Cahier de réflexion 2014 des maires francophones © Danny Lehman/Corbis © Danny Thématique Numéro 03 Les Pouvoirs

Nom masculin. Capacité, possibilité de faire quelque chose, d'accomplir une action, de produire un effet. Il est en mon pouvoir de vous aider. Pouvoirs publics : ensemble des autorités qui assurent la conduite de l'état. – Séparation des pouvoirs : principe de droit public selon lequel les domaines exécutif, législatif, judiciaire et religieux sont indépendants les uns des autres. Le pouvoir existe quand les hommes agissent ensemble et disparaît quand ils se dispersent

Hannah Arendt © Oscar White/CORBIS © Oscar

Cahier de réflexion I 2 I des maires francophones éDIto Paris - France

Par Anne Hidalgo Mairesse de Paris

e bureau de l’AiMF m’a exprimé sa confiance en m’élisant à la prési- dence du réseau des maires franco- © Carole Bellaïche phones. C'est pour moi un honneur Anne et une grande fierté de repré- HidALgo senter cette organisation mondiale majeure, riche de ses différences Biographie : et de ses valeurs. Je mènerai cette Anne Hidalgo, née le mission avec détermination et 19 juin 1959 à San Fernando enthousiasme. en Espagne, est une femme En engageant une réflexion ambi- politique française. Elle est membre du Parti socialiste tieuse sur la notion de pouvoir, la depuis 1994. Ancienne revue Raisonnance soulève des enjeux territoriaux essentiels. En secrétaire nationale du France, de nombreuses compétences historiquement exercées par les parti à la culture et aux maires ont été transférées vers les communautés de communes. Indé- médias, après avoir été pendamment du débat qu’ils suscitent, ces changements ne conduisent chargée de la formation pas pour autant à un affaiblissement du pouvoir des maires. Abstrac- professionnelle et première tion faite des cadres règlementaires, qui évoluent régulièrement, la adjointe au maire de Paris, Bertrand Delanoë depuis réalité du pouvoir s’avère plus complexe et diffuse. Il dépend certes mars 2001. Sa liste des moyens d’action, mais repose également sur la vision que portent remporte l’élection les représentants de la société civile. Cette vision doit intégrer le fait municipale de mars 2014 que la fonction de maire change, exigeant davantage d’inventivité, de et elle devient le 5 avril disponibilité, d’écoute. 2014 la première femme maire de Paris. Présidente de l’AIMF, co-présidente de CGLU, présidente de la Les élus locaux doivent à tout prix Commission permanente éviter le repli et l’enfermement de l’égalité femmes-hommes. des habitants

Les élus locaux conservent notamment une responsabilité détermi- nante : au sein de leur territoire, ils doivent à tout prix éviter le repli et l’enfermement des habitants. Il leur faut absolument préserver et valoriser ce qui constitue la richesse des villes : la mixité, l’échange, le dynamisme, l’accès à de nouvelles cultures, la possibilité de construire des réseaux de réflexion et d’action. Pour que les villes demeurent le lieu du progrès, il appartient aux élus de donner aux citoyens les clés de l’intervention publique, en les encourageant à s’engager pleinement dans la vie de la cité. Il est de notre devoir de créer les conditions d’une participation accrue de tous les habitants. Il en va de l’avenir de la démocratie mondiale. Comme le rappelait Hannah Arendt, le pouvoir existe quand les hommes agissent ensemble et disparaît quand ils se dispersent. C’est bien dans l’union des idées, des énergies et des savoirs que réside le pouvoir de changer les choses.

I 3 I Pensée

Pouvoir &

© Ikon Images/Corbis © Ikon violence, comprendre pour prévenir i rené girArd INtErrogE lE PouvoIr Et EN ProPoSE uNE lECturE INédItE quI PASSE PAr lA quEStIoN dE lA vIolENCE. lES PENSéES MythIquES SoNt lES lAborAtoIrES SAISISSANtS d’uN rAPPort PrIMordIAl à lA vIolENCE quI révèlE lA gENèSE du PouvoIr rElIgIEux Et PolItIquE. i

Cahier de réflexion I 4 I des maires francophones Paris - France

Par Pierre d'elbée Docteur en philosophie © Droits réservés Pierre René Girard considère que le d'eLBée La violence collectif ne se fonde pas sur sous-jacente un accord idéal sur des valeurs Biographie : humanistes, ou dans un contrat Pierre d’Elbée est docteur Si « l’homme diffère des autres entre personnes responsables, en philosophie à l’université animaux en ce qu’il est plus mais dans la nécessité de se de Paris-Sorbonne sur apte à l’imitation » comme le débarrasser d’un mal qui nous l’éthique du sacrifice dans les sociétés traditionnelles dit Aristote, c’est un atout en guette, condition sine qua non de et dans la cité grecque. termes d’apprentissage, mais une la survie collective. Il met le doigt Il est spécialiste de René menace en termes de rivalité. Car sur un mécanisme violent extrê- Girard. Il s’intéresse tout l’imitation engendre la rivalité : mement dangereux, probable- particulièrement aux deux personnes désirent la même ment à l’origine du sentiment de questions d’éthique, chose et deviennent rivales. Et sacré, « tremendum et fascinens » de changement et voilà la communauté mise en selon l’expression de rudolf otto. de coopération. péril, car la spirale de la violence la crise violente du collectif, son est par nature emphatique, emballement, son escalade, son contagieuse, endémique, explo- déchaînement doivent absolu- sive. Elle tend vers toujours plus ment être évités, et le collectif est, Défendre l'innocence de violence, ne se satisfait jamais au fond, structuré sur cet évite- des victimes de sa propre manifestation. la ment. le rite sacrificiel est là pour violence est un mal total, au sens célébrer et continuer la première Pour être efficace, le processus de où, si l’on n’arrive pas à l’endiguer, victoire du groupe qui a réussi à bouc émissaire doit être méconnu elle conduit inéluctablement expulser la violence générale par de ses acteurs. C’est littéralement à la confusion totale, mieux, à la violence locale sur une victime. parce « qu’ils ne savent pas ce l’effondrement général de la qu’ils font » que la violence peut communauté. la légitimité du pouvoir, dans se réduire par le sacrifice d’un seul. sa conception archaïque, est Dès que les hommes commencent donc celle qui sauve la société à prendre conscience de ce méca- Le tous contre un pour de l’effondrement, qui trouve nisme social, il perd de son efficacité apaiser la violence une échappatoire à la donnée et, curieusement, la violence ne première de la violence. Une telle peut plus s’exprimer. Pour René Le pouvoir religieux manipule la vision situe l’agression comme girard, la révélation chrétienne violence en inventant une sorte conséquence inévitable de l’imi- sert le projet radical de ne pas de ruse, qui métamorphose la tation, cette « mimesis » consti- répondre à la violence par la violence corrosive du « tous tutive de l’humanité, source violence et le système juridique contre tous », en une violence de connaissance et de rivalité. moderne confisque la violence sélective du « tous contre un » : Elle relègue l’altérité pacifique aux individus. Ainsi tous deux le sacrifice. la rage collective au second rang, celui de consé- inscrivent un sens nouveau dans se concentre sur une victime quence heureuse de la pratique l’histoire de l’humanité : il s’agit et accomplit ainsi une purge, du bouc émissaire : la société à la fois de défendre l’innocence une catharsis, qui résout mira- réconciliée sur la victime émis- des victimes, et de remplacer la culeusement la violence de saire peut vivre paisiblement, au vengeance sociale par l’analyse des tous, en un accord victimaire. moins pour un temps. causes dans le système judiciaire.

I 5 I Pensée

la confiscation de la violence indi- en espérer une véritable stratégie Les mécanismes viduelle au profit exclusif du droit opérationnelle ? Peut-on l’utiliser de la violence pénal, qui dénonce le mensonge comme une clé de lecture pour mythique au nom de la science, mieux gouverner, y a-t-il une effi- Si la révélation de l’innocence qui oppose à l’agression physique cacité à dénoncer par exemple de la victime se double d’une un comportement de patience et les chasses aux sorcières, les extrême vigilance sur le fait de douceur. on aura beau jeu de pratiques de lynchage médiatique que soi-même, on est toujours contester la dimension utopique ou réel, les spirales mimétiques, capable de devenir persécu- de cette attitude, rené girard pour stopper la violence ? Faut-il teur, alors on entre dans la non- estime que seul le renoncement utiliser les pratiques de boucs violence radicale qui seule peut inconditionnel à la violence et à la émissaires comme de moindres rompre avec le mimétisme riva- volonté persécutrice peut consti- maux, ainsi que l’affirme Caïphe litaire. Car c’est à une connais- tuer un avenir satisfaisant pour « Il vaut mieux qu’un seul meurt sance remarquable sur la violence l’humanité, même s’il est clair que pour le peuple » ? telles sont que nous convie René Girard : on les ressources de la violence sont quelques questions que l’on peut n’est pas obligé de négocier avec loin d’être vaincues. se poser à la lecture des ouvrages elle, on n’est pas obligé de lui de René Girard, si tant est qu’on céder des victimes pour opérer lui accorde le crédit d’un savoir. une catharsis et libérer ainsi Peut-on enrayer Il n’a jamais été dans l’intention les hommes de son emprise. la spirale ? de René Girard de fonder une La violence n’est pas tant un être praxis à l’usage du politique ou dont il faut se débarrasser qu’un le maire peut-il s’affranchir du responsable. La crise mimé- mécanisme que l’on peut rompre d’une réflexion sur la rivalité, tique ne saurait être manipu- en refusant la réciprocité violente, sur les phénomènes plus ou lable de l’extérieur même par en adoptant des postures d’évi- moins conscients de mimétismes un sage parfaitement au fait des tement, de douceur, de pardon. sociaux, claniques, grégaires ? ressorts du désir humain et des C’est le message – radical – qui la révélation des boucs émis- mécanismes persécuteurs de la a chez René Girard une conno- saires est-elle simplement une foule. Ce serait se fourvoyer que tation plus anthropologique que hypothèse de travail qui donne de penser qu’un homme puisse morale : il ne s’agit pas tant de une lecture cohérente des enrayer la spirale de la violence savoir ce qui est bien ou mal, que comportements, ou bien peut-on cataclysmique du monde. de repérer la logique interne, mimétique, de la violence et de comprendre que l’humanité ne peut désormais subsister qu’à partir du moment où elle prend conscience de ses stéréotypes de persécution et s’en libère.

Anthropologiquement parlant, les êtres humains sont passés de la logique du tous contre tous à La violence n’est pas tant un celle du tous contre un pour éviter tout simplement d’être anéantis. être dont il faut se débarrasser Avec la modernité, ce qui est en jeu, c’est l’avènement du sujet qu’un mécanisme que l’on peut rompre personnel qui doit quitter le en refusant la réciprocité violente comportement de la foule mimé- tique persécutrice pour recon- naître que le système victimaire est tout simplement faux. Un nouveau chemin est désormais à l’œuvre dans l’histoire, qui prône la fin des chasses aux sorcières, qui instaure

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Qui est René Girard ?

René Girard est un anthropologue français, ancien élève de l’école des Chartes et professeur émérite de littérature comparée à l'université Stanford. Il entre à l’Académie française en 2005. Sa pensée est une méditation sur le désir mimétique qu’il voit à l’œuvre dans la grande littérature occidentale (voir son premier livre Mensonge romantique et vérité romanesque ou son Shakespeare), comme dans les sociétés archaïques (La violence et le sacré) et les mythes (Le bouc émissaire). Il renouvelle l’anthropologie moderne par une confrontation avec ses principaux représentants (Freud, Levi Strauss) et une interprétation inédite du sacrifice, des mythes et des rites, du sacré et du religieux, en particulier du texte biblique.

Et pourtant le but de tout et Polynice s’entretuent devant plus sophistiqués fonctionnent gouvernement, qu’il soit national, thèbes, Romulus tue son frère « comme un seul homme » pour international ou local, est bien Rémus avant de fonder Rome. Ces trouver les bonnes raisons de d’assurer la paix, et donc de récits pointent le caractère violent se ruer sur un sujet symbolique. prévenir ou de traiter la menace des fondateurs de la ville à son C’est ainsi que lors de la Révo- la plus terrible à laquelle est origine. Même s’il finit par être lution française, la reine Marie- confronté le responsable d’une camouflé dans les consciences, il Antoinette sera accusée d’inceste. communauté, à savoir la crise marque le collectif d’une blessure mimétique. Elle voit en effet qui peut à tout moment se raviver. un deuxième signe est le manque disparaître les interdits – bastions L’exercice du pouvoir n’est donc total de prise de conscience de les plus puissants de l’ordre –, pas un long fleuve tranquille, il ce mécanisme. Cette méconnais- se réduire la légitimité des doit tenir compte de la nature sance est la marque de fabrique gouvernants et des institutions : pour le moins ambiguë du collectif du stéréotype de persécution. le la raison laisse la place à l’émo- et de sa fondation, et maintenir persécuteur se croit parfaitement tion, la liberté des personnes une vigilance particulière sur les légitime : pour lui, la culpabilité est aspirée par des stéréotypes signes avant-coureurs de la spirale de la victime ne fait aucun doute. collectifs de persécution, bref, la violente. Quels sont ces signes ? Comme Guillaume de Machaut crise mimétique fait littéralement croyait vraiment que la peste exploser les liens sociaux (voir provenait des juifs qui avaient schéma 1). Le processus victimaire empoisonné les cours d’eau : les persécuteurs n’ont aucun recul ni Tout d’abord, dénoncer face à aucun doute sur la légitimité de Les signes avant-coureurs un événement perturbateur, la leur action. désignation de victimes qui n’ont Ce n’est pas à une solution que pas nécessairement de lien avec un troisième signe en est le nous convie la pensée de René lui. Minorités, personnes fragiles, caractère contagieux et grégaire. girard, mais à une clé de lecture autorités/fusibles, les foules sont En anglais, la foule se dit mob, qui décille notre compréhension capables de désigner spontané- qui est le même mot que mobile. du pouvoir et de son exercice. ment des victimes pour défouler Effectivement, la foule est Caïn tue son frère Abel avant leur angoisse. Malentendus, émotive et l’émotion se répand de devenir constructeur de procès d’intention, mensonges avec une vitesse fulgurante dans villes (Génèse, IV, 17), étéocle purs et simples, les moyens les la peur ou l’agression.

I 7 I Pensée

Process de crise

éVénEMEnt DéCLEnCHEUR

destruction Méconnaissance Contagion Crise de l'ordre des biens de ses propres mimétique social et des personnes stéréotypes rivalitaire (indifférenciation) (boucs de persécution émissaires)

schéma 1

on cultive l’entre-soi, l’accord sur patiente des personnes pour de conscience de nos comporte- le comportement à adopter, et qu’elles deviennent toujours ments. Si nous avons conscience ici on évite de se montrer différent plus conscientes de leurs propres de tirer la pensée de rené girard pour ne pas susciter l’attention fragilités, stéréotypes, condi- vers une praxis qui n’est pas de qui peut nous transformer en tionnements. « reculer devant son goût, nous avons cependant victime à notre tour, tout cela l’objet qu’on poursuit. Seul ce l’impression de ne pas le trahir. Si tend à dissoudre les individus au qui est indirect est efficace. on nous reprenons les quatre signes profit d’un sujet collectif que rien ne fait rien si l’on n’a d’abord de la spirale violente, nous propo- ne maîtrise. reculé », dit Simone Weil, dans serions volontiers quatre direc- La pesanteur et la grâce. Le tions pour désarmer la violence un quatrième signe serait l’indif- détour anthropologique entrepris latente, anticiper la spirale rivali- férenciation : le fait que les diffé- par René Girard n’est donc pas taire quand il en est encore temps rences sociales n’existent plus, inutile : il nous montre que l’exer- (voir schéma 2). ni les hiérarchies, plus rien n’est cice du pouvoir n’est pas une sacré, les fonctions sont remises affaire de bons sentiments, mais 1 - Se méfier du processus en cause, ni l’autorité ni la loi ne de lucidité sur le désir humain, qui désigne des victimes, des fonctionnent. Cette révolution sur son ambiguïté qui garde consensus forts autour d’elles, crée une situation de nihilisme où toujours une propension violente des boucs émissaires pratiques, personne ne respecte plus rien. sans toutefois être inéluctable. des malentendus et des procès d’intention, de la « rage de Peut-on agir sur ces signes ? Il ne conclure » comme dit Flaubert faut jamais sous-estimer la lame Désarmer la violence qui requiert spontanément un de fond que constitue une crise latente coupable. En instituant le procès mimétique. Celui qui la subit sans légal où le pire des assassins est en être dupe est une exception qui Plus concrètement, on peut défendu par un avocat, le droit ressemble davantage à un guide relever combien l’aveuglement met en évidence la différence de ski qui voit venir sur son groupe archaïque et violent est travaillé de fondamentale entre la vengeance une avalanche : lorsque l’emballe- l’intérieur depuis des siècles pour et la justice. Ce qui est vrai du ment mimétique est en marche, aboutir à notre situation mondiale droit ne l’est évidemment pas des rien ne peut s’opposer à lui. la qui est certes loin d’être pacifiée, comportements, et c’est pourquoi seule chose à faire est en amont, mais qui comporte des avancées une vigilance accrue en la matière dans l’anticipation, l’éducation significatives en termes de prise est nécessaire. Pour montrer la

