Au Chili : De La Présidence D’Allende À La Junte Militaire (1970-1973)
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DE L’UNITÉ POPULAIRE À LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE : REPRÉSENTATIONS, DIFFUSIONS, MÉMOIRES CINÉMATOGRAPHIQUES DU CHILI, 1970-2013 Journées d’étude 9-10 octobre 2013, INHA Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne – HiCSA Guilhem Brouillet, Université de Montréal Les télévisions publiques canadienne et française face au « Regime Change » au Chili : de la présidence d’Allende à la junte militaire (1970-1973) Référence électronique : Guilhem Brouillet, « Les télévisions publiques canadienne et française face au « Regime Change » au Chili : de la présidence d’Allende à la junte militaire (1970-1973) », in BARBAT, Victor et ROUDÉ, Catherine (dir), De l’Unité populaire à la transition démocratique : représentations, diffusions, mémoires cinématographiques du Chili, 1970-2013, actes des journées d’étude, Paris, 9-10 octobre 2013. 1 Dès la victoire de Salvador Allende aux élections de septembre 1970, les États-Unis n’auront de cesse de chercher à déstabiliser la démocratie chilienne, devenue ouvertement marxiste. Cela s’inscrit dans leur politique étrangère de regime change qui prend pour cible les États s’opposant à leur hégémonie. Dans un tel contexte, certains alliés des États-Unis se montrent de plus en plus critiques. C’est le cas de la France qui, depuis la présidence gaullienne, dénonce ouvertement la guerre du Vietnam et tente de pénétrer leur « chasse gardée » en proposant à l’Amérique latine une « troisième voie » européenne, plutôt qu’une alternative soviétique. Au Canada, c’est Pierre-Eliott Trudeau qui, dès 1970, propose une révision plus critique de la politique étrangère du Canada avec les États-Unis et joue les intermédiaires avec le Bloc de l’Est, en commençant par reconnaître la Chine populaire. Si la position diplomatique du Chili non-alignée sur l’Union soviétique et critique vis-à- vis des États-Unis peut séduire, à Paris comme à Ottawa, en revanche on se méfie des répercussions potentielles de « l’expérience Allende » sur la politique intérieure. En France, la gauche voit dans le programme de l’Unité populaire une anticipation de ce que serait son arrivée au pouvoir. De la même manière, les indépendantistes québécois se retrouvent dans cette réappropriation nationale des richesses face à l’impérialisme anglo-saxon. Politique internationale et politique nationale se retrouvent donc imbriquées. Comment les télévisions publiques en France et au Canada vont réagir face à cette « expérience chilienne » du socialisme démocratique et à la volonté de renversement manifeste dont il sera finalement victime ? Existe-t-il un regard télévisuel comme il y a un regard de cinéastes sur le Chili ? Quels regards portent les cinéastes sur la matière journalistique ? 1 – Traitement journalistique de l’Unité populaire : interférences de politique intérieure de part et d’autre de l’Atlantique Les télévisions publiques française, avec l’ORTF, et canadienne, avec Radio-Canada, vont tirer profit du « ni –ni » diplomatique de leurs pays respectifs vis à vis du Chili qui leur confère une liberté de ton particulière. 1.1.) La première année de l’expérience Allende Cette période se joue, en réalité, en deux étapes. La première est la plus difficile avec l’accession mouvementée d’Allende à la présidence du Chili. La seconde concerne le reste de sa première année effective au pouvoir que l’on peut considérer comme sa période de grâce. En septembre 1971, du côté canadien on accueille les élections chiliennes de manière très laconique, en se contentant de faire le point depuis Montréal. Le Téléjournal1 commence 1 « Chili - Élections présidentielles », Téléjournal, Radio-Canada, 4 septembre 1970. 2 par mettre en avant le caractère régulier des élections. Côté français, les choses sont tout autres. Les rédactions des deux chaînes de l’ORTF sont mobilisées au Chili même. Ce ne sont pas moins de quatre reportages2 qui sont produits autour des élections chiliennes pour les deux chaînes. Cela tient donc de la haute priorité pour les rédactions. Cette différence de priorité entre le Canada et la France se retrouve encore lors de l’assassinat du général Schneider, chef des armées et proche d’Allende, en octobre. L’ORTF prend pour sujet « l’état d’urgence » qui entoure la proclamation de Salvador Allende comme président du Chili, dans un reportage3, tandis que Radio-Canada se contente de « brèves4 ». Comme l’explique Patricio Guzmán dans une interview réalisée pour cette étude5, les médias français sont en pointe à cette époque sur l’Amérique latine, dans la lignée de la politique étrangère gaullienne. Cependant, sur le plan de la critique, c’est aussi l’ORTF qui dégaine en premier, avant même l’entrée en fonction d’Allende. Ce qui préoccupe en fait la télévision française est de savoir si le Chili est un nouveau Cuba, comme s’interroge le magazine d’actualité Objectifs sur la première chaîne6. Ce reportage est construit comme un véritable procès où, par un jeu de montage, Allende