L’ÉCONOMIE AFRICAINE UNE POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT EN PRATIQUE – LES LEÇONS DE L’EXPÉRIENCE DE DÉVELOPPEMENT DE LA CORÉE DU SUD
ÉTUDE DE CAS PAYS 1 : CAMEROUN
ÉTUDE SUR L’ÉCONOMIE DU CAMEROUN La politique de développement dans la pratique : Ensegnements tirés de l’expérience de dévéloppement de la Corée du Sud
Auteur Centre d'Etudes et des Recherches en Economie Et Gestion (CEREG), Cameroon.
L’ÉCONOMIE AFRICAINE UNE POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT EN PRATIQUE — LES LEÇONS DE L’EXPÉRIENCE DE DÉVELOPPEMENT DE LA CORÉE DU SUD
ÉTUDE DE CAS PAYS 1 : CAMEROUN
ÉTUDE SUR L’ÉCONOMIE DU CAMEROUN La politique de développement dans la pratique : Ensegnements tirés de l’expérience de dévéloppement de la Corée du Sud
Auteur Centre d’Etudes et des Recherches en Economie Et Gestion (CEREG), Cameroon. ii
ÉTUDE SUR L’ÉCONOMIE DU CAMEROUN La Politique de Développement dans la Pratique: Enseignements Tirés de l’expérience de Développement de la Corée du Sud
Document de Recherche sur les Politiques de aa Banque Africaine de Développement
Le présent rapport est le produit de la Vice-présidence pour la gouvernance économique et la gestion des connaissances. Il s’inscrit dans le cadre d’un effort plus large du Groupe de la Banque africaine de développement pour promouvoir le savoir et l’apprentissage, partager des idées, fournir un accès libre à ses recherches et apporter une contribution au discours relatif à la politique de développement. Les rapports présentés dans cette nouvelle série de documents de recherche sur les politiques contribuent à la mission du Groupe de la Banque et à ses Cinq grands domaines prioritaires, à savoir « Éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie », « Nourrir l’Afrique », « Industrialiser l’Afrique », « Intégrer l’Afrique » et « Améliorer la qualité de vie des populations africaines ». Les auteurs du rapport peuvent être contactés à l’adresse [email protected].
Coordonnateur : Adeleke O. Salami
Avertissement : Les opinions et les arguments exprimés ici ne reflètent pas nécessairement les vues officielles dela Banque africaine de développement, de son Conseil d’administration ou des pays qu’il représente. Ce document, ainsi que les données et cartes qu’il peut comprendre, sont sans préjudice du statut de tout territoire, de la souveraineté s’exerçant sur ce dernier, du tracé des frontières et limites internationales, et du nom de tout territoire, ville ou région.
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Citation correcte : Centre d’Etudes et des Recherches en Economie Et Gestion (CEREG), Cameroun (2021), Etude sur l’économie du Cameroun - La politique de développement dans la pratique : Enseignements tirés de l’expérience de développement de la Corée du Sud- Etude de cas pays 1 : Cameroun, L’économie Africaine: une politique de développement en pratique - Les leçons de l’expérience de développement de la Corée du Sud, Banque Africaine de Développement, Abidjan, Côte d’Ivoire.
© Banque africaine de développement 2021
Groupe de la Banque africaine de développement Avenue Joseph Anoma 01 BP 1387 Abidjan 01 Côte d’Ivoire
Téléphone : +225 2026 3900 Adresse électronique : [email protected] Site Web : www.afdb.org
ISSN : 1737-8990 ISBN : 978-9938-9955-5-8 iii
Remerciements
Le présent rapport de recherche a été préparé par la Banque africaine de développement (BAD) en collaboration avec le Korea Institute for International Economic Policy (KIEP). Le projet a reçu l’appui financier du ministère coréen de la Stratégie et des Finances à travers le Fonds fiduciaire de coopération économique Corée-Afrique (KOAFEC) dans le cadre du Programme de partage des connaissances.
Le rapport de recherche a été préparé par John C. Anyanwu et Adeleke Salami, sous la supervision générale de Hanan Morsy, Directeur du département de la Politique macroéconomique, des Prévisions et de la Recherche. Les nombreuses contributions de M. Steve Kayizzi-Mugerwa, en particulier sur le rapport de synthèse, sont très appréciées. Nous tenons à remercier les institutions suivantes pour leur participation aux travaux d’analyse des études de cas par pays :
x Centre d’études et des recherches en économie et gestion (CEREG), Cameroun ;
x Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (CIRES), Côte d’Ivoire ;
x Nigerian Economic Society (NES), Nigeria ;
x Development Policy Research Unit (DPRU), School of Economics, University of Cape Town, Afrique du Sud ; et Southern African Institute for Policy and Research (SAIPAR), Zambie.
Le rapport a bénéficié du document-cadre de John Ohiorhenuan, de l’examen des études de cas françaises par Bedia Aka, et des examens documentaires de Keith Mudadi et Tirsit Endaylalu. Nous tenons également à remercier Yaya Koloma et Tunc Gursoy pour leur appui dans la révision des versions finales des rapports. Nous remercions également Mme Abiana Nelson pour son assistance administrative. iv
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Sommaire
Liste des Tableaux v
Liste des Graphiques et Figures vi
Chapitre I Introduction générale 1
Chapitre II Analyse comparative des principales réformes politiques et institutionnelles au 7 Cameroun et en Corée Sud depuis les indépendances et leur incidence sur le développement économique de ces pays
Chapitre III Une analyse comparative des politiques économiques implémentées au 34 Cameroun et Corée du Sud
Chapitre IV Le rôle de l’État dans la fourniture des biens et services sociaux : cas de la 54 Corée du Sud et du Cameroun
Chapitre V Évolution des trajectoires d’industrialisation au Cameroun et en Corée du Sud 87
Chapitre VI Conclusion générale 131
Références bibliographiques 139
Equipe de rédation 149 v
Liste des Tableaux
Tableau 2.1 Les différentes Constitutions du Cameroun et leurs modifications depuis 1960 14
Tableau 2.2 La Constitution sud-coréenne et ses différentes modifications 18
Tableau 4.1 Réalisations de la CUY dans la pose des conducteurs d’eau potable en 2008 74
Tableau 4.2 Financement du secteur de l’eau par le FEICOM 74
Tableau 4.3 Financement des investissements hydrauliques par le PND 75
Tableau 4.4 Capacité des différents centres de production d’électricité au Cameroun (MW) 77
Tableau 5.1 La méthode de planification QQOQCCPP 91
Tableau 5.2 Les programmes d’industrialisation rurale en Corée 101
Tableau 5.3 La structure du secteur secondaire (% du PIB) 104
Tableau 5.4 La structure des exportations camerounaises entre 1995 et 2011 (%)) 107
Tableau 5.5 Quelques spécificités des banques de développement en Corée 118
Tableau 5.6 Les différentes phases et la structure du financement de POSCO (millions USD) 118
Tableau 5.7 Le plan de financement du développement technologique : une fonction des caractéristiques du projet 119
Tableau 5.8 Indicateurs financiers et croissance (en pourcentage) 122
Tableau 5.9 La concentration bancaire des pays de la zone CEMAC (Indice HH) 122
Tableau 5.10 Évolution de la structure du crédit (en pourcentage) 124 vi
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Liste des Graphiques et Figures
Graphique 3.1 Évolution de l’aide publique au développement en pourcentage du revenu national brut au Cameroun et en 37 Corée du Sud Graphique 3.2 Flux net de l’aide publique au développement octroyée par la République de Corée à la république du 38 Cameroun (dollars courants des États-Unis) Graphique 3.3 Poids de la dette publique dans le PIB au Cameroun et de la Corée du Sud entre 1990 et 1995 39 Graphique 3.4 Évolution du taux de pression fiscale au Cameroun et en Corée du Sud (%) 40 Graphique 3.5 Évolution de la composition des recettes fiscales de la Corée du Sud entre 1972 et 2014 (%) 41 Graphique 3.6 Évolution de la composition de certains revenus de l’État du Cameroun entre 1985 et 2003 42 Graphique 3.7 Évolution des dépenses de consommation finale du gouvernement au Cameroun et en Corée du Sud 43 (1960-2016)
Graphique 3.8 Évolution de des dépenses de consommation finale gouvernementale par tête au Cameroun et en Corée 44 du Sud (1960-2016)
Graphique 3.9 Évolution des composantes de la dépense gouvernementale en Corée du Sud (% de la dépense totale) 45
Graphique 3.10 Évolution de la part des dépenses militaires et des dépenses de santé dans les dépenses totales de 46 l’État en Corée du Sud (1972-2014)
Graphique 3.11 Évolution des dépenses publiques de santé (% du PIB) au Cameroun et en Corée du sud 47 Graphique 3.12 Évolution des dépenses publiques de santé au Cameroun et en Corée du Sud (% des dépenses totales 47 en santé)
Graphique 3.13 Évolution de la composition des dépenses publiques d’éducation en Corée du Sud entre 1970 et 2015 48 (% des dépenses publiques totales en éducation
Graphique 3.14 Taux de croissance annuel de la masse monétaire au Cameroun et en Corée du Sud (%) 49 vii
Graphique 3.15 Évolution du taux d’inflation (indice des prix à la consommation)au Cameroun et en Corée du Sud 50 (% annuel)
Graphique 3.16 Évolution du crédit accordé par les banques au secteur privé au Cameroun et en Corée du sud (%PIB) 51
Graphique 3.17 Évolution du taux d’intérêt sur les prêts et du taux d’intérêt sur les dépôts au Cameroun entre 51 1979 et 2007
Graphique 3.18 Évolution du taux d’intérêt sur les prêts et du taux d’intérêt sur les dépôts en Corée du Sud entre 52 1979 et 2015
Graphique 3.19 Évolution des créances sur le gouvernement central au Cameroun et en Corée du Sud (%PIB) 53
Graphique 4.1 Taux de scolarisation en Corée du Sud et au Cameroun 59
Graphique 4.2 Taux d’achèvement des cycles primaires et secondaires premier cycles au Cameroun et en Corée du sud 60
Graphique 4.3 Part de marché du secteur privé dans le marché de l’éducation au Cameroun et en Corée du sud 61
Graphique 4.4 Ratios élèves enseignants en Corée du sud et au Cameroun 61
Graphique 4.5 Évolution du budget de l’éducation au Cameroun et en Corée du Sud (% PIB) 62
Graphique 4.6 Carte sanitaire de la Corée du Sud 66
Graphique 4.7 Dépense de santé par tête en Corée du Sud et au Cameroun 66
Graphique 4.8 Financement de la santé au Cameroun et en Corée du Sud 67
Graphique 4.9 Expérience de vie au Cameroun et en Corée du Sud 67 viii
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Graphique 4.10 Taux de mortalité des enfants de moins 5 ans au Cameroun et en Corée du Sud 68
Graphique 4.11 Part de l’eau dans le budget du MINEE en 2015 75
Graphique 4.12 Répartition du budget du MINEE en 2015 78
Graphique 4.13 Évolution des indicateurs d’accès à l’eau potable au Cameroun et en Corée du Sud 82
Graphique 4.14 Évolution des indicateurs de l’accès aux sanitaires au Cameroun et en Corée du Sud 82
Graphique 4.15 Évolution du taux d’accès à l’électricité au Cameroun et en Corée du Sud 83
Graphique 4.16 Évolution du taux d’accès aux TIC au Cameroun et en Corée du Sud 85
Graphique 4.17 Évolution des voies ferrées au Cameroun et Corée du Sud 85
Figure 5.1 Évolution des indicateurs économiques au Cameroun et en Corée du Sud (1960-1965) 89
Figure 5.2 Modèle de Rattrapage technologique et du marché 90
Figure 5.3 Les cinq apports de l’État au développement industriel 92
Figure 5.4 Évolution des exportations de produits manufacturés entre 1960 et 2010 103
Graphique 5.1 Évolution des inscriptions à l’école, par niveau d’étude en Corée 110
Graphique 5.2 Évolution de l’éducation au Cameroun 111
Graphique 5.3 Évolution de certains indicateurs éducatifs au Cameroun et en Corée du Sud 112
Graphique 5.4 Évolution du budget de l’éducation au Cameroun et en Corée du Sud 113 ix
Graphique 5.5 Évolution du budget de l’éducation entre 2005 et 2015 au Cameroun 114
Graphique 5.6 Part du budget de l’éducation dans le budget total de l’État entre 2005 et 2015 au Cameroun 114
Graphique 5.7 Évolution des dépenses publiques d’éducation par niveau d’enseignement entre 2005 et 2015 au 115 Cameroun
Graphique 5.8 Répartition du budget de l’éducation entre le fonctionnement et l’investissement en 2011 au Cameroun 115
Figure 5.5 Modèle d’une stratégie d’industrialisation globale 129 1
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Chapitre 1 INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 Contexte de l’étude et problématique 2
1.2 Objectifs de l’étude 3
1.3 Méthodologie 4
1.4 Structuration de l’étude 6 2
1.1 Contexte de l’étude et problématique
Le 1er Janvier 1960, marque l’ascension à l’indépendance du Cameroun. Dès les premières heures, l’environnement politique et social de cet État va être empreint d’instabilité. Les institutions juridique, politique et sociale, vont connaître des mutations au gré des mouvements d’humeur des dirigeants successifs. Toutefois, si les institutions économiques semblent avoir survécu à cette vague de restructuration c’est simplement que les marches de manœuvre dans ce domaine étaient quelques peu réduites, particulièrement dans le domaine monétaire. Le Cameroun ayant hérité du système mis en vigueur par les colons français dans le cadre de la Zone Franc.
Les institutions sont les piliers de L’État. Leur création, évolution et qualité sont subordonnées non seulement aux mutations que connait la Constitution, mais aussi à la cohérence des règles que dispose cette loi fondamentale. Le Cameroun a connu de multiples réformes et révisions constitutionnelles et en est à sa seconde République. Sa première Constitution a été adoptée juste après l’indépendance le 4 Mars 1960. Elle a été révisée moins d’un an après, le 1er Septembre 1961. Puis a subi une modification en Novembre 1969. Le 2 Juin 1972, une nouvelle Constitution qui consacre l’avènement de l’État unitaire est adoptée et celle-ci va subir successivement dix modifications. Elle va être révisée en partie ou presqu’en totalité, une fois respectivement en 1975, 1979, 1984, 1991, 2008 et deux fois précisément en 1983 et 1988.
Au fil de ces nombreuses modifications, le rôle du Chef de l’État s’est renforcé. Il demeure la première figure institutionnelle et politique du pays. À ce titre, il exerce une forte influence et représente l’épine dorsale de la définition stratégique des politiques de développement par les principaux organes de prise de décision, de planification et de coordination des politiques. Ainsi, l’État est au cœur de la transformation des structures économiques et ses choix ont une incidence certaine sur le processus de développement. L’État est également le principal fournisseur de biens et services sociaux principalement dans le secteur éducatif et sanitaire. Au Cameroun, les dirigeants ont privilégié une vision keynésienne et se sont beaucoup focalisés sur l’aide extérieur pour financer le développement. Le montant de l’aide après une légère baisse au milieu des années 70 s’est continuellement accru depuis le milieu des années 80. En 1994 l’aide au développement représentait 8% du Revenu National Brut (RNB). Les fâcheuses conséquences de ce fait ont été l’accroissement de la dette et une dépendance accrue du pays à l’extérieure. Pour preuve, le pays s’est illustré comme l’un des premiers à postuler à l’initiative PPTE. Cependant, depuis 2008 la situation macroéconomique du pays s’est stabilisée en grande partie grâce aux réformes institutionnelles entreprises. Aussi, le pays s’est inscrit dans une démarche de restructuration de son économie et s’est assigné de nouveaux objectifs de développement. Par conséquent, l’analyse de l’évolution des institutions d’un pays qui possède la même structure économique s’avère nécessaire pour comparer et identifier l’incidence qu’exercent les institutions sur la trajectoire de développement du pays. En la matière, la Corée du Sud semble être un très bon exemple.
En effet, à l’instar du Cameroun, la Corée du Sud a connu une histoire politique caractérisée par une première période d’expérience démocratique, interrompu ensuite par une période de dictature qui prendra fin au début des années 1990. Toutefois, environ une décennie après son indépendance obtenue en 1950, le revenu par habitant de la Corée s’établissait à 87 dollars (Banque Mondiale, 2005). Entre 1962 et 2008, la plupart des indicateurs de développement de ce pays étaient proches de ceux des pays développés. Autre fait remarquable, son revenu par tête a progressé, passant de 1.342 $ EU à 19.227 $ EU, l’espérance de vie à la naissance est passée de 52,4 ans à 79,6 et le taux de mortalité infantile de 70 pour 1000 naissances à 34 pour 1000 naissances (Koh, 2010). Si l’aide au développement reçu par la Corée était supérieur à celle du Cameroun (soit 3 fois plus) au début des années 60, celle-ci a considérablement chuté et est quasiment insignifiante aujourd’hui. Ces résultats apparaissent être le fait de « l’État développementaliste » qui traduisent la vision, les ambitions et la détermination des décideurs coréens à sortir leur pays du sous-développement. D’un régime autocratique la Corée du Sud est passée à une démocratie moderne et a pu totalement se libérer de la dépendance vis-à- vis de l’aide en provenance des pays développés. À tel enseigne qu’à partir de 1990, elle a commencé à octroyer de l’aide au Cameroun. Cela est le fruit d’un remodelage de la structure économique du pays, qui a délaissé la vision keynésienne pour s’engager dans la voie du libéralisme, après une décennie de politiques stratégiques de substitution aux importations. Ce qui a concouru à une baisse de la pression fiscale. C’est ainsi que la part des taxes sur le commerce international ne représente plus que 2% des recettes de l’État. 3
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La stabilité, la qualité des institutions et le rôle prédominant de l’État sont donc des facteurs clés de la marche vers le développement. À ce propos, Wood et Cumings (1999), Leftwich (2000) et (Pempel 1999) relèvent que l’intervention de l’État est nécessaire pour atteindre l’accumulation de capital de long terme et les objectifs de développement de l’ensemble de la société. Koh (2010) montre à cet effet que l’État a joué un rôle central dans la transformation de l’économie coréenne. Alors que les libéraux justifient le rôle de l’État dans la construction du capital humain tout en fustigeant son rôle dans le contrôle du marché. Cependant, les tenants de la thèse de l’État développementaliste démontrent au contraire le rôle central du gouvernement dans le développement de la Corée. Cette vision part du postulat que l’État développementaliste a joué un rôle majeur dans la construction d’institutions fortes, stable et de qualité qui ont permis la transformation économique de la Corée.