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Démarche de prévention

trAvAIl du rESPoNSAblE (MAIrE)

Se méfier du processus Prendre conscience garder toujours une Instaurer et défendre qui désigne des victimes de sa méconnaissance distance vis-à-vis des foules l’ordre social

schéma 2 difficulté de l’exercice, il suffit de nouvelles. Il y a là un travail de 4 - instaurer et défendre un remarquer que nos contemporains lucidité qui consiste à faire cette ordre social. Un ordre social, ont bien compris que la position lecture à travers les textes et les c’est un ensemble de règles du de victime pouvait être plus valo- situations qui les révèlent. Mais il jeu autour d’un projet partagé. risante que celle de persécuteur, faut en outre le courage de dire définir sa vision, le sens du et tout un arsenal rhétorique et de prévenir, car la parole peut projet, instaurer un dialogue est utilisé aujourd’hui pour se réveiller les consciences. pour que les règles du jeu ne présenter comme victime et béné- soient pas seulement obéies ficier ainsi d’un atout considérable. 3 - garder toujours une distance mais partagées, c’est développer Il n’empêche que cette vigilance vis-à-vis des foules. l’émotion une culture du lien social stabilisé lucide est un premier pas vers le collective peut dégénérer et sur des interdits au service d’un renoncement de la violence. détruire le sujet personnel. sens. La pédagogie du gouver- Cet oubli de soi est d’ailleurs nant est de rendre cet ordre 2 - Prendre conscience de sa recherché dans la fête, car il n’est vivant, juste, incontestable. on méconnaissance. on a tous l’ex- jamais facile d’être soi-même, et le sait, les guerres proviennent périence d’avoir subi une injus- le vertige de se déposséder pour souvent de traités injustes, et il tice, d’avoir vécu une humilia- communier avec un collectif fait est compréhensible qu’un ordre tion, bref, d’avoir été victime. on partie de la fête. Mais il y a une injuste dégénère en rivalités. se rappelle moins du fait qu’on a différence entre la communion Autant clarifier l’ordre social par probablement été aussi capable où le sujet garde une certaine des lois et des règles acceptables d’être un bourreau et de trans- conscience de lui-même et la par tous. former quelqu’un en bouc émis- fusion qui est un oubli de soi. saire. Le paradoxe veut, comme le chercheur américain Stanley Ces dernières lignes n’ont le remarque René Girard, que Milgram montre qu’en certaines pas l’ambition d’inventer une les plus conscients de l’ina- circonstances, l’autorité peut nouvelle doctrine. Elles cherchent nité du système de persécution prendre le relais de la foule, et simplement à montrer comment sont précisément ceux qui l’uti- exercer un pouvoir semblable la pensée de René Girard peut lisent sans être effleurés par leur sur des individus normaux. inspirer une vision cohérente du propre contradiction : toutes Le fait même de le savoir est pouvoir et se décliner en conseils les idéologies commencent par probablement un premier pas qui ont probablement toute leur défendre des victimes sans se vers une compréhension de sa pertinence pour prévenir les douter qu’elles en génèrent de responsabilité. situations de crise.

I 9 I D’hier à demain

Développer des citoyens actifs © Droits réservés

Cahier de réflexion I 10 I des maires francophones Paris - France

i TocqueviLLe esT un HoMMe du XiXe siècLe, PréSIdENt du CoNSEIl géNérAl dE lA MANChE, MINIStrE dES AFFAIrES étrANgèrES. d’orI- gINE ArIStoCrAtE, Il A SIégé à gAuChE SouS lA MoNArChIE dE JuIllEt. Il A voyAgé, étudIé à trAvErS lE MoNdE lA SoCIété. Il CoMbINE lA PENSéE Et l’ACtIoN dE MANIèrE uNIquE dANS uNE APProChE MultI- CulturEllE. SA PENSéE ESt rECoNNuE INtErNAtIoNAlEMENt. EllE © Droits réservés NouS INvItE à uNE réPArtItIoN JudICIEuSE dES rôlES, dES PouvoIrS Jean-Louis BenoîT Et NouS MEt EN gArdE CoNtrE lES PoSSIblES dérIvES dE lA déMo- CrAtIE, dE lA MANIèrE dE lES PrévENIr. uNE PENSéE PrAgMAtIquE, Biographie : rAtIoNNEllE à déCouvrIr ou rEdéCouvrIr. JEAN-louIS bENoît, Professeur agrégé et docteur ès lettres, ProFESSEur Agrégé, doCtEur èS lEttrES, A CoNSACré l’ESSENtIEl dE Jean-louis benoît est SES rEChErChES à AlExIS dE toCquEvIllE. I aujourd’hui l’un des principaux spécialistes d’Alexis de tocqueville. Il a consacré une dizaine d’ouvrages à la vie et à la Par Jean-Louis Benoît pensée de cet immense Professeur agrégé, docteur ès lettres, auteur de nombreux articles et communications penseur politique qui, pour une part, sont accessibles en ligne sur le site : désormais plus connu aux états-unis qu’en http://classiques.uqac.ca/contemporains/benoit_jean_louis/benoit_jean_louis.html France. Il a été à l’initiative et le co-organisateur de deux colloques internationaux consacrés à l’auteur de De la démo- le politique doit avoir pour cratie en Amérique (Saint- objectif de promouvoir l’organi- lô, 1990 et Cerisy-la-Salle, Pour des citoyens actifs 2005), dont les actes ont sation rationnelle et construc- été publiés. Pour tocqueville, la démocratie tive du débat. Sa démarche « réelle » part de la base, lieu de s’appuie sur l’intelligence de la la liberté, de la responsabilité et chose publique. Elle est ration- du pouvoir ; elle exige donc des nelle, entendons par là qu’elle citoyens actifs. l’homme politique part d’une analyse de la situa- doit faciliter la responsabilisation de tion, des forces en présence et Alexis de Tocqueville ses mandants. Pour cela, il organise vise un objectif, en établissant le débat, sans décider du résultat, les moyens pour l’atteindre, en extrait : De la démocratie en Amérique même s’il peut y avoir une finalité. prenant en compte les inévitables « L’habitant de la Nouvelle-Angleterre tocqueville souhaite un esprit prag- conflits qui surgiront.t ocqueville s’attache à sa commune, parce qu’elle est forte et matique et de réforme, loin des dénonce le formatage des élites, indépendante ; il s’y intéresse, parce qu’il concourt partis pris idéologiques. l’expertise dans une pensée quantitative, à la diriger ; il l’aime, parce qu’il n’a pas à se plaindre vient des citoyens eux-mêmes et sans confrontation avec d’autres de son sort ; il place en elle son ambition et son non pas uniquement des experts. idées, venant d’autre groupes de avenir ; il se mêle à chacun des incidents de la vie Attention au risque du « votez pour la société civile, d’autres écoles communale : dans cette sphère restreinte qui est à sa portée, il s’essaie à gouverner la société. » moi, je m’occupe de vous », c’est de pensée, ainsi qu’une société une dangereuse confusion des de castes, et regrette que le genres ! Les citoyens doivent au parti pris idéologique l’emporte contraire contribuer activement à sur la volonté de réforme et la construction de la cité. le pragmatisme.

I 11 I D’hier à demain

Le politique doit avoir pour objectif de promouvoir l’organisation rationnelle et constructive du débat

Il admire la décentralisation qu’il était la première force politique, de charité et d’égale dignité de a vue en œuvre aux états-unis, en raison même du fait qu’elle tous les hommes. Ces valeurs mais reconnaît que c’est possible s’abstenait absolument de faire chrétiennes ont été reprises par dans le contexte d’une nation de la politique. la séparation de la renaissance et laïcisées par les neuve peuplée de citoyens qui l’église et de l’état lui apparais- Lumières. Il met en garde, cepen- ont choisi la liberté, qui n’avait sant dès lors comme un élément dant, contre le matérialisme pur pas le poids de l’approche centra- capital, même si les représen- et simple, la mort de Dieu et du lisée de l’Ancien régime français. tants des religions doivent être sacré. Pour tocqueville, il n’est Il souligne l’importance du patrio- considérés comme faisant partie pas concevable de penser une tisme municipal et considère que des autorités. Il s’agit de trouver société dans son développe- la township américaine possède un gentleman’s agreement pour ment historique sans prendre quelques ressemblances avec définir la place de la religion en compte le rôle joué par le fait l’assemblée du village en France qui doit s’attacher à l’essentiel religieux dans cette société. au xive siècle, où l’on pouvait – le dogme – plus qu’aux aspects rassembler tout le monde pour sociétaux qui sont secondaires : traiter des sujets de la cité. c’est une transcendance incarnée Pragmatisme et dans le « ici et maintenant ». Si esprit de réforme tout cela lui semble plus difficile elle se mêle au politique, elle en en France à cause de la centrali- connaîtra les vicissitudes. tocqueville n’aime pas les sation issue de l’Ancien régime, grandes tirades idéologiques. renforcée par le jacobinisme En revanche, les religieux Il dénonce vigoureusement, issu de la révolution et encore peuvent avoir un rôle majeur, dans le dernier chapitre de De accentuée par l’Empire. en l’absence de structures poli- la démocratie en Amérique, le tiques, tocqueville reconnaît fait que cette grande démo- l’importance du rôle des prêtres cratie soit fondée sur un double Séparer le religieux au Québec en 1760. Ils ont crime contre l’humanité : l’escla- du politique permis aux Canadiens de main- vage des noirs et le génocide tenir leur identité française et des Indiens. En 1847, dans son tocqueville est attaché au catho- d’assurer la cohésion d’une véri- rapport sur la colonisation en licisme : « la religion que je table nation. Il entend également Algérie, il met le pouvoir poli- professe » répète-t-il, mais il est que soient respectés les biens tique en garde : si les modalités agnostique et spiritualiste, il croit et les pratiques de toutes les de la colonisation ne changent en Dieu et en l’immortalité de communautés religieuses, par pas, la situation aboutira à un l’âme. Il a été surpris aux états- exemple ceux et celles des conflit généralisé dans lequel Unis de découvrir une démo- musulmans d’Algérie. Il recon- l’une des deux populations sera cratie dans laquelle la religion naît les valeurs d’universalité, condamnée à disparaître.

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Une de ses grandes forces est sa capacité à aller de manière Démocratie et despotisme rationnelle jusqu’au bout d’un processus et de prévoir ce qui va Pour tocqueville, après la Révo- se passer à très long terme. En lution française, l’alternative poli- cela, c’est un vrai visionnaire qui tique est simple : démocratie ou s’appuie sur ses voyages et sur sa despotisme. Mais la situation se pratique en tant que président de complique d’emblée : la démo- Conseil général, puis ministre. cratie peut mener au despotisme Tocqueville, comme soit en réclamant un pouvoir tocqueville, comme Montaigne, autoritaire, soit en appelant le Montaigne, pense qu’il y a pense qu’il y a une seule humanité, despote à prendre le pouvoir dans toute sa diversité. C’est l’es- par les urnes ou par un coup une seule humanité, clavage qui est immoral et non l’es- d’état. Mais elle peut, elle-même, dans toute sa diversité clave. Mais dans sa lutte pour l’abo- devenir despotique, instaurant le lition, il entend procéder de façon despotisme du tout état si cher pragmatique, en étudiant les diffé- aux citoyens de la société de rentes dimensions du problème : masse, qui s’enferment dans un dimension sociologique, ethnique, individualisme absolu, renforçant économique… pour apporter une encore les pouvoirs d’une admi- réponse en situation. nistration qui excelle à empêcher et non à faire. des lieux d’action au-delà de État, ville, citoyen Pour tocqueville, les conditions l’approche individuelle. Le déve- nécessaires, mais peut-être pas loppement économique et social tocqueville a connu les diffé- suffisantes, supposent que l’on constitue un vecteur privilégié rents niveaux et il sait articuler le forme et mobilise des citoyens permettant l’instauration de la national et le local en consultant actifs, que l’on multiplie et démocratie, en développant le et argumentant un projet pour renforce les associations, qui sont niveau éducatif et la capacité de chaque niveau. la science mère de la démocratie, citoyens actifs à intervenir sur la que l’on crée des solidarités, chose publique. le rôle politique d’un représentant du peuple est de faire concorder les besoins des citoyens avec les décisions ou les projets de l’état en matière d’aménagement du territoire. Au point de tirer parti d’un projet national afin qu’il ait Alexis de Tocqueville des retombées locales. C’est la extrait : De la démocratie en Amérique responsabilité de l’homme poli- « Ainsi (en France) le gouvernement central prête ses agents à la tique de créer le besoin, parce commune, en Amérique la commune prête ses fonctionnaires au qu’il a une vision de l’intérêt gouvernement. Chez la plupart des nations européennes, l’existence de son territoire. Il est donc un politique a commencé dans les régions supérieures de la société et penseur de l’aménagement du s’est communiqué peu à peu et toujours de manière incomplète aux territoire. Il doit ensuite assurer diverses parties du corps social. En Amérique, au contraire, une démarche pédagogique pour on peut dire que la commune a été organisée avant le comté, expliquer cette vision à la popu- le comté avant l’État et l’État avant l’Union. » lation concernée. l’importance de la pédagogie est clé, car il sait qu’« une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie et complexe. »

I 13 I D’hier à demain

Développement local durable et évolution des pouvoirs : à la recherche d’une gouvernance territoriale efficiente i « Racine est connu pouR dépeindRe les hommes […] teLS qu'iLS Sont, tAndiS que CorneiLLe LeS déPeintS teLS qu'iLS devrAient être. » IL En VA DE MêME DE LA déCENtrAlISAtIoN : dANS lES CoNtExtES EN dévEloPPEMENt, SA réAlIté ESt CoMPoSItE Et PArFoIS AMbIvAlENtE, AvEC dES réSultAtS MItIgéS. PourtANt PotENtIEllEMENt ou tENdANCIEllEMENt, lA déCENtrAlISAtIoN rEStE uN ProCESSuS tErrItorIAl Et PolI- tIquE vErtuEux Et StrAtégIquE. Pour l’AbordEr, NouS AdoPtEroNS lA CoNCEPtIoN réAlIStE dE rACINE EN gArdANt à l’ESPrIt l’horIzoN IdéAl dE CorNEIllE ! i

Par claude de Miras directeur de recherche émérite, économiste, de l’institut de recherche pour le développement, membre du Laboratoire population, environnement, développement de l’université Aix-Marseille.

résistance passive ou, au contraire, Mais cette émergence progressive Les multiples voies de l’appui coopératif ? Comme d’une décentralisation, encastrée de la décentralisation projet économique et politique dans des scènes complexes de démocratique, la décentrali- gouvernance, emprunte-t-elle une Pour les pays en émergence, sation – qu’elle soit attendue voie unique ? Dans quelles mesures n’est-il pas temps aujourd’hui par les territoires ou qu’elle les dynamiques et les nuances de dépasser la conception descende des pouvoirs centraux d’une subsidiarité partout à descendante, normative et – est un processus nécessaire qui l’œuvre, sont-elles des signaux – idéaliste d’une décentralisation finira par surgir selon diverses parfois faibles ou confus – de cette en réalité davantage formatée formes. En effet, à terme, elle est lente marche vers un mouve- par les états que portée par les la seule réponse optimale à une ment collaboratif entre état et élus territoriaux ? Ne doit-on démographie urbaine massive, territoires ? Dans les contextes pas observer urbi et orbi les à la complexité croissante de en développement, il faudra multiples formes métissées de l’expansion et de la décision aussi se demander comment les gouvernance territoriale où s’im- territoriale, à la lente montée de pouvoirs centraux tentent d’opti- briquent toutes les modalités la démocratie – représentative miser l’action publique territo- d‘articulation du niveau local ou participative – et face à la riale en contournant une décen- décentralisé et du niveau central hausse continue des besoins de tralisation locale qui peut aussi déconcentré, que ce dernier financement des agglomérations être synonyme d’émergence de soit plutôt dans le registre de la en croissance rapide. nouvelles élites politiques.

