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Séquences La revue de cinéma

Sur nos écrans

Number 96, April 1979

URI: https://id.erudit.org/iderudit/51155ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this review (1979). Review of [Sur nos écrans]. Séquences, (96), 32–49.

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32 SÉQUENCES 96 il faut respecter « ce don du Seigneur ». Mais le attitudes, leurs réactions. Ainsi, nous sentons que père laisse échapper cette réflexion : « Que va-t­ la vie commune crée une ambiance amicale, on dire en voyant le fils d'un paysan aller à fraternelle. l'école ?» Ces gens analphabètes craignent peut- On pourrait penser que ces paysans sont être que, plus tard, leur fils leur tourne le dos. sans défaut. Ce serait oublier le vieil avaricieux Qu'importe, pour l'instant le jeune Minek parcourt de Finard qui ne se gêne pas pour placer des plusieurs kilomètres pour apprendre à tracer des roches dans sa charrette avant d'aller faire peser lettres et pour découvrir que l'eau est remplie de sa récolte. Ce serait méconnaître ses dispu'es microbes... Et un jour, sur le retour, il brise un avec son fils qu'il finit par maudire. Ce serait de ses sabots. Il doit rentrer à la maison pieds gommer la « sainte » colère qui le conduit au lit nus dans la neige. Alors que tout son petit monde quand il constate que son cheval a perdu la pièce sommeille, le père part abattre un arbre et con­ d'or qu'il avait collée à son sabot. Olmi nous fectionne, à la lueur d'une chandelle, deux sabots présente des paysans tels qu'il les a connus, pour que son fils continue à aller à l'école. Toute­ reconstituant ainsi les souvenirs de son enfance. fois le patron finit par décourvir les restes de On pourrait reprocher à l'auteur l'absence de l'arbre abattu. Il ordonne à son régisseur d'ex­ tout sens critique et politique. Une scène pour­ pulser la famille Batisti que les autres familles tant nous fait apercevoir des prisonniers conduits regardent partir en silence. par des soldats. C'est la répression du général Cette histoire n'est que l'écorce qui enve­ Baba Beccaris contre des ouvriers en grève. loppe un récit composé de bribes de vie paysan­ Il a suffi de ce passage pour que le spectateur ne. Nous passons facilement d'une famille à une puisse comparer le chaos qui règne à Milan et autre, dès que l'intérêt l'exige. Observons le la vie paisible des gens à la ferme. grand-père Anselmo. Sa petite fille retiendra tout Enfin, on pourra regretter qu'Olmi n'ait pas en le voyant ramasser la fiente de poules, repi­ poussé ses paysans à la révolte contre un patron quer les plants et récolter les tomates bien avant sans coeur. Tel n'était pas le propos de l'auteur. les autres paysans. Il en va de même du mariage Il nous a présenté la vie d'un monde disparu qui de Maddalena et de Stefano. Nous les avons n'a rien à voir avec la mentalité de notre monde vus se rencontrer furtivement quelques secondes actuel. Non pas par nostalgie, mais par un certain à peine. Le jour du mariage, nous les suivons de besoin de retrouver « ses racines ». Là-dessus, la maison à l'église, de l'église à la péniche, du Ermanno Olmi ne se fait pas d'illusion. < La réa­ couvent de tante Maria au retour à la maison lité paysanne, souvent vécue dans des conditions avec l'orphelin reçu en partage. Tous ces mo­ de misère et de sacrifice, dit-il, se construisait ments sont montrés dans leur simplicité et sans sur des valeurs précises qu'elle héritait du grand éclat. L'auteur sait briser le récit pour ménager enseignement de la terre : le sens profond de des surprises d'un moment à l'autre (le soir dans la vie, certes, et fondamental, celui de l'unité de la chambre au couvent et le lendemain matin), la famille. Autant de valeur que nous, d'un coup, d'un lieu à un autre (l'enfant dans les bras de nous avons laissé tomber. C'est de là que part Maddalena au couvent et l'enfant dans la famille). l'erreur. Nous ne pouvons pas dépasser notre Ce montage crée une sorte d'étonnement qui fait passé en le reniant ; notre passé nous appar­ souvent sourire. On peut observer la même dé­ tient, au même titre que nos parents ; c'est pour­ marche pour « le miracle de la vache », pour la quoi, il nous faut tenir compte de cette réalité si naissance de l'enfant. Il y a, chez Olmi, un don nous voulons préparer celle de demain ». de < révélation » remarquable. Ces faits isolés n'empêchent pas le réalisateur de nous montrer Demandons-nous pourquoi ce film suscite-t-il que ces familles vivent dans une promiscuité tant d'émotion profonde. Peut-être, comme dit constante. Ainsi elles se retrouvent pour l'éplu- Olmi, que nous avons besoin de retourner à notre chette du maïs où chacun y va de ses commen­ passé, à nos attaches, à nos racines. Comme taires, pour les veillées pendant lesquelles on cette vérité nous parait universelle I écoute un conteur. L'auteur passe d'un person­ Bref, L'Arbre aux sabots, ce sont d'admira­ nage à un autre pour nous faire découvrir leurs bles géorgiques bergamasques. Rejoindre Virgile AVRIL 1979 33 par delà des siècles et par des images d'une telle intensité, quelle merveille ! Léo Bonneville GÉNÉRIQUE — Réalisation : Ermanno Olmi — Scénario: Ermanno Olmi — Images: Ermanno Olmi — Musique : Jean-Sébastien Bach et tradition­ nelle — Interprétation : Lui Ormaghi (Batisti), Francesca Moriggi (sa femme), Omar Brignoli (l'écolier Minek), Giuseppe Brignoli (le grand- père Anselmo) Maria Grazia Caroli (Bettina), Battista Trevaini (Finard), Pucia Pezzoli (Maddele- On devine les tournants qu'elle risque de prendre na), Franco Pilenga (Stefano), Carmelo Silva (le à certains moments, mais on attend patiemment curé), Mario Brignoli (le patron), Francesca Bas- d'arriver « quelque part » pour ultimement attein­ surini (soeur Maria), Lina Ricci (la femme du dre à la formulation sensée des questions aux­ signe), les habitants de Martinengo et de Palosco quelles les réponses s'énonceront ensuite d'elles- — Origine: Italie — 1978 — 175 minutes. mêmes. Les personnages de Claude Sautet, qu'on aime ses films ou non, se définissent pas un NE HISTOIRE SIMPLE • Marie, dans aspect typiquement véridique, si proche de nous Une Histoire simple, décide un jour de qu'on pourrait aisément accuser leur créateur se mettre sérieusement à résoudre ses (et, ici, son co-scénariste Jean-Loup Dabadie) de problèmes, un peu par l'absurde. Face s'être introduit subrepticement dans la vie des à face avec elle-même, comme tous couples, des hommes, des femmes, des familles, les personnages des autres films de Claude Sau­ des enfants, en s'aidant de magnétophones sa­ tet, elle passe à la résolution de ses contradic­ vamment camouflés. tions à la manière d'un flûtiste qui se met en Marie parvient à être ainsi, non seulement le devoir de nettoyer son instrument afin de pour­ portrait sincère d'une femme de quarante ans, suivre son concerto. mais aussi le portrait de n'importe quelle femme, Chez Sautet, les personnages se posent fina­ même de n'importe quel homme. En regardant lement des questions qu'ils ne pouvaient pas se vivre Marie, nous nous regardons vivre, nous poser auparavant par manque de temps (travail, concevons aisément les questions qu'elle se ambition, jeunesse, « vivre-à-tout-prix ») ou par pose parce qu'elles sont les nôtres, nous épaissis­ manque d'occasions. Ces occasions sont les thè­ sons le contenu même de notre moi par l'apport mes