Fort de ce constat, et dans le cadre de l’approche comparative, il est opportun de se poser les questions suivantes :
x Existe-t-il un lien entre ces institutions et la croissance économique de long terme ?
x Quel a été le rôle des différents régimes politiques dans la consolidation des institutions coréennes ?
x Quelles sont les réformes institutionnelles et politiques qui ont concouru à l’essor économique respectif de la Corée du Sud et du Cameroun ?
x Quels sont les atouts de la transformation structurelle de la Corée du Sud et comment a-t-elle réussie son industrialisation ?
x Quelles sont les stratégies de politiques économiques respectives de la Corée du Sud et du Cameroun, aussi quelles répercutions les institutions économiques ont eu sur la croissance économique ?
x Quel a été le rôle de l’État dans la production d’infrastructures et la construction du capital humain ?
x Pour garantir une croissance économique soutenue du Cameroun, quelles sont les leçons à tirer de l’expérience de la Corée du Sud ?
1.2 Objectifs de l’étude
L’objectif général de cette étude est d’analyser le rôle des réformes institutionnelles et de l’État dans le processus de développement économique et social du Cameroun, à partir des enseignements tirés de l’expérience de la Corée du Sud.
De façon spécifique, il s’agit de :
i. Comparer analytiquement les évolutions des institutions juridique, politique, économique et sociale du Cameroun et de la Corée du Sud ;
ii. Comparer de façon conceptuelle les évolutions des politiques d’industrialisation du Cameroun et de la Corée du Sud ;
iii. Évaluer la contribution de l’État, à travers les administrations publiques, à la transformation structurelle de l’économie et au développement économique et social du pays, notamment dans la formation du capital humain et la production d’infrastructures. 4
1.3 Méthodologie
Au regard des objectifs, la méthodologie adoptée pour réaliser cette étude s’inscrit à la fois dans une perspective historique et une approche comparative. La réflexion autour de ces deux points permettra de tester des hypothèses sur le rôle de l’État dans des indicateurs d’intérêt relatifs à la transformation structurelle, aux politiques budgétaires et monétaires, à la politique industrielle, à la politique fiscale et des recettes budgétaires, à la gouvernance, à la santé, à l’éducation et à la protection sociale. De ce fait, la méthodologie va se structurer en deux grands points : une présentation de l’approche globale d’exécution de l’étude et une analyse empirique thématique.
La démarche globale de réalisation de l’étude va s’articuler autour de deux (2) points: (i) les sources des données, (ii) l’analyse des données.
1.3.1 Source de données
Les données collectées proviennent de trois sources : la revue documentaire, les données secondaires et qualitatives.
A — Revue documentaire
La revue documentaire consiste en l’exploitation des constitutions, lois, règlement, rapports d’études et des documents de travail provenant d’institutions nationales et internationales. Les documents exploités proviennent des administrations publiques, notamment les ministères, l’Institut National de la Statistique (INS), des institutions coréennes et des organismes internationaux (BAD, FAD, FMI, Banque Mondiale, etc.).
L’analyse documentaire s’est faite à partir de la sélection des rapports officiels, des documents de travail, des travaux de recherches publiés ou non en relation avec le développement politique, économique et social des deux pays ainsi que le concept et les politiques de l’État développementaliste. La revue a permis de présenter et de comparer les trajectoires de développement du Cameroun et de la Corée du Sud. En outre, une analyse a été faite sur l’impact des politiques macroéconomiques et sectorielles menées par l’État du Cameroun pour accélérer son développement.
B — Données secondaires
Les données secondaires utilisées portent notamment sur les séries chronologiques relatives aux agrégats macroéconomiques (PIB, PIB/tête, RNB, taux d’inflation et d’intérêt, flux net d’aide au développement, la dette publique, investissement public et privé, recettes fiscales, niveau de pression fiscale, dépenses de consommation, recettes et dépenses publiques, dépenses militaires, crédits au secteur privé, exportations, etc.), des données sectorielles (les productivités factorielles, les contributions sectorielles au PIB, les parts d’emploi sectorielles, la production industrielle, etc.), les capacités et la gouvernance des États camerounais et coréen (les ressources humaines et matérielles, les plans de développement, la qualité des réformes, les services publics, la gestion des ressources, etc.).
Ces données sont issues de sources administratives des deux pays et des bases de données internationales telles que :
x Les ministères des Républiques du Cameroun et de la Corée du Sud ;
x Institut National de la Statistique du Cameroun (INS) ;
x Korean Statistics Institute ;
x Bank of Korea ;
x Korean Development Institute (KDI) ;
x Korean Rural Economic Institute (KREI) ; 5
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x Korean International Trade Research Institute ;
x History of Studies Institute ;
x Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ;
x World Development Indicators, Banque Mondiale pour les données sur les agrégats macroéconomiques ;
x Fonds Monétaire International (FMI) ;
x Agence Internationale de l’Énergie (AIE) ;
1.3.2 Approche analytique et conceptuelle
Globalement l’étude s’inscrit dans une perspective historique et comparative. Dès lors, les données collectées ont été exploitées en se situant dans ce cadre. Trois grandes sous-périodes correspondant à des mutations politiques, sociales et institutionnelles en Corée du Sud et au Cameroun, sont identifiées pour l’analyse. Il s’agit de :
x la période des indépendances (1945-1960) ;
x les premières décennies d’indépendances (1960-1980) ;
x les décennies de crise (1980-2000) ;
x les périodes récentes (2000 et plus).
L’adoption de cette démarche, nous permet de comprendre la manière dont le contexte historique a forgé l’État, contribué à la mise en place des institutions et l’incidence de ces institutions sur les transformations économiques et sociales. Les éléments de similitudes et de différences relativement aux deux pays sont mis en exergue à l’effet de relever les faits saillants pour servir d’expérience au Cameroun.
L’analyse des données collectées s’est faite à partir d’une analyse descriptive et d’une analyse économétrique.
L’analyse descriptive consiste à décrire les évolutions des agrégats, à déceler les grandes tendances des réformes et modifications institutionnels, structurels et sociaux. Elle vise à mettre en lumière les performances macroéconomiques et le développement socioéconomique en relation avec le rôle des acteurs, en particulier les capacités des administrations publiques et le bien-être des populations. L’analyse comparative repose en grande partie sur l’analyse descriptive afin de faire apparaître les principales caractéristiques des politiques réalisées et des résultats atteints.
L’analyse économétrique complète et renforce l’analyse descriptive à partir de l’étude empirique des changements économiques, structurels et sociaux. Au plan macroéconomique, elle tente d’évaluer la contribution effective de l’État à la dynamique de la croissance, à la transformation économique et sociale ainsi qu’à l’amélioration du bien-être social. Compte tenu de l’importance et du rôle stratégique du secteur industriel et du capital humain, l’analyse économétrique a permis de tester des hypothèses de recherche relatives au rôle que l’État pourrait jouer dans le processus de développement au Cameroun. 6
1.4 Structuration de l’étude
Cette étude est structurée en trois (3) grandes parties articulées autour de quatre (4) chapitres : la première partie fait ressortir la comparaison des deux économies dans leur évolution respective, notamment en matière juridique, politique et économique; la deuxième, quant à elle, s’intéresse principalement au rôle de l’État dans le processus de développement dans les deux pays, principalement dans la constitution du capital humain, la production d’infrastructure et la mise en œuvre de l’industrialisation; la troisième, retrace l’évolution de la trajectoire de l’industrialisation dans les deux pays, se rapportant à la modification au cours du temps des politiques économiques . 7
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Chapitre 2 ANALYSE COMPARATIVE DES PRINCIPALES RÉFORMES POLITIQUES ET INSTITUTIONNELLES AU CAMEROUN ET EN CORÉE SUD DEPUIS LES INDÉPENDANCES ET LEUR INCIDENCE SUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DE CES PAYS
2.1 Les principales évolutions politiques et institutionnelles au Cameroun et en 8 Corée du Sud depuis les indépendances
2.2 L’importance des institutions dans la définition des stratégies de 19 développement économique du Cameroun et de la Corée du Sud 8
Le Cameroun et la Corée du Sud ont été respectivement indépendants le 1er Janvier 1960 et le 15 Août 1948. Depuis leur indépendance respective, le Cameroun a connu trois Constitutions révisées treize fois alors que la Constitution sud- coréenne qui est en vigueur depuis 1948 a été modifiée à neuf reprises. L’importance de la Constitution qui est la loi fondamentale d’un pays n’est plus à démontrer car, toutes les autres lois y sont subordonnées. En effet, c’est à travers l’évolution de la Constitution que peuvent s’opérer les réformes institutionnelles et politiques dans un État. La Constitution est donc l’ « ensemble des règles suprêmes fondant l’autorité étatique, organisant ses institutions, lui donnant ses pouvoirs, et souvent, lui imposant ses limitations, en particulier en garantissant des libertés aux sujets ou citoyens » (1). Une réforme quant à elle est un changement important dans l’organisation institutionnelle ou sociale d’un État ou d’un secteur d’activité, dans le but d’y apporter des améliorations. La réforme s’inscrit dans le cadre d’institutions existantes. Les institutions sont un ensemble de structures et de mécanismes juridiques qui permettent d’encadrer les conduites au sein d’une collectivité (Cornu, 1987). Elles se conçoivent comme les piliers de l’État, qui est la collectivité la plus intégrationniste lorsqu’on se situe dans une logique de pacte républicain. Les institutions politiques peuvent être regroupées selon qu’elles relèvent du niveau stratégique en termes de formulation des grandes orientations de la politique économique, ou selon qu’elles sont au niveau opérationnel en termes de mise en œuvre des politiques de développement. Ainsi, l’importance des institutions politiques dans la mise en œuvre des politiques de développement économique d’un pays n’est plus à démontrer. Faire une analyse comparative des principales réformes politiques et institutionnelles menées au Cameroun et en Corée du Sud depuis les indépendances revient à procéder à une étude comparée des incidences que les révisions ou les changements de Constitution ont eues sur l’évolution politique et institutionnelle mais aussi sur le développement économique de ces deux États depuis leur accession à l’autonomie. L’État qui est une communauté politique fonctionne et évolue grâce aux institutions qui rythment et déterminent sa trajectoire politique, économique, humaine et sociale (Tricot et al., 1995). Ainsi, s’il y a un défi permanent pour un État, c’est évidemment celui du développement. Tous les pays du monde luttent soit pour se développer, soit pour maintenir et consolider les acquis en la matière. La problématique du développement est donc au cœur de l’action de l’État appelé à organiser l’espace public et la gestion des ressources disponibles et limitées, de façon à ce que les besoins illimités des individus, des ménages, bref des agents économiques soient satisfaits au mieux (Gadji, 2014). Il est important de rappeler que la qualité des institutions politiques en termes de management, de ressources humaines et de stratégie, peut transformer celles-ci, soit en facteurs de développement, soit en faiblesses dans la lutte pour le développement. À cet effet, nous allons étudier le lien qui existe entre la qualité des institutions camerounaises et sud-coréennes et le développement économique du Cameroun et de la Corée du Sud en insistant sur l’incidence que ces institutions ont eue sur la trajectoire de développement de chacun de ces pays. Quelles sont les institutions et les stratégies mises en place par le Cameroun et la Corée du Sud depuis leurs indépendances pour atteindre leurs objectifs de développement respectifs et qu’est-ce qui peut justifier les écarts de développement entre ces deux pays ? L’objectif de ce travail qui est essentiellement diachronique, consiste à présenter les principales évolutions politiques et institutionnelles consécutives à la révision ou au changement de Constitution au Cameroun et en Corée du Sud (I) et à montrer l’importance des institutions dans la définition des stratégies de développement économique du Cameroun et de la Corée du Sud (II).
2.1 Les principales évolutions politiques et institutionnelles au Cameroun et en Corée du Sud depuis les indépendances
2.1.1 Les principales évolutions politiques et institutionnelles depuis 1960
Depuis son accession à l’indépendance en 1960, le Cameroun a connu trois Constitutions : la Constitution du 4 Mars 1960, la Constitution du 1er Septembre 1961 et la Constitution du 2 Juin 1972. L’histoire du Cameroun est marquée par deux années très importantes :1960 qui consacre l’indépendance du pays avec le début de l’exercice des compétences nationales et internationales d’un État devenu véritable sujet de droit, et 1990 qui marque l’éveil de la démocratie et le début d’un encadrement juridique résultant de l’évolution vers un État de droit. L’avènement de la démocratie et de l’État de droit a mobilisé l’ensemble des forces vives du pays et le processus a été sanctionné par la tenue des premières
(1) Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 8ème édition, Paris, P.U.F, 2007, p. 223. 9
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élections pluralistes en 1992. Cette nouvelle donne politique s’inscrivait dans une logique de profonde remise en cause des logiques politiques ayant marqué les deux premières Constitutions camerounaises caractérisées par un monolithisme politique.
2.1.1.1 La constitution du 4 Mars 1960
La première Constitution du Cameroun indépendant avait pour objectif de doter le jeune État de ses premières institutions ou de « nationaliser » celles héritées de l’administration coloniale. La grande innovation est l’instauration du poste de Président de la République qui est la clé de voute de l’État. Jusqu’à son indépendance en 1960, le pays était dirigé par un Premier Ministre(2) après l’adoption de la « loi cadre » en 1956. Ainsi, jusqu’aujourd’hui, le Président de la République est le principal animateur de la vie politique et institutionnelle du pays car, c’est lui qui nomme presque tous les responsables des autres institutions du pays(3). A l’observation, nous pouvons affirmer que depuis l’indépendance, l’évolution politique et constitutionnelle du Cameroun s’apprécie au regard non pas du point de vue du statut du pouvoir fixé par la Constitution, mais de l’idée de l’État qui est dans l’imaginaire du chef de l’État. La Constitution du 4 Mars 1960 concernait uniquement l’ancien Cameroun français parce que l’autre partie de ce qui deviendra plus tard la République Fédérale du Cameroun(4) était encore sous domination britannique. La première Constitution du Cameroun indépendant a arrêté entre autres l’hymne national « Ô Cameroun, berceau de nos ancêtres », la devise « Paix, Travail, Patrie», la capitale Yaoundé, le drapeau avec trois bandes vert, rouge et jaune d’égales dimensions, le Français comme langue officielle, le caractère indivisible, laïc et démocratique du pays, l’égalité de tous les citoyens devant la loi et l’attachement de l’État camerounais au respect des libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et dans la Charte des Nations Unies(5)...
C’est la Constitution du 4 Mars 1960 qui a posé les bases de l’État du Cameroun, celles du 1er Septembre 1961, du 2 Juin 1972 et les différentes révisions constitutionnelles n’ont fait que renforcer les institutions ou corriger les insuffisances des précédentes.
2.1.1.2 La constitution du 1er Septembre 1961
La révision constitutionnelle du 1er Septembre 1961 portant révision de la Constitution du 4 Mars 1960 a instauré la République Fédérale et les institutions qui en découlent. En plus de ce que prescrivait déjà la Constitution du 4 Mars 1960, la Constitution du 1er Septembre 1961 adopte l’Anglais comme seconde langue officielle et le drapeau vert, rouge et jaune avec trois bandes verticales d’égales dimensions frappé de deux étoiles d’or sur la bande verte(6). L’ère de la fédération qui a duré onze ans était régie par la Constitution du 1er septembre 1961 et n’a pas vraiment bouleversé en profondeur le système constitutionnel. Relevons cependant que c’est sous cette Constitution que l’ambition du Président Ahidjo d’instaurer un régime de parti unique a été institutionnalisée avec le sabordement des autres partis politiques qui vont fusionner en 1966 avec l’UNC, le parti présidentiel.
La Constitution découlant de la révision constitutionnelle du1er Septembre 1961 a subi une seule modification importante. C’était en 1969 lorsque trois textes de loi sont adoptés par l’Assemblée Fédérale. L’une modifiait l’article 16 de la Constitution et institutionnalisait la possibilité de proroger le mandat des députés, c’est l’objet de la modification N°69/ LF/13 du 10 Novembre 1969. Une autre modifiait l’article 39 de la Constitution en permettant au chef de l’État de nommer le Premier ministre de chaque État sans solliciter au préalable les Parlements des États fédérés, c’est la loi N°69/LF/14 du 10 Novembre 1969. Une dernière modifie l’article 2 de la Constitution et autorise le Président de la République après consultation du président de l’Assemblée Fédérale et des premiers ministres des États fédérés, à soumettre au référendum tout projet de loi ou de réforme, qui, bien que relevant du domaine de la loi, serait susceptible d’avoir des répercussions profondes sur l’avenir du pays et des institutions, notamment des projets de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou sur la révision de la constitution, c’est l’objet de la loi N°69/LF/15, du 10 Novembre 1969. Ces différentes réformes ont chacune une portée relative sur l’évolution des rapports politiques. Leur importance dans le processus
(2) André Marie Mbida (15 Mai 1957-18 Février 1958) et Ahmadou Ahidjo (18 Février 1958-5 Mai1960) (3) Article 8, alinéa 10 de la Constitution du 18 Janvier 1996(le Président de la République « nomme aux emplois civils et militaires de l’État ») (4) Le 1er Octobre 1961, la République Fédérale du Cameroun est proclamée après la réunification du Cameroun oriental et du Cameroun occidental. (5) Article premier de la constitution du 4 Mars 1960 (6) Article 1er de la Constitution du 1er Septembre 1961 10
d’adaptation institutionnelle est indéniable, leur portée politique limitée. Dès lors que la compétition pour la conquête du pouvoir est devenue un « péché de lèse-majesté », la dynamique institutionnelle perdait aussitôt une partie de sa pertinence.
