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Bien que huguenots l'un et l'autre, Abraham Bosse, le gra­ veur, et Gédéon Tallemant des Réaux, l'auteur des Historiettes, ne sont point gens de même farine. Dix-sept années d'ailleurs les séparaient, Bosse étant né en 1602 et Tallemant'des Réaux en 1619. Maniant sa pointe avec soin et habileté mais sans grande imagination, assez gourmé et pesant, Bosse relève plutôt de la petite bourgeoisie des Caquets de l'Accouchée. Ce freluquet de Tallemant fréquente aine société plus relevée, qui se pique de lettres. Il n'a plus la lourdeur du bonhomme L'Estoile, bien qu'il appartienne comme lui à une famille de robe, moindre probablement, en dépit des apparences, que celle de son ancien. Il fait débauche avec les élégants, court les ruelles, écrit de petits vers, hante l'hôtel de Rambouillet. Il a décrit, avec beau­ coup plus de véracité qu'on ne l'a cru longtemps, un monde haut en couleurs, pittoresque, assez faisandé en somme. En tous les milieux de tous les temps, il y a toujours eu, pour em­ ployer l'expression de notre auteur, beaucoup « d'honnêtes femmes qui se gouvernent mal ». Mais enfin, la marquise de Rambouillet, qui est inattaquable, donne la faveur de son amitié à Mlle Paulet, la « lionne », qui sort d'assez bas lieu et qui n'est après tout que ce que nos aïeuls appelaient un « demi-castor ». La considération relative dont jouit Marion Delorme, qui ne cache pas son métier, nous surprend, et plus encore l'intimité HOTELS ET CHATEAUX LOUIS XIII 655

de celle qui sera plus tard Mme de Maintenon avec Ninon de L'Enclos. Les écrivains passent de la grossièreté à la préciosité sans rencontrer le moyen terme. Les grands seigneurs sont fort ignorants, et le père du Grand Condé, apprenant que Chapelain a fait La Pucelle, demande si c'est un statuaire, mais on com­ mence à avoir le snobisme des beaux esprits. Lyonne vient avec Ménage faire faire son portrait par Nanteuil. « Venez une autre fois tout seul », dit l'artiste. « Voyez-vous, répond l'autre, cela nous sert dans le monde de mener de ces beaux esprits avec nous. » Les poètes se font voir dans les salons, mais ce sont des poètes crottés. Bref, une société qui manque complè­ tement de style. Ce n'est assurément pas la Cour qui y donne le ton. Talle- mant rapporte que, dès vingt ans, la marquise de Rambouillet ne voulut plus aller aux assemblées du Louvre. « Elle disait qu'elle n'y trouvait rien de plaisant que de voir comme on se pressait pour y entrer, et que quelquefois il lui est arrivé de se mettre en une chambre pour se divertir du méchant ordre qu'il y a pour ces choses-là en . » La Cour d'Henri IV tenait un peu trop du corps de garde, et celle de Louis XIII, avec un roi chagrin et une reine bigote, manque d'éclat et paraît fort ennuyeuse. La marquise a institué une juridiction mondaine dont les arrêts sont bien plus obéis. Pourtant, en dépit de la haute situation de cette dame qui descend d'une des premières familles d'Italie et qui a épousé un Angennes, la so­ ciété dirigeante n'est pas non plus à prédominance aristocra­ tique. D'abord, qu'est-ce que la noblesse à cette époque ? La noblesse d'épée a terriblement souffert. De la saignée des guerres de Religion. De la grande crise économique du XVI" siècle, con­ sécutive à l'afflux des métaux précieux, et qui l'a ruinée. Sur 59 pairies créées de 1297 à 1642, il n'en subsiste que 24 à l'avè­ nement de Louis XIV, et la plupart récentes, car s'il en avait été fait 22 de 1297 à 1550, le chiffre était de 37 pour la période 1550-1642. En effet, pour remplacer cette noblesse ancienne, il y en a une autre en formation, qui sera en grande partie celle de Louis XIV, mais pour le moment elle est en train de se décras­ ser. Tallemant conte que, quand le roi voyait le carosse de quel­ que nouveau venu, il appelait d'Hozier : « Connais-tu ces gens- là ? — Non, Sire. — Mauvais signe pour cette noblesse. » Dubiae 656 LA REVUE nobilitatis, la formule revient très souvent sous la plume de l'auteur des Historiettes lorsqu'il parle d'un personnage. Aux frontières de la noblesse et de la roture, se crée toute une classe que l'on pourrait appeler, alors, la classe des riches. Elle com­ prend des gens de robe qui ont plus d'un siècle de noblesse, comme les Mesme, les Séguier, les Brûlart, mais aussi d'autres anoblis beaucoup plus récemment, les Le Tellier, les Talon. C'est le dessus du panier. Le président de Vienne, contrôleur général des Finances, conseiller d'Etat de Sa Majesté, on l'a connu « torchecul de mule ». Le président Jeannin était fils de tanneur. Le financier Rocher-Portail est venu à en sabots. Le bonhomme Le Camus, conseiller d'Etat, est arrivé de Reims, pour conquérir la capitale, avec vingt livres. La Bazinière, trésorier