mêmes des films de Sautet : que ce soit indirect que ses problèmes donnent à notre propre l'âge ou la fin d'un rapport, le terme d'une car­ existence. rière ou la mort d'un être cher, l'influence d'un Dans Une Histoire simple (que Sautet a ami spécial ou un événement purement inopiné, choisi de faire pour Romy Schneider), le réali­ dramatique ou heureux. sateur fait adopter à ses personnages une attitude A la différence des personnages de Bergman, contraire à toutes celles prises par les person­ ceux de Sautet sont vivants à cause d'une inter­ nages de la majorité des films contemporains communication constante due à une vie commu­ dits psychologiques. Généralement, on nous mon­ nale axée sur l'amitié. On ne recherche pas chez tre des êtres humains pris dans les rets de leurs Sautet la résolution des grands problèmes de la propres décisions, puis les conséquences de communication humaine, ni l'explication des axio­ leurs actes, enfin cette espèce de rédemption mes universels. On se laisse plutôt porter par les bienfaisante qui leur fait ouvrir les yeux et leur choses de la vie, dans leur intimité la plus pro­ permet d'aller plus avant dans la poursuite de fonde ou la plus fragile, parce que souvent la leur existence ou la suite de leur vie. Ici, Marie plus inattendue. On laisse « la vie conduire sa décide au tout début de renoncer à l'enfant qu'elle propre vie », faire son propre bout de chemin. porte en elle et de rompre avec l'homme qu'elle 34 SÉQUENCES 96 croyait aimer. C'est à partir de ce moment qu'elle RI DE FEMMES • Melina Mercouri a se laisse vivre. Pour voir où cela la mènera. retrouvé le pays qu'elle a dans le sang, Libre et sans attaches, elle retrouvera l'ami­ la tête et le coeur, le sien, la Grèce tié véritable des autres femmes et partagera avec t éternelle et pourtant si changée. Me­ elles aussi bien les difficiles moments de la vie lina a non seulement retrouvé la Grèce, d'une famille (Gabrielle) que les folles équipées mais aussi le metteur en scène, qui, par l'hom­ sous la pluie (Esther). Sautet, dans ces extra­ mage d'un amoureux de génie, en fit une vedette ordinaires portraits pris sur le vif de femmes d'au­ internationale dans Jamais le dimanche. jourd'hui, s'exprime avec autant de finesse et Vingt ans plus tard, Melina tourne son pre­ de souplesse que s'il s'était agi de Vincent, de mier film en Grèce depuis son exil sous la direc­ François, de Paul ou des autres. Il nous fait tion, à nouveau, de Jules Dassin. C'est Cri de fem­ vraiment découvrir une Ariette Bonnard au regard mes, histoire étrange, tourmentée, profondément suavement chaud et à la personnalité attachante. ancrée dans les traditions et la vérité d'une Grèce Il ramène sur les écrans l'éternelle jeunesse d'une plus vraie que nature, véhicule essentiel pour une Sophie Daumier pétillante, la bouche encore plei­ Melina qui a retrouvé ses racines profondes. Ce ne des dragées au poivre de Baratier. Il nous film est un itinéraire grave et compliqué, le che­ livre Eva Darlan et Francine Berge dans toute minement d'un être à la découverte de sa vérité, la sérénité et le naturel de personnages faits qui rejoint finalement les grandes vérités humai­ sur mesure. nes de tous les temps. La tragédie grecque a su Et que dire du personnage (fait sur mesure, avant tout découvrir, formuler et approfondir ces lui aussi) de Marie ? Romy Schneider n'est ni vérités. Et c'est l'oeuvre d'Eschyle, « Médée », qui bouleversante, ni éclatante, comme on disait sert de prétexte et de démonstration à Dassin d'elle dans ses films précédents : elle est finale­ dans le film. ment elle-même, se mouvant avec aisance d'un Maya, grande vedette grecque mondialement personnage à l'autre, de l'intérieur d'une voiture connue, de retour dans son pays, doit jouer Mé­ à celui d'une maison de campagne, d'un bureau dée sous la direction de son ancien amant - à un café-tabac (« J'ai bu trop, qu'est-ce qu'on qu'elle pense aimer toujours - Kostas. dit ?, j'ai trop bu ...») Maya est riche, adulée, célèbre, mais elle est Refus, incertitudes, choix, décisions : le per­ vide. Elle ne sent rien et utilise sa technique pour sonnage de Marie est « un personnage de Claude interpréter ses rôles. Kostas la dirige d'ailleurs Sautet» à 100%. Marie a la force de caractère dans ce sens, et Maya, qui tente de le rejoindre de Rosalie, la jeunesse incertaine de Mado, la sur le plan humain, échoue parce que Kostas, passion dans l'amour de l'héroïne des Choses metteur en scène, ne comprend ni n'aime la de la vie. Elle devient complète dans cette His­ vérité. Son rôle est de donner l'illusion de la toire simple que Sautet a composée avec une vérité, de la manière la plus < théâtrale », la plus justesse de ton exemplaire. artificielle qui soit. Résultat : Maya est tour­ Maurice Elia mentée, malheureuse, et n'arrive pas à trouver son personnage. A cet égard, sa tirade (lorsque GÉNÉRIQUE — Réalisation: Claude Sautet — Médée, l'étrangère, s'adresse aux femmes de Co- Scénario : Jean-Loup Dabadie et Claude Sautet rinthe) est un chef-d'oeuvre de fausse vérité, et — Images : Jean Boffety — Musique : Philippe Dassin en fait proprement l'autopsie de main de Sarde — Interprétation : Romy Schneider (Marie), maître. Bruno Cremer (Georges), Claude Brasseur (Serge), Arle'.te Bonnard (Gabrielle), Sophie Daumier Puis, sous le couvert d'une opération publi­ (Esther), Eva Darlan (Anna), Francine Berge citaire sordide, Maya est brusquement confrontée (Francine), Roger Pigaut (Jérôme), Madeleine avec la vie, vraie, cruelle et surtout terriblement Robinson (la mère de Marie), Jacques Sereys simple. A Glyphada, non loin d'Athènes, une (Charles), Jean-François Garreaud (Christian), jeune Américaine, Brenda, vient de tuer à coups Xavier Gélin (Denisold), Nadine Alari (la doctores­ de couteaux ses trois enfants pour punir son se) —Origine: France —1978—115 minutes. mari de l'avoir abandonnée. Elle est en prison, AVRIL 1979 35 d'une scène répétée dans le petit théâtre en plein air « c'était bon », on voit : 1) qu'il n'y croit pas, 2) qu'il est obligé de reconnaître qu'elle est bonne, parce que VRAIE. Cette interprétation, Maya la découvre, l'ab­ sorbe, l'assimile peu à peu, au fur et à mesure que ses rapports avec Brenda s'intensifient. Elle apprend la vérité petit à petit, dans la libération physique et affective d'une Brenda dont la cons­ cience ne va pas plus loin que le premier degré. Elle n'a pas fait le mal : elle a seulement voulu punir son mari « dans sa chair » comme sa reli­ gion rigide le lui intime (Dassin prend soin de nous montrer l'écriture enfantine, presque retar­ dée, de Brenda, trois ou quatre fois). Et à la fin, et c'est là que Maya vient lui rendre visite avec lorsqu'elle raconte à Maya le moment des meur­ sa harde de photographes et de journalistes à tres, on le voit et Maya s'identifie à elle sans l'affût de la « copie » sensationnelle : la fausse aucune équivoque, justifiant et prolongeant le Médée rencontre la vraie ! Brenda est d'abord plan du Persona de Bergman montré en début touchée du geste de Maya : une grande vedette de film. C'est Kostas, le metteur en scène, qui rendant visite à la recluse solitaire face à son le projette, disant « c'est le plus grand film de crime. C'est beau ! Puis, devant les hurlements Bergman ». Maya, indifférente, acquiesce d'un air des journalistes, les flashes des photographes, absent. Lui semble y croire, elle non. Et finale­ elle ne