2.1.1.3 La constitution du 2 Juin 1972
La Constitution du 2 Juin 1972 consacre l’avènement de l’État unitaire. Cette Constitution a déjà fait l’objet de dix modifications. En effet, elle a été révisée en 1975, 1979, 1983 (deux fois), 1984, 1988 (deux fois), 1991, 1996 et 2008. Etant donné que la Constitution du 2 Juin 1972 est celle qui est restée le plus longtemps en vigueur et qui a subi le plus grand nombre de révisions, nous allons l’analyser en quatre parties. D’abord, les révisions de 1975 à 1988, ensuite la révision de 1991, la révision de 1996 et enfin la révision de 2008.
A — Les différentes révisions constitutionnelles entre 1975 et 1988
La première révision de la Constitution de 1972 intervient le 9 Mai 1975 et crée le poste de Premier ministre. En effet, cette modification constitutionnelle adoptait un amendement de son article 5 qui instaure le poste de Premier ministre (Owona, 1975). Cet article 5 est retouché en même temps que l’article 7 de la Constitution par la loi du 9 Juin 1979 (Abiabag, 1979; Mbome, 1980). L’article 5 nouveau fait du Premier ministre une institution permanente de la structure gouvernementale et l’article 7 organise le nouveau mode de dévolution du pouvoir en cas d’empêchement momentané ou définitif du Président de la République et institutionnalise le système de dauphin constitutionnel (Kamto, 1983). Une telle disposition permettait au chef de l’État de préparer sa succession comme aux temps des monarchies. Le dauphin avait donc toute la confiance du chef de l’État. La succession s’est opérée en 1982, conformément à la Constitution. En effet, le 4 Novembre Ahmadou Ahidjo annonçait sur les antennes de la radio nationale sa démission de la présidence de la République qui prenait effet à compter du 6 Novembre, date de la prestation de serment de son successeur désigné, le Premier ministre Paul Biya conformément à l’article 7 de la constitution. Par la suite, cette Constitution sera à nouveau retouchée avec le nombre de députés à l’Assemblée Nationale qui va augmenter à deux reprises respectivement de 120 à 150 le 5 Juillet 1983 (article 7) et de 150 à 180 le 17 Mars 1988 (article 12). Bien plus, cette même Constitution sera également révisée le 18 Novembre 1983 pour permettre au Premier ministre devenu Président de la République d’organiser l’élection présidentielle anticipée (article 7). Il en sera de même le 25 Janvier 1984 avec le changement de la dénomination du pays qui passe de « République Unie du Cameroun » à « République du Cameroun » mais aussi, elle entérine la suppression du poste de Premier ministre (articles 1, 5, 7, 8, 16 et 34).
B — La réforme constitutionnelle du 23 Avril 1991
La réforme constitutionnelle du 23 Avril 1991 revêt une importance capitale dans la mesure où elle rétablit le poste de Premier Ministre, chef de gouvernement et surtout elle institue sa responsabilité politique devant l’Assemblée Nationale(7). Cette révision constitutionnelle est importante parce qu’elle instaure un régime semi-présidentiel dans un État jusque- là caractérisé par un régime avec un fort tropisme présidentiel(8). La révision constitutionnelle de 1991 a mis en place un système présidentialiste rationalisé avec l’instauration d’un régime de responsabilité politique qui bien qu’étant une innovation ne garantit pas un fonctionnement efficace des institutions. La création du poste de Premier ministre, chef du gouvernement opère un nouvel équilibre au sein de l’exécutif. Cet équilibre doit fonctionner avec les réflexes d’un présidentialisme autoritaire surtout dans la répartition des pouvoirs entre le chef de l’État et le Premier ministre (Gicquel, 1977). Certains y ont vu une forme de présidentialisme démocratique(9). La réforme constitutionnelle du 23 Avril 1991 a opéré un bouleversement important dans le fonctionnement des institutions de l’État même si le Président de la République n’a pas vu son pouvoir remis en cause en dépit du fait qu’il s’est adjoint un collaborateur qui constitutionnellement a la latitude de s’émanciper. La nouvelle répartition des pouvoirs a conservé la place du chef de l’État qui malgré tout est bel et bien chef du gouvernement. Cette révision nourrit plus le lyrisme doctrinal plus qu’elle ne fournit un nouvel espace d’exercice démocratique du pouvoir dans l’État. La révision constitutionnelle du 23 Avril 1991 sans opérer une révolution a défini un
(7) Jean-Louis Atangana Amougou, « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme africain » disponible sur : http://www.droitconstitutionnel.org/ congresmtp/textes7/ATANGANA, p. 1–27, [page consultée le 21 juillet 2017]. (8) Entre 1960 et 1972, les Premiers Ministres n’avaient pas de pouvoirs réels et étaient plus considérés comme des Primus Inter Pares. Cette fonction est supprimée en 1972, réinstaurée en 1975, de nouveau supprimée en 1984 avant de réapparaître en 1991 avec de pouvoirs étendus. (9) Olinga (Dir), L’obligation. Etudes offertes au professeur Paul-Gérard Pougoué, Yaoundé : L’Harmattan, pp. 629 – 655. 11
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nouvel espace politique qui fait désormais du Cameroun, un régime mixte. Le chef de l’État n’y a donc pas le profil bas, ni un rôle minoré comme dans un régime parlementaire. Il n’a pas non plus épousé le modèle américain d’un chef d’État conçu d’une façon qui lui réserve un rôle important tout simplement. Il est proche du Président de la République française, ses pouvoirs sont très étendus et son rôle exalté. À l’observation, cette révision constitutionnelle était en réalité organisée autour du chef de l’État qui en est sorti beaucoup plus grandi qu’avant. La détermination de ses attributions démontre cette résurrection de la fonction présidentielle. Le chef de l’État est à la fois, gardien, garant, arbitre et même capitaine du jeu politique. L’institution de la fonction de Premier ministre n’étant pas nouvelle au Cameroun, ce que la nouvelle réforme constitutionnelle apporte, c’est la constitutionnalisation de son rôle de chef du gouvernement. L’institution gagne ainsi en importance. Le Premier ministre est désormais non seulement animateur politique dans la version présidentialiste, mais aussi, dépositaire d’importants pouvoirs constitutionnels. En ce qui concerne le pouvoir législatif, longtemps ravalée au rang de chambre d’enregistrement, l’Assemblée Nationale est l’une des grandes bénéficiaires des réformes intervenues en Avril 1991. D’importants changements concernent les rapports entre le pouvoir exécutif et l’Assemblée Nationale. Les parlementaires bénéficient d’un statut personnel notamment en ce qui concerne leur traitement, leurs avantages et leurs immunités(10).
C — La révision constitutionnelle du 18 Janvier 1996
La révision constitutionnelle de 1996 à travers la loi N°96/06 du 18 Janvier 1996 était si importante qu’on s’est demandé s’il s’agissait d’une simple révision constitutionnelle ou de l’adoption d’une nouvelle constitution(11). En effet, cette interrogation tenait à deux raisons fondamentales. La première raison était que le projet de loi de révision constitutionnelle introduit à l’Assemblée Nationale le 17 Novembre 1995 n’indiquait pas les dispositions de la Constitution du 2 Juin 1972 qui devaient être révisées. La seconde raison était que presque toutes les dispositions de la Constitution du 2 Juin 1972 étaient plus ou moins concernées par la révision. Bien plus, la Constitution amendée s’était enrichie de nouvelles dispositions telles que le préambule qui passait de 39 à 69 articles. La plupart des nouvelles dispositions étaient des innovations majeures qui apportaient des modifications profondes sur l’articulation des pouvoirs, sur la nature du régime politique, le contenu des pouvoirs, la forme de l’État et les institutions de régulation. L’exécutif, le législatif et le judiciaire ont été érigés en pouvoirs. Le régime semi-présidentiel consécutif à la révision constitutionnelle de 1991 était confirmé. Le mandat présidentiel passe de cinq à sept ans avec une limitation du mandat extensible au maximum à 14 ans c’est-à-dire un mandat de sept ans renouvelable une seule fois(12). La décentralisation est désormais consacrée avec la division du territoire en régions. De nouvelles institutions comme le Conseil constitutionnel et la Cour des comptes voient le jour.
Le Conseil constitutionnel est l’instance chargée des questions constitutionnelles et notamment du contrôle de constitutionnalité des lois, de l’arbitrage entre les institutions, et de la sincérité et de la conformité des consultations électorales et référendaires. Le bicaméralisme du parlement est consacré avec la création du Sénat qui vient s’ajouter à l’Assemblée Nationale. Bien plus, c’est le Président du Sénat qui est désormais appelé à assurer l’intérim à la tête de l’État en cas de décès ou d’empêchement du Président de la République(13).
C’est donc pour toutes ces raisons que certains observateurs avertis de la vie politique et institutionnelle du Cameroun ont pensé qu’il s’agissait de l’écriture d’une nouvelle Constitution(14). En effet, étant donné que la Constitution est «le moyen de proclamer le nouvel ordre juridique et politique tant du point de vue de la forme que de celui du fond »(15), il n’est donc pas surprenant qu’après la révision constitutionnelle du 18 Janvier 1996, la question de l’écriture d’une nouvelle Constitution se soit posée dans l’opinion publique camerounaise.
L’une des principales réformes de la révision constitutionnelle du 18 Janvier 1996 est la constitutionnalisation du principe de la décentralisation qui fait de la République du Cameroun, un État unitaire décentralisé. En effet, la décentralisation participe d’une technique de réforme continue de l’État unitaire pour mieux assurer sa gestion et surtout rapprocher le centre des décisions des populations. La décentralisation est donc le processus par lequel l’État transfère aux collectivités la
(10) Article 14, alinéa 6 de la Constitution (11) MauriceKamto, « Révision constitutionnelle ou écriture d’une nouvelle Constitution », Lex Lata, N°023-024, Février-Mars 1996. (12) Article 6, alinéa 2 de la Constitution du 18 Janvier 1996 (13) Article 6, alinéa 4 de la Constitution du 18 Janvier 1996 (14) Ibid (15) Klein (C), « Pourquoi écrit-on une Constitution ? » in 1789 et l’invention de la Constitution sous la direction de Michel Troper et Lucien Jaume, Bruylant, LGDJ, Bruxelles, Paris, 1994, p. 95. 12
gestion de leurs affaires propres. Bien qu’il soit ancien au Cameroun(16), le principe de la décentralisation a pris une tournure nouvelle avec la révision constitutionnelle de 1996 qui crée une nouvelle catégorie de collectivité territoriale décentralisée, à savoir la région. La mise en œuvre de cette importante réforme a été engagée avec l’adoption d’importants textes. Il s’agit de la loi N°2004/017 du 22 Juillet 2004 d’orientation de la décentralisation ; de la loi N°2004/018 du 22 Juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes, de la loi N°2004/019 du 22 Juillet 200 fixant les règles applicables aux régions, du décret N°2008/376 du 12 Novembre 2008 portant organisation administrative du Cameroun et du décret N°2008/377 du 12 Novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives et organisant leurs services.
La décentralisation procède d’une volonté politique qui met le citoyen au premier rang des préoccupations de l’administration. Cette nouvelle mutation politique et institutionnelle constitue l’un des acquis majeurs de la politique de libéralisation et de démocratisation de la vie politique camerounaise du début des années 1990. La décentralisation fait en outre partie des cinq secteurs identifiés par les pouvoirs publics pour la mise en œuvre du programme national de gouvernance dont le but ultime est d’assurer le bien-être des citoyens. Selon les lois et règlements en vigueur, la décentralisation consiste en un transfert par l’État, aux collectivités territoriales décentralisées, de compétences particulières et de moyens appropriés. Elle constitue l’axe fondamental de promotion du développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local. C’est dire en d’autres termes que les populations locales doivent prendre en main leur destin dans la gestion des affaires locales par des autorités élues localement. La mise en œuvre de la décentralisation commence par le transfert effectif des compétences et des ressources pour assurer l’effectivité de la décentralisation. Au sens de la loi, on transfère à la fois les compétences, les ressources et les moyens nécessaires à l’exercice normal de la compétence transférée.
D — La révision constitutionnelle du 14 Avril 2008
La révision constitutionnelle du 14 Avril 2008 matérialisée par la loi N°2008/001 du 14 Avril 2008 a maintenu les grands acquis de la révision constitutionnelle de 1996. En effet, le régime politique issu de la révision constitutionnelle de 1996 pouvait être qualifié de présidentialisme fort notamment l’élection au suffrage universel du chef de l’État, la concentration de tous les pouvoirs entre les mains de l’exécutif et l’irresponsabilité du Président de la République vis-à-vis du Parlement. La nature monocéphale de l’exécutif est toujours en vigueur dans la constitution révisée. On peut d’ailleurs remarquer que les différentes révisions constitutionnelles adoptées au Cameroun consacrent un régime politique caractérisé par une influence toujours plus grande du chef de l’exécutif. Ce texte réaffirme la primauté du Président de la République sur les autres institutions du pays et ce, en dépit d’un formalisme démocratique énoncé dans les textes constitutionnels(17).
La révision constitutionnelle du 14 Avril 2008 confirme le caractère bicéphale de l’exécutif déjà acté en 1996. Cependant, dans la pratique, il en est autrement. La Constitution camerounaise attribue le pouvoir exécutif aussi bien au Président de la République qu’au Premier ministre(18). Toutefois, dans la pratique, le pouvoir exécutif est incontestablement monocéphale, c’es-à-dire que le Président de la République demeure de facto le chef du gouvernement et ce, à plusieurs titres. Premièrement, la Constitution indique que le Président de la République est à la fois chef de l’État et chef du gouvernement, c’est-à-dire qu’il est l’unique chef de l’exécutif puisque c’est lui qui définit la politique de la nation mise en œuvre par le gouvernement(19). Bien plus, il veille au respect de la Constitution(20), nomme le Premier ministre et, sur proposition de celui-ci, les autres membres du gouvernement, fixe leurs attributions, met fin à leurs fonctions et préside le conseil des ministres(21). La nature ambiguë de la Constitution camerounaise provenant de son système politique qui n’est ni parlementaire ni présidentiel accentue cette prééminence du Président de la République aussi bien sur le gouvernement que sur l’ensemble des institutions du pays. En théorie, selon la Constitution, le pouvoir exécutif est exercé conjointement par deux personnes, qui sont le Président de la République et le Premier ministre(22). En comparaison avec des régimes parlementaires, comme l’Italie ou Israël, la logique voudrait que ce soit le Premier ministre qui détermine et conduise la politique de la nation. Seulement, il en est autrement pour le constituant camerounais. En effet, afin de se démarquer de la logique du système parlementaire tel qu’il est appliqué dans les pays cités ou par souci de « camerounisation » selon la
(16) La décentralisation est ancienne au Cameroun parce qu’avant 1996, l’organisation administrative du territoire en districts, en arrondissements, en départements et en provinces accordait des pouvoirs importants aux autorités administratives qui les dirigeaient. De même, les Mairies s’occupaient déjà aussi d’un pan important du développement du pays. (17) Alain Didier Olinga, « Le pouvoir exécutif dans la constitution révisée », Lex Lata, N° 23–24, Février-Mars 1996, p. 29. (18) Le titre II de la constitution du 18 janvier 1996 amendée le 10 avril 2008 intitulé. (19) Article 5(2) et 11 de la constitution du 18 janvier 1996 amendée le 10 avril 2008. (20) Article 5 de la Constitution. (21) Article 10 (1) de la Constitution. (22) Yacouba Moluh, « La nature du régime camerounais issu de la constitution du 18 Janvier 1996 », Revue de Droit Africain, N°. 18, avril 2001. 13
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formule de Yacouba Moluh(23),« le déséquilibre profite ici au Président de la république (24)» dans la mesure où c’est lui qui nomme le Premier ministre ainsi que les ministres sur proposition de ce dernier et surtout, c’est lui qui conçoit la politique de la nation, le gouvernement étant réduit à un simple rôle d’exécutant de ses ordres et décisions. En d’autres termes, « le gouvernement et le Premier ministre ne sont que des démembrements de l’institution présidentielle, chargés de traduire en actes, ses décisions et volontés »(25).
La révision constitutionnelle du 14 Avril 2008 est venue renforcer comme par le passé la prédominance du Président de la République sur l’ensemble des institutions du pays notamment le législatif et le judiciaire. En ce qui concerne le pouvoir législatif, la prépondérance du Président de la République sur le parlement tient au fait que la durée du mandat présidentiel est très longue (sept ans). Un mandat aussi long lui permet d’avoir une maîtrise et une domination sur les parlementaires qui ont un mandat de cinq ans. En effet, le mandat présidentiel ne coïncide pas souvent avec le mandat des parlementaires qui est plus court. Cela a comme conséquence le fait que l’Assemblée nationale et le Sénat, même si l’opposition s’y trouvait majoritaire seraient obligées soit de prendre leurs fonctions lorsque le programme politique du Président de la République est suffisamment avancé au point où il ne sera pas facile de le remettre fondamentalement en question, soit de se renouveler alors que le mandat présidentiel est en cours.
