Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde

50 | 2013 Usages et représentations du français hors de 25 ans d’études historiques au sein de la SIHFLES (actants, outils, pratiques)

Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer (dir.)

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/dhfles/3649 DOI : 10.4000/dhfles.3649 ISSN : 2221-4038

Éditeur Société Internationale pour l’Histoire du Français Langue Étrangère ou Seconde‎

Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2013 ISSN : 0992-7654

Référence électronique Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer (dir.), Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013, « Usages et représentations du français hors de France » [En ligne], mis en ligne le 01 novembre 2016, consulté le 01 juin 2021. URL : https:// journals.openedition.org/dhfles/3649 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dhfles.3649

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© SIHFLES 1

NOTE DE LA RÉDACTION

Responsable de l'édition en ligne : Javier Suso López

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SOMMAIRE

Présentation Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer

5 décembre 1987 - 14 décembre 2012 Gérard Vigner

Une histoire des origines Daniel Coste

Amitié, utilité, conquête ? Le statut culturel du français entre appropriation et rejet dans la Hollande prémoderne Willem Frijhoff

Regards sur l’histoire de l’enseignement du français aux Pays-Bas (XVIe-XVIIe siècles) Pierre Swiggers

Un maître de langues et de pension française dans les Provinces-Unies du XVIIIe siècle, Étienne-Bernard de Villemart (1724-1799) Madeleine van Strien-Chardonneau et Kees van Strien

Claude de Sainliens, un huguenot bourbonnais au temps de Shakespeare : un résumé très succinct, quelques ajouts et des pistes de recherche Laurent Berec

Contribution à l’histoire des pratiques de « prononciation » fondées sur les écritures ordinaires Henri Besse

Le français de l’époque moderne comme objet d’histoire sociale et culturelle : un témoignage personnel Willem Frijhoff

Recherches en histoire de l’enseignement des langues. Quelle place, quelles méthodes ? Michel Berré

Allemagne, France, monde arabe : expériences et perspectives d’une jeune chercheuse en histoire croisée Esther Möller

De la linguistique française à l’histoire de l’enseignement du français André Chervel

Publications Gisèle Kahn

La SIHFLES en Espagne : historique des recherches et perspectives Juan Francisco García Bascuñana et Javier Suso López

L’historiographie de l’enseignement du français langue étrangère en Allemagne. Un abrégé de son évolution Marcus Reinfried

Une entreprise sur le long terme : les répertoires de manuels utilisés pour l’enseignement du français aux Pays-Bas Marie-Christine Kok Escalle

Répartition géographique des publications de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde Karène Sanchez-Summerer

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Présentation

Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer

1 5 décembre 1987 – 14 décembre 2012 : la SIHFLES fête ses 25 ans. Un quart de siècle, c’est un moment à saisir pour mesurer le chemin parcouru mais aussi pour réfléchir sur le chemin à parcourir. C’est l’occasion de s’interroger sur les orientations à prendre, sur les possibilités à saisir quand les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent des outils pour partager les savoirs, connaître et diffuser les archives et effectuer des comparaisons. L’étude des usages et représentations du français hors de France, de l’évolution de l’offre et de la demande de langue française met en lumière des actants, des outils et des pratiques non seulement de l’enseignement / apprentissage du français langue étrangère ou seconde mais aussi de la culture et de l’éducation dans un contexte national ou international.

2 C’est pourquoi dès ses origines, l’interdisciplinarité a été au cœur de la SIHFLES où se rencontrent linguistes, historiens et historiens de la langue et de la linguistique, de l’enseignement, des religions, de la culture car « le marché linguistique est essentiellement un marché social et culturel » (Frijhoff). Souhaitons que cet aspect de rencontres disciplinaires se renforce au sein de la SIHFLES, grâce aux échanges et projets communs avec des équipes qui travaillent dans le monde anglophone (AHRC1), dans l’univers des langues orientales (INALCO/PLIDAM2, SOAS3) et dans la francophonie (CIEF4).

3 Un peu d’histoire...

4 En juin 1998, le numéro 21 de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde dirigé par Daniel Coste, Herbert Christ et Nadia Minerva, les trois premiers présidents de la SIHFLES, marquait les 10 ans de cette association et offrait en hommage à André Reboullet, non seulement des réflexions sur le travail de l’historien en histoire du FLE/FLES et un éventail d’articles géographiquement situés, de Malte à la Lituanie, en passant par la Suisse, Chypre et l’Allemagne, soulignant le rayonnement de la SIHFLES, mais aussi un regard sur « l’homme de dialogue » qu’était Reboullet. Et le « quatre-vingt-dix-neuvième dialogue à la manière de Pierre Marin, précepteur des petits Bataves, par Guillaume, sieur de Librecourt, Dédié au Sieur André Reboullet, marquis de Lhomond, mousquetaire au régiment de la Lingua Franca, ancien commandant de la Troupe Joyeuse du FLES », composé de façon fine et ludique par Willem Frijhoff, met en scène,

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derrière les personnages, les domaines d’études de la SIHFLES et l’intérêt pour les maîtres de langues, les outils d’apprentissage que sont les dialogues et les manuels, la représentation des langues et leur usage en contexte.

5 En cette même année 1998, un numéro spécial du français dans le monde. Recherches et applications, coordonné par Willem Frijhoff et André Reboullet, mis en scène dans le dialogue cité ci-dessus, fait le point sur l’« histoire de la diffusion et de l’enseignement du français dans le monde », avec une bibliographie générale de base comprenant 13 ouvrages (p. 192), et une vingtaine de micro-biographies de maîtres de français qui, du moyen-âge au XVIIIe siècle, ont à la fois enseigné et publié (p. 187-191).

6 Quinze ans plus tard, la SIHFLES fête ses 25 ans, commençant avec une publication qui, tout en inaugurant le nouveau titre de la revue Recherches et applications. Le français dans le monde, s’inscrit dans la continuité (no 52, juillet 20125). Ce numéro tente de faire l’état des problèmes, bilans et perspectives de l’histoire internationale de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde, en en considérant les domaines, les enjeux et les approches d’un côté, les acteurs, les contenus et les supports d’enseignement, de l’autre. Saisissant l’occasion de cet anniversaire, les sihflésiens organisent, pour un large public, à Amsterdam6, le 23 novembre 2012, puis à Sèvres7 le 14 décembre 2012, une rencontre où des experts en histoire du FLE/FLES, dont certains étaient présents lors de la fondation de la SIHFLES en décembre 1987, font le point sur les recherches menées depuis 25 ans, mettant en valeur la richesse et la diversité des activités que la SIHFLES a générées.

7 L’essentiel des interventions présentées lors de ces journées, à Amsterdam et à Sèvres, se retrouvent dans les pages de ce numéro 508, numéro du 25e anniversaire. Celles-ci relèvent du registre du témoignage et retracent l’histoire des origines (Gérard Vigner, Daniel Coste), tout en offrant une réflexion sur les recherches menées au sein de la SIHFLES et sur l’implication du chercheur dans son objet de recherche, qu’il soit linguiste (André Chervel), historien de la didactique (Michel Berré), historien de la culture (Willem Frijhoff, Esther Möller). Celles-là concernent plus particulièrement les Pays-Bas, dont la capitale Amsterdam a accueilli la SIHFLES pour proposer à un large public des « regards sur l’histoire du français aux Pays-Bas », aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles ; cette réflexion historique sur la diffusion, la didactique et les enjeux culturels du français est porteuse d’appel à la mémoire pour une société où le français a, pendant des siècles, été langue seconde ou même deuxième langue maternelle et est aujourd’hui fortement déclassé dans la hiérarchie des valeurs internationales. Elle traite du statut culturel du français dans la Hollande prémoderne (Willem Frijhoff), de l’enseignement du français (Pierre Swiggers) et brosse le portrait d’un maître de langues (Madeleine van Strien-Chardonneau & Kees van Strien). A cela s’ajoutent deux études ; l’une porte sur l’enseignement « phonétique » de la prononciation, dans la longue durée, depuis le XVIe siècle (Henri Besse), l’autre montre, en faisant la biographie de Claude de Sainliens, alias Holyband, « le plus célèbre professeur de français huguenot dans l’Angleterre élisabéthaine » (Laurent Berec) comment un actant de l’enseignement du français à l’étranger est au cœur d’appartenances plurielles et de tensions contextuelles.

8 Ce numéro bilan est aussi l’occasion de proposer une bibliographie (Gisèle Kahn) des publications de référence dans le domaine d’étude de la SIHFLES et en particulier des numéros de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, d’une part, de faire le point sur l’historiographie et sur les entreprises en cours d’autre part (Javier Suso López & Juan García Bascuñana, Marcus Reinfried, Marie-Christine Kok Escalle).

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Finalement, une carte permet de rendre visible la fréquence géographique des recherches menées depuis 25 ans par les sihflésiens.

9 Souhaitons que ce qu’offre ce numéro sera utile pour que les décideurs dans les programmes de formation des enseignants de langue étrangère intègrent l’histoire de la langue en contexte étranger, et en particulier dans les filières universitaires de FLE.

NOTES

1. History of Modern Language Education in the UK & Europe. http://historyofmfl.weebly.com/index.html 2. Institut national des langues et civilisations orientales, Paris. Pluralité des langues et des identités : didactique, acquisition, médiations. http://www.inalco.fr/ina_gabarit_rubrique.php3?id_rubrique=1965 3. School of Oriental and African Studies, University of London. 4. Conseil international des études francophones. www.cief.org 5. Ce numéro est coordonné par Marie-Christine Kok Escalle, Nadia Minerva et Marius Reinfried, tous trois (ex) présidents de la SIHFLES. 6. Le colloque s’est tenu à la Maison Descartes, Institut français des Pays-Bas, créé en 1933 à l’initiative de Gustave Cohen et parmi les premiers du réseau d’instituts français à l’étranger. La Maison Descartes accueillera, en 1991, Pierre Bourdieu, premier professeur du Collège de France à donner son enseignement à l’étranger. 7. Dans les locaux du CIEP (Centre international d’études pédagogiques) où s’est aussi tenue, vingt-cinq ans plus tôt, l’assemblée fondatrice de la sihfles en 1987. 8. Manifestement, la publication de deux numéros par an a pu se maintenir au cours des 25 ans.

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5 décembre 1987 - 14 décembre 2012

Gérard Vigner

1 Le temps, ou plutôt le jeu des temporalités, semble s’imposer dans les consciences actuelles. Protestation contre un présent tout puissant qui absorbe tout, aussi bien les perspectives d’avenir que les linéaments d’un passé considéré comme révolu, donc sans incidence sur le présent. « Présentisme » que dénonce, ou au moins met en évidence, l’historien François Hartog ; un présent vécu comme un motif d’enfermement qui condamne les acteurs du contemporain à errer dans un labyrinthe de ponctualités sans issue. Temps inaugural qui voit de la sorte surgir toute nouveauté sans la moindre antériorité annonciatrice. Comme si nous étions entrés dans la fin de l’histoire.

2 Que de grandes considérations me direz-vous pour l’approche de ces bien modestes outils de médiation entre les hommes que sont les méthodes, grandes ou petites, de langue. Méthodes nées de ce besoin, de cette envie de franchir les territoires de sa communauté et qui, à la surprise de bien d’entre nous, proviennent de fort lointains horizons. Ne découvre-t-on pas ainsi que, le XVe siècle n’étant pas encore achevé, un certain William Caxton se préoccupait déjà de donner à son lecteur, anglais, les rudiments d’un échange, empreint de bien des civilités, dans la langue de son interlocuteur, français ?

SALUTATIONS. HOW TO TAKE LEAVE OF FOLK. Je ne vous vey piecha. « I haue not seen you in longe tyme ». « Jay este longement hors du pays ». « I haue ben longe out of the contre ». « En quel pays? » « In what contre? » « Sire, ce seroit ‘Syre, that shold be Trop a racompter ; Ouermoche for to telle ; Mais sil vous plaist aulcune chose But if you plaise ony thyng Que ie puisse fayre, That I may doo, Commandes le moy Commaunde it me Comme a celuy As to hym Qui volentiers le feroit’. That gladly shall doo it ». « Sire, grand mercy ‘Syre, gramercy De vous courtoyses parolles Of your courtoys wordes Et de vostre bonne volente; And of your good wyll; Dieu le vous mire !’ God reward you ! » « Dieu le me laisse deseruyr! ‘God late me deserue it! Sachies certainement Knowe ye certaynely Que vous ne y estes That ye be not Point engaignies, Nothyng deceyued, Car ce vous feroye ie, For that wold I doo Pour vous et pour les vostres. For you and for youris. A Dieu vous comande. To god I you commaunde. Je prenge congie a vous’ I take leue of you ». (William Caxton 1483 : 51)

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3 De cette exploration des lointains, ne tirerions-nous que cette mise en évidence d’un fonds de permanence, sur la thématique bien rebattue du « tout est dit, et l’on vient trop tard depuis qu’il y a des hommes et qui pensent » ? Un passé qui, à rebours, envelopperait le présent ? Et bien évidemment les historiens de la SIHFLES ne cessent de mettre à jour, qu’il s’agisse d’ouvrages de grammaires, de dictionnaires, de recueils de colloques, de modes d’organisation des cours, de trajectoires de carrières, avec celles de nos maîtres de langue devenus aujourd’hui plus familiers, toutes sortes d’outils, de démarches, d’objets de pensées qui témoignent de l’habileté, de l’ingéniosité de nos ancêtres. Nul progrès dans ces conditions, nulle avancée ? Serait-ce là tout le produit de notre travail ? À quoi peut bien servir l’histoire dans ces conditions ?

4 Les choses sont bien plus subtiles qu’il n’y paraît, et l’on s’en serait bien douté s’agissant d’une matière aussi complexe. Dissiper l’opacité du passé, pour commencer, ce n’est pas rien. C’est même beaucoup, car le présent ainsi éclairé prend un autre profil et permet d’établir un lien différent entre l’ancien et le nouveau. Mais il en va bien plus qu’une simple exploration d’un passé qui s’opposerait de la sorte, très classiquement, au présent. Cette césure que pendant longtemps les historiens ont maintenue se fondait sur une sorte de commodité épistémologique. Seul un passé accompli était accessible à la connaissance. Une autre façon de se mettre à distance du présent, de le dévaluer ou de l’ignorer. Ne peut-on cependant reprendre ces différents points de vue, chacun légitime pour partie, et les inscrire dans une autre approche du travail historique, celle que nous suggérait Marc Bloch, pour lequel l’histoire se devait avant tout d’appréhender l’homme dans sa durée ? Passé et présent repris dans une saisie commune, l’événement et le temps long, les permanences et les évolutions, l’actuel dans la distance historique.

5 Et alors me direz-vous ? Est-il bien dans la vocation de l’histoire de parler du présent ? Son projet n’est-il pas justement de s’éloigner de l’actuel, du hic et nunc ? Eh bien, non ! Faire de l’histoire c’est reconstruire les objets du passé avec les matériaux, les mots d’aujourd’hui, parce que de sourdes résonances existent entre ce passé lointain et les sensibilités qui sont les nôtres aujourd’hui.

6 Tel est bien notre projet, dans la modestie relative de son objet (que pèse en effet l’installation d’écoles congréganistes et leur façon d’enseigner le français dans les pays du Levant face à la tourmente née de la Première Guerre mondiale, à l’effondrement de l’empire ottoman et à toutes les répliques de guerre et de mort qu’il va faire naître ?), mais dans la ferme assurance d’un travail scientifiquement pertinent.

7 À travailler ainsi sur la longue durée, nous avons appris à mieux mesurer le rythme des évolutions, des changements, à mieux situer les points de tensions, d’innovation, à mieux appréhender le rôle joué par les acteurs et les institutions dans ce tissu de plus en plus dense d’échanges par les langues.

8 Telles pouvaient être les réflexions, entre autres, qui parcouraient cette assemblée du 14 décembre dernier lors de la célébration officielle de la création de la SIHFLES, un rappel de travaux et d’engagements inscrits dans une relation différente au temps de l’histoire. Un moment fort, dans la salle de la Grande bibliothèque du CIEP de Sèvres, institution qui avait justement vu naître la SIHFLES un jour de décembre 1987. Promesse avait été faite de s’engager sur un champ de recherche en ce temps-là encore peu exploré, promesse tenue au-delà de toutes les espérances.

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NOTES

1. Dialogues in French and English, or ‘A book for Travellers’, or A Vocabulary’, by William Caxton, adapted from a Fourteenth-Century Book of Dialogues in French and Flemish, edited from Caxton’s printed text (about 1483), with introduction, notes, and word-lists, by Henry Bradley, M.A. London : published for the Early English Text Society, by Kegan Paul, Trench, Truebner & Co, ltd. 1900. [http://www.hotfreebooks.com/book/Dialogues-in-French-and-English-William- Caxton.html].

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Une histoire des origines

Daniel Coste

1 Il y a quelque paradoxe à ce que, pour une société travaillant dans le domaine de l’histoire, les origines de sa fondation ne soient documentées que de manière lacunaire. Certes, la date de l’assemblée constituante de la SIHFLES ne souffre pas de doute. Mais, de cette réunion générale, nul compte rendu analytique disponible. Et le présent signataire, qui fut aussi le premier président de la société, a donc scrupule à indiquer d’emblée que les traces font défaut de la réunion fondatrice et que, comme pour toute histoire des origines, la scène primitive reste en partie mythique1. Cette séance tenue il y a vingt-cinq ans, demandera toutefois qu’on y revienne pour ouvrir une série de rappels ordonnés ici sous quatre intitulés : un lieu de mémoire ; un homme d’affiliations ; un moment pour l’histoire ; un champ en construction.

1. Un lieu de mémoire

2 Ce lieu est celui même où a trouvé place la manifestation marquant le 25e anniversaire de la société, à savoir la Grande bibliothèque du Centre international d’études pédagogiques de Sèvres (désormais CIEP). Le 5 décembre 1987, une cinquantaine de personnes s’y réunissent, ayant répondu à une invitation du BELC (Bureau pour l’enseignement de la langue et de la civilisation françaises à l’étranger), du CIEP, de la revue Le français dans le monde (désormais FDLM), signée respectivement par André Reboullet, ancien directeur-adjoint du BELC et ancien rédacteur en chef de la revue, Francis Debyser, directeur-adjoint du CIEP et ancien directeur du BELC, Jacques Pécheur, rédacteur en chef du FDLM.

3 Entre autres participants à cette séance, des collègues étrangers : Carla Pellandra (université de Bologne), Elisabet Hammar (université de Stockholm), Herbert Christ (université de Giessen), Konrad Schröder (université d’Augsbourg), tous quatre invités par Reboullet en raison de leurs travaux sur l’histoire de l’enseignement du français dans leurs pays respectifs2. Mais, pour Schröder, c’est aussi, plus largement, d’histoire de l’enseignement des langues étrangères (et pas seulement du français) qu’il devrait s’agir, et il le fait valoir dans la discussion relative aux statuts de la future société. Paul Gerbod, historien des relations culturelles et spécialiste du XIXe siècle, André Chervel,

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spécialiste du français et historien de l’éducation, membre de l’équipe de Pierre Caspard à l’INRP3, sont présents, ainsi que Jean-Claude Garreta, directeur de la bibliothèque de l’Arsenal. Nombre des autres participants français appartiennent au domaine du français langue étrangère, mais on manque d’une liste des présents.

4 L’assemblée de décembre avait été précédée d’une réunion préparatoire en juin 1987, au CIEP déjà, réunion « qui a rassemblé des historiens de la littérature, de la langue, de l’éducation, de la culture, des sociologues, des didacticiens, des responsables de revues » (extrait d’une notice dans la revue Reflet, n° 22, p. 60). Et, dans un article programmatique paru dans le n° 208 du FDLM sous le titre « Pour une histoire de l’enseignement du F.L.E. », Reboullet (1987a) avait en quelque sorte précadré les ambitions et le projet d’action de l’association à venir.

5 Comment nommer l’association ? L’intitulé final a été précédé de quelques autres essais qui ne sont pas indifférents quant aux options. Reboullet pensait d’abord à « Association internationale pour l’histoire de l’enseignement du français à l’étranger ». Et l’assemblée constituante balance entre « association » et « société », entre « français à l’étranger » et « français langue étrangère », entre « français langue étrangère » et « français langue étrangère ou seconde », avant de s’arrêter au titre et au sigle que l’on connaît.

6 Lieu inaugural, le CIEP l’est aussi, entre autres événements, par l’assemblée constituante, en 1968, de l’Association française des professeurs de français (AFPF, rebaptisée ensuite AFEF, Association française des enseignants de français), qui concerne avant tout le français langue maternelle et qui deviendra, en 1969, membre de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), alors tout juste créée. Le rappel que la Grande bibliothèque du CIEP avait vu cette autre fondation n’est pas vraiment éloigné du présent propos dans la mesure où, parmi les initiateurs de l’AFPF, se trouve déjà Reboullet, qui en sera le premier secrétaire général et, jusqu’en 1972, le rédacteur en chef de la revue Le français aujourd’hui4.

7 En bref, dans cette Grande bibliothèque du CIEP, lieu de mémoire à bien des titres et pour bien des acteurs du monde de l’éducation et de la coopération éducative internationale, l’entrepreneur Reboullet n’en est plus tout à fait, en ce mois de décembre 1987, à son coup d’essai.

2. Un homme d’affiliations

8 Homme d’associations, Reboullet est d’abord homme d’affiliations, et cela depuis la création de la revue FDLM en 1961. Pour lui, le projet initial d’une telle revue est bien de mettre en relation les professeurs de français à travers le monde. Il aurait voulu en faire non pas tant un instrument de diffusion culturelle et didactique à partir d’un centre qu’un lieu partagé de parole et d’écrit des enseignants eux-mêmes, pour affilier ces derniers et faire entendre leur diversité afin de mieux promouvoir ce qui les unit. Mais FDLM dépend pour bonne part des commandes du ministère des Affaires étrangères et la revue, constitutivement liée au BELC, entretient aussi des rapports étroits avec le CRÉDIF (Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français, École normale supérieure de Saint-Cloud). Reboullet ne peut guère se passer du concours rédactionnel de ces centres de recherche et de formation, mais se méfie des méthodologies présentées comme nouvelles et susceptibles de se durcir en théorisations prescriptives. Tout ce qui ressemble à une doxa lui est étranger5. Lui qui

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est au centre souhaiterait faire jouer la périphérie, s’appuie aussi sur l’Alliance française, autre réseau d’affiliations, et maintient de bonne relations avec Marc Blancpain, longtemps secrétaire général de l’Alliance et, comme lui, ancien de l’ENS de Saint-Cloud. En tout état de cause, à l’épreuve, Reboullet doit bien constater qu’il est difficile de susciter des contributions suffisamment diversifiées des enseignants de français étrangers, tant sont variables les conditions de travail d’un pays à l’autre, les moyens à disposition, les expériences de l’écrit.

9 Mais Reboullet est tenace. Le projet qui verra naître la FIPF (cf. ci-dessus, note 4) est pour lui une autre manière de créer du lien et de multiplier et réunir – en principe - des initiatives locales et une dynamique plus polycentrique. Ce n’est pas non plus un hasard si, au moment de quitter la rédaction de la revue FDLM en 1981, il publie le dernier numéro thématique spécial qu’il aura commandé et qui, sous le titre « Des professeurs de français » (Le français dans le monde, 1981) cherche à rendre compte d’une pluralité de témoignages d’enseignants de tous pays et de tous statuts.

10 Il est permis de penser que, faute d’avoir pu donner vraiment la parole aux enseignants à la tâche dans ce vaste espace qu’est censée couvrir une revue du français dans le monde, Reboullet verra dans la création de la SIHFLES un moyen de ressusciter les voix oubliées des maîtres du passé et de relativiser ainsi les modes dominantes du court terme.

11 En somme, dans la trajectoire personnelle de Reboullet, la SIHFLES n’a rien d’un hapax. Elle répond, sous une nouvelle forme, à une visée ancienne poursuivie avec constance et détermination depuis la conception du FDLM, à travers l’AFPF, la FIPF, voire la première esquisse du dictionnaire pour le professeur de français.

12 Rassembler, mettre en contact, combiner le lien dans l’espace et la filiation dans le temps… et cela, bien au-delà de la fondation de la SIHFLES : dans les dossiers du bureau de Reboullet, figuraient encore, après son décès, des notes manuscrites et des correspondances (en particulier avec Willem Frijhoff) relatives à l’ambitieux projet d’une sorte d’histoire générale des enseignants de français hors de France6.

13 Dans le projet qu’il dresse en 1987 pour la société naissante (Reboullet 1987 ; Besse 2012), Reboullet brasse large et entend que l’on s’intéresse aux contextes, aux publics, aux marchés économiques, aux enjeux institutionnels et politiques, aux diverses catégories d’acteurs ; mais on remarquera que ses propres travaux et contributions, en particulier dans Documents, portent essentiellement sur des figures d’individus, maîtres de langues célèbres ou non, petits agents d’une grande aventure historique.

14 L’originalité de la SIHFLES par rapport aux initiatives antérieures tient bien sûr à ce qu’il s’agit cette fois de recherche7 et que la dimension internationale des participants actifs se situe au niveau universitaire et de manière de plus en plus polycentrée. Non plus mettre en lien des enseignants mais constituer un réseau de chercheurs et les rassembler sur un agenda ambitieux : faire connaître ce qui existe ici ou là et combler peu à peu des lacunes dans la connaissance de ce passé multiforme. L’œuvre de Ferdinand Brunot est restée inachevée, le prolongement que lui a donné Charles Bruneau n’apporte rien à l’exploration du français du dehors. À bien des égards, nombre d’études ponctuelles paraissent ne présenter qu’un intérêt monographique, voire anecdotique ou hagiographique. Bref, il n’est guère difficile de réunir à Sèvres pour le lancement d’une société savante, quelques-uns du petit nombre des chercheurs étrangers d’envergure qui, par leurs acquis et par leurs apports, peuvent animer

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l’œuvre collective dont le programme est tracé, selon les trois axes prolongeant l’œuvre de Brunot : aspects didactiques, aspects linguistiques, aspects sociologiques de l’histoire de ce français du dehors.

15 Avec une certaine austérité et rigueur qu’on dirait volontiers – cliché oblige – protestante, Reboullet le rassembleur ne s’est jamais posé en leader ; en 1987, à 71 ans, il n’entend pas présider l’association qu’il a suscitée. Non pas homme de l’ombre certes, mais médiateur, initiateur, instigateur. Le paradoxe dernier reste que cet homme d’affiliation n’était pas un homme de réunion, un amateur de rassemblements physiques. Il participera très peu aux conseils d’administration, aux assemblées générales et même aux colloques de la SIHFLES. Mi statue du commandeur, mi grand- père ronchon, il ne manquera toutefois pas de se manifester fréquemment par des courriers incitatifs et aiguillonnants. Avant de prendre, l’âge venu, une distance plus résolue, il donnera l’impression de considérer que la société qu’il avait imaginée et fait naître n’était pas tout à fait à la hauteur de ses espérances, manquant d’ambition dans son développement et dans la véritable construction d’un projet de recherche international. Sans doute n’était-il pas assez conscient de ce qu’une société de ce type, même savante et même s’agissant du français, ne peut guère mobiliser de gros bataillons de chercheurs et de doctorants dans un domaine où, même chez les historiens de plein exercice, la reconnaissance universitaire demeure plus que limitée.

3. Un moment pour l’histoire

16 Tout ceci, en France même, ne se passe évidemment pas dans un espace clos ni n’advient du seul fait de la volonté d’un homme. L’histoire est, si l’on peut dire, dans l’air du temps.

17 1974 avait vu la publication, sous la direction de Jacques Le Goff et de Pierre Nora, des trois volumes de Faire de l’histoire. Nouveaux problèmes. Nouvelles approches. Nouveaux objets. Le projet de la SIHFLES pourra, un peu plus d’une dizaine d’années plus tard s’inscrire modestement dans telle ou telle de ces nouveautés. Au cours de ces années 1970 et 1980, histoire et sociologie sont en train de prendre le pas sur la linguistique comme disciplines de référence dans le domaine des sciences humaines et sociales et se renouvellent en effet dans leurs méthodes et leurs objets. Les deux premiers tomes de la série Les lieux de mémoire, dirigée par Pierre Nora, paraissent respectivement en 1984 (La République) et en 1986 (La Nation).

18 À l’INRP, autour de Caspard, le Service d’histoire de l’éducation a été créé en 1977. On a noté plus haut que Chervel, Alain Choppin, Gérard Bodé, chercheurs dans ce Service, suivront de façon intéressée les travaux de la SIHFLES.

19 Dans le domaine même de l’enseignement du français aux étrangers et de la politique de diffusion de la langue et de la culture, divers anniversaires ont donné lieu à publications. La Mission laïque française marque ses 80 ans en 1982 par un volume, Éléments pour une histoire de la Mission laïque française (Bancilhon 1982). En 1983, c’est l’Alliance française qui célèbre son centenaire sous le titre L’Alliance française. Histoire d’une institution (Bruézière 1983). Toujours en 1983, Albert Salon publie L’action culturelle de la France dans le monde, ouvrage issu d’une thèse à dimension historique (Salon, 1983). À l’occasion du centenaire de l’ENS de Saint-Cloud, une table ronde organisée en 1982 à propos de la diffusion du français après 1945, donne lieu à la parution du volume Aspects d’une politique de diffusion du français langue étrangère depuis 1945. Matériaux pour

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une histoire (Coste (dir.) 1984). Deux thèses d’État ont été soutenues en 1987, qui intéressent directement l’histoire récente du français langue étrangère : celle de Sophie Moirand, portant sur les discours de la revue FDLM et leur évolution (Moirand, 1988) ; celle de Daniel Coste sur la période 1945-1975 et les relations entre linguistique appliquée et français langue étrangère (Coste 1987)8. Quant à l’ouvrage – qui fera date – de Christian Puren, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, il sera publié en 1988 (Puren 1998, [1988]).

20 Dans ce mouvement d’intérêt pour l’histoire plus ou moins contemporaine et à visée plus ou moins réflexive, les travaux scientifiques voisinent avec le commémoratif, l’hagiographique, le récit de vie, mais l’ensemble manifeste bien un goût pour la rétrospection et, sinon toujours de nouveaux problèmes, du moins des approches en partie nouvelles pour de nouveaux objets.

21 Mais si les initiatives prises par Reboullet s’inscrivent à certains égards dans cette mouvance générale, elles ne sauraient s’en tenir à des formes d’histoire à chaud non exemptes du risque de courte vue. À propos des travaux relatifs au français langue étrangère dans sa période la plus récente, Reboullet exerce un humour un peu grinçant : « Histoire certes, mais une histoire dont la période couverte est courte et le champ surtout hexagonal. Nous attendions Braudel et Duby, nous trouvons Lacouture » (Reboullet 1987 : 56).

4. Un champ en constitution

22 Promouvoir un projet d’histoire du français langue étrangère ou seconde n’a pas qu’à voir avec une montée en puissance des sciences historiques. Le français langue étrangère (bien plus que le français langue seconde) s’établit peu à peu dans le champ institutionnel des disciplines et de la reconnaissance universitaire. Chevalier et Encrevé (cf. ci-dessus note 8) connaissent bien les travaux de Pierre Bourdieu et leur contribution à une histoire sociale des sciences du langage se situent indirectement dans ce cadre. C’est aussi en lecteur attentif de Bourdieu que Porcher, qui a été directeur du CRÉDIF et est en 1982 conseiller scientifique du directeur de la Coopération et des Relations internationales au ministère de l’Éducation nationale, impulse, après avoir été rapporteur d’une commission présidée par le recteur Auba (on retrouve le CIEP), la création de filières de français langue étrangère (FLE) : maîtrise et mention de licence dans les universités (Porcher, 1986). Le même Porcher avait créé en 1985 l’ASDIFLE (Association de didactique du français langue étrangère).

23 En 1986, Robert Galisson et Porcher dirigent un numéro de la revue Études de Linguistique Appliquée, titré « Priorité(s) FLE », mais où Galisson présente et défend sa conception d’une didactologie des langues et des cultures (Galisson, 1986) et manifeste ainsi une certaine tension, dans la constitution institutionnelle du champ, entre Français langue étrangère et Didactique des langues (Coste 2013). Les débats, au moment de la création de la SIHFLES quant à l’extension du territoire à explorer (histoire du français langue étrangère et/ou seconde ou, plus largement, des langues, selon le choix de Schröder) ne sont pas sans rapport avec ces problèmes plus généraux de positionnement.

24 Et c’est en 1987, sur ces questionnements, que le CRÉDIF organise le colloque « Didactique des langues ou didactiques de langues. Transversalités et spécificités », dont le maître d’œuvre est Denis Lehmann et qui réunit des didacticiens et linguistes de

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français langue étrangère, de langues étrangères autres et de français langue maternelle9.

25 En bref, sur quelques années de la décennie 1980, le FLE renforce sa constitution en champ institutionnalisé non seulement autour des centres historiques comme le CRÉDIF ou le BELC ou de la revue LFDM, mais surtout avec la mise en place de filières universitaires de FLE (et non de didactique des langues) et d’associations « dédiées », comme l’ASDIFLE et la SIHFLES.

26 Sans surprise, c’est le français langue étrangère « hexagonal » qui est massivement représenté dans le premier bureau de la SIHFLES :

27 Président : Daniel Coste (CRÉDIF, ENS de Saint-Cloud) ; vice-présidents : André Reboullet (ex BELC et FDLM) et Louis Porcher (UFR de didactique du FLE de l’université Paris 3 et ex CRÉDIF) ; secrétaire général : Claude Olivieri (BELC) ; secrétaire général adjoint : Jacques Pécheur (BELC et LFDM) ; trésorière-adjointe : Gisèle Kahn (CRÉDIF). Seuls, le trésorier, Roland Desné (spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle) et les deux autres vice-présidents, Jean-Claude Chevalier et Herbert Christ, présentent des profils différents.

28 Quant au premier conseil d’administration, fort de 26 membres (dont 23 Français), il ne compte que 5 femmes (Marie-Hélène Clavères, Elisabet Hammar, Gisèle Kahn, Carla Pellandra, Geneviève Zarate).

29 Un quart de siècle plus tard, en 2012, sur les 29 membres du conseil (dont 4 appartenaient déjà au premier conseil de 1987), 16 sont des femmes et 18 se trouvent hors de France ; 6 (dont 3 retraités) relèvent du domaine de la didactique française du FLE. Sur 10 membres du bureau, 4 sont des femmes, 7 se trouvent hors de France, 2 sont didacticiens « hexagonaux » du FLE. Et sur les 7 président-e-s qui se sont succédé depuis 1987 (dont 2 femmes), seuls 2 sont français et seul le premier relevait du groupe des didacticiens français.

30 Cet énoncé de chiffres serait fastidieux, s’il ne faisait apparaître qu’en 25 ans la SIHFLES, au niveau de ses instances statutaires, a su s’internationaliser et se féminiser plus fortement, tout en se dégageant de l’emprise initiale des tenants de la didactique institutionnelle et « hexagonale » du FLE. Il y aurait là quelques commentaires possibles, mais qui tiennent à une autre histoire…

31 Un lieu, un moment, un champ, de multiples facteurs ont sans doute, autant ou plus que l’action d’un homme, joué à l’origine de la SIHFLES. C’est ce qu’on a essayé de rappeler ici à grands traits. Disons que, voici 25 ans, les temps étaient venus. Encore fallait-il que quelqu’un les accouche.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Gisèle Kahn, Évelyne Argaud et Gérard Vigner n’ont retrouvé que quelques notes dans les archives de la société et des copies de notices annonçant ou suivant la création de la SIHFLES. Je tiens à les remercier pour la communication de ces documents, dont certains présents dans la bibliothèque personnelle d’André Reboullet, léguée à la SIHFLES pour les pièces la concernant. 2. Elisabet Hammar et Herbert Christ présentent à cette occasion des exposés qui seront publiés dans le n° 1 de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, en juin 1988. 3. Reboullet avait établi des contacts avec Pierre Caspard, et d’autres chercheurs de cette équipe, tels Alain Choppin et Gérard Bodé, participeront activement à la SIHFLES. 4. Si Reboullet s’est intéressé d’aussi près à la création et à la mise en œuvre de l’AFPF, c’est aussi qu’avec le Belge Louis Philippart, président de la Société belge des professeurs de français, et avec l’appui bienveillant du recteur Jean Auba, directeur du CIEP, il animait ce projet de création d’une fédération internationale des professeurs de français et que, jusqu’en 1968, les professeurs de français langue maternelle ne disposaient pas d’une association susceptible de faire partie d’une telle fédération. On peut aussi noter que, dans le premier bureau de l’AFPF, présidée par Pierre Barbéris, balzacien enseignant à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, figurent aussi Jean-Claude Chevalier et Daniel Coste, que l’on retrouve, vingt ans plus tard, avec Reboullet, dans le premier bureau de la SIHFLES. 5. Autre source peut-être de déception, malgré la réussite durable de l’entreprise : Reboullet avait suscité la réalisation d’un Dictionnaire « pour le professeur de français », qui devait rendre accessible à toutes et tous des revues telles que FDLM et être un vecteur de langage commun. L’élaboration fut essentiellement le fait de membres du BELC et du CRÉDIF et, quand l’ouvrage paraît enfin, en 1976, il s’intitule Dictionnaire de didactique des langues (Galisson & Coste (dir.) 1976) et constitue au moins autant un geste d’affirmation d’un nouveau domaine disciplinaire qu’un instrument pratique au service des enseignants « de terrain ». 6. Affiliation donc, mais aussi filiation dans la durée. L’année même de création de la SIHFLES, Reboullet publie avec son épouse, à compte d’auteur, une brochure, Six générations de Vivarois et de Bretons (Reboullet & Fichoux-Reboullet 1987), où sont rétablies les lignées et les parentés dont elle, bretonne et lui-même, ardéchois, font partie. Exercice de généalogie à la fois régionale et sociale, où il s’agit de marquer des inscriptions dans des contextes historiques locaux ou bien des parcours d’ascension professionnelle ou encore des effets de mobilité géographique. 7. Le choix académique d’une désignation comme « société » plutôt que « association » (même si cela ne change rien au statut de l’instance) est à cet égard significatif. 8. Toujours dans le même temps, Louis Porcher engage des entretiens avec des acteurs du domaine à propos de leur parcours et de leur vision du domaine : Reboullet et Philippe Greffet (alors secrétaire général de l’Alliance française) sont ainsi enregistrés. Le projet aurait dû être poursuivi par la SIHFLES, mais n’aura pas comme tel de suite, ce que l’on peut regretter. Ces entretiens-témoignages sont autant de ressources pour un travail socio-historique. Chevalier et Pierre Encrevé y ont recours pour leur projet d’histoire sociale de la linguistique (Chevalier & Encrevé, 1984 ; Chevalier avec Encrevé, 2006). 9. Ces contacts interdidactiques n’aboutiront pas à de véritables rapprochements entre les langues comme le donne aussi à voir la création d’associations différentes à vocation commune de regroupement de chercheurs (cf. Dabène, 2008). L’association DFLM (Association pour le

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développement de la recherche en didactique du français langue maternelle) est fondée en 1986 (et devient en 2004 l’AIRDF : Association internationale de recherche en didactique du français). L’ACEDLE (Association des chercheurs et enseignants-didacticiens des langues étrangères) date de 1989.

RÉSUMÉS

L’assemblée constituante de la Société internationale pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde (SIHFLES) se tient, en 1987, dans un lieu riche d’histoire, le CIEP de Sèvres. Cette fondation est due en particulier à l’action d’André Reboullet qui est aussi à l’origine d’autres initiatives pour rassembler les enseignants de français. Elle s’inscrit dans une période où les études historiques et commémoratives se multiplient et se renouvellent, et dans un contexte où le champ universitaire et associatif du français langue étrangère se développe.

The meeting which created the Société internationale pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde (SIHFLES) took place in 1987 at the CIEP, in France. That creation resulted in part from initiatives taken by André Reboullet, who had already launched several other actions to foster contacts among teachers of French as a foreign language. SIHFLES was founded, at a time of renewal of historical studies in France and of a number of commemorations, in a general context where the field of French as a foreign language was establishing itself firmly in universities and in the associative world.

INDEX

Keywords : SIHFLES, French as a foreign language, A. Reboullet, associations, teachers of French, 1987. Mots-clés : SIHFLES, français langue étrangère, A. Reboullet, associations, enseignants de français, 1987.

AUTEUR

DANIEL COSTE ENS de Lyon

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Amitié, utilité, conquête ? Le statut culturel du français entre appropriation et rejet dans la Hollande prémoderne1

Willem Frijhoff

1. Langue universelle, langue usuelle

1 Dans son célèbre panégyrique de l’universalité de la langue française, écrit en 1782/83 et couronné un an plus tard, en 1784, par l’Académie de Berlin, Antoine de Rivarol (1753-1801) prit grand soin de marquer la supériorité du français sur l’anglais et l’allemand. Sage précaution aux yeux des Néerlandais de l’époque – dont d’ailleurs Rivarol ne fera la connaissance que bien plus tard, au cours de ses pérégrinations d’émigré en 1793/94, suite à la Révolution2. En effet, il rédige son traité au moment même où le français en tant que lingua franca se fait quasi insensiblement battre en brèche, en Europe septentrionale, par des langues concurrentes dans le domaine scientifique et littéraire3. Les littérateurs, philosophes, scientifiques et penseurs politiques allemands et anglais, de Goethe, Herder, Hegel, Schelling et un peu plus tard les Frères Grimm, à William Pitt, Jeremy Bentham, Jonathan Swift et Thomas Paine, sans oublier Benjamin Franklin, Thomas Jefferson ou Washington Irving outremer, faisaient puissamment concurrence à la popularité des écrits français ou francophones de la seconde moitié du XVIIIe siècle et du début du XIX e siècle. En dépit des proclamations francophiles du roi de Prusse Frédéric le Grand et de la diffusion généralisée de l’usage du français dans la vie quotidienne des aristocraties cosmopolites de l’Europe, sa position comme langue de communication internationale de la bourgeoisie lettrée, conquise essentiellement sur le latin à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, commençait à se faire grignoter sérieusement dans un nombre croissant de domaines.

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2 À la fin du XVIIIe siècle, les plans d’éducation des écoles primaires et secondaires dressés par les révolutionnaires néerlandais considéraient le français toujours comme une langue d’enseignement équivalente au néerlandais. À telle enseigne que le plan novateur de l’éducation secondaire, rédigé en 1792 par le recteur de collège Gerrit Vatebender (1759-1822) – avant même la Révolution batave de 1794/95 qui devait marquer pour deux décennies un renforcement structurel, mais politiquement fragile, de la position du français – ne prévoyait pas de cours spécifique de français, contrairement aux cours d’anglais, d’allemand, d’italien, de latin, de grec, voire d’hébreu (optionnel, il est vrai). Pour l’enseignant Vatebender, le français était la langue usuelle de l’école ; on se l’appropriait dès l’école élémentaire, et on la perfectionnait au cours d’autres leçons, en particulier pendant les heures de dessin. Le citoyen révolutionnaire n’était-il pas naturellement bilingue franco-néerlandais ?4 Un demi-siècle plus tard, le français a perdu son statut de langue quasi seconde pour devenir une langue étrangère comme les autres, la plus importante des langues modernes, certes, mais sans pouvoir maintenir son ancien statut privilégié. Il est significatif que la première grande école hollandaise de commerce, établie à Amsterdam en 1846 à l’initiative du médecin philanthrope Samuel Sarphati, enseignait pas moins de six langues étrangères, toutes à pied d’égalité. L’ordre reflète leur importance décroissante: français, allemand, anglais, italien, suédois et danois. Mais il n’est plus question d’enseignement en français. Désormais, le néerlandais sera la seule langue usuelle de l’enseignement – jusqu’à ce que l’anglais se profile comme la nouvelle lingua franca depuis les années 1970.

3 La prédominance que le français s’était acquise en Europe à la fin du XVIIIe siècle a inspiré toute une historiographie jubilatoire et universaliste. Sans y regarder de trop près, celle-ci a assimilé le modèle de Rivarol en postulant que par ses qualités imminentes - son ordonnance logique, et sa capacité de rendre les idées dites universelles, bref, en tant que langue de Descartes – le français était en quelque sorte promis de tout temps à son rôle prépondérant, et que seuls les malheurs de l’histoire avaient pu le détrôner par la suite. L’homme ne devrait-il pas se reconnaître naturellement bilingue franco-quelque-chose ? Dans cet effort de synthèse je n’adopterai pas cette position jubilatoire, qui apparaît souvent d’une insupportable arrogance aux yeux des non-Français et fait plus de mal que de bien à la diffusion de la langue, mais celle du praticien indépendant et du consommateur critique. Au lieu d’interroger le français sur ses qualités linguistiques, je le scruterai sur sa valeur d’usage dans un contexte plus global, englobant les domaines culturel, social et politique5.

2. Langue scientifique et langue vulgaire

4 Dès la reprise ou, selon les cas, l’occupation des Pays-Bas septentrionaux par le pouvoir bourguignon au cours du XVe siècle, le français y prend une valeur considérable comme langue d’administration et de socialisation des élites. Un véritable bilinguisme politique et aristocratique s’y développe. Mais il ne faut pas commettre l’erreur de généraliser trop vite en mesurant un pays tout entier au comportement de ses élites, qu’elles soient politiques, administratives ou littéraires. C’est précisément par opposition à cette omniprésence du français dans les sphères du pouvoir que la bourgeoisie montante des XVIe et XVII e siècles, consciente de sa force dans le nouveau centre économique de

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l’Europe que constituaient les territoires de Flandre, de Brabant, de Zélande et de Hollande, formulait une contre-proposition linguistique : celle de la qualité du néerlandais comme langue de communication littéraire et scientifique, et de ses chances de devenir une nouvelle lingua franca.

5 Soulignons d’abord l’importance contemporaine de ce débat sur la langue scientifique6. Les nouvelles sciences cherchaient un nouvel idiome pour pouvoir s’exprimer adéquatement. Pour reprendre ici un argument courant aux XVIe et XVIIe siècles : les Grecs ont inventé les sciences en parlant leur propre langue, le grec, et le latin était la langue maternelle des Romains - pourquoi donc nous-mêmes parlerions-nous en latin7 ? La renaissance des langues vulgaires et le premier essor du sentiment national un peu partout en Europe, aux XVe et XVIe siècles, avaient favorisé la codification des langues vulgaires et l’élaboration d’idiomes littéraires et scientifiques nationaux. En France, par exemple, Joachim du Bellay (1522-1560) se fait défenseur de l’emploi de la langue vulgaire, sans oublier la Dialectique française de Pierre de La Ramée (Ramus, 1515-1572)8.

6 Aux Pays-Bas, ce fut le Brabançon Johannes Goropius Becanus (1519-1572/73) qui dans ses Origines Antwerpianae afficha dès 1569 sa ferme conviction que le néerlandais [Diets, Duyts] était la langue la plus ancienne du monde, parlée au paradis par Adam et Ève mêmes9. D’ailleurs, Diets était pour lui une contraction de « d’oudst », c’est-à-dire « le plus ancien ». La prospérité ambiante des Pays-Bas, l’essor des sciences exactes, et la haute conjoncture des inventions techniques faisaient naître une demande linguistique que l’esprit de la Renaissance guidait en direction de la langue vulgaire. Ce n’est point le français international qui a assuré le développement de la prospérité en Hollande, ni même le latin, mais bien le néerlandais lui-même.

7 Dans la seconde moitié du XVIe siècle et la première du XVIIe cet orgueil linguistique s’exprime dans la codification grammaticale du néerlandais par Hendrick Laurensz Spiegel (1584) et la publication des premiers dictionnaires par Van den Werve (1553) et Kiliaen (1574) dans le but avoué de créer une langue pure, refusant les mots étrangers ou bâtards empruntés au français ou au latin. Au même moment, l’ingénieur Simon Stevin (1548-1620) développe une argumentation scientifique sur l’excellence du néerlandais. Comme Becanus, il y voit un idiome très ancien, truffé de mots monosyllabiques qui étaient à leur tour faciles à réunir en mots composés utiles pour l’argumentation et la description scientifiques, sans oublier la capacité de la langue néerlandaise d’émouvoir, de passionner. Stevin crée lui-même un nouvel idiome mathématique en langue vulgaire (driehoek, vierkant, evenwijdig, etc.) qui de nos jours est toujours en usage. Rembertus Dodoens [Dodonaeus] en fait de même pour la botanique dans son Cruydt-Boeck ou Herbier (1554) ; son nouveau vocabulaire botanique s’adresse aux laïcs comme aux savants. Bien plus, Stevin aide à établir une académie d’ingénierie en langue néerlandaise, incorporée dans l’université de Leyde, qui allait permettre aux futurs ingénieurs de s’instruire dans la nouvelle langue scientifique qui serait aussi celle de leur travail quotidien. En somme, outre la renaissance du sentiment national et l’affirmation du sens civique, le retour aux langues vulgaires exprimait une volonté de domestication et de démocratisation des sciences et techniques qui ne pouvaient être assurées par les langues importées, français compris.

8 Ces efforts de néerlandisation des arts et des sciences ont rapidement buté sur le poids des institutions internationales, telles que les Églises et l’université, mais aussi sur l’inertie linguistique de la communauté scientifique nationale fermement vouée au

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latin avant de passer au français cultivé dans la République des Lettres. Ainsi, les immigrés francophones ont rapidement réussi à imposer à l’Église Réformée un Synode autonome, l’Église wallonne. Quant aux universités, il y avait bien en permanence quelques maîtres de français dans leur orbite, le plus célèbre et influent étant sans doute Jean-Nicolas de Parival (1605-1669) avec son très populaire Délices de la Hollande (1651)10, mais seule l’université frisonne de Franeker ouvrira un siècle plus tard, en 1754, une véritable chaire de français. Significativement, toutefois, le professeur choisi, Jacques Garcin (1720-1796), un Genevois, ancien précepteur et pasteur wallon, prononça sa leçon inaugurale De utilitate linguae gallicae en latin (1757) 11. C’est que sa chaire représentait et assurait l’autre filière d’acquisition du français, encore peu étudié, les élites empruntant la voie du latin classique pour apprendre le français, par opposition aux classes moyennes qui apprenaient le français par le truchement de leur langue maternelle, sous la direction de maîtres de langue ou de manuels d’apprentissage. Devant l’évident déclin du latin, Garcin souligne avec ardeur l’utilité du français et son usage universel dans la vie sociale, commerciale, diplomatique et scientifique. Au fur et à mesure que la Hollande affirmait sa place en Europe et développait son réseau international de lettrés, de libraires et de savants, on y montrait effectivement une nette tendance à délaisser le néerlandais au profit de l’une ou l’autre lingua franca universitaire : d’abord le latin, puis, depuis la seconde moitié du XVII e siècle le français en tant que langue de publication ou de conversation des universitaires, concurrencé vers la fin du XVIIIe siècle par l’allemand, dont l’importance et la diffusion montent en médecine, dans les sciences exactes, dans les lettres et dans les nouvelles sciences humaines, telle que l’ethnologie et l’ethnographie (ou folklore), sciences décisives pour le discours sur l’identité nationale et que la France découvrira sous la Révolution12.

9 En fait, la résistance du latin comme langue universitaire est assez remarquable13. Le français n’a jamais réussi à s’établir en Hollande comme langue d’enseignement universitaire, malgré sa large diffusion dans les élites cultivées, et en dépit du fait que les professeurs et étudiants eux-mêmes écrivaient une partie de leur correspondance en français. Outre un épiphénomène de la vivante tradition humaniste, cette longévité du latin traduit aussi un changement dans son statut éducatif. Vénéré aux XVIe et XVIIe siècles comme la langue d’imitation des grands exemples de l’Antiquité, au XVIIIe le latin, tout comme le grec, passait à un niveau supérieur, moral. Apprécié comme le véhicule idéal des valeurs humanistes que la jeunesse devait assimiler, au XIXe le latin était considéré comme l’instrument privilégié de la Bildung, c’est-à-dire de la haute culture qui forme l’esprit sans présenter une valeur utilitaire immédiate. Il devint donc le rempart éprouvé contre les broodstudiën [les études strictement professionnelles, sans intérêt intellectuel] et contre les nouveautés venant du Sud, entendez la France agnostique, révolutionnaire ou laïque, dont justement la valeur utilitaire était alors fortement accentuée.

10 Tout ceci explique pourquoi le XVIIIe siècle, tout en étant le grand siècle de l’influence française en Europe, ne permettra pas vraiment à la langue française de s’imposer comme la langue scientifique, la lingua franca de l’université. Un ouvrage publié chez Georges Gallet à Amsterdam au tournant du siècle, La rhétorique de l’honnête homme, ou la manière de bien écrire des lettres, de faire toutes sortes de discours, etc. (1700), indique bien le terrain d’usage principalement couvert par la langue française. Elle demeure, en fait, cantonnée dans ses domaines traditionnels : la vie quotidienne des élites, la civilisation de cour et le savoir-vivre, le beau langage, la littérature et l’esthétique, le commerce, le

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tourisme, et la religion des immigrés. Le XVIIIe siècle hollandais connaît en fait un régime trilingue. Pour emprunter les paroles qu’une mère aristocrate, Carolina van Haren, adresse alors à son fils Gijsbert Karel van Hogendorp, le futur homme d’État fondateur du royaume orangiste : on utilise le latin pour les livres, le français pour la politesse et la correspondance, le néerlandais pour la conversation14.

3. Langue commerciale, langue sociale

11 Si le français n’a pas réussi à se tailler la part du lion dans la vie intellectuelle des Pays- Bas, il ne faut pas sous-estimer pour autant son importance dans la formation du jeune Néerlandais d’Ancien Régime. En fait, il importe de distinguer ici entre le français en tant que langue d’usage quotidien, donc de socialisation élémentaire, et en tant que langue de communication internationale, la lingua franca. Le français constitue assez tôt la langue seconde ou même première de plusieurs groupes d’habitants des Provinces- Unies qui l’apprennent par leurs parents, à l’école dite française, avec un maître de langue ou par autodidaxie dans un manuel – tels les réfugiés wallons ou huguenots, les élites cultivées autochtones, les marchands étrangers, la librairie et les intellectuels immigrés – mais ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle que le latin commence vraiment à céder du terrain au français comme langue de communication internationale de la République des Lettres, tout en continuant de se réserver jalousement l’université.

12 Le français usuel des réfugiés reposait sur l’utilité quotidienne de la langue comme symbole et instrument de l’identité du groupe. Au fur et à mesure de leur assimilation, ce français a perdu du terrain dans la communauté globale – malgré l’extension simultanée du français comme lingua franca internationale au sein de la société. Mais il faut bien reconnaître que nous ne savons pas grand-chose de la diffusion réelle et de l’usage concret du français dans la vie quotidienne des Néerlandais d’autrefois. Nous savons un peu de l’offre, mais beaucoup moins de la demande et très peu de la pratique de la langue. Nous connaissons le nombre approximatif de manuels, méthodes, grammaires et dictionnaires français parus en Hollande sous l’Ancien Régime - sans doute quelque 300 éditions au bas mot – et l’existence de nombreuses écoles dites françaises, c’est-à-dire des écoles de commerce et d’arts utiles où le français était la langue usuelle, au moins une dans presque chaque ville ou gros bourg du pays15.

