à l’acte sculptural, semblait être une préoccu- de ses propres sculptures, l’enjeu de la photographie de la sculpture pation commune à d’autres sculpteurs, à l’instar du travail de Michel n’est pas seulement la question de sa reproduction documentaire, François par exemple. mais le moyen de transmettre par la planéité de l’image, qu’elle soit C’est une autre confrontation au matériau que propose Michel Blazy fixe ou en mouvement, les qualités plastiques de sa présence et la (né en 1966), lui qui envisage son travail comme une forme instable et multiplicité de ses points de vue – une autre manière de saisir les perpétuellement évolutive. Se définissant comme sculpteur, Michel enjeux sculpturaux mis en œuvre. Certains artistes ont, au cours des Blazy a élu des matériaux périssables issus de notre quotidien (crème années 1960, utilisé la photographie en tant que sculpture comme dessert, concentré de tomates, bain moussant, flocons de pommes moyen d’incarner un geste, une attitude (Bruce Nauman) ou pour de terre, purée de carottes, etc.) dont la liste est longue et variée donner la mesure de la construction d’un paysage-sculptural et de sa et dont il exploite et étire patiemment les possibilités plastiques 3, 3. Pour une analyse plus précise du présence dans ce cadre circonscrit (Robert Smithson, Richard Long) 5. 5. Au sujet du rapport entre comme celle de recouvrir un mur ou une énorme boule de coton de travail de Michel Blazy, je renvoie à Pour Emmanuelle Lainé (née en 1973), la sculpture est avant tout la sculpture et la photographie, mon texte « Michel Blazy : je ne vous voir les actes du colloque Sculpter- concentré de tomates puis de les laisser moisir (Chawarma, 2010). Ou ai jamais promis un jardin de roses », une histoire de processus, longue aventure depuis le développe- Photographier. Photographie- bien en créant des fontaines de mousse dont les formes disparaissent in Cahiers du musée national d’Art ment de l’art processuel (Process Art) défini par Robert Morris dans Sculpture, Paris, Éditions du musée o progressivement et au fur et à mesure que l’œuvre est en train de moderne, n 105, automne 2008, son texte sur l’« Anti Form » en 1968, illustrant, à la fin des années du Louvre / Marval, 1993. p. 100-115, ainsi qu’au texte « Diffé- se faire. rences et répétitions ou comment 1960, les diverses manifestations du post-minimalisme mettant en Cette rencontre avec les matériaux implique l’idée d’expérimen- sculpter le vivant », in Michel Blazy, avant les actions portées sur le matériau. Un rapport au matériau Paris, Frac Île-de-France / Manuella ter et de « laisser faire ». L’œuvre n’est jamais enfermée dans un pro- Éditions, 2014. qui, chez elle, permet de mettre en valeur, de laisser visibles les dif- cessus figé – ce qui est rendu possible par les matériaux employés –, férentes actions qu’elle lui fait subir. L’artiste n’hésite pas à associer, comme s’il s’agissait pour l’artiste de jouer avec l’ensemble de ces dans une même réalisation, ce qui est de l’ordre du moulage et de la mutations, d’aller jusqu’où « le matériau s’échappe », concrétisant taille directe, et à se confronter à des matières dont elle ne maîtrise ainsi ce que défendait le père des modernités artistiques, Marcel pas la technique de travail (découper du tissu béton, coudre du cuir, Duchamp, en proposant qu’on puisse « ouvrir la porte au lieu de etc.) et dont elle déjoue les possibilités formelles. C’est la raison pour contrôler tout ce qu’on fait par des mots en expliquant ce qu’on va laquelle ses œuvres semblent toujours être des expérimentations faire ou qu’on voudrait faire. N’expliquer rien. Laisser, laisser faire 4. » 4. Georges Charbonnier, qu’elle ne cherche ni à renouveler ni à situer du côté du reproduc- À ce titre, Michel Blazy renoue avec un certain usage du temps, dans Entretien avec Marcel Duchamp tible. Récemment, Emmanuelle Lainé a envisagé la sculpture comme (1960), Marseille, André Dimanche la lignée des artistes du land art, de l’art corporel ou du post-minima- Éditeur, 1994. une réalisation n’étant ni transportable ni conservable. Existant sous lisme, qui, dans la décennie des années 1960, défendaient l’idée que la forme d’images photographiques, celles-ci ont la capacité de signi- le temps, autrement dit sa manipulation, était à considérer comme fier qu’il ne s’agit pas de la représentation d’une sculpture, mais bien l’un des matériaux de l’art. de la sculpture elle-même car, de par sa tridimensionnalité et ses Depuis le début des années 1990, l’artiste s’est ainsi engagé, de qualités plastiques et physiques, seule la sculpture semble pouvoir se manière jusqu’au-boutiste, à mettre en place un art de la disparition saisir de l’image photographique 6. Ces images d’atelier (Stellatopia #2, 6. Sur cette question, je renvoie dont le contenu peut, paradoxalement, être réactivé si nécessaire, Stellatopia #3, 2011) donnent donc à voir différentes sculptures en à mes textes « Le Tout sculpture », in Mouvement, no 59, avril-juin 2011, par l’intermédiaire d’un mode d’emploi, afin que l’œuvre soit refaite. cours de réalisation qui sont le résultat d’une multiplicité de gestes p. 122-127 et « La vie matérielle », in Ainsi, à la question de l’unicité de l’œuvre d’art, sujet crucial de la et d’actions, soulignant l’idée d’une œuvre en perpétuel chantier et Mouvement, no 60, juillet-septembre création artistique que le philosophe Walter Benjamin (1892-1940) transformations dans la lignée du Continuous Project Altered Daily de 2011, p. 62-67. a analysé dans son célèbre texte L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproduc- Robert Morris en 1969, « construction de ruines » comme la nommait tibilité technique (1935), Michel Blazy répond par son désir de repro- l’artiste avant qu’elle ne soit complètement détruite et n’existe que duction et de refabrication. par la trace photographique.

100 101 Valérie Da Costa Polymorphisme de la sculpture d’aujourd’hui C’est aussi ce principe que l’on retrouve exprimé, autrement, dans niques de la taille directe, du modelage, du tissage, de la céramique le travail de Zin Taylor (né en 1978) et pour qui la sculpture existe sous ou encore du fer forgé – un savoir-faire qui conditionne la réalisa- le mode de sa représentation. Les photographies en noir et blanc tion de l’œuvre. La multiplicité des matériaux industriels et parfois de la série « Wood and Dust » (2010) font état de différents gestes précieux (laine, terre, métal, bois, caoutchouc, peau de poney ou de qui ont donné naissance à de petites formes sculpturales précaires, kangourou, etc.) qui compose leurs réalisations nécessite une habi- construites à partir de l’assemblage de morceaux de bois et de petits leté qui va du geste du tisseur à celui du potier, en passant par celui agrégats de poussière. Pourtant, chacune de ces images de taille du bûcheron. Car ce sont bien les outils de l’artisan ou du bricoleur réduite construit une narration dans laquelle chaque élément formel (tronçonneuse, scie, marteau, métier à tisser…) qu’affectionnent les se voit attribuer un motif : une arche, une grenouille, une tête, etc., deux artistes dans leur conception de la sculpture. En jouant sur des tout en affirmant que l’image fait ici état d’une action sculpturale. confrontations de matières et de tailles, la notion de Gestalt [forme] se trouve être au cœur de leur création, suscitant l’expérience per- ceptive immédiate des différentes qualités matérielles mises en Un art du faire œuvre. C’est le cas de leur Polar Bear (2007) qui est construit sur la rencontre de deux matériaux, du bois et une combinaison de surfeur Ce rapport au matériau est bien ce qui lie, d’une manière ou d’une en néoprène, qui, placée sur le dos de l’animal, semble jouer le rôle autre, une génération de sculpteurs nés entre les années 1970 et 1980, de couverture. À la lecture de leurs réalisations, on pourrait ainsi dire parmi lesquels on peut citer Katinka Bock, Oscar Tuazon, Stéphanie que leur travail fonctionne comme un oxymore, l’expression d’une Cherpin, Laurent Le Deunff ou encore Christoph Weber. Qu’il s’agisse douce violence qui naît de ces contrastes abrupts de matériaux. des matériaux pauvres et traditionnels (bois, terre, pierre, plâtre), qui Privilégiant aussi un art du faire, Laurent Le Deunff (né en 1977) sont historiquement ceux qui appartiennent au langage d’origine de la part souvent du matériau qui induit la sculpture. Un morceau de bois sculpture, ou encore ceux qui se situent dans le domaine de la récu- donne naissance à un totem, une dent d’animal à un visage, un tube pération ou de la production industrielle, chacune de ces approches en plastique moulé dans du ciment à une trompe d’éléphant (Nœud est déterminée par une prise en compte de la matière, du geste, de trompe V, 2012). Sa sculpture oscille entre les registres de l’objet des volumes et de l’espace, et se situe au-delà de l’esthétique usée d’art, de l’objet manufacturé et de l’objet d’artisanat. Les sujets que du ready-made, de la distanciation ou de la délégation créatrice. Il l’artiste traite, et qui se situent dans le registre élargi du monde de la est plutôt question de proposer un art de la technè, c’est-à-dire du nature, la technique qu’il développe – la taille directe et le modelage « faire ». (techniques qui appartiennent à l’histoire de la sculpture) –, affirment Il se manifeste chez Christoph Weber (né en 1974) par un traite- l’absence de toute hiérarchie ou catégorie formelle. L’accessibilité du ment du matériau (tiges métalliques et ciment) (Bündel, 2012) laissé travail de Laurent Le Deunff cache de véritables enjeux esthétiques. à l’état brut, c’est-à-dire sans volonté de transformation dans leur Et il serait erroné de ne voir dans son travail qu’une reprise de motifs manipulation. La sculpture est le résultat d’un geste le plus réduit populaires remis, par l’artiste, à un certain goût du jour. La lecture de possible et d’apparence le plus simple qui, impliquant une physica- son œuvre s’avère, au contraire, bien plus complexe qu’elle n’y paraît lité dans l’association de deux matériaux, vient révéler l’espace où car sa sculpture déjoue notamment les notions de high and low. l’œuvre se trouve et en redoubler autrement le sens architectural. Cette réflexion se retrouve dans le travail de Scoli Acosta (né Daniel Dewar et Grégory Gicquel (nés en 1976 et 1975), eux, se en 1973) et de Mick Peter (né en 1974), qui tous deux illustrent cette situent dans la perspective d’une sculpture qui tiendrait plus de l’ar- capacité de reprise de signes visuels ordinaires (chandelier de fleurs, tisanat, du hand made et de sa valeur plastique que d’une esthé- boîte de craies géante, etc.) qui, revisités, ont cette capacité à se tique minimale, déléguée, dépersonnalisée et industrialisée, dévelop- situer entre les arts populaires et les beaux-arts, redonnant à la pée par la génération précédente (Delphine Coindet, Xavier Veilhan, notion de kitsch sa valeur d’usage, telle que dans les années 1980 Didier Marcel, Marie Péjus et Christophe Berdaguer). Chez Dewar et Haim Steinbach ou le collectif Présence Panchounette l’ont exprimée Gicquel, il s’agit, au contraire, de penser la sculpture dans son accep- à leur manière (Nature morte Nazi ou Nature morte armée, 1972). tion la plus traditionnelle, c’est-à-dire dans une confrontation avec la matière, en renouant avec des matériaux (bois, terre, métal) que la contemporanéité a souvent délaissés, tout en acceptant les tech-

102 103 Valérie Da Costa Polymorphisme de la sculpture d’aujourd’hui Fonctionnalité de la sculpture Dématérialiser la sculpture

S’il y a des gestes architecturaux qui ressemblent à des sculptures Certaines avant-gardes historiques, comme le cubisme, le futu- (les constructions de Zaha Hadid par exemple), il y a des sculptures risme puis le constructivisme, au cours des années 1910 et 1920, ont qui s’apparentent à des architectures. C’est le cas du Merzbau (1923- fait prendre conscience que la sculpture n’est plus uniquement sou- 1933) de Kurt Schwitters, des sculptures habitacles du prolifique mise aux questions de volume, de masse, de poids – c’est-à-dire à ce André Bloc au début des années 1960, des « anarchitectures » de Jean qui appartient structurellement au langage de la sculpture, qui est Dubuffet (Jardin d’hiver, Tour aux figures…), dont les expériences sont avant tout un art de la pesanteur plus que de l’apesanteur, mais qu’elle menées au cours des années 1970, ou encore des cellules d’Absalon engage des « immatériaux » tels que l’espace, le vide, la lumière, le réalisées dans les années 1980. L’architecture et la sculpture se sont son, qui peuvent entrer dans le champ sculptural. « Nous rejetons souvent rencontrées sur le terrain d’une possible fonctionnalité de la le volume comme forme plastique de l’espace. Nous affirmons la sculpture, fonctionnalité certes limitée et relative. PROFONDEUR comme seule forme plastique de l’espace. […] Nous Ce sont les maquettes qui retiennent l’attention de Kristina rejetons dans la sculpture la masse en tant qu’élément sculptural 7 », 7. Naum Gabo et Antoine Pevsner, Solomoukha (née en 1971), de Didier Marcel (né en 1961) ou d’Hervé écrivent Gabo et Pevsner dans leur Manifeste réaliste (1920), dont Manifeste réaliste, repris in Qu’est- ce que la sculpture moderne ?, Paris, Bezet (né en 1970), rejouant les utopies architecturales socialistes les propos sont précurseurs et avant-coureurs de nombreuses pro- Centre Georges Pompidou, 1986, (Light House, 2003), l’attachement aux signes ruraux (Sans titre blématiques contemporaines (le temps, l’espace, le vide, la lumière p. 362-365. [Prefab Church, d’après E.T.], 2009) ou encore les peurs de l’enfance comme conditions de réalisation de l’œuvre d’art) qui ont trouvé (Gérard’s ghost house, 2010). Élisabeth Ballet, elle, se sert de maté- un développement dans l’art de l’environnement, qui s’est largement riaux de construction (parpaings en béton, rampes en aluminium) diffusé au cours des années 1960. pour construire ses sculptures qui invitent à la déambulation (Bande L’œuvre de Bertrand Lavier, Philips (2008), dans laquelle des spots à part, 1998). viennent dessiner sur une surface une forme de lumière, peut sans Mais c’est du côté d’une sculpture formellement proche du design, doute être rapprochée des propositions lumineuses d’Ann Veronica soit d’une forme utilitaire, que se situent aujourd’hui certaines pro- Janssens, d’Anthony McCall ou encore de James Turrell, qui font par- positions d’artistes pour qui la création sculpturale est une subtile tie de ces artistes qui sculptent l’air en modelant la lumière. Leurs articulation entre objet d’art et objet utilitaire. Certaines proposi- environnements colorés et immersifs, où des cônes de lumière à la tions de Berdaguer & Péjus (nés en 1968 et 1969), comme leur Divan matérialité tangible se situent dans une quête de matérialité imma- (2007) en forme de cylindre blanc laqué accueillant une peau de four- térielle, ne sont pas sans rappeler celle de la « sensibilité picturale rure animale, en sont l’exemple même. La sculpture n’est donc plus immatérielle » d’Yves Klein. une chose à observer, mais bien à expérimenter et à vivre au quoti- Si la collection de sculptures du Frac Normandie Caen a encore dien, ce que défend aussi l’artiste Jorge Pardo dans ses projets de peu de propositions dématérialisant l’acte sculptural, il faut tout de sculptures à habiter. Une dimension avec laquelle joue Michel Aubry même compter parmi ses récentes acquisitions l’œuvre de Ian Kiaer (né en 1959) lorsqu’il revisite notamment l’une des chaises de l’archi- (né en 1971) Arretche Studio Project (Pink) (2012). L’artiste anglais s’at- tecte de De Stijl, Gerrit Rietveld, déclinée de la célèbre Chaise rouge tache moins aux volumes qu’aux plans, envisageant la réalisation au et bleue (1918), en un objet délibérément non fonctionnel qui n’a plus sein d’un dispositif léger et formellement pauvre (tissu, carton, PVC) que l’apparence de cette chaise moderniste (Mise en musique de la qui se déploie du sol au mur positionnant ainsi la sculpture du côté de chaise droite de Gerrit Rietveld, 1924-2000). Jeppe Hein (né en 1974), l’installation à travers un éclatement de formes à saisir. lui, préfère choisir la forme générique du banc placé dans l’espace Mais c’est la création de Žilvinas Kempinas (né en 1969), Airbone public et en exploite (avec humour) toutes les modifications formelles (2008) qui, dans une sorte d’héritage post-cinétique, affirme le plus pour aboutir à un objet qui a perdu toute fonctionnalité, mais que l’ar- clairement toute dématérialisation de l’œuvre tridimensionnelle. Car tiste choisit pourtant d’installer dans l’espace social (Modified Social c’est bien le vide, l’espace et l’air qui donnent naissance à la sculp- Bench, 2006), tout en lui faisant retrouver une dimension artistique. ture : un immense cercle fait d’une bande magnétique que l’air des ventilateurs maintient dans une forme aléatoire. La sculpture devient ainsi vide, légèreté, mobilité et transparence. Autant de notions qui déjouent ses caractéristiques inhérentes et qu’un artiste comme

104 105 Valérie Da Costa Polymorphisme de la sculpture d’aujourd’hui Fred Sandback avait déjà explorées dans les années 1970, mais sous une forme fixe à l’aide de ses fils de couleurs tendus dans l’espace.

Des assemblages humoristiques et critiques de Sven ’t Jolle (Schoon Schip / Tabula Rasa, 2010) au détournement d’objet d’Alexandre da Cunha (Full Catastrophe [Drum IX], 2012) en passant par les sculptures étrangement utilitaires de François Curlet (Bunker pour 6 œufs, 2011) : la sculpture est multiple tant sa diversité esthétique est immense. Au regard de la peinture, de la photographie ou de la vidéo, elle est par essence un art pluriel qui est passé d’une forme autonome, homo- gène et fermée à une forme hétérogène, expansive et environne- mentale. Elle est tout à la fois objet, béton, matière périssable, terre, image, lumière, son, présence vivante, soit autant de « matériaux » et donc de directions esthétiques qui viennent affirmer l’élasticité du « médium sculpture » dans lequel se rencontrent d’un côté une réa- lisation périssable de Michel Blazy et de l’autre une sculpture éduca- tive de Julien Prévieux (né en 1974) (Menace 2, 2010). Face à cette pluralité des formes qui ne cesse de se développer, il semble bien que la sculpture est loin d’avoir épuisé tout ce qu’elle avait encore à nous dire. Expression artistique perpétuellement mouvante et renouvelée, elle n’est pas une belle endormie, mais bien une belle éveillée, car elle a cette capacité à saisir les enjeux de sa contemporanéité.

106 Valérie Da Costa In 2010, in the catalogue of the ‘Gabriel Orozco’ exhibition (Centre Pompidou, Paris), American art historian Benjamin Buchloh spoke of a so-called slumbering of sculpture in France: ‘That is the case in France, since the 1960s, where sculpture, despite its past grandeur – from Auguste Rodin to Henri Matisse, from Brancusi to Alberto Giacometti – has reached a state of paradigmatic “fatigue” The Polymorphism that has apparently caused it to disappear from the landscape of the fine arts.’ 2 Buchloh’s observation, which is startling, to say the 2. Cf. Benjamin Buchloh, of Contemporary Sculpture least, requires some discussion as to the biased view he gives of ‘La sculpture entre l’État-nation et la production mondialisée de biens the French sculptural scene. When really all it would take is a walk culturels’, in Christine Macel (dir.), Valérie Da Costa around the art schools, galleries, art centres, FRACs, and other insti- Gabriel Orozco, (Paris: Éditions tutions to see the extent to which sculpture is present, in a diver- du Centre Pompidou, 2010), 50-59. [All translations of citations are ours sity of media ranging from the ready-made to ceramics. So, without unless otherwise specified.] speaking of a return of sculpture, as we have been hearing for sev- eral years now about a return of painting, as if it had disappeared and returned from a long journey, it is instead a matter of affirming a renaissance in sculpture through the infatuation that artists and Of all the forms of artistic expression that have traversed the institutions are expressing for this medium, as was the case in the creation of the 20th century, sculpture seems to be the one that 1990s and 2000s for video and photography. Unlike what Benjamin has undergone the most aesthetic upheavals. There are few com- Buchloh peremptorily affirms, sculpture in France has never dem- mon features between Richard Serra’s steel plates, a performance onstrated this so-called state of ‘fatigue’. On the contrary, artists by Gilbert & George, a declaration by Ian Wilson or a pneumatic have always considered operating in the field of sculpture, as others work by Piero Manzoni, except for the shared affirmation by these have in the field of painting, but the art system (critics, institutions, artists that they belong to the increasingly vast field of sculpture. galleries) has sought them out less often and has less often written, Sculpture is therefore no longer, according to the lapidary expres- exhibited, and sold their work. sion famously attributed to Ad Reinhardt, ‘what we bump into when we move back to look at a painting’, but is now an artistic expression in which matter can find itself just as easily dematerialised as exist- An Art of Gesture ing through an autonomous object or environment that integrates and rethinks the exhibition space. The interest paid in recent years to the work of Anita Molinero Rosalind Krauss had, in the late 1970s, noticed these new sculp- (born in 1953) is in this respect rather exemplary and representative of tural perspectives, highlighting in a well-known text published in the a new consideration for sculpture, and for her sculpture in particular. magazine October, that ‘Over the last ten years rather surprising The question of the assemblage of ordinary materials, which is funda- things have come to be called sculpture: narrow corridors with TV mental to 20th century sculptural modernity, and its manipulation monitors at the ends; large photographs documenting country hikes; – which she shares, among other things and in various modes, with mirrors placed at strange angles in ordinary rooms; temporary lines artists of her generation such as Isa Genzken, Phyllida Barlow, or cut into the floor of the desert. Nothing, it would seem, could pos- Nancy Rubins – did not really seem the flavour of the month when the sibly give to such a motley of effort the right to lay claim to whatever artist started making a name for herself in the early 1980s, a period one might mean by the category of sculpture. Unless, that is, the largely dominated by the taste for ready-mades and (post-)conceptual category can be made to become almost infinitely malleable.’ 1 1. Rosalind Krauss, ‘Sculpture art. By creating works out of cardboard, foam, plastic, or polystyrene, It is precisely this question of ‘infinite malleability’ of the sculp- in the expanded field’, October, no 8, which result from many different kinds of interventions, over the past (summer 1979). tural form that is at issue here, focusing particularly on the choices thirty years Anita Molinero has never stopped considering sculpture as of the Frac Normandie Caen, which has oriented its collection a bullfight, that is, a face-off, a direct confrontation with the material towards sculpture for several years now. and the work is the result of this gestural process and contained

108 109 Valérie Da Costa The Polymorphism of Contemporary Sculpture energy. In this respect, the body plays a central role that stems from photography is not only the question of its archival reproduc- impact (Cocoerrance, 2007), from the line, and sometimes from cita- tion, but the means of conveying through the flatness of the image, tion, as if this bodily presence (dealt with within a mode of absence, whether still or moving, the plastic qualities of its presence and the and inevitably connected to the sculptural act) were a concern shared multiplicity of its points of view – another means of capturing the by other sculptors, as in the work of Michel François, for instance. sculptural concerns implemented. Some artists have, during the It is a different kind of confrontation with the materials that 1960s, used photography as sculpture, as a means of representing Michel Blazy proposes (born in 1966), who considers his work to a gesture, an attitude (Bruce Nauman), or to measure the construc- be an unstable and perpetually evolving form. Defining himself as a tion of a sculptural-landscape and its presence within this circum- sculptor, Michel Blazy has chosen perishable materials from every- scribed framework (Robert Smithson, Richard Long).5 5. On the subject of the relationship day life (cream desserts, tomato concentrate, bubble bath, potato For Emmanuelle Lainé (born in 1973), sculpture is above all a between sculpture and photography, see the annals of the conference flakes, carrot mash, etc.) whose list is long and varied and whose story of process, a long adventure, since the development of pro- Sculpter-Photographier. Photographie- plastic potential he exploits and patiently extracts,3 as in the works 3. For a more specific analysis of cess art defined by Robert Morris in his text on ‘Anti Form’ in 1968, Sculpture (Paris: Éditions du musée in which he covers a wall or a huge cotton ball in tomato concen- the work of Michel Blazy, see my text illustrating, in the late 1960s, the various manifestations of post- du Louvre / Marval, 1993). ‘Michel Blazy: je ne vous ai jamais trate and then allows them to gradually mould (Chawarma, 2010). promis un jardin de roses’, in Cahiers minimalism, emphasising the actions carried out on the materials. Another example is his fountains of foam whose forms progressively du musée national d’Art moderne, She fosters a relationship to material that, in her work, showcases o disappear as the artwork is created. n 105, (Autumn 2008), 100-115, and and renders visible the various actions that she applies to it. The art- the text ‘Différences et répétitions This encounter with the materials involves the idea of experi- ou comment sculpter le vivant’, ist does not hesitate to associate, within a single creation, what per- menting and ‘going with the flow’. The artwork is never trapped in Michel Blazy (Paris: Frac Île-de- tains to casting and direct carving, and to confront materials whose within a rigid process – which is made possible by the materials used France / Manuella Éditions, 2014). technique she does not master (cutting of concrete ‘cloth’, sewing – as though the artist’s idea was to play with all of these transforma- leather, etc.) and whose formal possibilities she eludes. This is why tions, to go where ‘the material escapes’, thus concretising what her artworks always seem to be experiments that she does not seek the father of artistic modernities, Marcel Duchamp, defended by to renew or situate within the sphere of reproducibility. Recently, suggesting that we can ‘open the door instead of controlling eve- Emmanuelle Lainé considered sculpture as a creation that was nei- rything that we do by words explaining what we are going to do or ther transportable nor able to be stored. Existing in the form of would like to do. Don’t explain anything. Leave it, let it be.’4 In this 4. Georges Charbonnier, Entretien photographic images, they have the ability to signify that it is not respect, Michel Blazy revives a certain temporal convention, in line avec Marcel Duchamp (1960), the representation of a sculpture, but the sculpture itself, because (Marseille: André Dimanche Éditeur, with the land art, body art, or post-minimalist artists, who, in the 1994). owing to its three-dimensionality and plastic, physical characteris- decade of the 1960s, supported the idea that time, or in other words tics, only sculpture seems to be able to capture the photographic its manipulation, was to be considered one of the materials of art. image.6 These images from the studio (Stellatopia #2, Stellatopia #3, 6. On this question, see my texts Since the early 1990s, the artist thus desperately sought to put in 2011) thus present different sculptures during their creation, result- ‘Le Tout sculpture’, in Mouvement, no 59 (April-June 2011), 122-127 and place an art of disappearance, whose content can (paradoxically) be ing from many different gestures and actions, and highlighting the ‘La vie matérielle’, in Mouvement, reactivated as required, by means of an instruction manual, so that idea of a perpetually changing artwork and transformations within no 60 (July-September 2011): 62-67. the artwork can be remade. Thus, to the question of the uniqueness the tradition of Robert Morris’s Continuous Project Altered Daily of the work of art, a crucial subject of artistic creation that philos- in 1969, ‘construction of ruins’ as the artist called it, before it was opher Walter Benjamin (1892-1940) analysed in his famous text The completely destroyed and only its photographic trace remained. Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction (1935), Michel It is also this principle that we find expressed, differently, in the Blazy responds through his desire for reproduction and re-creation. work of Zin Taylor (born in 1978) and for whom sculpture exists in the mode of its representation. Black-and-white photographs from the ‘Wood and Dust’ series (2010) take stock of different gestures that Sculpture as an Art of Representation have given rise to small, precarious sculptural forms, built from the assemblage of bits of wood and small clumps of dust. However, each Since the nocturnal photographs of Balzac by Rodin taken of these small-scale images builds a narrative in which each formal by Edward Steichen in the early 20th century or the ones made element is attributed a motif: an archway, a frog, a head, etc., while by Brancusi of his own sculptures, the challenge of sculpture affirming that the image records a sculptural action here.

110 111 Valérie Da Costa The Polymorphism of Contemporary Sculpture A Practical Art constructed from the encounter between two materials, wood and a neoprene wetsuit, which, placed on the animal’s back, seems to This relationship to the material is certainly what connects, in play the role of a cover. When interpreting their creations, you could one way or another, a generation of sculptors born between the say that their work functions as an oxymoron, the expression of a 1970s and 1980s, including Katinka Bock, Oscar Tuazon, Stéphanie gentle violence emerging from these abrupt contrasts in materials. Cherpin, Laurent Le Deunff, and Christophe Weber. Whether it be Thus favouring a practical art, Laurent Le Deunff (born in 1977) poor and traditional materials (wood, clay, stone, plaster), which are often uses the materials as a starting point, which then dictates the historically those that belong to the original language of sculpture, sculpture. A piece of wood gives rise to a totem, an animal’s tooth to or those that are situated within the field of recuperation or indus- a face, or a plastic tube moulded in cement becomes an elephant’s trial production, each of these approaches is determined by the way trunk (Nœud de trompe V, 2012). His sculpture oscillates between it takes into account the materials, gesture, volumes, and space, and the registers of the art object, the manufactured object, and the is positioned beyond the well-worn aesthetic of the ready-made, artisanal object. The subjects that the artist deals with and that are distanciation, or creative delegation. It is instead a question of situated within the broader register of the natural world, the tech- presenting an art of the technè, that is, an art of ‘doing’. niques that he develops – direct carving and modelling (techniques It manifests in Christoph Weber’s work (born in 1974) through a that belong to the history of sculpture) – affirm the absence of any treatment of material (metal and cement rods) (Bündel, 2012) left hierarchy or formal category. The accessibility of the work of Laurent in a natural state, with no desire to transform them through their Le Deunff conceals its genuine aesthetic concerns. It would be a manipulation. The sculpture is the result of the slightest gesture mistake to see no more in his work that a replay of popular themes possible and seemingly the most simple, which, involving a physi- given some kind of revamp by the artist. The interpretation of his cality through the association of two materials, reveals the space oeuvre proves, on the contrary, much more complex than it appears, in which the artwork finds itself and intensifies the architectural since his sculpture notably thwarts the notions of high and low art. meaning in a new way. This idea is found again in the work of Scoli Acosta (born in For their part, Daniel Dewar and Grégory Gicquel (born in 1976 1973) and Mick Peter (born in 1974), who both illustrate this ability and 1975) posit the perspective of a sculpture stemming more from to rework ordinary visual signs (flower chandelier, giant chalk box, craft, from the handmade and its plastic value than from a minimal- etc.) which, when revisited, have this ability to position themselves ist, delegated, de-personalised and industrialised aesthetic, devel- between the popular and fine arts, restoring the use value of the oped by the previous generation (Delphine Coindet, Xavier Veilhan, notion of kitsch, as Haim Steinbach or the Présence Panchounette Didier Marcel, Marie Péjus, and Christophe Berdaguer). In Dewar collective expressed it, in their own way, in the 1980s (Nature morte and Gicquel, on the contrary, it is a matter of devising sculpture Nazi ou Nature morte armée, 1972). in its most traditional sense, that is, in a confrontation with mate- rial, reviving the relationship with materials (wood, clay, metal) often neglected in this contemporary era, while accepting the techniques Functionality of Sculpture of direct carving, modelling, weaving, ceramics, or wrought iron – an expertise that conditions the creation of the artwork. The mul- While there are architectural gestures that resemble sculptures (the tiplicity of industrial and sometimes precious materials (wool, clay, constructions of Zaha Hadid, for instance), there are also sculptures metal, wood, rubber, pony or kangaroo hides, etc.) that make up that resemble architecture. This is the case of Merzbau (1923-1933) by their productions requires a level of skill ranging from the weaver’s Kurt Schwitters, the compartment sculptures of the prolific André Bloc art to that of the potter or even the lumberjack. It is in fact the tools from the early 1960s, Jean Dubuffet’s ‘anarchitectures’ (Jardin d’hiver, of the artisan or handyman (chain saw, saw, hammer, shuttle loom, Tour aux figures, etc.), whose experiments were conducted in the etc.) that the two artists like to use in their conception of sculpture. 1970s, or those of Absalon’s cells, created in the 1980s. Architecture By playing on confrontations of materials and sizes, the notion of and sculpture have often met on the field of a potential functionality Gestalt [form] finds itself at the heart of their creation, generating of sculpture, a functionality that is certainly limited and relative. the immediate perceptual experience of the various material quali- Models are the focus for artists Kristina Solomoukha (born in ties deployed. This is the case of their Polar Bear (2007), which is 1971), Didier Marcel (born in 1961), and Hervé Bezet (born in 1970),

112 113 Valérie Da Costa The Polymorphism of Contemporary Sculpture replaying the Socialist architectural utopia (Light House, 2003), The work of Bertrand Lavier, Philips (2008), in which spots draw the attachment to rural signs (Sans titre [Prefab Church, d’après a form in light on a surface, can no doubt be compared to the light E.T.], 2009) or childhood fears (Gérard’s ghost house, 2010). As for works of Ann Veronica Janssens, Anthony McCall, or James Turrell, Élisabeth Ballet, she uses construction materials (concrete breeze- among other artists who sculpt the air by modelling light. Their col- blocks, aluminium ramps) to build her sculptures, which invite ourful and immersive environments in which cones of light with tan- the spectator to wander (Bande à part, 1998). gible materiality set out on a quest for immaterial materiality is remi- But it is in the arena of sculpture that is formally similar to design niscent of Yves Klein’s search for an ‘immaterial pictorial sensibility’. – utilitarian in form – that certain works are situated today, in which While the sculpture collection of the FRAC Normandie Caen still sculptural creation represents a subtle articulation between art contains few works that dematerialise the sculptural act, the work and the utilitarian object. Some of the works by Berdaguer & Péjus of Ian Kiaer (born in 1971) Arretche Studio Project (Pink) (2012) must (born in 1968 and 1969), such as their Divan (2007) in a white lac- still be counted among its recent compositions. The English artist is quer cylinder containing an animal fur rug, are perfect examples of less attached to the volumes than to the planes, creating the artwork this. Sculpture is therefore no longer something to observe, but to within a light arrangement using budget materials (fabric, cardboard, experiment with and use in daily life, which artist Jorge Pardo also PVC) that extends from the ground to the wall, thus positioning sculp- supports with his inhabitable sculptural projects. It is a dimension ture as installation, through a dispersion of the forms to apprehend. Michel Aubry (born in 1959) also plays with, notably when he revis- But it was the work of Žilvinas Kempinas (born in 1969), Airborne its one of the chairs by De Stijl architect, Gerrit Rietveld, a variant (2008) that, within a kind of post-kinetic lineage, affirms the full of the famous Chaise rouge et bleue (1918), into a deliberately non- dematerialisation of the tri-dimensional artwork the most clearly. functional object that no longer has anything more than the appear- It is definitely the void, space, and air that give rise to the sculpture: ance of this modernist chair (Mise en musique de la chaise droite a huge circle made from magnetic tape that the air from the fans de Gerrit Rietveld, 1924-2000). As for Jeppe Hein (born in 1974), maintains in a random form. Sculpture thus becomes empty, light, he prefers to choose the generic form of the bench placed in public mobile, and transparent. All of these notions that thwart its inher- space and he makes (comic) use of all formal modifications in order ent characteristic and that an artist like Fred Sandback had already to attain an object that has lost all of its functionality, but that the explored in the 1970s, but through a static form, with the aid of artist chose however to install within social space (Modified Social colour threads stretched into the space. Bench, 2006), while enabling it to recover an artistic dimension. From the humorous and critical assemblages of Sven ’t Jolle (Schoon Schip / Tabula Rasa, 2010) to the reappropriation of objects by Dematerialising Sculpture Alexandre da Cunha (Full Catastrophe [Drum IX], 2012) or the strangely utilitarian sculptures of François Curlet (Bunker pour 6 œufs, 2011): Throughout the 1910s and 1920s, certain historic avant-gardes, sculpture is multifarious in its vast aesthetic diversity. Compared to such as cubism, futurism, and then constructivism, made us aware painting, photography, or video, it is by essence a pluralistic art that that sculpture is no longer solely subjected to questions of volume, has passed from an autonomous, homogenous and closed form to mass, and weight – that is, to what structurally belongs to the lan- a heterogeneous, expansive, and environmental form. It is simultane- guage of sculpture, which is above all an art of weight as opposed ously object, concrete, perishable material, clay, image, light, sound, to weightlessness, but that it engages ‘immaterials’ such as space, living presence, representing all manner of ‘materials’ and hence aes- emptiness, light, and sound, which can enter the sculptural field. thetic directions that affirm the elasticity of the ‘sculptural medium’ ‘We disown volume as a plastic form of space… We proclaim depth in which we find, on the one hand, a perishable creation by Michel Blazy, as the unique plastic form of space… We disown, in sculpture, mass and on the other, a didactic sculpture by Julien Prévieux (born in 1974) as a sculptural element’, wrote Gabo and Pevsner in their Realist (Menace 2, 2010). In light of this continually expanding plurality of forms, Manifesto 7 (1920), whose ideas were the precursors of many con- 7. Naum Gabo and Antoine Pevsner, it would appear that sculpture is far from having exhausted all that it has temporary problematics (time, space, emptiness, light as conditions Realist Manifesto. http://www. yet to tell us. A perpetually shifting and revitalised artistic expression, it terezakis.com/realist-manifesto.html of realisation of the work of art) which have been developed is no sleeping beauty, but well and truly a beauty awakened, since it has in the land art that was widely disseminated in the 1960s. this ability to grapple with the concerns of its own contemporaneity.

114 115 Valérie Da Costa The Polymorphism of Contemporary Sculpture léchée de cette femme blonde vêtue d’un tissu rose, dans le calme apparent d’une cuisine américaine, tandis que grondent les feux des combats. L’expression de son visage révèle sa surprise d’apprendre du bout des doigts sur son portable ce qui se passe, juste là, à proxi- De près et de loin, mité de son « appartement-forteresse ». De la même façon Election regards désynchronisés (Lyndie) montre une scène, dont l’angle de prise de vue pourrait être celui d’une caméra de surveillance, se déroulant dans une cuisine sur notre histoire contemporaine high-tech qui contraste avec la présence d’un soldat tenant en laisse un chien de garde. Dans ces deux images, la notion de distance et de Cécile Bourne-Farrell proximité est le modus operandi de construction, dans le calme de l’attente du drame à venir bientôt diffusé dans les médias. Le livre des douze sérigraphies Recorded 10 on 10 de Dennis Adams, tiré d’images photographiques de Marc Garanger de 1960 sur l’indé- pendance algérienne, propose de son côté de « briser le silence » sur l’oppression des femmes et l’intégrisme islamique, qu’il associe à des ensembles architecturaux détruits ou désertiques. Il met en avant la L’histoire moderne en Occident a souvent fait l’objet d’une loi coranique du silence (imposée par le voile et la loi sociologique transmission marquée par les conflits, notamment ceux de la déco- du pays en guerre). Il reste à cette femme photographiée, à qui on lonisation. S’ajoutant aux deux guerres mondiales, celles d’Algérie, a retiré le droit à la parole, un regard qui en dit long sur la distance du Vietnam, d’Irak et beaucoup d’autres ont multiplié les victimes qui la sépare de son histoire et de celle qui lui a été imposée, comme civiles et les déplacés. Ce texte cherche à montrer, à travers un choix le rappelle Frantz Fanon concernant l’Algérie dans Les Damnés de la d’œuvres de la collection du Frac Normandie Caen, comment les terre, au sujet de la violence, de la colonisation et de l’empire. conflits du proche et du lointain sont observés par les artistes. Avec ses « Objets-construits », Melvin Charney propose, par Dans son livre Devant la douleur des autres 1, Susan Sontag aborde 1. Susan Sontag, Devant la douleur exemple, un alignement de baraquements évoquant l’architecture 3. Christophe Domino, « Images la question du reportage, qui se déroule à distance, loin de l’espace des autres, traduit de l’anglais par des camps de concentration, lors de la documenta 7 (1982), pour d’archi, archi de l’image (pour une Fabienne Durant-Bogaert, Paris, architectonique de la représenta- de consommation dans lequel nous nous trouvons. La télévision, sou- Christian Bourgois, 2003. « inciter à faire fonctionner écarts et analogies entre le régime des tion », in Frac, Fonds régional d’art ligne-t-elle, dénature les faits vécus par ceux qui, sur le sol, souffrent signes et les strates marquées par l’organisation et les intensités colo- contemporain Basse-Normandie, 3 1983-2001, Frac Basse-Normandie, et qui, montrés à la télévision, semblent soudain plus « proches de rées ». Le travail de Melvin Charney épouse les mots de W.G. Sebald, 2004, p. 279-352. nous ». Cette distorsion, renforcée par l’usage que nous faisons des qui évoque « les décalages de temps et de lieux, ces moments, ces réseaux sociaux, impose une limite éthique à une situation assimi- écarts impossibles à saisir 4 » qui font que le cours de l’histoire n’est 4. W.G. Sebald, Les Émigrants. lable à une forme de voyeurisme. pas aussi linéaire qu’on veut nous le faire comprendre, et c’est bien Quatre récits illustrés, Paris, Folio, 1999, p. 250. Dans ce sens, l’artiste Martha Rosler rapproche la guerre de la ce que révèle son œuvre The Magnus and the Steel Works (1993-1994). sphère domestique, en mettant en relief la dualité qui existe entre la Dans une certaine mesure, les photographies de Leo Fabrizio pro- réalité de mondes qui s’affrontent et celle de ceux qu’on ne veut pas cèdent aussi de cette démarche, avec des cadrages qui évitent scru- voir (ou sinon par procuration). Ses photographies / collages appar- puleusement toute présence humaine. Ces architectures défensives, tenant à la série « Bringing the War Home : House Beautiful » (1967- comme nous l’apprend le chercheur Eyal Weizman, rendent compte 1972) sont, dit-elle, le « résultat de frustrations de ce qu’on voit au de la tension qui existe entre un témoignage, une évidence qu’elle travers des médias, [des] images qui semblent toujours prises de très soit matérielle ou des pratiques linguistiques et les interdépendances loin, d’événements qui se déroulent dans un contexte inconnu 2. » 2. « The War is Always Home: Martha entre la violence et la négation des traces qui sont centrales dans le Pour réduire cette distance, dans Photo-Op, elle opère un rappro- Rosler », interview de Martha Rosler champ de recherche de la Forensic Architecture 5. Cette méthodolo- 5. Eyal Weizman, Forensic Architec- avec Laura Cottingham, le 23 chement entre une femme, avec une enfant en arrière-plan, dans gie d’investigation propose une analyse complètement différente de ture, Violence at the Threshold of septembre 1991 à New York City. Detectability, New York, Zone Books, le confort de son luxueux appartement, et l’horreur qui se déroule Disponible sur : http://martharosler. l’histoire, forcément asynchrone de celle communément transmise. 2017. sous ses fenêtres, des soldats explosant sur des chars. La baie vitrée net/reviews/cottingham.html Cette absence de représentation de la personne humaine réunit qui fait l’angle laisse entrevoir la réalité de la guerre, loin de l’image un certain nombre d’œuvres de la collection du Frac, comme dans

116 117 Cécile Bourne-Farrell De près et de loin, regards désynchronisés sur notre histoire contemporaine le travail de George Dupin qui met en évidence les contrastes entre Depuis la fin de la guerre froide, dans un contexte d’accélération de 7. David Harvey, The Condition of deux types d’occupation des sols, l’un du côté palestinien, l’autre la globalisation, les notions de distance et de temporalité sont deve- Postmodernity: An Enquiry into the israélien. Pierre Renno explique que l’un est particulièrement ratio- nues de plus en plus élastiques. Selon le géographe David Harvey, le Origins of Cultural Change, Cam- nalisé, avec des quadrillages quasi militaires, qui ont pris en compte la monde se « réduit » et « les gens deviennent plus sensibles au proche bridge, Oxford, Wiley-Blackwell, 1991. perspective de la seconde intifada, tandis que l’autre a un côté place et au lointain 7. » Pour Paul Virilio, les technologies digitales créent 8. Paul Virilio, L’Esthétique de la dis- forte du Moyen Âge parachutée en terrain hostile, îlot de modernité aussi « une pollution de la distance, qui engendre une autre compré- parition, Paris, Éditions Balland, 1980. dans un monde barbare. La dimension factuelle de ces images remet hension du monde, une écologie grise, une psychologie de la peur 8. » les compteurs de l’histoire à zéro, comme si tout était dit dans ces Les questions de déplacement et de vitesse ont pris un sens constructions urbaines en l’absence d’indice de vie. encore plus aigu avec la crise migratoire. Au début des années 2000 Le corpus d’images de la série intitulée « Fait » de Sophie (2001-2003), Bruno Serralongue a travaillé sur une série d’images Ristelhueber donne à voir le sol comme une plaque photographique : photographiques des sans-papiers de la Maison des ensembles à il est le reflet d’actes, de déplacements et d’actions qui ont eu lieu. Paris, travail qu’il a poursuivi en 2006-2008 autour des conditions de Cette invisibilité de la personne renvoie au fait que le désert est vie des immigrants illégaux après la fermeture du camp de réfugiés de communément considéré comme un endroit vide mais également Sangatte par Nicolas Sarkozy. L’artiste évoque, dans un entretien avec comme source de fantasmes. On omet de parler des personnes qui Tomas Seelig, cette distance inacceptable qui s’établit entre l’ordi- vivent dans ces lieux soi-disant « non habités », la guerre se déroule naire qui perdure et l’idée de traverser la Manche en vue d’un meilleur essentiellement à distance. Perçue comme plate et sans relief, la sort. Chez Bruno Serralongue comme chez Philippe Durand, cette zone d’attaque se prêtait d’autant mieux aux interventions depuis relation au pouvoir du proche et du lointain va au-delà du constat 1991. La distance qui est celle des bombardements aériens est aussi documentaire. Tous les deux révèlent les vides de l’espace social, son une forme de protection et de refus de voir des signes de vie au sol. architecture, sa poésie et les dimensions politique et économique L’installation réalisée en 1991 renvoie ainsi aux détails, à ce besoin de sous-jacentes. Une exploration liée, dans le cas de Philippe Durand, réduire la distance comme pour mieux voir, et créer un état de stase, à ce que Pascal Beausse appelle une érotisation du réel : « le monde d’immobilisation. Le rapprochement jusqu’aux détails renvoie à ce y est saisi dans sa complexité organique. Le végétal lutte contre l’as- qui s’est déroulé, là où il y a eu mort d’homme si on veut bien regarder phalte, le pollen s’allie à une plaque d’égout. On est alors bien loin des les faits. De même, « l’élevage de poussière » de Man Ray renvoie à la lois, règlements et statistiques. […] Il ne s’agit alors pas pour l’artiste notion d’espace et d’élévation selon la position de celui qui regarde. de prétendre en dégager une vérité monolithique mais au contraire D’où et comment regarde-t-on ? d’amplifier cette illisibilité 9. » 9. Pascal Beausse, « La Dérive », Ce questionnement sur le point de vue apparaît également dans Jean-Luc Verna opère un rapprochement entre l’histoire et notre in Philippe Durand : Dérives, Paris, 779 Éditions, 2001, p. 6. le travail de Renaud Auguste-Dormeuil. Sa série « The Day Before_Star époque en empruntant l’image iconique de Phan Thi Kim Phúc, la System » est un ensemble de grands tableaux photographiques pré- petite fille photographiée hurlant de douleur après avoir été gra- sentés comme des cartes. Il s’agit de vues de douze voûtes célestes vement brûlée dans le dos. D’un seul regard, même sans décor, on reconstituées par informatique. Ces planches montrent les cartes du reconnaît la pose choisie par l’artiste pour * Nick Ut, Kim Phuc Phan ciel prises la veille des bombardements ou attaques historiques qui ont Thi, Sud-Vietnam, 8 juin 1972 * Diamanda Gallas, « Sono l’Antecristo », marqué les consciences occidentales depuis le xxe siècle (Guernica, 1981. Il fait ici référence au cliché célèbre qui symbolise la barbarie Hiroshima, Dresde, Bagdad, New York, etc.). La notion d’abstraction de la guerre. Nue, le corps à moitié brûlé, l’enfant sort de l’enfer en prend ici un sens particulier, qui modifie la signification de ce moment courant. Cette photographie emblématique du xxe siècle a été prise en suspension avant l’horreur. Les œuvres témoignent d’une relation en 1972 par Nick Ut et bouleversa à juste titre le monde entier. Jean- particulière à la représentation du temps comme s’inscrivant dans un Luc Verna lui rend ici hommage, avec son corps dessiné qui vient vers déterminisme historique et géographique. L’artiste soulève ainsi des 6. Catherine Francblin, Renaud nous en lévitation, comme découpé du fond duquel il se détache. questions d’une brûlante et constante actualité : « Comment fabri- Auguste-Dormeuil, Parisart, dispo- Du récit historique à la représentation, la frontière est ténue dans quer une image du drame sans le représenter ? Comment représenter nible sur : http://www.paris-art.com/ le travail des artistes évoqués ici. La distance entre un événement et renaud-auguste-dormeuil/ le bombardement de Guernica par exemple, sans parler de Guernica, sa réception consiste toujours en un déplacement entre le proche comme l’a fait Picasso ? 6 ». et le lointain, les artistes nous invitant à nous questionner sur notre propre compréhension de l’histoire.

118 119 Cécile Bourne-Farrell De près et de loin, regards désynchronisés sur notre histoire contemporaine fabric in the apparent calm of an American kitchen, while the rumble of the fighting continues. Her facial expression reveals her surprise at learning through the cell phone at her fingertips what is happen- ing, right there, by her ‘apartment-fortress’. In the same way Election Near and Far: (Lyndie) shows a scene, whose shooting angle could be that of a Desynchronised Perspectives surveillance camera, taking place in a high-tech kitchen, contrast- ing with the presence of a soldier holding a guard dog on a leash. In of Our Contemporary History these two images, the notion of distance and proximity is the modus operandi of construction, in the calm of expectation of the drama Cécile Bourne-Farrell to come, soon to be broadcasted by the media. The book of twelve screen-print reproductions Recorded 10 on 10 by Dennis Adams, taken from photographs by Marc Garanger from 1960 on the Algerian Independence, suggests breaking the silence around the oppression of woman and Islamic fundamentalism, which he associates with destroyed or deserted architectural complexes. He focuses on the Koranic law of silence (imposed by the veil and Modern history in the West has often been communicated in a the sociological law of the country at war). What remains of this context characterised by conflicts, particularly those of decoloni- woman in the photograph, whose right of speech has been denied, sation. In addition to the two world wars, those of Algeria, Vietnam, is a gaze that speaks volumes as to the distance separating her from Iraq and many others have multiplied civilian victims and displaced her story and the one imposed on her, as Frantz Fanon recalls in populations. This text seeks to show, through a selection of art- the case of Algeria in The Wretched of the Earth, on the subject works from the Frac Normandie Caen collection, how artists have of violence, colonisation, and empire. observed conflicts both near and far. With his ‘Objets-construits’, Melvin Charney presented at In her book Regarding the Pain of Others,1 Susan Sontag broaches 1. Susan Sontag, Regarding the Pain documenta 7, for instance, a line of shacks evoking the architecture of the question of reporting, which takes place remotely, far from the of Others (New York: Farrar, the concentration camps, to ‘spur into action discrepancies and anal- Straus and Giroux, 2003). consumer space in which we find ourselves. Television, she stresses, ogies between the regime of symbols and the strata characterised by distorts the facts experienced by those who are suffering, on the organisation and colourful intensities.’3 The work of Melvin Charney 3. Christophe Domino, Images ground, and who, shown on television, suddenly seem ‘closer to us’. closely corresponds to the words of W.G. Sebald, who evokes ‘the d’archi, archi de l’image (pour une architectonique de la représenta- This distortion, strengthened by our use of social networks, imposes discrepancies between time and place, these moments, these differ- tion), in Frac, Fonds Régional d’Art an ethical limit on a situation that can be assimilated to a kind ences that are impossible to grasp’4 which mean that the course of Contemporain Basse-Normandie, of voyeurism. history is not as linear as some would have us think, and that is what 1983-2001 (Frac Basse-Normandie, 2004), 279-352. [All translations of In this sense, artist Martha Rosler juxtaposes war with the domes- his 1993-1994 work The Magnus and the Steel Works reveals. citations are by Anna Knight unless tic sphere by emphasising the duality that exists between the reality To some extent, the photographs of Leo Fabrizio are also based otherwise specified.] of worlds in conflict and that of those we do not want to see (other on this approach, with framings that scrupulously avoid any human 4. W.G. Sebald, Les Émigrants. than vicariously). Her photographs / collages belonging to the series presence. These defensive architectures, as Eyal Weizman high- Quatre récits illustrés (Paris, ‘Bringing the War Home: House Beautiful’ (1967-1972) are, she says, lights, record the tension that exists between a testimony, a form of Gallimard, coll. Folio, 1999), 250. the result of ‘the frustration with the images we saw in television and proof whether material or linguistic practice and co-dependencies print media […]. The images we saw were always very far away, in a between violence and the negation of remains that are central in 5. Eyal Weizman, Forensic Architec- ture, Violence at the Threshold of 2 5 place we couldn’t imagine.’ To reduce this distance, in Photo-Op, 2. ‘The War is Always Home: the research field of Forensic Architecture. This investigative meth- Detectability (New York: Zone Books, she makes a comparison between a woman, with a child in the back- Martha Rosler’, interview of Martha odology presents an entirely different analysis of history, inevitably 2017). Rosler with Laura Cottingham, on ground, in the comfort of her luxurious apartment, and the horror 23 September 1991 in New York City. asynchronous with that of the commonly communicated one. taking place under her windows, with soldiers blowing up on tanks. Available at: http://martharosler.net/ This absence of representation of human beings corresponds to The bay window that forms the angle allows a glimpse of the reality reviews/cottingham.html a number of artworks from the FRAC’s collection, such as the work of war, far from the slick image of this blond woman dressed in pink of George Dupin, which highlights the contrasts between types of

120 121 Cécile Bourne-Farrell Near and Far: Desynchronised Perspectives of Our Contemporary History territorial occupation: Palestinian on the one hand, Israeli on the Harvey notes, and people become more and more receptive to 7 7. David Harvey, The Condition of other. Pierre Renno explains that one is particularly rationalised, both near and far. According to Paul Virilio, digital technologies also Postmodernity: An Enquiry into the with quasi-military grids, which take the perspective of the second create a pollution of distance, which gives rise to a different under- Origins of Cultural Change (Cam- intifada into account, while the other has an air of Middle Ages standing of the world, a murky ecology, and a mindset of fear.8 bridge, Oxford: Wiley-Blackwell, 1991). fortifications, parachuted into hostile territory, an island of moder- The questions of displacement and velocity have assumed an 8. Paul Virilio, L’Esthétique de la dis- nity within a barbaric world. The factual dimension of these images even more acute meaning with the migratory crisis. In the early parition (Paris, Éditions Balland, 1980). resets the counters of history to zero, as though everything had 2000s (2001-2003), Bruno Serralongue worked on a series of pho- been said in these urban constructs in the absence of any sign of life. tographic images of the sans-papiers (undocumented workers) The corpus of images from Sophie Ristelhueber’s series ‘Fait’ of the Maison des Ensembles in Paris, a project that he pursued in presents the territory as a photographic plate: it is the reflection of 2006-2008 around living conditions of the illegal immigrants after acts, movements, and actions that have taken place. This invisibility the closure of the Sangatte refugee camp by Nicolas Sarkozy. The of people reflects the fact that the desert is usually considered an artist evokes, in an interview with Tomas Seelig, this unacceptable empty place but also a source of fantasies. People who live in these distance that is established between ongoing ordinary life and the so-called ‘uninhabited’ places go unmentioned and the war unfolds idea of crossing the English Channel with a view to attaining a better mainly at a distance. Perceived as flat and with no hills, the attack life. In Bruno Serralongue’s work as in Philippe Durand’s, this rela- zone has lent itself all the better to interventions since 1991. The tionship to power in proximity and distance extends beyond a docu- distance, which is that of air strikes, is also a form of protection and mentary observation. Both reveal the emptiness of social space, its refusal to see signs of life on the ground. The installation created in architecture, its poetry, and the underlying political and economic 1991 thus refers to the details, to this need to reduce the distance dimensions. An exploration linked, in the case of Philippe Durand, as though to get a better view, and create a state of stasis or immo- to what Pascal Beausse calls an eroticising of the real: ‘the world bility. The comparison made down to the finer details reflects what is understood there in its organic complexity. Plant fights against really happened, where deaths occurred if we would only look at asphalt, pollen is allied with a manhole cover. We are therefore far the facts. Similarly Man Ray’s ‘dust breeding’ refers to the notion from laws, rules, and statistics. […] It is thus not a matter for the of space and elevation depending on the position of the beholder. artist of claiming to identify a monolithic truth, but, on the contrary, From where and how do we direct our gaze? of amplifying its lack of readability.’ 9 9. Pascal Beausse, “La Dérive,” This questioning of point of view also appears in the work of Jean-Luc Verna makes a comparison between history and our in Philippe Durand: Dérives (Paris: 779 Éditions, 2001), 6. Renaud Auguste-Dormeuil. His series ‘The Day Before_Star System’ era by borrowing the iconic image of Phan Thi Kim Phúc, the little is a series of large photographic works presented as maps. They girl photographed screaming in pain after being seriously burned on present views of twelve heavenly canopies reconstructed using a the back. At a glance, even out of context, we recognise the pose computer. These plates show the maps of the sky taken the day chosen by the artist for * Nick Ut, Kim Phuc Phan Thi, Sud-Vietnam, before bombings or historic attacks that have marked the Western 8 Juin 1972 * Diamanda Gallas, “Sono l’Antecristo”, 1981. Here, he conscience since the 20th century (Guernica, Hiroshima, Dresden, makes reference to the famous photograph that symbolises the bar- Baghdad, New York, etc.). Here, the notion of abstraction takes on barism of war. Naked, her body half burned, the child runs from this a particular meaning, which modifies the significance of these hell. This emblematic 20th-century photograph was taken in 1972 suspended moments before horror. The artworks bear witness by Nick Ut and justifiably shocked the entire world. Jean-Luc Verna to a particular relationship to the representation of time, as part pays homage to it here, with this sketched body, coming towards of historical and geographical determinism. The artist thus raises us in levitation, as though cut out from its backdrop. questions that are at once highly topical yet constant: ‘How do we From historical narrative to representation, the boundaries create an image of the drama without representing it? How do we are tenuous in the work of the artists evoked here. The distance represent the bombing of Guernica, for instance, without speaking between an event and its reception always comprises a displace- 6 of Guernica, as Picasso did?’ 6. Catherine Francblin, Renaud ment between the near and far; the artists are inviting us to ponder Since the end of the Cold War, in a context of acceleration of Auguste-Dormeuil, Parisart. our own understanding of history. Available at: http://www.paris-art. globalisation, the notions of distance and temporality have become com/renaud-auguste-dormeuil/ increasingly elastic. The world is reduced, as geographer David

122 123 Cécile Bourne-Farrell Near and Far: Desynchronised Perspectives of Our Contemporary History Œuvres de la collection Works from the collection Martine Aballéa

Née en 1950 à New York (États-Unis) / Born in 1950 in New York (United States) Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

des affiches, des installations, des objets et Chagrins infestés même des menus abracadabrants. Compassions fétides Comme si chacune de ses œuvres était faite Espoirs moisis Larmes caustiques de l’éther dont on fabrique rêves et cau- de la série / from the series chemars, Martine Aballéa nous ramène aux « Épaves du désir », 1995 manifestations de l’inconscient, à Sigmund Photographies noir et blanc Freud et son inquiétante étrangeté. Chacune colorées, textes sérigraphiés / des dix-neuf photographies en noir et blanc Black-and-white coloured recolorées à l’encre qui constituent la série photographs, screen-printed texts 89 × 59 cm « Épaves du désir » se lit comme la première page d’un doux roman d’épouvante. Espoirs Achat à Art : Concept en 2002 / moisis, Chagrins infestés, Compassions Purchased from Art:Concept in 2002 fétides et Larmes caustiques deviennent ainsi les résidus d’une histoire d’amour qui aurait mal tourné. Entre autobiographie et fiction, Martine Aballéa nous confronte à des 1 paysages désolés dont les titres, inscrits sur Espoirs moisis de la série / from les photos dans des typographies enchante- the series « Épaves du désir », 1995 resses du xixe siècle, jouent sur le principe médical de la surinfection. Les paysages pho- tographiés sont à l’image d’un monde inté- 1 2 2 rieur dévasté. Comme une double-peine, Larmes caustiques de la série / from chacune des émotions liées à l’amour est a brood of butterflies, the same ones she has story gone sour. Between autobiography and the series « Épaves du désir », 1995 frappée du sceau de la douleur, vérolée par in her mind and whose effects she distils in fiction, Martine Aballéa confronts us with une contagieuse souffrance. Alors, dans ce artworks as chimeric as they are disturb- desolate landscapes whose titles, inscribed monde parallèle aux couleurs passées et où ing: photographs and posters, installations, within the photos in enchanting 19th century Avec ses fioles à l’eau de rose et ses potions les sens s’érodent, les mots deviennent maux objects, and even bewildering menus. typographies, play on the medical princi- violettes, ses clairs de lune empoisonnés ou et le spectateur est le témoin principal de As though each one of her works were made ple of superinfection. The landscapes pho- ses coins de forêt hantés, Martine Aballéa cette agonie sentimentale. of the ether from which dreams and night- tographed reflect a devastated inner world. donne parfois l’impression de débarquer mares are made, Martine Aballéa brings us Like a double sanction, each of the love- de St. Mary Mead, ce village anglais fausse- With her phials of rosewater and violet back to manifestations of the subconscious, related emotions is marked by the seal of ment tranquille parsemé de cottages fleuris potions, poisoned moonlight, or haunted to Sigmund Freud and his uncanny. Each of the pain, afflicted by a contagious suffering. So, où Agatha Christie fait débuter certaines de glades, Martine Aballéa sometimes gives the 19 black-and-white photographs re-coloured in this parallel world with outmoded colours ses intrigues. On pourrait l’imaginer veiller impression of having come from St. Mary with ink that make up the series ‘Épaves du and in which the meanings are eroded, words sur un élevage de papillons, ceux-là mêmes Mead, the falsely tranquil English village full désir’ are read like the first page of a delightful become pain and the spectator is the princi- qu’elle a dans la tête et dont elle nous dis- of flower-filled cottages that Agatha Christie horror novel. Espoirs moisis, Chagrins infes- pal witness of this sentimental agony. tille les effets dans des œuvres aussi chimé- made the setting for the start of some of her tés, Compassions fétides and Larmes caus- riques qu’inquiétantes : des photographies et intrigues. We could imagine her watching over tiques thus became the residues of a love A.D.

126 127 Martine Aballéa Martine Aballéa 3 Solar Panel Pedestal and Double Brickpot, 2007-2008

Scoli Acosta

Né en 1973 à Los Angeles / Born in 1973 in Los Angeles Vit et travaille à Los Angeles / Lives and works in Los Angeles

qui, détruite à 95 % par une tornade, renaît Carnation Chandelier, 2008 sous la forme d’un laboratoire écologique Fil bande, peinture en spray, carton, urbain. L’artiste cumule les informations éléments de lampe, papier, sisal / Wire tape, spray paint, cardboard, sur cette communauté verte modèle et lamp elements, paper, sisal constitue un répertoire de formes. Deux 91,4 × 91,4 × 91,4 cm motifs reviennent : la structure des panneaux solaires et la brique, matériau de base de la Solar Panel (3), 2008 reconstruction, qui fascine l’artiste depuis la Acrylique et crayon sur papier / découverte d’une brique sur une plage de Los Acrylic and pencil on paper 96,5 × 127,5 cm Angeles, polie par le ressac. Tout semble alors communiquer : le motif des panneaux solaires 3 Solar Panel Pedestal and Double rejoint l’abstraction géométrique dans Solar Brickpot, 2007-2008 Panel (3), peinture acrylique au camaïeu de Brique, bois, fil de fer, peinture bleu et habille également le socle de la brique Travel, immerse yourself in the world, absorb Panel Pedestal and Double Brickpot. Scoli acrylique / Brick, wood, iron wire, « originelle », dans its symbols, stretch them and then recombine Acosta proceeds in gradual shifts, from an acrylic paint Solar Panel Pedestal and 32 × 43 × 27 cm Double Brickpot. Scoli Acosta procède par them: this is how Scoli Acosta lives and works. action to a form or image, and interlaces his glissements sensibles, d’un geste à une forme Introduced by his great-uncle Al Hansen to story to that of the communities he encoun- Achat à la galerie Laurent Godin ou à une image, et entrelace son histoire à the ideas of the Fluxus movement, which ters, with a kind of vigilance towards his sur- en 2011 / Purchased from the Galerie celle des communautés qu’il rencontre, dans advocates free, modest, and ephemeral art, roundings, towards the spirit of the place. The Laurent Godin in 2011 une forme de vigilance à ce qui l’entoure, à l’es- Scoli Acosta has progressively shifted his Carnation Chandelier, made up of a bouquet prit du lieu. Le lustre, Carnation Chandelier, performance practice towards installation, of artificial, electrified carnations, completes composé d’un bouquet d’œillets artificiels sculpture, drawing, and painting. this thinking by free association, which dupes électrifiés, complète cette pensée par asso- In 2007, he looked into the spectacular fate both words and images. Here, the word car- ciations libres, qui se joue des mots comme of the city of Greensburg, in Kansas, which, nation is divided to become car nation, a des images. Ici, le mot carnation (œillet en 95 % destroyed by a tornado, was reborn via metaphor often used to refer to the United anglais) se scinde pour devenir car nation, an environmental urban laboratory. The artist States. le pays de l’automobile, métaphore souvent collated the information on this model green The cyclical world of Scoli Acosta is brimming Voyager, s’imprégner du monde, en absorber usitée pour désigner les États-Unis. community and constituted a repertoire of with these kinds of brainwaves, which express les signes, les étirer puis les recombiner : ainsi L’univers cyclique de Scoli Acosta est peuplé forms. Two themes recurred: the structure of the perpetual movement of forms and ideas – vit et travaille Scoli Acosta. Sensibilisé par son de ce type de trouvailles, qui disent le mou- the solar panels and brick, the basic mate- a kind of inexhaustible poetic transfer, closer grand-oncle Al Hansen aux idées du mouve- vement perpétuel des formes et des idées rial of the reconstruction, which has fasci- to the natural order (in which everything ment Fluxus, qui prône un art libre, modeste – une sorte de transfert poétique inépuisable, nated the artist since the discovery of a brick reproduces and repeats according to infinite et éphémère, Scoli Acosta a progressive- plus proche de l’ordre de la nature (où tout on a beach in Los Angeles, polished by the variations) than to the order of history, this ment déplacé sa pratique de la performance se reproduit et se répète suivant d’infinies surf. Everything seemed to come together: event-based time whose essence is lack of vers l’installation, la sculpture, le dessin et la variations) que de l’ordre de l’histoire, ce the theme of the solar panels connected repetition. peinture. temps événementiel dont l’essence est la with the geometric abstraction in Solar En 2007, il se penche sur le destin specta- non-répétition. Panel (3), acrylic paint in shades of blue, and E.P. culaire de la ville de Greensburg, au Kansas, also adorned the ‘original’ brick base, in Solar

128 129 Scoli Acosta Scoli Acosta Saâdane Afif

Né en 1970 à Vendôme (Loir-et-Cher) / Born in 1970 in Vendôme Vit et travaille à Paris et à Berlin / Lives and works in Paris and Berlin

Babel (astrofonik), 2007 4 Carton peint, plexiglas / Essence, 2009 Painted card, plexiglas 35 × 20 cm

Babel (astrofonik), 2007 1 photographie issue d’un ensemble de 11 photographies numériques noir et blanc, tirage analogique baryté sur aluminium / 1 photograph from a collection of 11 digital black- and-white photographs, gelatin silver baryte print on aluminium 85 × 55 cm

Achat à la galerie Michel Rein en 2008 / Purchased from 4 the Galerie Michel Rein in 2008

Babel Re : tête de mort Essence More 2008 4 sérigraphies / 4 screenprint Saâdane Afif n’est spécialiste en rien : ren- En résultent ces quatre posters rock’n’roll reproductions contres, dessins, sculptures, photographies, et symbolistes, réponses inattendues qui 110 × 70 cm installations, sons, attitudes, slogans et témoignent en filigrane du plaisir éprouvé par textes, autant de champs exploratoires où l’artiste à se faire surprendre par des formes Don de l’artiste en 2008 / l’artiste guette le réel, le filtre et le transpose qui enrichissent son travail d’interpréta- Donated by the artist in 2008 poétiquement. tions inédites. À l’occasion d’une exposition Essence, 2009 La dimension sonore ou musicale est récur- monographique au Frac, en 2008, il pré- Néons lumineux sur plaque de rente dans son travail, qui construit sou- sente « Babel », une série de petites sculp- métal / Light tubes on metal plate vent ses expositions comme des disques. tures sur socles de plexiglas noir de la taille 50 × 163 × 4,5 cm L’artiste regroupe dans l’espace d’exposition d’un vinyle 33 tours. Inspiré des empilements un ensemble d’œuvres (ici, les quatre ins- d’enceintes des free parties, l’ensemble revi- Don de l’artiste en 2014 / tallations Tête de mort, Essence, More More site librement ces murs de son qui fascinent Donated by the artist in 2014 et Babel) comme autant de morceaux qui par leur côté « colosse aux pieds d’argile ». Le donnent la couleur de l’album. Confirmant double photographique des sculptures vient sa qualité de « sculpteur de liens », il convie encore modifier leur perception, soulignant le duo de graphistes deValence à don- leur monumentalité latente autant que leur ner leur propre lecture de ces installations. degré d’abstraction.

130 131 Saâdane Afif Saâdane Afif Déplacer le signe, déplacer son sens et son its these walls of sound that fascinate us with essence : présentée pour la première fois sur their ‘giant with feet of clay’ aspect. The pho- la façade du Frac en 2008, son enseigne lumi- tographic double of the sculptures also mod- neuse rouge traçant le mot ESSENCE invite ifies how they are perceived, emphasising ainsi le visiteur au jeu troublant de la poly- their latent monumentality as much as their sémie. L’essence d’un être, ce qui fait qu’il degree of abstraction. est ce qu’il est, exprime aussi ce qui chez lui Displacing the sign, displacing its meaning, and est pensé comme immuable et éternel. Que its essence: presented for the first time on the génère le rapprochement entre cette notion facade of the Frac in 2008, its red luminous philosophique et son homonyme inflam- sign bearing the word ESSENCE thus invites mable ? Quand les artistes commencent à uti- the visitor to partake in its troubling game liser le néon, près de cinquante ans après son of polysemy. The essence of a being, what invention, ils font entrer une forme de poé- makes them what they are, also expresses in sie urbaine, clinquante et séduisante, dans la that individual what is thought of as immu- syntaxe de l’art. Pourtant, le matériau s’avère table and eternal. What does the combina- périlleux à l’usage : le verre se brise, le gaz se tion between this philosophical notion and its volatilise et l’aura s’éclipse en un clin d’œil. À fiery homonym engender? When artists were l’opposé de l’immuabilité ! Peut-être l’artiste starting to use neon, nearly fifty years after choisit-il aussi de ne rien exclure et de com- its invention, they brought a form of flashy biner ces résonances référentielles en une and seductive urban poetry into the syntax œuvre toute simple au premier regard, mais of art. However, use of the material proved a qui montre bien que dans l’art, la philosophie risky business: the neon breaks, the gas goes et le quotidien s’entrelacent étroitement. up in smoke, and the aura is eclipsed in the blink of an eye. The opposite of immutability! Saâdane Afif is a jack of all trades: encounters, Perhaps the artist also chose to leave nothing drawings, sculptures, photographs, installa- out and to combine these referential reso- tions, sounds, attitudes, slogans, and texts nances in one deceptively simple artwork, but are all fields of exploration in which the art- that demonstrates nicely that in art, philoso- ist watches reality, filters it, and transposes phy and everyday life are closely intertwined. it poetically. The dimension of sound or music frequently E.P. recurs in his work and he often constructs his exhibitions like albums. The artist brings together within the exhibition space a group of artworks (here, the four installations Tête 6 de mort, Essence, More More and Babel) like the tracks that give an album its tone. 5 Confirming his role as a ‘sculptor of connec- tions’, he invited the graphic designers duo deValence to present their own interpreta- tion of these installations. These four rock’n roll and symbolist posters are the result: unexpected responses that implicitly attest to the pleasure the artist takes in allowing himself to be surprised by forms that enrich his work on original takes. On the occasion of a monographic exhibition at the Frac, in 2008, he presented ‘Babel,’ a series of small 5 sculptures on black plexiglas bases the size of 6 Babel (astrofonik), 2008 a 33-rpm vinyl record. Inspired by the speaker Re : tête de mort, 2008 stacks found at raves, the work freely revis-

132 133 Saâdane Afif Saâdane Afif Wilfrid Almendra

Né en 1972 à Cholet (Maine-et-Loire) / Born in 1972 in Cholet Vit et travaille à Cholet (Maine-et-Loire) / Lives and works in Cholet

Killed in Action, (CSH #5, 7 Whitney R. Smith), 2009 Killed in Action, (CSH #5, Lambris, acier, ciment, amiante Whitney R. Smith), 2009 inerte, lasure, céramique / Panels, steel, cement, inert asbestos, wood stain, ceramics 138 × 138 × 35,5 cm

Achat à la galerie Bugada & Cargnel en 2009 / Purchased from the Galerie Bugada & Cargnel in 2009

7 Killed in Action (CSH #5, Whitney R. Smith) fait Si l’identification formelle des maisons sub- Killed in Action (CSH #5, Whitney R. Smith) ens the image. The formal Purism of mod- partie d’une série initiée en 2009 en réfé- siste, leur traitement rudimentaire en affaiblit belongs to a series initiated in 2009 in refer- ern architects and their search for structural rence au programme des Case Study Houses, l’image. Le purisme formel des architectes ence to the programme of Case Study Houses, lightness find themselves somewhat distorted lancé en 1945 pour lequel des architectes modernes et leur recherche de légèreté launched in 1945, for which architects were by the artist’s chosen direction. The aestheti- furent invités à concevoir, en Californie, des structurelle sont comme dénaturés par le invited to design, in California, models of cization of the materials is diminished by their modèles de maisons individuelles innovantes parti pris de l’artiste. L’esthétisation des individual homes that had to be innovative hybridisation with the poor materials used by sur le plan formel, technique et économique. matériaux est amoindrie par leur hybrida- on the formal, technical, and economic lev- the developers and the residents of the sub- Jusqu’en 1966, une trentaine de maisons tion avec les matériaux pauvres utilisés par els. Up until 1966, around thirty houses were urban areas that the artist integrates within furent construites et visitées par un large les lotisseurs et les habitants des zones pavil- built and visited by a wide audience. Wilfrid his series of sculptures. Presented hanging public. Wilfrid Almendra a choisi de travail- lonnaires que l’artiste intègre dans sa série de Almendra chose to work on ten projects that on the walls, these are reminiscent of bas- ler sur dix projets restés non construits, dont sculptures. Présentées accrochées aux murs, remained unconstructed, including that of reliefs. This mode of display relies on the celui de Whitney R. Smith. Killed in Action (CSH celles-ci font penser à des bas-reliefs. Ce Whitney R. Smith. Killed in Action (CSH #5) is ambiguity of their status. A certain discomfort #5) est une maquette simplifiée d’une mai- mode d’accrochage appuie sur l’ambiguïté de a simplified model of an open house made is created through the tension maintained son ouverte composée de plusieurs pavillons leur statut. Un inconfort se crée ainsi par la up of several pavilions of different sizes and between sculpture and architecture, rein- de tailles différentes et composés de frisette tension maintenue entre sculpture et archi- made of boards (wood or PVC panelling that forced by the idea of the difficulty in dating (lambris en bois ou PVC très utilisé depuis les tecture, renforcé par l’idée d’une datation had been widely used since the 1960s) filled the bas-reliefs. The evocation of the realities années 1960) emplis de béton et reliés par difficile des bas-reliefs. L’évocation des réa- with concrete and connected by large ‘arms’ of mass architecture, between standardisa- de grands « bras » également en béton. Un lités de l’architecture de masse, entre stan- also made of concrete. A vase is placed on tion and the desire to personalise the living vase est posé sur l’un des volumes. La lour- dardisation et désirs de personnalisation de one of the volumes. The weight of the ensem- space, again perturbs the iconic value of the deur de l’ensemble est accentuée par l’idée l’habitat, vient encore perturber la valeur ico- ble is accentuated by the idea of toughness in Case Study Houses, symbols of a bygone aes- de dureté du titre de la série qui désigne les nique des Case Study Houses, symboles d’un the title of the series. thetic and technological ideal. soldats morts au combat. idéal esthétique et technologique révolu. While the formal identification of the houses subsists, their rudimentary treatment weak- A.L.