Pour ce qui est des relations du Président de la République avec le judiciaire, l’article 37(3) de la Constitution précise que le Président de la République nomme les magistrats, en consultation avec le Conseil Supérieur de la Magistrature. De même, les membres du Conseil constitutionnel sont aussi nommés par le Président de la République.
L’une des principales nouveautés de la révision constitutionnelle du 14 Avril 2008 concerne la suppression du verrou lié à la limitation du nombre de mandats présidentiels. Cette disposition qui a cristallisé le mécontentement d’une partie de la population(26) précise à l’article 2 nouveau que : « Le Président de la République est élu pour un mandat de sept (7) ans. Il est rééligible. ». De même, la révision constitutionnelle du 14 Avril 2008 consacre aussi l’irresponsabilité politique du Président de la République par rapport aux actions qu’il mène pendant sa présidence. Ainsi, il est précisé à l’article 53 alinéa 3 que: « Les actes accomplis par le Président de la République sont couverts par l’immunité et ne sauraient engager sa responsabilité à l’issue de son mandat ».
Comme le montre le tableau 2.1 ci-dessous, depuis 1960, le Cameroun a connu trois Constitutions révisées treize fois.
(23) Ibid (24) Ibid (25) Alain Didier Olinga, « Le pouvoir exécutif dans la constitution révisée », Lex Lata, N°23–24, Février-Mars 1996, p.33. (26) De nombreux observateurs avertis de la vie politique camerounaise affirment que les révoltes populaires de Février-Mars 2008 appelées « les émeutes de la faim » étaient en partie liées à la contestation de ce projet présidentiel. 14
Tableau 2.1 Les différentes Constitutions du Cameroun et leurs modifications depuis 1960(27)
Date de revision Domaine de la révision Les sujets traités
Adoption par référendum de x Adoption de la première Constitution La Constitution du 4 Mars 1960 la première Constitution le 1er Mars 1960
La révision constitutionnelle du x Institution de la République Fédérale Adoption de la deuxième 1er Septembre 1961 Constitution
La révision constitutionnelle du x Institutionnalisation de la possibilité Article 16 10 Novembre 1969 pour le Président de la République de proroger le mandat des députes
x La Constitution permet au Président Article 39 de la République de nommer les Premiers ministres des États fédérés
x Autorisation accordée au Président Article 2 de la République à soumettre au référendum tout projet de loi ou de réforme, qui, bien que relevant du domaine de la loi, serait susceptible d’avoir des répercussions profondes sur l’avenir du pays et des institutions
Referendum du 20 mai 1972 x Proclamation de l’État Unitaire Constitution du 2 Juin 1972
Revision du 9 Mai 1975 x Création d’un poste de Premier Article 5 (nouveau) ministre
Le 9 Juin 1979 x Le Premier ministre devient un organe Article 5 permanent de l’exécutif. Le pouvoir de l’exécutif est redéfini, succession du Article 7 président
Le 5 Juillet 1983 x Augmentation du nombre des députés Article 12 qui passe de 120 à 150
Le 18 Novembre 1983 x La possibilité pour le Premier ministre Article 7 devenu président d’organiser l’élection présidentielle anticipée
(27) Voir François Mbomé, « Les expériences de la révision constitutionnelle au Cameroun », Penant,1992 et Alain Didier Olinga, « Le pouvoir exécutif dans la Constitution révisée », Lex Lata, N° 23–24, Février-Mars 1996 15
ÉTUDE SUR L’ÉCONOMIE DU CAMEROUN La Politique de Développement dans la Pratique: Enseignements Tirés de l’expérience de Développement de la Corée du Sud
Le 25 Janvier 1984 x La dénomination République Unie Articles 1, 5, 7, 8, 16 et 34 du Cameroun devient République du Cameroun Suppression du poste de Premier ministre
Le 17 mars 1988 x Possibilité pour le président de la Article 7 République de raccourcir son mandat
Le 17 mars 1988 x Le nombre des députés passe à 180 Article 12
Le 23 Avril 1991 x L’exécutif redevient dyarchique et Articles 5, 7, 8, 9, 26, 27, et 34 réforme de la Haute Cour de justice
Le 18 Janvier 1996 x La quasi-totalité de la Constitution est Révision constitutionnelle révisée
Le 14 Avril 2008 x Modification touchant la durée du Article 6 mandat du Président de la République
x La durée du mandat des membres du Article 47 Conseil constitutionnel passe de 9 ans à 6 ans
x Le Président de la République Article 53 bénéficie d’une immunité à vie
Source: Auteur.
2.1.2 Les principales évolutions politiques et institutionnelles en Corée du Sud depuis 1948
Parmi les pays ayant fait l’expérience d’une transition politique en Asie dans les années 1980, la Corée du Sud est d’ordinaire tenue pour un modèle de réussite démocratique et constitutionnelle. La Constitution sud-coréenne qui a été promulguée le 17 Juillet 1948 subsiste depuis cette date et a subi neuf amendements. La dernière révision constitutionnelle date de 1987 et portait principalement sur la réforme du mode de scrutin de l’élection présidentielle (avec le passage d’un vote indirect par la voie d’un collège électoral à un suffrage direct par l’ensemble des citoyens)(28). Elle a aussi été marquée par la réintroduction de la Cour constitutionnelle chargée d’assurer le contrôle de la conformité des lois aux normes constitutionnelles et d’invalider les premières en cas de conflit avec les secondes. Les neuf révisions constitutionnelles en Corée du Sud ont porté sur des amendements liés aux attributions du Comité constitutionnel, de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle qui sont des organes chargés essentiellement de veiller au contrôle ou au respect de la constitutionnalité des lois mais elles ont aussi permis de faire passer ce pays de la Première à la Sixième République. Depuis le 17 Juillet 1948 et l’adoption de la première Constitution, la Corée du Sud a été en proie de manière récurrente à une instabilité institutionnelle chronique : neuf révisions constitutionnelles et six Républiques. « Alternant régimes autoritaires et démocraties prétoriennes, la Corée du Sud a longtemps connu une vie politique tourmentée, au rythme des proscriptions, des scandales financiers et des émeutes étudiantes »(29). Ainsi, sous les six Républiques, les amendements constitutionnels ont eu lieu en 1952, en 1954, en 1960 (deux fois), en 1962, en 1969, en 1972, en 1980 et en 1987.
(28) Guichard, Justine, La fabrique constitutionnelle de l’ennemi. Analyse critique de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Corée depuis 1988, Paris, Presses de Science Po, 2014. (29) Eric Seigelet : « La Constitution sud-coréenne de 1987 et les libertés publiques », Droit prospectif, N° 3, 1994, pp.957-974. 16
2.1.2.1 Les révisions constitutionnelles sous la première république (1948-1960)
La Constitution sud-coréenne qui instaure la Première République le 17 Juillet 1948 a été modifiée pour la première fois en 1952, avant la réélection du Président Syngman Rhee. Cette révision constitutionnelle a été adoptée en prévision des élections présidentielles qui devaient avoir lieu cette année-là. En effet, le 7 Juillet 1952, en pleine guerre de Corée, le Président Syngman Rhee réforme la Constitution pour être élu au suffrage universel direct, et non plus par l’Assemblée Nationale afin d’éviter d’être mis en minorité par son propre parti à l’intérieur duquel sa légitimité et son autorité étaient contestées. Cette révision constitutionnelle a été adoptée malgré de nombreuses irrégularités de procédure et après d’âpres discussions.
Le 29 Novembre 1954, le Président Rhee modifie à nouveau la Constitution sud-coréenne en y introduisant un amendement qui lève la limite du nombre de mandats présidentiels à deux. L’autre innovation de cette révision constitutionnelle est que le pays adopte le modèle capitaliste comme modèle de développement du pays. Pendant la Première République, le premier Comité constitutionnel a été mis en place pour veiller à la constitutionnalité des lois.
2.1.2.2 Les amendements constitutionnels sous la deuxième république (1960-1962)
L’avènement de la Deuxième République a été provoqué par les soulèvements des étudiants de Daegu qui ont conduit à la démission du Président Syngman Rhee, à la révolution du 19 Avril 1960 et à la chute de la Première République. En effet, face aux nombreuses protestations consécutives à des scandales politico-financiers, aux dérives autoritaires du régime du Président Syngman Rhee, la Deuxième République de la Corée du Sud a été inaugurée par la Constitution du 15 Juin 1960.Plus démocratique, elle créait un régime parlementaire, un conseil des ministres, un parlement bicaméral, une commission électorale, ainsi qu’une Cour constitutionnelle(30). Elle a également prévu des élections pour les juges de la Cour suprême et les gouverneurs de provinces, ainsi que la garantie des libertés individuelles basées sur le droit naturel.
Une autre révision constitutionnelle aura lieu six mois plus tard plus précisément le 29 Novembre 1960. Les changements apportés par cette révision constitutionnelle étaient que les auteurs des crimes de corruption perpétrés sous l’ancien régime de Syngman Rhee pouvaient faire l’objet de poursuites judiciaires. À cet effet, un tribunal et un procureur spécialement chargés de juger ces crimes furent institués. De même, il a aussi été créé un Conseil constitutionnel chargé de veiller à la constitutionnalité des lois appliquées dans le pays.
2.1.2.3 Les révisions constitutionnelles sous la troisième république (1962-1972)
La Troisième République sud-coréenne a été provoquée par le coup d’État du 16 Mai 1961conduit par le Général Park Chung-hee. Les deux premiers actes du nouvel homme fort du pays ont été la dissolution de l’Assemblée Nationale démocratiquement élue en 1961 et l’annulation des révisions constitutionnelles de 1960. Ainsi, après un référendum constitutionnel, la Troisième République est instituée par la Constitution du 26 Décembre 1962. Les amendements adoptés par cette révision s’inspirent de la Constitution américaine, afin d’assurer un examen de la constitutionnalité des lois avec la création de la Cour suprême.
Une autre révision constitutionnelle intervient le 21 Octobre 1969. Celle-ci autorise le Président Park Chung-hee à se présenter pour un troisième mandat. Ainsi, le verrou de la limitation des mandats sera finalement supprimé permettant au Président Park Chung-hee de gouverner jusqu’à son assassinat le 26 Octobre 1979(31).
(30) Guichard, Justine, La fabrique constitutionnelle de l’ennemi. Analyse critique de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Corée depuis 1988, Paris, Presses de Science Po, 2014. (31) Ibid 17
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2.1.2.4 La révision constitutionnelle sous la quatrième république (1972-1980)
L’avènement de la Quatrième République sud-coréenne est précédé par la proclamation de l’État d’urgence, la suspension et la suppression de la Constitution de la Troisième République en Octobre 1972. Ainsi, le-27 Décembre 1972, Park Chung-hee renforce son autorité en promulguant la Constitution de la Quatrième République, appelée Constitution Yusin. Cette révision constitutionnelle supprime la limitation du nombre de mandats présidentiels et consacre la centralisation du pouvoir qui est désormais exercé par le Président qui contrôle désormais toutes les institutions. Cet amendement constitutionnel réinstaure le Comité constitutionnel qui avait déjà été mis en place sous la Première République(32).
Il est important de rappeler que c’est la dictature du Général Park Chung-hee qui met en place les bases du développement économique fulgurant de la Corée du Sud, l’un des plus rapides de l’histoire économique moderne. Cet essor économique a été favorisé par les importants investissements japonais consécutifs au traité nippo-coréen du 22 Juin 1965(33). Le régime du Général Park instaure surtout une discipline de fer dans l’organisation du travail. En effet, sous son règne, les ouvriers sont temporairement obligés de travailler gratuitement et sont astreints à de semaines de travail. De même, ils ne peuvent s’organiser en syndicats qui sont interdits.
2.1.2.5 La révision constitutionnelle sous la cinquième république (1980-1988)
Après l’assassinat du Général Park en 1979 lors du coup d’État conduit par le Général Chun Doo-hwan, la Cinquième République de Corée du Sud est instituée par la Constitution du 27 Octobre 1980. Ainsi, par cet amendement constitutionnel, les pouvoirs du Président élu au suffrage indirect, diminuent, le parlement est monocaméral et un Conseil des ministres est institué.
2.1.2.6 La révision constitutionnelle sous la sixième république (depuis 1988)
À la suite des manifestations en faveur de la démocratie qui ont agité le pays en 1987, la Constitution de 1988 a créé la Sixième République. En effet, la loi de révision constitutionnelle a été adoptée par l’Assemblée nationale le 12 Octobre 1987, puis approuvée par référendum le 28 octobre, avant d’entrer en vigueur le 25 février 1988, concomitamment avec la prise de fonctions du Président RohTae-woo. La principale innovation de cette révision constitutionnelle est le retour de la Cour constitutionnelle qui avait déjà mise en place sous la Deuxième République (voir tableau 2.2). En effet, cet amendement constitutionnel est le résultat d’un processus négocié par les élites politiques qui s’est soldé par la révision, et non le remplacement, de la Constitution adoptée en 1948. La transition démocratique sud-coréenne de 1987 qui a abouti au changement politique et à la réforme constitutionnelle est donc le fruit d’un compromis entre les forces du pouvoir et celles de l’opposition(34).
Selon la Constitution sud-coréenne, le Président de la République de Corée du Sud est élu au scrutin universel direct pour un mandat de cinq ans, non renouvelable. Premier représentant de la République, chef de l’exécutif et Chef des armées, le Président de la République dispose en outre d’un pouvoir exécutif considérable ; il nomme le Premier ministre après approbation du Parlement. Il nomme également les ministres et préside le Conseil d’État.
Le parlement sud-coréen qui est monocaméral est appelé Assemblée nationale ou Gukhoe. Il est composé de 299 députés élus pour un mandat de quatre ans dont 253 d’entre eux dans le cadre de circonscriptions électorales, tandis que les 46 membres restants sont issus d’un système de représentation proportionnelle. Outre les pouvoirs législatifs et de contrôle de l’action de l’exécutif et des finances de l’État, l’Assemblée nationale peut révoquer certaines personnalités coupables d’infraction à la Constitution(35).
L’instance judiciaire la plus élevée est la Cour suprême dont les 14 juges sont nommés par le Président de la République sur proposition du premier juge avec l’accord de l ‘Assemblée nationale. Les compétences des organes du pouvoir judiciaire, que sont la Cour suprême, la Cour constitutionnelle et les juridictions de rang inférieur sont définies par le Président de la
(32) James M. West et Yoon Dae-Kyu : « The Constitutional Court of the Republic of Korea »,The American Journal of Comparative Law, N° 1, 1997. (33) Tae Wan-son, The Economic Development of Korea: Past, Present and Future, Séoul, Samhwa Publishing, 1973. (34) Guichard, Justine, La fabrique constitutionnelle de l’ennemi. Analyse critique de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Corée depuis 1988, Paris, Presses de Science Po, 2014. (35) Article 65 de la constitution de 1987 18
République après approbation de l’Assemblée nationale.
La Cour constitutionnelle qui a été rétablie en Septembre 1988, juge de la constitutionnalité des lois, arbitre les conflits de compétence entre les autorités gouvernementales, instruit les plaintes pour atteinte à la Constitution déposées par les citoyens, décide en cas de procédure d’impeachment et prononce la dissolution des partis politiques(36). Les dispositions antérieures de la Constitution prévoyaient différents modes de contrôle de la constitutionnalité des lois, mais le pouvoir judiciaire ne disposait pas de l’indépendance nécessaire à l’exercice de ces compétences. Le retour de la Cour constitutionnelle est une avancée sur la voie de la consolidation de l’État de droit en Corée du Sud. Cette institution vise à assurer la sauvegarde du pouvoir judiciaire. Surtout, elle est garante de la légalité des procédures tant judiciaires que parlementaires. Les neuf juges de la Cour constitutionnelle exercent leurs fonctions pendant un mandat de six ans, renouvelable.
Tableau 2.2 La Constitution sud-coréenne et ses différentes modifications
Organe chargé du contrôle de Révision constitutionnelle Événement politique constitutionnalité
17 Juillet 1948 Première République, Président Syngman Rhee
7 Juillet 1952 Le mode d’élection à la présidentielle devient direct Comité constitutionnel
29 Novembre 1954 La limite de deux mandats présidentiels est levée
15 Juin 1960 Révolution du 19 Avril 1960 ; Deuxième République, Premier Ministre Chang Myon
29 Novembre 1960 Les crimes de corruption perpétrés sous Cour constitutionnelle l’ancien régime peuvent faire l’objet de poursuites ex post facto ; un tribunal et un procureur spécialement en charge de ces crimes sont créés
26 Décembre 1962 Coup d’Etat de 1961 ; Troisième République, Général Park Chung-hee
Cour suprême
21 Octobre 1969 Le président est autorisé à se présenter pour un troisième mandat
(36) James M. West et Yoon Dae-Kyu : « The Constitional Court of the Republic of Korea »,The American Journal of Comparative Law, N° 1, 1997. 19
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27 Décembre 1972 Constitution Yusin; Quatrième République, Comité constitutionnel Général Park Chung-hee
27 Octobre 1980 Coup d’Etat de 1979 ; Cinquième Comité constitutionnel République, Général Chun Doo-hwan
29 Octobre 1987 Mouvement démocratique de juin, Cour constitutionnelle Sixième République, Présidents RohTae- woo (1988-1993), Kim Young-sam (1993-1998), Kim Dae-jung (1998-2003), RohMoo-hyun (2003-2008), Lee Myun- bak (2008-2013), Park Geun-hye (2013- 2017)
Source: L’auteur.