de l'Epargne, fils d'un paysan d'Anjou, a commencé par être laquais. Le Ragois, secrétaire du Conseil, appartient à une modeste famille d'Orléans. Méfiez-vous de ce chevalier de Bellegarde, ce n'est que Souscarrière, fils d'une pâtissière et de M. de Bellegarde ; de ce Montauron, qui fait la pluie et le beau temps dans le monde élégant, conseiller du Roi, premier président du bureau des finances de Montauban, c'est , personnage de très basse extraction. Ils ont tous ceci de commun d'avoir beaucoup d'argent et d'argent récemment gagné dans des charges de finances, ou en prêtant de l'argent au Roi qui leur afferme des impôts, ou encore, « dans les partis », comme on disait alors. Il y eut, en effet, un moment extraordinairement favorable pour édifier des fortunes. Le bonhomme Le Camus était « venu dans le bon temps aux affaires », dit Tallemant. Ne nous demandons pas trop si ces richesses étaient bien ou mal acquises. « Des gens de son métier, nous répondrait L'Estoile, parfois philosophe, à propos de Forget de Fresnes, on n'en voit guère mourir de pauvres. » Et Tallemant, commentant la carrière de Le Ra­ gois : « C'était un assez bonhomme et assez charitable, mais je ne crois pas qu'on puisse gagner légitimement 600.000 livres de rente, comme on dit qu'il avait. » En tout cas, ils allient leur progéniture aux familles les plus hautes. Guyonne Ruel- land, fille de Rocher-Portail, épouse le duc de Brissac. Cathe­ rine Le Tellier, un d'Harcourt. Antoinette Servien et Louise Boyer deviendront respectivement duchesse de Saint-Aignan et duchesse de Noailles. Les mâles, achèteront des terres et se HOTELS ET CHATEAUX LOUIS XIII 657 feront anoblir. Car l'argent a toujours été une des voies assu­ rées pour parvenir à la noblesse. Mais, sous Louis XIII, la mo- leurs, certains bourgeois riches, comme Cornuel, le « souffleur » leurs, certains bourgeois riches, comme Cornuel, le « souffleur » de , ne cherchent pas à quitter la bourgeoisie, et les dames Cornuel n'en sont pas moins à la mode pour cela. Quant à Mme Pilou, femme d'un procureur, elle est en réputa­ tion, même à la Cour, par sa façon originale de dire les choses. Ainsi, dans cette société mêlée, où les rangs ne sont pas encore fixés, on passe insensiblement de la noblesse à la bour­ geoisie. C'est d'ailleurs ce qu'enseigne Abraham Bosse. Il n'a pas gravé seulement ses propres compositions mais celles d'un dessinateur beaucoup plus piquant que lui, Jean de Saint-Igny, Normand dont on sait bien peu de choses : Le Jardin de la noblesse française, qui parut en 1629, et la Noblesse française à l'église, deux recueils destinés à montrer les manières de vête­ ments des classes supérieures. Quels hommes fringants, quelles femmes élégantes ! Comme tous ces gens sont loin des person­ nages engoncés de l'époque Henri IV ! Mlle Michèle Beaulieu a consacré une thèse au costume sous le règne de Louis XIII. Elle n'a certes pas perdu sa peine et, ce faisant, elle a, par cette recherche qui peut sembler frivole, apporté une contribu­ tion capitale à l'histoire des mœurs. Or tout le monde est d'ac­ cord : l'auteur inconnu des Caquets de l'Accouchée, notre vieil Abraham Bosse et Mlle Beaulieu : il n'y a point de différence notable entre le costume de la noblesse et celui de la bour­ geoisie. Si quelques scènes du graveur montrent à l'évidence de petites gens, je vous défie de dire si les acheteuses de la Galerie du Palais sont de grandes dames ou des roturières, si les personnages des allégories : Vierges sages et Vierges folles, séductrices de YEnfant prodigue, appartiennent à une classe ou à une autre.

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Avec de tels changements de fortune, avec ces gens qui veulent jouir d'une richesse récemment acquise, il faut plus que jamais construire. Mais ce n'est plus le Roi qui tient les rênes. Il a été remplacé par le spéculateur, et le roi des spécu- 658 LA REVUE lateurs s'appelle Louis Le Barbier. Rien n'est trop vaste pour lui et ce philosophe de la spéculation dédaignera même de se faire anoblir. Il commence sa fortune entre 1610 et 1620 par des achats et ventes de terrains, des affermages d'impôts, des entreprises de travaux publics. On le rencontre pour la première fois dans une énorme opération de lotissement en 1622. Après une vie singulièrement agitée, un accès de sainteté dans sa vieillesse, la reine Marguerite est morte en 1615, sans avoir achevé l'hôtel qu'elle construit, mais couverte de dettes. Elle possède dans la région du Pré-aux-Clercs, là où se trouvent aujourd'hui les rues de l'Université, de Lille, de Verneuil, des Saints-Pères, de Beaune, du Bac, de Bellechasse, un énorme domaine qui, le 22 mars 1622, est adjugé pour 315.000 livres à un consortium de cinq financiers