13 Il est vraisemblable – à preuve les remarques aigres-douces de leurs interlocuteurs français – que le français des Hollandais fût presque toujours assez lourd et approximatif, plutôt colloquial que littéraire. Mais nous savons aussi qu’outre les écoles proprement françaises un grand nombre d’écoles élémentaires était dirigé par un maître sachant un minimum de français et s’appliquant à le transmettre lorsque l’occasion se présentait. L’enquête scolaire de 1811 nous apprend ainsi que 15 % des écoles élémentaires étaient tenues par un maître parlant français, les deux tiers des écoles ou pensionnats du niveau secondaire étant de langue française16. Il est probable que ce pourcentage était nettement plus élevé au XVIIe siècle, du moins dans les villes des provinces côtières et commerçantes, où un très grand nombre de maîtres d’école réfugiés des provinces méridionales tenues par le roi d’Espagne s’était établi17.

14 Les titres mêmes des ouvrages utilisés pour l’enseignement du français au début du XVIIe siècle indiquent l’objectif de ces écoles et de l’enseignement des maîtres de langue : De l’office d’une bonne matronne de Gabriel Meurier, La fontaine d’honneur et de vertu, le Miroir des mesnageres, le Miroir des vrayes meres, et le Miroir des vefves, trois

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pièces de théâtre scolaire de l’ex-Anversois Peter Heyns, mais aussi plusieurs volumes ou « trésors » de dialogues, de lettres, de propos, de proverbes ou de sentences - donc des manuels ou des aides à la conversation -, dont l’un portait le titre attendrissant Le Perroquet mignon des petits enfants françois-flameng, sans même parler du petit manuel bilingue de Magdaleine Valery, maîtresse d’école pour les filles à Leyde, La Montaigne des Pucelles, en neuf dialogues, sur les noms des neuf Muses, contenant diverses belles & vertueuses Doctrines, à l’instruction de la jeunesse (1599). Dès 1610, le catalogue de vente de Cornelis Claesz, le plus grand libraire d’Amsterdam, recense 73 différents titres scolaires de langue française18. Le français colloquial y domine, mais il est doublé de deux autres fonctions qui le soutiennent socialement : langue du commerce, la France étant toujours le partenaire commercial principal de la Hollande, et langue de socialisation morale et esthétique19.

15 En ce début du XVIIe siècle, l’usage du français, tout en étant assez largement répandu, ne renvoie pas encore à une réception généralisée de cette langue en Hollande. Il s’agit soit d’une diglossie lapidaire mais localement limitée, nécessaire dans un pays où les réfugiés francophones sont parfois si nombreux qu’ils tendent à former des communautés autonomes à l’intérieur des villes (ainsi à Leyde, Middelbourg ou Rotterdam) ; soit d’une langue d’usage limitée, liée à des groupes, des circonstances ou des situations sociales précises : le commerce, les arts et techniques, la socialisation des élites. Le français n’est point alors la langue de l’éloquence, ce qui demeurera encore longtemps l’apanage du latin ou du néerlandais lui-même. Il n’est même pas encore la langue des savants, quand bien même des savants écrivent en français. Bien au contraire, l’on se bat, dans les cercles universitaires français, pour obtenir du célèbre savant français Joseph Juste Scaliger, philologue et historien né en France mais établi à Leyde, un billet autographe rédigé dans son latin classique, d’une perfection et d’une clarté inimitables. Les bibliothèques savantes dont nous avons conservé l’inventaire confirment cette impression : au tournant du XVIe siècle vingt grandes collections privées hollandaises totalisent 20.000 livres dont 80 % en latin contre 9,3 % en français (van Selm 1987 : 115). C’est seulement vers la fin du XVII e siècle que le français prend plus d’importance comme langue scientifique. La rubrique des comptes rendus dans l’important périodique savant allemand Acta eruditorum reflète le niveau linguistique de la production savante en Europe : la francisation de la science double en un siècle, elle atteint 18 % dans les premières années du XVIIIe siècle, avec un forte pointe en Hollande20. Elle va au détriment du latin qui perd, en outre, des points sur l’anglais. L’anglais ne totalise encore que 8 % mais augmente lentement, tout comme la part de l’allemand. L’on ne saurait donc négliger ce nouveau venu en se polarisant indûment sur l’omniprésence du français. Mais à ce tournant que Paul Hazard a jadis appelé la crise de la conscience européenne, la communication scientifique internationale continue malgré tout de se faire essentiellement en latin.

16 Jusque-là, l’anglais était utilisé essentiellement dans les relations commerciales avec la Grande-Bretagne et, passivement, dans la littérature puritaine que les calvinistes néerlandais assimilaient avidement dès le début du XVIIe siècle. Mais au XVIIIe siècle l’anglais commence à conquérir l’Europe par un double biais, laissé en friche autant par le latin que par le français : d’une part la littérature moralisatrice et politique, d’autre part les sciences exactes et les techniques. Le discours politique et le débat public dans un espace libre naissent en Angleterre, non pas en France, où la censure royale pouvait être féroce et où la Révolution transforme ce débat presque immédiatement en un discours partisan. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’allemand fait une entrée

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remarquée sur la scène linguistique néerlandaise. Il conquiert une partie du marché littéraire et philosophique où il fait reculer la part de la littérature française21. Mais grâce à l’excellence de la science allemande, il commence aussi à dominer le marché du livre médical, scientifique, ethnographique, sans parler de la théologie et de la spiritualité piétiste, omniprésente dans le Nord de l’Europe. On comprend dès lors beaucoup mieux pourquoi Rivarol dans son discours berlinois sur l’universalité de la langue française se soit donné tant de peine à exalter la prééminence du français sur l’anglais et l’allemand : c’étaient là, en effet, les deux grandes rivales du moment de la langue française, et elles devaient le rester.

17 Il faut donc relativiser, et surtout replacer avec précision sur une échelle chronologique, la place et l’usage du français dans la société hollandaise globale. Il n’en demeure pas moins qu’à l’apogée de l’influence française la connaissance du français a pu paraître universelle dans la République néerlandaise aux yeux des observateurs étrangers. Dans tous les milieux qu’ils touchaient, le français était une langue facile d’accès. Cette expérience a pu renforcer à son tour le sentiment d’universalité de la langue elle-même, comme en témoigne l’approche de Rivarol qui ne néglige point le facteur de son usage. Je ne citerai qu’un seul témoignage de ce sentiment. Dans son État présent de la République des Provinces-Unies, paru en 1729-30, François-Michel Janiçon affirme d’emblée que « la Langue Françoise y est aussi fort en usage, par le grand nombre de François Protestants qui s’y sont réfugiez, depuis la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Et, comme toutes les Négociations entre la République et les autres Puissances de l’Europe se font presque toutes aujourd’hui en François, il n’y a point de Membre de la Régence, qui ne se pique de savoir cette Langue, et de la faire apprendre à ses Enfans. Les Négocians et les autres Bourgeois ont la même ambition »22. Janiçon note donc la généralisation du français par un double biais : politique – ou mieux, politico-religieux – et commercial. Alors qu’il fait remonter la première à la Révocation et, sans le dire expressément, aux négociations de Nimègue qui vers 1678 avaient inauguré la prédominance du français comme langue diplomatique, le français de la pratique commerciale et de la culture bourgeoise remonte bien plus haut.

4. Critiques bataves

18 Dès le début du XVIIe siècle, cependant, les puristes hollandais étaient partis en guerre contre la francisation rampante du pays, venue dans le sillage des réfugiés wallons – qui, soulignons-le, n’étaient pas des Français mais des Brabançons, Flamands, Hennuyers, Liégeois23. Outre leur fortune et leur langue, souvent fortement teintée de dialectes locaux mais toujours opposée au néerlandais, ceux-ci avaient apporté des manières précieuses, des modes vestimentaires et un goût du luxe qui tranchaient sur la sobriété batave antique dont les Hollandais eux-mêmes se targuaient volontiers24. Dans l’image que les Hollandais donnaient de ces usurpateurs de leur identité, le thème de la domination par le francophone conquérant et arrogant revient fréquemment. Suite à la guerre de Hollande et à la politique religieuse du Roi Soleil, cette critique passe du francophone indifférencié, qu’il soit Brabançon, Bourguignon, Savoyard, Suisse ou Français, aux membres de la nation française en se réduisant insensiblement à la France elle-même en tant qu’unité politique. L’extension de l’usage de la langue française sur un nombre croissant de domaines de la vie sociale est alors associée au

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danger politique et moral que la nation française représente pour la survie de la nation néerlandaise qui est encore à la recherche de son identité25.

19 Les critiques, les idéologues et les puristes se réunissent alors dans un commun effort pour construire un ennemi commun, un anti-modèle qui peut être efficacement combattu. C’est la figure de la francisation linguistique et culturelle, qui menace de saper la société hollandaise à la base, en s’attaquant aux valeurs constitutives de la nation batave, qui étaient d’après Tacite (redécouvert lors des campagnes identitaires de l’époque de la Renaissance) : la frugalité, la simplicité, l’authenticité et l’égalité démocratique, quatre vertus opposées au luxe, au maniérisme, à l’esprit hiérarchique et à la duplicité de la civilisation de cour qui, aux yeux des critiques, se présente à l’étranger comme le modèle même de la civilisation française26.

20 L’ancien stéréotype de La Tyrannie espagnole, titre d’un petit livre scolaire de 1610, fréquemment réédité, qui devait entretenir parmi la jeunesse la haine de l’ennemi, est après 1672 appliqué aux Français. La Tyrannie française,illustrée des gravures suggestives de Romeyn de Hooghe sur les atrocités perpétrées, dénonce la perfidie française à l’égard des protestants lors du massacre de la Saint-Barthélemy (1572) et les cruautés similaires commises en 1672 par l’armée française dans deux villages à la limite de la province de Hollande, Bodegraven et Zwammerdam. La Révocation et ses dragonnades, puis la répression religieuse dans les Cévennes s’y ajouteront bientôt. Pendant plus d’un siècle, jusqu’à ce que les Anglais prennent le relais dans les années 1780, ces images cruelles forment la toile de fond nécessaire à la réputation du Français comme nouvel ennemi national, aussi bien parmi la moyenne et petite bourgeoisie qu’au sein du petit peuple qui, essentiellement de tendance orangiste, n’a jamais été franchement francophile27. Devant les horreurs de la Révolution, cependant, le sentiment anti-français redouble de vigueur. Dès 1793 trois Tyrannies paraissent : une Tyrannie de la faction jacobine, en France28, La tyrannie française, ou le théâtre du massacre des années 1792 et 179329, et un nouveau Miroir de la jeunesse, ou Nouvelle Tyrannie française30. Dans ce dernier, en forme de dialogue éducatif, le père commence par rappeler à son fils le vieux stock de ressentiments, la Saint-Barthélemy et l’invasion de 1672, pour enchaîner sur la Révolution française. Et le fils de répondre qu’il comprend maintenant pourquoi son père « parle toujours avec tant de mépris de la nation française et rejette toute allusion à leur savoir-vivre, leur politesse, leur bonnes manières ».

21 Tout bien pesé, il peut paraître étonnant que la langue française ait joui d’une si grande fortune dans un pays qui a tant détesté la France elle-même ou ses habitants. On y verra une conséquence de la liberté d’opinion et de presse qui régnait en Hollande. Même au plus fort de la guerre, une discussion relativement libre demeurait possible. Dans l’année même où, à la suite de l’invasion de 1672, la presse hollandaise honnit et vomit tout ce qui sent le Français, le célèbre éditeur Joan Blaeu publie à Amsterdam une traduction du Nouveau Traité de la civilité qui se pratique en France, parmi les honnestes gens (1671) d’Antoine de Courtin, qui venait d’être publié à Paris, puis à Amsterdam même31. Ce traité devait durablement marquer le comportement social des élites hollandaises.

22 Autre exemple de cette liberté de penser ; Franciscus Ridderus, un influent pasteur réformé de Rotterdam, s’efforça dès 1674, en pleine guerre, de promouvoir une image plus juste et plus nuancée des différents ennemis, dans une série de portraits dialogués appelés Le Français historique, L’Anglais historique, L’Espagnol historique, et Le Hollandais historique. Ces dialogues montrent l’ambiguïté des relations franco-hollandaises. Force d’attraction d’une part, méfiance ou mépris de l’autre. Dans tous les cas, la francisation,

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appelée ou honnie, concerne autant la langue, véhicule principal de la culture française, que les modalités mêmes de cette culture, et plus particulièrement les modèles sociaux qu’elle entendait promouvoir. Ainsi, l’honnête homme, image positive chérie par l’aristocratie et le patriciat, peut dans une autre lecture prendre la figure d’un homme arrogant, libertin, ou courtisan, ridicule dans ses prétentions et facilement démasqué par ces solides gaillards que sont les Hollandais dans leur propre perception : ces Français, ce n’est rien que du vent32.

23 Mais la capitulation linguistique et morale devant ces mêmes Français dès avant la guerre de Hollande a aveuglé et affaibli les élites dirigeantes. Aux yeux des critiques, elle a préparé de l’intérieur la victoire du Roi Soleil. Tout au long du XVIIIe siècle, cette image complexe, où langue et arts, modes et mœurs, admiration et crainte se mêlent inextricablement et où résonne également une sourde critique sociale contre l’attitude traîtresse des élites autochtones, l’ennemi intérieur, sera mise en avant par les censeurs du déclin national, en particulier dans les écrits spectatoriaux. Les caprices du maniérisme français, estimé superficiel et à la poursuite de la mode du jour, l’arrogance, l’esprit hiérarchique, les arguties et les chicanes, le libertinage et le relâchement des mœurs, le tout symbolisé dans l’adoption de la langue française ou dans l’abâtardissement du néerlandais truffé de mots et expressions empruntés au français, sont tenus pour responsables de toutes les déviances morales de la société hollandaise33. Le retour à la pureté originale du peuple passera donc par l’élimination des corruptions françaises. On comprend dès lors que les patriotes bataves de la fin du XVIIIe siècle avaient à mener un difficile débat intérieur. Tout en prenant exemple sur la Révolution française, ils devaient en même temps repousser l’accusation de connivence avec l’ennemi moral de toujours. Les relations ne pouvaient donc qu’être extrêmement complexes entre les Bataves, qui appelaient les Français comme libérateurs, et les Français eux-mêmes, qui se comportaient comme envahisseurs – exactement comme l’image des manuels scolaires les avait dépeints depuis plus d’un siècle.

24 Pour conclure, j’en fournirai ici un exemple éloquent. Dans son numéro du 17 juin 1805, une lettre non signée, apparemment envoyée par un Hollandais de La Haye, parut dans Le Moniteur universel, journal officiel de l’Empire. Il entendait sonner le glas de la langue néerlandaise. « La langue française, affirme l’auteur, devient de jour en jour d’un usage plus habituel dans ce pays-ci. La plupart des Hollandais distingués par leur fortune ou leur éducation, la parlent entr’eux dans l’intérieur de leurs familles, de préférence à la langue du pays ; de sorte que celle-ci s’en va tout doucement se reléguer dans les basses classes du peuple ; et il n’en restera peut-être, dans cinquante ans, qu’un patois que les gens comme il faut abandonneront à leurs domestiques, aux ouvriers et aux matelots34 ».

25 L’article provoque un tollé parmi les dirigeants politiques et les intellectuels qui se retournent massivement contre les prétentions du français en tant que véhicule politique de l’idéologie impériale. Le Comité national [Groot besogne] qui en mars 1806 délibère fébrilement sur les éléments d’identité nationale à préserver à tout prix devant l’annexion menaçante, y inclut d’emblée le maintien de la moedertaal, la langue maternelle. On ne va certes pas jusqu’à rejeter l’emploi du français lui-même dans la vie quotidienne des Pays-Bas. Bien au contraire, en affirmant que depuis bien longtemps le français est parlé dans un grand nombre de ménages, on approuve cet usage. « L’exercice de la langue française sera toujours très utile, sinon indispensable, mais il

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ne faut point négliger pour autant notre propre belle langue ». Mais si le français demeure simplement utile, le néerlandais est paré de cette esthétique originelle qui est instillée à chaque citoyen, comme une marque d’identité, au sein maternel35. Une fois de plus, nous retrouvons donc ici le lien fort et étroit entre le sort de la langue et l’identité collective. Les Néerlandais adoptent le français comme lingua franca, la langue qui est pour eux à ce moment la plus utile internationalement, mais ils refusent l’idéologie de supériorité politique, socio-culturelle ou esthétique qui sous-tend le concept d’universalité linguistique.

NOTES

1. Ce texte reprend et résume différents travaux que j’ai présentés au cours des années, en particulier : (1996). « Le Français en Hollande après la Paix de Westphalie : langue d’immigrés, langue d’envahisseurs, ou langue universelle ? ». Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, nº 18, 329-350 ; (1998). « Des origines à 1780 : l’émergence d’une image ». In Willem FRIJHOFF & André REBOULLET (dir.). Histoire de la diffusion et de l’enseignement du français dans le monde [Numéro spécial de : Le français dans le monde : Recherches et applications]. Paris : Hachette/Edicef, 8-19 ; (2010). Meertaligheid in de Gouden eeuw : Een verkenning. KNAW, Mededelingen van Afdeling Letterkunde, NR 73, nº 2. Amsterdam : KNAW Press. En ligne : . 2. RIVAROL (1785). De l’universalité de la langue française. Discours qui a remporté le prix à l’Académie de Berlin en 1784. 2e éd. Berlin & Paris : Prault & Bailly, 85 ; RIVAROL (1930). De l’universalité de la langue française. Texte établi et commenté par Th. Suran. Paris & Toulouse : H. Didier, 60-64. 3. Voir pour l’anglais aux Pays-Bas : P.L.M. LOONEN (1991). « For to learne to buye and sell »Learning English in the Low Dutch area between 1500 and 1800. A critical survey. Amsterdam & Maarssen : APA- Holland University Press. Longtemps la connaissance passive de l’anglais était beaucoup plus grande que sa maîtrise active, qui ne se développera qu’à la fin du XVIIIe siècle. Voir plus généralement : Th.J.M. van ELS & M.F. KNOPS (1988). « The history of the teaching of foreign languages in the Low Countries ». Historiographia linguistica, XV/1-2, 289-316; Jan NOORDEGRAAF & Frank VONK (dir.) (1993). Five Hundred Years of Foreign Language Teaching in the 1450-1950. Amsterdam: Stichting Neerlandistiek VU/Münster: Nodus. 4. G.C.C. VATEBENDER (1792). « Plan van een Nederlands Opvoedings-school ». Mengelwerken der Kamer van Rhetorica, genaemd De Goudsbloemen, 21-136 ; voir à son sujet également, Willem FRIJHOFF (1997). « Valeurs militaires, élites civiles, sciences exactes : projets de réforme de l’éducation secondaire en Hollande à l’époque révolutionnaire ». In Jean-Paul BERTAUD, Françoise BRUNEL, Catherine DUPRAT & François HINCKER (dir.), Sur la Révolution : approches plurielles. Mélanges Michel Vovelle. Paris : Société des études robespierristes, 405-414. 5. Sur la question, la méthode et le pays concerné : Willem FRIJHOFF (1988). « Langues nationales, langues de contact, langues de culture ». In Europe sans rivage. Symposium international sur l’identité culturelle européenne, Paris, janvier 1988. Paris : Albin Michel, 76-83 ; (1990). « L’usage du français en Hollande, XVIIe-XIXe siècles : propositions pour un modèle d’interprétation ». Études de linguistique appliquée, 78, 17-26 ; (1991). « Le plurilinguisme des élites en Europe de l’Ancien Régime au début du XXe siècle ». In Daniel COSTE & Jean HÉBRARD(dir.). Vers le plurilinguisme des élites. Numéro thématique de Le français dans le monde. Recherches et applications, 120-129 ; (1995).

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achttiende eeuw ». Werkgroep Achttiende Eeuw, Onderwijs en opvoeding in de achttiende eeuw. Amsterdam & Maarssen: Holland University Press, 3-39; Nan L. DODDE & Cees ESSEBOOM (2000). « Instruction and Education in French Schools. A Reconnaissance in the Northern Netherlands 1550-1700 ». In Jan de CLERCQ, Nico LIOCE & Pierre SWIGGERS (dir.). Grammaire et enseignement du français, 1500-1700. Louvain : Peeters, 39-60. 16. Willem FRIJHOFF (1986). « Université et marché de l’emploi dans la République des Provinces-Unies ». In Dominique JULIA, Jacques REVEL et Roger CHARTIER (dir.). Les Universités européennes du XVIe au XVIII e siècle : Histoire sociale des populations étudiantes, I. Paris : EHESS, 205-243, 223, tableau 4. 17. Jan BRIELS (1976). De Zuidnederlandse immigratie in Amsterdam en Haarlem omstreeks 1572-1630 (thèse de doctorat, Utrecht, 1976; J.G.C.A. BRIELS (1972, 1973). « Zuidnederlandse onderwijskrachten in Noordnederland 1570-1630 ». Archief voor de geschiedenis van de katholieke kerk in Nederland, 14, 89-169, 277-298; 15, 103-149, 263-297; J. BRIELS (1985). Zuidnederlanders in de Republiek 1572-1630: Een demografische en cultuurhistorische studie. Sint-Niklaas, B.: Danthe;Willem FRIJHOFF (1998). « Migrations religieuses dans les Provinces-Unies avant le second Refuge ». Revue du Nord, 80, n° 326-327, 573-598. 18. Bert van SELM (1987). Een menighte treffelijcke Boecken. Nederlandse boekhandelscatalogi in het begin van de zeventiende eeuw. Utrecht : HES, 234-242, 275-285, en donne la liste complète avec identifications. Voir aussi A. Hendrickx (1961). « Franse school- en leerboeken in de 16e en de 17e eeuw ». Paedagogica historica, 1, 225-243. 19. Sur les maîtres de langue française : Marie-Christine KOK ESCALLE & Madeleine van STRIEN- CHARDONNEAU (2005). « Apprentissage de la langue et comparatisme culturel en Hollande : le métier de maître de langue (XVIIe-XIXe siècles) ». Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 33-34, 120-143 ; des mêmes, « Van Parival tot Baudet. De Franse taalmeester en zijn leerlingen in de Noordelijke Nederlanden, van de 17e tot de 19 e eeuw. Vorming tot cultureel comparatisme via het vreemde-talenonderwijs », in: e-meesterwerk. E-tijdschrift van het PHG [Peeter Heyns Genootschap], publié le 4 mars 2009. En ligne: . 20. H. LAEVEN & G. van GEMERT (1982). « De Acta Eruditorum als invalshoek voor de Noordnederlandse boekproductie (1682-1720) ». Documentatieblad Werkgroep Achttiende Eeuw, nº 53-54, 85-117. 21. A. NIEUWEBOER (1982). « De populariteit van het vertaalde verhalend proza in 18 e-eeuws Nederland, en de rol van de boekhandel bij de praktijk van het vertalen ».Documentatieblad Werkgroep Achttiende Eeuw, nº 53-54, 119-141. 22. François-Michel JANIÇON (1729-1730). État présent de la République des Provinces-Unies. 2 vol. La Haye : Van Duren, I, 12-13 ; Madeleine van STRIEN-CHARDONNEAU (1994). Le Voyage de Hollande : récits de voyageurs français dans les Provinces-Unies, 1748-1795. Oxford : Voltaire Foundation, 142-144. 23. Sur le problème de la francisation : Willem FRIJHOFF (1989). « Verfransing? Franse taal en Nederlandse cultuur tot in de Revolutietijd ». Bijdragen en mededelingen betreffende geschiedenis der Nederlanden, 104, 592-609. 24. Pour l’importance, les avatars et les fonctions du mythe batave dans le développement de la conscience nationale néerlandaise, voir Willem FRIJHOFF (1994). « L’évidence républicaine : les Bataves au passé, au présent et au futur ». Annales historiques de la Révolution française, 66, 179-194. 25. Willem FRIJHOFF (1990). « L’usage du français en Hollande, XVIIe-XIXe siècles : propositions pour un modèle d’interprétation ». Études de linguistique appliquée, 78, 17-26. 26. Voir par exemple [Justus van EFFEN], De Hollandsche Spectator, nº 8 (8 octobre 1731) ; nº 14-15 (19 et 26 novembre 1731) ; De Philosooph, 17 février 1766. À ce sujet, P.J. BUIJNSTERS (1991). Spectatoriale geschriften. Utrecht : HES, 85-88. L’étonnant dictionnaire juridique publié en 1785 par l’avocat Franciscus Lievens (1785) : Practisyns Woordenboekje. Dordrecht : Abraham Blussé [nouv. éd. par J.E. ENNIK et P. BROOD. Hilversum : Verloren, 1988 ; reprint 2005] montre à quel point le

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langage des tribunaux néerlandais était, outre le latin de procédure, imprégné de mots et expressions français. 27. Nieuwe Spiegel der Jeugd, of Fransche Tiranny (1674). Le Short Title catalogue, Netherlands mentionne des exemplaires à partir de l’impression Amsterdam : Jac. Bouman, 1680. Sur cet ouvrage : E.P. de BOOY (1980). Kweekhoven der wijsheid. Basis- en vervolgonderwijs in de steden van de provincie Utrecht van 1580 tot het begin der 19e eeuw . Zutphen: De Walburg Pers, 46, 57; P.J. BUIJNSTERS (1988). « De patriot als schoolmeester: Patriotse ideologie in achttiende-eeuwse kinderboeken ». InTh.S.M. van der ZEE, J.G.M.M. ROSENDAAL & P.G.B. THISSEN (dir.). 1787 : De Nederlandse Revolutie?Amsterdam : De Bataafsche Leeuw, 100-111. Voir aussi Rotterdam, Atlas van Stolk, nº 2551 : 16 gravures sur une feuille volante, publiée par Jac. Bouman à Amsterdam en 1690. 28. Tiranny der Jacobynsche Factie, in Frankryk (1793). Utrecht, etc. : J. van Rossem, etc. 29. De Fransche tyranny of het moordtoneel, in de jaaren 1792 en 1793 (1793). Amsterdam etc. : Gerrit Bom etc., deux tirages en 1793. 30. S.V.D.T., De Spiegel der jeugd, of Nieuwe Fransche Tiranny (793). Amsterdam : Philippus van Leeuwen. 31. Antoine de COURTIN (1672). Nieuwe verhandeling van de welgemanierdheidt, welke in Vrankryk onder fraaye lieden gebruikelijk is. Amsterdam : J. Blaeu. La version française originale avait aussi été publiée par Jacques LE JEUNE à Amsterdam en 1671. 32. Franciscus RIDDERUS (1674, [2 e éd. 1738]). Historischen Frans-man, in bysondere Fransche geschiedenissen, gepast op de onderdruckte staat van ons lieve Vaderlandt. Rotterdam : Veuve A. Leers. 33. P.Th.F.M. BOEKHOLT (1991). « Één natie, één taal : taalpolitiek en onderwijshervorming in het begin van de negentiende eeuw ». InK. van BERKEL, H.BOELS & W.R.H. KOOPS (dir.). Nederland en het Noorden. Assen & Maastricht : Van Gorcum, 71-80. 34. Gazette nationale, ou Le Moniteur universel, XIII, no 268 (17 juin 1805) [B. N. F : Gr. Fol. Lc2 113, microfilm D 71]. Pour l’impact de cet article aux Pays-Bas : Simon SCHAMA (1997). Patriots and Liberators: Revolution in the Netherlands 1780-1813. New York : Alfred Knopf, 479. 35. Jan ten BRINK (1814). Nieuwe Fransche tirannij, bijzonder onder de regering van Napoleon Bonaparte; behelzende eene opgave van de onregtvaardigheden en geweldenarijen, door de Franschen in Nederland uitgeöefend, sedert het begin van 1795 tot op het einde van 1813, en vooral in de laatste drie jaren. Ten gebruike voor de scholen zamengesteld. Amsterdam: Van der Hey, 88.

RÉSUMÉS

Dans l’image historique dont la langue française a longtemps bénéficié en Hollande, la thèse de la francisation progressive des élites sous l’Ancien Régime s’est imposée. Tout en reconnaissant l’importance du français dans quelques domaines essentiels de la vie publique, cet article s’efforce de rétablir l’équilibre entre les pratiques et les représentations. Face à la montée du français comme langue de socialisation, langue du commerce international et, remplaçant de plus en plus souvent le latin, comme lingua franca de la science, le néerlandais lui-même s’affirme dès le XVIe siècle comme la langue originelle de l’humanité et la langue privilégiée des arts et des lettres. À la fin du XVIIIe siècle, le français commence à être sérieusement concurrencé par l’allemand et l’anglais dans la littérature et la philosophie, tandis que l’époque révolutionnaire provoque une renaissance du néerlandais en tant que langue nationale identitaire.

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The historical image of the French language in the Netherlands has privileged the thesis of the on-going ‘francization’ of the Dutch elites during the Ancient Regime. This article acknowledges the importance of the use of French in several domains of Dutch public life but tries also to re- establish the equilibrium between practices and representation in language use. Undoubtedly, the French language became an important tool for socialisation and commerce, and, next to Latin, it got the statute of lingua franca in the world of science. Yet, the rise of French provoked as early as the 16th century the ambition of Dutch to be recognized as the original language of the humanity and as the privileged language of the arts and letters. At the end of the 18th century, English and German became serious competitors of French in literature and philosophy, whereas the revolutionary period favoured the renaissance of Dutch as the language of national identity.

INDEX

Mots-clés : Pays-Bas. Langue universelle. Langue originelle. Lingua franca. Français. Néerlandais. Allemand. Anglais. Latin. Socialisation. Livres scolaires. Keywords : Netherlands. Universal language. Original language. Lingua franca. French. Dutch. German. English. Latin. Socialisation. Textbooks.

AUTEUR

WILLEM FRIJHOFF Université Libre, Amsterdam / Université Érasme de Rotterdam

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Regards sur l’histoire de l’enseignement du français aux Pays-Bas (XVIe-XVIIe siècles)1

Pierre Swiggers

1. Approche « méthodique » : éléments d’un modèle

1 L’histoire de l’enseignement du français dans les anciens Pays-Bas2 est

2 (a) une histoire qui s’étend sur plusieurs siècles, donc une histoire de « moyenne durée » (dans les termes de F. Braudel)3 ;

3 (b) une histoire de l’expansion et de « l’intrusion » d’une langue à la fois « étrangère » dans un certain sens et « co-présente » dans un autre ;

4 (c) une histoire de la diffusion et du rayonnement d’une langue, qui dépasse de loin la question de son enseignement.

5 Ces données entraînent quelques implicationsimportantes pour l’étude de l’histoire du français aux Pays-Bas :

6 (1) cette étude, et tout particulièrement sa phase interprétative, doit se faire en gardant à l’esprit cette moyenne durée, qui doit servir de fond explicatif, et sur laquelle se sont greffées des histoires de courte durée ;

7 (2) l’analyse des données requiert l’intégration, dans le travail de l’historien de l’enseignement, d’une perspective sociolinguistique et, comme corrélat au plan historique, d’une perspective sociologique4 ;

8 (3) enfin, le travail de l’historien de l’enseignement du français doit se faire en symbiose étroite avec les recherches sur l’histoire de la langue (c’est-à-dire, l’histoire des langues française et néerlandaise, comme diasystèmes).

9 En vue d’une étude méthodique de cette réalité complexe qu’a été et qu’est toujours l’enseignement d’une langue5, il importe d’appliquer un modèle d’analyse qui articule les composantes et les paramètres pertinents qu’il s’agit de prendre en compte.

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10 Ce modèle6 doit réunir les instances productrices ou « agentives » (les « émetteurs ») et les instances « réceptrices » (les récepteurs / bénéficiaires) autour de produits didactiques (qui sont la cristallisation d’un effort de « couler » dans une matière et une forme didactiques une « substance langagière », l’ensemble fonctionnant dans un contexte historique général, défini par une constellation politique et socio-culturelle variable. Sans entrer dans des détails qui concernent le rapport entre la langue enseignée et sa modélisation didactique ou dans les détails qui concernent l’organisation concrète de manuels (ce qui fait l’objet des études d’histoire de la grammaire/de la lexicographie), je me contenterai de proposer ici un schéma (cf. Figure 1 de l’Appendice), qui réunit les composantes d’un modèle d’analyse opératoire7.

2. L’enseignement du français aux Pays-Bas : jalons historiques8, figures et textes

2.1. L’enseignement du français au Moyen Âge et au XVIe siècle

11 Dans les Pays-Bas (anciens), l’enseignement du français est attesté dès le Moyen Âge par l’existence de « manières de langage », livres de conversation et d’apprentissage de vocabulaire, qui aboutissent, dès le XVIe siècle, à une importante production grammaticale et lexicographique sur le français9. Si dans les Pays-Bas méridionaux (= la Flandre actuelle et une partie de la Wallonie), le néerlandais et le français coexistaient (surtout dans les villes)10, dans les Pays-Bas septentrionaux (les Pays-Bas actuels, ou la « Hollande », au sens large), le français a très tôt été enseigné comme langue étrangère. Dès le XIIIe siècle, il y avait d’étroites relations politiques entre la maison de Hollande (province unie avec la Zélande) et la France ; les chartes échangées entre les comtes de Hollande et la France étaient presque toutes rédigées en français. On en déduit que la connaissance du français était nécessaire pour les nobles hollandais ; il en était sans doute de même pour la noblesse de la Gueldre et du Brabant (septentrional), provinces qui entretenaient aussi des relations avec la couronne française. La connaissance du français n’avait d’ailleurs pas seulement un but pratique : on appréciait aussi la poésie française. Les nobles apprenaient le français par diverses voies : par le contact direct avec des Français ; par une formation à la Cour française ; par l’instruction confiée à des précepteurs français.

12 Un vrai enseignement du français aux Pays-Bas septentrionaux ne se développe qu’au cours du XVIe siècle. C’est à cette époque qu’un grand nombre de villes11 obtiennent, en l’achetant, le droit de gérer une école paroissiale ; les élèves n’y entraient guère avant l’âge de neuf ans et ils avaient déjà appris à lire et à écrire dans une école libre. Il semble que l’enseignement officiel ne répondait pas suffisamment aux besoins les plus urgents parce que dans les villes hollandaises, des particuliers ouvraient des écoles auxiliaires destinées, presque exclusivement, aux garçons. Les municipalités toléraient plus ou moins leurs activités parce que les écoles auxiliaires s’occupaient seulement des élèves jusqu’à l’âge de sept ou huit ans. Comme les écoles officielles, les écoles auxiliaires n’acceptaient pas de filles12. Si dans certaines villes13, les écoles libres ont d’abord été interdites (à cause de la concurrence faite aux écoles municipales), on constate qu’au XVIe siècle, les instances officielles se montrent plus accueillantes, d’autant plus que les écoles libres devaient payer une indemnité pour chaque élève inscrit.

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13 L’existence et le succès de ces écoles14 montre que les gens avaient besoin d’un autre type d’enseignement que celui que l’école officielle leur offrait. Dans les « grandes écoles » le latin jouait le rôle principal ; les écoles libres, par contre, mettaient l’accent sur la pratique. Dans les « écoles d’écriture » (schrijfscholen), les élèves apprenaient à écrire et à rédiger des lettres et des textes de nature commerciale. On y enseignait la lecture, l’écriture et le calcul. Le latin n’y était plus enseigné : le français avait pris sa place. Les écoles libres hollandaises fournissaient ainsi une préparation aux activités de commerce : l’accent était mis sur l’utilité du français pour le futur commerçant.

14 Au XVIe siècle, la guerre entre la France et l’Angleterre rompit les rapports commerciaux entre la France et la Flandre, ce dont profitèrent les Hollandais. Il y avait des relations soutenues avec plusieurs ports français : les ports les plus importants d’exportation étaient les ports situés sur la Manche, Bordeaux, Brouage, La Rochelle et Nantes et les principaux ports d’importation Amsterdam, Middelbourg, Hoorn et Enkhuizen.

15 Un texte-clef pour notre propos, le Livre des mestiers15, contient plusieurs chapitres consacrés au commerce de la laine et du drap. De même, le Vocabulaire16 de Noël de Berlaimont (Berlemont / Barlaimont / Barlemont) contient un chapitre sur « beaucoup de communes raisons de quoy on use communement a table », trois chapitres sur divers sujets liés au commerce (vendre et acheter, demander ses dettes, apprendre à compter en deux langues) et un chapitre dans lequel on apprend à rédiger des lettres missives17, des obligations, des quittances et des baux de louage.

16 Dans le dernier tiers du XVIe siècle, on assiste à un afflux d’instituteurs français en Hollande à cause de l’arrivée de réfugiés réformés. En 1572, la partie septentrionale des Pays-Bas réussit à s’affranchir du joug des Espagnols ; les habitants des provinces méridionales allaient se réfugier en Hollande. En 1584 Bruges et Gand tombèrent aux mains des Espagnols ; en 1585, Anvers. Les protestants flamands et wallons partirent alors en masse pour chercher asile dans les Pays-Bas septentrionaux18 ; beaucoup d’entre eux allaient se consacrer à l’enseignement du français19. Les réfugiés qui avaient été maîtres de français dans le pays d’où ils provenaient continuaient leur profession et ceux qui étaient des instituteurs avec un brevet de capacité pouvaient ajouter le français aux matières enseignées dans les écoles qu’ils ouvraient. Ceux qui n’avaient pas encore exercé la profession d’enseignant mettaient à profit, tant bien que mal, leur connaissance du français. Ces faits expliquent pourquoi la plupart des ouvrages composés en Hollande pour instruire des étrangers dans la langue française ont été écrits par des maîtres de langue immigrés. Les grandes villes en Hollande ont ainsi connu, au XVIe siècle, une expansion considérable de l’enseignement du français grâce aux réfugiés protestants20.

17 Les maîtres n’enseignaient pas seulement le français, mais également la tenue des livres et l’arithmétique, branches du savoir indispensables pour le commerce (Dodde & Esseboom 2000). L’enseignement était organisé en fonction de l’utilité du français pour les marchands qui entretenaient des relations avec la France. La connaissance du français facilitait en plus les rapports commerciaux avec d’autres pays (romans et non romans), vu que le français devenait la langue internationale du commerce.

18 L’enseignement du français fut, avant tout, une affaire de précepteurs et d’outils didactiques. Il convient donc de se tourner vers cette « face concrète » de la didactique du français : la figure du maître de langue et le type de support didactique.

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19 (a) Nous commencerons par le premier type d’ouvrages didactiques21 : les manuels grammaticaux. Le premier auteur à avoir élaboré une production grammaticale dans les Pays-Bas anciens fut Gabriel Meurier, un des précepteurs les plus célèbres de la Renaissance, qui a enseigné le français, l’espagnol et l’italien (De Clercq 1997, 2000 ; Kaltz 2000). Nous nous arrêterons un instant à deux de ses ouvrages grammaticaux. Sa grammaire (Grammaire françoise, Anvers 1557) s’adresse en premier lieu à la bourgeoisie marchande désireuse d’acquérir une bonne connaissance pratique de la langue étrangère. Elle ne vise donc pas à l’exhaustivité, mais se limite aux rudiments de la grammaire. Son orientation exclusivement pratique ressort entre autres du fait qu’elle se base sur un corpus d’exemples non littéraires mais forgés, qui font souvent référence aux pratiques quotidiennes de la classe marchande : par là, ils s’insèrent dans une ambiance socio-culturelle assez différente de celle du public de (jeunes) nobles. Un second texte grammatical de Meurier est son livre Conjugaisons, règles et instructions, quifut publié à Anvers en 1558 chez Jan van Waesberghe. Dans cet ouvrage, il donne un aperçu des structures morphologiques de quatre langues : on a donc ici un manuel « pour ceux qui désirent apprendre François, Italien, Espagnol et Flamen ». Le français et l’italien se trouvent à gauche, les équivalents espagnols et flamands à droite. Le lecteur doit apprendre chacune de ces langues par voie d’interrogations et réponses. Après le chapitre sur les conjugaisons, Meurier fournit une brève instruction sur la manière de bien prononcer et lire le François, Italien, Espagnol et Flamen.

20 La grammaire de Meurier fut suivie par Le Formulaire des quatre conjugaisons françoises de Guillaume Anselare (Anvers, 1563), ouvrage qui, tout en se limitant aux conjugaisons des verbes réguliers et irréguliers, fournit un très grand nombre de phrases-exemples, ce qui le rendait apte à servir, du moins initialement, de manuel de langue22.

21 Le premier ouvrage grammatical pour l’étude du français publié dans les Pays-Bas septentrionaux s’inspire directement de l’ouvrage d’Anselare. Il s’agit de la grammaire (Eene forme ende maniere der Conjugatien in Nederduytsch ende Fransoys, Rotterdam, 1576) de Pieter de Zuttere, mieux connu comme (Pierre-Anastaise) Hyperphragme (cf. Bierbach 2001). L’auteur et l’imprimeur, Dierick Mullem (Dierick de Raeff van Mullem) qui vivait à Rotterdam, étaient d’origine flamande. Dans sa grammaire, Hyperphragme fournit un aperçu des conjugaisons : il présente les modes, les temps, les types de conjugaisons, et les verbes irréguliers ; l’auteur illustre beaucoup de règles avec des phrases servant d’exemples. Il traite aussi des noms, des articles et des pronoms. Ensuite, il y a une partie, très détaillée, sur les adverbes, les conjonctions et les prépositions. Le tout est rédigé en deux langues : on trouve le néerlandais dans la colonne de gauche et le français dans la colonne de droite. L’ouvrage se termine par un chapitre sur l’orthographe, la lecture, l’écriture et la prononciation du français. Dans ce chapitre, l’auteur donne une division des lettres et formule des remarques sur les lettres de l’alphabet, les diphtongues et les triphtongues. L’ouvrage se termine par une liste alphabétique illustrant la formation du féminin des adjectifs.

22 Le troisième auteur d’ouvrages grammaticaux qu’il faut mentionner est le maître d’école anversois, Peeter Heyns, dont l’activité professionnelle était étroitement liée à l’Officina Plantiniana. Non seulement Heyns et Plantin collaboraient dans la production de livres scolaires23, mais de plus, c’est dans l’imprimerie plantinienne que Zacharias (Zacharie) Heyns, le fils de Peeter, reçut une formation d’imprimeur. Peeter Heyns enseigna successivement à Anvers et à Cologne, retourna à Anvers en 1570 mais dut s’enfuir en 1585 et, après un passage par Francfort-sur-le-Main et Stade, il finit par

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s’établir en 1594 à Haarlem où il mourut en 1598. Heyns est l’auteur de plusieurs manuels didactiques, dont un ouvrage de grammaire française, le Cort Onderwys van de acht deelen der Fransoischer talen (« Brève Instruction des huit parties de la langue française »). Cet ouvrage, dont la première édition date de 157124, met l’accent sur la morphologie, conformément à la tradition classique, en adoptant comme principe de classification la division en huit parties du discours, qui a donné son titre au manuel. Dans l’édition de 1605, publiée à Zwolle, l’auteur a ajouté les traductions néerlandaises des termes techniques grammaticaux et a pris en compte les problèmes qui se posaient aux apprenants ayant comme langue maternelle le néerlandais, si bien que le Cort Onderwys peut être considéré comme la première grammaire contrastive français/ néerlandais25.

23 (b) Un deuxième type d’outil dans l’enseignement du français est constitué par les vocabulaires et les colloques. Ici aussi, ce sont les Pays-Bas méridionaux qui ont fourni les modèles. L’outil lexical qui a connu le plus grand succès, non seulement dans les Pays-Bas anciens, mais dans toute l’Europe occidentale, est le vocabulaire de Noël de Berlaimont dont la première édition (bilingue : ‘français-flamand’) parut en 152726. La première partie contient quatre chapitres dans lesquels l’auteur a mis en scène des personnages dans des situations à chaque fois différentes. Dans le premier chapitre, par exemple, dix personnages assistent à un banquet et ce chapitre contient ainsi beaucoup d’expressions qu’on utilise à table. Le deuxième chapitre introduit les élèves au monde de l’achat et de la vente. Dans le troisième chapitre on apprend à compter (en deux langues) et à réclamer des dettes. Dans le quatrième et dernier chapitre de cette première partie, l’auteur explique comment il faut rédiger des lettres missives, des contrats, etc. La deuxième partie est une liste de mots qu’on utilise quotidiennement, mis par ordre alphabétique. Ces deux parties sont suivies d’une section qui traite de l’art d’apprendre (« parfaitement ») à lire et à parler français ; ensuite, l’auteur donne les versions françaises du Pater noster, de l’Ave Maria, des dix commandements, etc. Le tout est accompagné d’une dissertation sur la manière de bien estudier et d’un aperçu du système des chiffres romains et arabes. Les premières éditions du Vocabulaire de Berlaimont sont bilingues, avec le texte flamand d’un côté et la version française en regard. Très vite, l’ouvrage a joui d’un grand succès, sous forme de dictionnaire polyglotte ; dans cette forme, il aura des centaines d’éditions, du XVIe au XVIIIe siècle, à travers toute l’Europe27.

24 Un autre outil lexical très populaire était l’Uxor mempsigamos de Zacharie Heyns, dont la première édition parut en Hollande ; il s’agit d’un colloque d’Érasme que Zacharie Heyns a traduit en flamand et en français et qu’il a édité à Amsterdam en 1592. La dédicace nous apprend que le livre a été écrit pour des jeunes filles apprenant la langue française parce que les libraires ne publiaient que des livres pour garçons, sans penser aux écoles françaises de jeunes filles28.

25 (c) Un troisième moyen d’apprendre le français est la lecture de textes éducatifs, à vocation moralisatrice. Un de ces textes a été l’Amadis de Gaule, dont Plantin a publié une première édition « belge », en 1561, à Anvers29. Dans la préface l’imprimeur justifie son entreprise : il a voulu faire un livre scolaire de lectures françaises qui pourrait remplacer les autres livres utilisés dans les écoles.

26 (d) Un dernier outil important était le dictionnaire. La production lexicographique aux Pays-Bas a été très importante au XVIe siècle 30 : non seulement Meurier et Glaude Luython ont publié d’importants dictionnaires et vocabulaires31, mais leur exemple fut

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suivi (et amélioré) par Matthias Sasbout, qui en 1576-79 publia un dictionnaire à Anvers, et par le Frison Elcie Édouard Léon Mellema, qui en 1591-96 publia les deux tomes de son dictionnaire flamand-français et français-flamand32.

2.2. L’enseignement du français au XVIIe siècle

27 Dans les Pays-Bas méridionaux, la coexistence, de longue date, de dialectes flamands et de dialectes d’oïl (le wallon et le picard) et l’influence de la culture et de l’économie françaises expliquent la place importante accordée au français dans l’éducation de jeunes nobles et de fils et filles de marchands (cf. Dibon 1984). Dans les Pays-Bas septentrionaux, on assiste à un nouvel afflux de réfugiés protestants français ou huguenots à partir du début du XVIIe siècle 33. Ces huguenots ont fourni une contribution non négligeable à la vie économique et culturelle dans la République hollandaise. Parmi les grammairiens huguenots actifs aux Pays-Bas septentrionaux au cours du XVIIe siècle34, une place spéciale doit être faite à Duez, à la famille La Grue, à Piélat et à Marin.

28 Nathanael Duez (ou Dhuez) (1609 - mort vers 1670), d’origine alsacienne, enseigna le français, l’italien et l’allemand à un public d’étudiants inscrits à l’université de Leyde. Ses manuels de français35 et d’italien s’adressaient à un public d’adultes des classes supérieures ; de structure plutôt traditionnelle – l’accent étant mis sur la grammaire et la traduction –, ils étaient fort populaires et étaient assez largement diffusés en Europe occidentale et centrale.

29 Thomas La Grue (né vers 1620 - mort vers 1680), un Français émigré, s’établit également à Leyde. Alors que ses deux fils36 enseignaient le français et produisaient aussi le matériel didactique pour leur enseignement37, Thomas s’est surtout attaché à adapter et à augmenter des manuels rédigés par d’autres : toutes les publications auxquelles son nom a été associé sont des compilations38. La Grue adopta dans ses publications le cadre traditionnel de l’enseignement et de la grammaticographie de langues étrangères.

30 Tel ne fut pas le cas de Barthélemy Piélat [‘Bartel Pielat’] (né vers 1640 - mort en 1681), qui était originaire d’Orange. Il est l’auteur d’un manuel de français dont le titre, L’Anti- grammaire (1672-73)39, révèle déjà le caractère non conventionnel. En effet, Piélat donne résolument la priorité à l’oral dans son enseignement, et il préconise une approche inductive plutôt que déductive. Ces options didactiques sont reflétées clairement dans la macrostructure de son manuel : alors que les dialogues destinés à la pratique communicative occupent environ les deux tiers du volume, la grammaire proprement dite se limite à une bonne vingtaine de pages (consacrées à la conjugaison des verbes). On y cherche en vain des règles de prononciation ou des listes de mots, ce qui s’explique par les options méthodologiques de l’auteur. Son rejet de la grammaire formelle et d’une terminologie latinisante se laisse comprendre par le fait qu’il s’adresse à un public d’adultes motivés, mais pas nécessairement familiers avec la grammaire latine, pour qui il importe avant tout d’acquérir une connaissance pratique de la langue étrangère. Par là, son manuel revêt un caractère franchement original. Il convient de mentionner que Piélat n’a pas été imité ou copié, et qu’en préparant la deuxième édition (1681) de son manuel il s’est vu obligé d’ajouter des sections de règles de prononciation, de grammaire et de listes de vocabulaire.

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31 À la fin du siècle, Pierre Marin (né vers 1667-1718) a exercé une très grande influence sur le système éducatif des écoles françaises de la République en rédigeant des manuels spécifiquement conçus pour ce genre d’écoles. Ses ouvrages eurent un très grand succès commercial et furent réimprimés jusqu’au XIXe siècle40. Ce succès s’explique aussi par le fait que, contrairement à ce que faisaient bon nombre de ses collègues, il s’adressait à un public d’enfants et d’adolescents. De plus, sa méthode révèle, aussi bien dans la grammaire que dans les dialogues, une progression graduelle réfléchie, tant sur le plan quantitatif (par l’augmentation du nombre de pages consacrées à la grammaire et par l’expansion des dialogues) que sur le plan qualitatif (par un plan de complexité croissante).

3. Questions de méthode

32 Par « questions de méthode » on peut entendre les questionnements possibles à propos de facteurs déterminants et conditionnants, ou concernant les instances impliquées, les moyens mis en œuvre, les buts et les attentes, dans l’enseignement d’une langue (en l’occurrence le français). Nous nous limiterons à répondre ici, brièvement, à trois questions41.

3.1. Par quels moyens a-t-on appris le français dans les Pays-Bas anciens ?42

33 L’enseignement et l’apprentissage du français aux Pays-Bas a emprunté plusieurs voies, dont certaines sont « tangibles », d’autres moins ; comme « voies d’accès »43, on peut distinguer :

34 - la personne du précepteur / du maître d’école44 ;

35 - le séjour dans le pays étranger, possibilité réservée aux jeunes nobles, aux enfants de marchands effectuant un stage à l’étranger, aux étudiants d’université (suffisamment riches) ;

36 - le contact intensif avec des allophones habitant sur le territoire national ;

37 - les manuels de langue, qui pouvaient être utilisés comme support d’un enseignement suivi, ou comme instruments d’auto-didaxie.

38 Ces types de situation d’apprentissage sont

39 (a) en corrélation avec l’utilisation ou non-utilisation de livres ;

40 (b) en corrélation avec le type de livres utilisés : on peut distinguer ainsi

F0 41 6A les produits « auto-suffisants », tels que les vocabulaires(-colloques)

F0 42 6B les produits « à relais » : ainsi, Peeters Heyns a rédigé une grammaire française et, comme textes d’application, des drames scolaires45

F0 43 6C les produits « en paquet » : Meurier est l’auteur d’un large éventail d’ouvrages didactiques (grammaticaux, lexicaux, « discursifs »)46.

44 (c) en corrélation avec des profils d’auteurs (instances agentives). Ici, on pourrait faire la distinction entre les profils suivants : les maîtres d’école « premier degré », qui ont produit des vade-mecum ; les maîtres d’écoles à visée plus large qui ont produit des grammaires et d’autres textes didactiques ; les précepteurs « ambulants » ; les auteurs

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de « guides » (plurilingues), et, évidemment, les grammairiens savants et les lexicographes.

3.2. Quel a été le public visé ?

45 L’axiome de départ doit être ici que le public d’un enseignement / apprentissage langagier (privé ou public) est un public en situation de « demande ». Il s’agit d’un public en quête d’un certain capital symbolique, souvent dans le but d’améliorer son statut socio-économique.

46 D’un point de vue typologique, on peut reconnaître quatre groupes de demandeurs :

47 (a) la noblesse47 : ce groupe apprend une langue étrangère par curiosité intellectuelle, par goût culturel, et cela en fonction d’un idéal éducatif ; de manière plus spécifique, le français est objet d’apprentissage en tant que langue politiquement importante à l’échelle européenne ;

48 (b) la classe marchande : ce groupe apprend une langue par nécessité professionnelle ; en ce qui concerne la situation de l’apprentissage du français aux Pays-Bas, on constate que, pour ce qui concerne les membres de ce second groupe, les adultes recourent à l’auto-apprentissage par le biais d’ouvrages d’auto-didaxie48, alors que les jeunes apprennent le français dans les écoles françaises ;

49 (c) les étudiants d’université qui vont étudier en France : ce groupe apprend le français par le contact avec des étudiants francophones et avec la population locale ; un support privilégié de leur apprentissage est le manuel de grammaire ;

50 (d) les savants : ce groupe se laisse surtout nettement identifier à partir du XVIIe siècle, quand la communauté scientifique s’est foncièrement laïcisée ; ce groupe recourt à des outils de plus haute gamme (grammaires savantes et grands dictionnaires).

3.3. Dans quelle perspective méthodologique et idéologique a-t-on enseigné/appris le français ?

51 Le problème soulevé par cette question est un problème qui est complexe, non seulement à cause de sa variation à travers les époques, selon les lieux et les groupes sociaux, mais aussi parce qu’il fait intervenir diverses dimensions, qui ne s’articulent pas les unes par rapport aux autres de manière constante.

52 (a) La composante « méthodologique » fait intervenir les dimensions de (la méthodologie de) l’enseignement en général, celle de l’enseignement de la langue (dans son double versant structurel et communicatif : la langue et la parole/le discours) et celle de l’analyse linguistique49.

