European Journal of Studies Social Sciences on Contemporary

20 | 2015 Heritage Production in Turkey. Actors, Issues, and Scales - Part II "Alternative Heritages" against Dominant Neo-Ottomanism La fabrique du patrimoine en Turquie. Acteurs, enjeux, échelles - Partie II Les « patrimoines alternatifs » face au néo-ottomanisme dominant

Muriel Girard (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ejts/4933 DOI : 10.4000/ejts.4933 ISSN : 1773-0546

Éditeur EJTS

Référence électronique Muriel Girard (dir.), European Journal of Turkish Studies, 20 | 2015, « Heritage Production in Turkey. Actors, Issues, and Scales - Part II » [En ligne], mis en ligne le 15 mars 2015, consulté le 21 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/ejts/4933 ; DOI:10.4000/ejts.4933

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2.a. Emergence, forgetfulness and obstacles in heritage-making process 2.a Émergence, oubli et entraves dans les processus de fabrication patrimoniale

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La Cappadoce chrétienne ottomane : un patrimoine (volontairement) oublié ? Ottoman Christian : a (deliberately) forgotten heritage?

Aude Aylin de Tapia

Introduction

1 Les traditions s’inventent, se réinventent, l’histoire s’écrit, est réécrite. Le patrimoine est présent, témoin d’une histoire passée, parfois exaltée, parfois occultée, parfois oubliée. Par leur présence sur un territoire et dans les mémoires et par la flexibilité de leur interprétation, les traditions, l’histoire et le patrimoine sont des éléments clés de la définition des idéologies nationales. La notion de patrimoine a transcendé son sens premier d’héritage familial, parallèlement à la formulation des premières idéologies nationales. Le patrimoine se voit alors conférer un rôle central dans la recherche d’unité nationale, offrant à la production de mythes des origines et au récit national, un support visuel et palpable facilitant l’adhésion des peuples que l’on veut nationaux (West et Ansell 2010). Ainsi, « non seulement l’idéologie nationaliste façonne l’idée de patrimoine, mais elle agit sans cesse sur sa compréhension, en se servant des monuments à ses propres fins ». (Popescu 2005).

2 Le patrimoine, témoin présent du passé, apparaît sous la forme d’une « pratique discursive », par laquelle la nation construit sa propre « mémoire collective sociale » (Hall [1999] 2008 : 221). En Turquie, à cette approche nationale (et nationalisante) du patrimoine s’est rapidement adjointe une volonté forte de mise en tourisme d’une géographie reconnue mondialement pour son patrimoine historique. Cependant, la conjugaison de ces deux regards ne se fait pas sans difficultés. 3 Le rapport au passé, à l’histoire et au territoire a toujours été complexe en Turquie. Faut-il considérer cette complexité comme la conséquence d’une difficile concordance entre la nation turque (et son récit), son territoire et son patrimoine ? On aperçoit cette

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difficile concordance à travers les reformulations successives du récit national. Avec la fondation de la République, la volonté de faire table rase du passé ottoman et de forger des racines anatoliennes au peuple turc a généré l’invention de mythes des origines et l’écriture d’une histoire nationale légitimant la présence turque sur le territoire anatolien, en faisant découvrir aux Turcs leurs ancêtres tout en présentant l’Empire byzantin comme une parenthèse de décadence. Ce récit historique, difficilement (sou-)tenable, a ensuite fait place à une nouvelle réécriture mettant cette fois en avant la « synthèse turco-islamique » fondée sur les racines islamiques de la Turquie (Copeaux 1998) se transformant ensuite en ce que l’on pourra appeler une « renaissance ottomaniste » (et que l’on présente parfois sous le terme de néo- ottomanisme) insistant sur le passé glorieux de l’Empire ottoman jusqu’alors déconsidéré. Ces différentes versions du récit national ont finalement peu à voir avec les réalités historiques, évitant cahin-caha certains sujets peu aisés à incorporer comme par exemple le passé byzantin ou les caractères pluriculturel, -ethnique et -religieux de l’Anatolie turco-ottomane. Que ce soit à travers le spectre du kémalisme, ceux de la synthèse turco-islamique ou de l’ottomanisme, dans les écoles turques, le passé byzantin de l’Anatolie, reste dans les abîmes de l’histoire (si ce n’est pour mentionner la décadence de l’Empire byzantin) tandis que l’histoire anatolienne ne commence vraiment qu’avec la « transformation de l’Anatolie en une patrie turque » (Copeaux 1998 : 205). 4 Face à ces histoires nationales, les patrimoines anatoliens jouent les perturbateurs et la symphonie nation-histoire-patrimoine continue à être pour le moins dissonante. L’accordage reste à faire pour la société turque dont la conscience patrimoniale est encore limitée malgré des évolutions récentes. Dans le cas de l’Anatolie, les monuments témoignant d’une présence chrétienne pluriconfessionnelle plus ou moins récente ne se conforment pas aux récits nationaux, qu’il s’agisse du récit kémaliste ou de la synthèse turco-islamique. Que faire de toutes ces églises qui ont appartenu à des populations non-musulmanes, et/ou « non-turques » ? Certes, la conversion des églises en mosquées a pu partiellement faciliter le camouflage de ce patrimoine non- musulman. Cette solution a été mise en œuvre dans différentes régions de Turquie, à bien sûr mais aussi en Cappadoce. Une autre solution a été – et on ne s’en est souvent pas privé – de détruire et dissimuler ces vestiges du passé mais la richesse et la profusion du patrimoine anatolien rend au final l’exercice infructueux. Faute de mieux, le choix s’est tourné vers un oubli volontaire de ces patrimoines non-conformes. Les monuments chrétiens, ces parties du patrimoine qui ne coïncident pas avec l’idée d’un passé « turco-islamique » et les plans mis en œuvre (ou non) pour leur conservation témoignent des difficultés que la Turquie a connu et connaît encore aujourd’hui à accepter son histoire et son patrimoine. Les monuments médiévaux monumentaux s’opposent à l’idée largement répandue dans le pays d’un empire byzantin totalement décadent tandis que les monuments chrétiens plus récents mettent en exergue le passé plurireligieux, voire même interreligieux, de l’Anatolie pré-ottomane et ottomane et ne corroborent donc pas le caractère purement islamique de la grandeur passée turque. Le patrimoine est en quelque sorte le chainon (parfois gênant) entre une population et son territoire, entre une population et son histoire. 5 Le patrimoine n’est néanmoins pas uniquement l’apanage des récits nationaux. Localement, il peut faire l’objet d’interprétations variables, tandis que dans une compréhension globalisante, transnationale ou internationale, il peut susciter des interprétations divergentes. De national, le patrimoine devient régional ou minoritaire

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mais aussi mondial et universel. Dans le contexte turc, ces échelles d’analyse patrimoniale sont plus ou moins récentes. L’internationalisation du patrimoine de Turquie a commencé tôt. Sa genèse date de la fin de l’Empire ottoman et de l’intérêt grandissant des puissances européennes pour les monuments antiques d’Asie Mineure. Le Pergamon Museum de Berlin construit au début du 20e siècle en est un témoin parmi d’autres. Plus tard, avec le développement du tourisme international en Turquie et l’adoption, en 1972, de la Convention de l’UNESCO sur la Protection du patrimoine mondial culturel et naturel, par la Turquie, l’universalisation du patrimoine turc est manifeste. Plus localement et plus récemment, le patrimoine des minorités (historiques ou actuelles1) d’Anatolie a commencé à donner lieu à de nouvelles formes de patrimonialisation, fondée sur une redécouverte de l’histoire locale et de l’histoire des minorités allant de pair avec une ouverture politique sur le terrain de l’expression des identités passées et/ou présentes et une nouvelle forme de « tolérance (surveillée) » (Pérouse 2011). Les églises arméniennes d’Akdamar (région de Van) ou d’ (), les églises syriaques du Tur Abdin (Mardin)2 ou encore le monastère grec-orthodoxe de Sümela () font l’objet de nouvelles attentions qui se traduisent, depuis les années 2000, par des projets de restauration et de mise en valeur et par une « mise en tourisme » (Fournier 2010) s’inscrivant dans une perspective de tourisme religieux plutôt que dans celle d’un tourisme culturel de masse. Bien que régulièrement controversés quant aux techniques adoptées – qui prennent bien souvent la voie d’une reconstruction plutôt que d’une restauration scientifique – ou aux récupérations politiques qui en sont faites, ces projets témoignent de nouvelles formes de fabriques du patrimoine qui s’éloignent de l’échelle nationale pour se rapprocher de l’échelle locale tout en répondant aux attentes d’un tourisme transnational. 6 Cette évolution récente est aussi visible en Cappadoce depuis une dizaine d’années mais elle concerne plus spécifiquement le patrimoine chrétien du 19e siècle. Dans cette région au cœur de l’Anatolie, un « paradoxe chrétien » est palpable depuis les débuts du processus de patrimonialisation locale. La tendance concernant le patrimoine chrétien de l’époque ottomane se conforme en effet au schéma suggéré plus haut d’un récent éveil local et d’une nouvelle fabrique – initiée par des acteurs variés – du patrimoine des minorités historiques ou actuelles. En revanche, contrairement aux autres espaces touristiques de Turquie où les sites antiques (Éphèse, Pergame, Aspendos, Hiérapolis…) ou turco-ottomans (en particulier dans les capitales impériales d’, et Istanbul) ont été mis à l’honneur, en Cappadoce, l’accent a été mis, dès les années 1960, sur le patrimoine chrétien de l’époque byzantine, faisant de la région une exception sur la scène patrimoniale turque.

Note méthodologique Concernant la Cappadoce et son patrimoine chrétien ottoman, il ne sera pas exagéré de dire qu’il s’agit d’un terrain encore en friche. En l’absence d’une bibliographie spécialisée, il a été nécessaire de rechercher les informations dans les textes officiels et autres rapports de projets de l’UNESCO, de l’ICOMOS, du Ministère de la culture et du tourisme de Turquie ou encore de l’administration locale (en particulier les préfectures et les municipalités). Les coupures de presse, en particulier de la presse locale, ainsi que les sites internet d’associations dédiées à la protection du patrimoine de Cappadoce ont aussi largement été mises à contribution car c’est souvent le seul moyen de suivre l’évolution actuelle des monuments et des décisions prises à leur sujet. À cela s’ajoute une série

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d’observations sur le terrain et d’entretiens réalisés entre 2011 et 2014 avec les professionnels du tourisme travaillant dans la région et les habitants des différentes localités citées dans cet article. Pour exister sur le long terme, les processus de fabrique du patrimoine et de mise en tourisme nécessitent un ancrage dans l’opinion publique et surtout la compréhension des populations locales, quotidiennement au contact des objets du patrimoine. Nous avons donc fait le choix d’observer en particulier les journaux locaux et les projets culturels s’adressant au grand public comme étant les principaux témoins des réalités patrimoniales. Pour plus de précisions, nous nous sommes limités à l’étude d’exemples situés dans la moitié ouest de la Cappadoce partagée entre les départements de Nevşehir, Aksaray et Niğde et avons décidé de ne pas traiter d’exemples localisés dans le département de où les dynamiques touristiques et patrimoniales sont différentes. L’étude du patrimoine chrétien ottoman en Cappadoce et de sa fabrique reste à faire et cet article est seulement un premier pas, un aperçu de l’envergure de la question et de sa complexité.

I. Un patrimoine byzantin au cœur des attentions internationales

7 En Turquie, comme ailleurs, patrimoine rime avec potentiel touristique. La variété des paysages, des patrimoines font la richesse du pays et son succès sur la scène du tourisme international. Dès lors, l’intérêt grandissant pour le tourisme culture a ouvert la voie à une certaine diversification des offres passant par une mise en avant de certaines régions au patrimoine local original. Ainsi, si les sites antiques font le succès des côtes de l’Asie Mineure ; en Cappadoce, ce sont les sites naturels et les monuments byzantins. Dans ce contexte, en 2011, la Cappadoce était la quatrième destination favorite du pays avec 2,5 millions de visiteurs se pressant dans les musées à ciel ouvert, dans les villes souterraines, dans les églises rupestres byzantines. Par ses paysages dépaysants narrés et dessinés par les voyageurs européens faisant le voyage en Orient ; curieux de visiter cette région où Paul Lucas racontait avoir vu des habitations creusées dans des roches coniques et surplombées « de vierges aux seins nus » (Lucas 1714), la Cappadoce a très tôt attiré l’intérêt des visiteurs occidentaux. Bien que l’Empire ottoman se lance timidement dans le développement du tourisme dans les années 1870, il faut néanmoins attendre plusieurs décennies après la naissance de la République de Turquie et le début des années 1960 pour qu’un réel essor touristique voie le jour. Alors qu’en 1950, le tourisme international dans le pays se limitait à 30 000 visiteurs, en 1965, le nombre atteignait les 500 000 visiteurs (TÜRSAB 2013). Si le tourisme se concentre alors sur la région d’Istanbul et les sites antiques de la côte d’Asie Mineure ; au cœur de l’Anatolie, la Cappadoce va elle aussi commencer à attirer les curieux. C’est ainsi que les villes souterraines de Kaymaklı et de Derinkuyu sont ouvertes au public respectivement en 1964 et 1969 tandis que le tourisme de masse s’oriente de plus en plus vers des destinations au-delà des frontières d’Europe occidentale (Urry 2002 : 45)

8 La fabrique du patrimoine cappadocien débute alors pour répondre aux enjeux économiques liés au développement des activités touristiques. Un accord est signé entre la Turquie et l’UNESCO en 1972, marquant le début d’une réelle volonté de protection et de mise en valeur de l’héritage naturel et culturel de Turquie [Doğal ve

