Joseph Dombey (1742-1794), un botaniste au Pérou et au Chili. Présentation des sources Author(s): Catherine Lang Reviewed work(s): Source: Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-), T. 35e, No. 2, Des Européens dans l'Amérique coloniale et aux Caraibes, XVIe-XIXe S. (Apr. - Jun., 1988), pp. 262-274 Published by: Societe d'Histoire Moderne et Contemporaine Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20529368 . Accessed: 24/09/2012 12:20

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http://www.jstor.org JOSEPH DOMBEY (1742-1794), UN BOTANISTE AU P?ROU ET AU CHILI. PR?SENTATIONDES SOURCES

La Botanique n'est pas une science s?dentaire et paresseuse, qui se puisse acqu? rir dans le repos et dans l'ombre d'un cabinet ; elle veut qu'on coure les montagnes et les for?ts, que l'on gravisse contre des rochers escarp?s, que l'on s'expose au bord des pr?ci pices. Les seuls livres qui peuvent nous ins truire ? fond dans cette mati?re ont ?t? jet?s au hasard sur toute la surface de la terre, et il faut se r?soudre ? la fatigue et au p?ril de les chercher et de les ramasser. De l? vient aussi qu'il est si rare d'exceller dans cette science. Le degr? de passion qui suffit pour faire un savant d'une autre esp?ce, ne suffit pas pour faire un grand botaniste, et avec cette passion m?me il faut encore une sant? qui puisse la suivre, une force de corps qui y r?ponde...

Fontenelle (Eloge de Tournefort, lu ? l'Aca d?mie des Sciences le 10 avril 1709).

Joseph Dombey (1742-1794), m?decin et botaniste fran?ais, est connu par sa participation ? l'Exp?dition de Hip?lito Ruiz et Jos? Pav?n au P?rou et au Chili (1778-1788). Pour la seconde fois un naturaliste fran?ais p?n?trait ? l'int?rieur des terres andines, apr?s Joseph de Jussieu, qui y s?journa 35 ans. Alors que l'Exp?dition fran?aise ? l'Equateur ?tait principalement une mission g?od?sique, la botanique n'?tant qu'un simple appendice de l'en semble des travaux scientifiques ex?cut?s sur le terrain, l'essentiel des instructions remises ? Dombey, Ruiz et Pav?n, fut centr? sur la recherche des v?g?taux connus et inconnus de l'Am?rique m?ridionale, et les pos sibilit?s de leur naturalisation en . Tout, ou presque, ?tant ? d?couvrir, les trois botanistes entreprirent l'?tude syst?matique des genres et des esp?ces nouveaux, au cours d'herbo risations r?parties in?galement dans un s?jour de six ans et six mois pour Dombey, de pr?s de dix ans pour les Espagnols. UN BOTANISTE AU P?ROU ET AU CHILI, J. DOMBEY, 1742-1794 263

Qu'est devenue une telle moisson scientifique ? La similitude avec le destin des collections de Joseph de Jussieu est frappante : la Cour de , les milieux scientifiques dont la famille des Jussieu qui a ?t? l'inspiratrice directe des travaux de Joseph de Jussieu et de Joseph Dombey se voient frustr?s des r?sultats scientifiques, Dombey ne publiera jamais son uvre, et ses contemporains n'?diteront que quelques esp?ces nouvelles issues des graines plant?es au Jardin Royal des Plantes de , ou observ?es ? partir des sp?cimens d'herbiers. Si depuis deux si?cles, l'Espagne a publi? les premiers volumes de la Flora Peruviana et Chilensis, aucun recensement, aucune publication n'ont ?t? faits en France de l'ensemble du mat?riel dombeyen, descriptions et notes botaniques, sp?cimens d'herbiers. Les nombreux biographes de l'Exp? dition ont surtout insist? sur la personnalit? attachante de Dombey, qui herborisa avant son d?part en compagnie du philosophe Jean-Jacques Rous seau, sur ses go?ts ? encyclop?diques ? (Dombey a rassembl? la plus ancienne collection de c?ramiques p?ruviennes connue en France, actuel lement expos?e au Mus?e de l'Homme ? Paris), et sur ses nombreux d?m?l?s avec ses compagnons espagnols. Ces biographies, de valeur in?gale, contiennent des informations incompl?tes, souvent contradictoires, par fois empreintes d'un nationalisme qui ne permet pas d'?valuer ? sa juste mesure l'originalit? de l' uvre scientifique de Dombey. L'?tude des diagnoses et des notes des manuscrits botaniques, leur comparaison avec les sp?cimens correspondants conserv?s dans les herbiers historiques et g?n?raux (principalement au Mus?um National d'Histoire Naturelle de Paris, mais aussi ? Madrid, Barcelone, Berlin...) permettent de reconstituer peu ? peu l' uvre d'un ? botaniste de terrain ? qui ne devint jamais un ? botaniste de cabinet ?. Reflet de l'effort effectu? pour ordonner la complexit? d'une flore inconnue, l' uvre botanique de Joseph Dombey traduit l'admiration et la curiosit? toujours en ?veil d'un homme des ? Lumi?res ? confront? aux terres d'Am?rique m?ridionale.

La destin?e des collections botaniques : les ann?es cruciales (1785-1786).

Le 29 mai 1785, le jour m?me de la naissance de Louis-Charles, Duc de Normandie, futur Louis XVII, l'on pouvait lire une courte note dans la Gazette de France :

L'Acad?mie des Sciences a appris que le Sieur Dombey, m?decin botaniste, revenant du P?rou, est arriv? ? Cadix le 22 f?vrier, avec 78 caisses remplies d'objets d'Histoire Naturelle...1.

Le 14 janvier 1786, dans le Journal G?n?ral de France, un article plus important synth?tisait les travaux de Dombey :

Paris, en ce moment, poss?de de Monsieur Dombey, m?decin naturaliste, arriv? au P?rou, o? il avait ?t? envoy? par le gouvernement, sous le minist?re de M. Turgot, et o?, pendant les diff?rentes ann?es qu'il y a pass?es, il a su amasser les objets les plus rares et les plus pr?cieux, en plantes, min?raux,

1. Suppl?ment ? la Gazette de France du mardi 29 mars 1785, p. 104. 264 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

gommes, oiseaux, insectes, bois de diff?rentes esp?ces... Ces objets, avant d'?tre transport?s au Cabinet du Roy, pour lequel ils sont destin?s, ont ?t? d?pos?s chez M. Dombey lui-m?me, o? les Savans, les Amateurs et les Curieux vont les admirer. Son herbier, compos? de 2000 ? 3000 plantes, en renferme plus des deux tiers absolument inconnues jusqu'ici...2.