53 Pour ce qui concerne cet aspect méthodologique, je me limiterai à quelques remarques relatives à l’analyse linguistique (et de son articulation par rapport à l’enseignement/ l’apprentissage communicatif). Il a dû être évident, même si beaucoup d’auteurs gardent le silence à ce propos, que nul enseignant n’a cru qu’une langue vivante pourrait s’apprendre dans une grammaire. Les « moyens » didactiques qui étaient sur le marché suggèrent (ou indiquent) qu’on envisageait l’apprentissage selon deux circuits : l’un, foncièrement inductif, qui s’érigeait sur l’apprentissage de listes de mots et de modèles de conversation (modèles de lettres), l’autre, qui combinait la théorie et la pratique50. Les listes de mots et modèles de conversation, qui parfois étaient

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multilingues (comme dans les remaniements du Berlaimont) offraient l’avantage de s’exercer dans deux (ou plusieurs) langues. L’ancrage des expressions apprises dans des types de situations concrètes (surtout orales) est un autre atout par rapport à l’enseignement qui comportait une partie théorique. Mais ce dernier se destinait à une formation globale et progressive [allant de la graphophonétique à la syntaxe et l’étude de textes, en passant par la morphologie] et l’enseignement de règles y était vu comme une composante importante de la formation de l’esprit. Les deux circuits n’étaient d’ailleurs pas incompatibles : il est intéressant de constater que dans la seconde moitié du XVIIe siècle, on voit se multiplier les grammaires où le français et le néerlandais sont décrits en parallèle51. Ces grammaires sont particulièrement intéressantes, parce qu’elles renseignent mieux sur des problèmes contrastifs importants tels que le fonctionnement des articles et l’emploi des temps.

54 (b) La composante « idéologique » comporte la (valorisation de la) fonction politique, socio-culturelle et/ou cognitive d’une langue, la perception de son utilité, et la reconnaissance de son prestige. Il s’agit ici de reconnaître que l’enseignement et l’apprentissage d’une langue ne sont pas des activités « neutres » et ne l’étaient certainement pas aux Temps Modernes (Frijhoff 1990, 1996, 2010).

55 Dans ses débuts, l’enseignement/l’apprentissage du français a été le plus souvent dicté par une nécessité socio-économique : le français était envisagé comme un intermédiaire indispensable dans le commerce et comme un chaînon dans la formation du marchand (actif dans les conglomérations urbaines et/ou dans le commerce international). Dans la formation assurée par les écoles françaises, l’enseignement du français s’accompagnait d’une instruction en arithmétique, en calligraphie, en tenue de livres, et, dans une certaine mesure, en géographie52. Les écoles françaises contribuent ainsi à l’élaboration d’une forme de « civilité »53 (par le bas), suivant l’exemple préconisé par les colloques d’Érasme et de Vivès, visant à instaurer une civilitas généralisée. Pour les matières constituant le bagage « technique et culturel » de jeunes marchands, le français est utilisé comme véhicule, ce qui indique une montée vers un enseignement de culture générale à travers le français. Cette « montée » s’explique par l’attrait exercé par la culture française, par le modèle « courtois » importé aux Pays-Bas septentrionaux à partir du sud.

56 La perspective idéologique qui commence à changer au XVIIe siècle consiste à concevoir l’enseignement du français comme un corollaire nécessaire de l’imitation des manières françaises ; l’enseignement de la langue se déplace alors vers une position « en aval » par rapport à l’idéal de courtoisie (= une civilité élitaire).

57 L’enseignement du français devient au XVIIe siècle un épiphénomène d’un processus de « culturalisation » française54. Le français, au XVIIe siècle, est associé à la culture française, même si cette culture n’est assimilée que de façon superficielle et même si le français sert avant tout à marquer une distance sociale à l’intérieur de la société néerlandaise. L’enseignement du français est progressivement associé à des activités élitaires, comme la danse, l’escrime, et à des champs élitaires, comme l’héraldique et la titulature. Ce processus d’investissement « aristocratique » du français par un appel à la haute civilisation française entraîne, au XVIIe siècle, un double processus : la francisation de certaines couches du haut de la société, et une réaction anti-française, faisant appel au patriotisme hollandais, aux valeurs traditionnelles. L’opposition est complexifiée par les attitudes adoptées à l’égard de l’afflux de huguenots.

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58 En débordant le cadre chronologique que nous nous sommes imposé, nous voudrions faire remarquer qu’au XVIIIe siècle la situation changera : le français sera revalorisé dans sa vocation universelle, humanitaire et humaniste, comme instrument philosophique, comme moyen d’émancipation. Cela confère au français de nouveau un rôle de promoteur de « socialisation », de langue sous-tendant une éducation générale, répondant aux besoins et aux attentes de la société moderne. Les manuels de français aux Pays-Bas de la fin du XVIIIe siècle s’érigeront alors en guides pour l’homme savant : cela apparaît de l’inclusion de dialogues dans les manuels de dialogues qui font le tour, historique et politique, de l’Europe (occidentale)55.

Conclusions

59 Quelles sont les conclusions, de portée générale, qui se dégagent de notre examen ?

60 Une première conclusion, en rapport direct avec l’histoire de la didactique, est que l’étude de l’enseignement de langues (au pluriel) doit faire intervenir non seulement les produits didactiques et leur utilisation, mais aussi des facteurs moins tangibles tels que (1) le prestige et la diffusion d’une langue, (2) les relations de contiguïté géographique de langues, (3) les situations et les attitudes politiques et idéologiques, (4) l’histoire sociale, économique et religieuse.

61 Une seconde conclusion, au plan de l’encadrement de la didactique, est l’inclusion, à partir d’un angle écolinguistique, de conceptions qui font référence à ce qu’on l’appelle « l’architecture d’une langue »56 : il s’agit d’établir la corrélation entre le corpus didactique (et particulièrement grammaticographique et lexicographique) et les questions de norme, de registre, de valorisation (ou de rejet) de certains usages langagiers.

62 Enfin, au plan de l’approche didaxologique, nous croyons que la conclusion globale qui s’impose est celle de la (nécessité d’une) recherche interdisciplinaire : l’objet d’étude est très complexe et requiert, entre autres, à côté de compétences historiques dans différents domaines, l’étude des relations entre les langues, à travers le phénomène des traductions, des emprunts linguistiques, de la diffusion de topoi culturels, littéraires et idéologiques. En somme, il s’agit de cerner les mécanismes culturels qui sous-tendent l’exercice du plurilinguisme ou l’aspiration au plurilinguisme, qui concernent le langage comme objet symbolique (et comme lieu d’investissement symbolique) et qui caractérisent, au niveau le plus profond, l’épistémé d’une société. Il s’agit, en fin de compte, de confronter le discours de l’histoire avec le discours des historiens, ou les discours-témoins avec les discours interprétatifs.

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Figure 2 : Affiche publicitaire (s.d.) de J.-J. La Grue

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Appendice

Figure 1 : Modèle d’analyse

NOTES

1. Ce texte est la version considérablement remaniée (et munie de notes et de références) de l’exposé oral fait à la Maison Descartes, le 23 novembre 2013. Afin de respecter les contraintes d’espace, nous avons réduit, ou même supprimé, certaines parties de l’exposé oral : l’analyse de la

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production didactique de Gabriel Meurier (voir l’information condensée dans la note 46), l’aperçu de la production didactico-grammaticale aux Pays-Bas (septentrionaux et méridionaux) au XVIIe siècle (cf. Swiggers & De Clercq 1995), et les considérations à propos de l’ensei-gnement du français au XVIIIe siècle (voir l’information succincte dans la note 55). Je tiens à remercier Marie-Christine Kok Escalle et Karène Sanchez-Summerer de leur invitation et de leurs encouragements, et le public de la journée du 23 novembre de ses questions intéressées. J’adresse mes remerciements à Jan De Clercq et à Nico Lioce, avec qui j’ai eu le plaisir de collaborer à diverses reprises en matière d’historiographie de la didactique du français. 2. L’expression néerlandaise est « de Lage Landen » ; ce territoire englobe les « Pays-Bas septentrionaux » (Provinces unies) et les « Pays-Bas méridionaux [ou espagnols] », après la scission politico-religieuse à la fin du XVIe siècle. 3. Pour l’emploi des notions de longue, moyenne et courte durée en historiographie de la linguistique, voir Swiggers (2004). 4. Pour une argumentation à ce sujet, voir Swiggers (1998, 2001a). 5. Sur les implications méthodologiques du travail de l’historien de la didactique (du français), voir Swiggers (1998) et l’aperçu synthétique de Frijhoff, Suso López & Swiggers (2012). 6. Ce modèle développe (et synthétise) nos propositions antérieures en vue d’un « modèle calibré » d’analyse historiographique ; cf. Swiggers (1992, 2006, 2010, 2012). 7. La Figure 1 réunit les composantes d’un modèle d’analyse pour l’histoire de la production didactique concernant une langue X (enseignée/apprise comme L2, ou même comme L1). À ces composantes on peut rattacher une division du travail : entre historiens de l’enseignement et des pratiques didactiques (ceux-ci prennent comme objet d’étude principal les situations didactiques et les « mises en matière/forme didactiques »), historiens de la grammaticographie et de la lexicographie (étudiant les « produits »), historiens du livre et historiens-biographes (qui étudient des figures d’auteurs, les circuits des imprimeurs, éditeurs et libraires), historiens de la langue (s’intéressant à la « langue-substance » et son évolution à travers le temps) et historiens des mentalités et des sociétés (s’intéressant au « contexte général »). 8. Pour un aperçu global de la production didactique et du contexte, voir Riemens (1919) et Frijhoff (2010). 9. Pour un inventaire et une première analyse de la production grammatico-graphique dans les Pays-Bas anciens au XVIe siècle, cf. Swiggers & De Clercq (1995). 10. À propos de l’enseignement du français dans la ville flamande de Hasselt, voir l’analyse de Gessler (1923). 11. Certaines villes comme Groningue, Nimègue, Tiel, Utrecht, Deventer possédaient ce droit dès l’époque médiévale. 12. Tel n’était pas le cas en Flandre ; un exemple célèbre d’école pour filles est « Le Laurier » (De Lauwerboom) de Peeter Heyns ; cf. Sabbe (1929) et Dibbets (1983, 1994). 13. C’était le cas pour Amsterdam, Leyde, Gouda, La Haye et Alkmaar à la fin du XVe siècle. 14. La preuve en est que des villes, en Hollande et en Zélande, comme Amsterdam, Rotterdam, Leyde, Delft, Middelbourg, Utrecht, Gouda, L’Écluse (Sluis), La Brielle (Den Briel) et d’autres villes commerçantes faisaient de leur mieux pour attirer les maîtres par des gratifications ou même par des subventions annuelles. 15. Voir l’édition de ce texte, imprimé à Bruges, par Gessler (1931). 16. À propos de cet ouvrage, voir infra. On se reportera maintenant à l’étude fondamentale de Pablo Núñez (2010) sur les dictionnaires (contenant l’espagnol) des XVIe et XVII e siècles ; une place très large y est faite au vocabulaire et aux colloques de Berlaimont. 17. Un ouvrage très populaire était le manuel de Gérard du Vivier/de Vivre, maître d’école gantois qui, après un passage par Anvers s’établit à Cologne : Lettres missives familieres, entremeslées de certaines confabulations, non moins utiles que recreatives. Cet ouvrage a dû connaître ses premières éditions à Anvers dans les années 1580, mais aucun exemplaire des premières

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éditions n’a été conservé. Sur Du Vivier, voir plusieurs contributions (entre autres de A. Weisshaar et G. Holtus) dans De Clercq, Lioce & Swiggers (éds 2000). 18. Voir Briels (1972-73, 1985) et Frijhoff (1998). 19. Riemens (1919 : 44) constate qu’environ la moitié des réfugiés qui donnaient des cours de français étaient d’origine anversoise. Cela s’explique par le fait que l’importance commerciale d’Anvers avait attiré beaucoup de maîtres de français, qui ensuite ont émigré vers le Nord à cause des persécutions religieuses. 20. À La Brielle, on donnait asile à Philips Wilbeeck, un Flamand qui enseignait le français. Il y ouvrit une école particulière avant de retourner en Flandre. Le protestant Pieter Sterlincx, originaire d’Anvers, le remplaça après son départ. Quand celui-ci repartit à Malines, le poste fut occupé pendant plusieurs années par un Hollandais. En 1583, Jacques Vercammen d’Anvers occupait le poste d’enseignant de français dans cette ville. À Gouda, en 1583 la municipalité accorda à Gysbert Dorisy de Malines la permission d’enseigner la lecture, l’écriture, l’arithmétique et le français. Dès 1590, il entrait en concurrence avec l’Anversois Hans Pietersz. À Haarlem, on n’a pas trouvé de traces d’un enseignement du français dans les archives, ce qui montre que les deux maîtres de français qui y étaient actifs ne recevaient aucun support de la ville. L’Anversois Kerstiaen Offermans y a fondé une école pour filles et Peeter Heyns donnait des cours de français. Dans la ville de Kampen, Jacques Heyns, le fils de Peeter Heyns, était maître d’une école française. À Deventer, le Bruxellois Peter Gillaeus et un autre Flamand, Johan Descamps, étaient maîtres de français et à Leyde, Peeter des Chams était actif comme maître de français. À Rotterdam, on retrouve le Gantois Pierre-Anastaise Hyperphragme (cf.infra) ; à Delft, il y avait deux enseignants de français d’origine anversoise (Félix van Sambix [Sambecke] et Jean Coutrel [Jan Coutereels]). Dordrecht a vu un afflux important de réfugiés flamands enseignant le français. Grâce à sa position géographique favorable, à la bifurcation des grandes routes maritimes d’Anvers à Amsterdam et à Cologne, c’était un centre commercial très important. Les maîtres de français ont quitté la ville de Dordrecht en 1572 quand elle fut prise par les Gueux. En 1591, dix hommes et quelques femmes y enseignaient le français (entre autres Pieter Rogiers et Jacques R. de Malines, le Gantois Pieter Zegers, les Anversois Jacques de Bruyn, Gerardt Ruts et sa femme Isabeau, Bernardt Stockmans, Jan Robijn et Isaac Vollevens, Elizabeth Schijns et Sara Pamphii). 21. Rappelons ici la typologie binaire proposée par Riemens (1919 : 223 et sv.), qui distinguait « les ouvrages d’instruction » et « les ouvrages d’application » (cette deuxième catégorie englobe les modèles de lettres, les vocabulaires et les dialogues, les drames scolaires, les livres de lecture et des ouvrages d’histoire, de géographie, de calligraphie, etc.). 22. En fait, l’ouvrage d’Anselare avait été précédé par un opuscule (bilingue), donnant les conjugaisons du français et du flamand, dû à Noël de Berlaimont, dont on ne connaît pas la première édition (une édition, posthume, de 1545, a paru à Anvers, sous le titre Die coniugacien in Franchoys ende in Duytsch oft in Vlaems). 23. Ainsi Heyns a-t-il publié chez Plantin en 1568 son ABC, oft Exemplen om de kinderen bequamelick te leeren schryven, inhoudende veel schoone sentencien tot onderwysinghe der ionckheyt et en 1584 son Instruction de la Lecture Françoise, & du Fondement de l’Arithmetique, Ensemble Les Prieres & exercice ordinaire des Escolieres. 24. De cette édition, il n’existe qu’un seul exemplaire incomplet. 25. Sur l’œuvre de Heyns et sur la famille Heyns, voir Sabbe (1929), Dibbets (1983, 2000) et Meeus (1993, 2000). 26. Vocabulaire de nouveau ordonne et derechief recorrige pour aprendre legie-rement a bien lire, escrire et parler fransoys & flameng (cf. Lindemann 1994 : 35-36 et Claes 2000 : 217). La seconde édition du dictionnaire de Berlaimont parut en 1536 à Anvers (chez W. Vorsterman). 27. D’après les lieux de publication et de diffusion, certaines langues sont ajoutées et d’autres sont supprimées dans le dictionnaire (et recueil de dialogues) polyglotte ; cf. Verdeyen (1926-35),

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qui fournit un inventaire, non exhaustif par ailleurs, des nombreuses rééditions et adaptations, et l’examen détaillé dans Pablo Núñez (2010, I, 91-198 ; II, 202-311). Voir aussi Aubert (1993). 28. Trois ans plus tard, Zacharie Heyns publia un livre destiné à l’enseignement de la lecture du français et à vocation moralisatrice, à savoir Le miroir des escoliers representant les bonnes et mauvaises meurs de toute la Jeunesse. Le livre est un long poème divisé en strophes de quatre vers, dont les deux premiers montrent toujours le « bon enfant », et les deux suivants esquissent le caractère opposé. 29. En 1560 Plantin avait déjà publié, à la suite de l’imprimeur parisien Étienne Groulleau, une anthologie des lettres et des discours contenus dans l’Amadis, sous le titre Le Tresor des Amadis. 30. Pour un inventaire et un aperçu synthétique, voir Claes (1974, 2000) ; pour le détail des éditions et des exemplaires conservés, voir Lindemann (1994). 31. Gl. Luython, Dictionnaire en Franchois et Flameng ou bas allemant tresutile pour apprendre les deux langages (Anvers, 1552) ; G. Meurier, Vocabulaire françois-flameng (Anvers, 1557), Dictionnaire flamen-françois (Anvers, 1563) et Magazin de Planté (Anvers, 1573). 32. Dictionnaire ou promptuaire flameng-françoys (1591) et Dictionnaire ou promptuaire françoys- flameng (1596). Ce dictionnaire est une refonte du Dictionnaire flameng-françoys et Dictionnaire françoys-flameng (Anvers, 1576-79) de Sasbout. Le dictionnaire de Mellema, conçu pour un public de commerçants et d’artisans, aura plusieurs rééditions ; en 1643 il est revu et corrigé par Jean- Louys d’Arsy, qui le publie sous le titre Le grand dictionnaire françois-flamen et flamen-françois. Pour une analyse métalexicographique, cf. Swiggers (2007c). 33. Cf. Arnal (1976), Kok Escalle (1998), Loonen (2000). 34. Pour un aperçu plus large, du XVII e au XIX e siècle, voir van Strien-Chardonneau & Kok Escalle (2009). 35. L’œuvre de D(h)uez a connu une importante diffusion aux Pays-Bas septentrionaux et en Allemagne : Le vray et parfait guidon de la langue françoise, Avec quatre dialogues françois et allemands (Leyde, 1639 ; une douzaine de rééditions au XVIIe siècle) ; Dictionnaire françois-allemand-latin et allemand-françois-latin avec un petit abregé de grammaire françoise (Leyde, 1642) ; Neue vermehrte und verbesserte französische Grammatica (Hanau, 1674 ; une dizaine de rééditions au XVII e siècle). Signalons que D(h)uez a également collaboré à une édition révisée de la Janua de Comenius (Janua Aurea quinque Linguarum reserata. Sive Compendiosa Methodus Latinam, Germanicam, Gallicam, Italicam et Graecam Linguam perdiscendi, sub Titulis centum Periodis mille comprehensa & Vocabulis, bis mille et pluribus aucta ; Hacque nova editione a mendis imprensoris Elseviriana correcta et emendata, a Nathanaele Dhuez in idioma Gallicum et Italicum, a Theodoro Simon autem in Graeca traducta, Genève, 1643 ; Frankfurt, 1644). Cf.Loonen (1995) et Szoc (2013, où l’on trouvera un profil bio- bibliographique de N. Duez). 36. Il s’agit de Jean-Jacques et Philippe La Grue ; ceux-ci ont pu mettre à profit la renommée de leur père en tant que précepteur et descripteur de la langue française, comme le montre l’affiche publicitaire (s.d.) que Jean-Jacques La Grue a fait imprimer (voir la reproduction, en format réduit, dans l’Appendice, Figure 2). 37. Voir par ex. Philippe La Grue. Nouvelle facile introduction aux Langues françoise et flamande (Amsterdam, 1698) ; cf. Riemens (1919 : 226) et Loonen (2000 : 330). 38. Voir Grammatica Gallica, ex celebrioribus Grammaticis collecta (Leyde, 1654 ; plusieurs éditions, dont une édition allemande : La grammaire françoyse. Frantzösische Grammatica aus des Herrn la Grue in Lateinischer Sprach verfertigt, von neuem in die Teutsche übersetzt, Heidelberg, 1678) ; La vraye Introduction à la Langue Françoise (Amsterdam, 1669 ; plusieurs éditions). 39. L’Anti-Grammaire (Amsterdam, 1672-73 ; édition revue et corrigée, Amsterdam, 1681). Voir aussi du même auteur, Les exercices de l’Anti-Grammaire (Amsterdam, 1681) et Le secrétaire incognu (Amsterdam, 1671 ; plusieurs éditions, dont une édition parue à Amsterdam en 1679 sous le titre Le secrétaire nouveau).

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40. Nouvelle méthode pour apprendre les principes et l’usage des langues françoise et hollandoise (Amsterdam, 1694 ; nombreuses rééditions au XVIIIe siècle) ; Methode familiere pour ceux qui commencent à s’exercer dans la langue françoise (Amsterdam, 1698 ; très grand nombre de rééditions aux XVIIIe et XIXe siècles) ; Nouvelle grammaire françoise. Nieuwe fransche grammatica ofte oprechte methode (Amsterdam, 1718 ; nombreuses éditions au XVIII e siècle). Après la mort de Marin, de nombreux ouvrages didactiques traduits, adaptés ou remaniés à partir des manuels de Marin, ont été publiés aux Pays-Bas, comme l’Instruction pour la jeunesse, of gemeenzame en gemakkelijke leerwijze, voor de geene die zich in ‘t Fransch beginnen te oeffenen (Amsterdam, 1744). Cf. Loonen (1997a,b). 41. On se reportera aussi à la discussion méthodologique entamée dans l’article de Kok-Escalle (1998). 42. Pour un aperçu global, voir Swiggers (2007b). 43. Sur l’image de la « voie d’accès », voir Swiggers (2010). 44. Souvent on ne connaît que le nom de ces précepteurs (cf. les listes dans Riemens 1919 ; et voir De Groote 1967-68 pour un relevé analytique des maîtres d’école à Anvers). Pour certains textes didactiques on ne connaît pas l’auteur. 45. Heyns est l’auteur de trois drames scolaires (écrits pour ses élèves anversois, mais publiés plus tard, quand l’auteur s’était établi à Amsterdam) : Le Miroir des Mesnageres ; Le Miroir des Vefves. Tragedie sacrée d’Holoferne et Iudith ; Jokebed. Miroir des vrayes meres (cf. Meeus 2000 : 310-313). 46. Dans l’exposé oral, nous avions analysé plus en détail la production « globale » de Gabriel Meurier, totalisant 28 ouvrages didactiques, publiés à Anvers principalement chez Plantin ou chez Van Waesberghe (cf. De Vreese 1897 ; De Clercq 2000). La production de Meurier se caractérise par - sa variété (et la variation) : elle comprend des ouvrages de lexicographie et de grammaire, des colloques, des modèles de lettres, des recueils de proverbes et des (choix de) textes édifiants ; - son orientation « à cible multiple » : à côté d’ouvrages destinés uniquement à des garçons ou à des filles, il y a des textes pour garçons et filles, tout comme il y a des ouvrages destinés à un public d’adultes, ou des ouvrages s’adressant à un public d’enfants et d’adultes. 47. Rappelons que la noblesse est le public cible par excellence d’un grand nombre de grammaires et de manuels du français destinés aux anglophones et aux germanophones ; cf. Kibbee (1988, 1991) et Swiggers (1992). 48. Sur le rapport entre types de produits didactiques et auto-didaxie, cf. Swiggers (2009). 49. Nous ne pouvons approfondir ici le contenu de cette composante méthodologique ; pour un exposé plus développé, cf. Swiggers (2001b, 2004, 2010, 2012). 50. Rappelons ici un passage du sonnet composé par Christophe Plantin et dédié à Peeters Heyns, au début du Cort Onderwys : « Vous enfans desireux d’apprendre & marier Le langage François & le Flamand cymbrique Comme la nation & Celtique & Belgique, Sous le seul nom de Gaule on void s’apparier. Diligemment vous faut ce Livre estudier : Et joignant la Practique avec la Théorique, Parler double langage avecques langue unique. Apres que vous sçaurez les Verbes varier. Ici vous trouverez toute la liaison Des huict membres qui font le corps de l’Oraison, Par qui sont gouvernez les peuples & les villes. Et par qui le marchand sa traffique entretient L’artisan son mestier, & le Prince y maintient Le Corps du bien public dessous ses loix civiles. » (italiques nôtres).

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51. Voir par exemple, 1661. Guillaume Beyer. La vraye instruction des trois langues […] De rechte onderwyzinge van de Fransche, Engelsche en Nederduitsche talen ; 1699. Jan Vaerman. Ontledingh der Fransche spraeck-konst […] L’anatomie de la grammaire françoise ; 1700. J.-F. Van Geesdalle. Le Paralléle des deux langues françoise et flamende. (Sur ces ouvrages voir, respectivement, Swiggers 2010, Lioce & Swiggers 2000 et Boone 2000). 52. Une édition abrégée, et destinée à l’instruction des enfants et des esprits curieux, du grand atlas d’Ortelius, Theatrum Orbis Terrarum fut publiée en néerlandais et en français (titre français : Le Miroir du Monde) ; à ce petit manuel de géographie (et d’histoire politique), Peeter Heyns apporta aussi sa contribution. Son fils Zacharie publia en 1598 une nouvelle édition du Miroir du Monde. 53. Sur ce concept, voir l’étude classique d’Elias (1969). La civilité a d’abord désigné l’affabilité, mais le terme deviendra synonyme de « politesse » et de « courtoisie », pour prendre le sens de « honnêteté, probité, ensemble de qualités morales requises dans une société civilisée ». 54. Même s’il faut utiliser avec précaution un terme comme « francisation » ; cf.Frijhoff (1989a,b, 1990). 55. Mentionnons à titre d’exemple le manuel de Charles Cazelles, Nouvelle méthode familière, pour l’usage de ceux qui veulent apprendre la langue françoise (on ne connaît pas la date de la première édition : peut-être 1769 ?), ouvrage qui a connu un grand succès tout au long du XIXe siècle. Cet ouvrage comporte un vocabulaire organisé de façon thématique, 18 leçons qui sont surtout des listes d’expressions et de phrases toutes faites, et 67 dialogues dont les premiers sont des modèles de conversation, mais qui sont suivis de véritables synopses d’histoire et de géographie (des Pays- Bas et, dans une certaine mesure, de l’Europe occidentale). 56. Cf. Coseriu (1981, 1988); Oesterreicher (1988); Swiggers (2001a). 57. Afin de ne pas alourdir la bibliographie, nous n’avons pas repris ici les titres des ouvrages du XVIe et du XVIIe siècle, cités dans le corps du texte ou dans les notes. Pour plus d’informations bibliographiques, on pourra se reporter à Riemens (1919 : 223-271) et à Swiggers (2007a, b).

RÉSUMÉS

Le français a été enseigné, comme langue seconde ou étrangère, dans les anciens Pays-Bas depuis le Moyen Âge. Son enseignement a été ébranlé, porté et stimulé par des facteurs de nature diverse : politiques, religieux, socio-économiques et culturels ; il s’est appuyé sur des « instances » privées et institutionnelles – le circuit des maîtres et des écoles – et sur des supports divergents : (a) oral et écrit ; (b) grammatical, lexical, « textuel ». Dans son évolution aux XVIe et XVIIe siècles, cet enseignement – dans son rapport changeant avec l’évolution de la langue française et celle de sa description – a accompli un parcours marqué par quelques constantes et par des mutations affectant le contenu et la méthode de la didactique des langues.

Starting in the Middle Ages French was taught, as a second or foreign language, in the so-called Low Countries. Its teaching was triggered and stimulated by various factors: political, religious, socio-economical and cultural. Its teaching and learning was sustained by private and institutional instances – the network of teachers and schools – and by diverse supporting materials and tools: (a) oral and written; (b) grammatical, lexical, and « textual ». In its evolution during the 16th and 17th century the teaching of French, in its changing relation to the development of the French language and of its description, has followed a path marked by a

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number of constant features and by mutations that affected the content and method of language didactics.

INDEX

Mots-clés : Enseignement et didactique du français. Grammaire française. Manuels de langue. Pays-Bas. Vocabulaire(s). Dictionnaire(s). Keywords : French grammar. Language didactics and Language teaching. Language manuals. Low Countries. Vocabulary and Dictionary.

AUTEUR

PIERRE SWIGGERS K.U. Leuven & Université de Liège

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Un maître de langues et de pension française dans les Provinces-Unies du XVIIIe siècle, Étienne-Bernard de Villemart (1724-1799)

Madeleine van Strien-Chardonneau et Kees van Strien

1 Ce n’est que tardivement – au XIXe siècle – que l’on assiste aux Pays-Bas à une institutionnalisation du métier de professeur de langues (langues vivantes étrangères parmi lesquelles le français occupe une place de choix), conjointement à une série de lois organisant respectivement l’enseignement primaire (1806, 1857), l’enseignement secondaire (1863), l’enseignement supérieur (1876). Cependant, même si la reconnaissance institutionnelle de la profession et de la discipline est tardive, l’enseignement du français aux Pays-Bas est dispensé depuis le début du XVIe siècle par des hommes de métier que l’on désigne sous le nom de maître de langue(s) et qui exercent leur profession dans les écoles dites françaises ou à titre privé (Loonen 2000 : 319).

2 Le maître de langues est plus soucieux d’efficacité que de théorie – pas de formation professionnelle à l’époque – , il s’appuie sur son expérience, propose des modèles de pratique à travers ses ouvrages ; ce n’est pas un théoricien, mais il explique parfois ses objectifs et les moyens mis en œuvre dans des préfaces, avis aux lecteurs ou dialogues destinés aux exercices de conversation et qui mettent en scène maître et élève. Bien qu’il ne soit pas aisé de retracer le parcours de ces maîtres, entre autre parce qu’ils ne sont pas systématiquement enregistrés comme tels dans les archives1, on sait grâce à divers travaux2 qu’ils furent nombreux.

3 Présentant Claude de Sainliens, un maître de langue de renom, André Reboullet (1992 : 1-4) distinguait parmi les maîtres de français langue étrangère (en grande majorité des francophones et non des autochtones), les aventuriers, les frontaliers (Alsaciens, Flamands, Suisses), les émigrés protestants. Ceci vaut pour le contexte néerlandais : certes, on n’a pas d’aventurier notoire à donner en exemple et il y a aussi des catholiques comme Jean-Nicolas de Parival qui donna, au XVIIe siècle, des leçons

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privées aux étudiants de l’université de Leyde et écrivit des dialogues à leur intention, mais au XVIe siècle, on trouve en effet des maîtres de langue bilingues d’origine wallonne ou flamande qui ont fui les Pays-Bas méridionaux à la suite des persécutions religieuses3, surtout après la chute d’Anvers (1585) et qui trouvent refuge dans les Pays- Bas septentrionaux devenus République des Sept Provinces-Unies en 1579. Au début du XVIIe siècle commencent à arriver des réfugiés français dont l’afflux va augmenter considérablement après la Révocation de l’Édit de Nantes (1685) et se poursuivre jusque vers 1750 (Loonen 2000 : 317-318). Loonen a montré en s’appuyant sur quatre exemples (Nathanael Duez, Thomas La Grue, Barthélémy Piélat et Pierre Marin), l’apport indéniable des huguenots à l’enseignement du français en Hollande au XVIIe siècle.

1. De E.B.D.V. à Étienne-Bernard de Villemart (v. 1724-1799)

4 Nous présentons ici un autre exemple de maître qui donna des leçons de français, mais fut surtout maître de pension française, type d’établissement qui a constitué un facteur important de diffusion de la langue française et des valeurs socioculturelles attachées à cette langue. Dès la fin du XVIe siècle, on trouve dans la plupart des villes de la République une école dite française, c’est-à-dire dans laquelle l’enseignement des diverses matières est dispensé en français ; créées à l’origine pour pourvoir à l’instruction des enfants des réfugiés, elles vont être également fréquentées par les enfants de la population locale, surtout ceux des classes moyennes qui, à côté du français apprenaient l’arithmétique, la comptabilité, la géographie, l’histoire, la navigation ; on trouve également à côté de l’école relevant de la municipalité, des écoles privées prenant des élèves en demi-pension ou pension complète ou externes. Les maîtres de ces écoles devaient obtenir une autorisation pour s’installer et au XVIIIe siècle, on constate un nombre accru de demandes (De Booy 1980 : 139).

5 À la différence des maîtres des XVIe et XVII e siècles, dont on connaît les ouvrages souvent maintes fois réédités, mais dont on sait, pour le reste, assez peu de choses, il est plus aisé de trouver des informations sur ceux du XVIIIe siècle grâce aux annonces placées dans la presse francophone et néerlandophone alors en plein essor et c’est précisément en dépouillant cette presse périodique qu’il a été possible de retracer la carrière d’un auteur dont nous ne connaissions d’abord que les initiales sur la page de titre d’un ouvrage repéré dans les fonds de la Bibliothèque Royale de La Haye ; cet ouvrage utilisé pour une recherche antérieure (Kok Escalle 2011-2012 ; van Strien- Chardonneau 2011-2012) s’intitule : Dissertation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles ou réflexions d’une mère tendre & raisonnable, adressées à sa fille par E.B.D.V.

6 Nous fiant aux notices de catalogues de bibliothèques, nous avions d’abord pensé qu’il s’agissait d’un certain Boudier de Villemert ou Villemart4, mais E.B.D.V. s’est avéré être Étienne-Bernard de Villemart, maître de langues et maître de pension. Villemart n’a pas écrit de manuels, grammaire et/ou dialogues comme Piélat, Parival ou Marin et les deux titres retrouvés n’ont pas connu un succès éditorial comparable à ceux de Parival5 ou encore à ceux de Marin dont les ouvrages sont encore utilisés au XIXe siècle (Loonen 1997 : 15-21).

7 En effet, Villemart a publié sa Dissertation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles, à compte d’auteur en 1779, et en 1783 Lectures morales, ou les vertus et les vices sont

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représentés avec les couleurs qui leur sont propres (Amsterdam, J. Schalker)6. Par contre il a laissé de nombreuses traces dans les journaux : il place des annonces pour des leçons particulières de français chez lui ou chez les élèves éventuels, il annonce également ses ouvrages, et on le voit souvent occupé à recruter des maîtres et à faire de la publicité pour ses divers pensionnats7.

8 Dans ce qui suit, nous donnons en premier lieu une biographie de Villemart, biographie que nous espérons pouvoir compléter lors de recherches ultérieures ; puis, nous appuyant sur le dépouillement d’un certain nombre de journaux de l’époque (cf. note 7), nous retracerons sa carrière. Du fait des limites imposées dans le cadre de cet article, nous présenterons brièvement le contenu de ses deux ouvrages, en mettant cependant l’accent sur un projet de formation professionnelle de gouvernantes.

2. Aperçu biographique

9 D’après les données trouvées dans les archives de la ville d’Amsterdam et le fichier wallon conservé à la Bibliothèque universitaire de Leyde8, il est possible de reconstituer partiellement la biographie de Villemart.

10 Le fichier wallon indique qu’il a été enterré à La Haye le 30 novembre 1799 et qu’il était alors âgé de 75 ans. Il serait donc né en 1724, mais nous ne savons pas où. Il se pourrait qu’il soit issu d’une famille huguenote réfugiée en Angleterre : le fichier wallon mentionne en effet qu’il est reçu membre en 1770 de l’église de Naarden (on sait qu’il a tenu quelques années – de 1773 à 1775 – une pension à Naarden9) par témoignage de l’église (française) de Londres. Le fichier wallon conserve également une attestation du 1er décembre 1771 de l’église française de Londres pour Étienne-Bernard de Villemart demeurant à Bury dans le Suffolk. Mention un peu mystérieuse car, à cette époque, il se trouve à Amsterdam. Peut-être est-ce l’adresse à laquelle il résidait avant de venir s’installer dans les Provinces-Unies. Il reste encore bien des points à élucider dans la biographie de Villemart. En tout cas il fait lui-même allusion dans sa Dissertation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles… (1779 : 12) à une expérience d’enseignement avec des jeunes filles anglaises, ce qui laisserait à penser qu’il a également exercé son métier de maître de langues en Angleterre.

11 En tout cas, on sait qu’il se trouve au plus tard dans les Provinces-Unies en 1753 (il a alors 29 ans) car le 14 septembre 1753 sont publiés les bans de son mariage avec Michèle Françoise Legras (reçue membre de l’église d’Amsterdam le 24 juin 1749). Peut- être y est-il arrivé plus tôt : en effet, dans le Journal d’Amsterdam du 22 mars 1783, qui recense ses Lectures morales, il est fait allusion à « la jeunesse à l'éducation de laquelle il travaille depuis plus de 30 ans ». Il pourrait donc s’être trouvé en Hollande dès 1750, mais il se peut aussi que l’on réfère à sa carrière en Angleterre.

12 Le couple aura trois enfants, Claude Traizain Étienne né le 15 décembre 1755, Jacques François né le 14 février 176010 et une fille, Marie-Anne dont on sait seulement qu’elle épousa un certain William/Guillaume Allen11 (bans publiés le 3 avril 1778) dont elle eut un fils né le 15 janvier 1779 et baptisé dans la vieille église wallonne d’Amsterdam le 20 janvier.

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3. La carrière de Villemart : d’Amsterdam à Abcoude

13 La première mention de la pension de Villemart date de 1756 : elle est alors située au Leidsegracht à Amsterdam. Il va déménager souvent entre 1756 et 1788, dans Amsterdam même et en dehors. C’est ainsi qu’en 1761, il quitte cette ville pour Nieuwersluis, situé entre Amsterdam et Utrecht, au bord de la Vecht ; c’est la région où les riches négociants et les patriciens ont leur maison de campagne. Villemart espère probablement trouver un public aisé pour sa nouvelle pension. Une annonce dans la Gazette d’Utrecht du 7-4-1766 nous donne quelques informations sur cet établissement :

E.B. de Villemart, maître de pension à Nieuwersluys, donne avis que, pour que ses élèves ne souffrent point des suites de la longue et douloureuse maladie qui l’a rendu boiteux et qui exige de lui un régime particulier, il vient d’associer à sa pension une personne qui, ayant fait ses études latines et de mathématiques dans une des Académies de ces provinces, est bien en état de le seconder dans les soins importants qu’exige une pension ; et que, pour le prix de 360 par an, y compris le blanchissage, menus raccommodages, le perruquier, les livres, plumes, encre et conformément aux conditions imprimées qui se trouvent chez lui et chez les libraires Magerus à Amsterdam et Spruyt à Utrecht, les jeunes gens y sont instruits dans la religion, le hollandais, le français, l’allemand, le latin, l’écriture, l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie et dans tout ce qui peut contribuer à former le cœur et l’esprit des enfants comme la morale, la géographie, l’histoire, la musique vocale, le clavecin, le dessin et la danse.

14 Le prix de la pension est assez élevé : à titre de comparaison, De Booy, dans son ouvrage Kweekhoven der wijsheid (1980) sur les écoles des villes de la province d’Utrecht, donne des prix variant de 150 à 400 florins.

15 Dans le programme proposé, on peut remarquer le latin, dont l’enseignement ne serait donc pas l’apanage exclusif des écoles latines. Le clavecin, le dessin, la danse, indiquent aussi qu’on s’adresse très probablement à des élèves issus des élites.

16 Villemart a-t-il eu des problèmes financiers ou autres ? De mai à novembre 1769, il propose des leçons particulières à domicile chez les propriétaires de maisons de campagne sises entre Abcoude et Maarssen et en 1772, on le retrouve à Amsterdam, où apparemment il ne tient pas de pension mais se contente de leçons particulières chez lui ou chez les élèves éventuels, jeunes filles, jeunes gens, adultes également si l’on en juge d’après cette annonce :

`s avonds van 6-9 college voor heren om frans te oefenen via conversatie of door het lezen van couranten en tijdschriften en goede boeken12. (AC : 31-10 et 5-11-1772, LC : 6-11-1772)

17 De nouveau, il quitte Amsterdam et cherche fortune ailleurs : il ouvre un pensionnat de garçons à Naarden le 1er mai 1773, recrute des maîtres pour le hollandais, l’allemand, le latin, l’écriture, le calcul, la géométrie et propose des leçons concernant le commerce, l’art militaire, la marine (LC : 10-3-1773, OHC : 8-6-1773).

18 En 1776, on le trouve de nouveau à Amsterdam où il ouvre le 22 octobre 1776 un pensionnat de garçons sur le Herengracht ; il donne en outre, quatre soirs par semaine, des leçons de français à des jeunes gens travaillant chez des négociants (AC : 22-10-76) et il arrondit à plusieurs reprises ses revenus en louant des chambres à des particuliers

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(OHC : 6-11-1779, N-H Courant : 20/29-9 et 7/12-10-1780). Quelques années plus tard, il ouvre en mai 1780, une pension française et anglaise sise d’abord sur le Prinsegracht (N-H Courant 24-5-1780) puis sur le Herengracht le 1er mai 1783 (Diemer C. : 28-4-1783, AC : 29-4-1783).

19 En 1788, Villemart quitte définitivement Amsterdam pour s’installer à Abcoude13 : on ne connaît pas les raisons de son départ ; il est seulement fait allusion dans une de ses annonces à de tristes circonstances ; il semble en tout cas avoir remporté un certain succès :

De nieuwe kostschool, welke E.B. de Villemart door droevige omstandigheden genoodzaakt geweest is te Abcoude op te richten, een goede opkomst hebbende, heeft hij behalve de gewone meesters te zijnen huize nog andere aangenomen, voor de Latijnse taal, de landmeet en tekenkonst, en muziek, hetgeen breedvoerig te zien is uit de conditie te verkrijgen bij de boekverkopers Adam Meyer te Amsterdam, Bohn te Haarlem, en Emenes te Utrecht. (AC : 14-3-1789)14.

20 En juillet 1793, Villemart qui a alors 69 ans envisage de déposer (partiellement) les rênes et se cherche un successeur :

Un Français, un Hollandais, un Allemand ou un Suisse d’un âge mûr et de la religion protestante, en état de bien enseigner le français et quelques autres langues, la géographie et l’histoire, peut devenir directement ou par la suite, possesseur de la pension française de E.B. de Villemart à Abcoude, qui y restera cependant à de certaines conditions et emploiera autant que son grand âge peut le permettre, toutes ses facultés pour la faire fructifier ; il est moins question de fonds pour un tel sujet que de talents non équivoques et des mœurs irréprochables ; s’adresser au plus tôt en personne au susdit de Villemart (AC : 9-7-93).

21 C’est la dernière mention dans la presse, de Villemart, maître de pension ; on trouve encore en 1795 une annonce pour sa Dissertation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles (NNC : 1-5-1795).

22 On voit donc en parcourant ces annonces que Villemart combine, ce qui est courant, les fonctions de maître de langue et de pension ; dans des périodes sans doute plus difficiles, il donne des leçons particulières à des adultes (messieurs et dames) ou loue tout simplement des chambres. On remarque sa mobilité, dans un rayon d’action cependant circonscrit, celui d’Amsterdam et de la campagne environnante. Ses pensionnats hébergent des garçons : dans certains, comme ceux de Nieuwersluys et d’Abcoude, il s’agit très probablement de fils de la riche bourgeoisie et du patriciat car dans le programme d’études, on trouve latin, clavecin, danse, musique, ce qui indique que l’on essaie d’attirer des élèves issus des élites ; dans d’autres, à Amsterdam ou à Naarden, par exemple, Villemart semble viser plutôt des élèves issus de la bourgeoisie marchande si l’on s’en rapporte de nouveau aux programmes proposés (langues vivantes, leçons portant sur le commerce, l’art militaire, la marine, l’arpentage). En fin de carrière, il ajoute une autre corde à son arc puisqu’il se présente comme maître de pension française et anglaise, ce qui semblerait correspondre à un intérêt encore modeste mais croissant pour l’anglais dans le dernier quart du XVIIIe siècle15.

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4. Ses ouvrages

23 Comme on l’a déjà mentionné, on n’a retrouvé que deux ouvrages de la main de Villemart et à la différence des auteurs déjà cités et aussi d’autres maîtres de pension16, ce ne sont pas des ouvrages destinés à l’apprentissage de la langue mais à la formation morale des élèves.

24 Cependant, son second ouvrage, Lectures morales 17, a pu être utilisé aussi bien pour la pratique linguistique que pour la formation morale de ses élèves. Dans des annonces parues dans deux journaux (OHC : 26-7-1788 ; AC : 29-7-1788), il est recommandé en effet d’utiliser les deux versions, l’original en français et la traduction en néerlandais pour faire faire aux élèves des exercices de thèmes et de versions. On trouve un extrait détaillé de ces Lectures morales dans leJournal d’Amsterdam du 22-3-1783 ; il s’agit comme le titre l’indique, de textes destinés à la lecture, et qui portent sur la religion, la morale, la connaissance de soi ; notons en guise de conclusion aux Lectures morales, le conseil dispensé par l’auteur à ses élèves :

Il serait à souhaiter, [le journaliste cite Villemart], que chacun fit de bonne heure son épitaphe la plus flatteuse qu'il serait possible, & qu'il employât toute sa vie à la mériter.

25 Malgré la sévérité du propos, le souci pédagogique n’est pas absent puisque Villemart note dans sa préface qu’il s’agit de textes courts car « les jeunes gens ne sont guère capables de suivre de longs discours ». Le journaliste approuve en ces termes :

Quoi de plus propre à la [l’éducation morale] former, que des lectures journalières qui ne rebutent point par leur longueur, et qui attachent par la simplicité et la variété des maximes intéressantes qu’elles contiennent.

26 L’ouvrage n’a sans doute pas eu le succès escompté puisque la suite prévue n’a pas paru, il a cependant connu une traduction en néerlandais en 1785.

27 L’article du Journal d’Amsterdam établit également un rapprochement intéressant entre cet ouvrage et les Annales de la Vertu de Mme de Genlis (paru en 1781) 18. Ce rapprochement confirme la vogue qu’a connue Madame de Genlis en Hollande et l’intérêt pour les livres d’éducation, courant qu’exploite certainement Villemart lorsqu’il publie ses Lectures morales et sa Dissertation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles ou réflexions d’une mère tendre & raisonnable, adressées à sa fille (1779).

28 Diverses annonces paraissent dans la presse, dès 1778, pour annoncer la publication prochaine de cet ouvrage, jusqu’en 1795, le libraire Gosse de La Haye en possédant encore quelques exemplaires19.

29 Le titre, dans sa longueur même ainsi que dans les changements par rapport à celui annoncé initialement dans la presse, révèle une certaine ambiguïté : « dissertation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles » d’une part, ce qui réfère à un texte avec certaines prétentions savantes ou du moins émanant d’un pédagogue averti, d’autre part « réflexions d’une mère tendre et raisonnable » qui place l’ouvrage dans une sphère plus familiale et familière, moins érudite. Villemart joue sur les deux tableaux, se posant d’une part en spécialiste, et mettant d’autre part en valeur le personnage de la mère éducatrice ainsi que son rôle primordial dans la société. Les mères doivent en effet

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veiller de bonne heure & constamment à l’éducation de leurs enfans, [faisant] en sorte que par leur étude, leur travail, l’amour de l’ordre, ils deviennent comme des pièces nécessaires à l’édifice de cette République […] la bonne éducation est, sans contredit, un grand bien pour l’Etat (4-9).

30 L’ouvrage n’a pas seulement pour but l’éducation des jeunes filles, mais aussi la formation des mères dans leur fonction d’éducatrice. Ainsi qu’on l’a souligné (Kok Escalle 2011-12 : 150), « La mère est qualifiée, tout à la fois comme destinataire virtuelle de la dissertation et comme médiatrice pour l’éducation morale de sa fille » :

Une mère instruite pourra faire à sa fille, une application convenable de quelques passages de cette Dissertation. Elle pourra en étendre les idées, les appuyer. […] S’il se trouvait des Mères à qui cette Dissertation put faire naitre le désir de changer leurs amusements vains & frivoles, en une occupation d’instructions & de lumières, j’avoue que je tirerais une espèce d’orgueil de mon faible travail (XI).

31 Cette promotion de la mère éducatrice est bien caractéristique du XVIIIe siècle : pensons, pour la France, aux textes de Madame de Lambert, Lettres d’une mère à sa fille (1728), Madame d’Épinay, Conversations d’Émilie (1773), Madame de Genlis dont Adèle et Théodore (1782), outre les œuvres déjà citées, rencontra un très grand succès et en Hollande, de la romancière Betje Wolff (1738-1804) : son livre Proeve over de opvoeding, aan de Nederlandsche moeders [Essai sur l’éducation, aux mères néerlandaises] paraît en 1779, la même année que la Dissertation de Villemart20.

32 On pourrait s’étonner que Villemart, qui a fait carrière en qualité de maître de pension de garçons, écrive un ouvrage à l’intention des jeunes filles (et de leurs mères) ; on peut supposer, outre le fait qu’il semble bien avoir eu une expérience d’enseignement avec de jeunes Anglaises et Hollandaises, qu’il exploite un sujet en vogue qui pourra éventuellement lui procurer un certain renom. L’originalité de son ouvrage réside davantage dans le projet de maison d’éducation pour gouvernantes inséré dans sa « dissertation ».

5. Plan d’une maison d’éducation pour former des gouvernantes

33 Villemart insiste assurément sur la vocation d’éducatrice de la mère, la valorise dans ce rôle et la met en scène comme telle dans son ouvrage ; cependant il se voit aussi obligé de reconnaître, comme en témoigne la citation ci-dessus, que le luxe, la table, les spectacles, le jeu, tous ces « amusements vains et frivoles » qui constituent les ingrédients de la vie mondaine, font que les mères oublient leurs devoirs et aient recours à des « mercenaires ».

34 C’est donc pour former convenablement ces « mercenaires » qu’il conçoit son projet de maison d’éducation pour gouvernantes :

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Il serait à souhaiter que dans chaque Etat, il s’établit une Maison, où on élèverait, dès l’âge de six à huit ans, des filles destinées à l’éducation des enfants du premier âge. Ces filles suivies avec le plus grand soin, pour les mœurs et pour les talents, seraient en état de se charger, à l’âge de dix-huit ans, dans des maisons particulières, des soins physiques et moraux, qu’exigent les enfants dès l’âge le plus tendre, jusqu’à dix ou douze ans (10).

35 Ces jeunes filles seraient recrutées dans le pays même pour remplacer avantageusement les gouvernantes françaises et suisses que Villemart ne tient guère en haute estime :

Une expérience de plusieurs années, me persuade que des Anglaises et des Hollandaises bien suivies, peuvent parvenir à une bonne prononciation de la langue française. Des filles élevées selon mes vues, seraient plus en état d’enseigner cette langue dans ces pays, que la plus grande partie de celles qu’on y en charge communément. La plupart, venant de la Suisse ou des provinces méridionales de la France, n’ont que peu ou point de principes de cette langue et n’apportent de leurs pays qu’une prononciation vicieuse, et, trop souvent, des mœurs corrompues, que la nécessité leur fait cacher, pendant quelque temps, sous le masque de l’hypocrisie. (12)

36 Ce commentaire rejoint des critiques souvent émises à l’égard des gouvernantes françaises21, bien que les Suissesses ont, quoi qu’en dise Villemart, meilleure réputation, dans le domaine des mœurs en tout cas. Et plus généralement, Villemart remarque que même honnêtes, les « mercenaires » manquent de formation et donnent souvent aux enfants « des soins plus tendres qu’éclairés » (14). D’où l’utilité d’une maison d’éducation pour une formation adéquate. Les parents ou les tuteurs pourraient décider d’y placer leurs filles ; dans le cas de familles indigentes, des personnes charitables prendraient à leur charge les frais de formation d’un ou plusieurs enfants ; ou des parents, des amis pourraient se cotiser pour aider un voisin ou une veuve avec peu de ressources. La formation n’est donc pas gratuite, mais le prix demandé est, selon Villemart, relativement modique : 130 florins pour ces futures éducatrices, ce qui n’est en effet pas excessif lorsque l’on compare aux prix pratiqués pour les pensions françaises qui s’échelonnent entre 150 et 400 florins (De Booy 1980 :136-137).

37 La formation proposée comprend les matières traditionnelles proposées aux filles: formation religieuse22 et morale, connaissances élémentaires, lecture, écriture, arithmétique, la langue du pays et la langue française, travaux d’aiguille : couture en linge, en drap, broderies, points de dentelles et « on leur enseignerait à faire tous ces colifichets que le luxe et la mode ont rendu indispensables ». L’idée est que ces jeunes filles, non seulement s’occupent des enfants, mais aident également dans la tenue du ménage. L’apprentissage des bonnes manières fait partie aussi de ce programme.

38 Villemart insiste également sur la nécessité de tenir compte des capacités spécifiques des élèves et à cette formation élémentaire, il ajoute donc pour celles qui ont des dons particuliers, l’étude de l’histoire, de la géographie, de la musique, du dessin. Jusqu’ici rien ne distingue cette formation de celle dispensée dans les écoles de filles. Cependant, on donne aussi une formation pédagogique que l’on pourrait qualifier de théorique puisque les pensionnaires sont censées lire et étudier « ce que l’on a écrit de mieux sur l’éducation physique et morale des enfants » (14). Par ailleurs, on envisage également une formation pratique et ce, à deux niveaux : Villemart propose en effet que cette maison d’éducation accueille de tout jeunes enfants, élevés par des nourrices sèches qui

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seraient aidées par les futures gouvernantes : elles feraient ainsi leurs premières armes et s’initieraient aux soins corporels à donner aux tout jeunes enfants (13).

39 Les élèves âgées de 14 à 15 ans se verraient confier un ou deux enfants de trois ou quatre ans et à côté de leurs leçons seraient chargées de les faire jouer et travailler, éventuellement en se faisant aider par des camarades un peu plus jeunes, le tout sous la supervision de « femmes intelligentes » qui feraient des commentaires sur leur façon de faire.

40 Comme on l’a déjà signalé, ces gouvernantes sont destinées à s’occuper des jeunes enfants dans les familles. Mais il y aurait éventuellement d’autres débouchés : dames de compagnie ou enseignantes dans la Maison d’éducation où elles ont été formées. Le mariage n’est pas exclu : elles feraient des candidates excellentes au mariage avec des artisans et même des rentiers. Villemart précise d’ailleurs, lorsqu’il énumère les avantages qui pourraient résulter de ce type d’établissement, que les jeunes filles qui y seraient élevées deviendraient :

de bonnes citoyennes, de bonnes ménagères, des compagnes, des épouses agréables et seraient, enfin, propres à donner les premières impressions aux Enfants. Impressions qui sont toujours ou des plus utiles ou des plus nuisibles aux États comme aux familles (18).

41 Le bâtiment avec si possible des terrains étendus devrait être fourni par l’État ainsi que les premiers fonds pour faire démarrer l’établissement, censé ensuite s’autofinancer par plusieurs moyens :

42 -les frais de pension, acquittés pour les filles qui suivent cette formation et les tout jeunes enfants (qui servent à leur formation) ; pour cette somme ils devraient être logés, soignés, médicamentés, vêtus, nourris, instruits conformément à leur âge et leur besoin (13).

43 -la relative auto-subsistance : sans entrer dans le détail, on laisse sous-entendre que le domaine où se trouve la Maison doit produire de quoi nourrir – au moins en partie – les pensionnaires.

44 -la vente d’ouvrages (broderies, dentelles, travaux de couture, etc.) confectionnés par les pensionnaires.

45 -une rétribution des pensionnaires une fois qu’elles auraient trouvé une place de gouvernante.