dont fait partie Le Barbier Peu à peu, celui-ci devient le vrai maître de l'affaire. Non content de lotir, il construit de façon à offrir aux acheteurs des parcelles déjà bâties. En 1629, les chantiers sont en pleine activité. Alors s'édifièrent les beaux hôtels du quai Malaquais. Le Barbier lui-même vient s'établir à l'endroit où se trouvent actuel­ lement le 3 et le 5 du quai Voltaire. Mais ce n'est pas assez pour lui. Le Roi a projeté d'englober dans Paris une partie des faubourgs en abattant le vieux mur de Charles V et en le réédifiant plus loin. Sur la rive gauche, il s'agit d'annexer ainsi les faubourgs Saint-Germain, Saint- Michel, Saint-Jacques, Saint-Marcel, Saint-Victor. Le Barbier s'en charge par un traité du 7 juillet 1632 qui est annulé par le . L'opération n'aura pas de suites. Mais sur la rive droite, Le Barbier réussira mieux. C'est l'entreprise dite des Fossés-Jaunes. L'ancienne enceinte doit être remplacée par une nouvelle bastionnée, qui s'étendra de la porte Saint- Denis à la porte de la Conférence, laquelle sera déplacée vers l'ouest. L'opération comprend encore la construction des portes de la Conférence, Saint-Honoré, Richelieu et Montmartre, celle d'un pont à l'extrémité des Tuileries. Un certain Pierre Pidou prend ces énormes engagements et traite avec le Roi le 14 octo­ bre 1631 ; il disposera des terrains des anciens remparts et de ceux qui appartiennent au Roi entre les deux murailles. Or Pierre Pidou est un commis de Le Barbier. Sur l'opposition des propriétaires, le marché Pidou est cassé le 31 décembre 1632, HOTELS ET CHATEAUX LOUIS XIII 659 mais l'affaire est reprise en 1633 avec un certain Froget, et Froget est aussi un commis de Le Barbier. Seulement l'affaire de la' rive droite alla plus loin que l'af­ faire de la rive gauche, parce qu'elle était épaulée par le pro­ tecteur le plus puissant, Richelieu lui-même qui, depuis 1631, avait reçu la Direction générale des fortifications nouvelles. De 1633 à 1636, on le voit trafiquer avec Le Barbier et ses prête-noms, acquérir des terrains pour former le domaine de son futur palais, en revendre avec charge d'y élever des maisons. Comme toutes les spéculations de cette étendue, celles de Le Barbier supposaient tout un complexe d'opérations qui s'étayaient les unes les autres et formaient un édifice assez fragile : fermes d'Impôts, péages, achat et vente de terrains, constructions. Une pièce qui lâche en entraîne une autre. Les affaires du spéculateur allaient assez mal lorsqu'il mourut, et ce fut la ruine. Ainsi que dans tous les cas du même genre, on ne saura jamais s'il aurait été capable de redresser la situation. Au Marais, Claude Chariot, paysan languedocien, qui s'était enrichi au point d'acheter le duché de Fronsac, et dont le nom est resté à une rue du quartier dont il fit le lotissement, ne finit pas mieux que Le Barbier. - Miracle, parmi ces spéculateurs, il en fut même d'honnêtes : il semble bien que ce soit le cas pour Christophe Marie, un maçon qui, à la fin du règne d'Henri IV, avait proposé au roi de construire un pont pour accéder à l'Ile-aux-Vaches, aujour­ d'hui Ile-Saint-Louis. Puis l'affaire s'élargit, Marie s'associa successivement deux bourgeois, Poulletier et Le Regrattier. Des droits fonciers sur les terrains de l'île pendant soixante ans devaient servir de rétribution aux associés. L'affaire connut beaucoup de vicissitudes, se heurta à des difficultés de la part du Chapitre de Notre-Dame qui avait des droits, changea plu­ sieurs fois de mains. Le pont fut bien achevé en 1629, mais l'île se construisit assez lentement et sa vogue ne commença pas avant la fin du règne de Louis XIII.

Manière de bastir pour touttes sortes de personnes est le titre du recueil que publiait en 1623 Pierre Le Muet, architecte ordinaire du Roi et conducteur des dessins de fortifications de 660 LA REVUE

Sa Majesté ; il l'augmenta en 1647 de nouveaux bâtiments faits en France pas ses ordres et desseins. Et Le Muet accomplit sa de la troisième place, 17 pieds sur 45, que la cuisine se détache de'la salle et que les « privés » apparaissent. A la septième place, 38 pieds sur 100, nouveauté d'impor­ tance, la maison entre cour et jardin se dessine, un passage est prévu pour le carrosse et, corollaire, ce passage s'ouvre sur la rue par une porte cochère. Scarron n'avait encore qu'une petite porte. Le carrosse est récent. Sully n'en posséda un que quand il fut grand maître de l'Artillerie. Le Roi ne voulait point qu'on en eût : « Le marquis de Cœuvres et le marquis de Rambouillet furent les premiers des jeunes gens qui en eurent, le dernier à cause de sa mauvaise vue, l'autre en rendit quelque autre raison. Us se cachaient quand ils rencontraient le Roi... Arnauld le Péteux a été le premier