comprend que trop bien toute cette basse ment, c'est elle qui va vivre cette expérience uni­ entreprise et se retire en injuriant grossièrement que, tandis que lui ne comprend plus. Maya. Et le gros plan qui suit, de Maya terrifiée Quand l'art a rejoint la vie (qu'on se sou­ par la tempête qu'elle a soulevée et dont elle vienne de « Ce soir on improvise » de Pirandello), comprend brusquement, elle aussi, la vraie signi­ nous n'avons plus besoin de Brenda. Maya est fication, est l'espèce de porte Intemporelle par allée au bout d'elle-même, ce que souligne le laquelle l'actrice va lentement remonter vers la cri du coeur de Médée qui se termine par le lumière, la vérité et devenir, au sens le plus cri de Brenda. Le cercle est fermé. Et tout le profond du terme, Médée. reste est silence .. . Le film, à partir de ce moment-là, est cons­ Le duel/confrontation Mercouri/Burstyn at­ truit à la fois comme un puzzle et une enquête teint des sommets éblouissants et terribles de policière. Maya va revoir Brenda, l'apprivoiser, vérité et d'intensité. Elles sont vraies l'une et la faire parler, la faire raconter et analyser les l'autre jusqu'au bout d'elles-mêmes dans la dé­ raisons de son geste atroce, et ce qui, au départ, mesure comme dans la sobriété. Le plus beau est une recherche pour un rôle de théâtre devient compliment qu'on puisse faire à deux comédien­ peu à peu une recherche humaine, intellectuelle et nes de ce calibre, c'est qu'au-delà de l'Art, elles affective. ont retrouvé la Vérité. Naturellement, le metteur en scène, Kostas, Patrick Schupp ne comprend pas, ne comprendra jamais la dé­ GÉNÉRIQUE - Réalisation : Jules Dassin — Scé­ marche de Maya et surtout l'évolution de son nario : Jules Dassin, en collaboration avec Melina interprétation : < Mais qu'est-ce que tu fais, tu Mercouri — Images : Georges Arvanitis — Musi­ es folle», crie-t-il à Maya, à l'issue d'une scène que : Yannis Marcopoulos — Interprétation : Me­ particulièrement intense avec Jason ; et le comé­ lina Mercouri (Maya/Médée), Ellen Burstyn (Bren­ dien qui en tient le rôle lui répond, indigné < mais da), Andreas Voutsinas (Kostas), Despo Diamanti- c'est vrai, ce qu'elle fait ! Moi, ça m'aide, j'aime dou (Maria), Dimitri Papamichael (Dimitris) — ça 1 > Plus tard encore, quand il dit, à la fin Origine: Grèce — 1978 — 110 minutes.

36 SÉQUENCES 96 LISA, MON AMOUR • Une auto­ mobile se dirige à vive allure vers une maison isolée dans un décor aus­ € tère. Une voix d'homme, hors cadre, nous dit qu'on se dirige vers la maison de Luis qui vit seul souffrant d'une maladie de plus en plus persistante. On pense à ce moment précis qu'il s'agit de la voix du fils de Luis. Or, Luis n'a pas de fils. Il n'a que deux filles : Elisa et Isabel. Plus tard, la même phrase sera répétée par Luis. On comprendra que Luis, par le truchement d'un roman, décrit les sentiments qui pourraient habiter Elisa, quand elle vient lui rendre visite. Enfin, cette affirmation sera reprise par Elisa elle-même. On saisit alors que nous venons de lever le voile sur la vie de cette der­ nière qui interroge ses rêves, ses phantasmes, son enfance, ses relations et les écrits de son Certes, Elisa analyse elle-même ses senti­ père, pour comprendre les malentendus qui jalon­ ments. Mais le fait de nous conduire à la décou­ nent son existence. Elisa, mon amour, c'est le verte de ces sentiments en partant du point de portrait psychologique d'une femme dont l'itiné­ vue de l'autre comme s'il émanait de son univers raire aboutit à un constat d'échec face à la soli­ personnel (la relation père-fille et romancier-destin) tude d'un amour décevant, avec son cortège d'in­ s'avère d'une originalité respectueuse de la com­ compréhension, d'anxiétés et d'insatisfactions. plexité d'une vie partagée entre l'idéal et la De prime abord, on peut trouver le film de réalité. Comment naissent et meurent les senti­ Carlos Saura inutilement compliqué. Par exemple, ments ? Jusqu'où peut-on aller dans l'ouverture les incursions dans le passé d'Elisa s'installent sur à l'autre ? Comment le destin réagit-il face à la l'écran sans avouer clairement qu'ils sont des liberté ? Le père ne serait-Il que le double documents d'époque ou le fruit d'une imagination d'Elisa ? qui fait que «les choses vivent d'elles-mêmes ». « Je sais que je dois prendre une décision, Pour ajouter à la confusion apparente, Saura fait mais je n'y arrive pas ». Ainsi s'exprime Elisa face jouer par la même actrice le rôle de la mère et de à la crise qu'elle traverse. Elle accuse son mari la fille. Fernando Rey cumule les fonctions du Antonio de la tromper avec sa meilleure amie. père, du mari et du romancier. Et pourtant, le Elle avoue l'échec définitif des liens qu'elle avait spectateur attentif n'aura pas du tout l'impression essayé d'avoir avec lui. Sa vie sexuelle et affec­ d'avoir perdu son temps, après avoir fait l'effort tive est morte, parce que, selon elle, Antonio n'a de rassembler les morceaux d'un casse-tête qui lui jamais su se donner. C'est probablement ce que permettent de découvrir un paysage intérieur nous suggère de façon réaliste ce corps de femme d'une troublante beauté. Ce miracle est la con­ couvert de plaies mortelles. Mais, elle semble séquence d'un montage très élaboré dont l'ori­ avoir vécu auprès de lui comme une étrangère, ginalité n'emprunte rien au théâtre et à la litté­ quand elle affirme ignorer qui est Antonio. rature. C'est du cinéma à l'état pur. Tout cela « L'égoïsme humain est tel que j'étais contente est abordé d'une façon si intelligente que plus de la maladie de mon père, dit-elle, parce qu'il d'un spectateur sortira avec la flatteuse impression me donnait l'occasion de m'éloigner de la mai­ d'avoir été intelligent, puisqu'il aura réussi à son ». Jusqu'où peut aller l'influence d'un père suivre le fil d'Ariane avec un intérêt soutenu. qui a quitté femme et enfants pour s'enfoncer C'est pourtant au réalisateur que revient le mérite dans la solitude de la campagne, alors qu'elle de nous faire déambuler sur une route intelligem­ n'avait que neuf ans ? Il y a cette relation ambi­ ment balisée. guë entre Luis et Elisa qui semble prendre des

AVRIL 1979 37 allures hystériques de part et d'autre. De là, la possibilité d'explosions de plusieurs phantasmes, quand une jeune femme accuse l'usure de la vie comme étant responsable de plusieurs refus d'aimer. Ce film qui nous fait sentir la difficulté d'aimer vraiment, il est bien difficile de ne pas l'aimer. Un film réservé aux intellectuels souf­ frant de « cinéphilie » incurable ? Nenni. £//sa, mon amour laisse beaucoup de place à l'imagi­ nation de tout spectateur qui accepte de suivre intelligemment la démarche du réalisateur. Ce film fait appel à la densité du vécu de chacun. La moindre mimique des acteurs véhicule une pléthore de sentiments. Et Carlos Saura peaufine un style personnel qui s'adresse à l'intelligence du coeur. Janick Beaulieu qui fonctionne à la manière d'une enquête poli­ GÉNÉRIQUE — Réalisation : Carlos Saura — cière et d'un suspense psychologique. Scénario : Carlos Saura — Images : Teo Esca- milla — Musique : Erik Satie — Interprétation : Insatisfait par les recherches du détective Géraldine Chaplin (Elisa), Fernando Rey (Luis), privé, Jake décide de quitter sa petite ville et Norman Briski (Antonio), Isabel Mestres (Isabel), de se mettre lui-même en quête de sa fille. Joaquin Hinojosa (Julien), Ana Torrent (Elisa, Au cours de son enquête effectuée avec la rage enfant) — Origine: Espagne — 1976 — 127 du bien-pensant et les préjugés moraux du calvi- minutes. nis'e prétentieusement imbu des valeurs morales et religieuses sur lesquelles repose toute son exis­ tence, Jake fait la rencontre de Niki, une jeune