est invité à se faire son propre avocat en répondant point par point à tout ce qui fera débat pendant les trois années où il sera au pouvoir. Le traitement de la même information par Radio-Canada est totalement différent : l’interview accordée par Allende à l’ORTF est rediffusée outre-Atlantique cinq jours plus tard, avec un commentaire « fait maison7 » et l’ajout d’images de sa campagne électorale. Le propos est sensiblement différent : « Salvador Allende, nouveau président du Chili ». L’approche devient donc une découverte du personnage pour un public canadien novice, de manière beaucoup plus bienveillante que sur l’ORTF. Ces deux reportages aux antipodes renversent le postulat journalistique qu’« une image brute est plus vraie qu’un discours. » Ce sont ici le montage et le commentaire journalistique qui font toute la différence, corroborant ainsi le travail de Marc Ferro en la matière. Il convient-là de proposer un parallèle entre ce traitement particulier et la situation politique des deux pays. En France, depuis mai 1968, existe une envie de changement politique et l’on est attentif à ce qui se produit ailleurs. A l’instar de la tentative de rapprochement entre les communistes et la Démocratie chrétienne italienne, l’expérience chilienne de l’Unité populaire suscite donc un intérêt important. L’ORTF, très dépendant du 2 Jacques Grignon Dumoulin, « Élections présidentielles au Chili », Journal télévisé de 20h, ORTF, 1re chaîne, 4 septembre 1970 ; Maurice Werther, « Élections au Chili », Journal télévisé de 20h, ORTF, 1re chaîne, 5 septembre 1970 ; Jacques Grignon Dumoulin et Christian Bousquet, « Élections au Chili », Journal télévisé de 20h, ORTF, 2e chaîne, 5 septembre 1970 ; Jacques Grignon Dumoulin et Raymond Girard, Journal télévisé de 20h, ORTF, 2e chaîne, 5 septembre 1970. 3 Jacques Grignon Dumoulin, « Etat d’urgence Chili : veille élections présidentielles », Journal télévisé de 20h, ORTF, 2e chaîne, 23 octobre 1970. 4 « Chili-Assassinat du général René Schneider », Téléjournal, Radio-Canada, 27 octobre 1970. 5 Guilhem Brouillet, interview de Patricio Guzmán, réalisée le 31 mai 2013. 6 Maurice Frydland (réalisateur) et Eugène Mannoni (journaliste), « Le Chili : un nouveau Cuba? », Objectifs, ORTF, 1re chaîne, 23 octobre 1970. 7 « Salvador Allende, nouveau président du Chili », Format 60, Radio-Canada (production étrangère ORTF), 30 octobre 1970. 3 pouvoir, répond à cette attente du public mais sans pour autant laisser croire qu’une telle expérience soit souhaitable en France, comme le ton critique employé l’indique. Au Québec, l’été et l’automne 1970 sont marqués par la prise de conscience que le souverainisme pourrait prendre une tournure violente avec l’irruption du Front de libération du Québec (FLQ). D’abord, avec la découverte d’un camp d’entrainement en Jordanie8, ensuite avec la « Crise d’Octobre » et le double enlèvement du ministre du travail du Québec et d’un diplomate britannique, au dénouement tragique. Allende apparaît donc, au bénéfice de ces événements, comme un homme de raison, qui a choisi la voie pacifique malgré les obstacles. Après cette période, l’engouement pour le Chili retombe dans l’actualité. Mais deux longs reportages de magazines sont proposés, au printemps 1971, pour évaluer la situation politique économique et sociale au Chili. Ces deux reportages sont tous deux produits par l’ORTF mais le premier a aussi été diffusé par Radio-Canada. Le premier reportage, diffusé par Radio-Canada dans une version écourtée, le 16 avril 19719, propose un premier bilan contrasté mais de nature à légitimer Allende dans sa stature de chef d’État. Même si des craintes et des incertitudes sont évoquées concernant les extrémistes des cordons industriels ou la neutralité de l’armée, la proportion d’éléments positifs reste majoritaire. Le second reportage, diffusé sur la première chaîne française le 15 mai 1971 et intitulé « Six mois d’unité populaire10 » ne laisse place à aucune équivoque : le régime d’Allende est démocratique, accepté par presque tous et profite, pour le moment, d’une période de grâce, même si des problèmes profonds sont perceptibles. À noter que, dans ce reportage signé Jean Bertholino, un passage tourné chez les indiens Mapuches, dans le sud du Chili, a été repris par Carmen Castillo pour Calle Santa Fe en 2007. 1.2.) 1972, année des doutes : Radio-Canada dérape, l’ORTF est mesuré À Radio-Canada, un entretien plutôt favorable à Allende est réalisé par le correspondant de Radio-Canada à New-York auprès d’un journaliste politique indépendant, Louis Wiznitzer11. Ce dernier fait, pour la première fois, le parallèle avec le printemps de Prague, de l’autre côté du Rideau de fer, en laissant entendre que les États-Unis ne laisseront pas le président chilien mener à bien son expérience socialiste au sein de leur zone d’influence. Mais, coup de théâtre : quatre mois plus tard, commence à sévir sur Radio-Canada un correspondant virulemment anti-communiste, Jean Charpentier. Dans un reportage diffusé le 8 Pierre Nadeau, « FLQ training in Jordan », Weekend, CBC Toronto, 11 octobre 1970.