46 À cela s’ajouteraient d’éventuels legs de personnes pieuses et aisées. Villemart compte en particulier sur l’intérêt pour son projet de la part des « Grandes Princesses », qui en montrant l’exemple, susciteraient des imitateurs désireux de soutenir par leurs dons une cause utile. En ce sens la dédicace de l’ouvrage à la jeune princesse d’Orange, Louise, n’est sans doute pas faite au hasard23.

47 Dans ce projet, on retrouve des éléments qui rappellent ce qui se pratiquait dans une maison d’éducation comme celle de Saint-Cyr, où les demoiselles qui décidaient d’y rester recevaient une formation pédagogique consolidée par des stages pratiques dans les classes au titre d’assistantes (Prévot 1981 : 47) ; à cette différence près cependant, qu’il n’y avait pas de tout jeunes enfants à Saint-Cyr24.

48 La vente d’ouvrages exécutés par les élèves-gouvernantes rappelle ce qui se pratiquait dans la communauté des Hernutters ou Moraves installée à Zeist près d’Utrecht au début du XVIIIe siècle, et certains orphelinats des Pays-Bas – en particulier ceux créés

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et dotés par de riches particuliers – offraient souvent une formation adéquate à leurs pensionnaires, leur permettant d’exercer un métier ou de se marier25.

49 Mais dans le cas de l’établissement projeté par Villemart, pas de gratuité : il ne s’agit pas d’accueillir des orphelins. De plus le but explicite est de former des gouvernantes destinées à s’occuper de jeunes enfants et ce dès leur entrée dans cette école. Or en 1779, il n’existe pas encore d’instituts pour la formation d’un personnel enseignant, bien que les maîtresses d’école ou de pension, les gouvernantes exercent depuis fort longtemps leur métier. En ce sens, Villemart est peut-être un précurseur : ceci reste cependant à vérifier par des recherches plus approfondies. Il se pourrait en effet qu’il ait eu des échos de formations analogues en Suisse (Crettaz 2012 : 155).

Conclusion

50 « Un métier de chien », c’est ainsi que l’on a pu qualifier le métier de précepteur26. Celui de maître de langues et de pension fut sans doute, lui aussi, semé d’embûches. Les nombreux déménagements que nous font découvrir les annonces placées par Villemart dans la presse sont un signe des aléas de sa carrière. Par la même occasion, on constate l’intérêt d’une consultation systématique des périodiques pour reconstituer le parcours d’un maître et aussi pour en savoir plus sur les programmes présentés dans des prospectus déposés chez des libraires. Les disciplines et les activités proposées par Villemart indiquent qu’il désire toucher un large public, aussi bien celui des élites patriciennes et aristocratiques que de la bourgeoisie marchande. Enfin son projet d’établissement destiné à la formation de gouvernantes – tout livresque soit-il – dénote un souci évident de professionnalisme – certes pour une catégorie bien spécifique puisque les jeunes filles instruites dans son institut devraient unir les tâches de puéricultrice et d’institutrice. Notons aussi que Villemart n’hésite pas à valoriser pour l’enseignement du français langue étrangère et la formation en cette langue le choix de gouvernantes non francophones mais formées de façon adéquate. Ces réflexions annoncent déjà le XIXe siècle qui va voir aux Pays-Bas se développer la professionnalisation du métier d’enseignant (van Essen 1991 : 23).

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Annexe

Les pensionnats de Villemart : Amsterdam, Nieuwersluis, Naarden et Abcoude

NOTES

1. Pour les difficultés rencontrées cf. Frijhoff 2010 : 39-40, qui souligne le caractère fragmentaire des informations dont on dispose. 2. Loonen 2000 : 317-331 ; Doode & Esseboom 2000 : 39-60 ; De Booy 1980. 3. Un exemple parmi d’autres, celui de Peeter Heyns (1537-1598) et de son fils Zacharias Heyns (1566-v.1638) fuyant Anvers et s’installant dans la République, respectivement à Haarlem et Amsterdam et Zwolle (Meeus 2000 : 301-316 et 2008 : 381-397). 4. Pierre-Joseph Boudier de Villemert (ou Villemart) (1716-avant 1807) a écrit l’Ami des femmes (1758) et Le Nouvel Ami des femmes ou la philosophie du sexe. Ouvrage nécessaire à toutes les jeunes personnes qui veulent plaire par des qualités solides (1779). Amsterdam, Paris : Monory. 5. Les Dialogues français... ont connu 11 éditions entre 1653 et 1718 et des ré-éditions en 1753 et 1774. 6. Traduit en néerlandais en 1785 sous le titre de Zedenlessen waarin alle de deugden en ondeugden naar derzelver waaren aart afgeschetst worden. Amsterdam : J. Schalker. 7. Sites consultés : Historische kranten (Bibliothèque Royale (KB), La Haye), ENT (Encyclopedie Nederlandstalige tijdschriften voor 1815), Le Gazetier Universel. Kees van Strien a dépouillé pour une période allant du 9 novembre 1756 au 1er mai 1795, les titres suivants : Amsterdamsche Courant (AC), De Nieuwe Nederlandsche Courant (NNC), Diemer Courant (Diemer C.), Gazette d’Utrecht, Leydse Courant (LC), Journal d’Amsterdam, Nederlandsche Courant (Ned. C), Noordhollandsche Courant (N-HC), Oprecht Haarlemse Courant (OHC) (63 références à Villemart). 8. Ce registre, établi au XIX e siècle, donne la liste alphabétique des membres des églises wallonnes dans les Pays-Bas pour la période 1600-1800 et mentionne naissances, mariages, enterrements, baptême, profession de foi, attestations d’autres églises.

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9. Annonces dans LC : 10-3-1773 et dans OHC : 8-6-1773 ; dans ce dernier périodique, on trouve des annonces jusqu’au 10-10-1775. 10. Jacques François de Villemart ouvrira une pension française et anglaise (pour garçons) à Ouderkerk, non loin d’Amsterdam, en février 1784 (Ned. C. : 23-1-1784, AC : 10-4-1784) mais sans beaucoup de succès car il fait faillite en 1786 (AC : 12-9-86). 11. Willem Allen dont il est fait mention comme maître d’écriture et de calcul (AC : 20-4-1779) reprend en 1782 le pensionnat d’un certain A. Muys à Abcoude (Diemer C. : 14-1-82). 12. Cours de 6 à 9 le soir pour messieurs afin de pratiquer le français par la conversation ou la lecture de journaux, de périodiques et de bons livres. 13. Annonces dans OHC : 17-4-1788 et AC : 10-5-1788. 14. La nouvelle pension que Villemart s’est vu, en raison de tristes circonstances, obligé d’ouvrir à Abcoude, ayant de nombreux élèves, il a, outre les maîtres habituels, embauché de nouveaux maîtres pour la langue latine, l’arpentage, le dessin, et la musique. On peut en voir le détail sur le prospectus que l’on peut se procurer auprès des libraires Adam Meyer à Amsterdam, Bohn à Haarlem et Emenes à Utrecht. 15. Cependant, bien que l’intérêt pour la littérature anglaise soit évident, la pratique de l’anglais est beaucoup plus modeste que celle du français et de l’allemand (Frijhoff, 2010 : 55-58). Cf. aussi Loonen, 1991. 16. Un exemple parmi d’autres : Louis Cornelle, maître de pension à Rotterdam publie une grammaire française en 1774 (Gazette d’Utrecht : 10 / 13-1-1774). 17. Un exemplaire de cet ouvrage se trouve aux Pays-Bas à la bibliothèque universitaire de Maastricht ; on n’a pu, à ce jour, le consulter. 18. Le journaliste ne cite pas le nom de Genlis, se contentant du terme « auteur du Théâtre d’éducation », qui se trouve sur la page de titre des Annales de la vertu (Paris, M. Lambert & F.J. Baudoin, 1781). 19. AC : 17-12-1778, Etrennes aux demoiselles des Provinces-Unies, ou disser-tation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles, dédiée au jeune sexe des sept provinces par E.B. de Villemart. Cet ouvrage mêlé de vers de prose, orné d’estampes, très propre à instruire et à amuser les adolescents des deux sexes, se trouvera à la fin de 1778 chez Changuion, Vlam, Crajenschot et Schoonveldt à Amsterdam, et dans les autres villes des Provinces-Unies chez les principaux libraires ; LC : 8-3-1779 : l’ouvrage coûte 16 sols ; OHC : 30-3-1779 ; Ned. C : 15-12-84, AC : 21-12-84, OHC : 16-12-84 : l’ouvrage est proposé à 12 sols ; NNC : 1-5-95. 20. Selon van Essen, ce serait la première pédagogue femme des Pays-Bas (Van Essen & Luneberg 1991 : 21). 21. Un exemple parmi d’autres : « Les Hollandais, si disposés en faveur de la France, semblent en général se contenter du rebut des femmes de cette nation. Cabotines vieillies, filles de joie disgraciées, chambrières congédiées, jeunes veuves qui n’ont jamais été mariées etc., voilà pour la plupart ces « Mademoiselles » tant honorées en Hollande » (Bijdragen tot het Menselijk Geluk [Contributions pour le bonheur du genre humain], Utrecht & Amsterdam, v. 1790, I : 277). 22. Villemart ajoute plus loin (12) que les jeunes filles formées dans cette Maison d’éducation « n’[en] sortiraient point, sans être membre d’une Eglise ». Il ne précise pas quelle Église, ni non plus la religion dans laquelle elles ont été instruites. Lui-même, à en juger par les diverses annonces placées dans les journaux, est de religion réformée, mais son projet n’est peut-être pas destiné aux seuls pays protestants. 23. La dédicace indique comme destinataires de l’ouvrage les jeunes demoiselles des Provinces- Unies. L’ouvrage leur est donc dédié mais aussi plus spécialement à la princesse d’Orange, alors âgée de 9 ans, la fille du stathouder Guillaume V et de Wilhelmine de Prusse : « Je vous l’adresse à toutes, jeunes habitantes de ces provinces, parce qu’étant toutes égales par la Nature, vous avez toutes un droit égal au bonheur que procure la Vertu. Mais, en faisant attention à l’égalité de la Nature, je ne dois pas perdre de vue l’inégalité des Rangs. Je prends donc la liberté de l’adresser

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tout particulièrement à son Altesse Sérénissime, Madame Frédérique-Louise-Guillemine, princesse héréditaire d’Orange, de Nassau » (n.p.). 24. « La limite d’âge pour l’admission est fixée entre 7 et 12 ans. Les Demoiselles demeurent à Saint-Cyr jusqu’à vingt ans » (Prévot 1981 : 28). 25. Voir le témoignage d’André Thouin en 1795 : les orphelines anabaptistes d’Amsterdam apprennent « tout ce qu’il faut qu’elles sachent pour devenir filles de boutique, marchandes, et mères de famille » (Voyage dans la Belgique, la Hollande et l’Italie. Paris, 1841 : 330). 26. Duranton, H. (1985). « ‘Un métier de chien’. Précepteurs, demoiselles de compagnie et bohème littéraire dans le Refuge allemand ». Dix-huitième siècle, 17, 297-315.

RÉSUMÉS

S’appuyant sur un dépouillement systématique des périodiques de Hollande (francophones et néerlandophones de la seconde moitié du XVIIIe siècle, cet article retrace la carrière d’un maître de langues et de pension française, inconnu jusqu’alors, Étienne-Bernard de Villemart, et révèle les aléas du métier. Par ailleurs l’analyse d’un des ouvrages de Villemart, Dissertation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles (1779) montre que l’auteur exploite un thème en vogue, celui de l’éducation des filles, mais qu’il propose aussi un projet original de formation professionnelle de gouvernantes.

After a systematic inspection of French and Dutch periodicals published in Holland in the second half of the eighteenth century, we decided to focus on the career of Étienne-Bernard de Villemart, thus far unknown, who taught French at his own boarding school. We discuss the ups and downs of his professional life, before concentrating on one of his publications: Dissertation sur l’éducation morale des jeunes demoiselles (1779). In this book Villemart not only treated a fashionable subject: the education of girls, but also came up with something original: he proposes to establish an institution preparing girls for employment as a governess.

INDEX

Mots-clés : Maître de langues. Maître de pension française. Éducation féminine. Gouvernantes. Formation professionnelle. Étienne-Bernard de Villemart. XVIIIe siècle. Pays-Bas. Keywords : Teacher of foreign languages. Keeper of a French boarding-school. Female education. Governesses. Vocational education. Étienne-Bernard de Villemart. 18th Century. Holland.

AUTEURS

MADELEINE VAN STRIEN-CHARDONNEAU Université de Leyde

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Claude de Sainliens, un huguenot bourbonnais au temps de Shakespeare : un résumé très succinct, quelques ajouts et des pistes de recherche

Laurent Berec

1. Un peu d’historiographie

1 En 1956, un critique littéraire anglais a qualifié le huguenot bourbonnais Claude de Sainliens de « mysterious Frenchman » (« Français mystérieux », Fletcher 1956 : 299). Depuis environ la deuxième moitié du XIXe siècle, ce personnage haut en couleur, né en 1534 ou 1535, a intrigué et même fasciné plusieurs chercheurs, des linguistes pour la plupart. En 1908, quatre ans après la signature de l’Entente cordiale, la linguiste anglaise Lucy Farrer lui a consacré une thèse de doctorat soutenue en Sorbonne (Farrer 1908). Dans la deuxième moitié du XXe siècle, deux autres chercheurs ont tenté de percer le mystère et ont glané quelques précieux renseignements biographiques dans les registres paroissiaux et autres manuscrits conservés à Londres, aux National Archives et aux Westminster Archives (Austin 1939 ; Eccles 1986).

2 À vrai dire, je ne connaissais même pas l’existence de ce curieux personnage avant de tomber sur un livre de D. M. Palliser intitulé The Age of Elizabeth: England under the Later Tudors, 1547-1603 (Palliser, 1992). J’y apprends qu’un huguenot a trouvé refuge en Angleterre pendant la période élisabéthaine et y est devenu un célèbre professeur de français. Intéressant ! Je cherche aussitôt à en savoir davantage, je cours à la BNF, j’ai en main quelques ouvrages écrits du vivant de Sainliens et quelques rééditions du XVIIe siècle. Intéressant, en effet ; et même passionnant ! Voilà précisément ce que je recherchais : des ouvrages qui parlent abondamment de la vie quotidienne en Angleterre et ailleurs, de la nourriture, des vêtements, des jeux d’enfants, des relations

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conjugales et sociales, enfin d’une multitude d’éléments qui rendent cette époque pour ainsi dire tangible, palpable, qui permettent au lecteur d’en apprécier toute la saveur. Je crois que j’ai aussitôt pensé qu’il y avait là matière à un livre, sans mesurer toutefois l’ampleur de la tâche : la quête de manuscrits dans plusieurs pays, mais aussi le commentaire d’une œuvre prolifique, dictionnaires, grammaires, traductions, manuels scolaires de français et d’italien.

3 Ce travail de très longue haleine a abouti en novembre 2012 à un ouvrage paru à Paris, chez Orizons, et intitulé Claude de Sainliens : un huguenot bourbonnais au temps de Shakespeare. Le livre étant paru au moment où la SIHFLES fêtait ses 25 ans, il m’a été demandé de résumer ce travail d’historien – une gageure, en vérité, car cet ouvrage de 512 pages n’est pas seulement une biographie, c’est aussi, c’est surtout, une peinture de la société européenne dans la seconde moitié du XVIe siècle.

2. Le Français de Londres

4 Sainliens appartient très probablement à une famille bourgeoise originaire de la région de La Palisse, à quelques kilomètres au nord-est de Vichy. Dans un de ses ouvrages, il parle de lui à la troisième personne du singulier (!) et déclare : « Il est François, de Molins, la ville capitale de Bourbonnois » (Sainliens 1582 : 40). Qu’il ait très bien connu cette ville, qu’il ait par exemple fréquenté le collège ouvert en 1539, c’est plus que probable ; mais y est-il né ? je n’en suis pas sûr. Aux archives départementales de l’Allier à Yzeure, aux archives municipales de Moulins, dans d’autres dépôts d’archives encore, il existe des milliers, peut-être des dizaines de milliers, de manuscrits du XVIe siècle qui n’ont jamais suscité la curiosité des chercheurs ; et c’est bien dommage car on en saurait certainement davantage sur Sainliens, sur les vingt-neuf ou trente premières années de sa vie, avant qu’il ne débarque dans l’Angleterre élisabéthaine. Heureusement, un chercheur du nom de Jacky Popy a commencé à transcrire et publier les archives des notaires moulinois du XVIe siècle ; il en est à présent à son troisième volume ; de nombreux autres ouvrages suivront dans les prochaines années (Popy 2010, 2011, 2013). Patience…

5 Claude de Sainliens arrive donc en Angleterre en 1564 ou 1565, à un moment très délicat – un ou deux ans seulement après la fin de la première guerre de Religion, après la trahison de Louis de Condé et de l’Amiral de Coligny, les chefs huguenots d’abord alliés à l’Angleterre, puis en guerre contre celle-ci après s’être réconciliés avec leurs compatriotes catholiques. Outre-manche, c’est évidemment l’indi-gnation ; c’est une colère, légitime, mais qui rejaillit avec moins de légitimité sur les immigrés huguenots. À Londres, on les insulte, on leur lance des pierres, on leur crache dessus.

6 Sainliens choisit de s’installer en Angleterre parce que la connaissance de la langue française y est souvent une impérieuse nécessité. D’abord, les marchands drapiers doivent maîtriser cette langue à une époque où le secteur textile représente les quatre cinquièmes des exportations anglaises. Le français est également la langue de la diplomatie, avec, il est vrai, l’italien, l’espagnol et le latin. C’est aussi dans une certaine mesure la langue du droit puisque les juristes continuent d’utiliser une espèce de jargon appelé « Law French ». C’est encore une prestigieuse langue de culture, pratiquée par l’aristocratie et la famille royale : songeons qu’Henri VIII a écrit en français des lettres d’amour à Anne Boleyn, et que la reine Elisabeth connaissait elle aussi fort bien la langue de Rabelais (Kibbee 1991 : 95-98, 101-106).

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7 Sainliens ne doute apparemment de rien. Il s’est doté d’une devise latine dont je n’ai pas réussi à trouver l’origine : « dum spiro spero », littéralement « tant que je respire j’espère », ou dans un français plus idiomatique « tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir ». Il a une faculté d’adaptation assez extraordinaire, qui se traduit de multiples façons : par l’anglicisation de ses nom et prénom, traduits littéralement par « Claudius Hollyband » ; par l’acquisition, moyennant finances, du statut de « denizen », grâce auquel il peut acquérir des biens-fonds transmissibles à ses héritiers ; par l’ouverture à Westminster d’une école privée et l’embauche d’au moins un professeur en la personne de son ami le huguenot Jehan Henry ; par le mariage avec une Anglaise, une jeune veuve de vingt-huit ans issue de la haute bourgeoisie. En 1568, il n’hésite pas à se lancer dans une procédure judiciaire complexe contre le maire de la ville de Maldon, une histoire de gros sous, une propriété appartenant d’après lui à sa femme et que ledit maire se serait appropriée sans vergogne. J’ai découvert, de fil en aiguille, l’existence d’un gros registre municipal en latin que je suis allé lire sur place, lecture fructueuse qui m’a appris que Sainliens avait été emprisonné à Maldon, puis libéré grâce à une bonne âme qui s’était portée caution…

3. Un succès de librairie : The French Schoolemaister

8 Mais les Sihflesiens s’intéresseront sans doute plus particulièrement à ses ouvrages, et surtout à son premier manuel de français, publié dès 1573 et intitulé The French Schoolemaister. C’est vraiment un gros succès de librairie. Il n’y aura pas moins de 21 rééditions, la dernière en 1668, près d’un siècle après la mort de l’auteur !

9 Pourquoi ce succès ? Sûrement parce que c’est un livre très complet ; et si extraordinairement vivant ! On y trouve quelques règles de grammaire, jamais rien de théorique, uniquement des remarques pleines de bon sens, les remarques d’un pédagogue de terrain qui a observé attentivement les difficultés rencontrées par les petits écoliers d’Angleterre.

10 On y trouve aussi des listes thématiques de vocabulaire, fort intéressantes pour l’historien, je pense entre autres à la section consacrée au vocabulaire animalier où Sainliens classe par exemple le chat parmi « les venimeuses bestes » (Sainliens 1573 : 226). Et de fait, les chats sont parfois traités avec un franc sadisme, on leur fait parfois les pires misères dans l’Angleterre des Tudors, et même encore des Stuarts. J’ai consacré dans mon livre dix pages à la seule étude historique de la section lexicale du French Schoolemaister. N’ayant pas ici, bien sûr, la place requise pour aborder tous les aspects, je me contenterai d’aborder un point qui a frappé plusieurs de mes lecteurs : la longue liste de vocabulaire où toutes les parties du corps, et toutes les fonctions corporelles, si « dégradantes » soient-elles, sont mentionnées dans un langage fleuri au possible (Sainliens 1573 : 280-283). Peut-être est-il préférable de ne point donner ici d’exemples ; je renvoie toutefois les âmes point trop sensibles à mon livre où j’ai été beaucoup moins pudique.

11 Sainliens accorde la plus grande importance à la langue parlée, c’est un phonéticien dans l’âme qui exhorte ses élèves à prononcer parfaitement tous les sons. Son manuel, à mon avis très efficace également dans ce domaine, prodigue des conseils pratiques, fruits là encore d’une observation méticuleuse des difficultés rencontrées par ses élèves. Il se met à leur portée, il établit des comparaisons avec la prononciation de l’anglais, du latin, et parfois d’autres langues. Voici un exemple :

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[P]rononces la premiere de, guarentir, comme la premiere de, Gabriell, en Anglois: la premiere syllabe de guerre, comme la premiere de gevinge, ou gettinge : la seconde de ce mot desguiser, comme la premiere de Gilforde, ou Gissinge. […] Les Anglois prononcent, gn, avec autant de difficulté comme ilz font ce mot, bailler : car quand ilz veulent dire, montagne, compagnon, ilz separent, g, d’avec, n, comme nous faisons en Latin en prononçant agnus, ou magnus : ce qu’il ne faut pas faire, mais frappant le palais de la bouche de la racine et plat de la langue, vous prononceres gna, gne, gni, gnon, comme l’Italian prononce vergogna, guadagno : vous dires donc compa-gnon, et non compag-non: monta-gne, et non pas montag-ne: separant, g, d’avec, n. Regardes comment les petis mignards d’Angletere prononcent, neutrum, en Latin, ou la premiere syllabe de neuter, en Anglois, et prononces ainsi nostre, gn (Sainliens 1573 : 24-27).

12 The French Schoolemaister comprend également une section de proverbes et de dictons, idée judicieuse d’un pédagogue qui sait combien ces fragments de sagesse stéréotypée amusent les enfants, et souvent d’ailleurs aussi les grandes personnes (Sainliens 1573 : 190-193). On y trouve en outre des prières en anglais, français et latin, ce qui n’est en rien surprenant à une époque où pédagogie et catéchèse sont indissociables (Sainliens 1573 : 194-205).

13 Mais ce qui a surtout fait le succès de ce manuel, ce sont deux dialogues truculents qui aujourd’hui encore, plus de quatre cents ans après leur publication, nous charment et nous amusent. Le premier dialogue décrit principalement un repas gargantuesque qui a lieu pendant la mauvaise saison chez un riche bourgeois de Londres (Sainliens 1573 : 62-143). Le deuxième dialogue, un peu moins enlevé, parle de marchands de province qui se rendent à cheval à une foire londonienne pour acheter des tissus, et qui passent une nuit dans une auberge (Sainliens 1573 : 143-189). Un passage de ce dialogue a marqué, et même troublé, des générations d’élèves, et sera repris par différents auteurs, dont Shakespeare lui-même dans sa pièce historique Henry V. Il y est question d’un client d’une auberge qui a un malaise et qui doit quitter précipitamment la table. Heureusement pour lui, la jeune servante de l’auberge, prénommée Jehanne, est aux petits soins : elle lui ôte ses chausses, lui met son couvre-chef, le recouvre de draps. Du coup, le malade, enhardi, espère que Jehanne acceptera de lui rendre un dernier petit service : Jehanne. – Monsieur, ne vous faut il autre chose ? estes vous bien ? Client. – Ouy mamye : estaindes la chandelle, et approches vous un peu de moy. Jehanne. – Je l’estaindray quand ie seray hors de la chambre : que vous plait-il ? n’estes vous point encor bien ? Client. – J’ay la teste trop basse, hauses un peu le traversin, ie ne sauroye coucher si bas : mamye, baises moy une fois, et i’en dormiray mieux. Jehanne. – Dormes, dormes : vous n’estes pas malade puis que vous parles de baiser : plus-tost mourir, que de baiser un home en son lit n’y autre part : reposes de par Dieu : Dieu vous doint bonne nuict, et bon repos. Client. – Grand mercy la belle fille (Sainliens 1573 : 163).

4. Un intérêt interculturel

14 Tous les ouvrages de Sainliens présentent ce qu’on appelle aujourd’hui un intérêt interculturel. L’auteur observe la culture de son pays d’adoption et transmet aux Anglais la culture française sous presque tous ses aspects. Il est notamment un ambassadeur de la gastronomie française ! Il conseille par exemple de manger des « pompons », comprenez par là des courges, ou peut-être des courgettes (Sainliens 1580a). Les pompons, il faut les manger crus, ajouter une pincée de sel et les servir avec

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de la viande, soit au déjeuner, soit au dîner. Il recommande des gâteaux au fromage appelés « parrodelles » à Moulins et « talmouses » dans le reste de la France – une valeur sûre pour les gourmands du XVIe siècle que ces pâtisseries de forme triangulaire, qui étaient consommées chaudes (Sainliens 1580a). Il mentionne une spécialité poitevine qui existe toujours : les cassemuseaux, des gâteaux très mous et très friables, paraît-il excellents, qu’il compare aux « bunnes », les petits pains fabriqués en Angleterre (Sainliens 1580a). Il explique aux Anglais que les melons poussent comme les concombres mais qu’ils ont « a verye pleasant and sweete tast » (« un goût très plaisant et très sucré », Sainliens 1580a). Mais le plus frappant, le plus amusant aussi, c’est que Sainliens, tout puritain qu’il fût, était un grand buveur devant l’Éternel et que tous ses ouvrages parlent abondamment de vin. Même quand il donne des exemples de grammaire, il ne peut pas s’empêcher de parler de vin ! Dans ses deux dictionnaires, il explique aux Anglais toutes les étapes de la production du vin, avec une multitude de termes techniques – c’est une source primaire d’une grande richesse, qui d’ailleurs mériterait sans doute au moins un article dans une revue spécialisée.

15 Pour faire bref, je donnerai un dernier exemple que je trouve saisissant : les Anglais du XVIe siècle appelaient la syphilis « Frenche pockes » (« vérole française »), accusation que Sainliens prend la peine de récuser, en expliquant à ses lecteurs, et en anglais, qu’il s’agit en fait du mal de Naples parce que des soldats français ont été contaminés lors du siège de cette ville en 1528… (Sainliens 1580a)

5. Plaisanteries misogynes

16 La fin du XVIe et le début du XVIIe siècle sont comme chacun sait la pleine période de la sorcellerie, même si, dans certains pays comme l’Angleterre, la folie meurtrière est nettement moindre ; pas grand-chose à voir, par exemple, avec les persécutions massives du Saint Empire. Il y a bien sûr quelque rapport entre la chasse aux sorcières et la misogynie ambiante, mais les choses sont en fait assez complexes ; et Sainliens en est peut-être un exemple, lui qui est ce que j’appelle dans mon livre un « horrible macho », mais qui cependant ne prône aucune action massive contre les sorcières, et ne semble même pas croire à l’existence d’un pacte entre le diable et celles-ci.

17 Que penser des boutades misogynes qui pullulent dans tous les ouvrages de Sainliens ? Il semble faire preuve du manichéisme le plus grossier, entre autres dans cette blague extraite d’un manuel de français : --- C’est un grand thresor, que […] d’une bonne fame : mais je vous prie, comment appelez vous en latin une bonne fame ? --- Trouvez la moè premiérement, et je le vous diray : car selon la doctrine de Plato, on ne peult nommer une chose, qui ne se trouve point. --- Ah, vous m’avez fermé la bouche : toutes-fois j’ay oui nom[m]er une bonne fame : voulez vous sçavoir comment ? --- Je vous en prye, et pour la pareille. --- Escoutez bien, et l’imprimez en vostre entendement : Une bonne fame, une bonne mule, et une bon[n]e chevre sont trois mescha[n]tes bestes (Sainliens 1581 : 83).

18 S’il faut prendre ses déclarations tonitruantes au pied de la lettre, une femme, pour lui, ce n’est guère qu’un objet : Quatre choses doibvent tous-jours estre en la maison. 1 Le poulaillier.

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2 La cheminée. 3 Le chat. 4 La femme (Sainliens 1576 : 90-92).

19 De tels propos sarcastiques, que j’ai longuement cités dans mon livre, ont déjà suscité de la part de lecteurs des remarques qui ont enrichi ma réflexion. Une collègue m’a dit qu’il ne fallait peut-être pas accorder trop d’importance à ces propos à l’emporte-pièce, à ces blagues de comptoir ; voulant dire par là que notre huguenot éprouvait peut-être quelque tendresse, quelque affection pour son épouse. C’est fort possible. Un ami m’a dit quant à lui qu’une misogynie si ostentatoire était somme toute suspecte, que c’était peut-être un exutoire, un moyen pour un mari dominé d’exprimer sa frustration. Je n’écarte pas tout à fait cette possibilité.

20 Mais certains faits sont là. Ainsi, après la mort de sa première épouse, probablement de la peste, le 13 juillet 1578, il ne semble vraiment pas avoir été un veuf inconsolable. En effet, le 13 octobre 1578 – trois mois après, jour pour jour – il se rend à l’église St Benet pour y obtenir un certificat de mariage… Il épousera une autre Anglaise, d’au moins vingt ans sa cadette.

21 Sainliens est de surcroît ce que j’appelle familièrement dans mon livre « un gros jaloux ». Il est hanté par l’idée que ses épouses successives puissent un jour le faire cocu. C’est à ce point obsessionnel, à ce point ridicule, qu’il est raillé par plusieurs de ses contemporains, au premier chef par Shakespeare qui en dresse un portrait au vitriol dans une comédie intitulée Love’s Labour’s Lost. Voici deux exemples, dont j’assure qu’ils ne sont point ici de simples boutades : On ne preste pas volontiers ces troys choses. 1 Sa femme. 2 Son bon cheval. 3 Ses armes (Sainliens 1576 : 86). Il ne se fait pas bon vanter de ces choses. 1 Que tu as de bon vin. 2 Que tu as une belle femme. 3 Que tu as force escuz (Sainliens 1576 : 96) .

6. Le puritain

22 Shakespeare prend aussi Sainliens pour cible parce qu’il est un puritain, et un prosélyte franchement exalté, malgré la curieuse propension à l’hédonisme que nous avons déjà notée. Le huguenot dénonce avec virulence le théâtre élisabéthain naissant, prône une stricte observance du repos dominical, vitupère contre la danse dans un traité inséré dans son deuxième manuel de français, le French Littleton de 1576 qui connaîtra lui aussi de multiples rééditions, systématiquement révisées et enrichies. Les danses sont d’après notre auteur « accessoires et dependences de paillardise », et risquent fort de conduire les épouses à commettre l’irréparable… J’ai consacré une quinzaine de pages à ce traité, analysant entre autres les sources auxquelles il puise pour sa démonstration, la Bible, surtout, qu’il invoque le plus souvent à tort (!), même s’il trouve habilement la parade en arguant que l’Écriture condamne la paillardise…

23 Dans tous ses ouvrages, mais plus nettement encore dans ses deux dictionnaires, il ne cesse de proclamer sa foi calviniste, sa ferme croyance en la grâce divine, en la foi seule, et par voie de conséquence le caractère idolâtre et blasphématoire des pratiques papistes, toute cette religion des œuvres instaurée par l’Église romaine.

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24 On sent poindre du dégoût, du mépris, quand il évoque l’univers de la sacristie, qu’il appelle « [v]estiaire » et dont il donne la définition suivante : « the vesterie, where the papisticall doe laye up all their churche apparell » (Sainliens 1580a)1. Sarcastique, il parle des papistes qui « piss[ent] pour les tres-passez », désignant ainsi cette fâcheuse habitude de verser de l’eau bénite sur la tombe des morts, dans l’espoir de les purifier et d’écourter leur temps de purgatoire (Sainliens 1580a)2.

25 Il mentionne une procession burlesque qui se déroulait chaque soir dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, où des individus venaient écraser leurs chandelles sur une statue de pierre, une tête sculptée appelée « Maistre Pierre du quignet » (ou « Cogniet », Sainliens 1580a)3. Cette statue, qui n’existe plus depuis le XVIIIe siècle, est qualifiée de « mo[n]strous » (« monstrueuse »), adjectif qui désigne probablement à la fois le caractère grotesque de l’objet et l’horreur que son culte suscite chez les réformés.

26 De son refuge londonien, Sainliens commente parfois aussi l’actualité française. Dès 1573, dans son French Schoolemaister, il déplore « un si grand meurtre à Paris », comprenez par là bien sûr le massacre de la Saint-Barthélemy, et se lamente sur l’état de la France où « [l]a guerre civile y est tellement enflammée, que le pere est contre le filz, et le filz contre le pere : et sont tellement forcenez, qu’ilz desgainent leurs espées contre leurs propres entrailles ». Il semble toutefois garder confiance, chose assurément plus aisée à Londres loin de la tourmente : « O Dieu immortel, que les homes sont inconstans : bien, il faut avoir patience : nous aurons la paix quand il plaira à Dieu » (Sainliens 1573 : 159).

27 Je tiens à signaler aussi un traité sur la résurrection intitulé De resurrectione Domini, qui contient à gauche le texte latin, à mon avis le texte de départ, et à droite le texte français, à mon avis une traduction par l’auteur lui-même (Sainliens 1580b)4. Un beau traité, certes pas transcendant intellectuellement, mais original parfois, et écrit dans un latin dans l’ensemble élégant et correct, dans un français clair, lyrique, et élégant lui aussi.

28 En 1585, des dirigeants élisabéthains ont demandé à Sainliens de traduire deux textes de propagande (Duplessis-Mornay 1585 ; s. n. 1585). Ces traductions présentent un assez grand intérêt pour le biographe, car il existe parfois des écarts significatifs entre le texte source et le texte d’arrivée ; elles mettent en lumière certains aspects de la personnalité du traducteur, montrent par exemple la radicalité de ses opinions politiques et religieuses. J’en profite pour signaler aux Sihflesiens que la traduction des textes de propagande du début de l’époque moderne est un champ d’études relativement inexploré, et sans doute fructueux pour un chercheur tout à la fois historien et linguiste.

29 Le puritanisme du Bourbonnais est à rapprocher d’un souci constant de distinction, d’un snobisme carrément risible parfois, qui le conduit par exemple en 1593 à s’arroger le titre de « gentilhomme » – dont l’authenticité, il est vrai, est difficilement vérifiable à des centaines de lieues de sa région natale… Malgré l’impudeur des listes de vocabulaire mentionnées ci-dessus, il affiche son dégoût pour la grossièreté des paysans, des serviteurs, en un mot du peuple, de ce corps populaire qui pour ainsi dire déborde de façon grotesque, comme l’a montré Mikhail Bakhtine dans une étude fascinante quoique souvent manichéenne et schématique (Bakhtine 1970). Ce désir d’enfermer le corps, l’individu, comme dans une bulle, ce désir farouchement individualiste, et donc à certains égards typiquement renaissant, apparaît sans cesse dans le domaine de la nourriture, dans la stigmatisation des serviteurs au corps débordant qui font

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littéralement corps avec leurs aliments. Dans le premier dialogue du French Schoolemaister, le maître de maison accuse un domestique de lécher les plats dans la cuisine, puis un autre domestique d’apporter le pain avec la main au lieu de l’apporter sur une assiette (Sainliens 1573 : 95, 101). Dans ce même manuel scolaire, le fils du maître de maison reprend vertement le domestique qui lui conseille de souffler sur sa soupe pour la refroidir : Serviteur. – Vous ne faites que mignarder petit compagnon : ie le diray à vostre pere : que ne manges vous vostre potage tandis qu’il est chaud ? vous n’avez pas faim. Fils. – Il est encore trop chaud : ie me suis bruslé la langue, et les levres. Serviteur. – S’il est trop chaud, soufles-le. Fils. – Sont ce voz bonnes manieres de soufler vostre potage à la table ? ou aves vous apprins cela ? en vostre village ? (Sainliens 1573 : 101).

7. Voyageur et espion

30 Sainliens est certes un prosélyte ardent, mais c’est aussi un grand voyageur, un instable qui, certaines années, déménage plusieurs fois par an en Angleterre. En février 1587, à l’âge de cinquante-deux ou cinquante-trois ans, à un âge fort avancé pour le XVIe siècle, il quitte la ville de Londres où il a trouvé refuge une vingtaine d’années plus tôt, et part pour le Saint Empire en compagnie du célèbre baron Zouche, d’un médecin humaniste et d’un professeur de Cambridge, trois calvinistes convaincus eux aussi. J’ai retrouvé la trace des quatre amis en 1587 à Hambourg, Kassel, Francfort, Heidelberg et Bâle. La fréquentation de différents dépôts d’archives en Angleterre, Allemagne et Suisse m’a permis de reconstituer partiellement les activités des quatre amis, qui ont tous repris quelques études, et qui parallèlement se sont livrés à une intense activité d’espionnage au profit de la reine Élisabeth et de ses alliés protestants, pendant une période vraiment cruciale, la guerre de la Ligue en France, et la défaite d’une Armada présumée invincible au large des côtes de Grande-Bretagne. J’ai hélas perdu la trace de Sainliens après son inscription à l’université de Bâle en octobre 1587, mais je suis presque sûr qu’il a accompagné Zouche jusqu’au terme de son voyage, au début de 1593. Pendant plus de cinq ans, Zouche, et donc très probablement Sainliens, ont parcouru l’Europe, se sont rendus à Altdorf, à Constantinople, à Lviv, à Padoue, à Venise, et dans bien d’autres villes encore. Je compte bien en apprendre davantage un jour grâce à des historiens au solide bagage linguistique qui prendront la peine de consulter les archives souvent foisonnantes conservées dans une multitude de dépôts. Un travail évidemment considérable, mais source de joies sans doute pour les chercheurs, et aussi bien sûr pour leurs lecteurs…

8. Pistes de recherche

31 De manière générale, ce livre, fût-il un gros volume de 512 pages, je le conçois comme une pierre, pas chronologiquement la première, mais une pierre angulaire dans un édifice destiné à prendre de la hauteur, avec la contribution future de différents spécialistes, historiens bien sûr, mais aussi théologiens, linguistes et critiques littéraires. Je me suis efforcé d’indiquer tout au long de cet ouvrage les pistes de recherche qui me semblaient prometteuses, qu’un seul homme ne pouvait accomplir à

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lui seul, faute de temps, faute de connaissances dans certains domaines trop pointus. À suivre ?

BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie

Sources

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SAINLIENS, Claude de (1573). The French Schoolemaister. Londres : imprimé par William How pour Abraham Veale.

SAINLIENS, Claude de (1576). The Frenche Littelton. Londres : Thomas Vautrollier.

SAINLIENS, Claude de (1580a). The Treasurie of the French Tong. Londres : Henry Bynneman.

SAINLIENS, Claude de (1580b). De pronuntiatione linguae gallicae. Londres : Thomas Vautrollier.

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SAINLIENS, Claude de (1582). The Frenche Schoolemaister. Londres : imprimé par William How pour Abraham Veale.

S. n. (1585). The explanation of the true and lawfull right and tytle, of the moste excellent prince, Anthonie the first of that name, King of Portugall, concerning his warres, againste Phillip King of Castile, and against his Subiectes and adherentes, for the recoverie of his kingdome. Together with a briefe historye of all that hath passed aboute that matter, untill the yeare of our Lord. Traduction de Claude de Sainliens. Londres : Thomas Purfoot.

Études

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KIBBEE, Douglas A. (1991). For to Speke Frenche Trewely: The French Language in England, 1000-1600: its Status, Description and Instruction. Amsterdam et Philadelphie : John Benjamins.

PALLISER, D. M. (1992) [1983]. The Age of Elizabeth: England under the Later Tudors, 1547-1603. Londres : Longman.

POPY, Jacky (2010, 2011, 2013). Notaires royaux de Moulins, XVIe siècle. Moulins : Cercle Généalogique et Héraldique du Bourbonnais, I. Cantat, II. Cantat, III. Lemayre-Delavauvre.

NOTES

1. « La sacristie, où les papistes entreposent tous les objets du culte ». 2. Chercher à « Tres-passez ». 3. Chercher à « quignet ». 4. Attention ! Il existe deux éditions différentes en 1580 du De pronuntiatione linguae gallicae où figure ce traité.

RÉSUMÉS

Il n’y avait que très peu de travaux à caractère historique sur Claude de Sainliens avant la publication de ma biographie intitulée Claude de Sainliens : un huguenot bourbonnais au temps de Shakespeare (Paris, Orizons, 2012, 512 pages). Sainliens, qui était originaire du Bourbonnais, région située au centre de la France, naquit en 1564 ou 1565. C’était de loin le plus célèbre professeur de français huguenot dans l’Angleterre élisabéthaine où il trouva refuge en 1564 ou 1565. Il écrivit des grammaires, des dictionnaires, et surtout des manuels scolaires qui constituent pour les historiens des sources primaires du plus grand intérêt parce qu’elles contiennent une multitude d’éléments sur la vie quotidienne au XVIe siècle (nourriture, vêtements, jeux, relations sociales…). Quoiqu’un peu hédoniste et, de son propre aveu, grand amateur de vin, Sainliens était un puritain convaincu qui écrivit un traité contre la danse, et qui mit en garde ses lecteurs contre certaines pratiques jugées démoniaques comme le théâtre. Il se livra même à des activités d’espionnage en Europe continentale de mars 1587 à environ 1593. Shakespeare, qui le détestait, se moqua de lui dans quatre de ses pièces, surtout dans Peines d’amour perdues.

There had been very little historical research on Claude de Sainliens until I published a biography entitled Claude de Sainliens: un huguenot bourbonnais au temps de Shakespeare (Paris, Orizons, 2012, 512 pages). Sainliens, who was originally from Bourbonnais, in central France, was born in 1534 or 1535. He was by far the most famous Huguenot teacher of French in Elizabethan England, where he found refuge in 1564 or 1565. He wrote grammars, dictionaries, and above all textbooks, which are extremely interesting sources for historians because they contain a wealth of details on daily life in the sixteenth century (food, clothes, games, social relations…). Though a self- confessed amateur of wine and a bit of a hedonist, Sainliens was a staunch puritan who wrote a treatise against dancing and warned his readers against such demonic activities as theatre-going. He was even a spy in continental Europe from March 1597 to about 1593. He was hated by Shakespeare who mocked him in four of his plays, most especially in Love’s Labour’s Lost.

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INDEX

Mots-clés : professeurs de français, huguenots, Histoire Keywords : Claudius Hollyband, Elizabethan England, Sixteenth century, French language, French teachers, Huguenots, History

AUTEUR

LAURENT BEREC Université de Haute-Alsace

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Contribution à l’histoire des pratiques de « prononciation » fondées sur les écritures ordinaires

Henri Besse

1 Il s’agit de revenir sur le bilan (Besse 2012b) de vingt-cinq ans de travaux portant sur l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde (L2) menés sous l’égide de la SIHFLES, en le questionnant du point de vue de la didactique des langues. Ce qui frappe dans ce bilan, c’est que les colloques (et les journées d’étude) patronnés par cette association se sont tenus, à deux exceptions près1, dans l’ouest de l’Europe ; que les langues concernées (tant la L2 enseignée que les langues à partir desquelles elle est apprise, les L1 des élèves) relèvent, à quelques articles près, de cette même partie de l’Europe. Et que si les chercheurs de la SIHFLES sont parvenus à dépasser une certaine histoire immédiate et fragmentaire dénoncée par André Reboullet en 1987, s’ils ont bien exploré ce qu’a pu être l’enseignement / apprentissage du français L2 du XVIIe à la fin du XXe siècles, ils n’en ont guère exploré l’amont et n’ont que rarement inscrit leurs investigations dans la diversité des langues et des systèmes d’écritures.

2 La SIHFLES a organisé un colloque sur ce qu’on appelle, mais depuis le XIXe siècle seulement, la « phonétique », celui de Linköping/Vadstena en 1996 (dont les actes sont parus dans Documents n° 19, juin 1997 2). S’il y a des guillemets, dans notre titre, à prononciation, c’est que ce terme n’y est pas entendu au sens qu’il a de nos jours en didactique des langues, où la prononciation est liée à la seule oralité des langues et est donc dissociable de leur lecture-écriture. La « prononciation » dont il va être question ici n’en est pas dissociée, en ce qu’elle est tributaire de ces lettres, de ces grammata dont la grammatikê des Grecs anciens fut d’abord la science. Et jusqu’au XVIII e siècle, elle a relevé de cette science et donc des grammairiens, du moins tant qu’ils ne cherchaient pas à se distinguer des grammatistes, ceux qui initiaient les élèves à lire et écrire les lettres. Elle engage des données rudimentaires (au sens propre du terme) qui sont trop évidentes pour être naturelles, et qu’il convient donc de questionner3.

3 Après avoir rappelé en quoi ont pu consister ces pratiques de « prononciation » dans trois manuels (deux du début du XVIe siècle, un de la fin du XVIIIe siècle) de français L2

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destinés à des élèves accoutumés déjà à l’alphabet latin (par la lecture-écriture de leur L1 et/ou du latin), nous les examinerons dans des manuels où la L2 enseignée relève d’un autre système d’écriture que cet alphabet, et nous finirons par une brève interrogation – leur analyse méthodique exigerait de plus vastes développements – sur les ambiguïtés de ce qui est, parfois trop commodément, qualifié de « prononciation figurée ».

1. Quand les deux langues (L2 et L1) usent du même alphabet latin

4 Nombre de manuels de L2 anciens comportent une « première partie » relative à cette « prononciation » tributaire des lettres, et donc des systèmes d’écriture ordinairement utilisés, tant pour la L2 enseignée que pour les L1 à partir desquelles elle est apprise. Trois exemples bien connus des spécialistes mais rappelés ici du point de vue de cette « prononciation ».

1.1. « The diversyte of pronunciation, that is between us and them » chez Palsgrave

5 Le manuel de Jean Palsgrave (très brièvement cité, d’après Thurot, par Nadia Minerva D. 19 : 58) est paru à Londres et à Paris en 1530, sans connaître une large diffusion. Nous le citerons dans sa première réédition en France, celle de F. Génin en 18524. L’introduction de Lesclarcissement de la langue françoyse par maistre Jehan Palsgrave Angloys natyf de Londres et gradue de Paris (1852 : XV) débute ainsi : The diffyculte of the frenche tong, whiche maketh it so harde to be lerned by them of our nation, resteth chefely in thre thynges: in the diversyte of pronunciation, that is betwene us and them: in theyr analogie and maner of congruite […]: and thyrdly in theyr propertes of spekyng […].

6 Trois difficultés traitées successivement dans les trois « livres » de ce manuel, qui est manifestement destiné aux maîtres plus qu’aux élèves (seuls les exemples y sont en français L2).

7 Le « fyrst boke » vise à dire comment un Anglais doit (et peut) oraliser en français L2 les mêmes lettres qu’il sait déjà oraliser en anglais L1. Mais Palsgrave s’y réfère aussi au latin ou à l’italien, langues supposées donc plus ou moins familières à ses lecteurs. Ainsi écrit-il à propos des « vowelles » du français : (ibid. : XVII) : […] as for theyr vowell I is no difficulty nor difference from the Italien sounde, savying that so often as these thre letters Ill or Ign come before any of the fyrst thre vowels A, E or O, they sounde an I brefely and confusely betwene the last consonant and the vowell folowyng […]

8 Certains des sous-titres de ce « premier livre » explicitent parfaitement ce qui est visé (ibid. : XLV) : « In what wordes this vowell I shalbe sounded where he his nat written » ; « In what wordes this vowell U is written in, where he is lefte unsounded » ; « How ch, ph and th be sounded in the frenche tong ».

9 Et quand, pour une même lettre ou groupes de lettres (qu’on dit alors « diphtongues »), la prononciation diffère en L1 et en L2, Palsgrave donne des explications plus articulatoires qu’auditives. Ainsi pour ce qu’on appellera, à partir du XVIIIe siècle, les nasales (ibid. : XV) :

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To be armonius in theyr speking, they [les Français] use one thyng which no other nation dothe, but onely they, that is to say, they make a maner of modulation inwardly, for they forme certayne of theyr vowelles in theyr brest, and suffre nat the sounde of them to passe out by the mouthe, but to assende from the brest straight up to the palate of the mouth, and so by reflection yssueth the sounde of them by the nose.

10 Inutile de multiplier les citations et de rappeler les analyses faites par les historiens de la grammaire ou de la linguistique depuis le XIXe siècle ( cf. Thurot [1881] 1966). Bornons-nous à noter que nombre de ces analyses font comme si les observations articulatoires ou auditives développées par Palsgrave n’étaient pas d’abord destinées à expliquer à des lecteurs accoutumés à oraliser « à l’anglaise » les lettres de l’alphabet latin, comment ils pouvaient et devaient les oraliser « à la française ». Palsgrave est ainsi un des premiers à user dans l’écriture du français de l’accent aigu, afin d’aider ses lecteurs à lire différemment aveugle et aveuglé. Il y a là une préoccupation didactique, un effet de son patient travail de grammatiste, qui est parfois négligée par certains phonologues qui font de Palsgrave un précurseur de sciences (dont la leur) dont il ne pouvait avoir idée.

1.2. Comment apprendre « to rede, to pronounce and to speke French trewly » chez du Guez

11 Giles du Guez, nommé Duwes en anglais, a moins intéressé les historiens de la grammaire ou de la linguistique. Il n’était pas « natyf de Londres » mais de Normandie, et parlait nativement au moins une variété de la langue française. Entré au service d’Henri VII en tant que musicien avant de devenir « schoolmaster for the French tongue » de ses enfants et petits-enfants, il publia, peu avant sa mort, An Introductorie for to lerne to rede, to pronounce, and to speke French trewly, dédié à Mary of England, fille de Henri VIII. Titre qui fait manifestement écho aux derniers mots du manuel de Palsgrave destiné « for all suche as intende to lerne to speke trewe frenche » (1852 : 889) – à cette différence près que du Guez glisse entre to lerne et to speke, ces deux verbes : to rede, to pronounce. On notera que, pas plus chez du Guez que chez Palsgrave, il n’est question, dans leurs titres ou sous-titres, de to write French trewly. La raison en est simplement, peut-être, que leurs élèves (princes et princesses) avaient à leur disposition des secrétaires à même d’écrire, pour eux, en français. Lire correctement à haute voix des textes écrits en français L2 n’était qu’une façon d’accéder à un certain parler dans cette langue.

12 Dans son court Prologue (ibid. : 894-897) bilingue (le français L2, en plus gros caractères, y est traduit mot à mot au-dessus, en plus petits caractères, en anglais L1), du Guez considère « que cest aultre chose densegnér et daprendre [le français] par les principes et régles faictz par diuérs expertz aucteurs » (Palsgrave n’est pas cité mais est clairement visé), et d’enseigner à le lire et le prononcer à des débutants, « de premiére abordée ». Et il ajoute que lui-même, « a qui la dicte langue est maternelle ou naturelle » et qui l’a enseignée à « pluisieurs grandz princes et princesses », n’a « toutes-uois peu trouvér régles infalibles, pour ce quil nest possible de telles les trouuer, cest a dire, telles que puissent seruir infalliblement, comme font les régles composéez pour apprendre Latin, Grec et Hebrieu et aultres telz langages ».

13 D’où un manuel que du Guez a voulu « le plus brief que possible » (120 pages5 pour près de 900 chez Palsgrave), et qui est destiné aux élèves autant qu’aux maîtres. Il est divisé

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« in two bokes » : le premier en deux parties, l’une relative à « seven rules for to rede and to pronounce Frenche trewly » (ibid. : 899-901), et l’autre à la morphologie (ibid. : 921-1016)) ; le second (ibid. : 1018-1051) comprenant des « lettres missyves in prose and in ryme » et « diuerses communications by way of dialogues ». Rien de tel chez Palsgrave, dont la troisième partie est une sorte de glossaire ou de dictionnaire bilingue.

14 On a parfois interprété l’opposition entre ces deux « schoolmasters for the Frenche tongue » de la maison Tudor comme paradigmatique de ce qui peut opposer un enseignant natif de la langue qu’il enseigne en tant que L2 à un enseignant non natif de cette L2. C’est oublier que du Guez n’était pas un « simple natif », celui qui ne parle pas la langue de ses élèves et qui parle la sienne sans trop recourir aux règles des grammairiens6. Il était plus ou moins bilingue (français-anglais), et avait sans doute quelque connaissance des trois langues auxquelles il prête des règles « infaillibles », parce qu’il était sans doute conscient que nul natif n’était plus à même d’en contester l’infaillibilité.

15 Pour s’en tenir à ses règles de « prononciation », il se borne à sept contre une cinquantaine chez Palsgrave, règles formulées en termes moins articulatoires qu’auditifs (n’oublions pas que du Guez fut d’abord un musicien), telle sa première (ibid. : 899) : Ya shal pronounce your a, as wyde open mouthed as ye can ; your e, as ye do in latyn, almost as brode as ye pronounce your a in englysshe ; your i, as sharpe as can be ; o, as ye do in englyssh ; and u after the Skottes, as in this word gud.

16 Il s’y avère aussi plus attentif aux pauses et aux liaisons que ne l’est Palsgrave, ainsi qu’à la variété des prononciations, tant en anglais qu’en français : la lettre u se prononce « after the Skottes », les Picards disent « tas for tu as », et le latin est dit prononcé « after the Italians manner ».

17 Anna Mandich (D. 19 : 29) retrouve cette diversité dans de nombreux manuels italiens de français L2 des XVIIe-XVIIIe siècles : on s’y réfère au florentin pour oraliser la lettre h dite « aspirée » ; au toscan ou au romain pour le son [u] ; au lombard ou au milanais pour le son [y] ; etc. Mais Richard Wakely (D. 19 : 90) regrette qu’on n’ait pas fait de même pour enseigner aux anglophones à oraliser en français la lettre r, sa prononciation « à l’écossaise » étant proche du son français : « Pour ce qui est de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècles, la situation est décevante. Aucun auteur de manuels ne paraît attacher la moindre importance à l’existence d’un /r/ écossais, de quelque nature qu’il fût ». Pour la raison, peut-être, que les privilégiés d’Écosse qui étaient à même d’apprendre le français, les deux couronnes s’étant unies en 1603, ne tenaient pas à parler l’anglais « à l’écossaise ».

1.3. « De la pronunciacion » chez Chantreau

18 Sautons deux siècles et demi, et citons un troisième exemple7, celui de l’Arte de hablar bien francés ó Gramática completa de Pierre Nicolas Chantreau [1781] (1812 8), parce que son traité de « pronunciacion » nous paraît apporter certaines nouveautés par rapport à ceux de Palsgrave et du Guez.