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Kültürel Miras] dont la définition reste néanmoins floue. La Cappadoce entre, le 23 février 1973, dans la liste des régions touristiques à développer prioritairement par un décret définissant comme zone touristique le département de Nevşehir ainsi que la vallée de Soğanlı administrativement incluse dans le département de Kayseri (Yıldırım 2006 : 92). En 1976, la Haute commission des monuments et biens immobiliers anciens [Gayrimenkul Eski Eserler ve Anıtlar Yüksek Kurulu] met en place un plan de protection du patrimoine naturel et historique de Cappadoce. Dans la même lignée, en 1981, le Ministère de la culture et du tourisme crée un Espace d’investissement touristique composé de huit sous-régions (Nevşehir / Est de Nevşehir / Ouest d’Uçhisar / Uçhisar / Ortahisar / Ürgüp / Mustafapaşa / Avanos). Selon la Direction générale des biens culturels et des musées du Ministère de la culture et du tourisme, au même titre que Pamukkale, la Cappadoce est reconnue comme étant à la fois un héritage naturel et un héritage culturel. (Ministère de la culture et du tourisme 2010). La région a alors tous les atouts nécessaires pour piquer la curiosité des touristes : des paysages « extra-ordinaires », des habitations traditionnelles attirantes par leur primitivité et les vestiges d’une autre Byzance, celle de l’ascétisme et de la mysticité des moines d’Orient (Kalas 2004), le tout sur un territoire assez restreint qui facilite la mise en tourisme. 9 Dans les années 1980, le site byzantin de Göreme passe au cœur des attentions nationales et internationales faisant alors l’objet d’un plan de développement à long terme mené avec le soutien de l’UNESCO (Yıldırım 2006 : 94). En 1985, l’ICOMOS demande l’intégration du site au patrimoine mondial de l’humanité mettant en avant l’intérêt particulier du patrimoine byzantin : « L’intérêt géologique et ethnologique de ce prodigieux ensemble rupestre le cède toutefois à la qualité esthétique incomparable du décor des sanctuaires chrétiens dont les caractéristiques font de 1a Cappadoce un des foyers privilégiés de l’art byzantin de la période post-iconoclaste » (ICOMOS 17/01/1985). 10 Dans le sillon de Göreme, plusieurs autres sites (en particulier Zelve, Ihlara, Çavuşin, Uçhisar, Ortahisar, Soğanlı ou Derinkuyu) vont profiter de l’intérêt international pour la Cappadoce et en particulier pour son patrimoine byzantin troglodyte et rupestre. Au niveau national et régional, on comprend vite l’intérêt et la nécessité de développer les projets de mise en valeur, de conservation et de développement du potentiel touristique de la région. Les autorités régionales (en particulier les Conseils régionaux de conservation de Nevşehir et de Kayseri) ou locales (municipalités) sont alors chargées de mettre en place des plans de conservation supervisés par des instances nationales (Ministère de la culture et du tourisme) et internationales (UNESCO, ICOMOS…). 11 Pendant cette première période de patrimonialisation, bien que la plupart des décrets et législations ne privilégient aucune période historique spécifique, l’ensemble des décisions prises pour la mise en valeur du patrimoine local et le développement des activités touristiques donnent l’image d’une Cappadoce byzantine où l’histoire s’est arrêtée avec la chute de l’empire chrétien. Il suffit, aujourd’hui encore, de visiter la Cappadoce pour observer qu’on y a joué la carte du byzantin alors que le patrimoine plus récent a été délaissé par les projets de mise en tourisme. Cette situation patrimoniale s’oppose nettement aux récits nationaux turcs décrits plus haut. Peut-on voir ce même paradoxe byzantin ailleurs qu’en Cappadoce ? Si à Istanbul les patrimoines de différentes périodes se côtoient, voire s’imbriquent et les monuments

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byzantins (ou les phases byzantines de l’histoire des édifices) ont une place non négligeable dans la fabrique du patrimoine de la ville, au-delà des frontières de l’ancienne Constantinople, la Cappadoce est la seule zone touristique de Turquie où « l’identité byzantine » a été mise à l’honneur de manière exclusive sur un territoire aussi vaste, comme défiant les récits nationaux. La mise en tourisme d’un patrimoine chrétien et byzantin répond plutôt à une volonté d’attractivité du tourisme international qu’à un ancrage dans les processus de construction nationale. 12 Le caractère troglodyte des monuments qui ont fait la célébrité de la Cappadoce peut peut-être apporter un élément de réponse. Le fait d’habiter dans des cavernes (naturelles ou anthropiques) – qu’on appellera troglodytisme à partir du 19e siècle – a communément été décrit comme une forme de civilisation primitive dès l’Antiquité. On pensera sans doute à l’allégorie de la caverne de Platon mais d’autres auteurs antiques grecs et romains ainsi que des textes médiévaux d’auteurs arabes décrivent comme primitives les populations vivant dans des cavernes.3 Au 19e siècle, le texte du médecin et orientaliste allemand A.D. Mordtmann, Die Troglodyten in Kappadokien va soulever un mouvement d’indignation au sein du Syllogue littéraire grec de Constantinople dont plusieurs membres s’insurgent de l’usage fait, pour décrire les populations de Cappadoce, du terme troglodyte qu’ils trouvent dégradant et inadapté (Mordtmann 1861 ; Syllogue littéraire 15/06 et 27/07/1863). Le parallèle créé entre troglodytisme et primitivité s’ancre ainsi dans l’imaginaire collectif occidental mais aussi en Turquie (Sterrett 1900). À partir de la fin des années 1950 et tout au long des années 1960, suite à des éboulements, une série de décisions est prise en Conseil des ministres pour reloger dans des quartiers nouvellement construits les familles vivant dans des habitations troglodytes.4 Les sites troglodytes sont alors déclarés zones sinistrées puis, dans les années 1980, zones protégées dans le cadre du développement touristique de la région (Kabaoğlu 2006 : 61). Désormais inhabitées, les habitations troglodytes, témoins d’une forme de primitivité, de décadence voire d’un certain obscurantisme de l’Empire byzantin auquel elles sont assimilées deviennent le terrain de jeu des touristes, tantôt transformées en musée à ciel ouvert, tantôt en pensions, en hôtels ou en restaurants, tantôt laissées comme telles le long des circuits de randonnées. Ainsi, les récits nationaux ne sont pas entièrement anéantis à travers l’exemple des monuments byzantins de Cappadoce et dans le même temps, troglodytisme et identité byzantine font le succès de la région auprès des touristes en quête d’originalité. 13 Si cette préférence exclusive à l’égard des sites byzantins de Cappadoce s’avère être, en premier lieu, le résultat de l’intérêt d’instances internationales telles que l’UNESCO et de la volonté de bénéficier économiquement du potentiel touristique de la région, la Turquie a répondu aux attentes sans réellement chercher à intégrer le patrimoine récent dans les plans de mise en valeur instaurés depuis les années 1970. La stratégie d’économie touristique envisagée en Cappadoce a suivi la logique d’une sélection de sites pouvant attirer un maximum de touristes à la recherche de l’exceptionnel. Le caractère troglodyte et mystique des sites byzantins de Cappadoce était un atout insolite et truculent à souhait qui s’adaptait parfaitement aux critères recherchés par les touristes étrangers (Urry 2002 : 12). La manne économique que représente le secteur du tourisme international explique donc que l’État mais aussi les populations locales, par pragmatisme économique et politique, aient fait fi de l’inadéquation de ce patrimoine médiéval aux récits historiques nationaux.

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II. Le patrimoine ottoman : le parent pauvre du tourisme en Cappadoce

14 Cela n’apparaît que rarement dans les descriptions des circuits touristiques mais la Cappadoce renferme un important patrimoine ottoman et en particulier des édifices construits par les communautés chrétiennes au cours du long 19e siècle (jusqu’au début des années 1920). Lorsqu’on visite la région, malgré leur taille souvent imposante, les édifices chrétiens du 19e siècle passent inaperçus, sont absents des guides et, jusqu’à récemment, n’ont fait l’objet d’aucune forme de mise en valeur. Les monuments sont là, les églises sont là, mais personne ne les voit. Comment expliquer que l’attractivité de la région en matière de tourisme culturel n’a pas incité l’intégration de sites chrétiens ottomans dans la fabrique du patrimoine local ? Pendant plusieurs décennies, l’histoire récente de la Cappadoce et les monuments qui en sont les témoins n’ont fait l’objet d’aucun intérêt particulier en matière de patrimonialisation et/ou de mise en tourisme. En revanche, depuis quelques années, un nouveau type de tourisme, tourné vers l’ethnographie, les traditions et l’histoire récente a vu le jour en Cappadoce. Au-delà de l’aspect purement économique, peut-on aussi voir dans ce retard de patrimonialisation, un oubli volontaire lié à une histoire récente encore mal acceptée, celle de la fin de l’Empire ottoman et en particulier de la présence des minorités chrétiennes dans un passé pas si lointain ?

15 Les zones d’investissement touristiques définies en 1981 pour la Cappadoce incluent des sites antiques, médiévaux, modernes et contemporains mais en pratique, le patrimoine turco-ottoman a été délaissé, comme invisible, court-circuité par les circuits touristiques et oublié des politiques de conservation du patrimoine. Pourtant, de nombreux monuments turco-ottomans sont aujourd’hui encore debout dans les villes de Kayseri, Niğde, Nevşehir ou encore Aksaray (mosquées, fontaines, palais, forteresses…) ou sur les grands axes caravaniers traversant la Cappadoce (ponts, caravansérails, routes anciennes…). Au début du 18e siècle, la région connaît un véritable essor architectural animé par la volonté du Grand Vizir Nevşehirli Damat Ibrahim Paşa. Le Grand Vizir de l’Ère des Tulipes transforme alors la petite localité de Muşkara en une véritable ville anatolienne rebaptisée Nevşehir [La nouvelle ville], impulsant ainsi un nouvel élan à toute la région. Au 19e siècle, à partir de la proclamation des (1839), confirmée et renforcée par le décret de 1856 [Hatt-i Hümayun], les non-musulmans de l’Empire ottoman acquièrent le droit de construire de nouveaux édifices religieux. La population de Cappadoce est alors majoritairement musulmane mais des communautés chrétiennes importantes sont présentes dans les villes comme dans les campagnes. Ces dernières sont pour la plupart rums 5 mais on compte aussi des communautés arméniennes dans la partie orientale de la région, autour de Kayseri. Les missionnaires catholiques et surtout protestants du 19e siècle sont aussi à l’origine de la présence de quelques familles converties, en particulier dans les villes et les gros bourgs. Les communautés orthodoxes de Cappadoce étaient majoritairement turcophones mais des communautés hellénophones étaient aussi présentes, en particulier dans la région de Mustafapaşa (ancienne Sinasos) et de Derinkuyu (ancienne Malakopi). Quelle que soit la langue parlée, chrétiens et musulmans de la région vivaient souvent dans les mêmes villages. La cohabitation de ces différentes communautés religieuses est à l’origine d’une architecture locale originale et variée.

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Les vestiges d’une communauté oubliée

16 Au cours du 19e siècle, les jeunes hommes des communautés orthodoxes de Cappadoce immigrent massivement dans les villes du pourtour méditerranéen (, , Alexandrie…) de la Mer noire (Samsun) et surtout à Istanbul en quête de travail. Leur réussite économique est alors un nouveau tournant dans l’histoire de la Cappadoce. Par l’intermédiaire de réseaux d’associations de compatriotes [Adelfotis en grec, Hemşehri en turc] organisés dans les villes d’immigration, l’argent des migrants est réinvesti dans les communautés d’origine qui profitent ainsi des nouveaux droits accordés par l’État ottoman en matière de construction d’édifices religieux. À côté des églises, les communautés se dotent d’écoles, d’orphelinats, de bains publics, de bibliothèques, de monastères construits en pierre de taille ou simplement de demeures somptueuses souvent semi-troglodytes (l’arrière ou l’étage le plus bas étant creusés, le reste construit). Le mouvement d’émigration est tel qu’au début des années 1920, les communautés villageoises orthodoxes ont diminué au point, pour certaines, de disparaître avant l’échange de population. Malgré cette diminution démographique, au cours du long 19e siècle, les communautés orthodoxes de Cappadoce se font les constructeurs d’un patrimoine civil et religieux monumental qui, paradoxalement, les rend plus visibles dans le paysage local.6

17 Au même titre que les monuments musulmans, les édifices de ces communautés chrétiennes orthodoxes font partie à part entière du patrimoine ottoman. Le contexte historique et géographique dans lequel évoluent ces communautés au 19e siècle montre que le développement qu’elles connaissent est influencé, à partir des années 1850, par un processus d’hellénisation venu de Grèce « s’appuyant sur le dynamisme du capitalisme de la diaspora marchande grecque des , de la Mer Noire et de l’Asie Mineure, ainsi que sur l’expansion du réseau éducatif grec au sein de cet espace situé hors des frontières de l’État-nation » (Bruneau 2002). 18 Mais c’est aussi la conséquence d’un mouvement interne à l’Empire ottoman qui inclut les réformes lancées par la Sublime Porte ainsi que les processus migratoires de ces populations rurales chrétiennes partant tenter leur chance à Istanbul et dans les autres villes de l’Empire ottoman, plus souvent qu’en Grèce.7 C’est pourquoi, la notion de monuments chrétiens ottomans est ici préférée à celle de monuments post-byzantins qui incite à considérer les communautés chrétiennes de l’Empire ottoman comme des subsides byzantins qui n’auraient pas réellement été intégrées à la société ottomane. Plus souvent utilisée dans le cadre de l’histoire de l’art pour mettre en exergue les influences artistiques, la qualification post-byzantine est aussi porteuse d’une signification idéologique forte, qu’elle soit utilisée dans le contexte grec ou dans le contexte turc. Largement consacrée dans l’historiographie grecque, elle permet d’accentuer l’existence d’un hellénisme ininterrompu depuis l’Antiquité en minimisant la période de la domination ottomane. Utilisée de manière moins fréquente dans les publications en langue turque (sous la forme “Bizans sonrası”), elle « dés-ottomanise » les minorités chrétiennes historiques en marquant une rupture nette entre une population chrétienne post-byzantine (rattachée à un passé révolu) et une société ottomane et surtout anatolienne, ancêtre de la Turquie et en adéquation avec les récits nationaux.8 L’histoire et le patrimoine des communautés rums d’Anatolie sont ainsi mis à l’écart du passée de la Turquie.