garçon de la ville qui en ait eu, car les hommes mariés en eurent avant lui. » Pourtant en 1636, « l'année de Corbie », on leva un impôt des portes cochères, ce qui prouve qu'il y en avait déjà un nombre respec­ table. A partir de ce point les maisons peuvent être qualifiées, en somme, d'hôtels. La distinction n'est naturellement pas très nette, mais on la faisait. Parlant du chancelier Séguier, « per­ sonne, dit Tallemant, n'a tant donné à l'extérieur que lui, il a baptisé sa maison hôtel ». Il y avait sous Louis XIII, estime Batiffol, quarante à cinquante hôtels particuliers, ce qui sem­ ble plutôt en dessous de la vérité. Ecoutons encore Tallemant dans son historiette de la marquise de Rambouillet : « C'est une personne habile en toutes choses. Elle fut elle-même l'ar­ chitecte de l'hôtel de Rambouillet qui était la maison de son père. Mal satisfaite de tous les dessins qu'on lui faisait (c'était du temps du maréchal d'Ancre, on ne savait que faire une salle de côté, une chambre de l'autre et un escalier au milieu : d'ail­ leurs la place était fort irrégulière et d'une assez petite éten- HOTELS ET CHATEAUX LOUIS XIIÏ 661

due), un soir, après y avoir rêvé, elle se mit à crier : « Vite, du papier ; j'ai trouvé le moyen de faire ce que je voulais. » Sur l'heure elle en fit le dessin car, naturellement, elle sait des­ siner... On suivit le dessin de Mme de Rambouillet de point en point. C'est d'elle qu'on a appris à mettre les escaliers à côté pour avoir une grande suite de chambres, à exhausser les plan­ chers et à faire des portes et des fenêtres hautes et larges et vis-à-vis les unes des autres... C'est la première qui s'est avisée de faire peindre une chambre d'une autre couleur que de rouge M ou de tanné ; et c'est ce qui a donné à sa grande chambre le* nom de « la chambre bleue ». Parce qu'elle.était réduite à rester chez elle et qu'une infirmité singulière lui interdisait de se chauffer, « la nécessité lui fit emprunter des Espagnols l'inven­ tion des alcôves qui sont aujourd'hui si fort en vogue à Paris. » Tout cela n'est point parole d'évangile, notamment en ce qui concerne la position des escaliers. Savot, qui écrit presque en même temps que Le Muet, a beau dire : « On place l'escalier presque toujours au milieu », les plans de Le Muet démontrent que l'habitude de placer les escaliers sur le côté est déjà répan­ due, aussi bien va-t-elle de soi lorsqu'on manque d'espace. Et il est clair que Tallemant a voula flatter sa grande amie la mar­ quise, en lui attribuant tant d'inventions. Reste qu'un pareil texte nous renseigne sur ce que l'on regardait alors comme des nouveautés, de même qu'il nous fixe sur ce qui préoccupait sur­ tout : la distribution en vue d'obtenir la commodité. Et l'on constate avant tout l'intérêt que prenaient les clients à leurs constructions. Ici, comme toujours, n'en déplaise aux archi­ tectes, le progrès résulte non des artistes seuls, mais de leur collaboration avec ceux qui les font travailler. L'hôtel parisien apparaît comme la création essentielle du siècle, où se manifestent la plupart des initiatives artistiques. Le plus souvent, quand son- emplacement le permet, le corps de logis principal est en retrait par rapport à la rue. L'une des façades donne sur la cour, en général bordée de deux ailes, tandis que l'autre façade donne sur un jardin. La cour commu­ nique avec la rue par un'e porte cochère qui est souvent une des beautés les plus frappantes : qu'il suffise de rappeler celle de l'hôtel de Chalons Luxembourg, rue Geoffroy-l'Asnier, ou celle, plus belle encore parce que plus sobre, de l'hôtel d'A vaux, qui ne doit sa qualité qu'au dessin de ses refends. 662 LA REVUE

L'extérieur est presque toujours d'une extrême discrétion. Il y a au début du siècle une sorte d'offensive de la surcharge qui rappelle les styles baroques étrangers, et notamment le style flamand, à l'hôtel Sully, par exemple, construit vers 1624, ou dans ce curieux pavillon de l'hôtel Fieubet qui a survécu, au coin de la rue des Nonnains-d'Hyères, à une impitoyable reconstruction, mais très vite ces édifices font mine démodée : on dirait de vieux compagnons d'Henri IV parmi des cavaliers à la mode. Leurs successeurs dédaignent cartouches et statues, " font même un usage très modéré des ordres antiques et se con­ tentent d'effets tirés des refends ou des encadrements des em- . brasures. A remarquer que la brique est vite abandonnée. Le pittoresque des toits est sacrifié, à quoi contribue largement l'adoption, des combles brisés à la Mansarde « ainsi nommés, écrit Le Muet, parce que feu Monsieur Mansart, illustre archi­ tecte, en est l'inventeur... cette manière est fort usitée présen­ tement ». A l'intérieur, en plus des salles qui ne sont guère différenciées, on