19 Chantreau traite de la prononciation du français L2 en partant du constat que « el alfabeto es el mismo en embas languas, excepto que el español tiene la ll, y ñ mas quel francés » (Gramática : 1), et en avertissant ainsi ses lecteurs (ibid. : 4) :

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En los exemplos que darémos de la pronunciacion en esta primera parte, se pondrá para la mayor inteligienca del discipulo. 1. la voz francesa como se escribe. 2. su significacion en español. 3. como debe pronunciarse imitando los sonidos españoles ; y como en estos no se encuentran los u francesa, de la vocal eu y de la n nasal, me valgo de los signos siguientes para advertir sin equivocacion dichos sonidos […]

20 Suivent trois signes diacritiques destinés à avertir les utilisateurs de son manuel que (mais dans sa seule partie « Pronunciacion ») tel u surmonté d’un petit x se prononce « à la française », qu’un tiret au-dessus des deux lettres eu signale qu’elles ne sont pas « diphtonguées » comme en castillan, et qu’un petit triangle au-dessus de certains n signifie qu’ils doivent être « nasalisés ». Ainsi qu’un renvoi à la page 12 : « Diptongos nasales son los simples, y los compuestos unidos á la m, ó n, hay ocho : ian, ient, ion, oin, uin, ouan, ouen ». Sont précisées ensuite les règles à suivre pour « deletrear9 en frances para conseguir una buena pronunciacion » (ibid. : 2). Deux exemples.

21 Pour la lettre é, « con el acento agudo », laquelle sonne « como la e castillana en la voz amé » (ibid. : 5) :

VOCES FRANCESAS. IMITACION ESPAÑOLA.

Porté. llevado. P.10 Porté.

Monté. subido. Monté.

22 Ce qui peut questionner un non-hispanophone en ce que ces deux « voces francesas » sont graphiquement identiques à leur « imitacion española ». (Yo) porté (du verbe portar), (yo) monté (v. montar), tout comme (yo) amé (v. amar), sont des formes du castillan (première personne du pretérito perfecto simple), mais ces strictes équivalents graphiques espagnols des deux participes passés français n’ont pas le sens de llevado (traduction du porté français) et de subido (traduction du monté français). Ils ne sont donnés que pour leur équivalence de sonorité, pour leur seule valeur phonique. Il s’agit donc non d’une translittération mais d’une transcription « à l’espagnole » de la manière dont on doit prononcer les deux mots français. Figuration des sons de la L2 au moyen de la seule valeur phonique des lettres communes aux deux langues, qui n’est pas aussi systématiquement exploitée par Palsgrave ou du Guez. Le son auquel renvoie la lettre y est supposé échapper à la détermination des deux langues. Il est d’une part abstrait des mots à même de lui associer un sens (ou non), et d’autre part posé comme plus général (translinguistique) que particulier (propre à une langue), deux abstractions qui seront au fondement de la phonétique. Mais le procédé grapho-phonique tel qu’utilisé par Chantreau dispense les élèves d’apprendre un alphabet spécialisé (autre que celui qu’ils savent déjà), et il connaîtra un grand succès jusqu’à nos jours (qu’on pense aux manuels « Assimil »).

23 Quand le son n’est manifestement pas commun aux deux langues, au moins dans certaines de ses positions, Chantreau procède autrement. Ainsi pour la lettre g dont il est dit (ibid. : 16) qu’elle sonne « como en castillano antes de a, o, u, », mais « como j francesa antes de e, i ». D’où cette exemplification où ni jeni ni jibié ne sont des formes du castillan :

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Genie. genio. P. jeni.

Gibier. caza. jibié.

24 La lettre j sert à transcrire en castillan une fricative gutturale sourde (la jota) qui n’existe pas en français. D’où l’impossibilité de s’appuyer sur les habitudes d’oralisation des lettres de la L1 pour oraliser correctement les mots français génie ou gibier : « Nada hay que explicar sobre la pronunciacion de esta letra ; cuyo sonido solo se puede percibir por la voz viva de algun Frances » (ibid. : 17). Ne pouvant donc avoir recours au procédé grapho-phonique précédent, Chantreau s’en remet à la « vive voix » d’un natif.

25 Plusieurs intervenants au colloque de Linköping soulignent combien ce recours à « la vive voix » du maître ou d’un natif est présent dans de nombreux manuels des XVIIe et XVIIIe siècles, dont Fischer qui voit en Chantreau « un spécialiste du renvoi au Maître » (D. 19 : 45). Il est manifeste qu’on prend conscience, à l’époque classique, des limites d’un enseignement de la « prononciation » fondé sur des règles contrastant l’oralisation du même alphabet en deux (ou plus de deux) langues. Prise de conscience qui est corrélative (cf. entre autres, Auroux 1992 et Fournier 2006) au fait que les grammairiens, entre autres français, ont progressé dans leurs descriptions « phonétiques » (le terme ne s’impose qu’au XIXe siècle). Chantreau se réfère à nombre d’entre eux (de Port-Royal à Wailly, en passant par Restaut ou Buffier) au début de son traité sur la « prononciation » de cette langue (op. cit. : 2, note a), mais il ne semble pas avoir beaucoup profité de leurs progrès. C’est que, pour lui comme pour Palsgrave ou du Guez, les sons restent fondamentalement liés aux lettres par lesquelles ils sont ordinairement graphiés, tant en L1 qu’en L2, la « langue parlée » n’étant pas pour eux nettement dissociée de la « langue écrite ». Ce que font pourtant au XVIIIe siècle nombre d’auteurs, dont nous ne rappellerons ici que deux.

26 Gilles (ou Gile) Vaudelin propose en 1692 une « Nouvelle maniere d’ecrire comme on parle en France », qu’il applique en 1713 à ses « Instruction cretiennes, mises en ortografe naturelle pour faciliter au peuple la lecture de la siense du salut » (Cohen 1946). Vaudelin ne fait que reprendre ce que préconisait Louis Meigret dans ce qui est la première grammaire du français pour des lecteurs parlant au moins une variété de français : Le Tretté de la grammere françoeze [1550]. Mais alors que Meigret inscrit son projet de réforme de « l’escriture françoise » dans l’antique tradition grammaticale, Vaudelin l’inscrit dans la continuation du projet chrétien qui veut que la parole de Dieu soit accessible à tous (cf. note 11), à ceux qui ne lisent ni le latin ni le grec et que l’orthographe ordinaire française déroute. Ni l’un ni l’autre n’ont été repris, à notre connaissance, dans les manuels de français L2.

27 Dans les années mêmes où Chantreau publie son manuel, un certain Abbé de *** [Jean- Baptiste de Montmignon], dans son Système de Prononciation figurée applicable à toutes les langues, Et exécuté sur les Langues Françoise & Angloise, est nettement plus conscient que Chantreau de la distinction « langue parlée vs. langue écrite ». Dès sa première page, il pose comme une évidence l’existence d’une « espèce de divorce entre la Langue parlée & la Langue écrite » (1785 : 1), sans être toutefois partisan (il ne cite pas Vaudelin mais Voltaire) de « cette doctrine erronée qu’il faut écrire comme on parle » (ibid. : 9) : Réduisez les fonctions de l’orthographe, à ne peindre autre chose que la valeur des sons, vous serez forcé d’écrire de la même manière les mots suivans : peint, pictum ;

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peints, picta ; pain, panis ; pin, pinus ; auroit & auroient. Comment distinguer alors les différences de significations, de nombre & de tems ? Tout est brouillé, confondu.

28 Et Montmignon est si conscient de la différence, tant en français qu’en anglais, entre parler et écrit, qu’il invente, à propos des deux lettres oi, l’expression de « diphtongue oculaire » (ibid.), ce qui est une jolie façon de désambiguïser le terme.

2. Quand les deux langues (L2 et L1) relèvent d’alphabets ou de systèmes d’écriture différents

29 On sait que deux des trois langues « savantes » – celles dont du Guez estimait qu’elles disposaient de règles « infaillibles » – usent de lettres relevant d’alphabets différents de celui du latin. Et l’on sait aussi que, hors d’Europe, nombre de langues sont écrites dans des systèmes d’écriture non alphabétiques. Dès lors, le premier problème est d’apprendre à des élèves familiers de l’écriture latine à déchiffrer des caractères qui n’en relèvent pas, qui leur sont totalement étrangers. Ou, inversement, d’apprendre à des élèves familiers d’autres systèmes d’écriture comment déchiffrer, avant de l’oraliser, l’alphabet latin. Bornons-nous, là aussi, à quelques aperçus, après un bref détour par les prononciations du latin, langue qui a longtemps servi à enseigner le grec, l’hébreu ou l’arabe.

2.1. Des prononciations du latin, telles que pratiquées et telles qu’elles devraient l’être

30 Il est difficile de parler de l’enseignement / apprentissage du latin, de l’époque médiévale à la fin du XVIIIe siècle, en usant des catégories de la didactique des langues actuelle. À quelques très rares exceptions près (tel le jeune Montaigne au XVIe siècle), le latin n’était pas la L1 des élèves, mais il leur était enseigné plus ou moins comme l’on a enseigné les L1 en Europe à partir du XIXe siècle, en évitant autant que possible de recourir à une autre langue que lui-même (Besse 2012 : 17). Cet enseignement quasi « direct » du latin était rendu possible par le fait que cette « langue savante » n’était pas tout à fait étrangère aux élèves, au moins du point de vue de son oralité. Ils y avaient été familiarisés dès l’enfance par des prières apprises par cœur, et par la fréquentation d’offices religieux où, à l’exception du sermon prononcé en « langue vulgaire »11, tout était en latin. Un latin oralisé, psalmodié et chanté par les clercs à partir de textes écrits, mais que les fidèles psalmodiaient et chantaient à l’oreille, sans trop le comprendre et encore moins le lire, par simple imitation auditive des officiants ; un latin dont les prononciations effectives variaient sensiblement selon que les uns et les autres étaient d’Italie (voir ci-dessus du Guez), d’Angleterre, de France, ou d’ailleurs.

31 Il s’ensuit qu’il est difficile de trouver, dans les manuels anciens de latin, l’équivalent des petits traités de « prononciation » de Palsgrave, du Guez ou Chantreau. Deux des plus répandus, au moins chez les jésuites, celui de Jean Despautère [qui regroupe différents traités rédigés entre 1506 et 1509, publiés en 1537-1538] et celui de Manuel Alvarez [1572] n’en traitent pas. Symptomatique de cette indifférence à l’oralisation réglée des textes latins, le fait que, dans la somme que Colombat (1999) a consacrée à La grammaire latine en France à la Renaissance et à l’Âge classique, il n’est quasi pas question des sons du latin12.

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32 Longtemps semble avoir été répandue la conviction que sa « prononciation » ne présentait pas de difficultés, qu’elle allait pour ainsi dire de soi, quelles que soient les L1 pratiquées par les élèves qui l’apprenaient. Kibbee (1989 : 1513) note que, pour « le maître de français au début du seizième siècle », l’oralisation des lettres du latin, celle du moins qu’il pratiquait, constituait « la prononciation de base » du français, les premiers grammairiens de cette langue accordant « trop d’autorité à l’alphabet latin, en insistant sur le fait que le son et la lettre jouissaient d’un rapport univoque » (ibid. : 20). Il nous semble qu’il en est allé souvent de même jusqu’au début du XVIIIe siècle. Ainsi, Comenius écrit-il (nous soulignons) dans sa Novissima linguarum methodus [1648] (2005 : 118) : [Le latin] n’utilise aucune lettre qui ne soit pas déjà utilisée par toutes les autres langues. A l’évidence on ne trouve pas ici le hain de la langue hébraïque, ni le hha de l’arabe (que van Erpen évalue être le son le plus difficile de tous à prononcer), ni le th anglais, ni le a ou le e polonais qui se prononcent du nez. Non, la langue latine n’a que cinq voyelles qui se prononcent toujours uniformément et très clairement. Elle n’a pas non plus de ces consonnes dures ou mouillées qui vous tordent la bouche en tous sens, comme il arrive dans la langue slave. Dans l’ensemble donc tout y est facile.

33 Il est clair que, dans ce passage au moins, Comenius ne distingue guère la lettre du son, et que la « facilité » qu’il prête à la prononciation des lettres-sons du latin se retrouve, à son époque, chez bien d’autres. Tel Claude Fleury qui, en 1686, défend l’apprentissage de la lecture en latin plutôt qu’en français en se fondant sur la même conviction (1998 : 103) : « On fait lire en latin, parce que nous le prononçons plus comme il est écrit que le français ». Bref, on pourrait dire que, pour nombre de didacticiens des L2 avant la seconde partie du XVIIIe siècle, la prononciation coutumière des lettres du latin (qui était loin d’être la même partout) fonctionnait plus ou moins comme une sorte d’Alphabet Phonétique International (A.P.I.) pour ainsi dire naturel.

34 Signalons, toutefois, qu’on a tenté, à plusieurs reprises au cours des siècles, de régler plus uniformément la « prononciation » de cette langue « savante », et à des fins dont la préoccupation didactique n’était pas absente. Tel Érasme qui publie, en 1528, un De recta latini graecique sermonis pronuntiatione dialogus, où il regrette que l’oralité des langues « vulgaires » (il y est question du néerlandais, du français, de l’anglais, de l’italien, de l’allemand et de l’espagnol) vienne altérer l’oralisation, tant par les élèves que par les maîtres, des textes latins et grecs.

2.2. De la « prononciation » du grec et de l’hébreu anciens

35 Quelle que fût la prononciation du latin avant et après Erasme, le grec et l’hébreu étaient enseignés / appris à partir de cette langue.

36 Graecum est, non legitur, locution ressassée depuis des siècles14 dans un Occident trop latinisé pour parler grec ou hébreu (anciens). Elle signifie que, se heurtant à des caractères illisibles, on n’y comprend rien, à la façon dont on dit en français actuel : C’est du chinois (de l’hébreu) pour moi. À l’époque médiévale, ce que Boulhol (2008 : 131) dit de la France est sans doute applicable à bien d’autres contrées de l’Europe de l’Ouest, à savoir que « l’étude du grec (y) fut soit inexistante, soit exceptionnelle ». Des quinze manuels de grec recensés par le Corpus représentatif des grammaires et des traditions linguistiques (H.E.L., hors-série n° 2, 1998), un seul a pour « métalangue » le latin, celui de Roger Bacon, dont l’unique manuscrit complet (du XIVe siècle) ne fut publié qu’en 1902. D’après la notice qu’en ont rédigée Jean Lallot & Irène Rosier (ibid. :

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29-30), ce manuel « témoigne d’une réelle originalité de conception : pour la première fois peut-être, le grec est décrit en latin (et en référence permanente au latin), comme une langue étrangère », et ils précisent qu’il s’agit d’un « ouvrage d’introduction au grec caractérisé par une étude très détaillée de l’alphabet » et par des « textes de lecture » présentés (nous soulignons) « sur trois niveaux se correspondant mot à mot : texte latin, prononciation figurée du grec en alphabet latin, texte grec ». À quels sons grecs et à quels sons latins pouvait correspondre cette « prononciation figurée » ? Pour Lallot & Rosier : « La prononciation décrite est celle du 13e s. » Mais cette figuration des lettres grecques au moyen des lettres latines va-t-elle bien au-delà d’une simple translittération, plus ou moins attentive aux « diphtongues oculaires » propres aux deux alphabets ?

37 Pour ce qui est de l’hébreu (biblique), S. Kessler Mesguich recense, dans le même Corpus (H.E.L., hors-série n° 3, 2000), douze manuels, dont deux ayant pour « métalangue » le latin. Celui de Johanes Reuchlin, dont seule la première édition de 1506 comporte un « livre premier » (de 4 pages) où il est question de l’alphabet hébraïque, de « règles élémentaires de prononciation », et d’un « exercice pratique de lecture » (ibid. : 202). Et celui de Nicolas Clénard [1529], qui réserve quelques pages aux « règles de prononciation » des consonnes et des voyelles, sommairement présentées (ibid. : 208). Va-t-on, là aussi, au-delà d’un déchiffrage oralisé, « à la latine », des lettres hébraïques ?

38 Qu’en était-il de la prononciation du grec et de l’hébreu dans les collèges ouest- européens du temps ? Nous nous en tiendrons à ce qu’on peut en deviner (il n’en est pas explicitement question) à la lecture de la Ratio studiorum jésuite [1599] (1997). Le grec y était enseigné parallèlement au latin dès la classe de grammaire inférieure et à peu près de la même façon, mais plutôt l’après-midi et avec un horaire réduit (ibid. : 190). Pour les classes les plus avancées (humanités et rhétorique), il était prévu, « éventuellement », des « déclamations » en latin et en grec. Mais rien n’y est dit sur la manière dont les élèves devaient prononcer ces deux langues, là aussi peut-être parce qu’on s’en remettait à « la vive voix » des enseignants. Quant à l’hébreu, il était réservé aux futurs théologiens, qui apprennent à en « observer la force et le pouvoir des mots, les idiotismes propres à cette langue, et les préceptes de la grammaire » (ibid. : 114). Des « académies d’hébreu et de grec » étaient certes prévues, mais c’était afin de « se montrer capables de maintenir, en privé et en public, la connaissance et la dignité de ces langues » (ibid. : 91), et non de les parler. Il s’agissait seulement de savoir les citer à bon escient dans les controverses religieuses tenues en latin. Et ce, « d’après les originaux hébreux ou grecs […] et seulement quand quelque divergence entre ces originaux et l’édition latine de la Vulgate réclame un accord, ou quand (leurs) idiotismes […] contribuent à une plus grande clarté ou à une meilleure intelligence du texte » (ibid. : 109). Bref, on ne semble guère être allé au-delà de l’oralisation « à la latine » des lettres grecques et hébraïques.

2.3. À propos de quelques autres langues

39 Il en allait à peu près de même pour l’arabe classique. Thomas Erpenius (le van Erpen dont il est question dans la citation ci-dessus de Comenius) avait publié à Leyde en 1613 une Grammatica Arabica, dont une édition, légèrement remaniée, est parue à Paris en 1620 sous le titre : Rvdimenta Lingvae Arabicae. Elle était destinée à des lecteurs polyglottes, tant en langues « savantes » que « vulgaires », qui désiraient certes

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déchiffrer l’arabe classique mais aussi le prononcer à des fins sans doute, là aussi, plus exégétiques que communicatives.

40 Son Liber primvs (Erpenius 1638), sous-titré De Elementis Lingua Arabicae, traite, en 32 pages, d’abord des lettres-consonnes ensuite des trois lettres-voyelles de cette langue. Le tableau des premières est disposé en quatre colonnes et peut se lire de droite à gauche (comme l’arabe). À droite donc, la colonne de leurs différentes Figura, car elles se graphient différemment selon leurs places dans les mots15 ; ensuite leur Nomen arabe donné en caractères latins ; leur Potestas ou caractéristiques plus auditives qu’articulatoires ; et dans la colonne la plus à gauche, leur numéro d’Ordo dans l’alphabet canonique arabe. Quelques exemples : les quatre graphies de la première consonne (Ordo : 1) dénommée « Elif » (le alif actuel) se prononcent « spiritus lenis Graecorum » ; les quatre graphies de la quatrième, le « Thfe » (le tha actuel) sont dites Blaesum (« bégayées »), d’où sans doute leur curieuse graphie latine, comparable à celle de la neuvième dite aussi Blaesum (« Dhfal ») ; les quatre de la cinquième, le « Gjim » (le jim actuel), se prononcent comme le G gallicum, alors que celles de la dix-neuvième, le « Gain » (le ghayn actuel), se prononcent comme le G Latinum. Ce tableau est suivi de diverses explications quant aux différences des Figura selon leurs positions, et quant à leur prononciation (d’ordre articulatoire ou auditif). Quant au tableau des trois voyelles, dites « Fatha » (correspondant à « A vel E »), « Damma » (correspondant à « O vel V ») et Kefra » (à « I »), elles donnent aussi lieu à diverses explications, ainsi « fatha modo valet a clarum, modo e, vel a Anglicum, id est a ad e déclinans ». Il s’agit donc bien d’enseigner, là aussi, à oraliser les lettres de cet alphabet non latin à l’aide de celles de l’alphabet latin, tel qu’alors prononcé, en s’appuyant parfois sur la prononciation d’autres langues européennes supposées connues des lecteurs. Ce Liber primvs ne se distingue donc de ceux de Palsgrave, du Guez ou Chantreau que par la nécessité d’enseigner à déchiffrer les lettres de l’alphabet arabe, en les translittérant dans celles de l’alphabet latin.

41 Dernier jalon, une courte incursion dans les manuels de français L2 destinés à des élèves accoutumés à des écritures non alphabétiques. Longtemps a prévalu, en Occident, un préjugé sur ces écritures exotiques qui les rendait encore plus incompréhensibles que celles du grec ou de l’hébreu. Ainsi l’abbé de Montmignon estimait que « les caractères de l’écriture chinoise ne sont autre chose que les traits mutilés d’une peinture originairement destinée à représenter les objets » (1785 : 1, n. 1). Préjugé dont on sait qu’il fonctionna comme un obstacle épistémologique au déchiffrage des hiéroglyphes égyptiens, obstacle que Jean-François Champollion parvint à surmonter en découvrant, grâce à la pierre de Rosette16, que les hiéroglyphes pouvaient aussi renvoyer à des sonorités (cf. Sven Öhman, D. 19 : 15). Découverte dont nombre de linguistes et de philosophes mettront du temps à tirer les conséquences, continuant à opposer les écritures alphabétiques aux écritures non alphabétiques, dites syllabiques, logographiques ou idéographiques, et estimant volontiers que les premières étaient plus « évoluées » que les secondes et donc leurs supérieures. Ce n’est que depuis peu que toutes les écritures sont considérées, à des degrés et selon des modalités différentes, comme des écritures « mixtes ». Ainsi, dans ce qui s’écrit ordinairement ils chantent, il y a certes phonétiquement deux voyelles et trois consonnes [il∫ãt] mais l’une de ces consonnes y est notée par le digramme ch, et le s et le ent, qui ne se prononcent pas, y sont des sortes d’idéogrammes du « pluriel », tout comme la division par un blanc graphique, de ce qui à l’oral forme un tout, de ils et de

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chantent en fait deux sortes de logogrammes. Il en résulte que si l’on peut à peu près transcrire le chinois ou le japonais à l’aide de l’alphabet latin, on peut, tout aussi bien ou mal, transcrire cet alphabet au moyen des écritures traditionnelles chinoise ou japonaise. C’est, par exemple, ce qu’on peut observer dans certains manuels japonais de français L2 qui utilisent les katakana17 pour transcrire approximativement les sons du français.

3. Des « prononciations figurées » ou d’une qualification équivoque

42 L’expression prononciation figurée18 sert à désigner plus qu’à qualifier diverses manières d’enseigner la prononciation des L2, depuis celle de Roger Bacon à celle de Montmignon ou à celle de Passy et Rambeau dans leur Chrestomathie française [1897], sous-titrée (nous soulignons) « Morceaux choisis de prose et de poésie, avec prononciation figurée à l’usage des étrangers », laquelle s’appuie sur l’Alphabet Phonétique International (A.P.I.). Sans oublier que les écritures ordinaires, qu’elles relèvent d’une « ortografe naturelle » ou non, sont aussi, au moins localement, des « prononciations figurées ».

3. 1. Pratiques de « prononciation » et écritures ordinaires dans Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde n° 19

43 Les intervenants au colloque de Linköping ont fort bien décrit, sous des formulations diverses, ce qu’étaient, et sont encore, les pratiques de « prononciation » liées à l’écriture ordinaire des langues. Öhman (D. 19 : 16) fait observer que (italiques et majuscules originales) « la phonétique traditionnelle est la doctrine de la PRONONCIATION des expressions de l’écriture » ; Fischer (ibid. : 37) constate que toutes les « grammaires françaises parues en Espagne au XVIIe siècle […] commencent par une étude des lettres, qui, en réalité, est une étude des sons » ; Minerva (ibid. : 53) dénonce, chez les grammairiens du même siècle, « l’ambiguïté de l’utilisation synonymique des termes lettre et son », ce qui fait que leurs analyses « phonétiques » décrivent « la prononciation correcte des sons représentés graphiquement » et non les « sons véritablement articulés dans la langue parlée » ; Maria José Salema (ibid. : 118) note que nombre d’auteurs considèrent « les lettres comme les éléments de base de la prononciation » ; Marcus Reinfried (ibid. : 185) regrette que « bien des grammairiens [du XVIe au XIXe siècle] identifient les sons du français aux graphèmes allemands sans en éclaircir les différences » ; et Turid Henriksen (ibid. : 207) parle de « règles d’orthoépie dans le sens graphie-prononciation ».

44 À ces quelques citations, parmi bien d’autres possibles, ajoutons deux remarques de Konrad Schröder. Il note (ibid. : 243) que « the tradition of studying English without paying too much attention to the correct pronunciation continues well into the 19th century » (ibid. : 249). Tradition qui se retrouve dans bien d’autres pays et pour bien d’autres langues, presque chaque fois qu’une L2 est enseignée / apprise à des fins plus savantes que pragmatiques. Et il épingle (ibid.) « several specialized guides to English pronunciation » parus en Allemagne fin XVIIe-XVIIIe siècles, qui prétendaient enseigner à prononcer les lettres en L2 « par règle » : « The basic flaw of the presentation “by

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rule” was the fact that the textbook authors went from letter to sound, and not, as we do today in the teaching of modern languages, from sound to letter ». Plusieurs de ces intervenants montrent que ces pratiques d’oralisation réglées des lettres de la L2 ont perduré (en Italie, au Portugal, en Allemagne) tout au long du XIXe et du XXe siècle – en dépit des progrès de la phonétique et de l’émergence d’alphabets (dont l’A.P.I.) mieux aptes que les écritures ordinaires à transcrire la stricte oralité des langues. C’est que nombre de manuels de L2 ont échappé, et échappent encore, à la « véritable révolution méthodologique » (Galazzi 2002 : 27) qui a eu lieu, en Europe, à la fin du XIXe siècle. Un seul exemple : dans la préface à un opuscule titré La Prononciation et l’Accentuation anglaises en tableaux synoptiques, l’auteur, professeur agrégé au lycée de Marseille, écrit qu’on perd beaucoup de temps à corriger de multiples fautes « que les élèves ne feraient pas s’ils avaient appris à lire l’anglais comme les petits anglais apprennent à le lire, ou comme ils ont appris eux-mêmes à lire le français » (Lestang 1901 : V).

3.2. Distinguer terminologiquement ces « prononciations figurées »

45 Dans les actes du colloque de Linköping/Vadstena, elles sont parfois dites phonétiques (cf. Öhman parlant de « phonétique traditionnelle », ou le titre de la communication de Schröder : « The Teaching of English Phonetics… »), sans que le terme y ait strictement le sens technique qu’il prendra au cours du XIXe siècle. Elles y sont aussi parfois qualifiées de prononciation figurée mais rarement, comme si les intervenants craignaient d’user d’une expression par ailleurs couramment utilisée pour bien d’autres pratiques.

46 Swiggers (1990 : 35) a proposé de qualifier ces pratiques de graphophonétiques, ce qui est pertinent, à la restriction près que phonétique doit y être entendu (comme, ci-dessus, chez Öhman ou Schröder) au sens de phonique. Pourquoi pas graphophonique ? Ou bien grammatophonique, néologisme d’origine grecque tout comme les précédents, mais qui présente l’avantage de rattacher ces pratiques de prononciation à la grammaire, à l’antique science des grammata, dont elles procèdent plus que de la science relativement moderne de la phonétique19.

47 On s’est borné ici à baliser ces pratiques grammatophoniques à l’aide de quelques exemples, sans trop en pousser l’analyse, faute de place mais aussi de compétence. Reste à en mener une étude plus méthodique, collective si possible, qui les distinguerait des autres « prononciations figurées » telles qu’elles ont été pratiquées, en Occident et hors d’Occident, pour aider les élèves à prononcer « correctement » une langue non native. Le recours à l’A.P.I., depuis la fin du XIXe siècle, se veut moins bricolé ou plus « scientifique », il n’en est pas, pour autant, la fin de l’histoire.

BIBLIOGRAPHIE

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FOURNIER J.-M. (2007). « La généralité dans les théories du son à l’âge classique », Histoire Épistémologie Langage, tome XXIX, fascicule 1, 85-103.

GALAZZI, Enrica (2002). Le son à l’école. Phonétique et enseignement des langues (fin XIXe siècle-début XXe siècle). Brescia : Editrice La Scuola.

HAMMAR, Elisabet (éd.) (1997). Phonétique et pratiques de prononciation. L’apprentissage de la prononciation : chemin parcouru jusqu’à nos jours. Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 19.

H.E.L. (Histoire Épistémologie Langage) (1998, hors-série 2) (2000, hors-série 3). « Corpus représentatif des grammaires et des traditions linguistiques ».

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SWIGGERS, Pierre (1990). « Histoire et historiographie du français : modèles, objets et analyses », Études de linguistique appliquée 78, 27-47.

THUROT, Charles (1966) [1881]. De la prononciation française depuis le commencement du XVIe siècle, d’après les témoignages des grammairiens. Deux volumes. Genève : Slatkine.

NOTES

1. On pourra se reporter à la bibliographie de G. Kahn dans ce même numéro. 2. Pour économiser les caractères, nous citerons les auteurs (une vingtaine) de ces actes (cf. Hammar éd. 1997) en nous référant à la pagination de ce numéro (sous la forme D. 19 : page citée), sans rappeler les titres de leurs communications dans notre bibliographie. La SIHFLES a aussi organisé une journée d’étude à Mons sur la « méthode verbo-tonale » de P. Guberina, dont il ne sera pas question ici. 3. Dans les exemples dont nous ferons des citations, nous nous en tiendrons (là aussi pour des raisons d’économie) à des manuels imprimés en caractères latins ; et pour éviter de multiples traductions, à des manuels usant du français, de l’anglais et du castillan, langues que l’on suppose relativement compréhensibles aux lecteurs de cette revue. 4. Où elle est suivie de celle du manuel du Guez (cf. ci-après). Nous en suivrons fidèlement l’orthographe sans la confronter à celle des éditions plus récentes. 5. La réédition qu’en a fait Slaktine en 1972, présentée comme une reprise de l’édition originale de 1532, est non paginée et couvre environ 120 pages. 6. Telles les nourrices chargées de parler aux infans une autre langue que celle usuellement pratiquée dans leur famille, ou ceux qui enseignent une L2 au seul moyen d’elle-même faute d’être à même de parler la L1 de leurs élèves. 7. Denise Fischer (D. 19 : 37-50) en traite dans les actes de Linköping mais par rapport aux auteurs espagnols de manuels de français L2 de son temps. 8. Il s’agit de la Sexta impresion, chez le même éditeur que la première et qui n’en diffère que peu. 9. Traduit en français dans les dictionnaires contemporains par épeler ou articuler. 10. P. équivaut à pronúnciese. 11. En 794, une assemblée d’évêques réunie à Francfort rappelle que le dieu des chrétiens peut être prié dans d’autres langues que le latin ou le grec, leur dieu étant apte à parler dans la langue de chacun (croyance qui jouera un grand rôle dans la reconnaissance et l’étude par les lettrés occidentaux des langues vulgaires). Et en 813, une autre assemblée réunie à Tours décide que les

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sermons seront dits désormais en « langue rustique romane ou tudesque » (rusticam Romanam linguam aut Theodiscam). 12. Deux pages exceptées, relatives aux Rudimenta grammatices de Niccolò Perotti [ca 1470], où Colombat rappelle que, en latin comme en grec, il existait deux termes pour désigner la lettre (gramma / stoikheion ; litera / elementum), et que certains auteurs ont essayé de les différencier en réservant l’un aux lettres et l’autre aux sons qu’elles servent à noter. 13. La revue de la Sihfles, qui ne dépassait pas alors une trentaine de pages, n’en a publié qu’une partie (D. 3 : 15-20). 14. Dans le Julius Caesar de W. Shakespeare, (1603) Servilius Casca dit à Cassius à propos d’un discours que Cicéron vient de faire en grec : It was Greek to me, formule qui se retrouve dans les expressions That’s Greek to me ou It’s (all) Greek to me. Et l’expression latine apparaît sous la plume de V. Hugo dans Notre-Dame de Paris, dans un chapitre où est cité un mot grec qui serait (d’après sa préface de 1832) à l’origine de son roman. 15. On en distingue généralement trois (en début, milieu et fin de mot), mais Erpenius en donne systématiquement quatre, même quand il n’y a pas quatre graphies différentes. 16. Où le même décret est gravé en deux langues, l’égyptien et le grec anciens, et trois écritures, hiéroglyphique, démotique et alphabet grec. 17. L’écriture japonaise traditionnelle utilise trois types de caractères, les kangi (proches des caractères chinois), les hiragana (caractères syllabiques) et les katakana, caractères aussi syllabiques dont on se sert pour transcrire les mots étrangers. 18. Dont nous ne savons pas exactement quels sont les équivalents dans les autres langues européennes. 19. Il est possible que ces néologismes passent moins aisément dans d’autres langues (par exemple, en anglais ou en allemand).

RÉSUMÉS

L’enseignement de la prononciation du français langue étrangère (L2) est longtemps passé par des règles qui ne dissociaient pas les sons des lettres servant ordinairement à les écrire. Visant à aider les élèves à oraliser ces lettres autrement qu’ils étaient accoutumés à le faire dans leur langue maternelle (L1), ces règles étaient d’ordre contrastif (L2-L1) et formulées en termes plus ou moins articulatoires ou auditifs. Bien étudiées dans les manuels de français L2 des XVIIe-XIXe siècles, ces règles l’ont moins été dans ceux du XVIe siècle, ainsi que dans ceux destinés à des élèves accoutumés à des alphabets ou systèmes d’écriture non latins. Le propos de cet article est donc d’interroger, plus qu’il ne l’a été jusqu’alors, cet enseignement « phonétique » en l’inscrivant dans la longue durée (de l’époque médiévale à nos jours) et dans un cadre plus large quant aux langues et écritures concernées.

The teaching of the pronunciation of French as a foreign language (L2) has relied for a long time on rules, which did not dissociate sounds from the letters commonly used to write them. Aimed at helping students to render orally those letters otherwise than they usually did in their mother tongue (L1), these rules were of a contrastive order (L2-L1) and formulated in more or less auditive or articulary terms. While well-studied in the case of the 17th to 19Th century L2 French textbooks, those rules were less so concerning those of the 16th century, as well as in those written for students used to non-Latin scripts or alphabets. The aim of the present article is

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therefore to investigate further than done until now, such as ‘phonetic’ teaching over the long term (from the Medieval era to this our day) while widening the range of scripts and languages under consideration.

INDEX

Mots-clés : Langues étrangères. Prononciation. Transcription. Translittération. Prononciation figurée. Keywords : Foreign Language. Pronunciation. Transcription. Transliteration. Figured Pronunciation.

AUTEUR

HENRI BESSE ENS de Lyon

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Le français de l’époque moderne comme objet d’histoire sociale et culturelle : un témoignage personnel

Willem Frijhoff

1 Depuis bientôt un quart de siècle l’histoire du français en tant que langue étrangère ou seconde constitue une part importante de ma recherche d’historien de la culture, de l’éducation et des sociétés. Je ne suis ni linguiste ou littérateur, ni pédagogue ou éducateur au sens strict, universitaire ou académique. Les systèmes et théories ne m’intéressent que pour autant qu’ils m’aident à saisir en tant qu’historien de la culture la formation, le fonctionnement et les formes d’attribution de sens de sociétés données. Je m’occupe plus particulièrement de leur impact sur la vie des acteurs de l’histoire, si possible au sens le plus personnalisé ou individuel du terme d’acteur, actant ou agissant. Ce qui me passionne dans l’histoire est l’interaction continue mais toujours changeante entre les personnes humaines ou des groupes bien cernés, leurs façons d’agir, les codes de conduite et autres outils qu’ils utilisent pour construire leur vie individuellement ou en commun, les interprétations symboliques de la réalité, et les transformations sociales et culturelles qui en découlent.

2 Mon attachement au français en tant qu’objet d’étude est en quelque sorte le fruit d’un hasard personnel, lié à la prolongation imprévue d’un séjour d’études en France qui aurait dû être limité à ma formation universitaire, et à mon insertion dans la société française par le biais familial. Par ailleurs, je suis connu comme un spécialiste de la période moderne – un terme malencontreux, très marqué par une conception linéaire de l’histoire, pour une époque qui était fertile en initiatives sociales, évolutions politiques et transformations culturelles autant en France que dans mon pays natal, les Pays-Bas actuels, mais qui n’a plus rien de « moderne » dans l’acception actuelle. L’intérêt que j’y porte est le fruit d’une autre série de hasards, liés à la rencontre de maîtres qui m’ont stimulé dans le sens de leurs propres passions. Mais il provient aussi de ma découverte personnelle d’un terrain historique où ont été jetés les fondements de l’Europe

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d’aujourd’hui, profondément divisée par ses stratégies identitaires tout en restant unie par une culture commune de base, dont les paramètres sont plus clairs que jamais, maintenant que l’Europe accueille des populations représentant une multitude d’expressions culturelles divergentes, voire adverses, venues de toutes parts. D’ailleurs, d’autres hasards de recherches m’ont depuis lors tourné vers l’Amérique coloniale.

3 Le choix de la période moderne n’a eu pour moi rien de prédestiné et n’a toujours rien de contraignant. Ainsi, le mémoire de maîtrise par lequel j’avais terminé mes études de théologie, préalablement à celles d’histoire, était axé sur le Moyen Âge, et avant de me concentrer sur le cœur de la période moderne, le XVIIe siècle batave et français, j’ai longuement flirté avec le XVIIIe siècle, puis la période révolutionnaire et ses suites, un amour qui laisse toujours des traces. J’y retrouve d’ailleurs à chaque détour la francophonie ou les Français eux-mêmes dans une multitude de thèmes : le français langue des rapports internationaux, le voyage de France et la pérégrination académique, la culture de cour conquérante, la mode et les amours, les livres et périodiques, les idéaux et pratiques révolutionnaires, la domination et l’oppression linguistique et culturelle, puis les grands actes d’institution du monde contemporain par la politique, l’éducation, la planification, la morale bourgeoise, une culture expansive et colonisatrice aussi bien dans les colonies au sens propre que dans les pays sœurs de l’Occident, etc. Tout cela proclame haut et fort que l’on ne saurait penser ou analyser la période moderne sans tenir compte de la place centrale de la France, des francophones de France et d’ailleurs, et du français.

4 Le regard que je jette sur l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde est donc un regard d’historien, le regard de celui qui scrute les occurrences et occasions saisies par les hommes et femmes, en tant que personnes dotées de la faculté du langage et praticiens de langues différemment constituées, pour se construire un réseau de contacts et de compréhension mutuels, achever la réalisation de projets, idéaux ou rêves collectifs, élargir leur horizon ou au contraire restreindre l’accès à leur univers. Soulignons l’importance de ce dernier élément : les restrictions, négations ou refus. En effet, chaque scientifique, érudit ou professionnel court toujours le risque de ne relever que le positif, les réussites de l’histoire et les actes documentés. Inconsciemment, l’interprétation se limite le plus souvent à ne mettre en avant que ce qui confirme ou exalte l’objet étudié, et à en accentuer les performances et exploits, tout en oubliant les facteurs d’échec, les occasions ratées et les refus, ou encore en négligeant les succès des concurrents qui utilement peuvent relativiser le récit de la conquête. Ainsi, le français de l’époque moderne demeure-t-il toujours en concurrence, parfois ardue, avec un triple faisceau linguistique : les langues anciennes, en particulier le latin, qui demeurent les langues de l’érudition internationale et universitaire ; les langues régionales et les dialectes locaux, qui demeurent les langues d’intimité et de la vie communautaire du grand nombre ; et les langues étrangères qui continuent de régir le commerce des hommes et des biens dans de nombreux domaines et d’immenses régions du monde.

5 Je ne me considère donc pas un historien de plein droit du français langue étrangère ou seconde et de son enseignement, mais plutôt un historien de la culture et de l’éducation qui à l’occasion regarde le monde par le prisme de la pratique du français dans ces deux domaines, en reconnaissant que la place du français dans les sociétés européennes d’autrefois mérite bien un traitement privilégié mais certainement pas unique. La nuance est de taille, car elle implique un point de départ qui considère la langue comme

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un instrument neutre sur le terrain de la négociation culturelle et demeure toujours prêt à en souligner les limites et échecs au même titre que les réussites et les gloires.

6 La tâche primaire de l’historien est de construire son thème comme un objet historique, en accord avec un discours de la méthode qui vaille dans sa profession. Puis de présenter sur cet objet un discours interprétatif – discours qui peut être de facture littéraire, scientifique ou autre, et même de facture visuelle si la thématique s’y prête. Les méthodes historiques sont loin d’être uniques ou même univoques, mais dans tous les cas elles privilégient l’axe du temps et le domaine de l’agir humain, et partant les facteurs sociaux et culturels, même lorsqu’il s’agit d’analyser des structures, des systèmes ou des concepts théoriques. Dans le domaine qui nous concerne ici, c’est-à- dire l’enseignement du français langue étrangère ou seconde, l’objet se situe à l’intersection de plusieurs champs historiques : l’éducation dans tous les sens du terme, y compris l’enseignement institutionnalisé (école, instituts, internats, cours régulièrement établis), formel (maîtres de langue, précepteurs) ou informel (guides choisis, l’autodidaxie par manuels ou sur le tas, l’immersion linguistique, etc.) ; la langue, formelle et standardisée, mais aussi ses variantes dialectales ou autres ; le français, dans toute son extension sociale et culturelle et toute sa diffusion géographique, sans cette limitation quasi-automatique à la France dès que l’on en foule le sol ; enfin le rapport à l’étranger, qui introduit un facteur politique lié à la nation ou à la communauté sociolinguistique formalisée.

7 Dans le passé, l’accent primaire de la recherche tombait le plus souvent sur (l’enseignement de) la langue comme objet linguistique autonome correspondant aux règles internes de sa formation et de sa circulation (linguistique, didactique, lexicographique, etc.), ou comme véhicule littéraire ou intellectuel répondant aux règles normatives externes qui régissent sa forme, sa qualité (ou pureté), les règles de son usage, sa capacité d’expression, etc. L’historien, en revanche, se pose d’autres types de questions. Son objet est la langue en contexte, c’est-à-dire la langue comme objet d’action, d’intervention et de négociation dans le champ social des biens et valeurs culturels. Son discours n’est pas – ou seulement accessoirement – centré sur la langue elle-même mais sur ses usages, ses interactions dans les champs plurilingues, ses valeurs communautaires, son impact dans d’autres domaines ou secteurs de la communauté ou de la nation. Il s’intéresse avant tout au domaine social qui constitue la langue : sa pratique (sans pratiquants, pas de langue qui vaille ce mot), sa diffusion, son impact ; et à son rôle dans le domaine culturel plus large, impliquant les valeurs, les symbolismes et les jugements de qualité. Bien au-delà de sa valeur d’usage dans la vie quotidienne, la langue est un objet de pouvoir interhumain, un instrument de domination interculturelle, et à l’occasion un moyen efficace pour obtenir un pouvoir alternatif, que ce soit dans l’intimité ou dans les rapports sociaux. Bien sûr, l’opposition entre l’objet et son usage est assez factice, mais elle permettra de distinguer de façon analytique entre deux approches scientifiques assez différentes du fait linguistique qui souvent ne se rencontrent guère, si elles ne s’ignorent pas carrément.

8 Le concept clé de cette deuxième approche peut être défini comme le marché linguistique – terme pris ici, bien entendu, dans le sens figuré du mot « marché », quand bien même l’on découvre dans le commerce international des langues parfois des transactions qui renvoient assez clairement à son sens littéral. Dans cette activité « économique » l’enseignement de la langue joue un rôle formateur, préparatoire ou correcteur. Le marché linguistique est essentiellement un marché social et culturel, qui organise et

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définit les valeurs et pratiques d’usage dans les territoires politiques (nationaux, régionaux, communautaires, etc.), sociaux et culturels ; il règle la concurrence, définit les domaines d’application des différentes langues qui se présentent, oriente les usagers vers des langues, dialectes ou sociolectes mieux adaptés aux usages pratiques et aux valeurs culturelles, au mouvement social ou aux conflits et intérêts collectifs, et fixe la métalangue commune du moment (la lingua franca). Comme l’histoire nous l’apprend, celle-ci, qui dans l’Europe moderne fut pendant un long moment le français, est loin d’être fixe ou universelle, car elle demeure sujette au jeu changeant des forces politiques et aux valeurs culturelles toujours en transformation. L’histoire d’une langue n’est jamais une histoire close, achevée, et on ne saurait postuler pour elle une évolution linéaire dans l’avenir proche ou lointain.

9 Nous pouvons considérer l’enseignement lui-même de la langue comme un bien culturel, objet possible d’une approche économique – le terme « économie » étant pris ici, tout comme la notion de marché, dans son acception la plus large, dépassant le purement mercantile pour englober toute forme d’échange réel, symbolique ou virtuel. Pour l’analyser et l’étudier dans cette perspective, on peut donc utilement avoir recours aux concepts et méthodes qui peuvent être empruntés au vocabulaire socio- culturel de base de l’étude du marché, soit :

10 - l’offre : c’est-à-dire la langue en tant qu’objet constitué, la communauté linguistique qui la porte et transmet, les maîtres et les écoles ;

11 - la demande : les positions sociales, économiques, culturelles, politiques ou religieuses impliquant son usage ;

12 - les voies de transmission ou de transfert : les occasions de contact, les domaines d’application (l’économie et la vie quotidienne, bien sûr, mais aussi, et plus particulièrement des domaines spécifiques où la langue reflète un savoir de groupe surdimensionné, tels que la gestion du corps, la mode, la cuisine, le savoir-vivre, la science, la piété ou la philosophie) ;

13 - l’appropriation de la langue, de son enseignement et de ses formes, modalités et occasions d’usage par la communauté, la nation, des groupes particuliers, la famille, voire la personne particulière dans son expression intime.

14 C’est par une analyse combinatoire intelligente de tels facteurs que l’on pourra pleinement rendre compte des variations de diffusion et d’intensité, de quantité et de qualité de l’usage du français langue étrangère ou seconde, et du rôle que son enseignement a pu jouer pour les réaliser. Même limité à l’Europe moderne, ce genre d’analyse pourra aider à dégager des modèles utiles pour la gestion de la langue sur le marché linguistique d’aujourd’hui, sans oublier ses rôles possibles dans l’avenir.

AUTEUR

WILLEM FRIJHOFF Université Libre, Amsterdam / Université Érasme, Rotterdam

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Recherches en histoire de l’enseignement des langues. Quelle place, quelles méthodes ?

Michel Berré

1 Les dixième et vingt-cinquième anniversaires de la SIHFLES ayant donné lieu à plusieurs coups d’œil dans le rétroviseur1, une fois n’est pas coutume dans Documents, les lignes qui suivent n’évoqueront pas le passé, mais seront tournées vers l’avenir, développant plus particulièrement le dernier terme de la triade « problèmes, bilans et perspectives » mise en exergue dans le titre du volume commémoratif du vingt- cinquième anniversaire. Nous nous concentrerons sur les deux principaux termes de la question posée par les organisateurs de la Table ronde, à savoir « Quelles méthodes et quelle place pour les recherches en histoire de l’enseignement des langues ? ».

1. À propos de la notion de « méthode »

Ceux à qui la pratique de la recherche en sciences humaines est chose familière n’ignorent pas que bien souvent, contrairement à l’opinion commune, la réflexion sur la méthode ne précède pas une telle pratique, mais la suit.

2 Et l’auteur de poursuivre : Il s’agit donc de pensées en quelque sorte dernières ou avant-dernières, à discuter entre amis, et que seule peut légitimer une longue habitude de la recherche (Agamben 2009 : 7).

3 Ce temps est apparemment venu pour la SIHFLES… Voici donc en guise de mise en bouche quelques réflexions d’ordre « méthodologique » à propos de domaines dans lesquels la SIHFLES a travaillé et investi ces dernières années, celui de la collecte des sources (1.1.) et celui de leur interprétation (1.2.).

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1.1. Les répertoires de manuels

4 De nombreux répertoires de manuels d’enseignement/apprentissage du français ont vu le jour, d’autres sont en cours ou n’ont jamais été publiés et constituent aujourd’hui un point de départ incontournable pour tout chercheur (professionnel ou non) souhaitant mieux connaître l’histoire de l’enseignement du français, même si – et les auteurs de ces « inventaires » sont les mieux placés pour le savoir – un répertoire n’est jamais qu’une reconstruction partielle de la réalité, conditionnée par des choix qu’il convient d’expliciter et par les possibilités matérielles d’investigation. D’autres sources (cahiers d’élèves, mobiliers et matériels scolaires, etc.) mériteraient à coup sûr d’être inventoriées de manière un tant soit peu systématique.

5 Ces travaux d’inventorisation sont souvent coûteux (en temps, en moyens humains et financiers) et peu gratifiants sur le plan scientifique. C’est pourquoi, selon nous, au moins pour la période contemporaine (XIXe et XXe siècles), il est nécessaire que les responsables des « inventaires » prochainement mis en chantier abandonnent, dès le départ, toute ambition d’exhaustivité et s’abstiennent de toute velléité de description de contenu qui conduit inévitablement à l’anachronisme – les descripteurs et index étant par définition « a-historiques ». Ce travail descriptif relève d’une démarche interprétative (tout en n’en constituant bien entendu qu’une étape ; cf. point suivant).

6 Par ailleurs, les travaux d’identification et de mise à disposition des sources doivent se faire en étroite collaboration avec les professionnels des domaines investigués (bibliothécaires, archivistes, documentalistes, informaticiens, etc.) maîtrisant les nouvelles technologies et donnant une relative pérennité au projet. Si ces conditions ne sont pas réunies, il est préférable de s’abstenir ou de s’en tenir à des entreprises plus limitées ou simplement illustratives. On lira avec profit ce que Cardon-Quint (2013) écrit à propos de l’avenir de la banque de données EMMANUELLE (qui recense l’ensemble des manuels scolaires parus en France depuis 1789) et de sa nécessaire adaptation à un monde investi par les nouvelles technologies. La question doit, selon nous, être posée non seulement en termes de légitimité scientifique mais aussi de complémentarité : sous quelle forme concevoir aujourd’hui des répertoires et/ou inventaires pour qu’ils puissent apporter un « plus » par rapport aux ressources disponibles sur Internet et auxquelles un chercheur familiarisé au domaine accède sans difficulté ?

1.2. Un modèle ?

7 Le domaine d’« objets » de la SIHFLES est à ce point vaste (politiques linguistiques, pratiques langagières, migrations, méthodes, techniques, contenus d’enseignement, transferts culturels, etc.) qu’il nous paraît difficile, sinon utopique, de réfléchir à un « modèle » permettant une appréhension systémique du domaine ou visant à établir un quelconque programme commun de recherche. Si l’on songe à des périodes – jusqu’ici peu traitées par la SIHFLES2 – comme le Moyen Âge ou la seconde moitié du XXe siècle, l’on voit mal quel modèle méthodologique commun (ou méta-modèle) pourrait être mis en place (à l’exception de quelques principes valables pour toute recherche en sciences humaines). Le contrepied que prend Auroux (1989) à l’égard de l’opinion commune selon laquelle, pour faire l’histoire d’une science, il serait nécessaire d’avoir une vue définie de la nature de son objet, doit continuer à inspirer les travaux de la SIHFLES3.

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Pour le dire lapidairement, la recherche a davantage besoin de liberté que de « système », a fortiori quand elle porte sur une discipline ancienne et hautement socialisée comme l’enseignement des langues.

8 Il n’empêche. Il ne suffit pas de lire un texte pour le comprendre, et décrire n’est pas interpréter, surtout quand les documents appartiennent à un univers culturel qui n’est pas ou n’est plus celui des chercheurs. De manière générale, le résultat des analyses ne peut se limiter à une paraphrase des sources ou n’aboutir qu’à des truismes du type « cette source est le reflet de son époque » qui ne présentent à peu près aucun intérêt et peuvent être énoncés en amont de toute recherche ! Par ailleurs, comme le souligne Chartier (2012 : 120) dans son stimulant compte rendu de l’ouvrage School Exercise Books. A complex source for a history of the Approach to schooling and education (publié sous la direction J. Medaet al.), l’accès à des sources inédites (notamment les cahiers d’élèves) pose de redoutables problèmes de méthode et d’interprétation si l’on veut éviter le piège de refaire ou de redire à propos de ces sources nouvelles ce que l’on sait déjà par ailleurs ! Cela implique, comme le rappelle Chartier, de ne pas isoler le document de l’espace économique qui le produit et de l’espace social qui le consomme (id. : 121)4.

9 Dans cette perspective, des échanges plus nourris avec les historiens (épistémologie de la discipline, questions de périodisation, critique des sources, etc.) contribueraient certainement à enrichir les points de vue, à suggérer de nouvelles questions ; en particulier avec les historiens qui œuvrent dans des domaines connexes comme les sciences du langage (cf. les travaux de Auroux ou de Pierre Swiggers), les sciences de l’éducation et des disciplines scolaires (Depaepe, Chartier, André Chervel5, etc.), et plus généralement les domaines de l’histoire culturelle (migrations, transferts culturels, pratiques langagières, etc.).

10 « Dépasser la simple accumulation de travaux » constitue sans doute un des défis majeurs de la Société pour les années à venir… Il convient cependant de se méfier des théorisations modélisantes elles-mêmes a-historiques et qui se révéleraient contre- productives !

2. À propos de la place (ou plutôt des places) des recherches en histoire de l’enseignement des langues

11 L’autre défi concerne la diffusion des travaux de la SIHFLES et plus particulièrement la place qu’ils occupent dans la recherche en didactique (1) et dans la formation des enseignants (2).

2.1. Pas de science sans histoire

12 Le premier point ne pose guère de difficulté, du moins sur le plan des principes. Déjà en 1989, Besse (1989 : 42) avait rappelé aux lecteurs de Langue française que [...] l’histoire d’une discipline, particulièrement dans les domaines où le progrès des connaissances est peu cumulatif, fait partie de cette discipline, du moins si on tient à ne pas trop ressasser les propositions antérieures.

13 Quelques années plus tôt, Auroux avait indiqué que « dans les sciences humaines, l’enquête historique doit pallier une expérimentation souvent impossible » (1980 : 9).

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Plus près de nous, Auroux (2007 : 177) est revenu sur la question de l’historicité des sciences pour avertir : On peut dire avec une certitude suffisante qu’une discipline [scientifique] sans histoire et sans reproduction ne peut pas être une science. On compromet l’avenir de la recherche en tant que science si l’on n’organise pas son historicisation […]. Toute organisation de l’historicisation passe par la recherche historique et une large diffusion de ses résultats.