Cahier de réflexion I 14 I des maires francophones Paris - France

nIVEAU nAtIonAL nIVEAU nAtIonAL

Démarche descendante : • aménagement du territoire Interaction/Régulation • décentration services de l’état © Droits réservés claude de MirAs Biographie : Spécialiste de l’étude de la nIVEAU tERRItoRIAL gouvernance des services nIVEAU tERRItoRIAL Maîtrise d'ouvrage territoriale, de base en réseaux, il a gouvernance travaillé particulièrement multi-acteurs au Maroc en partenariat avec l’Institut national Pouvoir de conception d’aménagement et d’urba- et de décision nisme de Rabat. Il vient d’achever la coordination du programme soutenu par l’Institut du développement la décentralisation effective durable et des relations La décentralisation : est un moyen démocratique de internationales : « Finance- ment des services urbains une nécessité pour définir et de mettre en œuvre de façon collaborative un projet d’eau potable et d’assainis- des solutions adaptées sement dans les pays en et acceptées de territoire. Et la démocratie développement. Moda- bien comprise – au-delà du rituel lités de partage du coût Les fondements de la décen- épisodique et formel des élections global de long terme entre tralisation renvoient, sous – est le moyen de fixer des choix acteurs. » Il est appuyé par condition, à une interaction collectifs de façon optimale, àla l’Institut recherche de la vertueuse du politique, du social fois en termes de satisfaction des Caisse des dépôts et consi- et de l’économique à l’échelle besoins, et de droits et de devoirs gnations sur la question de la gouvernance territoriale. des territoires infranationaux. des citoyens. Si la décentralisation, Il a collaboré à global Décentraliser, c’est fondamen- lorsqu’elle est à l’œuvre de façon observatory on Decentra- talement donner à des acteurs équilibrée, a nécessairement un lisation gold III de gluC locaux légitimes un pouvoir coût économique, elle génère (Cités Unies et Gouverne- de conception et de décision en contrepartie de puissantes ments Locaux) etappuie la dans les domaines qu’il est externalités positives qui fondent préparation de gold Iv en ainsi possible de traiter plus sa légitimité institutionnelle et vue d’Habitat III. Il collabore avec l’école de gouvernance efficacement à l’échelle territo- démocratique, et constituent le et d’économie de Rabat riale. La descente vers le local socle du développement local. (Université Mohammed VI). impulsée par la décentralisation est d’autant plus nécessaire que la complexité des contraintes La décentralisation : et des enjeux des territoires est un processus qui se de plus en plus aiguë et que le construit dans la durée centre est de moins en moins en capacité de définir Pour les pays en développe- des solutions à la fois adaptées, ment, cette perspective définit congruentes et économique- un horizon vers lequel ils peuvent ment optimales. tendre progressivement, non pas

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• elle a été pensée implicitement comme un levier qui contribuerait L’impulsion décentralisatrice ne se à faire reculer les états, alors que la décentralisation suppose au situe pas hors du temps et de l’espace contraire la régulation puissante et équilibrée d’une tutelle nationale ; des développements des pays, et son • elle a cru pouvoir s’imposer à court et moyen terme par une stratégie appropriation locale ne sera pas l’affaire volontariste adossée à une ingé- nierie technico-administrative. d’ingénierie Est-elle parvenue à accélérer l’histoire et à se substituer à la lente maturation du contrat social sur un mode obligé et exogène, pourraient se dérouler de façon territorial ? mais selon une combinaison linéaire est sans doute erronée : • la décentralisation est l’expression d’incitations et d’appropriations, en effet, depuis deux décennies, politique et institutionnalisée des acteurs locaux et des talents de dynamiques de subsidiarité et le contenu même de la dynamique endogènes. Mais face à la faiblesse de capacités croissantes de mise de développement a profondé- initiale de leur expression, l’appui en œuvre. Faut-il rappeler que la ment évolué. non seulement il est à la décentralisation est devenu, décentralisation et ses instruments devenu tour à tour soutenable, sans doute à son corps défendant, (juridiques, institutionnels, finan- humain, harmonieux, équitable un processus largement impulsé et ciers) ne sont ni une fin en soi, pas et résilient. Mais plus fondamen- soutenu de l’extérieur, et formaté plus qu’une boîte à outils prête à talement, en vingt ans, la popu- parfois de façon ambivalente par les états centraux des pays en dévelop- l’emploi ? la décentralisation n’est lation urbaine des PEd a été pement ; pas non plus un levier de dévelop- multipliée par près de deux, la • la multiplication des oNg, des pement indépendant de tous les croissance économique moyenne Groupements d’intérêt économique autres, au risque de devenir une a été encore plus nette et les et les Partenariats public-privé « offre » orientée d’abord par la différenciations socio-économiques dans leur version les plus récentes propre logique de décaissement. des pays en développement se (contrats de partenariat par opposi- sont affirmées, des pays mainte- tion à la délégation de service public des années 1990) n’a-t-elle pas, au la dynamique de décentralisation nant émergés aux pays les moins contraire, asséché un pouvoir ne s’inscrit pas dans une apesan- avancés. les capacités institution- municipal naissant en multipliant teur sociétale, mais vient se loger nelles et politiques des pays émer- et en accentuant les formes dans un épais contrat social territo- gents se sont considérablement d’externalisation ? Non seulement rial, avec ses équilibres complexes, affirmées, leurs attentes et les compétences techniques n’ont ses tensions, ses compromis, mais exigences à l’international se sont pas été acquises, mais il en a aussi ses marges de flexibilité. radicalement transformées, le résulté une approche sectorisée « en silo », vidant de son sens un Il faut admettre que l’impulsion volume relatif de population pauvre projet collectif de territoire et une décentralisatrice ne se situe pas a reculé même si les inégalités se planification territoriale stratégique hors du temps et de l’espace des sont accentuées, la classe moyenne transversale et partagée, le pouvoir développements des pays, et que s‘est partout accrue en nombre municipal – dans le meilleur des cas son appropriation locale ne sera et s’est affirmée, l’impatience – se contentant de suivre le déroulé pas qu’affaire d’ingénierie. populaire est apparue comme un des diverses formes de contrats facteur déclenchant des politiques d’externalisation sectorielle. on peut regretter aujourd’hui que les En cette période où se définissent publiques nationales et territo- diverses postures apologétiques qui les post-objectifs du millénaire, riales. Dans ce contexte mouvant, affirmaient sans nuances les vertus une nouvelle perspective semble les stratégies d’appui à la décentra- d’abord des onG, puis des PPP possible et même souhaitable pour lisation seraient-elles restées iden- (hors dSP) n’auront pas permis de aller vers une ambition refondée, tiques depuis deux décennies ? capitaliser les multiples expériences recentrée, renforcée en matière accumulées : la contribution du de dynamique de subsidiarité. La une réflexion distanciée et une secteur privé associatif et entrepre- neurial aurait pu être autrement vision d’un monde immobile et de capitalisation s’imposent d’autant plus significative et moins polémique territoires statiques dans lesquels plus que la décentralisation, si elle avait pu davantage contribuer les dispositifs d’appui et de mise impulsée à l’ère néolibérale, n’a à la construction de la maîtrise en œuvre de la décentralisation pas été exempte de paradoxes : d’ouvrage territoriale.

Cahier de réflexion I 16 I des maires francophones Paris - France

Aujourd’hui, dans les contextes d’urbanisation rapide, la décision publique urbaine se caractérise partout par une complexité croissante

Dans ces contextes d’urbanisa- enfin les coopérations décen- De la gestion de la ville tion inédite, la gouvernance s’est tralisées. Ces multiples scènes à la gouvernance urbaine imposée comme nouveau para- de gouvernance, diversement digme normatif. Cette notion composées, se sont généralisées En deux décennies, les paradigmes polymorphe visait à faire reculer en surgissant partout, avec initia- du développement ont notoire- l’état en créant, parfois de toutes lement une particulière intensité ment évolué, en passant d’une pièces, des scènes de gouvernance dans les pays les moins avancés conception gestionnaire de la pluri-acteurs où allaient s’entre- et sur les « projets » destinés ville, centrée sur les opérateurs – croiser les institutions internatio- aux couches urbaines pauvres. qu’ils soient publics ou privés – à nales, les bailleurs internationaux, En conséquence, aujourd’hui, une perspective de gouvernance les états, les autorités publiques dans les contextes d’urbanisa- urbaine fondée sur un processus déconcentrées, les collectivités tion rapide, la décision publique décisionnaire annoncé comme territoriales, des agences au urbaine se caractérise partout élargi et participatif. Ce glisse- statut dérogatoire, les opérateurs par une complexité croissante. ment – de la gestion de la ville à la privés (sous la forme de Parte- Sur un territoire donné, elle est gouvernance urbaine – s’est opéré nariats public-privé : concession, confrontée à la coordination des dans un contexte très évolutif. affermage, société d’économie logiques d’acteurs, de secteurs Schématiquement, on retiendra : mixte, Bot, etc.), les onG inter- et de projets. à cela, s’ajoute la • une dynamique active nationales et nationales, les superposition des échelles terri- démographique et économique associations locales, sans oublier toriales et donc des pouvoirs, de l’urbanisation. En même temps les actifs groupes de pression sans oublier la contrainte incom- que la gestion faisait place à la gouvernance, les populations internationaux et nationaux, et pressible de l’urgence. urbaines mondiales devraient s’accroître, entre 1990 et 2020, de 88 % et celles des pays en déve- loppement de 125 % ; registre du Registre consultatif registre du pouvoir • une augmentation encore plus pouvoir élu participatif administratif rapide des besoins en services essentiels (habitat, eau, EURoPE réSEAux SoCIAux IntERnAtIonAL assainissement, mobilité, salubrité, etc.) renforcée par étAt CESE* nAtIonAL la hausse moyenne du niveau RéGIon ASSoCIAtIoNS NAtIoNAlES RéGIonAL de vie urbain et par l’accès tendanciel de couches urbaines DéPARtEMEnt ASSoCIAtIoNS loCAlES PréFECturE pauvres à ces services ; • la multiplication des parties IntERCoMMUnALIté CoMIté CoNSultAtIF prenantes avec la référence DE QUARtIER obligée, mais souvent incertaine CoMMUnE à la participation ; • un foisonnement de « projets » sectoriels, complètement étanches, multipliés par et dans l’urgence. * Conseil économique, social et environnemental

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les institutions internationales boîte noire de cette gouvernance à l’inverse, le fondement de la ont abondamment financé territoriale et mettre à plat l’épais- décentralisation suppose un durant près de deux décen- seur d’une notion qui fut d’abord dessein territorial, une animation nies la construction de ces normative, mais qui est devenue municipale qui insuffle une scènes de gouvernance urbaine, aujourd’hui le nœud gordien de âme à la dynamique collective mais le fonctionnement de ces l’efficience systémique d’un déve- consensuelle ; elle précède et ensembles et leur capacité à loppement territorial viable. Elle suit la décision, elle est adossée faire émerger une maîtrise d’ou- est restée largement impensée à la force d’un leader capable de vrage urbaine collaborative se dans son mode opératoire et ses transcender les clivages et les révèlent aujourd’hui en dessous modus operandi, générateurs de intérêts locaux autant que de se des attentes et des besoins de surcoûts de transaction considé- retirer en fonction des échéances régulation et de décision. Il est rables, sont souvent improvisés. légales, mais aussi du temps patent que la participation de qu’impose l’humilité. Et plus que toutes les parties prenantes, qui toute chose, l’éthique de la chose était en quelque sorte l’équiva- La maîtrise d’ouvrage publique oblige les intérêts indi- lent vertueux de la main invisible publique territoriale : viduels et clientélistes à passer chère à l’économie politique clas- un axe clé à renforcer au second plan, car la puissance sique, n’a pas été à la hauteur des du premier magistrat du terri- postulats et des espérances. « le vrai pouvoir, le seul pouvoir toire est, en soi, exorbitante et, à n’est pas en définitive celui, en l’échelle locale, peut devenir plus Il est clair aujourd’hui que ni les partie illusoire, de décider et arbitraire que celle d’un gouver- mots d’ordre de gestion urbaine de commander, mais celui d’in- nement national. ou de bonne gouvernance ne fluencer, de convaincre par la suffisent à leur donner une consis- rhétorique, d’innover, de créer et Cette puissance spécifique du tance opérationnelle. de même, de laisser des traces durables », pouvoir local est fondée sur la la réalité complexe d’une gouver- affirme Claude Martinand. En dissymétrie d’information et sur nance multi-acteurs ne tient pas matière de construction de la une série d’avantages comparatifs dans la boîte noire du fameux décentralisation, il faut distinguer qu’ont les élus locaux par rapport jeu d’acteurs, dont les règles et la forme et le fond. les élections, au pouvoir central et même le contenu ne sont jamais expli- les prérogatives communales, la déconcentré : cités. Que l’on traite de l’accès fonction officielle de maire, l’orga- • ils ont une légitimité issue des urnes, aux services essentiels, de l’ha- nigramme municipal relèvent de indiscutable une fois acquise, quel bitat, des centres historiques ou dispositifs formels et en consti- que soit le taux de participation ; • ils ont une connaissance intime de la salubrité publique, l’effi- tuent l’apparence. Inscrits dans la de la proximité ; cience d’une triple gouvernance logique de l’oxymore « décentra- • ils sont au cœur des réseaux (secteurs, acteurs et échelles d’in- lisation centralisée », portées par territoriaux de solidarité, d’alliances tervention) apparaît aujourd’hui les états centraux et les institutions et de connivence ; comme un des goulets d’étran- internationales, ces dispositifs • ils sont en mesure de valoriser les glement de la maîtrise d’ouvrage peuvent consister en un aggiorna- « effets d’agglomération », publique urbaine. De même, la mento au service d’un jacobinisme en premier lieu en matière d’information (au sens le plus large) ; réponse de l’état aux revendi- intangible, s’appuyant sur des • ils sont à l’interface de dynamiques cations sociales ou aux enjeux ambitions politiciennes locales, internationales, nationales et environnementaux se heurte à ce sans véritable portée politique. territoriales. plafond de verre qui affecte tous les registres du développement Maîtrise d’ouvrage territoriale urbain. dans les contextes macro- économiques en développement, quels que soient le domaine urbain GoUVERnAnCE considéré et la politique publique URBAInE correspondante, la question de la coordination multi-acteurs tend notoirement à devenir une contrainte prégnante. Il faut main- tenant entrer de plain-pied dans la ACtEurS ProJEtS éConoMIQUE SoCIété CIvIlE éChéANCES EnVIRonnEMEntALE oPérAtEurS éChEllES SoCIAlE

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Force risques LégiTiMiTé DU MAIRE DU MAIRE DU MAIRE

• légalité de l'élection • Clientélisme • Porteur d’une vision et de valeurs • Proximité terrain • gestion clanique • Sens du bien commun • Au cœur des réseaux • Pouvoirs exorbitants • Capacité à organiser et à déléguer • Pédagogue et volonté de rendre compte

mais pas en capacité – de maîtrise proactive de la décentralisation Gouvernance de projet et d’ouvrage avec des responsabilités en dépend largement. la notion gouvernance territoriale de coordination multi-acteurs qui de droit à la ville est en train de vont au-delà du cahier des charges prendre corps partout, lente- Pour ce faire, les états et/ou les contractuel. Mais l’urgence ou une ment mais progressivement. La bailleurs se sont dotés d’unités prévention à l’égard des collecti- conséquence est que ce droit va de gestion spécifiques aux vités locales induit cette confusion supposer maintenant un devoir « projets » ou d’organes d’appui entre maîtrise d’œuvre et maîtrise de ville, une nécessité de conce- de la maîtrise d’ouvrage, mais d’ouvrage. l’obligation de résultat voir non plus des agglomérations parallèles aux entités qui avaient et l’urgence priment sur l’obliga- protéiformes, mais des villes qui la vocation – mais pas la capacité – tion de moyens qui aurait consisté répondent de mieux en mieux à d’assurer cette maîtrise d’ouvrage. à impliquer activement les collec- ce droit. droit à la ville et devoir d’autres formes de coordination tivités territoriales concernées en de ville ne peuvent plus être envi- de « projets » à vocation terri- vue de renforcer leur capacité de sagés indépendamment l’un de toriale et de moyen terme ont maîtrise d’ouvrage. l’autre. été développées. Par exemple, la participation de bureaux d’études la question centrale est bien Et en conséquence, ce devoir qui vont au-delà de l’appui à un celle-là : les formes de coordina- de ville pose et impose à la fois projet sectoriel donné, déborde tion territoriale à l’œuvre dans les la question d’une gouvernance sur une mise en cohérence avec contextes d’urbanisation rapide optimale et celle du rôle straté- des dynamiques territoriales contribuent-elles à renforcer gique de la maîtrise d’ouvrage d’urbanisation. ou encore la la dynamique des collectivités publique territoriale, emmenée création d’agences dédiées qui territoriales et leur capacité de par la personnalité du premier disposent en quelque sorte des maîtrise d’ouvrage ? La dynamique magistrat municipal. « pleins pouvoirs » pour réaliser un aménagement aux enjeux terri- toriaux majeurs. de même, les formes de délégation de service public peuvent faire que l’opéra- Le vrai pouvoir, le seul pouvoir n’est teur privé ou public doive à la fois pas en définitive celui, en partie illusoire, assumer explicitement les termes juridiques du contrat, mais aussi de décider et de commander, mais celui prendre en compte la réalité du contrat social territorial qui impli- d’influencer, de convaincre par la rhétorique, citement s’impose à lui. dans tous d’innover, de créer et de laisser des traces les cas, on observe que les divers opérateurs mentionnés qui ne durables (Claude Martinand) devraient être que des maîtres d’œuvre sectoriels, se retrouvent en quelque sorte en position –