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19 En 1923, avec la signature de la convention de Lausanne, les derniers Rums qui vivaient encore en Cappadoce furent contraints de quitter leurs terres ancestrales pour s’installer en Grèce. Ces Rums de Cappadoce, en grande majorité turcophones, ont vécu l’échange comme un véritable déracinement. Au 19e siècle, grâce à cette communauté orthodoxe et malgré les difficultés économiques d’une région éloignée des accès maritimes et des voies de chemin de fer naissantes, la Cappadoce venait de connaître des évolutions importantes en particulier économiques, culturelles et sociales. Cependant, avec le départ contraint et forcé des dernières familles en 1923 et l’arrivée de réfugiés musulmans venus de Grèce et des Balkans, le souvenir de ces communautés orthodoxes disparaît et avec elles une partie de l’histoire de la Cappadoce ottomane. Pourtant, les vestiges des monuments construits en cette fin d’empire s’élèvent aujourd’hui encore dans les anciens quartiers rums des villes et villages de Cappadoce… 20 Avec le départ des chrétiens, une partie de leur patrimoine est tout d’abord réinvestie par les anciens voisins musulmans ou par les nouveaux arrivants. Ces derniers ont eux aussi dû quitter leur région natale dans le cadre de l’échange ou des guerres du début du siècle. Les villages dont les populations étaient entièrement chrétiennes ont parfois été totalement abandonnés après le départ de leurs habitants, les pierres des maisons, écoles et églises emportées par les habitants des villages voisins pour construire de nouveaux édifices. Dans les villages autrefois mixtes, où musulmans et chrétiens vivaient côte à côte, les maisons des chrétiens ont été habitées, agrandies ou modifiées par de nouveaux arrivants. Certaines églises ont été converties en mosquées, d’autres sont restées en l’état, portes verrouillées ou ouvertes à tous les vents, d’autres encore transformées en dépôt de foin, en salle de cinéma, en prison, en usine... Les autres monuments de ce patrimoine chrétien ottoman ont parfois été réutilisés et très souvent abandonnés. Les années 1950 ont été particulièrement dévastatrices : bien que réinvestis par les populations locales, certains biens immobiliers sont détruits pour faire place à des constructions modernes et « au goût du jour ». Au fil des années, le patrimoine, en particulier civil, des chrétiens de la Cappadoce ottomane s’est disloqué, ne faisant l’objet d’aucun plan de sauvegarde. 21 Certaines petites villes et plusieurs villages dont le bâti date en grande partie du 19e siècle ont néanmoins très tôt connu un développement de leurs infrastructures touristiques, en particulier pour répondre aux nécessités hôtelières de la haute saison touristique (juin-août). Le village d’Uçhisar est sans doute l’exemple le plus probant. C’est là que le Club Méditerranée ouvre, en 1969, son premier hôtel en dehors des zones balnéaires qui avaient fait sa célébrité (Yıldırım, 2006 : 91). L’hôtel est alors construit de manière à « s’intégrer au paysage » et les bâtisses anciennes qui entourent le piton rocheux ne font alors pas l’objet de réhabilitations. Le « Club Med » d’Uçhisar, rebaptisé Kaya Hôtel depuis que l’entreprise française a quitté la région, a néanmoins ouvert la voie à une tradition de tourisme francophone dans le village, au point qu’aujourd’hui, un grand nombre de maisons est racheté et restauré par des particuliers de nationalité française ou belge et nombreux hôtels, pensions et boutiques affichent leurs publicités et pancartes en langue française.

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Figure 1. Francophonie à Uçhisar A.A. de Tapia, 2013

22 Similairement, Ürgüp, petite ville située de manière stratégique en Cappadoce, est devenue le principal carrefour touristique, concentrant gare routière, hôtellerie, restauration, boutiques de souvenirs, offices de location de véhicules et différents sites de divertissement. Uçhisar ou encore Ortahisar, autre localité prioritaire du plan de 1981, étaient des villages musulmans avant 1923 et n’ont donc pas connu l’impact direct de l’échange de population. À Ürgüp, appelée Prokopi par les Rums et habitée par une population mixte (sur les 12 quartiers de la ville, 5 étaient rums à la fin du 19e siècle), la quasi-totalité des monuments chrétiens de l’époque a disparu après 1923. Les églises St. Basile et St. Jean-le-Russe, toutes deux datant des années 1880 ont été détruites dans les années 1950. L’église St. Basile a fait place à un jardin verdoyant mais un de ses bâtiments annexes a été transformé en une mosquée baptisée « Mosquée de la Libération » [Kurtuluş Camii] (Balta 2010 : 77). Quant à l’église St. Jean-le-Russe, elle fut d’abord convertie en mosquée avant d’être détruite.

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Figure 2. Église St. Basile à Ürgüp au début du 20e siècle. Il ne restait déjà que des ruines de cette église en 1951. Quelques années plus tard, la Mosquée de la Libération a été construite sur les vestiges. Almanach Mikrasiatikon de l’année 1914 (en turc-karamanlı), p. 115

Figure 3 Église St. Jean-le-Russe à Ürgüp au début du 20e siècle. Almanach Mikrasiatikon de l’année 1914 (en turc-karamanlı), p. 117

23 Ainsi, la plupart des localités ayant directement profité de la patrimonialisation des sites byzantins et de la mise en tourisme de la région sont des villages qui n’hébergeaient pas de communautés chrétiennes avant 1923 ou qui n’avaient pas ou plus de vestiges témoignant clairement de la présence chrétienne à l’époque ottomane.

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Dans la liste de 1981, seul le village de Mustafapaşa, ancienne Sinasos, était un des principaux centres où vivait la population rum hellénophone de la région et a conservé une partie de son patrimoine immobilier récent pour en témoigner. En 1985, un plan de développement environnemental est lancé et une zone touristique est créée au sud- ouest de Mustafapaşa. Cependant, malgré la construction d’un complexe hôtelier à proximité du village, ce dernier n’a, à cette époque, pas réellement tiré profit du développement touristique et des premiers plans de restauration. (Idil et Özbay 2005 : 69)

24 Aujourd’hui encore, à travers les travaux menés par le Ministère de la culture et du tourisme, les projets de patrimonialisation apparaissent peu équilibrés. Le dispositif d’inventaire culturel en voie de construction par le ministère en est un exemple. Ce projet d’inventaire n’en est encore qu’à ses débuts et s’adresse tant aux spécialistes qu’au grand public. Pour la Cappadoce, il est actuellement uniquement disponible pour le département de Nevşehir. Néanmoins, ce premier aperçu permet de voir que l’accent est désormais mis sur le catalogage des monuments turco-islamiques. Sur les 645 monuments actuellement répertoriés, 14 sont de la période seldjoukide, 166 sont ottomans, 118 datent de la République.9 La majorité des 347 monuments restants est byzantine mais n’est pas répertoriée comme telle, rendant l’utilisation peu aisée. Parmi les 166 monuments ottomans classés, seule une dizaine – une proportion infime – est présentée comme des monuments ayant appartenu à des communautés chrétiennes (des églises et quelques chapelles). L’architecture civile ne porte aucune mention d’appartenance communautaire et d’ailleurs, la plupart des maisons ottomanes inventoriées sont à Avanos, village musulman au 19e siècle.10 Si cette absence peut être due au caractère inachevé de cet inventaire, les notices des monuments pour le moment répertoriés sont quant à elles chargées de sens. Par exemple, les églises du 19e siècle converties en mosquées sont définies comme mosquées et leurs descriptions ne portent aucune mention claire de l’origine chrétienne du monument et de sa conversion. Seules les photographies qui agrémentent parfois les notices peuvent mettre en lumière le passé non-musulman des édifices religieux. 25 Ainsi, la notice de la Mosquée de la République à Derinkuyu ne précise à aucun moment que l’édifice a été construit au 19e siècle comme église avant d’être converti en mosquée en 1949. Dans la notice, seules les notions de « nef » ou d’« abside » rappellent l’origine chrétienne du monument. Ces termes peuvent suffire à des spécialistes en histoire de l’art ou en architecture mais ce sont là de bien minces indices pour le grand public peu accoutumé à ces notions d’architecture chrétienne. Aucune information n’est donnée sur la construction de l’église, sur son nom originel (Église des Taxiarques) et sur les modifications effectuées lors de sa conversion en mosquée ou plus récemment.11 Pourtant, sur place l’aspect ecclésial du bâtiment apparaît clairement et jusqu’en 1982, les fresques du dôme et des pendentifs étaient restés à découvert (Hayden et al. 2014 : 499). 12 Sur la porte d’entrée de la cour, le motif cruciforme est surplombé d’une plaque « Mosquée de la République. Construction : 1860, conversion 1949 ». Quelques mètres plus loin, l’entrée de la salle de prière est quant à elle dominée par une longue inscription en grec (non traduite, contrairement à d’autres sites) elle- même dominée par une inscription en turc datant de la conversion du monument : « Si le conquérant de Sainte Sophie est le Sultan Mehmet, le conquérant de celles-ci [ces églises] est Mustafa Kemal [Atatürk] ».

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26 Là, on ne tente pas de cacher l’ancienne fonction du bâtiment, on revendique sa « conquête » et avec elle la conquête totale et définitive de la région. Le contexte de la fin des années 1940 et du passage au multipartisme allant de pair avec l’apparition d’un nouveau débat sur la place du religieux dans la république laïque fondée par Mustafa Kemal permet de mieux comprendre cette inscription (Hayden et al. 2014).

Figure 4. Entrées de la Mosquée de la République, ancienne église des Taxiarques, Derinkuyu A.A. de Tapia, 2013

27 Les édifices récents, construits plutôt que creusés et donc plus conventionnels que les sites byzantins, répondent bien moins à la curiosité des touristes en quête d’insolite que leurs prédécesseurs byzantins et n’ont pas fait l’objet d’une volonté de patrimonialisation ni même de mise en tourisme. Dans les premier temps de la mise en tourisme, le caractère sélectif et univoque du processus de patrimonialisation en Cappadoce peut s’expliquer par la volonté d’attirer un tourisme massif et de répondre aux attentes de visiteurs ne restant dans la région pas plus de trois à quatre jours. Cependant, dans un second temps, la nécessité de renouveler, de varier et d’intensifier l’offre touristique aurait pu inciter à proposer un « patrimoine périphérique » visitable au détour d’une promenade ou lors d’un plus long séjour. La proximité des monuments byzantins et des édifices de l’époque ottomane, les courtes distances à parcourir d’un site à un autre sont autant d’atouts qui auraient pu faciliter la mise en tourisme de ce patrimoine d’un autre genre. Dans le noyau touristique de la Cappadoce, autour de la ville d’Ürgüp et du site de Göreme, cette patrimonialisation périphérique est cependant restée limitée. Quelques sites comme le village de Mustafapaşa sont les rares exemples de localités où les édifices chrétiens ottomans plutôt que les sites troglodytes médiévaux attirent désormais le tourisme. Au cœur de la zone touristique du département de Nevşehir, la forte densité de sites naturels et byzantins à potentiel touristique peut expliquer le choix de centrer les activités sur ces lieux plutôt que de proposer une patrimonialisation certes plus éclectique mais qui s’éloigneraient de la simple mais efficace équation « Cappadoce = cheminées de fée + sites byzantins troglodytes » qui fait se déplacer le « touriste sémioticien » (Urry 2002 : 13).

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Mustafapaşa a par exemple profité de la mise en tourisme des sites byzantins environnants et est devenu un lieu périphérique de fréquentation touristique où les visiteurs s’attardent quelques heures, entre la visite du matin d’un site troglodyte et la randonnée de l’après-midi dans une vallée proche. Au rang des principaux facteurs ayant contribué à la patrimonialisation de cette localité habitée par des Rums jusqu’en 1923, sa mise en tourisme occupe une place prépondérante ; cependant l’ouverture timide mais réelle du débat public en Turquie autour de la question de l’échange de population et du sort des échangés ainsi que l’apparition hebdomadaire de la localité de Mustafapaşa sur les écrans télévisés vont jouer un rôle important.

Une redécouverte récente

28 Si aujourd’hui encore, la cohabitation religieuse des populations ottomanes de Cappadoce est timidement acceptée, c’est parce qu’il a fallu attendre le milieu des années 1990 pour qu’une redécouverte de l’histoire de l’échange de population de 1923 ait lieu dans la société turque, en particulier à travers les premiers romans historiques et biographiques traitant de ce sujet. L’un des premiers à ouvrir cette question épineuse est l’auteur Kemal Yalçın qui a connu un grand succès avec son roman- documentaire Emanet Çeyiz, édité en 1998 et racontant les périples et rencontres de l’auteur parti en Grèce à la demande de son père, dans le but de retrouver les anciens voisins rums partis en 1923 en confiant, dans l’espoir d’un retour proche, le coffre contenant la dot de leur fille [çeyiz] à leurs voisins turcs. Si l’impact de cette littérature historique fut réel dans la société turque, jouant le rôle d’élément déclencheur, ce tout nouvel intérêt pour l’histoire de l’échange n’a pas eu de conséquence immédiate sur le patrimoine chrétien ottoman qui lui était directement lié.

29 C’est finalement par hasard que les premiers monuments chrétiens ottomans ont commencé à attirer le regard du grand public au début des années 2000. En 2002-2003, Mustafapaşa apparaît sur les écrans des télévisions turques avec le tournage d’une série télévisée [dizi] qui rencontre un immense succès populaire. La série déclenche alors un véritable engouement touristique de la part des nationaux qui, pour beaucoup, ont découvert la Cappadoce par son intermédiaire. Le principal lieu de tournage est alors un konak, une demeure en pierre de taille, construite par une des riches familles rums du village à la fin du 19e siècle puis habitée entre 1923 et 1992 par une famille turque et finalement transformée en hôtel avant de servir de décor au tournage. Le passé rum du village passe alors totalement inaperçu et les visiteurs se contentent de se rendre directement à l’entrée de la bâtisse servant de lieu de tournage, sans visiter les alentours et l’église quelques mètres plus loin. Bien que limité et peu instruit, cet engouement marque le réel début des activités de tourisme à Mustafapaşa et de la prise de conscience de la valeur patrimoniale des monuments récents de Cappadoce. Ainsi, quelques années plus tard, à quelques mètres de l’Asmalı Konak, l’église Sts. Constantin et Hélène du 18e siècle, totalement reconstruite en 1850 avec les fonds des émigrés à Istanbul, est ouverte au public après plus de 80 ans portes closes. Si la façade a été restaurée, l’intérieur de l’église a été simplement nettoyé. Chaque année, quelques messes orthodoxes y sont officiées (Pekak 2009 : 173).