134 135 Wilfrid Almendra Wilfrid Almendra Avec ses « Peintures transgéniques », Jean-Luc André essayait, aux alentours de 2006, d’élu- cider ce qui était secrètement au travail, en ce début de siècle nouveau, sous l’apparence de l’actualité, c’est-à-dire sous l’apparence des discours médiatiques, ou idéologiques, qui la Jean-Luc André constituent comme telle en la disant. Pour cela, il décidait de mettre en rapport dans Né en 1955 à Caen (Calvados) / Born in 1955 in Caen ses toiles deux faits à première vue dénués Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris de relation : la guerre impériale au Moyen- Orient d’une part, et d’autre part les expéri- mentations sur les OGM. Choix pour le moins heureux, si l’on peut dire, à le considérer dix ans plus tard : l’une comme l’autre conti- Peinture transgénique : nuent comme on sait d’attiser les vicissitudes champignons-méduses, 2006-2007 du siècle. Or, donc, l’objet des « Peintures Acrylique sur toile / Acrylic on canvas transgéniques », malgré ces discours qui en 73 × 92 cm séparent les faits qui les attribuent à deux registres du réel supposément sans lien, Peinture transgénique : citrouilles était justement de mettre en évidence, par gothiques, 2007 leur collision dans l’image, l’identité d’une Acrylique sur toile / logique qui les gouverne pourtant : celle de Acrylic on canvas 92 × 73 cm la prédation, pour reprendre ici un mot de Raoul Vaneigem. Mieux encore, dans la récep- Peinture transgénique : salades tion de ces œuvres par un spectateur, dans le verticales, 2006 choc qu’elles produisent sur lui, l’objet était Acrylique sur toile / d’obliger celui-ci à sortir de l’aliénation entre- Acrylic on canvas tenue par ces discours. Les « Peintures trans- 65 × 54 cm géniques » ressortent, en ce sens, du projet 8 Achat à la galerie Lara Vincy plus large de la BAnque Aléatoire DE Récits, en 2007 / Purchased from créée par Jean-Luc André en 1998, dont il faut the Galerie Lara Vincy in 2007 sans doute voir, dans l’acronyme un peu forcé, its formulation. In order to do so, he decided maintain them. In this sense, the ‘Peintures BAADERBANK, un clin d’œil à Andreas Baader to compare two facts within his paintings that transgéniques’ belong to the larger project — banque qui se propose d’opérer à l’intérieur were seemingly unrelated: the imperial war of the BAnque Aléatoire DE Récits, created des discours médiatiques, de les analyser, de in the Middle East on the one hand, and on by Jean-Luc André in 1998, no doubt infer- les articuler entre eux pour leur faire avouer the other, experiments on GMOs. A fortu- ring the acronym BAADERBANK, an allusion to ce qu’ils cachent en se montrant. Pratique nate choice, as it were, from the perspec- Andreas Baader. This bank suggested operat- du collage, du montage ou, pour mieux dire, tive of a decade later: both continue as we ing within media discourses, analysing them, pratique du détournement, on ne peut s’em- know to stir up the vicissitudes of the cen- articulating them by drawing comparisons pêcher de penser qu’elle a quelque chose à tury. However, the aim of ‘Peintures trans- among them in order to demonstrate what voir avec ce dont parlait Guy Debord, en 1967, géniques’, in spite of these discourses that they conceal while showing what they show. dans la thèse 208 de La Société du spectacle : separate the facts that attribute them to two André’s practice is one of collage, editing, or la création, précisément, d’un langage fluide supposedly unconnected registers of reality, more accurately, reappropriation, which can- de l’anti-idéologie. was precisely to highlight, through their clash not help but remind us of Guy Debord’s dis- within the image, the logical character that cussion, in 1967, in thesis 208 of The Society With his ‘Peintures transgéniques’, Jean-Luc nonetheless governs them: that of predation, of the Spectacle precisely concerning a fluid André was trying, in around 2006, to elucidate to cite Raoul Vaneigem’s term. Better yet, in language of anti-ideology. what was secretly at work, at the turn of this the reception of these artworks by specta- 8 new century, under the guise of news: that is, tors, in the shock that they produce on them, F.C. Peinture transgénique : champignons-méduses, 2006-2007 under the guise of the media or ideological the aim was to oblige them to awaken from discourses that constitute it as such through the alienated state in which these discourses

136 137 Jean-Luc André Jean-Luc André Knut Åsdam

Né en 1968 à Trondheim (Norvège) / Born in 1968 in Trondheim (Norway) Vit et travaille à Oslo (Norvège) / Lives and works in Oslo (Norway)

leur proximité avec celles produites par les Psychasthenia 10.#1 caméras de vidéosurveillance. Ces photo- Psychasthenia 10.#6 graphies ne sont pas documentaires, elles Psychasthenia 10.#16 Psychasthenia 10.#24 ouvrent à un espace mental subjectif, fan- 2000-2001 tasmatique. Photographies couleur, Archival Ainsi, le titre de la série – que l’artiste utilise C-print / Colour photographs, pour plusieurs de ses œuvres – fait référence Archival C-print à un texte de Roger Caillois, Mimétisme et 125 × 187 cm psychasthénie légendaire, paru dans la revue Achat à la galerie Cent8 en 2006 / surréaliste Minotaure en 1935. La psychasthé- Purchased from the Galerie Cent8 nie est un état de névrose qui se caractérise in 2006 par une forme de neurasthénie et d’angoisse et désigne une pathologie de la perception de l’espace. La lumière livide des photogra- 9 phies montre une séparation entre les indi- vidus et leur cadre de vie urbain. Les façades These four photographs are from the urban lifestyle. The anonymous facades of anonymes des immeubles et les cadrages ‘Psychasthenia 10’ series comprising nocturnal the buildings and the framings of the photo- des photographies appuient sur l’idée d’un shots of apartment buildings. While the human graphs rely on the idea of a depersonalised, espace dépersonnalisé, froid, quasi inhumain. figure is absent, a few signs remain: the lights cold, quasi-inhuman space. 9 La majeure partie du travail de Knut Åsdam in some of the apartments, urban lighting, and Most of Knut Åsdam’s work questions the Psychasthenia 10.#6, 2000-2001 est une interrogation sur les relations entre landscaping. Low-angle framings accentuate relationships between individuals and archi- les individus et l’architecture, dans leurs the imposing effect of the architecture and tecture, in their social, aesthetic, and psy- dimensions sociales, esthétiques et psy- the sense of a timeless, strange, and disturbing chological dimensions. Recourse to obscurity chologiques. Le recours à l’obscurité dans world. The images bathed in a greenish light in ‘Psychasthenia 10’ takes this research into « Psychasthenia 10 » rend compte de cette play on their similarity with those produced account: obscurity is at once a source of recherche : l’obscurité est à la fois source by video surveillance cameras. These photo- fear but also a promise of freedom. The art- de peur mais aussi promesse de liberté. graphs are not archival; they open up a sub- ist invites us to project onto these images by Ces quatre photographies sont issues de L’artiste nous invite à nous projeter dans ces jective, fantasised mental space. playing on the dualities between familiar and la série « Psychasthenia 10 », constituée de images en jouant des dualités entre familier The title of the series – which the artist uses strange, big and small, in which the architec- prises de vue nocturnes d’immeubles d’ha- et étrange, immense et petit, où l’architec- for several of his works – thus refers to a text ture itself appears to be on the verge of disap- bitation. Si la figure humaine en est absente, ture elle-même semble sur le point de dis- by Roger Caillois, Mimétisme et psychasthé- pearing. But beyond melancholy, Knut Åsdam quelques signes demeurent : les lumières dans paraître. Mais au-delà de la mélancolie, Knut nie légendaire, published in the surrealist also suggests in these photographs that it is certains appartements, l’éclairage urbain, les Åsdam suggère aussi dans ces photographies magazine Minotaure in 1935. Psychasthenia is possible to construct a different representa- aménagements paysagers. Les cadrages en qu’il est possible de construire une représen- a state of neurosis characterised by a form tion, in which the hostility of the architectural contre-plongée accentuent l’effet imposant tation autre, où l’hostilité de l’environnement of neurasthenia and anxiety and refers to a environment would become the vector of a de l’architecture et le sentiment d’un monde architectural deviendrait le vecteur d’un nou- pathology of the perception of space. The new urban imaginary. sans âge, étrange et déroutant. Les images vel imaginaire urbain. pallid light of the photographs shows a sep- baignées d’une lumière verdâtre jouent de aration between the individuals and their A.L.

138 139 Knut Åsdam Knut Åsdam Michel Aubry

Né en 1959 à Saint-Hilaire-du-Harcouët (Manche) / Born in 1959 in Saint-Hilaire-du-Harcouët Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

La Marionnette Erich, 2008 10 Marionnette en tissu, résine, Mise en musique du pantalon plastique, métal, bois / de Beuys après le crash, 1944-2009 Puppet made of fabric, resin, plastic, metal, wood 110 × 45 cm

Mise en musique de la chaise droite de Gerrit Rietveld, 1924-2000 Canne de Sardaigne, contreplaqué peint, 11 anches / Sardinian cane, painted plywood, 11 reeds 88 × 50 × 58 cm

Mise en musique de la combinaison de vol de Beuys avant le crash, 1942-2003 Combinaison de vol en coton / Cotton flight suit 170 × 65 × 10 cm

Mise en musique du pantalon de Beuys après le crash, 1944-2009 Pantalon en fourrure de mouton, toile et cuir, tubes en papier bakélisé et anches en bakélite / Trousers in sheep’s wool, canvas, 10 and leather, Bakelite-coated paper tubes and Bakelite reeds 124 × 96 × 14 cm Michel Aubry intègre les Arts décoratifs de gueurs différentes. Cette gamme de réfé- Achat à la galerie Eva Meyer en 1977, à l’issue d’un oral aty- rence permettra le processus inédit de en 2010 / Purchased from the pique au cours duquel il présente une cor- « mise en musique », transposition des men- Galerie Eva Meyer in 2010 nemuse arrangée, dont le bourdon, coudé surations d’un objet en cannes musicales. plusieurs fois, a été mis en boîte. L’artiste L’artiste convertit en priorité un design se dit alors « souffleur » plutôt que musi- d’avant-garde, calibré à l’échelle de l’homme cien. Il découvre ensuite le launeddas, une nouveau : des meubles, des costumes et des antique clarinette sarde faite de trois cannes architectures révolutionnaires. Manifeste de de roseau : un long bourdon et deux tuyaux De Stijl, la Chaise droite de Rietveld verra mélodiques plus courts. Il en documente la ainsi sa structure supplantée par des cannes pratique, puis imagine en 1992 une table de sardes. De même, les habits fétiches de figures conversion composée de 38 cannes de lon- héroïques verront leurs patrons transcrits en

140 141 Michel Aubry Michel Aubry partitions. Michel Aubry imagine ainsi pour Michel Aubry attended the Arts Décoratifs Joseph Beuys une combinaison d’aviateur de Strasbourg in 1977, following an unusual cousue d’étiquettes mentionnant sur cha- oral exam in which he presented an arranged cune des coutures une hauteur de son. À cet bagpipe, whose angled drone reed had been habit taillé pour la mythologie de Beuys – son boxed several times. The artist called him- crash de 1944 –, répond un pantalon bardé self a ‘puffer’ as opposed to a musician. He de roseaux évoquant la résurrection d’après later discovered the launeddas, an ancient l’accident. Ces cannes mutiques suggèrent Sardinian clarinet made of three cane reeds: aussi les sirènes séduisantes de l’autofiction, one long drone reed and two shorter melodic l’envoûtement d’un pipeau mystificateur, des pipes. He documented its practice and, in incertitudes persistant au sujet de ce crash 1992, devised a conversion table composed fondateur. Cette tendance à la mythoma- of 38 reeds of different lengths. This scale of nie culmine chez l’acteur fétiche de l’artiste. reference enabled him to develop a new pro- Connu pour avoir contrefait son accent et cess of ‘orchestration’, transposing meas- sa biographie au fil de ses films, Erich von urements from an object into musical reeds. Stroheim sera irréversiblement marqué par First and foremost, the artist converted an son rôle du Commandant von Rauffenstein avant-garde design, calibrated to the scale dans La Grande illusion. C’est dans ce person- of the modern individual: revolutionary fur- nage que Michel Aubry le fige définitivement, niture, costumes, and architecture. The man- dans le corps d’une marionnette ventriloque, ifesto of De Stijl, Rietveld’s Chaise droite thus sorte d’instrument à vent figuratif, à qui l’ar- had its structure supplanted by Sardian cane tiste soufflera des répliques édifiantes. reeds. Similarly, the fetish garb of heroic fig- ures soon had their patterns transcribed into scores. Michel Aubry thus designed an aviation suit for Joseph Beuys, with sewn- on labels mentioning a pitch on each of the seams. In response to this garment cut to Beuys’s mythology – his 1944 crash – he cre- ated a pair of trousers covered in reeds evok- ing the resurrection after the accident. These mute reeds thus suggest the seductive sirens of autofiction, the bewitching of a mystifying pipe, persistent uncertainties concerning this life-changing crash. This tendency for mytho- mania leads the artist to his favourite actor. Famous for imitating his accent and biography from one film to the next, Erich von Stroheim’s role as Commandant von Rauffenstein in La Grande Illusion was to leave a lasting effect on him. It was as this character that Michel Aubry has definitively frozen him, in the body 11 of a ventriloquist dummy, a kind of figurative wind instrument, inside which the artist threw his voice, uttering edifying lines.

H.M.

11 La Marionnette Erich, 2008

142 143 Michel Aubry Michel Aubry 12 The Day Before_Star System_Caen_ June 05,1944_23:59, 2004

Renaud Auguste-Dormeuil

Né en 1968 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) / Born in 1968 in Neuilly-sur-Seine Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

houette noire qui ne permet plus d’identi- The Day Before_Star System_ fier la personne concernée. Ainsi, l’œuvre de Baghdad_January 15,1991_23:59 Renaud Auguste-Dormeuil devient un terrain The Day Before_Star System_ d’opération poétique au cœur de nos sociétés Baghdad_March 18,2003_23:59 contemporaines en interrogeant les conflits The Day Before_Star System_Caen_ et les images que ces derniers fabriquent. June 05,1944_23:59 Chaque image issue de la série « The Day Before_ The Day Before_Star System_ Star System » correspond à la carte virtuelle du Dresden_February 12,1945_23:59 ciel étoilé une minute avant le jour d’un évé- The Day Before_Star System_New York_September 10,2001_23:59 nement marquant de l’histoire (par exemple, le débarquement des Alliés, le 6 juin 1944 ou 2004 Impressions jet d’encre marouflées encore l’attentat du 11 septembre 2001 à New sur aluminium / Inkjet printouts York). Loin d’être une archive, ce travail relève mounted on aluminium de la reconstitution imaginaire et substitue à 170 × 150 cm la voie lactée les pixels d’une représentation obtenue grâce à un logiciel. Les dimensions Achat à la galerie In Situ-Fabienne historique et cosmique se télescopent dans Leclerc en 2007 / Purchased from the Galerie In Situ-Fabienne Leclerc in 2007 cette image qui traduit l’indifférence de la nuit stellaire à l’égard des événements humains. Si le fracas de la guerre est évoqué à travers le 12 titre, c’est la sérénité qui transparaît dans cette Depuis le milieu des années 1990, Renaud voûte céleste dont la beauté n’est qu’un arti- reproduces the action of a young woman from an archive, this work is a kind of imaginary Auguste-Dormeuil met en jeu la guerre et fice numérique. Renaud Auguste-Dormeuil East Germany who destroyed all of her pho- reconstruction and substitutes the pixels of la surveillance technologique généralisée offre le simulacre d’un scintillement lumineux tos before going into hiding. While the images a representation obtained through computer dans une œuvre où le danger et la paranoïa qui traduit la banalité du jour d’avant. Une are preserved this time, the physiognomic software for the Milky Way. Historical and cos- se traduisent sous des formes visuelles qui façon paradoxale de transcrire l’ère informa- traits become a black outline that no longer mic dimensions intermingle in this image that confinent souvent à l’invisibilité. Ses œuvres tique comme période post-historique. allows the person in question to be identified. expresses the indifference of the constella- montrent autant qu’elles cachent, à l’image The work of Renaud Auguste-Dormeuil thus tions with respect to human events. While the d’Écriture nocturne (2004), un papier peint Since the mid-1990s, Renaud Auguste-Dormeuil becomes a poetic field of operation at the roar of war is evoked by the title, it is serenity blanc sur lequel est inscrit en braille le nom has played out war and widespread technolog- heart of our contemporary societies, by ques- that comes through in this canopy of heaven de différentes opérations militaires. Ce pro- ical surveillance in his work, in which danger tioning the conflicts and images that the latter whose beauty is no more than digital artifice. cessus d’effacement est aussi à l’œuvre dans and paranoia are expressed in visual forms that manufacture. Renaud Auguste-Dormeuil offers the simula- Fin de représentation (2013), où l’artiste often verge on invisibility. His artworks show Each image from the series ‘The Day Before_ cra of glinting light that conveys the banality reprend le geste d’une jeune femme d’Alle- as much as they hide, as in Écriture nocturne Star System’ corresponds to the virtual map of of the day before. He develops a paradoxical magne de l’Est qui détruisit toutes ses pho- (2004), a wallpaper on which is written the the night sky one minute before the day of a way of transcribing the information technol- tos avant d’entrer dans la clandestinité. Si les names of various military operations in braille. major historical event (for example, the Allied ogy era as a post-historical period. images sont cette fois conservées, les traits This process of erasure is also at work in Fin landing on 6 June 1944 or the 11 September physionomiques laissent place à une sil- de représentation (2013), in which the artist 2001 attack in New York). Far from being F.D.

144 145 Renaud Auguste-Dormeuil Renaud Auguste-Dormeuil Adela Babanová

Née en 1980 à (République tchèque) / Born in 1980 in Prague () Vit et travaille à Prague / Lives and works in Prague

Return to Adriaport, 2013 13 Vidéo, collage, animation, Return to Adriaport, 2013 photographie, couleur, noir et blanc, sonore Durée : 14 min. 23 s. / Video, collage, animation, photography, colour, black and white, sound Duration: 14 mins 23 secs

Achat à l’artiste en 2014 / Purchased from the artist in 2014

13

Adriaport est le nom donné à une île artifi- Adela Babanová met en évidence le caractère Adriaport is the name given to an artificial character of the project in order to scramble cielle, jamais réalisée, associée à une utopie quasi-fictif du projet pour brouiller histoire et island, a project that was never completed, history and fiction. The story integrates wit- sociale et architecturale qui, elle non plus, ne fiction. Le récit intègre en effet des témoins associated with a social and architectural nesses remembering time spent in Adriaport vit jamais le jour. En effet, dans les années remémorant les moments passés à Adriaport utopia that also never saw the light of day. In against a backdrop of very real retro-futurist 1970, sous l’impulsion de l’ingénieur Karel sur fond de ruines architecturales rétro-futu- the 1970s, at the initiative of engineer Karel structures (bunkers by Paul Virilio, structures Zlabek, l’ex-Tchécoslovaquie ambitionne de ristes (bunkers de Paul Virilio ; structures du Zlabek, the former Czechoslovakia aimed to by Serb sculptor Vojin Bakic). This montage of réaliser un tunnel reliant le pays communiste, sculpteur serbe Vojin Bakic), bien réelles. Ce build a tunnel linking the communist coun- elements resulting from an unrealised future sans accès à la mer, à la côte adriatique, au montage d’éléments provenant d’un avenir try, with no access to the sea, to the Adriatic has now become a potential past, with the large de laquelle Adriaport offrirait un cadre irréalisé, devenu passé potentiel, avec les coast, where Adriaport was to offer a holi- ruins of a disappeared futurist vision, the de vacances accessible en deux heures de ruines d’une vision futuriste disparue, pro- day spot for Czechoslovakians just a two-hour product of a poetic meditation destabilis- train aux Tchécoslovaques. Recourant au duit une méditation poétique déstabilisant train ride away. By re-editing film and pho- ing our present and contesting the estab- remontage d’images d’archives cinématogra- notre présent et contestant les temporalités tographic archive imagery, Adela Babanová lished temporalities. Therefore, in Return to phiques et photographiques, Adela Babanová établies. Ainsi, dans Return to Adriaport, l’his- retraces this symptomatic episode in the Adriaport, architectural and social history retrace cet épisode symptomatique, dans toire architecturale et sociale et leur téléolo- architectural history of the former Soviet bloc and their teleology makes way for ‘ruino- l’histoire architecturale de l’ancien bloc sovié- gie laissent place au regard « ruinophilique » of the transition from the conceptualising of philia’ and its intermingling of periods; the tique, du passage d’une conceptualisation de et à son télescopage des époques ; l’artiste scale as a discrete entity to ‘topologies of artist thus repositions this material heritage l’échelle comme entité discrète à des « topo- réinscrit alors cet héritage matériel dans le scalar systems’, like those analysed by Lukasz within the field of potentiality. logies de systèmes scalaires », tels qu’ana- champ de la potentialité. Stanek. But far from contenting herself with lysés par Lukasz Stanek. Mais loin de s’en a straightforward historical reconstruction, A.M. tenir à une simple reconstruction historique, Adela Babanová highlights the quasi-fictional

146 147 Adela Babanová Adela Babanová Bertille Bak

Née en 1983 à Arras (Pas-de-Calais) / Born in 1983 in Arras Vit et travaille à Épinay-sur-Orge (Essonne) / Lives and works in Épinay-sur-Orge

Le Tour de Babel, 2014 14 Vidéo couleur, stéréo Le Tour de Babel, 2014 Durée : 22 min. / Colour video, stereo Duration: 22 mins

Achat à la galerie Xippas en 2014 / Purchased from the Galerie Xippas in 2014

Produit dans le cadre de son exposition épo- tesque organisme dans lequel les corps des nyme au centre d’art le Grand Café de Saint- passagers sont distribués à travers la com- Nazaire, Le Tour de Babel a pris forme à partir partimentation des espaces et les activités de l’immersion de l’artiste dans le tissu local. régulées selon les différentes aires dédiées 14 Le mot « communauté » est récurrent dans au loisir ou au labeur. Bertille Bak ne sombre les discussions sur le travail de Bertille Bak, jamais dans une critique qui produirait une le processus créatif de l’artiste passant par quelconque distance entre les sujets et l’ar- son insertion dans les collectivités qu’elle tiste ou le public. La tendresse des séquences observe, ceci sans jamais les objectiver à tra- de photos de vacances qui suit toute une série vers un regard extérieur. Dans le contexte de de plans montrant la raideur de l’agencement Bak began her investigation in a shipyard in the activities are regulated according to the ce film, Bertille Bak a commencé son inves- architectural du paquebot en est une preuve. the region, focusing on the construction, various areas dedicated to entertainment tigation dans un chantier naval de la région, Car la méthodologie de Bertille Bak consiste then the life and activities of the passengers or work. Bertille Bak never falls into a criti- s’intéressant à la construction, puis à la vie et plutôt à produire avec plutôt que sur les com- and sailors of an ocean liner. While the start- cism that might produce any kind of distance aux activités des passagers et des marins d’un munautés qu’elle étudie, laissant cette Tour ing point of this project consisted of filming between the subjects and the artist or the paquebot. Si le point de départ de ce projet de Babel s’exprimer dans toute sa polyphonie. the living conditions of these sailors, their audience. The tenderness of the holiday pho- consistait à filmer les conditions de vie de ces refusal to be filmed means that, for critic tos sequences that follow a whole series of marins, leur refus de se faire filmer fait que, Produced within the framework of her epon- Leïla Simon, their ‘physical absence under- shots presenting the steepness of the archi- pour la critique Leïla Simon, leur « absence ymous exhibition at the art centre Le Grand scores their routine invisibility’. Nevertheless, tectural design of the ship attests to this. physique vient souligner leur invisibilité quo- Café de Saint-Nazaire, Le Tour de Babel took this invisibility is largely compensated by the Bertille Bak’s methodology consists of pro- tidienne ». Néanmoins, cette invisibilité est shape based on the artist’s immersion within rich detail of the sequence shots that relate ducing a filmwith rather than about the com- largement compensée par la richesse des the fabric of the local community. The word life aboard the ship, from the choice of dec- munities that she studies, allowing this Tower plans-séquences qui permettent de retra- ‘community’ recurs frequently in discussions oration of the cabins to dance nights and the of Babel to express itself in all of its polyph- cer la vie du navire, du choix de la décora- about the work of Bertille Bak, since the art- huge construction site preceding its maiden ony. tion des cabines aux soirées dansantes, en ist’s creative process involves her insertion voyage. This process consequently reveals passant par l’énorme chantier de construc- within the communities that she observes, the liner as a huge organism in which the bod- A.M. tion qui précède sa mise à flot. Ce processus without ever objectifying them with an exter- ies of the passengers are distributed through révèle dès lors le paquebot comme un gigan- nal gaze. In the context of this film, Bertille the compartmentalising of the spaces and

148 149 Bertille Bak Bertille Bak Élisabeth Ballet

Née en 1957 à Cherbourg (Manche) / Born in 1957 in Cherbourg Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Bande à part, 1998 15 Parpaings en béton cellulaire, Vue de l’œuvre Bande à part au structure en aluminium / Carré d’Art, Nîmes, pour l’exposition Breezeblocks in cellular concrete, « Élisabeth Ballet », 2002 / aluminium structure View of Bande à part at the Carré 80 × 700 × 550 cm d’Art, Nîmes, ‘Élisabeth Ballet’ exhibition, 2002 Achat à la galerie Serge Le Borgne en 2008 / Purchased from the Galerie Serge Le Borgne in 2008

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Une œuvre d’Élisabeth Ballet est la matéria- der que par le regard. « La question n’est pas An artwork by Élisabeth Ballet is the materi- structions, because inside, there is nothing’,2 lisation d’une idée mentale précise, traduite de pénétrer au sein de mes constructions, car alisation of a precise idea, translated into the explains the artist who sees the crux of the dans le dessin puis dans la matière, pour enfin dedans, il n’y a rien 2 », explique l’artiste qui drawing then into materials, and finally placed work in its form. être mise en situation dans l’espace : « Je res- voit dans la forme l’intérêt de l’œuvre. in context within the space: ‘I see sculpture This mysterious but transparent enclosure sens la sculpture comme l’expérience réelle Cet enclos mystérieux mais transparent garde as the real experience of a special space, keeps spectators at bay while also inviting d’un espace spécial, en retrait du monde et à distance le spectateur tout en l’invitant à withdrawn from the world and inaccessible’,1 them to wander. ‘My work asks the specta- inaccessible 1 », note l’artiste dont le travail la déambulation. « Mon travail demande au notes the artist, whose work is inextricably tor to move, to take a walk – because walking est indissociablement lié à l’architecture et spectateur un déplacement, une marche. connected to architecture and its specifici- makes you think; more than simply stand- ses spécificités. Le choix des matériaux de Parce que la marche fait penser ; plus que la ties. The choice of materials is adapted spe- ing still. Walking also implies “approach”, travail est adapté précisément à la forme que simple station debout. Qui dit marche, parle cifically to the form that the sculpture will this notion evokes both a physical and men- la sculpture obtiendra, suivant des schémas aussi de démarche, cette notion évoque un obtain, following geometric schemas, which tal movement.’3 The artwork thus becomes a géométriques, toujours présents dans son déplacement physique et mental 3 ». L’œuvre are always present in her artistic vocabulary. catalyst for curiosity and a desire for explora- vocabulaire plastique. devient ainsi catalyseur de curiosité et de Bande à part consists of an aluminium bar- tion, just the opposite of the usual passivity Bande à part est composée d’une barrière volonté d’exploration, à l’antipode de la pas- rier and a breezeblock construction in white of the spectator. en aluminium et d’une construction en par- sivité habituelle du spectateur. cellular concrete, which invite the spectator paings de béton cellulaire blanc, qui invite to imagine the pathway to trace within the N.T. le spectateur à imaginer le chemin à tracer space. The stacked breezeblocks and barrier dans l’espace. Les parpaings empilés ainsi que create internal spaces within the room, which la barrière créent des espaces internes à la the spectator can only access with their eyes. pièce, auxquels le spectateur ne peut accé- 2. Guy Cogeval, préface, in Guy Cogeval (dir.), Élisabeth ‘The question is not that of entering my con- 2. Guy Cogeval, preface, in Guy Cogeval (dir.), Élisabeth Ballet : sculptures, Rome, Éditions Villa Médicis, 1985. Ballet: sculptures (Rome: Éditions Villa Médicis, 1985). 1. Élisabeth Ballet, Expositions. Disponible sur : http:// 3. Entretien entre Élisabeth Ballet et Élisabeth Lebovici, 3. Interview between Élisabeth Ballet and Élisabeth www.elisabethballet.net/expositions/43e-biennale- disponible sur : http://www.carreartmusee.com/fichier/ 1. Élisabeth Ballet, Expositions. Available at: http://www. Lebovici, available at: http://www.carreartmusee.com/ de-venise t_media/332/media_fichier_dossierdepresse.pdf elisabethballet.net/expositions/43e-biennale-de-venise fichier/t_media/332/media_fichier_dossierdepresse.pdf

150 151 Élisabeth Ballet Élisabeth Ballet Virginie Barré

Née en 1970 à Quimper (Finistère) / Born in 1970 in Quimper Vit et travaille à Douarnenez (Finistère) / Lives and works in Douarnenez

de crime, mascarades fantastiques et réu- Écarlate, 2004 nions occultes. Pour l’installation Écarlate, Luminaires, moquette, mannequin, l’artiste emprunte à l’auteur de un air tissus, résine, son sur support CD Shining Dimensions variables / des années 1920 interprété par le Ray Noble Light fixtures, carpet, dummy, Orchestra, Midnight, the Stars and You, qui fabric, resin, sound on CD illustre le générique de fin du film et porte Variable dimensions la nostalgie d’une époque révolue. Kubrick termine son long métrage par des bruits de Achat à la galerie Loevenbruck conversation, ceux des spectres de l’hôtel en 2005 / Purchased from the Galerie Loevenbruck in 2005 qui poursuivront leurs fêtes éternellement : chez Virginie Barré aussi, le temps s’est sus- pendu, entre plaisir et carnage. Suspendue aux luminaires, une femme ca- 16 brée, raidie par la mort, au-dessus d’une mare de sang où gisent ses escarpins. Que s’est-il passé ? Tout irradie de rouge : le plafond et ‘A film is – or should be – more like music radiates red: the ceiling and walls, the vic- les murs, la robe de la victime. Des images than like fiction.I t should be a progression tim’s dress. Images taken from The Shining tirées de Shining se superposent à celle-ci, le of moods and feelings.’ This statement from are superimposed on the latter, the surreal dialogue surréel entre Jack et Delbert Grady Stanley Kubrick aptly describes the work of dialogue between Jack and Delbert Grady in 16 dans des toilettes aux murs de sang, Danny Virginie Barré, who was greatly inspired by the toilets with walls of blood, Danny repeating Écarlate, 2004 qui répète et écrit « redrum » partout, mais filmmaker’s world in constructing her immer- and writing ‘redrum’ everywhere, but also aussi la « Red Room » du Twin Peaks de David sive installations, between reconstructions the ‘Red Room’ in David Lynch’s Twin Peaks, Lynch, son acteur nain entièrement costumé of crime scenes, fantastical masquerades, his dwarf actor entirely dressed in crimson de carmin et les plans où Laura Palmer se and occult gatherings. For the installation and the shots of Laura Palmer bathed in the noie dans la lumière écarlate, hagarde, sa Écarlate, the artist borrows a tune from the scarlet light, wild-eyed, her beautiful blond belle chevelure blonde enflammée. Avant ces 1920s from the author of The Shining. The hair in flames. With these reminiscences réminiscences et flashs back, l’installation de song Midnight, the Stars and You is performed and flashbacks, Virginie Barré’s installation is Virginie Barré saisit sur le vif par sa dimen- by the Ray Noble Orchestra and illustrates the immediately captivating through its irrational sion irrationnelle : la position incongrue de ce end credits of the film, adding an element of dimension: the incongruous position of this corps, tendu au visiteur comme une interro- nostalgia for a bygone era. Kubrick ends his body, offered to the visitor like a question, in « Un film est – ou devrait être – beaucoup gation, dans une mise en scène du macabre feature film with the sounds of conversation, a meticulously dramatic staging of the maca- plus proche de la musique que du roman. Il soigneusement théâtralisée. Ainsi va l’art de those of the ghosts of the hotel that relent- bre. Such is Virginie Barré’s art: more senso- doit être une suite de sentiments et d’atmos- Virginie Barré : plus sensoriel qu’analytique, lessly continue their parties: in Virginie Barré rial than analytical, voyeuristic and distant, phères ». Tenus par Stanley Kubrick, ces pro- voyeur et distant, friand de théâtralité, pétri too, time is suspended, between pleasure fond of theatricality, and brimming with sub- pos épousent avec justesse l’œuvre de Virginie d’images subconscientes et de rémanences and carnage. conscious flashes and persistent filmic images Barré, qui s’est beaucoup nourrie de l’univers cinématographiques compilées avec délec- Hanging from lights, a woman lies nose up, compiled with great delight. du cinéaste pour construire ses installations tation. stiff, above a swamp of blood in which lie immersives, entre reconstitution de scènes her high heels. What happened? Everything E.P.

152 153 Virginie Barré Virginie Barré 17 Le Mirail, juillet 2002, 2002

Yves Bélorgey

Né en 1960 à Sens (Yonne) / Born in 1960 in Sens Vit et travaille à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) / Lives and works in Montreuil-sous-Bois

tardif : c’est une vue d’un bâtiment du quar- Le Mirail, juillet 2002, 2002 tier – Le Mirail construit par le trio Huile et glycéro sur toile / d’architectes Candilis, Josic et Woods entre Oil and oil-based paint on canvas 240 × 240 cm 1960 et 1965. Cette architecture est l’illustra- tion d’un style brutaliste, privilégiant l’utilisa- Achat à la galerie Xippas en 2003 / tion du béton, une esthétique austère et des Purchased from the Galerie Xippas formes massives dans un souci de rentabilité in 2003 économique. Le travail d’Yves Bélorgey offre un regard rétrospectif sur les dimensions sociale et utopique de l’architecture du grand nombre. Mais il ne se réduit pas à sa stricte valeur documentaire car c’est aussi le hors-champ qui en construit l’histoire. L’artiste veut ainsi questionner tout ce qui existe autour de ces images, le « grand récit » de la modernité, ses échecs, les sites où les immeubles sont 17 implantés comme l’espoir persistant d’une vie meilleure. La forme symbolique de l’im- Yves Bélorgey initie au début des années meuble collectif est aussi un moyen de repen- abstraction reinforced by the visual uni- images: the ‘grand tale’ of modernity, its fail- 1990 des séries de peintures d’immeubles ser les fonctions de la peinture, en écho à formity of the buildings and the flatness of ures, the sites in which the buildings were de l’architecture des grands ensembles, réa- son histoire (la fascination pour les ruines par the images. Le Mirail is an example of this, installed, and the persistent hope for a bet- lisées d’après des photographies, issues de exemple), et comme méditation sur la dialec- showing the artist’s interest in the late mod- ter life. The symbolic form of the collective voyages dans le monde entier. Des façades tique du sujet et de sa représentation. ernist aesthetic: it is a view of a building in apartment building is also a way of rethinking d’immeubles et des quartiers de logements the Toulouse – Le Mirail neighbourhood, built the functions of painting, echoing its history sont représentés en perspective ou vue fron- Yves Bélorgey began series of paintings of by the trio of architects Candilis, Josic, and (the fascination for ruins, for instance), and tale. L’artiste opte presque toujours pour des major architectural complexes, based on Woods between 1960 and 1965. This archi- a meditation on the dialectic between the cadrages serrés qui mettent en valeur la struc- photographs taken on trips all over the world. tecture is the illustration of a brutalist style, subject and its representation. ture des architectures et révèlent des traces The facades of buildings and residential neigh- favouring the use of concrete, an austere aes- de vies humaines tout en faisant apparaître la bourhoods are represented in perspective or thetic, and massive forms, out of a concern A.L. dégradation progressive des bâtiments. frontal views. The artist opts almost always for for economic profitability. Le réalisme des peintures est atténué par le tight framings that showcase the structure of The work of Yves Bélorgey offers a retrospec- grand format carré qu’utilise Yves Bélorgey the various forms of architecture and reveal tive view of the social and utopian dimensions (240 × 240 cm) qui ouvre une forme d’abs- traces of human lives while showing the pro- of architecture designed for the masses. But traction renforcée par l’uniformité visuelle gressive degradation of the buildings. it is not reduced to its strictly archival value des immeubles et la planéité des images. Le The realism of the paintings is attenuated by since it is also the off-screen space that con- Mirail en est un exemple, montrant l’intérêt the large square format that Yves Bélorgey structs the story. The artist thus wishes to de l’artiste pour l’esthétique du modernisme uses (240 × 240 cm) that instils a kind of question everything that exists around these

154 155 Yves Bélorgey Yves Bélorgey The projects of Christophe Berdaguer and Marie Péjus open up an examination of the way in which individuals can be tempted to escape a restricting and coercive spatial and social environment. For the two artists, it is a matter of questioning power relations and Berdaguer et Péjus the relationship to knowledge and to vari- ous forms of authority (scientific, technol- Christophe Berdaguer, né en 1968 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) / Born in 1968 in Perpignan ogy, architectural, etc.), which is notably Marie Péjus, née en 1969 à Rennes (Ille-et-Vilaine) / Born in 1969 in Rennes expressed through an exploration of the psy- Vivent et travaillent à Marseille (Bouches-du-Rhône) et Paris / Live and work in Marseille and Paris che presented in various forms in installations, sculptures, and videos. The work Divan con- sists of a wooden structure whose function reflects its design and that rests on a set of books on psychoanalysis. It is the representa- Les projets de Christophe Berdaguer et Marie tion of a dialectic between comfort, shelter Divan, 2003 Bois laqué, peau de mouton, livres / Péjus ouvrent à une réflexion sur la manière (sheepskin placed on the structure), insertion Lacquered wood, sheepskin, books dont l’humain peut être tenté d’échapper à un of the body into a reassuring form, and the 70 × 180 × 18 cm environnement spatial et social contraignant presence of a coded, sanctified knowledge, et coercitif. Il s’agit pour les deux artistes which gives rise to open-ended questions. It Achat à la galerie Martine Aboucaya de questionner les relations au pouvoir, au is also possibly the sign of irony with respect en 2007 / Purchased from the savoir, à diverses formes d’autorité (scienti- to the concept of the psychoanalyst-patient Galerie Martine Aboucaya in 2007 fique, technologique, architecturale, etc.) qui relationship established by Sigmund Freud, se traduit notamment par une exploration de reflecting the idea of ritual and a body posi- la psyché déclinée en installations, sculptures tion designed to encourage the expression of et vidéos. L’œuvre Divan est composée d’une the patient’s imagination. The books are at structure en bois dont la fonction renvoie once the pillars and victims of the weight of au design et qui repose sur un ensemble de the circular structure and the seated individ- livres de psychanalyse. Elle est la représen- ual. According to Marie Péjus, the reader who tation d’une dialectique entre confort, abri sits in this ‘divan’ is likened to an ‘immobile (peau de mouton posée sur la structure), Sisyphus’. In Christophe Berdaguer and Marie insertion du corps dans une forme rassurante Péjus’s work, everything seems to be played et présence d’un savoir codé, sacralisé, qui out in a permanent oscillation between the ouvre à des questions sans réponses. Elle est reactivity of the body and mind and an envi- peut-être aussi la marque d’une ironie vis-à- ronment that is both uncertain and authori- vis du dispositif de la relation psychanalyste- tarian, within which we must find our place. patient établie par Sigmund Freud, renvoyant à l’idée de rituel et à une position du corps A.L. censée favoriser l’expression de l’imaginaire du patient. Les livres sont à la fois les piliers et les victimes du poids de la structure cir- culaire et de celui qui s’y installe. Selon Marie Péjus, le lecteur qui investit ce « divan » est semblable à un « Sisyphe immobile ». Chez 18 Christophe Berdaguer et Marie Péjus, tout Vue de l’œuvre Divan à l’abbaye semble en effet se jouer dans une oscillation aux Dames pour l’exposition permanente entre la réactivité du corps et de « À nous deux », Caen, 2015 / View of Divan at the Abbaye l’esprit et un environnement à la fois incertain aux Dames, ‘À nous deux’ exhibition, et autoritaire, à l’intérieur duquel il s’agit de Caen, 2015 trouver sa place. 18

156 157 Berdaguer et Péjus Berdaguer et Péjus Bertran Berrenger

Groupe fondé en 1985 à Rouen (Seine-Maritime) / Group founded in 1985 in Rouen

Le travail de Bertran Berrenger (Jean-Paul Montpellier transition, 2003 Berrenger et Fabrice Bertran) est un jeu sur Vidéo des glissements de sens issus de la création Durée : 4 min. / Video de situations, de gestes et d’objets où la rela- Duration: 4 mins tion à la représentation est déformée, mise en crise. La vidéo Montpellier transition présente Achat à la galerie Hypertopie un itinéraire dans la ville, du centre ancien en 2010 / Purchased from jusqu’au quartier Antigone conçu par Ricardo the Galerie Hypertopie in 2010 Bofill, perçu comme un « De Chirico sans vie » par les deux artistes. L’enchaînement des séquences obéit à des effets de transi- tion dans les images qui semblent résulter des ordres donnés par Jean-Paul Berrenger se déplaçant dans les différents quartiers avec 19 un porte-voix. La vision du paysage urbain est construite selon divers effets de superposi- tions, de coupes rythmiques et graphiques dans les images. Recouvrements, divisions en damiers, rotations et pivotements de l’image The work of Bertran Berrenger (Jean-Paul succession, reconstructing a pathway that se succèdent, reconstruisant un parcours qui Berrenger and Fabrice Bertran) involves a interacts with the locals, the sounds, and interagit avec les habitants, les sons et les play on shifts in meaning derived from the the architecture. Urban space and architec- architectures. L’espace urbain et les formes creation of situations, actions, and objects, tural forms appear fragmented, cut out, or architecturales apparaissent fragmentés, in which the relationship to representa- set in motion, like materials that are suc- découpés, mis en mouvement comme des tion is deformed and challenged. The video cessively folded, unstuck, or engulfed. Jean- matières tour à tour pliées, décollées, ava- Montpellier transition presents an itinerary in Paul Berrenger’s movement and the orders lées. Le déplacement de Jean-Paul Berrenger the city, from the old centre to the Antigone that he gives remind us of a lone protestor et les ordres qu’il énonce font penser à ceux neighbourhood designed by Ricardo Bofill, who, instead of being the vector for politi- d’un manifestant solitaire qui, au lieu d’être seen as a ‘lifeless De Chirico’ by the two art- cal or social affirmations, presents an imagi- le vecteur de revendications politiques ou ists. The order of sequences obeys transitional nary geography of the city, tending towards sociales, figure une géographie imaginaire de effects in the images that appear to result the absurd. In the video, the city no longer la ville, tendant vers l’absurde. Dans la vidéo, from the orders given by Jean-Paul Berrenger appears as a fictional, rational territory. It is a la ville n’apparaît plus comme un territoire as he walks around the various neighbour- living and entropic space in which the human fonctionnel, rationnel. Elle est un espace hoods with a megaphone. The view of the body acts at once as an instrument of meas- vivant et entropique au sein duquel le corps urban landscape is constructed according to ure and a disruptive element. 19 humain agit à la fois comme instrument de various superimposed effects, and rhythmic Montpellier transition, 2003 mesure et élément perturbateur. and stylised cuts in the images. Eclipses, divi- A.L. sions into a chessboard configuration, rota- tions and pivots in the image follow in quick

158 159 Bertran Berrenger Bertran Berrenger ter une maison caractéristique de l’architec- ture ouvrière des années 1950. En tournant autour de l’œuvre, on s’aperçoit cepen- dant que seules deux façades ont été repro- duites à l’identique. À l’arrière apparaissent la structure et les poutres en bois, qui font de Hervé Bezet cette maison miniature un pur décor. Jouant sur l’ambiguïté de la figure de l’acteur et la Né en 1970 à Bourges (Cher) / Born in 1970 in Bourges difficile séparation entre vie privée et vie Vit et travaille à Bourges (Cher) / Lives and works in Bourges publique, Hervé Bezet imagine des espaces intermédiaires – ici, la maison familiale et la scène de tournage – qui suscitent l’imagina- tion du spectateur et l’invitent à (se) faire ses propres films. Gérard’s ghost house, 2010 Bois balsa, peinture acrylique, , , , plastique, flocage, bois de sapin / Casting Avatar Tom & Jerry Tribute to Jean- Balsa wood, acrylic paint, plastic, Claude Van Damme, L’homme à la caméra. modelling flock, pine wood These are the names of some of the pieces 39 × 53 × 50 cm Casting, Avatar, Tom & Jerry, Tribute to Jean- found when reviewing Hervé Bezet’s work. Claude Van Damme, L’Homme à la caméra. Saying that the artist draws his inspiration Achat à l’artiste en 2012 / Telles sont certaines œuvres que l’on ren- from films does seem to be a truism, but it Purchased from the artist in 2012 contre en parcourant le travail d’Hervé Bezet. is nevertheless important to understand the S’il apparaît comme un truisme de dire que driving force behind this inspiration, given l’artiste s’inspire du cinéma pour créer ses the multiple ways in which he approaches it. œuvres, il est toutefois nécessaire d’en cap- Although cinema has long been part of con- ter les ressorts, compte tenu des multiples temporary art, Hervé Bezet reappropriates it points de vue par lesquels il l’aborde. Alors by making use of its mechanisms, methods, que le cinéma a depuis longtemps fait son and actors, but without resorting to pure entrée dans l’art contemporain, Hervé Bezet mimicry. Hervé Bezet constantly plays with se l’approprie en reprenant à la fois ses dispo- the imaginary and fantasy world of cinema sitifs, ses méthodes et ses acteurs, mais sans by combining reality and fiction, questioning procéder par pur mimétisme. Invariablement, what is ‘true’ and what is ‘fake’, and inventing Hervé Bezet joue de l’imagination et de l’ima- his own cinematic world and ways of interact- ginaire propre au cinéma en mêlant la réa- ing with it. What happens behind the scenes lité à la fiction, interrogeant le « true » et le while filming? What can we see and what is « fake », et inventant son monde du cinéma really happening? Who really are the actors et ses moyens de faire œuvre avec. Comment we admire? Just how far can the gaze of the se passent les coulisses d’un tournage ? Que other intrude on celebrities? 20 voyons-nous et que se passe-t-il réellement ? With Gérard’s ghost house, Hervé Bezet has Qui sont vraiment les acteurs que nous admi- undertaken an almost voyeuristic investigation rons ? Jusqu’où peut s’immiscer le regard des into the village where actor Gérard Depardieu uns et des autres sur les célébrités ? grew up, to understand and present his child- are visible – this miniature house is in fact a Avec Gérard’s ghost house, Hervé Bezet hood home in all its detail. Reduced to model set. Playing on the ambiguity of the actor him- a mené un travail d’investigation presque scale, the house reveals another of the art- self and the difficulty in keeping private and voyeuriste dans le village d’enfance de l’ac- ist’s major interests: architecture, as with this public lives separate, Hervé Bezet imagines teur Gérard Depardieu, pour saisir et pré- doll’s house, he is also aiming to portray the intermediary spaces – in this case, the fam- senter sa maison natale dans les moindres architectural style of a typical worker’s house ily house and the film set – which spark the détails. Réduite à l’échelle de maquette, elle in the 1950s. But while walking around the spectators’ imaginations and invites them to 20 témoigne d’un autre intérêt majeur de l’ar- artwork, it becomes apparent that only two imagine their own films (or fantasies). Gérard’s ghost house, 2010 tiste : l’architecture. Avec cette maison de facades have been faithfully reproduced. At poupée, il cherche également à représen- the back, the structure and wooden beams C.K.

160 161 Hervé Bezet Hervé Bezet rique, rendant possibles de multiples inter- prétations. Cette sculpture a été créée en 2008 à New York en plein crash boursier et en pleine polémique sur la reconstruction du Word Trade Center. C’est pourquoi l’archi- tecte est représenté assis sur un escabeau Olivier Blanckart au milieu de décombres gris, couleur de la cendre et de la poussière. D’un côté, non sans Né en 1959 à Bruxelles (Belgique) / Born in 1959 in () ironie, la figure de l’artiste y apparaît capable Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris de créer quel que soit le contexte. Or bien souvent les artistes vivent de peu. D’un autre côté, cette sculpture souligne aussi le rôle de l’artiste (et de son art) comme éclaireur et comme alternative dans des temps difficiles. The Remix Koolhaas (after August Sander, the Architect, 1926), 2008 Olivier Blanckart has been living in the United Scotch adhésif, pvc, tissu adhésif, mousse polyuréthane, structures States for several years now, a country in fibre de verre, matériaux divers / which his productions – combining popular Adhesive tape, PVC, adhesive fabric, and academic culture, kitsch and intellectual polyurethane foam, fibreglass references, vulgarity, and finesse – are less structures, various materials Olivier Blanckart s’est installé depuis plusieurs controversial than they are in Europe. In this 160 × 100 × 100 cm années aux États-Unis, pays dans lequel ses sense, the artist falls within the Belgian artis- Achat à la galerie Guy Bärtschi en productions, mêlant culture populaire et tic tradition, from Magritte to Francis Alÿs or 2008 / Purchased from the Galerie culture savante, kitsch et référence intellec- Wim Delvoye, often satirical, and with occa- Guy Bärtschi in 2008 tuelle, vulgarité et finesse, font moins polé- sionally prankish humour. His work on icons mique qu’en Europe. En cela, l’artiste s’inscrit and stars mainly takes the form of sculptures dans la tradition artistique belge, de Magritte or photographs. à Francis Alÿs ou Wim Delvoye, souvent sati- The Remix Koolhaas belongs to a series rique et à l’humour parfois potache. Son of sculptures, the ‘Remixes’, all created travail sur les icônes et les stars prend essen- using packaging materials and reinterpret- tiellement forme à travers la sculpture et la ing emblematic photographs borrowed from photographie. high or low culture in three dimensions. Here, The Remix Koolhaas appartient à une série Olivier Blanckart reworks a photograph from de sculptures, les « Remixes », toutes réali- 1929 of the architect Hans Poelzig by pho- sées en matériaux d’emballage et qui réinter- tographer August Sander. This photograph prètent en trois dimensions des photographies belongs to a series entitled ‘Les Artistes’ in emblématiques empruntées à la culture which August Sander made portraits of the populaire ou savante. Ici, Olivier Blanckart most influential German artistic figures of reprend une photographie de 1929 de l’archi- the period. A sign held by the architect com- 21 tecte Hans Poelzig par le photographe August pletes the reworking of this photograph in Sander. Cette photographie appartient à une three dimensions. It reads ‘Fuck the context’, série intitulée « Les Artistes » dans laquelle a famous quote from contemporary architect of ash and dust. On the one hand, not with- August Sander a portraituré les figures artis- Rem Koolhaas. Koolhaas posits that the con- out a certain irony, here, the figure of the art- tiques allemandes les plus influentes de text must be surpassed in order to allow for ist seems capable of creating, irrespective of l’époque. La reprise en volume de cette pho- the emergence of generic design that ena- the context. Yet very often artists live on a tographie est complétée par une pancarte bles multiple interpretations. This sculpture shoestring. On the other hand, this sculpture tenue par l’architecte. Il y est inscrit « Fuck was created in 2008 in New York in the midst also highlights the role of the artist (and art) the context », phrase célèbre de l’architecte of the stock market crash and the polemic of as a beacon and as an alternative when times 21 contemporain Rem Koolhaas. Celui-ci pos- the reconstruction of the Word Trade Center. are tough. The Remix Koolhaas (after August Sander, The Architect, 1926), 2008 tule que le contexte doit être dépassé pour That is why the architect is represented sit- permettre l’émergence d’une création géné- ting on a stool amidst grey rubble, the colour C.P.

162 163 Olivier Blanckart Olivier Blanckart Michel Blazy

Né en 1966 à / Born in 1966 in Monaco Vit et travaille à L’ Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) / Lives and works in L’Île-Saint-Denis

Chawarma, 2010 Mousse polyuréthane, coton hydrophile, ficelle alimentaire, concentré de tomates sans sel / Polyurethane foam, cotton wool, cooking string, tomato concentrate with no added salt 140 × 120 × 90 cm

Achat à la galerie Art : Concept en 2010 / Purchased from Art : Concept in 2010

Paysage dérapage, 2010 Planche de contreplaqué, Michel Blazy travaille avec et sur le vivant. Son mélange de chocolat liquide, œufs œuvre sculpturale, qu’il développe depuis et chocolat en poudre / Plywood board, mixture of liquid chocolate, plus de vingt ans, pose la question du carac- eggs, and powdered chocolate tère éphémère de l’œuvre d’art à travers 120 × 120 cm notamment les matériaux que l’artiste utilise (coton, papier toilette, crème dessert, purée Don de Michel Blazy en 2010 / de carotte, mousse à raser, flocons de pomme Donated by Michel Blazy in 2010 de terre, etc.). Ces matériaux impliquent une évolution de son œuvre qui est condition- née par un inéluctable rapport au temps. La création devient ainsi un work in progress, qui se fait et se défait au fil des jours, donnant à voir une réalisation dont la forme est toujours changeante. En présentant un aspect en continuelle évo- lution, les œuvres de Michel Blazy ont cette particularité de refuser la pérennité car elles sont uniquement visibles à l’échelle de quelques semaines ou de quelques mois. 22 Leur exposition nécessite généralement de partir du mode d’emploi qui les accompagne pour les réactiver. Cet art éphémère est ainsi appelé à durer, tout du moins virtuel- 22 lement, grâce au mode d’emploi. C’est le cas Chawarma, 2010 de Chawarma, une immense boule de coton,

164 165 Michel Blazy Michel Blazy recouverte de concentré de tomates sans Although animals (mice, mosquitoes, snails, sel qui entoure le pilier d’une salle d’exposi- etc.) have always played an important role in tion. Au fil des semaines, le concentré se cou- Michel Blazy’s work, the artist has also some- vrira progressivement de moisissures jusqu’à times fully integrated them into the process of recouvrir intégralement la boule de coton. some of his works. Paysage dérapage belongs Si les animaux (souris, moustiques, escargots, to the group of works that entices mice to etc.) ont toujours joué un rôle important dans nibble the mix of chocolate, egg, and pow- le travail de Michel Blazy, l’artiste les a parfois dered chocolate covering a plywood board. véritablement intégrés dans le processus These boards, placed in a studio, the artist’s même de certaines réalisations. Paysage cellar, or even a container (as with Paysage dérapage appartient à cet ensemble d’œuvres dérapage), result in magnificent imaginary qui consistent à inviter des souris à venir gri- and abstract landscapes. The mice are there- gnoter un mélange de chocolat, d’œuf et de fore a fundamental part of the creation, and chocolat en poudre recouvrant une plaque without them, there would be no artwork! de contreplaqué. Ces plaques, placées dans l’atelier, la cave de la maison de l’artiste ou V.D.C. encore dans un conteneur, comme pour Paysage dérapage, donnent à voir de magni- fiques paysages abstraits et imaginaires. Les souris font ainsi partie intégrante de la réali- sation et sans elles, point d’œuvre !

Michel Blazy works with and on living things. His sculptural work, which he has been devel- oping for over twenty years, questions the ephemeral nature of works of art, particu- larly through the materials that the artist uses (cotton, toilet paper, cream desserts, carrot mash, shaving cream, flakes of reconstituted potato, etc.). These materials imply a cer- tain evolution in his work that is conditioned by an inescapable relationship with passing time. The creation thus becomes a work in progress, which constructs itself and then deconstructs itself as the days go by, reveal- ing a work whose form continually changes. By presenting one continually changing 23 aspect, the specificity of Michel Blazy’s works is that they reject perenniality, as they are only visible on the scale of a few weeks or months. Their exhibition generally requires using the accompanying set of instructions to reactivate them. This ephemeral art is thus intended to last, at least virtually, by way of the instructions. This is the case for Chawarma, an immense ball of cotton covered in tomato concentrate with no added salt, which wraps around a pillar in an exhibition space. Over the ensuing weeks, the concentrate gradually 23 becomes covered with mould until the whole Paysage dérapage, 2010 cotton ball is coated with it.

166 167 Michel Blazy Michel Blazy Véronique Boudier

Née en 1961 à Nantua (Ain) / Born in 1961 in Nantua Vit et travaille à Bruxelles (Belgique) / Lives and works in Brussels (Belgium)

Le quotidien est au centre de l’œuvre de Sans titre, 2002 Véronique Boudier. Il devient son allié pour Photographie couleur contrecollée voir le monde sous l’angle du dérisoire et de sur aluminium / Colour photograph la facétie, dans un esprit parfois potache. mounted on aluminium 24 23,5 × 66 cm Touche-à-tout, elle utilise différents sup- ports, mais revient fréquemment à la photo- Tragédie minuscule, 2002 graphie et à la vidéo pour se mettre en scène. Photographie couleur sur bâche / Le corps est pensé comme l’expression d’un Colour photograph on tarpaulin quotidien fait de nourriture, de sexe, d’alcool 86 × 300 cm et de rêve. Ses premières œuvres, dans les Chat Chatte, 2002 années 1990, s’appuient beaucoup sur l’ac- Photographie couleur contrecollée tion corporelle, dont elle s’écarte par la suite sur aluminium / Colour photograph pour mettre en scène des moments de vie, prolongent dans la queue du chat créant un the rather common dream in which humans mounted on aluminium fictionnels ou non. jeu de continuité dans les lignes et les tonali- take themselves for birds. Sans titre is a 37,5 × 66 cm Les trois photographies de la collection ont tés entre le sexe féminin et le félin. C’est ainsi close-up of the artist’s eyes. It was shot from Achat à la galerie Chez Valentin été réalisées et présentées en 2002. Tragédie que les désirs comme les petits riens du quo- beneath her, reflecting the green colour of en 2003 / Purchased from minuscule est l’œuvre la plus grande, un peu tidien relevés par la dérision se retrouvent an imaginary parachute. This parachute was, Chez Valentin in 2003 pixellisée, aux couleurs pastel et douces. On mis en lumière, à l’image du regard interpel- at the time, on display locally. A fiction thus y voit un corps de femme, minuscule, volant lant de l’artiste. emerges, combining dreams and the desire to dans les nuages au-dessus d’un paysage de fly through the clouds. Juxtaposing the body montagne. Cette image évoque le rêve assez Everyday life is central to the work of traversing the clouds is a direct, provocative commun dans lequel l’humain se prend pour Véronique Boudier. It becomes her ally in gaze, which the emerald green colour sur- un oiseau. Sans titre est un gros plan sur les seeing the world in a ridiculous and facetious rounded by mascara softens a little. yeux de l’artiste. Elle aurait été prise par light, sometimes with a prankster’s mind. A The photograph Chat Chatte leaves the dream en-dessous, reflétant la couleur verte d’un multi-talented artist, she uses various media, world to confront a harsher reality. A human parachute imaginaire. Ce parachute était, but frequently performs in her own photo- body and animal body fit together in a frame à l’époque, présenté à proximité. Une fic- graphs and videos. The body is thought of as formed by the artist’s legs. The sleeping ani- tion apparaît ainsi, mêlant songe et désir de the expression of a daily life full of food, sex, mal fills the central space. The black, curly voler dans les nuages. Au corps se mêlant aux alcohol, and dreams. Her first works, in the pubic hair is prolonged by the cat’s tail, cre- nuages est associé le regard direct, provo- 1990s, relied heavily on bodily action, which ating a play of continuity in the lines and tones cateur, auquel le vert émeraude étoilé par le she later stopped in favour of staging slices of between the female genitals and the feline. It mascara apporte un peu de douceur. life, fictional or otherwise. is in this way that the sweet nothings of day- La photographie Chat Chatte quitte l’univers The three photographs from the collec- to-day life are humorously identified and find onirique pour opposer une réalité plus crue. tion were created and presented in 2002. themselves in the spotlight, like the artist’s Corps humain et corps animal s’emboîtent Tragédie minuscule is the largest, somewhat summoning gaze. 24 dans un cadrage formé par les jambes de pixelated work in soft pastel colours. We see Tragédie minuscule, 2002 l’artiste. L’animal endormi occupe la place a woman’s tiny body flying in the clouds above C.P. centrale. Les poils noirs et frisés du pubis se a mountainous landscape. This image evokes

168 169 Véronique Boudier Véronique Boudier He thus convokes playful objects, tools that reflect ordinary labour, social habits (for instance garden furniture that can be ‘used’ for a ‘Gulliver dinner’), but above all Lilian Bourgeat presents principles of inadequacy. His Chaise that stands nearly two metres tall Lilian Bourgeat does not derogate from this principle of non- correspondence between content and con- Né en 1970 à Belfort (Territoire de Belfort) / Born in 1970 in Belfort tainer. In addition, with this sculpture, the Vit et travaille à Dijon (Côte-d’Or) / Lives and works in Dijon artist tells the story of a design object from the 1960s, at a time when the relationship to the body was more sensitive. Considered vulgar and present all over the sculpture, l’artiste raconte de surcroît l’his- planet, this type of chair, stackable and wash- Chaise, 2008 toire d’un objet de design, apparu dans les able, is inexpensive and reproducible in vast Moulage en résine polyester / années 1960, à un moment où la relation au quantities. Lilian Bourgeat explodes all of Mould in polyester resin 196 × 125 × 115 cm corps était plus sensible. these elements through the enlargement of Considéré comme vulgaire et présent sur l’en- the object and its displacement into the art Achat à la galerie Frank Elbaz semble de la planète, ce type de chaise, empi- world. In so doing, he invites the spectator to en 2008 / Purchased from lable et lavable ne vaut pas grand-chose et est reconsider the plastic of an everyday element the Galerie Frank Elbaz in 2008 reproductible en très grand nombre. Autant that is so commonplace we no longer see it. de données initiales que Lilian Bourgeat dyna- Deceptively simple, this giant Chaise thus mite par l’agrandissement et le déplacement proves emblematic of the artist’s work: more dans le champ de l’art. Ce faisant, il invite le profound and less friendly than it looks, while Dans le champ du monumental, on creuse spectateur à reconsidérer la plastique d’un deliberately escaping foregone conclusions. pour de multiples raisons, qui n’ont plus rien élément du quotidien que l’on ne regarde plus d’original aujourd’hui. Quand Lilian Bourgeat depuis longtemps. Faussement simple, cette E.P. décide de produire un parpaing géant ou un Chaise géante s’avère ainsi emblématique de porte-bouteille de six mètres de haut, c’est l’œuvre de l’artiste : plus profonde et moins comme s’il s’appropriait toutes les lectures aimable qu’elle n’en a l’air, et qui échappe que l’histoire de l’art a déjà produites sur la volontiers à la clôture du sens. catégorie XXL. Bien sûr, l’échelle saisit, tout comme fascine le geste de reproduction. Dans Artists labour in the field of monumental le surdimensionné, l’artiste ne recherche pas works for various reasons, which no longer vraiment l’émerveillement, mais plutôt le hold any surprises today. When Lilian Bourgeat levier d’une stratégie plus retorse, qui induit decides to produce a giant breezeblock or a le piège physique du spectateur, son terras- six-metre-high bottle rack, it is as if he were sement mental aussi. Bourgeat fait vaciller appropriating all of the interpretations that l’alentour de l’œuvre, souligne le caractère the history of art had already produced on the 25 inadapté de l’être humain dans un tel envi- XXL category. Of course, their sheer size is ronnement, et désamorce toute prétention eye-catching, just as the act of reproduction de lecture univoque. can be fascinating. In the oversized category, Ainsi, qu’il convoque des objets ludiques, des the artist is not really seeking bedazzlement, outils qui renvoient au labeur ordinaire, des but instead the means to implement a more usages relationnels (par exemple un salon ingenious strategy, one that implies a physi- de jardin « empruntable » lors d’un dîner de cal trap for the spectators, coupled with a Gulliver), Lilian Bourgeat offre surtout à voir mental overload. Bourgeat sets the work’s des principes d’inadéquation. Sa Chaise qui surroundings in motion, highlighting the ill- avoisine les deux mètres de haut ne déroge adapted nature of human beings within such 25 pas à ce principe de non-correspondance an environment and defuses any claim of an Chaise, 2008 entre un contenu et un contenant. Avec cette unequivocal interpretation.

170 171 Lilian Bourgeat Lilian Bourgeat Alain Bublex

Né en 1961 à (Rhône) / Born in 1961 in Lyon Vit et travaille à Montgeron (Essonne) / Lives and works in Montgeron

tualités ; elles permettent toutes les extra- Plug-in City (2000) – Un week-end polations puisqu’elles n’ont pas (encore ) de à la mer, 2012 réalité. Épreuve chromogène laminée diasec sur aluminium / Ainsi, Plug-in City (2000) poursuit l’idée de Laminated chromogenic Diasec proof la ville organique, préfabriquée, évolutive et on aluminium mobile de Peter Cook, développée dans la 180 × 240 cm revue Archigram au début des années 1960, et simule l’imbrication de containers sur des Achat à la galerie Georges-Philippe édifices bien réels, des monuments ou des & Nathalie Vallois en 2013 / Purchased from the Galerie Georges- maisons vernaculaires. Il devient alors diffi- Philippe & Nathalie Vallois in 2013 cile de départager exactement ce qui relève de l’humour ou du pragmatisme. Les « contai- ners-cities » existent bel et bien à Tokyo, à Londres ou au Havre, notamment, et l’habitat extensible et modulaire connaît déjà de mul- tiples applications. L’improbable n’a pas de 26 place dans la fabrique mentale d’Alain Bublex. Plug-in City (2000) - Un week-end à la mer, 2012 Prospectif, son travail articule l’enregistre- 26 ment de la réalité architecturale contempo- raine et l’invention de développements qui pourraient s’adapter aux besoins des rési- dents. Malgré l’hétérogénéité des éléments Quand un designer industriel décide d’inves- et la lisibilité de l’intervention sur la photo- and qualified today as utopian. Existing stud- lar, and the extendable and modular home has tir le champ de l’art, on ne peut être surpris graphie, une étonnante cohérence se révèle ies on paper, such as those by Le Corbusier already found multiple applications. There is que la valeur d’usage soit problématisée dans dans sa villa normande, en accord avec les or Peter Cook, draw his attention owing to no room for the improbable in Alain Bublex’s ses recherches plastiques. Les agencements conditions locales et globales. the density of virtualities they contain; they mental constructs. His work is prospective d’Alain Bublex conjuguent réalité et fiction enable all kinds of extrapolations since they and connects the recording of contempo- pour questionner l’extension des possibles When an industrial designer decides to invest do not (yet) have any concrete reality. rary architectural reality and the invention of dans un monde en perpétuelle construc- the art field, it is hardly surprising that use Therefore Plug-in City (2000) pursues Peter developments that could be adapted to the tion, en quête de solutions dans le domaine value is problematised in his artistic research. Cook’s idea of the organic, prefabricated, residents’ needs. Despite the heterogene- de l’habitat et du transport. Il ne se plie pas à Alain Bublex’s arrangements combine reality evolutive, and mobile city, developed in the ous nature of the elements and the legibility l’impératif de l’inédit. Il imagine au contraire and fiction in order to question the extension Archigram magazine in the early 1960s, and of the photographic intervention, a surpris- des applications, quoique parfois loufoques, of possibilities in a world in perpetual con- simulates the imbrication of containers over ing coherency is revealed in his Norman villa, à des concepts modernistes laissés à l’état struction, in search of solutions in the field of very real structures, vernacular monuments designed to suit local and global conditions. de projet et désormais qualifiés d’utopiques. housing and transport. He does not submit to or houses. It thus becomes difficult to pre- Les études existantes sur papier, celles de the imperative of the new. On the contrary, cisely discern which are comic and which are C.M. Le Corbusier ou de Peter Cook par exemple, he devises (sometimes crazy) applications for pragmatic elements. ‘Container-cities’ do retiennent son intérêt par leur densité de vir- modernist concepts left in the project stages exist in Tokyo, London, or Le Havre, in particu-

172 173 Alain Bublex Alain Bublex Peter Buggenhout

Né en 1963 à Termonde (Belgique) / Born in 1963 in Dendermonde (Belgium) Vit et travaille à Gand (Belgique) / Lives and works in Ghent (Belgium)

L’artiste belge Peter Buggenhout pratique The Blind Leading the Blind #50, la peinture abstraite jusqu’aux années 1980, 2012 avant de s’orienter vers la sculpture. À la Métal, tissu, carton, plexiglas, bois, poussière / Metal, fabric, cardboard, recherche d’une autonomie de l’objet, d’une plexiglas, wood, dust création sans référence ni sens symbolique, 80 × 155 × 95 cm il se tourne vers les déchets industriels et organiques pour élaborer ses œuvres. Ses Achat à la galerie Laurent Godin sculptures se composent d’amas d’objets en 2013 / Purchased from récupérés qui deviennent des créatures the Galerie Laurent Godin in 2013 informes. L’idée d’un monde chaotique, sans repère ni direction, est le fil conducteur de sa démarche. Prenant des dimensions par- fois gigantesques, ses œuvres évoquent aussi des vestiges archéologiques, inclassables et 27 impossibles à dater, composés de maté- riaux « abjects » qui font écho aux écrits de Georges Bataille, et provoquent à la fois le ne s’agit pas d’apporter une explication à ses various materials are piled up and covered dégoût, le rejet et la curiosité. œuvres, mais plutôt d’illustrer la difficulté de in dust to constitute an amorphous thing. Dans la série « The Blind Leading the Blind » compréhension du monde. The work is shown under glass and calls for entamée en 2000 et dont fait partie cette attentive examination in order to attempt to œuvre, différents matériaux sont empi- Belgian artist Peter Buggenhout practised understand what it is made up of: elements lés et recouverts de poussière pour consti- abstract painting since the 1980s, before in iron, plastic, fabric, cardboard, and wood tuer une chose amorphe. Placée sous une turning his attention to sculpture. In search are covered in horse hair and a thick layer of vitrine, l’œuvre appelle à un examen attentif of an autonomy for objects, a creation with- black dust, beneath which we can make out pour tenter de comprendre ce qui la com- out reference or symbolic meaning, he turns traces of colour. The title of the work refers to pose : éléments en fer, plastique, tissu, car- to industrial and organic waste to develop his Pieter Brueghel’s painting The Parable of the ton, bois sont recouverts de crins de cheval works. His sculptures are made up of a mass Blind (1568), which illustrates an episode from et d’une couche épaisse de poussière noire, of recuperated objects that become amor- the Bible: according to the artist, like the blind sous laquelle on distingue des restes de cou- phous creatures. The idea of a chaotic world, in the parable, no one is aware of their past, leur. Le titre de l’œuvre fait référence au with no bearings or direction, is the guiding their role, or what the future holds for them. 27 tableau de Pieter Brueghel La Parabole des theme of his approach. Sometimes assum- While Peter Buggenhout often uses refer- Vue de l’œuvre The Blind Leading aveugles (1568), qui illustre un épisode de la ing huge proportions, his works also evoke ences to art history, literature, or mythology the Blind #50 au Frac pour Bible : selon l’artiste, comme les aveugles de unclassifiable archaeological remains that are in his titles, it is not a matter of providing an l’exposition « Des pas dans la parabole, personne n’a conscience de son impossible to date, made of ‘abject’ materi- explanation for his works, but rather of illus- l’escalier », Caen, 2014 / passé, de sa place ou de ce que l’avenir lui als that echo Georges Bataille’s writings and trating the difficulty of comprehending the View of The Blind Leading the Blind réserve. Si Peter Buggenhout utilise souvent provoke at once disgust, reject, and curiosity. world. #50 at the Frac, Des pas dans l’escalier exhibition, Caen, 2014 des références à l’histoire de l’art, à la litté- In the series ‘The Blind Leading the Blind’ rature ou à la mythologie dans ses titres, il begun in 2000 and that this work belongs to, C.C.

174 175 Peter Buggenhout Peter Buggenhout Sophie Calle

Née en 1953 à Paris / Born in 1953 in Paris Vit et travaille à Malakoff (Hauts-de-Seine) / Lives and works in Malakoff

Unfinished – Cash Machine, 2003 28 Photographies noir et blanc, vidéo, Unfinished - Cash Machine, 2003 son, couleur, 30 min. / Black-and-white photographs, video, sound, colour, 30 mins (6 ×) 28,5 × 38,5 cm

Achat à la galerie Emmanuel Perrotin en 2004 / Purchased from the Galerie Emmanuel Perrotin in 2004

À la fin des années 1970, après quelques datées et titrées, qui marquent son parcours : années passées à voyager, Sophie Calle « à l’aide ! », « retour à la case départ », « le revient à Paris, sa ville natale. Sans but, elle doute m’assaille », etc. Finalement, la vidéo, 28 suit les gens dans la rue, une manière de se dans un format documentaire très simple, met réapproprier la ville. Elle les photographie en récit ce que l’artiste appelle son « échec », et note leurs déplacements. Ne cherchant jusqu’à ce qu’elle prenne conscience qu’elle pas à qualifier sa démarche à ses débuts, ce a retourné la situation. Les six photographies désœuvrement finira par faire œuvre quelque qui accompagnent la vidéo focalisent sur le temps après. Cependant son rapport à l’autre, visage d’un seul individu. L’esthétique de la her or strangers) has characterised and been journey: ‘help!’, ‘back to square one’, ‘doubt proche ou inconnu, est, dès le départ, central caméra de surveillance est tout de suite iden- central to her overall work from the outset. assails me’, etc. Finally, the video, in a very et marque l’ensemble de son œuvre. tifiable. En plan serré, le visage des clients est The installation Unfinished – Cash Machine simple documentary format, narrates what L’installation Unfinished – Cash Machine est, scruté : la machine a-t-elle donné l’argent (le is, in this sense, emblematic of her approach the artist calls her ‘failure’, until she becomes en ce sens, emblématique de sa démarche et bonheur ?) ou l’a-t-elle refusé ? Le spectateur and retraces fifteen years of research. In aware that she has turned the situation retrace quinze ans de recherche. En 1988, une devient voyeur, une situation que Sophie Calle 1988, an American bank invited the artist to around. The six photographs that accompany banque américaine invite l’artiste à réaliser un aime provoquer. create a project on site. She was attracted the video focus on the face of a single indi- projet sur place. Les images captées par la by the images captured by the video surveil- vidual. The aesthetic of the surveillance cam- vidéosurveillance des distributeurs automa- In the late 1970s, after several years spent lance of the establishment’s automatic teller era is immediately identifiable. In a close-up, tiques de l’établissement la séduisent. Mais travelling, Sophie Calle returned to Paris, her machines. Yet the impossibility for the art- the customers’ faces are scrutinised: has the l’impossibilité pour l’artiste d’utiliser telles hometown. Aimlessly, she followed people in ist to use such images unmodified gave her machine given them the money (happiness?) quelles ces images la fait hésiter. Dans la vidéo the street, as though to reclaim the city. She pause. In the video Unfinished, we see her or has it refused? The spectator becomes a Unfinished, on la voit tâtonner, se question- photographed them and wrote down their probing, pondering, accumulating informa- voyeur, a situation that Sophie Calle likes to ner, accumuler les informations et les images, movements. Not seeking to describe her tion and images, questioning people, without provoke. interroger les gens, sans arriver à donner approach in the early days, this idleness would ever giving shape to this material. The video forme à ce matériel. La vidéo est organi- later take the form of an artwork. Nonetheless, is organised chronologically in thirteen peri- C.P. sée chronologiquement en treize périodes, her relationship to others (whether close to ods, dated and titles, which punctuate her

176 177 Sophie Calle Sophie Calle Fukushima, le 11 mars 2011 ? L’association est bien sûr rétrospective, mais les thématiques de la ruine, de l’oubli, des frontières aussi, et celle du chaos du monde sont au cœur des pratiques exploratoires de Boris Chouvellon. Attentif aux formes plurielles de la décrépi- Boris Chouvellon tude, il interroge l’état de notre environne- ment physique et idéologique. Par l’évocation Né en 1980 à Saint-Étienne (Loire) / Born in 1980 in Saint-Étienne de l’inanité de la puissance, de la gloire et Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris de la richesse, il revisite le genre toujours contemporain de la vanité, ouvert à toutes les projections et à la méditation, forcément imprégnées du climat d’urgence actuel.