voit apparaître déjà, à l'hôtel Tubeuf, des salles à manger d'hiver et d'été. La galerie, héritage du siècle précédent, ne manque guère dans les grands hôtels. Quant aux chambres, où Le Muet a toujours soin d'indiquer la place du lit — véritable monument qui sert à la réception non moins qu'au sommeil — elles doivent, d'après lui, s'accompagner d'une garde-robe et d'un cabinet. Il ajoute que les appartements doi­ vent être « dégagés entre eux le plus que se pourra », mais il ne semble pas, pour le moment, que cet effort soit poussé très loin. La demeure qu'a fait construire le financier Particelli d'Emery et qu'habitera ensuite Nicolas Fouquet, est appelée « l'hôtel commode » parce qu'il a des étuves — nous dirions une salle de bains. , Passons en revue quelques-unssde ces hôtels. Nous en avons malheureusement perdu plusieurs dont l'importance était grande. Il ne reste rien de l'hôtel de Rambouillet, ce séjour des muses, qui se trouvait rue Saint-Thomas-du-Louvre, presque rien de l'hôtel de Bretonvilliers, à la pointe de l'Ile-Saint-Louis « qui, après le sérail, est le bâtiment du monde le mieux situé » et qu'avait construit, de 1624 à 1630, Jean I du Cerceau, l'archi­ tecte probable de l'hôtel Sully (de l'un des édifices à l'autre il avait fait de grands progrès). Disparu aussi, l'hôtel du surin­ tendant Bullion, fort riche et bon ménager, dont l'inventaire HOTELS. ET CHATEAUX LOUIS XIII 663 se montait, dit-on, à 700.000 livres de rentes. Cornuel faisait tout sous lui, « mais de sorte qu'il semblait qu'il ne fît rien sans en parler au surintendant, car le bonhomme se divertissait » ; rue Jean-Jacques-Rousseau, l'hôtel des Postes a remplacé la demeure de cet épicurien qu'avait, vers 1630, construite Le Vau. D'autres, trop réparés ou englobés dans des constructions récentes, ont perdu de leur intérêt : l'hôtel de La Vrillière, qu'a absorbé la Banque de France. La Bibliothèque Nationale a éga­ lement absorbé, en sauvegardant partiellement l'extérieur, l'hôtel que fit bâtir, vers 1635, Charles Duret de Chesry dont le fils le vendit à Jacques Tubeuf, favori d'Anne d'Autriche et qui fut intendant et contrôleur de ses bâtiments. On le disait petit-fils d'un boucher. Atteint décidément de la maladie de la pierre, il en fit construire deux autres voisins, dans la rue Vivienne, par Le Muet. Méconnaissable, au 79 de la rue du Temple, l'hôtel de celui qu'on appelait Montmor le riche. Mais il en reste aussi de très nobles. Au Marais, l'hôtel Mayenne, un des ancêtres ; l'hôtel Sully (un beau nom, mais un nom d'acheteur, puisque la construction fut faite pour le finan­ cier Gallet) ; l'hôtel d'Aumont, mais le maréchal d'Aumont était le gendre de Michel-Antoine Scarron, qui avait reconstruit l'hô­ tel : le beau-père avait recouru à Le Vau, le gendre de Mansart \les vieilles pierres, quand on les interroge, sont assez indis­ crètes) ; l'hôtel Amelot de Bisseuil ou des Ambassadeurs de Hollande ; l'hôtel d'Avaux, élevé par Claude de Mesme, envahi par le commerce et qui oppose vaillamment aux misères mo­ dernes son admirable porte ; l'hôtel de Villacerf, dont le salon a été sauvé au musée Carnavalet ; l'hôtel Salé, bâti par Aubert de Fontenay et dont le surnom ironique tient à ce que ce per­ sonnage était fermier des gabelles ; enfin, l'un des derniers de cette période, l'hôtel de Beauvais, reconstruit en 1635 par Lepautre pour M. de Beauvais et sa femme Catherine Bellier, femme de chambre d'Anne d'Autriche, Catau la Borgnesse, qui a laissé une réputation douteuse. Les mauvaises langues disaient qu'on y avait employé les pierres destinées au Louvre. L'hôtel de Beauvais est unique en son genre, par le dessin de sa cour incurvée et parce que « pour la première fois, observe M. de Laborde, le corps principal d'une grande demeure devait s'aligner sur la rue. Pour la première fois, un noble hôtel devait loger de grandes boutiques ». Ailleurs, sur le quai 664 LA REVUE

de la Tournelle, l'hôtel des Miramiones dont le musée de l'As­ sistance publique assure la conservation. Cependant les joyaux se trouvent dans l'Ile-Saint-Louis. Le Vau s'y était'installé et fut en quelque sorte l'architecte du quartier. Il fit, vers 1640, l'hôtel Hesselin. Les deux chefs-d'œuvre les mieux conservés sont l'hôtel Lauzun et l'hôtel Lambert. Hôtel Lauzun, encore un trompe-l'œil, car il fut construit, de 1642 à 1650, par Gruyn des Bordes, fils du tavemier de la Pomme de Pin. A peu près contemporain, l'hôtel Lambert date de 1642 à 1644 ; son auteur est Jean-Baptiste Lambert, qui était entré tout jeune dans les bureaux de Claude de Bullion, lequel l'avait cédé à Gaspard Fieubet, trésorier de l'Epargne, et ce financier, qui a suivi une carrière type, eut pour fils le président Lambert de Thorigny, dit le riche.