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Figure 5. 5 Juillet 2005 - Pèlerinage à l’Église Sts. Constantin et Hélène en présence du Patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée et de membres de l’Association Nea Sinassos regroupant les anciens habitants chrétiens de Sinasos installés à Nea Sinasos après l’échange. Site du patriarcat œcuménique de Constantinople, http://www.ec-patr.org/aferoma/visits/2005/ show.php?lang=en&id=015

30 Non loin du village, à un kilomètre au sud, dans la « Vallée du monastère » [Manastır Vadisi], un projet de musée à ciel ouvert porté par le maire de Mustafapaşa a vu le jour et donné lieu à la restauration du monastère de St. Nicolas, dont une grande partie de l’architecture actuelle date de l’époque ottomane. Le monument restauré au début des années 2010 et a été inauguré le 27 mai 2012, en présence du patriarche œcuménique de Constantinople, et le musée à ciel ouvert a été homologué par la Direction du comité régional de la protection du patrimoine de Nevşehir [Nevşehir Kültür Varlıklarını Koruma Bölge Kurulu Müdürlüğü]. À l’avenir, les autres monuments présents dans la vallée (au total 5 églises de différentes époques, une ville souterraine et une cheminée de fée) doivent être à leur tour restaurés. Le maire de Mustafapaşa déclare clairement vouloir attirer un tourisme religieux tourné en particulier vers les visiteurs venus de Grèce (TRT Türk 25/06/2013).

31 L’ancienne Sinasos est ainsi devenue le principal lieu de résurgence du passé chrétien orthodoxe de la Cappadoce ottomane, le village rum de Cappadoce par excellence, donnant souvent l’image d’un lieu où, avant l’échange, n’auraient vécu que des chrétiens. Pourtant, à la fin du 19e siècle, Sinasos était une localité mixte d’environ 5000 habitants dont 25 % étaient musulmans. Dès lors on peut se demander si du tabou de l’échange de population de 1923, la redécouverte récente de ce passé proche n’a pas ouvert la voie à une nouvelle réécriture de l’histoire, se réconciliant avec la présence chrétienne dans la Cappadoce du 19e siècle mais excluant encore l’idée d’une coexistence, voire d’une forme d’hybridité culturelle islamo-chrétienne dans ces localités où chrétiens et musulmans vivaient ensemble au quotidien.

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Vers un tourisme mémoriel

32 Malgré le récent intérêt pour les monuments chrétiens ottomans, le tourisme religieux en Cappadoce reste confiné à un nombre de visiteurs extrêmement limité, autour de quelques dates clés, liées aux fêtes du calendrier orthodoxe. En 2010, le Ministère de la culture et du tourisme a autorisé l’organisation de messes ou de pèlerinages dans 16 des 1176 églises considérées comme patrimoine culturel en Turquie : six d’entre elles sont en Cappadoce. (Kılıçlar et El à Göreme, l’église Dereyamanlı à Avanos, l’église de Kaymaklı, St. Théodore Trion à Derinkuyu et Sts. Constantin et Hélène à Mustafapaşa). Parmi celles-ci, celles de Kaymaklı, de Derinkuyu et de Mustafapaşa datent de l’époque ottomane. La tenue de cérémonies religieuses dans ces monuments du patrimoine doit faire l’objet d’une demande d’autorisation préalable auprès de la préfecture. À l’exception des églises byzantines du site de Göreme, elles sont de toute façon fermées au public, fermeture qui limite le réel développement d’un tourisme religieux assujetti à des préparatifs administratifs lourds (ANKA 29/09/2010).

33 En particulier en raison des obstacles administratifs, le tourisme religieux a du mal à prendre son envol en Cappadoce. En revanche, le tourisme mémoriel, lié à une redécouverte chez les Turcs et à une relecture nouvelle chez les Grecs, de l’histoire de l’échange de 1923, a donné lieu à une renaissance du patrimoine chrétien ottoman tant civil que religieux. En Grèce, les échangés chrétiens sont arrivés en grand nombre et ont joué un rôle central dans la société grecque. L’échange y est un sujet connu voire revendiqué à travers la création d’associations de compatriotes portant le nom des villages d’origine.13 Le récit traumatique de la « Catastrophe d’Asie Mineure » a aussi été politisé mettant en avant les expériences tragiques de l’incendie de Smyrne et des massacres du Pont et refoulant l’histoire plus paisible de la coexistence pacifique des populations de Cappadoce. La Cappadoce n’a pas vécu, sur son territoire, les massacres de la Première Guerre mondiale et de la Guerre gréco-turque (1919-1922). L’échange y a certes été mal vécu par les populations contraintes de quitter leur pays d’origine mais leur départ n’a pas eu lieu dans la précipitation et la terreur comme cela a été le cas à Smyrne, sur la côte égéenne ou dans le Pont. À Sinasos, on a même pris le temps de préparer un album-photo pour immortaliser les édifices et les scènes de la vie quotidienne du bourg avant le départ définitif.14 La création du Centre d’études d’Asie Mineure à Athènes en 1930 et l’entreprise de collecte de témoignages oraux commencée à la fin de la décennie auprès des personnes originaires de Cappadoce ont aussi permis de conserver la mémoire des échangés et de coucher sur le papier leur nostalgie du pays (Papailias 2001). Si la seconde génération a parfois refoulé ses origines anatoliennes, la troisième génération, celle des petits-enfants, a repris en main le passé familial et revient désormais sur les traces de la famille, en Cappadoce ou ailleurs en Anatolie. 34 En Turquie, les échangés musulmans, proportionnellement peu nombreux au sein de la population turque, ont été installés dans les maisons anciennement chrétiennes et se sont confondus dans la masse de la société turque. Contrairement à la Grèce, on a commencé à parler de l’échange tardivement, depuis la fin des années 1990. La première association créée en Turquie, la Fondation des échangés de Lausanne [Lozan Mübadilleri Vakfı], a été fondée en 2001. Elle organise tous les ans, en collaboration avec d’autres associations, des rencontres d’échangés en Turquie et en Grèce. Depuis, en Turquie, on a commencé à rompre le tabou de l’échange sur la scène littéraire, dans les

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milieux universitaires mais aussi au sein des familles où les jeunes générations s’intéressent aux récits familiaux de l’échange et de la vie avant 1923. C’est grâce à la multiplication de ces récits individuels et familiaux que différentes formes de mémoires collectives de l’échange, concordant parfois pour ne faire plus qu’une, sont aujourd’hui en pleine formation. Des projets de réconciliation entre la Grèce et la Turquie, parfois avec le soutien d’instances internationales soutiennent aussi l’éclosion d’une conscience d’un patrimoine partagé et de la nécessité d’une patrimonialisation mutuelle.15 35 C’est dans ce nouveau contexte que certains sites ont commencé à s’engager dans le tourisme de la mémoire, accueillant les descendants des échangés qui souhaitent découvrir la région et retrouver la maison de leurs ancêtres. Nombreux sont aujourd’hui les Grecs originaires d’Anatolie à venir en Turquie pour un « pèlerinage mémoriel », dans le cadre de visites organisées par les associations d’échangés ou individuellement. La petite ville de Güzelyurt (ancienne Gelveri, petite ville à population mixte au 19e siècle) a ainsi su tirer profit de ce nouvel environnement culturel et patrimonial : depuis 2002, la municipalité de Güzelyurt organise le « Festival de l’amitié turco-grecque, de la culture et du tourisme » [Türk-Yunan Dostluk Kültür Ve Turizm Festivali]. Pour le festival, les descendants d’anciens habitants grecs de la région sont invités dans cette petite ville qui a vu s’installer un grand nombre de musulmans arrivés de la région de Thessalonique au moment de l’échange. Le festival est l’occasion pour les échangés turcs et grecs et pour la population restée sur place de se retrouver pour partager chants, danses, costumes folkloriques et repas traditionnels. La création de cet événement annuel a permis l’essor économique et touristique de cette petite ville, située sur la route d’Aksaray et quelque peu à l’écart du cœur touristique formée par Göreme et Ürgüp. À Güzelyurt, le festival a ravivé l’économie : les maisons et bâtiments publics construits par les chrétiens au 19e siècle ont été restaurés et réhabilités en hôtels, restaurants ou locaux administratifs. Le festival est aussi l’occasion pour les descendants des anciens Rums de Gelveri de visiter l’ancienne église de la communauté. L’église monumentale de Güzelyurt, malgré sa conversion en mosquée conserve en son sein, exposé dans une nef latérale, le battant de la cloche tandis que la robe de cette dernière a été emportée par les échangés en 1923 et placée dans le clocher de leur nouvelle église à Nea Kalvari, près de Kavala. Pendant la saison touristique, l’imam n’hésite pas à jouer le guide pour les visiteurs, leur décrivant l’histoire du monument, son passé chrétien et sa conversion en mosquée… La petite ville a aussi su attirer d’autres activités culturelles comme par exemple avec la fondation d’une académie des arts rattachée à l’Université d’Aksaray et accueillant chaque été des étudiants des Beaux-arts de différentes universités turques pour des ateliers pratiques et des séminaires de formation.

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Figure 6. « L’église-mosquée » de Güzelyurt, aujourd’hui convertie en mosquée mais conservant le battant de la cloche. A.A. de Tapia, 2013

36 Cette vitalité a permis un important travail de restauration, de mise en valeur et de reconversion du bâti, sous l’égide de la municipalité, avec l’aide de l’Université d’Aksaray et le soutien du Ministère de la culture. Les habitants ont bien compris l’enjeu qui se joue dans la protection de ce patrimoine et participent à sa fabrique. Une habitante de Güzelyurt dont la famille, originaire de la région de Thessalonique, s’est installée dans une des maisons du village en 1924, témoigne, sur le pas de sa porte, en montrant les parties bétonnées de sa maison, à propos des destructions et transformations malheureuses : « on ne savait pas à l’époque l’histoire de ces maisons qu’on nous a donné, on n’avait pas conscience de leur valeur, maintenant on regrette » (Entretien réalisé le 10 août 2012). Pour le moment, Güzelyurt semble avoir réussi son pari malgré sa position géographique excentrée par rapport au cœur touristique de la Cappadoce. La petite ville, d’abord connue pour avoir été le lieu où Grégoire de Naziance a passé son enfance, est aujourd’hui reconnue comme un lieu de mémoire pour les échangés de 1923, tant pour ceux l’ayant quittée que pour ceux s’y étant installés. L’exemple de Güzelyurt montre qu’entre tourisme culturel, religieux et mémoriel, le patrimoine chrétien ottoman commence à sortir de l’oubli dans lequel il avait été plongé durant de longues décennies. La fabrique de ce patrimoine semble souffrir néanmoins de l’absence de coordination et dépend pour le moment du bon vouloir des pouvoirs locaux et en particulier des municipalités mais aussi des particuliers, originaires de la région ou arrivés aux alentours des années 1920 dont l’histoire familiale est directement liée à ces monuments.

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Une « monumentalisation » en guise de patrimonialisation au sein de stratégies départementales variées

37 Comme dans les exemples de Sinasos, Güzelyurt, Ürgüp ou encore Uçhisar, le travail de mise en valeur du patrimoine ottoman dépend la plupart du temps de la bonne volonté des municipalités, des particuliers, des associations et des entreprises privées. Malgré la présence d’un comité de direction du patrimoine au niveau départemental et d’une théorique supervision du Ministère de la culture, il n’y a pas de politique cohérente et planifiée pour le patrimoine ottoman de Cappadoce. Au-delà de quelques édifices religieux à valeur symbolique comme la mosquée de Nevşehirli Damat Ibrahim Paşa, le mausolée d’Hacı Bektaş ou encore quelques-unes des églises du 18e ou 19e siècle, le bâti (surtout civil) de l’époque ottomane n’est pas considérée comme faisant partie d’un patrimoine à conserver. La politique de transformation urbaine actuellement menée dans la plupart des villes de Turquie le montre bien. Si certains de ces monuments font l’objet de relevés plus ou moins détaillés et menés par les directions régionales du patrimoine, la préservation ou la restauration est décidée au cas par cas, sans réel projet de patrimonialisation et de mise en tourisme sur le long terme.

Figure 7. L’église St. Théodore Trion de Derinkuyu, aujourd’hui restaurée mais fermée au public et séparée du centre du village et de l’entrée de la ville souterraine par une place et un parking A.A. de Tapia, 2013

38 Dans la petite ville de Derinkuyu, réputée pour sa ville souterraine, les monuments chrétiens récents étaient nombreux mais seules deux églises ont suscité un intérêt quoique limité. La Malakopi ottomane, petite ville d’environ 2500 habitants à la fin du 19e siècle était le lieu de vie d’une importante communauté chrétienne hellénophone mais aussi de plusieurs familles musulmanes. Le patrimoine moderne de la ville a donc majoritairement été construit par les habitants chrétiens. Nous l’avons vu, une des églises a été convertie en mosquée (Mosquée de la République). L’autre, monumentale, se tient non loin de l’entrée de la ville souterraine-musée, derrière un muret, mais les visiteurs sont directement dirigés vers l’entrée du musée évitant soigneusement le principal monument ottoman de la ville. Cette église dédiée à St. Théodore Trion et inaugurée en 1858, est loin d’attirer les foules et reste de toute façon fermée au public. Pourtant elle a été restaurée et à proximité une place et un grand parking ont été aménagés. Jusqu’en 2013, le monument était géré par le Ministère de la culture et du tourisme et ouverte (depuis 2010) pour quelques messes orthodoxes chaque année uniquement sur autorisation administrative. En temps normal, rares sont les visiteurs assez curieux pour se diriger vers l’église et en faire le tour. Pour seul guide, les enfants

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du quartier vous entrainent devant la porte massive et fermée à clé pour vous expliquer en vous montrant par le trou de la serrure qu’au fond se trouve le fauteuil du papaz. Il n’est pas surprenant qu’un tel monument soit fermé au public – nombreux sont les églises et autres monuments du patrimoine, en Turquie comme ailleurs, à être inaccessibles. On s’étonnera plutôt du fait que l’édifice, bien que restauré et situé au centre d’une zone récemment aménagée ne soit pas réhabilité pour accueillir des activités culturelles ou ouvert au public en tant que musée, tel que c’est le cas pour l’église Sts. Constantin et Hélène à Sinasos où l’entrée, payante mais à moindre coût, incite les visiteurs (mais aussi les organisateurs de tours) à faire le détour. La demande de la municipalité de Derinkuyu, plusieurs fois réitérée, de récupérer la gestion du monument n’a reçu aucune réponse et en juillet 2012, l’église est passée sous l’administration de la préfecture. Le préfet a annoncé, à l’occasion d’une visite du Ministre de la culture, une prochaine ouverture du monument, pour des activités touristiques et culturelles ( 22/01/2013). Cependant, avec des changements de « propriétaires » sans grande logique, il est difficile de prédire l’avenir et au-delà des effets d’annonces, aucun plan de mise en valeur ne semble être réellement appliqué depuis sa restauration.