40 SÉQUENCES 96 GÉNÉRIQUE - Scénario, réalisation, production : début de son mariage « forcé », avec Cari Andréas. Martin Rosen — Direction de l'animation : Tony D'emblée, ce choix s'avère peu judicieux en Guy — Musique : Angela Morley, Malcolm Wil­ comparaison des moments intenses que vécut liamson — Voix: John Hurt (Hazel), Richard Lou au cours de sa relation amoureuse avec Rilke Briers (Fiver), Michael Graham-Cox (Bigwig), Zero et grâce à son amitié pour Freud, moments pen­ Mostel (Kehaar), Harry Andrews (Général Wound­ dant lesquels son intelligence remarquable brilla wort), Roy Kinnear (Pipkin), Simon Cadell (Black­ le plus intensément. Sans doute Cavani voulait- berry), Richard O'Callaghan (Dandelion), Denholm elle exploiter des scènes féeriques et carnava­ Elliott (Cowslip), Mary Maddox (Clover) — Origine: lesques dans les décors de Rome et de Venise. Grande-Bretagne — 1978 — 92 minutes. Pourtant, si on s'en tient à son autobiographie, Lou Salomé semble avoir été beaucoup plus impressionnée lors de ses voyages dans sa Russie U-DELÀ DU BIEN ET DU MAL • natale. De la même façon, la version qu'on « Je me sens chez moi dans le bon­ donne des circonstances de la mort de Paul Rée heur ». C'est ainsi que Lou Salomé nous laisse perplexes. Mais ce qui est le plus résumait sa vie. Hélas ! elle eut aussi intolérable et injuste envers l'héroïne demeure à porter le poids du malheur et du cette simplification pour présenter l'immense cu­ ressentiment qu'un esprit curieux et épris de li­ riosité de la vie qui l'animait, réduite ici à un berté comme le sien peut sans le vouloir causer simple voyeurisme. à son entourage. Lou Salomé, qui a fait partie de Le choix des interprètes serait excellent si l'intelligensia européenne de la fin du siècle der­ leur jeu ne se trouvait sans cesse réduit aux nier, a émerveillé, par sa beauté et son intelli­ stéréotypes des personnages qu'ils incarnent. gence, plusieurs des grands esprits qui ont marqué Dominique Sanda prête avec justesse sa beauté notre époque. Nietzsche se rendit fou de douleur empreinte de mystère et d'une ardente passion à vouloir l'épouser. Rilke en fut éperdument amou­ contenue pour évoquer Lou Salomé, dont on disait reux. Freud la consultait et l'écoutait. Elle con­ que « le soleil se levait quand elle entrait dans nut Wagner, Tolstoï, Strindberg et Ibsen et écrivit une pièce ». Cependant, sa réserve naturelle, Illu­ une vingtaine de livres et plus de cent articles minée d'un feu intérieur, s'accommode mal des dans les revues philosophiques et littéraires. situations extravagantes où Cavani la force à L'histoire ne lui a certes pas encore rendu justice évoluer. Ce même malaise semble s'être transmis et Au-delà du bien et du mal contribue involontai­ aux interprètes de Nietzsche et de Paul Rée, rement à perpétuer le malentendu. D'abord, ce Erland Josephson et Robert Powell. Quant à film hésite trop entre deux personnages princi­ paux : Lou et Nietzsche, et son style relève plus du fantasme fellinien que des angoisses méta­ physiques. Et pourtant, l'intention de Liliana Ca­ vani (Portier de nuit) était bonne. On le sent à la recherche de nombreux détails et à la tendresse qu'elle porte à son sujet. Malheureusement, cette affection est trop partagée entre les différents points de vue, celui de Nietzsche, de Paul Rée et de Malvida von Meysenbug, grande dame du mouvement féministe allemand. Il en résulte un « sensationnalisme » désastreux qui se rapproche davantage du fait divers que de la vie exception­ nelle de Lou Salomé. Liliana Cavani a choisi de nous présenter Lou Salomé lors de la période de son fameux « ma­ riage à trois » avec Nietzsche et Paul Rée et, au AVRIL 1979 41 Virna Lisi,qui joue Elizabeth, soeur de Nietzsche, né le 3 janvier 1892 à Bloemfontein, en Afrique rongée par la jalousie et la haine envers Lou, du Sud. Très jeune, quand son père mourut, il elle doit supporter le poids d'un personnage trop fut ramené par sa mère à Birmingham, en Angle­ caricaturé, incarnant presque à elle seule la mon­ terre, où sa famille à elle avait vécu pendant tée de l'antisémitisme et le militarisme grandis­ des générations. Birmingham étant la ville in­ sant. dustrielle noire, sauvage et désolée que l'on sait, Tout n'est pas perdu cependant. Lorsque il peut être permis de se demander si les paysa­ Liliana Cavani imagine Lou, venant rendre visite ges désolés et nus du Nottinghamshire n'auraient à Nietzsche atteint par la folie, pour lui murmurer pas influencé jusqu'à un certain point l'imagina­ à l'oreille: «Notre siècle est tout proche», on tion du jeune homme lorsqu'il décrit dans son peut espérer que quelqu'un d'autre essaiera avec livre la terre maudite de l'obscurité et de la succès de porter à l'écran la vie fulgurante et terreur, Mordor. extraordinaire d'une des figures féminines les Son premier livre, The Hobbit, est publié plus passionnantes de notre époque, et en fera un alors que Tolkien a quarante-cinq ans. Il enseigne peu plus qu'une croqueuse de jeunes hommes. à l'université d'Oxford, après avoir complété des En attendant, il nous reste les images d'Armando études avancées sur les mythes littéraires anglo- Nannuzzi, dont on peut se délecter, la conscience saxons. Il crée les personnages que nous con­ tranquille, au-delà de la vérité historique. naissons tous pour l'amusement de ses enfants, ainsi que le royaume de la Terre du milieu (dont Huguette Poitras il a emprunté la terminologie aux mythes Scan­ GÉNÉRIQUE - Réalisation : Liliana Cavani — Scé­ dinaves). C'est sur l'instance de ses collègues, nario : Liliana Cavani, Franco Arcalli et Italo à Oxford, qu'il écrit ces contes dont le person­ Moscati, d'après une idée de Liliana Cavani — nage central est une espèce de gnome amical Images : Armando Nannuzzi — Musique : Danièle et déluré, appelé Bilbo. Paris — Interprétation : Dominique Sanda (Lou), The Hobbit, publié en 1937, connaît un Erland Josephson (Nietzsche), Robert Powell (Paul), succès immédiat et sans faiblesse dans tout le Virna Lisi (Elisabeth), Philippe Leroy (Grast), Elisa monde anglo-saxon. Tolkien décide alors de Cegami (la mère), Michael Degen (Andreas), Um­ faire les choses en grand, s'attaque à cette tri­ berto Orsinl (Forster) — Origine : Italie/France/ logie monumentale (plus de 500,000 mots) qui, R.F.A. — 1977 — 127 minutes. non seulement décrit les aventures et l'histoire des Hobbits, mais crée de toutes pièces un monde fabuleux, féerique, avec une origine, une histoire, <-7-5?) HE LORD OF THE RINGS • une géographie, des cartes, des oeuvres litté­ 7{fë^ The Lord of the Rings, ce chef-d'oeuvre raires, une culture et des guerres. Pour ceux \mJ*J) de la littérature fantastique anglo- que cela intéresse, je recommande la lecture saxonne, est enfin devenu un film, par passionnante de la correspondance échangée la grâce de Ralph Bakshi, animateur, entre Tolkien et OS. Lewis. Le frère de C. S. auteur des passionnants et controversés Fritz the Lewis (l'auteur de Perelandra, de Out of the Cat, Heavy Traffic, Coonskin et, plus récemment, Silent Planet, de That Hideous Strength, qui comp­ Wizards. Comment Bakshi est-il arrivé à trouver tent parmi les grands livres de science-fiction) une équivalence visuelle au rythme et à la création écrivit la préface de Lord dans l'édition originale littéraire de J.R.R. Tolkien, et comment a-t-il réus­ (Allen et Unwind, 1954), et rappelle justement les si— incontestablement— non seulement à ne pas différentes étapes de l'oeuvre, à laquelle Tolkien décevoir les vingt millions d'admirateurs dudit travailla de 1936 à 1955. Le premier volume Tolkien à travers le monde, mais encore à créer un (The Lord of the Rings) parut en 19S4. The Two film tout à fait remarquable et innovateur sur de Towers parut un peu plus tard, la même année, nombreux plans ? Voilà ce que nous nous propo­ et le troisième volet, The Return of the King, sortit sons d'examiner. en 1955. Ce n'est qu'avec la publication de la L'auteur de The Lord of the Rings est J.R.R. trilogie en format poche que les ventes vont Tolkien (John Ronald Reuel), d'origine allemande, atteindre plus de vingt millions d'exemplaires. 