14 Ce besoin d’histoire est manifeste, particulièrement dans les sciences sociales où le modèle de production des connaissances privilégiant à outrance le moderne, le nouveau, l’inédit – ce qui est légitime lorsque le savoir antérieur est effectivement pris en compte et invalidé « scientifiquement » – a pour effet, volontaire ou non, d’aboutir à une véritable occultation des connaissances antérieures. Cette croyance quelque peu scientiste en la toute puissance de la méthode – il suffirait d’un bon dispositif méthodologique pour produire des connaissances « inédites » sans que se pose la question des connaissances accumulées relatives à l’objet étudié – conduit à un « ressassage » des idées et des discours.

15 Car nier l’histoire, ce n’est nullement y échapper. Ceux-là mêmes qui l’ignorent fondent nombre de leurs raisonnements et de leur discours sur une « représentation » plus ou moins fantasmée et peu « interrogée » du passé de leur discipline, de l’histoire de la langue française et de celle de l’école… Les recherches historiques ne sont ni assez nombreuses, ni assez diffusées pour contrebalancer les représentations et les généralisations à partir des croyances ou du vécu des acteurs ; d’où « le sentiment du caractère répétitif et lassant des débats sur l’école » (Chiss 2011 : 18) où reviennent sans cesse les mêmes questions et les mêmes réponses formulées en des termes quelque peu différents.

16 Voilà une première « place » pour la SIHFLES dont les travaux sont susceptibles de donner un peu plus d’épaisseur et de profondeur temporelle à l’horizon de rétrospection assez maigre des didacticiens actuels dont les références ne dépassent guère la dizaine d’années. L’histoire du « plus lointain passé » peut contribuer à penser autrement son présent, précise Besse (2012) tout en reconnaissant qu’actuellement les travaux à caractère historique sont très peu nombreux. Le récent Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures (Blanchet & Chardenet (éds) 2011) n’en fait pratiquement pas mention.

2.2. La dimension temporelle dans la formation des enseignants

17 Les études préparant à l’exercice du métier d’enseignant (de langues ou autres) n’apportent guère d’information sur l’histoire – pourtant souvent multiséculaire – de leur discipline. N’est-il pas pour le moins paradoxal que les recherches et travaux portant sur la constitution, la diffusion, la transmission des savoirs scolaires ainsi que leur impact sur la culture environnante ne fassent pas partie du programme de formation de ceux-là mêmes qui contribuent pour l’essentiel à leur élaboration ? Plus généralement, c’est la dimension temporelle des savoirs, des savoir-faire et des rapports de l’individu à ces savoirs qu’il convient de revoir en profondeur dans la formation des enseignants marquée par un présentisme superficiel.

18 Plusieurs auteurs plaident aujourd’hui pour un « retour de l’histoire » dans les programmes de formation des enseignants dans une perspective différente de celle,

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idéalisante et légitimante, des grands noms de la pédagogie qui a prévalu jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

19 C’est le cas de la « nouvelle histoire culturelle » de l’éducation avec Depaepe (à paraître) : […] la méconnaissance des racines intellectuelles, sociales et historiques de nos savoirs crée l’incompétence professionnelle, même chez les enseignants, car ce sont surtout ces dimensions, qui créent la distance « critique » nécessaire pour sauver les « intellectuels » d’un esclavage technocratique de leur pratique quotidienne.

20 Gérard Vigner (2012) a défendu une position similaire, dans le numéro du 25e anniversaire de la SIHFLES, en développant des arguments plus spécifiques à la formation des enseignants du français langue étrangère ou seconde. L’ancien inspecteur d’académie et spécialiste de l’enseignement du français langue seconde en Afrique a également insisté sur l’importance de l’histoire et de la mémoire dans la construction des identités professionnelles.

21 Par ailleurs, en convoquant l’histoire de vie des sujets dans un dispositif de formation, Bruno Hubert (2012) se situe certes sur un autre plan, mais rejoint les précédentes préoccupations avec le souci d’inscrire la formation dans la (longue) durée.

22 Évidemment, il convient de former des enseignants et non des historiens de l’enseignement des langues (Berré 2010). Et l’objectif, comme le rappelle Besse (2012), n’est pas l’accumulation des connaissances, mais la fonction qui leur est attribuée, à savoir « rompre avec la niaiserie positiviste », « désacraliser les synthèses » ou « secouer la lourdeur des idées simples ».

23 En France, la publication d’un arrêté ministériel du 28/12/2009 a intégré l’histoire des disciplines dans les épreuves de concours de recrutement des enseignants du second degré (mais absente des concours de l’agrégation et de professeurs des écoles). Cette entrée de « l’histoire des disciplines » dans les concours et dans les masters correspondants (avec un flou terminologique : s’agit-il des disciplines scolaires ou des disciplines dites savantes ?) a suscité la mise en place en 2010 d’une journée d’étude (juin 2010) et de deux journées de formation (décembre 2010) dont un des buts est de produire des ressources appropriées pour ces nouveaux enseignements.

24 Il reste à espérer que ce mouvement s’amplifiera en France et à l’extérieur. Ainsi, en 2037, outre le bilan relatif aux cinquante ans de travaux de la SIHFLES, le volume commémoratif du cinquantième anniversaire pourra mentionner dans son sommaire un article intitulé : « 25 ans d’enseignement de l’histoire de l’enseignement du français : problèmes, bilans et perspectives » !

BIBLIOGRAPHIE

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-(éd.) (2012). Brochure du 25e anniversaire de la Société internationale pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde (14 décembre 2012). Sèvres : Centre international d’études pédagogiques.

NOTES

1. Cf. Frijhoff & Reboullet (éds) (1998) ; Kok Escalle, Minerva & Reinfried (éds) (2012) ; Vigner (éd.) (2012). 2. Le raisonnement vaut aussi pour les aires culturelles fort éloignées du modèle occidental. 3. « Nous pensons, précise Auroux, qu’il est du devoir de l’historien de ne pas avoir une vue semblable » (1989 : 15). 4. Sur ces questions de méthode en rapport avec le place du manuel au sein de l’historiographie des sciences de l’éducation (constitution d’inventaires de manuels scolaires, analyse des manuels, etc.), cf. Berré et al. (éds) (2013). 5. Même si l’histoire de l’enseignement/apprentissage des langues déborde du cadre des disciplines scolaires ; cf. Pouly (2012) pour un exemple de mise en rapport des discours sur l’enseignement de l’anglais en fonction des publics auxquels cet enseignement est destiné.

AUTEUR

MICHEL BERRÉ Université de Mons

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Allemagne, France, monde arabe : expériences et perspectives d’une jeune chercheuse en histoire croisée

Esther Möller

1 Quel est l’itinéraire et quelles sont les perspectives actuelles d’une jeune chercheuse allemande qui a choisi de travailler en histoire de l’enseignement des langues dans une région marquée par la francophonie et caractérisée tant par un pluriculturalisme que par un plurilinguisme ancien ? Telle est la question qui m’était posée lors de la table ronde organisée dans le cadre des 25 ans de la SIHFLES au CIEP.

1. D’une expérience du plurilinguisme vers l’écriture d’une histoire croisée libanaise

2 Avant même d’entrer à la faculté j’avais fait, sans m’en rendre compte, mes premières découvertes scientifiques de la langue française : j’avais passé une année comme bénévole dans un centre d’accueil pour personnes handicapées près de Paris, où j’étais une parmi beaucoup d’autres étrangers. Ensemble nous faisions l’expérience des différents niveaux du français et du fait qu’un mot bien adapté dans un contexte (familier) ne l’est pas forcément dans un autre (officiel, professionnel) – un phénomène beaucoup moins courant en français qu’en allemand. Après cette expérience à la fois sociale et culturelle, j’ai poursuivi un programme d’études franco-allemand, appelé « Cursus intégré » et soutenu par « l’Université franco-allemande », une organisation qui soutient ce genre de formation binationale. Étudiant l’histoire, le français, la pédagogie et la philosophie, j’ai passé le DEUG et la licence à l’université de Dijon et mon examen final de maîtrise à l’université de Mainz (Mayence). Assez vite après mon examen j’ai décidé de ne pas devenir professeur de lycée, mais de me lancer dans la recherche et de faire une thèse en histoire – et de lier par cette expérience mon intérêt et passion pour la langue et la culture françaises et mon « nouvel amour », le monde arabe. Lors d’un voyage au Liban avec une amie j’avais découvert les multiples

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références à la France dans ce pays arabe, jusqu’à la connaissance très développée du français par beaucoup de Libanais. J’ai donc décidé de consacrer ma thèse à la francophonie au Liban, et très vite j’ai constaté que le nombre et le poids des écoles françaises au Liban constituaient un aspect central et digne d’intérêt. Comme focus j’ai choisi la question de savoir comment l’idée de la mission civilisatrice française a été, à travers les écoles françaises, enseignée et adaptée, mais aussi reçue, approuvée et rejetée par les différents cercles libanais. Je me suis demandée comment des membres d’institutions aussi différentes que les congrégations religieuses présentes au Liban depuis le XVIIe siècle, la Mission laïque française créée en 1902, l’Alliance israélite universelle créée en 1860 et le Collège protestant français de Beyrouth créé en 1928 pouvaient attacher une telle importance à cette question, si leur conception de cette idée était différente – ou pas – et comment leur attitude s’était transformée par le contact avec le public libanais. Au Liban, le fait d’être allemande et non française m’a quelquefois aidée pour avoir accès aux archives des écoles et pour entrer en dialogue avec anciens professeurs et élèves sur « leurs expériences avec le français ». Ma recherche a pu montrer qu’il y avait beaucoup de similitudes, mais aussi des différences considérables entre l’idée de la mission civilisatrice des différentes écoles françaises, que cette idée a été reçue et adaptée à des fins multiples par les Libanais et que le public libanais des institutions éducatives françaises ne se limitait pas, et de loin, au milieu chrétien voire catholique.

3 Actuellement, je continue à m’intéresser beaucoup à la question de l’enseignement des langues, mais aussi à l’histoire des écoles françaises au Proche-Orient et j’essaye de m’orienter vers une perspective encore plus large en intégrant les écoles locales. Parallèlement, j’ai commencé à explorer un autre champ de recherche, à savoir l’histoire de l’aide humanitaire dans le monde arabe, en particulier les mouvements de la Croix Rouge et du Croissant Rouge. Curieusement ces deux champs de recherche sont plus liés que je ne le croyais au début : en effet, les mêmes personnes, européennes et arabes, étaient souvent celles qui s’engageaient dans le domaine de l’éducation aussi bien que dans celui de l’humanitaire. En complément de cela, je m’intéresse plus généralement à la recherche sur les contacts culturels et aux différentes théories développées pour les analyser : l’histoire croisée, terme mis à la mode par M. Werner et B. Zimmermann en 2003, correspond à une approche très utile pour analyser des transferts de systèmes et de matières d’enseignement ou d’aide humanitaire car elle cherche à dépasser les approches comparatistes en histoire culturelle et met l’accent sur les niveaux d’analyse en-dessous de l’État, comme la société civile ou les organisations internationales. Cet angle d’approche correspond aussi à l’intention de la théorie de la « gouvernementalité », initialement développée par Michel Foucault, surtout utilisée en sciences politiques, mais qui devrait être davantage utilisée dans l’approche historique. Ainsi, des groupes d’acteurs comme des corps enseignants, des associations de professeurs ou des réseaux d’anciens élèves reçoivent un nouveau poids pour étudier l’impact politique et social de l’enseignement. En ce qui concerne ces questions dans le contexte extra-européen, l’approche d’Entangled History a été conçue par Shalini Randeria et Sebastian Conrad pour souligner les liens étroits entre « métropole » et « colonie » et leurs influences réciproques en différents domaines, et donc aussi dans celui de l’enseignement. Malheureusement cette approche reste, jusqu’à aujourd’hui, encore très vague et je souhaite contribuer à la développer davantage. En effet, cette théorie n’est pas encore aussi avancée que celle des Postcolonial Studies qui, à la suite de F. Fanon et d’E. Said, constitue un autre moteur de

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mes analyses : souligner l’impact des structures et dépendances coloniales au-delà des déterminations juridiques d’une colonie est particulièrement fructueux pour mes recherches sur le Liban qui n’a jamais été une colonie française, mais a néanmoins subi et, à un certain degré aussi, cherché une influence considérable de l’hexagone.

2. Perspectives actuelles de recherche

4 Dans les perspectives actuelles de recherche concernant l’enseignement des langues, et en particulier du français, je pense qu’un focus sur les deux pans de cet enseignement – c’est-à-dire sur les enseignants ainsi que sur les enseignés (ce qui est particulièrement important pour les contextes coloniaux dominés par des relations d’asymétrie considérable) est bénéfique et nécessaire. Encore plus souvent que par le passé, nous devons nous efforcer, même si cela demande beaucoup d’efforts culturels, linguistiques et autres, de développer ce double regard. Dans le sens de « l’histoire croisée », cela implique non seulement celui qui enseigne et celui qui est enseigné, mais aussi le chercheur qui les étudie. En effet, notre rôle de chercheur doit toujours être pris en compte parce que, ayant le français comme langue maternelle, langue seconde ou troisième langue, notre relation à cette langue n’est pas sans influence sur notre recherche.

5 Ensuite, je pense que des études comparatives sont très importantes et devraient être développées davantage. En particulier dans le contexte de l’histoire coloniale qui m’intéresse, la comparaison d’initiatives éducatives occidentales et locales, la connaissance de leurs similitudes et différences, mais aussi leurs processus d’adaptation et de rejet réciproques est primordiale pour comprendre les unes et les autres et pour cerner leur rôle central pour des États et sociétés en transformation politique, sociale et culturelle. Cela inclut aussi une approche plurielle des archives à consulter. Comme j’essaie de le faire dans mon nouveau projet de recherche, une exploitation et analyse comparative d’archives européennes et non européennes, religieuses et laïques, publiques et privées ne serait-elle pas un des moyens possibles pour mettre en pratique certains des concepts mis en avant ces dernières années par les théoriciens présentés plus haut ? Par exemple une combinaison des archives françaises et indigènes pourrait aider à faire avancer – ou falsifier – les intentions de l’Entangled History, car peut-être, dans le domaine de l’enseignement des langues par exemple, les impacts des colonies sur la métropole ne sont pas toujours aussi flagrants que l’on aimerait les avoir.Grâce aux nouvelles possibilités offertes par les techniques de l’information et de la communication, davantage de matériel archivistique peut être recueilli et par la suite travaillé de manière comparative. Les nouvelles techniques favorisent un travail en équipe malgré l’éloignement des chercheurs et invitent donc à des projets de coopération dont les résultats peuvent également être présentés sous forme de plateformes interactives, de blogs thématiques ou de publications en ligne qui intègrent des photographies, des documents audiovisuels ou d’une autre nature encore sous-représentée dans les études actuelles.

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AUTEUR

ESTHER MÖLLER Institut d’histoire européenne, Mayence

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De la linguistique française à l’histoire de l’enseignement du français

André Chervel

1 Comment passe-t-on de la linguistique française à l’histoire de l’enseignement du français ? C’est à cette question qu’il m’incombe de répondre puisque, dans la présente table ronde, chacun est invité à s’exprimer sur les « trajectoires intellectuelles » qui l’ont amené à s’engager dans l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère ou même, en ce qui me concerne, du français langue maternelle. Comment un professeur de lettres d’un lycée de Marseille recruté, après douze ans dans l’enseignement secondaire, en 1964 à la faculté d’Aix pour diriger des travaux pratiques de grammaire française en vient-il à s’intéresser à l’histoire de l’enseignement du français ? La transition, l’évolution intellectuelle, puis professionnelle, s’est faite à travers l’histoire de la grammaire.Jean Stéfanini dirigeait à Aix la section de linguistique française. C’est lui qui avait été, avec Jean-Claude Chevalier, l’initiateur des recherches et des travaux en histoire de la grammaire. Sa thèse sur la voix pronominale s’ouvrait sur l’exposé de toute la tradition grammaticale qui avait traité le problème depuis le XVIe siècle, et elle est généralement considérée aujourd’hui comme le point de départ des études d’histoire de la grammaire. Le séminaire qu’il ouvre à Aix en 1964, d’abord consacré aux tout récents Éléments de linguistique générale d’André Martinet, s’engage ensuite dans la traduction du De Causis linguae latinae de Jules-César Scaliger (1540), qui fut achevée en quelques années, mais dont il ne put assurer la publication. Il était difficile, auprès de « Stef », comme nous l’appelions, de ne pas prendre le virus de l’histoire.

2 Deux événements universitaires, historiques eux aussi à leur manière, viennent s’imposer fortement dans la situation aixoise. Le premier, c’est la naissance de la « linguistique française » dans les facultés des lettres au cours des années 1960. Le terme même de « linguistique » était encore très peu utilisé jusque-là dans l’enseignement supérieur. Les témoignages recueillis par Jean-Claude Chevalier et Pierre Encrevé sont éloquents : « On l’appelait la philologie », rappelle Georges Straka,

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qui enseignait à Strasbourg ; « nous n’employions même pas le mot. Nous ne le connaissions pas », lance Jean Dubois qui affirme n’avoir entendu parler de Saussure qu’en 1958. La preuve la plus décisive, c’est le changement de sous-titre de la principale revue sur la langue française, créée par Dauzat en 1933, Le Français moderne, Revue consacrée à l’étude de la langue française du XVIe siècle à nos jours. En 1963, elle devient Le Français moderne. Revue de linguistique française. Et en 1967 le certificat auquel nous préparions nos étudiants est rebaptisé à son tour « certificat de linguistique française ». C’est bien dans les années soixante que se diffuse l’expression de « linguistique française ».

3 Le second événement remarquable est consécutif à Mai 68, même s’il l’avait parfois anticipé : il s’agit de l’extraordinaire bouillonnement qui s’empare du milieu des linguistes et des grammairiens de tout poil dans les facultés des lettres au cours des années 1970. Le structuralisme et les « exercices structuraux » avaient déjà agité les esprits depuis plusieurs années ; et la grammaire générative de Chomsky avait ensuite pénétré en France, à Aix en particulier où Maurice Gross commence à l’enseigner à partir de 1967.

4 Le profond bouleversement de la réflexion théorique ne manque pas d’avoir un effet sur les contenus de l’enseignement primaire et secondaire : comment la grammaire qu’on y enseigne pourrait-elle sortir indemne de toute cette effervescence ? Partout des groupes se créent pour repenser les programmes offerts aux élèves. Une association de professionnels de l’enseignement du français apparaît alors, l’association française des professeurs de français (AFPF), qui deviendra vite l’AFEF (des « enseignants » de français). Et son organe, Le Français aujourd’hui,s’impose rapidement comme l’une des plus notables créations de l’époque, qui a vu naître en dix ans plus de dix périodiques spécialisés dans l’enseignement et la grammaire du français, dont la plupart poursuivent aujourd’hui encore leur publication.

1. La grammaire scolaire

5 Dans le collimateur de tous ces groupes du type « linguistique et pédagogie », il y avait la grammaire scolaire, dite aussi « grammaire traditionnelle », que tous veulent jeter par-dessus bord, mais sans parvenir à s’entendre sur une théorie et sur une terminologie de substitution. Les manuels rénovateurs des années 1970 instruisent sans relâche le procès de la grammaire scolaire, mais la multiplicité des solutions de remplacement qu’ils proposent leur interdit de pousser très loin leur avantage. Objet d’une réprobation quasi unanime, la grammaire scolaire du français telle qu’elle se présentait alors restait cependant l’enseignement grammatical de base dans toutes les classes, du primaire comme du secondaire. Comment enseigner l’accord du verbe, ou l’accord du participe passé si l’on ne familiarise pas l’élève avec les notions de sujet ou de complément d’objet direct ?

6 Mon intérêt pour l’histoire de la grammaire scolaire résulte de cette convergence entre un goût croissant pour l’histoire de la linguistique et un phénomène historique contemporain qui traversait l’ensemble du système éducatif. Cette vieille doctrine qui traîne dans l’école depuis des générations, qui fait désormais l’objet de toutes les critiques, l’historien de la grammaire en herbe que j’étais ne pouvait manquer de la prendre en considération : de quand datait-elle ? Avait-elle été créée d’une seule pièce ? Quels étaient les grammairiens ou les professeurs qui étaient responsables de telle ou

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telle partie de cet édifice ? Quels étaient ses rapports historiques avec la grammaire du latin ? Était-elle la transposition pour le français de la grammaire scolaire du latin qui avait occupé une si grande place dans l’enseignement des collèges dès l’Ancien Régime ? À quoi servait-elle concrètement lorsqu’on l’enseignait à l’école et au collège ? Pourquoi tant de pays voisins se sont-ils passés d’une grammaire scolaire autre que la grammaire du latin ? Enfin, et surtout, quelle était la nature exacte des rapports qui unissaient l’enseignement de l’orthographe et celui de la grammaire ?

7 Mes recherches sur les filiations théoriques entre la grammaire scolaire et les grandes œuvres grammaticales des siècles passés, menées pour l’essentiel sur les fonds de la Bibliothèque nationale, me conduisaient rapidement à une double conclusion que je formulai dans ma thèse de 1977. La première, c’est qu’il y avait bien eu une continuité entre la grammaire générale du XVIIIe siècle, celle que, dans la tradition de Port-Royal, développent Dumarsais, Beauzée, et Condillac, et le célèbre (en son temps) manuel de Noël et Chapsal (1823), universellement enseigné dans les collèges, dans les institutions, dans les écoles primaires « supérieures » et dans les écoles normales jusque vers 1840. La seconde, c’est que, au cours des décennies suivantes, l’enseignement scolaire et universitaire (l’Université de l’époque, c’est essentiellement le secondaire) s’était totalement débarrassé du chapsalisme, que cette grammaire générale scolaire, fondée sur un jeu de figures exigeant une manipulation constante des énoncés, s’était effondrée dans son intégralité au cours de la seconde moitié du siècle, et qu’elle y avait été peu à peu remplacée par une théorie nouvelle, celle précisément qu’on appelle aujourd’hui la grammaire traditionnelle. L’étude minutieuse des manuels permettait certes de désigner, parmi les innombrables manuels1, celui qui avait utilisé le premier tel ou tel concept grammatical dans le cadre de la nouvelle théorie ; mais, outre que l’innovation conceptuelle n’est pas intrinsèquement attachée à telle ou telle dénomination, la collecte et la confrontation de ces différentes observations ne permettait pas de mettre le nom de tel grammairien ou de tel autre sur les principes généraux de la seconde grammaire scolaire.

2. La transposition didactique

8 Restait à tirer toutes les conséquences de cette recherche historique. Pour l’enseignement du français, de son écriture, de son orthographe, le système éducatif s’était successivement débarrassé d’une théorie d’origine savante qui n’avait pas su franchir le seuil de la généralisation de l’enseignement à toute la population scolarisable, puis, dans un deuxième temps, rallié à une présentation moins austère, mais non dépourvue pour autant de toute sophistication. Cette nouvelle grammaire scolaire s’était avérée capable de faire pénétrer jusque dans la France profonde les principes d’une orthographe difficile, comme le prouvaient les pourcentages nationaux des lauréats du certificat d’études primaires, qui pouvaient atteindre 50 % de la population scolaire au cours de la première moitié du XXe siècle.

9 Cette constatation m’a mis définitivement en garde contre une théorie qui n’existait pas encore à l’époque, mais qui a été depuis lors largement diffusée parmi les didacticiens, celle de la « transposition didactique », qui estime que les enseignements donnés à l’école n’ont de valeur et de légitimité que s’ils transposent en direction des élèves le produit des réflexions savantes, et particulièrement celles des universitaires d’aujourd’hui. Qu’était-ce donc que cette entité culturelle nommée « grammaire

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scolaire » qui n’avait, elle, rien transposé du tout de la production scientifique du XIXe siècle, particulièrement abondante en matière de grammaire historique et comparée ? J’avais étudié la grammaire scolaire dans le cadre de l’histoire de la grammaire mais, à l’évidence, elle n’en relevait que très partiellement. À quel ensemble appartenait-elle ? Où fallait-il la classer ?

10 Quelle que soit la réponse, il était indispensable de mettre en évidence le rôle créatif de l’école, du système éducatif, dans la constitution de ses propres enseignements. L’idée généralement admise, c’est que l’école reçoit de la société les enseignements qu’elle donne et qu’elle doit faire passer dans les jeunes esprits. L’histoire de la grammaire scolaire montre qu’il faut distinguer d’une part les missions générales qu’elle reçoit, en l’occurrence enseigner les principes et la pratique de l’orthographe, et d’autre part les modalités d’application, où elle ne saurait se conformer benoîtement aux consignes que cherchent à lui imposer des spécialistes qui évoluent dans d’autres sphères. En matière de grammaire, l’école avait bien reçu des concepts comme le nom et le verbe qui remontent à l’antiquité grecque et latine (et probablement même à l’école grecque ou à l’école romaine), mais elle avait évacué résolument tout le fatras didactique qu’elle avait un moment emprunté à la grammaire générale et surtout elle lui avait substitué une série de nouveaux concepts pour lesquels il était à peu près impossible de désigner un inventeur. Qui a créé le complément d’objet direct (mais voir ci-dessous) ? Qui a inventé le complément circonstanciel, ou le complément d’agent ?

11 La grammaire scolaire était donc une grammaire bien différente de toutes les autres : elle était de par sa genèse une « discipline scolaire ». Et puisque, en matière d’enseignement de la langue maternelle, la notion de discipline a un sens (depuis guère plus d’un siècle d’ailleurs), il était tentant de vérifier si l’on pouvait étendre aux autres domaines de l’enseignement du français le même concept, le même type d’explication. C’est alors, en 1983, que je suis entré au Service d’histoire de l’éducation, longtemps dirigé par Pierre Caspard, pour y entamer une recherche plus globale sur l’histoire de l’enseignement du français, que je voulais saisir dans sa totalité. Le Service d’histoire de l’éducation, aujourd’hui disparu, avait à son programme des travaux d’« érudition lourde » visant à offrir aux chercheurs du domaine les outils de travail susceptibles de faciliter leurs recherches. C’est dans ce cadre qu’il m’a été donné (ou demandé) de dresser des listes ou des catalogues exhaustifs, qui furent (ou qui seront) publiés ou mis en ligne, concernant les grammaires scolaires publiées entre 1800 et 1914, les textes officiels sur l’enseignement du français à l’école élémentaire (1791-1995), les auteurs français, latins et grecs au programme de l’enseignement secondaire (1800-1981), les textes officiels sur l’enseignement du français dans le secondaire (depuis 1800), les auteurs et les textes au programme des différents concours et examens du ministère de l’Instruction publique (puis Éducation nationale), les sujets de composition française donnés aux examens et concours du XIXe siècle, les sujets de composition latine du baccalauréat ès lettres (1853-1880) et les listes nominatives des lauréats des concours d'agrégation (de 1766 à 1950).

12 S’agissant de cette recherche sur l’histoire de l’enseignement du français qui commençait en 1983, il n’était plus possible de travailler seulement en linguiste : il fallait devenir historien (et c’est ainsi que j’ai, quelques années plus tard, participé à la création de la SIHFLES). Car s’il existe quelque chose qui porte le nom de « discipline scolaire », ce n’est pas seulement dans les manuels scolaires qu’on pouvait le dégager, c’est aussi en étudiant et en analysant les enseignements dans leur histoire concrète, à

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l’intérieur des classes et des salles d’examen, dans les rapports d’inspection, dans les rapports des jurys de certificat d’études, de baccalauréat ou d’agrégation, et dans la succession des textes officiels qui avaient présidé à l’organisation et à l’évolution de ces enseignements. Il fallait bousculer toutes les explications traditionnelles qui ramenaient la création des disciplines aux travaux de tel savant, à tel ouvrage fondateur, à telle influence décisive extérieure à l’école, à la pression exercée par telle congrégation ou par tel groupe de pensée ; il fallait observer dans leur fabrication concrète les mécanismes mêmes de la transmission scolaire des connaissances. Il devenait indispensable de se tourner désormais vers les séries F17 (instruction publique), AJ16 (académie de Paris), 61AJ (École normale supérieure) des Archives nationales et vers d’autres services d’archives (celles de l’École polytechnique, par exemple).

3. Les disciplines scolaires

13 Trois exemples permettront de préciser les ouvertures méthodologiques auxquelles ces réflexions donnent accès. Le premier concerne l’histoire de l’enseignement de la lecture, remarquablement illustrée par l’ouvrage récent d’Anne-Marie Chartier, et de ses rapports avec l’histoire de l’orthographe française. Longtemps, la France apprend à lire en latin et la raison qu’en donnent les pédagogues repose principalement sur la difficulté de l’orthographe de leur époque, infiniment plus compliquée que celle d’aujourd’hui, avec la confusion des lettres i et j, u et v, avec ses s muets (teste s’écrit comme reste, et descrire comme description) et bien d’autres difficultés. Chez tous nos voisins, le témoignage des maîtres de français langue étrangère est sans nuance : l’orthographe française est beaucoup trop difficile. C’est la pression que la didactique de la lecture, en France et hors de France, exerce sur les imprimeurs et les éditeurs de l’époque (en particulier les imprimeurs hollandais) qui sera déterminante pour la régularisation et la simplification de notre orthographe. Preuve que l’école est à même non seulement de gérer ses propres didactiques, mais également d’influer sur les objets qu’elle a la charge d’enseigner.

14 L’histoire de l’orthographe française depuis le XVIe siècle a été longtemps subordonnée à l’évolution des normes lexicographiques et surtout aux mutations qu’a connues l’orthographe du Dictionnaire de l’Académie française, à laquelle on attribuait traditionnellement le pouvoir de régir notre écriture. Une étude plus précise, menée année après année, des ouvrages sortis des presses françaises et étrangères, montre que l’Académie, bien loin de dicter sa loi au public, s’est en général contentée d’enregistrer, et parfois avec un retard considérable, l’usage orthographique de la librairie et ses évolutions. Quand Jean-Baptiste de La Salle lance en 1706 l’enseignement de la lecture à partir du français, qui mettra au moins un siècle et demi à se généraliser, il ne peut se permettre cette immense réforme pédagogique que parce que l’orthographe vient d’évacuer (vers 1696) tous les s muets à l’intérieur des mots, après avoir distingué quarante ans plus tôt (vers 1667) le i et le j, ainsi que le u et le v. Le Dictionnaire de l’Académie (première édition 1694) n’a donc contribué en rien à cette innovation didactique majeure, puisqu’il continue à pratiquer les lettres muettes, et il en va de même de sa seconde édition (Nouveau dictionnaire de l’Académie française) de 1718. C’est seulement en 1740 que l’Académie se rallie, dans la troisième édition de son

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dictionnaire, aux formes simplifiées tête et décrire que, à cette date, la quasi-totalité des imprimeurs pratiquent depuis longtemps.

15 Le second exemple concerne l’histoire de l’exercice le plus emblématique de l’enseignement du français : l’explication de texte, également baptisée « explication française ». Il y a sur la question plusieurs idées reçues. L’une attribue à Rollin (Traité des études, 1726) l’origine de l’exercice et, de fait, le prestige considérable dont Rollin a joui dans l’université de Paris pendant tout le XVIIIe siècle, puis dans l’Université française au XIXe, n’autorise pas à faire ici l’impasse sur son nom. Mais entre la prestation à laquelle il se livre sur un extrait de l’Histoire de Théodose (1679) de Fléchier et les premières explications de texte du XIXe siècle, la recherche historique ne découvre aucune continuité. Rollin, fréquemment mentionné comme un exemple à suivre, n’a eu en réalité sur ce plan aucune postérité au cours du XVIIIe siècle. Et c’est également le cas pour la seconde source de l’explication telle qu’elle est fréquemment invoquée : la praelectio instituée par les jésuites (Ratio studiorum) dès le XVIe siècle qui serait, selon certains, l’ancêtre lointain de notre explication française. La simple lecture des manuels pédagogiques jésuites montre que l’antique praelectio n’est plus, au XIX e siècle, une pratique vivante mais un idéal pédagogique ancien qu’on évoque avec nostalgie, mais qui est plus ou moins abandonné.

16 Plus exacte, plus proche de la vérité en tout cas, est l’interprétation récemment apportée, qui fonde l’« explication d’auteur français », puis « de texte français » sur la réforme du baccalauréat décidée par le ministre Victor Cousin en 1840 : les auteurs français sont ajoutés aux auteurs latins et grecs pour l’épreuve orale d’explication. Mais si l’on prolonge l’observation historique, on constate que la réforme de Cousin recouvre et masque une réalité didactique beaucoup plus riche, à savoir d’une part les nombreuses initiatives prises depuis longtemps dans les classes par les professeurs soucieux d’assurer la compréhension des textes, mais aussi et surtout les débats qui vont s’ouvrir sur la question dans les milieux enseignants en collaboration avec l’inspection académique et l’inspection générale. Quelle est la longueur idéale d’un texte à expliquer ? L’explication doit-elle être littérale ou littéraire ? Doit-elle être la même dans les grandes classes et les petites ? Faut-il ou non se livrer à l’admiration systématique, et comment le faire ? Il faudra trente ou quarante ans pour que l’explication « des auteurs français » qui est bien, formellement du moins, une création de Victor Cousin, devienne graduellement l’« explication de texte » moderne.

17 Dernier point : qu’aurait été la thèse du linguiste que j’étais en 1977 si elle avait été écrite et rédigée par l’historien que je suis devenu depuis ? Je n’en retrancherais rien certes, en dehors du ton polémique qui défigure certains passages, mais je l’éclairerais par tout ce que j’ai appris en trente-cinq ans sur l’histoire de l’enseignement réel et concret du latin et du français depuis le XVIIe siècle. Un exemple : je n’avais pas su en 1977 découvrir l’origine du « complément d’objet direct ». Lorsque, écartant l’obstacle des différentes dénominations sous lesquelles il s’est manifesté, on remonte jusqu’à sa première trace (publiée), on arrive au père Buffier, qui lance le complément d’objet direct en 1709 sous l’appellation de « régime absolu » après avoir écarté une formulation propre à certains manuels de latin qui avaient proposé, nous dit Buffier, « régime de la chose », ou plutôt « accusatif de la chose ». Buffier a parfaitement conscience que le concept qu’il cherche à dégager n’est pas identifiable à l’accusatif latin, lequel déborde largement les limites du complément d’objet (quand il est sujet de la proposition infinitive, ou circonstanciel de temps, de lieu, etc.) Et c’est pourtant dans

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une grammaire latine, qui vient d’être adoptée quatre ans plus tôt (1705) dans le collège jésuite de Louis-le-Grand où il est employé comme scriptor librorum (auteur de manuels scolaires et autres travaux), qu’il trouve la manière de désigner pour la première fois cet « accusatif » qui ne sert que pour l’objet du verbe. Notons en passant qu’ici encore on est loin de la transposition didactique : s’il y a « transposition » elle fonctionne d’une classe (en l’occurrence la classe de latin) à une autre (la classe de français). Et l’exemple n’est pas isolé : sont transposées de même vers les classes de grammaire et vers l’enseignement grammatical les notions d’analyse (exercice littéraire de la classe de seconde), de circonstanciel (l’un des outils de la rhétorique) et de proposition qui nous arrive tout droit de la classe de philosophie.

18 Il était donc à peu près impossible d’écrire une « histoire de la grammaire scolaire » complète sans se plonger dans l’histoire des collèges de l’Ancien régime, c’est-à-dire dans l’histoire de l’enseignement.

BIBLIOGRAPHIE

BUFFIER, le père Claude (1709). Grammaire française sur un plan nouveau. Paris : Le Clerc.

CABANEL, Patrick (2002). La République du certificat d’études. Paris : Belin.

CHARTIER, Anne-Marie (2007). L'école et la lecture obligatoire. Paris : Retz.

CHERVEL, André (1977). Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français, histoire de la grammaire scolaire. Paris : Payot.

CHERVEL, André (1998). La Culture scolaire. Une approche historique. Paris : Belin.

CHERVEL, André (2006). Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle. Paris : Retz.

CHERVEL, André (2008). L’orthographe en crise à l’école : et si l’histoire montrait le chemin ? Paris : Retz.

CHERVEL, André (2012). « Grammaire scolaire et grammaires savantes : la transposition didactique en question ». In Bernard Colombat, Jean-Marie Fournier & Valérie Raby. Vers une histoire générale de la grammaire française. Matériaux et perspectives. Paris : Champion, 325-350.

CHEVALIER, Jean-Claude & ENCREVÉ, Pierre (2006). Combats pour la linguistique, de Martinet à Kristeva : essai de dramaturgie épistémologique. Lyon : ENS Éd.

CHEVALLARD, Yves (1991 [1985]). La transposition didactique du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La Pensée sauvage.

de LA SALLE, Jean-Baptiste (1819 [1706]). Conduite des écoles chrétiennes. Lyon : Rusand.

Ratio studiorum. Plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus (1997 [1599]). Éd. bilingue latin-français, présentée par Adrien Demoustier et Dominique Julia, trad. par Léone Albrieux et Dolorès Pralon-Julia, annotée et commentée par Marie-Madeleine Compère. Paris : Belin.

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ROLLIN, Charles (1726-1728). De la manière d’enseigner et d’étudier les belles-lettres, par rapport à l’esprit et au cœur. Paris : Estienne, 4 vol.

STÉFANINI, Jean (1962). La voix pronominale en ancien et en moyen français. Aix-en-Provence : Publication des Annales de la faculté des lettres, éd. Ophrys.

NOTES

1. On peut estimer à plus de 3000 le nombre des titres de manuels de grammaire, d’orthographe et d’exercices qui sont publiés entre 1800 et 1914.

AUTEUR

ANDRÉ CHERVEL Service d’histoire de l’éducation, Paris

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Publications

Gisèle Kahn

1 Cette bibliographie reprend, sensiblement augmentée, celle qui figure dans la plaquette publiée à l’occasion du 25e anniversaire de la SIHFLES célébré au CIEP de Sèvres, le 14 décembre 2012.

Numéros de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde1

2 - n° 1, juin 1988. Varia. Faire l’histoire du français langue étrangère ou seconde (Daniel Coste). Pour une histoire sociale de l’enseignement du français (Herbert Christ). Sur un manuel suédois de français publié au XVIIIe siècle (Elisabet Hammar). Comptes rendus de lectures. 32 p.

3 - n° 2, décembre 1988. Varia. Une lettre du XVIIIe siècle contre l’abus de la grammaire (Henning Düwell). L’enseignement de la langue française en Grande-Bretagne au XIXe siècle (Paul Gerbod). Histoire de l’enseignement du français au Cameroun (Gérard Vigner). Comptes rendus de lectures. 32 p.

4 - n° 3, juin 1989. Varia. Le français et son usage dans les Pays-Bas septentrionaux jusqu’au XIXe siècle (Willem Frijhoff). Ferdinand Brunot et le français langue étrangère (Jean-Claude Chevalier). Enseigner la prononciation française au XVIe siècle (Douglas A. Kibbee). Comptes rendus de lectures. 32 p.

5 - n° 4, décembre 1989. Numéro spécial « Manuels de langue et recherche historique », coordonné par Elisabet Hammar et Christian Puren. Textes d’Alain Choppin, Konrad Macht, Christiane Achour, Mario Mormile, Douglas A. Kibbee, Jean Caravolas, Carmen Roig, Niels Haastrup. 48 p.

6 - n° 5, juin 1990. Varia. L’enseignement des langues étrangères en Allemagne. Motifs, centres d’intérêt, résultats et portée (Konrad Schröder). L’enseignement du français dans les zones dialectophones : un chantier en friche ? (Gérard Bodé). Un Allemand, l’Université du Chili et la langue française (Juan Cardenas). Les épaves et l’ennui (Marie- Hélène Clavères). Comptes rendus de lectures. 48 p.

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7 - n° 6, décembre 1990. Actes du colloque d’Aix-la-Chapelle, 27-29 septembre 1989, « Contributions à l’histoire de l’enseignement du français ». Daniel Coste et Herbert Christ (éd.). 256 p.

8 - n° 7, juin 1991. Varia. L’enseignement du français en Toscane… (Françoise Aubert). L’apprentissage de la langue française dans les écoles écossaises aux alentours de 1840 (Richard Wakely). La situation du français en Tchécoslovaquie (Jindrich Vesely). Une expérience oubliée : l’école rurale en Afrique occidentale française dans la première moitié du XXe siècle (Denise Bouche). 32 p.

9 - n° 8, décembre 1991. Actes du colloque de Parme, 14-16 juin 1990, « Pour une histoire de l’enseignement du français en Italie ». Anna Maria Mandich et Carla Pellandra (éd.). 436 p.

10 - n° 9, juin 1992. Numéro spécial « Maîtres et élèves », coordonné par Herbert Christ et Carla Pellandra. Hollyband ou l’archétype (André Reboullet). Le profil du maître à travers les dialogues et les lettres des manuels de français à l’usage des Italiens (XVIIe et XVIIIe siècles) (Nadia Minerva). Enseignants et élèves de français à Palerme de 1800 à 1860 (Jacqueline Lillo). Qui a enseigné le français à Heinrich Heine ? (Herbert Christ). Un épisode de la guerre des langues : la bataille de Garche en 1864-1865 (Gérard Bodé). 56 p.

11 - n° 10, décembre 1992. Partie des actes du colloque de Genève, 26-28 septembre 1991, « Aspects de l’histoire des politiques linguistiques : 1880-1914 ». Gérard Bodé et Gisèle Kahn (éd.). 128 p.

12 - n° 11, juin 1993. Varia. Et l’image vint. Le mouvement réformiste du XIXe siècle en Allemagne et l’enseignement par l’aspect. (Marcus Reinfried). Apprentissage des langues étrangères et préparation au voyage… (Françoise Aubert). Le premier manuel d’enseignement de l’anglais, langue seconde, rédigé au Bas-Canada… en 1823 (Claude Germain). Un précepteur en Allemagne à la veille de la Révolution, d’après sa correspondance (André Bandelier). Ce que peut nous dire une bibliothèque. La bibliothèque Aurore à l’université Fudan de Shanghai (Chu Xiao-Quan). 56 p.

13 - n° 12, décembre 1993. Actes de la journée d’étude de Bologne, 22 janvier 1993, « Pour une histoire de l’enseignement des langues étrangères : manuels et matériaux d’archives ». Nadia Minerva et Carla Pellandra (éd.). 52 p.

14 - n° 13, juin 1994. Varia. Les frontaliers de la culture. Instituteurs de frontière au début du XIXe siècle (Marina Roggero). La place du français en Colombie, des pionniers de l’indépendance aux débuts de la République (Diana Rodriguez). Les avatars d’un grammairien, maître de langues et révolutionnaire : Pierre-Nicolas Chantreau (Manuel A. Tost Planet). Aux origines de l’enseignement du français en Afrique occidentale (Gérard Vigner). L’étude des langues vivantes dans les universités écossaises entre 1889 et 1914 (Richard Wakely). La fondation de l’Université italienne pour étrangers de Pérouse… 1921-1928 (Annette Bossut). 132 p.

15 - n° 14, décembre 1994. Actes du colloque de Potsdam, 27-30 septembre 1993, « Regards sur l’histoire de l’enseignement des langues étrangères ». Herbert Christ et Gerda Hassler (éd.). 212 p.

16 - n° 15, juin 1995. Actes du colloque d’Edimbourg, 22-24 septembre 1994, « Profils d’enseignants, d’étudiants et d’institutions d’enseignement des langues vivantes de 1850 à 1950 ». Richard Wakely (éd.). 202 p.

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17 - n° 16, décembre 1995. Varia. Heurs et malheurs d’un professeur de français dans l’Espagne de la fin du XVIIIe… (Alberto Supiot). Entre les Anciens et les Modernes. Trois exemples de manuels pour débutants publiés en Norvège vers la fin du XIXe siècle (Turid Henriksen). L’introduction des langues modernes à l’Université : questions de théorie et de méthode (Willem Frijhoff). Création et débuts des Cours de Vacances à l’Université de Lausanne… (Catherine Saugy et Jean-François Maire). Dossier : Ferdinand Brunot et l’Europe du Sud (André Reboullet et al.). 180 p.

18 - n° 17, juin 1996. Actes des journées d’étude de Saint-Cloud, 24-26 septembre 1992, « Qu’est-ce qu’apprendre une langue ? ». Henri Besse (éd.). 185 p.

19 - n° 18, décembre 1996. Actes du colloque de Tarragone, 28-30 septembre 1995, « L’"universalité" du français et sa présence dans la Péninsule Ibérique ». Juan García Bascuñana, Brigitte Lépinette et Carmen Roig (éd.). 503 p.

20 - n° 19, juin 1997. Actes du colloque de Linköping/Vadstena, 22-25 mai 1996, « Phonétique et pratiques de prononciation. L’apprentissage de la prononciation : chemin parcouru jusqu’à nos jours ». Elisabet Hammar (éd.). 254 p.

21 - n° 20, décembre 1997. Partie des actes du colloque de Grenoble organisé pour le centenaire du Comité de Patronage des Étudiants Étrangers, 26-28 septembre 1996, « L’apport des centres de français langue étrangère à la didactique des langues ». Jean- Pierre Cuq et Gisèle Kahn (dir.), avec Rose-Marie Léal et Nadia Minerva. 176 p.

22 - n° 21, juin 1998. Numéro anniversaire de la SIHFLES. Hommage à André Reboullet. Daniel Coste, Herbert Christ et Nadia Minerva (dir.). 226 p.

23 - n° 22, décembre 1998. Actes de la journée d’étude de Bologne, 2 mars 1996, « Les dialogues dans les enseignements linguistiques : profil historique ». Nadia Minerva (dir.). 170 p.

24 - n° 23, juin 1999. Actes du colloque de Sintra, 1-3 octobre 1998, « L’enseignement de la langue et de la littérature françaises dans la seconde moitié du XIXe siècle ». Maria José Salema, Gisèle Kahn et Luis Filipe Teixeira (éd.). 484 p.

25 - n° 24, décembre 1999. Actes du colloque d’Avila, 10-12 octobre 1997, « Les auteurs classiques français dans l’enseignement du F.L.E. (18e et 19e siècles). Mercedes Boixareu et Roland Desné (dir.), avec la collaboration d’Ester Juan. 234 p.

26 - n° 25, décembre 2000. Actes de la journée d’étude de Saint-Cloud, 11 décembre 1998, « L’enseignement et la diffusion du français dans l’empire colonial français. 1815-1962 ». Gérard Vigner (dir.). 134 p.

27 - n° 26, juin 2001. Varia. Relations avec la France, politiques éducatives et enseignement-diffusion du français en Équateur… (Claude Cortier). Morale et Religion dans les manuels de français au Portugal au tournant du XIXe siècle (Maria José Salema). Politique et réformes de l’enseignement dans la seconde moitié du XIXe siècle en Espagne… (Denise Fischer). Quelques remarques sur l’enseignement des langues étrangères en Flandre au XIXe siècle (Michel Berré). Comptes rendus de thèses et de lectures. Brigitte Lépinette (dir.). 220 p.

28 - n° 27, décembre 2001. Actes du colloque de Palerme, 4-6 octobre 2001, 1er volume, « Histoire de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde dans le bassin méditerranéen ». Jacqueline Lillo (dir.). 185 p.

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29 - n° 28, juin 2002. Actes du colloque de Palerme, 4-6 octobre 2001, 2e volume, « Histoire de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde dans le bassin méditerranéen ». Jacqueline Lillo (dir.). 202 p.

30 - n° 29, décembre 2002. Actes de la journée d’étude tenue à l’École normale supérieure Lettres et Sciences humaines de Lyon, 2 décembre 2000, « Syntaxe et enseignement des langues ». Articles de Annie Boone, Brigitte Lépinette, Michel Berré, María José García Folgado. Varia. Échanges épistolaires et préceptorat des Lumières (André Bandelier). Comptes rendus de lectures. Michel Berré et Brigitte Lépinette (dir.). 195 p.

31 - n° 30, juin 2003. Actes du colloque de Bologne, 12-14 juin 2003, « Les aventures de Télémaque : trois siècles d’enseignement du français », première partie. Nadia Minerva (dir.). 262 p.

32 - n° 31, décembre 2003. Actes du colloque de Bologne, 12-14 juin 2003, « Les aventures de Télémaque : trois siècles d’enseignement du français », deuxième partie. Nadia Minerva (dir.). 240 p.

33 - n° 32, juin 2004. Actes de la journée d’étude de Lyon, 12 décembre 2003, « L’enseignement du français par la radio » (contributions de Biljana Stikić, Elisabet Hammar et Rachele Raus). Varia. La francophonie en Chypre du XIIe à la fin du XIXe siècle… (Brunehilde Imhaus). Exilés et proscrits. L’expérience de l’étranger : vivre et enseigner en exil après le 2 décembre (Sylvie Aprile). Comptes rendus de thèses et de lectures. Marie-Christine Kok Escalle et Gisèle Kahn (coord.). 198 p., avec CD audio d’accompagnement.

34 - n° 33-34, juin 2005. Actes du colloque de Valence, 25-27 novembre 2004, « L’enseignement du français en Europe autour du XIXe siècle. Histoire professionnelle et sociale ». Brigitte Lépinette, María Elena Jiménez et Julia Pinilla (éd.). 310 p.

35 - n° 35, décembre 2005. Varia. Les langues vivantes dans les établissements éducatifs russes au Siècle des Lumières… (Nadejda Kouzmina). Candido Ghiotti : une figure emblématique du professeur de français (Italie, fin XIXe) (Marie-France Merger). Préoccupations relayées par les associations de professeurs de langues vivantes outre- Manche (1880-1918) (Adèle Thomas). Bambara et français tirailleur. Une analyse de la politique linguistique au sein de l’armée coloniale française : la Grande Guerre et après (Cécile Van den Avenne). Comptes rendus de thèse et de lectures. Gisèle Kahn et Nadia Minerva (dir.). 192 p.

36 - n° 36, juin 2006. Partie des actes du colloque de Lyon, 8-10 décembre 2005, « De quelques enjeux et usages historiques du Français fondamental ». Claude Cortier et Chantal Parpette (dir.). 255 p.

37 - n° 37, décembre 2006. Actes du Symposium international organisé à Utrecht, 25 mai 2007, « Langue(s) et religion(s) : une relation complexe dans l’enseignement du français hors de France XVIe-XXe siècles », Hommage à Willem Frijhoff. Marie-Christine Kok Escalle et Madeleine van Strien-Chardonneau (éd.). 204 p.

38 - n° 38-39, juin-décembre 2007. Actes du colloque d’Istanbul, 7-9 novembre 2006, « Le français langue des ‘élites’ dans le bassin méditerranéen et les pays balkaniques (XVIIIe siècle-moitié du XXe siècle) ». Michel Berré et Osman Senemoğlu (coord.). 306 p.

39 - n° 40-41, juin-décembre 2008. Actes du colloque de Versailles-Saint-Quentin-en- Yvelines, 8 et 9 novembre 2007, « L’Émergence du domaine et du monde francophones ». Jean-Yves Mollier et Gérard Vigner (coord.). 358 p.

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40 - n° 42, juin 2009. Actes du colloque de Grenade, 5-7 novembre 2008, première partie, « Approches contrastives et multilinguisme dans l’enseignement des langues en Europe (XVIe-XXe siècles) ». Eugenia Fernández Fraile et Javier Suso López (coord.). 264 p.

41 - n° 43, décembre 2009. Actes du colloque de Grenade, 5-7 novembre 2008, deuxième partie, « Les langues entre elles dans les usages et les contextes éducatifs en Europe (XVIe-XXe siècles) ». Natalia Arregui et Carmen Alberdi (coord.). 252 p.

42 - n° 44, juin 2010. Actes de la journée d’étude tenue à l’université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3, 23 mai 2008, « De l’École de préparation des professeurs de français à l’étranger à l’UFR DFLE. Histoire d’une institution (1920-2008) ». Michel Berré et Dan Savatovsky (coord.). 150 p.

43 - n° 45, décembre 2010. Actes de la journée d’étude de Leyde, 11 décembre 2009, « Langue française, identité(s) et école(s), le cas de la minorité catholique au Levant (milieu XIXe-XXe siècles » et « Représentations identitaires et apprentissage des langues : Europe, bassin méditerranéen (XVIe-XXe siècles) ». Karène Sanchez-Summerer (coord.). 270 p.

44 - n° 46, juin 2011. Actes de la journée d’étude tenue à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Paris, 7 mai 2010, « Accueil et formation des enfants étrangers en France de la fin du XIXe siècle au début de la Deuxième Guerre mondiale ». Gérard Vigner (coord.). 232 p.

45 - n° 47-48, décembre 2011-juin 2012. Actes du colloque de Gargnano, 6-8 juin 2011, « Voix féminines. Ève et les langues dans l’Europe moderne ». Irene Finotti et Nadia Minerva (coord.). 280 p.

46 - n° 49, décembre 2012. Varia. Éléments pour une « archéologie » de la méthode directe (Henri Besse). Le rôle des images dans les ouvrages pour l’enseignement du français aux Pays-Bas (1800-1950)… (Nathalie van der Sanden). La francophonisation des juifs de Salonique dans le dernier quart du XIXe siècle (Despina Provata). Les écoles de la Compagnie Française des Mines du Laurium en Grèce, à la fin du XIXe siècle… (Marina Vihou). L’instruction en français du Chinois Kan Gao sous la Restauration à Paris (Laurent Puren). Les conséquences de la Première Guerre mondiale sur la politique culturelle et linguistique de la France au Japon (1917-1927) (Jean-François Graziani). La formation de la jeunesse serbe en France 1916-1920… (Biljana Stikic). Images de la culture française dans la presse périodique néerlandaise du XIXe siècle : Madame Bovary en Hollande (Maaike Koffeman)… Comptes rendus de lectures. Marie-Christine Kok Escalle et Despina Provata (éd.). 271 p.

Autres publications issues des rencontres de la SIHFLES

47 - Études de linguistique appliquée, 78, avril-juin 1990, « Démarches en histoire du français langue étrangère ou seconde ». Daniel Coste (coord.). 132 p. Reprend la plupart des communications des journées d’étude organisées par la SIHFLES les 21-22 avril 1999 à l’ENS de Saint-Cloud sur le thème « Faire l’histoire du français langue étrangère 1789-1989. Modèles, objets, méthodes ». Contributions de Daniel Coste, Willem Frijhoff, Pierre Swiggers, Carla Pellandra, Sophie Moirand, Christian Puren, Jacqueline Lillo, Christiane Achour, Francine Lévy, Jean-Claude Chevalier, Marie-Hélène Clavères.

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48 - Cahiers Ferdinand de Saussure, 46, 1992. Section « Théorie et pratique des sciences du langage 1880-1914 », consacrée à une partie des communications du colloque de Genève des 26-28 septembre 1991, « Universités européennes, sciences du langage et enseignement des langues : mouvements d’innovation de 1880 à 1914 ». Contributions de René Amacker, Simon Bouquet, Piet Desmet et Pierre Swiggers, Hélène Favre- Richard, Enrica Galazzi, Françoise Létoublon, Ludo Melis et Pierre Swiggers, Brigitte Nerlich, Daniel Véronique.