39 Malgré ces difficultés dans le processus de mise en valeur, les restaurations d’églises récentes se multiplient laissant entrevoir une volonté de patrimonialisation qui n’est pas toujours suivie d’une mise en tourisme. Le 9 Juin 2013, le Patriarche de Constantinople Bartholomée a inauguré l’église St. Georges de Bor tout juste restaurée. À Konaklı (ancienne Misti), la restauration de l’imposante église St. Basile vient tout juste de débuter (date de l’accord ministériel : 24/03/2014). Bor comme Konaklı sont deux localités situées bien loin du cœur touristique de la Cappadoce, respectivement à plus de 100 et 60 km du site de Göreme. Dans les deux cas, il serait donc difficile de parler d’un potentiel tourisme périphérique qui pourrait intéresser les cars de touristes. Konaklı, en particulier, est loin des routes principales et l’église, isolée en périphérie du village, surplombe un terrain accidenté, une cité souterraine dont l’étage supérieure a fait surface et sert de dépôt de pomme de terre. La restauration en cours a donc peu de chance d’attirer un tourisme massif. À l’opposé, l’église du 19e siècle de la localité de Kaymaklı se trouve à quelques centaines de mètres de l’entrée de la très fréquentée cité souterraine (comme l’église St. Théodore Trion de Derinkuyu) mais ne fait l’objet d’aucun projet de mise en valeur et sert actuellement de dépôt de matériel en tout genre. Il est donc difficile de voir, à travers ces différents exemples, une volonté générale d’intégrer le patrimoine chrétien ottoman aux activités touristiques de Cappadoce. Plusieurs églises du 19e siècle sont certes restaurées, mais leur intégration aux activités touristiques n’est pas pensée. 40 Faut-il y voir une patrimonialisation sans volonté de mise en tourisme ? Il faut admettre qu’une vision régionalisée de la « grande Cappadoce » est sans doute peu réaliste puisque cette dernière est divisée entre les départements [il] de Kayseri, Nevşehir, Niğde et Aksaray. Il est donc sans doute utopique d’imaginer une quelconque projection coordonnée entre ces différentes entités administratives. En revanche, à l’échelle départementale, on peut voir poindre différentes stratégies de fabrique du patrimoine. D’une part, le département de Nevşehir qui comprend en son sein le noyau touristique de la Cappadoce continue sur la lancée byzantine en concentrant les activités touristiques autour de ses sites phares (Göreme, Ürgüp, Zelve, Çavuşin…) célébrés pour leur patrimoine naturel et byzantin et limite la mise en tourisme de sites

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ottomans à quelques sites que nous avons présentés plus haut comme « patrimoine périphérique » (exemple de Mustafapaşa). D’autre part, les départements d’Aksaray et de Niğde qui ont peu ou prou profité de l’essor touristique du noyau cappadocien, commencent à déployer de nouvelles stratégies mettant en avant le patrimoine ottoman et, entre autres, chrétien. Güzelyurt (dans le département d’Aksaray) en est un des premiers exemples tandis que ces dernières années le nombre de restaurations d’églises du 19e siècle s’intensifie dans le département de Niğde (Bor, Konaklı, Fertek…) et laisse entrevoir une volonté d’attirer les activités touristiques vers un nouvel espace, un espace longtemps resté dans l’ombre du département de Nevşehir, qui s’accapare l’étiquette cappadocienne. Plutôt que de créer une concurrence directe sur le plan byzantin, les espaces de Niğde et d’Aksaray diversifient les offres et jouent la nouvelle carte du tourisme mémoriel, en tentant de proposer une autre Cappadoce. Si du côté de Nevşehir, la patrimonialisation de quelques sites chrétiens de l’époque ottomane a été le résultat de la mise en tourisme massive de la région, dans les départements de Niğde et d’Aksaray, au contraire, les stratégies actuelles montrent une volonté de patrimonialisation des monuments du 19e siècle précédant une possible (et espérée) mise en tourisme. 41 L’architecture religieuse suscite donc un regain d’intérêt et les restaurations d’églises sont effectuées par des entreprises spécialisées, mais force est de constater que l’architecture civile est quant à elle beaucoup plus susceptible de faire l’objet de destructions ou, tout au mieux, de restaurations approximatives et de réhabilitations (en hôtel, restaurant, villégiatures, salle d’exposition…) souvent discutables, prenant rarement en compte l’avis des spécialistes du patrimoine, malgré des procédures administratives longues et lourdes. Les politiques de patrimonialisation se concentrent sur la fabrique d’un patrimoine monumental composé d’édifices symboliques et n’atteignent donc que rarement les anciens quartiers rums des villes et villages de la région. Cette remarque ne s’applique pas qu’à la Cappadoce, elle correspond à une politique patrimoniale menée en Turquie, décrite par Stéphane Yerasimos, dans le contexte stambouliote, comme une destruction du tissu urbain au nom des monuments (Yerasimos 2005 : 52 ou, en version française, Yerasimos 2014). Ainsi plutôt qu’une patrimonialisation, on assiste à une « monumentalisation » de quelques édifices devenant les symboles du passé tandis que le reste du tissu urbain ancien ne suscite souvent aucune volonté de préservation, tombe en ruine, ou est purement et simplement démolis au nom de la modernisation et de la transformation urbaine. Dans le cas de l’architecture civile, les maisons aujourd’hui encore habitées peuvent être réhabilitées avec des aides publiques, mais bon nombre d’entre elles sont aujourd’hui inhabitées, jugées trop anciennes et pas assez modernes. Dès lors, ce patrimoine civil laissé à l’abandon est petit à petit détruit pour être remplacé par des immeubles plus confortables.

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Figure 8, Vues satellites de la forteresse et des vieux quartiers de Nevşehir en 2004 et en 2014 Google Earth

42 Dans la ville de Nevşehir, au nom de la transformation urbaine [kentsel dönüşüm], l’ancien quartier rum rebaptisé Cumhuriyet Mahallesi sous la République – et plus largement l’ensemble des vieux quartiers s’étendant sur les flancs de la colline surplombée par le fort de la ville – fait l’objet d’un projet de transformation urbaine débuté en 2009. Du quartier, il ne reste aujourd’hui que quelques rares maisons et leurs habitants téméraires qui ont refusé de s’installer dans les logements proposés par la mairie dans une nouvelle « cité » en périphérie de la ville (Eren 24/08/2014), ainsi que l’église de l’Assomption (1848) et quelques petites mosquées construites dans la deuxième moitié du 20e siècle. Tout le reste (plus de 2400 édifices) a été récemment rasé pour faire place à un projet d’immeubles modernes, « comme à Istanbul » (Korucu 05/07/2013) et destinés à une population plus aisée (Eren 2014). Le projet a cependant été stoppé suite aux plaintes d’associations de protection du patrimoine et de résidants et l’église est, pour le moment, épargnée, mais son avenir reste compromis. Ouverte à tous les vents, les chasseurs de trésors ont creusé au pied des colonnes à la recherche de quelques trésors improbables et les voleurs (ou vandales) ont récemment découpé les tirants de fer qui permettaient le maintien de la coupole, rendant l’édifice instable (Avanos Gazetesi 02/09/2014). Et pourtant l’église a aussi sa place dans l’histoire républicaine. L’Ancienne prison [Eski cezaevi] comme ont l’habitude de la nommer les habitants du quartier a été transformée en prison de 1953 à 1983. En 1961, Yılmaz Güney y est incarcéré pendant un an. De cette année passée dans “l’église-prison”, il dira qu’elle fut “son école primaire” [Benim ilkokulumdur] et s’en inspirera pour écrire son premier roman, Boynu Bükük Öldüler, publié en 1971. Deux ans plus tard, le lieu est rendu célèbre par le réalisateur Nejat Saydam qui y tourne le film Mahpus (1973), mettant en scène Türkan Şoray dans le rôle d’une jeune femme incarcérée pour meurtres (Korucu 05/07/2013). Aujourd’hui le monument garde les traces de ce passé

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carcéral : l’obscurité créée par les murs construits pour séparer les dortoirs, les numéros surplombant les portes ou encore les textes écrits sur les murs par les prisonniers. En 1996, l’église-prison était confiée à la municipalité et un projet de restauration fut proposé en 2003 mais sans jamais être soumis à la direction régionale de la protection du patrimoine. La question de la patrimonialisation de l’église du Cumhuriyet Mahallesi est donc ancienne mais elle s’est faite plus pressante avec l’apparition du projet de transformation urbaine. En juin 2013, le muhtar et les résidants ont une fois encore attiré l’attention sur la dégradation progressive du monument et sur la nécessité de sa restauration pour redynamiser l’économie du quartier mais pour le moment, aucun plan de sauvegarde n’est en vue et on craint plutôt une reprise du projet de transformation urbaine (Işçen 2010). Plusieurs appels et pétitions ont été lancés par des associations locales de protection du patrimoine au cours de l’année 2014 offrant à l’église un sursis mais les maisons qui l’entouraient n’ont pas eu cette chance, preuve que la monumentalisation est la seule conception du patrimoine qui semble pouvoir faire face à une volonté de modernisation à tout prix.

Figure 9. Église de l’Assomption à l’époque du quartier rum et aujourd’hui dans le Cumhuriyet Mahallesi Carte postale “19. Yy Nevşehir” et photographie du journal local de Nevşehir, Fib Haber, “Sözun Bittiği Yerdeyiz…”, 05/12/ 2012

Conclusion

43 Bien que son avenir patrimonial semble compromis, l’ancien quartier rum de Nevşehir présente une patrimonialisation d’un nouveau genre en Turquie : une réappropriation des sites et monuments anciens par les résidents et les associations locales. Cette réappropriation possédant un caractère local et populaire a vu le jour, ou du moins, s’est faite plus visible, au cours des années 2000 et ne concerne certainement pas l’ensemble de l’opinion publique. Elle montre cependant qu’une partie des habitants de la région a pris conscience de la nécessité de protéger le patrimoine chrétien ottoman au même titre que les monuments byzantins. Les volontés sont localisées, se limitant à un quartier ou à un village comme à Nevşehir, à Mustafapaşa, à Güzelyurt ou dans quelques villages de Niğde ; elles ne dégagent pour le moment aucune vision d’ensemble. Récentes, elles ont vu le jour avec la formation de mémoires collectives de l’échange. Les familles turques installées en Cappadoce depuis 1923 mais aussi celles qui ont connu la vie locale avant le départ des Rums se réapproprient désormais plus ouvertement l’histoire de la région. D’une désappropriation forcée en 1923, le patrimoine local a été témoin d’une appropriation du territoire par les nouveaux arrivants qui ont construit leur propre histoire locale avant de se réapproprier le passé d’une région qui

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n’a pas connu leurs ancêtres et que leurs ancêtres n’ont pas connu mais dont ils se considèrent les garants en raison de leurs « parcours d’échangés » (Guilland 2011). Le caractère ultra-local et familial de cette réappropriation du passé proche et de ses vestiges incite peut-être ici à parler d’héritage plutôt que de patrimoine. Les habitants ont commencé à réaliser la valeur historique et affective des édifices chrétiens situés au bout de leur rue. Les appels au secours de résidants auprès des institutions gouvernementales ou internationales en charge des questions de patrimoine se multiplient pour sauver une église, un quartier, une ancienne école ou une fontaine tombant en ruine mais les institutions (à l’échelle nationale comme aux échelles plus locales) sont peu réactives, les subventions existantes mais limitées, les résidents souvent seuls devant un patrimoine qui reste à fabriquer et qui disparait un peu plus chaque jour.

44 Le patrimoine chrétien ottoman et son histoire ont été considérés pendant longtemps comme un obstacle à l’intégration des nouvelles populations installées à la place des chrétiens, mais aussi comme le témoin de la présence chrétienne dans la région jusqu’au début du 20e siècle, une présence que la République de Turquie a préféré oublier. L’historiographie turque s’intéresse peu à l’histoire byzantine de son territoire présent. Le passé chrétien médiéval de l’Anatolie a longtemps été simplement décrit comme une parenthèse synonyme de décadence avant l’arrivée et l’installation « libératrice » des Turcs. Mais cette même historiographie s’est intéressée bien moins encore à l’histoire des non-musulmans d’Anatolie de l’époque turco-ottomane. Il suffit de lire quelques ouvrages grands publics sur la Cappadoce pour se rendre compte qu’un touriste lambda visitant la région repart sans doute en pensant que l’histoire des populations chrétiennes de la région s’arrête avec la fin de l’Empire byzantin ! Le patrimoine chrétien de dernières générations de Rums ayant habité la région a été totalement évincé des guides et des circuits touristiques, de même que l’histoire de ces chrétiens du 19e siècle, expulsés en 1923 (et avec elle celle des musulmans arrivés de Grèce) n’a pas eu sa place dans la construction du discours national des premières décennies de la République de Turquie. Si l’engouement pour les monuments et sites anciens troglodytes et souterrains, plus intrigants et attirants, peut avoir freiné la patrimonialisation des sites plus récents et d’allure plus conventionnelle, il n’en reste pas moins qu’avec le tabou de l’échange de population, le patrimoine chrétien ottoman a été volontairement oublié. 45 Ce qui différencie ce patrimoine chrétien ottoman du patrimoine byzantin, c’est sa proximité historique. Les monuments récents rappellent un passé chrétien, c’est-à-dire non national, pas si lointain. Alors que les monuments byzantins ont été assimilés à des vestiges d’un empire passé et révolu, sans lien direct avec le présent, ceux du 19e siècle témoignent d’un passé bien plus proche, vécu par une génération encore en vie, tant du côté des Rums qui ont quitté la Cappadoce que des musulmans de Grèce et des Balkans qui s’y sont installés. C’est en raison de cette proximité chronologique et par ce qu’elle sous-entend qu’il est possible d’expliquer l’oubli volontaire dont les monuments chrétiens ottomans ont fait l’objet. L’appellation « post-byzantin » pour parler des monuments chrétiens construits à l’époque ottomane, y compris au 19e siècle, témoigne du malaise qui existe autour de l’histoire chrétienne de l’Anatolie ottomane. En parlant de monuments post-byzantins, une distance nominale – remplaçant la distance chronologique – est mise entre l’histoire de ce patrimoine et la société turque contemporaine.