I 19 I Interview Joseph Maïla © Jean-Christophe Marmara/Le Figaro © Jean-Christophe Politique et religion Peindre sur la même toile Par Joseph Maïla Professeur de relations internationales, spécialiste du Moyen-orient, de l'islam et de la sociologie des conflits

Cahier de réflexion I 20 I des maires francophones Paris - France

I SPécIalISte Du Moyen-oRIent et DeS conflItS, JoSEPh MAïlA ESt NotAMMENt lE PrEMIEr lAïC à AvoIr oCCuPé lE PoStE dE rECtEur dE l'INStItut CAtholIquE dE PArIS. SoN PArCourS ENtIEr PArlE dE CEttE INtrICAtIoN SouvENt CoMPlExE du rElIgIEux Et du PolItIquE. à lA quEStIoN d’uN vIvrE ENSEMblE hArMoNIEux où CohAbI- tErAIENt lES dEux légItIMItéS, Il ProPoSE dES réPoNSES éClAIrANtES, INSPIréES ENtrE AutrES du lIbAN doNt Il ESt oRIGInAIRE. i © Droits réservés, Le Figaro Joseph MAïLA La religion est au centre de votre si nous faisons fi de la religion ; parcours. La voyez-vous comme certains états vont dans ce sens. Si Biographie : un des éléments d'un ensemble on peut souhaiter, dans l’absolu, la Professeur de relations de pouvoirs ? laïcité, et je suis de ceux-là, la pire internationales et de des choses est de la forcer. Reli- géopolitique à l’ESSEC, d’origine libanaise, Joseph Maïla > Vous avez raison gions, ethnies, régions, commu- spécialiste du Moyen- de pluraliser le terme de pouvoir nautés sont des marqueurs cultu- orient, de l’islam et de car il existe bien une constellation rels. Pourquoi ne pas tenir compte la sociologie des conflits, de pouvoirs. La religion se posi- des particularités, des diffé- Joseph Maïla est aussi le tionne en fonction d’une confi- rences ? Pourquoi ne pas vivre premier laïc à avoir occupé guration de pouvoirs, c’est-à-dire ces différences, dans l’unité ? Il le poste de recteur de en fonction d’un ensemble de me semble que l’important est l’Institut catholique de Paris en 2004. En 2009, rapports qui relèvent du droit, de prendre en considération, il prend la direction du Pôle de la Constitution, du politique, démocratiquement, les aspirations religions créé au ministère et bien sûr, des rapports sociaux. de la population. des Affaires étrangères à ce postulat de base s’ajoute français par bernard la diversité du paysage franco- une bonne cohabitation Kouchner. Il en dirige la phone ; les cultures religieuses, des pouvoirs se fait dans Prospective, de 2010 à juridiques et les rapports à la le respect et la reconnaissance 2012. Joseph Maïla a dirigé le Centre de recherche sur laïcité sont tous différents au sein des particularismes ? la paix (CrP) et l’Institut de de la francophonie. formation à la médiation et Joseph Maïla > nous avons de à la négociation (IFoMENE) Poser la question de la place des nombreux exemples où le reli- qu’il a fondés à l’Institut religions au sein des collectivités gieux et le politique sont séparés catholique de Paris. pose inévitablement celle de au plan constitutionnel ; c’est le Il est également membre la laïcité. Ce principe est posé cas de l’Italie, de la France. Cela du comité de parrainage de la Coordination pour par certains pays comme une n’empêche pas l’imbrication sans l’éducation à la non- solution claire et indiscutable. fusion comme en Italie, ou la violence et à la paix, et est-ce aussi simple que cela ? distinction sans opposition comme intervient comme expert en France. Prenez le cas des états- auprès d’organisations Joseph Maïla > la réflexion à unis, nation laïque par excellence internationales. partir du modèle laïc n’aide pas puisqu’elle ne subventionne pas, beaucoup. Elle postule et tente entre autres traits, les écoles et de généraliser une césure qui les organismes confessionnels. n’est pas réelle. Dans leur tête, Pourtant, écoutez un discours de combien sont-ils prêts à distin- barack obama et amusez-vous guer le spirituel et le temporel, à compter le nombre de « God le religieux et le politique ? bless… ». les rapports à la laïcité sont évidemment, nous pouvons très différenciés d’un pays à l’autre. surmonter la différence religieuse la France, la belgique, la Suisse si nous passons tous à la laïcité, ou le Canada n’ont pas le même

I 21 I Interview Joseph Maïla

Trois clés pour une cohabitation apaisée des pouvoirs

1. Reconnaître les spécificités et les particularismes, dans la limite et dans le cadre unitaire du vouloir vivre en commun. 2. Distinguer et encourager des forces fédératrices, au-delà des différences. 3. Maintenir l’égalité citoyenne et faire en sorte que le développement économique soit harmonieux.

rapport à la distinction voire à la vous distinguez religions des communautés, plutôt que de séparation des sphères religieuse et communautés ? viser la représentation de partis et civile. En conséquence, les des « démocraties consociatives ». pouvoirs sont eux aussi extrême- Joseph Maïla > Le Liban est un Cette approche est différente de ment différenciés selon qu’ils sont état dans lequel les religions sont celle de Westminster, la première issus d’une histoire de tensions et perçues sous l’angle de commu- démocratie qui fut anglaise, où de luttes avec l’état ou pas. nautés. Ces communautés, « un homme représente une voix ». plusieurs par religion sauf pour le la Suisse et la belgique fonc- vous évoquez le Liban. C’est judaïsme, ont un statut de droit tionnent ainsi. le belgique ne un cas à part ; peut-il servir public qui donne droit à avoir créera jamais de gouvernement d’exemple ? des écoles, des hôpitaux et une sans Flamands ou sans Wallons, représentation des communautés représentés par leurs partis certes. Joseph Maïla > Le Liban est un au sein de l’appareil d’état. La En Suisse, le gouvernement fédéral cas très intéressant, parce que répartition des charges detat l’é est composé des représentants c’est le seul état, parmi les états se fait au prorata des commu- de l’ensemble des communautés arabes, dont le texte constitu- nautés. les fonctions adminis- linguistiques du pays, qui sont tionnel ne mentionne pas de tratives de première catégorie présidents de la Confédération à religion d’état. Pourtant, c’est seules, c’est-à-dire les directeurs tour de rôle. Sociétés de concor- l’un des états les plus « commu- généraux, sont réparties entre dance que ces sociétés. nautarisés » du monde. le liban les différentes confessions. le n’est pas un état laïc certes ; mais président doit être chrétien vous avez débuté cet échange il n’est pas non plus un état théo- maronite, le Premier ministre en évoquant la constellation des cratique ou religieux. toutes les musulman sunnite, le président pouvoirs. Sur le même principe, religions y sont tolérées, chacune de la Chambre musulman chiite, vous parleriez de l’état ou de la a un petit bout de pouvoir. son vice-président étant chrétien ville comme d’une fédération L’état lui ne se réclame d’aucune de rite grec-orthodoxe, etc. Cette communautaire ? religion spécifique, à la différence répartition n’est mentionnée nulle de l’égypte, de la tunisie ou de part, c’est la coutume constitu- Joseph Maïla > la conception l‘Arabie Saoudite. Mais cela ne tionnelle, dite « Pacte national » jacobine, à la française, de l’état signifie pas que l’état soit non qui l’a instituée. la Constitu- n’est pas encline au fédéralisme, croyant ou laïc si vous voulez. tion l’admet implicitement dans a fortiori communautaire. La loi Article 50 de la Constitution :le la mesure où elle prévoit une de décentralisation en France est président prête serment devant déconfessionnalisation à terme relativement récente. Elle date du le très haut… mais la Constitution du système politique. on ne peut début des années 1980. Je crois reconnaît et garantit la liberté de donc former de gouvernement toutefois qu’on a tort de rester sur conscience. En fait, le Liban est sans parité communautaire. on cette vision statique des choses. un état communautaire, mais de appelle ce type de sociétés, qui Regardez comment l’Europe, communautarisme politique. fédèrent au niveau du pouvoir celle des régions, bouscule les

Cahier de réflexion I 22 I des maires francophones Paris - France choses avec sa dynamique des La reconnaissance des appar- les langues ou les religions sont rapprochements transfrontaliers. tenances communautaires ne porteurs de solidarité close. or il En Afrique, on assiste au même milite pas a priori pour l’intégra- faut ouvrir et s’ouvrir à la nation. mouvement même s’il n’est pas tion nationale. Cependant : oui, Les éléments fédérateurs créa- institutionnalisé. la régionali- un pacte pour que chacun garde teurs d’unité sont quant à eux sation se dépolitise : on passe sa spécificité, dans le cadre d’une plus difficiles à trouver. d’enjeux de pouvoir à des enjeux politique de citoyenneté et de de vie. régionalisation et sous- développement peut empêcher Comment concrétiser la notion régionalisation sont des variantes les conflits. Cela a manqué au de bien commun ? en même temps que des condi- Liban, d’où la guerre interne qui tions de la mondialisation. En fran- commence en 1975. Mais le liban Joseph Maïla > Le bien commun cophonie, les choses bougeront a surmonté cela en insistant sur n’est pas une notion statique. Il le long de ces lignes de dévelop- la « coexistence » des commu- faut le construire à travers une pement. Peut-on parler toutefois nautés. Cela a valu au pays de politique affirmée, volontariste, de la ville comme d’une fédéra- ne pas éclater, à l’opposé de la de coexistence et de cohabitation tion de communautés ? Je n’irais yougoslavie, où le vouloir vivre en car la ville n’intègre pas forcément pas jusque-là. une ville est une commun n’a pas été tenu, avec les naturellement. Au contraire, elle communauté de vie. De ce point conséquences que l’on sait. Dans peut produire de la ségrégation de vue, et de ce point de vue ce cas, la politique d’homogénéi- si elle prend en compte le seul seulement, elle rapproche et sation a débouché sur l’affreux critère de la richesse ou de la fédère. « nettoyage ethnique ». Mais la rentabilité. La ville doit donc être Suisse, la belgique, malgré la crise inclusive par volonté. Car il y a de que faire pour avoir autant de par laquelle passe cette dernière, la résistance sociale qui se mani- Liban vivables dans l’espace ont su tenir un fonctionnement à feste évidemment. Des facteurs géographique francophone ? la fois autonome et unifié. d’ostracisme, de rejet, de racisme sont à l’œuvre en temps de circu- Joseph Maïla > Il faut recon- Face à une configuration plurielle lation des personnes, de coexis- naître les spécificités et accepter au sein de laquelle les pouvoirs tence des identités et lorsque l’affirmation des particularismes se croisent et cohabitent, il l’intégration se met en place dans la limite et dans le cadre semble indispensable de poser forcément. Il faut alors plus de du vouloir vivre en commun. Les des éléments fédérateurs, autour dialogue, plus de politique, plus états issus de la décolonisation desquels il y a consensus. de biens publics partagés. on ne ont eu tendance à concentrer les vit pas seulement de nourriture pouvoirs ; on ne voulait pas souli- Joseph Maïla > oui, plus on symbolique. Il faut qu’une carto- gner les spécificités de crainte pousse loin la déclinaison des graphie physique et claire du bien que les autonomies territoriales différences, plus il est indispen- commun apparaisse, pour que ne se transforment en particula- sable d’avoir des forces fédé- chacun retrouve de l’école, du rismes ethniques et échappent ratrices. C’est là toute la diffi- transport, du théâtre, des lieux à l’autorité centrale. la tradition culté. Les éléments de segmen- de culte, etc. une vraie politique jacobine héritée de la France a tation que sont par définition de la Ville est celle qui suscite des joué un rôle fort à ce niveau-là. les ethnies, les communautés, facteurs incitatifs de fédération.

Selon vous, le système libanais a-t-il permis de traverser les crises ou les a-t-il aggravées ? un maire doit s’engager à respecter tous Joseph Maïla > Je vais devoir faire une réponse de normand ! les symboles de la différence culturelle et de En vous disant déjà : non. les l’appartenance religieuse sociétés segmentaires ne sont pas au départ et par finalité suffisamment armées pour créer le sentiment d’unité nationale.

I 23 I Interview Joseph Maïla

Les religions peuvent aider à une gestion locale apaisée. Si l’objectif est la paix civile et l’intégration, pourquoi dénier aux religions un rôle et une contribution ?

C’est donc le rôle de la ville ? La frontière est ténue. peur de se voir marginalisé socia- il existe toujours un risque lement, bafoué dans son identité, Joseph Maïla > oui, la ville est un que la reconnaissance des méconnu dans ses droits, ignoré incubateur de rapprochements, communautés, et par là dans sa langue ou sa religion dans le lieu du maillage social. Il faut des religions, prennent le pas certaines sociétés : alors oui, il y privilégier des politiques inclu- sur le reste. a absence de considération et sives et abolir les conditions qui donc de reconnaissance, peur de favorisent un apartheid urbain Joseph Maïla > C’est là absolu- l’avenir et l’insécurité, du moins souvent culturel. La ville devrait ment un risque. C’est pourquoi au départ son sentiment croît. être le lieu de l’épanouissement il y a des finalités sur lesquelles des différences, le lieu d’une la ville doit rester très vigilante Faudrait-il former les maires à la citoyenneté différenciée. Chacun selon moi. garantir l’accès aux compréhension des religions ? est citoyen de son état, dans le droits, développer en intégrant, cadre d’un pluralisme sociétal. refuser les politiques de commu- Joseph Maïla > nombre de mala- Ce qui est important n’est pas nautarisation des objectifs qui dresses naissent en effet de la que chacun soit reconnu par sa font le lit du clientélisme, bien méconnaissance. Il est bon de religion par exemple, mais que distinguer éducation religieuse se tenir informé et de ne pas chacun soit reconnu dans sa et éducation aux religions, ne pas cesser de se former. la formation religion. C’est qu’une société soit brimer les symboles culturels ou aux religions, à leurs symboles capable d’admettre qu’elle est les pourfendre, mais en même et à leurs croyances, bref à leur composée également de commu- temps favoriser les associations univers est fondamental. De nautés qui ont chacune leurs de mixité communautaire, s’as- même qu’il faut expliquer et spécificités sans prétention d’uni- surer que le développement souvent aussi sensibiliser, et versalité. Le seul universalisme économique soit harmonieux, parfois associer, les autorités qui vaille en l’occurrence, c’est combattre la réalité de la double religieuses à la vie locale. Mais l’universel citoyen. stratification à savoir que les votre question sur la formation plus pauvres se recrutent dans des maires se pose partout, en Comment gérer alors unité et leur très grande majorité dans France peut-être surtout, où pluralisme, au sein d’une même une même communauté. C’est là l’on a « oublié » la religion au ville ? un statut à double exclusion par point de ne plus pouvoir lire une l’identité et par la richesse. Inver- grande part de la culture du pays. Joseph Maïla > Il faut faire en sement, lorsqu’une même caté- Mais se pose-t-elle en Afrique ? sorte que l’égalité citoyenne gorie sociale concentre la plupart Est-ce que les maires des villes préserve l’égalité des droits, que des avantages, alors il y a risque africaines en ont besoin ? là-bas, la différence culturelle ne donne de tensions et de conflits. la ville c’est plutôt le religieux qui pas un avantage au plan du poli- doit veiller à cela. doit être formé à la ville ! Si le tique. Maintenir le pluralisme projet de formation vaut globa- religieux, laisser se développer La notion de reconnaissance est lement, encore faut-il spéci- la différence mais dans le cadre intéressante. C’est un facteur fier le cadre national ou local de l’unité citoyenne. Des poli- sécurisant ? retenu et ses caractéristiques. tiques urbaines peuvent être lorsque je dirigeais l’Institut menées dans ce sens ; je pense Joseph Maïla > la notion de catholique de Paris, le projet par exemple à l’aménagement reconnaissance est une rencontre du premier diplôme qui visait à d’espace pour le religieux sans que de l’éthique et de la politique. former les imams français à la cela soit un symbole marqueur de C’est l’égalité en dignité de tous, laïcité ne portait nullement sur territorialité, comme la chose est plus la participation citoyenne. la religion à proprement parler et trop souvent hélas présentée. Dans des pays où il existe une ne comportait pas, bien entendu,