A cet article est ajout?e une petite note qui a du ?tonner les contem porains de Dombey :

Nota. C'est Monsieur L'h?ritier qui s'est charg? de la description de l'herbier de Monsieur Dombey, et Monsieur Mauduit, Dr. en m?decine, qui fera celle des insectes. Nous ignorons encore quels seront ceux de nos savans qui se char geront des autres parties 3.

Ces modestes lignes ins?r?es dans la presse de l'?poque, saluant le ? ? retour d'un voyageur-naturaliste qui a pass? six ans et six mois dans les possessions espagnoles d'Am?rique4, refl?tent d?j? la trag?die d'un homme qui, d?s le retour en Europe, a abandonn? tout projet de synth?se ou de publication de ses collections botaniques5. Les ann?es 1785 et 1786 ont ?t? cruciales pour Joseph Dombey. Arriv? le 22 f?vrier 1785 au port de Cadix, il a du partager la moiti? de ses collec tions avec les Espagnols. Ce partage ?tait d?j? pr?vu dans les Instructions r?dig?es pour les cinq membres de l'Exp?dition6 en 1776 et 17777, mais le navire transportant les collections appartenant au roi d'Espagne ayant fait

2. Journal G?n?ral de France, Samedi 14 janvier 1786, pp. 22-23 ; cet article a ?t? repris le 16 janvier 1786, dans les M?moires secrets pour servir ? l'Histoire de la R?pu blique des Lettres de Bachaumont, 31 : 39-40 (janvier-avril 1786, publi? en 1788). 3. Idem. Ces lignes, traduites en Espagne dans la Gaceta de Madrid du mardi 11 juillet 1786 (p. 453), provoqueront des r?actions indign?es de la part du gouvernement espagnol, qui demandera l'arr?t de toute publication en France concernant la flore p?ruvienne et chilienne. 4. Vice-Royaume du P?rou : du 9 avril 1778 au 20 d?cembre 1781, du 4 novembre 1783 au 13 avril 1784. Capitainerie G?n?rale du Chili : du 30 d?cembre 1781 au 14 octobre 1783. Lors du retour vers l'Europe, le navire de registre qui transporte Dombey et ses collections, apr?s un passage difficile au Cap Horn, devra ?tre radoub? au port de Rio de Janeiro, Dombey herborisera ? Rio et dans les environs de cette ville du mois d'ao?t au mois d'octobre 1784. 5. Les raisons profondes de cet ? abandon ?, malgr? une ?tude minutieuse des docu ments et de la correspondance de Joseph Dombey, ne nous paraissent pas encore totale ment ?lucid?es. Crainte de repr?sailles de la part du gouvernement espagnol ? Probl?mes de sant? ? D?couragement apr?s le partage des collections ? Cadix ? Difficult?s financi?res ne permettant pas l'?laboration et la publication d'une ? Flore ? ? Aucun de ces ?l?ments ne semble vraiment d?terminant. L'on sait qu'apr?s un long silence jusqu'? la R?volution fran?aise, Dombey sollicite une nouvelle mission : la Convention le charge alors, en 1794, de pr?senter aux ?tats-Unis d'Am?rique les ?talons du m?tre et du grave. 6. Le m?decin fran?ais Joseph Dombey, ? medico naturalista y bot?nico franc?s en calidad de acompa?ado de los Espa?oles de la misma profesi?n ?, les pharmaciens espa gnols Hip?lito Ruiz L?pez (? Primer Bot?nico y jefe de la Expedici?n ?) et Jos? Antonio Pav?n y Jim?nez (? segundo bot?nico ?), les dessinateurs espagnols Jos? Casto, Br??ete Dubua (? Primer dibujante ?) et Isidro Galvez Gallo (? Segundo dibujante ?). 7. Publi?es dans la Relaci?n hist?rica del Viage que hizo a los Reynos del Per? y ?l Bot?nico Don Hip?lito en el a?o de 1777 hasta el de 1788, en cuya ?poca regreso a Madrid, Madrid, 1952, tome 1 : 393-418. Les documents originaux sont conserv?s au Museo Nacional de Ciencias Naturales de Madrid (voir le catalogue r?cent de Madame Maria de Los Angeles Calatayud Arinero : Catalogo de las Expediciones y viajes cient?ficos espa?oles. Siglos XVIII y XIX, Madrid, 1984, 433 p.). UN BOTANISTE AU P?ROU ET AU CHILI, J. DOMBEY, 1742-1794 265

naufrage, Dombey a du c?der une bonne partie de celles destin?es ? Louis XVI. Les conditions mat?rielles de ce partage ont ?t? particuli?re ment m?diocres et complexes, car, pris de court, Dombey n'a pas eu le temps d'?tablir une liste compl?te de sa collection d'objets d'Histoire natu relle, et n'a pu ?tiqueter toutes ses plantes.

... Ne pouvant soup?onner un ?v?nement semblable, je n'ai rien ?tiquet?, je n'ai aucun ?tat...8.

(...) Le partage de l'herbier sera le plus p?nible, parce que, outre la division ?gale des esp?ces, il faut que le facultatif prenne une copie des descriptions. Beaucoup de plantes n'ont que leur nom g?n?rique et sp?cifique...9.

Exc?d? par la longueur des op?rations qui retardent son retour en France, Dombey finit par c?der de pr?cieuses diagnoses :

... Notre partage s'avance. D?j? toutes les plantes sont partag?es, et pour finir plus promptement, j'ai donn? toutes les descriptions qui ?taient jointes aux plantes...10.

Malgr? nos recherches, ces descriptions botaniques n'ont pas ?t? retrou v?es au Jard?n Bot?nico de Madrid. Quelques unes d'entre elles sont dans l'herbier de Ruiz et Pav?n, jointes directement aux sp?cimens u, mais il ne reste plus de trace d'un ensemble qui a du ?tre consid?rable12, si l'on se r?f?re au nombre de plantes rapport?es. Les estimations d'un des meilleurs biographes de Dombey, Jacques Fran?ois Philippe Deleuze, qui connaissait les herbiers et les manuscrits du botaniste, sont de 1500 esp?ces et de soixante genres nouveaux13. Or l'on sait, par les lettres que Dombey ?crivait ? son ami Andr? Thouin14 ou ? Antoine-Laurent de Jussieu, qu'il pr?parait douze exemplaires