42 SÉQUENCES 96 à recevoir le sceau infamant de «pour public averti seulement». Infamant peut-être, mais qui, en raison de ses qualités techniques, son au­ dace, et l'intelligence de son propos, allait révo­ lutionner l'industrie de l'animation et mettre Bakshi au premier rang des jeunes cinéastes engagés et témoins d'une civilisation et d'une culture. Avec The Lord of the Rings, cependant, Bakshi trouva enfin un sujet à la mesure de son talent. En fait, depuis qu'il avait lu le livre, il voulait en faire un film, et avait multiplié, mais sans succès, les démarches dans ce sens. Finalement, en 1975, United Artists accep'a de lui donner une chance, et Bakshi s'associa avec Saul Zaentz, producteur J.R.R. Tolkien a ensuite, quinze ans plus à succès, entre autres, de One Flew over the tard, écrit The Silmarillion, qui raconte l'histoire Cuckoo's Nest (qui rafla les Oscars du meilleur de l'union entre les Elfes et les Hommes, donc film, des meilleurs acteurs, actrices, met'eur en avant les aventures de Bilbo et Frodo, les per­ scène et scénario). Zaentz, également passionné sonnages principaux de Lord. Le professeur Tol­ par Tolkien qu'il avait découvert dans des con­ kien s'est éteint doucement, près d'Oxford, en ditions semblables à celles de Bakshi, fit une septembre 1973, et The Silmarillion, publié l'an confiance totale à Bakshi, à ses conceptions dernier, a, en quelques mois, battu les records révolutionnaires et à son enthousiasme débordant. de vente de la trilogie pendant une période Bakshi avait déterminé, dès l'abord, que, identique. pour pouvoir préserver la trame de l'histoire et Dès la parution de la trilogie, un mouve­ condenser adéquatement le demi-million de mots ment underground se dessina, avec des fan-clubs, de Tolkien, il fallait faire deux films. Ensuite, il un langage (dérivé de celui des Elfes), et le décida de tourner une première fois avec des jeune Bakshi, après avoir lu le livre, en fit acti­ acteurs vivants, de créer décors, costumes, dans vement partie. La publication en livre de poche, un contexte non-animé, comme un film ordinaire, vers 1960, allait intensifier ce mouvement. Le et ensuite de faire l'animation à partir de cette monde créé par Tolkien, monde de paix et de action vivante, donc aussi naturelle que possible. gentillesse, en lutte contre les forces du mal et Non seulement cette façon de travailler doublait de l'obscurité, faisait écho profondément aux les coûts de production, mais demandait aussi mouvements en faveur de la paix et de l'har­ le double de temps prévu normalement (qui, pour monie organisés par la jeunesse d'alors. Le thème l'animation, comme on sait, est déjà fort long ! ). universel du choix moral entre le bien et le mal, Enfin Bakshi, dans le plus grand studio d'anima­ qui est le postulat de base de Tolkien, trouvait tion qui ait jamais ouvert ses portes, avait réuni un écho profond et durable chez les jeunes lec­ plus de 200 animateurs et peintres-décorateurs teurs conscients de la corruption, la violence et pour recréer, à partir de leurs talents individuels, l'injustice régnant autour d'eux. la pluralité des mondes et des situations décrite Walt Disney avait acquis les droits cinéma­ dans la trilogie. En fait, le visionnement du film tographiques en 1958. Mais personne ne voulut — (je l'ai vu trois fois) donne l'étrange impression ou ne put — donner suite à un projet d'une telle de peintures animées, de tableaux vivants — mais envergure. United Artists, dix ans plus tard, ra­ j'entends de tableaux de maire, comme Van cheta ces droits. Stanley Kubrick et John Boor­ Gogh (certains bleus), Rembrandt, ou ... Pellan I man tentèrent une adaptation, mais sans succès. D'autre part, l'utilisation du ralenti donne à cer­ Au même moment, le Fritz The Cat de Ralph taines séquences une beauté et une vérité abso­ Bakshi explosait sur la scène internationale, de­ lument renversantes. On doit à tout moment se venant le premier dessin animé de long métrage souvenir que l'on regarde un film d'animation, AVRIL 1979 tellement certaines séquences sont exceptionnelle­ JK' NVASIONVAS N OF THE BODY SNATCHERS ment réussies, notamment les scènes de bataille, Voici sans doute le remake le plus ou de chevaux galopant. A ma connaissance, 1réuss i de l'histoire du cinéma de ces il n'est jamais arrivé que le cinéma d'animation 1 deîrnièrer s années. En remettant à l'écran, aille aussi loin dans la reconstitution munitieuse vingt-deux ans après, le thème et le sujet du mouvement, qui donne absolument l'impres­ d'un film de Don Siegel, Philip Kaufman a réussi sion de la vie. Naturellement, la trame dramatique à faire de Invasion of the Body Snatchers un s'en ressent, et l'histoire se suit avec passion. Je film prenant du début à la fin, à cheval entre ferai une réserve cependant. Il est essentiel d'a­ l'horreur et la science-fiction (sans être défini, ni voir lu le livre avant d'aller voir le film. L'intrigue par l'une ni par l'autre). est touffue, chargée, et multiple. Mais, ceci dit, Précisons tout de suite qu'il ne s'agissait je dois rendre hommage à Chris Conkling et à pas pour Kaufman de dépasser l'impact de Peter Beagle pour la remarquable adaptation du l'Invasion de 1956, ni de l'améliorer sur le plan scénario. Tout est là, du moins l'essentiel, l'his­ cinématographique. Le jeune cinéaste a simple­ toire se sui\ les personnages et les faits sont ment voulu réutiliser un thème et le remettre à respectés, et la recréation du monde des Hobbits, l'ordre du jour dans un contexte totalement diffé­ ainsi d'ailleurs que ceux où leurs aventures les rent de son prédécesseur. D'ailleurs, Don Siegel entraînent, ne déçoit absolument pas. Les images, et Kevin McCarthy (réalisateur et acteur de la que l'imagination avait suscitées en lisant le première version) jouent de petits rôles dans le livre, collent à la vision de Bakshi sans décalage film de Kaufman, témoignant par leur simple ni surprise. On se dit: «Oui, c'est vrai, c'est ça, présence de l'appui total qu'ils donnent à l'en­ cela ne pouvait être autrement ». Et ce n'est pas treprise du réalisateur de The Great Northfield, là le moindre mérite de Zaentz e! Bakshi d'avoir Minnesota Raid. su faire l'unanimité autour de la version filmée Contrairement à la première version, «les d'une oeuvre aussi compliquée, aussi spéciale et conquérants de l'espace » venus se substituer aux aussi différente que Lord. L'impact projeté par terriens