49 - Bulletin CILA, 56, octobre 1992. Numéro spécial « Aspects de l’histoire de l’enseignement des langues 1880-1914 », consacré à une partie des communications du colloque de Genève des 26-28 septembre 1991, « Universités européennes, sciences du langage et enseignement des langues : mouvements d’innovation de 1880 à 1914 ». Contributions de Bernard Schneuwly, Gerda Hassler, Juan García Bascuñana…

50 - Études de linguistique appliquée, 90, avril-juin 1993, « Pour et contre la méthode directe. Historique du mouvement de réforme de l’enseignement des langues de 1880 à 1914 ». Herbert Christ et Daniel Coste (coord.). Partie des communications du colloque de Genève des 26-28 septembre 1991, « Universités européennes, sciences du langage et enseignement des langues : mouvements d’innovation de 1880 à 1914 ». Articles de Herbert Christ, Daniel Coste, Elisabet Hammar, Christina Usselmann, Carla Pellandra, Christian Puren, Denise Bouche, Enrica Galazzi, Turid Henriksen, Yvonne Vrhovac, Juan Hernando Cardenas.

51 - ABRY, Dominique & BOUCHARD, Robert (dir.) (1999). L’apport des centres de français langue étrangère à la didactique des langues. Centre universitaire d’études françaises, université Stendhal Grenoble III, PUG. 104 p. Partie des communications du colloque de Grenoble organisé pour le centenaire du Comité de Patronage des Étudiants Étrangers, 26-28 septembre 1996.

52 - KOK ESCALLE, Marie-Christine & MELKA, Francine (réd.) (2001). Changements politiques et statut des langues. Histoire et épistémologie 1780-1945. Amsterdam-Atlanta : Rodopi. 374 p. Actes du colloque organisé par la SIHFLES à Utrecht les 9-11 décembre 1999. Contributions de Gerda Hassler, Madeleine van Strien-Chardonneau, Noël Caruana- Dingli et Anthony Aquilina, Filomena Vitale, Juan Garciá-Bascuñana, Valérie Spaëth, André Reboullet, Jean-Claude Chevalier, Elisabet Hammar, Bernard Esmein, Denise Egéa-Kuehne, Carmen Roig, Rosalia Bivona, Michel Berré, Maria José Salema, Brigitte Lépinette, Maria Hermínia Amado Laurel, Manuel Bruña Cuevas, Pierre Swiggers, Willem Frijhoff.

53 - BERRÉ, Michel (éd.) (2005). Linguistique de la parole et apprentissage des langues. Questions autour de la méthode verbo-tonale de P. Guberina. Mons : Centre international de phonétique appliquée. 145 p. Actes de la journée d’étude organisée par la SIHFLES, université de Mons-Hainaut, juin 2004. Contributions de Michel Berré, Enrica Galazzi, Paul Rivenc, Raymond Renard, Michel Billières, Julio Murillo-Puyal.

54 - Le français dans le monde, Recherches et applications, 43, janvier 2008, « Quel oral enseigner, cinquante ans après le Français fondamental ? ». Claude Cortier et Robert Bouchard (coord.). 192 p. Partie des communications du colloque organisé par la SIHFLES (et autres) à l’ENS LSH de Lyon en décembre 2005, « Français fondamental, corpus oraux. 50 ans de travaux et d’enjeux ». Contributions de Enrica Galazzi, Michel Billières…

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55 - VILLORIA, Javier (cur.) (2009). Dai maestri di lingue ai professori di lingue in Europa. Atti delle giornate di studio : « Les langues entre elles dans les contextes et situations d’enseignement en Europe, du XVIe siècle au début du XXe siècle : médiations, circulations, comparaisons », organisées par l’APHELLE, le CIRSIL, PHG, la SEHEL et la SIHFLES, Grenade, 5-7 novembre 2008. Numéro spécial des Quaderni del CIRSIL, 8. 220 p. En ligne :

56 - SUSO LÓPEZ, Javier (coord.) (2010). Plurilinguisme et enseignement des langues en Europe : aspects historiques, didactiques et sociolinguistiques. Trois regards (Willem Frijhoff, Daniel Coste, Pierre Swiggers) en parallèle. Conférences plénières du colloque de Grenade des 5-7 novembre 2008, « Les langues entre elles dans les contextes et situations d’enseignement en Europe, du XVIe siècle au début du XX e siècle : médiations, circulations, comparaisons ». 125 p. Editorial Universidad de Granada.

57 - COLOMBAT, Bernard, FOURNIER, Jean-Marie & RABY, Valérie (éd.) (2012). Vers une histoire générale de la grammaire française. Matériaux et perspectives. Actes du colloque HTL / SHESL, avec la collaboration de la SIHFLES, université Paris Diderot, 27-29 janvier 2011. Contributions de Michel Berré, Jean-Claude Chevalier, Maria Colombo Timelli, Enrica Galazzi, Gerda Hassler, Douglas A. Kibbee, Brigitte Lépinette, Franz-Joseph Meissner, Nadia Minerva, Javier Suso López, Dimitar Vessélinov… Paris : H. Champion. 895 p.

Quelques publications de référence

À côté d’un certain nombre d’ouvrages et de numéros de revues, on trouvera dans cette section2 les références de quelques thèses soutenues en France et ailleurs3.

58 - ABÉCASSIS, Frédéric (2000). L’enseignement étranger en Egypte et les élites locales, 1920-1960 : francophonie et identités nationales. Thèse présentée devant l’université d’Aix- Marseille 1. Lille : Atelier national de reproduction des thèses, microfiches.

59 - AMADO LAUREL, Maria Hermínia, TEIXEIRA, Luís Filipe, SALEMA, Maria José & MIGUEL, Maria Teresa (coord.) (2001). Para uma história das línguas e literaturas estrangeiras em Portugal : das origens à actualidade. Aveiro : Universidade de Aveiro. 353 p.

60 - ASLANOV, Cyril (2006). Le français au Levant, jadis et naguère. À la recherche d’une langue perdue. Paris : H. Champion. 267 p.

61 - BABO, Ausenda, OUTEIRINHO, Fátima, PONCE de LEON, Rogelio & DUARTE, Sónia (2013). Dos Autores de Manuais aos Métodos de Ensino das Línguas e Literaturas Estrangeiras em Portugal (1800-1910). Porto : Centro de Linguística da Universidade do Porto.

62 - BANDELIER, André (2007). Des Suisses dans la République des lettres. Un réseau savant au temps de Frédéric le Grand. Genève : Slatkine. 216 p.

63 - BARTHÉLÉMY, Pascale (2010). Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957). Rennes : Presses universitaires de Rennes. Collection Histoire. 344 p.

64 - BATZ, Richard & BUFE, Waltraud (coord.) (1991). Moderne Sprachlehrmethoden. Theorie und Praxis. Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft. Coll. Wege der Forschung, 623. VI-421 p.

65 - BERRÉ, Michel (2003). Contribution à l’histoire de l’enseignement des langues : le français dans les écoles primaires, en Flandre au XIXe siècle. Étude des discours didactiques et pédagogiques. 2 vol., 602 p. + 4 vol. d’annexes (Catalogues des ouvrages destinés à

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l’enseignement du français 1659-1830-1900). Thèse présentée devant la Vrije Universiteit Brussel, Faculteit der Letteren en Wijsbegeerte, le 14 février 2003. Consultable à la bibliothèque de l’université de soutenance. Exemplaires en format PDF : voir l’auteur.

66 - BERRÉ, Michel (2006). Les langues à l’école primaire : enjeux identitaires et pédagogiques. L’enseignement du français en Belgique flamande au XIXe siècle. Mons : Centre international de phonétique appliquée. 206 p.

67 - BERRÉ, Michel, BRASSEUR, Florence et al. (2013). Les manuels scolaires dans l’histoire de l’éducation : un enjeu patrimonial et scientifique. Actes de la journée d’étude tenue à l’université de Mons en juin 2011 sur le thème « Sources et ‘questions’ en histoire de l’éducation : à propos des répertoires de manuels scolaires ». Mons : Centre international de phonétique appliquée. 140 p.

68 - BESSE, Henri (2000). Propositions pour une typologie des méthodes de langue. Thèse présentée devant l’université de Paris VIII. 4 vol., 1511 f. Consultable à la bibliothèque de l’université de soutenance. Exemplaires en version PDF consultables dans certaines bibliothèques : voir l’auteur.

69 - BIBEAU, Gilles, CARAVOLAS, Jean & LE BRUN-GOUANVIC, Claire (dir.) (2005). Novissima Linguarum Methodus. La toute nouvelle méthode des langues de Jan Amos Comenius [1648]. Traduction française par Honoré Jean. Préface d’Étienne Krotky. Genève : Droz. XX-485 p. (pages doubles, latin-français, en vis-à-vis).

70 - BOCQUET, Jérôme (2005). Missionnaires français en terre d’Islam : Damas 1860-1914. Paris : les Indes savantes. 351 p.

71 - BOCQUET, Jérôme (2008). La France, l’Église et le Baas : un siècle de présence française en Syrie, de 1918 à nos jours. Paris : les Indes savantes. 423 p.

72 - BOCQUET, Jérôme (2010). L’enseignement français en Méditerranée : les missionnaires et l’Alliance israélite universelle. Rennes : Presses universitaires de Rennes. 322 p. Textes issus du colloque « Judaïsme, école et mission en Méditerranée », mars 2009, université François Rabelais de Tours, organisé par l’Équipe Monde Arabe et Méditerranée, Laboratoire CITERES.

73 - BOUCHE, Denise (1975). L’enseignement dans les territoires français de l’Afrique occidentale de 1817 à 1920. Mission civilisatrice ou formation d’une élite ? Thèse présentée devant l’université de Paris I, le 8 juin 1975. Lille : Service de reproduction des thèses. 2 tomes, 947 p.

74 - CABANEL, Patrick (dir.) (2006). Une France en Méditerranée. Écoles, langue et culture françaises XIXe-XXe siècles. Paris : CREAPHIS. 448 p. Textes issus du colloque tenu du 10 au 12 mars 2005 à l’université de Toulouse-Le-Mirail, organisé par le laboratoire FRAMESPA-Diasporas.

75 - CARRANZA TORREJÓN, Ana María (2012). El vocabulario de la indumentaria de los siglos XVI à XIX. Estudio contrastivo a partir de las nomenclaturas con el francés y el español. 2 vol., 863 p. Thèse de doctorat présentée à l’université de Séville le 30 novembre 2012. En ligne : éditions numériques de l’université de Séville.

76 - CARAVOLAS, Jean Antoine (2000). Histoire de la didactique des langues au siècle des Lumières : précis et anthologie thématique. Montréal : Presses de l’Université de Montréal / Tübingen : Narr. 544 p.

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77 - CARUANA-DINGLI, Noël (1993). Histoire de l’enseignement et de la diffusion du français à Malte. Thèse de doctorat présentée à l’université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3. Lille : Atelier national de reproduction des thèses, microfiches.

78 - CASPARD, Pierre (2000). Les changes linguistiques d’adolescents. Une pratique éducative, XVIIe-XIXe siècles. Numéro spécial de la Revue historique neuchâteloise (Musée neuchâtelois), janvier-juin 2000. 82 p.

79 - CASTELLVÍ CALVO, Josefa María (1998). Estudio de los métodos de lengua francesa en la primera mitad del siglo XIX como transmisores de una concepción educativa: implícitos didácticos, metodológicos y socioculturales. 2 vol. Thèse de doctorat présentée à l’université de Valence le 30 mars 1998. En ligne : éditions numériques de l’université de Valence.

80 - CHARTIER, Anne-Marie (2007). L’école et la lecture obligatoire. Paris : Retz. 351 p.

81 - CHERVEL, André (1988). « L’histoire des disciplines scolaires : réflexions sur un domaine de recherche », in Histoire de l’éducation, 38, mai 1988, p. 59-119. En ligne :

82 - CHERVEL, André (2000). Les grammaires françaises 1800-1914. Répertoire chronologique, deuxième édition, revue et augmentée. Paris : INRP. Service d’histoire de l’éducation. 222 p.

83 - CHERVEL, André (2006). Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XX e siècle. Paris : Retz. Réédition en version brochée, 2008. 832 p.

84 - CHRIST, Herbert (éd.) (1985). Didaktik des Französischunterrichts. (Wege der Forschung, 610). Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesellschaft. 385 p.

85 - CHRIST, Herbert & LIEBE, Elisabeth (éd.). (11978, 21979). Dokumente zur Schulsprachenpolitik in der Bundesrepublik Deutschland. Augsburg : Universität. Coll. Augsburger I- & I-Schriften, 7. 114 p.

86 - CHRIST, Herbert & RANG, Hans-Joachim (éd.) (1985). Fremdsprachenunterricht unter staatlicher Verwaltung. Eine Dokumentation amtlicher Richtlinien und Verordnungen. Vol. I : Einleitung und Orientierung. 296 p. Vol. II : Allgemeine Anweisungen für den Fremdsprachenunterricht. 273 p. Vol. III : Neuere Fremdsprachen I. 343 p. Vol. IV : Neuere Fremdsprachen II. 133 p. Vol. V : Alte Sprachen. 333 p. Vol. VI : Prüfungsbestimmungen für den Fremdsprachenunterricht. 253 p. Vol. VII : Der Fremdsprachenunterricht in Stundentafeln. 329 p. Tübingen : Narr.

87 - COLOMBAT, Bernard (1999). La grammaire latine en France à la Renaissance et à l’Âge classique. Grenoble : université Stendhal, ELLUG. 724 p.

88 - COSTE, Daniel (coord.) (1984). Aspects d’une politique de diffusion du français langue étrangère depuis 1945. Matériaux pour une histoire. Paris : Hatier. 256 p.

89 - DE CLERCQ, Jan, LIOCE, Nico & SWIGGERS, Pierre (éd.) (2000). Grammaire et enseignement du français, 1500-1700. Leuven / Paris : Peeters. Collection Orbis. Supplementa, 16. XXXIV-671 p.

90 - DOFF, Sabine (2002). Englischlernen zwischen Tradition und Innovation. Fremdsprachenunterricht für Mädchen im 19. Jahrhundert. München : Langenscheidt- Longman. 541 p.

91 - DONZEL-VERDEIL, Chantal (2011). La mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie (1830-1864). Paris : les Indes savantes. 504 p. Texte remanié de la thèse de doctorat présentée en 2003 à l’université Panthéon-Sorbonne, Paris.

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013 126

92 - DUFOURCQ, Élisabeth (1993). Les aventurières de Dieu. Trois siècles d’histoire missionnaire française. Paris : J.-C. Lattès. 539 p.

93 - DUTEIL, Simon (2009). Enseignants coloniaux : Madagascar, 1896-1960. Thèse présentée devant l’université du Havre. 2 vol., 947 p. Consultable à la bibliothèque de l’université de soutenance.

94 - ERFURT, Jürgen (2005). Frankophonie : Sprache - Diskurs - Politik. Tübingen (et autres) : Francke. XV-219 p.

95 - FINOTTI, Irene (2008). Lambert Sauveur à l’ombre de Maximilian Berlitz. Les débuts de la méthode directe aux États-Unis. Quaderni del CIRSIL 7. Version papier : Bologne : CLUEB. 119 p. Version en ligne :

96 - FISCHER, Denise, GARCÍA BASCUÑANA, Juan F. & GÓMEZ, María Trinidad (2004). Repertorio de gramáticas y manuales para la enseñanza del francés en España (1565-1940). Barcelone : PPU. 262 p.

97 - FERNÁNDEZ FRAILE, María Eugenia & SUSO LÓPEZ, Javier (1999). La enseñanza del francés en España, 1767-1936 : estudio histórico, objetivos, contenidos y procedimientos. Granada : Método. 452 p. Version remaniée de la thèse de doctorat de María Eugenia Fernández Fraile, soutenue à l’université de Grenade en 1995.

98 - GALAZZI, Enrica (2002). Le son à l’école : phonétique et enseignement des langues, fin 19e siècle-début 20e siècle. Brescia : La Scuola. 228 p.

99 - GERMAIN, Claude (1993). Évolution de l’enseignement des langues. 5 000 ans d’histoire. Paris : CLE international. 351 p.

100 - HADERMANN, Pascale, VAN SLIJCKE, Ann & BERRÉ, Michel (éd.) (2003). La syntaxe raisonnée. Mélanges de linguistique générale et française offerts à Annie Boone à l’occasion de son 60e anniversaire. Bruxelles : De Boek-Duculot. La quatrième partie comporte des textes à caractère historique de Pascale Hadermann, Brigitte Lépinette, Nadia Minerva, Pierre Swiggers.

101 - HAMMAR, Elisabet (1980). L’enseignement du français en Suède jusqu’en 1807. Méthodes et manuels. Thèse de doctorat présentée à l’Institut d’Études Romanes de l’Université de Stockholm. 210 p.

102 - HAMMAR, Elisabet (1985). Manuels de français, publiés à l’usage des Suédois de 1808 à 1905. Université de Stockholm, Institut des langues romanes. 242 p.

103 - HAMMAR, Elisabet (1992). « La Française ». Mille et une façons d’apprendre le français en Suède avant 1807. Acta Universitatis Upsaliensis, Uppsala Studies in Education 41. 144 p.

104 - JUAN OLIVA, Esther (2003). La traducción en los manuales de francés publicados en España en el siglo XIX. Thèse de doctorat présentée à l’UNED (Université nationale d’enseignement à distance) de Madrid. En ligne : éditions numériques de l’UNED.

105 - KASPI, André (dir.) (2010). Histoire de l’Alliance israélite universelle. De 1860 à nos jours. Paris : Armand Colin. 575 p.

106 - KIBBEE, Douglas A. (1991). For to speke Frenche trewely: the French language in England, 1000-1600 : its status, description and instruction. Amsterdam / Philadelphia : Benjamins. VIII-268 p.

107 - KLIPPEL, Friederike (1994). Englischlernen im 18. und 19. Jahrhundert. Die Geschichte der Lehrbücher und Unterrichts-methoden. Münster : Nodus. 522 p.

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108 - LÉPINETTE, Brigitte (2012). Un demi-siècle de grammaire pour l’enseignement du français en Espagne (1800-1850) : contexte, paratexte, textes. Étude d’historiographie linguistique. Université de Valence. 392 p.

109 - LIEUTARD, Hervé & VERNY, Marie-Jeanne (coord.) (2007). L’école française et les langues régionales XIXe-XXe siècles. Montpellier : Presses universitaires de la Méditerranée. 356 p. Actes du colloque REDOC-CEO, tenu à l’université Paul Valéry, Montpellier, 13-14 octobre 2006.

110 - LILLO, Jacqueline (1990). Les grammaires de Ludovico Goudar, 1744-1925. Palerme : Universita di Palermo, Facolta di lettere, Istituto di lingue e letterature straniere. 110 p.

111 - LILLO, Jacqueline (2004). L’enseignement du français à Palerme au XIXe siècle. Bologne : CLUEB. 268 p.

112 - LILLO, Jacqueline (cur.) (2009). 1583-2000. Quattro secoli di lessicografia italo-francese : repertorio analitico di dizionari bilingue. Berne : Peter Lang. 2 vol., 1091 p.

113 - LILLO, Jacqueline (éd.) (2013). Les best-sellers de la lexicographie franco-italienne. XVIe-XXIe siècle. Rome : Carocci editore. Biblioteca di testi e studi, 820. 236 p.

114 - LÜSEBRINK, Hans-Jürgen & al. (1997). Kulturtransfer im Epochenumbruch : Frankreich- Deutschland 1770 bis 1815. Leipzig : Universitätsverlag. Coll. Deutsch-französische Kulturbibliothek, Bd. 9. 2 vol., VIII-1001 p.

115 - LUSIGNAN, Serge (2004). La langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre. Paris : PUF. Collection Le Nœud gordien. 96 p.

116 - MACHT, Konrad (1986, 1987, 1990). Methodengeschichte des Englischunterrichts. Vol. 1 : 1800-1880. 406 p. Vol. 2 : 1880-1960. 435 p. Vol. 3 : 1960-1983. 343 p. Augsburg : Universität. Coll. Augsburger I- & I-Schriften, 35, 39, 53.

117 - MANDICH, Anna M. (2002). Insegnare il francese in Italia. Repertorio di manueli pubblicati in epoca fascista (1923-1943). Bologne : CLUEB. 262 p.

118 - MANDICH, Anna M. (2002). L’archive et la langue : enquêtes sur l’enseignement du français. Parme : PPS Editrice. 131 p.

119 - MATTHIEU, Gilles (1991). Une ambition sud-américaine. Politique culturelle de la France 1914-1940. Paris : l’Harmattan. Collection Amériques latines. 254 p.

120 - MINERVA, Nadia (1996). Manuels, maîtres, méthodes. Repères pour l’histoire de l’enseignement du français en Italie. Bologne : CLUEB. 236 p.

121 - MINERVA, Nadia (cur.) (2000). Dames, Demoiselles, Honnêtes Femmes. Studi di lingua e letteratura francese offerti a Carla Pellandra. Bologne : CLUEB. 245 p.

122 - MINERVA, Nadia (2002). La règle et l’exemple. À propos de quelques manuels du passé (XVIIe- XXe siècles). Bologne : CLUEB. 178 p.

123 - MINERVA, Nadia (cur.) (2003). Insegnare il francese in Italia. Repertorio di manueli pubblicati dal 1861 al 1922. Bologne : CLUEB. 379 p.

124 - MINERVA, Nadia & PELLANDRA, Carla (cur.) (1997). Insegnare il francese in Italia. Repertorio analitico di manueli pubblicati dal 1625 al 1860. Bologne : CLUEB. 420 p.

125 - MÖLLER, Esther (2011). Die französischen Schulen im Libanon 1909-1943 : Orte der ‘Zivilisierungsmission’? [Écoles françaises au Liban 1909-1943 : espaces de la « Mission civilisatrice » ?]. Thèse de doctorat présentée en janvier 2011 à l’université Jacobs de Brême, ca 360 p. Publication en allemand prévue pour 2013 chez Vandenhoeck &

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013 128

Ruprecht, Göttingen, Allemagne. Traduction en anglais prévue par Vandenhoeck & Ruprecht en coopération avec une maison d’édition arabe.

126 - MÖLLER, Esther & WISCHMEYER, Johannes (éd.). Transnationale Bildungsräume. Wissenstransfers im Schnittfeld von Kultur, Politik und Religion. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, à paraître en 2013.

127 - MORALES, Francisco (2003). La evolución metodológica de la enseñanza oficial del francés en España : 1936-1970. Thèse présentée à l’université de Huelva. En ligne : éditions numériques de l’université de Huelva.

128 - MOREU, Núria (1990). Pierre-Nicolas Chantreau et sa « Grammaire ». Barcelona : Universitat de Barcelona. En ligne : éditions numériques de l’université de Barcelone.

129 - OSTERMEIER, Christiane (2012). Die Sprachenfolge an den höheren Schulen in Preußen. Ein historischer Diskurs. Stuttgart : ibidem. 311 p.

130 - PELLANDRA, Carla (coord.) (1989). Grammatiche, grammatici, grammatisti. Per una storia dell’insegnamento delle lingue in Italia dal Cinquecento al Settecento.Pise : Editrice Libreria Goliardica. 274 p.

131 - PELLANDRA, Carla (2004). Le radici del nostro mestiere. Storia e storie degli insegnamenti linguistici. Quaderni del CIRSIL 3. Version papier : Bologne : CLUEB. 152 p. Version en ligne :

132 - PUREN, Christian (1988). Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues. Paris : CLE International. 447 p.

133 - PUREN, Laurent (2004). L’école française face à l’enfant alloglotte. contribution à l’étude des politiques linguistiques éducatives mises en œuvre à l’égard des minorités linguistiques scolarisées dans le système éducatif français du XIXe siècle à nos jours. Thèse de doctorat présentée devant l’université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3. Lille : Atelier national de reproduction des thèses, microfiches.

134 - Ratio studiorum. Plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus (1999) [1599]. Édition bilingue latin-français. Présentée par Adrien Demoustier et Dominique Julia. Traduite par Léone Albrieux et Dolorès Pralon-Julia. Annotée et commentée par Marie-Madeleine Compère. Paris : Belin. Collection Histoire de l’éducation. 314 p.

135 - REINFRIED, Marcus (1992). Das Bild im Fremdsprachenunterricht. Eine Geschichte der visuellen Medien am Beispiel des Französisch-unterrichts. Tübingen : Narr. 359 p.

136 - RIUS DALMAU, María Inmaculada (2010). Aprender francés en España entre 1876 y 1939. La labor de los centros de la Institución Libre de Enseñanza en el ámbito de las lenguas extranjeras. Barcelona : PPU. 332 p. Version remaniée de la thèse de doctorat présentée à l’université Rovira i Virgili de Tarragone en 2006.

137 - RODRIGUEZ, Diana (1994). Histoire de l’enseignement du F.L.E. en Colombie dans l’enseignement secondaire (de l’Indépendance à nos jours). Thèse de doctorat présentée à l’université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3. 311 f. Consultable à la bibliothèque de l’université de soutenance, disponible pour le prêt entre bibliothèques.

138 - ROLLAND, Denis (2011) [2000]. La crise du modèle français. Marianne et l’Amérique latine. Culture, politique et identité. Paris : l’Harmattan. Collection Inter-national. 463 p.

139 - ROLLAND, Denis (2011). L’Amérique latine et la France : acteurs et réseaux d’une relation culturelle. Rennes : Presses universitaires de Rennes. Collection Histoire. 433 p.

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013 129

140 - SANCHEZ, Karène (2009). Politiques, Éducation et Identités linguistiques. Le collège des Frères des écoles chrétiennes de Jérusalem (1922-1939). Thèse de doctorat présentée devant l’université de Leyde le 6 mai 2009. Utrecht : LOT, Netherlands Graduate School of Linguistics. 419 p.

141 - SANTOS, Ana Clara, SALEMA, Maria José & TEIXEIRA, Luís Filipe (coord.) (2005). O livro no ensino das línguas e literaturas modernas em Portugal : do século XVIII ao final da Primeira República. Coimbra : Universidade de Coimbra. 205 p.

142 - SANTOS, Ana Clara & SIMONOT, Catherine (coord.) (2007). Para uma história do ensino das línguas e literaturas estrangeiras : estudos de género. Faro : Universidade do Algarve. 291 p.

143 - SCHRÖDER, Konrad (éd.) (1980, 1982, 1983, 1985). Linguarum recentium annales. Der Unterricht in den modernen europäischen Sprachen im deutschsprachigen Raum. Vol. 1 : 1500-1700. XV-205 p. Vol. 2 : 1701-1740. XIII-250 p. Vol. 3 : 1741-1770. XI-210 p. Vol. 4 : 1771-1800. XIII-475 p.Augsburg : Universität. Coll. Augsburger I- & I-Schriften, 10, 18, 23, 33.

144 - SCHRÖDER, Konrad (éd.) (21991, 1989, 1992, 1995, 1996, 1999). Biographisches und bibliographisches Lexikon der Fremdsprachen-lehrer des deutschsprachigen Raumes, Spätmittelalter bis 1800. Vol. 1 : Buchstaben A bis C – Quellenverzeichnis. 348 p. Vol. 2 : Buchstaben D bis H – Erste Nachträge zum Quellenverzeichnis. 344 p. Vol. 3 : Buchstaben I bis Q. 347 p. Vol. 4 : Buchstaben R bis Z – Zweite Nachträge zum Quellenverzeichnis. 469 p. Vol. 5 : Nachträge und Ergänzungen Buchstaben A bis K. 484 p. Vol. 6 : Nachträge und Ergänzungen Buchstaben L bis Z – Dritte Nachträge zum Quellenverzeichnis. 407 p. Augsburg : Universität. Coll. Augsburger I- & I-Schriften, 40, 51, 63, 68, 73, 74.

145 - STEINBACH, Almut (2009). Sprachpolitik im Britischen Empire : Herrschaftssprache und Integration in Ceylon und den Föderierten Malaiischen Staaten. München : Oldenbourg. 309 p.

146 - SUÁREZ GÓMEZ, Gonzalo (2008). La enseñanza del francés en España hasta 1850. ¿Con qué libros aprendían francés los españoles? Édition de Juan F. García Bascuñana et Esther Juan Oliva. Barcelona : PPU. 207 p. Thèse de doctorat inédite, soutenue à l’université centrale de Madrid en 1956.

147 - SUSO LÓPEZ, Javier & FERNÁNDEZ FRAILE, María Eugenia (2008). Repertorio de manuales para la enseñanza del francés en España (siglo XX). Granada : Comares.

148 - TANAKA, Sadao (1983). Les débuts de l’étude du français au Japon. Tokyo : Éditions France Tosho. Version remaniée de la thèse de doctorat présentée le 30 octobre 1980 à l’université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3. IX-230 p.

149 - THÉVENIN, André (2002). La Mission laïque française et son histoire 1902-2002. Paris : Mission laïque française. 240 p.

150 - THIESSE, Anne-Marie (1999). La création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle. Paris : Seuil. 302 p.

151 - THOBIE, Jacques (2008). Les intérêts culturels français dans l’Empire ottoman finissant : l’enseignement laïque et en partenariat. Paris / Louvain : Peeters. XXXIX-461 p.

152 - URBANO MARCHI, Brigitte (2003). La enseñanza aprendizaje del francés como lengua extranjera en España durante el franquismo (1938-1970). Thèse de doctorat présentée à l’université de Grenade. En ligne : éditions numériques de l’université de Grenade.

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153 - ZARATE, Geneviève, LÉVY, Danielle & KRAMSCH, Claire (dir.) (2008). Précis du plurilinguisme et du pluriculturalisme. Paris : Éditions des Archives contemporaines. Le chapitre 8, « Histoire, pratiques et modèles », coordonné par Marie-Christine Kok Escalle et Joël Bellassen, porte sur les aspects historiques.

Revues

154 - Französisch heute (2011). « Geschichte des Französischunterrichts ». 42 (2). Numéro de la revue de la Fédération allemande des professeurs de français consacré à l’histoire de l’enseignement de la langue française en Allemagne, Marcus Reinfried (coord.). Articles de Walter Kuhfuß, Herbert Christ et Marcus Reinfried.

155 - Histoire de l’éducation (2005). Numéro spécial « L’enseignement de l’allemand, XIX e- XXIe siècle », 106, Monique Mombert (dir.). 287 p. Articles de Monique Mombert, Elisabeth Rothmund, Jacques Brethomé, Caroline Doublier, Sophie Lorrain, Dominique Huck, Gérard Chaix. En ligne :

156 - Histoire de l’éducation (2010). « L’enseignement dans l’empire colonial français (XIX e- XXe siècles) », 128, Pascale Barthélémy, Emmanuelle Picard & Rebecca Rogers (dir.). 192 p. Articles de Pascale Barthélémy, Céline Labrune-Badiane, Marie Salaün, Simon Duteil, Marie-Christine Deleigne, Harry Gamble, Laurent Manière. En ligne :

157 - Histoire Epistémologie Langage (1995). Tome 17, fascicule 1. « Théories du langage et enseignement/apprentissage des langues (fin du XIXe siècle/début du XXe siècle) ». 188 p. Articles de Jean-Louis Chiss et Daniel Coste, Jean-Louis Chiss, Henri Besse, Marie- Hélène Clavères, Enrica Galazzi, Claude Germain, Bernard Schneuwly, Christian Puech.

158 - Histoire Epistémologie Langage. Hors-Série n° 2, 1998. « Corpus représentatif des grammaires et des traditions linguistiques » (tome 1). Bernard Colombat (dir.), assisté de Elisabeth Lazcano. 536 p. Grammaires des langues anciennes, grammaires françaises, espagnoles, italiennes, portugaises, brésiliennes, grammaires du slavon et du russe. En ligne :

159 - Histoire Epistémologie Langage. Hors-Série n° 3, 2000. « Corpus représentatif des grammaires et des traditions linguistiques » (tome 2). Bernard Colombat (dir.), assisté de Elisabeth Lazcano. 652 p. Grammaires allemandes, anglaises, arabes, grammaires de l’hébreu, du yiddish, du sanskrit, du tamoul… ; linguistique historico-comparative ; linguistique générale ; phonétique et phonologie. En ligne :

160 - Le français dans le monde, Recherches et applications, numéro spécial, janvier 1998, « Histoire de la diffusion et de l’enseignement du français dans le monde », Willem Frijhoff et André Reboullet (coord.). 192 p. Articles de Willem Frijhoff, Maria Colombo Timelli et André Reboullet, Carla Pellandra, Roland Desné, Herbert Christ, Daniel Coste, Gérard Vigner, Claude Oliviéri, Elisabet Hammar, Brigitte Lépinette, Douglas A. Kibbee, Henning Düwell, Marie-Christine Kok Escalle, Nadia Minerva.

161 - Quaderni del CIRSIL (Centro Interuniversitario di Ricerca sulla Storia degli Insegnamenti Linguistici) : 9 numéros parus, versions papier et versions en ligne :

162 - Recherches et applications, le français dans le monde, 52, juillet 2012. « Histoire internationale de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde : problèmes,

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bilans et perspectives », Marie-Christine Kok Escalle, Nadia Minerva et Marcus Reinfried (coord.). 176 p. Articles de Willem Frijhoff, Javier Suso López et Pierre Swiggers, Marie-Christine Kok Escalle et Karène Summerer-Sanchez, Michel Berré et Henri Besse, Gérard Vigner, Carla Pellandra et Javier Suso López, Évelyne Argaud et Marie-Christine Kok Escalle, Juan García-Bascuñana et Ana Clara Santos, Brigitte Lépinette et Nadia Minerva, Enrica Galazzi et Marcus Reinfried.

163 - Revista Interuniversitaria de Formación del Profesorado (2005). « La enseñanza del francés en España : Momento actual y perspectivas ». 19 (2). Numéro consacré à l’enseignement du français en Espagne, tenant compte de la perspective historique. Articles de Mercedes Boixareu, María Eugenia Fernández Fraile, Juan García Bascuñana, Julio Murillo Puyal, Javier Suso López, Manuel Tost Planet.

NOTES

1. Les sommaires des numéros de notre revue ne sauraient être donnés ici intégralement. Pour ce qui concerne les actes de colloques, on trouvera leurs intitulés, les lieux et dates, les éditeurs. Pour les varia, seules certaines contributions sont signalées. On trouvera toutefois les sommaires complets des numéros 1 à 22 sur le site de la SIHFLES. Les numéros de Documents sont progressivement mis en ligne, de façon rétroactive, sur revues.org : http://dhfles.revues.org/. 2. Je remercie Michel Berré, Henri Besse, Juan García Bascuñana, Esther Möller, Nadia Minerva, Marcus Reinfried, Ana Clara Santos et Gérard Vigner pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans la réalisation de cette liste. 3. Celles qui ont été présentées en France sont généralement consultables à la bibliothèque de l’université de soutenance. Elles peuvent également être empruntées via le prêt entre bibliothèques. Les microfiches réalisées par l’Atelier national de reproduction des thèses de Lille, quand elles existent, sont disponibles dans certaines bibliothèques universitaires. Si de nombreuses régions du monde sont notoirement absentes, la faute en revient à l’auteur de cette recension.

AUTEUR

GISÈLE KAHN ENS de Lyon

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La SIHFLES en Espagne : historique des recherches et perspectives1

Juan Francisco García Bascuñana et Javier Suso López

1 C’est avec Joaquín López Barrera, professeur de français du début du XXe siècle, que commence la recherche en histoire de l’enseignement du français en Espagne : dans un bref mémoire de recherche (19 pages), intitulé « Apuntes para una historia de la enseñanza de la lengua francesa en España », qu’il élabore pour devenir catedrático de français2, il se montre pleinement conscient de l’originalité de sa démarche, tout en déplorant le peu d’attention et de prestige qu’il avait à tirer d’un sujet si « pauvre et aride ».

2 Même si López Barrera n’y analyse de façon détaillée que quelques ouvrages ayant servi à l’enseignement du français en Espagne, il faut dire qu’il s’agit d’ouvrages marquants, tels que La gramática […] de Baltasar de Sotomayor (1565), le Vocabulario de los vocablos […] de Iacques de Liaño (1565), le Diccionario […] de Ioan Palet (1604), les Adiciones a la gramática francesa que compuso el R.P. Núñez […] de Antonio Galmace (1745). Il consigne ensuite une quinzaine de grammaires des XVIIe et XVIII e siècles. Nous allons nous limiter à quelques observations sur ce travail, qui montrent les caractéristiques des études historiques de l’époque et l’approche avec laquelle il envisageait cet objet d’études naissant. Il éprouve ainsi tout d’abord le besoin de dresser un catalogue des ouvrages, et d’y distinguer des phases ; il fait état des débats – dont les auteurs se faisaient l’écho – au sujet de la présentation de la matière et dans les procédés de travail ; il croit à une évolution se traduisant par un progrès constant ; il montre un désir d’obtenir des conclusions valables pour les professeurs contemporains. Le travail de López Barrera ne semble intéresser personne et tombe dans l’oubli ; ce n’est que tout récemment (A. Yllera, 1998 ; J. Suso López, 2010) qu’il est « redécouvert ».

3 Dans la genèse des études historiques sur l’enseignement du français en Espagne, nous devons noter une deuxième étude, toute petite (9 pages). Il s’agit d’un texte d’Angel González Palencia, publié en 1942, ayant pour titre : « Notas sobre la enseñanza del Francés a fines del siglo XVIII y principios del XIX ». Attiré par des recherches historiques sur d’autres sujets, l’auteur, professeur de français, était probablement tombé par hasard, dans ses recherches à l’Archivo de la Sala de Alcaldes de Casa y Corte de

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Madrid, sur des autorisations concédées à la fin du XVIIIe et début du XIXe à une série de professeurs pour donner des cours particuliers de français. Il recueille ainsi les données biographiques de ces professeurs (Ascanio Bono, Juan Bautista Burete, Juan Pedro Tellier, Juan Bautista Tievant, Gaspar Lebrun) et cite également les ouvrages qui ont été autorisés à l’époque pour procéder à cet enseignement : le Dictionnaire de l’abbé Gattel, la Gramática francesa de Constantino Letellier, un Veni mecum de los estudiantes, c’est-à-dire un « libro de la traducción del francés al español y viceversa », de Fray Jerónimo Laverdure.

4 Notre domaine de recherche obtient ses lettres de noblesse avec la thèse de Gonzalo Suárez Gómez : La enseñanza del francés en España. ¿Con qué libros aprendían francés los españoles?, soutenue en 1956, partiellement publiée en 1961 (Revue de Littérature Comparée, XXXV) et récemment rééditée par Juan García Bascuñana et Esther Juan Oliva, avec une étude introductive qui met en relief autant ses grands mérites que certaines lacunes (2008 : 15-37). Nous renvoyons à cette étude pour une appréciation de l’intérêt de cette thèse, et nous nous limitons à attirer l’attention sur trois faits : Suárez Gómez y dresse un catalogue très abondant des ouvrages ayant servi à l’enseignement du français en Espagne, en y incorporant des œuvres littéraires bilingues (212 entrées, 2008 : 149-194) ; il y consigne également des données biographiques des auteurs, leurs positionnements et leurs choix au sujet des problèmes soulevés par l’enseignement du français (2008 : 42) ; il y propose un classement des ouvrages en trois groupes (qui constituent autant de types d’outils) : A. Des grammaires ; B. Des vocabulaires, des diction-naires, des trésors, des nomenclatures bilingues et plurilingues ; C. Des ouvrages « littéraires » bilingues (refrains, récits, romans, recueils de poésies ou florilèges, lettres, colloques, anecdotes, œuvres morales et religieuses).

5 Comme dans le cas de l’étude de López Barrera, la thèse de Suárez Gómez tombe bientôt dans l’oubli3 : il faudra attendre la création de la SIHFLES pour qu’avec un groupe de chercheurs espagnols, appartenant à plusieurs universités (Tarragone, Cantabrie, université Autonome de Barcelone, Valence, Valladolid, Grenade, Séville, UNED de Madrid) les recherches historiques sur le FLE en Espagne prennent un nouvel élan4. La SIHFLES permet en effet un regroupement des chercheurs, et à partir des contacts lors des colloques, un travail d’équipe naît, axé sur le groupe de recherche GRELINAP/ HIFRES (Groupe de recherche en linguistique appliquée / Histoire du français en Espagne) que dirige Juan García Bascuñana, à l’université Rovira i Virgili de Tarragone. Le groupe a travaillé depuis 1994 sur six projets de recherche financés par les ministères espagnols de l’Éducation et de la Science, de la Science et de l’Innovation, et de l’Économie et de la Compétitivité. Ces projets de recherche5, étalés sur près de vingt ans, se sont intéressés à l’histoire de l’enseignement du FLE en Espagne, puis aussi à la présence du français et de la culture française au sud des Pyrénées, le tout abordé de différents points de vue. Les contenus de manuels destinés à cet enseignement ont été étudiés tout d’abord, avec une approche spéciale des sources où leurs auteurs ont puisé et des méthodologies qui s’en dégagent. Ce qui a donné lieu au répertoire publié en 2004 (Repertorio de gramáticas y manuales para la enseñanza del francés en España. 1565-1940) et en 2008 (Repertorio de manuales para la enseñanza del francés en España. Siglo XX). Dans une deuxième phase, l’équipe de recherche s’est intéressée à l’institutionnalisation même de cet enseignement, avec un regard spécial porté aux maîtres et aux professeurs ainsi qu’aux établissements scolaires. D’autre part, les travaux des chercheurs espagnols ont permis de procéder à un déblaie-ment systématique du

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terrain de recherche et d’établir des espaces de connaissance, qui constituent les piliers essentiels des travaux actuels.

6 Depuis 2009 (cf. ci-dessus les deux derniers projets), l’équipe de recherche s’est fixée comme but l’édition d’un dictionnaire qui doit rassembler les résultats des recherches effectuées au long des différents projets et dont la parution est prévue pour 2014. Cet ouvrage est conçu à partir d’un double point de vue : d’une part, l’exposé de l’état précis de chaque question (à savoir, les différentes entrées qui ont été fixées) ; d’autre part, la constitution d’un réseau de déterminations ou d’influences dans les grands domaines (voir plus loin, la proposition d’un classement thématique des recherches).

7 Il faut signaler également que les thèses de doctorat soutenues en Espagne, concernant l’histoire de l’enseignement du français, abordent toute une série d’aspects majeurs de l’histoire de l’enseignement du FLE, qui vont de l’étude des grammaires et des manuels de français jusqu’aux méthodologies employées6, sans oublier la formation et la place des professeurs, ou les lois, règlements et plans d’études qui leur servent de cadre7. Des études pionnières ont vu le jour, concernant des figures incontournables telles que Pierre-Nicolas Chantreau8 ou des établissements modèles comme l’Institución Libre de Enseñanza (1876-1939)9, ainsi que des approches spécialement pointues s’intéressant à la traduction10 ou à la lexicographie 11 où le culturel 12 représente d’ailleurs un atout majeur. De là peut-être l’attrait pour cette thématique de la part des jeunes chercheurs.

8 Dans cette présentation d’ensemble, il faut mettre en relief que quatre colloques de la SIHFLES se sont tenus en Espagne : « L’‘universalité’ du français et sa présence dans la Péninsule Ibérique », en 1995 à Tarragone (Universitat Rovira i Virgili), « Les auteurs classiques français dans l’enseignement du FLE (18e et 19e siècles) », en 1997 à Avila (UNED), « Du maître de langues au professeur de langues (XVIIIe-XIXe siècles) : institutionnalisation, professionnalisation et disciplinarisation », en 2004 (Universidad de Valencia) et « Les rapports entre langues dans les contextes éducatifs en Europe : médiations, circulations, rivalités (XVIe - début du XXe siècle) », en 2008 à Grenade (Universidad de Granada).

9 Mais aussi, comme nous l’avons signalé plus haut, de nombreux travaux de toutes sortes (articles de revues, chapitres de livres, monographies) ont été élaborés par de nombreux chercheurs espagnols appartenant à la SIHFLES, et également par d’autres chercheurs, qu’il est intéressant de connaître. Cependant, nous estimons qu’une présentation d’un recueil bibliographique par ordre alphabétique des auteurs n’est qu’une étape nécessaire, mais insuffisante, car elle ne met pas en relief les différents aspects que peut revêtir l’histoire de l’enseignement du français. Nous proposons ainsi une organisation thématique des travaux publiés qui, si l’on veut bien en écarter les défaillances (notamment la proximité inévitable des sujets de recherche, la pluralité thématique de certains travaux, et donc les problèmes de classement), permet de faire un bilan autant que de marquer les lignes de travail à exploiter. Bien sûr, cette proposition devra être confrontée à d’autres, entreprises par les équipes de chercheurs d’autres pays, pour arriver à un classement commun, ce qui constituera un puissant outil de recherche pour les futures études.

10 Nous proposons ainsi de classer les travaux selon le plan suivant, tout en portant une première (et très brève) analyse pour chaque domaine :

11 1. Dimension linguistique et culturelle (les contenus d’enseignement). Ce domaine regroupe une grande partie des travaux (répertoires, analyse des contenus

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d’enseignement, constitution des outils, etc.). Nous ne pouvons pas dire cependant que tout a été fait, loin de là.

12 1.1. Les grammaires

13 Les études des grammaires pour l’enseignement du FLE abordent pratiquement tous les époques, à partir du XVIe siècle (Grammaire française de Baltasar de Sotomayor, Alcalá de Henares, 1565) pour se centrer surtout dans ce moment d’exception de l’enseignement du français en Espagne qu’est le XIXe siècle, où le recours à la grammaire bat son plein, sans délaisser pour autant d’autres moments historiques.

14 1.2. Le lexique, la lexicologie, la lexicographie

15 L’étude du lexique a été l’un des points forts de la bibliographie produite par les chercheurs espagnols. Il faut surtout signaler des approches comparatives concernant la bibliographie franco-espagnole qui devient un atout majeur de cette recherche.

16 1.3. La phonétique et l’orthographe

17 Les problèmes que ces disciplines posent à l’apprenant hispanophone ont constamment intéressé les spécialistes. Le grand nombre d’études produites dans ce domaine abordent pratiquement tous les aspects qui ont trait à leur apprentissage.

18 2. Domaine culturel : les aspects culturels / la civilisation / la littérature / les idées / la science / la religion / la morale / les vertus civiques.

19 Si quelque chose mérite d’être souligné à cet égard, c’est la conclusion partagée par les divers auteurs, à savoir que ces aspects sont étroitement liés à l’enseignement du FLE en Espagne.

20 3. Dimension sociologique.

21 Il faut signaler qu’un grand nombre d’articles publiés dans les numéros 18 et 33/34 de Documents, ainsi que certaines thèses signalées supra, ont permis de progresser de façon significative dans cette approche. Il reste cependant beaucoup à faire, et surtout avancer dans la systématisation des travaux, pour avoir des vues d’ensemble sur les évolutions produites dans le profil du maître, le rôle des auteurs, la disciplinarisation du français, l’intervention de l’État, etc.

22 3.1. Les acteurs : maîtres et élèves ; auteurs

23 3.2. Les institutions / les contextes éducatifs

24 3.3. Les politiques linguistiques (législation, plan d’études, organisation des enseignements)

25 4. Dimension didactique et méthodologique (outils, activités, méthodes, théorisations).

26 À ce sujet, il reste beaucoup à faire, étant donné que ce sont des études particulières (consacrées à un auteur précis, par exemple) qui ont été surtout abordées, sauf pour le rôle de la traduction, comme procédé de travail pendant le XIXe siècle.

27 4.1. Les théories sous-jacentes : la langue (linguistique) et l’apprentissage d’une langue (psychologie, psycholinguistique)

28 4.2. Traduction et enseignement

29 4.3. Contacts entre langues, plurilinguisme

30 5. Aspects historiques.

31 Les aspects historiques, étant donné la perspective même de notre discipline, n’ont pas manqué, abordant pratiquement tous les siècles, depuis la Renaissance jusqu’aux

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époques les plus récentes. Il reste à donner une vue d’ensemble pour comprendre cette histoire dans la longue durée.

32 Cette bibliographie thématique permet d’embrasser à elle seule la richesse des sujets qui ont mérité l’attention et les efforts des chercheurs espagnols, mais également la variété des approches méthodologiques. En effet, trois courants de recherche s’y trouvent impliqués : une approche plutôt linguistique, une approche plutôt méthodologique, et une approche plutôt historique / culturelle (qui engloberait également la sociologie). Nous sommes conscients que cette délimitation n’est point étanche, et que la linguistique se fait aussi dans son évolution historique, en rapport au changement des idées et des paradigmes. De là toute la difficulté et toute la richesse de notre entreprise, constitutivement interdisciplinaire et plurilingue.

33 Les travaux réalisés constituent bien sûr une première phase de la recherche. Il faut dire en effet que c’est la pointe d’un iceberg qui a été mise en lumière : il reste à approfondir ce domaine de recherche, autant par des travaux particuliers que par des vues d’ensemble, comme le proposait André Reboullet déjà en 1987 : « la recherche sur l’enseignement du français langue étrangère n’est plus ce qu’elle était : un véhicule sans rétroviseur qui brûle les étapes […] C’est l’heure des bilans et des rétrospectives » (1987 : 208, 56-60).

BIBLIOGRAPHIE

BRUÑA CUEVAS, Manuel (éd.) (2008a). « La producción lexicográfica con el francés y el español durante los siglos XVI a XIX », Lexicografía bilingüe y plurilingüe del español (siglos XV-XIX) (= Philologia Hispalensis, nº 22). Sevilla : Facultad de Filología de la Universidad de Sevilla, 37-111.

FERNÁNDEZ FRAILE, Mª Eugenia (1995). La enseñanza/aprendizaje del francés en España entre 1767 y 1936 : objetivos, contenidos y procedimientos. Granada : EUG. Thèse doctorale comprenant une importante bibliographie.

FISCHER, Denise, GARCÍA BASCUÑANA, Juan F., JIMÉNEZ, Mª Trinidad (2004). Repertorio de gramáticas y manuales de francés para la enseñanza del francés, 1565-1940. Barcelona : PPU.

GONZÁLEZ PALENCIA, Angel (1942). « Notas sobre la enseñanza del Francés a fines del siglo XVIII y principios del XIX », Revista Nacional de Educación (Madrid) 23, año II, 26-34. Réimprimé dans le nº 190, et réédité dans Eruditos y libreros en el siglo XVIII. Estudios histórico-literarios, quinta serie. Madrid : CSIC, Inst. Antonio de Nebrija, 1948, 417-427.

LÓPEZ BARRERA, Joaquín (s.a., début XX). Trabajo de investigación : Apuntes para una historia de la enseñanza de la lengua francesa en España. Cuenca : Celedonio León.

REBOULLET, André (1987). « Pour une histoire de l’enseignement du FLE », Le français dans le monde, 208, 56-60.

SUÁREZ GÓMEZ, Gonzalo (2008). La enseñanza del francés en España hasta 1850. ¿Con qué libros aprendían francés los españoles? de Gonzalo Suárez Gómez. Réédité avec des notes et une étude introductive par J. García Bascuñana & E. Juan Oliva. Barcelona : PPU.

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013 137

SUPIOT, Alberto (1996). « Les manuels de FLE en Espagne entre 1648 et 1815. Approche bibliographique ». Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 18, 313-338.

SUSO LÓPEZ, Javier, FERNÁNDEZ FRAILE, Mª Eugenia (2008). Repertorio de manuales para la enseñanza del francés en España. Siglo XX. Granada : Comares.

SUSO LÓPEZ, Javier (2009). « Apuntes para una historia de la enseñanza de la lengua francesa ». In A. Martínez González (éd.). Historia de las ideas lingüísticas. Gramáticos de la España meridional. Francfurt : Peter Lang, 161-170.

YLLERA, Alicia (1998). « Rivalidades lingüísticas franco-españolas en el siglo XVI ». Epos, 14, 383-407.

NOTES

1. Cet article reprend et met à jour l’étude de Suso López (2009). « Apuntes para una historia de la enseñanza de la lengua francesa ». In Antonio Martínez González (éd.). Historia de las ideas lingüísticas. Gramáticos de la España meridional. Frankfurt : Peter Lang, 161-170. 2. C’est-à-dire titulaire d’une chaire de français dans un lycée. 3. Le mémoire de recherche de J. López Barrera est cité comme source par Suárez Gómez, et mentionné en 1998 par A. Yllera. 4. Il faut aussi faire état des thèses de doctorat de Núria Moreu (1988) et de Quintín Calle (1989), cf. note 7. 5. Les six projets sont : 1. Histoire de l’enseignement du français (XVI e-XIXe siècles). PB94-1074 (1995-1998) ; 2. Histoire de l’enseignement du français (XVIe-XIXe siècles). PB97-0410 (1998-2001) ; 3. Contribution à l’histoire de l’enseignement des langues étrangères : présence et enseignement du français en Espagne (1500-1970). BFF 2001-1062 (2001-2004) ; 4. Grammaires et manuels de français publiés en Espagne : histoire, méthodologie, contenus (1565-2000), BF2001-1062 (2004-2007) ; 5. Élaboration d’un dictionnaire d’histoire de la présence et enseignement du français en Espagne (XVIe-XXe siècles), FFI2008-02389/FILO] (2008-2011) ; 6. Élaboration d’un dictionnaire d’histoire de la présence et enseignement du français en Espagne. Suite et conclusion, FFI2011-23109 (2011-2014). 6. Francisco Morales (2003). La evolución metodológica de la enseñanza oficial del francés en España : 1936-1970. Universidad de Huelva. 7. Quintín Calle Carabias (1989). La enseñanza oficial de idiomas en España. Por una redefinicion de la formacion teorica del profesorado. Universidad de Málaga ; Mª Eugenia Fernández (1995). La enseñanza/aprendizaje del francés en España entre 1767 y 1936 : objetivos, contenidos y procedimientos. Universidad de Granada ; Mª Josefa Castellví (1997). Estudio de los métodos de lengua francesa en la primera mitad del siglo XIX como transmisores de una concepción educativa : implícitos didácticos, metodológicos y socioculturales. Universidad de Valencia. 8. Núria Moreu (1988). Pierre-Nicolas Chantreau (1741-1808) et sa grammaire. Universitat de Barcelona. 9. Inmaculada Rius Dalmau (2006). La enseñanza del francés en el marco de la Institución Libre de Enseñanza. Universitat Rovira i Virgili - Tarragona. 10. Esther Juan Oliva (2003). La traducción en los manuales de francés publicados en España durante el siglo XIX, con un apéndice documental en el que se recogen las fichas analíticas de un centenar de manuales. Madrid : UNED. 11. Ana María Carranza Torrejón (2012). El vocabulario de la indumentaria de los siglos XVI a XIX. Estudio contrastivo a partir de las nomenclaturas con el francés y el español. Universidad de Sevilla.

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013 138

12. Brigitte Urbano (2003). La enseñanza aprendizaje del francés como lengua extranjera en España durante el franquismo (1938-1970). Universidad de Granada.

AUTEURS

JUAN FRANCISCO GARCÍA BASCUÑANA Université Rovira i Virgili, Tarragone

JAVIER SUSO LÓPEZ Université de Grenade

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L’historiographie de l’enseignement du français langue étrangère en Allemagne. Un abrégé de son évolution

Marcus Reinfried

1 L’historiographie de l’enseignement du français langue étrangère commence en Allemagne dès la fin du XIXe siècle, c’est-à-dire bien avant la fondation de la SIHFLES. Certaines des premières publications n’ont pas perdu de leur pertinence jusqu’à aujourd’hui ; et il est nécessaire de les intégrer dans un bilan de recherche. Néanmoins, de grandes avancées ont été faites ces quarante dernières années par l’édition de recueils de sources et grâce à la spécialisation de la recherche.