8. Dombey ? A. Thouin, Cadix, 6 avril 1785. Mus. Nat. d'Hist. Nat. Mss 222, pi?ce 86. Cit? dans E. T. Hamy : Joseph Dombey, m?decin naturaliste, arch?ologue, explorateur du P?rou, du Chili et du Br?sil (1778-1785). Sa vie, son uvre, sa correspondance. Paris, 1905, pp. 143-145. 9. Dombey ? A. Thouin, Cadix 8 juin 1785. Mus. Nat. d'Hist. Nat., MSS 222, pi?ce 97 ; Hamy, loc. cit., pp. 179-184. 10. Dombey ? A. Thouin, Cadix, 19 juillet 1785. Mus. Nat. d'Hist. Nat. Mss 222, pi?ce 107; Hamy, loc. cit., pp. 194-197. 11. C'est le cas de la diagnose descriptive du genre et de l'esp?ce Landia Lappacea, ?crite par Dombey, et portant des surcharges correctives de Ruiz. Voir l'article d'Herv? ? M. B?rdet : Premi?re publication botanique de J. Dombey et Krameria Lappacea (Dombey) B?rdet et Simpson Comb, nova ?, Candollea, Gen?ve, 1983, 38 : 691-698. Ce fut une des rares diagnoses publi?es du temps de Dombey, dans le Journal des S?avants, en juin 1784 (1 : 381-382). ? 12. Le Dr Walter Lack a signal? en 1979 : Les collections ramen?es personnellement en Europe en 178(4) furent partag?es par les autorit?s espagnoles ? Cadix : une partie avec les notes et les descriptions parvinrent vraisemblablement ? Madrid, cependant rien de pr?cis n'a ?t? su sur l'endroit o? ces papiers ont ?t? stock?s ? (? Die s?damerikanischen Sammlungen von H. Ruiz und Mitarbeiten im Botanischen Museum Berlin-Dahlem ?, Willdenowia, 1979, 9 : 177-198). ? 13. J. F. P. Deleuze, Notice historique sur Joseph Dombey ?, Annales du Mus?um d'Histoire Naturelle, Paris, 4 : 136-169, 1804. 14. Andr? Thouin (1747-1824), jardinier en chef du Jardin Royal des Plantes de Paris, se lia d'amiti? avec Dombey. Il entra ? la Soci?t? royale d'agriculture, puis ? l'Acad?mie des Sciences. 5 266 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

de chaque plante15, dont deux exemplaires accompagn?s d'une description ?taient envoy?s r?guli?rement en Espagne, avant m?me le partage de 178516. Seules quelques descriptions botaniques ont ?t? conserv?es ? l'Acad?mie des Sciences de Barcelone, jointes ? des sp?cimens du genre Laurus17. La perte (ou la ? suppression ? apr?s utilisation des auteurs de la Flora Peruviana et Chilensis ?)18 des diagnoses remises ? l'Espagne est en partie compens?e par les manuscrits de botanique envoy?s par prudence en France d?s l'arriv?e ? Cadix :

Il me parut (d'accord avec Monsieur le Vice-Consul de France) que je devais mettre mes papiers en s?curit?. En cons?quence je les remis ? M. de Costebelle, ? capitaine de la fr?gate La Bellone ?, qui est entr?e ? Cadix pour se radouber, venant de Pondicher[i], et qui doit partir bient?t pour Lorient. Ce monsieur doit aller ? Paris remettre des papiers de l'Inde ? Monsieur le ministre des affaires ?trang?res, il remettra en m?me temps mes manuscrits et une lettre de ma part19.

Dombey craignait que ces manuscrits lui soient retir?s afin qu'il ne puisse faire aucune publication individuelle ? son retour en France. D?s le d?but de l'Exp?dition le gouvernement espagnol avait exig? que les Fran?ais ne publient aucune information ou r?sultat scientifique avant le retour de l'ensemble des membres de l'exp?dition, or Ruiz et Pav?n prolong?rent de quatre ans leurs herborisations au P?rou. Songeant ? son retour d?s 1782, notre botaniste avait manifest? claire ment son d?sir de passer outre aux clauses impos?es par l'Espagne20 et il ne semble pas changer d'avis jusqu'en avril 1785 :

Avec vos conseils je publierai ?galement mon Flora Peruviana et Chilensis qui peut ?tre int?ressant, d'autant plus que je puis faire dessiner sur le sec, en assistant et en aidant aux dessins 21.

En outre Dombey savait que le mat?riel envoy? du P?rou et du Chili, avait suscit? la curiosit? scientifique et l'?mulation d'?minents ? botanistes de cabinet ?. Certaines plantes issues des graines envoy?es d'Am?rique m?ridionale ont fructifi? au Jardin Royal des Plantes de Paris, et ont ?t? grav?es :

15. Dombey ? A. Thouin, Lima, 11 d?cembre 1778. Mus. Nat. d'Hist. Nat., Mss 222, pi?ce 48 ; Hamy, loc. cit., pp. 38-50. 16. Dombey ? A. Thouin, Caduc, 1ermars 1785. Mus. Nat. d'Hist. Nat., Mss 222, pi?ce 80 ; Hamy, loc. cit., pp. 116-132. 17. Enrique Alvarez L?pez, ? Comentario sobre ? Laurus ? de Ruiz y Pav?n, con notas de Dombey acerca de algunas de sus especies ?, Anales del Instituto Bot?nico A. J. Cavanilles, 13 : 71-78, 1954. 18. Deleuze (loc. cit.) sugg?re dans sa notice que les auteurs espagnols ont souvent copi? les descriptions du botaniste fran?ais ? ... sur ces 1500 plantes, se trouvent environ 60 genres nouveaux qui, presque tous, ont ?t? publi?s par Ruiz et Pav?n sous des noms diff?rens de ceux que Dombey leur avoit donn?s ? (p. 166). 19. Dombey ? A. Thouin, Cadix, 24 avril 1785. Mus. Nat. d'Hist. Nat. Mss 222, pi?ce 91 ; Hamy, loc. cit., pp. 157-163. 20 Dombey ? Thouin, Concepci?n du Chili, 24 d?cembre 1782. Archives de l'Acad?mie des Sciences de Paris, Dossier Dombey ; Hamy, loc. cit., p. 96. 21. Dombey ? A. Thouin, Cadix, 8 avril 1785. Mus. Nat. d'Hist. Nat. Mss 222, pi?ce 87 ; Hamy, loc. cit., pp. 146-152. UN BOTANISTE AU P?ROU ET AU CHILI, J. DOMBEY, 1742-1794 267

J'ai re?u votre cher billet du 22 mars 1785 avec le paquet de M. Lh?ritier. Il contenoit les planches de deux plantes, dont l'une est le Spilanthus albus de Lima et l'autre le macqui du Chili... J'ai envoy? ? M. Lh?ritier la description, en le priant de vouloir y corriger les fautes... 22.