pendant leur sommeil, ne prennent pas le livre l'est d'autant par le film, et on reste muet une obscure petite ville pour servir de laboratoire devant tant de talent et d'intelligence. Mais après, à leurs transmutations ; c'est tout San Francisco par exemple, on en parle, et c'est ce qui a motivé qui sera touché. Les habitants, un par un, sont la longueur de cette discussion sur un film qui, atteints d'une maladie qui, à première vue, n'en pour moi, est l'un des plus importants des dix est pas une : pour leurs proches ou leurs amis, dernières années. L'autre événement majeur dans ils perdent, du jour au lendemain, toute émotion le domaine de l'animation avait été une véritable et, sans agir comme de parfaits robots, conti­ révélation : La Planète sauvage. Ce film de Topor nuent à mener une vie normale, sans montrer ou avait ouvert des perspectives éblouissantes au ni­ éprouver aucun sentiment. Le Dr. Bennell, inspec­ veau de la technique et de l'expression (je renvoie teur de la santé publique, se rend progressive­ le lecteur au numéro 79, de janvier 1975, page 35). ment compte de la situation, grâce à une jeune Bakshi prouve que les voies nouvelles de l'anima­ laborantine qui vient lui raconter le changement tion, déjà exploitées par Laloux et Topor, ne sont d'attitude subit de son boyfriend. que le prélude à des découvertes que l'avenir doit Le film de Philip Kaufman reprend les effets consacrer, si la ferveur, la passion et le talent de du classique de Siegel, les multiplie et innove tels réalisateurs sont encouragés, reconnus et en s'aidant du chef-opérateur Michael Chapman, surtout aidés. à qui l'on doit déjà les images oniriques du New York de Taxi Driver. Patrick Schupp L'intérêt de la nouvelle version vient aussi GÉNÉRIQUE — Réalisation: Ralph Bakshi — du fait qu'elle nous arrive dépourvue de toute Scénario : Chris Conkling et Peter S. Beagle, référence politique. On se souvient que le film d'après la trilogie de J.R.R. Tolkien. — Musique : de Siegel avait été considéré par la critique Leonard Rosenman. — Origine: Etats-Unis — comme anti-américain et / ou anti-communiste. 1978 — 127 minutes. (C'est lorsque vous vous endormez que les plan- SÉQUENCES 96 Jack Finney — Images : Michael Chapman — Musique : Denny Zeitlin — Interprétation : Donald Sutherland (Matthew Bennell), Brooke Adams (Eli­ zabeth Driscoll), Leonard Nimoy (Dr. David Kib- ner), Veronica Cartwright (Nancy Bellicec), Jeff Goldblum (Jack Bellicec), Art Hindle (Geoffrey), Lelia Goldoni (Katherine), Kevin McCarthy (l'hom­ me dans la rue), Don Siegel (le chauffeur de taxi) — Origine : Etats-Unis — 1978 — 115 minutes.

(•¥>")HE WARRIORS • Qui sont les guer- 7f(Bh riers du ,ilm de Wal,er Hi" intitu|é l^^JJj The Warriors ? Neuf membres d'une bande d'adolescents de Coney Island. tes-araignées s'emparent de vous. Alors soyons Adapté du roman du même titre de Sol éveillés et attentifs aux assauts insidieux de Yurick, le film raconte comment les Warriors sont l'ennemi !) On sortait à peine de l'ère maccar- poursuivis et traqués par diverses bandes rivales thyste et les esprits étaient encore en alerte. Kauf­ qui les croient responsables de la mort d'un man, lui, relève la morale de son histoire d'un chef puissant assassiné pendant un congrès orga­ cran : ne nous contentons pas de nos plaisirs nisé dans le Bronx, afin de regrouper toutes les et de notre vie tranquille, ne nous « endormons » bandes dans un même mouvement d'action col­ pas sur nos lauriers, apprenons à vivre mieux, lective contre les forces de l'ordre. Injustement à chercher pour découvrir, glorifions l'ambition accusés de meurtre, les Warriors doivent échapper et méfions-nous de l'apathie, élevons-nous sans à leurs poursuivants déchaînés pour se rendre avoir peur du risque. C'est presque Superman, sains et saufs dans leur propre territoire, Coney mais sans modèle à suivre, sans mode d'emploi. Island. Ceux qui s'attendent à voir une riche Tout dans Invasion of the Body Snatchers et pénétrante analyse des conditions socio-écono­ est impeccable : mise à part l'interprétation remar­ miques engendrant la délinquance juvénile et la quable de Sutherland et celle de Brooke Adams, violence en milieu urbain seront probablement une actrice à l'avenir glorieux, le côté technique fort déçus par cette vibrante et audacieuse bande mérite tous les applaudissements : mouvements dessinée cinématographique qui combine toutes de l'action, scénario, effets spéciaux, son, mon­ les ressources du son, de l'image et de la cou­ tage, maquillage... Et même si ce n'était pas leur pour nous offrir un spectacle plein de bruits la décennie de Carrie et de Close Encounters, le et de fureurs. film aurait déployé ses qualités sans participer Le très talentueux Walter Hill, à qui l'on à aucune mode. doit l'original Hard Times, dans lequel Charles Philip Kaufman a reçu de Pauline Kael des Bronson trouvait son meilleur rôle à l'écran, et félicitations que le célèbre critique new-yorkais l'insolite The Driver, s'intéresse fort peu à la n'avait pas prodiguées avec autant de ferveur psychologie de ses personnages esquissés à gros depuis le Dernier Tango de Bertolucci. Reste à traits, ne s'embarrasse pas d'explications socio­ savoir s'il maintiendra sa cote d'amour auprès logiques et n'examine aucunement les conditions d'un public qui semble l'avoir encouragé avec ce familiales dans lesquelles ont grandi les Warriors. film que ne désavouerait certainement pas Brian Certes, ses personnages nous apparaissent com­ De Palma. me des déshérités, des damnés de la terre survi­ Maurice Elia vant et s'affirmant par la seule force de leur volonté, mais Hill et son scénariste, David Shaber, GÉNÉRIQUE — Réalisation: Philip Kaufman — ont voulu avant tout nous agglutiner à leurs efforts Scénario : W. O. Richter, d'après le roman de soutenus et héroïques pour éviter leurs agres- AVRIL 1979 45 seurs, à leur lutte presque désespérée pour at­ tiques et rythmiques. Hill sait magnifiquement teindre leur territoire et à leurs déplacements doser ses effets, accélérer ou ralentir le rythme physiques dans l'espace. aux moments propices, amalgamer des couleurs antithétiques, imposer l'abstraction visuelle sans Pendant cette course folle vers le lieu de jamais tuer la participation affective du specta­ refuge, quelques membres de la bande sont tués teur, utiliser de manière presque surréaliste les et d'autres blessés. Les poursuivants mettent tout beautés énigmatiques des décors naturels et nour­ en oeuvre pour se débarrasser des Warriors. Cha­ rir des tensions narratives et dramatiques par le que affrontement possède une unique beauté seul déplacement des personnages dans le cadre chorégraphique qui privilégie la précision des de l'image. gestes, la souplesse et la netteté des mouvements des corps, la violence sèche des contacts physi­ Il est également impossible de passer sous ques et la fougue syncopée des attaques et des silence la parfaite direction de jeunes acteurs retraits. Comme dans les bandes dessinées et talentueux qui apportent au film leur vitalité et dans les meilleurs films de kung fu, « l'accent leur charme respectifs, tout en se fondant harmo­ visuel » est mis beaucoup moins sur les explo­ nieusement dans une architecture audio-visuelle sions sanguinaires, sur les déferlements d'hémo­ remarquablement cohérente. Grâce à leur sensi­ globine, que sur le rythme survolté des heurts bilité à fleur de peau, à la justesse