Comme le montre le tableau 2.2 ci-dessous, la Constitution sud-coréenne en vigueur depuis 1948 a été révisée à neuf reprises.
2.2 L’importance des institutions dans la définition des stratégies de développement économique du Cameroun et de la Corée du Sud
2.2.1 L’importance des institutions dans la définition des stratégies de développement économique du Cameroun depuis 1960
L’État, en tant que société politique fonctionne et évolue au moyen des institutions qui rythment et déterminent sa trajectoire politique, économique, humaine et sociale (Tricot et al., 1995). S’il est un défi permanent pour les États, c’est bien celui du développement. Tous les pays du monde luttent soit pour réaliser le développement, soit pour maintenir et consolider les acquis en la matière. La problématique du développement est donc au cœur de l’action de l’État appelé à organiser l’espace public et la gestion des ressources disponibles et limitées, de façon à ce que les besoins illimités des individus, des ménages, bref des agents économiques soient satisfaits au mieux (Gadji, 2014). En effet, il est nécessaire de souligner que la qualité des institutions en termes de management, de ressources humaines et de stratégie, peut arriver à transformer celles-ci, soit en facteur de développement, soit alors en faiblesses dans la lutte pour le développement. Ainsi, l’importance des institutions dans le processus de développement d’un pays n’est plus à démontrer. À cet effet, il convient, à l’heure des réformes de l’État et de la multiplication des stratégies et des politiques de développement, que l’on puisse disposer d’une note synthétique et synoptique sur l’influence des institutions sur le processus de développement (Owona Nguini, 2012).
Au Cameroun, deux types d’institutions contribuent à l’élaboration des politiques de développement. Il s’agit des institutions politiques et des institutions économiques. 20
2.2.1.1 Les institutions politiques situées au niveau stratégique
Les institutions politiques interviennent essentiellement au niveau stratégique. Il s’agit principalement du parlement et du Président de la République.
A — Le Président de la République
Depuis l’indépendance, le Président de la République est la figure prédominante du système politique et institutionnel du Cameroun. De la première Constitution du 4 Mars 1960 à celle du 02 juin 1972 qui reste en vigueur malgré les différentes révisions, le Chef de l’État se présente comme la clé de voûte du système institutionnel et politique du Cameroun. Sa fonction d’impulsion, qui renvoie à la mise en mouvement de la vie politique dans son ensemble n’a jamais été remise en cause au fil des différents textes constitutionnels. Malgré le bicéphalisme qui s’est souvent observé au niveau de l’exécutif, notamment dans la loi Constitutionnelle du 1er septembre 1961, qui consacrait la fonction de Vice-président, ou depuis celle du 18 Janvier 1996, le Chef de l’État a conservé une stature hiérarchique incontestable. Cela est visible à travers son pouvoir de nomination qui fait des membres du gouvernement, de simples auxiliaires du Président de la République. Il nomme aux emplois civils et militaires et détermine la politique de la nation. Le constituant a posé pour principe que c’est le Président de la République qui définit la politique de la nation(37). Ainsi, le Président est entouré d’un certain nombre d’experts et techniciens que sont les Chargés de mission, les Conseillers techniques et les Conseillers spéciaux.
Le Secrétariat Général de la Présidence de la République fait à cet effet office de laboratoire institutionnel des politiques que le Chef de l’État souhaite mettre en œuvre, et des axes prioritaires sur lesquels le gouvernement doit s’engager afin de permettre au Chef de l’État d’accomplir ses missions fondamentales ; étant entendu que certains organes doivent prendre le relai pour les décisions et la coordination des politiques. Le Secrétariat Général confirme de par ses missions et ses pouvoirs, la prééminence des services de la Présidence de la République sur ceux des Ministres. L’article 2 du Décret du 08 Juin 1972 disposait déjà que le Secrétariat Général est chargé « d’instruire toutes les affaires administratives et juridiques soumises à la sanction du Président de la République, et de suivre l’exécution des décisions prises par lui ». Placé sous l’autorité d’un Secrétaire général, ce dernier fait pratiquement office de Premier ministre, notamment par le fait qu’il est chargé de présider les réunions des comités techniques interministériels ; de mettre en forme et de publier au Journal officiel, les textes législatifs et règlementaires, et même de préparer les réunions ministérielles. De nombreuses autorités sont rattachées aux services du Secrétariat Général, à l’instar du Secrétariat permanent au Conseil national de sécurité, de la Délégation Générale à la Sûreté Nationale…
B — Le Parlement
Depuis la réforme constitutionnelle du 18 Janvier 1996, le parlement camerounais est bicaméral avec l’Assemblée nationale et le Sénat(38). Les attributions essentielles du parlement ainsi constitué renvoient au vote des lois et au contrôle de l’action du gouvernement(39). Le vote des lois se fait selon le calendrier des sessions parlementaires et suivant une procédure particulière. Le contrôle s’effectue au moyen des questions orales et écrites au gouvernement, ainsi que par les motions de censure(40). Cependant, on ne peut occulter leurs fonctions de représentation qui ont trait au national pour l’Assemblée nationale et au local pour ce qui est du Sénat(41).
L’impact du travail parlementaire est décisif dans la lutte pour le développement. C’est en effet le parlement qui vote le budget de l’État chaque année après avoir réceptionné et questionné le programme économique, social et culturel du gouvernement que présente le Premier Ministre au début de chaque session consacrée à l’examen et à l’adoption de la loi des finances. C’est donc le parlement qui valide le programme économique et financier de l’État et contrôle sa mise en œuvre au moyen de la technique des questions orales et écrites aux membres du gouvernement. Les deux chambres du
(37) Il est vrai que cette disposition constitutionnelle de l’article 5 (2) n’a pas toujours existé ainsi. Ce sont les évènements du putsch manqué en 1984, qui ont conduit le président Paul Biya a modifié cette disposition, qui à l’origine prévoyait que c’est le président du parti au pouvoir à l’époque l’UNC qui définissait la politique de la nation. La persistance d’une telle disposition le plaçait dans une situation politique et institutionnelle inconfortable vis à vis du président du parti à côté de qui il ne faisait plus que figure d’inaugurateur de chrysanthèmes. Lire à ce sujet Henri Bandolo, La flamme et la fumée, Yaoundé, Editions SOPECAM, 1985. (38) Voir Article 14 alinéa 1 de la Constitution camerounaise : « Le pouvoir législatif est exercé par le Parlement qui comprend deux chambres : l’Assemblée Nationale et le Sénat ». (39) Article 14 alinéa de la Constitution (40) Article 34 de la Constitution (41) L’article 20 de la Constitution stipule que : « (1) Le Sénat représente les collectivités territoriales décentralisées. (2) Chaque région est représentée au Sénat par dix sénateurs… ». 21
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parlement ont d’ailleurs aussi la possibilité d’effectuer des enquêtes parlementaires. L’impôt qui est un outil décisif dans la formulation et l’exécution de la politique économique, est également de la compétence du parlement en vertu de l’article 26 de la constitution.
Au-delà de ses missions de législation et de contrôle, le parlement camerounais couvre aussi tous les aspects de la vie publique, institutionnelle et sociale du pays de telle sorte que la loi peut saisir et encadrer tous les actes, les conduites de la vie publique au sein de l’État. Les différentes fonctions de représentation des deux chambres peuvent aussi constituer des opportunités en vue du développement de l’État camerounais. En effet, si l’Assemblée Nationale représente la nation, comme corps social de façon égalitaire, le Sénat est le lieu de la représentation des collectivités territoriales décentralisées. Or, l’on sait depuis les lois sur la décentralisation de 2004, que les collectivités territoriales décentralisées au Cameroun sont des structures qui sont appelées à mener des actions de développement intégral des localités.
L’on attend donc beaucoup des collectivités territoriales décentralisées pour la formulation des stratégies de développement endogène, et pour la défense des intérêts des régions et des communes lors des débats parlementaires. Il faut relever pour s’en féliciter que le parlement camerounais arrive à accomplir ses missions fondamentales même si des efforts restent encore à faire, notamment en termes de développement de cabinets parlementaires pour accroître la masse critique nécessaire au travail de législation et de contrôle qui exige souvent une expertise avérée dans de nombreux domaines.
2.2.1.2 Les principaux organes de prise décision, de planification et de coordination des politiques
A — Le Premier Ministre
Le système institutionnel camerounais est constitué de plusieurs paliers dans une sorte d’organisation scientifique du travail. En effet, il y a une spécialisation des fonctions que l’on peut déceler à travers la structuration de l’appareil gouvernemental dans ses dimensions de prise de décision de planification et de coordination. En termes de prise de décision etde planification, l’on a de façon hiérarchique : le Président de la République qu’assiste le Secrétariat Général à la Présidence et le Premier ministre qui est l’une des figures de l’exécutif camerounais.
Le Premier ministre est doté constitutionnellement de pouvoirs de décision dans les domaines précis ayant trait à l’économie, au social et au culturel. L’article 12 de la Constitution camerounaise donne un pouvoir réglementaire au Premier ministre. En tant que chef du gouvernement chargé de mettre en œuvre la politique de la nation, il est logique de confier au Premier ministre, un travail de coordination du travail gouvernemental dans le sens de la mise en œuvre des politiques publiques(42). Cela se traduit par l’institution et la pratique du visa administratif qui est tout à la fois un contrôle a priori et d’opportunité. Pour ce travail de coordination en vue de la cohérence de l’action gouvernementale, le Premier ministre est assisté d’un Secrétariat Général qui est en réalité une structure de technocrates et d’experts de tous ordres.
B — Le MINEPAT (Ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire) et le Ministère des Finances
En ce qui concerne la planification du développement du pays, il y a au sein du gouvernement, deux départements ministériels particuliers qui œuvrent de façon spéciale dans ce domaine. Il s’agit :
x du Ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MINEPAT), un Ministère très important dans la conception des projets de développement du Cameroun et la réalisation des études de planification et de programmation techniques nécessaires ;
x du Ministère des Finances. Généralement perçu comme un super Ministère, ce département ministériel s’intéresse également à la planification, en termes d’allocation de moyens et de ressources nécessaires au financement de l’économie nationale. C’est la raison pour laquelle, un pan important de son activité est destiné à l’investissement et au budget qui doit l’alimenter. Cependant, ce travail de planification au niveau central de l’État se nourrit des demandes souvent formulées à l’échelle locale.
(42) Voir article 11 alinéa 1 de la Constitution camerounaise : « Le Gouvernement est chargé de la mise en œuvre de la politique de la Nation telle que définie par le Président de la République » ; Article 12 alinéa 1 de la Constitution : « Le Premier Ministre est le Chef du Gouvernement et dirige l’action de celui-ci ». 22
2.2.1.3 Les interactions entre l’administration centrale et les collectivités territoriales décentralisées dans la mise en œuvre des politiques de développement
Selon l’alinéa 2 de l’article premier de la Constitution camerounaise, « La République du Cameroun est un État unitaire décentralisé ». En effet, la décentralisation est la technique de gestion de l’État du Cameroun qui permet que se formulent et se réalisent la coaction et la coopération en matière de développement entre l’administration centrale et les collectivités territoriales décentralisées à l’échelle locale. La décentralisation suppose trois critères constants que sont: l’autonomie des collectivités, l’existence d’affaires propres et la désignation des autorités décentralisées par l’élection (Verpeaux, 1993).
Les interactions entre l’administration centrale et les collectivités territoriales décentralisées ont d’abord un fondement constitutionnel et légal, à savoir l’unité juridique du territoire camerounais. Une Commune ou une région ne peut donc prendre des actes qui menacent l’intégrité territoriale, violent la Constitution ou les lois de la République. Cela constituerait d’ailleurs des motifs permettant au Président de la République de démettre soit le Conseil municipal, soit le Conseil régional. Sur la base de ce principe, les collectivités territoriales décentralisées disposent de l’autonomie administrative et financière nécessaire pour gérer les affaires locales que le législateur leur a reconnues depuis les lois d’orientation de la décentralisation de 2004. Le transfert des compétences s’effectue de façon inexorable avec déjà une allocation de moyens financiers propres tirés soit de la fiscalité locale, soit de la coopération décentralisée. L’utilisation des ressources se fait d’ailleurs suivant l’orthodoxie budgétaire de l’État, d’où la présence des agents du Ministère des finances dans les services de ces collectivités. On voit en outre comment la conurbation se gère avec succès entre des métropoles et des villes attenantes notamment entre Yaoundé et les villes de Mfou, Soa et Okola ; entre Douala, Limbe et Dibombari. Un organe comme le Fonds Spécial d’Équipement et d’Intervention Intercommunal (FEICOM), assure l’harmonisation et la redistribution solidaire des moyens financiers entre les différentes Communes du pays. Tout le travail de développement local, qui est encadré par la technique de la tutelle administrative, assure et consolide le principe de l’unité nationale. C’est donc logiquement qu’il a été créé au sein du Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation (MINATD), une Direction des collectivités territoriales décentralisées. Il revient donc à ces dernières de formuler des plans de développement économique, social et culturel adaptés à leur contexte et de les mettre en œuvre avec les ressources propres ou allouées, en se conformant aux exigences de l’unité de l’État, qui est comptable de leurs actions.
Ainsi, la tutelle administrative est une technique qui permet de construire et de consolider l’interaction entre l’administration centrale et les collectivités territoriales décentralisées. En effet, la tutelle de l’État sur les collectivités territoriales décentralisées s’exerce à la fois sur les actes et sur les personnes de façon à ce que l’action générale de l’État demeure cohérente, articulée et solide. Les Secrétaires généraux des Mairies constituent ainsi des figures du Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, chargées de répercuter auprès des Communes, les objectifs et les visions stratégiques du gouvernement de la République. Un Conseil municipal qui prend des actes contraires à la loi ou à la Constitution peut ainsi voir ses actes annulés ou son équipe dissoute en cas d’atteinte à l’intégrité territoriale ou à la Constitution. En retour, les collectivités territoriales décentralisées sont appelées à prendre le relais de l’État pour ses nombreuses missions afin que la décentralisation permette effectivement qu’il y ait un développement intégral au niveau local. La matrice des lois sur la décentralisation de 2004 confère ainsi aux Régions et aux Communes, des missions en termes de construction d’écoles, de centres de santé, de promotion des langues et cultures locales ; de sport et de protection de l’environnement. C’est donc aux Mairies de mettre sur pied des bibliothèques municipales, de construire des espaces verts et de créer des centres de loisirs et d’épanouissement de la jeunesse. 23
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2.2.1.4 Le rôle des institutions qui exercent l’obligation de rendre compte dans le développement économique du pays
L’obligation de rendre compte incombe à toute personne qui gère la chose publique. Le constituant camerounais a sur ce point été innovant depuis 1996 : « Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement et assimilés, …tout gestionnaire de crédits et des biens publics, doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leurs mandats ou de leurs fonctions(43) ». La responsabilité est donc le fait de répondre de ses actes et aussi parfois de ses omissions.
La responsabilité étatique est aussi possible. Il faut d’ailleurs remarquer que c’est la personnalité juridique dont est doté l’État qui rend celui-ci responsable. C’est un principe inhérent à l’État de droit et à ce qu’on peut qualifier de gouvernance responsable. L’État de droit signifie en effet que tous les actes au sein de l’État sont soumis au droit (Mockle, 2007).
La gouvernance quant à elle, est une exigence constante dans la conception de l’État moderne aujourd’hui. Elle suppose que les gouvernants soumis à l’autorité, le soient aussi à la règle de droit autant que les gouvernés. La gouvernance est également perçue comme un mode de gestion des affaires publiques de façon efficace et efficiente (PNUD, 2002). C’est pour cette raison qu’une reddition des comptes est à envisager pour ceux qui ont en charge des biens publics de l’État. La gouvernance responsable appelle donc à l’éthique et à la délicatesse des agents publics. Cependant, il faut que les institutions traduisent de façon objective cette obligation de rendre compte.
Les institutions de contrôle de l’État Le contrôle de l’État qui se manifeste par une obligation de responsabilité est à la fois constitutionnel et extra constitutionnel.
i. L’obligation de responsabilité de l’État devant les institutions constitutionnelles
L’action de l’État est contrôlée par le parlement. Le parlement le fait par des questions orales et écrites, la question de confiance qui peut aboutir à une motion de censure, ou les commissions d’enquête parlementaire(44). Par ailleurs, l’action du Président de la République quant à la mise en œuvre de la Constitution est contrôlée par le Conseil constitutionnel et sa responsabilité engagée devant la Haute Cour de justice qui a des mécanismes extra constitutionnels de contrôle de l’État. Il faut noter que la mise en cause de la responsabilité du Président de la République devant la Haute Cour de justice pour haute trahison, est une éventualité qui est très difficile à mettre en œuvre. Les tribunaux administratifs peuvent aussi condamner l’État.
ii. L’obligation de responsabilité de l’État en dehors des institutions constitutionnelles
Ici, il s’agit des institutions moins puissantes que les institutions constitutionnelles. Cependant, ces institutions jouent un rôle important dans la mise en œuvre de l’obligation de responsabilité de l’État. On peut, entre autres citer la Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC), l’Agence Nationale d’Investigation Financière (ANIF) et le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière (CDBF) du Ministère délégué à la Présidence de la République chargé du Contrôle Supérieur de l’État (CONSUPE). Cette obligation de rendre compte, si elle est effective, peut avoir un impact certain sur le développement de l’État. Il convient d’ailleurs de relever que le CONSUPE peut déclencher une procédure d’enquête sur simple dénonciation, en dehors du cadre classique.