Sans titre (drapeaux) n°1 With each photographic occurrence of the Sans titre (drapeaux) n°2 series ‘Sans Titre (drapeaux). Magic World’, a Sans titre (drapeaux) n°3 Sans titre (drapeaux) n°4 bright, immaculate blue sky serves as a spa- Sans titre (drapeaux) n°5 tial framework and thus prevents any kind of Sans titre (drapeaux) n°6 À chaque occurrence photographique de la contextualisation. All the more so in that only Sans titre (drapeaux) n°7 série « Sans titre (drapeaux). Magic World », a few shreds remain of the designs that stand Sans titre (drapeaux) n°8 un ciel d’un bleu lumineux, immaculé, tient out against it, of the flags raised to the top of de la série / from the series lieu de cadre spatial et empêche donc toute white poles; they only rarely allow their initial « Sans titre (drapeaux). Magic World », 2007-2011 contextualisation. D’autant plus que des configuration to be identified (here, a tricol- Tirages Lambda contrecollés motifs qui s’y détachent, des drapeaux hissés oured layout, there, a few yellow stars). The sur dibond / Lambda print au sommet de hampes blanches ne restent images manifest only their own splendour in photographs mounted on Dibond que quelques lambeaux ; ils ne permettent que contrasting colours, light, and energy. The 120 × 80 cm rarement d’identifier leur configuration ini- proud erectness of the pole and the lively tiale (ici un agencement tricolore, là quelques wind now exhibit no more than tawdry rags Achat à l’artiste en 2014 / Purchased from the artist in 2014 étoiles jaunes). Les images ne manifestent and the ‘that-which-was’ – the noema of que leur propre splendeur de contrastes photography according to Roland Barthes – colorés, de lumière et de vigueur. La fière rec- is thus intensified. But what has happened? titude de la hampe et la force allègre du vent Was it simply overuse, abandon, vandalism, or n’exhibent plus que des oripeaux et le « ça-a- catastrophe? Does the disappearance of the été », noème de la photographie selon Roland symbols denote a disdain or denial of nation- Barthes, s’en voit comme redoublé. Mais que alist and regionalist emblems or commercial s’est-il passé ? Simple usure, abandon, vanda- signs? Does it constitute a manifesto or is it lisme, catastrophe ? La disparition des sym- simply an observation? boles dénote-t-elle un dédain ou un déni des The only symbolic register that can now be emblèmes nationalistes et régionalistes, ou applied to this series of fifteen photographs 29 des sigles commerciaux ? S’agit-il d’un mani- relates to degradation, destruction, and feste ou d’un constat ? death. The image of a cloudless deep-blue Le seul registre symbolique qui puisse désor- sky, lashed to a figure of annihilation, might mais se prêter à cet ensemble de 15 photogra- give rise to sinister memories in this early 21st to the many different forms of decay, he ques- phies est lié à la dégradation, la destruction century. How could we forget the splendid tions the state of our physical and ideological et la disparition. L’image d’un azur profond sky, creating a violent contrast, on the pho- environment. Through the evocation of the sans nuage, cinglé d’une figure de l’anéan- tographs taken in New York on 11 September inanity of power, glory, and wealth, he revisits tissement, peut susciter des réminiscences 2001, or in Fukushima, on 11 March 2011? The the timeless genre of the vanitas, open to all 29 sinistres en ce début de xxie siècle. Comment association is retrospective, of course, but projections and to meditation, inevitably per- Sans titre (drapeaux) n°4 ne pas se souvenir du ciel splendide, créant the themes of ruins, amnesia, borders, and meated by today’s climate of urgency. de la série / from the series « Magic World », 2007-2011 un violent contraste, sur les photographies the chaos of the world lie at the heart of Boris prises à New York, le 11 septembre 2001, ou à Chouvellon’s exploratory practices. Attentive C.M.

178 179 Boris Chouvellon Boris Chouvellon Claude Closky

Né en 1963 à Paris / Born in 1963 in Paris Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

200 bouches à nourrir, 1994 30 Montage vidéo, couleur, muet, Sans titre (Barthez), 1999 en boucle Durée : 9 min. 24 s. / Video montage, colour, mute, looped Duration: 9 mins 24 secs

Mes 20 minutes préférées, 1993 Montage vidéo, couleur, muet, en boucle Durée : 20 min. / Video montage, colour, mute, looped Duration: 20 mins

Sans titre (Barthez), 1999 Diaporama en projection continue 30 constitué de 80 diapositives / Continuous slide show of 80 slides

Achat à la galerie Laurent Godin en 2008 / Purchased from the Galerie Laurent Godin in 2008 Claude Closky travaille à partir des signes de taires des années 1980 et diffuse jusqu’à la réalité capitaliste qu’il inventorie et classe l’écœurement le geste de porter à sa bouche dans un processus sans fin de recensement un produit et de le manger. Barres choco- qui confine à l’absurde. Ses propositions mul- latées, spaghetti, bières, friandises en tout timédias font souvent appel au langage et genre : tout y passe pour ne montrer que la déconstruisent les mythes de la consomma- même expression stéréotypée du plaisir. Le tion et de la communication, en rejouant les sourire de contentement et les yeux bril- préceptes de l’ordre et de la raison jusqu’au lants deviennent le vocabulaire unique censé vertige. Chiffres, lettres, images médias de provoquer chez le spectateur le désir. Mais masse, expressions langagières sont réarti- l’absence de son crée ici une distance et culés selon des codes à la fois sobres et fan- accentue le caractère factice des situations. taisistes. En fait, les pièces de Closky ont un Le jeu outré des acteurs éclate alors comme aspect minimal qui ne se départit pas d’un une métaphore de l’obscénité du capitalisme. certain humour. Elles offrent une retrans- Ce principe d’accumulation se retrouve dans cription mate du monde contemporain dont Mes 20 minutes préférées qui présente en la complexité structurelle est l’occasion d’une gros plan le cadran d’une montre à quartz. réorganisation ludique. Les vingt minutes s’écoulent en égrenant de Avec 200 bouches à nourrir, Claude Closky manière chronologique les heures favorites détourne des publicités télévisées alimen- de l’artiste qui ont pour principe la répéti-

180 181 Claude Closky Claude Closky 31 32

tion des chiffres, soit 1:01, 1:11, 1:23, 2:02, aspect that consistently maintains a degree This principle of accumulation recurs in 31 2:22, etc. Sans son, le cadrage serré, l’image of humour. They offer a raw retranscription Mes 20 minutes préférées, which presents Mes 20 minutes préférées, 1993 se vide de toute expression autre que celle de of the contemporary world whose structural the face of a quartz watch in close-up. The l’heure affichée. Cette dimension minimale complexity provides the opportunity for a twenty minutes run out by counting chron- entre en tension avec le choix affectif claire- playful reorganisation. ologically the artist’s favourite times, based ment assumé et place l’œuvre entre objecti- With 200 bouches à nourrir, Claude Closky on the principle of repeating digits, such as vité et subjectivité. reappropriates television commercials about 1:01, 1:11, 1:23, 2:02, 2:22, etc. Without sound food from the 1980s and screens ad nauseam and with tight framing, the image is evacu- Claude Closky works on signs from capital- the gestures of bringing a product to the mouth ated of any expression other than that of the ist reality that he inventories and classifies, in and eating it. Chocolate bars, spaghetti, beer, time displayed. A tension arises between this an endless census that verges on the absurd. and treats of all kinds are all presented, show- minimal dimension and the clearly deliberate His multimedia presentations often call on ing only the same stereotypical expression of emotional choice, thus positioning the art- language and deconstruct the myths of con- pleasure. Delighted smiles and sparkling eyes work between objectivity and subjectivity. sumerism and advertising, by replaying the become the unique vocabulary designed to precepts of order and reason to their parox- elicit desire in the spectator. But the absence F.D. ysm. Numbers, letters, mass media images, of sound here creates a sense of distance and 32 and linguistic expressions are rearticulated accentuates the false character of the situa- 200 bouches à nourrir, 1994 according to codes that are at once sober yet tions. The ham acting thus glaringly serves as quirky. In fact, Closky’s works have a minimal a metaphor for the obscenity of capitalism.

182 183 Claude Closky Claude Closky répertoire de formes qu’elle réemploie par- fois pour d’autres sculptures, créant ainsi des résonances entre ses œuvres. Le carac- tère schématique de ses œuvres accentue les résonances, au cœur du travail de l’artiste. Comme une sorte de miroir multifaces, les Delphine Coindet œuvres de Delphine Coindet projettent et superposent des références multiples, pui- Née en 1969 à Albertville (Savoie) / Born in 1969 in Albertville sées aussi bien dans la culture populaire que Vit et travaille à Chambéry (Savoie) / Lives and works in Chambéry dans l’histoire de l’art et en particulier dans celle de la sculpture. Avec humour, elle réunit des formes à la fois gourmandes, ludiques et sonores qui émoustillent nos sens. La seule œuvre Chérie, Chérie fait écho au Chérie, Chérie, 2006 titre de l’œuvre Clara, Clara de Richard Serra, Aluminium laqué, plexiglas laqué, à l’univers pop de Claes Oldenburg et aux mousse polyéthylène, médium, inox poli miroir / Powder coated cerises géantes de son œuvre Spoonbridge aluminium, coated plexiglas, and Cherry, à l’aspect lisse et industrialisé polyethylene foam, medium, des sculptures de Donald Judd, à la « pictoria- polished stainless steel mirror lisation de la sculpture » et à la multiplication 220 × 180 × 390 cm des points de vue des sculptures d’Anthony Caro, etc. Sans oublier les références au jeu Achat à la Galerie Laurent Godin en 2006 / Purchased from de mikado et aux chocolats Mon Chéri, dont the Galerie Laurent Godin in 2006 elle reprend l’homophonie du mot anglais « cherry » avec celui, français, de « chéri », ici féminisé et redoublé. Avec ces formes synthé- tiques, Delphine Coindet bannit le point de vue fixe assigné au spectateur devant l’image, au profit de regards multiples qui nous font par- 33 courir le monde d’aujourd’hui. Chérie, Chérie, 2006 33 The artwork Chérie, Chérie encapsulates the major characteristics of Delphine Coindet’s work, which until then had consisted of cre- ating a sculpture-image. To do this, the art- L’œuvre Chérie, Chérie synthétise les princi- ist always functioned according to the same tuate these echoes, which are at the heart of sation of sculpture’ and the proliferation of pales caractéristiques du travail de Delphine three-step process: 1. make a recording (most the artist’s work. Like a sort of multifaceted viewpoints in the sculptures of Anthony Caro, Coindet, qui consiste jusqu’alors à créer une often photographic) of a slice of reality; 2. mirror, Delphine Coindet’s artworks project and so on. Not to mention references to the sculpture-image. Pour ce faire, l’artiste opère transfer this recording to a digital platform and and superpose multiple references, drawn game of mikado and the Mon Chéri choco- toujours selon un même mode opératoire en refine the image down to become a symbol; 3. not only from popular culture but also from lates, where the sound of the English word trois étapes : 1. une captation (le plus souvent model this ‘computerised diagram’ into three art history, particularly that of sculpture. With ‘cherry’ is echoed with the French word photographique) d’un morceau de réalité ; 2. dimensions. This technique produces various humour, she brings together shapes that are ‘chéri’ (or darling), repeated and given the le transfert de cette captation sur support transformations from three-dimensions to lush, playful, and resounding and that titillate feminine noun ending. With these synthetic informatique et la réduction de l’image à l’état two-dimensions and back again, and means our senses. shapes, Delphine Coindet banishes the fixed de signe ; 3. la modélisation de ces « schéma- that her sculptures are images that have been Just within the work Chérie, Chérie, multi- viewpoint assigned to the spectator in front tisations informatisées » en trois dimensions. given a kind of spatial layout: three-dimen- ple connections can be found: to Richard of the image, in favour of multiple approaches Cette technique engendre divers passages sional logos. Using this technique, the artist Serra’s work Clara, Clara, to the pop uni- that take us around today’s world. du volume au plan et du plan au volume et has built an index of shapes that she some- verse of Claes Oldenburg and the giant cher- fait de ses sculptures, des images mises en times reuses for other sculptures, thus creat- ries in his work Spoonbridge and Cherry, to C.K. espaces, des logos en trois dimensions. Grâce ing echoing connections between her works. the smooth and industrialised appearance of à cette technique, l’artiste se constitue un The diagrammatic nature of her pieces accen- Donald Judd’s sculptures, to the ‘pictoriali-

184 185 Delphine Coindet Delphine Coindet Martha Colburn

Née en 1971 à Harrisburg (États-Unis) / Born in 1971 in Harrisburg (United States) Vit et travaille à New York / Lives and works in New York

hantée par ces agressions. Pour l’artiste, « le Destiny Manifesto, 2007 film est un manifeste qui questionne le sen- Vidéo couleur, son timent de destin dans la culture américaine, Durée : 8 min. / Colour video, sound mais ce destin nous amène aujourd’hui vers Duration: 8 mins l’est et non pas l’ouest. C’est un manifeste, un essai, un documentaire, un film d’animation, Achat à la galerie Anne de Villepoix une peinture 1 ». Elle recourt à de nombreuses en 2007 / Purchased from techniques, peignant sur les personnages the Galerie Anne de Villepoix in 2007 et intégrant d’autres éléments qu’elle s’ap- proprie et recontextualise. Aussi, Destiny Manifesto emprunte et participe de plusieurs genres : le found footage, le collage dadaïste, les films d’animations – d’un Stan Vanderbeek ou d’un Larry Jordan par exemple –, mais 34 34 aussi le clip vidéo, forme d’expression dans Destiny Manifesto, 2007 laquelle l’artiste est également active. Ayant fait ses débuts dans la scène musicale de Baltimore avec le groupe The Dramatics et au sein des collectifs de cinéma expérimen- tal de cette ville, Colburn produit une esthé- Destiny Manifesto, film d’animation fait à par- tique personnelle déconstruisant le paysage Manifesto confronts the extermination of the appropriates and recontextualises. Destiny tir de collages et peintures sur verre, consiste visuel des médias de masse, des « films chan- indigenous populations during the founding of Manifesto therefore borrows from and relates en l’exploration visuelle de deux moments sons » – selon Jonas Mekas –, de la tristesse the American nation with visual elements from to several genres: found footage, the Dadaist sombres de l’histoire américaine. En effet, universelle de nos temps. the second phase of the Gulf War in order to collage, animated films, or the films of Stan le film s’ouvre sur un plan fixe d’une illustra- write a story that connects these two events, Vanderbeek or Larry Jordan for instance, but tion représentant un campement de colons Destiny Manifesto, an animated film made up and bring the former into the present to sug- also the video clip, a form of expression in lors de la conquête de l’Ouest. Ce plan est of collages and paintings on glass, represents gest that the American identity is haunted by which the artist is also active. Having cut her rapidement suivi par l’apparition de deux a visual exploration of two dark moments in these aggressions. For the artist, ‘the film is teeth on the Baltimore music scene with the colons, l’un d’eux creusant un trou avec American history. The film opens on a static a manifesto that questions the sense of des- band The Dramatics and as part of experi- un soldat américain situé en face de lui. Le shot of an illustration representing a set- tiny in the American culture, but this destiny is mental film collectives in that city, Colburn trou laisse s’échapper un avion de chasse. tlers’ camp during the conquest of the West. now leading us eastwards and not westwards. creates a personal aesthetic deconstructing Destiny Manifesto confronte l’extermination This shot is quickly followed by the appear- It is a manifesto, an essay, a documentary, an the visual landscape of the mass media, of des populations indigènes au fondement de ance of two settlers, one of them digging a animated film, a painting.’1 She makes use of ‘song films’ – according to Jonas Mekas –, of l’État américain à des éléments visuels de hole with an American soldier opposite him. numerous techniques, painting over the char- the universal sadness of our times. la seconde phase de la guerre du Golfe afin A fighter plane comes out of the hole.Destiny acters and integrating other elements that she d’écrire une histoire qui lie ces deux événe- A.M. ments, et inscrit le premier dans le présent 1. Mike Holboom, « Exile : an interview with Martha Colburn ». 1. Mike Holboom, “Exile: an interview with Martha Colburn”. pour suggérer que l’identité américaine est Disponible sur : http://mikehoolboom.com/?p=109 Available at: http://mikehoolboom.com/?p=109

186 187 Martha Colburn Martha Colburn Jordi Colomer

Né en 1962 à Barcelone (Espagne) / Born in 1962 in Barcelona (Spain) Vit et travaille à Barcelone (Espagne) / Lives and works in Barcelona (Spain)

Anarchitekton (série de photographies mon- Anarchitekton, 2002 tées en films, 2002-2004) montre le person- Ensemble de 5 photographies nage d’Idroj qui se déplace dans les villes de couleur contrecollées sur aluminium / Collection of five colour Bucarest, Barcelone, Osaka et Brasilia, por- photographs mounted on aluminium tant de grandes maquettes en carton qui (5 ×) 49,5 × 49,5 cm reproduisent des constructions issues des paysages parcourus. Il traverse différents Achat à la galerie Michel Rein types de paysages urbains, uniformes ou en 2004 / Purchased from Galerie spectaculaires, produits de l’histoire éco- Michel Rein in 2004 nomique, sociale et politique du xxe siècle. La Soupe américaine / Mais au cours de ses déplacements, Idroj The American Soup, 2013 emprunte aussi les « chemins du désir » créés Projection vidéo, estrade, portes par les habitants, qui rendent compte d’une et fenêtres récupérées d’un appropriation singulière de l’espace urbain. baraquement américain type UK 100 Ce sont des chemins autre que ceux dessi- à Caen, dessins au blanc de Meudon sur les vitres, neige artificielle nés à l’avance, des axes libres de circulation, sur un mur non figés, non répertoriés, trajets parallèles Dimensions variables, aux tracés des ingénieurs et urbanistes. Dans vidéo : 13 min. 3 s. / le filmLa Soupe américaine / The American Video projection, rostrum, doors Soup, des pavillons UK-100 (maisons démon- and windows salvaged from a UK 100 tables fabriquées aux États-Unis dans les prefab bungalow in Caen, drawings in powdered chalk from Meudon on the années 1940 pour reloger les victimes des 35 windows, artificial snow on one wall bombardements) constituent le point de Variable dimensions, départ de l’élaboration d’une fiction à laquelle video: 13 mins 3 secs des habitants sont invités à participer. Ainsi, il n’est pas question pour Jordi Colomer Achat à la galerie Michel Rein de se lamenter sans fin sur les errements du Frac Normandie Caen qui évoquent les Dans ces deux projets, Jordi Colomer éta- en 2013 / Purchased from e the Galerie Michel Rein in 2013 urbanistiques du xx siècle, mais de conta- guerres et l’essor de l’urbanisme de masse blit différents types de circulations (maté- miner les territoires et les habitats par de (Martha Rosler, Didier Marcel, François Curlet, rielles, symboliques, temporelles) qui créent la fiction. Les maquettes portées par Idroj etc.) sont installées dans des pavillons UK-100. des liens entre les œuvres, les habitants et dans Anarchitekton, si elles paraissent déri- Elles sont activées par des habitants, tandis leur décor. Il s’agit peut-être d’une invitation soires et fragiles, suggèrent qu’une forme qu’une mousse conçue par Michel Blazy se à retrouver une géographie dont nous avons utopique ressurgit dans le réel pour le trans- répand de la vaisselle en plastique dans une oublié que nous sommes les « auteurs 1 ». former, le titre de la série faisant référence cuisine, telle une sculpture vivante. La pré- aux Architektones de Kazimir Malevitch et sence des œuvres et cet événement incongru au groupe Anarchitecture de Gordon Matta- forment un autre récit à l’intérieur du film, qui 35 Anarchitekton, 2002 Clark. Dans La Soupe américaine / The s’appuie aussi sur des images d’archives de la 1. Georges Perec, Espèces d’espaces, Paris, Éditions American Soup, des œuvres de la collection reconstruction en Normandie. Galilée, 1974.

188 189 Jordi Colomer Jordi Colomer Anarchitekton (a series of photographs edited into films, 2002–2004) portrays the charac- ter of Idroj, who moves between the cities of Bucharest, Barcelona, Osaka, and Brasilia, carrying large cardboard models that rep- resent constructions deriving from the vari- ous landscapes. He travels through different kinds of urban landscapes, both uniform and spectacular, which have emerged out of the economic, social, and political history of the 20th century. But as he moves around, Idroj also travels along the ‘paths of desire’ cre- ated by inhabitants, which give an account of the unique appropriation of urban space. These are different paths to those mapped out in advance; they are axes of free circu- lation, ever-changing and unlisted, parallel 36 routes to those drawn up by engineers and town planners. In the filmLa Soupe améric- aine / The American Soup, UK-100 bungalows (demountable houses made in the United States in the 1940s to rehome victims of bomb attacks) are the starting point for creating a fiction in which the inhabitants are invited to participate. 36 For Jordi Colomer, it is not just a question of evoke war and the rise of mass town plan- rial, symbolic, temporal), which create bonds endlessly lamenting the misguided paths of ning (Martha Rosler, Didier Marcel, François between the works, the inhabitants, and their urban development in the 20th century, but Curlet, etc.) are installed in UK-100 bunga- surroundings. It could perhaps be considered of contaminating territories and inhabitants lows. They are activated by inhabitants, while an invitation to once again find a geography 36 Vue de l’installation et du film La with fiction. Although the models that Idroj a foam developed by Michel Blazy spreads that we have forgotten and of which we are 1 Soupe américaine / The American carries in Anarchitekton seem slight and frag- over plastic dishes in one of the kitchens, just the ‘authors’. Soup au Frac pour l’exposition « La ile, they suggest that a kind of utopia is spring- like a living sculpture. The presence of these Soupe américaine / The American ing forth out of reality and transforming it, as works and this unusual event form another A.L. Soup », Caen, 2013 / View of La the title of the series refers to Architektones account within the film, which is also based Soupe américaine / The American by Kazimir Malevitch and to Gordon Matta- on archival images of the reconstruction of Soup installation and film at the Frac exhibition ‘La Soupe américaine / Clark’s group Anarchitecture. In La Soupe Normandy. The American Soup’ américaine / The American Soup, works from In these two projects, Jordi Colomer estab- 1. Georges Perec, 1999, Species of Spaces and Other the Frac Normandie Caen’s collection that lishes different types of circulations (mate- Places, London, Penguin Books.

190 191 Jordi Colomer Jordi Colomer « image » qu’il faut se référer. Celui qui, contrairement au terme « picture », renvoie aux images mentales, aux métaphores, aux fantasmes, aux idées, aux souvenirs et aux rêves, vers quoi tendent les œuvres de l’ar- Alexandre da Cunha tiste. At first sight, the workFull Catastrophe (Drum Né en 1969 à Rio de Janeiro (Brésil) / Born in 1969 in Rio de Janeiro (Brazil) IX) could have been borrowed from an eth- Vit et travaille à Londres (Royaume-Uni) / Lives and works in London (United Kingdom) nological or archaeological museum: a large hammered vase, in dark and earthy tones, sits on a concrete base. But with a closer look, it becomes clear that it is actually the drum À première vue, l’œuvre Full Catastrophe of a concrete mixer. In just a few moments, Full Catastrophe (Drum IX), 2012 (Drum IX) pourrait avoir été empruntée à un the work invites the spectator on a journey Acier martelé, béton / musée ethnographique ou archéologique : un through time, revealing the life and memories Hammered steel, concrete 60 × 70 × 70 cm (avec socle / grand vase martelé, aux couleurs terreuses et that all things contain. Wear and tear, rust, with base : 146 × 70 × 70 cm) sombres, est posé sur un socle en béton. À y and the marks from hammer blows allows us regarder de plus près, il apparaît cependant to imagine the object’s former life, ampli- Achat à Thomas Dane Gallery en qu’il s’agit d’une cuve bétonnière. En quelques fying the empathy we feel towards it. Full 2012 / Purchased from Thomas Dane instants, l’œuvre invite à vivre un voyage tem- Catastrophe (Drum IX) belongs to a collec- Gallery in 2012 porel, qui révèle ici la vie et la mémoire que tion of three concrete-mixer drums, ‘mod- peut contenir toute chose. L’usure, la rouille est monuments’, as the artist describes them, et les traces de coups de marteaux qui per- which all appeal to our imagination, emo- mettent d’imaginer une vie antérieure à l’ob- tions, and memories. As the artist explains jet amplifient l’empathie que l’on éprouve in an interview with Zoé Gray, ‘these drums à son égard. Full Catastrophe (Drum IX) fait show the marks of wear and tear, of their partie d’un ensemble de trois cuves béton- production. They are dented, with holes, and nières, « modestes monuments », comme les full of meaning.’ But ‘these works [also] con- désigne l’artiste, qui toutes font appel à notre vey shapes, surfaces, sculpture, and not just imaginaire, à nos émotions et à la mémoire. the transformation of a “humble” thing into a Comme l’a précisé l’artiste dans un entre- “precious” object’, he adds later on. tien avec Zoé Gray, « ces cuves montrent les Indeed, the work of Alexandre da Cunha falls traces de leur usage, de leur fabrication. Elles within the sculptural tradition of the 20th cen- sont cabossées, trouées, chargées de signi- tury and its protagonists. The artist questions fications ». Mais « ces travaux parlent [aussi] the shapes, materials, production processes, des formes, des surfaces, de la sculpture et and the medium’s own spatial positioning 37 pas seulement de la transformation d’une to better reveal the potential – plastic, for- chose «humble» en un objet «précieux» », mal, poetic, and political – of each object in précise-t-il plus loin. our environment. Although the artist and his Le travail d’Alexandre da Cunha s’inscrit en commentators speak of his work as a ‘sculp- effet dans l’héritage de la sculpture du xxe ture that conveys an image’, it is important siècle et de ses protagonistes. L’artiste inter- to focus on the word ‘image’, which, unlike roge les formes, les matériaux, les processus the word ‘picture’, refers to mental images, de production et de mise en espace propres metaphors, fantasies, ideas, memories, and au médium, pour mieux révéler le potentiel dreams – elements towards which the artist’s – plastique, formel, poétique et politique – work tends. de chaque objet de notre environnement. 37 Si l’artiste et ses commentateurs parlent de C.K. Full Catastrophe (Drum IX), 2012 son travail comme d’une « sculpture qui fait image », c’est bien au sens anglais du terme

192 193 Alexandre da Cunha Alexandre da Cunha François Curlet

Né en 1967 à Paris / Born in 1967 in Paris Vit et travaille à Bruxelles (Belgique) et à Piacé (Sarthe) / Lives and works in Brussels (Belgium) and Piacé

Curlet génère autant de marques de l’intem- Bunker pour 6 œufs, 2011 pestif, qui mêlent l’aplat et l’insoluble. La Béton, œufs frais / société de consommation, l’industrie de loi- Concrete, fresh eggs 17 × 28 × 40 cm sir, le branding, les médias et la culture pop constituent les décors d’une investigation Achat à la galerie Air de Paris en 2011 / ironique et incisive placée à l’aune de la col- Purchased from the Galerie lusion d’éléments et de textures. Air de Paris in 2011 Fruit du télescopage et du collage entre deux réalités, Bunker pour 6 œufs raconte l’angle mort d’une vision improbable des choses, par le biais de cette variation autour de la fragilité des choses. S’inspirant de l’architecture mili- taire et de l’image de la barquette tradition- nelle et de l’architecture militaire, l’œuvre de 38 François Curlet tient de la projection et d’une Bunker pour 6 œufs, 2011 mise à distance, du récit tordu et de l’apho- 38 risme retors. Tel un avatar du regard qu’il porte et promène sur les imageries en géné- ral, cette pièce vient s’ajouter au vaste cor- pus à la fois textuel et plastique que François Curlet désigne plaisamment sous le terme générique « Kunst » : le synonyme du décalé Iconoclaste et sémillant, le travail de François irréductible et le déroulé d’un impeccable based experiments. Crossbreeding the Belgian and to military architecture, the work of Curlet s’appréhende comme une muséogra- humour à froid. spirit with a Dadaist culture, pataphysics, and François Curlet stems from projection and phie du réel d’un nouveau genre, alternant the shadow of Marcel Broodthaers, François distanciation, from the twisted tale and the l’objectivation conceptuelle et la posture Iconoclastic and vivacious, the work of Curlet generates all kinds of signs of the crafty aphorism. Like an avatar of the gaze situationniste. Oscillant entre ready-made François Curlet can be considered as a muse- inopportune, which combine solid colours that he bears and allows to wander over et calembour narquois, la particularité des ography of a new kind of reality, alternating and insoluble elements. Consumer society, imagery in general, this piece is added to the œuvres de l’artiste tient dans cette manière between conceptual objectification and a sit- the entertainment industry, branding, media, vast corpus that is both textual and artistic, d’encapsuler tous azimuts formes, mots uationist stance. Oscillating between ready- and pop culture constitute the settings of an and that François Curlet pleasantly refers to et figures. Celui qui se définit comme un mades and mocking puns, the distinctive ironic and incisive investigation measured under the umbrella term ‘Kunst’: a synonym « acrobate de la reconversion » n’a de cesse features of the artist’s work are found in its against the yardstick of the collusion between for the diehard offbeat and the expression of de développer une logique généralisée de way of encapsulating all kinds of forms, words, elements and textures. an impeccably deadpan humour. l’association qui participe du détourne- and figures. The artist who defines himself as The result of intermingling and the collage of ment généralisée, fruit de dérives séman- an ‘acrobat of reconversion’ has continually two realities, Bunker pour 6 œufs expresses F.E. tiques et langagières. Mâtiné d’esprit belge developed a broad logic of association that the blind spot of an improbable view of things, et de culture dadaïste, de pataphysique et contributes to the broad use of reappropri- by way of this variation on the fragility of de l’ombre de Marcel Broodthaers, François ation, the result of semantic and language- things. Pertaining to the traditional punnet

194 195 François Curlet François Curlet The painting from the FRAC’s collection is exemplary of the ‘self-generating’1 approach of artist Philippe Decrauzat. The develop- ment of his painting takes into account a prin- ciple of transfer from one mode of artistic expression to the other, which his practice Philippe Decrauzat innervates. Playing an important role in the artist’s body of Né en 1974 à Lausanne (Suisse) / Born in 1974 in Lausanne (Switzerland) work, the undulating theme was introduced in Vit et travaille à Lausanne (Suisse) / Lives and works in Lausanne (Switzerland) 2005 in an installation associating the sculp- ture One, Two, Three, Four, Five, Six with the painting Can I Crash Here. While the outline on the floor of concentric rings creates a pow- Occupant une place centrale dans le corpus erful vibration effect, the idea of rhythm is Untitled (S), 2010 de l’artiste, le motif ondulatoire est introduit relayed by the musical titles of the artworks.2 Acrylique sur toile / Acrylic en 2005 dans une installation associant la From 2005, was transposed on canvas Can I Crash Here 273 × 180 cm sculpture One, Two, Three, Four, Five, Six à la to canvas and gave rise to Mae West (Mamco, peinture Can I Crash Here. Tandis que le tracé Geneva). Characterised by the irregular con- Achat à la galerie Praz-Delavallade au sol des cernes concentriques crée un puis- tours of its cut-out frame, this painting stems en 2010 / Purchased from sant effet de vibration, l’idée de rythme est from the line of descent of Frank Stella and the Praz-Delavallade Gallery in 2010 relayée par les titres musicaux des œuvres 2. his Shaped Canvas, whose form is defined by Dès 2005, Can I Crash Here fait l’objet d’une the geometric design. Through its reference transposition sur toile et donne lieu à Mae to the Hollywood icon of the 1920s, the title West (Mamco, Genève). Caractérisée par les Mae West affirms the cinematographic roots contours irréguliers de son châssis découpé, of this abstract painting – which nonetheless cette peinture s’inscrit dans la filiation de has much more in common with the exper- Frank Stella et du Shaped Canvas dont la imentation of structural cinema and flicker forme est définie par le motif géométrique. film than with the American actress’s reper- À travers sa référence à l’icône hollywoo- toire. Within this ensemble, the Frac work dienne des années 1920, le titre Mae West resembles a partial reworking of Mae West, revendique l’ancrage cinématographique de retaining three-quarters of the design from 39 cette peinture abstraite – qui a néanmoins it and applying to it – in the artist’s words – a Untitled (S), 2010 bien plus à voir avec les expérimentations du ‘psychotic rotation’. cinéma structurel et du flicker film qu’avec Full of filmic, musical, and scientific influ- le répertoire de l’actrice américaine. Au sein ences, the multifaceted work of Philippe de cet ensemble, l’œuvre du Frac s’appa- Decrauzat lies at the heart of optical research rente à une reprise partielle de Mae West, that determines a privileged relationship with dont elle retient les trois quarts du motif et the spectator and questions the status of 39 lui applique, selon les termes de l’artiste, une images. « rotation psychotique ». Nourrie d’influences cinématographiques, C.D. musicales et scientifiques, l’œuvre protéi- forme de Philippe Decrauzat est au cœur La toile de la collection du Frac est exem- de recherches optiques qui déterminent un plaire de la démarche « auto-génératrice 1 » rapport privilégié avec le spectateur et inter- de l’artiste Philippe Decrauzat. L’élaboration rogent le statut de l’image. de cette peinture rend compte du principe de transfert d’un mode d’expression artistique à 1. Interview with the artist , 20 June 2016. l’autre, qui innerve sa pratique. 2. Les titres rendent hommage au chanteur des 2. The titles pay tribute to the singer of the Modern Lovers, Modern Lovers, Jonathan Richman, et au groupe Jonathan Richman, and to the band The Flys. Cf. Julien The Flys. Cf. Julien Fronsacq in Philippe Decrauzat, Fronsacq in Philippe Decrauzat (Zurich: Éditions JRP- 1. Entretien oral avec l’artiste, le 20 juin 2016. Zurich, Éditions JRP-Ringier, 2007, p. 38. Ringier, 2007), 38.

196 197 Philippe Decrauzat Philippe Decrauzat Koenraad Dedobbeleer

Né en 1975 à Halle (Belgique) / Born in 1975 in Halle (Belgium) Vit et travaille à Bruxelles (Belgique) / Lives and works in Brussels (Belgium)

Koenraad Debobbeleer et ses « sculptures Koenraad Dedobbeleer and his ‘dysfonc- Thought Apart From Concrete dysfonctionnelles », ensemble dont fait par- tional sculptures’ – a collection that includes Realities, 2010 tie , – cause Métal peint en silicone, tubes Thought Apart From Concrete Realities Thought Apart From Concrete Realities en acier inoxydable / Painted metal font coexister objets de la sphère domes- objects from the domestic or urban sphere to in silicone, stainless steel tubes tique ou urbaine avec des formes issues du coexist with forms derived from the fields of 250 × 80 × 160 cm champ de la sculpture et du design. Entre les sculpture and design. Between the notions notions de mobilier du quotidien et d’œuvre of everyday furniture and works of art, the Achat à la galerie Micheline Szwajcer d’art, les pièces de Koenraad Debobbeleer work of Koenraad Dedobbeleer revisits and en 2013 / Purchased from the revisitent et questionnent certains enjeux questions some of the problematics of mod- Galerie Micheline Szwajcer in 2013 du modernisme dont notamment les rap- ernism, notably the relationships between ports entre fonctionnalité et esthétique. À la functionality and aesthetics. Like a language façon du langage et sous le mode d’un rébus and in the style of an ongoing puzzle, his works continuel, ses pièces se présentent sous l’in- assume the form of imitation-objects, com- carnation d’objets simulacres mêlant usten- bining household utensils or architectural ele- siles ménagers ou éléments architecturaux. ments. Opening up a series of ambiguities as Ouvrant les ambiguïtés quant à l’interpréta- to their interpretation, questioning the vani- tion, questionnant la vanité du commentaire tas of commentary or aphorisms, the titles ou de l’aphorisme, les titres des productions of the artist’s productions are often derived de l’artiste provenant souvent de la littéra- from literature and spring from polysemy, jux- ture, procèdent d’une polysémie et de la tapositions, or connections. Thanks to this juxtaposition d’évocations ou de mises en mysterious and non-hierarchical repertoire correspondance. Grâce à ce répertoire mys- that outlines unexpected autonomies within térieux et sans hiérarchie qui dessine des the exhibition space, Dedobbeleer suggests autonomies inattendues dans l’espace d’ex- a broad and incongruous furnishing of real- position, Debobbeleer propose un ameuble- ity through this reinterpretation of minimal- ment généralisé et incongru du réel par cette ist and conceptual sculpture. Designed as relecture de la sculpture minimale et concep- ‘tools for reading the space’, his layouts and 40 tuelle. Conçus comme « des outils pour lire installations deconstruct the expected rela- l’espace », ses agencements et installations tionship at the exhibition site, by suggesting a déconstruisent le rapport attendu au lieu de possible use for these objects. Between irony monstration en suggérant un possible usage and illusion within artistic codes and through de ces objets. Entre ironie et leurre au sein its indecisive and enigmatic status, Thought des codes plastiques, Thought Apart From Apart From Concrete Realities examines Concrete Realities interroge par son statut the circulation of perspectives and media 40 indécis et énigmatique une circulation du between public and private space. Thought Apart From Concrete point de vue et des supports entre espace Realities, 2010 public et privé. F.E.

198 199 Koenraad Dedobbeleer Koenraad Dedobbeleer Anne Deguelle

Née en 1943 à Paris / Born in 1943 in Paris Vit et travaille à Paris et à Saint-André-de-Najac (Aveyron) / Lives and works in Paris and in Saint-André-de-Najac

Thriller, the Long Good-Bye 4, de la série / from the series Entre recherche introspective sur l’image et « Thriller, the Long Good-Bye », 1996 Film overhead fixé par procédé déchiffrage du réel, Anne Deguelle décrit un diasec / Film overhead fixed rapport sensible au monde où se confrontent with Diasec processing figures du double, endroits fantômes et phé- 52 × 102 cm nomènes miroirs. Selon l’installation et l’usage de la stéréoscopie, les œuvres d’Anne Don de l’artiste en 2003 / Deguelle développent des espaces de pro- Donated by the artist in 2003 jection à la fois photographique et vidéo. À la manière de la ballade, du témoignage et d’un 41 déplacement dans le temps, ses productions génèrent pertes de repères et lignes de fuite, à travers une esthétique du fragment et du flottement. Exploration dans les signes et les strates d’une mémoire visuelle, l’image fixe et animée devient le prétexte de séquençages et d’incursions dans le passé. Entre subjec- tivité et objectivité, référence et idée de la Between introspective research on images iad points of view. In the prismatic mode of représentation, les villes constituent pour and the deciphering of the real, Anne the documentary or palimpsest, her works l’artiste des espaces dystopiques et les lieux Deguelle describes a sensitive relationship to emerge as so many traces and trajectories of d’impressions et de démultiplication des the world, in which the figures of the dop- an investigation, each applying a particular points de vue. Sur le mode prismatique du pelgänger, ghostly places, and mirror phe- vision of the world. documentaire ou du palimpseste, ses pièces nomena are confronted. Depending on the Thriller, the Long Good-Bye 4 is a black-and- se présentent comme autant de traces et de installation and the use of stereoscopy, the white print, derived from a series of seven trajectoires d’une enquête et d’un regard work of Anne Deguelle develops spaces for editions representing two identical images portés par elle. both photographic and video screenings. In placed side by side. Through this doubling up Thriller, the Long Good-Bye 4 est un tirage en the manner of a ballad, a testimony, and a of a slice of reality, the artist’s photograph noir et blanc, issu d’une série de sept éditions shift in time, her productions generate a loss distils a sensation of temporal offset and slow représentant deux images identiques placées of bearings and vanishing points, through motion. Like its title, the work becomes the l’une à côté de l’autre. Par ce redoublement an aesthetic of fragments and fluctuations. melancholic site of a paradoxical movement d’un morceau de réalité, la photographie de Exploration in the symbols and strata of a that extends, like the endless echo of an inner l’artiste distille une sensation de différé et de visual memory, the still and animated image world and an infinite play of reflections. ralenti. À l’image de son titre, elle devient le becomes a pretext for sequencings and for- 41 Thriller, the Long Good-Bye 4 lieu mélancolique d’un mouvement paradoxal ays into the past. Between subjectivity and F.E. de la série / from the series qui se prolonge, comme l’écho sans fin d’une objectivity, reference and idea of represen- « Thriller, the Long Good-Bye », 1996 intériorité et de reflets qui se répercutent. tation, cities constitute dystopian spaces for the artist and the hub of impressions and myr-

200 201 Anne Deguelle Anne Deguelle Damien Deroubaix

Né en 1972 à Lille (Nord) / Born in 1972 in Lille Vit et travaille à Meisenthal (Moselle) / Lives and works in Meisenthal

Les peintures et les œuvres graphiques de World Eaters. Conquest, Famine, Damien Deroubaix proposent un patchwork Death, War, 2005 chaotique de figures et de motifs issus aussi Résine polyester, fibre de verre, peinture paraloïd, pigments, chaux / bien de la culture classique que du death Polyester resin, fibreglass, metal. Les squelettes y côtoient des réfé- Paraloid paint, pigments, lime rences sexuelles dans des compositions à 195 × 70 × 50 cm chaque dominante noire, parfois rehaussées de cou- leurs acidulées et de mots anxiogènes. Mixant Achat à la galerie In Situ- les collages critiques de John Heartfield avec Fabienne Leclerc en 2006 / Purchased from the Galerie In Situ- l’expressivité stylistique des graffitis, l’ar- Fabienne Leclerc in 2006 tiste délaisse toute perspective réaliste pour mieux radiographier le Zeitgeist contempo- rain dans une veine post-punk où l’humour 42 ne se départit jamais d’une énergie rageuse. Les paysages mentaux qui en ressortent asso- cient des personnages fétiches à des formes der dans quelle mesure ces figures ne sont World Eaters. Conquest, Famine, Death, War organiques avec un art de la compilation qui pas une critique ironique du progrès, rappe- is a series of four figurative sculptures in pol- donne forme à une position anarchiste dont lant en ce début de xxie siècle que les cala- yester resin and fibreglass with each repre- les thèmes de prédilection restent la dénon- mités n’ont pas été éclipsées. senting a headless shark. Balanced against the ciation du néocapitalisme. wall thanks to their fin, the sharks have both a World Eaters. Conquest, Famine, Death, War The paintings and graphic works of Damien serial and tribal character: the formal repeti- est un ensemble de quatre sculptures figu- Deroubaix present a chaotic patchwork of fig- tion is accentuated by their alignment, while ratives en résine polyester et fibre de verre ures and motifs originating from both classical the dark, gritty coating gives them a totemic qui représentent chacune un requin sans or death metal cultures. Skeletons flirt with appearance. Each rudimentary sculpture is tête. Posés en équilibre contre le mur grâce sexual references in compositions in which differentiated from the others solely through à leur aileron, les squales ont un caractère à black predominates, sometimes enhanced its symbolic charge, since it is the four plagues la fois sériel et tribal : la répétition formelle with acidulous colours and anxiety-inducing of the Apocalypse that they evoke here. In this est accentuée par leur alignement tandis que words. The artist combines the critical col- sense, the reliefs could be conjured objects, le revêtement sombre et terreux leur confère lages of John Heartfield with the stylistic given that the sharks have lost their jaws and, un aspect totémique. Chaque sculpture rudi- expressiveness of graffiti, abandoning any through this, their obvious sign of aggressive- mentaire se distingue des autres à travers realist perspective so as to provide the best ness. But we might also ask ourselves to what uniquement sa charge symbolique puisque possible X-ray of the contemporary Zeitgeist, extent these figures are not an ironic critique ce sont les quatre fléaux de l’Apocalypse qui in a post-punk vein where the humour never of progress, recalling in this early 21st century sont ici évoqués. Dans cette perspective, les loses its enraged energy. The resulting mind- that calamities are not all behind us. reliefs pourraient être des objets de conjura- scapes associate fetish characters in organic 42 tion, étant donné que les requins ont perdu forms with an art of compilation that shapes F.D. World Eaters. Conquest, Famine, Death, War, 2005 leur mâchoire et par là même l’évidence de an anarchist position whose favourite themes leur agressivité. Mais on peut aussi se deman- remain the denunciation of neo-capitalism.

202 203 Damien Deroubaix Damien Deroubaix 43 Polar Bear, 2007

Dewar & Gicquel

Daniel Dewar, né en 1976 à Forêt de Dean (Royaume-Uni) / Born in 1976 in Forest of Dean (United Kingdom) Grégory Gicquel, né en 1975 à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) / Born in 1975 in Saint-Brieuc

créateur, le sculpteur François Pompon, en Polar Bear, 2007 1922. Alors que ce dernier fut taillé dans un Chêne sculpté, silicone, combinaison néoprène / marbre blanc immaculé et poli à l’extrême, Carved oak, silicon, neoprene wetsuit l’ours polaire de Dewar et Gicquel n’est, quant 15 × 180 × 100 cm à lui, que partiellement recouvert de pein- ture blanche. Le bois est en partie laissé brut, Achat à la galerie Loevenbruck apparent, révélant les traces des ciseaux à en 2007 / Purchased from bois, du temps et des gestes de fabrication, the Galerie Loevenbruck in 2007 ainsi que les cernes de la matière qui suivent la forme des yeux, des oreilles et du museau. L’ours blanc, qui nous révèle sa chair, serait-il en train de fondre, comme cette petite ban- 43 quise sur laquelle il se tient ? Rompant avec la solennité et la solitude du roi de la banquise, la cape à frange colorée, dérisoire et ironique, Imposant, massif, lourd et majestueux. C’est à posée sur le dos de l’animal, nous permet- ine what came before their creation. The sub- line the shape of the eyes, ears, and muzzle. l’animal comme au bois que s’appliquent ces elle d’effacer pour un temps la vision inquié- jects chosen, figurative and all deriving from Is the polar bear, whose very flesh is revealed, adjectifs. L’ours taillé dans un monolithe de tante du réchauffement climatique, ou nous daily life, and the techniques, primarily drawn beginning to melt, just like the small iceberg chêne par le duo d’artistes Dewar & Gicquel invite-t-elle au contraire à s’en préoccuper ? from sculpture, are the two main points of on which it is standing? And what about the colle délibérément à la matière. Dans leur tra- À chacun de tourner autour de la sculpture entry into the artists’ work. cape on the animal’s back, with its long col- vail, sujets et matières sont indubitablement et de voir l’ours qu’il souhaite : un pur objet Dewar & Gicquel observe the world around oured tassels, insubstantial and ironic, con- liés : une matière fait apparaître un sujet spé- sculptural qui s’inscrit dans la tradition de la them and draw inspiration from living things. trasting with the solemnity and solitude of the cifique, un sujet précis requiert une matière sculpture animalière, le teddy bear de nos But they also fall within the tradition of art king of the ice floe; does it make us forget particulière. Rien ne nous permet de savoir souvenirs d’enfance ou le plus carnivore des history, and sculpture in particular. And so, for a moment the worrying spectre of climate ce qui précède leur création. Les sujets choi- animaux terrestres, terriblement beau, terri- the sculpture Polar Bear is like a contem- change? Or, on the contrary, does it invite us sis, figuratifs, tous issus du monde quotidien, blement fragile. porary reinterpretation of the famous Ours to think about it further? We are all free to comme les techniques, qui se réfèrent majori- blanc at the Musée d’Orsay, which launched wander around the sculpture and see the bear tairement à la sculpture, sont les deux entrées Imposing, massive, heavy, and majestic. These the career of its creator, sculptor François we wish: a pure sculptural object firmly in the principales dans le travail des artistes. adjectives apply to both the animal and the Pompon, in 1922. While the Ours blanc was tradition of animal sculpture, the ‘teddy bear’ Dewar & Gicquel observent le monde et s’ins- wood. The bear sculpted into a single slab of carved into immaculate white marble and of our childhood memories, or the most car- pirent du vivant. De même, ils s’inscrivent oak by artistic duo Dewar & Gicquel is delib- brilliantly polished, Dewar and Gicquel’s nivorous land animal, terribly beautiful but dans l’héritage de l’histoire de l’art, et de la erately bound to the raw material. In their polar bear is only partially covered in white also terribly fragile. sculpture en particulier. Ainsi, la sculpture work, subjects and materials are undoubtedly paint. Part of the wood is left in its raw state, Polar Bear s’apparente à une réinterpréta- linked; a particular material makes a specific exposed, revealing traces of chisel marks, C.K. tion contemporaine du fameux Ours blanc du subject appear, a precise subject requires a the time took and gestures made during its musée d’Orsay, qui avait fait le succès de son particular material. Nothing allows us to imag- creation, as well as the wood rings that out-

204 205 Dewar & Gicquel Dewar & Gicquel Les œuvres de Marcel Dinahet de la collection du Frac ont toutes en commun une volonté de saisir un site, un espace, dans ses inters- tices. Projetées en boucle, les images mou- vantes créées par l’artiste sont basées sur des structures « minimales » (un long plan Marcel Dinahet fixe accéléré dansLe Mont-Saint-Michel, la caméra pivotant sur elle-même vers la droite Né en 1943 à Plouigneau (Finistère) / Born in 1943 in Plouigneau puis vers la gauche dans Paysage frotté) dont Vit et travaille à Rennes (Ille-et-Vilaine) / Lives and works in Rennes le côté répétitif, la rapidité ou l’excès sonore induisent des effets corporels efficaces pou- vant aller jusqu’au déséquilibre. Le travail de Marcel Dinahet a souvent été interprété en fonction de sa formation de sculpteur. En Paysage frotté, 2001 effet, ses vidéos traduisent une volonté de Vidéo couleur, son capter, voire de capturer, les paysages qu’il Durée : 3 min. 50 s. / Colour video, sound filme comme objets physiques. L’entre-deux Duration: 3 mins 50 secs de la terre et de la mer, l’écart entre le son de l’eau et le mouvement des herbes dans Les Sur la baie, 2001 Herbes, Le Mont ; le sol marécageux de Sur Vidéo couleur, son la baie ; le frottement quasi-palpable du lieu Durée : 1 min. 37 s. / par l’objectif de la caméra dans Colour video, sound Paysage frotté Duration: 1 min 37 secs se donnent à voir avec une certaine immé- diateté, modalité d’un rapport au réel corol- Les Herbes, Le Mont, 2002 laire d’une technologie vidéo légère. Aussi, Vidéo couleur, son même si son travail ne se réduit à aucune de Durée : 5 min. / ces catégories, Marcel Dinahet navigue dans Colour video, sound un espace artistique dont les jalons ont été 44 Duration: 5 mins posés par les pionniers du cinéma direct, du Le Mont-Saint-Michel, 2002 land art ou encore du landscape film britan- Vidéo couleur, son nique. La critique Françoise Parfait a écrit à structures (a long, accelerated static shot in ries, Marcel Dinahet navigates within an artis- Durée : 1 min. 30 s. / propos de son travail qu’il « transporte […] Le Mont-Saint-Michel, the camera pivoting in tic sphere in which the milestones have been Colour video, sound vers l’expérience du voir comme dessaisisse- on itself to the right then the left in Paysage laid by the pioneers of direct cinema, land Duration: 1 min 30 secs ment du visible, grâce à une image qui cherche frotté) whose repetitive aspect, rapidity, or art, or British landscape film. Critic Françoise Achat à la galerie Le Sous-Sol une visibilité ; cela passe par le retrait de son loud soundtrack induce bodily effects that Parfait wrote regarding his work that it ‘trans- en 2003 / Purchased from propre regard, le retrait d’une intentionna- may even throw spectators off balance. The ports […] towards the experience of seeing the Galerie Le Sous-Sol in 2003 lité de son regard, une sorte de régression ». work of Marcel Dinahet has often been inter- as the relinquishing of the visible, through an Ce régime de vision que l’on peut qualifier preted according to his training as a sculp- image that seeks visibility; this occurs through de post-humain, produit des pérégrinations tor. His videos do convey a desire to record, the withdrawal of one’s own gaze, the with- de l’artiste et de son Kinoglaz, vient souli- or even capture, the landscapes that he films drawal of an intentionality in one’s gaze, a kind gner la dimension performative des travaux like physical objects. The midground between of regression’. This regime of vision that we de cet arpenteur d’espaces liminaux, la vidéo land and sea, the discrepancy between the could describe as post-human, the product devenant l’outil d’investigation privilégié de sound of water and the movement of the of the artist’s peregrinations and that of his la nature comme « champ élargi de la sculp- grasses in Les Herbes, Le Mont, the swampy Kinoglaz, highlights the performative dimen- ture » (Krauss). ground of Sur la baie, the almost palpable, sion of the work of this explorer of liminal close filming of the site by the camera lens spaces, the video becoming the preferred The works of Marcel Dinahet from the Frac’s in Paysage frotté present, with a certain investigative tool of nature as an ‘enlarged collection all have in common a desire to immediacy, the terms and conditions of a sculptural field’ (Krauss). capture a site, a space, in its interstices. relationship to the real and the corollary of 44 Sur la baie, 2001 Screened in a loop, the moving images cre- lightweight video technology. Thus, even if his A.M. ated by the artist are based on ‘minimal’ work is not reduced to any of these catego-

206 207 Marcel Dinahet Marcel Dinahet documentation céline duval

Née en 1974 à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) / Born in 1974 in Saint-Germain-en-Laye Vit et travaille à Houlgate (Calvados) / Lives and works in Houlgate

ciel de la terre : l’horizon, qui au gré de ce Horizons, 2007 défilement descend et remonte comme flux Installation vidéo avec projection et reflux, flot et jusant. sur grand écran et banc Durée : 8 min. / Céline Duval orchestre cette marée d’images Video installation with projection avec précision : chaque cliché est rééquilibré, onto a large screen and bench nettoyé des signes du temps ou des accidents Duration: 8 mins de surface, et la balance des gris est égale- ment retravaillée. L’artiste privilégie la sensi- Achat à l’artiste en 2007 / bilité iconographique en déplaçant le rapport Purchased from the artist in 2007 au temps – du temps de l’histoire au temps de la séquence et du montage. Le temps histo- rique n’est pas effacé néanmoins : entre les photographies en noir et blanc qui semblent dater du début du xxe siècle et les clichés en 45 couleur beaucoup plus récents, une joyeuse Horizons, 2007 diversité traverse ce diaporama. Le choix du fondu enchaîné renforce la sensation de 45 continuum : la technique, rendue populaire par le cinéma, induit une relation douce ou L’installation arbore la simplicité : une gale- elliptique à la mémoire, quand l’image vient the echoes of surf, at once calm and pow- white photographs that seem to date from rie de portraits défile doucement, au format de très loin et s’inscrit lentement sur l’image erful.1 Horizons celebrates bodies attuned to the early 20th century and the shots in much d’une grande projection au mur, un banc dis- précédente. Tant d’instants vécus au bord de the space, in conversation with the elemental more recent colours, a joyous diversity runs posé frontalement est mis à disposition du la mer fusionnent en une seule odyssée géné- forces, secretly connected to the floating line through this slide show. The choice of the public. Que voit-on ? Des photos de famille, rique, et retrouvent – dans le montage en that separates sky from earth: the horizon, crossfade reinforces the sense of continuum: sur lesquelles des hommes, des femmes et boucle de ce diaporama et dans la berceuse which falls and rises as the work unfolds, like the technique, popularised by the cinema, des enfants posent à la plage. Ces portraits du ressac musical – une force cyclique infinie. ebb and flow, high and low tide. involves a gentle or elliptical relationship to entrelacent plusieurs histoires, celles des Céline Duval orchestrates this flood of images memory, in which the image appears from vacances et des congés payés, de la mixité The installation is simple: a gallery of portraits with precision: each shot is balanced, cleared very far away and slowly overlaps the pre- sociale, ou encore celle de la photographie slowly unfolds, projected in large format of any signs of the time or surface accidents, ceding image. All of these moments lived by amateur. L’œuvre est sonore, bercée par le onto the wall, and a bench facing the screen and the grey-balance is also reworked. Céline the seaside fuse into a single, generic odys- chant des vagues – une bande son électro- is made available to the public. What do we Duval favours the iconographic sensibility by sey, and find – in the looped sequence of this nique mêlant une ritournelle aux échos de see? Family photos, in which men, women, displacing the relationship to time – from slide show and in the musical tidal lullaby – an ressac à la fois calme et puissant 1. Horizons and children are posing at the beach. These historical time to the time of the sequence infinite cyclical power. célèbre des corps en prise avec l’espace, en portraits interweave several stories, those and editing. The historical time is not entirely dialogue avec les forces élémentaires, secrè- of holidays and paid vacations, social diver- removed however: between the black-and- E.P. tement liés à la ligne flottante qui sépare le sity, or amateur photography. The work has sound, lulled by the song of the waves – an 1. The soundtrack was created by TiGer CoMICs 1. La mise en son est signée TiGer CoMICs GRoUP. electronic soundtrack mixing a ritornello with GRoUP.

208 209 documentation céline duval documentation céline duval L’œuvre de Noël Dolla est particulièrement bien représentée dans les collections du Frac, dont les quatre peintures, réparties entre 1971 et 1997, donnent à voir toute la cohé- rence. De nature expérimentale et concep- tuelle, la pratique de l’artiste niçois témoigne Noël Dolla d’une acception ouverte de la peinture, qu’il s’emploie depuis ses débuts, en 1967, à libérer Né en 1945 à (Alpes-Maritimes) / Born in 1945 in Nice de l’espace du tableau. Le titre de l’une des Vit et travaille à Nice (Alpes-Maritimes) / Lives and works in Nice œuvres affiche son ambition, « débarbouiller la peinture ». Non sans humour, cette entreprise de net- toyage passe par le recours à un trousseau ménager, utilisé comme support de ses Gant à débarbouiller la peinture, œuvres. Appliquer la couleur sur ces simples 1994 tissus de coton – de la tarlatane aux draps, en Tissu en éponge, cire, pigments / Towelling fabric, wax, pigments passant par les serpillières, torchons et gants 24 × 17 × 8 cm de toilette – lui permet d’affranchir la pein- ture du châssis, tout en réinscrivant l’activité La Mouche rose, 1997 artistique dans un environnement quotidien. Fumée, peinture, vernis synthétique Dans le contexte des années 1970, l’emploi de sur aluminium / Smoke, paint, ce matériau singulier situe la peinture de Noël synthetic varnish on aluminium 70 × 50 cm Dolla en faveur d’une « abstraction popu- laire 1 » et souligne sa sympathie envers les Tarlatane, 1974 revendications féministes 2. Tarlatane, teinture à l’huile Pensée « dans l’esprit de l’abstraction », sa 46 47 par trempage / Tarlatane fabric, pratique picturale procède d’une déconstruc- oil pigment through soaking tion qui défend une approche désacralisée 570 × 130 cm et matérialiste, mais récuse toute réduction Torchon, 1971 formaliste. L’artiste se plaît ainsi à rapprocher Peinture acrylique sur toile la peinture de la pêche à la mouche, affirmant experimental and conceptual nature, testify- with feminist affirmations.2 de coton / que « le fin pêcheur et le bon peintre n’ont ing to an open meaning of painting, and striv- Considered ‘in the spirit of abstraction’, his Acrylic paint on cotton canvas pas besoin de voir pour savoir que sous la sur- ing since his earliest compositions in 1967 to pictorial practice is based on a deconstruc- 72 × 58 cm face il y a peut-être anguille sous roche 3. » La liberate the space of the painting. The title of tion that supports a desanctified and mate- Achat à l’artiste en 2002 / métaphore de la peinture comme leurre est one of his artworks presents his ambition ‘to rialist approach, but challenges any formalist Purchased from the artist in 2002 ici filée dansLa Mouche rose, qui, réalisée au wash painting’. reductions. The artist thus enjoys compar- moyen d’un chalumeau, s’apparente littéra- Not devoid of humour, this enterprise of ing painting to fly fishing, affirming that ‘the lement à un écran de fumée. cleaning is undertaken with a domestic clean- flyfisher and the good painter have no need ing kit, used as the base materials for his to see to know that under the surface there The work of Noël Dolla is particularly well rep- works. Applying the paint to these simple cot- may be an eel hiding under a rock (some- resented in the Frac’s collections, whose ton fabrics – from tarlatan to curtains, rags, thing afoot)’. The metaphor of painting as a 46 four paintings, ranging from 1971 to 1997, tea towels, and washcloths – enables him to lure or decoy is present here in La Mouche Gant à débarbouiller la peinture, beautifully express the coherency of his liberate painting from the frame, while rein- rose, which, made with a blowtorch, literally 1994 oeuvre. The Niçois artist’s practice is of an scribing artistic activity in an ordinary envi- resembles a smokescreen.3 ronment. In the context of the 1970s, the use of this unique material situated Noël Dolla’s C.D. 1. Éric de Chassey, Noël Dola. Vir Heroicus Sublimis Find 1 Us, Nice, Ville de Nice, 1999, p. 46. painting in favour of a ‘popular abstraction’ 2. Raphael Rubinstein in Léger vent de travers : Noël Dolla, and highlighted his sense of fellow feeling 2. Raphael Rubinstein in Léger vent de travers : Noël Dolla, Julie David (dir.), Vitry-sur-Seine, Éditions du MAC / VAL, Julie David (ed.) (Vitry-sur-Seine: Éditions du MAC / VAL, 47 2009, p. 35. 2009), 35. Torchon, 1971 3. Noël Dolla, La Parole dite par un œil, Paris, L’Harmat- 1. Éric de Chassey, Noël Dola. Vir Heroicus Sublimis Find 3. Noël Dolla, La Parole dite par un œil (Paris: L’Harmat- tan, 1995, p. 10. Us (Nice: Ville de Nice, 1999), 46. tan, 1995), 10.

210 211 Noël Dolla Noël Dolla George Dupin

Né en 1966 au Havre (Seine-Maritime) / Born in 1966 in Le Havre Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Big Jerusalem, série « Israël – 48 Palestine », 1997-2003 (Sans titre) de la série / from Ensemble de 30 photographies the series « Israël – Palestine » Tirages jet d’encre Epson (sous-titre / subtitle : Forêt de la sur Archival Mat Paper contrecollés Paix, Jérusalem, 1998), 1998-2003 sur aluminium 10/10e / Set of 30 photographs Epson inkjet prints on Archival Mat Paper mounted on 10/10 aluminium 56 × 70 cm ; 26 × 39 cm

Achat à l’artiste en 2004 / Purchased from the artist in 2004

48

L’investigation photographique de George les rêves territoriaux et la confrontation avec The photographic investigation of George Dupin tend à circonscrire la réalité contem- l’actualité vécue. Malgré la rareté des appa- Dupin aims to circumscribe the contem- poraine de la polis (cité), entité autant poli- ritions – muettes – des habitants, les muti- porary reality of the polis (city), an entity tique que physique. Il choisit ses sujets de lations de la ville convoquent la présence du that is as much political as it is physical. He par le monde pour la densité des strates de corps vivant dans les espaces ravagés par les chooses his subjects from across the globe vie accumulées et il construit des récits avec conflits, mais pourtant non dépourvus d’hu- for the density of their accumulated layers comme principaux acteurs les édifices archi- manité. La lumière confère aux images une of life and he constructs stories with archi- tecturaux. Ses paysages sont, en effet, le plus vibration atmosphérique qui souligne encore tectural structures as their protagonists. His souvent vidés de tout témoin humain, mais le passage du temps, elle en fait des objets de landscapes are usually devoid of any human ils sont empreints de l’histoire, passée et en méditation tout autant que d’analyse. witness, but they are full of history (past or train de se faire, et d’histoires, collectives et Dans sa recherche qui relève autant de l’éco- in-the-making) and stories (collective and individuelles, locales et globales. Les proces- logie que d’une réflexion sur la manière individual, local and global). The transforma- sus de mutation des territoires sont révélés d’agencer le visible, le photographe se livre tion processes of territories are revealed by par l’agrégation des éléments urbains, qui, en à un patient déchiffrement des signes, qu’il the aggregation of urban elements, which, définitive, manifeste plus les ruptures qu’une donne à lire en évitant tout caractère osten- in the end, present more disjunctions than trame cohérente. C’est le cas de l’ensemble tatoire. L’apparente banalité des points de a coherent framework. This is the case of Big Jerusalem et en particulier de la série vue atteste même d’une volonté de discré- the Big Jerusalem ensemble, and in particu- « Israël – Palestine » réalisée entre 1998 et tion, d’une disponibilité sans préconception lar, of the “Israel - Palestine” series, created 2003. Les meurtrissures physiques du paysage pour tenter de comprendre le monde. between 1998 and 2003. The physical loop- sont accusées par la tension suggérée entre holes in the landscape are accentuated by

212 213 George Dupin George Dupin the tension suggested between the territorial 49 (Sans titre) de la série / from dreams and the confrontation with contem- the series « Israël – Palestine » porary lived experience. Despite the rarity of (sous-titre / subtitle : Village de the – mute – appearances of residents, the David, Jérusalem, 2003), 1998–2003 mutilations of the city convoke the presence of the body, living in the spaces ravaged by conflicts, and yet not devoid of humanity. Light confers an atmospheric vibration to the images, which again highlights the passage of time, transforming them as much as into meditative as analytical subjects. In his research, which stems as much from ecology as from a philosophy on how to arrange the visible, the photographer engages in a patient deciphering of signs, which he presents for interpretation while avoiding any ostentatious character. The seeming banal- ity of points of view even attests to a desire for discretion, an availability without precon- ception, in order to attempt to understand the world.

C.M.

50

50 (Sans titre) de la série / from the series « Israël – Palestine » (sous- titre / subtitle : Mont des Oliviers, Jérusalem-Est, 1998), 1998–2003 49

214 215 George Dupin George Dupin Philippe Durand

Né en 1963 à Oullins (Rhône) / Born in 1963 in Oullins Vit et travaille à Paris et à Bruxelles (Belgique) / Lives and works in Paris and Brussels (Belgium)

300 m Phoenician Billboards (mural), 2010 Cours théoriques Impression murale in situ Pizza Dimensions variables / de la série / from the series Mural print in situ « Crois-moi », 2001 Variable dimensions Photographies couleur contrecollées sur aluminium / Toubabou (caravelle), 2010 Colour photographs mounted Impression pigmentaire / on aluminium Pigment-stained print 123 × 83 × 3,5 cm 93,5 × 140 cm

Achat à l’artiste en 2002 / Achat à la galerie Laurent Godin Purchased from the artist in 2002 en 2010 / Purchased from the Galerie Laurent Godin in 2010 Crois-moi, 2001 Ensemble de 8 planches dans un cadre sous verre, texte imprimé / Set of 8 framed plates 51 under glass, printed text 78 × 98 cm

Don de l’artiste en 2002 / 51 Donated by the artist in 2002 Phoenician Billboards (mural), 2010

Phoenician Billboards (à la mer) 02 Phoenician Billboards (à la mer) 30 de la série / from the series « Phoenician Billboards », 2004 Tirages argentiques / Dans les séries « Crois-moi » et « Phoenician son art désigne le monde devenu représenta- Gelatin silver prints Billboards », Philippe Durand transforme la tion. Il en agence les détails les plus banals ou 125 × 170 cm ; 55 × 72 cm signalétique urbaine en signes photogra- discrets pour leur conférer une signification phiques. Il montre ce que l’œil distrait perçoit même par l’utilisation d’une formule néga- sans le voir et le flux d’une pensée vagabonde tive lorsqu’il souligne la pauvreté sémantique, qui relie des éléments disparates sans y pen- graphique et matérielle des panonceaux et ser. Il adopte, en effet, l’attitude du flâneur affiches qui saturent l’espace public. Mais il tout en restant attentif aux circulations phy- dévoile aussi des configurations involontaires, sique et mentale et il enjoint à suivre ses inattendues ou aléatoires, d’une jubilatoire pérégrinations pour attiser la conscience. incongruité. Les constructions sans emphase Plutôt que de représenter l’aliénation du milieu de Philippe Durand structurent le discontinu. urbain par le capitalisme global (phénomène La communication outrancière de la société qui échappe en grande partie à la visibilité), marchande tient lieu aujourd’hui de cadre

216 217 Philippe Durand Philippe Durand naturel, ce que dénotent ici et là les échos even useless (the clue would be the recur- formels ou chromatiques entre les panneaux rence of supports that are deteriorating or publicitaires et le paysage. La profusion des left vacant), at any rate, illegible. It would images finit par les rendre invisibles, voire appear that only photography, in a paradoxi- inutiles (en serait l’indice la récurrence des cal way, through repetition, thorough exami- supports détériorés ou laissés vacants), en nation, and combining of signs, truly presents tout cas illisibles. Seule, semble-t-il, la photo- them, including their iconic and semantic graphie, de manière paradoxale, par la répé- confusion. tition, la mise à plat et la combinaison des The critical reading of the omnipresence of signes, les donne à voir, y compris dans leur information and commerce nevertheless confusion iconique et sémantique. affords the opportunity for a jaunt tinged La lecture critique de l’omniprésence de l’in- with humour and poetry, which softens the formation et du commerce n’en laisse pas excesses and disfigurations of the contempo- moins l’occasion d’une déambulation teintée rary environment. It reveals sites of freedom, d’humour et de poésie, qui adoucit les excès conquered by anonymous interventions, by et défigurations de l’environnement contem- the artist’s keen observation, and made avail- porain. Elle révèle des espaces de liberté, able to the spectator. conquis par des interventions anonymes, par l’acuité sensible de l’artiste, et à disposition C.M. du regardeur.