Cahier de réflexion I 24 I des maires francophones Paris - France d’enseignement religieux, au des états-unis et des pays anglo- ils évoluent dans un contexte. sens de la théologie dogmatique. saxons de tradition multiculturelle, C’est pour cette raison qu’il faut Il portait sur le contexte français : qui y voyaient une volonté d’im- faire de ce potentiel d’action des la France, son histoire, sa culture, poser un comportement vesti- religions une réalité à mobiliser ses valeurs, la laïcité et la loi sur mentaire aux femmes. Cette loi pour l’intégration plutôt que de les cultes de 1905 connue comme contrevenait pour eux aux droits monter en épingle leurs aspects loi de séparation de l’église et de de l’homme. Le sous bassement de distinction et, comme vous le l’état. Le seul enseignement de philosophique de cette loi était de dites, de distanciation.l a religion religion était la sociologie des prévenir une évolution commu- est une force active de mobilisa- religions. Du point de vue social nautariste de la société. on peut tion et d’insertion sociale. Elle et politique, la formation à la bien entendu penser ce que l’on peut être une force de démo- compréhension des religions fait veut de cette argumentation et cratie et d’édification de l’état globalement partie d’une sensi- être en désaccord avec elle. Mais de droit comme cela s’est passé bilisation plus vaste à l’évolution on ne peut pas douter, je crois, de durant les années de la transi- culturelle du monde dont les sa cohérence avec un projet répu- tion démocratique en Afrique villes sont la meilleure vitrine. blicain de société dont le message par exemple. Pourquoi écarter était en fait de dire : si l’on interdit ou exclure les religions alors Comment une collectivité le voile intégral, c’est pour mieux qu’elles constituent des forces locale peut-elle transcender le intégrer. qui composent la société civile, communautarisme ? au même titre que les syndicats est-ce possible ? La religion est encore perçue ou les associations ? dans les comme un facteur de distanciation années 1990, en Afrique, toutes Joseph Maïla > Un maire doit voire d’opposition, plutôt que les conférences nationales qui s’engager à respecter tous les comme un facteur d’unité… réunissaient les forces vives de la symboles de la différence culturelle nation, femmes, jeunesse, syndi- et de l’appartenance religieuse. Joseph Maïla > Il faut considérer cats, partis politiques ont été un projet de ville doit être un que les religions peuvent aider présidées par des évêques et des projet d’intégration, de vouloir à une gestion locale apaisée. Si dignitaires religieux. Regardez le vivre en commun, pas un projet l’objectif est la paix civile et l’in- rôle des églises dans les récon- d’exclusion. tous les marqueurs tégration, pourquoi dénier aux ciliations et les efforts de réin- de l’identité doivent s’inscrire religions un rôle et une contri- sertion sociale qui suivent les dans le respect des droits cultu- bution ? Comme fait social, toute guerres. Sans idéaliser, car jouer rels et des droits fondamentaux religion est, sur un plan pratique, sur les ressorts symboliques du de tout un chacun. toutefois, ces normative. Elle fixe un idéal, des religieux permet d’alimenter droits doivent s’insérer dans un valeurs et définit des normes. Elle hélas encore les guerres civiles, projet citoyen et, en France, un est prescriptive par les devoirs le religieux représente une force projet d’intégration nationale laïc. qu’elle impose à ses fidèles. Enfin, symbolique et réelle qu’il faut Je prends à dessein cet exemple dans nombre de pays, la religion pouvoir associer à des projets pour montrer que les choses ne est une force sociale qui permet de paix et de développement. sont pas simples et que des contra- de mobiliser des foules. Le poli- C’est là un vrai potentiel que les dictions peuvent pointer entre ces tique et le religieux ne jouent pas responsables des politiques de la affirmations de principe et le cadre dans un désert d’abstractions, Ville auraient tort d’ignorer. politique. Prenez, par exemple, le cas en France dit du « voile » ou plus exactement des femmes dont le visage est voilé, cas embléma- tique et polémique entre tous et qui, de fait, a défrayé la chronique, Il faut considérer que les religions y compris internationale. les peuvent aider à une gestion locale motivations formelles de la loi d’interdiction du voile intégral apaisée relevaient de la nécessité sécuri- taire. les critiques les plus acerbes contre cette loi nous sont venues

I 25 I Sagesse du monde

Le fractionnement du pouvoir est la plus sûre manière d’en empêcher l’abus Seule l’obscurité a le pouvoir Maurice Druon d’ouvrir au monde le cœur Écrivain d’un homme Alain Philosophe Donnez tout pouvoir à l'homme le plus vertueux qui soit, vous le verrez bientôt changer d'attitude Hérodote Historien

Gouverner, c'est maintenir les balances de la justice égales pour tous Franklin Delano Roosevelt Homme d’État Tout pouvoir sans con trôle rend fou Il faut une science politique Alain nouvelle à un monde tout Philosophe nouveau Alexis de Tocqueville Philosophe du politique

Je suis convaincu que nous sommes entrés dans une période où l’anthropologie va devenir un outil plus pertinent que les sciences politiques René Girard Philosophe

Ce n'est ni la situation, ni la grandeur, ni la richesse des capitales qui causent leur prépondérance politique sur le reste de l'empire, mais la nature du gouvernement. Organiser ce n’est pas Alexis de Tocqueville mettre de l’ordre Philosophe du politique c’est donner de la vie Jean René Fourtou Homme d’affaires

Le plus sûr moyen de ruiner un pays est de donner le pouvoir aux démagogues Denys d’Halicarnasse Il faut être rameur avant de tenir le gouvernail, Historien avoir gardé la proue et observé les vents avant de gouverner soi-même le navire Aristophane Poète Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des En démocratie, choses, le pouvoir arrête le pouvoir on a le droit d'avoir tort Claude Pepper Philosophe Homme d’État © Lonely/Fotolia Cahier de réflexion I 26 I des maires francophones Pour qu'un groupe humain perçoive sa propre violence collective comme sacrée, il faut qu'il l'exerce unanimement contre une victime dont l'innocence n'apparaît plus, du fait même de cette unanimité René Girard Philosophe

En politique, la communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés La plupart estiment que le gouvernement agit mal ; Alexis de Tocqueville mais tous pensent que le gouvernement doit sans Philosophe du politique cesse agir et mettre à tout la main. Alexis de Tocqueville Philosophe du politique

Tous les méfaits de la démocratie sont remédiables par davantage de démocratie Alfred E. Smith Homme d’État

Puisque tu as voulu le pouvoir, utilise-le, mais utilise-le le moins possible, agit le moins possible, ne vise rien d'autre que de faciliter l'accomplissement naturel de la cité Lao Tseu Sage

Seul est digne de son pouvoir celui qui le justifie jour après jour Dag Hammarskjöld Diplomate

Le pouvoir de l’homme s’est accru dans tous les domaines, excepté sur lui-même Winston Churchill Homme d’État Qui gouverne par la Vertu est comparable à l'étoile polaire, immuable sur son axe, Le pouvoir est mais centre d’attraction de toute planète principalement Confucius le pouvoir de décider Philosophe Paulo Coelho Écrivain L’ordre pour l’ordre est la caricature de la vie Le monde est mal fait parce que Dieu l’a créé Antoine de Saint-Exupéry tout seul. Il aurait consulté deux ou trois Écrivain, aviateur amis… Le monde serait parfait Alfred Capus Journalise et romancier

I 27 I De l’inspiration à l’action © camaralucida1/Fotolia Medellín une ville pour la vie

Par le Secrétariat mondial de cGlu, avec la participation de la direction de la planification de la Ville de Medellín

I MeDellín (coloMbIe) Se tRanSfoRMe et DeVIent un exeMPle dE « vIllE Pour lA vIE ». ENtrE 1991 Et 2013, lE tAux dE CouvErturE dES SErvICES PublICS Et l’ACCèS Au logEMENt – EN PArtICulIEr dANS lES quArtIErS PAuvrES – oNt SIgNIFICAtIvE- MENt AugMENté, dE MêME quE lA MISE à dISPoSItIoN d’ESPACES PublICS, d’équIPE- MENtS SoCIAux Et d’INFrAStruCturES dE trANSPortS. lES tAux dE SColArISAtIoN EN PrIMAIrE, dE réuSSItE Au bACCAlAuréAt Et d’étudIANtS INSCrItS à l’uNIvErSIté oNt FAIt uN boNd EN AvANt ; lE ChôMAgE ESt PASSé SouS lA bArrE dES 10 % ; Et lE tAux d’hoMICIdES Pour 100 000 hAbItANtS A été dIvISé PAr dIx. i

La ville a gagné de nombreux prix partenariat entre les différents volonté de changer la situation internationaux de renom (dont acteurs et la planification stra- dans une ville qui était confrontée « ville de l’innovation ») et elle tégique (appelée aussi plani- à de graves problèmes de gouver- est souvent citée comme exemple fication urbaine « intégrale ») nance, d’exclusion et de violence. dans de nombreux domaines. Le fondée sur des valeurs largement Cette évolution a été le fruit d’un mot « renaissance », mentionné partagées. les transformations processus de long terme ; elle par la Banque interaméricaine opérées à Medellín se sont réali- s’est appuyée sur la planification de développement (BID), aussi sées progressivement grâce à des et sur des accords entre les diffé- bien que par le new York times, alliances novatrices, au dialogue rents acteurs et secteurs, partis est sûrement le qualificatif qui et à la participation citoyenne. politiques compris. la continuité symbolise le mieux ce renouveau Les alliances mises en place ont des politiques publiques au-delà initié il y a plus de vingt ans. mobilisé l’état, les institutions des changements électoraux publiques locales et régionales (succession de différents maires) Tous réunis par une (la région d’Antioquia), les entre- est le résultat probant de cette volonté de changement prises publiques et privées, les méthode. Ce travail collectif s’est secteurs sociaux, dont les onG articulé à l’échelle de la ville et Ces succès se sont appuyés sur (certaines soutenues par l’église), au-delà, grâce aux échanges trois composantes essentielles : les milieux académiques et les de savoirs et à la participation, la participation citoyenne, le médias, tous réunis autour de la suivant « une ligne de continuité

Cahier de réflexion I 28 I des maires francophones Medellín - Colombie

dans l’application de politiques En parallèle, de nombreux milieux publiques sociales, économiques, alternatifs et communautaires Une évaluation des d’éducation et d’habitat pour la ont joué le jeu, et participé à politiques publiques ville »1. différents projets. les institutions publiques ont accompagné ces le contrôle politique exercé par changements et les ont péren- le conseil municipal et le contrôle Des plans pour définir nisés (par exemple, les Caisses de qualité des services exercé par une vision long terme d’allocations familiales à travers d’autres instances publiques ont le réseau de bibliothèques dans assuré une gestion transparente de nombreux exemples expli- le domaine culturel et éducatif). et responsable des ressources quent comment ces mécanismes les associations professionnelles publiques (l’office de contrôle – se sont mis en place progressive- (architectes et ingénieurs), les Contraloría – sur la transparence ment. Le Plan stratégique pour écoles, les universités et groupes et la participation citoyenne et Medellín et pour l’aire métro- de recherche ont également de défense des citoyens – Perso- politaine 2015 a été adopté en appuyé le processus de planifica- nería – sur les droits des citoyens 1998, suivi en 1999-2000 par le tion. le secteur privé a lancé des et l’intérêt public). l’évaluation Plan d’aménagement territorial. projets de lotissement et de loge- des politiques publiques à travers Ces plans ont défini une vision ments sociaux dans le cadre d’un les programmes Comment ça de long terme soutenue par programme d’accompagnement va Medellín ? (Medellín cómo l’ensemble des acteurs. La plani- et d’amélioration du logement. vamos ?) et du Contrôle citoyen fication s’est accompagnée d’un du plan de développement effort de reconstruction du tissu l’Entreprise publique de Medellín (veeduría Ciudadana al Plan de social urbain accompagné d’un (EPM), créée par la ville en 1955 desarrollo) a encouragé la parti- processus de paix et de récon- (devenue, en 1997, société cipation des citoyens au suivi du ciliation. de nombreux acteurs publique à caractère industriel et processus. et institutions ont participé à commercial), a progressivement ces initiatives : la fondation Pro- étendu ses services publics à tous Antioquia, créée en 1975 autour les quartiers de la ville, puis aux La formation de plusieurs entreprises de la 123 municipalités de la région, y des citoyens région, les onG (regroupées compris aux zones rurales, et enfin dans une fédération créée en à d’autres régions de Colombie, Pour promouvoir la démocratie 1998 avec plus de 100 organi- puis aux pays d’Amérique latine. locale, Medellín a beaucoup sations), le comité intersyndical Elle offre des services de qualité investi dans l’éducation et la (près d’une quarantaine d’en- avec des critères sociaux (tout formation des citoyens, dans la tités), la Chambre de commerce en veillant aux impacts envi- diffusion de leurs droits, avec de la ville, les médias locaux et ronnementaux). L’EPM est ainsi l’objectif de bâtir une citoyen- régionaux, le Comité université- devenue un modèle de gestion neté active et responsable. Cette entreprise-état (CuEE), fondé publique dans la région et un pilier participation a été le ciment du au début des années 2000. Ce du développement de Medellín. consensus et de la consolidation Comité rassemble les représen- En 2013, les taux de couverture des institutions, ainsi que du tants des principaux groupes des services de distribution d’eau, « pacte social » régulièrement d’entrepreneurs de la région et d’assainissement, d’électricité et renouvelé à travers différentes des institutions de l’éducation de gestion des déchets s’élevaient initiatives (par exemple, le Plan supérieure. tous ces acteurs, en à 99 %. la collaboration entre la pour une Medellín plus humaine, coordination avec les pouvoirs commune et la région a encou- sur les espaces publics) et notam- publics, ont forgé un projet pluriel ragé les initiatives ambitieuses et ment le système municipal de et convergent. de long terme. planification.

trois composantes essentielles : la participation citoyenne, le partenariat entre les différents acteurs et la planification stratégique

1 Charte de Medellín sur l’avenir urbain des villes du monde, Aníbal gaviria C., voir : http://fr.urbansolutionsplatform.org/CartaMed/pdf/CharteMedellin-Francais.pdf I 29 I Une ville, une histoire Québec, ville de pouvoir Par le bureau des relations internationales de la Ville de Québec

i LA viLLe de quéBec esT Fondée Le 3 JuiLLeT 1608 PAR LE nAVIGAtEUR, ExPlorAtEur Et CArtogrAPhE SAMuEl dE ChAMPlAIN dANS uN HAVRE nAtUREL LE LonG du MAJEStuEux FlEuvE SAINt-lAurENt. PENdANt SES quAtrE CENtS ANS d’hIStoIrE, EllE SErA lE lIEu dE rENCoNtrES, d’éChANgES, dE bAtAIllES Et d’ExPrESSIoN dE PoUVoIR QUI MARQUERont l’hIStoIrE NoN SEulEMENt

dE lA vIllE MAIS dE l’AMé- © Archives de la ville québec RIQUE toUtE EntIèRE. i • québec, « là où le fleuve se rétrécit »

Avant 1608 Le rêve de Champlain Centre du pouvoir religieux

Champlain n’est pas le premier Champlain n’aura pas l’occasion récollets, jésuites, ursulines, à s’installer « là où le fleuve de mettre en œuvre son ambitieux augustines hospitalières : québec se rétrécit ». Avant lui, Jacques projet d’établir une cité baptisée accueille au cours du xviie siècle Cartier tentera par deux fois sans Ludovica en l’honneur du roi des représentants de plusieurs succès d’y établir une colonie louis xIII. Il dotera toutefois québec congrégations religieuses qui (Charlesbourg-royal 1535 et de ses premières infrastructures seront au cœur de son développe- 1541), tout comme Jean-François et installations stratégiques, dont ment, fondant collèges, monas- de la rocque de roberval (France- le fort Saint-louis. quatre forts tères, séminaires et hôpitaux. roy 1541). à cette époque, les et deux châteaux Saint-louis se Québec était également le point Iroquois disposent déjà à cet sont succédé entre 1620 et 1834. de départ en Amérique du nord endroit d’une bourgade appelée Sièges du pouvoir exécutif de la de nombreux missionnaires qui Stadaconé. lorsque Champlain colonie pendant plus de deux se joindront aux explorateurs établit son comptoir de traite cents ans, ils ont également servi dans la découverte du conti- plus de soixante ans plus tard, de résidence officielle à tous les nent. Le diocèse de Québec voit les autochtones ont déserté la gouverneurs du régime français, le jour en 1674 et l’université région. et à plusieurs du régime anglais. Laval, première université de

Cahier de réflexion I 30 I des maires francophones Québec - Canada

Charlesbourg beauport

La haute-Saint-Charles

Les Rivières inc. B. edwards © ville de québec - W. La Cité-Limoilou

CAPITALEde LA Province du quéBec

Sainte-Foy-Sillery-Cap-Rouge 2 454,28eXcLuAnT Les kM PLAns d'e Au

516 622 hAbITANTS

© Archives de la ville québec dernier recenseMenT 2011 • Carte de québec 2013 avec superposition des arrondissements actuels langue française en Amérique, un intendant et un conseil souve- En 1690, les troupes de l’amiral en 1852. l’archevêque de québec rain. Le premier intendant, Jean anglais William Phips sont repous- est encore aujourd’hui d’office le talon, fera de l’accroissement de sées vers la Nouvelle-Angleterre. primat de l’église catholique du la population et du développe- une troisième offensive anglaise Canada. ment économique ses priorités avorte en 1711, lorsque l’impo- lors de ses mandats de 1665 à sante flotte de l’amiral hovenden 1668 et de 1670 à 1672. rappe- Walker rebrousse chemin après Capitale de lons qu’à son apogée en 1710, une tempête sur le Saint-laurent. la Nouvelle-France la Nouvelle-France s’étendait du En septembre 1759, le général golfe du Saint-laurent au golfe britannique James Wolfe parvient de sa fondation jusqu’à 1663, du Mexique, englobant l’Acadie à défaire le lieutenant général Québec est dirigée par un et les grands-lacs, et longeant français louis-Joseph de Montcalm gouverneur qui a pour fonction le Mississippi, sans compter les qui assure la défense de la ville. le commandement militaire, la Antilles. québec capitule cinq jours après direction civile et l’exécution des la mort des deux généraux lors de arrêtés royaux. Le seul pouvoir la bataille des plaines d’Abraham. qui lui échappe est celui de la Lieu de convoitise les soldats français stationnés gestion financière assurée par à Montréal et dirigés par le duc des compagnies de commerce. Avant la Conquête, qui surviendra de Lévis remporteront l’année une administration coloniale est en 1759, québec est la cible suivante la bataille de Sainte-Foy, mise en place et prise en charge d’attaques des Anglais à deux mais ne parviendront pas à par le roi louis xIv en 1663. la reprises. En 1629, les frères Kirke reprendre la ville suite à l’arrivée ville devient officiellement la en prennent possession au nom des renforts anglais. En 1775, c’est capitale de la Nouvelle-France et de l’Angleterre et forcent le départ au tour des Américains d’échouer est dirigée non plus seulement de Champlain. québec sera resti- à prendre québec aux mains des par le gouverneur, mais aussi par tuée à la France trois ans plus tard. Britanniques.