de leurs gestes physiques et sur les qualités presque abstraites et à l'authenticité de leurs regards, les Warriors des affrontements. The Warriors est un film sa­ deviennent spontanément des êtres attachants qui vamment stylisé qui utilise la nuit et les longs s'affirment dans et par la violence. Les Warriors couloirs du métro de New York comme des toiles son les reje'ons d'une société malade qui ne de fond dynamiques sur lesquelles se détachent reconnaît même plus ses enfants. Chaque ado­ les rencontres nerveuses des bandes rivales, les lescent trouve dans son appartenance à la bande, costumes aux couleurs agressives et variées des dans l'action collective et dans le costume qui adolescents et les visages frémissants d'émotions, distingue et identifie le groupe, les seuls véri­ tour à tour, graves, rageurs, tendres et féroces. tables sens à la vie. S'il se détache du groupe, Walter Hill tourne résolument le dos au réalisme, l'individu est confronté au vertige du néant et à traditionnel. Presque personne ne se promène l'absurdité du monde dans lequel il vit. Les War­ dans les rues et ne marche dans les stations de riors sont des parias malgré eux. lis n'ont pas métro où se déroulent les combats. Une atmos­ choisi d'être mis sauvagement à l'écart. Vivre phère d'intense claustrophobie se dégage des en bande est leur façon de se prouver à eux- images construites avec une belle clarté géomé­ mêmes qu'ils ne sont pas inutiles et dérisoires. trique et avec un souci exact des contrastes pias- Hill leur reconnaît le droit d'exister à leur façon. Même si la structure narrative est quelque peu prisonnière de redondances lassantes et jux­ tapose trop méthodiquement les menaces, les affrontements et les fuites, même si l'histoire s'avère résolument artificielle et même si la mise en scène éblouissante de Hill prend trop souvent le pas sur un scénario plutôt faible et, par moments, anémique, on ne peut s'empêcher d'admirer ce film, férocement personnel et crispé, qui nous rappelle, sans excès d'humanisme fa­ cile, que les laissés pour compte s'accrochent de toutes leurs forces à la vie avec une volonté fié­ vreuse de ne pas être écrasés. The Warriors, c'est l'odyssée frénétique d'adolescents qui refusent de mourir comme des bêtes qui vont docilement à l'abattoir. André Leroux 46 SÉQUENCES 96 GÉNÉRIQUE - Réalisation : Walter Hill — Scé­ nario : David Shaber, d'après le roman de Sol Yurick « The Warriors » — Images : Andrew Lasz­ lo — Musique : Barry De Vorzon — Interprétation : Michael Beck (Swan), Deborah Van Valkenburgh (Marcy), James Remar (Ajax), Brian Tyler (Snow), Marcelino Sanchez (Rembrandt), David Patrick Kelly (Luther), Thomas Waites (Fox), Dorsey Wright (Cleon), David Harris (Cochise), Tom McKitterick (Cowboy), Terry Michos (Vermin), Roger Hill (Cy­ rus) — Origine : Etats-Unis — 1979 — 94 minutes.

GATHA • Lorsqu'Agatha Christie - qui refusait toute interview - annonça que ses Mémoires seraient publiées après sa mort, une vague bien naturelle de cu­ un portrait assez ressemblant, suffisamment pour riosité s'empara du monde. Allait-elle qu'on y croie. Certains critiques ont reproché à parler de sa fameuse disparition, à la suite de Mme Redgrave une froideur sans sympathie. Je son premier grand succès, The Murder of Roger les renvoie à ces fameux Mémoires où Agatha Ackroyd ? Christie trace d'elle-même un portrait qui ressem­ Le vendredi 4 décembre 1926, à la suite ble beaucoup au personnage qu'incarne Vanessa d'une explication fort orageuse avec son mari, Redgrave. Je serais d'ailleurs curieux de savoir le colonel Archibald Christie, Agatha Christie prit ce que Mme Christie aurait dit du film ... sa voiture et disparut. La voiture fut retrouvée, Quoi qu'il en soit, cette « solution fictive » ne abandonnée, quelques jours plus tard sur une demeure qu'une aimable pochade à teinture poli­ route de campagne, mais d'elle, pas de traces. cière, plus habilement exploitée que le sujet ne On supposa tout, depuis le suicide jusqu'à l'opé­ le laissait prévoir. Le film vaut surtout par la ration publicitaire de mauvais goût, en passant reconstitution absolument remarquable de l'épo­ par le meurtre, l'enlèvement... On la retrouva, que, et Shirley Russell (l'ancienne femme de Ken) onze jours plus tard, dans un hôtel du Yorkshire, a poussé la conscience professionnelle jusqu'à sous le nom - emprunté - de la secrétaire de exiger, en tant que directrice de production, le son mari, qui était aussi la maîtresse de celui-ci. tournage dans l'hôtel même, à Harrowgate, où Quelques années plus tard, le colonel Christie Agatha était descendue, en 1926. Les comédiens divorçait d'avec Agatha pour épouser ladite ne le cèdent en rien au décor et, à côté de la secrétaire, Nancy Neele, tandis que deux ans très vraisemblable Agatha Christie de Vanessa encore après ce mariage, Agatha se remariait à Redgrave, Dustin Hoffman, dans le rôle de Wally son tour avec l'archéologue Max Mallowan, avec Stanton, riche journaliste américain qui « décou­ lequel elle est restée jusqu'à sa mort, en 1976. vre » le plan perfide d'Agatha, fait très honorable Tels sont les faits auxquels Mme Christie ne fait, hélas I pas allusion dans ses remarquables Mé­ figure. Il est intelligent, plein d'assurance, aussi moires. américain qu'elle est anglaise - ce qui n'est pas peu dire i Timothy Dalton donne du colonel Chris­ Kathleen Tynan et Michael Apted ont, sur tie une interprétation à la fois brillante et conte­ ces faits authentiques, brodé une histoire assez nue. Il reprend la tradition des David Niven, invraisemblable, mais non sans charme, qui offre Laurence Olivier, Michael Redgrave, Alec Guinness selon la présentation publicitaire « une solution et autres grands qui créèrent des personnages fictive au mystère réel de la disparition d'Agatha super-britanniques, cyniques, suffisants et très Christie ». Vanessa Redgrave est assez étonnante « high-class », dont on avait presque oublié l'exis­ dans le rôle titre, et présente de la romancière tence. On garde un excellent souvenir du film. AVRIL 1979 47 Mais il ne faut pas chercher à l'analyser, cela le avant que celui-ci s'essaie à la mise en scène, tuerait... Mulligan a connu une heureuse carrière jalonnée Patrick Schupp de comédies (, ), certaines obtenant un grand succès populaire GÉNÉRIQUE - Réalisation : Michael Apted — () et de poignantes études de Scénario : Kathleen Tynan (et Michael Apted), caractère (To Kill a Mockingbird, Up the Down d'après son roman — Images : Vittorio Storaro — Staircase) parmi lesquelles plusieurs, mal con­ Musique : Johnny Mandel — Interprétation : Va­ nues, sont de petits chefs-d'oeuvre de réalisme nessa Redgrave (Agatha), Dustin Hoffman (Wally (, ). Stanton), Timothy Dalton (le colonel Christie), He­ Il a touché au romantisme avec succès (Summer len Morse (Evelyn Crawley), Celia Gregory (Nancy of '42), le premier des films dits nostalgiques Neele) — Origine : Grande-Bretagne — 1979 — des années 60 - 70, et au surnaturel avec intel­ 98 minutes. ligence (The Other). Souvent, les héros du Mulligan des années LOODBROTHERS • New York vu 60 étaient des désadaptés, des insatisfaits qui d'hélicoptère. Les belles demeures de luttaient avec leur coeur contre un monde trop la lointaine banlieue, les grands do­ préparé, structuré et hostile. Ce qui faisait le maines et jardins et piscines exté­ lyrisme des films de , c'était la rieures, puis lentement, la glissade parfaite