In the series ‘Crois-moi’ and ‘Phoenician Billboards’, Philippe Durand transforms urban signage into photographic signs. He shows what the distracted eye perceives without seeing and the flow of an errant thought that links up disparate elements without thinking. In fact, he adopts the attitude of the flâneur while remaining attentive to the physical and mental circulations and encourages us to fol- 52 low his travels to awaken our conscience. Rather than represent the alienation of the urban milieu by global capitalism (a phenom- enon that escapes visibility, by and large), his art refers to the world-turned-repre- sentation. He arranges the most banal or discreet details, to confer meaning to them even through the use of a negative formula when he underlines the semantic, graphic, and material poverty of the advertisements and posters that saturate public space. But he also reveals unintentional, unexpected, or random configurations, of uplifting incon- gruity. The unpretentious constructions of Philippe Durand structure the discontinu- ous. The excessive communication of the consumer society is now held as a natural framework, which here and there denotes the formal or chromatic echoes between adver- 52 tising billboards and landscape. The profusion Toubabou (caravelle), 2010 of images winds up making them invisible, or

218 219 Philippe Durand Philippe Durand Jeune artiste norvégienne, Ida Ekblad revi- site l’expressionnisme à travers la peinture, la sculpture, la performance et la poésie. Sa pratique est basée sur le hasard et la sponta- néité, des objets trouvés qu’elle récupère au fil de ses explorations urbaines, sur le bord Ida Ekblad des routes ou dans les décharges, et des formes qui en découlent. Dans ses toiles, elle Née en 1980 à Oslo (Norvège) / Born in 1980 in Oslo (Norway) manipule l’énergie et la couleur des expres- Vit et travaille à Oslo / Lives and works in Oslo sionnistes abstraits ou du graffiti américain des années 1980. Elle s’inspire également du mouvement Cobra et des situationnistes. Ses sculptures sont faites d’objets abandonnés, de vestiges d’architecture, plantes, tissus, The Rim and the Head, 2010 meubles, récupérés dans son environnement Béton moulé, acier, pigments, proche. Elle travaille la matière, tord, martèle, objets trouvés / Moulded concrete, steel, pigments, found objects soude les objets, fait rouler des chariots sur 117 × 117,5 × 15 cm les toiles pour y étaler la peinture. Son pro- cessus de création rappelle l’improvisation Achat à la galerie Gaudel de Stampa musicale, sous l’impulsion du moment, avec en 2013 / Purchased from les outils et les éléments qui l’entourent. Les the Galerie Gaudel de Stampa in 2013 œuvres elles-mêmes peuvent devenir instru- ments de musique, comme lors de perfor- mances au cours desquelles ses sculptures sont utilisées comme des percussions. Dans les créations en béton comme The Rim and the Head, les éléments trouvés sont manipulés, tordus, déformés puis enfoncés dans une base de ciment, et la composition 53 est retravaillée jusqu’à ce que la base sèche et fige la composition. Pour réaliser cette œuvre, Ida Ekblad a utilisé des objets récupé- rés autour de Stockholm, en Suède. Les tiges en acier, les bouchons en plastique, le plateau en étain composent un paysage abstrait qui She is also inspired by the Cobra movement into a cement base and the composition is évoque les œuvres surréalistes de Joan Miró à and the situationists. Her sculptures are made reworked until the base dries, freezing the travers le fond bleu, les points rouges et noirs, of abandoned objects, architectural remains, composition. To create this work, Ida Ekblad les lignes courbes ici faites de câbles métal- plants, fabric, and furniture found in her used objects recuperated from around liques qui forment une composition énigma- local environment. She works on the mate- Stockholm, Sweden. The steel rods, plastic tique et poétique. rials, bending, hammering, and soldering the lids, and tin tray form an abstract landscape objects, and riding carts over her canvases that evokes the surrealist works of Joan Miró A young Norwegian artist, Ida Ekblad revis- to spread the paint. Her creative process is through the blue background, red and black its expressionism through painting, sculp- reminiscent of musical improvisation, dic- dots, and curved lines, here made of metal ture, performance, and poetry. Her practice tated by the moment, using the tools and ele- cables, forming an enigmatic and poetic com- is based on chance and spontaneity, found ments around her. The artworks themselves position. objects that she collects in the course of can become musical instruments, as in per- her urban explorations, on the roadside, or formances in which her sculptures are used C.C. at refuse stations, and the forms that evolve as percussion. out of them. In her paintings, she manipulates In the concrete works like 53 The Rim and the The Rim and the Head, 2010 the vivacity and colour of the abstract expres- Head, the found elements are manipu- sionists or American graffiti of the 1980s. lated, bent, and deformed, then pushed

220 221 Ida Ekblad Ida Ekblad Franck Eon

Né en 1961 à Roubaix (Nord) / Born in 1961 in Roubaix Vit et travaille à Bordeaux (Gironde) / Lives and works in Bordeaux

Une table, six chaises, un tableau au mur. Tel Untitled (Space - Inside), 2007 est le décor au début de ce plan séquence, Film d’animation travelling arrière numérique de dix minutes. Durée : 10 min. / Animated film Au fur à et mesure que l’image se dévoile, une Duration: 10 mins voix électronique introduit un personnage nommé John, invisible à l’écran, abandonné Achat à galerie Cortex Athletico par ses camarades. Lentement, la caméra se en 2009 / Purchased from met en mouvement et la musique démarre. Le the Galerie Cortex Athletico in 2009 narrateur ne nous divulgue que très peu d’in- formations sur John et son environnement. Méthodiquement, John suit les instructions d’un prompteur et manipule signes et sym- boles. La caméra s’éloigne progressivement, nous en montrant plus sur le bâtiment et nous en dévoilant plus sur John et sa mission. Peintures sur toiles ou murales, jet d’encre 54 sur papier, collage, vidéo, montage informa- tique, Franck Eon multiplie les actes créatifs et considère que la peinture abstraite n’a pas atteint de point ultime constituant plutôt un A table, six chairs, and a painting on the ultimate point, representing a field of exper- champ d’expérimentation qu’une finalité. Sa wall. Such is the setting at the start of this imentation rather than a finality. His approach démarche est traversée par la question de sequence shot, a 10-minute long digital back- consistently deals with the question of images, l’image qui, comme le signe linguistique de wards tracking shot. As the image is gradu- which, like Ferdinand de Saussure’s linguistic Ferdinand de Saussure, se décompose en un ally revealed, an electronic voice introduces sign, can be broken down into a signifier (the signifiant (l’image acoustique) et un signifié a character named John, not seen onscreen, acoustic image) and signified (the concept). (le concept). En supprimant toute dimension abandoned by his friends. Slowly, the cam- By removing any fictional or narrative dimen- fictionnelle ou narrative dans ses œuvres, era starts to move and the music begins. The sion from his works, the artist focuses on the l’artiste se concentre sur le « quoi peindre » narrator divulges very little information about ‘what’ rather than the ‘how’ of painting. plutôt que sur le « comment peindre ». John and his environment. Methodically, The reproduction of a design (the furniture La reproduction d’un motif (le mobilier d’Art John follows the instructions of a prompt and of Art and Language) or of a form (the circle) and Language) ou d’une forme (le cercle) ou manipulates signs and symbols. The camera or a mental construct (Futuroscope, which is encore d’une figure mentale (le Futuroscope, progressively pulls back, showing us more none other than the building containing the qui n’est autre que le bâtiment abritant la about the building and revealing more about table and chairs) is a way for the artist to lib- table et les chaises) est un moyen pour l’ar- John and his mission. erate images of their meaning and give the tiste de libérer les images de leur sens et de Paintings on canvas or murals, inkjet on paper, spectator a new way of looking at them. donner au spectateur une nouvelle façon de collage, video, computer montage, Franck 54 Untitled (Space - Inside), 2007 les regarder. Eon multiplies creative acts and believes S.L. that abstract painting has not yet attained its

222 223 Franck Eon Franck Eon Leo Fabrizio

Né en 1976 à Moudon (Suisse) / Born in 1976 in Moudon (Switzerland) Vit et travaille à Bottens (Suisse) / Lives and works in Bottens (Switzerland)

Fort Pré-Giroud, 2000 55 Aiguilles des Baulmes, 2001 Fort Pré-Giroud, 2000 Gütsch, 2002 Furkapass, 2002 Bison, 2002 La Tine, 2002 Simplon, 2002 Photographies couleur contrecollées sur aluminium / Colour photographs mounted on aluminium 80 × 100 cm

Achat à la galerie Kamel Mennour en 2006 / Purchased from the Galerie Kamel Mennour in 2006

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La série photographique « Bunkers » de Leo tions avec l’environnement naturel. Variant The photographic series ‘Bunkers’ by Leo framings (frontal, distance, slanted, etc.), the Fabrizio, initiée au début des années 2000, les cadrages (frontal, lointain, de biais, etc.), Fabrizio, begun in the early 2000s, presents artist creates a tension between feelings of présente une typologie d’édifices spécifiques l’artiste crée une tension entre sentiments a typology of constructions specific to the familiarity and strangeness. To the history of à l’histoire de la nation suisse. Ces construc- de familiarité et d’étrangeté. À l’histoire de history of Switzerland. These constructions, Switzerland, a pacifistic nation obsessed by tions, disséminées sur des lieux stratégiques la Suisse, nation pacifique obsédée par la found in strategic sites across the territory, the threat of a global war, responds the mys- du territoire, ont une fonction de défense : menace d’un conflit mondial, répond le mys- play a defensive role: chalets, small forts, tery of these constructions, of which we see chalets, fortins, bunkers ou abris antiato- tère de ces constructions dont on ne perçoit bunkers, or fallout shelters. The principle of only the facade or envelope. Their appear- miques. Le principe de leur camouflage varie : que la façade ou l’enveloppe. Leur apparition their camouflage varies, from masking the ance and repetition questions the relation- du masquage de la construction par de la et leur répétition interrogent la relation de construction with paint, to netting or plant ship between architecture and nature, and peinture, des filets ou un rideau végétal à la l’architecture à la nature, aux paysages de ‘curtains’, to the creation of false targets, or with the mountain landscapes parasited by réalisation de fausses cibles, en passant par montagne parasités par ces étranges bâti- constructions hidden in rock. These archi- these strange buildings. les constructions cachées dans la roche. Ces ments. tectures present an autonomous aesthetic Are these ruins or fake ruins? Do they ema- architectures figurent un monde esthétique S’agit-il de ruines ou de fausses ruines ? Sont- world, conditioned by its defensive function, nate from nature itself or are they human autonome, conditionné par sa fonction défen- elles des émanations de la nature elle-même that form unusual ties with the landscape. constructions? It is the meaning of the images sive, qui noue une relation étrange avec le ou bien des constructions humaines ? C’est Their formal simplicity and compact nature and subject represented that is thus ques- paysage. Leur simplicité formelle et leur com- la signification des images et du sujet repré- disrupts the calm and the grandiose charac- tioned, by maintaining ambiguity between pacité viennent perturber le calme et le carac- senté qui est ainsi questionnée, à travers le ter of the natural environment. fantasy, dream, and reality. tère grandiose de l’environnement naturel. maintien d’une hésitation entre fantastique, The seven photographs from the collection Les sept photographies de la collection fantasme et réalité. highlight the relationship the constructions A.L. mettent en valeur la relation des construc- maintain with their environment. Varying the

224 225 Leo Fabrizio Leo Fabrizio 56 59 Aiguilles de Baulmes, 2001 Bison, 2002

57 60 Gütsch, 2002 La Tine, 2002

58 61 Furkapass, 2002 Simplon, 2002

226 227 Leo Fabrizio Leo Fabrizio L’œuvre de Dominique Figarella, inscrite dans la tradition de l’abstraction, pousse les limites de la création par l’expérimentation des pro- cédés et des matériaux, tout en laissant une place importante à l’aléatoire. Faisant preuve d’inventivité et de maîtrise technique, il Dominique Figarella emploie des objets incongrus aussi variés que le plexiglas, les balles de tennis, les gants de Né en 1966 à Chambéry (Savoie) / Born in 1966 in Chambéry boxe et les ventouses, dans une démarche qui Vit et travaille à Jacou (Hérault) / Lives and works in Jacou vise à bousculer la perception du spectateur et à interroger les normes esthétiques. Dans cette lignée s’inscrit la série des tableaux en chewing-gum, matériau insolite que l’ar- tiste se met à utiliser dans les années 1990. Sans titre, 2013 La matière flexible s’étire et s’étend, créant Diptyque des constellations de formes et de lignes sur Acrylique sur aluminium / Acrylic on aluminium la surface du tableau qui rompent avec l’hé- 200 × 300 cm ritage de la tradition picturale. En revanche, la peinture en acrylique Sans titre fait partie Sans titre (chewing-gum), 2013 d’une série d’œuvres dont le processus est Chewing-gum sur bois / mis en exergue, par le biais d’un travail de Chewing gum on wood la couleur qui laisse apparaître une tension, 19 × 19 × 2 cm tant dans le geste que dans le rendu visuel Achat à la Galerie Anne Barrault final. Différentes étapes de création se suc- en 2013 / Purchased from cèdent et donnent naissance à des strates the Galerie Anne Barrault in 2013 de matière superposées, qui se construisent 63 sur l’opposition aplat-relief, géométrique- abstrait, laissant surgir des jeux de texture, d’épaisseur et de forme. 62 63 Si ces œuvres ne portent pas de titre, c’est Sans titre (chewing-gum), 2013 Sans titre, 2013 pour laisser toute la puissance expressive du travail plastique se développer, mais aussi pour inviter le spectateur à s’approprier entièrement l’œuvre. Ce qui importe pour Dominique Figarella, c’est de représenter to shake up the spectator’s perception and ric / abstract oppositions, creating plays of l’acte derrière la création. Ainsi, le tableau question aesthetic norms. texture, density, and form. dépasse le simple rôle de surface à exploiter In this vein, we find the series of chewing- If these artworks have no titles, it is to allow et devient dispositif élaboré autour de trois gum paintings, an unusual material that the all the expressive power of the work’s plas- notions (l’œuvre, l’espace d’exposition et le artist started using in the 1990s. The flexible ticity to develop, but also to invite the spec- public), que l’artiste est appelé à prendre en material stretches and spreads, creating con- tator to appropriate the work in its entirety. considération dans sa pratique. stellations of forms and lines over the surface What matters to Dominique Figarella is repre- of the painting, thus breaking away from the senting the action behind the creation. Thus The work of Dominique Figarella, falling within legacy of the pictorial tradition. On the other the painting surpasses the basic role of a sur- the tradition of abstraction, pushes the lim- hand, the acrylic painting Sans titre belongs to face to exploit, becoming a system developed its of creation through the experimenta- a series of works in which process is empha- through three notions (the work, the exhibi- tion of procedures and materials, while sised, through work on colour that allows a tion space, and the audience), which the art- allowing chance to play an important role. tension to emerge, both in the gesture and ist is obliged to take into consideration within Demonstrating inventiveness and technical in the final visual rendering. Various phases his practice. mastery, he uses incongruous objects as var- of the creative process follow in succession, ied as plexiglas, tennis balls, boxing gloves, giving rise to superimposed layers of mate- N.T. 62 and suction cups, in an approach that aims rial, which are built on flat / raised, geomet-

228 229 Dominique Figarella Dominique Figarella ‘It is life that interests me and makes me paint.’1 This statement by French-Austrian artist Gregory Forstner invites us to consider this scene of return from war in a more inti- mate light than a traditional historical frag- ment. This 2008 canvas characterised by its Gregory Forstner monumental format, tight framing, and vigor- ous style, retraces one of the ‘only true sto- Né en 1975 à Douala (Cameroun) / Born in 1975 in Douala (Cameroon) ries told’ by his father about his grandfather, Vit et travaille à New York (États-Unis) / Lives and works in New York (United States) enlisted in the SS unit Totenkopf.2 It is the latter that the artist represents as a dog, sporting the uniform of the Wehrmacht. Besides the animal metaphor recurrent in the artist’s work,3 the composition contains Coming Back Home (Tea for Two), 64 an intriguing iconography, which sheds light 2008 Coming Back Home (Tea for two), on the artist’s complex filiation. Do the ori- Huile sur toile / Oil on canvas 2008 249 × 198,5 cm ental tea set and pair of slippers belonging to the second figure constitute a discreet trib- Achat à la galerie Zink en 2013 / ute to his maternal grandfather, engaged in Purchased from the Zink Gallery the Resistance in the Maghreb? Through the in 2013 accommodating figure that welcomes the Nazi soldier home, Gregory Forstner acknowl- edges the self-sacrifice of his grandfather, who was able to pardon the rest of the family. This work bears witness to the artist’s remark- able ability to confront his own history, with- « C’est la vie qui m’intéresse et me fait hommage à son grand-père maternel, engagé out this acceptance of responsibility being peindre 1. » Cet avertissement de l’artiste dans la résistance au Maghreb. À travers la conducted in a dramatic way. On the contrary, franco-autrichien Gregory Forstner invite à figure hospitalière qui accueille le soldat nazi the gravity of the event finds itself defused by considérer cette scène de retour de guerre de retour, Gregory Forstner salue l’abnéga- the humorous dimension of the painting and sous un jour plus intime qu’un traditionnel tion de son aïeul, parvenu à pardonner au its title. The parenthesis alludes both to the morceau d’histoire. Caractérisée par son for- reste de la famille. orientalism of the scene and echoes the song 64 mat monumental, son cadrage serré et sa fac- Cette œuvre témoigne de la remarquable from the musical No, No, Nanette, popular- ture vigoureuse, cette toile de 2008 retrace capacité de l’artiste à affronter son histoire, ised forty years later by La Grande Vadrouille. l’une des « seules vraies histoires racon- sans que cette prise de responsabilité ne s’ef- This filmic detour for the artist denotes his tées 2 » par son père à propos de son grand- fectue sur un mode dramatique. La gravité de freedom and iconoclastic audacity in this père, engagé dans l’unité SS Totenkopf. l’événement se trouve au contraire désamor- attempt to ‘make history a personal affair’.4 C’est ce dernier que l’artiste représente sous cée par la dimension humoristique de la pein- les traits du chien arborant l’uniforme de ture et de son titre. La parenthèse fait à la fois C.D. la Wehrmacht. Outre la métaphore animale allusion à l’orientalisme de la scène et écho à récurrente chez l’artiste 3, la composition la chanson de la comédie musicale No, No, recèle une iconographie intrigante, qu’éclaire Nanette, popularisée quarante ans plus tard la filiation complexe de l’artiste. Ainsi, le ser- par La Grande Vadrouille. Ce détour cinéma- vice à thé oriental et la paire de babouches du tographique de l’artiste dénote sa liberté et second personnage constituent-ils un discret son audace iconoclaste dans cette tentative 1. Gregory Forstner, ‘De la haute mer au midi brûlant’, pour « faire de l’histoire une affaire person- communication at the seminar ‘La Fabrique de la pein- 4 ture’, Collège de France, 31 octobre 2014. 1. Gregory Forstner, « De la haute mer au midi brûlant », nelle ». 2. Ibid. communication au colloque « La Fabrique de la pein- 3. Borrowed from the American caricaturists Coolidge ture », Collège de France, 31 octobre 2014. and Sarnoff. 2. Ibid. 4. Gregory Forstner, L’Odeur de la viande. Portrait de 4. Gregory Forstner, L’Odeur de la viande. Portrait de 3. Empruntée aux caricaturistes américains Coolidge et l’artiste en jeune homme, Noville-sur-Mehaigne, Éditions l’artiste en jeune homme (Noville-sur-Mehaigne: Éditions Sarnoff. Esperluète, 2015, p. 57. Esperluète, 2015), 57.

230 231 Gregory Forstner Gregory Forstner De la série « L’Arsenal » réalisée par Charles Fréger en 2002 à Cherbourg-Octeville, le Frac a choisi deux sous-ensembles très homo- gènes de trois portraits – des plongeurs démi- neurs et des fusiliers marins. Cadrés en buste, les militaires, dans leur tenue professionnelle Charles Fréger stricte, se détachent devant un fond clair, sans ombre projetée. Le contexte se limite à Né en 1975 à Bourges (Cher) / Born in 1975 in Bourges l’uniforme porté, mais l’homme n’en est pas Vit et travaille à Rouen (Seine-Maritime) / Lives and works in Rouen pour autant réduit à sa fonction. L’isolement et les conditions de la prise de vue procèdent au dénudement de la personnalité, qu’au- cun habit standardisé ne parvient à camou- fler tout à fait. L’uniformité n’est qu’illusoire, Fusiliers marins même si la revendication d’une appartenance Fusiliers marins au groupe et de sa cohésion se manifeste par Fusiliers marins Plongeurs démineurs la dignité du port. Plongeurs démineurs La filiation avec le style documentaire d’August Plongeurs démineurs Sander ne peut être démentie. La confronta- de la série / from the series tion des regards réciproques, fascinante bien « L’Arsenal », 2002 que distanciée par la médiation affirmée de Photographies couleur C-Print l’appareil photographique, la prédilection contrecollées sur aluminium / C-Print colour photographs – sans systématisme – pour la frontalité, le mounted on aluminium centrage dans un cadre serré attisent la lec- 81 × 67 cm ture comparative au sein des deux œuvres. Celles-ci ne s’avèrent réductibles ni à l’en- Achat à l’artiste en 2004 / quête anthropologique ou sociologique, ni à Purchased from the artist in 2004 l’inventaire typologique. Mais dans le commun respect de l’intégrité du modèle se niche une 65 66 différence, sans doute tributaire de l’esprit propre à deux époques. Chez le photographe the soldiers in their strict professional uni- ical investigation, nor to typological inventory. allemand, la présence singulière de la per- forms stand out against a light-coloured back- But in the mutual respect of the integrity of sonne tient du sentiment d’une adéquation ground with no shadows thrown. The context the model, lies a discreet difference, no doubt entre l’être social et l’individu. Charles Fréger, is limited to the uniform worn, but the man resulting from the particular spirit of the two lui, révèle l’interstice entre les deux et, à ce is however not reduced to his function. The periods. In the German photographer’s work, titre, l’image du jeune homme qui ajuste sa isolation and shooting conditions manage to the unique presence of the person is based on veste n’a rien d’anecdotique : elle marque la hone in on the essence of the subject’s per- a sense of appropriateness between the social transition entre deux états, voire entre deux sonality, which no standardised garment is incarnation and the individual being. Charles identités. La concentration et l’affirmation de able to camouflage entirely. The uniformity is Fréger reveals the interstice between the two soi, qui attestent de la disponibilité à l’enjeu only illusory, even if the affirmation of mem- and, in this respect, there is nothing anecdo- photographique, atténuent certes l’expres- bership to a group and its cohesion is mani- tal about the image of the young man adjusting 65 sivité, mais dévoilent précisément par là les fested by the dignity of how it is worn. his jacket: it marks the transition between two Plongeurs démineurs de la série / très intimes caractéristiques de l’expression The filiation with the documentary style of states or even two identities. Concentration from the series « L’Arsenal », 2002 du visage et de l’attitude. Elles convoquent August Sander is undeniable. The confrontation and the affirmation of the self, attesting to a une humanité dans toute sa profondeur. of reciprocal gazes, fascinating despite their willingness to accept the stakes of photogra- distanciation through the deliberate media- phy, certainly attenuate the expressiveness, From ‘L’Arsenal’ series created by Charles tion of the camera, the (unsystematic) predi- but in so doing reveal the very intimate charac- Fréger in 2002 in Cherbourg-Octeville, the lection for frontality, and the centring within teristic of facial expressions and attitudes. They 66 Frac chose two very homogenous subsets a tight frame fuels the comparative reading express humanity in all of its depth. Fusiliers marins de la série / from the series « L’Arsenal », 2002 of three portraits – of demining divers and within the two works. They prove unable to be marines. Using head-and-shoulder framing, reduced to either anthropological or sociolog- C.M.

232 233 Charles Fréger Charles Fréger Gloria Friedmann

Née en 1950 à Kronach (Allemagne) / Born in 1950 in Kronach (Germany) Vit et travaille à Aignay-le-Duc (Côte-d’Or) / Lives and works in Aignay-le-Duc

Kwiktime Osama, 2005 67 Structure en fer, câbles électriques, Kwiktime Osama, 2005 téléviseurs / Iron structure, electric cables, television sets 230 × 80 × 250 cm

Achat à l’artiste en 2006 / Purchased from the artist in 2006

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L’homme qui marche n’a cessé de parcou- partir de seuls câbles d’ordinateurs. Filiforme, The Walking Man has travelled along sculp- His spindly appearance conveys humankind’s rir les chemins de la sculpture, des kouroï de il exprime la fragilité de l’humain, qu’un bou- ture’s many paths, from the kouroï of Ancient fragility, which is further exhausted by a ball la Grèce antique à Alberto Giacometti qui a let accroché à ses pieds constitué de câbles Greece to Alberto Giacometti, who por- made of cables and television sets attached représenté la marche dans ce qu’elle a de plus et de téléviseurs vient épuiser plus encore. trayed the acting of walking at its most funda- to his feet. In the continuation of this work, essentiel, de plus structurel, pour mieux figu- Dans le prolongement de cette œuvre, Gloria mental and most structural, to better depict in 2007 Gloria Friedmann made Oryx + Crake rer l’homme dans son universalité. Kwiktime Friedmann a réalisé en 2007 Oryx + Crake humanity in its universality. Kwiktime Osama – in reference to Margaret Atwood’s dysto- Osama s’inscrit dans cette tradition plastique – en référence à la nouvelle dystopique de falls within this same artistic and conceptual pian novel –, a sculpture of a couple hold- et conceptuelle de représentation du mouve- Margaret Atwood –, une sculpture représen- tradition of the representation of movement ing hands, again made of computer cables. ment dans l’immobilité de l’œuvre. tant un couple se tenant par la main, com- within the immobility of an artwork. In the pregnant women’s stomach, it is not Le travail de l’artiste, répertoriant de nom- posée là encore de câbles d’ordinateurs. Le The artist’s work, with its many stuffed ani- the future child that can be seen through the breux animaux empaillés, figure et ques- ventre de la femme, enceinte, laisse entrevoir mals, portrays and interrogates the living cables, but a television set. With the works tionne le vivant. Plus exactement, ce sont les à travers les fils non pas un futur bébé, mais world. More precisely, human and animal in this series, Gloria Friedmann conveys, with règnes animaux et humains qui parcourent un téléviseur. Avec les œuvres de cette série, kingdoms are present throughout her work, a certain amount of pessimism, some of the son œuvre et se rencontrent, fusionnent ou Gloria Friedmann fait éprouver avec pes- where they meet, merge, or confront one effects that the post-industrial and post- se confrontent, dialoguent ou entrent en simisme certains effets de la société post- another, entering into dialogue or into con- internet society has had on humans, who, conflit, pour interroger l’existence humaine. industrielle et post-internet sur l’homme flict, in order to question human existence. according to her, are undergoing a kind of C’est ainsi que Gloria Friedmann présentait qui, selon elle, subit une forme d’emprison- In 2005, Gloria Friedmann presented a kind imprisonment and alienation that they can- en 2005 à Caen une sorte de galerie de l’évo- nement et d’aliénation dont il semble ne of gallery of evolution in Caen, where bipeds not break free from. She entitled one of her lution, où bipèdes et quadrupèdes du passé plus pouvoir se défaire. « Rien ne sera plus and quadrupeds from the past and future fol- most recent exhibitions ‘Rien ne sera plus et du futur se suivaient, sur un tapis rouge et comme après… » titrait-elle une de ses der- lowed one another out onto the red carpet to comme après…’ (2015), where, as in Kwiktime sur fond sonore de la création radiophonique nières expositions (2015) mêlant, comme the sound of the radio drama The War of the Osama, she combines the distant past and de La Guerre des mondes. Acquise à cette avec Kwiktime Osama, passé lointain et futur Worlds. Purchased at this time by the Frac, near future. occasion par le Frac, l’œuvre Kwiktime Osama proche. the work Kwiktime Osama depicts a walk- représente un homme qui marche, réalisé à ing man, made only from computer cables. C.K.

234 235 Gloria Friedmann Gloria Friedmann Arrangement is derived from an ensemble composed by French painter Bernard Frize between 2002 and 2003. These paintings share the same development process and the same way of spreading paint over the canvas, as is emphasised by their titles. Each work Bernard Frize is fully covered with twenty-five large lines, divided into five staggered registers, respec- Né en 1954 à Saint-Mandé (Val-de-Marne) / Born in 1954 in Saint-Mandé tively formed by five sweeps of one or sev- Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris eral brushes dipped in a multitude of colours. The special technique perfected by the artist, associating layers of resin and acrylic, results in these effects of drag on the brush, transpar- ency of colour, and flattening of the surface. Arrangement, 2003 68 If the act of painting in Bernard Frize’s work so Acrylique et résine sur toile / Arrangement, 2003 happens to give rise to recognisable images Acrylic and resin on canvas 270 × 225 cm – such as library shelves, grids, or braids –, it is purely incidental, as the painter develops Achat à la galerie Emmanuel Perrotin experimental research focusing solely on en 2003 / Purchased paint and painting methods. Furthermore, the from the Galerie Emmanuel Perrotin title of the Frac’s work does not refer to the in 2003 subject of his ‘arrangement’, which may refer to the artistic protocol determined by the art- ist prior to creating the painting. Or it could just as easily refer to the spheres of mathe- matics or music, since the play of permuta- tions of colour found in his compositions are not entirely unrelated to musical variation. Bernard Frize’s attachment to the notion ‘that there is a paradox, antagonism, or difficulty at Arrangement est issu d’un ensemble composé le peintre se donnant pour seul sujet la pein- work’1 and the constant renewal of his proce- 68 par le peintre français Bernard Frize entre ture et la manière de peindre. Du reste, le titre dures guarantee that his painting will never 2002 et 2003. Ces tableaux ont en commun de l’œuvre du Frac ne désigne pas l’objet de reach the point of exhaustion. leur procédé d’élaboration et une unité de son « arrangement », dont le terme peut faire distribution des couleurs sur la toile, souli- référence au protocole artistique préalable- C.D. gnée par les titres. Chaque œuvre est inté- ment déterminé par l’artiste pour exécuter la gralement recouverte de vingt-cinq larges toile. Aussi bien, il peut renvoyer à la sphère tracés, répartis en cinq registres étagés, res- des mathématiques ou à celle de la musique, pectivement formés de cinq balayages d’une pour autant que le jeu de permutation des ou plusieurs brosses enduites d’une multi- couleurs opérées au sein de ses ensembles ne tude de couleurs. De la technique particu- soit pas sans affinité avec le fonctionnement lière mise au point par l’artiste, associant des de la variation musicale. couches de résine et d’acrylique, résultent L’attachement de Bernard Frize à « ce qu’il y ces effets de filé du pinceau, de transparence ait un paradoxe, un antagonisme, une difficulté des couleurs et de surface plane. qui soient à l’œuvre 1 » et le constant renouvel- Et s’il arrive que l’acte de peindre chez lement de ses procédures garantissent l’im- Bernard Frize donne naissance à des images possible épuisement de sa peinture. reconnaissables – tels des rayonnages de bibliothèques, des grilles ou des motifs de

tresses –, c’est de manière incidente, les 1. Irmeline Lebeer, Aplat, Bernard Frize. I Buy a Brush 1. Irmeline Lebeer, Aplat, Bernard Frize. I Buy a Brush 40 recherches expérimentales développées par 40 cm Wide, Paris, Éditions Paris-Musées, 2003, p. 190. cm Wide (Paris: Éditions Paris-Musées, 2003), 190.

236 237 Bernard Frize Bernard Frize Oil Tanker belongs to a series entitled ‘Perruque voiture’, begun by Meschac Gaba, a Beninese artist, during a residency and on his wanderings through the city of New York. Initially taking New York’s skyscrapers as his models, Meschac Gaba’s ‘Perruques’ refer to Meschac Gaba the wigs and ornaments of the 16th century, in their combination of preciosity and baroque Né en 1961 à Cotonou (Bénin) / Born in 1961 in Cotonou (Benin) style. The artist, who presents himself read- Vit et travaille à Rotterdam (Pays-Bas) et à Cotonou (Bénin) / ily as an archaeologist of the future, describes Lives and works in Rotterdam (The Netherlands) and in Cotonou (Benin) these artworks using colourful imagery, such as ‘a house that extends the head’. At the crossroads of fabric statuary and architec- Oil Tanker fait partie d’une série intitulée tural hairpieces, the sophisticated pose of Oil Tanker, de la série / « Perruque Voiture », entamée par Meschac mannequin busts and the hybrid object, the from the series Gaba, artiste béninois, lors d’une résidence artist combines craft and traditional handi- « Perruque Voiture », 2008 Cheveux artificiels, métal, et de déambulations dans la ville de New work, the history of African hairdressing and plastique, résine / Artificial hair, York. En prenant d’abord comme modèle les textile sculpture. With queer- or ethnic- metal, plastic, resin gratte-ciel new-yorkais, les « Perruques » de identified attributes, between humour and 59 × 22 × 46 cm Meschac Gaba renvoient aux perruques et irony, these extravagant and colourful head- ornements du xvie siècle quant à ce mélange dresses draw on the tradition of monster Achat à la galerie In Situ- de préciosité et de baroque. L’artiste, qui se attire, creatures in three-dimensions or on Fabienne Leclerc en 2014 / Purchased from the Galerie In Situ- présente volontiers comme un archéologue pedestals. Made from braided artificial hair, Fabienne Leclerc in 2014 du futur, décrit ces œuvres de manière ima- these chignons fit the shape of the vehicles gée, à la façon d’« une maison qui prolonge la they adorn. Meschac Gaba’s ‘Perruques’ thus tête ». À la croisée d’une statuaire de tissu et contribute to the interweaving of symbols and de l’architecture postiche, de la pose sophis- folklore, the mixing of knowledge, expertise, tiquée du buste du mannequin et de l’objet and points of view, based on an exuberant hybride, l’artiste mixe le craft et l’artisanat capillarity and offbeat use of materials. At traditionnel, l’histoire de la coiffure afri- the intersection of popular arts and three- caine et la sculpture textile. Attributs volon- dimensional abstraction, this series creates tiers queer ou ethniques, entre humour et ambiguity in terms of register and confuses ironie, ces coiffes extravagantes et colorées genres. Against the backdrop of weaves and tiennent de l’atour monstre, de la créature en eccentric clashes, Meschac Gaba reflects the volume ou sur socle. Confectionnées à partir identities and naturalisation of plastic objects de cheveux artificiels tressés, ces chignons through this allusion to the culture of African épousent la forme de véhicules sur lesquelles hair salons. elles reposent. Les « Perruques » de Meschac Gaba participent ainsi du maillage de signes F.E. et de folklores, du brassage des savoir-faire et des points de vue selon une capillarité exu- bérante et une matériologie qui déraille. Au carrefour des arts populaires et de l’abstrac- tion en trois dimensions dans l’espace, cette série crée le trouble dans les registres et la confusion des genres. Sur fond de trames et de désaccords excentriques, Meschac Gaba 69 fait réfléchir les identités et une naturalité Oil Tanker de la série / from the des objets plastiques, par ce clin d’œil à la series « Perruque Voiture », 2008 culture des salons de coiffure africains. 69

238 239 Meschac Gaba Meschac Gaba choix subjectifs, notamment dans le choix des couleurs. Christiane Geoffroy interroge ainsi le savoir avec poésie pour en libérer le potentiel évocateur.

Passionate about living organisms, Christiane Christiane Geoffroy Geoffroy strives to reveal the aesthetic aspect of scientific images. These images estab- Née en 1955 à Chambéry (Savoie) / Born in 1955 in Chambéry lish a certain biological reality that the art- Vit et travaille à Dijon et à Saint-Mesmin (Côte-d’Or) / Lives and works in Dijon and Saint-Mesmin ist attempts to understand and express using various media. The series of paintings ‘Geo-Biologic III’, tak- ing the form of an installation, represents Passionnée par le vivant, Christiane Geoffroy specialised cells for the organs of the senses Geo-Biologic III, 1999 s’attache à dévoiler l’aspect esthétique des (epidermis, taste buds, olfactory epithelium, Ensemble de 15 panneaux images scientifiques. Celles-ci fixent une cer- auditive apparatus, ocular cavity). These fig- Huile et matériaux composites Dimensions variables / taine réalité biologique que l’artiste tente de urative painting nonetheless look like very Series of 15 panels comprendre et de retranscrire à travers l’uti- colourful abstractions. She explains that she Oil and composite materials lisation de différents médiums. copied biology atlases for several years and Variable dimensions La série de peintures «Geo-Biologic III», was inspired by the fake colours the medical 70 conçue comme une installation, représente world used for painting anatomical plates. The Achat à l’artiste en 2003 / des cellules spécialisées pour les organes result is a close-up view of cells that are invis- Purchased from the artist in 2003 des sens (épiderme, bourgeon gustatif, épi- ible to the naked eye: unrecognisable and yet thélium olfactif, cellule auditive, cavité ocu- these cells govern our lives. laire). Ces peintures figuratives ont pourtant In this series of paintings, Christiane Geoffroy l’apparence d’abstractions très colorées. deals with two different issues. On the one Elle explique avoir copié des atlas de biolo- hand, she rethinks the role of painting in the gie pendant plusieurs années et s’être inspi- late 20th century. Abstract painting is often rée des fausses couleurs du monde médical considered to be more intellectual and less pour peindre des planches anatomiques. Le sensitive than figurative painting. Yet, here, résultat est une vue en gros plan de cellules the artist depicts the cells of the senses. invisibles à l’œil nu, non reconnaissables et These are false abstractions, which are none- qui pourtant règlent nos vies. theless perceived as such by the spectator. In Dans cet ensemble de tableaux, Christiane so doing, the artist is highlighting ‘in practical Geoffroy traite de deux enjeux distincts. D’un terms’ the role of the senses in the interpre- côté, elle repense le rôle de la peinture à la fin tation of the painting: what do we perceive du xxe siècle. La peinture abstraite est sou- and why? On the other hand, this ensemble vent considérée comme plus intellectuelle shows the importance scientific imaging has et moins sensible que la peinture figurative. assumed over the course of the 20th century. Or ici, l’artiste figure des cellules des sens. We are used to scanners, X-rays, and sche- Ce sont de fausses abstractions, cependant mas explaining or showing the living body. Yet 71 70 perçues comme telles par le spectateur. Se this scientific imagery is partly the result of Geo-Biologic III. Épiderme, 1999 faisant, l’artiste souligne « pratiquement » le subjective choices, notably in the choice of rôle des sens dans la lecture d’une peinture : colour. Christiane Geoffroy thus questions que perçoit-on et pourquoi ? D’un autre côté, knowledge through a poetic approach, in an cet ensemble montre l’importance prise par attempt to liberate its evocative potential. l’imagerie scientifique au cours du xxe siècle. Nous nous sommes habitués aux scanners, C.P. 71 aux radiographies, aux schémas expliquant Geo-Biologic III. Tissu conjonctif lâche du derme, 1999 ou montrant le corps vivant. Mais cette ima- gerie scientifique résulte partiellement de

240 241 Christiane Geoffroy Christiane Geoffroy Piero Gilardi

Né en 1942 à Turin (Italie) / Born in 1942 in Turin (Italy) Vit et travaille à Turin (Italie) / Lives and works in Turin (Italy)

Spiaggia con Nautilus, 2009 72 Mousse de polyuréthane, capot Spiaggia con Nautilus, 2009 en plexiglas / Polyurethane foam, plexiglas cover 20 × 100 × 100 cm

Achat à la galerie Semiose en 2013 / Purchased from the Galerie Semiose in 2013

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Spiaggia con Nautilus s’inscrit dans la lignée optique, il utilise la technique de la mousse en Spiaggia con Nautilus falls within the tradition To this end, he uses the technique of polyu- des « Tapis-nature », sculptures en mousse de polyuréthane pour la création de costumes, of the artist’s ‘Tapis-nature’, sculptures made rethane foam for the creation of costumes, polyuréthane reproduisant de façon extrême- d’accessoires ou même de panneaux pour of polyurethane foam that reproduce land- accessories, or even signs for various events. ment réaliste des paysages extraits du milieu différentes manifestations. scapes from natural environments in a highly Spiaggia con Nautilus belongs to his recent naturel conçues par Piero Gilardi à partir de Spiaggia con Nautilus fait partie des « Tapis– realistic manner, created by Piero Gilardi ‘Tapis-nature’, updated in a smaller for- 1965. Cette série d’œuvres, qui lui vaudra sa nature » récents, réactualisés dans un plus from 1965 onwards. This series of works, mat, presented in the form of reliefs within réputation, est une forme de dénonciation petit format, présentés en forme de reliefs which earned him fame, is a kind of denunci- a frame, fragments of nature abruptly sam- du monde contemporain de plus en plus arti- dans un cadre, morceaux de nature abrup- ation of the increasingly artificial contempo- pled from their original milieu. This extract ficiel, mais surtout un moyen de rapprocher tement extraits de leur milieu originel. Cet rary world, but above all a means of bringing from a seascape attests to natural beauty, l’homme de la nature. Introduire des morceaux extrait de paysage marin témoigne d’une humanity closer to nature. Introducing frag- presented using a material with no aesthetic de paysages dans son espace domestique sous beauté pure retrouvée dans une matière ments from landscapes into the domestic pretentions. As the artist notes, ‘a carpet that la forme d’un objet aussi modeste qu’un tapis sans prétention esthétique. Comme le note sphere in the form of an object as humble as has become a metaphor for an aesthetic and et par le biais d’une matière artificielle est un l’artiste, « un tapis devenu métaphore d’une a carpet and through artificial materials is a mental dimension, while having access to daily choix qui véhicule une certaine ironie. dimension esthétique et mentale, tout en choice that conveys a degree of irony. life, so that the imagination and the physical Piero Gilardi, militant politique et écologiste, ayant un accès à la vie quotidienne, pour Piero Gilardi, a political and environmental sensations are combined as a statement.’2 œuvre depuis les années 1970 à resserrer les que l’imaginaire et les sensations physiques activist, has been working since the 1970s to liens entre l’art et la vie par le biais de l’or- soient mélangés ensemble dans une situation knit the bonds between art and life closer N.T. ganisation de projets de créativité collec- de statement 2. ». together through the organisation of collec- tive et d’animation culturelle. Piero Gilardi tive creative projects and cultural events. vise à rendre l’art « habitable » et « micro- Piero Gilardi aims to render art ‘inhabitable’ émotif 1 », au service de l’homme. Dans cette and ‘micro-emotive’,1 in service to humanity. 2. Propos de l’artiste recueillis par Timothée Chaillou 2. Interview with the artist by Timothée Chaillou and Sté- et Stéphane Corréard, « L’expression artistique comme phane Corréard, ‘L’expression artistique comme forme 1. Propos de Piero Gilardi. Disponible sur : http://www. forme de vie, entretien avec Piero Gilardi », Particules, 1. Interview with Piero Gilardi. Available at: http://www. de vie, entretien avec Piero Gilardi’, Particules, no. 26, semiose.fr/cspdocs/exhibition/files/cp-gilardi.pdf n°26, octobre-décembre 2009, p. 6-7. semiose.fr/cspdocs/exhibition/files/cp-gilardi.pdf October-December 2009, 6-7.

242 243 Piero Gilardi Piero Gilardi Benoit Grimbert

Né en 1969 à Mantes-la-Jolie (Yvelines) / Born in 1969 in Mantes-la-Jolie Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

À l’occasion d’une résidence en Normandie Sans titre 012, Caen en 2004 et 2005, Benoit Grimbert parcourt Sans titre 027 les sites de la reconstruction entreprise après Sans titre 041 Sans titre 042 la fin de la seconde guerre mondiale et prend Sans titre 055 connaissance du répertoire établi à l’époque Sans titre 040, Pont-Audemer par le ministère de la Reconstruction et de de la série / from the series l’Urbanisme. Pourtant, son travail ne suit pas « Normandie », 2004-2006 l’idée d’un recensement documentaire, mais Tirages argentiques contrecollés se concentre sur la configuration contem- sur aluminium / Gelatin silver prints mounted on aluminium poraine des villes et sur les ressources artis- 50 × 50 cm tiques du paysage photographique. Les images frappent d’emblée par le sentiment Achat à l’artiste en 2007 / de vacance qu’elles suscitent. Les rues sont Purchased from the artist in 2007 désertes, les volets le plus souvent clos, la lumière plate et grise de l’hiver évacue tout pittoresque ou même toute atmosphère. Cependant, de discrets signes d’occupation rendent palpable une tranquillité morne plus qu’ils ne la perturbent. L’impression de solitude ne tient pas tant de 73 la quasi absence d’habitants dans les espaces publics qu’à l’isolement des constructions architecturales. Les bâtisses, d’époques dif- Plus qu’ils n’informent sur l’organisation des does not, however, follow the idea of a doc- férentes, se dressent comme dans l’ignorance villes, les vides se révèlent une force plastique. umentary census, but focuses on the con- les unes des autres, révélant les stratifica- Ils articulent les photographies, tout comme temporary configuration of cities and on the tions temporelles, voire les errements urba- la prépondérance de l’avant-plan dénudé leur artistic resources of photography collections. nistiques. Leur implantation semble n’avoir sert de fondement structurel. Le parti formel What is immediately striking in the images is été déterminée que par le tracé des voies de de neutralité autorise toute appréciation de the sense of vacancy emanating from them. circulation automobile et les zones de sta- l’héritage architectural, aussi bien la recon- The streets are deserted, the shutters closed, tionnement. Le mobilier urbain ajoute à l’as- naissance d’un patrimoine que la faillite d’une and the dull, grey light of winter evacuates semblage disparate ; les armoires électriques, gestion urbanistique. all that is picturesque or even any sense of les réverbères, les poubelles et même les bacs atmosphere at all. However, discreet signs of à fleurs font figure de corps étrangers. Le trai- On the occasion of a residency in Normandy occupation render a bleak calm palpable, as tement égalitaire de toutes les composantes in 2004 and 2005, Benoit Grimbert explored opposed to disrupting it. 73 du paysage citadin assure néanmoins une sin- the areas of reconstruction undertaken after The impression of solitude is not so much Sans titre 012, Caen de la série / gulière cohérence à chacune des images et World War II and heard about the repertoire based on the quasi-absence of the inhab- from the series « Normandie », 2004-2006 à leur ensemble, qui permet d’en mesurer la established at the time by the Ministère de la itants in public space, as it is the isolated signification. Reconstruction et de l’Urbanisme. His work nature of the architectural constructions.

244 245 Benoit Grimbert Benoit Grimbert The buildings from various periods rise up as Rather than informing us about the organi- if fully unaware of the other buildings, reveal- sation of cities, the empty spaces attain an ing their temporal stratifications or urbanist aesthetic power. They articulate the photo- experiments. Their implantation appears to graphs, just as the prominence of the bare have been purely determined by the planning foreground serves as their structural foun- of vehicular traffic and parking areas. Urban dation. The formal element of neutrality furniture contributes to the disparate assem- authorises all forms of appreciation of the blage: electrical cabinets, streetlamps, dust- architectural heritage: both the recognition bins, and even flowerbeds seem like foreign of heritage and the failings of urban manage- bodies. The egalitarian treatment of all of the ment. components of the cityscape nonetheless provides a unique coherency to each of the C.M. images and the collection as a whole, which enables us to measure their meaning.

75 76 Sans titre 027 de la série / from the Sans titre 041 de la série / from the series « Normandie », 2004-2006 series « Normandie », 2004-2006

74 Sans titre 040, Pont-Audemer 77 78 de la série / from the series Sans titre 042 de la série / from the Sans titre 055 de la série / from the « Normandie », 2004-2006 series « Normandie », 2004-2006 series « Normandie », 2004-2006

246 247 Benoit Grimbert Benoit Grimbert Bénédicte Hébert

Née en 1967 à Saint-Hilaire-du-Harcouët (Manche) / Born in 1967 in Saint-Hilaire-du-Harcouët Vit et travaille à Ussy (Calvados) / Lives and works in Ussy

miques sont tronqués au profit de la présence Le Louvre en 1 mn 26, 2000 physique. Bustes et gestes font de la repré- Vidéo, muet, couleur sentation photographique un espace de pro- Durée : 1 min. 26 s. / Video, silent, colour jection soulignant les potentialités narratives Duration: 1 min 26 secs de l’image fixe. Dans Bande à part (1964), Jean-Luc Godard Achat à l’artiste en 2005 / fait courir Franz, Odile et Arthur dans les salles Purchased from the artist in 2005 du musée du Louvre pour essayer de battre le record de Jimmy Johnson qui avait visité le lieu en neuf minutes et quarante-cinq secondes. Le jeune trio y parvient in extremis, réduisant de deux secondes la prouesse de l’Américain. Trente-six ans plus tard, Bénédicte Hébert 79 relance le chronomètre, à l’heure des visites Le Louvre en 1 mn 26, 2000 virtuelles et de la numérisation des œuvres 79 d’art. Résultat : Le Louvre en 1 mn 26 est une vidéo dont le défilement dépasse largement ce qu’un œil humain peut assimiler. Les toiles peintes deviennent subliminales : elles s’en- chaînent à la vitesse de l’éclair et court-cir- Le travail photographique de Bénédicte cuitent l’observation, comme si le temps long confronts paintings and spectators seen reducing the American feat by two seconds. Hébert scrute les autres pratiques artistiques, de l’histoire s’effaçait au profit d’une instan- from behind, by signifying the pictorial space Thirty-six years later, Bénédicte Hébert starts à l’image de son Ciné-Journal qui associe des tanéité affolée. L’accessibilité devient syno- within the exhibition space. The relationship the stopwatch again, in the age of virtual vis- prises de vue réelles à des dialogues de films. nyme d’entropie et, avec elle, la culture se that is established between the artwork and its and the digitisation of artworks. Result: Ainsi, un extrait d’Another Woman (1988) de transforme en un monstre qui déforme toutes the audience becomes formal and not psy- Le Louvre en 1 mn 26 is a video whose speed Woody Allen vient mettre en relief une banale les œuvres dans un continuum délirant. chological. This withdrawal of the mind is also greatly surpasses what the human eye can scène de diner américain tandis qu’Elephant found in her ‘Portraits’ in which physiogno- assimilate. The canvases become subliminal: (2003) de Gus Van Sant croise le sourire d’une The photographic work of Bénédicte Hébert mic traits are truncated in favour of physical they flash by at the speed of lightning and enfant. Dans les deux cas, c’est un détail – scrutinises the other artistic practices, like presence. Busts and gestures turn the photo- short-circuit observation, as though the slow l’âge ou la couleur rose – qui justifie cette her Ciné-Journal, which associates real pho- graphic representation into a site for projec- pace of history was now being superseded by rencontre entre réel et fiction. De même, la tographs with film dialogues. An excerpt from tion, highlighting the narrative potentialities a frenzied immediacy. Accessibility becomes série « Ça me regarde » confronte peintures Woody Allen’s Another Woman (1988) thus of still images. synonymous with entropy and, with it, culture et spectateurs de dos, à la faveur d’un rap- underscores a banal scene in an American In Bande à part (1964), Jean-Luc Godard is transformed into a monster that deforms pel de l’espace pictural dans l’espace d’expo- diner, while Gus Van Sant’s Elephant (2003) makes Franz, Odile, and Arthur run through all of the artworks in a delirious continuum. sition. La relation qui s’instaure entre l’œuvre is paired with a child’s smile. In both cases, it the rooms of the Musée du Louvre to try to et le public devient formelle et non psycho- is a detail – the age or the colour pink – that beat Jimmy Johnson’s record, who had vis- F.D. logique. Ce retrait du psychique se retrouve justifies this encounter between reality and ited the venue in nine minutes and forty-five dans ses « Portraits » où les traits physiono- fiction. Similarly, the series ‘Ça me regarde’ seconds. The young trio succeeds in extremis,

248 249 Bénédicte Hébert Bénédicte Hébert 80 Modified Social Bench E, 2006

Jeppe Hein

Né en 1974 à Copenhague (Danemark) / Born in 1974 in Copenhagen (Denmark) Vit et travaille à Berlin (Allemagne) / Lives and works in Berlin (Germany)

Modified Social Bench #7, 2005 Acier galvanisé peint par poudrage / Galvanised powder-coated steel 94 × 180 × 50 cm Modified Social Bench E, 2006 Acier galvanisé peint par poudrage / Galvanised powder-coated steel Le projet des « Modified Social Benches », 75 × 180 × 45 cm développé en trois séries entre 2005 et 2008, Modified Social Bench A, 2006 ouvre la discussion sur le comportement de Acier galvanisé peint par poudrage / Galvanised powder-coated steel l’individu dans l’espace urbain. Ces bancs réin- 75 × 180 × 45 cm ventés, au caractère ludique, rompent avec Modified Social Bench H, 2006 le côté impersonnel du banc traditionnel et Acier galvanisé peint par poudrage / présentent une grande inventivité de formes 80 Galvanised powder-coated steel insolites et surprenantes, qui deviennent 80 × 180 × 45 cm déclencheurs d’échanges et de partage parmi The central concerns of the work of Jeppe ple who come into physical contact with the Achat à la galerie Johann König les gens qui rentrent en interaction physique Hein, which bears the influence of the mini- sculptures. The work thus presents a social en 2009 / Purchased from avec les sculptures. L’œuvre présente ainsi malist aesthetic, relate to the notion of inter- dimension and remains a catalyst for sociabil- the Johann König Gallery in 2009 des qualités sociales et demeure catalyseur activity, in an approach that activates the ity and conviviality within the urban environ- de sociabilité et de convivialité dans l’environ- communicative potential of art. The physi- ment, thus obtaining a therapeutic dimension nement urbain, obtenant ainsi une dimension cal experience of the artwork constitutes a against the loneliness and alienation of con- thérapeutique contre la solitude et l’aliéna- priority for the artist, far from the traditional temporary societies. tion des sociétés contemporaines. conception of the work of art, from which The result of the artist’s research on archi- Fruits des recherches de l’artiste sur l’archi- spectators are to keep their distance. ‘Instead tecture, communication, and social behav- Le travail de Jeppe Hein, qui porte l’influence tecture, la communication et le comporte- I try to open up new possibilities so that the iour in urban space, the ‘Modified Social de l’esthétique minimaliste, place au cœur de ment social dans l’espace urbain, les « Modified spectators lose their timidity and absolute Benches’ aim, through interactive play, to ses préoccupations la notion de l’interactivité Social Benches » visent, par le biais du ludique respect for the art’,1 notes the artist. convey deeper messages. As the artist puts it, dans une démarche d’activation du potentiel et de l’interactif, à transmettre des messages The project of the ‘Modified Social Benches’, ‘public space is becoming less and less pub- communicatif de l’art. L’expérience physique plus profonds. Comme l’exprime l’artiste, developed in three series between 2005 and lic […] people’s social activity partly defines de l’œuvre constitue une priorité pour l’ar- « L’espace public devient de moins en moins 2008, opens up the discussion concern- the energy of a city. If we reduce public space, tiste, aux antipodes de la conception tradi- public […] l’activité sociale des gens définit en ing the behaviour of the individual in urban we create a problem. I would like art to be a tionnelle de l’œuvre d’art, avec laquelle le partie l’énergie d’une ville. Si on réduit l’es- space. These playful reinvented benches tool for discussion between context, archi- spectateur garde ses distances. « J’essaye pace public, on crée un problème. Je souhaite break away from the impersonal aspect of the tecture, and humanity’.2 plutôt d’ouvrir de nouvelles possibilités pour que l’art soit un outil de discussion entre le traditional bench and demonstrate great cre- que les spectateurs perdent leur timidité et lieu, l’architecture et l’homme 2. » ativity in their unusual and surprising forms, N.T. le respect absolu envers l’art 1 », note l’artiste. which spark discussions among the peo-

1. Entretien entre Jeppe Hein et Sophie Legrandjacques. 2. Propos de l’artiste recueillis par William Yeoman, 1. Interview between Jeppe Hein and Sophie Legrandjacques. 2. Interview with the artist by William Yeoman, ‘Smoke Disponible sur : https://lelifesaintnazaire.files.wordpress. « Smoke and mirrors », West Weekend Magazine, 30 janvier Available at: https://lelifesaintnazaire.files.wordpress.com/ and mirrors’, West Weekend Magazine, 30 January 2010, com/2014/06/dp_life_jeppehein_distance_ete2014.pdf. 2010, p. 22-23. 2014/06/dp_life_jeppehein_distance_ete2014.pdf. 22-23.

250 251 Jeppe Hein Jeppe Hein Hedwig Houben

Née en 1983 à Boxtel (Pays-Bas) / Born in 1983 in Boxtel (The Netherlands) Vit et travaille à Bruxelles (Belgique) et à Boxtel (Pays-Bas) / Lives and works in Brussels (Belgium) and Boxtel (The Netherlands)

de l’artiste et ses mains qui manipulent ces Colour and Shapes figures dressées sur une table. Deux types de (Couleur et formes), 2010 sous-titres sont utilisés, le premier restituant Vidéo Durée : 11 min. 24 s. / la réflexion de l’artiste, le second visualisant Video la parole des sculptures elles-mêmes. Ainsi le Duration: 11 mins 24 secs Cube au « caractère conceptuel » et qui « pri- vilégie les idées » – référence aux Open Cubes Achat à la galerie Fons Welters de Sol LeWitt – incarne l’élément processuel en 2012 / Purchased from et réflexif de la pratique d’Hedwig Houben. the Fons Welters Gallery in 2012 L’anatomie de chacun de ces personnages non-humains revêt dès lors de façon ana- morphique leurs propriétés tant formelles 81 que conceptuelles, celles-ci recouvrant indi- viduellement un pan distinct du sensible et de ses possibilités. Les relations ou les frictions 81 entre les cinq formes, ainsi que leur poten- Colour and Shapes tiel et leurs limites, inscrivent dans le visible (Couleur et formes), 2010 la subjectivité de l’artiste, tout en évitant de réactualiser le mythe expressif de l’auteur, ceci grâce à cette ingénieuse scène dans laquelle cette subjectivité est redistribuée Colour and Shapes reconduit, à travers le dans des objets devenus à leur tour sujets, made out of clay: the Cube, the Sphere, the properties, which individually recover a dis- médium de la vidéo, une performance-confé- ces derniers devenant co-producteurs, avec Pyramid, the Cylinder and the Cone, the cap- tinct facet of the tangible and its possibili- rence éponyme de l’artiste qui met en scène l’artiste, d’une œuvre performative et aux ital letters used on the subtitles denote their ties. The relationships or frictions between les bases de son processus de création. Plus contours versatiles. status as separate personalities. The film is a the five shapes, as well as their potential and qu’un simple exposé, Hedwig Houben se prête close-up still frame, on which we only see the their limits, make the artist’s subjectivity vis- à un vertigineux exercice de mise en abyme Colour and Shapes, by means of a video, takes artist’s torso and her hands that handle these ible whilst avoiding the re-actualisation of des problématiques que son travail aborde, us back to an eponymous performance-con- figures which are placed on a table. Two sorts the author’s expressive myth, thanks to the en les télescopant dans un jeu de relations qui ference by the artist who showcased the foun- of subtitles are used, the first one transcribes ingenious scene in which this subjectivity is vont de la fabrique de sa grammaire plastique dations of her creative process. More than a the artist’s thoughts and the second visualises redistributed amongst objects which have in à ses références issues de l’histoire de l’art. simple exposé, Hedwig Houben lends herself the words of the sculptures themselves. Thus, turn become subjects, and then co-produc- Le dispositif créé par l’artiste consiste en cinq to a head-spinning exercise of the mise en the Cube which has a ‘conceptual character’ ers, with the artist, of a performance work modèles géométriques gris réalisés en argile : abyme of the issues her work addresses, by and which ‘privileges ideas’ – a reference with versatile contours. le Cube, la Sphère, la Pyramide, le Cylindre telescoping them into a game of relationships to Sol LeWitt’s Open Cubes – embodies the et le Cône, les majuscules utilisées dans le that go from the fabrication of her plastic processual and reflexive element of Hedwig A.M. sous-titrage signalant leur statut de person- grammar to her references that draw on the Houben’s work. Thus the anatomy of each nalités à part entière. La scène est filmée en history of art. The mechanism created by the of these non-human characters takes on, gros plan fixe, ne donnant à voir que le torse artist consists of five grey geometric models anamorphically, their formal and conceptual

252 253 Hedwig Houben Hedwig Houben One of the ways for Séverine Hubard’s works to be considered would be by assimilating them to a reflection on the field of architec- ture, but that would have to be in an amateur- ish fashion with inexpert or only DIY notions. Une des entrées possibles dans le travail de Mixing poetry and humour, derision and fan- Séverine Hubard Séverine Hubard pourrait s’envisager à la tasy, and asserting the mix of genres, the art- manière d’une réflexion dans le champ de ist’s work, which commenced at the very Née en 1977 à Lille (Nord) / Born in 1977 in Lille l’architecture, mais ce serait à la mesure start of the 21st century, sets itself apart by Vit et travaille à Écuélin (Nord) / Lives and works in Écuélin d’un dilettantisme et des notions d’ama- in situ creations that are elaborated depend- teurisme ou de bricolage. Mêlant poésie et ing on the context. In particular, Séverine humour, dérision et fantaisie et revendiquant Hubard queries the notion of the memory of le mélange des genres, la pratique de l’artiste, a specific place and says that she is espe- entamée au début des années 2000, se dis- cially interested in the ‘creation of a materi- Crâne d’étagère, 2010 tingue par des réalisations in situ qui s’éla- alisation and dematerialisation mechanism’. Ciment, métal / Cement, metal borent en fonction du contexte. Interrogeant Her works, which are monumental installa- 18 × 17 × 14 cm notamment la notion de mémoire d’un lieu, tions or reconfigurations in space that foster Demi-république, 2014 Séverine Hubard dit s’intéresser à « la créa- flawed or distorted effects, are like an effort Bois aggloméré, mélaminé, tion de dispositif de matérialisation et de to divert, subvert, and create imbalance in formica, peinture dématérialisation ». Installations monumen- reality. Bringing together unaltered objects Dimensions variables / tales ou reconfigurations dans l’espace qui and a stock of scrap, that is used as raw mate- Pressed wood, melamine, entretiennent effets bancals et distorsions, rials, depending on the urban environments, Formica, paint Variable dimensions ses œuvres s’apparentent à une entre- Séverine Hubard’s works orchestrate a style prise de détournement, de subversion et de made out of scrap and construction, a game Achat à la galerie Eva Meyer en 2014 / déséquilibre du réel. Compilant le brut et le of scales between the first and third dimen- Purchased from the Galerie stock d’objets trouvés à la façon de matières sions. Eva Meyer in 2014 premières et selon des environnements During her first exhibition at the Frac in 2014, urbains, les productions de Séverine Hubard the artist’s proposition took the form of a trib- orchestrent une esthétique du rebus et de la ute to Gérard Mannoni and the fountain that he construction, des jeux d’échelle entre plan et designed for place de la République in Caen in 82 volume. 1976. As a way of querying the aesthetic codes Lors de son exposition au Frac en 2014, la pro- by means of a simplified, minimalist version, position de l’artiste prit la forme d’un hom- Séverine Hubard explained this Formica and mage à Gérard Mannoni et à la fontaine qu’il pressed wood replica, through her interest in dessina place de la République à Caen en the contours and pleasing lines of this place. 1976. Comme une manière d’interroger des In this parallel drawn between the town cen- codes plastiques par le biais d’une version tre and the Frac, Demi-république, built simplifiée et minimaliste, Séverine Hubard with reclaimed wood from Emmaüs, there’s explique cette réplique, en formica et agglo- an echo of another of the artist’s metaphori- 82 Crâne d’étagère, 2010 méré, par son intérêt pour les contours et cal works of the same type, installed in the les lignes séduisantes de cette place. Dans Frac’s documentation. Playing on adjust- ce parallèle entre le centre-ville et le Frac, ment and its disposition within a space, Crâne Demi-république, fabriquée avec du bois de d’étagère joins the whimsical allegory to the récupération de chez Emmaüs, fait écho à un trinket, a new sort of vanity and low-tech and autre clin d’œil de l’artiste de la même fac- mocking sculpture. 83 ture, installé dans la documentation du Frac. Vue de l’œuvre Demi-république Jouant sur l’ajustement et la disposition dans F.E. au Frac pour l’exposition l’espa ce, allie l’allégorie fan- « ZIG ZAG », Caen, 2014 / Crâne d’étagère View of Demi-république at the tasque et le bibelot, la vanité d’un nouveau Frac, “ZIG ZAG” exhibition type et la sculpture low-tech et railleuse. 83

254 255 Séverine Hubard Séverine Hubard Joël Hubaut

Né en1947 à Amiens (Somme) / Born in 1947 in Amiens Vit et travaille à Réville (Manche) / Lives and works in Réville

mik de 1989. Cette sculpture-vidéo rassemble Chorale épidémik, 1989 en demi-cercle dix-huit socles, qui portent Vidéo, téléviseurs, socles en bois / dix-huit lecteurs DVD et moniteurs. Sur Video, televisions, wood pedestals 210 × 700 × 210 cm chaque écran, on voit et entend quelqu’un chanter. Pendant un an, l’artiste a invité des Achat à l’artiste en 2003 / voisins et des amis à venir improviser tour à Purchased from the artist in 2003 tour ce qui leur plaisait ou leur passait par la tête. De leur rapprochement se dégage tout, excepté une harmonie. La Chorale épidemik fonctionne en cela comme une anti-chorale : au lieu de chercher à obtenir une harmonie globale dans laquelle l’individu s’efface pour devenir partie d’un tout ordonné, s’y assume 84 au contraire le désordre né de la particula- Chorale Épidémik, 1989 rité de ceux qui la composent. Quand on sait combien la chorale servit de modèle idéo- 84 logique et politique sous le régime de Vichy et dans nombre de régimes totalitaires, l’ar- tiste ne pouvait toucher plus juste. Car tout en renversant ce modèle, la Chorale épidemik Joël Hubaut développe depuis plus de qua- dit aussi cet espoir : malgré ce qui uniformise rather ‘épidémik’ with a ‘k’ in reference to where the individual is erased to become part rante ans une œuvre qui se pense, théma- l’individu, la singularité demeure. Et à partir Joseph K. in The Trial by Kafka. A work which of an organised whole, on the contrary, the tiquement et formellement, comme un acte de ce brouhaha, lorsqu’on recule, il y a tout prefers that which is pathological to that disorder born of the individuality of those who continu de résistance à tout ce qui entend de même une musique qui apparaît. which is normal and which intends to spread constitute it is fully assumed. When you think réifier l’homme et l’assujettir au pouvoir. Si disorder, amalgams and disquiet, which char- how much the choir served as an ideological le nazisme en offre l’exemple historique le For over forty years, Joël Hubaut has been acterise life. That is precisely what Chorale and political model under the Vichy regime plus extrême, cela ne s’y limite pas : le fas- developing an oeuvre which generally consid- épidemik from 1989 does in a paradigmatic and in a good number of totalitarian regimes, cisme sait prendre différents visages, sédui- ers itself, thematically and formally, as a con- fashion. This sculpture-video brings together the artist couldn’t have been closer to the sants ou discrets, pour persister. Culte de tinuous act of resistance to everything that in a semi-circle eighteen pedestals, which truth. Because by overturning this model, the l’ordre, de la santé, de la pureté : à tout cela, intends to reify man and subjugate him to carry eighteen DVD players and screens. On Chorale épidemik also brings this message of Joël Hubaut oppose une œuvre qu’il qualifie power. If Nazism offers the most extreme his- each screen, we see and hear someone sing- hope: in spite of that which standardises the d’épidémique, ou plutôt « d’épidémik » avec torical example of this, other examples exist ing. For a year, the artist invited neighbours individual, uniqueness remains. And when you un « k » en référence au Joseph K. du Procès too: fascism knows how to take on very dif- and friends to come and take turns impro- step back from this hubbub, a piece of music de Kafka. Une œuvre qui préfère le patholo- ferent faces that can be both attractive and vising whatever they fancied or whatever appears all the same. gique à la norme et qui entend mettre partout discreet, allowing it to continue existing. The came to mind. From their coming together, le désordre, le mélange, et l’inquiétude, qui worship of order, the craze for health and fit- everything emerges, except harmony. In that F.C. sont le propre de la vie. C’est bien ce que fait ness, for pureness: Joël Hubaut sets his oeuvre way, the Chorale épidemik works like an anti- de manière paradigmatique la Chorale épide- against all that, qualifying it as epidemic, or choir: instead of angling for global harmony

256 257 Joël Hubaut Joël Hubaut Lydie Jean-Dit-Pannel

Née en 1968 à Montbéliard (Doubs) / Born in 1968 in Montbéliard Vit et travaille à Dijon (Côte-d’Or) / Lives and works in Dijon

citation de deux de ses œuvres, VOAEX (1976) Tout va bien (sous-titre : A Tribute et Sauterelles (1970). Les photographies sont to Wolf Vostell), 2004-2010 prises, de gauche à droite, en 2004 puis en Photographies numériques / Digital photographs 2010 au musée Vostell Malpartida en Espagne. 30 × 20 cm Sur chacune, l’artiste y pose nue, en plein air, 8,5 × 12,5 cm à moitié allongée sur une voiture bétonnée 15 × 10 cm (VOAEX), lunettes noires et cigare à la main, en hommage à Wolf Vostell. Sous la photogra- Achat à la galerie L’Œil Histrion phie de 2004, apparaît un détail de l’installa- en 2012 / Purchased from the Galerie L’Œil Histrion in 2012 tion Sauterelles dédicacée par son créateur à Lydie Jean-Dit-Pannel en 1989. On y lit le nom Lydie-Di, en référence à Lady Diana. Le diptyque fait également référence à un autre projet de Lydie Jean-Dit-Pannel, Mes encres, où un tatouage de papillon monarque (le 85 Tout va bien (sous-titre / subtitle : seul papillon migrateur) se déploie au fur et A Tribute to Wolf Vostell), 2004-2010 à mesure des déplacements de l’artiste sur 85 la partie gauche de son corps, depuis 2004. Sur la photographie de droite, la référence à Sauterelles a disparu et le nombre de papil- lons sur son corps s’est multiplié. L’artiste Dès ses premières vidéos au début des années semble ainsi s’émanciper lentement de l’in- temporal dimension is very important, mixing name Lydie-Di, which is a reference to Lady 1990, Lydie Jean-Dit-Pannel pratique l’auto- fluence de Wolf Vostell, à mesure que ses history, art and personal history. The deci- Diana. The diptych also makes reference to portrait où le corps (humain ou animal) s’y papillons viennent témoigner de son propre sive influence of the artist, Wolf Vostell, on another of Lydie Jean-Dit-Pannel’s projects, retrouve systématiquement. Ses œuvres sont parcours. Lydie Jean-Dit-Pannel’s vocation and artistic Mes encres, where, since 2004, the artist has le résultat de projets au long cours dans les- approach is visible in the references to two added a new tattoo of a monarch butter- quels les rapprochements entre l’art et la vie As of her very first videos at the start of the of his works, VOAEX (1976) and Sauterelles fly (the only butterfly to migrate) to the left sont permanents. Elle utilise essentiellement 1990s, Lydie Jean-Dit-Pannel used self-por- (1970). The photographs are taken, from side of her body every time she travels. On la vidéo mais réalise aussi des performances, traits where the body (human or animal) was left to right, in 2004 and then in 2010 at the the right-hand photograph, the reference to des photographies et des installations. systematically present. Her works are the Vostell Malpartida Museum in Spain. On each Sauterelles has disappeared and the num- Le diptyque photographique Tout va bien, result of long term projects in which rap- one of them, we see the artist posing naked, ber of butterflies on her body has increased. A Tribute to Wolf Vostell met en œuvre dif- prochements between art and life are per- out in the open air, partly lying down on a con- Thus, the artist seems to slowly free herself férents projets et influences où la dimen- manent. She essentially uses video but also crete car (VOAEX), wearing black glasses and from the influence of Wolf Vostell, as her but- sion temporelle est très importante, mêlant creates performances, photographs and holding a cigar in her hand, in tribute to Wolf terflies come to bear witness to her own path. histoire de l’art et histoire personnelle. installations. Vostell. Just beneath the 2004 photograph L’influence décisive de l’artiste Wolf Vostell The photographic diptych Tout va bien, is a detail from the installation Sauterelles C.P. sur la vocation, puis la démarche artistique A Tribute to Wolf Vostell, brings together dif- autographed by its creator in 1989 and dedi- de Lydie Jean-Dit-Pannel apparaît à travers la ferent projects and influences where the cated to Lydie Jean-Dit-Pannel. We see the

258 259 Lydie Jean-Dit-Pannel Lydie Jean-Dit-Pannel Sven ’t Jolle

Né en 1966 à Anvers (Belgique) / Born in 1966 in Antwerp (Belgium) Vit et travaille en Australie / Lives and works in Australia

la gloire de la prospérité. Un choix attentif Schoon Schip / Tabula Rasa, 2010 des matières employées impose une contra- Bois, métal, plâtre, feuille d’or / diction absolue entre le simulacre de radeau Wood, metal, plaster, gold leaf 300 × 400 × 200 cm et le bateau d’or triomphant sur les maté- riaux pauvres. Critique ardente des consé- Achat à la galerie Laurent Godin quences tragiques du système capitaliste, en 2012 / Purchased from l’œuvre de Sven ’t Jolle est une métaphore the Galerie Laurent Godin in 2012 de l’immigration des populations sur des bateaux de fortune, dans le but de rejoindre des pays prospères et en paix. Le titre même de l’œuvre laisse entrevoir l’ironie et l’amer- tume dans les faux espoirs et le désenchan- tement du déplacement. 86 Si les matières humbles renvoient à l’industrie Schoon Schip / Tabula Rasa, 2010 86 et aux classes ouvrières, l’or représente l’uto- pie derrière le rêve de l’immigration, mais aussi l’oppression du capitalisme qui domine et se nourrit de la misère du monde. L’œuvre devient métaphore de l’écart entre le rêve et Sven ’t Jolle détache l’art de ses illusions la réalité de ce phénomène mondial lié à l’indi- judgement and symbolism to create a work hopes and the disillusionment of the voyage. grandiloquentes et utopistes et l’intègre dans gence humaine, tout en constituant un com- charged with poetry and denunciation. If the more humble materials bring to mind la réalité de son temps, faisant de son travail mentaire puissant sur la lutte des classes, les A sculpture made up of two levels, it presents industry and the working class, the gold rep- un instrument de critique sociale poignant. maux et les impasses du capitalisme. En écho a raft made up of objects diverted from their resents the utopia behind the dream of immi- De la sculpture à l’installation en passant par avec la célèbre toile de Géricault, le radeau common use (metal drums and wood) domi- gration but also capitalist oppression that le dessin, Sven ’t Jolle développe un travail est ici réactualisé pour transposer la lutte de nated by a replica of a ship made from plas- dominates the world and feeds on its mis- singulier et engagé, qui se sert de la figuration survie dans un contexte différent, celui dans ter and covered in gold leaf. Thus, on the ery. The work becomes a metaphor for the afin de créer des œuvres à multiples niveaux lequel l’artiste vit et fait œuvre. same footing, we encounter the tragedy of gap between the dream and the reality of this de lecture. Schoon Schip / Tabula Rasa s’ins- shipwreck and the glory of prosperity. Close worldwide phenomena linked to human indi- crit dans cette lignée de travaux engagés, Sven ’t Jolle distances art from its grandilo- attention to the materials used enforces total gence, whilst commenting on class struggles dans lesquels l’artiste allie critique et sym- quent and utopian illusions and integrates it contradiction between the pale shadow of a and the ills and dead ends of capitalism. An bolisme pour créer une œuvre chargée de into the reality of his time, making his work a raft and the golden boat that triumphs over echo of Géricault’s famous painting, the raft poésie et de dénonciation. touching instrument of social criticism. From the poorer materials. An ardent critic of the here is revisited to transpose the struggle for Sculpture composée sur deux niveaux, elle sculpture to installation and drawing, Sven ’t tragic consequences of the capitalist sys- survival into a different context, that in which présente un radeau constitué d’objets détour- Jolle develops a singular and engaged oeuvre, tem, Sven ’t Jolle’s oeuvre is a metaphor for the artist lives and works. nés (des bidons métalliques et du bois) sur- which uses figuration to create works that can the immigration of populations on make- plombés d’une maquette de navire en plâtre be read on many levels. Schoon Schip / Tabula shift boats, in order to reach prosperous and N.T. recouvert de feuilles d’or. Ainsi retrouve-t-on Rasa is in keeping with this style of engaged peaceful countries. The very title of the work sur le même plan la tragédie du naufrage et works in which the artist brings together both implies the irony and bitterness in these false

260 261 Sven ’t Jolle Sven ’t Jolle Véronique Joumard

Née en 1964 à Grenoble (Isère) / Born in 1964 in Grenoble Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Miroirs, 2003 87 Miroirs en verre recouverts de film Travelling, 2003 à vision angulaire / Glass mirrors covered in prism film 60 × 180 cm chaque / each

Travelling, 2003 Diptyque Photographie couleur contrecollée sur aluminium / Diptych 87 Colour photograph mounted on aluminium 115 × 190 cm chaque

Achat à la galerie Cent8 en 2004 / Purchased from the Galerie Cent8 in 2004 Depuis le milieu des années 1980, Véronique Travelling est un diptyque photographique qui Joumard travaille à une œuvre épurée, d’ordre présente un site architectural en construc- post-conceptuel, où la lumière électrique est tion ou abandonné, ouvert sur la mer et le le plus souvent un composant mis à nu. En ciel azuréen. En dépit de l’interstice spatial, lien avec l’architecture, ses pièces ont un les deux images créent une continuité pano- aspect rhizomique plus que sériel, à l’image ramique. L’œuvre joue sur la transposition du de cette installation Sans titre de 1995 où un vocabulaire propre au cinéma et interroge dis- réseau de fils court le long du mur pour dif- crètement la place du spectateur qui déam- fuser la musique d’une chaine hi-fi à travers bule dans les espaces d’exposition. À travers de multiples haut-parleurs suspendus dans ce léger déplacement, Véronique Joumard la salle. Cette spatialisation / suspension est crée une poétique de la réception que l’on une manière de donner à voir physiquement retrouve dans ses Miroirs dont la surface a le phénomène ondulatoire du son. De même, été recouverte d’un film à vision angulaire. l’usage fréquent d’une peinture thermosen- De face, le reflet devient vaporeux, l’image sible – changeant de couleur en fonction de narcissique se brouille. Il faut se placer sur le la chaleur du corps qui la touche – témoigne côté pour retrouver une représentation pré- d’un intérêt plus large pour les formes d’in- cise et nette. Cette vision de biais pose avec teraction matérielle. Chez elle, l’abstraction délicatesse la question du sujet individuel qui n’est donc jamais l’expression de la pleine n’est plus qu’une silhouette lorsqu’il s’observe autonomie d’un objet, mais plutôt un proces- frontalement et doit opérer un décentre- sus de transformation, la forme d’un échange ment. Miroirs ou la métaphore de la fragilité – aussi concret que les traces de craie sur un de la conscience de soi. mur devenu tableau noir.

262 263 Véronique Joumard Véronique Joumard Since the middle of the 1980s, Véronique the spectator who moves through the exhi- Joumard has been working on post-concep- bition spaces. By means of this slight shift, tual style honed-down works, where elec- Véronique Joumard creates a poetic take tric light is most often a bare component. on reception that we also find in herMiroirs Linked closely to architecture, her works are whose surfaces have been covered over with rhizomatic rather than serial in aspect, as is prism film. Looked at face on, the reflec- the case of the installation Sans titre dat- tion becomes smoky, the narcissistic image ing from 1995, where a network of wires ran becomes blurred. You have to stand to the along a wall, broadcasting music from a hi-fi side and look in order to see a clear precise via multiple loud-speakers hung around the image. This side-on vision delicately elicits room. This spatialisation / suspension is a way the question of the individual subject who is of making visible to the eye the undulatory no longer but a silhouette when he looks at phenomenon of sound. In the same way, the himself head-on and who thus has to stand frequent use of heat sensitive paint – chang- off-centre. Miroirs or the metamorphosis of ing colour depending on the temperature the fragility of self-conscience. of the body that touches it – bears witness to a more wide-ranging interest in interac- F.D. tions between materials. Thus, for Véronique Joumard, abstraction is never the expres- sion of the total autonomy of an object, but rather a process of transformation, a form of exchange – as concrete as the marks of cray- ons on a wall that has become a blackboard. Travelling is a photographic diptych that presents an architectural site that is either under construction or abandoned, wide open to the sea and azure sky. In spite of the gap between the two images, they form a contin- uous panorama. The work plays on the trans- position of vocabulary which is inherent to cinema and discreetly questions the place of

88

88 Miroirs, 2003

264 265 Véronique Joumard Véronique Joumard qui conçoit l’idée d’un personnage dans un cadre filmique, celle de l’actrice qui assume le rôle tout en marquant de sa présence une résistance à la construction physique et ima- ginaire, celle de l’interprète véritable qu’est Valérie Jouve en définitive le spectateur. Almost on a scale of 1:1, a woman liter- Née en 1964 à Saint-Étienne (Loire) / Born in 1964 in Saint-Étienne ally seems to be holding her body, upright, Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris motionless, straight. Slender and dark, with sharp contours, the silhouette has nothing stiff about it: as if on the lookout for some- thing, she seems ready to move forward in a smooth movement. The face confirms the Sans titre (Les Figures retained energy as do the sharpness of the avec Aurelia Negrea), 2006 gaze, the jut of the taut features. In spite of Tirage chromogène contrecollé sur aluminium / Chromogenic print this quality of presence, the image doesn’t mounted on aluminium Presqu’à l’échelle 1:1, une femme semble lit- permit a psychological investigation; this is 170 × 135 cm téralement tenir son corps, debout, immo- what makes Valérie Jouve’s work stand out bile, droit. Longiligne et sombre, cernée avec from traditional portrait work. The designa- Achat à la galerie Xippas en 2011 / netteté, la silhouette n’a pourtant aucune tion of the corpus to which this photograph is Purchased from Xippas Gallery in 2011 raideur : comme à l’affût, elle semble prête attached bears witness to that: ‘Sans titre (Les à s’avancer d’une souple détente. Le visage Figures)’. This last term is somewhat fictional, confirme la rétention d’une énergie, par rather like the one that particularises another l’acuité du regard, la saillie des traits tendus. ensemble, ‘Sans titre (Les Personnages)’. The Malgré cette qualité de présence, l’image name of the lady finally follows the subtitle, n’autorise pas une investigation psycholo- in brackets. She has a role, perhaps her own gique, c’est en cela que le travail de Valérie role, but she’s playing it, fully concentrated. Jouve se distingue du genre traditionnel du In spite of her strong articulation, the envi- portrait. La désignation du corpus auquel est ronment, through its abstract nature, remains rattachée cette photographie en atteste : indeterminate. Futurist, closed, yet not in the « Sans titre (Les Figures) ». Ce dernier terme least oppressive: the figure’s pressure, in spite relève de la fiction, tout comme celui qui par- of its slenderness and its stagnation, opens ticularise un autre ensemble, « Sans titre (Les spatiality. The harmony of the bodies, both Personnages) ». Le nom de la dame suit enfin human and architectural, imposes itself; le sous-titre, dans les parenthèses. Elle tient the roundness of the bodice is in resonance un rôle, peut-être son propre rôle, mais elle with the curves of the volumes, the vertical 89 le joue, tout en concentration. axis of the position is aligned on the decor’s Malgré sa forte articulation, l’environnement, motifs. The gaze follows the building’s lines par son abstraction, demeure indéterminé. of force, creating a breakaway outside the Futuriste, fermé, il n’a pourtant rien d’op- image, which, henceforth, affirms itself as a pressant : la pression de la figure, en dépit place of cumulative projections: that where de sa sveltesse et de son statisme, ouvre we find the artist who conceives the idea of a la spatialité. L’accord des corps, humain et character within a photographic framework, architectural, s’impose ; l’arrondi du corsage that where we find the actress who takes on résonne avec les courbes des volumes, l’axe the role whilst marking with her presence a vertical de la position s’aligne sur les motifs resistance to the physical and imaginary con- du décor. Le regard suit les lignes de force struction, that where we find the veritable 89 du bâtiment, créant une échappée hors de performer who, finally, is the spectator. Sans titre (Les Figures avec Aurelia Negrea), 2006 l’image qui, dès lors, s’affirme comme lieu de projections en cascade : celle de l’artiste C.M.