Deux personnalit?s tr?s diff?rentes, mais toutes deux passionn?es par les plantes de Dombey, en publient quelques unes d?s 1785 : Charles Louis Lh?ritier de Brutelle et Jos? Antonio Cavanilles &. Lh?ritier r?ve de publier l' uvre de Dombey ? ses frais, il lui a m?me offert de lui acheter son her bier24. A force de persuasion, il obtiendra le pr?t de cet herbier, allant jusqu'? s'enfuir en Angleterre, lorsque la Cour de France, c?dant ? celle d'Espagne, le lui redemandera afin qu'il cesse toute publication :

... Les Espagnols voulant publier eux-m?mes l'histoire naturelle des contr?es qu'ils avaient fait examiner, d?sir?rent que les recherches de Dombey ne parus sent point avant les leurs ; et la Cour de France, qui se gardait bien, et avec raison, de comparer la publication d'un livre de plus ou de moins sur la Bota nique, avec l'amiti? d'une grande puissance, ne fit aucune difficult? d'acc?der ? la demande de celle d'Espagne. Lh?ritier ?tant un jour, par hasard, ? Versailles, apprend que l'ordre vient d'?tre donn? ? M. de Buffon de se faire remettre l'herbier de Dombey, et que cet ordre lui sera signifi? le lendemain. Frapp? de terreur, il revient en h?te ? Paris... Bient?t son parti est pris... on passe la nuit ? faire des caisses... et d?s le grand matin, il part en poste avec son tr?sor pour Calais : il n'est tranquille que lorsqu'il a touch? le sol de l'Angleterre. Il passa 15 mois ? Londres, vivant dans la retraite la plus absolue, et ne s'occupant que de la collection pr?cieuse qu'il y avoit port?e 25.

Or ? la date de sa mort en 1800, Lh?ritier n'a publi? que 27 esp?ces appartenant aux collections de Dombey ; Cavanilles n'en a publi? que 24 esp?ces, et le c?l?bre Lamarck a utilis? certains sp?cimens lors de la r?dac tion de son Encyclop?die M?thodique*. A part deux articles tr?s courts publi?s dans le Journal de Physique de l'Abb? Rozier27 et dans le Journal & des S?avants pendant le s?jour de Joseph Dombey en Am?rique m?ridio nale, l'essentiel des collections dombeyennes resta ignor?. En pr?lude ? la publication de ces collections, nous nous proposons d'en pr?senter les ?l?ments fondamentaux.

22. Dombey ? A. Thouin, Cadix, 12 avril 1785. Mus. Nat. d'Hist. Nat. Mss 222, pi?ce 88 ; Hamy, loc. cit., pp. 153-155 ; voir ?galement la lettre de Dombey au Duc de la Vauguyon, Cadix, 7 juin 1785, copie ? l'int?rieur de la pi?ce 97 du Mss 222 (Hamy, pp. 292-294). 23. Louis Lh?ritier de Brutelle (1746-1800), Procureur du Roi ? la ma?trise des Eaux et For?ts de la G?n?ralit? de Paris, Conseiller ? la Cour des Aides, Botaniste associ? ? l'Acad?mie des Sciences en 1790, en remplacement de Lamarck. Les esp?ces de Dombey sont publi?es dans : Stirpes Novae, Paris, 1784-1785 (en r?alit? de 1785 ? 1791), 184 p., 84 figures. Jos? Antonio Cavanill?s (1745-1804), botaniste espagnol, charg? de l'?ducation des enfants de l'ambassadeur d'Espagne en France, o? il s?journa d?s 1777, et se lia aux milieux scientifiques fran?ais, notamment avec Antoine-Laurent de Jussieu. Il publie d?s 1785 les Monadelphiae Classis dissertaciones decem, Paris, 1785-1789, et Madrid, 1790. 24. Dombey ? Thouin, Lyon, 8 mai 1786, Mss 222, pi?ce 110 ; Hamy, pp. 199-200. 25. G. Cuvier, ? Notice historique sur Charles-Louis Lh?ritier de Brutelle ?. M?m. Inst. Nat. Se. Arts, Cl. Se. Math. Phys., 4 : 39-55, 1802. 26. J. B. de Lamarck, Encyclop?die M?thodique : Botanique. Tome 1er : 1783, Paris, 742 pages in-4? ; T. 2 : 1786 : 774 p. ; T. 3 : 1789, 743 p. 27. Extrait d'une lettre de M. Dombey ? M. Duchesne, ?crite de Lima le 20 mai 1779 sur l'usage des pommes de terre chez les P?ruviens, Observations sur la Physique..., 19 : 82-83, 1782. 28. Journal des S?avants, 1 : 381-382, juin 1784. 268 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Les manuscrits botaniques.

La nature ?chappe aux arrangements des syst?mes. Cependant celuy de Linnaeus est excelent. peut ?tre le seul bien fait avec lequel on peut travailler et d?couvrir commod?ment, c'est au naturaliste ? r?gler les ?carts de la nature et ? reconnoitre le v?ritable caract?re sous le masque l?ger qui le couvre (Chili, mai 1782).

Les manuscrits botaniques se pr?sentent sous la forme de deux volumes reli?s, dont la couverture est faite d'un parchemin tr?s fin fait en Am?rique du Sud. Le Volume A, intitul? Flora Peruviana, a ?t? r?dig? r?guli?rement au P?rou d'avril 1778 ? juillet 1780, et s'arr?te brusquement ? cette date. Ce volume rassemble pr?s de 400 diagnoses accompagn?es d'observations ou de notes. Les diff?rentes ?critures, les ratures, traduisent le travail quoti dien sur le terrain ; une fois remplies toutes les pages de droite, Dombey continue sur les pages de gauche. Le volume B, plus ?labor?, intitul? Classes Plantarum Peruanarum, reprend une partie des plantes du volume A, pr?sent?es dans l'ordre des 24 classes de Linn?, de Monandria ? Crypto gamia. Les descriptions botaniques faites au Chili, dat?es de f?vrier ? octobre 1782, ne sont pas reli?es et ajout?es ? la fin du volume A. Alors que le r?sultat des herborisations au Chili avait ?t? particuli?rement fructueux, il ne nous reste que 80 diagnoses. Dombey, qui fut un ?l?ve d'Antoine Gouan, professeur de botanique ? ? et l'un des premiers ? adopter la nomenclature linn?enne ?^ en France et de ? Paris, suit de tr?s pr?s dans ses descriptions les recommandations de Linn? contenues dans l'article 326 de sa Philosophia Bot?nica :

La description est l'ensemble des caract?res naturels de la plante ; elle en fait conna?tre toutes les parties ext?rieures, elle doit comprendre, pour chaque organe, le nombre, la forme, la proportion et la position ; ?tre faite dans l'ordre de la succession des organes 3?, ?tre divis?e en autant de paragraphes s?par?s qu'il y a de parties distinctes, et n'?tre ni trop longue, ni trop succincte, ce qui dans les deux cas est ?galement un d?faut 31.