maîtrise du contenu sensible de chacun vers le centre, le côté plus sombre de la ville, des récits qu'il mettait en images. ses vieux immeubles délavés, désaffectés, ses Avec Bloodbrothers, c'est l'heureux retour quartiers pauvres, la grande métropole dans toute à cette sensibilité qu'on étouffe et qui veut éclore, sa décadence. C'est soudain l'éclatement d'une à l'émotion violente et à la respiration retenue. musique populaire et agressive qui vient accom­ Les frères du titre, ce sont d'abord Chubby pagner ce retour sur terre (au sens propre et et Tommy DeCoco, travailleurs dans la construc­ figuré) alors que la plongée se transforme en tion depuis des années, mariés à des femmes- long panoramique qui aboutit à un bar où deux esclaves qu'ils trompent joyeusement entre deux frères se retrouvent après le travail, parmi les bières. Ils se comportent encore en adolescents habitués du coin. retardés, auteurs de farces grasses et prêts pour Par son nom, ses gestes, son accent, on re­ la bagarre à la moindre occasion. connaît l'Italien-Américain, plus précisément ce­ D'un autre côté, il y a Stony et Albert DeCoco, lui de New York, avec tout ce qu'il compte de les deux fils de Tommy. Le premier, 19 ans, bien et de mal, d'exotique et de véridique, de plein de fougue, prêt à suivre les traces de son pittoresque et d'humain. père «parce qu'il l'aime» et «parce que c'est ce Très vite, on comprend qu'il s'agira d'une qu'il faut faire», en est au stade où on se pose étude psychologique poussée, dans le genre des questions sur son avenir, sur ce qu'il aime qu'affectionne 'Martin Scorsese. Mais on oublie et ce qu'il veut faire. L'autre, âgé d'une dizaine que Robert Mulligan n'a pas eu à prendre des d'années, est d'allure fragile et subit, avec une leçons chez l'auteur de Taxi Driver. Il a lui-même angoisse proche de l'épouvante, une mère terro­ grandi dans ces faubourgs du Bronx et joué avec risante qui le torpille de violentes remontrances toutes ces races, parmi toutes ses langues. On n'a lorsqu'il refuse de manger, sous prétexte que qu'à se souvenir de Love with the Proper Stranger les garçons doivent être forts et solides pour (1964), qui racontait la romance de Natalie Wood affronter la vie. et Steve McQueen avec son New York de petits En fait, Stony est placé dans un dilemne ouvriers et d'obscurs musiciens. analogue : ce qu'il aime, c'est travailler avec des Bloodbrothers nous parvient après des an­ enfants, ce qui va à l'encontre de toute une tra­ nées de silence de la part de Mulligan. Son der­ dition de virilité que son père voudrait le voir nier film, , fut un échec complet poursuivre. et lui donna peut-être envie de «se recycler». Ce que l'on n'est pas prêt d'oublier dans Longtemps associé au producteur Alan J. Pakula, le film de Mulligan, c'est l'extrême acuité dans 48 SÉQUENCES 96 le domaine de l'observation humaine. Certaines ALLOWEEN • Ce n'est pas génial ; scènes sont tellement prises sur le vif qu'on a c'est assez mal joué, merci; la caméra l'impression de voir un documentaire. Lorsque est adéquate, sans plus ; le scénario le petit est hospitalisé, son père et son oncle est inexistant, pour ne pas dire indigent. sont prêts à se battre avec le personnel de l'hô­ % Mais le montage est remarquable. Le pital pour avoir l'idéale «chambre privée». De film est extrêmement bien fait sur le plan tech­ même, c'est dans un moment d'intense émotion nique, très soigné et... ça marche! Pour mar­ que le barman Banion reçoit son cadeau d'anni­ cher, ça marche ! La salle hurle comme versaire (une chaise roulante ultra - modrene à Guignol. Or, comme le film accumule effets parce qu'il est paralysé des jambes) des mains de sur effets, qu'un jeune de dix-sept ans qui vient tous ses clients habituels, des Italiens qui lui de faire l'amour se fait proprement empaler sur chantent tous ensemble, rien que pour lui, des un couteau de cuisine contre une porte, que la balades irlandaises. Enfin, il y a toute la philoso­ jeune héroïne garde les enfants à domicile (et phie bon marché que le père assène à son fils à se fait attaquer sauvagement par deux fois), que coups de « je - ne -veux- que - ton - bien » et de le scénario est centré uniquement sur les agis­ « mol - à - ton - âge ...» sements et les préoccupations des jeunes, dans Richard Gere suit allègrement les traces de lesquels nos spectateurs se retrouvent et s'iden­ Travolta et de Stallone. Il a déjà à son actif tifient, que la menace du film est entièrement deux films qui le mettent bien en valeur (Looking gratuite — le meurtrier est un psychopathe irres­ for Mr. Goodbar et Days of Heaven). C'est un ponsable: aucune incidence psychologique, affec­ acteur accompli qui donne au personnage de tive, sociale ou intellectuelle; il tue pour tuer, Stony toute sa vigueur. Quant à Paul Sorvino, aveuglément, peut-être vaguement motivé par un dans le rôle de l'oncle Chubby, il est exception­ relent de sexualité avorté — il est tout à fait normal nel de réalisme. Une mention spéciale est à dé­ que le film ait l'impact prévu. John Carpenter, le cerner à Elmer Bernstein pour une trame musi­ réalisateur, a combiné les effets (et les ensei­ cale d'une puissance à la fois redoutable et toni­ gnements) des quatre ou cinq grands succès de fiante. ces dernières années, et les utilise avec un Quant à Mulligan, il a su décrire la famille bonheur d'une perfidie contrôlée. Le meurtrier et les générations avec cette simplicité, ce coeur est montré subjectivement (tantôt la caméra se qui font qu'on est plus porté à essayer de com­ substitue à lui, comme dans la séquence, admi­ prendre les parents qu'à les condamner en tota­ rablement enlevée, du début, tantôt elle observe lité. C'est ainsi que Bloodbrothers pose le pro­ de loin, comme une victime fascinée), jamais blème de la civilisation américaine en tant que de face : c'est une menace mortelle, d'autant telle, de la culture universelle avec sa base plus dangereuse qu'elle n'est motivée que par •commune d'émotivité et de sentiments, de ces le meurtre. Ça, c'est Jaws. Le montage-choc doit citoyens du monde souvent forcés à remanier, à beaucoup à The Exorcist et Night of the Living rajuster leurs traditions pour que seul survive un Dead. Le scénario, super-simplifié, rappelle la univers fait d'un mélange d'intelligences et dont technique de la bande dessinée, comme dans la vision finale est captivante d'homogénéité. Star Wars. Enfin, l'horreur, la violence et le meurtre font à la fois recette et bon ménage. Maurice Elia Chapeau, monsieur Carpenter ! p-»,.:,^ Schupp GÉNÉRIQUE - Réalisation : Robert Mulligan — Scénario : Walter Newman, d'après le roman de GÉNÉRIQUE — Réalisation : John Carpenter — Richard Price — Images : Robert Surtees — Scénario : John Carpenter et Debra Hill — Images: Musique : Elmer Bernstein — Interprétation : Paul Dean Cundey — Musique : John Carpenter — Sorvino (Chubby), Tony LoBianco (Tommy), Ri­ Interprétation : Donald Pleasence (Loomis), Jamie chard Gere (Stony), Lelia Goldoni (Marie), Yvonne Lee Curtis (Laurie), Nancy Loomis (Annie), P. J. Wilder (Phyllis), Kenneth McMillan (Banion), Floyd Soles (Lynda), Charles Cyphers (Brackett), Kyle Levine (Dr Harris), Marilu Henner (Annette), Mi­ Richards (Lindsey), Brian Andrews (Tommy), John chael Hershewe (Albert) — Origine : Etats-Unis Michael Graham (Bob), Nancy Stephens (Marion) — 1978 — 116 minutes. — Origine : États-Unis — 1979 — 93 minutes. AVRIL 1979