La CONAC, l’ANIF ou le CDBF, sont toutes des structures qui témoignent de l’obligation de délicatesse qui pèse sur les agents publics de l’État. Leur action est importante lorsqu’on sait que la corruption et le blanchiment d’argent sont des fléaux graves qui nuisent à la sérénité du climat des affaires, tout en faisant perdre à l’État d’importantes ressources au profit des criminels économiques et financiers. On peut donc affirmer que ces institutions sont des instruments pratiques de la lutte pour la bonne gouvernance, la gouvernance responsable et l’État de droit.
(43) Article 66 de la Constitution (44) Voir alinéas 2 et 3 de l’article 34 de la Constitution camerounaise 24
2.2.1.5 L’influence de l’obligation de responsabilité de l’État sur le développement économique
L’obligation pour l’État de répondre de ses actes de gestion peut avoir une influence sur son développement. L’obligation de responsabilité est un rempart contre la prévarication des fonds publics. Ceci peut donc favoriser l’élargissement de l’assiette de l’investissement public.
Les institutions constitutionnelles sont celles prévues par les trois pouvoirs retenus par la charte fondamentale de l’État. Celles dites gouvernementales sont créées par le pouvoir exécutif. L’État étant en quête perpétuelle du bien-être de ses citoyens, la réforme institutionnelle peut à tout moment intervenir dans ce sens. Ces dernières années, plusieurs réformes ont été menées pour rendre les institutions de l’État plus efficaces. Était-ce de la cosmétique ou pour un réel besoin de développement ?
2.2.1.6 L’incidence de la réforme institutionnelle sur le développement économique du Cameroun
Comme relevé précédemment, l’État est à la quête permanente du bien-être de ses citoyens. Pour atteindre cet objectif, l’État choisit très souvent de procéder à des réformes institutionnelles dans le but d’améliorer son efficacité. La réforme institutionnelle peut donc être perçue comme une quête d’efficacité. En effet, l’action de l’État doit être adaptée au temps et même à l’espace. Dans ce cas, l’État pour s’adapter au temps et se développer en fonction du temps, doit réformer sa technostructure. La réforme peut ainsi rectifier les lenteurs administratives et les lourdeurs institutionnelles. Sans pour autant tout réduire au quantitatif, il est intéressant de relever que de plus en plus, l’on cherche à adapter l’administration de l’État au rythme de l’économie moderne. L’efficacité et même l’efficience sont devenues des leitmotivs dutravail administratif.
On peut ainsi lier l’évolution dans un sens comme dans l’autre de l’économie camerounaise à l’incidence de la réforme institutionnelle. L’Institut National de la Statistique met ainsi continuellement à jour, les données de la productivité de nos administrations. De plus en plus, le système de gestion et de fonctionnement de l’administration est guidé par la quête de la performance. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre le fait que l’on parle de plus en plus au Cameroun, de la gestion axée sur les résultats. Ce mode de gestion de l’administration en tant qu’institution, s’est d’ailleurs enrichi d’un nouveau type de cadrage budgétaire stratégique appelé le budget programme.
On peut également envisager la réforme institutionnelle comme un atout pour le développement. Cela s’est traduit au Cameroun à travers la réforme des institutions judiciaires et gouvernementales qui a rendu possible la restitution d’une partie des fonds détournés. En effet, l’opération d’assainissement des mœurs publiques dénommée « Opération Épervier », a rapporté dans les caisses de l’État près d’une dizaine de milliards de francs CFA. Des résultats récents montrent également que la CONAC a permis au trésor public de récupérer 50 milliards de francs CFA dans le cadre de ses investigations au cours de l’année 2013(45). Cette politique de lutte contre la corruption a permis d’engranger des ressources supplémentaires pour relancer les investissements pour le développement global de l’État.
2.2.1.7 Les institutions qui coordonnent les activités des différents secteurs de l’économie camerounaise
Généralement, les activités économiques sont regroupées à l’intérieur de trois secteurs qui sont le secteur primaire, le secteur secondaire et le secteur tertiaire. Le Cameroun dispose d’institutions qui œuvrent dans ces secteurs pour en faire des piliers pour la croissance et le développement économique. Ainsi, dans le secteur primaire qui comprend l’extraction des matières premières et des mines liquides ou solides, la pêche, l’élevage et l’agriculture, l’on a des institutions stratégiques et des institutions opérationnelles.
Au niveau stratégique, on peut citer le Ministère des Mines de l’Industrie et du Développement Technologique (MINMIDT), le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural (MINADER), le Ministère de l’Élevage, des Pêches et des Industries Animales (MINEPIA). Tous ces départements ministériels conduisent à un niveau stratégique, les politiques publiques du gouvernement concernant leurs domaines d’activité. Ils conduisent les projets économiques qui concernent leurs champs d’opération sous la coordination des services du Premier ministre qui harmonisent le travail gouvernemental. Le niveau opérationnel du secteur primaire renvoie aux entreprises publiques et parapubliques œuvrant dans leur domaine
(45) Cf Cameroon Tribune du jeudi 26 Novembre 2015. 25
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de compétence privilégié. De nombreux projets ciblés sont également formulés et mis en route avec des partenaires privés nationaux et multinationaux, qui agissent soit comme prestataires, soit comme partenaires et bailleurs de fonds. Les difficultés dans ce secteur d’activité sont liées aux contraintes externes du coût des matières premières sur le marché mondial. Or, l’instabilité chronique qui caractérise ce marché sensible que de nombreux facteurs politiques perturbent régulièrement, peut inhiber des efforts d’expertise et de lobbying ayant mobilisé d’importantes ressources de l’État, à l’instar du projet d’exploitation du fer de Mbalam.
Le secteur secondaire qui concerne les industries de transformation est également soumis à un contrôle institutionnel en matière de norme et de qualité des produits fabriqués conformément aux normes ISO internationales. Les opérateurs de ce secteur plaident régulièrement pour une amélioration du climat des affaires, à travers l’assainissement des mœurs des agents publics placés dans les institutions ayant la charge de les contrôler. Cependant, de nombreux problèmes de gouvernance interne et certains aléas liés à la conjoncture internationale, constituent des freins au développement de ces secteurs. Ce fut le cas des entreprises du secteur bois au Cameroun entre 2006 et 2008.
Le secteur tertiaire qui est lié aux services est supervisé par des Ministères comme le Ministère du Commerce (MINCOMMERCE), le Ministère du Tourisme et des Loisirs (MINTOUL), le Ministère des Transports (MINT). Ce secteur est dominé par les opérateurs privés en raison de son potentiel en termes de création des biens et des richesses.
2.2.1.8 La réforme du secteur de la commande publique
La réforme du secteur de la commande publique est l’une des grandes réformes de ces dix dernières années en matière d’action gouvernementale au Cameroun. La commande publique est un terme générique relatif à l’ensemble des contrats passés par les personnes publiques en vue de la satisfaction des besoins de leurs administrations. Ces contrats sont très souvent soumis aux codes des marchés publics. La notion de commande publique est davantage une notion générique qui englobe toutes les demandes effectuées par l’Administration au sens organique, pour la fourniture des biens, des prestations des services ; les réalisations d’ouvrages ; les facilités financières, en contrepartie d’une rémunération. Ainsi, la commande publique concerne les demandes qu’effectuent les différents départements ministériels ou d’autres services de l’État dans le cadre de leurs missions en matière de mise en œuvre des politiques publiques dans les différents secteurs concernés. Le rapport entre la gouvernance et la commande publique est devenu incontournable en matière de réflexion sur la gestion et la réforme de l’État. Il permet de comprendre comment les règles de gouvernance sont prises en compte dans le processus de réalisation de la commande publique. Il permet aussi de voir la manière dont les Ministères et les autres structures publiques intègrent la notion de gouvernance lorsqu’il faut faire une demande de prestation, de fourniture ou de réalisation des travaux.
Plusieurs institutions interviennent dans la procédure de passation des marchés publics au Cameroun. Il s’agit du Ministère des Marchés Publics (MINMAP), de l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP), des commissions de passation des marchés publics des différents départements ministériels et des entreprises publiques et parapubliques.
Ainsi, le marché public ou la commande publique a fait l’objet d’une définition à travers des actes réglementaires notamment le décret N°2004/275 du 24 Septembre 2004 portant code des marchés publics, ainsi que le décret N°2012/074 du 08 Mars 2012 portant création, organisation et fonctionnement des commissions de passation des marchés publics. Le décret de 2012 reprend dans son article 2, la définition proposée dans l’article 5 alinéa 1 du décret de 2004. En effet, selon ces deux décrets, « le marché public est un contrat écrit, passé conformément aux dispositions réglementaires, par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de services s’engage envers l’État, une collectivité territoriale décentralisée, un établissement public ou parapublic ou une entreprise du secteur public ou parapublic, soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des services, dans un délai déterminé, moyennant un prix ».
Les marchés publics au Cameroun sont de plusieurs ordres notamment : les marchés de travaux routiers ; les marchés de travaux de bâtiments et d’équipements collectifs ; les marchés de travaux d’hydraulique, d’électrification et de télécommunications ; les marchés de services et de prestations intellectuelles ; les marchés d’approvisionnements généraux (Cf. décret N°2012/074 du 08 Mars 2012. Art 5 à 12). 26
2.2.1.9 La réforme des trois pouvoirs de l’État
Ici, nous passons en revue les dernières réformes intervenues dans l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
A — La réforme de l’exécutif
Ces dernières années, l’exécutif s’est davantage réformé au niveau de ses démembrements qui sont les départements ministériels. Outre la création de ministères nouveaux traduisant la volonté politique de mettre en exergue l’importance de l’initiative privée dans la croissance et le développement, l’on note également des réformes de l’action gouvernementale. Ces réformes ont fait l’objet de deux principaux documents cadres qui guident la politique du gouvernement en vue du développement, de la croissance et de l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035. Il s’agit du Document de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté (DRSP) et du Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE). Si la première cité a eu le défaut d’un manque d’ambition économique, puisqu’il ne visait que la réduction de la pauvreté, le second pour sa part, se donne pour objectif stratégique d’impulser un nouveau mouvement dans la quête de la croissance et du développement global.
La création de nouveaux départements ministériels renvoie aussi à une nouvelle option managériale de l’État. Avec le Ministère des Petites et Moyennes Entreprises de l’Économie Sociale et de l’Artisanat (MINPMESA), le gouvernement veut valoriser l’action des PME. De façon constante, l’on s’accorde à démontrer que les PME constituent le principal moteur de la croissance et du développement (Ngoa Tabi et Nyonsaba-Sebigunda, 2013). Cela est dû à leur capacité à créer plus facilement les emplois, à créer des biens et des richesses et à réduire la pauvreté au sein des ménages. Leur principale faiblesse demeure l’accès au financement (lire à cet effet, l’étude de NgoaTabi et Nyonsaba-Sebigunda, 2013), étant entendu que les défis macroéconomiques et leur capacité structurelle interne ne leur permettent pas de bénéficier de la confiance des bailleurs de fonds classiques que sont les banques. Heureusement, en 2015, le gouvernement a mis sur pied une banque des PME pour trouver des solutions aux problèmes de financement de ces unités de production.
B — La réforme du législatif
La révision constitutionnelle de 1996 a instauré le bicaméralisme. En raison du principe de progressivité introduit par le constituant, ce n’est qu’en 2013 que le Sénat a été mis en place comme Chambre parlementaire à la faveur de la loi N° 2013/006 du 10 janvier 2013 portant règlement intérieur du Senat. Les premières élections sénatoriales ont quant à elles eu lieu en 2014. Les Conseils régionaux n’étant pas encore mis en place au moment où ces élections se tenaient, ce sont conseillers municipaux des différentes Mairies du pays qui ont élu les premiers sénateurs camerounais. En tant que chambre des représentants locaux, le Sénat est un lieu de protection des droits des groupes particuliers ou des minorités. En effet, le Président de l’exécutif régional aura le pouvoir de saisir le Conseil constitutionnel chaque fois que les intérêts de la région seront en cause. Cette faculté de protéger les intérêts de la région permet d’espérer que les intérêts sociaux, économiques, culturels et politiques des collectivités seront mieux protégés.
C — La réforme du judiciaire
Consacré comme pouvoir par la révision constitutionnelle du 18 Janvier 1996, le pouvoir judiciaire s’exerce par la Cour suprême, les cours d’appel et les tribunaux(46). La justice est rendue au nom du peuple camerounais par les juges qui ne se réfèrent qu’à la loi et à leur conscience.
Le juge administratif veille à ce que les titulaires des charges publiques fassent preuve de probité et de mesure dans la gestion des affaires de l’État. En effet, le juge administratif intervient dans le cadre du contentieux administratif qui renvoie de façon matérielle et générale au recours en annulation pour excès de pouvoir, les actions en indemnisation du préjudice causé par un acte administratif ; ainsi que les litiges concernant les contrats administratifs, le domaine public ou les opérations du maintien de l’ordre (Cf. art 2 de la loi N°2006/022 du 29 Décembre 2006 fixant organisation et fonctionnement des tribunaux administratifs).
De même, le juge judiciaire continue de jouer son rôle de censeur de droit commun. La Haute Cour de Justice quant à elle
(46) Article 37 alinéa 2 de la Constitution 27
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est une juridiction atypique chargée essentiellement de connaître des cas de haute trahison. Celle-ci est un crime grave qui ne bénéficie pas encore d’une assise conceptuelle acceptée de tous, mais qui semble renvoyer à des actes graves portant atteinte à l’intégrité de la Constitution, à l’intégrité territoriale, à la sûreté de l’État ou à la violation du serment par le Président de la République. À cette ambiguïté conceptuelle, vient s’ajouter la difficulté opérationnelle de la mise en œuvre de la responsabilité du Chef de l’État pour crime de haute trahison, notamment avec la révision constitutionnelle du 14 Avril 2008 qui a pratiquement organisé l’immunité du Chef de l’État pour des actes accomplis dans la cadre de ses attributions constitutionnelles.
Après la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, le pouvoir judiciaire a considérablement changé de physionomie. Il y a eu d’une part l’institution d’un Conseil constitutionnel, et d’autre part, la création et la réorganisation de l’appareil judiciaire.
Le Conseil constitutionnel opère un contrôle des institutions de l’État. En effet, le Conseil constitutionnel est l’instance chargée des questions constitutionnelles et notamment du contrôle de constitutionnalité, de l’arbitrage entre les institutions, et de la sincérité et de la conformité des consultations électorales et référendaires. La mise sur pied encore attendue du Conseil constitutionnel traduit la volonté d’ériger le juge constitutionnel au rang des figures marquantes du système constitutionnel et politique camerounais. Fruit de la revendication des forces politiques des années 1990, notamment à travers les travaux de la tripartite et des différentes Commissions chargées d’élaborer une nouvelle Constitution pour le Cameroun, l’avènement du Conseil constitutionnel est certainement l’une des grandes réformes judiciaires du Cameroun. Les grands tournants de l’histoire politique et institutionnelle des peuples ont toujours été marqués par l’érection d’une justice constitutionnelle qui renforce la normativité des règles de droit constitutionnel (Cambot, 1998). Le dédoublement fonctionnel qui s’opérait jusque- là au niveau de la Cour suprême est appelé à prendre fin. Désormais, le contentieux constitutionnel est clairement identifié tant dans ses matières qui renvoient au contentieux des élections présidentielles et législatives, aux consultations référendaires et aux conflits institutionnels pour arbitrage, que dans sa composition organique et son fonctionnement. L’une des interrogations relatives à son efficacité concerne son indépendance et son autorité. En effet, si des garanties d’indépendance traditionnelles ont été accordées à cette institution et à ses membres, la question du mandat des conseillers reste encore sujette à débat. En effet, alors qu’initialement, leur mandat n’était pas renouvelable et débordait le mandat présidentiel, désormais, le verrou de la limitation de leur mandat a sauté, laissant ainsi l’opportunité de faire prospérer la critique selon laquelle les juges du Conseil constitutionnel n’auront plus la même liberté d’esprit pour trancher les questions qui leur seront soumises. Ainsi, l’éventualité d’un renouvellement de la confiance qu’on leur aurait accordée peut servir comme rétribution à la loyauté vis-à-vis du pouvoir exécutif, qui lui-même influence profondément leur désignation.
Les autres réformes judiciaires de ces dernières années concernent la création des nouvelles juridictions et la réforme de la procédure pénale. De nouvelles juridictions comme les tribunaux administratifs et le tribunal criminel spécial ont vu le jour. En effet, depuis la loi N°2006/015 du 29 Décembre 2006 portant organisation judiciaire, l’organisation judiciaire comprend outre les juridictions anciennes, le tribunal criminel spécial, les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif et les juridictions inférieures des comptes(47).
S’agissant du tribunal criminel spécial, il a été créé par la loi N°2011/028 du 14 Décembre 2011 et modifié par la loi N°2012/011 du 16 Juillet 2012. Cette juridiction est compétente pour connaître des infractions de détournements de deniers publics et des infractions connexes lorsque le montant est d’au moins cinquante millions (50 000 000) de Francs CFA. La possibilité d’un remboursement du corps du délit aboutissant à la libération si le Ministre de la justice y consent est l’une des particularités de la procédure au sein de cette juridiction. En effet, selon le législateur, « (1) En cas de restitution du corps du délit, le Procureur général près le tribunal peut, sur autorisation du Ministre chargé de la justice, arrêter les poursuites engagées avant la saisine de la juridiction de jugement »(48). Le décret présidentiel N°2013/288 du 04 Septembre 2013 est venu compléter ses compétences en fixant les modalités de restitution du corps du délit.