266 267 Valérie Jouve Valérie Jouve Žilvinas Kempinas

Né en 1969 à Plunge (Lituanie) / Born in 1969 in Plunge (Lithuania) Vit et travaille à New York (États-Unis) / Lives and works in New York (United States)

grâce à la ventilation, la bande magnétique Airborne, 2008 permet à l’artiste de réinventer la notion de Bande mini DV, deux ventilateurs sculpture tout en modifiant la perception que Dimensions variables / Unspooled magnetic tapes, le visiteur peut avoir de l’espace. two ventilators D’une simplicité enfantine, Airborne est com- Variable dimensions posée de deux ventilateurs fixés au plafond et d’une bande nouée en boucle qui couvre Achat à la galerie Yvon Lambert la superficie de l’espace. Sous l’impulsion de en 2010 / Purchased from l’air, le ruban se met en lévitation, il flotte the Galerie Yvon Lambert in 2010 et danse inlassablement. Ce tournoiement incontrôlable nous rappelle que l’art est vivant au point de respirer. Airborne fait par- tie de cette série d’œuvres aériennes qui ont révélé l’artiste au grand public, notamment lors de son exposition au Moma PS1 à New York 90 en 2003. Tout comme Double Zero ou Flying 90 Airborne, 2008 Tape, cette pièce n’est pas sans nous rap- peler l’effet recherché par Marcel Duchamp, lorsqu’un jour de 1913, il décida de fixer une roue de bicyclette sur un tabouret : le plaisir de se laisser absorber par le mouvement hyp- notique de l’objet, savourant l’instant comme Fasciné depuis ses débuts par l’idée de mou- on suivrait les mouvements d’un feu de che- olutely low-tech with maximum visual, sound artist to mainstream fame, particularly dur- vement dans la sculpture, Žilvinas Kempinas minée. Les œuvres de Kempinas sont autant and sensorial impact. Stretched from one ing his exhibition at the Moma PS1 in New York a d’abord marché dans les pas d’artistes tels d’invitations à l’introspection et aux voyages spot to another across a space or hung in the in 2003. Like Double Zero or Flying Tape, this que Pol Bury ou Jack Vanarsky avant de faire oniriques. air, undulating because of the ventilation, the work also reminds us of the effect looked for de la bande magnétique son matériau de magnetic tape allows the artist to reinvent the by Marcel Duchamp, when one day in 1913, prédilection. Légère, réfléchissante, modu- Fascinated from the very start by the idea notion of sculpture whilst modifying the visi- he decided to attach a bicycle wheel to a lable à l’infini, la bande magnétique s’adapte of movement in sculpture, Žilvinas Kempinas tor’s perception of space. stool: the pleasure of letting yourself become en souplesse à toutes les situations gra- first followed in the steps of artists such as Pol Of childlike simplicity, Airborne is made up absorbed in the object’s hypnotic movement, phiques imaginées par l’artiste. Comme une Bury or Jack Vanarsky before making magnetic of two ventilators attached to the ceiling and savouring the moment as you would follow the ligne éternellement changeante tracée dans tapes his favourite material. Light, reflective, a piece of tape tied in a circle that covers movement of flames in a chimney. Kempinas’s l’espace, ce fragile ruban prélevé dans des infinitely modular, the magnetic tape adapts the surface of the space. Under the impetus works are as much invitations to introspec- cassettes audio désormais obsolètes lui per- easily to all the graphic situations the art- of the air, the tape starts to rise up, float- tion as they are to dreamlike journeys. met de réaliser des installations résolument ist imagines. Like an eternally changing line ing and dancing endlessly. This uncontrolla- low-tech au pouvoir visuel, sonore et sen- drawn through space, this fragile tape taken ble whirling reminds us that art is alive to the A.D. suel maximal. Tendue d’un point à l’autre de from audio cassettes which are now obsolete extent where it breathes. Airborne is part of l’espace ou bien suspendue en l’air, ondulant allow him to create installations that are res- this series of aerial works that brought the

268 269 Žilvinas Kempinas Žilvinas Kempinas Ian Kiaer

Né en 1971 à Londres (Royaume-Uni) / Born in 1971 in London (United Kingdom) Vit et travaille à Londres / Lives and works in London

et leurs liens possibles avec la pensée d’Aldo Arretche Studio Project (Pink), 2012 Rossi et joue sur le décalage entre le gigan- PVC, métal, crayon sur taffetas tisme des lieux et la délicatesse de l’interven- monté sur châssis, mousse, projecteur de diapositives, verre, tion de l’artiste. carton, plastique L’œuvre Arretche Studio Project (Pink) s’ap- Dimensions variables / puie également sur une interprétation d’un PVC, metal, pencil on taffeta ancien centre de télécommunications mounted on a chassis, mousse, slide construit à Rennes dans les années 1970 par projector, glass, cardboard, plastic Louis Arretche. Le dispositif, qui intègre un Variable dimensions châssis de fenêtre en aluminium issu du bâti- Achat à la galerie Marcelle Alix ment, met l’accent sur le résiduel, la pré- en 2012 / Purchased from carité d’objets et de matières à la présence the Galerie Marcelle Alix in 2012 discrète. Les différences d’échelle intro- duisent un doute sur leurs provenances et la nature de la « conversation » qui semble se nouer entre eux. Les œuvres de Ian Kiaer peuvent ainsi être perçues comme le résul- 91 91 tat d’un jeu ouvert. Les dimensions des objets Vue de l’œuvre Arretche Studio et des formes mis en scène, la relation qu’ils ties that they evoke. At his exhibition at the the nature of the ‘conversation’ that seems Project (Pink) au Frac pour l’exposition « Des pas entretiennent avec l’échelle du corps humain Centre International de l’Art et du Paysage in to be taking place between them. Ian Kiaer’s dans l’escalier », Caen, 2014 / indiquent le principe d’une manipulation Vassivière, in 2013, the artist imagined a dia- works can also be considered as the result of View of Arretche Studio Project facile. La récurrence de couleurs pâles ou logue with the building designed by Aldo Rossi an open game. The dimensions of the objects (Pink) at the Frac, “Des pas dans pastel nous oriente vers un imaginaire de l’en- and Xavier Fabre. The installation a.r. salle and forms that are presented, the relation- l’escalier” exhibition fance et de l’artificialité. des études, for example, evoked the utopian ship they have with the scale of the human La fragilité des matériaux utilisés par l’artiste projects of Claude-Nicolas Ledoux and their body, show the principle of ease of manipu- vient s’opposer aux fonctions de solidité et de possible links with Aldo Rossi’s reflections and lation. The recurrence of pale or pastel col- durabilité de l’architecture. Elle ouvre à l’idée played on the offset between the immensity ours guides us towards childhood imagination Ian Kiaer fonde son travail sur les tensions entre d’un paysage mental qui constitue peut-être of the place and the delicacy of the artist’s and artificialness. les vocabulaires de maquette d’architecture et un récit second de l’imaginaire architectural, presentation. The fragility of the materials used by the art- de l’art minimal, entre la peinture et la sculp- de ses dimensions utopiques et projectives, The work Arretche Studio Project (Pink) is also ist is in contrast with the functions of solidity ture, entre la « pauvreté » assumée des maté- traces d’une mémoire qui se fragmente et based on an interpretation of an old telecom- and durability of the architecture. It brings to riaux et les réalités qu’ils convoquent. Lors de s’efface peu à peu. munication centre built in Rennes in the 1970s mind a mental landscape which may consti- son exposition au Centre International de l’Art by Louis Arretche. The mechanism, which uses tute a hidden narrative of the architectural et du Paysage de Vassivière, en 2013, l’artiste Ian Kiaer bases his work on the tensions an aluminium window frame from the building, imagination, of its utopian and projective a imaginé un dialogue avec le bâtiment conçu between vocabulary inherent to architectural highlights what is residual, the precariousness dimensions, traces of a memory that breaks par Aldo Rossi et Xavier Fabre. L’installation scale models and minimalist art, between of objects and materials whose presence is up and is erased little by little. a.r. salle des études, par exemple, évoque les painting and sculpture, between the assumed so discreet. The differences in scale intro- projets utopiques de Claude-Nicolas Ledoux ‘poverty’ of the materials and the reali- duce a doubt as to where they come from and A.L.

270 271 Ian Kiaer Ian Kiaer Carlos Kusnir

Né en 1947 à Buenos Aires (Argentine) / Born in 1947 in Buenos Aires (Argentina) Vit et travaille à Marseille (Bouches-du-Rhône) et à Paris / Lives and works in Marseille and Paris

Sans titre, 2002 Acrylique sur bois avec pieds de maintien en bois / Acrylic on wood with wooden support Tel un combattant désarmé qui s’avance 306 × 310 cm contre des moulins à vent, Carlos Kusnir ins- talle ses grands panneaux peints tel ce Sans Achat à la galerie Chez Valentin titre de 2002. Posé de guingois sur des cales en 2006 / Purchased from de bois, il semble au bord de la catastrophe, la the Galerie Chez Valentin in 2006 peinture dégouline depuis une bassine accro- chée au sommet sur le motif finement peint. Le décor est planté et la scène de son auto- destruction commence. Refusant définitivement de coller ses pein- tures au mur de peur qu’elles y disparaissent, par peur de la figure imposée qui résonne comme la peur de la mort, c’est bien une 92 peinture qui n’est que vie que Carlos Kusnir « installe » de façon naturelle. Matériaux pauvres, contreplaqué déglingué, chutes de bois ou objets hétéroclites, chaises ou balai, bandes sonores issues de la variété fran- Carlos Kusnir installs his large painted panels paint, which is a priori a noble material, is çaise accompagnent le tableau ; la peinture, such as Sans titre from 2002, like unarmed dragged into life itself, much less ‘clean’. It a priori un genre noble, est plongée dans la fighters marching on windmills. Perched is by putting it in danger, precariously posi- vie même, beaucoup moins « propre ». C’est unsteadily on wooden blocks, seemingly on tioned, simply propping it up against the wall, en la mettant en danger, en équilibre incer- the brink of a disaster, the paint drips down wanting to extricate it from the context of the tain, en l’appuyant simplement au mur, en from a basin hung from the top of the finely conventional museum exhibition, that Carlos voulant l’extirper du contexte de l’exposition painted motif. The scene is set and its auto- Kusnir presents it. conventionnelle, muséale, que Carlos Kusnir destruction starts. He never strays far from popular culture, from la donne à voir. Refusing irrevocably to hang his paintings day-to-day life: it is with this simplicity that he De la culture populaire, de la vie de tous les on the wall in case they should disappear, injects an undeniable feeling of freedom into jours, il ne s’éloigne jamais beaucoup : c’est through fear of the compulsory figure that his universe; it is also there, in confrontation par cette simplicité qu’il injecte un indéniable sounds like the fear of death, it is effectively with reality, that he encounters the contra- sentiment de liberté à son univers ; c’est là a painting that embodies only life that Carlos diction, the cruelty and the vanity of all things. aussi que s’affrontant à la réalité, il rencontre Kusnir ‘installs’ in this very natural fashion. It is there that his painting comes back into la contradiction, la cruauté, la vanité de toute He uses poor materials, ramshackle ply- touch with fractures, wounds and fragility. chose. C’est là que sa peinture rejoint la cas- wood, off-cuts of wood or a motley assort- 92 Sans titre, 2002 sure, la blessure et la fragilité. ment of objects, chairs or a broom. French S.F. pop soundtracks accompany the picture; the

272 273 Carlos Kusnir Carlos Kusnir Philippe Kuznicki

Né en 1970 à Valenciennes (Nord) / Born in 1947 in Valenciennes Vit et travaille à Mouen (Calvados) / Lives and works in Mouen

Sans titre, 2001 Photographie couleur, tirage argentique / Colour photograph, silver print 105,5 × 158,5 cm Les photographies de Philippe Kuznicki Sans titre, 2001 déclinent presque toutes des motifs iden- Photographie noir et blanc tirée tiques, voire des obsessions : « le thème de sur papier baryté contrecollée mon travail s’articule autour du corps dans sa sur aluminium / Black and white photograph printed on baryta paper forme entière occupant un espace ou frag- mounted on aluminium menté, accolé à des volumes construits ou 110 × 160 cm récupérés ». Le corps nu, un corps en souf- 93 france le plus souvent, occupe la majorité Sans titre, 2001 des photographies de l’artiste. Ce corps aux Photographie couleur, tirage prises avec des questions de lourdeur, de et mort dans un groupe de soldats. Philippe through a looking glass, towards another body argentique, diasec / Colour photograph, silver print, Diasec pesanteur et de gravité résiste malgré tout. Kuznicki explique ainsi que cette « épopée which is ignored. The body is not so much 105,5 × 158,5 cm C’est parfois un corps qui disparaît, soit parce grecque finit non pas par l’utilisation de la an actor, a producer of gestures, but rather qu’il est masqué par un objet, soit parce que pierre mais engendre une escalade de vio- a catalyst and revealer of forces exerted on Achat à l’artiste en 2003 / la photographie devient floue. lence et de mort au sein d’un groupe en les it. The images are like so many self-portraits Purchased from the artist in 2003 Ses photographies portent en elles une cer- métamorphosant du règne humain au règne – the body featured is always the same one taine interrogation dont on perçoit assez vite minéral ». – and so many questions on the reality of a qu’il pourrait s’agir d’une traversée du miroir, body to be lived in, looked after or destroyed, vers un autre corps ignoré. Le corps n’est Practically all of Philippe Kuznicki’s photo- deformed, disturbed and of which, in any pas tant un acteur, un producteur de geste, graphs show a variation on identical, or even case one must assume the ‘vanity’. qu’un catalyseur et un révélateur des forces obsessional, images: ‘my work’s theme is Sometimes the body disappears totally. This is qui s’exercent sur lui. Les images sont autant centred on the full body occupying a space the case in one of the photographs in the col- d’autoportraits – le corps mis en scène est or fragmented, contiguous to composed or lection that shows stones set out on a table toujours le même – et autant de questions reclaimed volumes’. The naked body, often and chairs and for which the artist says he was sur la réalité d’un corps à vivre, à soigner ou a body that suffers, occupies the majority of inspired by the mythological Greek figure of à détruire ; déformer, déranger et dont de the artist’s photographs. This body, strug- Cadmus, who with the simple throw of a stone toute façon, il faudra assumer la « vanité ». gling with questions of heaviness, of weighti- elicited mistrust and brought about death Le corps parfois disparaît complétement. ness and gravity, resists in spite of everything. amongst a group of soldiers. Philippe Kuznicki C’est le cas de l’une des photographies de Sometimes, it’s a body that’s disappearing, explains that this ‘Greek epic does not end la collection représentant des pierres dis- either because it’s hidden by an object, or with the use of the stone, but provokes an posées sur une table et des chaises, pour because the photograph is blurred. escalade of violence and death within a group laquelle l’artiste dit avoir été inspiré par le His photographs contain a certain interroga- by changing them from being under human 93 Sans titre, 2001 personnage légendaire grec Cadmos, qui par tion and we relatively rapidly realise that it reign to under mineral reign’. un simple lancé de pierre suscite méfiance may have to do with a question of passage

274 275 Philippe Kuznicki Philippe Kuznicki Lucas L’Hermitte

Né en 1943 à Gouville-sur-Mer (Manche) / Born in 1943 in Gouville-sur-Mer Vit et travaille à Regnéville-sur-Mer (Manche) / Lives and works in Regnéville-sur-Mer

Erinnerung Mémoire, 2000 Livre d’artiste non paginé (35 pages) accompagné d’une œuvre originale Acétylène sur polyester papier / Non-paginated artist’s book (35 pages) accompanied by an original piece of artwork Acetylene on polyester paper 21 × 26 cm 94 Achat à la galerie Stadtpark en 2003 / Purchased from the Galerie 94 Stadtpark in 2003 Erinnerung Mémoire, 2000

À l’occasion d’une exposition, Lucas à une autre, d’une journée à une autre 1 ». Lucas L’Hermitte published the work entitled has of another, from one day to the next1’. L’Hermitte a publié l’ouvrage Erinnerung Dans la série « Hier-Aujourd’hui », la toile est Erinnerung Mémoire (30 copies) for an exhi- In the ‘Hier-Aujourd’hui’ series, the canvas is Mémoire (30 exemplaires). Le livre présente divisée en deux parties égales. L’artiste réa- bition. The book presents a text by Thierry divided into two equal parts. The artist does un texte de Thierry Larcher ainsi que la liste lise une première partie, la cache et tente le Larcher as well as the list of works from vari- the first part, hides it and tries to recreate des œuvres de différentes expositions et leur lendemain de la reproduire dans la seconde ous exhibitions and the illustration for their the same thing on the second part the follow- dessin d’accrochage. Il revient à cette occa- partie. Cette règle est une ascèse qui bute hanging. On this occasion he looks at the pro- ing day. This rule is a voluntary discipline that sion sur le protocole qui guide la création de quotidiennement sur son imperfection. tocol that guides the creation of his works. The founders daily on his imperfection. ses œuvres. L’œuvre originale, insérée dans Lucas L’Hermitte s’inscrit dans une tendance original artwork, which is inserted between Lucas L’Hermitte is part of a tendency in l’ouvrage et intitulée Hier-Aujourd’hui, per- de la peinture européenne des années 1970- the pages of the book and is called Hier- European painting of the 1970s-1980s that met de saisir l’aspect systématique et fragile 1980 qui fait d’un protocole défini par l’ar- Aujourd’hui, allows us to grasp the systematic makes a protocol defined by the artist, the de son protocole artistique. tiste la clé de voûte de son œuvre (tels que and fragile aspect of his artistic protocol. cornerstone of his work (such as Julije Knifer, Depuis 1980, cet artiste a renoncé à la figura- Julije Knifer, Vera Molnár, François Morellet). Since 1980, this artist has given up figura- Vera Molnár, François Morellet). With this tion au profit d’une abstraction minimaliste. Dans cette approche, le résultat est aussi tion in preference to minimalist abstraction. approach, the result is as important as the Ses tableaux sont des surfaces grises et cha- important que l’énergie mise à construire une His works are grey surfaces and each one is energy used throughout a lifetime to build a cune est unique. Le protocole est pourtant œuvre cohérente à l’échelle d’une vie. Il s’agit unique. Yet the protocol is similar from one coherent oeuvre. The point of this being for similaire d’une toile à l’autre. Sur le blanc de la de faire émerger la poésie du geste répétitif work to another. On the white canvas, he the repeated and controlled gesture to give toile vient se déposer le noir d’acétylène, for- et maîtrisé. puts a layer of black acetylene, thus forming rise to poetry. mant ainsi un gris plus ou moins dense. Il n’y a a more or less grey layer. There is no binding aucun liant, seul un coton de lustrage permet agent; the artist uses a simple cotton polish- C.P. à l’artiste d’appliquer la poudre noire. Chaque ing cloth to apply the black powder. Every day,

jour, le processus se répète et révèle un tra- 1. Propos de l’artiste : Thierry Larcher, Lucas L’Hermitte, he repeats the process, bringing forth a work 1. Quote from the artist, in Thierry Larcher, Lucas L’Hermitte, vail sur la mémoire : « mémoire d’une surface Caen, Éditions Frac Basse-Normandie, 1996, p. 4. on memory: ‘the memory that one surface Caen, Éditions Frac Basse-Normandie, 1996, p. 4.

276 277 Lucas L’Hermitte Lucas L’Hermitte Emmanuelle Lainé

Née en 1973 à Maisons-Alfort (Val-de-Marne) / Born in 1973 in Maisons-Alfort Vit et travaille à Bruxelles (Belgique) / Lives and works in Brussels (Belgium)

Stellatopia #2, 2011 95 Stellatopia #3, 2011 Stellatopia #2, 2011 Impressions jet d’encre sur papier dos bleu Dimensions variables / Inkjet print on blue back paper Variable dimensions

Achat à la galerie Triple V en 2012 / Purchased from the Galerie Triple V in 2012

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Les sculptures et dessins d’Emmanuelle Lainé entre les mots « stella » qui fait référence à For a long time, Emmanuelle Lainé’s sculptures which refers to the shape of a star, and ‘ato- ont longtemps emprunté leurs caractéris- la forme d’une étoile et « atopie » qui signi- and drawings borrowed their characteristics pia’, which etymologically means ‘placeless- tiques à un répertoire zoomorphique imagi- fie étymologiquement « sans lieu, mal placé from an imaginary zoomorphic repertoire. ness, badly placed or misplaced’. naire. Quittant les représentations du réel, ou déplacé ». Leaving behind representations of the real It describes the artist’s modus operandi l’artiste donnait à ses travaux des formes Il décrit le mode opératoire de l’artiste pour world, the artist gave her works forms that for the creation of the in situ installation at qu’on aurait pu croire venues des océans les créer l’installation in situ au centre d’accueil one could imagine came out of the deep- the part-time therapeutic centre in Nevers. plus profonds ou encore de l’agrandissement thérapeutique à temps partiel de Nevers. Une est of oceans or from the enlargement of A work which is never where the spectator d’images observées au microscope électro- œuvre qui n’est jamais à la place à laquelle le images seen through a microscope. Leather, expects it to be. A sculpture that grows, in nique. Cuir, skaï, mousse, métal, matériaux spectateur s’attend. Une sculpture qui gran- skai, foam, metal, hard and soft materials, all directions, like a living organism, without durs et mous, angles arrondis, Emmanuelle dit comme un organisme vivant dans toutes rounded corners, Emmanuelle Lainé invented it being possible to impede its growth. This Lainé inventait des chimères ouvertes, indé- les directions, sans que l’on puisse arrêter open, indeterminate illusions, with attractive disclosure of the sculptural process is cre- terminées, aux formes séduisantes dont une sa croissance. Cette mise à nu du processus forms of which one of the particularities was ated thanks to the participation of the pho- des particularités était de laisser observer sculptural se crée grâce à la collaboration du that they offered a vision of the exterior of the tographer André Morin. With large format aussi bien le dehors que le dedans de l’œuvre. photographe André Morin. Celui-ci enregistre work as well as the interior. photographs, he records and renders the Bien que d’apparence très différente, la série et restitue, en grand format photographique, The series of five works to whichStellatopia #2 colonisation of the place by the materials, des cinq œuvres à laquelle appartiennent la colonisation du lieu par les matériaux, don- and Stellatopia #3 belong, although very dif- thus giving the work an eternally indetermi- Stellatopia #2 et Stellatopia #3 dépend de nant ainsi à l’œuvre un statut à jamais indé- ferent in appearance, depend on this register, nate status, between the real and the virtual, ce registre, de la volonté de rendre animé terminé entre réel et virtuel, entre l’objet et on the desire to make the work of sculptural between the object and its trace. et visible le travail de composition sculptu- sa trace. composition animated and visible by breaking rale en l’éclatant dans l’espace de travail. Le it up through the work space. The work’s title A.B. titre de l’œuvre est une invention, un collage is an invention, a collage of the words ‘stella’,

278 279 Emmanuelle Lainé Emmanuelle Lainé Artiste d’origine israélienne, Micha Laury déploie depuis la fin des années 1960 une abondante œuvre protéiforme. Autodidacte, il puise dans l’art américain des années 1950- 1960 et s’invente un vocabulaire original à partir de l’univers impersonnel du quotidien Micha Laury auquel il va donner une charge psychologique et sociologique. Le travail de l’artiste est inti- Né en 1946 à Behovot (Israël) / Born in 1946 in Behovot (Israel) mement lié au parcours de sa vie et la violence Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris qui l’a traversée, illustrée par une phrase de l’artiste, « le sourd écoute le muet, l’aveugle regarde l’estropié danser », gravée dans une feuille de plomb. Don’t Be a Chocolate Soldier est significatif Don’t Be a Chocolate Soldier, de l’élaboration de l’œuvre chez Micha Laury, 1969-1994 issu d’un ensemble de dessins des années Chocolat, bois, plexiglas / Chocolate, wood, plexiglas 1969-1970 ayant trait à des situations trau- 155 × 170 × 40 cm matiques – ensevelissement, asphyxie et aux expressions en usage dans l’armée dont ils Achat à l’artiste en 2005 / sont les transcriptions littérales. Les soldats Purchased from the artist in 2005 en chocolat devaient être réalisés et distri- bués dans les boulangeries et les magasins Burning Titles Selected Index 1967-2001, 2001 d’alimentation ; le projet de cette action fut Vidéo censuré en Israël en 1970 et ne trouva sa réa- Durée : 30 h 40 min. / lisation qu’en 1994 au musée des Beaux-Arts Video de Chartres. Les soldats en chocolat furent Duration: 30 hrs 40 mins offerts au public, ainsi associé au geste cri- tique de l’artiste. Achat à l’artiste en 2010 / Purchased from the artist in 2010 En 2001, l’artiste lance un vaste questionne- ment de son œuvre sous la forme de dessins 96 et de performances filmées. Il sélectionne cent quarante-quatre de ses œuvres qu’il dessine dans un format unique (65 × 50 cm). En parallèle, il recrée avec des allumettes les mately linked to his life course and the vio- offered to the public who were thus associ- titres de ces œuvres sur une plaque de métal. lence he lives through, illustrated by one ated to the artist’s act of criticism. Sous l’œil d’une caméra, l’artiste enflamme of his phrases, ‘the deaf man listens to the In 2001, the artist launched a vast examina- les allumettes dès que l’inscription est ache- dumb man, the blind man watches the crip- tion of his oeuvre in the form of drawings and vée. De manière répétitive et rituelle, pendant pled man dance’, which is engraved on a fine filmed performances. He selected one hun- trente-deux heures, des mains anonymes for- lead sheet. dred forty-four of his works that he drew in ment, sous l’œil de la caméra, l’inventaire des Don’t Be a Chocolate Soldier is indicative of a unique format (65 × 50 cm). At the same titres sélectionnés avant de les sacrifier par the elaboration of Micha Laury’s works, part time, using matches, he recreated the titles le feu. of an ensemble of drawings carried out from of these works on a metal plaque. As the 1969-1970, touching on traumatic situations camera looked on, the artist set the matches Since the end of the 1960s, Micha Laury, an – being buried, suffocated and expressions alight as soon as the name had been finished. artist of Israeli origin, has been producing used in the army of which they are literal tran- Repetitively, in a ritual manner, for thirty-two an abundant protean oeuvre. Self-taught, he scriptions. The chocolate soldiers were to be hours, anonymous hands formed the inven- draws on American art of the 1950s-1960s, made and distributed in bakeries and gro- tory of the titles selected before sacrificing inventing an original vocabulary stemming cery shops; the project for this action was them to the flames as the camera watched on. 96 from of his impersonal day-to-day environ- censored in Israel in 1970 and would only be Don’t be a Chocolate Soldier, 1969-1994 ment to which he gave a psychological and carried out in 1994 at the Musée des Beaux- sociological charge. The artist’s work is inti- Arts in Chartres. The chocolate soldiers were

280 281 Micha Laury Micha Laury Bertrand Lavier

Né en 1949 à Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or) / Born in 1949 in Châtillon-sur-Seine Vit et travaille à Aignay-le-Duc (Côte-d’Or) et à Paris / Lives and works in Aignay-le-Duc and in Paris

de Versailles, l’artiste dit avoir retenu une Philips, 2008 notion essentielle : la greffe, cette « idée que Spots, rails, jonctions électriques / l’on peut prendre deux choses pour en faire Spotlights, rails, electrical connections une troisième qui aura une identité aussi forte 200 × 200 × 23 cm que les deux autres ». C’est ainsi que la greffe prend entre un coffre-fort et un réfrigéra- Achat à la galerie Yvon Lambert teur, le premier devenant le socle du second en 2009 / Purchased from the pour une œuvre aux allures de totem. De la Galerie Yvon Lambert in 2009 même manière, avec la série des « Objets peints », Bertrand Lavier additionne sculp- ture et peinture afin de nous amener à une réalité augmentée. Des figures qu’il admire, tels Mark Rothko ou Frank Stella, il se plaît à transposer le travail dans des matériaux diffé- 97 rents. C’est ainsi qu’il sort la peinture du tube Philips, 2008 pour faire de la peinture « en tube » grâce à une juxtaposition de néons qui sont une cita- tion explicite des œuvres de Stella. Aussi concrète qu’énigmatique, l’œuvre inti- 97 tulée Philips reprend le nom de la marque Un canapé Mae West sur un congélateur des douze ampoules qui la composent. about reality than its capacity to delight him. such as Mark Rothko or Frank Stella, he takes Bosch, un souffleur de feuilles sur un meuble Positionnées sur quatre rails en guise de Unclassifiable and indomitable, far from the pleasure in replicating their works using dif- art déco, une Alfa Roméo rouge accidentée cadre, elles éclairent le mur et nous rappellent codes and genres that he constantly tries to ferent materials. Thus he brings paint out nommée Giulietta, un piano à queue repeint avant toute chose que l’art, sous toutes ses break, Bertrand Lavier’s oeuvre contains a of a tube to make painting ‘en tube’ thanks à gros coups de pinceaux, un casque de moto formes, n’est rien de plus qu’une question de mystery whose key could effectively be hid- to a juxtaposition of neon lights that are an présenté sur une tige telle un trésor de l’art regard et de mise en valeur. Celle-ci dépend den in a haystack. From his studies at the explicit reference to Stella’s works. primitif – certains ne voient dans l’œuvre tout simplement du cadrage et de l’éclairage. École Nationale Supérieure d’Horticulture in The work called Philips which is as concrete de Bertrand Lavier que la continuité avec le Versailles, the artist says he has retained one as it is enigmatic, uses the brand name of the ready-made de Marcel Duchamp. Or, fuyant la A Mae West sofa on a Bosch freezer, a leaf essential notion: the graft, the ‘idea that you dozen light bulbs that constitute it. Positioned froideur et la neutralité industrielle, Bertrand blower on a piece of Art Deco furniture, a can take two things to make a third whose on four rails that form a frame, they light up Lavier n’aime rien de plus dans le réel que damaged red Alfa Romeo called Giulietta, a identity will be as strong as the two others’. the wall, reminding us that art, first and fore- sa capacité à le faire jubiler. Inclassable et grand piano painted with large brushstrokes, In this manner the graft takes between a safe most, in all its forms, is nothing more than a indomptable, loin des codes et des genres a motorbike helmet presented on a rod like and a refrigerator, the first becomes the base question of the way you look at it and the way que l’artiste cherche à casser en perma- a treasure of primitive art – some only see of the second, creating a work that looks like it’s showcased. All this is simply dependent on nence, l’œuvre de Bertrand Lavier renferme in Bertrand Lavier’s works the continuity of a totem. In the same fashion, with his ‘Objets framing and lighting. un mystère dont la clé pourrait bien se trou- Marcel Duchamp’s ready-made. Yet, as you peints’ series, Bertrand Lavier adds sculpture ver dans une botte de foin. Car de ses études pull back from the industrial coldness and to painting, in order to present us with aug- A.D. à l’École nationale supérieure d’horticulture neutrality, Bertrand Lavier likes nothing more mented reality. With figures that he admires,

282 283 Bertrand Lavier Bertrand Lavier For the artist, the choice of material neces- sarily leads to the final subject. The themes are to a large extent inspired by those found in nature, which is his main subject of inves- tigation. The immediate accessibility of the artist’s work hides the aesthetic issues that Laurent Le Deunff are at the heart of his sculptures, and it would be a mistake to see these as simply popu- Né en 1977 à Talence (Gironde) / Born in 1977 in Talence lar themes updated to suit today’s tastes. Vit et travaille à Cenon (Gironde) / Lives and works in Cenon The subjects that the artist deals with and the technique he has developed (primarily carving directly onto the material, but also modelling) confirm the absence of any hier- n’y voir qu’une reprise de motifs populaires archy or formal category. Nœud de Trompe V Nœud de trompe V, 2012 remis à un certain goût du jour. Les sujets belongs to a group of works completed in Papier mâché, ciment, bois / que l’artiste traite, la technique qu’il déve- 2012 on the theme of the elephant’s trunk. Papier mâché, cement, wood 180 × 110 × 35 cm loppe – essentiellement la taille directe, mais Laurent Le Deunff retains just one part of aussi celle du modelage – affirme l’absence the animal, which then becomes a sculptural Achat à la galerie Semiose en 2012 / de toute hiérarchie ou catégorie formelle. theme to develop. The trunk, or what is left of Purchased from the Galerie Semiose Nœud de trompe V appartient à un ensemble it, becomes a hanging shape made of papier in 2012 d’œuvres réalisées en 2012 sur le motif de mâché and cement, which features a collec- la trompe d’éléphant. Laurent Le Deunff ne tion of knots: a kind of revisited Möbius strip. retient que cette partie de l’animal qui devient The artist enjoys countering the properties of pour lui un motif sculptural à exploiter. La certain materials, especially cement, whose trompe, ou ce qu’il en reste, donne à voir une use seem incompatible with the idea of mak- forme suspendue faite en papier mâché et ing supple and light shapes. This unusual use en ciment qui figure un ensemble de nœuds, of material places his techniques in the tradi- 98 sorte d’anneau de Möbius revisité. L’artiste tion of earlier sculptural techniques, including Nœud de trompe V, 2012 s’amuse à déjouer les propriétés de certains those of Max Bill and his granite “Unendliche matériaux, le ciment notamment, dont l’uti- Schleife” [Endless Ribbons], from the early lisation semble incompatible avec l’idée de 1930s. In his sculpture and in his own way, réaliser des formes souples et légères. Cet Laurent Le Deunff seems to be pursuing the emploi inhabituel du matériau inscrit son idea of an art of doing, far removed from the geste dans la continuité de précédents gestes worn-out aesthetic of ready-made. Laurent Le Deunff réalise des sculptures qui sculpturaux parmi lesquels ceux de Max Bill et oscillent entre objets d’art, objets manufac- de ses « Unendliche Schleife » [Rubans sans V.D.C. turés et objets d’artisanat. L’artiste s’amuse à fin] en granit, au début des années 1930. À sa brouiller les pistes et joue de ce savoir-faire et manière, Laurent Le Deunff semble, dans sa de cet aspect « fait main » qu’il n’hésite pas à sculpture, poursuivre l’idée d’un art du faire, exacerber lorsqu’il réalise des petites œuvres bien loin de l’esthétique usée du ready-made. en rognures d’ongles ou en dents d’animaux sculptées qui pourraient facilement se situer Laurent Le Deunff creates sculptures that aux confins d’une forme artistique qui rappel- oscillate between art objects, manufactured lerait celle de l’art brut. objects, and handicraft objects. The art- Pour l’artiste, le choix du matériau induit ist enjoys adding an element of confusion, le sujet réalisé. Les motifs s’inspirent très playing around with his knowledge and this largement de ceux issus de la nature, qui ‘homemade’ aspect. Indeed, he even read- demeure sa source principale d’investigation. ily exaggerates it, such as in his small works L’accessibilité immédiate du travail de l’ar- made with nail clippings or sculpted animal tiste cache des enjeux esthétiques qui sont teeth, which could easily fit within an artistic au cœur de sa sculpture et il serait erroné de context reminiscent of art brut. 98

284 285 Laurent Le Deunff Laurent Le Deunff Simon Le Ruez’s work is based on the fusion between different genres and mediums which makes for surprising creations, full of contra- dictions. A Familiar Place for the Very First Time is part of a series of sculptures where a day-to-day object is diverted from its usual Simon Le Ruez use to become part of an unusual scene: an ironing board bears the replica of an aban- Né en 1970 à Jersey (Royaume-Uni) / Born in 1970 in Jersey (United Kingdom) doned building, whose vegetation bears wit- Vit et travaille à Sheffield (Royaume-Uni) et à Berlin (Allemagne) / ness to stigmata of the passing of time. Lives and works in Sheffield (United Kingdom) and in Berlin (Germany) The juxtaposition of assorted elements starts with the very title and carries on through dif- ferent aspects of the sculpture: the scale on which objects are represented and the 99 A Familiar Place for the Very transposition of an entire landscape on to a First Time, 2009 A Familiar Place for the Very household object that seems fragile intro- Bois, acier, béton, plastique, First Time, 2009 peinture / Wood, steel, concrete, duce a tension, a mystery, or even a feel- plastic, paint ing of unease, that spread throughout the 116 × 36 × 105 cm space surrounding the sculpture upturning the spectator’s certainties. The oscillation Achat à l’artiste en 2014 / Purchased between household space and metaphoric from the artist in 2014 landscape is at the very heart of the work, in line with the quest for what Simon Le Ruez calls ‘in-between-ness 1’, a way of considering the work as being between dream and real- ity, reflecting the mental process behind the creation whilst bringing new plastic and aes- thetic solutions. Le travail de Simon Le Ruez repose sur la appelle « in-between-ness 1 », une façon de This sculpture can with no doubt be included fusion entre les genres et les médias pour concevoir l’œuvre entre rêve et réalité, reflé- in a body of works entitled ‘Colonia’ which is donner des créations surprenantes, pétries tant le processus mental derrière la créa- inspired by an Italian building from the 1930s, de contradictions. A Familiar Place for the tion tout en apportant de nouvelles solutions which was intended for use as a holiday camp Very First Time fait partie d’une série de plastiques et esthétiques. for the children of the fascist party mem- sculptures où l’objet utilitaire du quotidien Cette sculpture s’inscrit sans doute dans un bers 2. This building, which was conceived as est détourné afin de participer à une mise en corpus d’œuvres intitulé « Colonia », inspiré a sort of place of well-being, for sporting and scène insolite : une table à repasser accueille d’une construction italienne des années 1930 leisure activities, is in ruins today, and is the sur sa planche la maquette d’un bâtiment destinée aux colonies de vacances d’enfants reflection of a derelict utopia. Old utopias are 99 abandonné, dont la végétation témoigne des des membres du parti fasciste 2. Ce bâtiment, thus confronted, in this work, to the sarcastic stigmates du temps qui passe. imaginé comme un lieu de bien-être, d’en- and humorous nature of its title. La juxtaposition d’éléments hétéroclites com- traînement sportif et de loisir, est aujourd’hui mence dès le titre et s’étend sur différents en ruines, reflet d’une utopie dilapidée. Les N.T. aspects de la sculpture : l’échelle de repré- anciennes utopies sont ainsi confrontées sentation des objets et la transposition de dans cette œuvre au commentaire sarcas- tout un paysage sur un objet domestique qui tique et non dépourvu d’humour de son titre. paraît fragile instaurent une tension, un mys- tère, voire un malaise, qui se propage dans l’espace environnant la sculpture, bouscu- lant les certitudes du spectateur. L’oscillation 1. Rory Biddulph, « In-between Territories », disponible 1. Rory Biddulph, ‘In-between Territories’. Available at: entre espace domestique et paysage méta- sur : http://vane.org.uk/essays/in-between-territories- http://vane.org.uk/essays/in-between-territories-rory- rory-biddulph biddulph phorique se place au cœur de l’œuvre, en 2. Propos de l’artiste. Disponible sur : http://www.simon- 2. Quote from Simon Le Ruez. Available at: http://www. accord avec la quête de ce que Simon Le Ruez leruez.net/library/interviews/ simonleruez.net/library/interviews/

286 287 Simon Le Ruez Simon Le Ruez matter and becoming part of the history of an art whose secrets artists have been trying to uncover since the beginning of time. Farida Le Suavé shows a rare skill in her work with ceramics, creating organic and fleshly works that defy matter. Farida Le Suavé Conversation is an ensemble made up of two abstract elements, placed on the floor, fac- Née en 1969 en France / Born in 1969 in France ing each other. These two creased flesh-col- Vit et travaille en France / Lives and works in France oured fragments are hollow. The sensation of being faced with some exposed intimate body part hinges on very little: the pinkish colour and the shapes call to mind skin folds. The Conversation est un ensemble composé de curves of the two sculptures are like a sen- Conversation, 2003 deux éléments abstraits se faisant face, dis- sual rugged landscape. This sculpture, which Grès ciré / Waxed sandstone posés à même le sol. De couleur chair, ces is approximately 50 cm high, is observed 57 × 62 × 70 cm ; 57 × 57 × 80 cm deux fragments plissés sont creux. La sensa- from above, where one looks down into its tion d’être face à une intimité exposée tient dark cavity. The work’s title, which is always Achat à l’artiste en 2007 / finalement à peu de choses : la couleur rosée important with this artist, highlights the com- Purchased from the artist in 2007 et les formes pouvant rappeler des plis de plementary nature of the two shapes as much chair. Les courbes des deux sculptures for- as their disparity. One of the elements can be ment un paysage accidenté et sensuel. Cette considered as rather masculine, stiffer, whilst sculpture, haute d’environ 50 cm, se regarde the other, which has a larger base, brings to du dessus et offre au regard une plongée dans mind femininity. The disparities become more sa cavité obscure. Le titre de l’œuvre, tou- noticeable as one leans in: the supple aspect jours important chez cette artiste, vient sou- contrasts with the hardness of the mate- ligner la complémentarité des deux formes rial used, the fragile balance contradicts 100 tout autant que leur disparité. L’une peut their position on the ground, the desire to Conversation, 2003 être considérée comme plutôt masculine, touch the sculptures is impeded by the fra- plus en tension, tandis que l’autre plus élar- gility of the ceramics and the folds become gie à la base évoque la féminité. Les dispa- breakable in certain parts. Alive, these forms rités finissent par s’accumuler quand on s’y seem to move and invite one to move around penche un peu : l’aspect souple s’oppose à them to better perceive their contours, their la dureté du matériau, l’équilibre fragile vient strengths and their fragilities. contredire l’implantation au sol, l’envie de L’œuvre de Farida Le Suavé est essentielle- toucher est empêchée par la fragilité de la C.P. ment constituée de sculptures réalisées à céramique et les plis deviennent cassants par base de terre cuite. De formes abstraites, elles endroit. Vivantes, ces formes semblent bou- évoquent souvent des fragments de corps, et ger et invitent à un déplacement permet- plus généralement un espace intime. Puisant tant d’appréhender ses contours, ses forces dans l’histoire de l’art et dans la mytholo- comme ses fragilités. gie, ces œuvres dialoguent avec le temps et proposent de reconsidérer la céramique et Farida Le Suavé’s oeuvre is essentially made up sa puissance évocatrice. Revenir à la terre, of sculptures made from terracotta. Abstract c’est rendre la chaleur au matériau vivant et in shape, they often bring to mind body parts s’inscrire dans une histoire de l’art dont les and more generally, an intimate area. Greatly artistes cherchent depuis toujours à percer influenced by the history of art and mythol- les secrets de la matière. Travaillant la céra- ogy, these works dialogue with time and sug- mique avec une maîtrise rare, Farida Le Suavé gest the reconsideration of ceramics and produit une œuvre organique et charnelle qui their evocative power. Returning to the earth défie la matière. means rendering the warmth of this living 100

288 289 Farida Le Suavé Farida Le Suavé Ange Leccia

Né en 1952 Minerviu (Haute-Corse) / Born in 1952 in Minerviu Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

d’effacer la stricte frontière entre le réel et La Mer, 2001 l’imaginaire, traduisant le vertige contempo- Vidéo couleur, muet rain de la raison. Durée : 5 min. / Colour video, silent La Mer est une œuvre fondée sur le change- Duration: 5 mins ment et la répétition. Ce plan fixe en boucle montre des vagues qui s’échouent inlassa- Achat à la galerie Almine Rech blement sur une plage (précisément celle du en 2004 / Purchased from site de Nonza dans le Cap Corse). Mais le lieu the Galerie Almine Rech in 2004 connaît surtout une abstraction à la faveur du cadrage serré et du basculement du motif à 90 degrés. La Méditerranée est ici renversée de façon à être déréalisée et rendue à sa puis- sance visuelle. L’écume blanche contraste 101 101 avec les galets noirs. Elle produit des formes La Mer, 2001 qui se métamorphosent sous l’emprise du ressac. Le retrait de la ligne d’horizon par- ticipe de cette affirmation de la mer à la fois comme énergie et comme matière. Car si Ange Leccia se fait connaître dans les années la représentation peut susciter la contem- sity, such as Explosions (1995) and Orage a 90 degree slant. The Mediterranean Sea is 1980 pour ses Arrangements, des face-à-face plation, elle n’engage pas uniquement l’œil. (2000). The films he produces in super 8, inclined here so as to be stripped with its d’objets industriels appartenant au monde de Elle appelle tous les sens dans une perspec- with Dominique Gonzalez-Foerster, are poet- connection to reality and rendered solely in la communication. La réactivation du ready- tive quasi organique. Le flux marin crée de ical wanderings that offer an attentive reading its visual power. The white spume contrasts made duchampien prend une forme épurée multiples oscillations qui font écho à la pul- of our fascination for images. Whether it’s in with the black shingles. It produces shapes qui fait parfois appel à des éléments imma- sation du monde, mais également à celle du his full-length feature Nuit bleue (2009), or in that metamorphose under the influence of tériels comme la lumière ou la fumée. Il réa- corps. La Mer présente ainsi une planéité Logical Song (2013), his monumental installa- the backwash. The withdrawal of the skyline lise ensuite un certain nombre d’installations paradoxale, qui submerge le spectateur pour tion at the MAC / VAL, Leccia plays upon the participates in this affirmation of the sea as vidéo, dont la simplicité n’a d’égale que l’inten- mieux lui donner à sentir les battements de porosity of the psyche with regard to fanta- both an energy and a substance. Because if sité, tels qu’Explosions (1995) ou Orage (2000). son propre cœur. sies and memories. He proposes physical rep- representation can elicit contemplation, it Les films qu’il réalise, en super 8, avec la col- resentations that allow for the strict frontier doesn’t only bring the eye into play. It calls laboration de Dominique Gonzalez-Foerster, Ange Leccia gained recognition in the 1980s between reality and imagination to be erased, upon all of the senses in a quasi-organic per- sont des errances poétiques qui offrent une with his Arrangements, juxtapositions of expressing the present-day disequilibrium of spective. The sea tides are created by a mul- interprétation sensible de notre fascination industrial objects that belong to the world reason. titude of undulations that are an echo of the pour les images. Que ce soit dans son long- of communication. The reactivation of La Mer is a work based on change and repe- world’s pulsations but also those of the body. métrage Nuit bleue (2009) ou son installa- Duchamp’s ready-made took a honed-down tition. This repetitive still frame shows waves Thus La Mer offers a paradoxical planarity that tion monumentale au MAC / VAL Logical Song form that sometimes called upon immaterial relentlessly breaking on a beach (which is in submerges the spectator so that he may bet- (2013), Leccia joue avec la porosité de la psy- elements such as light or smoke. He then cre- fact Nonza on Cap Corse). But abstraction is ter feel the beatings of his own heart. ché vis-à-vis des fantasmes et des souvenirs. ated a number of video installations, whose brought to the place through the use of tight Il offre des représentations incarnées afin simplicity was only equalled by their inten- framing and the orientation of the image on F.D.

290 291 Ange Leccia Ange Leccia 102 Efflorescence I, 2001-2002

Bernard Legay

Né en 1956 à Alençon (Orne) / Born in 1956 in Alençon Vit et travaille à Saint-Martin-de-Fontenay (Calvados) / Lives and works in Saint-Martin-de-Fontenay

Efflorescence I, 2001-2002 Acrylique, caséine et vernis sur toile / Acrylic, casein and varnish on canvas 180,5 × 180,5 cm

Achat à l’artiste en 2003 / Purchased from the artist in 2003

102

L’œuvre du normand Bernard Legay se déve- grand format de la collection du Frac est The work of Norman artist Bernard Legay less spangled with a myriad of colours, sprin- loppe comme une exploration de la matière, néanmoins pailleté d’une myriade de cou- evolves like an exploration of matter, which kled across their surfaces. As you draw close qui retient l’attention de l’artiste sous toutes leurs, qui émaillent la surface du tableau. retains the artist’s attention in all its forms to the works, these minuscule touches of col- ses formes – minérales, végétales, liquides ou Quand on s’approche de la toile, ces minus- – mineral, vegetal, liquid or solid1. Polymorph, our reveal themselves to be minute fragments solides 1. Polymorphe, sa pratique se déploie cules touches de couleurs se révèlent être his works can take the form of paintings, of paint, that the artist calls a ‘dispersion of en peinture comme en sculpture et en instal- de petits éclats de peinture, que l’artiste sculptures or installations. These various skin flakes on fresh varnish2’. This interpre- lation. Ces divers modes d’expression tendent désigne comme une « dispersion de squames modes of expression tend to chart Bernard tation tends to orient our understanding of à rendre compte de l’intérêt de Bernard Legay sur vernis frais 2 ». Cette interprétation tend Legay’s interest for the body, conveying it in the title Efflorescence towards its chemical pour le corps, traduit sur un mode abstrait. à orienter notre compréhension du titre an abstract fashion. meaning, rather than its botanical meaning. Teintés de connotations religieuses ou pro- Efflorescence en faveur de son acception Laced with religious connotations or emerg- Effectively, in his work, Bernard Legay shows venant du registre géographique, les titres de chimique plus que botanique. Bernard Legay ing from a geographic register, the titles of his his interest in the process of transformation ses séries reflètent cette prédilection ; elles s’intéresse en effet aux processus de méta- series reflect this preference; they are called and the consequences of the action of time, se nomment « Peaux, Chairs, Desquamation, morphose et aux conséquences de l’action ‘Peaux, Chairs, Desquamation, Stigmates’ or when his artistic sensitivity doesn’t lead him Stigmates » ou encore « Topographies du temps sur l’œuvre, quand sa sensibilité ne ‘Topographies intimes’. As well as this the- directly to leave it up to the natural elements intimes ». Outre cette unité thématique, le porte pas directement à confier aux élé- matic harmony, the works also share the same to make the forms flourish. ces œuvres partagent également une même ments naturels le soin de faire proliférer les chromatic palette. palette chromatique. formes. Although dominated by the grey hue which C.D. Bien que dominé par cette tonalité grise is recurrent in the artist’s corpus, the FRAC’s récurrente dans le corpus de l’artiste, le collection of large format works is neverthe-

1. Christophe Bisson : Entretien Bernard Legay / Philippe 1. Christophe Bisson: Interview of Bernard Legay with Godderidge. Disponible sur : https://cafedesimages.fr/ 2. Propos de l’artiste. Disponible sur : http://bernard Philippe Godderidge. Available at: https://cafedesimages. 2. Quotation from the artist. Available at: http://bernard bernard-legay-et-philippe-godderidge/ legay.fr/peintures/les-efflorescences fr/bernard-legay-et-philippe-godderidge/ legay.fr/peintures/les-efflorescences

292 293 Bernard Legay Bernard Legay Gauthier Leroy travaille par assemblage d’images, de signes et de formes hétéro- clites issus notamment de la publicité et des comics, du design et de l’architecture. Divers jeux de correspondances se créent entre les œuvres et les éléments qui les composent, Gauthier Leroy par l’utilisation de matériaux façonnables (bois, métal, céramique), les rapports de cou- Né en 1967 à Valenciennes (Nord) / Born in 1967 in Valenciennes leurs et d’échelles. C’est aussi une circulation Vit et travaille à Trith-Saint-Léger (Nord) / Lives and works in Trith-Saint-Léger entre les images, les mots, les typographies qui permet la construction d’une nouvelle unité à partir d’objets dont les fonctions quo- tidiennes et utilitaires ont été détournées. The XX Century’s Wolf est une maquette de la The XX Century’s Wolf, 2007 Bad Penny, 2014 Maison sur la cascade de Frank Lloyd Wright, Bois, métal, caoutchouc, céramique, Bois, plâtre, céramique, tissu, posée sur un grand bidon de pétrole de cou- mousse polyuréthane, plexiglas, peinture, bambou, métal, peau techniques mixtes / de mouton, peinture murale / leur bleue. L’œuvre offre plusieurs niveaux Wood, metal, rubber, ceramic, Wood, plaster, ceramics, fabric, paint, de lecture, combinant des références à la polyurethane foam, plexiglas, bamboo, metal, sheepskin, publicité, à une figure animale appartenant mixed media wall painting à la culture amérindienne et aux objets de 150 × 59 × 70 cm 200 × 200 cm la société industrielle et consumériste du xxe siècle. Ce principe de collage est nourri Achat à la galerie Aliceday en 2009 / About Faces Pottery, 2014 Purchased from the Galerie Aliceday About Fake Pottery, 2014 par l’intérêt de l’artiste pour certains styles in 2009 Hi Fat Cans, 2014 musicaux, dont le blues, dans lesquels on Hi Dog Fans, 2014 retrouve, outre le procédé de composition, World Record, 2010 Bois, acier, céramique, plastique, une association entre éléments archaïques et Bill Haley, 2010 tissu, résine, acrylique, vernis / modernes. Il est également question d’assem- Horsepower, 2010 Wood, steel, ceramics, plastic, fabric, blage dans la série « Smocking Corn & Bone », Queens of the Stone Age, 2010 resin, acrylic, varnish Black Keys, 2010 122 × 170 × 10 cm réinterprétation de la lampe Potence de Jean Sérigraphies sur papier Velin Prouvé, dont le style moderniste est perturbé d’Arches / Silkscreen prints Achat à l’artiste en 2014 / par des sculptures en céramique figurant des on Velin d’Arches paper Purchased from the artist in 2014 épis de maïs chevelus et colorés, humanisés 110 × 75 cm par des mégots de cigarettes. Dans cinq séri- graphies datant de 2010, le jeu avec des typo- Don de l’artiste en 2014 / Donated by the artist in 2014 graphies différentes et les titres des œuvres pousse plus loin la confusion dans l’iden- Smocking Corn & Bone, 2014 tification des objets, des fonctions et des Acier, céramique émaillée, fer, peau messages. En intégrant dans ses œuvres les de mouton, laiton, acrylique / pratiques du bricolage, de la customisation et 103 Steel, glazed ceramics, iron, du sampling, en y insérant des éléments qui sheepskin, brass, acrylic 100 × 50 × 8 cm viennent de l’atelier, Gauthier Leroy crée un vocabulaire formel qui ne se laisse pas assi- ceau de bleu de travail. Ainsi, les œuvres de Fishbone (Diagram), 2014 miler. Bad Penny, encore, interroge le cycle Gauthier Leroy se chargent de dimensions Acier, peinture, bois, céramique, des crises économiques en reprenant le des- critiques qui constituent un au-delà réjouis- caoutchouc, corde, plâtre, fer sin satirique d’un personnage qui chevauche sant des formes postmodernes de la « sculp- Dimensions variables une arête de poisson (référence aux carica- ture marchandise 1 ». (longueur minimum : 5 m) / Steel, paint, wood, ceramics, tures politiques d’Ad Reinhardt et à la théorie rubber, rope, plaster, iron du fishbone diagram qui permet de visualiser Varying dimensions les causes d’un problème). Sa tête imite le 103 (minimum length: 5 m) 1. Hal Foster, Le Retour du réel. Situation actuelle de The XX Century’s Wolf, 2007 graphisme d’un smiley et est décorée d’un l’avant-garde (1996), Bruxelles, Éditions La Lettre volée, couvercle de boîte de conserve et d’un mor- coll. « Essais », 2005.

294 295 Gauthier Leroy Gauthier Leroy Gauthier Leroy works by bringing together The XX Century’s Wolf is a model of Frank Lloyd images, signs, and heterogeneous shapes, Wright’s Fallingwater set upon a big blue pet- drawn in particular from advertising and com- rol drum. The work can be read on several lev- ics, design and architecture. Various match- els, combining references to advertising, to ing games are created between the works and an animal figure belonging to American Indian the elements of which they are composed, culture, and to objects of the industrial and through the use of materials that are to be consumer society of the 20th century. This shaped and formed (wood, metal, ceramics), collage approach is fed by the artist’s inter- and through connections with colour and est in certain musical styles, such as blues, scale. A circulation also emerges between where, in addition to the composition pro- the images, words, and typographies, which cess, an association between archaic and allow a new unit to be created from objects modern elements can be seen. The issue of whose daily and utilitarian functions have assemblage can also be found in the series been appropriated. ‘Smoking Corn and Bone’, a reinterpreta- tion of Jean Prouvé’s Potence lamp, whose modernist style is upset by ceramic sculp- tures featuring coloured corn cobs with hair, made to seem human by the fact of smoking cigarette butts. In five silkscreen prints dat- ing from 2010, this game of differing typog- raphies and the titles of works pushes the confusion in identifying objects, functions, and messages ever further. By incorporat- ing do-it-yourself aspects, customisation, and sampling into his works and by insert- ing elements that come from the workshop, Leroy creates a formal vocabulary that evades 105 assimilation. In another example, Bad Penny questions the cycle of economic crises by 104 picking up the satirical drawing of a person Smocking Corn & Bone, 2014 riding a fishbone (alluding to the political car- toons of Ad Reinhardt and the theory of the fishbone diagram, that enables the causes of a problem to be visualised). The head imitates the style of a smiley-face and is decorated with the lid from a can and a piece of blue overalls. And so, the works of Gauthier Leroy 105 Vue des œuvres About Faces are loaded with critical dimensions that make Pottery, Fishbone (Diagram), up a cheerful background to the postmodern Hi Dog Fans au Frac pour l’exposition forms of ‘commodity sculpture’.1 « Hi Fat Cans ! », Caen, 2014 / View of the works About Faces Pottery, A.L. Fishbone (Diagram), Hi Dog Fans at the Frac, “Hi Fat Cans!” exhibition

1. Hal Foster, The Return of the Real: The Avant-Garde at the End of the Century (1996) (Cambridge: MIT Press). 106 Bad Penny, 2014 104 106

296 297 Gauthier Leroy Gauthier Leroy Maria Loboda

Née en 1979 à Cracovie (Pologne) / Born in 1979 in Krakow (Poland) Vit et travaille à Berlin (Allemagne) / Lives and works in Berlin (Germany)

Mountain and Valley, 2013 107 Tissu et structure en bois / Mountain and Valley, 2013 Material and wooden structure 31 × 110 × 81 cm

Achat à la galerie Maisterravalbuena en 2013 / Purchased from the Maisterravalbuena Gallery in 2013

107

Le travail de Maria Loboda repose sur une idée simplicité du geste renvoyant à l’art préhis- Maria Loboda’s work is based on a fundamental evokes prehistoric art, the work questions fondamentale : le monde est un cosmos mys- torique, l’œuvre interroge les systèmes de idea: the world is a mysterious cosmos made the customary perception systems and read- térieux, composé de signes et d’énigmes sans perception ainsi que les mécanismes de lec- up of signs and enigmas that have no answer. ing mechanisms that the spectator brings into réponses. À travers ses œuvres, l’artiste ne ture habituels que le spectateur met en place Through her works, the artist doesn’t try to play once faced with the work. The utopia of a cherche pas à apporter des solutions, mais une fois devant l’œuvre. Utopie d’un paysage bring solutions but rather to make these mys- mental landscape, transcribed in matter and à intégrer ces mystères dans ses créations, mental transcrite dans la matière et posée teries part of her creations, inviting the spec- placed directly on the floor,Mountain and invitant le spectateur à en décrypter les mes- discrètement sur le sol, Mountain and Valley tator to decrypt messages contained within, Valley embodies the banality of an aesthetic sages, toujours différents et instables. incarne la banalité d’une proposition esthé- which are always different and unstable. proposition that passes unnoticed or, on the Dans Mountain and Valley, on retrouve la tique qui passe inaperçue ou, au contraire, la In Mountain and Valley, we find the repre- contrary, the unattractive beauty of a future représentation d’un paysage incarné dans beauté non attirante d’un paysage de l’avenir, sentation of a landscape in the form of cut- landscape which holds no aesthetic interest. une découpe de bois peint, revêtu d’un mor- dénué d’intérêt esthétique. out wood, painted and covered in a piece of In Maria Loboda’s oeuvre, no object is deprived ceau de tissu récupéré, reprenant la forme Dans la production artistique de Maria salvaged material, that takes the undulating of symbolism and they all remain in constant ondulée d’un paysage composé de mon- Loboda, aucun objet n’est privé de symbo- form of a landscape made up of mountains mutation, in order to renew their meanings. It tagnes et de vallées. Néanmoins, cette arti- lisme et reste toujours en mutation, afin de and valleys. Nevertheless, this formal struc- is therefore down to the spectator to read the culation formelle, témoignant d’influences renouveler les significations. Au spectateur ture bears witness to minimalist influences work as he wishes. The keys to its reading are minimalistes non dénuées d’une certaine donc de lire l’œuvre comme il le souhaite. which are not completely void of a certain limited but ‘after all, histories need space; it tension, est en harmonie avec la volonté de Les clés de lecture sont limitées, mais « après tension, in line with Maria Loboda’s desire is not necessary to divulge all’2. Maria Loboda, qui voit dans l’austérité un tout, les histoires nécessitent de l’espace ; il which sees in austerity a ‘conscious aes- « choix esthétique conscient 1 ». De par la n’est pas besoin de tout divulguer 2. » thetic choice1 ’. Through its simplicity which N.T.

1. Propos de l’artiste tirés du communiqué de presse 1. Quote from the artist, taken from the press release de son exposition personnelle « Dead Guardian » au from her personal exhibition ‘Dead Guardian’, held at the Kunstverein de Braunschweig (Allemagne), du 22 mars au 2. Amy Sherlock, « Decoding Maria Loboda’s enigmatic Kunstverein in Braunschweig (Germany), from 22 March 2. Amy Sherlock, ‘Decoding Maria Loboda’s enigmatic 1er juin 2014. archaeology », Frieze, n°172, juin-août 2015. to 1st June 2014. archaeology’, Frieze, n°172, June-August 2015.

298 299 Maria Loboda Maria Loboda Mac Adams

Né en 1943 à Bryumawr (Royaume-Uni) / Born in 1943 in Bryumawr (United Kingdom) Vit et travaille à Montclair (États-Unis) / Lives and works in Montclair (United States)

qui laisse place à l’interprétation. Au départ, Half Truths, Untitled 3, 2002 un scénario opaque au goût de déjà vu, décliné Diptyque en diptyque : un homme à la chemise perlée Photographie noir et blanc contrecollée sur PVC / de sang gît inconscient à l’avant d’une voiture, Diptych et son attaché-case ouvert laisse entrevoir Black and white photograph des documents ainsi qu’un objet métallique mounted on PVC et deux dés, qui rappellent ceux qui sont 78 × 170 cm suspendus à son rétroviseur ; la deuxième 108 image remet en scène ce motif des deux Achat à la galerie In Situ-Fabienne Leclerc en 2003 / Purchased from dés, tatoués sur la hanche d’une femme en the Galerie In Situ-Fabienne Leclerc peignoir postée devant une table où l’on dis- in 2003 tingue deux verres, une bouteille d’alcool et le même objet métallique aperçu dans la pre- mière image. L’écriture d’une histoire à partir In Mac Adams tracks flourish the crimes of the artist, because it’s there that the narra- de deux ou trois images est ce qui intéresse a wild society, a showcase of a society filled tive void comes in to play – this void, that in l’artiste, car c’est là qu’entre en jeu le vide with tragic absurdity – the ideal raw mate- the cinema describes the space between the narratif – ce vide qui, dans le cinéma, décrit rial for this artist who, since the 1970s, prac- successive moving images: ‘What I’m inter- l’espace qui existe entre les images animées tises narrative photography, his reflection on ested in, is what goes on in the space between successives : « Ce qui m’intéresse, c’est ce qui the mechanisms of narration and his close those images […] and the multiples narratives 108 se passe dans l’espace entre ces images […] relationship with fiction. The suspended nar- that those spaces conjure up, in particular in Half Truths, Untitled 3, 2002 et les narrations multiples que ces espaces ratives of the ‘Half Truths’ series clearly char- the very specific context of the mystery’1. For évoquent, en particulier dans le contexte très acterise Mac Adams’s philosophy: a relative Mac Adams, situating a story within a space spécifique du mystère 1. » Chez Mac Adams, la economy of means for an open narrative evidently comes down to the on camera / off mise en espace d’une histoire tient, bien sûr, that leaves room for interpretation. To start camera dialectic and extremely meticulous de la dialectique champ / hors-champ et au with, an opaque scenario with something of framing work. But the narrative construc- travail très minutieux des cadrages. Mais la déjà vu, presented as a diptych: a man whose tion also occurs through the multiple trib- construction narrative opère également par shirt is covered in drops of blood lays uncon- utes that the artist pays to the black novel Dans le parcours de Mac Adams fleurissent les les multiples hommages que l’artiste rend scious in the front of a car, his open attaché- as well as to the history of photography or crimes d’une société sauvage, un théâtre du au roman noir comme à l’histoire de la pho- case gives us a glimpse of some documents, cinema. Timeless and attached to the prolif- monde empli d’absurdité tragique – matière tographie ou du cinéma. Hors du temps et a metal object and two dice, which make us eration of references, the artist tracks down première idéale pour cet artiste engagé dès dans la prolifération des références, l’artiste think of the ones hanging on his rear-view the persistence of what is sombre, grey areas les années 1970 dans la pratique de la photo- traque ainsi la persistance du noir et les zones mirror; the second photograph presents the that are magnetic and come together in truth graphie narrative, sa réflexion sur les méca- d’ombre, magnétiques, qui unissent vérité et image of two dice, tattooed on the hip of a and fiction. nismes du récit et son étroite relation à la fiction. woman wearing a dressing gown, in front of a fiction. Les narrations suspendues de la série table where we see two glasses, a bottle of E.P. « Half Truths » caractérisent précisément la alcohol, and the same metal object that we

philosophie de Mac Adams : une relative éco- 1. François Cheval, Alexandre Quoi, Le Vide narratif : Mac saw in the first photograph. Writing a story 1. François Cheval, Alexandre Quoi, Le Vide narratif: Mac nomie de moyens pour une narration ouverte, Adams, Marseille, Le Bec en l’air, 2010. using two or three images is what interests Adams, Marseille, Le Bec en l’air, 2010.

300 301 Mac Adams Mac Adams Made in Éric

Né en 1968 à Caen (Calvados) / Born in 1968 in Caen Vit et travaille à Romainville (Seine-Saint-Denis) / Lives and works in Romainville

Best of, 1997 109 Photographie couleur contrecollée Best of, 1997 sur PVC / Colour photograph mounted on PVC 180 × 270 cm

Achat à l’artiste en 2003 / Purchased from the artist in 2003

109

Dans les années 1990, Made in Éric utilise artistes justifiant les représentations d’un In the 1990s, Made in Éric used his body as a the representation of a body that is suffering, son corps comme support d’actions qui corps souffrant, agressé et agressif par leurs support for actions that showed a reified body aggressed and aggressive, Made in Éric bases montrent un corps réifié, soumis à des situa- revendications politiques, Made in Éric fonde subjected to situations where it was regarded his approach on the principle of a hesitation tions l’apparentant par exemple à un objet ou sa démarche sur le principe d’une hésitation as an object or a piece of furniture, for exam- maintained between the different states of à un meuble. L’artiste transforme son corps maintenue entre différents états du corps ple. The artist transformed his body into a the human body – the mechanical body, gen- en « corps-objet », en sculpture vivante. Ce humain – corps mécanique, sexué ou asexué, ‘body-object’, a living sculpture. This project dered or non-gendered, social, exhibited ... projet invite à une remise en question des social, exhibé... Jamais totalement objectivé, invites the reassessment of social behav- Never completely objectivised, the body is comportements sociaux dans des sociétés le corps y est à la fois un élément de jeu, de iour in societies dominated by conformism, both the element of a game, of disturbance dominées par le conformisme, le consumé- perturbation et de lien avec l’environnement. consumerism and utilitarian rationales. The and a link to the environment. Mistreated, risme et les logiques utilitaristes. L’invention Malmené, menacé par l’accident dans des invention of the ‘body-object’ also allows, threatened by accident in absurd or comic sit- du « corps-objet » permet ainsi, selon l’ar- situations absurdes ou comiques, le « corps- according to the artist, for the ‘existence of uations, the ‘body-object’ is also the instru- tiste, « l’existence de n’importe quel corps ». objet » est aussi l’instrument d’un détourne- any body’. It evokes resistance towards the ment of a misappropriation of the standard of Il suggère une résistance à l’omniprésence ment des canons du nu dans l’histoire de l’art omnipresence of body images that particu- the nude in the history of art and of its rep- d’images du corps qui particularisent et comme de ses représentations médiatiques. larise the individual, enclosing him in stereo- resentation in the media. It’s the vision of a enferment l’individu dans des stéréotypes et C’est l’apparition d’un corps réfractaire et types and extreme aesthetic standards. body which is resistant and acrobatic, ‘lucid des modèles esthétiques extrêmes. acrobatique, « conscience lucide, également, The photomontage Best of brings together conscience, also, of ourselves as a substance Le photomontage Best of réunit les images de de nous-mêmes saisis en tant que substance images from several actions by Made in Éric occupied with life and not as a figure.’1 plusieurs actions de Made in Éric qui portent occupée de vivre, et non en tant que figure 1. » which all bear the same title, Supplément toutes le même titre, Supplément d’informa- d’information. His naked body becomes one A.L. tion. Son corps nu devient tour à tour barre after the other a showjumping rail, a plough- d’obstacle hippique, soc de charrue et acces- share, and a clothing accessory, wrapped

soire vestimentaire s’enroulant autour du bas- 1. Paul Ardenne, L’Image corps. Figures de l’humain dans around a man’s waist. Contrary to some art- 1. Paul Ardenne, L’Image corps. Figures de l’humain dans sin d’un homme. À la différence de certains l’art du XXe siècle, Paris, Éditions du Regard, 2002, p. 494. ists who use their political claims to justify l’art du XXe siècle (Paris: Éditions du Regard, 2002), 494.

302 303 Made in Éric Made in Éric Éric Madeleine

Né en 1968 à Caen (Calvados) / Born in 1968 in Caen Vit et travaille à Romainville (Seine-Saint-Denis) / Lives and works in Romainville

support d’information sur lequel un fragment Toujours tout droit, 2000 de plan est dessiné. L’action dans l’image est Mieux voir, 2001 concentrée sur la main prise comme objet, Photographies couleur contrecollées sur aluminium / support d’une utilité immédiate, stricte- Colour photographs mounted ment fonctionnelle. Dans Mieux voir, un on aluminium homme penché à sa fenêtre d’immeuble 100 × 135 cm mime une situation d’observation avec des jumelles. Quatre bras qui viennent du bas de Achat à l’artiste en 2003 / l’image symbolisent le prolongement de cette Purchased from the artist in 2003 longue-vue virtuelle. Ici aussi, c’est la dimen- sion énigmatique du corps qui domine, l’effet d’un corps objectivé. Or, ce qui est censé caractériser notre monde, c’est qu’il se veut un monde de la relation, de la communication avant toute chose. Les deux 110 110 Toujours tout droit, 2000 photographies d’Éric Madeleine illustrent une relation inégalitaire des corps. Quelque chose manque. Il y a une mise en contact mais le véritable échange est exclu, car ce sont des corps morcelés, aux singularités virtuelles et inaccessibles. Par ces tensions entre corps- Éric Madeleine questionne le statut du corps objet et corps-sujet, l’artiste poursuit ses lection, the representation of the body has Yet, what is supposed to characterise our humain dans l’espace et ses évolutions au sein réflexions sur la persistance d’un corps en changed and the individual is put in to contact world is its desire to be a world of relation- de sociétés dominées par les logiques utili- lutte avec un environnement qui tend à le with another body part. In Toujours tout droit, ships and communication above all. The two taristes. Observant les gestes et les compor- déposséder de sa liberté et de son humanité. created in Rome whilst watching tourists lost photographs by Éric Madeleine illustrate tements qui définissent notre être social, il in the city, a hand becomes the support for an unequal relationship between bodies. réalise d’abord dans les années 1990, sous le Éric Madeleine questions the status of the some information with the fragment of a map Something is missing. A liaison is created, but nom de Made in Éric, de nombreuses actions human body within space and its evolutions drawn on it. The action in the image is con- real exchange is excluded because these are montrant un corps fonctionnel devenu objet within societies dominated by utilitarian log- centrated on the hand which is considered parcelled bodies, with virtual and inaccessi- de manipulations incongrues (son corps nu ics. Observing the gestures and behaviours as an object, a support which is immediately ble singularities. With these tensions between se transforme en pied de micro, balançoire, that define our social being, he first of all useful and strictly functional. In Mieux voir, a the body as an object and the body as a sub- escalier, etc.). undertook in the 1990s, using the name Made man leaning out of the window of his building ject, the artist continues his reflection on Dans les deux photographies de la collection in Éric, numerous actions showing a func- mimes an observation situation with binocu- the persistence of a body struggling with an du Frac, la représentation du corps a changé tional body that had become the object of lars. Four arms coming up from the bottom environment that tends to dispossess it of its et l’individu est mis en relation avec un autre incongruous manipulations (where his naked of the image symbolise the prolongation of freedom and its humanity. morceau de corps. Dans Toujours tout droit, body is transformed into a microphone stand, these virtual binoculars. Here also, it’s the réalisée à Rome en observant des touristes a swing, a stairway, etc.). enigmatic dimension of the body that domi- A.L. perdus dans la ville, une main devient ainsi un In the two photographs from the Frac’s col- nates with the effect of an objectivised body.