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46 La proximité chronologique de l’échange a été un obstacle à l’intégration de ces sites dans un patrimoine national trop enclin à corroborer la réécriture de l’histoire nationale. En revanche, elle a ouvert la voie à une réappropriation individuelle et familiale rendue possible par la formation d’une mémoire collective de l’échange transmise le plus souvent des grands-parents aux petits-enfants.16 Depuis le début des années 2000, la patrimonialisation de ces sites et monuments chrétiens du 19e siècle a été suscitée par un élan de recherche identitaire double : d’un côté les visiteurs grecs venus retrouver les racines de leur famille et de l’autre les habitants turcs originaires de Grèce qui s’approprient le patrimoine de ceux qu’ils appellent « leurs frères de destinée ». Cet élan est visible au-delà des limites de la Cappadoce. À Bodrum, par exemple, la municipalité a proposé de reconstruire l’église orthodoxe St. Nicholas (construite en 1780 et détruite en 1969) (Agos 15/04/2013). Près de Fethiye, le village- musée de Kayaköy attire de plus en plus de visiteurs et est devenu un des principaux symboles de l’échange de population. L’histoire de l’échange et de la présence rum en Anatolie ottomane est désormais devenue un atout pour la diversification des activités touristiques. Dès lors, deux logiques apparaissent. D’un côté la mise en tourisme déjà active autour d’autres sites facilite l’accès à la patrimonialisation des vestiges de la présence chrétienne pré-1923. C’est ce qui transparaît à travers les exemples situés dans le département de Nevşehir. De l’autre, la patrimonialisation de monuments chrétiens ottomans vise à déployer les activités touristiques dans des espaces encore peu connus des touristes nationaux et internationaux. C’est vers cette seconde stratégie que se tournent aujourd’hui les départements de Niğde et d’Aksaray. 47 L’intérêt économique du tourisme religieux et mémoriel incite désormais à élargir les activités vers ce patrimoine jusqu’alors oublié, la société turque a encore du mal à accepter la plurireligiosité et la vie entremêlée que connaissaient chrétiens et musulmans dans les zones rurales comme la Cappadoce. Dans ce contexte, il ne faut pas tracer un tableau trop angélique des évolutions présentes. Nombreux sont les habitants de la région à refuser les réalités du passé. Qui plus est, la fabrique du patrimoine chrétien ottoman n’est pas seulement le résultat d’une prise de conscience d’un passé multiculturel, elle est aussi intéressée. Le développement du tourisme en Cappadoce incite les populations locales à revendiquer la nécessité de préservation d’un patrimoine au potentiel économique non négligeable. En conséquence, plus qu’une véritable patrimonialisation, on assiste à une simple mise en tourisme possédant souvent un caractère artisanal et peu professionnel, en particulier en matière de restauration et de réhabilitation. Néanmoins, cette prise en main par les pouvoirs locaux, les associations et les particuliers permet de maintenir une veille sur des monuments et sites qui, pour le moment, ne sont souvent pas considérés comme des priorités. D’un point de vue national, les sites chrétiens de la fin de l’Empire ottoman ne sont souvent reconnus qu’à demi-mot. L’intégration, commencée depuis peu, de ce patrimoine dans l’héritage culturel national reste aujourd’hui malaisée et problématique et on peut se demander si les projets actuellement en cours ne serviront pas simplement de vitrine face aux attentes d’un tourisme international qui tend à se diversifier.

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NOTES

1. On appelle ici « minorités historiques » par opposition aux « minorités actuelles » les populations non-musulmanes ayant vécu en Anatolie jusqu’au début du 20e siècle et dont il ne reste aujourd’hui, localement, aucun représentant (dans le cas de la Cappadoce, majoritairement les Rums mais aussi les Arméniens). 2. Sur les monuments syriaques du Tur Abdin, voir Keser-Kayaalp (à paraître). 3. Pour les sources antiques et médiévales, par exemple Diodore de Sicile (1 er siècle av. J.C.), Bibliothèque historique (III.15-19); Vitruve (1er s. av. J.C.), De Architectura (I. 1,1); Ibn Hawqal (10e s.), Configuration de la terre (Kitab surat al-ard) §190. Merci à Anaïs Lamesa pour son aide et ses conseils concernant les sources antiques et médiévales et la notion de « troglodyte ». 4. BCA [Başbakanlık Cumhuriyet Arşivleri], Bakanlar Kurulu Kararları. La première décision date de 1957 et la plus récente de 1969. Chaque décision concerne un site (quartier ou village) différent et demande le relogement des familles ou propose une aide financière pour la construction de nouvelles habitations en dehors de la zone sinistrée. 5. Le terme rum désigne les chrétiens orthodoxes d’Asie Mineure et d’Anatolie, par opposition aux Grecs du continent européen. 6. Hayden parle de religioscape pour définir la distribution dans l'espace de marqueurs physiques renforçant l'emprise d'une communauté religieuse sur son territoire. (Hayden et al. 2014) Si l'on reprend ce concept, on pourra dire que la communauté rum de Cappadoce a, au cours du 19 e siècle, renforcer sa présence locale par le déploiement d'un religioscape déjà largement marqué par les monuments byzantins. 7. Ce processus migratoire peut être défini comme un exode rural et montre un grand nombre de similarités avec l’exode rural que connaîtra la République de Turquie à partir des années 1950. 8. On trouve ce qualificatif presque exclusivement dans les travaux d’histoire de l’art ou de littérature lorsqu’il est question de la production artistique et culturelle des communautés rums de l’Empire ottoman (voir par exemple les travaux de Sacit Pekak sur les églises post-byzantines de Cappadoce). C'est cependant plus souvent dans les publications de vulgarisation historique que l'usage du terme « post-byzantin » laisse transparaître une volonté de distanciation avec le sujet. 9. Parmi les monuments ottomans, on compte en particulier des mosquées, des fontaines, des hamams, des caravansérails, des ponts, des türbes, des maisons et seulement quelques églises et chapelles. 10. Quelques rares exemples d’architecture civile sont répertoriés à Mustafapaşa sans préciser si elles ont été construites par des chrétiens ou des musulmans. 11. Voir par exemple la notice détaillée de la Cumhuriyet (Yeni) Camii à Derinkuyu dans l’inventaire des Biens culturels du Ministère de la Culture et du Tourisme. L’ajout de l’adjectif “yeni” [nouvelle] parle de lui-même. (http://www.kulturportali.gov.tr/turkiye/genel/ kulturenvanteri/cumhuryetyen-cam, consulté le 15 mai 2014). 12. Les habitants de Derinkuyu n'ont jamais demandé à ce que les fresques soient recouvertes. Ce n'est qu'en 1982 (soit 33 ans après la conversion de l'édifice), à la suite d'une plainte d'un fidèle originaire d'Adana que les fresques chrétiennes furent recouvertes. 13. Les associations d’échangés de Nea-Sinasos ou Nea-Karvala comptent sans doute parmi les plus actives. 14. On trouve cet album chez beaucoup de familles originaires de Sinasos vivant aujourd'hui en Grèce ou à Istanbul. Les photographies ont été récemment rééditées accompagnées de témoignages (Balta 2009). 15. La Commission européenne a par exemple mené un projet intitulé “Turkish-Greek Civic Dialogue Programme”. Dans le cadre de ce programme, des associations grecques et turques ont fait un travail de mise en commun des expériences patrimoniales après l’échange (Developing

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Local Awarenes Concerning the Architectural Heritage Left from the Exchange of Populations in Turkey and in Greece, 2004-2005). Voir aussi Montmayeur (2013) sur les rapprochements entre villes grecques et turques depuis 1980. 16. Les travaux réalisés sur l’histoire orale de l’échange de population de 1923 montrent en effet qu’en Grèce comme en Turquie, la génération qui avait connu l’échange préféra, et souvent fut contrainte de, cacher ses origines. Par conséquent les membres de cette génération n’ont pas partagé la mémoire de l’échange avec leurs enfants mais ont commencé à en parler bien plus tard, avec leurs petits-enfants. Ces petits-enfants sont ceux qui, aujourd’hui, viennent retrouver leurs origines en Cappadoce ou ailleurs en Turquie. Ce même schéma est visible au sein de la communauté arménienne. Voir par exemple Altınay et Çetin (2005), Andreadis (2007) ou encore les nombreux documentaires réalisés depuis la fin des années 1990.

RÉSUMÉS

L’émergence de la notion de patrimoine ou d’héritage culturel est récente dans la société turque et aujourd’hui encore complexe, liée à une conception particulière du passé et de l’histoire nationale. Depuis la création de la République de Turquie, le passé byzantin des territoires anatoliens a été dissimulé sous l’exaltation d’une nation turque aux origines anatoliennes et/ou sous les racines turco-islamiques de la nation. Cependant, en Cappadoce, c’est précisément ce passé byzantine qui a été mis à l’honneur dès le début du processus de patrimonialisation de la région tandis que le passé ottoman, incluant des monuments chrétiens et musulmans, a été totalement délaissé. Dans cet article, nous allons étudier un paradoxe de la patrimonialisation de l’héritage culturel chrétien en Cappadoce : alors que le patrimoine byzantin est au cœur des attentions, les monuments chrétiens de l’époque ottomane ont été laissés à l’abandon. À travers des études de cas, nous analyserons les évolutions des dernières décennies liées au développement du tourisme religieux et mémoriel, à la réhabilitation de l’histoire récente et en particulier celle de l’échange de population de 1923 durant lequel les chrétiens de Cappadoce ont été expulsés tandis que des populations musulmanes venues de Grèce se sont installées dans la région. Cet événement traumatique, peu discuté en Turquie, semble être à l’origine de la difficulté à accepter le patrimoine chrétien ottoman comme partie intégrante de l’héritage historique et culturel du pays. Cependant, le potentiel économique de ces nouvelles formes de tourisme mène actuellement vers différentes stratégies de mise en tourisme et de fabrique du patrimoine.

The emergence of the notion of cultural heritage is recent in Turkey and still delicate, linked to a particular understanding of the past and of “national history”. From the creation of the Republic of Turkey onwards, the Byzantine past of territory has been hidden under the elation of modernist traditions and under a national turco-islamic heritage. However, in Cappadocia, it is precisely this Byzantine period which has been honored while Ottoman past passes unnoticed. In this article we will study the paradox of heritagization of Christian cultural heritage in Cappadocia: Byzantine heritage is at the heart of attentions while that of the Ottoman period is abandoned. Through examples, we will see that last decades show a new evolution through the development of faith and memorial tourism linked to the rehabilitation of the recent history and more especially of the 1923 population exchange during which the remaining Christians of Cappadocia have been expelled. This event, remained taboo until recently, is certainly at the

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origin of this difficulty of accepting Ottoman Christian monuments as an integral part of the Cultural Heritage in Turkey. However, the economic potential of these new forms of tourism incites the development of different strategies of touristification and heritagization.

INDEX

Mots-clés : Cappadoce, patrimoine chrétien ottoman, échange de population, tourisme religieux et mémoriel Keywords : Cappadocia, Ottoman Christian Heritage, Population Exchange, Faith and Memorial Tourism.

AUTEUR

AUDE AYLIN DE TAPIA

École des Hautres Études en Sciences Sociales (CETOBAC) Université Boğaziçi (Atatürk Institute for Modern Turkish History) [email protected]

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“On the grounds where they will walk in a hundred years’ time” - Struggling with the heritage of violent past in post-genocidal Tunceli

Annika Törne

An outcome of my dissertation project, this research paper was made possible by the financial support of the Calouste Gulbenkian Foundation. I would like to extend my sincerest thanks to Muriel Girard for her generous support during the editing process and to the two anonymous reviewers for their valuable comments and constructive critics on an earlier draft of this paper. My special thanks go to the interviewees who shared their memories with me.

1 At the backdrop of the opening politics, proclaimed by the ruling government party, the Justice and Development party [Adalet ve Kalkınma Partisi, hereafter AKP], it is assumed that the conditions for voicing oppressed memories and for negotiating contested identities are increasingly favourable in Turkey (Ayata 2012; Pérouse 2011). In regard to memory and collective identity —the cornerstones of heritage conceptualizations— Üngör recently stated that while the is denied in official state discourse, it is still remembered among the Kurdish and in the Eastern Anatolian provinces (Üngör 2014). In order to critically scrutinize this supposed dichotomy between public written and private oral history, this paper will explore whether and to what extent the denialist discourse in the postgenocidal society in Turkey (Suciyan 2013) is challenged by contested heritage production.1 In the scope of this study, following Girard, heritage production is understood as a category of public action in which non-governmental, governmental and international actors engage with representations of pasts in public spaces (Girard and Scalbert-Yücel 2014: 221). To sound out the limits of the discoursive condition, this article will analyse the constitution and attribution of meanings to places of collective violence by examining the particular case of Tunceli, former Dersim province2. In the

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last century this region has been marked by a history of collective violence. The Armenian Apostolic and Syriac Orthodox population of Dersim was annihilated in the Armenian Genocide from 1915 to 1916 (Kévorkian and Paboudjian 1992: 381-387); the region’s majoritarian Zazaki-3 and minoritarian Kurmancı-speaking Alevi-Kızılbaş population4 and the remaining Armenian population 5 were massacred in the Turkish military campaign Tunceli from 1936 to 1938 (Bilmez et al. 2011)6; for two decades since 1990, Tunceli has been one of the main theaters of war between the Kurdistan Workers’ party [Partiya Karkerên Kurdistan, hereafter PKK] and the Turkish army, both raising nationalist claims of hegemony on the region (Le Ray 2009; Jongerden 2009).7

2 In regard to its religious traditions, Tunceli presents a particular case for a discussion of the limits and perspectives of heritage production in Turkey. Today Tunceli is the only province in Turkey with a majority of the population adhering to a regionally distinctive religion, externally designated as (Dressler 2013; Göner 2005; Törne 2012). This distinct religion in Dersim did not feature any architecture, because natural sites served as places of worship and pilgrimage (Çem 2000; Deniz 2012).8 Only a relatively small amount of historical Islamic architecture —, hamams and mausoleums— was to be found in the more accessible districts in the plains of Çemişgezek and Pertek. In the remote and mountainous areas of Dersim however, there were no Islamic buildings before Republican times. On the contrary, as the ethnographic reports provided by Armenian Apostolic clergymen in 1878 show, there was a considerable amount of Armenian Apostolic and Syriac Orthodox architecture in Dersim by the end of the 19th century, although often already in poor condition of preservation (Yarman 2010). Since the Armenian Genocide, as is evident from oral tradition, the numerous tangible cultural remains, namely churches, monasteries and cemeteries, have been systematically destroyed and confiscated by state agencies including the Turkish Army, the General Governor’s office and the state museums of Elazığ and Ankara. According to Özyürek, this Kemalist modernist policy of dissociation from the Ottoman past can be conceptualized as sites of forgetting “being marked with a residual sense of rupture that should be constantly remembered to prove that the break actually took place” (Özyürek 2007: 6). Epitomizing destruction, decay, or at least abandonment, tangible Armenian heritage, along with the massacre sites as places containing victims’ last remains, are manifest traces of the violent crimes committed in Turkey, and are persistently perceived as an obstacle to stumble on. In the last decade, this perpetually confirmed and consolidated discontinuity from the Ottoman past has been transformed into a reappraisal of Ottoman plurality and tolerance in the AKP's opening politics (Ayata 2012). 3 This paper will thus centre on the question of the limits and perspectives of contested heritage production in Tunceli to challenge the dominant denialist discourse. As a part of this investigation, it will address the following questions: • Which discourses can alternative heritage actors meaningfully adhere to? • How do these actors imagine their audience and in how far do they integrate this audience into the heritage production process?