Les diagnoses de Dombey, d'une sobri?t? toute linn?enne, sont parfois de longueur tr?s in?gale, refl?tant les difficult?s de d?termination et de r?daction sur le terrain. Notre botaniste se plaint continuellement du man que de temps pour r?diger apr?s chaque herborisation : trop d'esp?ces ou de genres nouveaux se pr?sentent au m?me moment, difficiles ? d?termi ner :

Sans doute il s'est gliss? beaucoup de fautes dans nos descriptions. Il faut au moins quelques ann?es pour se familiariser avec la botanique de deux lieues

29. Notamment dans son ouvrage Hortus Regius Monspeliensis, dat? de 1762. 30. Calyx, corolla, Stamina, pistillum, pericarpium, semina. 31. Charles Linn?, Philosophia bot?nica in qua explicantur Fundamente bot?nica cum definitionibus partium, exemplis terminorum, observationibus rariorum, Stockholm, Kiese wetter, 362 p., 11 planches, 1751. UN BOTANISTE AU P?ROU ET AU CHILI, J. DOMBEY, 1742-1794 269

de ces for?ts qui sont presque imp?n?trables et dont la plupart des arbres sont dio?ques 32 (...) Je vous avertis que mes manuscrits sont remplis de fautes ; quelques unes sont aper?ues et non corrig?es, il faut que je sois consult?. Vous comprenez que faute d'une grande exp?rience, faute de livres, de bons instruments, je dois ?tre tomb? dans de grandes erreurs 33.

Confront? au foisonnement de la flore, dont nombre de genres ne figu rent pas dans les ouvrages de base de Linn?, Dombey n'a pu consulter dans la litt?rature botanique de son ?poque que des ouvrages surtout 34 centr?s sur les Antilles ou la Guyane35, ? l'exception de quelques descrip tions ins?r?es par le P?re Feuill?e ? la fin de son Journal des Observations, ou celles de Pehr Loefling sur l'actuel Venezuela, de Pison et Marcgrave sur le Br?sil. La v?ritable base des connaissances dombeyennes : ce sont * les riches herbiers de Philibert Commerson et de Joseph de Jussieu qu'il a pu ?tudier avant son d?part gr?ce ? Bernard de Jussieu. Dombey doit donc r?soudre sur le terrain plusieurs probl?mes de fond : adapter la nomenclature linn?enne ? l'immense vari?t? de la flore andine ; corriger les erreurs des descriptions contenues dans des textes plus anciens, ainsi ceux de Feuill?e ; d?terminer et d?crire les nouveaux genres non r?pertori?s par Linn? et les auteurs des xvir3 et xvnr si?cles. Le cheminement de sa pens?e est particuli?rement visible dans les notes ou observations qui suivent chaque diagnose. Apr?s avoir pr?cis? le lieu de croissance de chaque esp?ce (type de sol, conditions climatiques, parfois l'altitude), l'?poque de floraison, le nom vernaculaire en espagnol et en quechua ainsi que sa prononciation, il note r?guli?rement : les change ments de nomenclatures, surtout en ce qui concerne les genres, si difficiles ? d?terminer, et les plantes ? ? r?examiner ? ; les d?dicaces des nouveaux genres, adress?es aux protecteurs ou aux amis, du monde de la politique ou de la science; l'utilisation pratique des plantes alimentaires, m?dici nales, tinctoriales, des bois de construction... et des croyances locales au sujet de leur utilisation. Les plantes alimentaires int?ressent tout particuli?rement Joseph Dombey ainsi que leurs pr?parations culinaires, et les remarques qu'il fait ? leur sujet s'inscrivent dans l'ensemble des pr?occupations agronomiques de la deuxi?me moiti? du xvnr si?cle73 : introduire et r?pandre le go?t d'ali

32. Dombey ? A. Thouin, Concepci?n du Chili, 26 may 1782. Mss 222, pi?ce 63 ; Hamy, pp. 88-91. 33. Dombey ? A. Thouin, Cadix, 24 avril 1785. Mss 222, pi?ce 91 ; Hamy, pp. 157-163. 34. Ainsi les travaux de Charles Plumier (1646-1706) : Description des plantes de l'Am?rique (1693), Nova Plantarum Americanarum Genera (1703), Trait? des Foug?res de l'Am?rique (1705) ou ceux de Nikolaus Joseph von Jacouin (1727-1817) : Selectarum Stirpium Americanarum Historia (1763). 35. Les travaux de Pierre Barrer? (1690-1755), qui publia en 1741 son ? Essai sur l'Histoire Naturelle de la France Equinoxiale, de Jacques-Fran?ois Artur (1708-1779), de J. B. Fus?e-Aublet (1720-1778) : Histoire de ta Guyane Fran?aise (1775). 36. Philibert Commerson (1728-1773) participa ? l'Exp?dition aux Terres australes de Bougainville, et fit de tr?s importantes collections au Br?sil, ? l'Ile Maurice, ? la Terre de Feu, ? Tahiti, en Nouvelle Guin?e... Son herbier, l?gu? au Jardin Royal des Plantes m?dicinales, comprenait plus de 200 volumes in folio. 37. Voir les nombreux M?moires de Turgot, de l'Abb? Rozier, de Parmentier, de 270 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE ments de substitution pour lutter contre les disettes, signaler des recettes locales originales qui se sont d?velopp?es dans des r?gions d?favoris?es. Ainsi la pomme de terre, d?j? connue en Europe, mais mal diffus?e en France, o? dans certaines r?gions elle est encore accus?e de donner la l?pre, lui semble le tubercule id?al ? naturaliser en... Savoie, et d?s 1779 il & envoie en France la recette du chu?o tel qu'on le fait au P?rou. Il signale ?galement un autre chu?o, du Chili, fait avec des racines d'une plante nom m?e Alstroemeria lictu, mais qui lui semble trop cher :

Ce dernier chu?o est fort cher... c'est donc une farine de luxe qui ne convient qu'aux personnes riches, et qui n'est m?me que de peu d'utilit?... toutes les d?couvertes qui ne tendent pas au bien g?n?ral, je veux dire ? celuy des pauvres ne sont jamais int?ressantes... 39.

