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LA CHAINE D’INFORMATION INTERNATIONALE POUR LA FRANCE AUX PRISES AVEC D ’ANCIENNES RÉALITÉS PAR 1 GERALD ARBOIT Comme l’année précédente, il aura fallu la promesse d’un nouveau débat budgétaire de la communication pour relancer, en 2005, la question de la création de la Chaîne française d’information internationale (CFII), puisque la provision de trente millions d’euros, votée sur injonction présidentielle, n’avait pas été utilisée 2. Les vicissitudes politico-médiatiques de 2005 n’ont pas permis aux deux maîtres d’œuvre du projet, les PDG de France Télévisions, Marc Tessier, et de TF1, Patrick Le Lay, d’avancer sereinement. Les conséquences fâcheuses du référendum européen ont emporté son plus fervent supporter, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, remplacé par son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin. Presque concurremment, le mandat de Marc Tessier n’a pas été renouvelé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui lui a préféré l’animateur de «Des racines et des ailes», Patrick de Carolis. Ces changements ont fait resurgir les contradictions internes du projet de rationaliser l’audiovisuel extérieur de la France. Tout à ces querelles franco-françaises autour de personnalités qui ont miné la longue gestation de la CFII depuis ses origines les plus lointaines 3, peu d’observateurs ont relevé l’accord tant attendu de l’Union européenne. Il est vrai que la bataille de France Télévisions battait son plein et que la Chaîne française d’information internationale semblait avoir cessé d’être un objet médiatique. Donnant pourtant lieu à d’acerbes commentaires, notamment dans la presse américaine, et à une exploitation internationale biaisée par la télévision publique russe – la traditionnelle utilisation de l’information mondiale pour commenter des questions intérieures –, l’embrasement social des banlieues des grandes métropoles nationales, au début de l’automne, n’a pas ramené l’attention sur la nécessité de disposer d’une telle chaîne. Pourtant, plus sûrement que dans l’affaire des otages français en Iraq, à l’été 2004, son utilité était toute trouvée à cette occasion. L’ IMPATIENCE DE L ’EXECUTIF Pour Jacques Chirac, la chaîne d’information internationale est « un instrument important pour le rayonnement » de la France. Il en est persuadé de longue date et ne perd jamais une occasion de le rappeler : ainsi, lors de la cérémonie des vœux à la presse, le 7 janvier 2005, à l’Elysée, comme lors de la treizième conférence annuelle des ambassadeurs, le 29 août, il s’est dit attacher « le plus grand prix » à « la création de cette chaîne [qui] va permettre à la France de mieux faire connaître le regard qui est le sien sur les événements du temps et du monde », tout en assurant, devant la presse, que « sa pleine indépendance [serait] évidemment garantie » et, devant les diplomates, qu’elle s’inscrivait «dans le même esprit de rayonnement de notre langue, de notre culture et de nos valeurs» que la francophonie. Toutefois, deux étapes impérieuses ont ponctué l’impatience présidentielle : définir le statut juridique de la nouvelle entité audiovisuelle et obtenir l’autorisation des autorités françaises et européennes de la concurrence. Pour la première, les groupes de télévision avaient déjà bien avancé : les réflexions de la Direction du développement des médias, dans son Guide de consultation en vue du lancement d’une chaîne d’information internationale , puis le rapport de Bernard Brochand avaient largement défini le « schéma opérationnel ». Aussi un premier projet de «Contrat pour la CFII», élaboré par France Télévisions et TF1, avec le cabinet Booz Allen Hamilton, avait-il été transmis au gouvernement dès décembre 2003. Il prévoyait la constitution d’une société 1 Chercheur au Centre d’études et de recherches interdisciplinaires sur les médias en Europe (CERIME) de l’Université Robert Schuman (Strasbourg, France) et rédacteur en chef de la revue Renseignement et opérations spéciales . 2 Libération , 29 sept. 2005. 3 Cf. Gerald A RBOIT , «La chaîne d’information internationale pour la France. Perspectives d’un projet déjà ancien», Annuaire français de relations internationales , vol. V, 2004, pp. 464-481. anonyme à conseil d’administration. Le financement quinquennal était revu à la hausse de 22%, passant à quatre cent vingt et un millions d’euros 4 contre trois cent vingt-cinq prévus dans le rapport Brochand 5. Quant à la publicité, le projet tablait sur un potentiel d’un à deux millions d’euros, qui irait croissant avec le développement de la chaîne dans le monde, tandis que la création d’une régie publicitaire était envisagée « dans un délai raisonnable après son lancement ». Le projet présenté au Président de la République deux ans plus tard, le 18 mars 2005, et déposé à la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes le 22 avril 2005 apparaît plus