I 31 I Une ville, une histoire

• Champlain traçant le plan de Québec, gravure : Souvenir du IIIe centenaire,

1608-1908

© Archives de la ville de québec de ville la de Archives © © domaine public – libre de droits de libre – public domaine © • Carte de Québec lors de la conquête 1535 1608 1664 1761 1600 1700 1759

© domaine public – libre de droits • débarquement de Jacques Cartier à Stadaconé © Archives de la ville de québec de ville la de Archives © • Bataille des plaines d’Abraham

© domaine public – libre de droits • Carte de Québec l’histoire du Canada et des états- de porte d’entrée maritime de sur la liste du patrimoine mondial Unis aurait été toute autre si l’intérieur du continent. dans la de l’unesco en 1985. québec les révolutionnaires américains première moitié du xixe siècle, son accueille aujourd’hui l’organi- étaient parvenus à inclure la port vient au troisième rang en sation des villes du patrimoine province de Québec aux treize Amérique après ceux de New york mondial (oVPM). colonies. Endroit stratégique et de la Nouvelle-orléans. C’est à disputé, Québec consolidera cette époque que l’auteur Charles sa stature de place forte par dickens surnomme québec « le Siège du pouvoir politique la construction de nombreux gibraltar d’Amérique ». québec ouvrages militaires défensifs au sera au début du xxe siècle l’une de capitale de la Nouvelle-France, cours de son histoire. Elle est des principales villes industrielles Québec devient, après la Conquête, aujourd’hui la seule ville forti- du Canada. Les secteurs du bois, la capitale de la province de fiée sur le continent au nord du de la chaussure, des meubles, du québec de 1760 à 1791, puis la Mexique. tabac et des munitions feront la capitale du bas-Canada de 1791 renommée de la ville. Aujourd’hui, à 1840. Elle sera ensuite, de 1851 québec se distingue par ses indus- à 1855 et de 1860 à 1865, la Un pôle commercial tries de pointe, notamment en capitale provisoire du Canada-uni incontournable optique-photonique, divertisse- pour, enfin, devenir en 1867 la ment numérique, science de la capitale de la province de Québec. D’abord poste de traite pour la vie, ainsi que par ses entreprises l’édifice qui accueille aujourd’hui fourrure, puis rapidement princi- de services d’assurances et finan- encore les parlementaires québé- pale ville portuaire de la Nouvelle- ciers. l’industrie touristique est cois est érigé de 1877 à 1886. France et plaque tournante du aussi un moteur économique Une véritable cité parlementaire commerce du bois, Québec fait important pour la ville, dont les regroupant dans le même secteur partie d’importants réseaux nombreux efforts de restaura- la majorité des ministères du d’échanges commerciaux que tion ont permis l’inscription de gouvernement du Québec verra renforce sa position stratégique son arrondissement historique le jour dans les années 1960.

Cahier de réflexion I 32 I des maires francophones Québec - Canada

• • Churchill et Roosevelt © domaine public – libre de droits Port de Québec, Henry Adlard, à la conférence de québec

vers 1840 de 1943 © domaine public – Fonds Roger Bédard Roger Fonds – public domaine ©

1943 1840 1879 1800 1900 1947 2000

• Photo aérienne de Québec

© Archives de la ville de québec © Archives de la ville de québec de ville la de Archives © • Carte de Québec d’abord administrée par des juges d’envergure. La conférence de francophonie. Pensons à la Super- de paix nommés par le gouver- québec de 1 864 mènera à la francofête (1974), aux sommets neur, la Ville de Québec se dote création de la Confédération de la Francophonie (1987 et d’une charte en 1832 et de son canadienne. En 1943, Winston 2008), à la création du Centre de premier conseil municipal dirigé Churchill et Franklin d. roosevelt la francophonie des Amériques par un maire l’année suivante. s’y réunissent afin de convenir en 2008 et au premier Forum trente-sept maires se sont des déplacements des Alliés, mondial de la langue française succédé à l’hôtel de ville depuis. tels que le débarquement de tenu en 2012. La ville abrite les En quatre cents ans, les limites du normandie. La ville accueillera bureaux de l’Institut de la fran- territoire de la ville de Québec ont plus tard le sommet de la Fran- cophonie pour le développement subi plusieurs modifications. Suite cophonie à deux reprises (1987 durable. à la plus récente réforme adminis- et 2008), ainsi que le sommet des trative, qui a consisté en la fusion Amériques en 2001. d’une dizaine de municipalités limitrophes, la ville de Québec s’étend aujourd’hui sur un terri- Carrefour de toire de 454,28 km2 (excluant les la francophonie plans d’eau) et comptait 516 622 Pour en apprendre davantage habitants lors du dernier recense- Le rôle de Québec comme chef ment en 2011. de file au sein de la francophonie sur Québec, consultez : nord-américaine s’est affirmé tôt, notamment avec la Grande www.ville.quebec.qc.ca Lieu de rencontre décisif Convention nationale des fran- cophones d’Amérique en 1880 et québec fut choisie à de nom- le premier Congrès de la langue breuses reprises pour accueillir française en 1912. le temps a des rencontres et autres sommets confirmé ce rôle de capitale de la

I 33 I Une ville, une histoire

L’islam a commencé pourtant par Médine, la cité !

I Dans le coran, triomphe toujours le modèle de la cité organisée qui protège, accueille et partage. Pourtant la ville de tunis, envahie par la chaos moderne vit une grave crise qui menace le « vivre ensemble ». I

Par Youssef Seddik, Philosophe et anthropologue

en 1956 n’a que très peu changé spécialisés, des résidences, puis La vielle ville, un espace la topographie et la toponymie des instances de la gouvernance structuré autour de d’une capitale devenue centre et de l’administration. la grande mosquée du pouvoir politique dès la fin du xie siècle avec la dynastie des Si nous prenons l’exemple de la Hafsides qui a délaissé Kairouan, La modernité européenne ville de Tunis pour illustration de ville fondatrice de l’établissement comme référence ce mal urbain profond, le prome- de l’islam au Maghreb pour cette topographique neur qui se souvient de cette bourgade berbère près de l’an- belle cité jusqu’aux années 1970 tique Carthage. L’espace tradi- à la sortie de cette masse est effaré par la métamorphose tionnel est demeuré quasiment compacte de la vieille ville par de l’espace, de l’effacement des intact, commandé par la centralité l’une des portes d’une muraille normes, du brouillage des pers- de la grande mosquée de l’Olivier aujourd’hui disparue, la porte pectives et de la destruction des (Zitouna), autour de laquelle se de France (porte de la Mer, lignes des proximités et des voisi- déploient, selon une logique rigou- dans le langage courant des nages… La sortie de l’ère coloniale reuse, les aires des commerces citadins) l’espace urbain change

Cahier de réflexion I 34 I des maires francophones Tunis - Tunisie © Daniel Mordzinski Youssef SedDik Biographie : Philosophe et anthropo- logue tunisien, spécialiste de la Grèce antique te de l’anthropologie du Coran. Youssef Seddik affirme qu’il est « légitime, pour tout musulman de relire et d’in- terpréter le Coran de son point de vue personnel ». Il recommande donc de le lire « en dehors de toute source traditionnelle et avec un regard neuf ». Il a publié de nombreux ouvrages et traductions du patrimoine islamique parmi lesquels : Brins de chicane. La vie quotidienne à Bagdad au xe siècle (coécrit avec Tanûkhî), 1999. Dits de l’imam Ali, 2000. Le Coran : autre lecture, autre traduc- tion, 2002. Dits du prophète Muhammad, 2002. L’arri- vant du soir : cet islam de lumière qui peine à devenir, 2004. Nous n’avons jamais lu le Coran, 2004. Qui sont les barbares ? Itinéraire d’un penseur d’islam, 2007. Le Grand Malentendu. L’Occident face au Coran, 2010. Unissons-nous ! Des révolutions arabes aux indignés. Entretiens avec Gilles Vanderpooten, 2011.

© Google 1 Mosquée Zitouna 4 Cathédrale Saint-Vincent-de-Paul

2 Allée du Souk 5 Avenue Bourguiba

3 Place de la Victoire

I 35 I Une ville, une histoire

l’Europe. Le tout premier axe qui traverse l’avenue Bourguiba comme la transversale d’une croix est baptisée à droite, immédia- tement après le théâtre du nom de l’antique capitale punique, la Carthage antéislamique, donnant sur l’avenue de Paris, comme si cette toponymie apparemment hétérogène signait la volonté d’enjamber l’arabité du pays… Mieux, ladite avenue de Paris continue après une place carre- four, dont personne ne retient le nom (ancienne place Anatole- France !) pour déboucher sur l’avenue de la Liberté, donnant elle-même sur la place Pasteur, un Français « universalisé par le

© Google Savoir et le service rendu à l’hu- Perspective sur l’avenue Bourguiba. manité. »

de tout en tout. Non seulement Le promeneur a quitté la place de comme paysage bâti découpé en l’Indépendance dont on a évacué La rationalité du tracé ligne de passage, de circulation seulement la trace emphatique- urbain mis à mal par ou d’attroupement, mais aussi ment coloniale de la tombe d’un le chaos moderne dans sa sémantique même, dans soldat inconnu pour y substituer ses symboliques et ses renvois la statue sur pied du plus illustre Aujourd’hui, hélas, cette ratio- historiques. Voyons plutôt : si des penseurs tunisiens, Abder- nalité du tracé urbain, hors de les édiles, dès l’indépendance, rahmâne ibn Khaldûn (mort en tout jugement sur le parti pris ont décidé de maintenir son 1404), fondateur des sciences idéologique qu’il sous-tend, nom à cette artère matrice, dite historiques. L’artère vaste et recti- se trouve envahie et peut-être « avenue de France », ils ont ligne de l’avenue Bourguiba (ex dévastée par un chaos mons- choisi qu’elle ouvre sur la belle Jules-Ferry !) se prolonge jusqu’à trueux qui a déjà saccagé et place de l’Indépendance, là où la sortie de la ville et déploie, dans tué la Médina ancienne, la plus pourtant la mémoire coloniale ces rues et avenues affluentes, belle et la plus riche sans doute demeure lourdement présente une éclatante insistance de cette du monde arabe, classée patri- avec la cathédrale pseudo- rhétorique d’un pays optant pour moine mondial par l’Unesco, et gothique de Notre-Dame de Tunis l’ouverture sans ambiguïté sur atteint comme un cancer la ville se dressant en face d’une ambas- sade de France aux toits de tuiles rouges. L’intention des nouveaux Aujourd’hui, hélas, cette rationalité maîtres du pays, devenus les seuls souverains de l’espace, choisis- du tracé urbain, hors de tout jugement sant la modernité européenne comme référence topographique, sur le parti pris idéologique qu’il sous-tend, est telle que les rues adjacentes se trouve envahie et peut-être dévastée par à ce court segment ont même du côté de la cathédrale une rue un chaos monstrueux qui a déjà saccagé et dite de Rome, quand du côté de l’ambassade de France une rue de tué la Médina ancienne Hollande, puis une rue de Grèce, jouxtant (sûrement à dessein) le monument du théâtre municipal.

Cahier de réflexion I 36 I des maires francophones Tunis - Tunisie dite « européenne ». Véritables « marchands du Temple » en face de mosquées, chaussées asphaltées et trottoirs devenus pêle-mêle parkings pour fidèles empressés ou lieux de prière en plein air, embarras inouï qui détruit les fonctions des bâti- Capitalede la tunisie ments et confond dans le même tourbillon d’un mouvement 2 brownien, chemins des piétons, Environ 212,633 426 habitant ksm/km2 circuits de véhicules, écoles, admi- nistrations publiques, entrées de résidences privées, échoppes 728 453 habitants et aires de culte ! recensement 2004

Face à ce spectacle d’apoca- Le grand tunis compte environ lypse que montre la ville, il nous 2 540 800 habitants est indispensable de rappeler recensement 2013 à tous ceux, malheureusement nombreux, qui croient qu’un tel destin est propre aux terri- toires urbains commandés par la religion islamique. À bien consi- dérer le moment de l’irruption de cette religion au tout début dans l’autodestruction.T elle a été du viie siècle, en effet, il nous a Ni nomadisme la destinée du Sodome biblique, été possible de montrer dans un irresponsable par exemple, que le Coran nomme travail paru en 2004 (Nous n’avons ni village fortifié Mu’tafikat ou « Cité ensevelie ». jamais lu le Coran, édition de L’Aube) qu’une grave illusion de Si le Coran fustige avec une parti- lecture de ce livre révélé fonda- culière sévérité le comportement Pour une cité ouverte teur du troisième monothéisme du Bédouin pour qui l’espace a donné et donne toujours lieu à n’est que le déploiement de son Seule la cité ouverte d’où partent une si injuste appréciation. désir immédiat de consommer et arrivent routes et chemi- un point d’eau ou un pâturage nements balisés octroient à pour l’évacuer et l’oublier une l’humain universel sa vraie Le Coran souhaite fois épuisé, il n’en condamne demeure et sa chance d’appri- une cité organisée pas moins l’enfermement de ce voiser par la culture la nature qui protège et accueille qu’il nomme qariat. Ce mot très hostile par définition à cette ancien, commun au lexique de insaisissable créature appelée Partout dans le Coran, la question toute la Méditerranée antique, l’homme… Quand donc verrons- de l’espace et de l’occupation de du Proche-Orient (qui aurait nous les espaces islamiques l’espace est traitée dans une rigou- donné son nom à l’île de Crète), habités méditer ce fait historique reuse mise en perspective qui part de Carthage (« qariat nouvelle ») attesté qui nous signale que le de l’errance et du chaos bédouin de l’hébreu kuryat, etc. signifie prophète de l’islam n’a jamais pour remonter vers le triomphe « hameau ou village fortifié », débaptisé un lieu-dit conquis à de la cité organisée qui protège, prisonnier de ses remparts et la nouvelle religion sauf un seul : accueille, distribue selon la plus de sa peur de l’étrange et de cette agglomération de dissen- juste répartition des rôles et des l’étranger, se préparant toujours sion et de guerre nommée Yathrib fonctions les parts du territoire à la guerre et se complaisant dans avant l’islam et qu’il a baptisée dues à chaque instance, à chacun sa trompeuse inviolabilité pour Al-Médina (« la cité par excel- des groupes légalement consti- atteindre un degré de démesure lence ») dès son hégire (migra- tués, à chaque individu citadin. et de luxure qui le fera sombrer tion) de sa Mecque natale ?