4 This study argues that the post-genocidal society of Turkey produces a systematic discourse of disregard towards non-Muslim non-Turkish heritage, especially Armenian and Syriac Orthodox heritage. It further posits that the recently emerging contested heritage production in post-genocidal Tunceli takes a unique stance in the renegotiation of Turkey’s violent past by striving for representation of the massacres in

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Tunceli from 1936 to 1938 and its recognition as genocide.9 While drawing on the heritage of violent past, and especially on Armenian heritage, non-Armenian heritage actors in Tunceli obscure the memories of the Armenian survivors and their descendants in order to strengthen their own claims for genocide recognition of the massacres from 1936 to 1938. Thereby these heritage actors fail to challenge the hegemonic discourse of denial. By linking up to a shared victimhood discourse and to a nostalgic discourse of a harmonious and peaceful coexistence of all religious groups in Ottoman times (Mills 2010) they perpetuate denial through recognition (Dabag 2002).10 This investigation will take account of written and oral material, the latter being considered as representing “(...) the narratives of counter-memory” (Allison 2013: 10). The oral material consists of free narrative interviews recorded in the Ovacık, Pertek, Mazgirt, and Hozat districts of Tunceli, in Istanbul, Turkey and in Frankfurt, , from 2010 to 2013. Interviews were conducted with two groups; descendants of survivors of the Armenian Genocide in 1915, and with survivors and their descendants of the massacres in Tunceli from 1936 to 1938. This oral material will be contrasted with relevant written source material, comprising of newspaper articles, publications from state-related institutions such as the Tourism and Culture Directorate and the General Directorate of Foundations, as well as scientific literature, especially historical and archaeological studies. The source material will be analysed using a genealogical approach in order to reconstruct the transformations of the discourse on heritage produced in regard to Tunceli. The analysis will reconstruct this process as historically contingent to its respective contexts over time. Consequently, the time frame of the study applies a longue durée perspective covering a century.

5 This study first sheds a genealogical look at the transformation of heritage production in regard to Tunceli’s non-Muslim past. It will then analyse the resonances and contradictions between counter-memories and local heritage actions as well as commemorative actions at sites of massacres. Finally it moves on to scrutinize empowerment strategies employed in recent memorialization attempts of the civil society in Tunceli.

I. Genealogy of heritage discourse in post-genocidal Tunceli

6 This study will first adopt a genealogical approach in order to provide a wider setting for understanding current challenges of heritage discourse in relation to cognition and memory in Tunceli. The discourse on heritage in Tunceli has been sustained throughout Early Republican times until today. The emergence of the discoursive production of heritage can be traced back to the Turkish nation-state’s violent assertion of power in Tunceli province in 1938. The legitimisation of these state-led violent crimes in Tunceli was disseminated through mass media and more specifically through the Elazığ Peoples House’ publication series. After a cursory glance at the nationalist education project for Tunceli, this section will move on to critically address the interrelation between archaeological scientific discourse and heritage discourse. The first heritage preservation action in Turkey was realized in Tunceli in the course of the Keban dam rescue project in 1967. Representing the next critical moment for the discoursive production of heritage, this heritage action in Tunceli set the standards for dealing with non-Muslim heritage throughout Turkey.

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7 Released directly after the state’s violent military campaign in Tunceli between 1936 and 1938, the “Geography of Tunceli - Dersim” [Tunceli – Dersim Coğrafyası] counts among a few publications released by state institutions and national civil servants addressing the issue of how Tunceli should be perceived in future. Accordingly, newspapers abounded with apologetic articles praising the accomplishment of the civilizing mission in Tunceli (Baran 2014). The author of the publication, Ömer Kemal Ağar, was a library and publishing committee member of the Elazığ People’s House and a history and geography teacher at a secondary school in Elazığ, located south of Tunceli province (Ağar 1940: 3).11 As many other republican educational workers did, Kemal Ömer Ağar depicted himself as a missionary serving the Turkish nation-state by providing enlightenment and moral-ethical guidance to uneducated locals (Taşkin et al. 2010: 91).12 Tarihe karışan Dersimin yerine modern Türkiye’nin Tuncelisi kaim olmuştur. Dersim that used to disturb history has been replaced by modern Turkey’s Tunceli. (Ağar 1940: 64) 8 With this authoritarian statement, Ömer Kemal Ağar casts the decisive break with the Ottoman past, marked by the renaming of the province from Dersim to Tunceli, into positive light (Jongerden 2009: § 32 n. 12). As he states he aimed at providing basic knowledge on the allegedly unknown region that would henceforth be opened up for the Turkish national system of meanings. This approach reveals an attitude of ignorance towards prior knowledge and cultural significations and thereby implies the radical disqualification of regional heritage. In the introduction he underlines the necessity “(…) to pull out the roots, to let Tunceli understand its national Turkish identity (…)” (Ağar 1940: 4) while he stresses the population’s descent from Central Asian Turks (Ağar 1940: 24). Joining the Young Turk nationalist discourse on Anatolia and especially on Alevis, he describes the local population as true Turks adhering to a pure and uncorrupted form of , not without simultaneously cementing their difference.13 This irresolvable contradiction becomes more obvious when Ağar outlines the region’s historical architecture, for which he uses the term “old works” [eski eserler]. As proof of the ’s presence all over Tunceli (Ağar 1940: 40) he lists as “old works” a fortress, an Ottoman bath and two mosques in Pertek. Similarly, he considers a prehistoric mountain rock castle to be proof of a Turkish ancient culture. The only mention of non-Muslim architecture is obscured, as he distorts the information on their cultural and historical signification as follows: Hozatın Kızılkilise denilen köyünde eski Türk mimarîsi tarzında yapılmış bir mabet harabesi göze çarpmaktadır. Kirmil nahiyesinde Vank köyünde bir mabet daha vardır. Zemine 20 basmakla inilmektedir. In Hozat in a village called Kızılkilise a temple in ruins made in an old Turkish architectural style catches the eye. In the local community Kirmil in the village Vank there is another temple. 20 steps descend to the ground. (Ağar 1940: 42)14 9 To describe the architecture, Ağar neither uses the term church, nor admits its Armenian belonging. Instead Ağar designates both churches as temples, in order to suggest they were places of worship that he can assume as an old Turkish architectural style. Thereby, he systematically either conceals or appropriates Armenian cultural remains. Despite the short period since its destruction, the main Armenian Apostolic monastery in Dersim, Surp Garabed, located in Vank village that was hit in 1937 by the air strike flown by Atatürk’s adopted daughter Sabiha Gökçen, is thereby blurred (Altı nay 2004; Ülgen 2010).15 In contrast to this, Ağar regrets the desolate state of the

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buildings he acknowledges as Turkish old works (Ağar 1940: 41). As the semantic and significant context of Armenian life and culture in Anatolia is dissolved the readers encounter a corrected silhouette of the cultural geography of Tunceli. Ağar excludes the local population of Tunceli by the way he constructs the addressees of his book as being Turkish citizens with no knowledge of this region. Thus the guide book reiterated the Young Turk nationalist discourse on Tunceli and contented itself with providing a scarcity of information on historical buildings in Tunceli under the condition that they could be accommodated into a Turkish Muslim national identity.

10 Ömer Kemal Ağar could draw his interpretations on Young Turk nationalist knowledge production that reached its peak in the 1930s when Kemalist nation builders discovered archaeology as a means to provide scientific evidence for the imagined Turkish Anatolian Homeland (Bilsel 2007; Bozdoğan and Necipoğlu 2007). 11 The repercussions of this Early Republican archaeological knowledge production became decisive in 1967, when an international archaeology research project was carried out in the Keban area (Whallon 1979: 1). Before the area was flooded by the Keban dam in 1975, an initial survey was conducted, followed by a series of archaeological rescue excavations under the direction of the Middle East Technical University in Ankara [Orta Doğu Teknik Üniversitesi ODTÜ, hereafter METU] (METU 1970-1982). In 1969 as a part of these archaeological salvage works, a rescue restoration project was implemented in the town of Pertek. This project was realized as a cooperation between the religious Directorate General of Foundations [Vakıflar Genel Müdürlüğü, hereafter VGM] and the General Directorate of State Hydraulic Works [Devlet Su İşleri Genel Müdürlüğü, hereafter DSİ], both being state institutions under the direct responsibility of the Prime Ministry of the Republic of Turkey (Dissard 2011: 19-20). By then, this rescue restoration project constituted an unprecedented heritage production project in Turkey. In the project’s initial phase, the heritage actors considered moving two Ottoman mosques called Baysungur Camii and Çelebi Camii located in Old Pertek, and a Syriac Orthodox church located in Korluca16 to the new site of Pertek17 in order to save them from inundation (Danık 2004: 180; Tükel and Bakirer 1968: 188). In the preliminary report, the church is described as one of three located in Korluca. Moreover, the report underlines the site’s special archaeological interest, comprising a cemetery in the church’s direct vicinity that had known an extensive period of use and a castle on a prehistoric mound. The report states that “It is hoped that in the coming years, it (castle and prehistoric mound, A.T.) will be taken into consideration for a detailed study by the groups participating in the Keban Project” (Tükel and Bakirer 1968: 190). However, no such archaeological salvage excavation or any other closer study was conducted by Turkish governmental or non-governmental agencies. At the last moment before the flooding in 1972, it was the French Armenian art historian Thierry who reconstructed the general outline of the churches’ art- historical importance and documented their, by then, poor state of preservation (Thierry and Boudoyan 1972; Sinclair 1989). According to his study, one of the churches was an Armenian triconch18 church, situated at the eastern margins of the village and used in the 1970s as drying-frames, which still preserved fragments of mural paintings on the walls and on the cupola. Another church, which disposed of two apses, was used as a residential house in the 1970s, and a third was isolated at the western margin of the village, being part of a former monastery complex. Another church was situated in the area surrounding the two mosques that were later to be removed.

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12 All three buildings taken into consideration for removal were among the listed monuments in Doomed by the Dam, a publication that raised considerable public interest, edited by the restoration department at METU, presenting the results of a survey realized as a student workshop between 18-29 October 1966 (METU 1967). The explanatory notes in this survey documentation are concise to the extreme. The data acquired during the survey is assembled in the form of tab cards presenting photographs, schematic drawing maps indicating roughly the monument’s location in its immediate surroundings, and short technical information on each of the examined architectural structures. This inventory mirrors the publishers’ lack of interest in a detailed historical and social contextualization of the archaeological findings. According to Dissard’s critical study, the Keban rescue excavations as well as international archaeological research are characterised by a colonialist, historically decontextualising approach that conforms to the Turkish state’s nationalist aims (Shoup 2008; Dissard 2011). However, the entry for the Syriac Orthodox church gives an impression of the importance of the building. It includes several black and white photographs of exterior and interior views, one detailed photograph of one of the fragmented mural decorations preserved at the apse, and one photograph depicting the whole of the fragments of mural paintings in their context (METU 1967: 38-41). The inventory notes briefly indicate that the church was in good condition, not in use, and that the name of its then current owner was Ekrem Yolga, whereas the name of its original owner was unknown (METU 1967: 38). The latter indication of a lack of knowledge indicates a fundamental discursive procedure of exclusion in regard to issues that cannot be addressed in the discourse. This overt indication of the lack of information emphasizes the absolute inaccessibility of relevant information sources and constitutes a main thread running through the whole documentation. This strategy of omitted information in regard to non-Muslim heritage thereupon became discourse moulding.19 Whenever the issue of origins or ownership of non-Sunni Muslim and non- Turkish historical monuments is addressed, relevant information is not indicated and stated to be unavailable. By means of this alienation, historical remains of the victims of violent homogenization policies in Anatolia, especially of , are excluded from the Turkish state-based conceptualization of national heritage. 13 The restoration project was agreed upon in 1968 and signed by the VGM, DSİ, METU and the Supreme Committee of Ancient Buildings and Monuments and it was financed by the DSİ (Dissard 2011: 13). It was successful in raising funds through a call for donations in support of the two mosques, whereas the initiators refrained from the idea of rescuing the church. According to their own statement, they made this decision due to the lack of financial support from organizational or individual sources. In this particular case the building could not function as a church because there was no congregation, but it was proposed as a religious visiting without another function given to the building. The detailed study on this building remained unused since no national or foreign institution offered to transport it to another site. (Tükel 1981: 732).20 14 Meanwhile, the Armenian Apostolic and Syriac Orthodox communities could not mobilize the necessary joint action and organize the financial means necessary to rescue the church. Given the fundamental threats and legal constraints these communities faced in post-genocidal Turkey (Suciyan 2013), all the more for those members not residing in Istanbul but in the Anatolian provinces, the difficulties to respond to such a call are not surprising. The absence of powerful support was rather a

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result of the expropriation, financial ruination, and social isolation of the Armenian Genocide survivors. It therefore seems unlikely that these survivors and their descendants would not have appreciated the safeguarding of the churches and the monastery. One of the major problems of the local Armenian Genocide survivors based in Elazığ or in the villages of Tunceli was the lack of possibility to worship, and lack of religious communal life. Thus it can be assumed that the Armenian community would have preferred to engage in rescuing this place of communion and commemoration.