Il faut aussi se féliciter de l’adoption d’un nouveau Code de procédure pénale au Cameroun qui a permis de faire un pas décisif et significatif dans l’évolution vers la construction de l’État de droit. Non seulement la structure judiciaire s’est améliorée avec une définition plus claire du champ d’action du juge d’instruction et des officiers de police judiciaire, mais aussi, les droits des justiciables sont mieux protégés avec les précisions sur les méthodes d’arrestation, les gardes à vue, les comparutions libres et l’application du principe de la présomption d’innocence.
(47) Cf Art. 3 de la loi N°2011/028 du 14 Décembre 2011. (48) Art. 18 (1) de la loiN°2012/011 du 16 juillet 2012 sur le Tribunal Criminel Spécial. 28
2.2.2 L’importance des institutions dans la définition des stratégies de développement économique en Corée depuis 1948
Les institutions sont importantes dans le développement économique d’un pays(49). Le cas de la Corée du Sud fait école dans ce domaine. En effet, à travers la réforme de ses institutions, la Corée du Sud a enregistré une forte évolution de sa production économique. Au cours des cinquante dernières années, la Corée du Sud a connu un développement économique remarquable qui a fait d’elle, un pays membre de l’OCDE.
2.2.2.1 Les années 1950 et le dogme de la politique de substitution des importations
La Corée du Sud qui engage sa reconstruction après l’armistice de juillet 1953 était un pays agraire pauvrement doté en ressources naturelles. L’économie de ce pays reposait alors sur le traitement des matières premières. Cependant, le gouvernement coréen adopte deux mesures importantes à savoir l’éducation obligatoire et la réforme agraire. L’adoption d’une loi rendant l’éducation obligatoire pour les écoles primaires a permis de créer un important vivier de personnes qualifiées qui joueront après un rôle important dans la stratégie d’industrialisation du pays. Après 1953, les politiques industrielles et commerciales ont reposé sur la substitution des importations qui visait à réduire les importations en tentant de produire les denrées de base. Au cours des années qui ont suivi la fin de la guerre de Corée, le gouvernement sud- coréen a privilégié la stabilité politique plutôt que le développement systématique de l’économie.
2.2.2.2 Les années 1960 et l’adoption d’une stratégie de développement tournée vers l’industrialisation et les exportations
Aux premières heures de son développement économique, la Corée du Sud a opté pour une stratégie de développement orientée vers l’extérieur et favorisant la promotion des échanges commerciaux. Cette stratégie de développement tournée vers l’extérieur et adoptée au cours des années 1960 reposait sur la promotion des exportations de produits manufacturés nécessitant une main-d’œuvre importante, un domaine dans lequel la Corée avait un avantage comparatif(50). À partir de 1965, la Corée du Sud est passée progressivement d’un statut d’économie agraire pauvre avec un excédent de main- d’œuvre à une économie axée sur les exportations. Ce tournant résulte de l’arrivée au pouvoir du général Park Chung Hee en 1961 qui met en place des politiques qui marquent le point de départ d’une relance économique progressive. En effet, les années 1960 voient une réorientation stratégique de la politique économique sud-coréenne désormais marquée par la fin de la politique de substitution aux importations et l’adoption d’une stratégie désormais tournée vers les exportations(51). Ce changement de ligne est suivi par d’autres mesures comme le vote de la loi anti-corruption de 1961 qui marque le début d’une épuration tournée contre les fonctionnaires de l’ancien régime ; le lancement d’un complexe sidérurgique à Ulsan en 1962 ; le rétablissement des relations diplomatiques avec le Japon en 1966(52). La stratégie de développement de la Corée du Sud des années 1960 reposait non seulement sur la promotion des industries d’exportation mais aussi sur la substitution des importations, en commençant par les secteurs de l’industrie légère à forte intensité de main-d’œuvre. Le gouvernement sud-coréen a mis en place une série d’incitations qui ont fait de l’exportation une activité rentable pour les entrepreneurs privés. Bien plus, l’expansion du commerce mondial dans le cadre du GATT et l’accès au marché américain grâce au système de préférences généralisées (SPG), conjugués aux efforts de promotion du pays, ont joué un rôle fondamental dans la croissance des exportations de la Corée du Sud(53). Les exportateurs sud-coréens ont été exemptés de tarifs, de quotas d’importation, de taxes indirectes sur les biens intermédiaires et les biens d’équipement, ainsi que de taxes indirectes à l’exportation. Pendant les années 1960, le gouvernement sud-coréen a concentré les ressources disponibles sur une quinzaine de complexes industriels qui ont joué un rôle déterminant dans la promotion des exportations et ont posé les jalons d’une croissance future.
Au cours des années 1960, la plus grande partie de la main-d’œuvre de la Corée du Sud était utilisée dans l’agriculture, l’industrie forestière et la pêche et produisait des denrées alimentaires pour la consommation intérieure. Le nombre limité de surfaces cultivables empêchait d’augmenter le volume des produits destinés à l’exportation. Un pays comme la Corée du
(49) Edison Hali, « Qualité des institutions et résultats économiques », Finances & Développement, Juin 2003, pp 36-37 (50) Tae Wan-son, The Economic Development of Korea: Past, Present and Future, Séoul, Samhwa Publishing, 1973. (51) Cha Dong-Se, Kwang Suk Kim et Dwight H. Perkins, The Korean Economy 1945–1995: Performance and Vision for the 21st Century. Séoul, Korea Development Institute, 1997 (52) Ibid (53) La Corée a adhéré au GATT en 1967 29
ÉTUDE SUR L’ÉCONOMIE DU CAMEROUN La Politique de Développement dans la Pratique: Enseignements Tirés de l’expérience de Développement de la Corée du Sud
Sud dépourvu de matières premières a su développer son agriculture et promouvoir les industries lourdes et chimique pour accélérer son industrialisation et son développement économique(54). De même, l’initiative privée fut fortement encouragée par l’État sud-coréen. Pour asseoir sa politique d’industrialisation axée sur les exportations, le gouvernement sud-coréen adopta certaines politiques notamment :
x Pour se développer, l’industrialisation devait prendre appui sur la croissance des industries tournées vers les exportations ;
x Pour stimuler les exportations, l’industrialisation devait commencer dans les secteurs produisant des biens de consommation légers où les besoins en capitaux étaient moindres ;
x La faible marge dégagée par certains produits exportés pouvait être compensée par des subventions des exportations par l’Etat comme l’exemption des droits de douane sur les matières premières, l’octroi de prêts à des conditions préférentielles, l’exonération d’impôt et la subvention de certains services aux collectivités publiques ;
x L’éducation doit porter sur les activités de production en mettant l’accent sur la formation professionnelle.
Ainsi, la politique d’industrialisation axée sur les exportations de la Corée du Sud des années 1960 s’est traduite par l’accélération de la croissance industrielle, le ralentissement de l’inflation à partir du milieu des années 1960 et une forte augmentation du volume des échanges avec l’extérieur.
2.2.2.3 Les années 1970 et la consolidation des acquis des politiques d’industrialisation des années 1960
La promotion par l’État sud-coréen des industries lourdes et chimique au cours des années 1970 a contribué à réduire l’efficacité de la bureaucratie sud-coréenne qui avait consolidé la politique des exportations. Au cours de cette période, plusieurs grands groupes industriels stratégiques sont créés dans des secteurs comme l’automobile, l’électronique, la construction navale, la pétrochimie et l’acier. Cette période consacre l’avènement des chaebols qui sont de grands conglomérats d’entreprises familiales qui se sont révélés comme des acteurs majeurs du décollage économique et industriel de la Corée du Sud. Pour développer les industries lourdes et chimique, le gouvernement sud-coréen endossa l’essentiel du risque des premiers investissements avant de laisser les grandes entreprises, principalement les chaebols prendre la relève en investissant massivement dans certains secteurs comme celui des machines(55). Ce changement de cap densifia nettement la structure industrielle mais entraîna des effets négatifs dus essentiellement au caractère démesuré des investissements, qui ont dépassé les capacités technologiques et financières de l’économie.
Pendant les années 1970, le gouvernement sud-coréen a aussi créé des zones franches d’exportation (ZFE) dans certaines régions du pays afin de permettre aux entreprises étrangères de produire des articles destinés à l’exportation. Les ZFE nécessitaient une coopération interministérielle, car le Ministère de la Construction était chargé de la préparation du terrain et des infrastructures alors que le Ministère du Commerce et de l’Industrie s’occupait de la gestion. Les investisseurs des ZFE ont bénéficié d’exemptions tarifaires à l’importation de marchandises dans les ZFE, ainsi que d’incitations fiscales et de faibles coûts d’investissement. À titre d’exemple, la ZFE de Masan a accru les exportations, les investissements et les emplois et a contribué au développement de l’industrie dans son voisinage en introduisant des technologies de pointe(56). Le choix de l’emplacement d’une ZFE tenait compte de l’accessibilité des marchés d’extrants et d’intrants, ainsi que des coûts d’infrastructure qui en découlaient.
2.2.2.4 Les années 1980 et le réajustement structurel de l’économie et de l’industrie sud-coréenne
Les années 1980 furent une période de transition d’un État autoritaire à une société plus démocratique. Pendant cette période, l’économie sud-coréenne continua sa marche en avant, affichant une forte croissance et un redressement de sa balance des paiements. Cependant, l’économie sud-coréenne accusa le coût, en termes de multiplication des conflits
(54) Cha Dong-Se, Kwang Suk Kim et Dwight H. Perkins, The Korean Economy 1945–1995: Performance and Vision for the 21st Century. Séoul, Korea Development Institute, 1997. (55) Banque Mondiale, The East Asian Miracle: Economic Growth and Public Policy, New York: Oxford University Press, 1993. (56) Tae Wan-son, The Economic Development of Korea: Past, Present and Future, Séoul, Samhwa Publishing, 1973. 30
sociaux notamment pour mener à bien le processus de démocratisation. De même, le gouvernement sud-coréen simplifia les procédures d’approbation et d’autorisation qui freinaient jusque-là les initiatives privées. Au cours des années 1980, les politiques du gouvernement mettaient l’accent sur la résolution des problèmes économiques générés par l’expansion des industries lourdes et chimique des années 1970. Des mesures fortes de stabilisation de l’économie furent mises en œuvre pour infléchir les tendances inflationnistes. Dans les années 1980, les préoccupations liées au développement inégal des régions ont mené à la dispersion des complexes industriels. Ainsi, en 1984, sept complexes agroindustriels de petite taille ont été créés dans sept provinces et leur nombre s’est accru, au fil des ans(57). Ces mesures visaient à réduire le fossé existant entre les petites et les grandes entreprises, les déséquilibres entre les zones urbaines et rurales et la distribution inégale des revenus. Ainsi, dans les années 1980, le gouvernement sud-coréen consentit d’importants efforts pour améliorer la distribution des revenus et promouvoir l’équité sociale.
La transition démocratique de 1987 fut un tournant décisif dans les relations entre le patronat et les syndicats en Corée du Sud. En effet, une révision en profondeur du droit du travail fut menée pour promouvoir les droits des travailleurs et garantir la liberté d’action des syndicats. De même, le gouvernement sud-coréen a fait voter la loi sur le salaire minimum en 1988 et a introduit un système national de retraites ainsi qu’un système national d’assurance médicale en 1989(58). Le désengagement de l’État sud-coréen de nombreux secteurs de l’économie nationale ainsi que la multiplication des mesures visant à encourager l’initiative privée se sont poursuivis.
2.2.2.5 Les 1990 et la libéralisation de l’économie sud-coréenne
Au cours des années 1990, les résultats des mesures politiques prises pendant les années 1990 furent satisfaisants. Ainsi, l’économie sud-coréenne renoua avec une croissance vigoureuse. En effet, cette croissance économique soutenue peut s’expliquer par plusieurs facteurs notamment l’effet positif des Jeux olympiques de Séoul de 1988, l’élection d’un premier Président de la République civil en 1993 et l’adhésion de la Corée du Sud à l’OMC en 1995(59). L’économie sud-coréenne s’adapte à ce nouveau contexte avec un léger déclin de l’industrie légère par rapport à l’industrie lourde qui est elle- même soutenue par le dynamisme du secteur informatique. Le gouvernement du Président Kim Young-sam élu en Février 1993 lança une série de réformes économiques connues sous le nom de Plan quinquennal pour la nouvelle économie afin d’adapter les structures de l’économie sud-coréenne au nouvel environnement (60) économique . Le nouvel ordre démocratique qui accorde une plus grande importance aux libertés individuelles est favorable à l’adoption de nouvelles règles et de nouveaux systèmes économiques qui correspondent mieux aux normes internationales. L’une des premières réformes du nouveau gouvernement sud-coréen fut la réforme financière de 1993 connue sous le nom de « système de transactions financières en nom propre (61)» . En effet, de nombreux économistes considéraient que le triangle de fer banques- chaebols-gouvernement entravait le libre flux des ressources financières qui étaient nécessaires à la restructuration des industries caractérisées par le surinvestissement. Considéré jusque-là comme le moteur de l’industrialisation accélérée de la Corée du Sud, ce système ancien commençait à devenir un frein au développement de l’économie sud-coréenne.
Ainsi, la crise financière de 1997 qui a été provoquée par l’effondrement de la devise thaïlandaise toucha rapidement la Corée du Sud à tel point que le mythe du miracle sud-coréen fut sérieusement ébranlé. La raison ici est la conjonction de plusieurs facteurs négatifs notamment la spéculation, la libéralisation trop rapide des marchés sous la pression du FMI, des carences institutionnelles et une corruption criante. Au-delà de la défaillance du système financier sud-coréen, la vulnérabilité de l’économie sud-coréenne tient aussi aux faiblesses des chaebols dont l’endettement excessif et le manque de compétitivité étaient désormais visibles. Lorsque le FMI imposa un relèvement brutal de ses taux d’intérêts, les banques étrangères refusèrent de renouveler à l’État sud-coréen, leurs prêts à court terme reconductibles, d’où l’effondrement des chaebols. En effet, plusieurs décennies de croissance ont renforcé les positions des chaebols qui sont devenus très puissants au point d’influencer les hommes politiques.
(57) Ibid (58) Banque Mondiale, The East Asian Miracle: Economic Growth and Public Policy, New York: Oxford University Press, 1993. (59) Amsden, A.,Asia’s Next Giant: South Korea and Late Industrialization. Oxford: Oxford University Press, 1989. (60) Ibid (61) Chung, Un-Chan, «The Korean Economy before and after the Crisis » in The Korean Economy Beyond the Crisis, Ed. Duck-Koo Chung et Barry Eichengreen, Cheltenham, UK : EdwardElgar,2004. 31
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Les réformes post-crise seront orientées vers la restructuration des grandes entreprises (chaebols) autour de cinq points :
x Assurer la transparence de la gestion des grandes entreprises ;
x Démanteler les garanties croisées de dettes parmi les affiliés ;
x Améliorer de façon significative la structure du capital ;
x Identifier les activités essentielles et renforcer les relations de coopération avec les compagnies de petite taille et de taille moyenne ;
x Renforcer la responsabilisation du contrôle des actionnaires et de la direction.
Ces réformes étaient importantes car, les cinq premiers chaebols représentaient environ la moitié de la dette totale de la Corée qui s’élevait à 500 milliards de Dollars US (150 % du PIB) et plus d’un tiers de la production manufacturière(62).
D’autres réformes post-crise ont été menées notamment la poursuite d’une politique fondée sur les exportations, le renforcement de la compétitivité dans les secteurs à forte intensité capitalistique (sidérurgie, construction navale, automobile, électronique et semi-conducteurs, etc.), l’orientation vers les nouvelles technologies et la mobilisation de gros investissements dans la formation professionnelle.
2.2.2.6 Les années 2000 et l’adaptation progressive de l’économie sud-coréenne au contexte de la mondialisation
Suite aux réformes du gouvernement consécutives à la crise financière de 1997, l’économie sud-coréenne se relève progressivement. En effet, en 2001, la Corée du Sud apparaît moins vulnérable que ses concurrents asiatiques àla contraction du marché américain. Le PNB s’accroît de +5,1 %, soutenu par un dynamisme fragile de la consommation des ménages(63). Certes, à partir du 11 Septembre, les exportations chutent nonobstant une percée de la Corée du Sud en Chine et en Asie autour de trois secteurs porteurs que sont l’automobile, la construction navale et l’électronique.
En 2002, la Corée du Sud était le pays asiatique le plus performant avec un taux de croissance annuel moyen du PNB de +5,5 % porté par une production industrielle (+8,5 %) et des exportations à la hausse (+26 %)(64). Quelques inquiétudes subsistent cependant notamment la dépendance par rapport à la conjoncture américaine, un risque de « bulle » du crédit à la consommation et les effets plutôt décevants de la Coupe du monde de football malgré la bonne performance de l’équipe nationale (demi-finales). La principale préoccupation demeure toutefois le système de crédit qui malgré l’apurement des mauvaises créances des banques, ont trop favorisé le crédit à la consommation et au logement, d’où un endettement élevé des ménages. Les chiffres relatifs à l’emploi demeurent cependant satisfaisants avec 2,9 % de chômeurs seulement(65).
L’arrivée au pouvoir contre toute attente du Président Roh Moo-Hyun provoque une crise de confiance dans la société et les institutions sud-coréennes. Néanmoins, la production industrielle reprend à un rythme soutenu, grâce à l’essor des exportations. En dépit de l’importance des grèves (47 jours chez Hyundai Motors), l’industrie se trouve portée par l’expansion de la production des semi-conducteurs et des équipements de consommation. De 2005 à 2007, la croissance de l’économie sud-coréenne tend à devenir plus stable. En effet, 2005 constitue une année de reprise progressive avec la relance de la consommation des ménages et le ralentissement moins fort que prévu des exportations. En 2006, malgré les difficultés du Président Roh Moo-Hyun fragilisé par des revendications sociales, le pays bénéficie des performances des chaebols à l’exportation qui permettent à la Corée du Sud de se hisser parmi les grands exportateurs mondiaux, et de la force du Won par rapport au Dollar.