I 37 I Regards décalés

Pouvoirs religieux et autorités centrafricaines : quelles solutions pour la sortie de crise ?

entretien avec l’imam omar kobine Layama, président de la Conférence islamique de rCA et l’archevêque de Bangui, monseigneur dieudonné nzapalainga

i ALors que LA reLigion esT considérée coMMe FAcTeur de division, à bANguI dEux hoMMES uNISSENt lEurS voloNtéS Pour tISSEr dES lIENS, rétAblIr lE dIAloguE EN PlEINE CrISE, dANS uNE PErSPECtIvE durAblE. i

Les autorités religieuses retour des déplacés. L’état civil à cet égard, quelles sont les actions centrafricaines sont-elles est la première des choses à que vous menez au sein de la traditionnellement associées refaire. Les guides religieux ayant Conférence islamique centrafricaine au gouvernement des villes ? une connaissance des déplacés pour une prise de conscience peuvent aider les autorités muni- collective de la diversité ? nous n’intervenons pas direc- cipales à certifier l’état civil des tement sur l’administration des déplacés. nous pouvons apporter Nous permettons des espaces villes. Cela n’est pas de notre notre témoignage. de rencontre et de dialogue sans ressort en tant qu’autorité reli- distinction de religion. le but gieuse évoluant dans un pays laïc Selon vous, quels rôles peuvent est de travailler dans la vérité, comme la Centrafrique. Cepen- jouer les pouvoirs religieux de regarder les problèmes en dant, nous collaborons avec les autour du maire dans la face, d'accueillir les frustrations autorités locales sur plusieurs gouvernance urbaine ? et de connaître les causes de axes concernant la gestion des division. Nous allons ensemble à villes. En effet, face au chaos, au Les pouvoirs religieux sont des la rencontre des déplacés. Pour vide administratif, nous assurons forces sociales de mobilisation. l’imam, la première chose qu’il un lien, une permanence, un Ils sont écoutés par les disciples. ait demandé à ses collègues, réconfort entre les communautés à ce titre, notre première tâche les imams centrafricains, a été de base. à titre d’exemple, nous doit être de conscientiser les d’adapter leurs prêches pour collaborons avec les autorités fidèles. Nous devons prêcher véhiculer le discours de l’islam municipales sur la gestion du la paix et inviter nos fidèles au en tant que religion de paix et de problème des enfants de la rue. dépassement. Surtout, tous les tolérance. L’islam ne prône pas nous les appuyons également sur pouvoirs religieux, sans distinc- la violence et ceux qui le font en l’aspect état civil : enregistrement tion, doivent porter un message son nom ont tort. Et ils doivent des naissances, mariages. nous clair sur l’indivisibilité de la Répu- être dénoncés. Selon lui, tous informons nos fidèles sur ces blique centrafricaine et sur son les musulmans doivent avoir le obligations. C’est là un passage caractère laïc. C’est ce que nous courage de le dire. Aussi, nous obligé pour une politique du faisons inlassablement ! faisons également de l’assistance

Cahier de réflexion I 38 I des maires francophones Bangui - République centrafricaine sociale sans discrimination reli- mettre en place des gieuse et nous participons chaque projets de société qui semaine à des émissions de radio rassemblent. Et nous d’une durée de trente minutes pensons que l’école doit véhiculant des messages de y jouer un rôle capital. paix et rappelant à nos fidèles la Par exemple, il serait nécessité d’un vivre ensemble en intéressant de mettre bannissant la haine et en cultivant en place à bangui un la fraternité, la tolérance. complexe scolaire interconfessionnel qui

La crise centrafricaine sévit permettra à nos enfants © Droits réservés © Droits réservés depuis mars 2013. Sans revenir de grandir ensemble omar kobine dieudonné sur les causes, pensez-vous que et de se connaître. Son LAYAMA nZAPALAingA leurs conséquences, notamment financement pourrait le départ forcé des musulmans, être privé. L’économie Biographie : Biographie : sont définitives ? sociale et solidaire peut Imam omar Kobine Layama Monseigneur Dieudonné est né le né le 28 décembre nzapalainga est un prélat aussi aider à la résolu- 1958 à Mobaye, une ville centrafricain. Il est né le Notre conviction est que nous tion du conflit. En effet, de République centra- 14 mars 1967 à bangassou, vivons un événement tragique, le soutien à la micro- fricaine située dans la une ville de République mais que ses conséquences sont finance et à la micro- préfecture de basse-Kotto. centrafricaine située dans transitoires. C’est là le message entreprise peut être une Il a fait ses études en Arabie la préfecture de Mbomou. d’espérance que porte notre foi. réponse au chômage des Saoudite où il est certifié à la fin de ses études Une espérance commune aux jeunes et, surtout, une de l’université islamique secondaires, il commence de Médine. Entre autres sa formation pour devenir alternative à la fonction chrétiens et aux musulmans. donc, fonctions, l’on peut citer : spiritain prêtre dans le le retour est encore possible. publique qui, jusqu’à président de la Commu- cadre de la Fondation D’ailleurs, certains réfugiés aujourd’hui, peine à nauté islamique centrafri- de l’Afrique centrale. Ayant commencent à revenir. la terre trouver de l’emploi pour caine ; membre de l’Union fait profession perpétuelle centrafricaine appartient à tous eux. Enfin, il nous paraît des oulémas d’Afrique le 6 septembre 1997, ses fils – musulmans, chrétiens utile de former les maires dont le siège se trouve à il est ordonné diacre le ou non-croyants. le départ des à la démarche de récon- Bamako ; expert en lendemain même et prêtre relations islamo-chrétiennes le 9 août 1998 à bangassou. musulmans n’est pas définitif. ciliation, qui n’est pas auprès du PRICA Entre autres fonctions, Cependant, leur retour doit être qu’une bonne volonté, (Programme de relations l’on peut citer : planifié. Nous pensons qu’il faut mais un chemin struc- islamo-chrétiennes en supérieur régional des d’abord préparer les esprits au turé, éprouvé. Il s’agit Afrique) à Nairobi. Pères spiritains (RCA) retour. Ensuite, il faut les aider de les former et des les et curé de la paroisse à reprendre leurs activités d’ori- outiller. Enfin, pour faire passer Notre-dame d’Afrique, gine. Pour cela, nous pensons nos messages, notre manière 2005-2009 ; président qu’un système de bourse pour la d’être et de faire, pour donner la de la Conférence des supérieurs majeurs de la réinstallation des familles serait parole à tous ceux qui ont envie rCA, 2008-2009 ; admi- très utile. Mais, nous l’avons dit d’une Centrafrique en paix, il est nistrateur diocésain de tout à l’heure, il faut aussi refaire nécessaire de mettre en place bangui, 2009-2012 ; depuis l’état civil des déplacés. Qui est une radio communautaire inter- mai 2012, archevêque de centrafricain ? Qui ne l’est pas ? confessionnelle couvrant l’en- l’archidiocèse de Bangui. semble du territoire. En 2013, élu président de ensemble, pouvoirs religieux et la Conférence épiscopale centrafricaine. pouvoirs locaux, quels projets de société pour une sortie de crise ? Comme vous le savez, le pouvoir La terre centrafricaine appartient à religieux est une force sociale et un pouvoir normatif qui a une tous ses fils – musulmans, chrétiens ou capacité de mobilisation réelle. à cet égard, le pouvoir religieux non-croyants peut aider le pouvoir local à

I 39 I Du concept au concret

Insaisissable pouvoir local ou les errances de la

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Par Jean-Yves Jason Muscadin directeur exécutif de l'association Citoyen Sans Frontières

i 1987. 183 ANS APrèS SoN INdéPENdANCE, lA réPublIquE d’hAïtI, PAr lA ProMulgAtIoN d’uNE NouvEllE CoNStItutIoN, ChoISIt dE SE déMArquEr théorIquEMENt du MouvE- MENt CENtrIPètE quI PouSSE vErS lA CENtrAlISAtIoN Au ProFIt du CENtrIFugE ouvrANt lA voIE à lA déCENtrAlISAtIoN. EN EFFEt, dANS lA MouvANCE du déPArt du dICtAtEur JEAN-ClAudE duvAlIEr Et lE rEtour à lA déMoCrAtIE, CEttE déMArChE CoNStItuA uN ProJEt dE réForME du SyStèME PolItIquE, lEquEl vISAIt ESSENtIEllEMENt à uN PArtAgE dE CoMPétENCES ENtrE lE PouvoIr CENtrAl Et lES PouvoIrS loCAux, dE SortE quE lE dévEloPPEMENt SoIt uNE déMArChE CItoyENNE Et CollECtIvE doNC loCAlE. i

Nombre d'experts haïtiens et tionnel, social et politique dans la permanence pratique d’une étrangers ont théorisé sur cette ce pays dit pauvre où la tradition dualité politique haïtienne, orientation étatique, engagée remplace généralement la loi. « pouvoir central et pouvoirs à l’origine dans un contexte l’analyse du système politique locaux », mais plutôt une longue de crise, mais n’ont pas pu régissant l’état traditionnel pratique de centralisation des retrouver d’une manière non haïtien permet de comprendre pouvoirs au sommet et au sein équivoque les voies qui ont été que s’il fallait hiérarchiser les de l’exécutif. à ce sujet, dans explorées jusqu’à présent pour contraintes, les clauses politico- une étude sur la problématique faciliter la mise en pratique des administratives laisseraient en de la décentralisation et réalités prescrits constitutionnels. l’es- réalité peu de place aux blocages de collectivités, la commission sence des textes disponibles fait susmentionnés. Soulignons ici nationale de la réforme adminis- référence à des blocages d’ordre que notre réflexion ne trouve trative résume magistralement économique, juridique, institu- pas de traces significatives de la situation en haïti :

Cahier de réflexion I 40 I des maires francophones Port-au-Prince - Haïti © Droits réservés Jean-Yves Jason MuscAdin Biographie : Né le 21 mai 1964 à Port-au-Prince, directeur exécutif de l’association Citoyens Sans Frontières, membre de l’observatoire de la décentralisation et de la gestion des risques et désastres en haïti. A publié en 1997 : Le présent des choses passées ou les Archives haïtiennes, faits et perspectives ; en 2009, la nouvelle Le club des carnavaleux disparus ; en 2010, l’essai Le goût de • la centralisation des pouvoirs au de la collectivité municipale, dite l’avenir. de février 2010 à sommet de l’exécutif, la concentration ; commune ou municipalité et sur février 2012, il a donné plus • des services publics disponibles les principes fondamentaux de d’une trentaine de confé- dans l’aire métropolitaine et dans les rences sur la reconstruction chefs-lieux de département ; gestion des emplois de la fonction publique territoriale et de ses de la capitale d’haïti, en • le mal fonctionnement de ces particulier à la conférence services et la perte de crédibilité et établissements publics. Cette des maires du monde de légitimité de l’état. réflexion à partir de mon expé- à l’organisation des rience de maire pendant cinq ans Nations unies (New york) ; une tentative pour approcher de la capitale d’haïti (Port-au- au européen le paradoxe des processus en Prince) tentera de rendre compte (Bruxelles). cours démontre que l’hyper- de la complexité de la fonction présidentialisme en haïti ne du maire, du conseil municipal laisse pas ou peu d’espace aux et de la place réelle des élus autres élus de la République. Le locaux dans la construction de la pouvoir traditionnel haïtien vivra décentralisation. un tableau des comme une véritable menace relations entre le pouvoir central pour sa survie, la promulgation en et le pouvoir local à propos de la 2006 des décrets fixant le cadre mobilisation citoyenne, de l’allo- général de la décentralisation, de cation des ressources et de la l’organisation et du fonctionne- représentation du politique sera ment des collectivités territoriales dressé ici. Une telle démarche haïtiennes, dans la perspective semble assez pertinente pour de la fourniture adéquate des apporter une contribution à la services publics à la population, réflexion sur la problématique du développement local et de la du développement local et le démocratie participative ; l’orga- processus de décentralisation en nisation et le fonctionnement haïti.

I 41 I Du concept au concret

être un élu local en haïti ou l’axe présidentiel contre l’axe démocratique

Les décrets cités viennent remettre à l’ordre du jour la problématique de la décentrali- un pouvoir cherche toujours à s’originer sation au cœur du changement qu’étaient censées apporter les ou comme on dit à se fonder c’est-à-dire à élections présidentielles et parle- mentaires de 2005. le président fonder l’origine de sa possibilité nouvellement élu prêta serment sur la Constitution le 7 février 2006 et déclara la mise en veil- leuse des dits décrets tout en « décidant quand nécessaire de leur mise en application ». le Parlement haïtien resta sans de la légalité et de la légitimité et la politique, conçue comme une réaction, parce que les députés probablement l’obscurcissement activité, implique un discours commençaient à afficher leurs de lisibilité de l’action publique ». rationnel, l’engagement public, velléités de jouer le rôle des l’exercice de la raison pratique et maires dans leurs communes. Ils Faisant sienne la réflexion sa réalisation dans une activité à semblent avoir oublié que la loi d’André Stangennec expliquant, la fois partagée et participative. est la même pour tous sur tout « qu’il est banal de répéter que de la théorie à la pratique, le le territoire national, assurant le nul pouvoir politique ne s’est programme du rCP affirma que caractère unique et indivisible jamais contenté d’exister en les élus municipaux s’implique- de la république, participant exerçant ses trois pouvoirs insti- raient dans douze dossiers fonda- de l’exigence de l’égalité des tutionnels, fussent-ils pleine- mentaux : citoyens face à la loi. d’où leur ment différenciés et articulés : • 1 - la mise en place d’une slogan inique : « le pays peut légiférer, exécuter, sanctionner. administration municipale axée fonctionner sans élus locaux ! » qu’il soit despotique ou répu- sur les résultats ; • 2 - la voie publique et la salubrité Mars 2007. Après maintes tergi- blicain, qu’il soit totalitaire de la ville ; versations, le pouvoir central ou démocratique, un pouvoir • 3 - la culture ; est forcé par des manifesta- cherche toujours à s’originer ou • 4 - la sécurité publique ; tions populaires de proclamer comme on dit à se fonder, c’est- • 5 - l’édifice de la mairie et son les résultats des municipales. à-dire à fonder l’origine de sa environnement ; le parti rassemblement des possibilité », le parti fixa la date • 6 - la démocratie municipale ; Citoyens Patriotes (rCP), un parti d’investiture : le 29 mars, une • 7 - la santé des citoyens ; • 8 - l’éducation ; de type nouveau (à vocation date symbolique, celle du vote • 9 - le sport ; municipale) gagna les élections massif de la Constitution de notre • 10 - l’économie ; locales à Port-au-Prince à plus pays en 1987, fruit d’un besoin • 11 - la lutte contre la corruption ; de 75 % (le conseil municipal, les radical de démocratie, affirmant • 12 - la coopération décentralisée. 2/3 des conseils d’assemblées que des solutions pour une autre des sections communales, les haïti existent et proposant un Ce choix n’avait rien d’innovant 2/3 des assemblées des sections programme pour construire un puisqu’il est une prescription communales et les 2/3 des délé- monde fondé sur des valeurs légale, mais appliquée stricto gations de ville). les élus locaux, respectueuses des hommes et sensu, elle écarte toute mainmise dont je faisais partie, le maire élu des femmes de notre société. du pouvoir central et permet au de la capitale d’haïti, sont « auto- Ces valeurs sont d’une part, la conseil municipal de fonctionner. risés » à prêter serment par le solidarité, l’égalité, l’équité et la En effet, il offre la possibilité de délégué départemental de l’exé- liberté, d’autre part, celle de la mettre un frein à la vaste mise en cutif non sans peine. Ainsi « cette fondation du parti symbole de la scène des vrais maîtres de Port- réticence profilait l’affrontement rupture avec le vieil ordre. au-Prince.