conforme à la lecture du rapport Brochand quant au volume budgétaire, mais laisse largement en suspens la question du financement – ou plutôt en fait porter uniquement le fardeau sur les fonds publics. Les réponses des principaux annonceurs français, clients de TF1, montrent en effet l’absence d’un marché ou d’un segment de marché sur lequel ils pourraient se situer, malgré les intentions clairement indiquées par la convention de subvention de la CFII de toucher une clientèle cible, constituée « des décideurs économiques et politiques [ainsi que des catégories socioprofessionnelles supérieures en général] , des professionnels des médias et finalement du grand public »6. La conformité de la nouvelle chaîne aux règles françaises de la concurrence, affirmée le 25 mai 2005, a été suivie par la confirmation européenne le 8 juin suivant 7. Les tractations étaient allées bon train en coulisse d’abord, dès avril 2004 8, puis officiellement à compter de février 2005 9. Le projet devait être conforme à la législation sur les aides de l’Etat et ne pas porter atteintes aux règles du droit de la concurrence au sein de l’Union européenne. Les diplomates français ont dû s’expliquer sur les conditions financières et contractuelles liant la CFII à ses deux actionnaires. Il était ainsi demandé à la chaîne d’appliquer les conditions du marché dans ses échanges de programmes d’information avec TF1 et France Télévisions et la chaîne ne devait pas être diffusée en France. « De quoi protéger le marché naturel des deux chaînes d’information historiques du PAF, I-télévision et LCI »10 … Annoncée pour le 28 novembre, la signature de la convention permettant la constitution de la société gérée à parité par France Télévisions et TF1 a été reportée au lendemain en raison de «problèmes techniques ». Elle s’est finalement faite à l’Hôtel Matignon, sous la houlette du Premier ministre, Dominique de Villepin, et de Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication. Le pacte d’actionnaires entre TF1 et France Télévisions a été signé et l’arrêté de prise de participation du holding public dans la future société est paru le 25 novembre au Journal officiel 11 . Les deux groupes ont aussi arrêté l’organigramme de la future chaîne, la présidence du conseil de surveillance de la nouvelle société anonyme, chargée de mettre en œuvre la CFII, étant confiée à Patrick de Carolis12 , secondé d’un vice-président issu du groupe privé, Etienne Mougeotte, et la présidence du directoire, organe opérationnel de la future société, à Alain de Pouzilhac - qui venait d’être évincé du groupe Havas –, flanqué de deux directeurs généraux, l’un nommé par France Télévisions, Ulysse Gosset, chargé de l’information et des programmes, l’autre par TF1, Jean-Pierre Paoli, chargé de la gestion, de la technique et des contrats de distribution 13 . 4 70 millions d’euros la première année, 73,5 millions d’euros la deuxième, 78,7 millions d’euros la troisième, 90,5 millions d’euros la quatrième et 108,8 millions d’euros la cinquième. La part des modules en langues étrangères dans le budget passerait de 12% la première année à 33% au bout de cinq ans. 5 Cf. Gerald A RBOIT , op. cit. , p. 476. 6 C 2005-23, Lettre du ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, en date du 25 mai 2005, aux conseils des sociétés France Télévisions et TF1, relative à une concentration dans le secteur de l’audiovisuel, disponible sur le site Internet www.finances.gouv.fr/DGCCRF/boccrf/05_08/a0080027.htm. 7 IP/05/689, «Aides d’Etat : la Commission approuve le financement de la Chaîne française d’information internationale (CFII)», 7 juin 2005. 8 AFP , «CII : aval informel de Bruxelles, selon France Télévisions», 8 avr. 2004. 9 Paule G ONZALES , «Un lancement soumis au feu vert de Bruxelles», Le Figaro , 15 fév. 2005. 10 Ibid. 11 Arrêté du 24 novembre 2005 portant approbation de la prise de participation financière réalisée par la société France Télévisions, MCCT0500794A, Journal officiel , n° 274, 25 nov. 2005. Le capital « de la société en cours de constitution en vue de l’édition d’une » CFII est de 37 000 euros, réparti à parité entre les deux actionnaires. 12 Le Monde, 26 nov. 2005. 13 AFP, «CFII : France Télévisions prend les commandes d’une chaîne à créer», 9 déc. 2005. UN IMBROGLIO POLITICO -MEDIATIQUE … Cette «arlésienne », comme l’a appelée le député Christian Kert lors de l’examen de la section «Médias» de la Loi de finances 2006, le 7 novembre 2005 14 , a enfin vu le jour après des mois d’incertitudes et des semaines d’imbroglio politico-médiatique. Tout le premier semestre 2005 avait été marqué par les effets d’annonces du gouvernement et de France Télévisions, auxquels les médias ne prêtaient plus vraiment crédit. Même Le Figaro , qui s’était pourtant montré un fervent soutien au projet, contribuant à lui assurer une actualité médiatique positive initiée depuis l’Elysée, se montrait las depuis la fin de l’année 2004.