? ? Dombey rapporte cependant un peu de cette farine de chu?o en France, avec laquelle le Comte de Fourcroy40 et Antoine Augustin Parmentier41 feront des exp?riences en 1786 :

M. Dombey, au retour de son voyage au P?rou, avait rapport? une esp?ce d'amidon que les Am?ricains retirent de la racine du chu?o Alstroemeria lictu Linn. Cet amidon est employ? ? faire des biscuits qu'on donne surtout aux conva lescens et aux malades, pour lesquels c'est une nourriture tr?s saine et tr?s agr?a ble... Monsieur Thouin, en faisant voir cet amidon ? la Soci?t?, a observ? qu'on pourrait obtenir le m?me avantage de plusieurs plantes liliac?es, et cons?quem ment de la m?me classe que celle-ci, qui croissent assez abondamment dans plusieurs provinces du Royaume, et il a pr?sent?, en m?me temps, des racines de l'asphod?le (Asphodelus racemosus Linn?)... M. de Fourcroy et Parmentier, charg?s d'examiner cette pr?paration du chu?o, ont remarqu? que cet amidon n'?tait point d'une grande puret?, et qu'il renfermait encore une partie du parenchyme fibreux qui composait les r?seaux de racine dont il a ?t? extrait ; il se combine cependant, en totalit?, avec l'eau bouillante, et prend une consistance de gel?e ? demi-transparente : dans cet ?tat il exhale une l?g?re odeur qui a quelque rapport avec celle du poivre, mais il est insipide, comme toutes les substances amylac?es bien lav?es. Il a ?t? impos sible ? M. Parmentier d'extraire aucune portion d'amidon des racines de l'Aspho d?le, et il ne parait pas qu'elles en contiennent...42

Au Chili, Joseph Dombey signale une algue inconnue qui semble servir de nourriture de base aux indiens vivant pr?s des c?tes de l'oc?an Pacifi que :

Cachiyouyou vulgo. Ce fucus qui est tr?s grand et tr?s ?pais sert de nourriture aux pauvres

Broussonet, de Thouin, qui paraissent ? partir de 1785 dans les M?moires d'Agriculture, d'?conomie rurale et domestique, ainsi que la th?se en trois volumes de A. J. Bourde, Agronomes et Agronomie en France au XVIIIe si?cle, 1967. 38. Publi?e en janvier 1782 dans le Journal de Physique de l'Abb? Rozier 19 : 82-83. 39. Dombey ? A. Thouin, 29 juin 1786. Mus?um National d'Histoire Naturelle de Paris, Mss 222, pi?ce 111. 40. Antoine Fran?ois de Fourcroy (1755-1809), chimiste et m?decin. Obtint en 1784 la chaire de Chimie au Jardin du Roi. 41. Antoine Augustin Parmentier (1737-1813), pharmacien militaire, qui s'int?ressa aux plantes amylac?es, ? la meunerie... 42. M?moires d'Agriculture... (loc. cit.}, Extraits des s?ances tenues pendant les mois de mai et juin 1786, vni-rx, 1er juin. UN BOTANISTE AU P?ROU ET AU CHILI, J. DOMBEY, 1742-1794 271

indiens des c?tes du Chili. C'est une plante abondante et d'un tr?s grand secours. Ils le font cuire sur la braise aussi bien que la racine et la tige qui est fort grosse et tr?s succulente. La racine se nomme hutes. Tout le fucus se mange ou grill?, ou frit ou hach? ou m?lang? avec la viande.43

? ? Ce sens de l'observation ethnobotanique se retrouve dans les descriptions des plantes m?dicinales ; en tant que m?decin de formation, il semble sceptique face ? la th?rapeutique des Cr?oles et des Indiens, ? ? notamment en ce qui concerne les plantes utilis?es comme panac?es :

Hierva hediunda vulgo. Les habitants de Lima usent de cette plante pour deterger les ulc?res, comme diur?tique, contre le mal v?n?rien. Ils la supposent pectorale. On doit la regar der comme suspecte44.

? ? Certains rem?des miracles ne semblent pas plus le convaincre :

Vulgo vira-vira. Planta celeberima et specifica contra fracturas. On s?ait le cas que l'on doit faire de cette c?l?brit?. Les fractures d'os ont un temps limit? pour se consolider, mais les indiens et les espagnols disent que la plante pil?e et appliqu?e sur une fracture met la personne en ?tat de mar cher en 24 heures45.

Lorsque les conditions de r?daction sur le terrain le lui permettent, Joseph Dombey m?le observations sur l'utilit? de la plante et consid?rations m?dicales :

Lithi vulgo se prononce lithre. Cet arbre s'?l?ve peu, il donne beaucoup d'ombrage et forme une t?te bien arrondie. Il est agr?able ? la vue, et d'un beau verd. Ses cendres sont pr?f?r?es pour faire le savon. Le savon du Chili se fait avec le suif et [celui] du P?rou avec la graisse de porc. Son tronc sert pour faire des courbes de vaisseau. L'ombre du Lithi est dangereuse comme celle du mancelinier. Elle fait enfler ceux qui se reposent dessous, surtout s'ils sont en sueur. Le suc de cet arbre occasionne des empouille semblables ? celles de la br?lure, et fait enfler les testicules des b?cherons qui le coupent. C'est parce que les pores sont ouverts, le suc, disons mieux la vapeur s'insinue avec plus de facilit?. La fum?e en est ?galement dangereuse, elle occasionne des esp?ces d'erisipelles au visage. Les enfants et les femmes qui ont le tissu l?che sont plus expos?es aux impres sions du lithi que les adultes. Quoique j'aye mani? souvent cet arbre, il ne m'a jamais nuit. Le rem?de contre le lithi est la d?coction du maiten 46 et la farine bouillie du mays aussi bien que le lait des grains de mays non murs 47.

L'ensemble de ces observations, d'un grand int?r?t botanique et ethno botanique ne repr?sente cependant qu'une partie de l' uvre bota nique de Joseph Dombey, dont le labeur intense est surtout visible ? travers les collections v?g?tales.

43. Mss Chili. Cryptogamia, fucus, p. 23. Nous n'avons pas retrouv? cette observation chez H. Ruiz (Relaci?n del Viaje... loc. cit.), ni chez l'Abb? Molina, dans son Essai sur l'Histoire Naturelle du Chili, traduit de l'italien, Paris, 1789, 351 p. Cette algue est la Durvillaea utilis Bory. 44. Mss Flora Peruviana (vol. A), p. 18. La ? Yerva Santa y Hedionda ? est le ? Cestrum auriculatum Lh?ritier ?, actuellement ? Cestrum hediundinum Dun ?. ? 45. Mss Flora Peruviana (vol. A), p. 37, actuellement Gnaphalium vira-vira Moll ?. 46. Antidote du lithi, le mayten est le Celastrus paniculatus Willd. ? ? 47. Mss Chili, p. 31. Cbulioume (actuel Coliumo, pr?s de Concepci?n), septembre 1782. 272 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Les collections v?g?tales.