2 La SIHFLES a certes influencé quelques-uns des travaux allemands parus dans les 25 dernières années. Mais le propos de cet article n’est pas de cerner cet apport à peine définissable empiriquement ni de répertorier les articles ayant traité des aspects de l’histoire de l’enseignement du français langue étrangère dans les pays germanophones publiés par la SIHFLES1. L’article a été rédigé dans le but d’éclairer le champ de l’historiographie qui forme l’arrière-plan en langue allemande de ce qu’on peut lire dans les publications françaises. Un tel article est nécessairement un abrégé. Il se limite à quelques titres, privilégie surtout les monographies, et ne peut être forcément qu’incomplet. Les titres les plus importants sont répertoriés dans la bibliographie à la fin de l’article. Les autres indications bibliographiques se trouvent dans des notes en bas de page.

1. Les débuts

3 Le Allgemeiner Deutscher Neuphilologen-Verband, la première association allemande des enseignants de langues modernes, a été fondée en 1886. Parmi les fondateurs, il y avait, outre des professeurs de langues, quelques professeurs d’université, des spécialistes en

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philologie romane ou anglaise. Le phonéticien et angliciste Wilhelm Viëtor s’est engagé dans cette association ainsi que son collègue Edmund Stengel, romaniste dans la même université de Marburg. Stengel a établi un célèbre répertoire des grammaires de la langue française jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, imprimé en 1890 et réédité en 1976 (avec un grand nombre d’ajouts) par Hans-Josef Niederehe. Le romaniste de Marburg a été soutenu dans son travail par environ quarante membres du Allgemeiner Deutscher Neuphilologen-Verband, professeurs des écoles en majorité. Comme il l’explique dans le texte d’une conférence tenue au troisième congrès des néophilologues à Dresde et imprimé à titre d’introduction dans le répertoire (Stengel 1890 : 1-5), celui-ci était censé être utile non pas seulement à la recherche diachronique de la langue française et de la grammaticographie, mais aussi à une recherche historique approfondie des techniques de l’enseignement du français.

4 Néanmoins, ce ne sera pas Stengel, bien qu’il se soit intéressé à l’enseignement des langues et ait même adhéré au mouvement réformiste, qui mettra personnellement en œuvre une telle recherche didactique, étant donné le caractère essentiellement linguistique de ses activités et axé sur les lettres. Ce sera Karl Dorfeld, professeur dans un lycée classique à Gießen, qui (peut-être aussi inspiré par Stengel) rédigera le premier texte sur l’histoire de l’enseignement du français en Allemagne (Dorfeld 1892). Il a été imprimé comme appendice au « rapport annuel » de son lycée, destiné à l’information des parents d’élèves2. Le texte a ensuite été remanié et complété à plusieurs reprises pour être imprimé dans une grande encyclopédie pédagogique3. L’auteur s’intéresse déjà à beaucoup d’aspects différents : il donne de nombreuses informations sur les premières apparitions de l’enseignement du français dans certaines villes ou écoles allemandes, sur le nombre d’années d’apprentissage et d’heures de cours par semaine, les programmes et les examens. Certaines activités comme l’entraînement oral, les traductions et la rédaction de lettres sont bien décrites. Même les manuels de Meidinger, Seidenstücker, Ahn et Ploetz apparaissent déjà comme les jalons allemands de la méthode grammaire-traduction dans le texte de Dorfeld. La description des méthodes et l’analyse des œuvres littéraires lues dans l’enseignement de niveau avancé sont seulement effleurées. Dans l’emploi des sources, on trouve déjà une assez grande diversification : Dorfeld s’est aussi bien servi de quelques préfaces de vieilles grammaires que de vieux romans dans lesquels les auteurs mentionnent une connaissance des langues et la façon dont les personnes l’acquièrent ; il a exploité des sources de l’histoire de la pédagogie (par exemple Monumenta Germaniae Paedagogica) ainsi que de nombreuses descriptions historiques d’écoles allemandes riches de traditions parues à l’occasion de leurs anniversaires dans les Schulprogramme (cf. note 2) ou dans des monographies séparées.

5 Le travail de Dorfeld, assez positiviste et solidement documenté n’a pourtant pas suscité, semble-t-il, beaucoup d’intérêt parmi les enseignants de français engagés dans le mouvement réformiste. Mais au cours de la première décennie du XXe siècle, le sentiment se répandit en Allemagne que la « querelle entre les anciens et les modernes » dans l’enseignement des langues étrangères était épuisée et qu’une méthode mixte allait prendre le dessus4. Les controverses entre les propagateurs de la méthode directe et ceux de la méthode grammaire-traduction s’apaisèrent et certains spécialistes de l’enseignement des langues étrangères commencèrent à s’intéresser à l’histoire pour pouvoir mieux classer et comprendre les alternatives méthodiques du présent. Pratiquement tous les articles historiques parus pendant ces années-là qui

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prenaient la relève de Dorfeld5 mettaient par conséquent surtout l’accent sur les méthodes de l’enseignement des langues. On intégra aussi des chapitres historiques dans certains ouvrages de référence destinés à la formation pratique des professeurs6.

6 Albert Streuber (1914) est l’auteur de la première monographie traitant de l’histoire des méthodes du XVIe au XVIIIe siècle, thèse soutenue à l’université de Gießen. Streuber fondait sa recherche surtout sur les grammaires répertoriées par Stengel (1890). Son intention était de corriger les travaux de Dorfeld et de Lehmann (cf. notes 3 et 5) qui lui semblaient trop schématiques et lacunaires dans le champ très vaste de l’histoire des grammaires françaises utilisées en Allemagne7 (Streuber 1914 : 9-11). Aussi a-t-il décrit plus de 200 grammaires dans sa thèse. Mais l’utilité de ce travail appliqué est très limitée car Streuber y classe ses auteurs de grammaires (en général aussi des maîtres de la langue française) essentiellement selon trois catégories : adhérents à une méthode déductive, à une méthode inductive ou à une méthode mixte. Or ces termes restent flous et inexpliqués tout au long de son texte ; ils ne sont définis nulle part. On peut supposer que pour Streuber la méthode déductive n’était pas seulement caractérisée par la primauté des règles grammaticales, mais aussi par la primauté des compétences écrites, tandis que la méthode inductive appréciait surtout la conversation et trouvait son point de départ dans un texte ou dans une phrase. Mais Streuber ne distinguait pas non plus entre les méthodes qui incitaient les apprenants à trouver par eux-mêmes certaines règles grammaticales et les méthodes qui renonçaient largement à la conscientisation. En outre l’indication des références par Streuber est incomplète : il ne désigne souvent ses grammaires que par le nom de leur auteur, il n’en donne souvent ni les titres ni les années de parution ni les pages dans ses citations8. Néanmoins, il reste jusqu’à présent le seul historien en Allemagne qui ait essayé de réaliser (bien que de façon peu fiable et contrôlable) la description des techniques de l’enseignement du français proposée par Stengel (1890 : 2).

7 Vers 1910, l’approche scientifique dominante dans les sciences humaines commence à se transformer en Allemagne. Les dernières décennies avaient surtout été influencées par le paradigme empiriste, les années vingt seront plutôt placées sous un renouveau de la pensée idéaliste. L’histoire des idées gagna en importance. L’étude de Hugo Dietze (1927), la première analyse diachronique de l’apprentissage des langues étrangères dans la formation professionnelle des commerçants allemands, est par son sujet nécessairement liée à l’histoire économique. Mais l’abrégé du développement de l’enseignement des langues modernes rédigé par Walter Hübner9 (1929), inspecteur dans l’administration scolaire en Prusse et professeur honoraire à la Friedrich- Wilhelm-Universität à Berlin, est surtout orienté vers l’évolution des fonctions éducatives des langues française et anglaise. La thèse de Bernhard Schmidt (1931), soutenue à l’Institut des Sciences de l’éducation de l’université de Halle, décrit l’enseignement de la langue française au XVIIe siècle surtout dans le contexte d’idées pédagogiques générales (comme celles exprimées par Ratke et par Comenius), même s’il a aussi analysé assez précisément environ 90 manuels de français parus à cette époque.

2. Les recueils de sources

8 Entre le début du Troisième Reich et le milieu des années cinquante, la recherche historique concernant l’enseignement des langues étrangères s’est arrêtée en

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Allemagne. Les nazis ont en général accordé peu d’importance à l’enseignement des langues, surtout au français qui était considéré comme la langue d’un « ennemi héréditaire » et associé à une culture et une race considérées comme décadentes. Le français, traditionnellement la langue étrangère moderne la plus importante en Allemagne, fut dégradé à partir de 1938 et devint une matière optionnelle dans la plupart des lycées avec peu d’heures d’enseignement (Reinfried 2003 [2001] : 130-133, 137-138). Pendant la Deuxième Guerre mondiale et pendant les années de la reconstruction de l’Allemagne, l’enseignement des langues étrangères a été peu pris en considération par la recherche universitaire.

9 La recherche reprend en RDA grâce à Koch10 qui étudie les statuts professionnels, les activités et les conditions de vie des maîtres de langues étrangères du XVIIe au XIXe siècle (avec les débuts de la romanistique) à l’université de Iéna. En RFA, Flechsig traite dans sa thèse (1962), soutenue à l’Institut de Pédagogie de l’université de Göttingen11, des conceptions éducatives dépendant entre autres des conceptions du culturel et des conceptions du langage, dans l’histoire de l’enseignement des langues étrangères modernes. Même si cette thèse, qui n’a jamais été imprimée, donne à la lecture parfois l’impression d’une première version d’un texte hâtivement écrit avec certaines faiblesses quant au contenu (cf. Schröder 1990 : 4), elle a inspiré à l’auteur la publication de deux volumes (Flechsig 1965, 1970) contenant des préfaces de manuels et des articles qui illustrent bien l’évolution historique des attentes éducatives liées à l’enseignement des langues.

10 Konrad Schröder (1969) décrit dans sa thèse le développement de l’enseignement de l’anglais dans les universités germanophones12. Cette thèse est composée pour moitié d’appendices classant par ordre alphabétique les universités offrant des cours d’anglais ou en langue anglaise ainsi qu’une liste alphabétique de lecteurs et professeurs enseignant cette langue. Ce projet de rassembler systématiquement des données concernant l’histoire de l’enseignement des langues étrangères est poursuivi par Schröder dans les décennies suivant sa thèse ; il devient l’éditeur de recueils de sources le plus important en Allemagne, probablement même en Europe, dans ce domaine. Schröder commence avec les Linguarum recentium annales (1980, 1982, 1983, 1985), environ 3000 petits extraits de littérature secondaire allemande arrangés en ordre chronologique qui contiennent des informations concernant la parution de grammaires et d’autres manuels, l’emploi de maîtres de langues, les conditions de l’enseignement des langues dans des institutions scolaires ainsi que des descriptions de l’usage de langues dont on peut déduire l’importance sociale dans certains milieux. Ces « annales » se limitent à la période entre 1500 et 1800. Elles contiennent beaucoup d’informations sur l’enseignement du français qui a été pendant toute cette époque la langue étrangère dominante en Allemagne (Schröder 1980 : XIII), mais aussi sur celui de l’italien, de l’anglais et de l’espagnol et même sur les « petites langues étrangères » – du point de vue de leur diffusion en Allemagne –, comme le portugais, le hongrois ou l’arabe.

11 Le deuxième grand recueil est un dictionnaire biographique (en six volumes) des enseignants de langues étrangères dans les pays germanophones avant 1800. Schröder y a rassemblé environ 3800 articles13. Il ajoute dans des bibliographies à la fin des volumes environ 5000 titres de monographies ou d’articles, en majorité des études d’histoire locale ou régionale, dans lesquelles il a trouvé des données biographiques. Mais les indications bibliographiques, classées surtout selon des critères

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géographiques, ne peuvent pas être facilement mises en rapport avec des articles précis, et dans les articles, les références manquent – même pour les citations. Espérons qu’il y aura une deuxième édition de ce répertoire, annoncée déjà par Schröder dans un entretien personnel, avec les références nécessaires dans chaque article qui permettront de vérifier l’exactitude des données.

12 Nous devons aussi plusieurs recueils de sources à Herbert Christ. Un petit recueil de Christ & Liebe (1979 [1978]) est consacré à la politique des langues scolaires en RFA14. Un deuxième, paru à la Wissenschaft-liche Buchgesellschaft qui publie surtout des livres universitaires en sciences humaines, est censé représenter une anthologie du développement de la pensée didactique de l’enseignement du français. Il comprend une trentaine de textes, parus pour la première fois entre 1613 et 1978. Le troisième recueil, édité par Christ & Rang (1985), réunit en 7 volumes environ 600 programmes scolaires et arrêtés concernant les examens ou les horaires dans l’enseignement des langues étrangères en Allemagne. Ces documents couvrent la période de 1700 à 1945. Ils sont utiles pour analyser les objectifs d’enseignement, c’est-à-dire les compétences dans l’emploi de la langue cible ainsi que les connais-sances culturelles et grammaticales qu’on souhaitait faire acquérir aux élèves. Certains programmes donnent aussi des renseignements méthodiques ou des informations sur le choix des œuvres littéraires à lire dans les dernières années de la scolarité secondaire.

3. La recherche spécialisée

13 Dans le dernier tiers du XXe siècle, parallèlement aux progrès dans la collecte et le classement des sources, la publication de la littérature secondaire a gagné en intensité. Plusieurs travaux décrivent le développement historique des contenus dans l’enseignement du français langue étrangère. Walter Apelt (1967) analyse dans son mémoire de qualification pour l’enseignement supérieur en RDA la Kulturkunde, c’est-à- dire la doctrine du caractère des peuples qui a beaucoup influencé l’enseignement des langues étrangères en Allemagne dans les années 1920 et qui a été combinée avec une pseudo-science des races pendant la période du Troisième Reich. Ce livre, méritoire dans les années soixante parce qu’il thématisait une évolution passée longtemps sous silence en RFA, ne distingue pourtant pas suffisamment, malgré l’utilisation d’un très grand nombre de sources, les différentes manifestations du mouvement de la Kulturkunde. Un long article de Reinfried (1999) essaie de mieux différencier, spécialement pour l’enseignement du français, plusieurs phases du développement de la Kulturkunde et décrit les déterminants qui ont influencé son évolution.

14 On remarquera également les trois thèses publiées par Hans Bode (1980), Jürgen Krauskopf (1985) et Helmut Niederländer (1981) qui s’intéressent aussi au développement historique des contenus dans l’enseignement du français langue étrangère en analysant des manuels de français. Hans Bode analyse les manuels d’August Grund, très répandus en Allemagne entre 1913 et 1969 et parus dans de nombreuses versions et éditions différentes. Il s’intéresse surtout aux sujets traités dans les textes, à la structure de l’enseignement de la civilisation française et à l’évolution de l’image de la France en Allemagne. Jürgen Krauskopf analyse l’évolution des stéréotypes dans 23 manuels de français parus en Allemagne et 25 manuels d’allemand parus en France entre 1950 et 1980. Ces images de l’autre se rapportent aux centres d’intérêt suivants : famille, école, loisirs, régions, histoire, politique, littérature.

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Quant à Helmut Niederländer, il analyse 17 grammaires de la langue française imprimées en Allemagne entre 1850 et 1950. Sur la base de ce corpus, il établit une typologie des grammaires, en définit les différentes structurations ainsi que les contenus et décrit les traits spécifiques des grammaires didactiques.

15 En ce qui concerne l’analyse des méthodologies et méthodes, il n’y a pas encore eu d’ouvrages de référence, publiés dans le domaine de l’histoire de l’enseignement du français en Allemagne ; les monographies parues se limitent à l’enseignement de l’anglais. Mais certains résultats des recherches liées à ces publications devraient néanmoins être en partie applicables à l’enseignement du français. Konrad Macht (1986, 1987, 1990) se sert essentiellement d’extraits de manuels pour la description de ses treize méthodologies des XIXe et XXe siècles. Il utilise une grille d’analyse qui évalue pour chaque méthodologie l’importance relative des quatre aptitudes langagières (écouter, parler, lire et écrire), de la connaissance d’« unités langagières » (lexique, structures grammaticales) et de l’intégration de différents domaines thématiques concernant la culture cible. Friederike Klippel (1994 : 22-27) en revanche n’accepte pas sa notion de méthode qui, selon elle, est trop restreinte. Elle se base sur la modélisation de Richards & Rodgers15 (1986 : 14-30) distinguant entre trois niveaux descriptifs d’une méthode : le niveau théorique (approach), le niveau de la complexion des facteurs d’enseignement/apprentissage (design) et le niveau des techniques d’enseignement/ apprentissage (procedure). Klippel (1994 : 16-17) examine surtout le niveau moyen du design en analysant un corpus d’environ 300 manuels (parus aux XVIIIe et XIXe siècles) ainsi que les réflexions méthodiques correspondantes.

16 Quant à la question des supports dans l’enseignement des langues étrangères d’un point de vue historique, elle est traitée d’une part par Hanno Schilder (1977) et d’autre part par Marcus Reinfried (1992) dans leurs thèses de doctorat respectives, publiées sous forme de monographies. Schilder décrit la « méthode par l’aspect » (qui utilise des objets et des tableaux muraux) et la « méthode auditive » (qui intègre des disques et des émissions de radio dans l’enseignement des langues modernes) entre 1880 et 1945. Il analyse surtout un grand nombre d’articles de revues. Reinfried se limite à l’emploi des images dans l’enseignement du français, mais il traite ce sujet du début du XVIe siècle jusqu’à l’année 1990. Il s’intéresse surtout à la question de savoir s’il y a, à certaines époques, des parallèles et influences réciproques entre un « sensualisme didactique », s’exprimant dans l’emploi d’images, de modèles réduits, d’une pédagogie « naturelle » et de la méthode directe, et une tendance épistémologique vers le sensualisme dans les humanités. Il a aussi déduit de son analyse historique une typologie des fonctions didactiques de l’image (Reinfried 1992 : 245-258).

17 La politique des langues qui forme le contexte de l’enseignement de la langue française et d’autres langues étrangères en Allemagne a été traitée dans une monographie de Herbert Christ16 qui intègre aussi un certain nombre de réflexions historiques, même si le XIXe siècle et les siècles antérieurs y sont peu pris en considération. De plus, Christ aussi bien que l’angliciste Schröder, qui n’a néanmoins pas écarté l’enseignement du français dans ses travaux17, se sont beaucoup intéressés à l’histoire sociale de l’enseignement des langues. Cela ne se manifeste pas seulement dans leurs articles, mais aussi d’une façon nette dans les recueils de sources qu’ils ont publiés (voir ci- dessus). Pour certains aspects du « contexte systémique » de l’enseignement des langues18, on trouve fréquemment dans les projets de recherche en cours ou rédigés ces dernières années (surtout les thèses des anglicistes ou des romanistes) des approches

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combinant l’histoire sociale avec l’histoire culturelle. Christiane Obermeier (2012), pour donner un exemple, décrit l’implantation des langues modernes en Prusse entre 1859 et 1931 du point de vue des institutions scolaires et de la perspective sociale des apprenants et de leurs parents, mais elle prend aussi en compte le point de vue de l’histoire culturelle en analysant les débats qui avaient lieu entre les défenseurs des langues classiques et ceux des langues modernes au XIXe siècle ainsi qu’entre les partisans du français et les propagateurs de l’anglais dans les années vingt du XXe siècle. Les quelques historiens de l’enseignement des langues étrangères présents dans les universités allemandes sont souvent confrontés aux nombreux didacticiens, fervents adeptes de la méthodologie empirique des sciences sociales et méprisant parfois l’histoire, et sont donc parfois contraints d’expliquer et de justifier d’une manière offensive leur approche scientifique ; la diachronie, elle aussi, a besoin d’une réflexion méthodologique et d’une théorisation spécifique. On commence fort heureusement à intégrer la méthodologie de la recherche historique des langues étrangères dans les manuels de recherche empirique19.

18 Les acteurs de l’enseignement du français, les enseignants et les apprenants, n’ont pas encore été analysés de manière systématique. Christ (1983) a décrit les différents types de maîtres de langue ainsi que les professeurs modernes et leur formation dans plusieurs articles, partiellement avec quelques exemples, mais sans se baser sur un corpus avec des indications biographiques. Doff (2002 : 247-339) a rédigé dans sa thèse sur l’enseignement des langues modernes aux jeunes filles dans la deuxième moitié du XIXe siècle de longs passages décrivant l’institutionnalisation d’écoles supérieures réservées aux filles comprenant la formation des enseignantes et leurs conditions matérielles. En ce qui concerne les apprenants de français, nous ne connaissons ni leur nombre à différentes époques ni leur répartition dans les différentes régions allemandes, ni leurs appartenances à telle ou telle classe sociale. Ce serait déjà un progrès considérable si on arrivait à avoir des chiffres approximatifs pour les XIXe et XXe siècles. Marcus Reinfried (2012) a calculé les pourcentages annuels dans les Realschulen et les lycées allemands en commençant par la période entre 1965 et 201220 – une tâche ô combien compliquée dans un pays fédéral aussi divisé que l’Allemagne si on continue avec la période entre 1815 et 1933.

4. Vers une représentation d’ensemble

19 Même si on est encore loin d’avoir étudié de façon approfondie tous les aspects et toutes les époques de l’enseignement du français langue étrangère en Allemagne, on ne peut pas nier les avancées des dernières décennies. Un grand nombre d’articles et de monographies spécialisés ont été publiés. L’histoire de l’enseignement du français est bel et bien présente (en général avec les autres langues modernes) dans les grands manuels et dictionnaires de la didactique des langues ou de la franco-romanistique21. Néanmoins, les progrès de la recherche des dernières décennies sont dans l’ensemble encore présentés de manière trop éparpillée. Il n’existe pas encore de monographies présentant une vue d’ensemble de l’évolution de l’enseignement/apprentissage du français langue étrangère en Allemagne.

20 Il existe pourtant une « Petite histoire de l’enseignement des langues étrangères » rédigée en langue allemande par un angliciste (Hüllen 2005). Mais cette vue d’ensemble, traitant de l’évolution historique depuis l’antiquité jusqu’à nos jours en 150 pages

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environ, ne décrit précisément qu’une partie des aspects pertinents et en effleure seulement d’autres, non moins importants. Les conceptions éducatives y sont par exemple bien décrites, mais les conceptions du culturel et surtout les méthodes restent relativement floues, les enseignants et les apprenants sont insuffisamment caractérisés. Et le français langue étrangère dans ses particularités parmi les autres langues étrangères n’est pas assez pris en compte. Mais Walter Kuhfuß, membre de la SIHFLES, qu’on connaissait jusqu’à présent seulement comme spécialiste des débuts de l’enseignement du français en Allemagne au XVIe siècle 22 comblera en partie cette lacune. Il vient de terminer un long texte d’environ 740 pages, une histoire culturelle de l’enseignement du français de 1490 à 1815 en Allemagne, qui n’écarte pas l’histoire sociale. Le livre (Kuhfuß 2013) paraîtra à la fin de l’année 2013.

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STREUBER, Albert (1914). Beiträge zur Geschichte des französischen Unterrichts im 16. bis 18. Jahrhundert. Teil I : Die Entwicklung der Methoden im allgemeinen und das Ziel der Konversation im besonderen. Romanische Studien, 15. Berlin : Ebering.

NOTES

1. Les articles parus dans Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, rédigés par des Allemands et cités dans Marie-Christine Kok Escalle, Nadia Minerva & Marcus Reinfried (coord.) (2012). Histoire internationale de l’enseignement du français langue étrangère ou seconde : problèmes, bilans et perspectives. Recherches et applications. Le français dans le monde, 52, y sont répertoriés aux pages 160-168 ; ils offrent un résumé de la recherche menée pendant les 25 ans d’existence de la SIHFLES. Il s’agit de contributions de Herbert Christ, Henning Düwell, Gerda Hassler, Erika Hültenschmidt, Konrad Macht, Esther Möller, Marcus Reinfried, Konrad Schröder et Franz-Rudolf Weller. 2. Ces « Schulprogramme », institutionnalisés dans les lycées et collèges, contenaient des informations sur les matières, les contenus et les examens, les noms des enseignants et des élèves dans les classes, éventuellement des descriptions de fêtes scolaires avec des discours tenus à cette occasion. À partir du début du XIXe siècle, ils ont été complétés par un ou deux articles scientifiques ou pédagogiques (d’une vingtaine de pages) à travers lesquels les professeurs faisaient la preuve de leurs connaissances. 3. Karl Dorfeld (1896). « Französischer Unterricht, geschichtlicher Abriß ». In Wilhelm Rein (dir.). Encyclopädisches Handbuch der Pädagogik, vol. 2. Langen-salza : Beyer, 395-419 ; id. (1905). « Französischer Unterricht, geschichtlicher Abriß » In Wilhelm Rein (dir.), op. cit., 1-31. 4. Georg Steinmüller (1909). Hermann Breymann’s Neusprachliche Reform-Literatur. Eine bibliographisch-kritische Übersicht. Vol. 4: 1904-1909. Leipzig : Deichert, 151. 5. Wilhelm Viëtor (1902). Die Methodik des neusprachlichen Unterrichts. Ein geschichtlicher Überblick in vier Vorträgen. Sammlung neuphilologischer Vorträge und Abhandlungen, 3. Leipzig : Teubner ; Alwin Lehmann (1904). « Der neusprachliche Unterricht im 17. und 18. Jahrhundert, insbesondere seine Methode im Lichte der Reform der Neuzeit ». In Jahresbericht der Annenschule (Real-gymnasium) zu Dresden-Altstadt, Dresden : Teubner, 3-40 ; Gerhard Budde (1906). « Ein Gang durch Jahrhunderte sprachlicher Methodik » Neue Jahrbücher für das klassische Altertum, Geschichte und deutsche Literatur und für Pädagogik, 18, 263-271 ; Otto Boerner & Ernst Stiehler (1906). « Zur Geschichte der neueren Sprachen ». Neue Jahrbücher für das klassische Altertum, Geschichte und deutsche Literatur und für Pädagogik, 18, 334-351, 392-412, 459-471. 6. Otto Wendt ( 31909 [11888]). « Methodischer Betrieb der französischen Sprache » In id. Enzyklopädie des französischen Unterrichts, Methodik und Hilfsmittel für Studierende und Lehrer der französischen Sprache mit Rücksicht auf die Anforderungen der Praxis. Hannover/Berlin : Meyer, 36-132 ; Benno Röttgers (1913). « Der Unterricht im Französischen. I. Geschichtliches » In id. Methodik des französischen und englischen Unterrichts in höheren Lehranstalten jeder Art. Methodik des elementaren und höheren Schulunterrichts. Für den Gebrauch in Seminaren und Oberlyzeen, 3, 1-26. 7. Stengel (1890) lui-même a déjà répertorié 625 grammaires dont presque la moitié a connu plusieurs éditions, se distinguant quelquefois considérablement les unes des autres. 8. Streuber (1914 : 8) exclut même les indications nécessaires à une identification précise dans sa bibliographie, et renvoie pour cela globalement au répertoire de Stengel.

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9. Walter Hübner (1933 [1929]). Didaktik der neueren Sprachen. Handbuch des Unterrichts an höheren Schulen. Zur Einführung und Weiterbildung in Einzeldarstellungen. Frankfurt a. M. : Diesterweg, 1-21. 10. Herbert Koch (1955). Geschichte der Romanistik an der Universität Jena, IV + 126 p. (Manuscrit dans les archives de l’université de Iéna, cote H/C 155, avec un index des noms de personnes et un appendice des annotations, cote H8C 155/2). 11. Karl-Heinz Flechsig (1962). Die Entwicklung des Verständnisses der neusprachlichen Bildung in Deutschland. Thèse de doctorat. Manuscrit à l’université de Göttingen. 12. Konrad Schröder (1969). Die Entwicklung des englischen Unterrichts an deutschsprachigen Universitäten bis zum Jahre 1850. Mit einer Analyse zu Verbreitung und Stellung des Englischen als Schulfach an den deutschen höheren Schulen im Zeitalter des Neuhumanismus. Ratingen : Henn. 13. Quelques-uns de ces articles sont assez longs et contiennent beaucoup de détails, d’autres courts, se limitant dans certains cas même à indiquer un nom, une année et une institution ou une ville dans laquelle une langue étrangère a été enseignée. 14. Herbert Christ & Elisabeth Liebe (éd.) (11978, 21979). Dokumente zur Schulsprachenpolitik in der Bundesrepublik Deutschland. Augsburger I- & I-Schriften, 7. Augsburg : Universität. 15. Jack C. Richards & Theodore S. Rodgers (1986). Approaches and Methods in Language Teaching. A description and analysis. Cambridge : Cambridge University Press, 14-30. 16. Herbert Christ (1980). Fremdsprachenunterricht und Sprachenpolitik. Stuttgart : Klett-Cotta. 17. Par exemple Konrad Schröder (1995). « Französischunterricht in Berlin im 18. Jahrhundert » In Herbert Christ & Gerda Haßler (dir.). Regards sur l’histoire de l’enseignement des langues étrangères. Actes de la Section 8 du Romanistentag de Potsdam du 27 au 30 septembre 1993. Tübingen : Narr, 188-210. 18. Nadia Minerva & Marcus Reinfried (2012). « Les domaines à explorer et l’évolution historique ». In Marie-Christine Kok Escalle, Nadia Minerva & Marcus Reinfried (coord.), op. cit., 20-26. 19. Sabine Doff & Tim Giesler (2002). « Historische Fremdsprachen-forschung » In Sabine Doff (dir.). Fremdsprachenunterricht empirisch erforschen : Grundlagen – Methoden – Anwendung. Tübingen : Narr, 82-112. 20. Marcus Reinfried (2012). « Der Französischunterricht und seine quantitative Entwicklung an den deutschen Schulen (1965-2012) ». Französisch heute, 43 (4), 178-189. 21. Cf. Reiner Lehberger ( 52007 [42003]). « Geschichte des Fremdsprachen-unterrichts in deutschsprachigen Ländern bis 1945 ». In Karl-Richard Bausch, Herbert Christ & Hans-Jürgen Krumm (dir.). Handbuch Fremdsprachenunterricht. Tübingen/Basel : Francke, 609-614 ; Herbert Christ & Rudolf De Cillia (52007 [42003]). « Geschichte des Fremdsprachen-unterrichts in deutschsprachigen Ländern seit 1945 » In Karl-Richard Bausch, Herbert Christ & Hans-Jürgen Krumm (dir.). Handbuch Fremdsprachenunterricht. Tübingen/Basel : Francke, 614-621; Konrad Schröder (2010). « Geschichte des Fremdsprachenunterrichts ». In Carola Surkamp (dir.). Metzler Lexikon Fremdsprachendidaktik. Ansätze – Methoden – Grundbegriffe. Stuttgart/Weimar : Metzler/ Poeschel, 87-91 ; Marcus Reinfried (22008 [12002]). « Der Unterricht des Französischen in Deutschland ». In Ingo Kolboom, Thomas Kotschi & Edward Reichel (dir.). Handbuch Französisch. Sprache, Literatur, Kultur, Gesellschaft. Für Studium, Lehre, Praxis. Berlin : Schmidt, 148-159. 22. Walter Kuhfuß (1976). « Frühformen des Französischunterrichts in Deutschland. Beiträge zur ersten Ausweitungsphase organisierter französischer Sprachunterweisung (1554-1618) ». In Harald Haarmann & Anna Liisa Värri-Haarmann (dir.). Sprachen und Staaten. Festschrift Heinz Kloss. Vol. I : Der politische und soziale Status der Sprachen in den Staaten der Europäischen Gemeinschaft. Schriftenreihe zur europäischen Integration, 15. Hamburg: Stiftung Europa-Kolleg, 323-348 ; id. (2011). « Wie und warum lernte Friedrich der Weise Französisch ? Überlegungen zu den Anfängen des deutschen Französisch-unterrichts. » Französisch heute, 42 (2), 57-64.

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AUTEUR

MARCUS REINFRIED Université Friedrich-Schiller, Iéna

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Une entreprise sur le long terme : les répertoires de manuels utilisés pour l’enseignement du français aux Pays-Bas

Marie-Christine Kok Escalle

1 Les rencontres au sein de la SIHFLES ont contribué à stimuler la recherche sur l’histoire de l’enseignement du français hors de France ; depuis 25 ans nombre de publications ont vu le jour (cf. bibliographie Gisèle Kahn, dans ce même numéro), œuvres de chercheurs isolés ou d’équipes de chercheurs dont plusieurs ont entrepris de faire un inventaire des manuels utilisés pour cet enseignement dans leur pays.

2 Mais on n’a pas attendu la SIHFLES pour mener des recherches sur l’histoire du français à l’étranger (Ferdinand Brunot a publié dès 1905, l’Histoire de la langue française des origines jusqu’à 1900, dont les tomes VIII-1 et VIII-2-3 portent sur « le français hors de France »). En 1889, Edmund Max Stengel publie un répertoire des grammaires françaises qui « se situe dans le courant des grandes études sur les documents linguistiques du passé (grammaires et dictionnaires) qui apparurent au tournant des XIXe et XXe siècles » (B. Lépinette, Lettre de la SIHFLES 48, juin 2002) et en 1919, Karl J. Riemens publie à Leyde son travail de thèse sur l’enseignement du français en Hollande du XVIe au XIXe siècle.

1. Les typologies

3 S’interrogeant sur le rôle qu’ont pu jouer l’enseignement du français et les écoles françaises dans la diffusion de la langue et de la littérature françaises en Hollande aux XVIIe et XVIIIe siècles, Riemens situe le travail de l’institution scolaire dans le contexte social et politique et accorde une place importante aux acteurs que sont les maîtres d’enseignement dans la diffusion de l’éducation en langue française. Dans les Pays-Bas septentrionaux (cf. les articles de Willem Frijhoff, Madeleine van Strien-Chardonneau et

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Pierre Swiggers, dans ce même volume), appelés couramment « Hollande », la langue française est, comme dans d’autres pays européens, jusqu’à la Première Guerre mondiale, la première langue étrangère et elle a longtemps été langue seconde dans les milieux aristocratiques ; langue apprise dans le milieu familial ou à l’école, elle est restée langue d’éducation pendant des siècles et donc la langue des nombreuses lectures offertes aux jeunes élèves. L’inventaire des bibliothèques privées révèle que les livres français y sont nombreux.

4 Aussi Riemens offre-t-il en annexe de son ouvrage, non seulement un index des noms et une bibliographie qui rassemble les documents pouvant servir de sources à l’étude (catalogues, recueils, répertoires, études, etc.), mais encore un répertoire des ouvrages destinés aux écoles et publiés avant 1800 en Hollande. Riemens les classe en trois catégories, à savoir 1/ les ouvrages d’instruction (grammaires et exercices, traités de grammaire et de style), 2/ les ouvrages d’application (manuels épistolaires, qui témoignent de l’usage du français pour la correspondance privée mais aussi commerciale – le français étant la langue du cœur mais aussi la langue des affaires –, vocabulaires et dialogues, drames scolaires, livres de lecture et ouvrages didactiques) et 3/ les dictionnaires.

5 L’inventaire des ouvrages donne une indication sur les supports de l’apprentissage de la langue, supports cognitifs apportant des savoirs bruts, supports didactiques proposant des explications pour conduire à la compréhension des règles et des pratiques linguistiques, enfin supports éducatifs dont le but de formation par la langue étrangère est clairement affiché. Ainsi, a-t-on

6 - des listes lexicales : les vocabulaires, nommés parfois alphabets, destinés à tous les âges et même au plus jeune, et les dictionnaires, parfois avec une partie de synonymes ;

7 - des ouvrages didactiques : « méthode » (familière), « grammaire » ou antigrammaire (Piélat 1672/73), « livre d’exercices », « livre de traduction », « livre de lecture » que sont les recueils d’histoires et d’anecdotes, ceux de morceaux choisis extraits d’auteurs littéraires cités/signés ou non ;

8 - des livres de littérature, à but éducatif, lus en version originale (intégrale) ou dans des versions adaptées aux écoliers ou jeunes apprenants néerlandais comme ils le sont pour d’autres pays : il en est ainsi du Télémaque au XVIIIe et au XIXe siècle, des Magazins de Madame de Beaumont, et de l’histoire de Robinson Crusoé qui, au XIXe siècle, se décline sous forme intégrale ou abrégée, parfois partagée en leçons pour faire progresser l’apprenant1.

2. Les données2

9 Le répertoire contenu dans l’ouvrage de Riemens (1919) mérite d’être complété, en particulier pour tout le XIXe siècle. L’entreprise est en cours de réalisation, et une base de données devrait permettre de rendre accessibles en ligne les informations bibliographiques des ouvrages retenus et, par la même occasion, de créer des liens avec les nombreux textes publiés aux Pays-Bas septentrionaux pour l’étude du français, déjà consultables sur le Net en version intégrale. Quantité d’ouvrages ont en effet été numérisés, et continuent de l’être : ceux du fonds du Nederlandsche schoolmuseum, le musée scolaire néerlandais de l’université d’Amsterdam, ceux de la bibliothèque royale et en particulier les ouvrages scolaires du XIXe siècle appartenant au musée national de

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l’enseignement Nationaal Onderwijsmuseum et à la mémoire des Pays-Bas nationaalgeheugen, ceux des collections particulières de l’université d’Utrecht, etc.

10 Les informations saisies, concernant les éditions et leur contenu, permettent de mettre en évidence les paramètres des ouvrages et leurs caractéristiques qui sont bien plus complexes que ne le donnerait à penser une classification typologique comme celle utilisée par Riemens par exemple.

11 En effet, le contenu des ouvrages et les choix didactiques qui sous-tendent leur composition, ne sont pas déductibles du seul titre. Aussi les informations traitées pour chaque ouvrage par les « mots clés », par le « paratexte » (préface, avant-propos, avis au lecteur, privilège, liste d’ouvrages disponibles du même auteur ou chez le même éditeur) et la « métalangue » (langue utilisée pour les explications et les indications didactiques liées aux exercices) seront-elles des outils essentiels pour le chercheur qui en déduira les publics visés, les objectifs de l’auteur et sa conception de la langue, ou encore le lien qu’il fait entre éducation et instruction et la charge culturelle attribuée à la langue. Il pourra en dégager la représentation que l’on se fait des langues, celle de la langue étrangère qu’est le français et celle de la langue maternelle, et d’en souligner l’évolution historique.

3. Quelques constatations

12 De l’inventaire en cours de fabrication, semblent se dessiner quelques lignes selon lesquelles coexistent des ouvrages spécifiquement écrits pour un public néerlandophone et d’autres importés de France ou d’ailleurs (d’Angleterre au XVIIe siècle, d’Allemagne au XIXe siècle) ; ainsi des grammaires de français langue maternelle, comme celle de Restaut qui connaît de nombreuses éditions publiées à Amsterdam, sont publiées aux Pays-Bas, à côté d’autres, adaptées pour le public néerlandais (Lhomond/ Le Tellier 1820) ou spécialement faites pour les Néerlandais (Vérenet 1863, van der Hoeven 1846). Les grammaires sont unilingues ou bien « réversibles » (Reboullet) c’est- à-dire « françoise et hollandoise/flamende », pour apprendre les deux langues (Mauger 1700, Zeydelaar 1768).

13 Dans la très abondante production néerlandaise d’ouvrages pour l’apprentissage du français, on remarque par ailleurs 1/ l’existence d’ouvrages polyglottes, 2/ la durée d’utilisation sur plusieurs siècles de certains ouvrages comme ceux de Pierre Marin par exemple, enfin 3/ une évolution dans la méthode d’enseignement, les dialogues devenant plus rares au cours du XVIIIe siècle alors que les recueils d’exercices et de textes à traduire se multiplieront au XIXe siècle.

14 Se manifeste également assez tôt la conscience d’un type d’apprentissage différent pour les débutants et pour les avancés ; cette idée de la progression dans l’apprentissage est concrétisée par Pierre Marin qui propose divers ouvrages, chacun étant adapté à un niveau de connaissance de la langue. Pieter Loonen (Meesterwerk 8, 14-22 ; 10, 23-28, 19973) a fait l’inventaire de la méthode de Marin qui inclut grammaire, dialogues, phrases familières, et qui, s’adressant aux divers âges, a sans doute pour cette raison connu un succès étonnant, sa méthode familière publiée de 1694 à 1873 étant reprise à chaque génération par un nouveau maître d’école et sans beaucoup de transformation. Si Marin propose un ensemble cohérent dans la progression lexicale et grammaticale, là où d’autres s’adressent particulièrement à un public ciblé, de débutants, avec

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« abrégé », « règles », « principes », « éléments », « systèmes », les séries de livres d’exercices (en 4, 6 ou 8 parties), composés de « Morceaux choisis », reprennent cette idée au XIXe siècle. Baudet, Engelberts Gerrits, Faisely, Vérenet, etc., maîtres néerlandophones et francophones, se réclament de leur expérience d’enseignant pour publier avec autorité, ces livres d’exercices dans un but très pragmatique.

15 Avec l’institutionnalisation de l’enseignement des langues dans le secondaire puis à l’université néerlandaise à la fin du XIXe et au début du XX e siècles, de nouveaux ouvrages spécifiques voient le jour, conformément au développement des disciplines, ainsi en est-il des « traité de phonétique » (A. Bourquin, J.J. Salverda de Grave 1899, 12e édition 1934).

16 Si les motivations pour apprendre le français aux Pays-Bas sont diverses au cours des âges, allant du besoin des commerçants aux aspirations de l’honnête homme et aux compétences à acquérir dans un monde moderne, il est possible de mettre cet enseignement/apprentissage du français en perspective, et bien dans la perspective d’un multilinguisme qui inclut le français (cf. Frijhoff 2010. Meertaligheid in de Gouden eeuw : een verkenning. Amsterdam : KNAW Press). Les ouvrages polyglottes ou plurilingues existent au XVIe siècle tout comme ils existent au XIXe siècle où le français prend sa place auprès de l’allemand et de l’anglais (en particulier à la suite de la réforme de l’enseignement secondaire, créant, en 1863, les écoles bourgeoises supérieures caractérisées par l’enseignement de ces trois langues étrangères). Ils sont écrits par des maîtres de langues qui répondent à leur fonction, souvent polyvalente de maître de langues, d’instituteur formant les élèves à plusieurs disciplines (français et histoire, ou mathématiques, plusieurs langues). En outre la charge éducative attribuée à certains ouvrages d’apprentissage du français transparaît dans les titres, les adresses au lecteur, mais aussi clairement dans les textes proposés pour la lecture, la traduction, l’exercice de grammaire ; Baudet (1778-1858), enseignant de français, sa langue maternelle, mais aussi de mathématiques, compare son travail à celui du « charpentier ». Auteur de très nombreux ouvrages, son objectif est de faire de ses élèves « des citoyens estimables et des membres utiles de la société », par l’apprentissage de la langue française qui prédispose l’élève à l’étude (texte de version en français du 4e livre d’exercices, p. 174-175) et dont la lecture des auteurs (Boileau, Buffon ou La Fontaine) conduira l’élève vers le bonheur et le bien public, lui fournissant un guide de savoir vivre moral et social. C’est ainsi que les Principes abrégés (1810) se terminent par les vers de Boileau : Concluons qu’ici bas le seul honneur solide, C’est de prendre toujours la vérité pour guide ; De regarder en tout la raison et la loi ; D’être doux pour tout autre et rigoureux pour soi : D’accomplir tout le bien que le ciel nous inspire ; Et d’être juste enfin : ce mot seul veut tout dire.

17 Tout un programme d’éducation, porté par l’enseignement/apprentissage de la langue française !

18 Le travail entrepris aux Pays-Bas pour faire un inventaire des manuels d’apprentissage du français et le mettre en ligne n’est pas isolé et de nombreux chercheurs ont déjà publié des répertoires de manuels d’apprentissage du français utilisés dans divers pays européens (Elisabet Hammar 1980, 1985 ; Michel Berré 2003 ; Nadia Minerva & Carla Pellandra 1997, Nadia Minerva 2003, Anna Mandich 2002, Denise Fischer et alii 2004, cf.

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« Publications », l’article de G. Kahn dans ce même volume). Un inventaire est aussi en cours de réalisation au Portugal.

19 L’apport des études menées dans les différents pays et des répertoires qui en sont issus devrait permettre de dessiner plus précisément, et de façon comparée, dans le prochain quart de siècle, l’évolution des pratiques d’enseignement et d’apprentissage du français, de l’usage de la langue française et de son impact culturel hors de France et en tout cas en Europe. BERRÉ, Michel (2003). Contribution à l’histoire de l’enseignement des langues : le français dans les écoles primaires, en Flandre au XIXe siècle. Étude des discours didactiques et pédagogiques. VU Brussels.

FISCHER, Denise, GARCÍA BASCUÑANA, Juan F. & GÓMEZ, María Trinidad (2004). Repertorio de gramáticas y manuales para la enseñanza del francés en España (1565-1940). Barcelone : PPU.

HAMMAR, Elisabet (1980). L’enseignement du français en Suède jusqu’en 1807. Méthodes et manuels. Stockholm : Akademiliteratur.

MANDICH, Anna (2002). Insignare il francese in Italia. Repertorio di manueli publicati in epoca fascista (1923-1943). Bologne : CLUEB.

MINERVA, Nadia & PELLANDRA, Carla (1997). Insignare il francese in Italia. Repertorio analitico di manueli pubblicati dal 1625 al 1860. Bologne : CLUEB.

MINERVA, Nadia (2003). Insignare il francese in Italia. Repertorio di manueli pubblicati dal 1861 al 1922. Bologne : CLUEB.

RIEMENS, Karl, J. (1919). Esquisse historique de l'enseignement du français en Hollande du XVIe au XIXe siècle. Leyde : Sijthoff.

SUÁREZ GÓMEZ, Gonzalo (2008). La enseñanza del francés en España hasta 1850. ¿Con qué libros aprendían francés los españoles? Réédition Juan García Bascuñana & Esther Juan. Barcelone : PPU.

SUSO LÓPEZ, Javier & FERNÁNDEZ FRAILE, María Eugenia (2008). Repertorio de manuales para la enseñanza del francés en España (siglo XX). Granada : Comares.

NOTES

1. Ces « histoires de Robinson » se retrouvent en quantité dans divers pays européens, au point que l’on parle des Robinsonnades. Robinson est tantôt allemand, tantôt suisse ou hollandais, le contexte décrit étant celui de l’élève-lecteur auquel on s’adresse. 2. Je remercie Gisèle Kahn pour ses remarques constructives et ses suggestions. 3. Meesterwerk, Berichten van het Peeter Heynsgenootschap, 8, janvier 1997 et 10, septembre 1997.

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AUTEUR

MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE Université d’Utrecht

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Répartition géographique des publications de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde

Karène Sanchez-Summerer

1 La carte présentée en annexe1 illustre la répartition quantitative des articles par pays concernés par une étude publiée dans Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde (et l’ouvrage publié en 2001 chez Rodopi issu du congrès Sihfles de décembre 1999 à Utrecht).

Pays d’Europe (par ordre alphabétique)2 :

2 - Allemagne (28) : 4 (1989) ; 5 (1990) ; (4 x) 6 (1990) ; (2 x) 8 (1991) ; (2 x) 11 (1993) ; (3 x) 12 (1993) ; (3 x) 14 (1994) ; (2 x) 18 (1996) ; (2 x) 19 (1997) ; 21 (1998) ; (2 x) 23 (1999) ; 31 (2003) ; (2 x) 33-34 (2005) ; (2 x) 36 (2006) ;

3 - Belgique (8) : 23 (1999) ; 26 (2001) ; 29 (2002) ; 31 (2003) ; 33-34 (2005) ; 47-48 (2011-2012) ; (2 x) Rodopi (2001) ;

4 - Bulgarie (2) : 35 (2005) ; 38-39 (2007) ;

5 - Chypre (2) : 21 (1998) ; 32 (2004) ;

6 - Espagne (71) : 6 (1990) ; (2 x) 10 (1992) ; 13 (1994) ; (3 x) 14 (1994) ; 16 (1995) ; (20 x) 18 (1996) ; 19 (1997) ; 20 (1997) ; 21 (1998) ; (6 x) 23 (1999) ; (7 x) 24 (1999) ; (3 x) 26 (2001) ; (2 x) 28 (2002) ; (2 x) 29 (2002) ; (6 x) 31 (2003) ; (5 x) 33-34 (2005) ; 35 (2005) ; (2 x) 36 (2006) ; 37 (2006) ; (2 x) 47-48 (2011-2012) ; (3 x) Rodopi (2001)

7 - Grande-Bretagne, Écosse et Angleterre (11) : 2 (1988) ; 4 (1989) ; 6 (1990) ; 7 (1991) ; 13 (1994) ; (2 x) 14 (1994) ; 19 (1997) ; 33-34 (2005) ; 35 (2005) ; 47-48 (2011-2012) ;

8 - Grèce (5) : 18 (1996) ; 28 (2002) ; 47-48 (2011-2012 ; (2 x) 49 (2012) ;

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9 - Italie (96) : 4 (1989) ; 6 (1990) ; 7 (1991) ; (20 x) 8 (1991) ; (3 x) 9 (1992) ; 10 (1992) ; (4 x) 12 (1993) ; (4 x) 13 (1994) ; (8 x) 14 (1994) ; (8 x) 15 (1995) ; (2 x) 16 (1995) ; (5 x) 18 (1996) ; (5 x) 19 (1997) ; (7 x) 22 (1998) ; (5 x) 23 (1999) ; 24 (1999) ; (5 x) 28 (2002) ; (3 x) 31 (2003) ; 32 (2004) ; (4 x) 33-34 (2005) ; 35 (2005) ; 45 (2010) ; (3 x) 47-48 (2011-2012) ; (2 x) Rodopi (2 001) ;

10 - Hongrie (1) : 47-48 (2011-2012) ;

11 - Lituanie (1) : 21 (1998) ;

12 - Luxembourg (1) : Rodopi (2001) ;

13 - Malte (4) : 21 (1998) ; 23 (1999) ; 33-34 (2005) ; Rodopi (2001) ;

14 - Norvège (2) : 16 (1995) ; 19 (1997) ;

15 - Pays-Bas (26) : 3 (1989) ; 13 (1994) ; (2 x) 14 (1994) ; (2 x) 15 (1995) ; (3 x) 18 (1996) ; 19 (1997) ; 21 (1998) ; 23 (1999) ; (2 x) 24 (1999) ; 31 (2003) ; 33-34 (2005) ; 37 (2007) ; (2 x) 45 (2010) ; (4 x) 47-48 (2011-2012) ; (2 x) 49 (2012) ;

16 - Portugal (8) : 18 (1996) ; 19 (1997) ; 26 (2001) ; 31 (2003) ; 40-41 (2008) ; 47-48 (2011-2012) ; (2 x) Portugal (2001) ;

17 - Russie (2) : 19 (1997) ; 35 (2005) ;

18 - Serbie (5) : (2 x) 31 (2003) ; 32 (2004) ; 33-34 (2005) ; 49 (2012) ;

19 - Suède (12) : 1 (1988) ; 6 (1990) ; 12 (1993) ; 14 (1994) ; 15 (1995) ; 18 (1996) ; 19 (1997) ; 23 (1999) ; 24 (1999) ; 31 (2003) ; 32 (2004) ; Rodopi (2001) ;

20 - Suisse (6) : 16 (1995) ; (2 x) 20 (1997) ; 21 (1998) ; 29 (2002) ; 40-41 (2008) ;

21 - Tchécoslovaquie (1) : 7 (1991).

Monde méditerranéen3 :

22 - Algérie (2) : 4 (1989) ; 27 (2001) ;

23 - Égypte (6) : 10 (1992) ; (2 x) 27 (2001) ; 37 (2006) ; 38-39 (2007) ; 49 (2012) ;

24 - Israël (2) : 9 (1992) ;

25 - Liban (2) : 45 (2010) ; 46 (2011) ;

26 - Maroc (1) : 27 (2001) ;

27 - Palestine4 (3) : 10 (1992) ; 37 (2006) ; 38-39 (2007) ; 45 (2010) ;

28 - Syrie (2) : 27 (2001) ; (2 x) 32 (2004) ;

29 - Tunisie (3) : 25 (2000) ; 27 (2001) ; 40-41 (2008) ;

30 - Turquie (21) : (2 x) 10 (1992) ; (2 x) 27 (2001) ; 36 (2006) ; 37 (2006) ; (13 x) 38-39 (2007) ; 47-48 (2011-2012) ; 49 (2012) ;

31 - Perse : 49 (2012).

Pays d’Afrique5 :

32 - Cameroun (2) : 2 (1988) ; 40-41 (2008) ;

33 - Congo-Kinshasa (2) : (2 x) 40-41 (2008) ;

34 - Cote d’Ivoire (2) : (2 x) 40-41 (2008) ;

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013 159

35 - Madagascar (2) : 40-41 (2008) ; 46 (2011) ;

36 - Maurice (île) (1) : 6 (1990).

Pays d’Amériques6 :

37 - Chili (2) : 5 (1990) ; 10 (1992) ;

38 - Colombie (2) : 13 (1994) ; 15 (1995) ;

39 - Équateur (1) : 26 (2001) ;

40 - Haiti (1) : 40-41 (2008) ;

41 - USA / Canada (5) : 10 (1992) ; 11 (1993) ; Québec 37 (2006) ; 40-41 (2008) ; USA 30 (2003).

Pays d’Asie :

42 - Chine (2) : 11 (1993) ; 49 (2012) ;

43 - Japon (1) : 49 (2012) ;

44 - Malaisie (1) : 16 (1995) ;

45 - Thaïlande (1) : 26 (2001) ;

46 - Vietnam (2) : 25 (2000) ; 40-41 (2008).

47 Annexe

Légende : (3 x) 12 (1993) = 3 articles dans le numéro 12 de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde paru en 1993 ; Rodopi (2001) = paru dans M-C Kok Escalle & F. Melka éd. (2001). Changements politiques et statut des langues. Histoire et épistémologie (1780-1945). Amsterdam : Rodopi.

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NOTES

1. Carte composée par Karène Sanchez-Summerer et Leopold Summerer à partir de l’inventaire, fait par Marie-Christine Kok Escalle, des articles et du pays dont ils traitent (intensité directement proportionnelle de 0,5 à 1). http://commons.wikimedia.org/wiki/File:BlankMap-World6.svg; http://law.nagoya-u.ac.jp/en/appendix/software/worldmap/ 2. Europe de l’Est (1) : Rodopi (2001) - non représenté sur la carte. 3. Méditerranée (2) : 27 (2001) ; 38-39 (2007) - non représenté sur la carte. 4. Le terme de Palestine renvoie à la Palestine ottomane et la Palestine britannique d’avant mai 1948. 5. Afrique occidentale française (2) : 7 (1990) ; 13 (1994) ; Afrique de l’Ouest (1) : 25 (2000) - non représentés sur la carte. 6. Amérique latine (1) : 17 (1996) - non représenté sur la carte.

AUTEUR

KARÈNE SANCHEZ-SUMMERER Universiteit

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 50 | 2013