304 305 Éric Madeleine Éric Madeleine 111 Art / Gens, 1990-1991

Gilles Mahé

Né en 1943 à Guingamp (Côtes-d’Armor) / Born in 1943 in Guingamp Décédé en 1999 à Saint-Briac-sur-Mer (Ille-et-Vilaine) / Died in 1999 in Saint-Briac-sur-Mer

du photocopieur une devise de leur choix, money into a work of art’ were diffused on Art / Gens, 1990-1991 de sorte que l’acheteur détermine lui-même a monitor whose base carried a transpar- Photocopie couleur sur papier / le prix de l’œuvre qu’il acquiert. Gilles Mahé ent urn. Finally, holding pride of place on this Colour photocopy on paper 29,7 × 21 cm tente ainsi de perturber les traditionnelles podium was a photocopier equipped with a lois du marché de l’art. Aussitôt photocopié, glass plaque engraved with the name and logo Don en 2002 / Donation in 2002 l’argent prend place dans l’urne avant d’in- of the event, destined to mechanically pro- tégrer les besoins essentiels de l’artiste (se duce works of art. loger, payer ses factures, etc.). En échange, The visitors were invited to place the cur- le participant obtient instantanément une rency of their choice on the photocopier œuvre originale : la photocopie couleur de sa screen, so that the purchaser could deter- contribution à Art / Gens. mine for himself the price of the artwork he Si le stand est un lieu de transaction, il est was going to acquire. Thus Gilles Mahé tried to aussi un lieu de dialogues où l’artiste, sou- upturn the traditional laws of the art market. vent présent, débat de son statut d’artiste- As soon as the photocopy had been made, the entrepreneur, « d’esthétique relationnelle » money was placed in the urn before integrat- et d’originalité de l’œuvre. Un événement ing the artist’s basic needs (having a roof over va cependant contraindre à l’arrêt momen- his head, paying his bills, etc.). In exchange, tané puis à la modification d’Art / Gens. Un the participant instantly obtained an original vol avec effraction entraîne une première piece of artwork: a colour photocopy of his En 1990, Gilles Mahé est invité à participer à enquête policière pour vol, puis une seconde contribution to Art / Gens. l’exposition « Art & Pub » au Centre Georges pour faux-monnayage. Diverses interventions If the stand was a place where transactions Pompidou à Paris. À cette occasion, il publie administratives et judiciaires conduisent l’ar- occurred, it was also place for dialogues un numéro spécial de son journal Gratuit, tiste à proposer une alternative : la mention where the artist, often present, exchanged reproduit les pages de celui-ci sous la forme « faux » apparaîtra désormais sur les œuvres on his status as an artist-entrepreneur, on 111 d’une installation au 5e étage et réalise une produites. ‘relational aesthetics’ and the originality of a œuvre majeure intitulée Art / Gens qui réunit work. An event forced a momentary halt and l’ensemble de ses préoccupations. In 1990, Gilles Mahé was invited to partici- then the modification ofArt / Gens. A break- Gilles Mahé utilise les codes de la publicité pate in the exhibition ‘Art & Pub’ at the Centre in entailed a first policy inquiry for theft, then pour mettre en place un dispositif aux allures Georges Pompidou in Paris. On this occasion, a second for counterfeiting money. Various de stand commercial. Des messages attractifs he published a special edition of his news- administrative and judicial interventions led tels que « Faites de votre argent une œuvre paper Gratuit, reproducing its pages in the the artist to propose an alternative: the anno- d’art » sont diffusés sur un moniteur dont le form of an installation on the 5th floor and tation ‘false’ would now appear on the works socle est pourvu d’une urne transparente. he created a major work called Art / Gens, produced. Enfin, un photocopieur équipé d’une plaque which brought together all the issues that de verre, gravée aux mentions et signature de concerned him. I.R. l’événement, trône sur ce podium destiné à Gilles Mahé used advertising codes to put in produire mécaniquement des œuvres d’art. place the mechanism that looked like a sales Les visiteurs sont invités à placer sur la vitre stand. Attractive messages such as ‘Turn your

306 307 Gilles Mahé Gilles Mahé Derelict buildings, parcels of ploughed fields, abandoned agricultural machines, ordinary places, commonplace architectures, day-to- day objects, obsolete tools: what interests and fosters Didier Marcel’s work is everything that is usually qualified as ‘decommissioned’. Didier Marcel For a good number of years, the artist has been exploring places that others no longer Né en 1961 à Besançon (Doubs) / Born in 1961 in Besançon visit. There he finds banal forms that he takes Vit et travaille à Dijon (Côte-d’Or) / Lives and works in Dijon away or reproduces, often with very modest materials (cardboard, cement, plaster, resin, wrought iron) then he creates monstration mechanisms that deconstruct the idea of Des habitats déchus, des fragments de nature and bring into being his contemporary Sans titre (Prefab Church, champs labourés, des machines agricoles decorative construction. d’après E.T.), 2009 délaissées sont autant de lieux banals, d’ar- Thus, a bale of wheat straw is contained Maquette en résine acrylique teintée, laiton, système rotatif chitectures ordinaires, d’objets quotidiens, within an elegant volume of Altuglas, com- débrayable, support en acier d’outils obsolètes. Ce qui est habituellement monplace vegetables, pumpkins or tomatoes galvanisé sondé / Coloured qualifié de « déclassé » intéresse et nour- are presented perpendicular to the cyma on acrylic resin scale model, brass, rit l’œuvre de Didier Marcel. Depuis de nom- galvanised metal supports, birch logs whose disconnecting rotary system, breuses années, l’artiste explore des lieux extremities are covered in polished stain- support in galvanised soldered steel que d’autres n’arpentent plus. Il y repère des less steel, lie on a floor covered in foil. The 128,5 × 59 × 94,5 cm formes banales qu’il prélève ou reproduit à work Sans titre (Prefab Church, d’après E.T.) Achat à la galerie Michel Rein en l’aide de matériaux souvent modestes (car- (2009), purchased by the Frac, is, in that 2009 / Purchased from the Galerie ton, ciment, plâtre, résine, fer forgé) puis way, emblematic of this scenographic intent. Michel Rein in 2009 conçoit des dispositifs de monstration qui Didier Marcel chose a photograph by the art- déconstruisent l’idée de nature et rappellent ist Éric Tabuchi, who is known for picking out sa construction contemporaine décorative. mundane signs from industrial culture, he Ainsi, un ballot de paille de blé est contenu had it reproduced as scale model and then dans un élégant volume d’altuglas, des légumes magnified it, installing it at height on a rotat- banals, citrouilles ou tomates, sont présentés ing motorised stand. His stagings, which are à la perpendiculaire de la cimaise sur des sup- often very sophisticated, produce an oxymo- ports en métal galvanisé, des rondins de bou- ron logic that opens the possibility of mul- leaux aux extrémités en inox poli reposent sur tiple interpretations with no dimension of un sol recouvert de papier aluminium. L’œuvre authority. By singling them out, they requalify Sans titre (Prefab Church, d’après E.T.) (2009), decommissioned places that, being so blasé, acquise par le Frac, est à cet égard embléma- we rarely look at any longer. tique de cette volonté scénographique. Didier Marcel a choisi une photographie de l’ar- A.L. tiste Éric Tabuchi, connu pour prélever des signes ordinaires de la culture industrielle, l’a faite reproduire en maquette, puis l’a magni- fiée en l’installant, en hauteur, sur un socle à moteur rotatif. Souvent très sophistiquées, ses mises en scène produisent une logique d’oxy- more qui ouvre à la pluralité des interpréta- tions sans aucune dimension d’autorité. Elles 112 requalifient, en les singularisant, des espaces Sans titre (Prefab Church, déclassés sur lesquels nos regards blasés ne se d’après E.T.), 2009 posent plus que rarement. 112

308 309 Didier Marcel Didier Marcel the logic and meaning of what is shown. The series of paintings of objects, such as ‘Sièges’ for instance, make use of their formal anal- ogies with ordinary, everyday elements. Yet the objects are arranged here like precious, enigmatic elements, whose colours perturb Maude Maris our identification further still. Some of Maude Maris’s sculptures are forms Née en 1980 à Caen (Calvados) / Born in 1980 in Caen in two dimensions that find themselves with Vit et travaille à Caen (Calvados) / Lives and works in Caen a third. A case in point, Tréteau is a painted wooden plank placed against a trestle. Inspired by the minimalist American artists, Maude Maris created Tréteau for an exhibi- Certaines des sculptures de Maude Maris tion at the Chapelle des Calvairiennes that Tréteau, 2010 sont des formes en deux dimensions qui s’en brought together several of her sculptures. Bois contreplaqué, bois massif, découvrent une troisième. Ainsi, est These volumes were based on representa- peinture glycéro / Plywood, Tréteau solid wood, oil-based paint une planche de bois peinte placée contre un tions of interior spaces, tombstones, and 210 × 139 × 190 cm tréteau. Inspirée par les artistes minimalistes church stones, becoming cubes, prisms, and américains, Maude Maris crée Tréteau pour polyhedrons. As we move around them, they Achat à l’artiste en 2010 / Purchased une exposition à la chapelle des Calvairiennes are distorted. Depending on the angle of view, from the artist in 2010 réunissant plusieurs de ses sculptures. Partant the wooden plank of Tréteau thus loses its de représentations d’espaces intérieurs, de density and simplicity. For the artist, these pierres tombales et d’églises, ces volumes volumes make up a kind of tableau, a three- deviennent cube, prisme et polyèdre. Au fur dimensional trompe l’œil. Each stylised and et à mesure de notre déplacement autour abstract volume appears to spring out of the d’eux, ils se distordent. Selon l’angle de vision, decor of an old painting. la planche de bois de Tréteau perd ainsi son The work of Maude Maris relies almost sys- 113 épaisseur et sa simplicité. Pour l’artiste, ces tematically on this principle of casting doubt, Tréteau, 2010 volumes composent une sorte de tableau, playing on the oscillations between surface un trompe-l’œil en trois dimensions. Chaque and depth. Her whole body of work radiates volume semble surgir du décor, stylisé et abs- with its mystery, evoking the complex compo- trait, d’une peinture ancienne. sitions of primitive Italian and Flemish paint- Le travail de Maude Maris s’appuie presque ings that cause a multiplicity of symbols and constamment sur ce principe de mise en contexts to coexist within a single image. Maude Maris s’intéresse aux questions de doute, jouant des oscillations entre surface perception et de représentation d’espaces et profondeur. L’ensemble rayonne par son A.L. architecturaux et de paysages qu’elle décline mystère, évoquant les compositions com- dans ses peintures, sculptures et dessins. plexes des peintures primitives italiennes et Une part de son travail s’organise ainsi en flamandes qui font coexister en une seule un jeu sur les confusions d’échelle, de pers- image une multiplicité de symboles et d’es- pectives et de dimensions. Si la vision de ses paces-temps. œuvres peut d’abord paraître familière, nous sommes bien vite plongés dans le doute quant Maude Maris focuses on questions relat- à la logique et au sens de ce qui est donné à ing to the perception and representation of voir. Les séries de peintures d’objets, comme architectural spaces and landscapes, creat- par exemple « Sièges », jouent de leurs ana- ing variations of these in her paintings, sculp- logies formelles avec des éléments ordinaires tures, and drawings. Part of her work is thus et quotidiens. Mais les objets y sont dispo- organised through a play on confusions of sés comme des éléments précieux, énigma- scale, perspective, and dimension. While the tiques, dont les couleurs viennent encore views in her artworks may at first seem famil- perturber l’identification. iar, we are rapidly plagued by doubts as to 113

310 311 Maude Maris Maude Maris Matthieu Martin

Né en 1986 à Bayeux (Calvados) / Born in 1986 in Bayeux Vit et travaille à Berlin (Allemagne) / Lives and works in Berlin (Germany)

page d’une revue de street art, lui donnant Refresh the Revolution, 2012 l’aspect d’un mur de briques. Ainsi, ce mur Vidéo couleur HD, son devient sa propre représentation et couvre Durée : 10 min. 51 s. / HD colour video, sound la multiplicité de signes dont il est normale- Duration: 10 mins 51 secs ment le support. Refresh the Revolution met en scène la restauration par l’artiste de la tour Sans titre 2 (Grid), 2013 blanche, un château d’eau constructiviste Magazine de graffitis en papier glacé conçu en 1929 par l’architecte Moïse Reicher peint à l’aérosol / Spray-painted à Ekaterinbourg, en Russie. Enchaînant divers graffiti magazine with glazed paper 22,5 × 60 cm plans fixes, le film documente l’artiste et son collectif à l’œuvre, cette performance Achat à la galerie ALB Anouk ayant pour but de « repeindre la tour dans sa 114 Le Bourdiec en 2013 / Purchased condition originale », les graffitis et publici- from the Galerie ALB Anouk tés ornementant l’édifice étant progressive- Le Bourdiec in 2013 ment dissimulés sous les couches de peinture 114 blanche. Refresh the Revolution, 2012 On peut dire du travail de Matthieu Martin non seulement qu’il commente la pratique du graffiti, mais encore qu’il en constitue une version conceptuelle en questionnant sa Les œuvres de Matthieu Martin partagent sou- nature même, rendant intelligibles et confron- fundamentally linked: in terms of their basic uments the artist and his collective at work, vent une affinité avec le graffiti. Néanmoins, tant les divers cadres interprétatifs que cette materiality, as pure, a-signifying paint, and with this performance aiming to ‘repaint the chez ce jeune plasticien, cela ne revient pas pratique omniprésente mais obscure appelle : conjointly, in phenomenal terms, as a sub- tower in its original condition’, the graffiti and pour autant à reconduire, dans le champ de auctorialité / anonymat, légalité / illégalité, stance able to spread and cover any kind of advertising decorating the structure are pro- l’art contemporain, les gestes de marquage art / non-art, création / destruction – caté- solid surface. gressively hidden under layers of white paint. d’une multitude anonyme et noctambule. En gories que l’artiste transcende allègrement In Untitled 2 (Grid), the artist appropri- We could say that Matthieu Martin’s work effet, dans la vidéo Refresh the Revolution, pour révéler la dimension poétique de nos ates this paradoxical logic of urban hygiene not only comments on the practice of graf- comme dans l’œuvre peinte Sans titre 2 (Grid), environnements urbains. by painting over a double-page spread of a fiti, but constitutes a conceptual version of ce lien avec le tag se déploie là où les deux street art magazine with spray-paint, giving it, by questioning its very nature, rendering pratiques sont le plus fondamentalement The artworks of Matthieu Martin often share it the appearance of a brick wall. This wall intelligible and confronting the various inter- liées : au niveau de leur matérialité de base, an affinity with graffiti. Nevertheless, for this thus becomes its own representation and pretive frameworks that this omnipresent comme peinture pure, a-signifiante, et corol- young artist, this does not mean reproduc- cover the multiplicity of symbols for which yet obscure practice draws on: authorship / lairement, à un niveau phénoménal, comme ing, within the field of contemporary art, the it usually serves as the medium. Refresh the anonymity, legality / illegality, art / non-art, substance pouvant se répandre et recouvrir act of marking performed by an anonymous Revolution stages the restoration by the art- creation / destruction – categories that the tout type de surface solide. and nocturnal army. In the video Refresh the ist of the white tower, a constructivist water artist blithely transcends, revealing the poetic Dans Sans titre 2 (Grid), l’artiste s’appro- Revolution, as in the painting Untitled 2 (Grid), tower designed in 1929 by the architect Moses dimension of our urban environments. prie cette logique d’hygiène urbaine para- the connection with tags is deployed at the Reicher in Ekaterinburg, Russia. Through a doxale en repeignant à l’aérosol une double point where these two practices are most sequence of various static shots, the film doc- A.M.

312 313 Matthieu Martin Matthieu Martin Philippe Mayaux

Né en 1961 à Roubaix (Nord) / Born in 1961 in Roubaix Vit et travaille à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) / Lives and works in Bagnolet

nibalisme et érotomanie, elles débitent avec White War, 2005 amour les morceaux du corps de son aimée. Objets recouverts de plâtre, Si son univers ressemble à un grand jeu dont vitrine en verre / Objects covered in plaster, glass pane nous tentons de découvrir les règles, White 57 × 78 × 27 cm War n’hésite pas à verser dans l’humour noir. Dans une vitrine à la froideur chirurgicale, Achat à la galerie Loevenbruck on peut admirer d’étranges curiosités : une en 2006 / Purchased from série d’objets blancs. Cette pureté virginale the Galerie Loevenbruck in 2006 qui procure instantanément un sentiment de calme et de paix n’est pourtant qu’un leurre – les éléments miniatures de la vitrine ne sont pas aussi inoffensifs qu’on le voudrait. Bricolés à partir d’objets ordinaires et recouverts de plâtre, ils font partie d’un ensemble intitulé 115 « Angry White ». Cette « colère blanche » met White War, 2005 en scène sur les trois niveaux de la vitrine une série de canons, de bunkers et d’armes, 115 ainsi qu’un cimetière militaire semblable à ceux que l’on trouve en Normandie. Sont- ils de précieux trophées, les éléments d’une Si la réalité grince, c’est par l’absurde que maquette ou bien des jouets pour adultes ? places no limits on himself and does not hes- ordinary objects and covered in plaster, they Philippe Mayaux nous la dépeint, à coups de C’est au spectateur d’en juger. Entre attrac- itate to (gracefully) touch on the obscene. belong to an ensemble entitled ‘Angry White’. couleurs vives, de formes généreuses, d’idées tion et répulsion, dans ce monde miniature, With Mayaux, the logs on the fire are electri- Over the three levels of the display case, it charnelles et d’une bonne dose d’humour. le spectateur est mis face aux pulsions des- cal, protestors’ signs are exclusively poetic, presents a series of canons, bunkers, and Sous leurs airs naïfs et enfantins, ses œuvres tructrices de l’homme et son obsession pour masks combine the human and the animal, arms, as well as a military cemetery similar décrivent une réalité beaucoup moins savou- la guerre. and petits fours are sexual. Between canni- to those we find in Normandy. Are they pre- reuse qu’il n’y paraît. Le désir et l’amour y balism and erotomania, they lovingly reel off cious trophies, the elements of a model, or figurent tout autant que la consommation à If reality is grating, then it is through the absurd the body parts of his beloved. else toys for adults? It’s up to the specta- outrance, la guerre et la mort. Intense, gour- that Philippe Mayaux portrays it for us, with While his world resembles a big game whose tor to decide. Between attraction and repul- mand et ardent dans les formes qu’il met en bright colours, generous forms, carnal ten- rules we must attempt to discover, White sion, in this miniature world, the spectator scène comme dans le choix de ses centres dencies, and a good dose of humour. Beneath War does not hesitate to make use of black is confronted by the destructive impulses of d’intérêt, Philippe Mayaux ne se donne their naive and childlike airs, his artworks humour. In a stark, clinical display case, we humanity and our obsession with war. aucune limite et n’hésite pas à frôler le sca- describe a reality that is much less delightful can admire some strange curios: a series of breux avec grâce. Avec lui, les bûches dans than meets the eye. Desire and love feature white objects. However, this virginal purity A.D. la cheminée sont électriques, les panneaux just as much as immoderate consumerism, that instantly procures a sense of calm and des grévistes font exclusivement dans la poé- war, and death. Intense, greedy, and ardent peace is only an illusion: the miniature ele- sie, les masques mêlent l’humain et l’animal in the forms that he stages, as in the choices ments of the display case are not as inoffen- et les mignardises sont sexuelles. Entre can- of his centres of interest, Philippe Mayaux sive as could be hoped. Put together using

314 315 Philippe Mayaux Philippe Mayaux Myriam Mechita

Née en 1974 à Strasbourg (Bas-Rhin) / Born in 1974 in Strasbourg Vit et travaille à Paris, Strasbourg et Berlin (Allemagne) / Lives and works in Paris, Strasbourg, and Berlin (Germany)

Territoires rêvés est une sculpture en Lego, Territoires rêvés, 2008 conçue pour un ensemble intitulé « Les Lego noirs / Black Lego bricks Architectures du désir ou mourir dans les 60 × 100 × 150 cm bras de la foudre ». Entièrement noire, cette Achat à la galerie Éric Dupont ville imaginaire porte les stigmates d’une en 2008 / Purchased from catastrophe, un coup de foudre peut-être. the Galerie Éric Dupont in 2008 Sa couleur noire, évoquant la nuit comme la cendre, est tempérée par la brillance du matériau qui scintille légèrement. Plus qu’une cité marquée par le feu, cette maquette est une projection du territoire mental de l’ar- tiste. Le titre souligne l’importance du rêve, avec ses deux facettes : il est évasion, mais 116 aussi pensées et désirs refoulés. De façon Territoires rêvés, 2008 plus formelle, l’utilisation du Lego, évoquant l’enfance, symbolise le morcellement mais 116 aussi la possibilité de reconstruire à volonté. La hauteur du socle oblige le public à se pen- cher, à se mettre presqu’à hauteur d’enfant, afin de plonger dans les méandres de ces Les ensembles de Myriam Mechita évoquent architectures. La brillance en fait un objet porcelain, etc. The sensuality that emanates a more formal manner, the use of the Lego, les forces et énergies constitutives de la vie sensuel qui nous invite à venir nous absorber from her works is reinforced by a contrasting evoking childhood, symbolises division but et le mouvement inéluctable vers la mort. dans ses replis. Myriam Mechita joue sur cette element of violence, either in the represen- also the possibility of reconstructing at will. Traversées réguilèrement par différentes ambivalence, révélant les désirs qui habitent, tation or in the degradation or dissection of The height of the base obliges the public to références mythologiques, astronomiques et hantent les êtres humains, susceptibles de s’y the materials. lean over, to place themselves almost at a astrologiques, prenant essentiellement appui brûler les ailes. Territoires rêvés is a Lego sculpture, designed child’s height in order to delve into the mean- sur un bestiaire et des corps morcelés, ses as part of an installation entitled ‘Les ders of these structures. The gloss makes this œuvres témoignent également de sa parfaite Myriam Mechita’s ensembles evoke the forces Architectures du désir ou mourir dans les bras a sensual object, inviting us to be absorbed connaissance de l’histoire de l’art. La sculp- and energies that constitute life and the ine- de la foudre’. Completely black, this imagi- within its recesses. Myriam Mechita plays on ture et le dessin, au sein d’installations, sont luctable movement towards death. Besides nary city bears the stigmata of a catastrophe, this ambivalence, revealing the desires that ses pratiques privilégiées. L’aspect précieux perfect knowledge of art history, various possibly a lightning strike. Its black colour, haunt or possess human beings and that may de ses créations s’explique par l’utilisation mythological, astronomical, and astrological evoking both night and ashes, is tempered by lead them to have their fingers burnt. récurrente de perles, d’or, de paillettes, de references regularly recur in her artworks, the gloss of the material that glints slightly. porcelaine, etc. Contrastée par une certaine mainly drawing on a bestiary and dissected More than a city scarred by fire, this model is a C.P. violence, soit dans la représentation, soit bodies. Within her installations, sculpture and projection of the artist’s mental territory. The dans la dégradation ou le morcellement de drawing are favoured practices. The precious title underlines the importance of dreams, la matière, la sensualité qui se dégage de ses appearance of her creations can be explained with these two facets: it represents evasion, œuvres n’en est que plus forte. by the recurrent use of pearls, gold, sequins, but also repressed thoughts and desires. In

316 317 Myriam Mechita Myriam Mechita Anita Molinero

Née en 1953 à Floirac (Gironde) / Born in 1953 in Floirac Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

vers l’informe 1 ». Ses œuvres ont cette capa- Cocoerrance, 2007 cité à être menaçantes, agressives parfois, Table de travail tout en étant jubilatoires. Elles nous sidèrent Aluminium, inox / Work table visuellement et physiquement, nous faisant Aluminium, stainless steel ressentir un état de choc, proche d’une 150 × 180 × 120 cm forme de sublime qui serait celui de l’époque contemporaine. Achat à la galerie Alain Gutharc Le corps tient aussi chez l’artiste une place en 2007 / Purchased from centrale, qui est visible sur le mode de la trace the Galerie Alain Gutharc in 2007 et à travers le choix de certains titres qui, dans la répétition de syllabes, jouent sur des distorsions de langage. Cocoerrance s’inscrit 117 dans cette problématique. Faite de l’assem- blage des pieds d’une table d’accouchement Since the 1980s, Anita Molinero has been visible traces that are left and through the et d’une feuille d’inox, la sculpture évoque, de developing an uncompromising form of sculp- choice of some of the titles, which play with par les contorsions de la feuille d’inox chauf- tural work, whose origins can be found in language deformation by their repetition of 117 Cocoerrance, 2007 fée, toute la violence d’une sortie du corps. the ordinary materials that accompany our syllables. Cocoerrance is an example of this. Cette œuvre s’inscrit dans plusieurs réalisa- daily life and that we no longer notice. Her Made by assembling the legs from a birthing tions sur la question du corps contraint, parmi work deals with shapes, textures, and col- table and a sheet of stainless steel, the sculp- lesquelles se situe Handy (2009, collection du ours, which the artist readily sets up in an ture evokes, though the contorted sheet of Frac Alsace), un ensemble indissociable de alliance, in order to present an assembled heated stainless steel, all the violence of the trois sculptures qui se composent chacune sculpture, that seeks to go beyond a sim- emergence of a body. This work is one of a d’un fauteuil roulant et d’une plaque d’inox ple meeting of materials in favour of a true number of creations that touch on the issue Depuis les années 1980, Anita Molinero déve- dont la déformation s’apparente formelle- confrontation with raw materials. She burns of the constricted body, including others such loppe un travail sculptural sans concession ment à l’œuvre Cocoerrance. Fascinée par them, makes holes in them, and pierces them as Handy (2009, FRAC Alsace’s collection), dont les origines se trouvent dans des maté- l’image des corps pétrifiés des hystériques until bulges and openings appear, playing on an inseparable collection of three sculptures riaux ordinaires qui accompagnent notre saisis sur les photographies de Charcot, Anita the idea that ‘sculpture must retain its shape that each comprise a wheelchair and a sheet quotidien et que nous ne voyons plus. Dans Molinero cherche à traduire dans certaines and not become shapeless.’1 Her works have of stainless steel, whose obvious deformation son travail, il est question de formes, de tex- de ses sculptures l’expression d’une énergie the ability to appear threatening, aggressive formally likens it to the work Cocoerrance. tures et de couleurs que l’artiste n’hésite figée qui semble sortir de l’intérieur de soi et sometimes, but all the while remaining uplift- Fascinated by the image of bodies immobi- pas à faire entrer en collusion pour proposer dont le matériau porte l’impact. ing. She astonishes us visually and physically, lised by hysteria captured in Charcot’s pho- une sculpture d’assemblage qui chercherait putting us into a state of shock, close to the tography, Anita Molinero seeks to translate à dépasser la simple rencontre de maté- sense of sublime shock that our contempo- into some of her sculptures the expression of riaux, au profit d’une véritable confrontation rary era provokes. a frozen form of energy that seems to emerge à la matière. Elle la brûle, la troue, la trans- For this artist, the body also has a vital role, from one’s interior and which leaves behind a perce jusqu’à faire apparaître des protubé- mark of the impact. 1. Entretien avec Alain Berland et Valérie Da Costa, 1. Interview with Alain Berland and Valérie Da Costa, rances et des béances, jouant sur l’idée que « Anita Molinero : un manifeste privé », Particules, n° 22, ‘Anita Molinero: un manifeste privé.’ Particules, no. 22, « la sculpture doit rester forme et ne pas aller décembre 2008-janvier 2009, p. 2-3. December 2008-January 2009, p. 2–3. V.D.C.

318 319 Anita Molinero Anita Molinero Tania Mouraud

Née en 1942 à Paris / Born in 1942 in Paris Vit et travaille à Colombiers (Hérault) / Lives and works in Colombiers

Dans les années 1990, ce sont essentiel- Le Verger, 2003 lement les messages qu’elle inscrit sur les Vidéo couleur, son murs ou dans de grandes peintures murales Durée : 5 min. 37 s. / Colour video, sound qui interpellent le spectateur. Entre slogan Duration: 5 mins 37 secs et message politique, s’affichant la plupart du temps dans l’espace public, ces wall- Achat à l’artiste en 2005 / drawings font de l’art un lieu de débat pos- Purchased from the artist in 2005 sible. Noir sur blanc, dans une typographie qui brouille volontairement les pistes, elle délivre des messages à décrypter en grand format, faisant de l’écriture et du langage un motif abstrait. Sur l’une d’elles, on peut notam- ment lire « ceux qui ne peuvent se rappeler 118 le passé sont condamnés à le répéter ». Ce Le Verger, 2003 message de sagesse fait un lien avec sa vidéo Le Verger, puisque toutes les deux parlent de la guerre. Comme filmé dans l’urgence, sur 118 un rythme syncopé, on est confronté à une avalanche d’images et de sons, d’un côté, les images d’un verger en fleurs, de l’autre, questions the viewers’ position and attempts not remember the past are condemned to C’est par un geste radical, celui de brûler celle de destructions de toutes sortes liées to raise questions, both about themselves repeat it’. This wise message relates to her toute sa production de peinture et de fil- à la guerre. Sur une bande-son oppressante, and the world around them in all its stark video Le Verger, as both relate to the sub- mer le spectacle, que Tania Mouraud s’est les images se télescopent et se superposent reality. Far from an external view, viewers lose ject of war. As though filmed urgently, set fait connaître au début des années 1970. presque à celles de ce verger idyllique. Tania their bearings. Mouraud herself creates the to a syncopated rhythm, we are confronted À partir de ce moment, c’est l’artiste sociale- Mouraud met l’homme face à ses contradic- sound of her works tinged with mysticism. The by an avalanche of images and sounds. On ment (voire politiquement) engagée qui visite tions, entre guerre et paix, entre création et sound recordings but also video images that the one hand, the images of an orchard in les grands thèmes universels à travers son destruction, entre nature et machines – l’en- she makes on her travels are added to her flower. On the other, that of destructions œuvre. Sans privilégier un médium en parti- gagement semble essentiel dans cette œuvre samples database. of all kinds caused by war. With an oppres- culier, elle interroge la position du spectateur qui s’inscrit en acte de résistance. In the 1990s, it was mostly the messages that sive soundtrack, the images are intermingled et tente de lui inspirer des interrogations, she wrote on walls or her large murals that and almost superimposed against this idyllic tant sur lui-même que sur le monde qui l’en- It was through a radical gesture, that of burning interpellated the viewer. Between slogans and orchard. Tania Mouraud confronts us with our toure dans toute sa crudité. Loin du monde her entire production of paintings and filming political messages, generally displayed in pub- contradictions, between war and peace, cre- extérieur, celui-ci perd ses repères percep- this spectacle, that Tania Mouraud first made lic space, these wall-drawings transformed ation and destruction, nature and machines. tifs. C’est elle-même qui réalise le son de ses a name for herself in the early 1970s. From art into a potential forum for debate. Black on Political commitment seems essential in this œuvres teintées de mysticisme. Les capta- that moment on, she became a socially (or white, in a font that deliberately obfuscates, work, which assumes the form of an act of tions de sons mais aussi d’images vidéo qu’elle even politically) engaged artist dealing with she delivers riddles in large format, trans- resistance. fait durant ses voyages viennent s’ajouter à sa major universal themes in her work. Without forming writing and language into an abstract réserve de samples. favouring any one medium in particular, she design. One of them reads: ‘Those who can- A.D.

320 321 Tania Mouraud Tania Mouraud Musée Khômbol

Né en 1960 à Toulouse (Haute-Garonne) / Born in 1960 in Toulouse Vit et travaille à Hérouville-Saint-Clair (Calvados) / Lives and works in Hérouville-Saint-Clair

qu’on tenait pour vrai a pu depuis se révéler Khômbol Boxing Palace, quelques faux. Et s’il devait en aller de même de ce que combattants ordinaires, 2006 nous croyons ? Connaître, n’est-ce pas tou- Photographies noir et blanc, bois, verre / Black-and-white jours interpréter et donc déformer la réalité ? photographs, wood, glass Derrière le savoir se profile la figure du pou- 32,5 × 27 cm voir. Phrénologie le montre bien par l’examen du cas de cette science, désormais recon- Don de l’artiste en 2007 / nue comme inexacte, qui entendait expliquer Donated by the artist in 2007 – et même prédire – le comportement d’un Phrénologie, 2004 individu à partir de la forme de son crâne. Bois, cire, verre, tissu, laiton, S’y reconnaît surtout la volonté de contrôle papier, éléments divers social qui animait l’époque. Mais en sommes- Dimensions variables / nous si éloignés ? N’est-ce pas la même chose 119 Wood, wax, glass, fabric, brass, que font de nos jours nos chasseurs de tête paper, various elements et autres ressources humaines ? La distance 119 Variable dimensions ne permet pas seulement de mieux examiner Phrénologie, 2004 Achat à l’artiste en 2004 / le passé, elle permet aussi de mieux examiner Purchased from the artist in 2004 le présent. Double mouvement critique, pré- sent-passé, passé-présent, qui se retrouve aussi dans Khômbol Boxing Palace (ensemble The grand era of museums may have taken the acterised the period. But are we so far from de boîtes encadrées contenant chacune deux ambition of entirely and thoroughly under- that now? Don’t our headhunters and various Sous l’appellation de Musée Khômbol, nom photographies noir et blanc et un document standing reality the furthest, along with that of human resources teams do exactly the same choisi d’après un village sénégalais pour le titre) : derrière la « reconstitution » d’un club exhibiting the knowledge obtained among the thing in the present day? Distance does not mystère qui s’en dégage, Driss Sans-Arcidet de boxe des années 1930 ou 1940, avec la fer- widest possible audience. But doubts creep only enable us to better examine the past, it propose depuis le milieu des années 1980 veur populaire qui l’entoure, il s’agit de mon- in. From today’s perspective, doesn’t the also allows us to better examine the present. un ensemble d’objets et d’installations trer combien la violence fascine – aujourd’hui knowledge in question often closely resem- A twofold critical movement, present-past, qu’on croirait sortis d’un passé lointain. comme hier. ble a novel? What we once held to be true has past-present, which is also found in Khômbol Qu’ils soient authentiquement d’époque ou since proved false. What if the same were true Boxing Palace (a series of boxes each contain- qu’ils aient été créés de toutes pièces, ces Under the name of Musée Khômbol, a name of our beliefs? Isn’t knowledge always a mat- ing two black-and-white photographs and a objets (et leur installation) nous ramènent chosen after a Senegalese village for the mys- ter of interpreting and thus deforming real- title document): behind the ‘reconstruction’ tous vers la seconde moitié du xixe siècle et tery emanating from it, Driss Sans-Arcidet has ity? Behind knowledge, the figure of power of a boxing club of the 1930s or 1940s, with la première du xxe – soit la grande époque been creating a series of objects and instal- sits enthroned. Phrénologie shows this well, the popular fervour it entailed, the idea is to des musées, qui a peut-être le plus poussé lations since the mid-1980s that appear to through the analysis of the case of this sci- show the extent to which violence holds fas- l’ambition de connaître la réalité de fond en have emerged from a distant past. Whether ence (phrenology), now recognised as inex- cination – today, just as it did in days past. comble et d’exhiber le savoir obtenu auprès they are authentic period pieces or have been act, which intended to explain – and even du plus grand nombre. Mais le doute s’im- built from scratch, these objects (and their predict – the behaviour of individuals based F.C. misce. Vu d’aujourd’hui, le savoir en ques- installation) hark back to the second half of on the shape of their skull. Above all, therein tion n’a-t-il pas souvent tout du roman ? Ce the 19th century and the first half of the 20th. we find the desire for social control that char-

322 323 Musée Khômbol Musée Khômbol Hajnal Németh

Née en 1972 à Szöny (Hongrie) / Born in 1972 in Szöny (Hungary) Vit et travaille à Berlin (Allemagne) / Lives and works in Berlin (Germany)

Cette vidéo de trois minutes montre l’artiste Striptease or not Striptease, 2001 en train de s’essayer au striptease. La vidéo Vidéo est présentée en boucle afin que le specta- Durée : 3 min. / Video teur ne sache pas où commence et où finit le Duration: 3 mins striptease. Hajnal Németh apparaît à l’écran, coiffée d’une perruque, portant rouge à lèvre Achat à l’artiste en 2002 / vif et lunettes de soleil. Le son d’une guitare Purchased from the artist in 2002 électrique accompagne une image volontai- rement accélérée qui la montre en train d’en- filer un soutien-gorge rouge. Ces accessoires rappellent l’esthétique des années 1960, tan- dis que le mélange couleur saturée et guitare électrique évoque certaines vidéos de l’ar- tiste Pipilotti Rist. La vidéo passe soudaine- 120 Striptease or not Striptease, 2001 ment à un rythme lent alors qu’elle finit de s’habiller. Son effeuillage consiste ensuite à enlever, avec une gymnastique parfaite, le soutien-gorge sans retirer son tee-shirt. 120 Regard caméra, l’artiste demeure sérieuse jusqu’au moment d’enlever le soutien-gorge. Elle joue alors avec, avant que ne s’inscrive Les premières œuvres de Hajnal Németh, à sur l’écran la phrase suivante : « Striptease in closed or open spaces showcases this dia- becomes slow-paced as she finishes getting la fin des années 1990, sont réalisées à l’aide or not ? ». Se dénuder sans se dévoiler est un logue between interior and exterior. dressed. Her peeling of layers then consists d’images vidéo et de synthèse. L’artiste joue exercice social quotidien, semble-t-elle dire. Striptease or not Striptease represents a of taking off the bra, in a perfect gymnastic sur le contraste entre virtualité et réalisme, transitional phase between these two periods feat, without removing her t-shirt. Facing the abordant déjà les questions d’identité et The first artworks by Hajnal Németh, in the of creation. This 3-minute video shows the camera, the artist remains serious up until the de représentation du corps. Au cours de la late 1990s, were made using video images and artist trying her hand at striptease. The video moment of taking off the bra. At that point, décennie suivante, elle crée des installations CGI. The artist played on the contrast between is presented in a loop, so that the specta- she plays with it, before the words ‘Striptease et des performances sonores. L’image de virtuality and realism, already broaching the tor does not know when the striptease starts or not?’ appear on the screen. Her message synthèse disparaît progressivement au profit questions of identity and representation of and ends. Hajnal Németh appears onscreen, appears to be that exposing oneself without d’une esthétique presque documentaire. Elle the body. Throughout the following decade, wearing a wig, sporting bright-red lipstick revealing oneself is a daily social exercise. tente de saisir le rapport entre le visible et she created installations and sound perfor- and sunglasses. The sound of an electric gui- l’invisible, comme la voix et la musique, omni- mances. Computer-generated images pro- tar accompanies a deliberately accelerated C.P. présentes. Son travail dans des espaces fer- gressively disappeared in favour of an almost image that shows her putting on a red bra. més ou ouverts met en valeur cet échange documentary-style aesthetic. She strived to These accessories recall the aesthetic of the entre intérieur et extérieur. capture the relationship between the visible 1960s, while the combination of saturated col- Striptease or not Striptease fait la transi- and the invisible, maintaining for instance an our and electric guitar evokes certain videos tion entre ces deux périodes de création. omnipresent voice and soundtrack. Her work by the artist Pipilotti Rist. The video suddenly

324 325 Hajnal Nemeth Hajnal Nemeth L’Imprimante (le feu éteint) appears like a vision, in freeze frame, of the kind that casu- ally enter dreamlike scenarios. In the world of Olivier Nottellet, the spectator must find their own path between the diurnal and Apollonian realm of the explanatory, and the Olivier Nottellet darker, Dionysian realm of impulses. There are multiple leads here, various projections Né en 1963 à Alger (Algérie) / Born in 1963 in Algiers (Algeria) and hypotheses: a lament that combines in Vit et travaille à Lyon (Rhône) / Lives and works in Lyon a dream the purr of the printer and the livid crackling of a fire going out; an architect invoked like a genie by its lamp, who con- structs a charred pyramid in the form of a mental habitat; or a shortcut traced in space- L’Imprimante (le feu éteint), 2008 121 time that topples the bivouac of homo sapi- Bois, feutrine, résine, lampe, papier / L’Imprimante (le feu éteint), 2008 ens; or a sketch of a bureaucratic present in Wood, felt, resin, lamp, paper 160 × 110 × 30 cm which images are no longer printed, as though melted into the blank whiteness of the void. Achat à la galerie Martine et Thibault The artist distils clues in order to keep his de la Châtre en 2009 / viewers guessing, while giving them a desire Purchased from the Galerie Martine for interpretation. Originally, the installa- and Thibault de la Châtre in 2009 tion was installed in a broader environment, devised on the occasion of Olivier Nottellet’s exhibition at the Frac in 2008: a kind of inert and deserted camp shot through with office chairs on wheels and the remains of camp fires that could easily be compared to the L’Imprimante (le feu éteint) apparaît telle une sorte de campement inerte et déserté tra- structure of certain non-linear stories. A part vision – en arrêt sur image –, de celles que versé de chaises de bureau à roulettes et de that stands in for the whole, L’Imprimante (le contractent avec désinvolture les scénarios restes de feux de camp qui pouvait aisément feu éteint) confirms the sensation of mirage oniriques. Dans l’univers d’Olivier Nottellet, le se comparer à la structure de certains récits so well described by Claire Guézengar: ‘The spectateur doit trouver lui-même son che- non-linéaires. Partie qui vaut pour le tout, work of Olivier Nottellet involves a disturbing min entre le monde diurne et apollinien de L’Imprimante (le feu éteint) confirme cette oscillation between appearance and disap- l’explicatif et celui plus obscur et dionysiaque sensation de mirage si bien décrite par Claire pearance. The forms full of holes that he con- des pulsions. Ici, de multiples pistes – autant Guézengar : « L’œuvre d’Olivier Nottellet se vokes persist owing to their overtones from de projections et d’hypothèses : une mélopée situe dans une oscillation trouble entre l’ap- beyond the visible realm. They needle the 121 qui mixerait en rêve ronron d’imprimante et parition et la disparition. Les formes trouées gaze without authority; they tell a tale with- crépitement exsangue d’un feu qui s’éteint, qu’il convoque persistent par leur réminis- out denouement or subplots and draw into un architecte invoqué comme un génie par cence au-delà du visible, elles aiguisent le their wake a nostalgic collapse, an explosive sa lampe et qui construirait une pyramide cal- regard sans autorité, elles racontent une melancholy: a whole phantom armada that we cinée en guise d’habitat mental, ou encore intrigue sans dénouement ni péripétie et keep our eyes glued to, even beyond the hori- un raccourci tracé dans l’espace-temps qui entraînent dans leur sillage une dégringolade zon that endlessly escapes us.’1 culbuterait le bivouac de l’homo sapiens et nostalgique, une mélancolie explosive : toute l’esquisse d’un présent bureaucratique où une armada fantôme que l’on suit du regard E.P. les images ne s’impriment plus, comme fon- jusqu’au franchissement d’un horizon qui dues au blanc du néant. L’artiste distille des n’en finit pas de nous échapper 1. » indices pour retenir son spectateur tout en lui donnant l’envie d’interpréter. À l’origine, l’installation s’ancrait dans un environne-

ment plus large, conçu à l’occasion de l’expo- 1. Claire Guézengar, French Connection, Paris, Éditions 1. Claire Guézengar, French Connection (Paris: Éditions sition d’Olivier Nottellet au Frac en 2008 : une Blackjack, 2008. Blackjack, 2008).

326 327 Olivier Nottellet Olivier Nottellet The work of Amy O’Neill is a trip through time, an escapade to her home state of Pennsylvania, from which she presents us with drawings, photographs, sculptures, vid- eos, installations, like an anthropologist spe- cialising in North American folklore. Whether Amy O’Neill it be the culture of the Quakers, the American Civil War, or World War I, Amy O’Neill revis- Née en 1971 à Beaver (États-Unis) / Born in 1971 in Beaver (United States) its Pennsylvania and the United States of her Vit et travaille à New York (États-Unis) / Lives and works in New York (United States) origins. However, far from the pop art that held a fascination for consumer society and the mass media in the 1960s-1970s, the art- ist stages the very essence of this popular culture by revealing – with a degree of the- Scarecrow (Épouvantail), 2011 122 atricality – its poetry as much as its grav- Bois de noyer, toile de jute / Scarecrow (Épouvantail), 2011 ity. Fond of the American flag, Amy O’Neill Walnut wood, jute canvas 195 × 46 × 46 cm deconstructs it in several installations. Among these, Victory Garden reminds us, through an Achat à la galerie Praz-Delavallade episode of American propaganda from World en 2012 / Purchased from War II, that politics and gardening can be con- the Galerie Praz-Delavallade in 2012 nected. While the war dwindled the country’s resources, the US government invited the population to grow their own gardens. On the floor, the artist presents a series of US flags made of lawn and sacks of potatoes that are reminiscent as much of the battlefield as they are of agriculture. With a ‘V’ and a fork on top of them, they affirm that victory is achieved by the art of defending one’s territory. From the L’œuvre d’Amy O’Neill est un voyage dans le liés. Alors que la guerre amenuise les res- same installation, Scarecrow (Épouvantail) temps, une escapade dans sa Pennsylvanie sources du pays, le gouvernement améri- uses one of these jute sacks to form the ter- natale dont elle nous ramène des dessins, cain invite la population à cultiver son jardin. rifying faceless head of a creature designed des photographies, des sculptures, des L’artiste présente au sol des séries de dra- to scare off birds. In reality, this scarecrow vidéos, des installations, telle une anthro- peaux américains faits de fausse pelouse et made of a hat stand and jute canvas simulta- pologue spécialisée dans le folklore d’Amé- de sacs à pommes de terre qui rappellent neously represents the government, but also rique du Nord. Qu’il s’agisse de la culture des autant le champ de bataille que la culture each member of the population. It seems Quakers, de la guerre de Sécession ou de la de la terre. Surmontés d’un « V » et d’une to serve as a reminder that participation in première guerre mondiale, Amy O’Neill revi- fourche, ils assurent que la victoire passe par the war effort is a question of life or death site la Pennsylvanie et les États-Unis de ses l’art de défendre son territoire. Issu d’une and that individuals can work towards victory origines. Mais loin du pop art qui marque une même installation, Scarecrow (Épouvantail) from their own homes. fascination pour la société de consommation utilise un de ces sacs en jute pour former et les médias de masse dans les années 1960- l’effrayante tête sans visage d’une créature A.D. 1970, l’artiste met en scène l’essence même censée apeurer les oiseaux. En réalité, cet de cette culture populaire en révélant, avec épouvantail, composé d’un porte-manteau et une certaine théâtralité, autant sa poésie que de toile de jute, représente à la fois le gouver- sa lourdeur. Attachée au drapeau américain, nement mais aussi chacun des membres de la Amy O’Neill le déconstruit à travers plusieurs population. Il semble rappeler que la partici- installations. Parmi elles, Victory Garden nous pation à l’effort de guerre est une question de rappelle, à travers un épisode de la propa- vie ou de mort et que chacun peut œuvrer à gande américaine de la seconde guerre mon- la victoire de chez soi. diale, que politique et jardinage peuvent être 122

328 329 Amy O’Neill Amy O’Neill Paulien Oltheten

Née en 1982 à Nimègue (Pays-Bas) / Born in 1982 in Nijmegen (The Netherlands) Vit et travaille à Amsterdam (Pays-Bas) / Lives and works in Amsterdam (The Netherlands)

Artiste néerlandaise, Paulien Oltheten réa- Man and Dog, 2002 lise des séries photographiques, des vidéos, Vidéo des performances et, plus rarement, des des- Durée : 3 min. / Video sins. Ses travaux sont peuplés d’individus et Duration: 3 mins de leurs objets dans des espaces générale- ment urbains dont elle capture les détails Achat à la galerie Fons Welters de certaines poses et gestes. Ces derniers en 2010 / Purchased from semblent suggérer la possibilité d’une lec- the Galerie Fons Welters in 2010 ture des foules et de leur comportement par le biais de nombres d’éléments que l’artiste inscrit dans le visible. Aussi, dans Man and Dog, l’artiste filme un homme et un chien dans une situation à mi-chemin du jeu et du 123 duel. L’homme est en possession d’une balle de tennis que le chien tente de s’accaparer. Les deux se confrontant en demeurant la plu- comportement canin qui serait distincte du viewer as to an action from one or the other. part du temps immobiles, la temporalité de la jeu humain – qui, lui, est assumé – en les met- Like other works in which she captures spon- pièce est donnée par leurs rares mouvements tant en scène dans un moment de suspense taneous actions or asks her subjects to per- brefs et serrés et le montage simple, produi- dont la résolution ne vient jamais. form, Man and Dog questions the boundaries sant chez le spectateur un horizon d’attente between ritual, play, and art. In Performance quant à une action de l’un ou de l’autre. À Dutch artist Paulien Oltheten creates pho- Theory, Richard Schechner, the founder of l’instar d’autres travaux où elle capture des tographic series, videos, performances, and ‘performance studies’, develops a model of actions sur le vif ou demande à ses sujets more rarely, drawings. Her works are full of analysis based on theatre in which the per- de les performer, Man and Dog questionne individuals and their objects in spaces that formance and the performative allow rites les frontières entre rituel, jeu et art. Dans are generally urban, where she captures the and ceremonies, shamanism, crises, sports Performance Theory, Richard Schechner, details of certain poses and gestures. The and entertainment, games, arts, and ritual- fondateur des « performance studies », latter appear to suggest the possibility of an ization processes to be brought together. In développe un modèle d’analyse à partir du interpretation of crowds and their behav- addition, he suggests that the theatre and théâtre dans lequel la performance et le iour by way of numerous elements that the ceremonial gatherings are behaviours shared performatif permettent de rassembler rites artist applies to the field of view. Therefore, among humans and also certain other spe- et cérémonies, chamanisme, crises, sports in Man and Dog, the artist films a man and a cies. Hence the poetic trans-species Man et divertissements, jeux, arts, et processus dog in a situation partway between a game and Dog allows us to question the so-called de ritualisation. Par ailleurs, il suggère que le and a duel. The man holds a tennis ball that ‘naturalness’ of canine behaviour as distinct théâtre et les réunions cérémonielles sont the dog attempts to steal. The pair confront from human play (the latter being presumed) des comportements communs aux humains each other and mostly remain immobile. The by staging them in a moment of suspense that et à certaines autres espèces. Aussi, la poé- temporality of the piece is given by their rare, is left unresolved. 123 Man and Dog, 2002 tique trans-spéciste de Man and Dog permet short, and tight movements and simple edit- d’interroger la supposée « naturalité » du ing, producing a climate of expectation in the A.M.

330 331 Paulien Oltheten Paulien Oltheten ORLAN

Née en 1947 à Saint-Étienne (Loire) / Born in 1947 in Saint-Étienne Vit et travaille à Paris et à Los Angeles (États-Unis) / Lives and works in Paris and Los Angeles (United States)

Masque Mbangu moitié noir moitié blanc et visage de femme euro-stéphanoise avec bigoudis de la série / from the series « Self-hybridation africaine », 2002 Photographie numérique noir ORLAN est une artiste majeure de la scène et blanc / Black-and-white française. Son premier coup d’éclat a été digital photograph Le Baiser de l’artiste (1977). Cette œuvre, 156 × 125 cm dans laquelle elle vend ses baisers pour cinq Le Baiser, 2001 francs, permet de saisir d’emblée les enjeux Photographie Duratrans, caisson qui traversent son travail : l’identité, la sexua- lumineux, matériel électrique / lité, la religion et le rapport à la mort. Le per- Duratrans photograph, lightbox, sonnage de Sainte Orlan apparaît dans ses electrical equipment œuvres dans les années 1970 avant de dis- 160 × 120 × 14 cm paraître en 1990 pour laisser la place à un Orlan avant Sainte Orlan, 1988 nouveau projet : La Réincarnation de Sainte Acrylique sur toile / Acrylic on Orlan. Ce titre recouvre un ensemble d’opé- canvas rations chirurgicales-performances mises en 124 200 × 290 cm scène et filmées. À compter des années 2000, l’artiste se tourne vers le numérique et la bio- Achat à la galerie Michel Rein en technologie pour continuer d’interroger ses 2005 / Purchased from the Galerie Michel Rein in 2005 thèmes privilégiés. Orlan avant Sainte Orlan est une très grande ouverte, au second plan la bourgeoise sourit, de différentes civilisations au cours du temps. affiche peinte, de la série « Générique ima- tandis que Sainte Orlan reste inaccessible, les L’utilisation du noir et blanc réfère ici à l’es- ginaire » (1988-1990). Il s’agit de citer des yeux levés vers le ciel. thétique des photographies prises lors des personnalités du monde de l’art et des Ce projet a été abandonné puis repris missions ethnologiques. L’artiste révèle un stars de cinéma sur de fausses affiches de quelques années plus tard dans « Le Plan d’un fonctionnement binaire (le bien / le mal, films : Coluche, Jean-Louis Trintignant, Alain film », série à laquelle appartient Le Baiser l’homme / la femme, le blanc / le noir) en Maneval, entre autres. Sur cette affiche, l’ar- (2001). Cette œuvre reprend une photogra- hybridant une femme au foyer stéphanoise de tiste est représentée sous trois aspects : dra- phie d’une de ses opérations chirurgicales- type européen à un masque Mbangu. Celui-ci pée (sainte), en bourgeoise (mère), et nue performances de 1991. Le caisson lumineux est reconnaissable au nez déformé et à son (prostituée). Chacun des trois personnages est de taille réduite, plus proche des stan- visage coupé en deux, blanc d’un côté, noir a une teinte de peau différente : rose pour dards du cinéma que de ceux de la peinture, de l’autre. Ainsi, l’hybridation des cultures l’artiste nue, crème et maquillée pour l’artiste qui en est une parodie. et des identités, qui traverse toute l’œuvre en bourgeoise, et blanche pour Sainte Orlan. Self-hybridation africaine dérive aussi des d’ORLAN, souligne son souhait de déjouer les Le regard part de la supposée prostituée opérations chirurgicales-performances. Les oppositions binaires sur lesquelles la société 124 Orlan avant Sainte Orlan, 1988 pour s’élever vers la sainte : la première sort « Self-hybridations » sont des photographies occidentale repose. du cadre, les yeux écarquillée et la bouche numériques hybridant les standards de beauté

332 333 ORLAN ORLAN This project was abandoned then picked up again several years later in ‘Le Plan d’un film’, the series from which Le Baiser (2001) derives. This work reworks a photograph from one of her surgical operation-performances from 1991. The lightbox is reduced in size, now resembling filmic standards more than those of painting, which is the subject of parody. Self-hybridation africaine also derives from the surgical operation-performances. The ‘Self-hybridations’ are digital photographs hybridising the beauty standards of various civilisations throughout history. The use of black and white refers here to the aesthetic of photographs taken on ethnological missions. The artist reveals a binary function (good / evil, man / woman, white / black) by hybridizing a European housewife from Saint-Étienne with ORLAN is a prominent artist of the French a Mbangu mask. This mask is recognisable by scene. Her first major hit wasLe Baiser de the deformed nose and face cut in two: white l’artiste (1977). This artwork, in which she sold on one side, black on the other. In this way, her kisses for five francs, allows us to grasp the hybridization of cultures and identities, the issues playing out in her work from the found throughout ORLAN’s work, emphasises outset: identity, sexuality, religion, and the her desire to thwart the binary oppositions on relationship to death. The character of Saint which Western society is based. Orlan appears in her artworks in the 1970s prior to disappearing in 1990 to make way C.P. for a new project: La Réincarnation de Sainte Orlan. This title covers a series of surgical operation-performances that were staged and filmed. From the 2000s, the artist turned to digital and biotechnology to continue to explore her preferred themes. 125 126 Orlan avant Sainte Orlan is a very large painted poster, from the ‘Générique imagi- naire series’ (1988-1990). The idea is to cite personalities from the art world and film stars on fake movie posters: Coluche, Jean-Louis Trintignant, and Alain Maneval, among oth- ers. On this poster, the artist is represented with three different looks: in robes (saint), as a bourgeois lady (mother), and naked (pros- titute). Each of these three characters has a different skin colours: pink for the naked art- ists, cream and made up for the bourgeoise, 126 and white for Saint Orlan. The gaze starts with Masque Mbangu moitié noir moitié the would-be prostitute and rises towards the blanc et visage de femme euro- saint: the former leaves the frame, wide-eyed stéphanoise avec bigoudis de la série / and open-mouthed, while in the background 125 from the series « Self-hybridations Le Baiser, 2001 the bourgeoise smiles and Saint Orlan remains africaines », 2002 inaccessible, eyes raised heavenwards.

334 335 ORLAN ORLAN 127 Roll on, 2001

Florence Paradeis

Née en 1964 à Antony (Hauts-de-Seine) / Born in 1964 in Antony Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

béton fissuré. Le reste de la composition se Allumettes, Fos, 1999 drape comme un rideau de fumée : les tona- Photographie couleur, tirage lités de bleu, gris et vert s’y dégradent en un llfochrome contrecollé sur dibond / Colour photograph, Ilfochrome print flou prononcé qui fait basculer l’image dans mounted on Dibond une forme de dérive mentale aux accents de 77 × 104,5 cm spleen. La richesse du hors-champ suggéré ne permet pourtant pas de cerner totalement Roll on, 2001 la scène ou d’en éprouver la raison et d’en Photographie couleur, tirage épuiser le sens, comme si Florence Paradeis Ilfochrome contrecollé sur dibond / Colour photograph, Ilfochrome print s’était ingéniée à dérouter les interprétations. mounted on Dibond Même constat devant Roll on qui opère une syn- 103 × 138 cm thèse étonnante entre image fixe et image en mouvement. Là encore, les champs chroma- 127 Achat à la galerie In Situ-Fabienne tiques organisent les circulations dans la com- Leclerc en 2003 / Purchased from position, entre les tons chauds du pull rayé, the Galerie In Situ-Fabienne Leclerc in 2003 des feuilles mortes et du paillasson du premier plan, et les nuances de gris métalliques des systèmes de roulement mécanique qui disent la symétrie, le mouvement cyclique et l’indif- In the foreground of Allumettes, Fos warm performs a surprising synthesis between férence. Toutefois, cette mise en scène fron- browns and dynamic obliques spurt from the static and moving images. Again, the chro- tale, théâtrale et sophistiquée, ne cherche right-hand side, suggesting an urban world matic fields organise the circulations within pas « une » signification définitivement stabi- under tension and the precise moment in the composition, between the warm hues Tranchantes et tranchées, offensives et lisée, mais plutôt une ouverture à des lectures which the body of the woman is concen- of the striped sweater, dead leaves, and the découpées, les photographies de Florence diverses, ce que semble le signifier son titre, trated, the match lights and the cigarette doormat in the foreground, and the shades Paradeis saisissent le regard par leur qualité Roll on, soit une invitation à apprécier la poly- awaits consumption, against the erectile fish- of metallic grey of the rollers that express de concentration, une manière analytique de sémie du langage (« roll on » signifie à la fois ing pole and steel beam in the background, symmetry, cyclical movement, and indiffer- percevoir le réel compactée en un unique continuer à rouler et s’écouler vivement), celui planted on a cracked concrete promontory. ence. Nonetheless, this frontal, dramatic, assaut visuel. Pour ce faire, l’artiste témoigne des mots comme celui des images, et à médi- The rest of the composition is draped like a and sophisticated staging does not seek ‘one’ d’une grande maîtrise du traitement de la ter la perception mouvante du réel. curtain of smoke: the blue, grey, and green definitive and stable meaning, but rather lumière, des couleurs et de l’espace. tonalities shade into a pronounced blur that opens up various readings. Its title also indi- Du premier plan d’Allumettes, Fos jaillissent Cutting and cut, on the offensive yet ellipti- shifts the image into a kind of mental wan- cates this, as Roll on invites us to appreciate de la droite les bruns chauds et les obliques cal, Florence Paradeis’s photographs capture dering, with melancholy overtones. The vast the polysemy of language (‘roll on’ can vari- dynamiques, qui suggèrent un monde urbain the gaze through their concentrated quality: off-screen space suggested does not how- ously mean keep rolling, pass by, or ‘bring it tout en tension, et le moment précis où le an analytical way of perceiving reality com- ever allow us to completely discern the scene on’), both that of words and of images, and to corps de la femme se concentre, l’allumette pacted into a unique visual assault. In order or engage reason and exhaust its meaning, as meditate on our shifting perception of reality. s’embrase et la cigarette attend d’être consu- to achieve this, the artist attests to a great though Florence Paradeis has taken pains to mée, sur fond érectile de canne à pêche et de mastery of the treatment of light, colour, and perturb our interpretation. E.P. poteau d’acier planté sur un promontoire de space. The same observation applies to Roll on, which

336 337 Florence Paradeis Florence Paradeis tinctives dans le champ des problématiques picturales. Une donnée visuelle vient toute- fois troubler les connivences : constellée de gouttelettes, la surface laquée rappelle les effets d’une rosée matinale. Au miroitement des surfaces, les « Semences » Pascal Pinaud Peintre substituent une pâte colorée, incrustée dans le subjectile. Disséminées sur de grandes Né en 1964 à Toulouse (Haute-Garonne) / Born in 1964 in Toulouse toiles blanches, des mines de crayons de Vit et travaille à Nice (Alpes-Maritimes) / Lives and works in Nice couleur sont écrasées et étalées à l’aide d’un rouleau à ensemencer. Si les gestes du dessin s’en trouvent ostensiblement désignés, le tra- vail de la main, lui, a été court-circuité. Tandis que les étoilements de Semence n°4 laissent Avant Gard Blu Mercedes (02A17), reconnaître la procédure unitaire mise en 2002 œuvre, et témoignent de Laque automobile sur tôle, vernis / Semences n°8 n°10 Automotive lacquer on sheet metal, recouvrements successifs durant lesquels varnish le blanc a effacé certaines graphies, ména- 175 × 110 × 8 cm geant des réserves où d’autres sont venues se loger. Dans la production de Pascal Pinaud, Semence n°4 S020094, 2001 les références, les détournements et même Semence n°8 S030120, 2003 l’humour ont une fonction critique. Attestant Semence n°10 S030120, 2003 Acrylique, gel médium, mine un rapport réinventé au présent et à l’histoire, de crayon sur toile / Acrylic, la création s’y affirme, loin de tout ressasse- medium gel, pencil lead on canvas ment nostalgique, avec la franchise d’un acte 235 × 153 × 4,5 cm de confiance.

Achat à la galerie Nathalie Obadia Postmodernism is not what it used to be. en 2006 / Purchased from the Galerie Nathalie Obadia in 2006 Since the 2000s, the automotive industry has enjoyed citing major figures and emblem- 128 129 atic moments in the art of the past century. Who today has never heard of the series that Le postmodernisme n’est plus ce qu’il était. Citroën modestly baptised ‘Picasso’? Until Depuis les années 2000, les constructeurs recently, you could buy a vehicle in a deep 128 129 automobiles se plaisent à citer de grandes blue colour that authenticated the name Avant Gard Blu Mercedes (02A17), 2002 Semence n°8 S030120, 2003 figures et des moments emblématiques de ‘Avant-Garde Blue Mercedes’. Attentive to l’art du siècle passé. Qui ignore désormais les the circulation of symbols, Pascal Pinaud séries que Citroën a modestement baptisées likes to turn these referential games on their « Picasso » ? Récemment encore, on pou- heads. He therefore could not fail to recog- vait acquérir un véhicule d’un bleu profond, nise, under the polish of this ‘avant-garde To the gleaming surfaces, the Semences to the successive layers, through which the qu’authentifiait l’appellation « Avant-Garde blue’ the faint memory of Yves Klein’s mon- substitute a colourful paste, incrusted into white has erased certain marks, conserv- Blue » Mercedes. Attentif à la circulation ochromes. Positioning himself at equidis- the subjectile. Disseminated over large ing stores where other elements have been des signes, Pascal Pinaud se plaît à retour- tance from the bodywork – from which his white canvases, the leads of coloured pen- incrusted. In Pascal Pinaud’s production, ref- ner les jeux référentiels. Aussi ne pouvait-il ‘Tôles’ are produced – and from the museum cils are smashed and spread with the aid of erences, subversions, and even humour have manquer de reconnaître, sous le polish de ce (where they assume meaning), Pascal Pinaud a roller to embed them within the surface. a critical function. Testifying to a reinvented « bleu d’avant-garde », le souvenir affaibli des re-injects industrial beauty and its distinctive While the design procedures are conspicu- relationship between present and past, crea- monochromes d’Yves Klein. Se tenant à égale values into the field of pictorial problematics. ously referred to, there is no sign of man- tivity is affirmed here, far from any nostalgic distance de la carrosserie (où ses « Tôles » One visual element nevertheless perturbs this ual labour, which has been short-circuited. rumination, with self-assured frankness. sont produites) et du musée (où elles sont connivance: the lacquered surface features a Whereas the distribution of Semence n° 4 appelées à faire sens), Pascal Pinaud réin- constellation of droplets, recalling the effects allows us to glimpse the uniform procedure F.F. jecte le beau industriel et ses valeurs dis- of morning dew. implemented, Semence n° 8 and n° 10 attest

338 339 Pascal Pinaud Pascal Pinaud Pierre Paulin

Né en 1982 à Grenoble (Isère) / Born in 1982 in Grenoble Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Il s’intéresse dans cette œuvre à la diffu- Activité restreinte, 2009. Activité sion de l’information et à la communication paranoïaque, 2009. Paysage visuelle. Quarante-quatre magazines sont retourné, 2010, 2009 Magazines découpés, cadres en découpés et placés dans des cadres sans bois sans fond, verre / Cut-out fond pour constituer un vaste tableau avec magazines, wooden frames without un échantillonnage de différents types de backings, glass magazines : mode, sport, décoration, écono- mie, société, etc. Des cibles sont creusées en Achat à l’artiste en 2009 / plusieurs strates dans des pages de publicité, Purchased from the artist in 2009 en faisant ressortir les codes de couleurs uti- lisés dans les magazines : marron et vert pour la chasse, couleurs pastel pour la mode fémi- nine, noir et gris pour les magazines mascu- lins. On retrouve dans cette œuvre un rapport 130 à la peinture et à la couleur avec une évoca- Activité restreinte, 2009. Activité tion du pop art et des cibles de Jasper Johns, 130 paranoïaque, 2009. Paysage ainsi qu’à la sculpture par la technique utili- retourné, 2010, 2009 sée pour creuser le papier avec un compas. Le titre constitue une sorte d’historique qui archive les différentes étapes du projet. Pour l’artiste, les strates forment une « archéolo- gie des couleurs » utilisées par les publici- Pierre Paulin fait référence à l’histoire de l’art taires pour cibler les lecteurs, créant ainsi which he uses to broadcast sounds, images, colour with a pop art evocation and Jasper dans ses œuvres, à travers ce qu’il appelle une sorte de nuancier sociologique mettant or videos derived from the internet, with a Johns’ targets, as well as to sculpture through la « critique amoureuse », une critique des en évidence les liens entre art et publicité. poetic dimension. the technique used to hollow out the paper médias et des avant-gardes historiques par In this piece, he focuses on the dissemina- with a compass. The title constitutes a kind le prisme de l’amour. Il s’approprie la phrase Pierre Paulin makes reference to art history tion of information and visual communica- of record that archives the various phases of de Douglas Huebler, artiste américain pion- in his artworks, through what he calls ‘lov- tion. Forty-four magazines are cut out and the project. For the artist, the strata form an nier de l’art conceptuel : « le monde est plein ing criticism’, a critique of the media and placed in backless frames in order to consti- ‘archaeology of colours’ used by the adver- d’objets, plus ou moins intéressants ; je ne historical avant-gardes through the prism of tute a vast tableau with a sample of various tisers to target the readers, thus creating a souhaite pas en ajouter davantage ». Il s’in- love. He borrows Douglas Huebler’s phrase, types of magazines: fashion, sport, decora- kind of sociological colour chart highlighting téresse également aux nouvelles technolo- an American artist and pioneer of conceptual tion, economics, society, etc. Targets are the connections between art and advertising. gies et à leur obsolescence, aux flux qui les art: ‘The world is full of objects, more or less hollowed out in several layers in the adver- traversent, à leurs formats et à leurs sup- interesting; I do not wish to add any more.’ tising spreads, bringing the colour codes used C.C. ports (ordinateurs, CD, cylindres de rotogra- He is also interested in new technologies and in magazines to the fore: brown and green for vure) qu’il utilise pour diffuser des sons, des their obsolescence, in the movements that hunting, pastel colours for women’s fashions, images ou des vidéos provenant d’internet, traverse them, in their formats and media black and grey for the men’s magazines. In this avec une dimension poétique. (computers, CDs, rotogravure cylinders, etc.), work, we find a relationship to painting and

340 341 Pierre Paulin Pierre Paulin 131 Sans titre, Influenza Rainbow Warriors, 2003 Bruno Peinado

Né en 1970 à Montpellier (Hérault) / Born in 1970 in Montpellier 132 Vit et travaille à Douarnenez (Finistère) / Lives and works in Douarnenez Sans titre, Luxe interior, 2004

Le maître mot du travail de Bruno Peinado est croyances populaires et objet industrialisé. Sans titre, Influenza – Rainbow celui de créolisation. Il reprend cette notion Avec cette œuvre, Bruno Peinado soulève le Warriors, 2003 à Édouard Glissant qui, dans son maintien de spiritualité dans notre société Skate-board en céramique, Traité du faïence vernissée / tout-monde, la définit comme une mise en contemporaine. Ayant perdu leurs fonction- Ceramic skateboard, relation d’éléments hétérogènes, sans hiérar- nalités, ces objets quotidiens proposent ainsi varnished faience chisation – qui se distingue du métissage par une autre lecture du réel et fonctionnent 64 × 22 cm une imprévisibilité et une mise en mouvement comme les symboles du Tout-Monde, de permanente. De même, Bruno Peinado arti- notre univers tel qu’il change et perdure, Sans titre, Luxe Interior, 2004 cule sans cesse les formes et les références, éternellement. Aluminium découpé / Lasercut aluminium sans distinction aucune entre ce qui relève- 240 × 120 × 1 cm rait par exemple des beaux-arts, de l’artisa- The keyword in Bruno Peinado’s work is creoli- nat ou de la culture populaire, de la high et de sation. He borrows this notion from Édouard Achat à la galerie Loevenbruck la low culture que l’on continue de différen- Glissant, who, in his Traité du tout-monde, en 2004 / Purchased from cier. Sa pratique, qui n’est définie par aucun defines it as the linking of heterogeneous the Galerie Loevenbruck in 2004 médium, aucun courant ni aucune caracté- elements, with no hierarchy – which differ- ristique formelle préétablie, témoigne d’une entiates it from métissage by its unpredict- volonté d’affranchissement vis-à-vis des ability and permanent motion. In the same catégories. way, Bruno Peinado continuously expresses 132 Influenza – Rainbow Warriors et Luxe Interior shapes and references, with no distinction sont toutes deux fabriquées à partir de la ren- between, for example, what the fine arts contre entre des objets de la vie quotidienne might say, or craftwork, or popular culture, work Luxe Interior, it brings to mind the dangly et des pratiques artistiques qui exigent des or between what we continue to differen- decorations and deodorising trees that hang savoir-faire spécifiques. La première est une tiate as high and low culture. His art form, from car rear-view mirrors. Made from laser- planche de skateboard, sans roues, réalisée which cannot be defined by any one medium, cut aluminium and featuring an openwork sil- en céramique et accrochée au mur comme approach, or predefined formal characteris- houette depicting dice, skulls, and human and un tableau. Par son titre, elle évoque aussi tic, illustrates a desire to go beyond mere cat- animal shapes, this hanging object placed on bien la « nation arc-en-ciel » (Desmond Tutu) egories. the floor and substantially increased in size que l’affaire du Rainbow Warrior au cours Influenza – Rainbow Warriors and Luxe Interior contrasts popular imagery and beliefs with an de laquelle le gouvernement français a par- were both born out of the meeting between industrialised object. With this work, Bruno ticipé à faire couler le bateau éponyme de objects of daily life and artistic practices Peinado raises the question of the continua- Greenpeace. L’œuvre Luxe Interior rappelle that require specific knowledge. The first is tion of spirituality in our contemporary soci- quant à elle les gris-gris et sapins désodori- the deck of a skateboard, without wheels, ety. Having lost their functional side, these sants suspendus aux rétroviseurs des voitures. made out of ceramics and hung on the wall objects of daily life thus propose an alterna- Réalisée dans de l’aluminium découpé, créant like a painting. Its title calls to mind not only tive view of reality and act as symbols of the une silhouette ajourée dessinant un dé, des Desmond Tutu’s ‘rainbow nation’ but also the All-World, and of our universe as it eternally têtes de morts et des silhouettes humaines Rainbow Warrior incident, where the French changes and endures. et animales, cette suspension posée au sol government participated in the sinking of the 131 et largement agrandie associe imagerie et Greenpeace ship of the same name. As for the C.K.

342 343 Bruno Peinado Bruno Peinado Estefanía Peñafiel Loaiza

Née en 1978 à Quito (Équateur) / Born in 1978 in Quito (Ecuador) Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

méticuleux des doigts sur la surface pointil- La Visibilité est un piège, 2009 lée et les reliefs des pages du livre, produisent Vidéo, noir & blanc, son, en boucle un commentaire visuel – sans qu’il soit immé- Durée : 34 min. 28 s. / Video, black & white, sound, looped diatement intelligible – à propos des thèses Duration: 34 mins 28 secs foucaldiennes sur le statut de la dialectique du voir / être vu dans les dispositifs de pou- Achat à la galerie Alain Gutharc voir. En effet, durant plus d’une demi-heure, en 2009 / Purchased from le spectateur (qui, lui, voit) est confronté à the Galerie Alain Gutharc in 2009 l’impossibilité de « lire » ce que le « lecteur » décode par le « toucher ». Si le texte se donne à voir, il ne signifie pas ; le son de la « lecture » n’est pas celui de la scansion, mais est pro- duit par la concrétude des lettres en braille, et est révélé par le contact du papier et des 133 mains du lecteur. De plus, à cette couche La Visibilité est un piège, 2009 sonore s’ajoutent les bruits du trafic routier qui viennent renforcer l’impression d’intério- 133 rité de la pièce, dont l’espace se limite à celui du livre. Enfin,La Visibilité est un piège joue avec le « trope graphologique » en cinéma qui considère la caméra comme un stylo et le film Le travail d’Estefanía Peñafiel Loaiza aborde comme une écriture, cette dernière reposant the pages of a book written in Braille letter- ical nature of the braille letters, and revealed des questions telles que la mémoire et la sur son imperceptibilité, et propose une cri- ing and on the hands of a vision-impaired man by the contact of the paper and the reader’s trace à travers des œuvres qui, ayant recours tique poétique du régime de la visibilité, le deciphering the content of the volume. The hands. In addition to this sound layer traffic aux supports de la vidéo, de la photogra- spectateur occupant en même temps la posi- passage in question is from Michel Foucault’s noise reinforces the impression of interior- phie, ou de l’installation, matérialisent et tion du voyeuriste et du voyant non-voyant. Discipline and Punish, the touch, the metic- ity of the room, whose space is confined to jouent avec la possibilité ou l’impossibilité de ulous passing of the fingers over the dotted that of the book. Finally, La Visibilité est un les représenter sous des formes sensibles. The work of Estefanía Peñafiel Loaiza broaches surface of the pages produces a visual com- piège plays with the ‘graphological trope’ in Dans La Visibilité est un piège, l’artiste inter- questions such as memory and what remains mentary – without it being immediately intelli- film that considers the camera a pen and the roge le statut de la vision – sens premier en through artworks which, using the mediums of gible – based on Foucauldian theses regarding film a writing – the latter element is based ce qu’il est associé au savoir – dans la rela- video, photography, or installation, material- the status of the dialectics of seeing / being on the imperceptibility of film – and presents tion qu’il entretient avec les dynamiques de ise and play with the possibility or impossibil- seen involved in power structures. For more a poetic critique of the regime of visibility, pouvoir. En effet, le film consiste en un gros ity of (re)presenting them in sensitive forms. than half an hour, viewers (who see him) are as the viewer occupies both the position of plan sur les pages d’un livre écrit en carac- In La Visibilité est un piège, the artist ques- confronted with the impossibility of ‘reading’ voyeur and of the ‘unseeing seer’. tères braille et sur les mains d’un homme tions the status of vision – the initial mean- what the ‘reader’ deciphers through ‘touch’. malvoyant déchiffrant le contenu du volume. ing of which is associated with knowledge While the text is presented to the eye, it has A.M. S’agissant d’un passage de Surveiller et punir – in the relationship it maintains with power no meaning; the sound of the ‘reading’ is not de Michel Foucault, le toucher, le passage dynamics. The film consists of a close-up on that of scansion, but is produced by the phys-

344 345 Estefanía Peñafiel Loaiza Estefanía Peñafiel Loaiza Mick Peter

Né en 1974 à Berlin (Allemagne) / Born in 1974 in Berlin (Germany) Vit et travaille à Glasgow (Royaume-Uni) / Lives and works in Glasgow (United Kingdom)

La sculpture est sans aucun doute le médium Sculpture is no doubt the medium that expe- Messiaen’s Ornithological qui, au cours du XXe siècle, a connu le plus rienced the greatest upheavals over the Transcription, 2008 de bouleversements, et c’est en pleine course of the 20th century and it is in full Jesmonite, mousse polyuréthane, tiges en acier / conscience de cet état de fait que Mick awareness of this state of affairs that Mick Jesmonite, polyurethane foam, Peter perpétue cette voie. L’artiste, qui vit Peter perpetuates this trajectory. The artist, steel rods et travaille à Glasgow, produit des œuvres en who lives and works in Glasgow, produces 200 × 40 × 40 cm volume pour le moins débridées qui font mali- artworks in three-dimensions that are wild at cieusement le lien entre les beaux-arts et les heart, to say the least, and that mischievously Achat à la galerie Crèvecoeur arts populaires, entre le et le . Ainsi, le draw connections between high and low art. en 2010 / Purchased from high low the Galerie Crèvecœur in 2010 répertoire de signes de Mick Peter peut tout Hence Mick Peter’s repertoire of symbols can, à la fois puiser dans le registre de l’illustration all at once, find its source in the modest reg- modeste, de la caricature de presse désuète ister of illustration, or old-fashioned press et emprunter à l’histoire prestigieuse et millé- caricatures, and might also borrow from the naire de la statuaire (œuvres qui ressemblent prestigious and age-old history of statuary à un chevalet dégingandé, à une cassette (artworks resembling a lanky easel, an over- audio géante, à un combiné téléphonique sized audio cassette, a telephone receiver on sur jambes ou encore à une citerne à tête legs, or a cistern with a pig’s head). All of these de cochon). Toutes ces créatures peuplent creatures populate the rather absurd world l’univers un peu absurde d’un espace artis- of an artistic realm that we hesitate to situ- tique qu’on hésite à situer dans un passé rêvé ate in the past of a reverie or in an improb- ou dans un futur improbable. C’est cette able future. It is this strange synthesis that étrange synthèse que l’on retrouve dans la is found in the sculpture entitled Messiaen’s sculpture intitulée Messiaen’s Ornithological Ornithological Transcription. The artwork Transcription. L’œuvre en résine acrylique in white acrylic resin represents a kind of blanche représente une sorte de fétiche primitive fetish resembling an excerpt from primitif qu’on croirait extrait d’un album de a graphic novel by Hergé. The head sports a bande dessinée d’Hergé. Il porte sur la tête smear where a pigeon has apparently relieved 134 un pigeon qui s’est manifestement soulagé itself of a few runny, bluish droppings. Mick de quelques fientes liquides bleutées. Mick Peter, while playing with a title evoking the Peter, tout en jouant avec un titre qui évoque renowned composer Olivier Messiaen’s pas- la passion du célèbre compositeur Olivier sion for birds, reminds us mischievously and Messiaen pour les oiseaux, nous rappelle humbly of the destiny of statuary in pub- avec malice et humilité le destin de la sta- lic space. The eternal confrontation expe- tuaire dans l’espace public. La confrontation rienced by the great figures of history with éternelle qu’éprouvent les grandes figures de time, graffiti, and various animal faeces. 134 l’histoire avec le temps, les graffitis et autres Messiaen’s Ornithological Transcription, 2008 déjections animales. A.B.