Devant les estampes d'Abraham Bosse nous distinguons malaisément à quelle classe appartiennent ses personnages, mais dès que nous jetons les yeux sur les chambres où ils se trouvent, le doute n'est plus possible : ce sont gens de moyenne bourgeoisie, et de goûts anciens et assez timides. Les murs sont tendus de tapisseries, de celles que Tallemant appelle assez dédaigneusement vieilles verdures. Sur ces tapisseries et sans souci de leur dessin, on a accroché des miroirs carrés et des tableaux. Nos demeures de financiers, pour peu qu'ils soient avertis, ont un tout autre air. Les parois sont couvertes de lambris à compartiments et peintes de grotesques, de fleurs, de paysages, de sujets parfois ; elles se raccordent au plafond par une gorge ornée de médaillons, de guirlandes, de figures en camaïeu, et le plafond offre, dans un ciel peint, des figures volantes emprun­ tées à l'allégorie et à la mythologie. Des sculptures alternent avec les peintures, des encadrements en relief relèvent celles-ci. Il a fallu tout un renouvellement du décor dont la génération du second Fontainebleau, assez pauvre en somme, était inca­ pable. Mais en 1627 on vit revenir en France un artiste qui comp­ tait déjà, bien qu'il fût dans la force de l'âge, quinze années d'Italie, Simon Vouet. M. Demonts, qui a fait le jour sur sa HOTELS ET CHATEAUX LOUIS XIII 665 période de formation, a montré que, par ses œuvres les plus notoires exécutées outre-monts, il s'avouait disciple convaincu de Michel-Ange de Caravage. A la vérité, Vouet était surtout un éclectique et un habile homme ; il avait profité de son séjour à Venise autant que de son séjour à Rome, et ce qu'il y a de piquant, c'est que ce caravagiste éphémère fut peut-être juste­ ment le peintre qui protégea Paris de l'invasion caravagiste. Si l'on considère, en effet, ce qui se passa dans certains centres provinciaux, et particulièrement à Toulouse, où Jean Chalette, de Troyes, et Nicolas Tournier, de Montbéliard, tinrent le haut du pavé, on s'aperçoit que Paris a une position plutôt exception­ nelle. Simon Vouet, qui n'était pas un sot, fit peut-être réflexion que l'art du Caravage, avec son réalisme, avec ses contrastes heurtés, se prêtait bien mal à la décoration d'intérieurs destinés à une clientèle qui entendait jouir de la vie, qui demandait avant tout l'agrément et le plaisir. Sauf dans de rares œuvres comme la Richesse, conservée au Louvre, il laissa prédominer dans son œuvre le coloris clair du Palais Farnèse ou de Venise. Du ciel, beaucoup de ciel entre des architectures en perspec­ tive, des amours voletant, des figures plafonnantes, une con­ duite remarquable de la lumière, où l'on reconnaît ses anciennes études. Il avait ce qu'il faut pour plaire, d'autant qu'à ses pein­ tures se combinent les sculptures d'un jeune artiste revenu de Rome presque en même temps, Jacques Sarrazin, qui apporte à l'école française une grâce dont manquaient beaucoup les solides et lourds statuaires du règne d'Henri IV. Vouet n'est pas un dessinateur de premier ordre, son trait est mou, si sa composition est fort habile. Il n'est pas non plus un grand coloriste, encore qu'il ait des tons agréables, des roses vifs, des verts, des bleus, dont l'accord n'est pas toujours dis­ tingué. Beaucoup plus que la peinture qui vient tout d.e suite après lui, il laisse prévoir celle qui prévaudra un siècle plus tard et qui s'adressera à une clientèle plus raffinée mais du même ordre. II satisfait plus les ignorants que les amateurs difficiles. Si l'on en croyait les légendes qui couraient, il n'est presque pas un hôtel de cette époque qui n'aurait quelque morceau de sa main. En vérité, de ses travaux de décoration, pro­ fane, il ne reste guère, et encore en faible partie, que ceux qu'il exécuta pour Claude de Bullion, tant en sa maison de Paris qu'en son de Wideville. Mais ce qu'il fit pour le chancelier s 666 LA REVUE

Séguier, ou pour le maréchal d'Effiat à Chilly-Mazarin n'a pas subsisté. On n'a point tort cependant de le retrouver partout : il est partout par son influence, l'une des plus étendue de son siècle. Aussi bien François Perrier, qui peignit la galerie de l'hôtel de La Vrillière, que les inconnus qui firent le plafond du cabinet de Sully à l'Arsenal ou le plafond d'une des salles de*l'hôtel de Lauzun, relèvent de lui. Claude Bullion avait également fait travailler un autre pein­ tre qui aurait pu ajouter un accent différent à la décoration française, un accent plus authentiquement vénitien, mais Jac­ ques Blanchard, qui était arrivé à Paris dans les mêmes années que Simon Vouet, mourut en 1638 à trente-huit ans, après d'éclatantes promesses. Nous ne savons point ce qu'avait pu faire pour l'hôtel Bretonvilliers Sébastien Bourdon, habile en toutes choses. Vouet eut un élève qui le dépassait de beaucoup : Eustache Le Sueur, qui offre la double originalité de n'avoir jamais fait le voyage d'Italie, et d'avoir été, plus que tout autre peintre français, ébloui par Raphaël, qu'il ne connut que par les gra­ vures. On se demande pourquoi, dans le courant de vogue qui s'est emparé de notre XVIP siècle, Eustache Le Sueur a été presque négligé. Pourtant, quiconque a jeté les yeux sur ses dessins, sait que la France a eu rarement un dessinateur aussi pur. Mais Le Sueur est trop voisin de la perfection et les dé­ fauts sont souvent ce qui