L’année 2007 marque un changement politique avec l’élection du Président Lee Myung Bak qui engage la négociation d’une série d’accords de libre-échange, favorisés par l’amélioration de la compétitivité des entreprises et le début d’une politique de dérégulation, elle-même motivée par le soutien de la croissance.
(62) Chung, Un-Chan, «The Korean Economy before and after the Crisis » in The Korean Economy Beyond the Crisis, Ed. Duck-Koo Chung et Barry Eichengreen, Cheltenham, UK : EdwardElgar,2004. (63) Ibid (64) Ministry of Economy and Finances of Republic of Korea, (2004), Dynamic Korea: A Nation on the Move. (65) Ibid 32
La crise du système des chaebols et les réformes conduites par le gouvernement entraînent une évolution de l’économie sud-coréenne vers le modèle de la grande entreprise multidivisionnelle et managériale de type américain. En même temps, le gouvernement sud-coréen pousse les chaebols à opérer un recentrage de leurs activités. Ainsi, Hyundai se concentre sur l’automobile, les constructions navales, la construction et l’ingénierie, Samsung sur l’électronique, les activités financières et l’ingénierie, LG sur l’électronique grand public. De tous les secteurs, c’est celui de l’automobile qui a subi les restructurations les plus complètes : faillite de Daewoo passée sous le giron de General Motors, abandon par Samsung de son secteur automobile à Renault, concentration autour de Hyundai qui rachète Sangyong puis Kia et s’impose ainsi comme l’un des plus grands constructeurs mondiaux.
La Corée du Sud est l’un des pays de l’OCDE où l’expansion économique a été la plus rapide au cours des années 2000. Cependant, l’essoufflement de la croissance entre 2011 et 2012 a mis au jour des problèmes structurels, tels que l’endettement élevé des ménages, le retard pris par le secteur des services et la faiblesse des petites et moyennes entreprises. Cela a jeté le doute sur la stratégie coréenne traditionnelle de développement tiré par les exportations portées par les chaebols. En 2013, la Présidente Park Geun-hye a lancé un plan triennal pour l’innovation économique en vue de revitaliser l’économie sud-coréenne. Ce plan triennal pour l’innovation économique repose sur trois grands piliers. Le premier pilier repose sur une économie reposant sur des fondamentaux solides notamment la réforme du secteur public, l’instauration d’une économie de marché fondée sur des règles et la mise en place de fortes mesures de protection sociale. Le deuxième pilier renvoie à une économie reposant sur une innovation dynamique à travers le développement des industries créatives, des investissements pour le futur et sur les marchés étrangers. Le troisième pilier tient à une économie reposant sur l’équilibre entre les exportations et la demande intérieure à travers l’amélioration des conditions liées à l’investissement, la consolidation de la demande intérieure et l’incitation à l’activité des jeunes et des femmes. Ces trois piliers sont tous tournés vers l’objectif ultime qui est la préparation de la réunification des deux Corées qui est l’une des grandes préoccupations de l’État sud-coréen depuis plusieurs années.
Effets des principales réformes politiques et institutionnelles sur le développement de la Corée du Sud et du Cameroun Parvenu au terme de la présente étude dont l’objectif était de présenter les principales évolutions politiques et institutionnelles au Cameroun et en Corée du Sud depuis les indépendances et de montrer l’importance des institutions dans la définition des stratégies de développement économique de ces pays, nous pouvons retenir que depuis leurs indépendances respectives en 1960 et en 1948, le Cameroun et la Corée du Sud ont eu des trajectoires politico-institutionnelles et de développement différentes. En effet, depuis son indépendance le 1er Janvier 1960, les réformes politiques et institutionnelles intervenues au Cameroun se sont faites sous trois Constitutions révisées treize fois et adoptées respectivement le 4 Mars 1960, le 1er Septembre 1961 et le 2 Juin 1972. L’histoire du Cameroun est marquée par deux années très importantes :1960 qui consacre l’indépendance du pays avec le début de l’exercice des compétences nationales et internationales d’un État devenu véritable sujet de droit, et 1990 qui marque l’éveil de la démocratie et le début d’un encadrement juridique résultant de l’évolution vers un État de droit. La forme de l’État camerounais a aussi été modifiée à plusieurs reprises : République du Cameroun en 1960, République Fédérale en 1961 après la réunification avec l’ancien Cameroun britannique, République Unie du Cameroun en 1972, République du Cameroun en 1984 et État unitaire décentralisé depuis 1996. La décentralisation est l’un des acquis majeurs de la politique de libéralisation et de démocratisation de la vie politique camerounaise du début des années 1990 avec la mise en place des Collectivités territoriales décentralisées que sont les Régions et les Communes.
En ce qui concerne la Corée du Sud, ce pays est un modèle de réussite démocratique et constitutionnelle parmi les pays ayant fait l’expérience d’une transition politique en Asie dans les années 1980. La Constitution sud-coréenne qui a été promulguée le 17 Juillet 1948 subsiste depuis cette date et a subi neuf révisions dont la dernière en 1987. Les différentes révisions constitutionnelles ont entraîné les changements de Républiques en faisant passer le pays de la Première à la Sixième Républiques. Ces différentes révisions constitutionnelles sont dues au fait que la Corée du Sud a été en proie de manière récurrente à une instabilité institutionnelle et politique chronique.
Quant à l’importance des institutions dans la définition des stratégies de développement économique du Cameroun et de la Corée du Sud, nous devons au préalable relever que la qualité des institutions d’un pays est un facteur explicatif important de son développement économique. Des études empiriques ont mis en évidence une relation positive entre la qualité des institutions et la performance des politiques de réforme engagées dans certains secteurs clés des économies 33
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des pays en voie de développement. Cela se confirme d’ailleurs dans les résultats des performances économiques entre le Cameroun et la Corée du Sud. En effet, si au Cameroun l’évolution politique et institutionnelle semble s’être faite dans le sens d’une personnalisation de l’État et des institutions, en Corée du Sud par contre, même en période de dictature militaire, les réformes entreprises ont beaucoup contribué au décollage économique de ce pays. Ainsi, les différents plans de développement ont transformé ce pays pauvre en matières premières en misant sur les exportations. L’évolution de la Corée du Sud d’un pays pauvre à une puissance industrielle est riche d’enseignements pour le Cameroun qui devrait s’en inspirer. La stratégie de développement de la Corée du Sud a mis l’accent sur l’ouverture vers l’extérieur, la stabilité macroéconomique et de gros investissements dans le capital humain. Les différents gouvernements sud-coréens ont mis en place des politiques pour l’émergence des champions nationaux appelés les chaebols qui sont aujourd’hui de grandes multinationales connues partout dans le monde.
Au Cameroun, la rigidité du système politique caractérisé par un fort tropisme présidentialiste a tendance à créer des goulots d’étranglement. Le jacobinisme institutionnel ne libère pas assez les énergies et les intelligences à tel point que le pays tout entier semble plongé dans l’attentisme. Pourtant, de nombreuses réformes sont menées pour créer les conditions d’un développement économique optimal mais les multiples problèmes de coordination et d’arbitrage entre les différents services de l’État empêchent que les résultats attendus soient visibles et perceptibles par la population. 34
Chapitre 3 UNE ANALYSE COMPARATIVE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES IMPLÉMENTÉES AU CAMEROUN ET CORÉE DU SUD
3.1 Analyse comparative des politiques budgétaire menées au Cameroun et en 36 Corée du Sud
3.2 Analyse comparative des politiques monétaires menées par le Cameroun et la 49 Corée du Sud 35
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La République de Corée (Ci-après désignée Corée du Sud) est citée comme l’exemple de référence en matière de vérification des thèses du rattrapage des pays riches par les pays pauvres(66). En effet, ce pays qui au début des années 1960, se situait à un niveau de développement similaire à celui de bon nombre de pays africains au Sud du Sahara, a pu en l’espace de trois décennies, rattraper le niveau de vie des pays leaders comme les États Unis et le Japon (Lee, 2016 ; Chang, 1994 ; World Bank, 1993). Pour réaliser une telle performance, la Corée du Sud a fait du Japon sa référence en matière de développement économique. Cependant, elle ne va pas seulement se contenter de suivre les pas de son modèle, mais elle va surtout sauter certaines étapes du développement de ce dernier, pour créer des sentiers totalement différents (Lee et Lim, 2001).
Ce « miracle économique », comme l’a qualifié la Banque Mondiale (World Bank, 1993), qui s’est également opéré dans d’autres pays de l’Asie de l’Est, s’oppose totalement à « la tragédie de croissance » ou au « désastre économique » observé dans la plupart des pays africains sur la même période (Easterly et Levine, 1997, Devarajan, 2013, Artadi et Sala- I-Martin, 2003. Alors que le revenu par habitant avait plus que triplé en Corée du Sud entre 1960 et 1990, ce dernier a plutôt diminué dans bon nombre de pays africains dont les populations sont devenues plus pauvres qu’au moment où leurs pays accédaient aux indépendances (Artadi et Sala-i-Martin, 2003). En 2007, le continent africain abritait environ 30% des pauvres du monde (World Bank, 2007). De toutes les régions du monde, l’Afrique subsaharienne est celle où les indicateurs de développement socioéconomique sont les plus inquiétants.
Ces statistiques alarmantes, et ce retard considérable qu’accuse l’Afrique Subsaharienne par rapport aux autres régions du monde en développement, pourraient réconforter les partisans des thèses fatalistes qui attribuent le sous-développement du continent noir à sa position géographique, à son climat, à la colonisation, ou encore à la race de la population qui y vit. Mais, au regard des performances économiques remarquables que réalisent actuellement certains pays africains (l’Ile Maurice, le Rwanda, le Botswana ou le Kenya, etc.) , et surtout, à la lumière de l’expérience de développement de la Corée du Sud qui partagent certaines des caractéristiques physiques et historiques des pays africains, il convient de reconnaitre que le sous-développement loin d’être une fatalité, serait d’abord un phénomène endogène qui tire principalement ses sources des mauvais choix politiques effectués par des dirigeants beaucoup plus motivés par la recherche de l’intérêt personnel et des enjeux politiciens, que par le souci de sortir résolument leurs populations de la précarité.
En effet, l’exemple sud-coréen et de la plupart des pays qui enregistrent de bonnes performances économiques, met en lumière le rôle prépondérant que l’État joue dans la transformation des structures économiques et par conséquent, dans le processus de développement. Si on admet avec l’économiste français François Perroux (Perroux,1961) que le développement commence d’abord par un changement de mentalité, on est alors obligé de reconnaitre, au-delà des débats théoriques de la pensée économique, que l’État est un acteur majeur du développement. C’est l’État, incarné par des hommes politiques élus ou non au suffrage universel, qui dans la plupart des cas en général, et dans le cas sud- coréen en particulier, a inculqué une mentalité du développement aux citoyens, et mis sur pied l’ensemble des structures favorables à l’éclosion d’un secteur privé performant et compétitif. C’est donc à juste titre que l’État sud-coréen a été qualifié « d’État développementaliste ».
Le « miracle asiatique » en général, et l’exemple sud-coréen en particulier, ne doivent donc pas uniquement être consignés dans des manuels d’économie, et enseignés aux étudiants dans les facultés des sciences économiques. Cet exemple devrait plutôt servir de leçon et inspirer les dirigeants africains démocratiquement élus ou non, qui ont la charge de définir et d’implémenter la plupart des projets et programmes de développement. Tout comme l’expérience de développement du Japon fut un modèle pour la Corée du Sud dans les années 1960, l’expérience du développement de la Corée du Sud pourrait servir de modèle aux pays africains d’aujourd’hui, afin que la « tragédie économique du 20è siècle », soit, pourquoi pas, transformée en « miracle économique du 21è siècle ».
Au regard du rôle essentiel que l’État a joué aussi bien dans la réalisation du « miracle économique » sud-coréen que dans la « tragédie de croissance » des pays africains, il convient d’analyser et de tirer les leçons de la manière dont la politique
(66) La thèse du rattrapage est une thèse explicative du sous-développement développée par l’économiste américain Walt Whitman Rostow qui prétend que les pays qui sont aujourd’hui sous-développés, sont simplement des pays en retard qui sont encore à un stade inférieur de leur développement, et ne sont pas encore intégrés à l’économie mondiale. Ces pays sous-développés finiront par rattraper les pays riches, grâce à la modernisation de leurs structures de production traditionnelles. 36
économique(67) a été implémentée dans l’un et l’autre cas. Dans cette étude, l’accent est mis sur le Cameroun, pays dont le PIB par habitant est actuellement 10 fois plus faible que celui de la Corée du Sud, mais qui fait partie des pays qui en 1960, se situai presque à un même niveau de développement que cette dernière. Le cas camerounais constitue un bon exemple de comparaison car, les deux pays ont connu après leurs indépendances respectives, une histoire politique assez similaire caractérisée par une première période d’expérience démocratique, interrompu ensuite par une période de dictature qui prendra fin au début des années 1990 avec le vent de démocratisation qui a soufflé dans presque toutes les régions du monde après chute du mur de Berlin. Le chapitre sera organisé autour de deux principales sections. La première section consacrée à la politique budgétaire met l’accent sur la structure des recettes et des dépenses de l’État. La deuxième section est consacrée à l’analyse de la politique monétaire et financière.
3.1 Analyse comparative des politiques budgétaire menées au Cameroun et en Corée du Sud
La politique budgétaire est définie comme l’action qui consiste pour le gouvernement d’un pays, à modifier la structure de ses recettes et de ses dépenses, afin de donner de nouvelles orientations à l’activité économique (Mankiw, 2003). Analyser les politiques budgétaires de deux pays revient donc à analyser d’une part, la structure des recettes de l’État, et d’autre part, la structure des dépenses publiques.
3.1.1 Analyse de la structure des recettes de l’État au Cameroun et en Corée du Sud
L’un des grands enjeux pour la plupart des gouvernements africains est celui de la mobilisation des ressources nécessaires au financement des projets de développement menés aussi bien par le secteur privé que par le secteur public. Pour faire face à cette difficulté, les gouvernements des pays en développement se tournent généralement vers les pays développés et les organismes internationaux, ce qui accroit leur dépendance vis-à-vis de l’aide extérieur. L’analyse de la structure des recettes de l’État au Cameroun et en Corée du Sud fait ressortir que contrairement au Cameroun, la Corée du Sud a su réduire sa dépendance vis-à-vis de la dette et de l’aide extérieure, qu’elle a eu un taux de pression fiscale relativement stable, et qu’elle a profondément modifié la composition de ses recettes fiscales à partir des années 1980, en diminuant les taxes sur le commerce international et les taxes sur les biens et services au profit d’autres sources de revenu.
3.1.1.1 Une forte augmentation de la dépendance du Cameroun vis-à-vis de l’aide extérieure contre une nette diminution en Corée Sud
Comme bon nombre de pays en développement, le Cameroun est resté fortement dépendant des ressources extérieures, et notamment de l’aide au développement pour financer ses grands projets de développement et de lutte contre la pauvreté. Par contre, la République de Corée a en l’espace de deux décennies seulement, cessé d’être dépendante vis- à-vis des ressources en provenance des pays développés. Non seulement le pays a cessé d’être receveur net de l’aide publique au développement pour devenir donateur nette à partir de 1990, mais aussi, il a pu réduire à stricte expression, le poids de la dette publique dans son PIB. L’aide au développement englobe les prêts octroyés à titre concessionnels (nets des remboursements du principal), et les dons reçus par les agences officielles des pays membres du Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE, et par d’autres pays non-membres du CAD pour promouvoir le développement économique et le bien-être dans les pays récipiendaires de la liste du CAD. Elle inclut également les prêts octroyés avec un élément de don d’au moins 25%.
(67) La politique économique est définie comme l’ensemble des interventions des pouvoirs publics dans l’activité économique en vue de lui donner une orientation jugée souhaitable (Greffe, 1993). Pour les libéraux, et notamment pour les nouveaux économistes classiques (Lucas, 1976 ; Barro, 1974 ; Muth, 1961 ; Sargent et Wallace, 1974 ; McCallum, 1980), les interventions de l’Etat sont vouées à l’échec, car les agents économiques rationnels et intelligents, vont anticiper les effets de ces politiques. Mais pour les économistes keynésiens, l’intervention de l’État est salutaire parce qu’elle crée un effet multiplicateur sur le revenu de la nation et permet de rapprocher celui-ci du niveau du plein emploi. 37
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Même lorsque la Corée du Sud recevait plus d’aide au développement que le Cameroun, le poids de l’aide publique au développement dans le revenu national brut a parfois été plus élevé au Cameroun. Le graphique 3.1 ci-dessous, qui retrace l’évolution de l’aide au développement en pourcentage du Revenu National Brut (RNB), montre qu’alors qu’en 1970 la Corée du sud recevait trois fois plus d’aide au développement que le Cameroun, l’aide publique au développement représentait déjà 6% du RNB environ au Cameroun, alors que son pourcentage n’était que 3% en Corée du Sud. À partir du début des années 1980, l’aide publique au développement est devenue quasiment insignifiante dans le RNB de la Corée du Sud, et durant toute la décennie 1990, son pourcentage dans le RNB est demeuré nul.
Graphique 3.1 Évolution de l’aide publique au développement en pourcentage du revenu national brut au Cameroun et en Corée du Sud