346 347 Mick Peter Mick Peter Guillaume Pilet

Né en 1984 à Payerne (Suisse) / Born in 1984 in Payerne (Switzerland) Vit et travaille à Lausanne (Suisse) / Lives and works in Lausanne (Switzerland)

allègrement les pistes. À partir de citations, Bricks n° 3, 2010 de prélèvements et de reprises, il distingue Acrylique sur toile / Acrylic on ici la brique comme motif de peinture, qui canvas 147 × 210 cm se retrouve fréquemment dans l’art belge, mais aussi le mur graphique et stylisé qui Achat à la galerie Alain Gutharc en mime l’abstraction en même temps qu’il en 2010 / Purchased from the Galerie est un démenti, le mur découpé qui fait un Alain Gutharc in 2010 clin d’œil aux affichistes du Nouveau Réalisme autant qu’aux formes aléatoires des « Shaped Canvas » de Frank Stella, et le mur qui dépasse l’histoire de l’art pour aller vers le jeu (Lego, Tetris, Minecraft, etc.), la pochette d’album et l’habillage kitsch, comme l’illustrent tous ces papiers peints « motif brique » si prisés 135 de certaines décorations intérieures ou pla- Bricks n°3, 2010 teaux télé. 135 Dans cet empilement de clins d’œil à la culture savante et populaire, on devine la figure de l’artiste en compilateur, exultant dans l’exer- cice de relecture de l’histoire, qu’il truffe de résurgences, de coïncidences troublantes À la vue du tableau de Guillaume Pilet, intitulé et de connections subjectives. Ce faisant, Alberti down a peg and his painting defined etc.), album covers, and kitsch decoration, as littéralement Bricks, difficile de ne pas penser Guillaume Pilet définit une très belle spécifi- as an ‘open window onto the world’. illustrated by the ‘brick pattern’ wallpapers à l’œuvre de Magritte, La Saignée : un tableau cité de l’art : dans l’expérience immédiate de If the work of Guillaume Pilet mainly involves so coveted by certain interior designs or tel- qui montre un tableau qui montre le mur de l’œuvre, sans nécessité de narration, il révèle appropriation and caustic reinterpretation, evision studios. brique sur lequel il est accroché. Les élé- combien une forme peut synthétiser un we must not underestimate the artist’s pro- In these successive allusions to high and low ments chers à Magritte sont tous présents ou nombre vertigineux d’idées et de références. pensity to multiply the sources he draws on culture, we catch a glimpse of the figure of the presque : la mise en abyme, le dévoilement du and blithely cover his tracks. Using citations, artist-as-compiler, exalting the exercise of visible caché, le trompe-l’œil et l’analyse des When looking at Guillaume Pilet’s painting, lit- samplings, and replays, he identifies brick rereading history, which he liberally peppers constituants de la peinture. Sans oublier l’hu- erally entitled Bricks, it is hard not to think of here as a theme in painting, which is fre- with revivals, troubling coincidences, and sub- mour, qui met gentiment en berne Alberti et the work of Magritte, De aderlating: a paint- quently found in Belgian art, but also in the jective connections. In so doing, Guillaume sa peinture définie comme « fenêtre ouverte ing that shows a painting that shows the wall graphic and stylised wall that mimics abstrac- Pilet defines one of art’s most beautiful spe- sur le monde ». of bricks on which it is hung. The elements tion while also representing a denial of it, the cificities: in the immediate experience of the Si le travail de Guillaume Pilet relève princi- Magritte is fond of are all present, or almost cut-out wall that alludes to the poster design- artwork, without the need for narrative, he palement de l’appropriation et de la relec- all: mise-en-abyme, the revelation of what is ers of Nouveau Réalisme both in the random reveals how a form can summarise a vertigi- ture caustique, il ne faut pas sous-estimer visible yet hidden, trompe-l’œil, and an anal- forms of Frank Stella’s ‘Shaped Canvas’ and nous amount of ideas and references. la propension de l’artiste à multiplier les ysis of the constituent parts of painting. Let the wall that extends beyond art history in the sources dans lesquelles il puise et à brouiller us not forget humour, which gently brings direction of games (Lego, Tetris, Minecraft, E.P.

348 349 Guillaume Pilet Guillaume Pilet Présence Panchounette

Collectif d’artistes créé à Bordeaux (Gironde) en 1968, dissous en 1990 / Artists’ collective created in Bordeaux in 1968, disbanded in 1990

de décor. Le groupe affirme alors un mauvais Nature morte Nazie ou Nature goût qui leur apparaît comme la seule exté- morte armée, 1972 riorité réelle au champ esthétique. Mais le Métal, plastique, verre / Metal, plastic, glass développement de la postmodernité dans les 140 × 40 × 40 cm (avec le socle / années 1980 va neutraliser progressivement with base) la trivialité qu’ils mettent en scène. Le vul- gaire perd de son agressivité en raison de la Achat à la galerie Semiose en 2011 / légitimation de l’éclectisme des goûts, dû au Purchased from the Galerie Semiose pluralisme historique et au brouillage culturel in 2011 des distinctions sociales. Nature morte Nazie ou Nature morte armée présente plusieurs fruits en plastique dans un casque militaire doré à côté duquel se trouve un verre vide. À mi-chemin entre le genre pic- 136 tural mineur et le ready-made, pareille com- position affirme une réelle incongruité en pleine orthodoxie conceptuelle. Non que 136 la forme esthétique soit ici privilégiée. Au Nature morte Nazie ou Nature contraire, l’agencement ne cache pas la pau- morte armée, 1972 vreté des moyens. Mais les couleurs criardes throw of the capitalist society. They were composition asserts genuine incongruity and des artefacts jettent un sort à la beauté de convinced that radical change in the art field is a perfectly orthodox example of conceptual l’indifférence de Marcel Duchamp pour mieux was an idealist absolute, on a par with the art. But aesthetic form is not the favoured souligner que l’art – fût-il le plus austère – destruction of spectacle – replaced in their aspect here. On the contrary, its layout does ne se réduit jamais à une idée. Nature morte work by the notion of decor. The group thus not hide its low-budget financial means. The Nazie ou nature morte armée se veut ridicule affirmed poor taste, which seemed to them to garish colours of the artefacts cast a spell et prend le parti de rire de tout, même de la be the only true external element to the field on the beauty of Marcel Duchamp’s indiffer- guerre, car aucune position morale ne peut of aesthetics. However, the development of ence, so as to better emphasise the fact that Fondé en 1968, le collectif bordelais Présence plus être assumée : le beau et le bien sont postmodernity in the 1980s was to progres- even the most austere of artworks is never Panchounette arrive après l’orgie de la devenus de vieilles lunes, des idéaux ridés à sively neutralise the triviality that they stage. defined solely by an idea.Nature morte Nazie modernité, c’est-à-dire une fois les révolu- force d’avoir été exposés au soleil des utopies. The vulgar lost its aggressiveness owing to the ou Nature morte armée is deliberately ridicu- tions et tentatives de libération passées. Ses legitimisation of the eclecticism of tastes, lous and opts to laugh at everything, even war, membres se réclament volontiers de l’Inter- Founded in 1968, the Bordeaux-based collec- due to historic pluralism and cultural scram- since no moral position can now be adopted: nationale situationniste tout en faisant part tive Présence Panchounette arrived on the bling of social distinctions. the beautiful and the good are now old hat, de leur doute quant au renversement de la scene after the orgy of modernity, that is, Nature morte Nazie ou Nature morte armée ideals that have become outmoded by being société capitaliste. Ils ont l’intime conviction once the revolutions and liberation attempts presents a number of plastic fruits in a golden consistently exposed to the bright lights of que le dépassement de l’art est un absolu had passed. Its members readily affirmed their military helmet, alongside which stands an utopia. idéaliste, au même titre que la destruction du connection to the Situationnist International, empty glass. Midway between the minor pic- spectacle – remplacé chez eux par la notion while expressing their doubts as to the over- torial genre and the ready-made, this kind of F.D.

350 351 Présence Panchounette Présence Panchounette Julien Prévieux

Né en 1974 à Saint-Martin-d’Hères (Isère) / Born in 1974 in Saint-Martin-d’Hères Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

seconde guerre mondiale et ami d’Alan Turing, MENACE 2 (sous-titre : joue au morpion et est composée de trois- Machine Educable Noughs cent quatre boîtes d’allumettes et de billes de and Crosses Engine), 2010 Chêne, contreplaqué, métal, toile, couleur. D’apparence inoffensive, cet adver- billes en terre / Oak, plywood, saire low-tech garde en mémoire les coups, se metal, canvas, clay marbles perfectionne au fil de ses essais et erreurs et, 177 × 209 × 50,5 cm au bout d’une centaine de parties, l’emporte systématiquement sur l’humain « par renfor- Where is my mind ?, 2012 cement ». Le , dont Œuvre sonore machine learning Menace Durée : 10 min. 15 s. / est l’ancêtre, a connu des avancées signifi- Sound work catives ces dernières années avec la défaite Duration: 10 mins 15 secs de l’humain face à une machine aux échecs et au jeu de go. En employant des matériaux 137 Achat à Jousse Entreprise en 2012 / basiques et des mécanismes transparents, Purchased from Jousse Entreprise, Julien Prévieux permet au visiteur de saisir et 2012 d’appréhender littéralement ces équations abstraites et opaques. Le contraste est sai- Julien Prévieux’s Menace 2 (2010) is one these abstract, opaque equations. There is a sissant entre la simplicité quasi enfantine du of a series of reconstructions of seminal striking contrast between the almost child- dispositif et l’horizon inquiétant qu’esquisse experiments in the field of artificial intelli- ish simplicity of the device and the disturbing cette relique. gence in the 1950s and 1960s. It revisits, in possibilities suggested by this relic. La mise en chiffres de notre société et son the shape of an elegant ‘interactive’ wooden The digitisation of our society and its acceler- 137 automatisation accélérée est décrite par le piece with multiple drawers, the Matchbox ated automatization, from punch card to high MENACE 2 (sous-titre : narrateur de la pièce sonore Where Is My Educable Noughts And Crosses Engine (1961). frequency finance, are described by the nar- Machine Educable Noughs and Crosses Engine), 2010 Mind ? qui accompagne l’installation, depuis This ‘machine’, invented by Donald Michie, a rator of the sound piece Where Is My Mind?, les cartes perforées au développement de la famous code-breaker during the World War II which accompanies the installation. Despite finance à haute fréquence. Malgré les crashs and a friend of Alan Turing, plays noughts and recurrent crashes due to runaway algorithms, récurrents dus à des algorithmes qui s’em- crosses; it is made up of three hundred and nothing seems to shake the confidence of the ballent, rien ne semble entamer la confiance four matchboxes and coloured marbles. This narrator, the inventor of a portable brain scan- du narrateur, inventeur d’un scanner de cer- unthreatening, low-tech adversary remem- ner and adept of the quantified self, which Menace 2 (2010) de Julien Prévieux fait partie veau portatif et adepte du quantified self, qui bers plays, perfects itself through trial and transforms the body into a new connected d’une série de reconstructions d’expériences transforme le corps en nouvel objet connecté, error, and, after a hundred games, systemati- object, generator of infinitely exploitable per- fondatrices du champ de l’intelligence artifi- générateur de données personnelles exploi- cally beats a human player ‘through reinforce- sonal data. The artist reproduces to the point cielle dans les années 1950-1970. Elle revisite tables à merci. L’artiste reproduit jusqu’à ment’. Machine learning, of which Menace is of caricature the technophile rhetoric that sous la forme d’un élégant meuble en bois la caricature cette rhétorique technophile an ancestor, has made significant progress in makes innovation and progress interchange- « interactif » aux multiples tiroirs la Matchbox assimilant innovation et progrès, révélant les recent years, with machines beating humans able, revealing the flaws in our big data soci- Educable Noughts And Crosses Engine (1961). failles de notre société des big data et de son at chess and Go. Using basic materials and ety and its ideal of transparency. Cette « machine » inventée par Donald idéal de transparence. transparent mechanisms, Julien Prévieux Michie, célèbre « casseur de code » durant la gives the visitor a concrete understanding of M.L.

352 353 Julien Prévieux Julien Prévieux interroge la place de l’art aux murs, mais pose aussi de pures questions de sculpture. Si la soi- disant mort des beaux-arts agite le travail de l’artiste, c’est cependant moins une réponse théorique qu’il apporte qu’un regard sur l’art Bernard Quesniaux teinté d’humour, de fantaisie et de vitalité. Bernard Quesniaux is a painter, but … This Né en 1953 à La Flèche (Sarthe) / Born in 1953 in La Flèche ‘but ...’ was the title of his solo exhibition at Vit et travaille à Cherbourg (Manche) / Lives and works in Cherbourg the Frac in 2010, for which he produced the two works acquired at the time, among oth- ers. A ‘but’ which speaks volumes about the work of the artist, permeated as it is by the Bernard Quesniaux est peintre, mais… Ce news of the death of painting. Since the 1980s, Paysage de neige mais en été, 2008 « mais… » était le titre donné à l’exposition he has continually been asking himself: can we Aluminium, résine / Aluminium, resin qui lui était consacrée au Frac en 2010, pour still paint today? His answer: yes, but we need 150 × 102 × 50 cm laquelle ont entre autres été produites les to take another look at it / no, but we can Achat à la galerie Alain Gutharc deux œuvres acquises à cette occasion. Un still put things on our walls, can’t we? These en 2010 / Purchased from mais qui en dit long sur le travail de l’artiste, thoughts have led Bernard Quesniaux to cre- the Galerie Alain Gutharc in 2010 imprégné par l’annonce de la mort de la pein- ate what he calls ‘fake paintings’. Paintings ture. Depuis les années 1980, il n’a cessé de that take on the rules and formats of paint- La Question du socle #2, 2010 s’interroger : peut-on encore faire de la pein- ing but are primarily the ‘implementation of Fibre de verre, résine, laque, chien empaillé / Fiberglass, resin, ture aujourd’hui ? Ses réponses : oui, mais il ideas’ and the implementation of rules and varnish, stuffed dog faut la revisiter / non, mais il faut tout de constraints that allow him to bypass the aes- 200 × 130 × 45 cm même accrocher des choses au mur, n’est- thetic criteria of the medium. Dimensions variables pour le chien ce pas ? Ces réflexions ont conduit Bernard Among works born out of these implemented empaillé / Variable dimensions Quesniaux à créer ce qu’il appelle des « faux- ideas are the works in the series ‘Les Alus’, for the stuffed dog tableaux ». Des tableaux qui reprennent les including Paysage de neige mais en été. The Don de l’artiste en 2010 / règles et les formats de la peinture mais qui ‘but’ even makes its way into the titles of art- Donated by the artist in 2010 sont avant tout des « applications d’idées », works, to stir the spectator’s imagination and des applications de règles et de contraintes raise questions. In fact, it doesn’t look like qui lui permettent de dépasser les critères a winter landscape at all. Four brightly col- esthétiques du médium. oured concretions sit on an aluminium plate, Sont entre autres nées de ces idées appli- overflowing and dripping over this faux- quées les œuvres de la série « Les Alus », dont mirror, on which only the light is reflected. Paysage de neige mais en été. Le « mais » s’im- In a game of continuous coming and going, misce jusque dans le titre des œuvres, pour Bernard Quesniaux leads us from abstraction stimuler l’imagination et les questionnements to reality, from lines to volume, from paint- du spectateur. Rien en effet ne ressemble à ing to sculpture. The same occurs with the 138 un paysage hivernal. Sur une plaque d’alumi- work entitled La Question du socle #2. A dog nium, quatre concrétions aux couleurs vives, lies in the centre of the room. It is held on a débordent et dégoulinent de ce faux-miroir, leash by a puffy-looking metallic person walk- sur lequel se réfléchit uniquement la lumière. ing along the wall. Once again, the artist que- Dans un jeu d’aller-retour constant, Bernard ries the place of art on walls, while at the same Quesniaux nous conduit de l’abstraction au time asks questions about sculpture. If the réel, du trait au volume, de la peinture à la so-called death of fine arts is troubling the sculpture. Il en est de même de l’œuvre intitu- artist’s work, the answer he provides is less lée La Question du socle #2. Au centre de l’es- a theoretical one than a view of art imbued pace gît un chien empaillé. Celui-ci est tenu en with humour, fantasy, and vitality. 138 La Question du socle #2, 2010 laisse par un personnage métallique boursou- flé qui marche sur le mur. À nouveau, l’artiste C.K.

354 355 Bernard Quesniaux Bernard Quesniaux Hugues Reip

Né en 1964 à Cannes (Alpes-Maritimes) / Born in 1964 in Cannes Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Dots, 2004 139 Animation numérique, muet Dots, 2004 Durée : 4 min. 21 s. / Digital animation, silent Duration: 4 mins 21 secs

Achat à la galerie du Jour agnès b. en 2005 / Purchased from the Galerie du Jour agnès b., 2005

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Aller à la rencontre des œuvres d’Hugues éthéré de cette œuvre constituée de dessins, Yielding to the experience of Hugues Reip’s This video is one of the many video and photo Reip, c’est s’aventurer dans un univers de vidéos, de films et d’images d’archives work is an adventure in a universe constructed projection works in Hugues Reip’s oeuvre. construit à partir de petits riens et de micro- scientifiques. from trifles and micro-events. A new vision of it Charles Arthur Boyer emphasises that ‘far événements. Une nouvelle vision en est don- Cette vidéo fait partie des nombreux dispo- arises from its being set in motion, the prolon- from bringing us new answers or defini- née par la mise en mouvement, l’allongement sitifs de projection vidéographiques ou pho- gation or reduction of time, a change of scale. tions [...], Hugues Reip allows himself, on the ou la réduction du temps, le changement tographiques que compte l’œuvre de Hugues It establishes itself in the world like a galaxy contrary, to be pierced by questions directly d’échelle. Il s’installe dans le monde comme Reip. Charles Arthur Boyer souligne que « loin growing or shrinking over billions of years; it addressed to ourselves: “How can we rep- dans une galaxie qui grossit ou rétrécit au fil de nous apporter de nouvelles réponses ou concentrates itself in a few fractions of sec- resent realities that escape us? Can we see de milliards d’années, il concentre alors cet de nouvelles définitions […], Hugues Reip se onds in a film, the time an explosion takes. beyond the visible?” And, from there, to univers dans quelques fractions de secondes laisse, au contraire, traverser par des interro- Hugues Reip cultivates a pronounced inter- invent, in his little corner, new ways of escap- d’un film ou le temps d’une exposition. gations qui nous sont directement adressées : est in drawing, graphic design, line, and their ing from established knowledge the better to Hugues Reip nourrit un intérêt marqué pour “ Comment représenter des réalités qui nous possible animation – reminiscent of Norman interrogate nature, the meaning and aware- le dessin, le graphisme, la ligne et leur ani- échappent ? Peut-on voir au-delà du visible ? McLaren’s experimental films, to which he ness of our looking at reality.’1 mation possible rejoignant le cinéma expé- […] ”. Et d’inventer, dans son coin, de nou- pays homage in the video Dots. Traversed rimental de Norman McLaren, auquel il rend velles façons d’échapper aux savoirs établis by a little white dot, the black screen comes hommage dans la vidéo Dots. Traversé par pour mieux remettre en question la nature, alive, revealing glimpses of landscapes simul- un petit point blanc, l’écran noir s’anime et le sens et la conscience de nos regards sur taneously lunar and terrestrial on an unde- laisse entrevoir les paysages à la fois lunaires le réel 1. » fined planet undergoing the cataclysms of the et terrestres d’une planète indéfinie qui subit appearance of the dot. Gas, explosions, and les cataclysmes de l’apparition de ce point. photonic dust cohabit in the outer space of 1. Charles-Arthur Boyer, « Comme un rêve semi- 1. Charles-Arthur Boyer, ‘Comme un rêve semi-conscient Phénomènes gazeux, explosions et pous- conscient du monde », in Charles-Arthur Boyer, Hugues this work made up of drawings, videos, films, du monde’, in Charles-Arthur Boyer, Hugues Reip (Quim- sières photoniques cohabitent dans l’espace Reip, Quimper, Éditions Le Quartier, 1998. and images from scientific archives. per: Éditions Le Quartier, 1998).

356 357 Hugues Reip Hugues Reip Shot on film,La Vache qui rumine is a fixed camera shot in portrait style of the left pro- file of a cow ruminating. Georges Rey provides a commentary on his own film: ‘It [the cow] ruminated before, it ruminated afterwards.’ The (anti)narrative progress of this video thus Georges Rey questions the very nature of narrative in the cinema, while working within its technical lim- Né en 1942 à Lyon (Rhône) / Born in 1942 in Lyon its. In this way, the film reveals the ‘cinema’ as Vit et travaille à Lyon (Rhône) / Lives and works in Lyon an institution managing sensibility, embodied in a structure regulated by conventions deter- mined by the market. Not without humour, Georges Rey asks, ‘Warhol? Who’s he?’ – sensible, incarnée dans un appareillage aux although he admits having discovered experi- La Vache qui rumine, 1970 conventions normées sur des principes réglés mental and avant-garde film through the work Film 16 mm transféré sur DVD, sur le marché. Non sans humour, Georges Rey of the New York artist. They both share what noir et blanc, muet Durée : 2 min. 45 s. / a pu déclarer « Warhol, connais pas », tout was described by critics of experimental and 16 mm film transferred to DVD, en reconnaissant avoir découvert le cinéma avant-garde film as an ‘anti-illusionist’ ten- black and white, silent expérimental et d’avant-garde grâce aux tra- dency. For the British theorist and experimen- Duration: 2 mins 45 secs vaux de l’artiste new-yorkais. Tous deux par- tal filmmaker Peter Gidal, anti-illusionism in tagent ce qui a été formulé par les critiques cinema consists of replacing the representa- Achat à l’artiste en 2008 / de cinéma expérimental et d’avant-garde tional content of the film image by the mate- Purchased from the artist, 2008 comme relevant d’une volonté d’« anti-illu- rial process of filmmaking, which reveals its sionnisme ». Pour le théoricien et cinéaste own traces of light, movement, and duration. expérimental britannique Peter Gidal, l’anti- In the case of La Vache qui rumine, ruminating illusionnisme au cinéma consiste à remplacer performs this pure filmic temporality. le contenu représentationnel de l’image fil- At first, Georges Rey’s work was associated mique par le processus du matériel cinéma- with the emergence of experimental film col- tographique qui révèle ses propres traces de lectives in France. Founder of the independ- lumière, de mouvement et de durée. Dans le ent Lyon movie theatre Le Cinéma, he had cas de , le ruminement several works shown at the seminal exhibi- 140 La Vache qui rumine La Vache qui rumine, 1969 performe cette temporalité filmique pure. tion of artists’ films ‘Une histoire du cinéma’, À ses débuts, le travail de Georges Rey est initiated by Pontus Hultén and organised associé à l’émergence des collectifs de by the Austrian filmmaker Peter Kubelka, cinéma expérimental en France. Il est le fon- at the Centre Georges Pompidou – Musée dateur de la salle de cinéma indépendant National d’Art Moderne in 1976. This selec- lyonnaise Le Cinéma. Plusieurs de ses œuvres tion formed the basis for what would become ont été montrées lors de l’exposition séminale the Beaubourg film collection. Georges Rey’s de films d’artistes « Une histoire du cinéma », work also bears witness to the complex and initiée par Pontus Hultén et organisée par le heterogeneous relationships between art and Tournée en pellicule, La Vache qui rumine cinéaste autrichien Peter Kubelka au centre cinema and the singular status of the moving consiste en un plan fixe d’une vache en train Georges Pompidou – musée national d’Art image among other expressive media. de ruminer, en portrait, vue de profil gauche. moderne en 1976. Cette sélection servira de 140 Georges Rey a commenté son propre film base à la fondation de ce qui deviendra la col- A.M. comme suit : « Elle [la vache] ruminait avant, lection de films de Beaubourg. À cet égard, le elle ruminait après ». Le déroulement (anti-) travail de Georges Rey témoigne également narratif de cette vidéo permet ainsi de ques- des relations complexes et hétérogènes entre tionner la nature même de la narration au art et cinéma et du statut singulier de l’image cinéma, tout en travaillant dans ses limites en mouvement face aux autres supports d’ex- techniques. De ce fait, le film dévoile le pression. « cinéma » comme institution régissant le

358 359 Georges Rey Georges Rey Pour Eleven Blowups, le mode opératoire 141 radicalisé relève du montage, non de l’enre- Eleven Blowups, 2006 gistrement direct, et met ainsi en question la véracité de toute image. À partir de sources visuelles distinctes, d’archives d’une agence de presse et de photographies de son propre Sophie Ristelhueber fonds prises au Proche-Orient pendant deux décennies, l’artiste réalise des paysages syn- Née en 1949 à Paris / Born in 1949 in Paris thétiques avec, à l’avant-plan, l’impact d’une Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris explosion. Les compositions aux couleurs assourdies accentuent l’effet de hors-champ spatial et temporel. La béance énorme n’est pas seulement celle du cratère, elle résulte d’une profonde impression, une empreinte Beyrouth, photographies, 1984 de l’absence et de la disparition, du senti- Ensemble de 5 photographies ment de désolation et d’incompréhension, de noir et blanc extraites d’une série en comportant 31 / Group of 5 la faille qu’ouvre dans la conscience la photo- black and white photographs graphie. De l’événement, évacué plus qu’évo- from a series of 31 qué par l’assemblage numérique, ne reste 50 × 60 × 5 cm qu’un traumatisme archétypal, stigmate de la condition humaine. Eleven Blowups, 2006 Tirage lambda sur papier 141 argentique / Lambda print For more than thirty years, Sophie Ristelhueber has been following the tracks of the past, on silver paper 142 108,5 × 131,5 cm or rather the pasts, distinct but inextrica- Beyrouth, photographies, 1984 bly bound by history, of humanity. In the first Achat à la galerieofmarseille series she made in Beirut, in 1984, she con- en 2009 / Purchased from denses a memory of ancient and modern galerieofmarseille, 2009 architecture, its destruction by bombings, and the trace of her own life. The ruins in her photographs always bear witness to the con- Depuis plus de trente ans, Sophie Ristelhueber struction of edifices and images, but also that arpente les traces du passé, ou plutôt de pas- of the self in contact with the world and its sés distincts mais forcément liés par l’his- cataclysms. Although her work is nourished toire de l’humanité. Dans sa première série by current events, it is never a mere repre- réalisée à Beyrouth en 1984, elle condense sentation of them. It evokes wounds on the une mémoire de l’architecture antique et universal scale by the absence of any refer- moderne, de sa destruction par les bombar- ence point for size and the use of the singular dements et la marque de son propre vécu. Les in Fait (1992). From grappling with devastated ruines photographiées attestent toujours de expanses came the group ‘Every One’ (1994), la construction des édifices, des images, mais partial framings of bodies, seen like bruised 142 également celle de soi au contact du monde and seamed landscapes. et de ses cataclysmes. Si son travail est nourri For Eleven Blowups, the radicalised operative par l’actualité, il ne consiste jamais à restituer mode depends on editing, rather than direct les événements. Il tend à l’évocation des bles- recording, thus putting the truth of every with their muted colours, accentuate the ness. Of the event, evacuated rather than sures à l’échelle universelle par l’absence de image in question. Starting with distinct vis- effect of a spatial and temporal ‘off-screen’. evoked by digital assembly, there remains tout repère de grandeur et l’emploi du singu- ual sources, from press agency archives and The enormous void is not merely that of the only an archetypal trauma, the stigmata of lier dans Fait (1992). Du corps à corps avec les photographs from her own stock taken in the crater, it results from a deep impression, an the human condition. étendues dévastées est né l’ensemble « Every Near East over two decades, the artist creates imprint of absence and disappearance, a feel- One » (1994), cadrages partiels de corps vus synthetic landscapes with, in the foreground, ing of desolation and incomprehension, the C.M. comme des paysages meurtris et couturés. the impact of an explosion. The compositions, flaw that photography opens in conscious-

360 361 Sophie Ristelhueber Sophie Ristelhueber 143 Photo-Op de la série / from the series « Bringing the War Home: House Beautiful », 2004 Martha Rosler

Née en 1943 à New York (États-Unis) / Born in 1943 in New York (United States) Vit et travaille à New York / Lives and works in New York

En novembre 2004, Martha Rosler a mon- Election (Lyndie) tré pour la première fois l’intégralité de ses Photo-Op photomontages relatifs au Vietnam puis à la Vanitas de la série / from the series situation irakienne à la galerie Bravin & Lee « Bringing the War Home : à New York. Leur procédé relève de la tradi- House Beautiful », 2004 tion de l’agit-prop, usant du choc des oppo- Photomontages imprimés sitions pour susciter la réaction : les spectres comme photographies couleur / des victimes s’infiltrent dans le confort de Photomontages printed as colour la maison – cadavres de petites filles dans photographs 50 × 60 cm les fauteuils de Photo-Op, orphelins hébé- tés côtoyant deux garçonnets indifférents Achat à la galerie Anne de Villepoix sous la table de Vanitas. À travers les baies en 2006 / Purchased from vitrées éclatent les bombes. En arrière-plan the Galerie Anne de Villepoix, 2006 d’une nature morte, l’une des Twin Towers s’effondre. « Bringing the War Home : House Beautiful » est un memento mori qui n’a plus besoin d’être codé à l’ère du spectacle mon- 143 Nous sommes en 2004. En avril, la chaîne CBS dialisé. Comme le rappelle la figure féminine a diffusé une émission révélant les tortures dupliquée de Photo-Op hurlant face à l’écran perpétrées par des soldats américains sur de son téléphone portable, ce spectacle est des prisonniers irakiens à Abou Ghraib. Des désormais alimenté par tout un chacun. La images sidérantes se sont répandues dans violence de la production et de la réception the ‘success’ of his pre-emptive war in Iraq. dazed orphans beside two indifferent lit- les médias. Nous sommes dans la cuisine continues des images est notre jouissance This is the context and the scene of the pho- tle boys under the table of Vanitas. Through dernier cri d’un appartement américain. Sur et notre damnation. Par quoi la protestation tomontage Election (Lyndie). All the pho- picture windows, bombs burst. Behind a la porte d’un placard, une coupure du New pacifiste de Martha Rosler cible aussi nos tomontages in the series ‘Bringing the War still life, one of the Twin Towers crumbles. York Times datée du 11 octobre signale que la conflits intimes. Home: House Beautiful’, in its 2004 version ‘Bringing the War Home: House Beautiful’ is campagne présidentielle suscite une grande as in that of 1967-1972, symbolise the haunting a memento mori that no longer needs to be tension. Dans quelques semaines, George The year: 2004. In April, the CBS network power of these images of war that make eve- coded, in this era of globalised spectacle. As W. Bush sera réélu, porté par le « succès » broadcasts a programme revealing the tor- ryday consciousness an image bank of plan- we are reminded by the duplicated female de sa guerre préventive en Irak. Tels sont tures perpetrated by American soldiers on etary violence. face in Photo-Op, howling into the screen of le contexte et la scène du photomontage Iraqi prisoners in Abu Ghraib. The stupefying In November 2004, Martha Rosler showed, her phone, this spectacle is now fed by each Election (Lyndie). Tous les photomontages qui images spread throughout the media. We are for the first time, all her photomontages deal- of us. The violence of the constant produc- composent la série « Bringing the War Home : in the top-of-the-line kitchen of an American ing with Vietnam, then Iraq, at the Bravin & tion and reception of images is our joy and House Beautiful », dans sa version de 2004 apartment. On the door of a cupboard, a clip- Lee gallery in New York. Their process is in the our damnation. Martha Rosler’s pacifist pro- comme dans celle de 1967-1972, embléma- ping from The New York Times, dated October tradition of agit-prop, using the shock of con- test also targets our inner conflicts. tisent le pouvoir de hantise de ces images de 11, indicates that the tension of the presiden- trast to raise a reaction: the ghosts of victims guerre qui font de la conscience quotidienne tial campaign is at its height. In a few weeks, penetrate the comfort of the house – little V.M. une iconothèque de la violence planétaire. George W. Bush will be re-elected, borne by girls’ corpses in the armchairs of Photo-Op,

362 363 Martha Rosler Martha Rosler 144 Le Hangar 2, 2001

Jacqueline Salmon

Née en 1943 à Lyon (Rhône) / Born in 1943 in Lyon Vit et travaille à Charnay (Rhône) et à Paris / Lives and works in Charnay and Paris

Algeco et tentes installés dans un immense Le Hangar 2, 2001 hangar pour héberger les réfugiés. Des Tirage jet d’encre pigmentaire Vetra images de cet espace contraint et fonction- Chrome sur papier chiffon / Vetra Chrome inkjet pigment print on nel, la figure humaine demeure la plupart du cotton paper temps absente ou lointaine. Des draps tendus 88 × 110 cm créent des espaces plus intimes, des corps sont allongés dans des lits de camp, quelques Le Hangar 10, 2001 rares objets ici ou là marquent la trace de pré- Tirage jet d’encre pigmentaire Vetra sences humaines. C’est cette distance qui fait Chrome sur papier chiffon / Vetra Chrome inkjet pigment print on la force des photographies ainsi que la capta- cotton paper tion de la lumière arrivant dans ces espaces 60 × 75 cm vides comme pour induire une ambivalence 144 dans les images : celle de lieux qui contribuent Achat à Jacqueline Salmon en 2011 / à protéger l’humanité de tous mais dans des Purchased from Jacqueline Salmon conditions très sommaires, où le dénuement, A society can be understood ‘by the spaces The artist captures the architectural identity in 2011 l’incertitude et la protection se côtoient. it builds’. This principle seems to define of the place and seeks, without wallowing in Le Hangar 12, 2001 Captant l’identité architecturale des lieux, Jacqueline Salmon’s approach when she misery or using special effects, to reveal cer- Tirage jet d’encre pigmentaire Vetra l’artiste cherche à révéler certaines évolu- becomes interested in places imbued with tain developments in our societies following Chrome sur papier chiffon / tions de nos sociétés par la manière dont social history, their transformations, and the increase in economic and social uncer- Vetra Chrome inkjet pigment print on s’accroît la précarité économique et sociale, the crises they reveal. ‘Le Hangar’ is a series tainty. Jacqueline Salmon talks to us of human cotton paper sans misérabilisme ni effet spectaculaire. focusing on the centre set up by the Red destiny, by trying to make us truly feel the 59 × 74 cm Jacqueline Salmon nous parle de la destinée Cross in Sangatte in 1999, where she portrays moments that exist in our collective memory. Don de Jacqueline Salmon en 2011 / humaine en essayant de rendre palpables images of the cabins and tents for housing ref- She admits to choosing ‘an aesthetic based Donated by Jacqueline Salmon in des moments de notre mémoire collective. ugees that are installed in a huge hangar. In on effacement, but nevertheless favours the 2011 Elle choisit « certes une esthétique de l’ef- the images of this restricted and functional fragile miracle of a meeting, the truth residing facement, mais privilégie toujours le fragile space, the human figure remains primarily in a relationship’.1 And it is this possibility of miracle d’une rencontre, la vérité d’une rela- absent or distant. Sheets are hung out to cre- exchange, of meeting, albeit uncertain, that tion 1 ». C’est cette possibilité d’échange, de ate a little privacy, bodies are stretched out gives the images their humanity: by the reci- rencontre, même incertaine, qui accorde on camp beds, and only the odd object here procity of a look and by the acute feeling of Une société pourrait se comprendre « à partir leur humanité aux images : par la réciprocité and there indicates the presence of humans. belonging to a common human world – what- des espaces qu’elle construit ». Ce principe des regards, par le sentiment aigu de notre It is precisely this distance that creates the ever that may be – where architecture leads semble définir la démarche de Jacqueline appartenance à un monde humain – quoi qu’il strength of these photographs, as well as the to both alienation and liberation. Salmon lorsque celle-ci s’intéresse aux lieux en soit – commun, où l’architecture est tour à light, captured as it shines into these empty chargés d’histoire sociale, à leurs mutations tour instrument d’aliénation et de libération. spaces as if to introduce a kind of ambiva- A.L. et aux crises qu’ils révèlent. « Le Hangar », lence to the images – that of a place that helps série consacrée à la structure d’accueil mise protect everyone’s humanity but in very basic 1. Dominique Baqué, « Pour un mémorial de la pensée », 1. Dominique Baqué, ‘Pour un mémorial de la pensée’, en place par la Croix-Rouge à Sangatte en in Eikon, n° 12-13, 1994-1995. Disponible sur : http:// conditions, where destitution, uncertainty, in Eikon, no. 12-13, 1994-1995. Available at: http:// 1999, présente notamment les images des www.jacquelinesalmon.com/pressebaquec.htm and protection rub shoulders. www.jacquelinesalmon.com/pressebaquec.htm

364 365 Jacqueline Salmon Jacqueline Salmon Éric Sandillon

Né en 1969 à Paris / Born in 1969 in Paris Vit et travaille à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) / Lives and works in Issy-les-Moulineaux

duire une vraie ouverture, dans la mesure où le er République / Nation, 1 mai 2002, rapport de force économique y était occulté. 2002 La manifestation avait de plus une dimension Impression jet d’encre sur papier autocollant / Ink jet print on sticker de comédie puisque l’issue du scrutin était paper connue d’avance. Il s’agissait plus de préle- 160 × 120 cm ver quelques potentialités esthétiques dans ce petit théâtre politique que de donner à Achat à la galerie Martine et Thibault voir une adhésion subjective directe. Dans le de la Châtre en 2003 / Purchased travail d’Éric Sandillon, cette recherche sur from the Galerie Martine et Thibault de la Châtre in 2003 le vêtement d’information s’est à présent concentrée dans une figure, « la dépouille », qui est un corps vide, un « sac de peau », une forme de condensation entre peau et vête- Cette œuvre est extraite d’une série de cinq ment. L’Allergie, film réalisé en 2005, met ainsi photographies réalisées entre les deux tours en scène un personnage dévitalisé qui n’est de l’élection présidentielle de 2002, lors de la plus support d’information, mais, au travers 145 manifestation organisée en réaction au pas- de sa souffrance, symptôme de l’information sage du Front national au second tour. À ce elle-même. L’intérêt pour la théâtralité s’est 145 moment, Éric Sandillon travaillait depuis 1995 donc déplacé de l’espace public à la scène du République / Nation, 1er mai 2002, sur le vêtement d’information. Il pensait cet récit, où le corps peut retisser une histoire et 2002 accessoire capable de manifester des enjeux une possibilité de subjectivation. politiques dans l’espace public, et de pro- duire une condensation entre art et design This work is part of a series of five photographs en réactualisant le modèle constructiviste made between the two rounds of the 2002 sion of spontaneity and collective presence In Éric Sandillon’s work, research on informa- dans un contexte post-industriel. Ce sursaut French presidential election, at the demon- brought about by the demonstration. tion clothing is presently concentrated in one populaire était donc une occasion d’obser- stration organised in response to the Front In that situation, Éric Sandillon positioned figure, ‘the remains’: an empty body, a ‘bag ver dans une situation réelle ce qui était en National reaching the second round. At that himself primarily as an observer. Conscious of skin’, a kind of condensation between skin jeu dans ce travail artistique : des corps sup- time Éric Sandillon had been working since of the dynamic of free-market reforms set and clothing. L’Allergie, a 2005 film, shows a ports et signes d’une information politique. 1995 on information clothing. He thought this in motion since the mid-1980s, in a climate wasted figure who is no longer a source of Mais avec, en plus, une dimension de spon- accessory was capable of expressing politi- of political apathy, he didn’t think this event information, but, in his suffering, a symptom tanéité et de présence du collectif induit par cal issues in the public space and producing would produce a real opening, given that of information itself. Theatrical interest is la manifestation. a condensation between art and design by the economic balance of power was not thus displaced from the public space to the Dans cette situation, Éric Sandillon s’est posi- updating the Constructivist model in a post- addressed. The demonstration had a dimen- scene of the story, where the body can reas- tionné plutôt comme observateur. Conscient industrial context. This popular uprising was sion of play-acting, given that the ballot result semble a history and a possibility of subjec- de la dynamique des réformes néo-libérales thus an opportunity to observe in an actual was already known. It was a question of draw- tivation. mise en marche depuis le milieu des années situation what was at stake in this artistic ing some aesthetic possibilities from this lit- 1980 dans un climat d’apathie politique, il ne work: bodies as bases and signs of political tle political vaudeville, rather than expressing J.E. pensait pas cet événement capable de pro- information. But with an additional dimen- a direct subjective commitment.

366 367 1 Éric Sandillon Éric Sandillon At first glance, we are confronted by a cal- cined surface, with holes and tattered edges, like some disturbing exhibit of incriminating evidence. But, as we decipher this sombre opacity, we discern a crumpled page sus- pended in the whiteness of the mounting, Pierre Savatier also paper, which, rather than emphasising its flatness, describes subtle reliefs, folds, Né en 1954 à (Vienne) / Born in 1954 in Poitiers and crevasses. Little by little, printed pat- Vit et travaille à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) / terns emerge. Blackness gives way to a com- Lives and works in Montreuil-sous-Bois plex combination of transparencies, revealing at once the object’s fragility, its ordinariness, and the process of transmutation. A change of scale turns out to operate in this illusionist Publicité # 1, 2013 146 game; a page of advertising, crumpled, then Publicité # 2, 2013 Publicité # 1, 2013 flattened, has been scanned, then enlarged Scanogrammes, épreuves pigmentaires sur papier / to poster size. Besides the texture and the Scanograms, pigmentary prints manipulations, the frames of the page layout on paper become visible. Despite the overlay of the two 130 × 104 cm sides of the sheet, we can see words, figures, and vaguely coloured logos. We find ourselves Achat à la galerie Jean Brolly seeing beyond the surface, seeing both sides en 2014 / Purchased from the Galerie Jean Brolly in 2014 (of the trick). The scanner gives new life to the photogram technique Pierre Savatier has used for over twenty-five years. Although digital processing De prime abord, le regard butte sur une sur- L’adoption du scanner actualise la technique has replaced the silver print, the artist contin- face calcinée, trouée, aux bords déchique- du photogramme pratiquée par Pierre Savatier ues to explore the phenomenon of the revela- tés, qui s’érige telle une inquiétante pièce depuis plus de vingt-cinq ans. Si le procédé tion of the object through physical contact. à conviction. Mais amené à déchiffrer cette numérique s’est substitué à l’empreinte argen- The scanograms even seem to correspond to sombre opacité, on discerne une page frois- tique, l’artiste poursuit son exploration du phé- the comparison made by Man Ray of his pho- sée qui flotte dans la blancheur du support, nomène de révélation par contact physique de tograms and ‘the intact ashes of an object papier lui aussi, et qui, au lieu d’en accuser l’objet. Les scannogrammes semblent même consumed by fire’. Despite the concrete 146 la planéité, dessine une étendue aux sub- correspondre à la comparaison proposée par aspect of the process of capturing the object, tils reliefs, plis et crevasses. Peu à peu en Man Ray entre ses photogrammes et « les its trace confronts the uncertainty of the visi- émergent des motifs imprimés. La noirceur cendres intactes d’un objet consumé par les ble and appears merely as a simulacrum of the cède à une combinaison complexe de trans- flammes ». Malgré le rapport concret dans le original. But where does the illusion lie? The parences, qui révèle à la fois la fragilité de processus de captation de l’objet, sa trace se choice of an advertising circular is far from l’objet, sa nature ordinaire et le processus confronte à l’incertitude du visible et ne s’im- neutral. The exacerbated representation of de transmutation. Un changement d’échelle pose que comme simulacre de l’original. Mais its materiality overwhelms the legibility of the s’avère opérant dans le jeu illusionniste ; une où se situe l’illusion ? Le choix de l’imprimé pictures and texts of commercial notices. Of page de publicité, chiffonnée puis dépliée, publicitaire n’a rien d’anodin. La représenta- the advertising sheet, first brutalised, then a été soumise à l’analyse d’un scanner puis tion exacerbée de sa matérialité engloutit la detailed point by point, there remains only a agrandie aux dimensions d’une affiche. Outre lisibilité des images et des textes des annonces residual form. A post-Pop work, which sug- la texture et les manipulations, les encadrés mercantiles. De l’encart publicitaire, d’abord gests the idea of disenchantment with the de la mise en page apparaissent. Malgré les malmené puis détaillé point par point, ne reste consumerist system. Incriminating evidence. interférences du recto et du verso, des logos qu’une forme résiduelle. Une œuvre post-pop, vaguement colorés, des mots et des chiffres qui insinue l’idée de désenchantement du sys- C.M. se donnent à lire. Et en définitive, le regard tème consumériste. Une pièce à conviction. se surprend à voir au-delà de la surface, à voir des deux côtés (du miroir aux alouettes).

368 369 Pierre Savatier Pierre Savatier In Hans Schabus’s work, the triptych of work / spectator / exhibition space plays a key role in the creative process and animates the art- ist’s gesture. His work reserves a fundamen- tal place for site-specific works. Although the exhibition space is important, the place Hans Schabus of initial creation, the artist’s studio, occu- pies nonetheless an important place there, Né en 1970 à Watschig (Autriche) / Born in 1970 in Watschig (Austria) attempting to evoke the hidden face of cre- Vit et travaille à Vienne (Autriche) / Lives and works in Vienna (Austria) ative work, behind the scenes, often sur- rounded by an aura of whimsical bohemianism that the artist rejects in his work. The sculpture The (True) Artist (Italienisch) gives a new dimension to this dialectic of lay- The (True) Artist (Italienisch), 2001 147 ing bare, that of parody of the true nature of Bois, paille, tissu, feutre, carton / The (True) Artist (Italienisch), 2001 the artist, represented by a scarecrow on a Wood, straw, cloth, felt, cardboard 110 × 60 × 80 cm pedestal. This incongruous, headless figure, with wooden limbs and a torso stuffed with Achat à la galerie Jocelyn Wolff straw, is nonetheless wearing a suit, not the en 2014 / Purchased from expected rags. Its posture, the wisps of straw the Galerie Jocelyn Wolff in 2014 scattered on the ground in front of the piece, as well as the cardboard pedestal on which it is set, nonetheless bear witness to its poverty. ‘This parodic reversal is one of the keys to reading Hans Schabus’s work. The artist con- stantly uses elements for what they are not, in arrangements that are not their own, that are even exactly the opposite of their Dans l’œuvre de Hans Schabus, le triptyque en carton sur lequel il est posé témoignent functions.’1 Interrogation of the role of the œuvre / spectateur / espace d’exposition néanmoins de sa misère. artist? Masquerade? Revelation? This sculp- joue un rôle capital dans le processus créa- « Ce renversement parodique s’avère être ture, atypical among his works, disturbs the tif et anime le geste de l’artiste. Son travail une des clés de lecture du travail d’Hans spectator’s bearings and takes on an even réserve une place fondamentale aux œuvres Schabus. L’artiste n’a de cesse d’utiliser les more parodic aspect when it is exhibited in a in situ. Si le lieu d’exposition est important, éléments pour ce qu’ils ne sont pas, dans des public space, a trenchant commentary on the le lieu de création initial, l’atelier de l’artiste, dispositions qui ne sont pas les leurs, voire image of the artist today and the gap between n’en occupe pas moins une place importante, même exactement à l’inverse de leurs fonc- cliché and reality. dans le but d’évoquer l’envers du décor, la tions 1. » Mise en question du rôle de l’artiste, 147 face cachée du travail créatif, souvent entou- mascarade ou révélation ? Cette sculpture, N.T. rée d’une aura bohème et fantaisiste que l’ar- pièce atypique de sa production, bouleverse tiste rejette dans son travail. les repères du spectateur et prend un aspect La sculpture The (True) Artist (Italienisch) vient parodique encore plus accentué, une fois donner une nouvelle dimension à cette dia- exposée dans un espace public, commen- lectique du dévoilement, celle de la parodie taire tranchant sur l’image que l’on accorde de la véritable nature de l’artiste, représenté à l’artiste aujourd’hui et l’écart entre le cli- par un épouvantail posé sur un socle. Ce per- ché et la réalité. sonnage incongru, dépourvu de tête, avec des membres en bois et un corps rembourré de paille, est néanmoins vêtu d’un costume et non de haillons comme on aurait pu s’y 1. Institut d’art contemporain Villeurbanne / Rhône-Alpes. 1. Institut d’art contemporain Villeurbanne / Rhône-Alpes. Présentation de l’exposition « Nichts geht mehr ». Dis- Presentation of the exhibition ‘Nichts geht mehr’. attendre. Sa posture, les brins de paille disper- ponible sur : http://i-ac.eu/fr/expositions/24_in-situ/ Available at: http://i-ac.eu/fr/expositions/24_in-situ/ sés sur le sol devant la pièce, ainsi que le socle 2011/7_NICHTS-GEHT-MEHR 2011/7_NICHTS-GEHT-MEHR

370 371 Hans Schabus Hans Schabus Franck Scurti

Né en 1965 à Lyon (Rhône) / Born in 1965 in Lyon Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

sons lumineux, prises à la volée dans une rue Flags Vision, 2001 de Tokyo. Cette séquence, qui naît certes du Vidéo couleur montée image hasard mais surtout du regard avisé d’un flâ- par image neur urbain, parle d’un univers de formes Durée : 4 min. / 148 Colour video edited image by image assez banal, alliant véhicule utilitaire, écran Duration: 4 mins de diffusion, contenu ludique. À partir de ces signes mis en présence, l’artiste orchestre un In / Out, 2001 récit elliptique, qui saisit sur le vif la réalité Diptyque d’une société mais qui est aussi traversé par Photographie couleur sur diasec, 148 bois, caisson lumineux / des questions esthétiques. In / Out, 2001 Diptych La problématique du cadrage de la réa- Colour photograph on Diasec, lité est abordée dans la vidéo Flags Vision, wood, lightbox tournée elle aussi à Tokyo. Nouvelle mise en (2 ×) 107 × 160 × 8,5 cm abyme (tournage dans le tournage), cette séquence filmée en est presque Achat à la galerie Anne de Villepoix snapshot en 2002 / Purchased from traitée comme un vidéoclip : on y voit deux the Galerie Anne de Villepoix in 2002 adolescentes au look branché, cheveux ‘I seek to destabilise everything that estab- The problem of framing reality is addressed bleus et maquillage futuriste, à la fois extra- lishes authority, to juxtapose social codes and in the video Flags Vision, also shot in Tokyo. A verties et timides, prises à partie par une artistic forms, to give importance to images new mise en abyme (a shoot within a shoot), équipe de télévision. Franck Scurti évacue that have none and take it away from those this sequence filmed in snapshot is almost le contenu parlé de l’interview pour mieux that have too much.’1 Although Franck Scurti’s like a music video: we see two trendy teen- montrer le côté assez grotesque du dérou- words apply to all of his oeuvre, they give an age girls, with blue hair and futuristic makeup, lement – le journaliste propose par exemple especially good introduction to In / Out, two both extraverted and shy, addressed by a tel- aux jeunes filles de manipuler un poisson cru. photographic images, taken on the run in a evision crew. Franck Scurti removes the spo- Ces dernières jouent le jeu, trop heureuses Tokyo street, mounted on lightboxes. This ken content of the interview, all the better « Je cherche à déstabiliser tout ce qui fait sans doute de passer à la télévision et d’inté- sequence, brought about through chance, of to show the rather grotesque aspect of the autorité, à mettre en rapport des codes grer le flux médiatique mondial. Car c’est de course, but above all through the acute gaze encounter – the journalist, for instance, sug- sociaux et des formes artistiques, à don- cela que traite Flags Vision : le formatage des of an urban flaneur, speaks of a universe of gests that the young girls manipulate a raw ner du poids à des images qui n’en ont pas êtres et des images, sur fond musical signi- rather banal forms, combining utilitarian fish. The girls play along, no doubt happy to et à en enlever à celles qui en ont trop 1. » Si fiant, en l’occurrence le tube planétaireChina vehicle, diffusion screen, and playful content. be on television and join the worldwide media ces propos de Franck Scurti qualifient avec Girl, écrit par David Bowie et Iggy Pop, dont From these signs, the artist orchestrates an stream. For that is the subject of Flags Vision: justesse l’ensemble de son travail, ils intro- les paroles dénoncent clairement l’impéria- elliptical narrative, capturing, live, the real- the formatting of beings and images against duisent particulièrement bien In / Out, deux lisme américain. ity of a society, but one traversed as well by a significant musical background (in this images photographiques montées sur cais- aesthetic questions. case the worldwide hit China Girl, written by David Bowie and Iggy Pop, whose lyrics clearly 1. « Tractacus Economico-Logicus », in Nicolas Bourriaud, 1. ‘Tractacus Economico-Logicus’, in Nicolas Bourriaud, denounce American imperialism). Régis Durand, Franck Scurti, Before and After, Paris, Régis Durand, Franck Scurti, Before and After (Paris: Éditions du Palais de Tokyo, Centre national de la Photo- Éditions du Palais de Tokyo - Centre national de la Photo- graphie / Bâle, Kunsthaus Baselland, 2002, p. 32. graphie / Basel, Kunsthaus Baselland, 2002), 32. E.P.

372 373 Franck Scurti Franck Scurti 149 Photomatou, 2007

Alain Séchas 150 Barnett, 2007 Né en 1955 à Colombes (Hauts-de-Seine) / Born in 1955 in Colombes Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Pour beaucoup, son nom et son art demeurent Alain Séchas ne choisit pas, si ce n’est l’oscil- Photomatou, 2007 associés à une figure de proue : le chat, contenu lation entre ces différents pôles et le désir Impressions sur papier, phonétiquement dans son patronyme, qui l’a de mettre en scène une sorte d’effacement palettes en bois / Prints on paper, wooden boards accompagné dix ans dans ses expérimenta- – les posters distribués au public vont peu à 84 × 60 cm chaque / each tions esthétiques. En 2007, invité pour une peu disparaître au fil du temps de l’exposition, exposition personnelle au Frac, Alain Séchas tout comme la figure du chat (et plus généra- Barnett, 2007 amorce un virage dans son œuvre, dans lequel lement l’image) désertera bientôt son œuvre. Acrylique sur toile / Acrylic l’appropriation d’une certaine peinture abs- on canvas traite s’affirme comme une nouvelle aspira- For many, his name and art remain associ- 240 × 192 cm tion majeure. Le tableau Barnett illustre bien ated with a figurehead: the cat, phonetically Achat à la galerie Chantal Crousel cette tendance, celle d’une période intermé- contained in his family name (chat, with its en 2007 / Purchased from diaire : le chat et son potentiel tragi-comique silent ‘t’, can be heard in the second sylla- the Galerie Chantal Crousel in 2007 s’affichent au premier plan, mais c’est bien le ble of Séchas), which has accompanied him travail pictural qui retient ici l’artiste. Ainsi, il through ten years of aesthetic experimen- rend hommage à quelques artistes embléma- tation. In 2007, offered a solo exhibition at tiques de l’avant-garde et de l’art moderne. the Frac, Alain Séchas took a new turn in his Dédicace intime et familière (toute la série work, in which the appropriation of a cer- arbore nonchalamment en matière de titre tain abstract painting declared itself a new les prénoms de ces stars de l’histoire de l’art), major aspiration. The painting Barnett illus- Barnett n’en est pas moins une déclaration trates this tendency, that of an intermediate 150 formelle qui, à nouveau, rappelle l’attache- period: the cat and its tragi-comic potential ment de l’artiste au trait : ici, le fameux « zip », are foregrounded, but pictorial work is what mot de Barnett Newman difficilement tradui- interests the artist here. He pays homage to sible, qui dit l’épaisseur d’un scotch adhé- some emblematic artists of the avant-garde teen cats’ heads, so many Identikit portraits sif, partition de l’espace que l’artiste investit and modern art. An intimate, familiar dedica- featuring both the generic and the singular. presque d’une force mystique et que son chat tion (the whole series nonchalantly bears the Photomatou hesitates strangely between sev- révèle en direct dans la composition. first names of art history legends),Barnett is eral readings, both quickly identified drawing Photomatou rejoue quant à elle l’analogie nonetheless a formal declaration that, once and profound interrogation, clownish diver- entre le trait du dessin et les traits du visage : more, recalls the artist’s fondness for line: sion and radical concept. A scale-balanced quatorze affiches, reproduites à chaque here, Barnett Newman’s famous ‘zip’, wide intelligence, Alain Séchas does not choose exposition, sont présentées sur des palettes as a strip of scotch tape, a division of space anything but oscillation between these dif- et déclinent quatorze têtes de chats, autant the artist invests with a near-mystical force ferent poles and the desire to stage a kind of de portraits robots qui pointent à égalité and that his cat demonstrates in action in the erasure – the posters distributed to the public le générique et la singularité. Photomatou composition itself. will gradually disappear over the course of the flotte étrangement entre plusieurs lectures, Photomatou replays the analogy between the exhibition, as the face of the cat (and images à la fois dessin vite identifiable et question- drawn line and the facial feature: fourteen in general) will soon desert his work. nement profond, divertissement potache posters, reproduced for each exhibition, are 149 et radicalité conceptuelle. Esprit balancier, presented on wooden boards and show four- E.P.

374 375 Alain Séchas Alain Séchas Bruno Serralongue

Né en 1968 à Châtellerault (Vienne) / Born in 1968 in Châtellerault Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Depuis le début des années 1990, Bruno Jornal do Brasil (ensemble II), 1999 Serralongue définit son projet artistique par Polyptyque de 9 photographies la mise en place de procédures – à la fois Tirages couleur sur papier, tirages noir et blanc aux sels d’argent rigoureuses et ouvertes à l’aléatoire – qui sur papier, collage sur aluminium visent à la réappropriation de l’information Dimensions variables / plus par l’analyse en creux de ses conven- Polyptych of 9 photographs tions que par la proposition d’alternatives Colour prints on paper, black aux productions journalistiques. Préoccupé and white silver prints on paper, par le déficit d’images de la réalité sociale à collage on aluminium Variable dimensions l’échelle planétaire, il sélectionne des événe- ments et s’y rend sans accréditation, avec Vestiges (après destruction). une chambre grand format. Il adopte le posi- Zone industrielle des Dunes, Calais, tionnement distancié mais impliqué d’un par- avril 2007, 2007 ticipant ou d’un observateur qui accuse les Tirage Ilfochrome collé sur décalages par rapport aux pratiques profes- aluminium / Ilfochrome print mounted on aluminium sionnelles. Le travail de Bruno Serralongue 50 × 62,5 cm décèle un paradoxe : par le dévoilement des conditions de prise de vue, il minorise en Achat à la galerie Air de Paris toute conscience le contenu iconique, (en 151 en 2009 / Purchased from tout cas événementiel ou spectaculaire) tan- the Galerie Air de Paris in 2009 dis que dans les médias, les codes, camou- flés pour donner une illusion de transparence, occultent bien souvent la réalité. En 1999, il se fait engager pour deux semaines la singularité des pseudo-images de presse. Since the early 1990s, Bruno Serralongue par le quotidien Jornal do Brasil et, dans la Le montage en révèle la portée critique et has defined his artistic project by establish- stricte imitation de la posture de reporter, il poétique. Il a valeur de (dé)monstration. ing procedures – simultaneously rigorous and respecte les choix éditoriaux pour la publica- La série réalisée en plusieurs temps sur les open to chance – aiming to reappropriate tion de neuf de ses images. Par leur statisme camps de réfugiés à Calais – et reprise en information through questioning the conven- et l’ellipse narrative, l’écart n’en est pas moins 2015 – met elle aussi en cause la possibilité tions of, rather than proposing alternatives patent. Les légendes renvoient, sinon à une d’une saisie exhaustive du réel. Le drame se to, the news media. Concerned by the lack of activité, à un phénomène en cours – qu’il soit lit pourtant par la prégnance des détails dans images of social reality on a planetary scale, politique, social, économique ou environne- les images d’une quiétude tout illusoire. Tout he selects events and goes to them, without mental – et mettent en exergue la dépen- en affirmant leur existence individuelle par accreditation but with a large-format camera. 151 dance de l’image au langage, qui passe le plus leur sujet, leur format et leur présentation He adopts the distanced but involved position Vestiges (après destruction). Zone industrielle des Dunes, souvent inaperçue dans la presse malgré son (jamais emblématique), elles travaillent sur of a participant or an observer, pointing out Calais de la série / from the series caractère déterminant. Le polyptique conçu l’intervalle pour engager le spectateur dans how this differs from professional practices. « Calais », 2007 indépendamment, permettant l’immixtion de une lecture plurielle. Bruno Serralongue’s work reveals a paradox: l’actualité dans la sphère artistique, accentue by laying bare the conditions of the photo

376 377 Bruno Serralongue Bruno Serralongue shoot, he consciously minimises iconic con- rent events to infiltrate the artistic sphere, tent (event or spectacle); but, in the media, accentuates the singularity of the pseudo- codes camouflaged to give an illusion of press photos. Their assemblage reveals their transparency often conceal reality. critical and poetic scope. It has the value of In 1999, he got himself hired for two weeks for a demonstration. the daily Jornal do Brasil and, in strict imita- The series made over several sessions on tion of the reporter’s posture, respected edi- the Calais refugee camps – taken up again in torial choices for the publication of nine of 2015 – also raises the possibility of an exhaus- his images. Despite their stasis and narrative tive capture of reality. Drama emerges none- ellipsis, the difference is nonetheless obvious. theless through striking details in images of a The captions refer to a current phenomenon, completely illusory tranquillity. While affirm- if not an activity – whether political, social, ing their individual existence through their economic, or environmental – and highlight subject, format, and presentation (never the dependence of image upon language, emblematic), they work on what is missing to which often goes unnoticed in the press, engage the spectator in a plural reading. despite its crucial character. The polyp- tych, devised independently, allowing cur- C.M.

152 Jornal do Brasil (ensemble II), 1999 Sous-titres / subtitles : - Le Ministre de la culture Francisco Weffort assiste à un concert à Candeleria - Hugo Cabo Filho, entraîneur de l’équipe de natation de Vasco - Préparation de la fête de nouvel an au sommet du Pain de Sucre - Inflation galopante - Bus incendié dans la favela de Cujuiero - Coupure de gaz dans le quartier de Leblon - Agriculture biologique - La Réalisatrice Katia Lund et les acteurs dans la favela Morro do Vidical - La Favela Morro do Vidical 152

378 379 Bruno Serralongue Bruno Serralongue Hrafnkell Sigurðsson

Né en 1963 à Reykjavik (Islande) / Born in 1963 in Reykjavik (Iceland) Vit et travaille à Reykjavik / Lives and works in Reykjavik

retrouver face à un monochrome bleuté ou à Conversion Seven de la série / des reliefs vifs et colorés selon qu’il regarde from the series « Conversion », 2007 à l’intérieur ou à l’extérieur de l’image. Si les Retable Photographie sous diasec / « Conversions » parlent autant de l’idée de Reredos cycle et des finitudes d’une nature en péril Photograph under Diasec que de l’impact de l’homme sur son environ- 175 × 225 cm nement, elles donnent aussi à voir, derrière l’aspect écologique, le sublime romantique Achat à la galerie Gabrielle Maubrie de la contemplation d’un paysage. en 2008 / Purchased from the Galerie Gabrielle Maubrie in 2008 L’œuvre de Hrafnkell Sigurðsson joue ainsi sur le contraste entre-temps incarné par la figure des déchets et la sensation d’apesan- teur délivrée par l’espace céleste : la fixité d’une beauté immémoriale qui s’oppose avec une trivialité au flux des détritus. De par ce sentiment d’abstraction sur lequel le regard 153 du spectateur n’a que peu de prise, la pièce Conversion Seven de la série / de l’artiste s’envisage comme une réflexion from the series « Conversion », 2007 sur les différentes échelles de la dimension humaine. Empruntant au sensible et à une 153 logique esthétisée du contraste, Conversion Seven s’apparente à une fenêtre sur le monde : le précipité d’une réalité contempo- raine, offerte et dépliée dans l’espace. Conversion Seven de Hrafnkell Sigurðsson tators may find themselves confronted with rubbish. Through this feeling of abstraction appartient à une série photographique débu- Hrafnkell Sigurðsson’s Conversion Seven is a bluish monochrome or brightly coloured on which the viewer’s gaze cannot fix itself, tée par l’artiste islandais en 2006. Décuplant part of a photographic series the Icelandic reliefs, depending on whether they look at the the artist’s piece becomes a reflection on l’impression physique d’envahissement par artist began in 2006. Multiplying the physi- inside or the outside of the image. Although the different scales of the human dimension. un paysage, ce triptyque, qui s’ouvre à la cal impression of being overwhelmed by a the ‘Conversions’ speak of the idea of a cycle Using viewer perception and an aestheticized manière d’un retable, participe de la mise en landscape, this triptych, which opens like a and the finitudes of a nature imperilled by logic of contrast, Conversion Seven is like a abyme et rappelle le test de Rorschach avec reredos, employs mise en abyme and recalls human impact, they also reveal, beneath their window on the world: the precipitate of a deux images placées en symétrie. Quand il se a Rorschach test with two images arranged ecological aspect, the Romantic sublimity of contemporary reality, displayed and opened déploie, le dispositif d’accrochage des diffé- symmetrically. When it is opened out, the landscape contemplation. out in space. rentes faces et prises de vue propose la créa- hanging arrangement of its different sides and Hrafnkell Sigurðsson’s work plays on the con- tion constante de tableaux et de mouvements views offers a constant creation of different trast embodied by the image of waste ver- F.E. différents de la photographie. Clé d’interpré- photographic pictures and movements. As a sus the sensation of weightlessness bestowed tation ou possible sens allégorique de la pièce possible key to reading or allegorical mean- by celestial space: the fixity of immemorial de Hrafnkell Sigurðsson, le spectateur peut se ing for Hrafnkell Sigurðsson’s piece, spec- beauty opposed to the trivial movements of

380 381 Hrafnkell Sigurðsson Hrafnkell Sigurðsson sculpture, de l’architecture et du design. Ses œuvres, par leurs formes et leurs couleurs, leurs jeux d’échelle et leurs interactions cri- tiques, accentuent le sentiment d’absurdité de notre condition urbaine, entre ironie et Kristina Solomoukha cauchemar. Kristina Solomoukha examines urban land- Née en 1971 à Kiev (Ukraine) / Born in 1971 in Kiev (Ukraine) scapes and the traffic and communication Vit et travaille à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) / Lives and works in Bagnolet networks that structure them. From her observations she extracts signs, which she transposes into her works in the form of models, drawings, installations, and videos. Kristina Solomoukha s’intéresse aux paysages Light House is a reproduction of an electric Light House, 2003 urbains et aux réseaux de circulation et de pylon on which is set a little model of a build- Caisson lumineux, structure communication qui les structurent. De ses ing. Constructive functionality and coher- aluminium, bois / Lightbox, aluminium structure, wood observations, elle extrait des signes qu’elle ence have been eliminated to leave room 250 × 180 × 180 cm transpose dans ses œuvres sous la forme de for an absurd image of habitat. The image maquettes, dessins, installations et vidéos. of the tower, an archetypal, authoritarian Documents, 2004 Light House est ainsi la reproduction d’un urban form, is unsettled by the variation in Reproductions photographiques, pylône électrique sur lequel repose la petite scale between the base and the building. impression jet d’encre contrecollée maquette d’un immeuble. La fonctionnalité is made up of four photographs sur contreplaqué Documents Dimensions variables / et la cohérence constructives ont été éva- of highway interchanges seen from above, Photographic reproductions, cuées pour laisser place à une image absurde set on wooden structures. The interchanges’ inkjet prints mounted on plywood de l’habitat. L’image de la tour, en tant que loops are like metaphors for a society seeking Variable dimensions forme archétypale et autoritaire de l’urbain, to be ever more fluid, more mobile, express- est mise à mal par le rapport d’échelle inégal ing a fantasy of uninterrupted circulation, Achat à la galerie Martine et Thibault entre le support et l’immeuble. but revealing generic territories where circu- de la Châtre en 2005 / Documents Purchased from the Galerie Martine est composée de quatre photographies lation seems to have lost its meaning, where et Thibault de la Châtre in 2005 d’échangeurs autoroutiers vus de des- landmarks have disappeared. sus, posées sur des structures en bois. Ces These productions illustrate the artist’s gaze nœuds autoroutiers sont comme les méta- on certain realities of our urban environ- phores d’une société qui se veut toujours plus ment. Highway interchanges are anonymous fluide, plus mobile, diffusant un fantasme de spaces that, like stations, airports, and high- circulation continue mais qui laisse appa- way rest areas, are what the anthropolo- raître des territoires génériques où ces cir- gist Marc Augé calls ‘non-places’, places of 154 culations semblent n’avoir plus aucun sens, transit passed through in an instant, where où les repères ont disparu. the other is excluded. To address the feel- Ces productions illustrent le regard de l’ar- ing of being submerged in a permanent flow tiste sur certaines réalités de notre environ- of images, objects, and codes saturated with nement urbain. Les échangeurs autoroutiers signifiers, Kristina Solomoukha chooses to sont des espaces anonymes qui, comme les play with the phenomena, using and turning to gares, les aéroports ou les aires de repos sont, her own ends the vocabularies of sculpture, selon l’anthropologue Marc Augé des « non- architecture, and design. Her works, through lieux », lieux de transit que l’on traverse dans their forms and colours, their play with scale l’instant et où l’autre demeure exclu. Face au and their critical interactions, accentuate the sentiment d’être noyé dans un flux perma- feeling of absurdity in our urban condition, nent d’images, d’objets et de codes saturés between irony and nightmare. de signifiants, Kristina Solomoukha choisit 154 Light House, 2003 ainsi de jouer avec ces phénomènes en utili- A.L. sant et en détournant les vocabulaires de la

382 383 Kristina Solomoukha Kristina Solomoukha Taroop & Glabel

Vivent et travaillent à Paris

Beuglophone électrique, 2007 Assemblage de 40 boîtes musicales (dites « boîtes à meuh ») Fer, bois, moteur électrique, Depuis le début des années 1990, le collectif boîtes musicales / Assemblage Taroop & Glabel mène une lutte sans conces- of 40 moo boxes sion contre la bêtise sous toutes ses formes. Iron, wood, electric motor, Tâche dont il faut bien craindre qu’elle soit moo boxes sans fin tant prolifère cette tendance de 105 × 124 × 70,5 cm l’homme à nier sa liberté – et notamment Don de l’artiste en 2007 / sa liberté de penser – pour lui préférer le Donated by the artist in 2007 confort d’être aliéné et le soulagement de ne se sentir responsable de rien. Cela va des Property Security, 2006 formes les plus anciennes (telles que les reli- Vénaline sur contreplaqué / gions, qui, malgré leur grand âge, sont encore 155 Venaline on plywood vivaces et parfois même mortifères diront 150 × 100 cm certains) jusqu’aux formes nouvelles que Sans titre, 2012 sont la consommation béate de marchan- Résine, bois, peinture, métal / dises et l’industrie dite « culturelle ». De ces Resin, wood, paint, metal dernières, Vie paisible à Saint-Martin-des- vendre à grand renfort de tours de passe- ately defy what we call beauty, the portrait 88 × 56 × 116 cm Champs offre un bon exemple. En six dessins passe – d’une belle et d’une bonne nature, of a perfect happiness, showroom model, d’un trait qui défie volontiers l’idée qu’on se apaisante et réconciliante. Mais en réalité, unfolds: happy couples, figure holding fishing Vie paisible à Saint-Martin-des-Champs, 2007 fait du beau, se déploie le portrait d’un bon- c’est d’illusion et de machination qu’il s’agit. trophy, figure with dog in front of suburban Feutre et aquarelle sur papier / heur parfait, modèle de série : couples heu- home, sometimes with car. Is this not pre- Marker and watercolour on paper reux ou personnage exhibant un trophée de Since the early 1990s, the Taroop & Glabel cisely what is symbolised in the 2012 sculp- (6 ×) 30 × 21 cm pêche, ou encore personnage avec chien, sur collective has been carrying on a no-holds- ture Sans titre, where a resin dog occupies a fond de pavillon, parfois avec voiture. N’est-ce barred fight with stupidity in all its forms. A jewelled niche appropriate for a saint’s relics? Achat à la galerie Semiose en 2007 / pas la même chose, précisément, que symbo- task, it is to be feared, that will never end, Where will we find the sacred next? Anywhere Purchased from the Galerie Semiose in 2007 lise Sans titre, cette sculpture de 2012 où on so constant is the human tendency to refuse it works! There is a disturbing point where découvre un chien en résine dans une niche liberty – particularly liberty of thought – in hedonism gets confused with authoritari- incrustée de pierreries où l’on enfermerait favour of the comfort of alienation and the anism, even totalitarianism, prosperity with les reliques d’un saint ? Jusqu’où va donc se relief of irresponsibility. This goes from the security, as evoked by the collage Prosperity loger le sacré ? Partout où il peut servir ! Il y a oldest manifestations (such as religion, which Security. A similar point is raised by the un point inquiétant où hédonisme rime avec despite its great age is still active and some- Beuglophone électrique: the myth – stren- autoritarisme, sinon même totalitarisme, times even deadly) to the newest, like the uously sold to us – of a benevolent nature, prospérité avec sécurité, ainsi que le rap- blissful consumption of the products of the peaceful and conciliatory. But, in reality, all 155 pelle le collage Prosperity Security. Un point industry called ‘cultural’. Of the latter, Vie is illusion and machination. Vie paisible à Saint-Martin- des-Champs, 2007 qu’évoque aussi à sa manière le Beuglophone paisible à Saint-Martin-des-Champs gives a électrique : le mythe – qu’on s’efforce de good example. In six drawings that deliber- F.C.