attache le plus. Lambert se donna la gloire de lui confier la part du lion dans la décoration de son hôtel. Il eut le Cabinet de l'Amour, il eut la chambre de la pré­ sidente, où, dans l'alcôve, il peignit les Muses. Il ne reste plus aujourd'hui en place que de splendides camaieux qui ont toutes les qualités des dessins. Mais la plupart des peintures du' Cabi­ net de l'Amour et de la chambre de la présidente ont fini par se retrouver au Louvre, et lorsque, dans la présentation des pein­ tures de l'école française, on a voulu donner la quintessence du charme français, on n'a pas hésité à consacrer toute une salle aux peintures d& l'hôtel Lambert. L/air de jeunesse, d'enfance même des Muses, est unique dans l'art. Ce sont des petites filles plus que des déesses. Sur l'oreille de Terpsichore qui joue de la harpe retombe une mèche rebelle. Visages à peine duve­ tés, bouches prêtes à la bouderie, au rire et aux larmes. Le groupe de Clio, Euterpe et Thalie est rythmé comme la musique HOTELS ET CHATEAUX LOUIS XIII 667 des instruments qu'elles tiennent. Calliope, trop jeune pour faire retentir son triangle, ne s'amuse-t-elle pas seulement avec lui ? Misère cependant que ces dispersions, car qui va chercher au château de La Grange en Berry, les anciennes grotesques de l'hôtel Lambert, les plus élégantes que l'on ait peintes chez nous ? Et si tout était resté en place, on trouverait en ce lieu unique à la fois les chefs-d'œuvre de Le Sueur -r- couronnement d'une époque — et la Galerie d'Hercule peinte par Le Brun, point de départ d'une autre. Au-dessous de ces maîtres de la décoration gravitent des artistes plus humbles, grâce auxquels il n'est, à l'hôtel Lauzun, par exemple, presque pas un pouce de muraille qui ne soit orné d'un paysage, d'une fleur, d'une guirlande. On connaît le nom de certains d'entre eux, tout en distinguant mal leurs œuvres. Or ce nom est souvent flamand. La colonie flamande de Saint- Germain-des-Prés n'a fait que prospérer. En 1626, il s'est même établi une confrérie des nations flamande, allemande, suisse. L'académicien Nicolas Wleughels, qui fut, au XVIIIe siècle,' directeur de l'Académie de France, nous a laissé, dans une lettre, une sorte de tableau de genre fort coloré : l'histoire de l'arrivée de son père à Paris, vers la fin du règne de Louis XIII. Le jeune homme, qui a débarqué assez tard, en compagnie d'un garçon de son âge, baragouine à un passant le nom de Van Mol, peintre du Roi, à qui il est recommandé. On les mène au cabaret de La Chasse, rue du Sépulcre, où ils retrouvent leurs compatriotes en train de manger et de boire : il y a là Nicasius, Van Boucle, Fouquières, précisément ces peintres employés un peu en sous- ordre aux nombreux travaux qui s'offrent alors aux artistes dans Paris. Il va sans dire que ces travaux ne concernent pas exclusi­ vement les hôtels des nouveaux riches de la ville. Les peintres qui ont été énumérés ici, nous les retrouverons au service du Roi, au service de la religion. Il n'en reste pas moins que presque tout ce qui s'est fait connaître sous le règne de Louis XIII et sous la minorité de Louis XIV — architectes, sculpteurs ou peintres, — a dû sa réputation à ce genre d'activité. Quand la Reine mère fit bâtir le Luxembourg, elle ordonna aux architectes de s'inspirer de l'hôtel de Rambouillet. C'est très souvent ainsi que se passent les choses : la clientèle privée découvre les artistes, la cour les reprend. Cependant, cet hôtel parisien est 668 LA BEVUE une création éphémère. A dater de la prise du pouvoir par Louis XIV, on n'en construit presque plus. Le Roi attire à Ver­ sailles les gens de qualité qui ne se soucient plus de leur demeure parisienne ; architectes et peintres sont absorbés par les com­ mandes du Roi. Il faudra le relâchement de la puissance royale pour que Paris reprenne l'initiative : alors l'hôtel renaîtra au XVIIIe siècle.

« Vivez donc aux champs, gentilshommes », conseillait en 1583 le poète Nicolas Rapin. La recommandation est à peu près inutile, la cour et la ville n'en ont attiré qu'un tout petit nombre. Dans son immense majorité, la noblesse française est restée campagnarde. Elle réside sur ses terres, puissante encore par ce lien vivace, et le cardinal ne regarde pas ses chefs sans inquiétude. • En 1624, Savot écrit encore :

HOTELS ET CHATEAUX LOUIS XIII 669 hance de 1629. le fameux code Michau, défendait aux sujets du Roi de « faire fortifier les villes, places et châteaux, soit ceux qui nous appartiennent, soit aux particuliers (hors les murailles, fossés et flancs des clôtures pour ceux qui ont droit d'en avoir) de quelque fortification que ce soit sans notre expresse permis­ sion ». Aucun travail d'ensemble n'a jamais été fait sur l'éten­ due de ces « rasements », mais ils furent certainement considé­ rables. Blondel, dans les notes qu'il a ajoutées en 1685 à Savot, y fait allusion. On sait que l'assemblée des notables, tenue de novembre 1626 à février 1627, eut mission d'indiquer nomina­ tivement les places à démolir et que des listes furent dressées pour le Poitou, la Saintonge, l'Angoumois, la Provence, le Dau- phiné. On voit le Roi commettre son ingénieur Clément Metezeau aux destructions des Baux en Provence et de Coucy. La com­ mission donnée à Metezeau s'est conservée dans un registre du secrétariat du Roi où sont rassemblés les « modèles » admi­ nistratifs. Le document n'est donc pas unique. Ainsi, sans se contenter de ce qu'avaient détruit les guerres, on se préoccupa de faire place nette. Jamais sans doute, il ne s'est construit à la fois tant de châ­ teaux sur le sol de France. A ceux des gentilshommes de bonne race s'ajoutent — et ce ne sont pas les moins luxueux — ceux des parvenus. Beaucoup des noms des propriétaires d'hôtels parisiens, nous les retrouverions ici en quête d'une savonnette à vilain. Certains de ces bâtiments sont presque princiers et dus aux plus célèbres architectes du temps. On en a cité deux de Salomon de Brosse. Le Muet se vante de Pont en Cham­ pagne, qui a disparu, de la réfection de Tanlay en Bourgogne, de Chavigny en Touraine. Cependant leur importance même les condamne à rester un peu isolés. Pour beaucoup de gens, le château Louis XIII est devenu synonyme de château tout court. Pendant le XIXe siècle, les. hobereaux aussi bien que les enrichis l'ont pris à satiété pour modèle. Qu'on con­ sidère des exemples aussi distants que Cheverny en Blésois, Balleroy aux confins de la Normandie, Beaumesnil dans l'Eure, Bâville ou Wideville proche de Paris, le type est sensiblement le même. La cour, naguère élément organique, a disparu avec la suppresssion des ailes en potence. Le château se développe linéairement. Au centre un avant-corps, généralement étroit, contient l'escalier que l'on n'a pas de raison, comme en ville, de 670 LA REVUE repousser sur le côté. De part et d'autre, la façade en retrait." Aux extrémités, pour caler le tout, des pavillons. Chacun de ses éléments a son toit particulier; sur l'avant-corps et sur les pavillons il affecte parfois la forme d'un dôme quadrangulaire. D'où une composition à la fois suffisamment régulière et suffi­ samment pittoresque. Une maison des champs et non plus une forteresse sourcilleuse ou un immense caravansérail. Beaucoup de ces châteaux, surtout en Normandie, s'égaient par l'emploi de la brique associée à la pierre.

C'est eous Louis XIII... et je crois, voir s'étendre Un coteau vert que le couchant jaunit ; Puis un château <îe brique à coins de pierre Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs.

Ce vêtement bariolé a paru à ce point indispensable que l'on voit des historiens fort sérieux en citer comme exemple Balleroy, sans y être allés voir, et que, lorsqu'on voulut, au XIX8 siècle, rendre Courances plus authentiquement Louis XIII, oh repiqua les murs pour les garnir de briques. A vrai dire, tant pour l'extérieur que pour la décoration intérieure, les châteaux sont en retard sur les hôtels parisiens, exception faite cependant pour ceux que les propriétaires de ces hôtels ont élevés à la campagne et qu'ils ont commandés aux mêmes artistes. La plupart du temps ils gardent l'anonymat (Balleroy a été attribué à François Mansart pour des raisons bien fragiles). La construction en briques et pierres est un de ces archaïsmes qui se poursuit, alors que la mode en a passé à Paris. D'autres seraient à relever : par exemple, vers 1630, les fenêtres du château d'Effiat étaient coupées par des meneaux (qui ont disparu). Les peintures sont en général d'une qualité secondaire et l'on y a employé beaucoup d'artistes provinciaux. On cherche en vain le nom de ceux qui ont décoré la chambre du Roi ou le cabinet des Muses à Oiron. Dans un château comme celui de la Haute-Goulaine, dont le style est extrêmement pur, les figures et les paysages sont médiocrement traités. A Torigny, les Matignon avaient commandé leur galerie à Claude Vignon qui avait acquis une renommée parisienne mais qui se montra très inégal à sa tâche de décorateur. Un curieux exemple est celui de Cheverny, où l'on n'avait cependant rien épargné : HOTELS ET CHATEAUX LOUIS XIII 671 la plupart des peintures furent confiées à Jean Mosnier, de Blois, qui n'est certainement pas une personnalité accusée. Une des merveilles de Cheverny est la tenture de tapisseries en laine et soie relevées d'or sur l'histoire d'Ulysse. Or ces tapisseries s'inspirent des peintures exécutées par Vouet pour Claude de Bullion à Paris. La hiérarchie est sauvegardée : les originaux de Vouet en l'hôtel parisien, les copies de tapisserie dans le château provincial. Il est vrai que les châteaux, où les propor­ tions le permettent, se rattrapent par certains morceaux d'ap­ parat comme les cheminées : le même Cheverny en a une collec­ tion qui n'a pas sa pareille ; les termes en gaine, les statues dorées, les guirlandes, les cartouches s'y combinent en des ensembles quelque peu écrasants, qui, sans rivaliser avec cer­ taines débauches du baroque que l'on rencontre à l'étranger, sont néanmoins-ce qu'on a fait de plus audacieux chez nous, où le baroque est toujours sporadique. Non loin de Cheverny, Beauregard a son morceau de parade, sa galerie où il est probable que Jean Mosnier travailla égale­ ment. Or la galerie de Beauregard, créée sous Louis XIII, res­ sortit à une mode de la Kenaissance, celle des collections de portraits historiques. Toute la partie du mur est occupée par 363 portraits jointifs, sans cadres, de dimensions égales. Le plafond est de solives peintes apparentes. Le carrelage de Delft représente des soldats à la Callot. Nul doute qu'à Paris une telle galerie, d'un aspect général discret et en somme fort heu­ reux, n'eût semblé terriblement retardataire.

PIERRE DU COLOMBIER.