Ces collections rassembl?es au cours des herborisations comprennent les sp?cimens d'herbier, les graines et les fruits les ?chantillons de bois des productions v?g?tales vari?es (gomme, r?sines farines...). L'herbier en constitue la pi?ce ma?tresse, instrument de travail et mod?le irrempla?able pour toute ?tude de la flore de l'Am?rique m?ridionale et de l'?volution des connaissances botaniques au xvnr si?cle. Joseph Dombey n'a pas constitu? son herbier au hasard, mais selon un plan de travail pr?cis. Son ami Andr? Thouin a confirm? dans un M?moire abr?g? sur la mani?re de faire une collection v?g?tale s?che4* le processus de formation et l'utilit? de son herbier :

L'herbier est de tous les ustensiles d'un botaniste celui qui lui est le plus n?cessaire ; il lui pr?sente en tous tems et, en tous lieux la figure, la forme, la couleur et les caract?res des divers v?g?taux. Il le met ? port?e de comparer entre elles des plantes qui croissent dans les diff?rentes saisons de l'ann?e et qui naissent dans les diverses parties du monde, chose tr?s pr?cieuse, qui ne peuvent remplacer les descriptions les mieux faites et les m?mes peintures les plus exactes. Mais il en co?te du tems et des soins pour composer un herbier et rendre son utilit? aussi complette qu'il en est susceptible (...) (...) Le nombre d'exemplaires qu'on doit dess?cher de chaque plante est subor donn? au projet de ceux qui forment des herbiers. S'ils n'ont pour but que de faire pour eux une collection de plantes connues qu'ils ramassent dans les jardins de botanique, un exemplaire bien choisi suffira. Mais si parcourant des pays ?tran gers ils visent ? former de grandes collections, ils doivent dess?cher un plus grand nombre d'exemples de chaque esp?ce de plantes, et en proportion de leur raret?. Afin de se m?nager les moyens de faire des ?changes avec les Botanistes, c'est la seule mani?re de s'enrichir. Enfin un botaniste qui voyage dans des pays inconnus, et qui r?unit au but pr?c?dent celui d'enrichir la Botanique de descrip tions et de figures nouvelles, doit dess?cher un bien plus grand nombre d'exem plaires de chaque plante. Commerson avoit port? jusqu'? 40 le nombre de ceux qu'il dess?choit de plantes qu'il regardoit comme n'?tant pas connues des botanistes modernes. Son but il est vrai ?toit ? son retour en France de former 24 herbiers semblables et d'en faire pr?sent aux 24 Acad?mies les plus c?l?bres de l'Europe, et de donner ses doubles ? un grand nombre de botanistes qui ?toient ses amis et qui lui auroient fourni les moyens de completter sa collection qui ?toit d?j? tr?s riche. M. Dombey voyageant beaucoup moins commod?ment au P?rou et au Chily a r?colt? une douzaine d'exemplaires de chaque esp?ce de plantes nouvelles. Lorqu'il rencontroit des genres nouveaux, il en prenoit souvent le double. Il s'?toit restreint ? six exemplaires des esp?ces agr?ables qui ?toient connues des botanistes mais qu'on ne rencontroit pas commun?ment dans les jardins de l'Europe. Enfin il ne dess?choit qu'un ?chantillon des plantes indig?nes en Europe qu'il rencontroit dans le nouveau monde, autant pour lui fournir des

48. Ce m?moire de 52 pages non num?rot?es, sans date ni nom d'auteur, est de la main m?me d'Andr? Thouin, jardinier en chef du Jardin Royal des Plantes m?dicinales de Paris, qui conseilla tant de botanistes et de voyageurs avant leur d?part. D?pos? actuel lement aux Archives Nationales (Paris), ce texte est l'un des deux m?moires ?bauch?s pour Joseph Leblond en 1786, avant son d?part en Guyane. Leblond (1747-1815), passionn? d'Histoire naturelle, voyagea aux Antilles et dans une partie de l'Am?rique du Sud (Guyanes fran?aise et espagnole, Capitainerie de Caracas, Nouvelle-Grenade, Vice-Royaume du P?rou). Dombey le rencontra ? Lima, ? une date inconnue. Les manuscrits de Leblond relatifs ? l'Am?rique du Sud et qui devaient ?tre publi?s n'ont jamais ?t? retrouv?s jusqu'? ce jour. UN BOTANISTE AU P?ROU ET AU CHILI, J. DOMBEY, 1742-1794 273

points de comparaison avec nos individus que pour pr?senter dans son herbier le tableau complet des productions v?g?tales qu'il avait rencontr?es en Am?rique. Tout botaniste-voyageur qui se trouve comme M. Dombey dans un pays ?loi gn? peu accessible aux ?trangers et inconnu aux naturalistes doit suivre son exemple. Cette marche lui fournira les moyens, ? l'aide des descriptions qu'il aura faittes sur place avec exactitude des parties de la fructification des plantes qu'il r?coltera, de l'habitat de chacune d'elles de l'historique et de leur usage dans les arts et dans l'?conomie rurale, si elles fournissent mati?re ? ces obser vations. Cela lui fournira dis-je les moyens de faire l'histoire des plantes qu'il aura d?couvertes dans ses voyages, leur synonymie si elles en ont et de les accom pagner de bonnes figures grav?es d'apr?s l'herbier. Ce moyen est peut-?tre le seul de tirer parti d'un grand voyage, rarement il est possible de voyager avec un dessinateur habile49 qui puisse dessiner les plantes ? mesure qu'on les rencontre encore plus rarement peut-on porter avec soi assez de livres de botanique pour ?tre au courant de la nomenclature des plantes que l'on observe et enfin tr?s souvent on n'a que le tems de cueillir quelques branches des v?g?taux qu'on trouve sur sa route ; au lieu que de retour en Europe avec une nombreuse paquotille de plantes s?ches on les compare ? t?te repos?e avec les descriptions et les figures des auteurs, on prend l'avis des botanistes, on feuillette les herbiers et on ne tombe pas dans l'inconv?nient si commun aux botanistes modernes de faire des doubles emplois en nommant comme nouvelles des plantes d?j? connues et publi?es...