384 385 Taroop & Glabel Taroop & Glabel Zin Taylor

Né en 1978 à Calgary (Canada) / Born in 1978 in Calgary (Canada) Vit et travaille à Bruxelles (Belgique) / Lives and works in Brussels (Belgium)

de la sculpture par l’image – fixe ou en mou- Wood and Dust (sous-titre / subtitle : vement – contribuerait-elle à augmenter la Left Side / Right Side), 2010 dimension narrative de l’œuvre ? Wood and Dust (sous-titre / subtitle : A Tower and its Rock), 2010 Dans le travail de Zin Taylor, le passage de la Wood and Dust (sous-titre / subtitle : sculpture à son image semble en effet redou- Form with a Head), 2010 bler son potentiel narratif, imaginatif et poé- Wood and Dust (sous-titre / subtitle : tique. Ainsi en est-il de la série « Wood and Medusa and her Child), 2010 Dust », composée d’une douzaine de pho- Wood and Dust (sous-titre / subtitle : tographies noir et blanc, dont sept ont été The Arch and the Frog), 2010 Wood and Dust (sous-titre / subtitle : acquises par le Frac en 2012. Sur chacune Visualizing the Memory of this Hand des photographies sont montrées de petites Touching), 2010 sculptures réalisées, comme l’indique le Wood and Dust (sous-titre / subtitle : titre, à partir de bois et d’amas de pous- Snake and Wig), 2010 sière. Différents assemblages de baguettes 7 photographies numériques / de bois, recouvertes de peinture, mono- Seven digital photographs chromes ou rayées, donnent naissance à 156 156 157 157 26 × 19,5 cm Wood and Dust (sous-titre / subtitle : de petites constructions qui puisent dans le Wood and Dust (sous-titre / subtitle : Medusa and her child), 2010 Visualizing the memory of this hand Achat à la galerie VidalCuglietta répertoire des formes architecturales et / touching something), 2010 en 2012 / Purchased from ou sculpturales. Sur ou à côté de ces formes the Galerie VidalCuglietta in 2012 géométriques prennent place les boules de poussière, organiques et anthropomorphes. Décors et protagonistes sont ainsi plantés par ries, as much through his artworks as in his made from wood and piles of dust. Various On pourrait dire de Zin Taylor qu’il est sculp- le bois et la poussière, tandis que les sous- many writings. This love for words is particu- combinations of wooden rods, covered in teur, bien qu’il expose souvent des photo- titres de chaque photographie construisent larly present in the title of his works. And as for monochrome or striped paint, result in small graphies ou des vidéos. Car celles-ci sont et mettent en mouvement les récits. En com- the narratives that he constructs, these com- constructions that draw from the catalogue majoritairement issues d’installations, de binant langage sculptural, mises en scène bine references to contemporary art, popular of architectural and / or sculptural shapes. formes et de gestes sculpturaux créés par l’ar- photographiques et textes allégoriques ou culture, literature, and music. And does the Organic and anthropomorphic dust balls sit tiste. Mais Zin Taylor est surtout un conteur. mythologiques, Zin Taylor multiplie les formes presentation of sculpture via image – fixed or on or next to these geometric shapes. The Comme beaucoup d’artistes de sa généra- du récit pour ouvrir les portes de l’imaginaire. in movement – contribute to increasing the decors and protagonists are thus immobi- tion, il s’intéresse au langage et aime par des- narrative dimension of the artwork? lised by the wood and dust, while the subti- sus tout raconter des histoires, aussi bien à It could be said of Zin Taylor that he is a sculp- In Zin Taylor’s work, the transition from sculp- tle of each photograph builds up and creates travers ses œuvres que dans ses nombreux tor, even though he often exhibits his photog- ture to its image actually seems to intensify the movement in the story. By combining écrits. Cet amour pour les mots est parti- raphy and video work. Much of this emerges, in its narrative, imaginative, and poetic poten- sculptural language, photographic stage set- culièrement présent dans les titres de ses fact, from the sculptural installations, shapes, tial. This is what occurs in the ‘Wood and Dust’ ting, and allegorical or mythological texts, Zin œuvres. Quant aux narrations qu’il construit, and techniques created by the artist. But Zin series, made up of a dozen black-and-white Taylor multiplies the forms of storytelling to elles combinent des références au monde de Taylor is first and foremost a teller of stories. photographs, seven of which were acquired by open doorways into the imagination. l’art contemporain, à la culture populaire, à Like many artists of his generation, he is inter- the Frac in 2012. As the titles indicate, each la littérature et à la musique. La présentation ested in language, and, above all, in telling sto- of these photographs shows small sculptures C.K.

386 387 Zin Taylor Zin Taylor Patrick Tosani

Né en 1954 à Boissy-l’Aillerie (Val-d’Oise) / Born in 1954 in Boissy-l’Aillerie Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Masque n°16, 2000 158 Photographie couleur contrecollée Masque n°16, 2000 sous plexiglas / Colour photograph mounted under Plexiglas 111 × 141 cm

Achat à la galerie Emmanuel Perrotin en 2003 / Purchased from the Galerie Emmanuel Perrotin in 2003

158

À la fois conceptuelle et minimaliste, la la sensation d’une réalité remise en cause. Simultaneously conceptual and minimalist, truncated and generalised perception, the démarche de Patrick Tosani s’inscrit notam- Grâce à ce décalage constant qui s’opère à Patrick Tosani’s work fits into the lineage of artist explores feelings of absence or pres- ment dans l’héritage de l’exposition « Une travers une perception tronquée et généra- the 1989 exhibition ‘Une autre objectivité’ ence in a haunted photographic framework. autre objectivité » qui eut lieu en 1989 au lisée, l’artiste explore des sentiments d’ab- at the Centre National de la Photographie. The ‘Masques’ series, begun in 1998, displays Centre national de la photographie. Procédant sence ou de présence dans un cadre hanté Working through displacements in the inter- rigid trousers whose shape and posture evoke de déplacements dans le processus d’inter- de la photographie. pretative process, the artist apprehends the a possible sketch, a grotesque outline of a prétation, l’artiste appréhende l’image pho- La série des « Masques », débutée en 1998, photographic image as a space unto itself, human face or figure. For Patrick Tosani, there tographique tel un espace à part entière, met en scène des pantalons rigidifiés dont la an experimental place with an ambiguity is a constant oscillation between the object un lieu expérimental et d’ambiguïté diffuse forme et la posture évoquent l’esquisse pos- between surface and envelope that Patrick and its embodiment, between what gazes entre surfaces et enveloppes, que Patrick sible et la trame grotesque d’un visage ou Tosani considers a ‘recording, then testimony and what is gazed at, like an absurd mirror or Tosani considère comme « enregistrement d’une figure humaine. Il est toujours ques- of an experiment’. A place for a play of minia- a childish trompe-l’œil. A feeling of inanity, puis témoignage d’une expérimentation ». tion chez Patrick Tosani d’un balancement turisation and perturbation of relative scales, impersonality, disturbing strangeness: a con- Endroit de jeux de miniaturisation et de entre l’objet et son incarnation, entre ce qui where the artist interrogates the materiality stantly renewed journey through layers, per- perturbation de rapports d’échelle, l’artiste regarde et ce qui est regardé, comme le serait of representation. A wavering between mass spectives, and other reflections of the image. questionne une matérialité de la représenta- un miroir absurde ou une focale trompe-l’œil and volume effects, his works develop a dia- tion. Va-et-vient entre des effets de masse et enfantine. Sentiment d’inanité, d’imper- lectic between relief and sculpture, surface F.E. et de volume, ses œuvres élaborent une dia- sonnel ou d’inquiétante étrangeté, c’est l’idée and depth, absence and presence. Starting lectique entre reliefs et sculptures, extérieur d’un voyage toujours renouvelé au sein des with objects or clothes that are laid bare as et profondeur, absence et présence. À par- épaisseurs, des perspectives et autres reflets interfaces, his photographs offer the sensa- tir d’objets ou de vêtements qui se dévoilent de l’image. tion of re-examining reality. Thanks to this à la manière d’interfaces, ses clichés offrent constant repositioning, operating through a

388 389 Patrick Tosani Patrick Tosani Pekka Turunen

Né en 1958 à Joensuu (Finlande) / Born in 1958 in Joensuu (Finland) Vit et travaille à Kemiö (Finlande) / Lives and works in Kemiö (Finland)

Dans son travail au long cours, intitulé « Against Anna Tiittanen, Hattuvaara the Wall » et initié en 1984 en Carélie du Nord Ilomantsi, 1986 (Finlande), Pekka Turunen campe les lais- Photographie couleur / Colour photograph sés-pour-compte de la globalisation. Si de 43,5 × 35 cm rares signes du commerce mondial affleurent ici et là dans l’environnement quotidien, ils Kalevi Mustonen, Karsikko Joensuu, soulignent surtout le décalage avec un sub- 1984 til humour. Cependant, si la marginalisation Photographie couleur / croissante d’entités territoriales, générée par Colour photograph 41 × 34 cm un système principalement urbain, est évo- quée en sous-main, l’accent est porté sur Saila Lyytikäinen, Kurikkavaara, un facteur déterminé, c’est donc plus d’une 159 160 1989 résistance au présent normalisé qu’il il est Photographie couleur / question. Les femmes et les hommes por- Colour photograph traiturés semblent même défier l’accélération l’innocence de la pratique amateur, crée l’in- text been so fully accomplished. The tradi- 35 × 44 cm du temps. Le propos, celui de préserver l’em- tensité psychologique des photographies. Le tional houses and their old-fashioned decor Unto Laukkanen, Punkaharju, 1985 preinte (plus que la mémoire) d’un mode de vie double mouvement de proximité et de dis- appear as attributes, in the artistic sense of Photographie couleur / et d’une culture, et la filiation avec la grande tance instaure chez le regardeur une fasci- the term, of their inhabitants, who bear them Colour photograph tradition du portrait photographique fonc- nante impression de familiarité et d’étrangeté. as distinctive signs. 44 × 35 cm tionnent en parfaite adéquation. Rarement The undeniable projection of the self brought pourtant, la fusion du modèle et du contexte In his long-term work, ‘Against the Wall’, about by awareness of the photographic act is Väinö Heikkinen, Kaksinkantaja Lieksa, 1993 n’a été si totalement accomplie. Les maisons begun in 1984 in North Karelia (Finland), nonetheless undermined by the result of the Photographie couleur / traditionnelles et leur décor désuet appa- Pekka Turunen displays globalisation’s los- photo session. There is an unstable relation- Colour photograph raissent comme les attributs, dans l’accep- ers. Although rare signs of global commerce ship, even a certain contradiction, between 42,5 × 34 cm tion artistique du terme, de leurs habitants, appear here and there in the daily environ- the model’s self-image and that revealed qui les revendiquent comme signes distinctifs. ment, he underlines, with a subtle humour, by Pekka Turunen, rather like family photo- Achat à l’artiste en 2003 / L’indéniable projection de soi suscitée par their incongruity. Nonetheless, although the graphs, from which he borrows certain codes. Purchased from the artist in 2003 la conscience de l’acte photographique est growing marginalisation of territorial entities, With tender empathy the artist exposes the cependant mise en porte-à-faux par le résul- generated by an overwhelmingly urban sys- fragility of each individual, the gap between tat de la prise de vue. Il existe un rapport ins- tem, is suggested, the accent is on a resist- the stereotype and its imitation. This hiatus, 159 table, parfois une certaine contradiction, ance to the standardised present. The women which of course lacks the innocence of the Anna Tiittanen, Hattuvaara Ilomantsi, 1986 entre l’image pensée de soi et celle révélée and men portrayed seem to defy the accel- amateur, creates the photographs’ psycho- par Pekka Turunen, un peu comme dans les eration of time. The goal of preserving the logical intensity. The double movement of photographies de famille, dont il assume cer- imprint (rather than the memory) of a way proximity and distance gives the viewer a fas- tains codes. L’artiste décèle, avec une tendre of life and culture functions in perfect har- cinating impression of familiarity and strange- 160 empathie, la fragilité de chaque individu, le mony with the project’s lineage in the great ness. Anna Tiittanen, Hattuvaara Ilomantsi, 1986 décalage entre les stéréotypes adoptés et tradition of photographic portraiture. Rarely, leur imitation. Le hiatus, qui n’a bien sûr pas however, has the fusion of model and con- C.M.

390 391 Pekka Turunen Pekka Turunen 161 * Nick Ut, Kim Phuc Phan Thi, Sud-Vietnam, 8 juin 1972 * Diamanda Gallas, « Sono l’Antecristo », 1981, 2001 Jean-Luc Verna

Né en 1966 à Nice (Alpes-Maritimes) / Born in 1966 in Nice Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

classiques de l’histoire de l’art et de la photo- *Nick Ut, Kim Phuc Phan Thi, Sud graphie, il prête son corps à une mise en scène Vietnam, 8 juin 1972* Diamanda où art et pop music se mêlent. Il rejoue les Galàs, « Sono l’AntiChristo », 1981, 2001 poses les plus iconiques de l’histoire de l’art Tirage argentique contrecollé et de la musique. De Michel-Ange à Siouxsie, sur aluminium / Silver print en passant par Le Caravage, Courbet, Helmut mounted on aluminium Newton ou Patti Smith, Jean-Luc Verna mêle 163 × 128 cm haute et basse culture avec talent. D’un seul regard, même privée de décor, on reconnaît Achat à la galerie Air de Paris en 2006 / Purchased from the Galerie la pose choisie par l’artiste pour *Nick Ut, Air de Paris in 2006 Kim Phuc Phan Thi, Sud Vietnam, 8 juin 1972* Diamanda Galàs, « Sono l’AntiChristo », 1981. Il fait ici référence à un cliché emblématique du xxe siècle qui nous ramène à la barbarie de la guerre, notamment les bombardements au napalm largué par erreur par des avions sud- vietnamiens. Cette photographie, qui s’est vue décerner de nombreux prix, a été prise Jamais à cours d’encre et bien ancré dans au Vietnam en 1972 par Nick Ut et bouleversa son corps, Jean-Luc Verna a un physique à juste titre le monde entier. Jean-Luc Verna qui impressionne. Tatoué ad libitum, percé, lui rend ici hommage. maquillé, le muscle saillant et l’eye-liner bien ajusté, cet artiste angélique, régulièrement Never short of ink and well-set in his body, visité par ses démons, laisse s’exprimer son Jean-Luc Verna possesses an impressive phy- talent de multiples façons. Que ce soit ses sique. Lavishly tattooed, pierced, made-up, 161 dessins noirs charbon rehaussés de fards à muscles bulging and eyeliner on fleek, this paupières ou ses sculptures en céramique, angelic artist, regularly visited by his demons, painstakingly ornaments and sculpts over the Ut, Kim Phuc Phan Thi, Sud Vietnam, 8 juin c’est à son bestiaire romantico-punk person- expresses his talent in many ways. Whether years. As the nude is one of the most clas- 1972* Diamanda Galàs, ‘Sono l’AntiChristo’, nel qu’il nous confronte à chaque fois : créa- through his coal-black drawings accented sic subjects in the history of art and photog- 1981. He refers here to an emblematic 20th tures ailées ou à cornes, boucs émissaires, with eyeshadow or his ceramic sculptures, raphy, he gives his body over to a staging in century photograph recalling the barbarity of fées et licornes, centaures et satyres, clowns his personal romantic-punk bestiary con- which art and pop music combine. He replays war, particularly the napalm bombs acciden- possédés et chimères éthérées hantent son fronts us: winged or horned creatures, sacri- the most iconic poses of art and music his- tally released by South Vietnamese planes. univers. ficial rams, fairies and unicorns, centaurs and tory. From Michelangelo to Siouxsie, by way That prize-winning photograph was taken in Quant à son corps, ce chanteur, danseur satyrs, possessed clowns and airy chimeras of Caravaggio, Courbet, Helmut Newton, and Vietnam in 1972 by Nick Ut. It shocked the et performeur en a fait un autel sur lequel haunt his universe. Patti Smith, Jean-Luc Verna mixes high and world, and with reason. Jean-Luc Verna pays s’inscrivent toutes ses émotions, ainsi qu’un As for his body, this singer / dancer / per- low culture with talent. At a single glance, it homage here. matériau qu’il orne et sculpte avec soin au fil former has made it an altar upon which he even without a background setting, we rec- des années. Le nu étant l’un des sujets les plus inscribes his every emotion, a medium he ognise the pose chosen by the artist for *Nick A.D.

392 393 Jean-Luc Verna Jean-Luc Verna Stéphane Vigny

Né en 1977 au Mans (Sarthe) / Born in 1977 in Le Mans Vit et travaille à Montrouge (Hauts-de-Seine) / Lives and works in Montrouge

Piggly Wiggly, 2014 162 Métal, peinture / Metal, paint Vue de l’œuvre Piggly Wiggly 110 × 125 cm à la galerie Claudine Papillon pour l’exposition personnelle de l’artiste, Achat à l’artiste en 2014 / 2014 / View of Piggly Wiggly Purchased from the artist in 2014 at the Galerie Claudine Papillon, artist’s solo exhibition, 2014

Piggly Wiggly s’inscrit dans la série des Stéphane Vigny ne vise pas à transmettre un « Objets modifiés », chapitre important de message précis, l’œuvre est pour lui un com- l’œuvre de Stéphane Vigny. L’appropriation mentaire en soi. Les degrés d’interprétation 162 des objets d’origine modeste, extraits du de ce commentaire témoignent de la réus- contexte industriel, rural ou agricole en vue site de l’œuvre. Ainsi, il invite le spectateur à d’une transmutation d’un état à un autre, interroger, par le biais de ces objets recon- constitue une pratique placée au cœur du naissables mais étonnants, les structures du travail de l’artiste. En explorateur de paysages monde environnant. Piggly Wiggly, qui doit dilection or preconceived ideas, and brings tion of this commentary demonstrate the et de territoires, l’artiste récupère des objets son titre à la première enseigne américaine them together, seeking to create an effect of work’s success. Thus he invites the spectator retrouvés sur son chemin, sans prédilection de grande distribution en libre-service, en reunion. to interrogate, through these recognisable ni idées préétablies et les associe en cher- constitue un parfait exemple, qui met en dia- Although this approach, subverting the origi- but surprising objects, the structures of the chant à créer un effet de retrouvailles. logue et en juxtaposition un objet provenant nal destiny of the object, could be traced back world around them. Piggly Wiggly, whose title Si cette approche subversive de la destinée de l’exploitation agricole avec une structure to the tradition of the ready-made, it is fun- derives from the first American supermarket, initiale de l’objet pourrait renvoyer à la tra- économique colossale, qui sous-entend la damentally different in that it does not seek is a perfect example, establishing a dialogue dition des ready-made, elle a cela de fonda- déshumanisation et l’automatisation du tra- to transform the found object into a work of and a juxtaposition between an object used mentalement différent qu’elle ne cherche pas vail. Le mariage des deux donne naissance art, to give it an aspect that is not inherent or in farming and a colossal economic structure à transformer l’objet trouvé en œuvre d’art, à un portail donnant accès à un lieu que le reveal its different degrees of meaning. The implying the dehumanisation and automa- à lui accorder un aspect quelconque qui ne spectateur lui-même est invité à définir. ‘Objets modifiés’ of, which Piggly Wiggly is a tization of labour. The combination of the lui est pas inhérent ou à en déceler diffé- part, do not hold fast to their original iden- two produces a portal providing access to a rents degrés de signification. Les « Objets Piggly Wiggly is part of the ‘Objets modifiés’ tity; they interrogate, by their reappropria- place that the viewers themselves are invited modifiés », dont fait partie Piggly Wiggly, ne series, an important chapter in Stéphane tion and display as works of art, the use made to define. s’emparent pas de leur identité première et Vigny’s oeuvre. Appropriating humble objects of these objects, the relationship of human- interrogent, par leur détournement et leur from their industrial, rural, or agricultural ity to the material, to consumption, even to N.T. exposition en tant qu’œuvres d’art, l’usage context to transform them is a practice at the consumerism. que l’on fait de ces objets, le rapport de heart of the artist’s work. As an explorer of Stéphane Vigny does not attempt to send a l’homme au matériel, à la consommation, landscapes and territories, the artist recov- specific message, the work is, for him, a com- voire au consumérisme. ers objects found on his way, without pre- mentary in itself. The degrees of interpreta-

394 395 Stéphane Vigny Stéphane Vigny creates what he calls ‘sculpture pottery’ through utilitarian objects or abstract forms (box, helmet, masks, etc.) evoking primitive or archaeological objects. Céramique Carotte is composed of a combi- nation of raku ceramics, glass, and smoked Camille Virot refractory concrete, assembled in four mobile strata, like a geological core sample (carotte, Né en 1947 à Calmoutier (Haute-Saône) / Born in 1947 in Calmoutier in French). Camille Virot has made several Vit et travaille à La Rochegiron (Alpes-de-Haute-Provence) / Lives and works in La Rochegiron pieces of this kind, which he calls ‘core sam- ple boxes’, in which he recycles elements taken from his immediate environment. He incorporates other materials in his ceramics, L’œuvre Céramique Carotte est composée such as concrete and glass, with an exper- Céramique Carotte, 1995 d’un mélange de céramique raku, de verre et imental, instinctive approach, not control- Céramique raku, verre, béton / de béton réfractaire enfumé, assemblés en ling the end result. Chance gestures, formal Raku ceramics, glass, concrete 43 × 19 cm quatre strates mobiles, comme une carotte research, corporeal contact with the material, géologique. Camille Virot réalise plusieurs and imagination occupy an important place in Achat à l’artiste en 2002 / pièces de ce type, qu’il appelle « boîtes- his work. His ceramics are taken hot from the Purchased from the artist in 2002 carottes », dans lesquelles il recycle des kiln, smoked, soaked in water, burned or left éléments prélevés dans son environnement in the open air; the thermal shock causes a proche. Il incorpore dans ses céramiques network of cracks in the glaze, iridescent col- d’autres matériaux, comme le béton et le ours, dribbles, hollows and reliefs, the fruits verre, avec une démarche expérimentale et of chance and the unexpected. instinctive, sans contrôler le résultat final. Le hasard du geste, la recherche formelle, le C.C. contact charnel avec la matière et la part de l’imaginaire occupent une place importante dans son travail. Les céramiques sont sorties chaudes du four puis enfumées, trempées Céramiste, Camille Virot installe dans les dans l’eau, brûlées ou laissées à l’air libre ; le années 1970 son atelier dans un village du choc thermique provoque un réseau de cra- Sud de la France, et partage depuis son acti- quelures de l’émail, des couleurs irisées, des vité entre des interventions dans des écoles coulures, des creux et des reliefs qui sont le d’art et l’édition d’ouvrages sur la céramique fruit du hasard et de l’imprévu. contemporaine. Il pratique la technique du raku, procédé de cuisson rapide à basse tem- The ceramicist Camille Virot established his pérature développée au Japon au xvie siècle, studio in the 1970s in a village in the South of qu’il introduit en France. Son premier contact France. Since then he has divided his activity avec le travail de la terre a lieu en Afrique, between art schools and the publication of où il mène des programmes de rencontres works on contemporary ceramics. He prac- 163 entre céramistes européens et africains. Il est tices raku technique, a process of rapid firing influencé par l’utilisation de moyens simples, at low temperatures developed in 16th cen- de matériaux bruts, d’un façonnage rapide, tury Japan, which he introduced in France. d’une liberté dans le processus de créa- His first contact with work in clay was in Africa, tion et d’une symbiose avec la nature que where he now leads programmes bringing l’on retrouve dans son travail. Il crée ce qu’il together European and African ceramicists. appelle une « poterie-sculpture » à travers He was influenced by the use of simple means, des objets utilitaires ou des formes abstraites raw materials, quick shaping, a freedom in 163 (boîte, casque, masque, etc.) qui évoquent the process of creation and a symbiosis with Céramique Carotte, 1995 des objets primitifs ou archéologiques. nature, which we see today in his work. He

396 397 Camille Virot Camille Virot Christoph Weber

Né en 1974 à Vienne (Autriche) / Born in 1974 in Vienna (Austria) Vit et travaille à Vienne (Autriche) / Lives and works in Vienna (Austria)

parente à une grande feuille soulevée aux Bündel, 2012 quatre coins par le souffle du vent. Avec Fers à béton, tissu, ciment / l’œuvre , il donne l’illusion que la pièce Concrete rebars, fabric, cement Bündel 11 × 700 × 11 cm est légère, presque flottante. Acquise par le Frac en 2013, Bündel – qui signifie littérale- Achat à la galerie Jocelyn Wolff en ment le « paquet » – est pourtant lourde et 2012 / Purchased from the Galerie imposante. Composée de cinq fers à béton Jocelyn Wolff in 2012 enrubannés de tissu blanc et recouverts de ciment, cette ligne de sept mètres de long déstabilise la perception du spectateur sur l’œuvre. Posée à l’horizontale à une trentaine de centimètres du sol et à quelques centi- 164 mètres du mur, elle déjoue toute impression 164 Bündel, 2012 de pesanteur. Un regard attentif et rapproché fait cependant apparaître la matérialité et le poids de l’œuvre. Les craquelures du ciment prolifèrent et portent la trace de son mou- vement, de sa métamorphose. Malgré une S’inscrivant dans le triple héritage de l’art sobriété et une radicalité formelle, un carac- tion and deconstruction, he folds it, cuts it, Installed horizontally at about thirty centime- minimal, de l’art conceptuel et du process tère organique est aussi présent dans le tra- adjusts it, smoothens it as much as possible, tres off the floor and a few centimetres away art, le travail de Christoph Weber combine et vail de l’artiste, accentué ici par l’utilisation or, quite the opposite, plays with its granular from the wall, it counters any impression of revisite les trois pour interroger les compo- du tissu blanc, sorte de gaze faisant référence aspect to highlight its physical properties and heaviness. A close and attentive eye can nev- santes et caractéristiques du médium sculp- à l’univers médical. Ce bandage qui recouvre to allow the spectator to imagine the process ertheless make out the materiality and weight ture : ses matériaux et leur matérialité, dans la matière laisse planer une ambiguïté carac- that led to its creation. Christoph Weber also of the work. Fine cracks in the cement abound leur rapport à l’espace, au temps et à la per- téristique de son œuvre : impossible de savoir enjoys playing with the various properties of and reveal its movement, its metamorphosis. ception. Depuis quelques années, le béton s’il la soutient, la protège, la répare, l’immo- raw materials. Although concrete is rigid and Despite its sobriety and formal radicalism, prédomine dans son œuvre : entre construc- bilise, l’orne ou la cache. solid, he seeks to give it a certain suppleness there is an organic aspect to the artist’s work, tion et déconstruction, il le plie, le sec- and lightness, as, for example, in his work Bent reinforced here by the use of the white fab- tionne, le module, le lisse à l’extrême ou au Falling within the threefold tradition of mini- Inversion, akin to a large leaf lifted up at all ric, a kind of gauze calling to mind the medical contraire joue de son aspect granuleux, pour mal art, conceptual art, and process art, the four corners by a puff of wind. With the art- world. The bandage covering the raw material mettre en évidence ses propriétés physiques work of Christoph Weber combines and revis- work Bündel, he gives the impression that the conveys the characteristic air of ambiguity in et pour permettre au spectateur d’envisa- its all three to investigate the components piece is light, that it almost floats. Purchased his work; it is impossible to be sure whether ger le processus qui a conduit à sa réalisa- and characteristics of the medium of sculp- by the Frac in 2013, Bündel – which liter- he is supporting it, protecting it, repairing it, tion. Christoph Weber s’amuse aussi à jouer ture: their raw materials and their materiality, ally means a ‘bundle’ – is actually heavy and immobilising it, decorating it, or hiding it. avec les propriétés des matériaux. Alors que and how they relate to space, time, and per- imposing. Made up of five concrete rebars, le béton est rigide et figé, il cherche à lui don- ception. For the last few years, concrete has wrapped with white fabric and covered with C.K. ner une certaine souplesse et légèreté. Ainsi been the predominant element in his artistic cement, this seven-metre-long bar unset- par exemple, l’œuvre Bent Inversion s’ap- practice; working partway between construc- tles the spectator’s perception of the work.

398 399 Christoph Weber Christoph Weber Raphaël Zarka

Né en 1977 à Montpellier (Hérault) / Born in 1977 in Montpellier Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Le Cénotaphe d’Archimède, 2012 165 Briques en terre cuite / Le Cénotaphe d’Archimède, 2011 Terracotta bricks 240 × 133 × 75 cm

Achat à la galerie Michel Rein en 2011 / Purchased from the Galerie Michel Rein in 2011

165

Raphaël Zarka crée un vocabulaire de formes fin que le physicien et mathématicien grec Raphaël Zarka creates a vocabulary of het- matician Archimedes. They may also suggest hétérogènes à partir d’éléments trouvés Archimède aurait inventée. Elles peuvent erogeneous forms out of found elements, monuments by the architects of the French notamment dans des espaces délaissés, des aussi faire penser aux monuments des archi- particularly those from abandoned spaces: Revolution, who dedicated their utopian pro- formes architecturales ou géométriques qu’il tectes de la Révolution qui dédiaient leurs architectural or geometric forms, that he jects to great thinkers, as well as the fantas- photographie et reprend parfois en sculp- projets utopiques aux grands savants, ainsi photographs, and sometimes transforms into tical chimneys devised by Antoni Gaudí for tures. Il fait ainsi apparaître des objets reliés qu’aux cheminées fantastiques conçues par sculptures. He presents objects related by a the roofs of his buildings. Through this cross- entre eux par une logique de collection qui Antoni Gaudí pour les toits de ses bâtiments. logic of collection that interrogates the iden- breeding of references to the history of archi- questionne l’identification des formes, leur Par le croisement de références à l’histoire tification of forms, their origin, and their sym- tecture, art, and science, Raphaël Zarka’s origine et leurs fonctions symboliques. Ces de l’architecture, de l’art et des sciences, bolic functions. These objects have their own work may be considered as a play upon pol- objets ont des qualités propres par leurs le travail de Raphaël Zarka peut être consi- qualities derived from their materials; they ysemy and the recurrence of certain forms. matériaux, ils intriguent par leur géométrie, déré comme un jeu sur la polysémie et la intrigue by their geometry and dimensions. The artist rearranges the existing by showing leurs dimensions. Proche des recherches de récurrence de certaines formes. L’artiste ré- Not unlike Robert Smithson and Tony Smith how all creation ‘is a reprise, a score taking Robert Smithson et de Tony Smith, Raphaël agence l’existant en montrant comment toute in their research, Raphaël Zarka shows the off from the few basic elements offered by Zarka montre l’inscription possible de ces création « est une reprise, une partition à possible inscription of these figures (generic the real, in a logic of repetition, combination, figures (génériques ou complexes) dans l’his- partir de quelques unités de base que nous or complex) in the history of art through their and exhaustion.’1 toire de l’art, par leur répétition dans le temps. offre le réel, dans une logique de la répéti- repetition over time. Le Cénotaphe d’Archimède reprend la forme tion, de l’assemblage et de l’épuisement 1. » Le Cénotaphe d’Archimède takes the form A.L. d’une cheminée anglaise de style Tudor dont of an English Tudor-style chimney with dou- la structure en double hélice a été réalisée ble-helix structure in terracotta bricks. More en briques de terre cuite. Hautes de plus de than two metres tall, the two twisted col- 1. Guillaume Désanges, « Ingénieur de surface », in Jean- 1. Guillaume Désanges, ‘Ingénieur de surface’, in Jean- deux mètres, les deux colonnes torsadées Pierre Criqui, Guillaume Désanges, Christophe Gallois, umns making up the work evoke the screw Pierre Criqui, Guillaume Désanges, Christophe Gallois, qui composent l’œuvre évoquent la vis sans Raphaël Zarka, Paris, Éditions B42, 2012, p. 27. credited to the Greek physicist and mathe- Raphaël Zarka (Paris: Éditions B42, 2012), 27.

400 401 Raphaël Zarka Raphaël Zarka Brigitte Zieger

Née en 1959 à Neuhofen (Allemagne) / Born in 1959 in Neuhofen (Germany) Vit et travaille à Paris / Lives and works in Paris

Brigitte Zieger questionne les évidences d’un Mondwest, 2004 réel transformé en spectacle visuel, elle Vidéo projection couleur sur écran dépiste et désamorce la violence qui se campe translucide, son stéréo Durée : 4 min. 4 s. / dans les mythologies et simulacres que ces Colour video projection on dernières naturalisent. Aussi, dans une série translucent screen, stereo sound de papiers peints, les motifs idylliques et inof- Duration: 4 mins 4 secs fensifs de ce matériel de décoration laissent progressivement apparaître des éléments Achat à l’artiste en 2004 / plus menaçants corrompant la tranquillité Purchased from the artist in 2004 du monde domestique qu’ils invoquent. Avec Mondwest, l’intérêt de l’artiste pour la fac- ticité des images est déployé à travers une vidéo dont le thème reprend un motif récur- 166 rent du cinéma de science-fiction, à savoir le robot-humanoïde, d’abord conçu pour servir l’être humain et qui prend progressivement ceux-ci prennent la forme d’un féminisme ple come to live out their fantasies in histori- le contrôle de ce dernier. Ici, Brigitte Zieger machinique arrivant du futur et échappant cal settings. The android becomes a threat to s’approprie Mondwest de Michael Crichton, systématiquement à sa capture par les struc- the order of the park and sows chaos there. dans lequel Yul Brynner incarne le rôle d’un tures humanistes patriarcales. In the artist’s video, the robot, embodied by robot dans un parc d’attraction où les gens actress Natacha Lallemand, appears gradu- peuvent venir réaliser tous leurs fantasmes Brigitte Zieger interrogates the assumptions ally in a smoky setting, lit by red and green dans des décors historiques, jusqu’à ce que of reality transformed into visual spectacle; light, in closeup, then full figure. The robot l’androïde ne devienne une menace pour she tracks and defuses the violence embed- is motionless, the smoke comes from her. l’ordre du parc et n’y sème le chaos. Dans la ded in the mythologies and simulacra nor- Thus, in Brigitte Zieger’s Mondwest, the dis- vidéo de l’artiste, le robot, incarné par l’ac- malised by these assumptions. Thus, in a turbing inhuman force wears the appearance trice Natacha Lallemand, apparaît progressi- series of wallpapers, the idyllic, inoffensive of a woman, producing a critique of Michael vement au milieu d’un cadre enfumé, éclairé patterns of this decorative material gradu- Crichton’s macho Hollywood scenario. The par une lumière rouge et verte, en plan rap- ally reveal more threatening elements cor- philosopher Gilles A. Tiberghien has written proché puis en gros plan. Le robot est immo- rupting the tranquillity of the domestic world of Brigitte Zieger that she produced ‘subtle bile ; de la fumée émane de lui. Aussi, dans they invoke. With Mondwest, the artist’s inter- arrangements to disturb our awareness of the le Mondwest de Brigitte Zieger, cette force est in the artificiality of images is deployed world’; in Mondwest, these take the form of inquiétante inhumaine revêt l’apparence through a video whose theme takes up a a machine-feminism coming from the future d’une femme, produisant une critique du recurrent motif in science fiction films: the and systematically avoiding capture by patri- scénario hollywoodien machiste de Michael humanoid robot, first devised to serve human archal humanist structures. Crichton. Le philosophe Gilles A. Tiberghien beings, that gradually takes control of them. a écrit de Brigitte Zieger qu’elle produisait Here, Brigitte Zieger appropriates Michael A.M. 166 Mondwest, 2003 de « subtils dispositifs pour inquiéter notre Crichton’s Westworld, in which Yul Brynner conscience du monde » ; dans Mondwest, embodies a robot in a theme park where peo-

402 403 Brigitte Zieger Brigitte Zieger Appendices Appendix expositions

Sauf mention contraire, les expositions ont eu lieu au Frac

Frac et abbaye-aux-Dames, Caen • « Vibeke Tandberg », 26 novembre 2OO2 (Calvados) 2004-5 janvier 2005, dans le cadre • « Bruno Peinado : After Hate », du festival Les Boréales • « Franck Scurti : Flags Vision », 16 mai-30 juin 12 janvier-3 mars • « Véronique Boudier & Florence • « Ma maison dans ta rue », Paradeis », 17 mai-28 juin, Wharf, 9 mars-14 avril Centre d’art contemporain de Basse- 2OO5 Normandie, Hérouville-Saint-Clair • « Martine Aballéa : Pink Jungle (Calvados) Nightclub », 4 mai-23 juin • « Sophie Calle, Véronique Joumard, • « Oxymory : une proposition de Joël • « Parcours nocturnes : Annette Musée Khômbol, Ange Leccia, Hubaut », 11 juillet-28 août, Frac et Messager ; Carte blanche aux artistes Bruno Peinado », 21 janvier-13 mars Pavillon Normandie, Caen (Calvados) Marie-Liesse Clavreul, Michaël • « Échos d’époque », 11 mars- • « Tania Mouraud : Le Verger », Quéméner, Vincent Julliard », 29 mai, musée des Beaux-Arts, 27 septembre-30 novembre 5 juillet-31 août, abbaye du Mont- Caen (Calvados) Saint-Michel (Manche) • « Micha Laury : Burning Titles • « Strangers in the Night », • « Objets’session » sur une proposi- Selected Index 1967-2001 », er 24 mars-4 mai tion de Sylvie Froux ; « TigerLand » 20 novembre-1 février 2004, musée • « Jordi Colomer : un crime », sur une proposition de Stéphane des Beaux-Arts, Caen (Calvados) 15 mai-18 juin Magnin ; « Main d’œuvre » sur • « Coll.Frac BN 13.12.03 », une proposition d’Éric Madeleine, 14 décembre-15 février 2004 • « Ah Dieu ! Que la guerre est jolie », 6 juillet-15 septembre 8 juillet-18 septembre • « Anne Brégeaut, Julia Vecsei », • « Gloria Friedmann : Mammalia », er 28 septembre-30 octobre, 1 octobre-10 novembre, Frac et Espace culturel Les Dominicaines, 2OO4 Pavillon Normandie, Caen (Calvados) Pont-l’Évêque (Calvados) • « Børre Sæthre », 23 novembre- • « Ados », 28 septembre-15 novembre 15 janvier 2006, dans le cadre • « Hugues Reip : Pencil Test », du festival Les Boréales • « Patrick Tosani », 8 novembre- 28 février-25 avril 15 décembre, Espace culturel • « Questions de peinture », 1er mars- Les Dominicaines, Pont-l’Évêque 4 avril, Hôtel Dieu – Espace Culture (Calvados) et Loisirs, Valognes (Manche) • « Eija-Liisa Ahtila », 23 novembre- • « Quand on arrive en ville… », 2OO6 7 janvier 2003, dans le cadre 15 mai-30 juin, 2Angles, Flers (Orne) du festival Les Boréales • « Kristina Solomoukha : éclairage • « Carlos Kusnir », 28 janvier-19 mars néon juste après le coucher • « Nouvelles acquisitions : du soleil », 5 mai-20 juin Knut Åsdam, Damien Deroubaix, • « ORLAN : le plan du film », George Dupin, Gloria Friedmann, 2OO3 3 juillet-20 septembre Martha Rosler », 29 mars-23 avril • « Journal de la ville », 17 septembre- • « Pascal Pinaud : white de blanc », • « Philippe Kuznicki », 22 octobre, Hôtel Dieu – Espace 6 mai-25 juin 15 janvier-11 février Culture et Loisirs, Valognes (Manche) • « Marche ou rêve… », 15 mai-3 juin, • « 20 ans (Collection Frac Basse- • « Virginie Barré : Écarlate », galerie Marie Laurencin, Valognes Normandie) », 22 février-19 avril, 2 octobre-14 novembre (Manche)

407 Expositions expositions expositions

• « Nature morte », 10 juin- • « Point de vue », 20 mars-30 avril, • « Boucles d’or avec Transat Vidéo : collection Frac Limousin », • « Peinture(s) : vidéos et films. 17 septembre, Espace culturel galerie Marie Laurencin, Valognes Dan Graham Rock my Religion 19-25 janvier Paul McCarthy. Painter, 1995, vidéo, 2O11 Les Dominicaines, Pont-l’Evêque (Manche) 1982-1984 », 11-17 février • « Tragédie minuscule », 31 janvier- Collection Frac Nord-Pas-de Calais ; (Calvados) , 24 avril-9 juin, , Bertrand Lavier : Four Darks in Red, • « Portrait d’ici » • « Saâdane Afif : Two… » 22 mars, Le Radar, Bayeux (Calvados) • « À Frac Ouvert (4e édition) : C’est quoi ce Baz…art ?, Caen 15 mars-25 mai 2004 ; John Baldessari, Franck • « Une proposition de Mathieu • « Bernard Joisten : illimité », paysages », 10 janvier-4 février Scurti, Virginie Barré & Stéphane Mercier (Collections Frac Basse- (Calvados) • « Pierre Alechinsky : ABC de corres- 6 février-12 avril Sautour, Roman Signer, George Barber, • « Paysages / Film avec Transat Normandie et Haute-Normandie) », • « Dewar & Gicquel », 11 mai-24 juin pondance », 1er avril-30 mai, C’est • « Intérieurs », 17 février-12 mars, John Wood & Paul Harrison », Vidéo : Pierre Huyghe / Hugues Reip, 7 juillet-17 septembre quoi ce Baz…art ?, Caen (Calvados) • « Alain Séchas : Last Cast », galerie Marie Laurencin, Valognes janvier, dans le cadre du festival Laurent Grasso, Mark Lewis », • « Peintures », 17 juillet-15 octobre, 30 juin-30 septembre • « Continuum », 11 avril-15 juin, (Manche) Transat Vidéo 10 janvier-6 février musée des Beaux-Arts, Caen musée des Beaux-Arts, Saint-Lô • « Diablotins », 6 octobre- • « L’Abstraction dans tous ses états », • « Philippe Durand : cabotage », • « Collection Frac Basse-Normandie », (Calvados) (Manche) 25 novembre 2-31 mars, Centre régional de 12 février-21 avril 15 janvier-20 février, Usine Utopik, • « Delphine Coindet », • « Transit », 9 novembre- • « Construction(s) », 21 avril-16 mai, documentation pédagogique de Tessy-sur-Vire (Manche) 23 septembre-12 novembre • « L’Abstraction dans tous ses états », er galerie Marie Laurencin, Valognes Basse-Normandie, Caen (Calvados) 1 décembre, Espace Xavier 1er-31 mars, galerie Marie Laurencin, • « Double Face », 14 février-1er avril, • « Codés / décodés », (Manche) Rousseau, Argentan (Orne) • « Instants décisifs », 29 avril-15 mai, Valognes (Manche) galerie Marie Laurencin, Valognes 30 septembre-5 novembre, 2Angles, • « Eclectic, Collection Frac Basse- maison de l’Étudiant, université (Manche) • « Taroop & Glabel : l’instinct des • « Philip-Lorca diCorcia, Franck Flers (Orne) Normandie », 6 mai-7 juin, école de Caen (Calvados) modules », 8 décembre 2007- Scurti, Annelies Strba, Hiroshi • « Stare Not War », 16 février- • « Entre ciel et terre », 25 octobre- des Beaux-Arts, Cherbourg-Octeville 20 janvier 2008 • « Anita Molinero », Sugimoto », 8-31 mars, conser- 25 mars, Le Radar, Bayeux (Calvados) 17 décembre, musée d’Art moderne (Manche) 29 avril-21 juin 2009 vatoire de Caen, dans le cadre du • « Scoli Acosta : Drawings and Richard Anacréon, Granville (Manche) • « Myriam Mechita : entrer dans • « À nous deux (Collections Frac 28e festival « Aspects des musiques Projects », 26 février-16 avril • « Urbanités », 4-24 novembre 2006, la nuit de la nuit (I’m an Animal) », d’aujourd’hui » (Calvados) Basse-Normandie et Haute-Norman- • « Virginie Barré : Écarlate, 2004 », maison de l’Étudiant, université 31 mai-21 septembre die) », 4 juillet-6 septembre, Frac et • « Jordi Colomer, George Dupin, 16 mars-28 avril, bibliothèque de Caen (Calvados) 2OO8 • « Olivier Nottellet : bivouac et autre abbaye-aux-Dames, Caen (Calvados) Leo Fabrizio », 24 mars-23 avril, scientifique, campus I, université • « Salla Tykkä », 18 novembre 2006- salle de sport », 4 octobre- • « Yann Géraud : Sculpture Sparsile maison de la Recherche en sciences de Caen (Calvados) 7 janvier 2007, dans le cadre du 16 novembre humaines, université de Caen • « Photo mystère », 25 janvier- Six Pack +33% Free, un gant • « Actualités », 21 mars-21 avril, festival Les Boréales (Calvados) 16 mars, musée d’Art moderne • « Olga Bergmann, Hekla Dögg et 1 EXECUTION », 25 septembre- Centre régional de documentation Richard Anacréon, Granville (Manche) Jonsdottir, Olafur Eliasson, Daniel 10 novembre • « Saâdane Afif, Wilfrid Almendra, pédagogique (CRDP) de Basse- Magnusson, Hrafnkell Sigurðsson », • « Boucles d’or. Collection Frac • « Artistes dans la ville », Élisabeth Ballet, Olivier Blanckart, Normandie, Caen (Calvados) 22 novembre-4 janvier 2009, dans 23 octobre-7 mars 2010, musée Gauthier Leroy, Didier Marcel, Basse-Normandie : Ange Leccia, • « Valérie Jouve », 22 avril-12 juin le cadre du festival Les Boréales Marcel Dinahet », 28 janvier-3 février des Beaux-Arts, Saint-Lô (Manche) Pierre Paulin », 6 mai-13 juin • « Mortel ! » une proposition re • « Michel Blazy : champignon pour • « À Frac ouvert (1 édition) », • « Jeppe Hein, Ulrik Weck, de Mathieu Mercier, 25 juin- 2OO7 pieds de meubles », 12 mai-15 août, 28 janvier-15 février Koachim Koester : dépaysage », 30 septembre 20 novembre-3 janvier 2010, dans Les Conteneurs, Caen (Calvados) • « Boucles d’or. Collection Frac • « Stéphane Thidet : du vent », • « K.B.P, Khômbol Boxing Palace », le cadre du festival Les Boréales • « Bernard Quesniaux : mais… », Basse-Normandie : Hugues Reip, 2OO9 15 octobre-30 décembre 18 janvier-25 février Brigitte Zieger », 4-10 février 18 septembre-1er novembre • « En l’état », 8 novembre- • « Berdaguer & Péjus : Disparaître ici • « Photo-cinéma », 12 octobre- • « George Dupin : Big Jérusalem, e 9 décembre, Centre régional – Dreamland », 3 mars-22 avril • « À Frac ouvert (2 édition) : objet 19 novembre, Centre régional de 1998-2003 », 4-22 février, maison de documentation pédagogique de et architecture », 8-14 janvier documentation pédagogique de • « Paysages-pied de la lettre », de l’Étudiant – CROUS, université Basse-Normandie, Caen (Calvados) 5 mars-20 avril, C’est quoi ce Baz… de Caen (Calvados) • « Boucles d’or avec Transat Vidéo. 2O1O Basse-Normandie, Caen (Calvados) Fischli & Weiss : Der Lauf der Dinge art ?, Caen (Calvados) • « Vincent Rougier : impressions d’un • « Sarabande : Žilvinas Kempinas, [Le cours des choses], vidéo, 1987 », e • « Envisagé », 12-30 mars, maison voyage en Afrique », 18 février- • « À Frac ouvert (3 édition) : Deimantas Narkevicius », 12-18 janvier de l’Étudiant, université de Caen 28 mars, C’est quoi ce Baz…art ?, peinture(s) contemporaine(s) », 13 novembre-24 décembre 2011, (Calvados) Caen (Calvados) • « Boucles d’or. Alain Séchas : 11-31 janvier dans le cadre du festival Les Boréales petits films d’animation, vidéo, 1995,

408 409 Expositions Expositions expositions

• « Ange Leccia / Véronique Joumard », • « Volumes II – Collection Frac Basse- 2O12 12 janvier-13 février Normandie », 24 janvier-16 mars, • « Chronophage », 15 janvier-1er mars, Usine Utopik, Tessy-sur-Vire (Manche) • « À Frac ouvert (5e édition) : près Le Radar, Bayeux (Calvados) • « Philippe Decrauzat : After Birds, de chez vous », 9 janvier-10 février • « Alain Bublex : contributions, vidéo, 2008 », 30 janvier-16 février • « Claude Closky », collaborations et bavardages, • « Motifs », 3-25 février, ESPE Centre 9 janvier-12 février les résultats de l’enquête », de Caen (Calvados) 23 février-30 mars • « Looping & Boomerang », • « L’art est dans le pré », 3-25 février, 11 janvier-19 février, Bains douches, • « L’Art est dans le pré », 5-30 mars, ESPE Centre de Saint-Lô (Manche) Alençon (Orne) galerie Marie Laurencin, Valognes • « Monument », 22 février-12 avril (Manche) • « Vol de Nuit », 20 février-29 mars, • « Mensonges », 4 mars-5 avril, galerie Marie Laurencin, Hôtel-Dieu, • « Jordi Colomer : La Soupe galerie Marie Laurencin, Valognes Valognes (Manche) américaine / The American Soup », (Manche) 19 avril-23 août • « Amy O’Neill : Victory Garden », • « Gauthier Leroy : Hi Fat Cans ! », 3 mars-22 avril • « Spencer Finch : peindre l’air », 25 avril-15 juin 1er juin-23 août, Pavillon Normandie, • « Art & guerre », 19 mars-22 avril, • « La Soupe américaine / The American Caen (Calvados), dans le cadre Centre régional de documentation S oup », 16 mai-19 juillet, du festival « Normandie pédagogique de Basse-Normandie, galerie photo du pôle image Haute- Impressionniste » Caen (Calvados) Normandie, Rouen (Seine-Maritime) • « Collection », • « Julien Prévieux : 10120 », • « Séverine Hubard : on n’a jamais été 14 septembre-22 décembre 5 mai-24 juin si proche », 28 juin-21 septembre • « 30 ans des Frac », 27 septembre- • « Laurent Le Deunff », • « Gare et connexion : Chérie-Chérie / 5 janvier 2014, Les Abattoirs, 6 juillet-23 septembre Collection Frac Basse-Normandie, Toulouse (Haute-Garonne) • « Silence », 8 septembre-27 octobre, 4 juillet-19 septembre, Gare • « Gare et connexion : Philippe 2Angles, Flers (Orne) de Trouville-Deauville (Calvados) Decrauzat, Éric Madeleine, Florence • « Des pas dans l’escalier », • « Le Blues du chien », Paradeis, Guillaume Pilet, Bernard 11 octobre-23 novembre 6 octobre-30 décembre Quesniaux », 14 octobre-15 avril • « Empreintes nordiques », 2014, Gare de Caen (Calvados) • « Simon Faithfull : Récif 1, Antipode », 6 décembre-15 février 2015 16 novembre-30 décembre, dans • « Rythms : Michel Aubry, Saâdane le cadre du festival Les Boréales Afif, Julije Knifer », 25 novembre- 19 décembre, ESPE Centre de Caen (Calvados)

2O13

• « Constat d’état : Lynne Cohen, 2O14 Philippe Durand, Bruno Serralongue », 8 janvier-31 mai, ESPE Centre • « Tania Mouraud : machines dési- de Saint-Lô (Manche) rantes, 2001, vidéo », 13-29 janvier • « À Frac ouvert (6e édition) : La Mer », • « À Frac ouvert (7e édition) : drôles 10 janvier-13 février de gueules », 13 janvier-14 février

410 Expositions PUBLICATIONS

Catalogue de collection Miskiewicz, Serge Pey, Bernard Calet, Pierre Giquel, Arnaud Labelle-Rojoux, Christelle Familiari, Joël Ducorroy, Cyril Lepetit, David Medella, Paul Ardenne, Christophe Domino, Saverio Lucariello, Christophe Tarkos, Liu Yung-Hao, Cyril Lepetit : infidélité Jean-Marc Huitorel, Frac, Fonds Macdara Smith et Frédéric Vaësen respectueuse / Respectful Infidelity ; régional d’art contemporain Basse- Livret et DVD ; Caen, Éditions Frac Caen, Frac Basse-Normandie / Normandie, 1983-2001 ; Caen, Basse-Normandie, 2003, 112 p. Hérouville-Saint-Clair, Wharf, Éditions Frac Basse-Normandie, 2003, centre d’Art contemporain de Basse- 552 p. Normandie, 2004, 160 p.

Revues Jean-Max Colard, Abraham Poincheval, Laurent Tixador et Sylvain Collection Driss Sans-Arcidet-Lacourt, Venayre, L’Inconnu des grands « Profil d’une collection » Sylvie Froux, « Khombôl Boxing Palace horizons, Caen, Frac Basse-Normandie (Caen, Frac Basse-Normandie, / Paris, Michel Baverey, 2003, 62 p. Felten-Massinger : conférence 17 janvier-25 février 2007) », Joël Hubaut, Paul Ardenne, Patricia d’Eddy Devolder ; Caen, Éditions Frac Semaine, n°121, 2007 ; Éditions Brignone, Sylvie Froux, Michel Giroud, Basse-Normandie, 2002, 31 p. Analogues, production Frac Basse- Lise Guéhenneux, Arnaud Labelle- Sylvie Fanchon : entretien avec Normandie, 2007 Rojoux, Joël Hubaut. Re-mix ; Caen, Éditions Christophe Domino François Coadou, « Taroop & Glabel. épidémik : esthétique de la dispersion, Frac Basse-Normandie, 2002, 32 p. L’instinct des modules (Caen, Frac Caen, Frac Basse-Normandie / Dijon, Basse-Normandie, 8 décembre 2007- Presses du réel, 2006, 316 p. 20 janvier 2008) », Semaine, n°169, Benjamin Buchloh, John Miller, 2008 ; Éditions Analogues, production Édition d’artiste Catherine Queloz, Martha Rosler, Frac Basse-Normandie, 2008 Nicole Schweizer et Dork Zabunian, Joël Hubaut, Joël Hubaut : Hiatus Martha Rosler : sur / sous le pavé, Rennes, Presses universitaires Contributions artistiques de Jacques de Rennes, 2006, 464 p. Charlier, Esther Ferrer, Arnaud Labelle- Coéditions Rojoux, Jacqueline Dauriac, Bernard Xavier Douroux, Michel Gauthier, Heidsieck, Jean-Jacques Lebel, Paul Ardenne, Sylvie Froux, Ann Julien Fronsacq, Delphine Coindet, Isabelle Rieusset-Lemarié, Michel Hindry, Micha Laury : Burning Titles Dijon, Presses du réel, 2006, 128 p. Giroud, Jacques Lizène, Jacques Selected Index 1967-2001 ; Saint-Fons, Pascale Cassagnau, Elein Fleiss, Demarcq, Gilbert Decossy, Jean centre d’Arts plastiques / Ibos, Le Parvis, Élisabeth Lebovici, Martine Aballéa Dupuy, Marylène Négro, Alain Biet, centre d’Art contemporain / Caen, roman partiel, Paris, Sémiose, 2007, Paul Collins, Gilles Mahé, Tom Johnson, Frac Basse-Normandie / Amiens, 192 p. ORLAN, Olivier Blanckart, Christophe maison de la Culture, 2001, 192 p. Cuzin, Françoise Quardon, Jota Unglee, Unglee : puzzle, Les Lilas, Vincent Labaume, Marianne Lanavère, Castro, Claude Lévêque, Henri-Louis Septembre Éditions, 2011, 112 p. Judicaël Lavrador, Kristina Solomoukha : Chalem, Richard Martel, Jean-Luc les principes ne sont pas négociables ; Michel Onfray, Yves Trémorin : Parant, Julien Blaine, Jean-François Éditions HYX, 2004, 82 p. la dérivée mexicaine, Paris, Loco Bory, Pascal Bouchet-Asselah, Éditions, 2011, n. p. Christian Prigent, Pierrick Sorin, Yves Christophe Domino, Jean-Marc Hélias, Jean-Pierre Legoff, Charles Huitorel, Jim Palette, Jean-Marc Jean-François Chevrier, Dreyfus, Michel Guet, Bernard Poinsot, Ollivier Prigent et Isabelle George Dupin : SF, Pomponne, Trans Lallemand, Michèle Métail, Alberto Rocton, Gilles Mahé : monographie ; Photographic Press, 2011, 240 p. Sorbelli, Éric Duyckaerts, Violetta Éditions Jean-Michel Place, 2004, 552 p.

413 Publications conseil d’administration depuis 2OO2 conseil d’administration depuis 2OO2

Le classement des membres est François Doubin, ancien ministre, Membres Membres associés Membres associés effectué selon l’ordre de composition conseiller régional (2002-2004) Cyrille Schott, préfet de Région 2O11-2O15 Jean-Marc Guéguéniat, trésorier Jean-Marc Guéguéniat, trésorier du conseil d’administration : représen- Henri-Louis Védie, conseiller régional, (2005-2007) du Frac (2011-2015) du Frac tant de l’État (préfecture de Région, président de la commission Culture Michel Bart, préfet de Région (2008) Présidente Isabelle Labiche-Mittendorf, Isabelle Labiche, directrice Drac Basse-Normandie et délégation au Conseil régional (2002-2004) Christian Leyrit, préfet de Région Pascale Cauchy, vice-présidente en directrice de la Culture au Conseil de la Culture au Conseil régional aux Arts plastiques du ministère de Daniel Detey, conseiller régional (2004) (2009-2010) charge de la commission Culture et régional (2011-2015) Yann Lapoire, conseiller aux Arts la Culture et de la Communication) Marie-Rose Koro, membre de la Didier Lallement, préfet de Région Patrimoine au Conseil régional (2011- Élise Allavéna, chargée du secteur plastiques au Conseil régional et de la Région Basse-Normandie. commission permanente du Conseil (2010) 2015) Arts plastiques au Conseil régional Michelle Webre régional (2004) Dominique Parthenay, directeur (2008-2010) Jean Levallois, conseiller régional régional des Affaires culturelles Vice-président Yann Lapoire, conseiller aux Arts plas- (2004) (2005-2006) Kléber Arhoul, directeur régional tiques au Conseil régional (2013-2015) Kléber Arhoul, directeur régional des Affaires culturelles (2011-2013) Bernard Millet (2011-2014) 2OO2-2OO4 Membres associés des Affaires culturelles (2009-2010) Michelle Webre (2011-2015) Colette Burlot, trésorière du Frac Claire Nédellec, conseillère pour les Secrétaire Président (2002-2004) Arts plastiques à la Drac (2005-2008) Joël Bruneau, membre Pierre Aguiton, vice-président du Marèse Drouin, chargée d’études David Guiffard, conseiller pour les Arts de la commission permanente Conseil régional, jusqu’en juillet 2004, pour les Affaires culturelles au Conseil plastiques à la Drac (2009-2010) du Conseil régional (2011-2014) puis Alain Tourret, vice-président régional (2002-2003) Olivier Kaeppelin, délégué aux Arts Bernard Millet (2015) 2O16-2O17 du Conseil régional Marie Plante, directrice de plastiques (2005-2009) la Communication et de la Culture Jean-Pierre Simon, délégué aux Arts Membres Président Vice-président au Conseil régional (2004) plastiques (2010) Didier Lallement, préfet de Région (2011) Bernard Millet Élisabeth Gautier-Desvaux, Daniel Detey, conseiller régional Michel Lalande, préfet de Région directrice régionale des Affaires (2005-2010) (2012-2014) Secrétaire culturelles (2002-2003) Pascale Cauchy, vice-présidente en Jean Charbonniaud, préfet de Région Henri van Melle (2017) Dominique Parthenay, directeur charge de la commission Culture et (2014-2015) régional des affaires culturelles (2004) 2OO5-2O1O Patrimoine au Conseil régional (2010) Jean-Pierre Ollivier, directeur régional Membres , conseiller régional Arnaud Fontaine des Affaires culturelles (2014-2015) Emmanuelle Dormoy, vice-présidente Secrétaire Président (2010-2014) David Guiffard, conseiller pour les Arts en charge de la commission Culture Michel Bourrée, conseiller régional Alain Tourret, vice-président plastiques à la Drac (2011-2015) au Conseil régional (2002-2004) en charge de la commission Culture Membres associés Jean-Pierre Simon, directeur adjoint Laurent Beauvais, conseiller régional au Conseil régional (2005-2010) Colette Burlot, trésorière du Frac à la Création artistique chargé des arts Nathalie Porte, conseillère régionale Membres (2005-2008) plastiques (2011) Rodolphe Thomas, conseiller régional Francis Idrac, préfet de Région (2002) Vice-président Isabelle Labiche-Mittendorf, Pierre Oudart, directeur adjoint Nicole Klein, préfète de Région Didier Cultiaux, préfet de Région Marie-Rose Koro, conseillère régionale directrice de la Culture au Conseil à la Création artistique chargé des Arts Fabienne Buccio, préfète de Région (2003-2004) (2005-2010) régional (2005-2010) plastiques (2012-2015) (2017) Annie Chevrefils-Desbiolles, Gérald Grunberg, directeur régional Élise Allavéna, chargée du secteur Arnaud Fontaine, conseiller régional Jean-Pierre Ollivier, directeur conseillère aux Arts plastiques des Affaires culturelles (2007-2008) Arts plastiques au Conseil régional (2011-2015) régional des Affaires culturelles à la Drac (2002-2004) (2008-2010) Alain Tourret, vice-président en Jérôme Felin, conseiller pour Guy Ansellem, délégué aux Arts Secrétaire Jean-Marc Guéguéniat, directeur charge de la commission Coopérations les Arts plastiques à la Drac plastiques (2002) Jean Levallois, conseiller régional du Centre régional de documentation internationales et interrégionales et Pierre Oudart, directeur adjoint Martin Bethenod, délégué aux Arts (2005-2010) pédagogique (2010) de la réunification au Conseil régional à la Création artistique chargé plastiques (2003-2004) Joël Bruneau, membre de Bernard Millet (2010) (2011-2012) des Arts plastiques Pierre Poupinet, chargé de mission la commission permanente du Conseil Michelle Webre (2010) Sylvie Delaunay, conseillère régionale au secrétariat général pour les Affaires régional (2010) (2013-2015) régionales (2002-2003) Christian Lemarchand, conseiller régional (2014-2015)

414 415 Conseil d’administration depuis 2002 Conseil d’administration depuis 2002 comité d’acquisition depuis 2OO2

Membres Membres consultatifs Pascal Beausse, critique d’art, Claire Nédellec, conseillère enseignant à l’école cantonale d’Art pour les Arts plastiques à la Drac de Lausanne, Suisse (2002-2007) Basse-Normandie (2005-2009) Blandine Chavanne, conservateur Isabelle Labiche-Mittendorf, direc- en chef du musée des Beaux-Arts trice de la Culture au Conseil régional de Nancy (2002-2006) de Basse-Normandie (2006-2013) Sylvie Froux, directrice du Frac David Guiffard, conseiller pour les Arts (2002-2017) plastiques à la Drac Basse-Normandie Lise Guéhenneux, historienne d’art, (2010-2015) critique d’art (2002-2007) Jérôme Felin, conseiller pour les Arts Sylvain Lizon, directeur du Centre plastiques à la Drac Basse-Normandie national photographique de Pontault- (2016-2017) Combaut (2002-2004) Yann Lapoire, conseiller aux Arts Estelle Pagès, historienne d’art, plastiques au Conseil régional critique d’art, enseignante à l’école de Basse-Normandie (2014-2017) supérieure d’Arts et Médias de Cherbourg (2002-2005) Aude Pessey-Lux, conservateur au musée des Beaux-Arts et de Comité technique la Dentelle d’Alençon (2003-2004) céramique (2002) Élise Allavéna, chargée de mission Annie Chevrefils-Desbiolles, Culture au Conseil régional conseillère aux Arts plastiques (2007-2011) à la Drac Basse-Normandie Frank Lamy, chargé des expositions Daniel Dufournier, céramologue temporaires du MAC/VAL à l’université de Caen à Vitry-sur-Seine (2007-2009) François Fichet de Clairfontaine, Olivier Mériel, photographe conservateur en archéologie à Caen (2007-2013) Alain Tapié, conservateur du musée Sophie Legrandjacques, directrice des Beaux-Arts de Caen du Grand Café – centre d’Art contem- porain à Saint-Nazaire (2008-2017) Mathieu Mercier, artiste (2008-2015) Zoé Gray, commissaire d’exposition au Witte de With – centre d’Art contemporain à Rotterdam, Pays-Bas (2011-2013) Julie Portier, critique d’art (2014-2017) Raphaël Zarka, artiste (2014-2017) Andrea Rodriguez Novoa, commissaire indépendante en architecture et en art contemporain (2017)

417 Comité d’acquisition depuis 2002 copyrights & crédits photographiques copyrights & crédits photographiques

Tous les efforts ont été mis en œuvre pour retrouver © Ida Ekblad / Adagp, Paris, 2017 p. 211 © Myriam Mechita / Adagp, Paris, 2017 p. 28-29, 36-37, Crédits photographiques les différents détenteurs des droits des contenus © Franck Eon p. 223 42-43, 317 reproduits dans ce livre. En cas d’erreur ou d’omission, © Leo Fabrizio p. 225, 226, 227 © Anita Molinero / Adagp, Paris, 2017 p. 34-35, 319 merci de nous contacter. © Simon Faithfull p. 56-57 © Tania Mouraud / Adagp, Paris, 2017 p. 321 Sandrine Aubry p. 137, 209, 213, 214, 215, 245, 246, 247, While every effort has been made to contact owners 277, 289, 307, 374, 375, 383 © Dominique Figarella p. 58-59, 228, 229 © Musée Khômbol p. 323 of copyright material produced in this book, we have Hervé Bezet p. 161 © Spencher Finch p. 52-53 © Hajnal Németh p. 325 not always been successful. In the event of any error Olivier Blanckart p. 163 © Gregory Forstner / Adagp, Paris, 2017 p. 231 © Olivier Nottellet / Adagp, Paris, 2017 p. 30-31, 327 or omission, please contact us. Olivier Caillebotte p. 132, 229 © Charles Fréger / SAIF, 233 © Amy O’Neill p. 46-47, 329 Anne Deguelle p. 201 © Gloria Friedmann / Adagp, Paris, 2017 p. 18-19, 235 © Paulien Oltheten p. 331 (courtesy galerie Fons Welters) Marc Domage p. 12-13, 14-15, 16-17, 18-19, 20-21, 22-23, © Martine Aballéa / Adagp, Paris, 2017 p. 8-9, 14-15, 127 © Bernard Frize / Adagp, Paris, 2017 p. 237 © Orlan / Adagp, Paris, 2017 p. 333, 334, 335 24-25, 26-27, 28-29, 30-31, 32-33, 34-35, 36-37, 38-39, © Florence Paradeis p. 337 © Scoli Acosta p. 129 © Meschac Gaba / Adagp, Paris, 2017 p. 239 40-41, 42-43, 44-45, 46-47, 48-49, 52-53, 54-55, 56-57, © Saâdane Afif p. 131, 132, 133 © Raymond Hains / Adagp, Paris, 2017 p. 14-15 © Pierre Paulin p. 341 131, 133, 135, 141, 143, 153, 157, 165, 167, 175, 181, 182, 183, © Wilfrid Almendra / Adagp, Paris, 2017 p. 135 © Marc Hamandjian / Adagp, Paris, 2017 p. 36-37 © Bruno Peinado / Adagp, Paris, 2017 p. 10-11, 22-23, 185, 193, 195, 203, 205, 221, 235, 251, 255, 259, 269, 271, © Jean-Luc André p. 137 © Bernard Joisten / Adagp, Paris, 2017 p. 32-33 342, 343 273, 281, 285, 291, 295, 296, 297, 303, 305, 309, 315, 317, © Knut Åsdam / Adagp, Paris, 2017 p. 139 © Christiane Geoffroy p. 241 © Estefanía Peñafiel Loaiza p. 345 319, 321, 323, 329, 337, 341, 342, 343, 339, 353, 355, 385, 399, 401 © Michel Aubry / Adagp, Paris, 2017p. 141, 143 © Piero Gilardi p. 58-59, 243 © Mick Peter p. 347 D.R. p. 211, 237, 241, 293, 335 © Renaud Auguste-Dormeuil p. 36-37, 145 © Benoit Grimbert / SAIF p. 245, 246, 247 © Bernard Piffaretti / Adagp, Paris, 2017 p. 22-23 Rebecca Fanuele p. 197 © Adela Babanová p. 147 © Bénédicte Hébert p. 249 © Guillaume Pilet p. 349 Frac Normandie Caen p. 58-59, 311 © Bertille Bak p. 149 © Jeppe Hein p. 251 (courtesy Johann König, Berlin) © Pascal Pinaud / Adagp, Paris, 2017 p. 20-21, 44-45, 339 Galerie Alain Gutharc p. 349 © Élisabeth Ballet / Adagp, Paris, 2017 p. 151 © Hedwig Houben p. 253 © Présence Panchounette p. 351 Galerie ALB Anouk Le Bourdiec p. 313 © Virginie Barré / Adagp, Paris, 2017 p. 153 © Séverine Hubard p. 54-55, 255 © Julien Prévieux p. 48-49, 353 Galerie Anne Barrault p. 228 © Yves Bélorgey / Adagp, Paris, 2017 p. 155 © Joël Hubaut / Adagp, Paris, 2017 p. 257 © Bernard Quesniaux / Adagp, Paris, 2017 p. 40-41, 355 Galerie Cent8 p. 139, 265 © Berdaguer & Péjus / Adagp, Paris, 2017 p. 24-25, 157 © Lydie Jean-Dit-Pannel p. 259 © Tobias Rehberger / Adagp, Paris, 2017 p. 22-23 Galerie Crèvecoeur p. 347 © Bertran Berrenger p. 159 © Sven ’t Jolle p. 261 © Hugues Reip / Adagp, Paris, 2017, p. 357 Galerie Diana Stigter p. 187 © Hervé Bezet / Adagp, Paris, 2017 p. 161 © Véronique Joumard / Adagp, Paris, 2017 p. 263 (courtesy © Georges Rey p. 359 Galerie Fons Welters p. 253 © Olivier Blanckart p. 163 Galerie Cent8), 265 (courtesy Galerie Cent8) © Sophie Ristelhueber / Adagp, Paris, 2017 p. 361 Galerie Frank Elbaz p. 171 © Michel Blazy / Adagp, Paris, 2017 p. 165, 167 © Valérie Jouve / Adagp, Paris, 2017 p. 267 © Martha Rosler p. 363 Galerie Gabrielle Maubrie p. 381 © Véronique Boudier p. 169 © Žilvinas Kempinas / Adagp, Paris, 2017 p. 269 © Børre Sæthre p. 16-17 Galerie G.P. & N. Vallois p. 173 © Lilian Bourgeat p. 44-45, p. 171 © Ian Kiaer p. 271 © Jacqueline Salmon p. 365 Galerie Jocelyn Wolff p. 371 © Alain Bublex / Adagp, Paris, 2017 p. 173 © Carlos Kusnir / Adagp, Paris, 2017 p. 273 © Éric Sandillon p. 367 Galerie In Situ-Fabienne Leclerc p. 145, 301 © Peter Buggenhout p. 175 © Philippe Kuznicki p. 275 © Pierre Savatier p. 369 Galerie Laurent Godin p. 129, 261 © Sophie Calle / Adagp, Paris, 2017 p. 177 © Lucas L’Hermitte p. 277 © Hans Schabus p. 371 Galerie Maisterravalbuena p. 299 © Boris Chouvellon p. 179 © Emmanuelle Lainé / Adagp, Paris, 2017 p. 279 © Franck Scurti / Adagp, Paris, 2017 p. 373 Galerie Martine et Thibault de la Châtre p. 327 © Claude Closky p. 181, 182, 183 © Micha Laury / Adagp, Paris, 2017 p. 281 © Alain Séchas / Adagp, Paris, 2017 p. 22-23, 44-45, 374, 375 Galerie Micheline Szwaljcer p. 199 © Delphine Coindet / Adagp, Paris, 2017 p. 58-59, 185 © Bertrand Lavier / Adagp, Paris, 2017 p. 283 © Bruno Serralongue p. 377, 379 Galerie Xippas p. 155 © Martha Colburn p. 187 © Laurent Le Deunff p. 285 © Hrafnkell Sigurðsson p. 381 Galerie Yvon Lambert p. 283 © Jordi Colomer / Adagp, Paris, 2017 p. 50-51, 189, 190, 191 © Simon Le Ruez p. 287 © Kristina Solomoukha p. 14-15, 44-45, 383 Galerie Zink p. 231 © Alexandre da Cunha p. 193 © Farida Le Suavé p. 289 © Taroop & Glabel p. 26-27, 385 Joël Hubaut p. 257 © François Curlet / Adagp, Paris, 2017 p. 195 © Ange Leccia / Adagp, Paris, 2017 p. 291 © Zin Taylor p. 387 Florian Kleinefenn p. 151 © Phillippe Decrauzat p. 197 © Bernard Legay p. 293 © Stéphane Thidet p. 42-43 Simon Le Ruez p. 287 © Koenraad Dedobbeleer / Adagp, Paris, 2017 p. 199 © Gauthier Leroy p. 44-45, 295, 296, 297 © Patrick Tosani / Adagp, Paris, 2017 p. 389 Didier Morel p. 10-11, © Anne Deguelle p. 201 © Maria Loboda p. 299 © Pekka Turunen p. 391 André Morin p. 279 © Damien Deroubaix / Adagp, Paris, 2017 p. 12-13, 203 © Mac Adams p. 301 © Jean-Luc Verna p. 393 Jean-Marc Piel p. 8-9 © Dewar & Gicquel p. 205 © Made in Éric / Adagp, Paris, 2017 p. 303 © Stéphane Vigny p. 395 Solveig Robbe p. 190, 191 © Philippe-Lorca diCorcia p. 14-15 © Éric Madeleine / Adagp, Paris, 2017 p. 305 © Camille Virot p. 397 Semiose Galerie p. 243, 351 © Marcel Dinahet p. 207 © Gilles Mahé p. 307 © Christoph Weber p. 399 Stéphane Vigny p. 395 © documentation céline duval p. 209 © Laurent Malone, 14-15 © Raphaël Zarka p. 401 Camille Virot p. 397 © Noël Dolla / Adagp, Paris, 2017 p. 211 © Didier Marcel p. 44-45, 309 © Brigitte Zieger / Adagp, Paris, 2017 p. 403 Brigitte Zieger p. 403 © George Dupin p. 213, 214, 215 © Maude Maris p. 311 © Philippe Durand / Adagp, Paris, 2017 p. 14-15, 38-39, © Matthieu Martin p. 313 217 (courtesy Galerie Laurent Godin), 219 © Philippe Mayaux / Adagp, Paris, 2017 p. 315

418 419 Copyrights & crédits photographiques Copyrights & crédits photographiques REMERCIEMENTS

Le Frac Normandie Caen tient à remercier les artistes et toutes les personnes qui contribuent au rayonnement du Frac Normandie Caen : les représentants de l’État sur le territoire normand, les membres du Conseil régional de Normandie, les membres du Conseil d’administration, www.fracnormandiecaen.fr de l’Assemblée générale et du Comité 9 rue Vaubenard technique d’acquisition, les parte- 14 000 Caen, France naires régionaux ainsi que tous ceux qui œuvrent pour le développement de l’art contemporain en Normandie.

Le Frac Normandie Caen tient à exprimer sa gratitude à tous les auteurs pour leur précieuse collabo- ration à la réalisation de cet ouvrage.

Que soit remercié également l’ensemble de l’équipe du Frac Normandie Caen pour la qualité de son travail.

Président du Frac Normandie Caen : Bernard Millet Directrice du Frac Normandie Caen : Sylvie Froux Le Frac Normandie Caen bénéficie Directrice de publication : du soutien de la Région Normandie Sylvie Froux et du ministère de la Culture, Documentation et suivi d’édition : Direction régionale des affaires Sarah Lubineau culturelles de Normandie.

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