Cahier de réflexion I 42 I des maires francophones Port-au-Prince - Haïti titution qui dérangeait parce que Pour revenir au contexte de la Les errances de la dénonçant cette forme d’inter- lutte, Fils-Aimé affirme : « dans décentralisation en haïti ventionnisme du pouvoir central le contexte haïtien, le processus (empiétements, abus, dérives de de décentralisation charrie tout Pour bien comprendre le sort du toutes sortes). un ensemble d’arguments reven- pouvoir municipal, il faut cerner dicatifs ayant abouti à la refon- la vraie nature de l’état. En haïti, de 2007 à 2009, le pouvoir local dation de l’état par une nouvelle l’exercice du pouvoir du maire ou à Port-au-Prince eut l’intelligence Constitution en 1987 qui consacre du conseil municipal se heurte le de l’événement partant de l’as- la décentralisation effective plus souvent à une administration sertion de Serge Carfantan : la comme mode de concertation et centrale, notamment les cabinets légitimité du pouvoir n’est donc de participation de toute la popu- et les services centraux des minis- jamais définitivement acquise. Il lation aux décisions majeures de tères situés dans la capitale, ne faut pas non plus trop compter la vie nationale. » Sachant que particulièrement du ministère de sur le système pour se réguler la démocratie participative ne l’Intérieur et des collectivités terri- lui-même. Il n’y a pas de système se réduit pas à des procédures toriales qui n’accordaient guère politique idéal. un système ne et, substantiellement, une gram- de liberté d’action aux structures vaut que ce que valent ceux maire de la liberté politique du pouvoir local. la conception qui le soutiennent. le pouvoir puisqu’elle établit les règles qui étatique de l’exercice des respon- peut toujours corrompre et la permettent à tous et à chacun de sabilités au plan local ne semblait désaffection de la responsabilité s’exprimer, la pragmatique admi- pas favoriser la mise en place des peut aussi gangrener de l’inté- nistration municipale intégra le structures d’un pouvoir local doté rieur les institutions. En effet, mot d’ordre « pas de révérence de réels pouvoirs. l’article 16 de la en cinq ans, le conseil municipal au statu quo », même s’il était déclaration des droits de l’homme du rCP a pris le parti d’œuvrer clair que tout n’est pas possible à et du citoyen de 1789 rappelle à la mise en place de structures tout moment. pourtant que : « toute société durables dans la ville, le mandat dans laquelle la garantie des droits populaire du maire du RCP lui les aléas naturels à Port-au- n’est pas assurée ni la séparation ayant donné pour mission de Prince n’ont pas aidé à notre des pouvoirs déterminée, n’a point « rendre l’état aux citoyens ». démarche de démocratisation de Constitution ». donc, en recen- Il n’est pas étonnant que les de la démocratie (la capitale trant l’attention sur la capacité du choses se soient passées ainsi de d’haïti fut détruite par trois citoyen à construire les enjeux, 2007 à 2009 (phase 1 de l’hyper- cyclones, connut une émeute le RCP, via le conseil municipal, présidentialisme de Préval). de la faim et un tremblement l’invita également à s’identifier et à se réapproprier sa société et non plus à se voir dépassé par un système sur lequel il n’a que peu Les structures mises en place d’emprise. En d’autres mots, on par le conseil municipal du RCP socialisait et même on démocra- tisait l’identification des enjeux de La création du conseil de sécurité municipale ; la rédaction et l’appli- société. Cela amenait à repenser cation du Plan local d’éducation et du Plan Communal de Gestion des la démocratie, mais aussi le rôle Risques et Désastres ; la coopération décentralisée ; l’inscription aux des « couloirs d’information associations internationales de maires et de villes ; l’intercommuna- tels les conseils de quartiers, les lité ; l’identification des « vrais pôles » d’investissement public muni- cipal ; la constitution de l’Agenda citoyen ; l’application de la loi via les assemblées délibératives, etc. » décrets sur l’organisation de la commune et sur la décentralisation. Au lieu d’être des porte-étendard Dans l’administration municipale : la mise en œuvre du manuel de d’une pensée unique, ces espaces gestion ; l’application du règlement intérieur du conseil municipal ; devenaient des facilitateurs de construction d’une administration basée sur les résultats ; un budget débats, permettaient l’émergence programme ; la réalisation de projets communaux via les conseils de d’opinions plus diverses et donc quartier supportés par le budget participatif, etc. favoriseraient d’une certaine manière une démocratie partici- pative. En ouvrant cette boîte de Pandore, la mairie devenait l’ins-

I 43 I Du concept au concret

de terre). Ces événements ont permis au gouvernement central de résister aux avancées de la démocratie participative, de choisir de ne déléguer que quelques-unes de ses compé- tences à l’instance locale et d’af- firmer en même temps qu’elle Les aléas naturels ont permis au n’était capable de les assumer. Il gouvernement central de résister n’empêche que le débat sur les rapports inter-institutions a été aux avancées de la démocratie relancé, en particulier par le séisme du 12 janvier, ainsi que participative par les initiatives d’élus locaux.

le tremblement de terre a-t-il provoqué une avancée démo- cratique ? oui, par l’offre d’une ont un caractère ambivalent ou ciation du pouvoir de l’état et de nouvelle ville à vivre. les propo- clair-obscur. l’état se manifeste l’acte de gouverner la ville. sitions des bras techniques de la à travers de nombreuses insti- Pratiquement, le maire qui dirige mairie de Port-au-Prince furent tutions. Non seulement il y a de la capitale ou une ville éloignée combattues par l’exécutif dirigé nombreuses couches et segments de ce centre névralgique du par les présidents René Préval dans chaque institution qui repré- « vrai pouvoir » se dit frustré de (2005-2010) et Michel Joseph sentent l’état (la justice, l’admi- la domination du pouvoir central. Martelly (2011 à nos jours). les nistration territoriale, les muni- les relations avec l’administration projets municipaux validés par cipalités, les douanes, la police, centrale et le MICt en particu- des arrêtés municipaux, que ce les agences de vulgarisation, lier sont équivoques. l’attitude soit le Plan local d’urbanisme ou etc.), avec des présences et des gouvernementale à l’égard du les Schémas directeurs pour les activités extrêmement variables, maire oscille constamment entre quartiers les plus affectés par mais, en plus, les soi-disant insti- la réduction de son pouvoir – par ce séisme qui détruisit Port-au- tutions traditionnelles, renforcées exemple, en limitant sa fonction Prince à plus de 75 %, ou encore par la reconnaissance étatique, sur la question du balayage de le Schéma de cohérence terri- rivalisent avec l’état pour repré- la ville et (s’il est un proche du toriale pour la région métropo- senter l’autorité publique. pouvoir) il est autorisé à de petits litaine de Port-au-Prince réalisé travaux de renforcement qui le avec le concours de l’Association Théoriquement, le maire est un mettent au centre de la construc- des maires de ladite région, ont politique qui « dirige une collec- tion politique locale. dans un été mis en veilleuse et rejetés tivité territoriale moyenne ayant registre comparable, Lund après la révocation illégale et personnalité morale et dotée constate que « le fait de détenir inconstitutionnelle du maire de de l’autonomie administrative une autorité sur une base légale la capitale d’haïti par le président et financière » (article 2). « Son n’est certes pas sans importance Martelly. patrimoine est distinct de celui dans le processus d’exercice local de l’état et des autres collecti- du pouvoir – être reconnu de vités territoriales » (article 2-2). juré par d’autres institutions n’est Des couches multiples Le maire est un élu disposant d’un pas négligeable –, mais cela ne d'autorité pouvoir qui prend en charge tous constitue pas une garantie perma- les aspects de la vie citoyenne et nente, et n’est pas un prérequis Pour haïti, il a toujours été diffi- reposant sur le concept de l’état indispensable pour exercer l’au- cile de définir ce qu’était tat l’é moderne lequel s'enracine dans torité. En fait, il semble qu’il y ait et ce qui ne l’était pas. En fait, il une théorie de la police. Le maire une grande variété d’institutions, semble que plus on s’intéresse à en tant que décideur doit savoir étatiques ou non, qui soient une configuration politique parti- trouver les voies et moyens de la à même de définir des déci- culière, plus il devient évident maîtrise institutionnelle du déve- sions collectives contraignantes que les institutions politiques loppement, et donc faire la disso- pour les membres de la société

Cahier de réflexion I 44 I des maires francophones Port-au-Prince - Haïti au nom de l’intérêt général, aux gouvernés en tant que pres- intransigeance quasi idéologique c’est-à-dire de se constituer elles- cripteur de droit. Personne ne du pouvoir central dans son refus mêmes en autorité publique peut lui faire face puisqu’il exerce de reconnaître officiellement les de facto, avec un succès certes la tutelle. pouvoirs locaux. variable. L’élément décisif, c’est que l’autorité publique n’est que faire pour la mise en œuvre de jamais acquise une fois pour Pour un pilotage de la « décentralisation effective », toutes ». le maire a beaucoup territoire basé sur cette incontournable garantie d’attributions, mais pas assez la proximité par la Constitution de 1987 ? les de prérogatives. Il est comme jeux sont-ils faits ? Pour borgetto un pompier – quand il s’agit de Des analystes avaient approché Michel : « le grand jeu de la gérer les projets d’infrastructure le tremblement de terre du décentralisation a ses mystères… ou de sécurité, par exemple, il 12 janvier 2010 comme une Mais comme beaucoup de jeux, il n’a aucun mot à dire, mais quand possibilité de refonder haïti et de n’est pas inutile d’en connaître et il s’agit de gérer les problèmes se projeter dans l’avenir à partir d’en rationaliser les règles : faute quotidiens des citoyens, c’est lui de l’orientation : « reconstruire de quoi, le risque est grand que qu’on désigne. Le maire est donc par la décentralisation. » « En d’aucuns soient conduits à ne le premier qui accuse le coup du raison de leur proximité avec les plus y voir qu’un simple jeu de manque de confiance. habitants, de leur connaissance hasard… » Encore une fois, cela rejoint la des problèmes quotidiens, mais question du pouvoir, son organi- aussi des demandes des déplacés, Le propre de la République est sation et son exercice. dans un les collectivités territoriales ont de servir l’intérêt général. Il souci de clarification du champ une capacité de mobilisation et faudra que les représentants opérationnel du fait du prince, de dynamisation des habitants. de l’état (les trois pouvoirs et de recenser les principales carac- Institutions publiques, elles la société civile) se mobilisent téristiques de la gouvernance bénéficient de la durée pour pour établir les modalités de publique, interrogeons-nous sur agir et d'un statut qui peut en fonctionnement démocratique sa portée, ses limites, son évolu- faire, au niveau local, des inter- de l’état et démontrer qu’ils tion. la frénésie du tout pouvoir locuteurs des pouvoirs publics sont en mesure d’assumer leurs constituant l’ouverture d’une centraux dans la conduite des responsabilités par des actions véritable boîte de Pandore, actions », analyse le groupe pour concrètes, concertées, harmo- parce que pour le prince, il doit l’Environnement, gAFE. Malgré nisées et qui s’inscrivent dans la diriger les institutions porteuses toute la dense littérature et la durée avec les partenaires, s’im- ou en charge de la gouvernance déferlante d’experts théorisant posent en vue d’un mieux-être urbaine. Le prince, c’est l’état. les deux thèmes, les tenants du des haïtiens et d’une meilleure Son pouvoir d’état lui fait élaborer statu quo se sont refusés à toute sécurité pour tous. En effet, les ou admettre les lois, lesquelles avancée pour cerner la justesse grandes lignes d’une méthode constituent le commencement de cette nouvelle architecture de gestion et de pilotage des de toute vie sociale. Son pouvoir institutionnelle. Cette attitude est territoires fondée sur l’approche lui permet aussi de distribuer des d’une part, une sorte de déviance des proximités peuvent constituer compétences à des autorités qui oligarchique de la démocratie, un des paramètres pour guérir mettront en œuvre la législation. dont les effets sont sensibles au cet état malade du changement. Le prince s’impose de manière niveau des collectivités locales. Car la décentralisation est une unilatérale aux gouverneurs et d’autre part, l’affichage d’une question hautement politique.

Les grandes lignes d'une méthode de gestion et de pilotage des territoires fondée sur l’approche des proximités peuvent constituer un des paramètres pour guérir cet état malade du changement

I 45 I En refermant la revue © Skopein/Ikon Images/Corbis © Skopein/Ikon Un pouvoir qui fait grandir ensemble

Cahier de réflexion I 46 I des maires francophones Angers - France i en PArcourAnT LA revue, oN NE PEut S’EMPêChEr dE vouloIr tISSEr, ENtrE CES dIFFérENtES CoNtrIbutIoNS, uN FIl, uNE rAMPE, uNE CordéE, quI guIdE lA lECturE Et quI SoIt utIlE Pour l’ACtIoN. i

Par françois de Montfort Consultant

Le pouvoir n’est pas donné par doit construire la cité. En cas de

un statut. Il repose d’abord sur conflit, elles peuvent être un © Droits réservés des personnes engagées, sur des recours précieux pour restaurer le François convictions, sur des actions qui dialogue, soigner des blessures. de montFort en sont l’expression. la figure de Gandhi avec un simple bâton et le maire s’affirme ainsi en Biographie : un vêtement rudimentaire est là rassembleur, en tisseur de liens, école supérieure de pour nous le rappeler. Le pouvoir qui pense une ville inclusive. Il commerce de Paris, lauréat de la Fondation repose aussi sur des citoyens développe une vigilance particu- nationale entreprise et actifs, informés, formés, éduqués, lière pour prévenir les clans, les performance pour la parti- responsables, qui contribuent à la segmentations, l’appropriation cipation et la coordination construction de la ville. du pouvoir par un groupe. d’un ouvrage collectif sur la gestion des services publics Si la confiance en est le ciment, sous la direction de Simon il faut rappeler que le pouvoir vit Nora, directeur de l’Ena. Mettre en synergie Il dirige depuis 25 ans souvent dans la rivalité pouvant Caminno, société de conseil dégénérer dans la violence et le Les élus locaux évoluent donc spécialisée dans le dévelop- chaos. Il s’agit, face à cette dérive, dans une constellation compre- pement urbain. Caminno d’identifier le processus, les nant de nombreux acteurs, aux accompagne les collecti- signaux faibles, pour ramener de définitions différentes selon les vités dans leur démarche la coopération tout en acceptant pays. Je pense à l’Etat, à la région, de définition de projets des conflits créatifs. aux départements, aux gouver- et de concertation avec la société civile et les entre- norats, aux oNg, aux institutions prises dans le domaine des internationales, aux entreprises grandes infrastructures Le maire : un rôle majeur privées, aux associations. Chaque urbaines, avec une volonté pour la paix institution a ses contraintes et ses de donner une vision et un logiques. à lui de s’y adapter pour sens aux projets concrets. En ce sens le maire a un rôle mieux dynamiser le territoire. majeur dans l’élaboration de la Une nouvelle gouvernance se paix, par sa mission inclusive, dessine pour mettre en synergie sa proximité les citoyens. Ce ces forces dans un processus de pouvoir-là fait grandir ceux qui concertation et de décision. « le l’entourent. En ce sens, le mot pouvoir existe quand les hommes autorité convient mieux : augere agissent ensemble et disparaît veut dire augmenter. quand ils se dispersent ». C’est là une manière de le maire donne fierté aux Au-delà de la gouvernance, ce faire emblématique, car ces citoyens qui, très souvent, sont de nouveaux comporte- forment des communautés cultu- ments et des attitudes qui sont communautés sont des forces relles ou religieuses. Il importe de à faire grandir. Mais, ce qui est avec lesquelles le maire doit les respecter et de les associer sûr, c’est que le local détient les les unes aux autres. C’est là une clés de l’avenir dans la période construire la cité manière de faire emblématique, que nous traversons. Il est car ces communautés sont des porteur de solutions adaptées et forces avec lesquelles le maire adoptées.

I 47 I édito Pour ce troisième numéro… 02 Anne Hidalgo, mairesse de Paris Pensée Pouvoir & violence, comprendre pour prévenir 04 Pierre d'elbée, philosophe d'hier à demain Développer des citoyens actifs 10 Jean-Louis Benoît, professeur agrégé, docteur ès lettres d'hier à demain Développement local durable et évolution des pouvoirs : à la recherche d’une gouvernance 14 territoriale efficiente claude de Miras, économiste Interview Politique et religion : peindre sur la même toile 20 Joseph Maïla, professeur de relations internationales Sagesses du monde Elles et ils ont dit 26 Aventuriers, philosophes, penseurs… de l'inspiration à l'action Medellín, une ville pour la vie Secrétariat mondial de cGlu, avec la participation 28 de la direction de la planification de la Ville de Medellín une ville, une histoire Québec, ville de pouvoir 30 bureau des relations internationales de la Ville de Québec une ville, une histoire L’islam a commencé pourtant par Médine, la cité ! 34 Youssef seddik, philosophe et anthropologue Regards décalés Pouvoirs religieux et autorités centrafricaines : quelles solutions pour la sortie de crise ? Gandhi symbolise le pouvoir désarmé, 38 entretien avec l’imam omar kobine layama, président de la Conférence islamique la force de la parole, l’importance de de rCA et l’archevêque de Bangui, monseigneur dieudonné nzapalainga la mobilisation de la société civile pour la lutte contre des pouvoirs injustes. Il Du concept au concret incarne aussi la cohérence entre l’homme public et l’homme privé, la nécessité de Insaisissable pouvoir local ou les errances de la décentralisation en haïti mettre ses actes en cohérence avec ses 40 Jean-Yves Jason Muscadin, directeur exécutif de l’association Citoyens Sans Frontières paroles. Il rappelle que des personnes convaincues peuvent changer le monde, en refermant la revue sans violence. Un pouvoir qui fait grandir ensemble 46 françois de Montfort,consultant

Numéro 03 - 2014 La revue Raisonnance est une publication semestrielle de l'association Internationale des Maires francophones, opérateur de l'organisation Internationale de la francophonie pour la coopération décentralisée - Directeur de publication : Pierre Baillet - rédacteur en chef : Julie Guillaume - comité de rédaction : Arianna Ardesi, Aurélie Jeannin, François de Montfort - crédits photos : Photo de couverture : danny lehman, Corbis. Photos intérieures : oscar White, Carole bellaïche, Skopein, Ikon Images, Corbis, Jean-Christophe Marmara, le Figaro, lonely, camaralucida1, Frankbirds, Fotolia. com, archives de la ville de québec, W. b. Edwards Inc., Fonds roger bédard, google. - conception et réalisation : Caminno - AiMF, 9 rue des Halles, 75 001 PAris. www.aimf.asso.fr