Une dizaine de grandes institutions dans le monde poss?dent des sp?cimens de Joseph Dombey50, mais l'ensemble le plus important est d?pos? au Laboratoire de Phan?rogamie du Mus?um National d'Histoire g?n?ral51 et dans les herbiers historiques52, ce qui entra?ne de longues recherches pour ?tudier chaque sp?cimen et pour ?valuer l'ensemble en quantit? et en qualit?. Le travail en cours permettra de v?rifier les affir ? ? mations ?valuant notre collection fran?aise ? l'exception des duplicatas ? 1500 esp?ces53. Dans le seul herbier historique d'Antoine Laurent de Jussieu, estim? ? 20000 esp?ces environ, nous avons trouv? 406 esp?ces r?colt?es par Dombey, au P?rou et au Chili, y compris 19 issues des herbo risations de Dombey en France avant son d?part en Am?rique M?ridionale

49. Dombey ne savait pas dessiner, et n'avait pu se faire aider d'un dessinateur fran ?ais. Les deux dessinateurs espagnols, Br??ete et Galvez, ne lui donn?rent aucun dessin des esp?ces r?colt?es, et au retour en Europe, au moment du partage des collections ? Cadix, Dombey n'en re?ut ?galement aucun. 50. Barcelona (Academia de Ciencias Naturales), Berlin (Botanischen Museum Berlin Dahlem), Chicago (John G. Searle , Field Museum of Natural History), Firenze (Herb, universitatis Florentinae), Gen?ve (Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Gen?ve), Kew (The Herbarium and Library. Richmond, Surrey), Leiden (Hollande), Londres (The Herbarium and Library of the Department of , , Natural History), Montpellier (H?rault), Saint-Louis (Herbarium of Missouri Botanical Garden), Madrid (Jardin Bot?nico). 51. Les 7,7 millions de sp?cimens de l'herbier g?n?ral sont class?s par familles (suivant l'Index Generum Phanerogamorum de Th. Durand de 1888) et par continents (Europe, Am? rique, Asie...). 52. Les herbiers historiques sont class?s par auteurs et pour certains selon le plan des ouvrages fondamentaux de ces auteurs. 53. Fr. A. Stafleu (Taxonomic Literature, 1 : 667. Utrecht, 1976), reprenant Deleuze ? ?crit : The total collection (French part, except duplicates) numbered circa 1500 ?. Nombre de doubles ont ?t? envoy?s ou donn?s en ?change au XIXe si?cle (environ 1398 d'apr?s le Cahier des Entr?es et Pr?ts des pi?ces de Collection, 1833-1860). De m?me le Mus?um a re?u de l'Herbier de Berlin des sp?cimens de Ruiz et Pav?n, et a achet? en 1868, 1058 sp?ci mens de l'herbier de Pav?n. 274 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

(Jura, Auvergne, Pyr?n?es...) et 54 esp?ces du Br?sil, d'autant plus pr? cieuses que nous ne poss?dons aucune diagnose faite par Dombey au Br?sil. Les sp?cimens d?j? ?tudi?s sont en bon ?tat de conservation ; chaque plante est fix?e par de petites brides de papier coll?es avec de la gomme arabique54 sur des feuilles dont le format maximum est de 27,5 x44cm55. De nombreuses ?tiquettes, de petit format, permettent de nommer et de localiser l'?chantillon soit ? partir de l'?tiquette originale de Dombey, soit ? partir de celles qui ont ?t? ajout?es post?rieurement par d'autres bota nistes, depuis deux si?cles56. L'?tude minutieuse des diff?rentes ?critures permet de retracer l'?volu tion de la nomenclature, de constater si le bin?me (genre/esp?ce) choisi par Dombey a ?t? conserv? ou non, d'?valuer le nombre de ? types ? issus des sp?cimens57 et d'isotypesK. De par les conditions de travail sur le terrain, les ?tiquettes de Dombey sont souvent laconiques, mais il arrive de trouver des diagnoses ?pingl?es aux sp?cimens d'herbier, qui compl?tent celles des manuscrits ou m?me comblent une lacune de ceux-ci59, ou plus rarement des d?dicaces ou des lettres. Ainsi nous avons trouv? dans l'herbier historique du Chevalier de Lamarck, une lettre de Dombey au Chevalier, ainsi que deux copies de la description de la plante qu'il lui d?dica?ait60; l'une des deux copies contient des renseignements absents dans les manuscrits. Apr?s avoir recens? l'ensemble des sp?cimens et d?termin? leur validit? scientifique, nous esp?rons pouvoir mettre en valeur la contribution propre de Joseph Dombey, peu nomm? dans les volumes de la Flora Peruviana et Chilensis par ses compagnons Hip?lito Ruiz et Jos? Pav?n. Une partie des 141 nouveaux genres publi?s par les Espagnols, dont plus d'une centaine sont encore reconnus aujourd'hui, ainsi que 500 noms d'esp?ces, ne sont-ils pas dus au labeur incessant de notre botaniste ?61. Catherine Lang.

54. A l'exception des cryptogames, d'une grande finesse, coll?s directement sur le papier dans l'herbier historique d'Antoine Laurent de Jussieu. Les formes et les couleurs ont ?t? parfaitement conserv?es, notamment celles des lichens, du beige tr?s p?le au rouge corail... 55. Ces feuilles, libres entre elles (et contenues dans des chemises, par genres) sont en g?n?ral les feuilles originales du xviif5 si?cle, faites d'un papier de chiffon assez ?pais. 56. On retrouve notamment les graphies de L'H?ritier, de Desfontaines, Poiret (qui continua le Dictionnaire de Lamarck), d'Antoine Laurent de Jussieu, De Candolle... 57. Le ? type ? est le sp?cimen de r?f?rence choisi pour d?crire une esp?ce. 58. Ou doubles des types. 59. C'est le cas de la diagnose de la Bunchosia Armeniaca (Malpighiac?e), absente du volume B des manuscrits o? elle semblait devoir ?tre report?e ? la page 166. 60. Dombey ? Monsieur le Chevalier de Lamarck de l'Acad?mie Royale des Sciences, Cadix, le 12 avril 1785, jointe ? la Marckea aculeata dans l'herbier historique Lamarck. Alors que dans la diagnose du manuscrit ? Flora peruviana ? (vol. A. p. 278) seule est men ? tionn?e l'action de cette plante comme sp?cifique contre le mal v?n?rien ?, celle de l'herbier en pr?cise d'autres utilisations : ? On se sert de son bois qui ressemble au buis pour plu sieurs ouvrages, comme fl?tes, boules, cuill?res, peignes... ? 61. Les Instructions donn?es aux trois botanistes de l'exp?dition en 1776 stipulaient qu'en cas de d?couvertes de nouveaux genres ou de nouvelles esp?ces, chacun devait le noter sur son ? Diario ? avec le nom du d?couvreur. (Ruiz, Relaci?n del Viage, 1 : 394). Cette instruction ne semble pas avoir ?t? tr?s suivie, ni dans les manuscrits de Dombey, ni dans ceux de Ruiz et Pav?n. L'itin?raire d?taill? du voyage de J. Dombey a ?t? publi? en 1985, voir : Catherine Lang, ? Joseph Dombey et l'exp?dition de Ruiz et Pav?n, ?tude des itin?raires (1778-1784) ?, dans Bull. Soc. bot. jn., 132, lettres bot., 1985 (3), pp. 259-274.