15 In practice, the two Ottoman mosques, abandoned and out of service at the time, were retrieved from the dam area. Meticulously rebuilt stone by stone, the two mosques were taken into service in the new town of Pertek where they continue to be places of worship today. Located along the main street the two mosques define the town’s appearance – indeed, the town does not feature any other historical buildings. The selective rescue of cultural heritage has created an adjusted cultural landscape in the modern town of Pertek, its architectural remains no longer reminding of its heterogeneous pasts. At the same time the project resulted in an overemphasis on Sunni-Muslim-Turkish heritage in Pertek that has, since the lifting of emergency rule declared in 2002, gone through resuscitation following the growing number of Sunnis settling in Pertek. Indeed, Pertek is the only town of Tunceli that has seen economic growth during the most recent years due to its proximity to Elazığ. 16 The VGM’s historical self-portrait implies the concept of a shared responsibility and the obligation to bestow the cultural heritage to future generations, and attests it a bonding and unifying function both between Anatolia and Europe and between succeeding generations (Vakıflar Genel Müdürlüğü 2011). However, in 1976, when a displacement of historical buildings was realized for the first time in Turkey under the supervision of the governmental agencies VGM and DSİ, both the supporters and the addressees of this heritage production project were considered to be Sunni Muslim Turks. If there was no intention of destruction, at least this was a sign of negligence towards cultural goods considered to be less favourable than Islamic architecture for nourishing the imagined national identity. 17 While displaying only few variations, this discourse of disregard continues to be dominant up to date and is fed with further official literature, as was recently confirmed in a series of tourism publications launched by the Tourism and Culture Ministry of Tunceli and the Tunceli province General Governor (Ulaşoğlu 2011; Işık 2012). After having traced back the exclusionary procedures at work during the first and discourse-moulding rescue project of cultural heritage in modern Turkey, the study will now focus on the repercussions of this early Republican heritage action that disregarded non-Muslim religious heritage on cognition and memory among local population groups of nowadays Tunceli.

II. Armenian heritage sites as places of counter- memories

18 In the construction of collective identity and for the attribution of meaning to places, collective memory and intergenerational transmission of memories are of crucial importance (Halbwachs 1995; Assmann 1999). As in all Eastern Anatolian provinces, in Tunceli, the social frameworks that enable the constitution of collective memories and

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allow for intergenerational transmissions are broken as a consequence of the history of collective violence. This section will focus on the example of the Armenian monastery Tilavank in Korluca submerged under the Keban dam in order to demonstrate that the local non-Armenian population, while remembering the Armenian cultural life in Til, meticulously conceal their entanglement in the violent extermination of the Armenian local population and in the ongoing destruction of Armenian sacred architecture. Indeed, when reminiscing, descendants of Armenian survivors still refer to this site in two ways: they remember Korluca as a site of lost Armenian heritage and as a site of massacres. Their narrations can thus be understood as counter-memories to the dominant discourse of disregard towards Armenian heritage. In the scope of this study, interviews were conducted with local villagers from Korluca. Hıdır, born in Til, was resettled at the time of the dam flooding to a new settlement near Pınarlar village.21 Hıdır remembered three churches in his native village Til, frequented every year by Armenian pilgrim groups coming mainly from the surrounding villages, from Elazığ, and from Istanbul in order to visit Tilavank on the occasion of a festival in springtime. Til’de üç kilise vardı, baraj suyun altında kaldı. Kiliselerin birine Ermeniler ziyaretine geldi. Istanbul’dan Til’a geldiler 1970 yıllarına kadar. There were three churches in Til that were left under the flood dam. To one of the churches Armenians came to worship. They even used to come from Istanbul to Til until the 1970s. 19 In memory accounts by locals in Tunceli it is common to refer to a place with its former name. Hıdır, while recalling the areas of the village submerged under the dam, associates the former name Til with the place. In his dense narration Hıdır refers to three layers of alienation achieved by annihilation, expulsion and expropriation of the local Armenian population, renaming the place, and finally rendering the place irrevocably inaccessible. Hıdır remembers that the monastery Tilavank in Korluca was still in use until it was finally submerged by the floods of the Keban dam in 1976. An active communal life was manifest through regular pilgrimages to the monastery at Korluca. Tilavank, meaning hill monastery in Armenian, is also mentioned as an important centre of pilgrimage related to the bishop’s residence in nearby Habap, todays Ekinözü, located approximately 50 km east of Korluca (Thierry and Boudoyan 1972: 187). While this important pilgrimage centre and Armenian monastery could not be saved in 1976, 34 years later, in 2011, an Armenian Fountain Project was carried out in Habap village that gained considerable public attention. This project was acknowledged by Turkish anthropologist Altınay for effecting a tangible impact on the struggle for the recognition of Armenian history and physical belongings, because, as she states, “(…) it creates a space to acknowledge and give voice to silenced histories (…)” and “(…) through the physical reconstruction of the fountains, the project is confronting and reversing processes of destruction” (Altınay 2014: xx). However, the limits of these reversing processes of destruction are obvious. While it might be possible to restore , the social framework and function of the building are irretrievably erased. The recognition of the limited character of the restoring of historical Armenian architecture is sustained by its ongoing deliberate destruction by treasure hunters. Experiences and narrations of treasure hunting are common and accepted among large parts of the population of Tunceli. While these treasure hunters have gone largely unprosecuted by state and police departments, the lack of security in regard to non-Muslim architecture provides proof of the incapability to tie in with current discourse.22

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View of a ruined church with two apses in Korluca village, Pertek district, Tunceli and view of the Keban dam in the background.

This church is the only one out of three that was not submerged by the Keban dam, but it was reduced to its foundations due to pillaging by local villagers. Devrim Tekinoğlu, 10/07/2013

20 Given the difficulties in receiving official approval to hold Armenian Apostolic services in Akhtamar church, another Armenian monastery restored recently in , it appears improbable that the reconstruction of an Armenian monastery in Tunceli would have received approval by Turkish state institution (Over 2012; Ayata 2012). The disastrous consequences of the Armenian Genocide and the denialist discourse at work have resulted in the deprivation of literally every vital condition for the life of Armenian and Syriac Orthodox religious communities in Tunceli, as well as in other rural areas throughout Anatolia. Such a ritual as the festival in springtime in a historical building is clearly of utmost importance for the continuation of cultural transmission (Suciyan 2013).

21 At the same time Korluca functions as a reference point in recollections of survivors, because it became a site where collective violence was committed twice in the recent past. In this respect, A.B., an Armenian interviewee originating from Hozat district, and born into a priest family,23 recalled the following from intergenerational transmission from his parents, who were both Armenian Genocide survivors from Dersim: Babam ve annem 1915 kırımını böyle yaşamışlar. Binlerce Ermeni’yi ‘sizi sürgün edeceğiz’ diyerek götürüp Pertek’te Til tarafından Murat suyuna atıyorlarmış. Annemin söylediği bir ağıt vardı: Bizi kırdılar harmanlar vaktı Denizler kenarında morkanlar aktı Bize dediler Urfadır Meğer planmış değil Pertek Suyuymuş. My father and mother experienced the massacres of 1915 in that way. Telling thousands of Armenians ‘we will deport you’ they took them to Pertek, where they threw them from the surrounding of Til into the Murat River.

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My mother used to sing a lament: They killed us in the times of threshing At the shores of the seas, the bloods ran dark violet They told us it is Urfa But really it was pretence It was not Urfa, but the water of Pertek. 22 When recalling his mother’s lament, the interviewee underlined that his brothers and sisters and he himself grew up with these laments giving voice to the memories of the massacre committed in 1915 against the Armenians from Dersim in the vicinity of Pertek town. The massacre was carried out in June in Til village, where crossing the Murat river, a tributary of the Euphrates River, was made possible by a ford.24 The Euphrates River occupies a prominent place in many other accounts of Armenian survivors, who had to cross this river on their deportations to the Syrian Desert. They recall their memories of the victims’ dead bodies whose blood ran red in the waters of the Euphrates.25

23 In 1938 in the same area another massacre was committed against local Armenians. An Armenian interviewee originating from the centre of Dersim recalled the events of 1938 and how his relatives, Armenian Genocide survivors hiding in the town of Pertek, were killed in a massacre on thirty Armenians during the military operation officially named Tunceli. Pertek’te Til köy var, Til. O köye her zaman ziyarete ederlerdi, her kes, giderdiler. O şimdi suyun içinde kaldı. Bu baraj yapıldı, Til köyün o kilise şimdi suyun içindedir. (…) Pertek’te halam giller vardı. Onlara Halebe götürmediler. O zamanlar, Perteğ’in içinde gil vardı, ailece. Ondan sonra bir demirci vardı, ailesi bir de çoluk çocuğunu. Bir de onun akrabası vardı. Aşağı yukarı otuz kişiden fazla vardı bile. 38’te Ağustos aylarında bunları götürdüler Perteğ’in içinde bu suyun kenarında kurşundular. Biz de o zamanlar Elazığdaydık. Kurşundular, 30 kişiden fazla vardı. In Pertek there is the village of Til. They used to go on pilgrimages to this village, everybody went. Now it is submerged under water. This dam was built and the church in the village of Til is now under water. (…) There was my aunt with her family. They had not led them off to Halep. At those times we had relatives in Pertek, as a family. And there was a blacksmith with his family and children. And there was his relative. There were more than thirty people. In ’38 in the month of August they led them off to the water of Pertek and shot them on its shore. At that time we were in Elazığ. They shot them; there were more than thirty people.26 24 In his account he clearly associates Til as a pilgrimage place with Til as a site of massacre, not without mentioning that the place was submerged under the water of the Keban dam. Thereby he refers to a trifold loss epitomized at this site: on a personal level his family relatives are lost, on a spiritual level the place of worship is lost, and on a social-collective level the places of communion and remembrance are lost.

25 Taking these narrations by descendants of Armenian survivors into account, the importance of the village of Korluca, the church and its immediate surrounding on the shores of the water of Pertek as sites of massacres becomes obvious. The “shores of the seas” or also rivers where “the blood ran dark violet” is a metonymy that constitutes a common element of the narrativization of the two events of mass violence in the memory narrations of survivors. In the regional oral culture laments serve as predestined mnemonics to transmit the memories of these events (Yıldırım 2013). The survivors of the Armenian Genocide recall their memories of the victims’ dead bodies whose blood ran red in the waters of the Euphrates River. In the lament of Seter in the times of massacres in 1938 the Munzur River runs blood red (Yıldırım 2013: 67). As Yıldırım pointed out, the landscape is considered in the regional belief system to be

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holy and a particular spiritual significance is attributed to the Munzur River and mountains. Therefore the massacres committed on sites charged with religious significance implied a violation of religious values, a crime that is associated with these massacre sites in the survivors’ memory accounts that this, in turn, is mirrored in collective memory. 26 At the same time this place was of crucial importance for the constitution of collective memory and for the victims’ commemoration. The flooding of the Keban basin has submerged the mass graves containing the remains of the Armenian victims of the Genocide in 1915 and the victims of the massacre of Armenians in 1938, as well as the churches at Korluca and those at other significant sites in the basin. The Keban dam flood had a significant annihilating effect, not only on the physical evidence of the violent crimes, but also by destroying a potential spatial framework of recollections on site for the survivors and their descendants. Even though the survivors and their descendants may not have the possibility to ever visit the site, the very knowledge that it was flooded leaves their reminiscences bereft of their setting. In a narration, the reference to the setting functions as a means of authentification. After all, a place like Korluca, if it was not prevented from being accessible, would have provided a place for the Armenians to pay visits to the places of the human remains of their killed relatives, whose graves are not marked by any tombstone.27 27 This section aimed at voicing the memory narrations of descendants of Armenian survivors originating from Tunceli. It further conceptualized them as counter- memories to the dominant discourse of disregard. As was stressed earlier, difficult living conditions led a majority of Tunceli Armenians to flee to Turkish metropolises or emmigrate. As a consequence, their counter-memories can contribute to the constitution of collective memory in Tunceli only in exceptional cases and to a very limited extent. Against this background, the next section will examine whether and how the experience of the Armenian Genocide in Dersim has been drawn on in recent public actions of commemoration and memorialisation of collective crimes in the region.

III. The Armenian Genocide as an empowerment strategy in commemorative actions and memorialisation at sites of massacres

28 Taking into account the fact that there are numerous sites of massacres in Tunceli of which some became mass graves on two occasions, both in 1915 and in 1938, this last section will analyse how the Armenian Genocide is used as an empowerment strategy by different heritage actors in Tunceli. In the following this study argues that Armenian heritage actors refer to the collective religious identity of Kızılbaş-Alevis and Armenians in Dersim when mentioning the Armenian Genocide. This enables them to strengthen their otherwise unprotected voice in the hegemonic discourse of denial. Indeed, non-Armenian heritage actors draw on the Armenian Genocide and construct a shared victim identity of Kızılbaş-Alevis and Armenians in order to both lessen their ancestors’ responsibility in the Armenian Genocide and strengthen their claims for recognition of the massacres in 1938 as genocide.

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29 Yalçin Çakmak, a local correspondent from Tunceli, reported from Geçimli,28 a village in Hozat district where a group of a hundred people, among them local villagers, were holding a commemoration at the ruins of the Armenian Apostolic monastery Erkayn Enkuzik. “Hrant Dink was commemorated also on land abandoned by Armenians”, declared the headline of the Agos weekly on 19 January 2014, seven years after the assassination of its chief editor Hrant Dink and with the trial of his murderer still pending. On the occasion of this commemoration, the independent mayor of the Hozat district, Cevdet Konak, held a speech. The mayor had been elected in 2004 with the support of the Democratic Right’s Federation [Demokratik Haklar Federasyonu, hereafter DHF], a legal organisation related to the Maoist Communist Party [Maoist Komünist Partisi, hereafter MKP], that is officially banned as a terrorist organization by the Turkish state. In his speech Mayor Konak expressed his commitment: Bugün burada Hrant Dink’in 7. ölüm yıldönümü vesilesiyle, 1915’ten beridir katledilen Ermeni kardeşlerimiz aziz anıları huzurunda toplanmış bulunmaktayız. Biliyoruz ki bu toprakların en az biz Kürt-Aleviler kadar sahipleri olan Ermeni halkı, Hrant Dink’in katledilişiyle büyük bir üzüntüyü daha yaşamıştır. Today we have gathered here on the occasion of Hrant Dink’s seventh anniversary of death in reverend commemoration of our Armenian brothers and sisters, who have been murdered since 1915. Because we know that these lands’ owners are, at least as much as us Kurd- Alevis, the Armenians, who experienced another big grief through the murder of Hrant Dink. (Çakmak 19/01/2014) 30 In his statement Cevdet Konak draws a historical line from the Armenian Genocide to the present as an unconcluded process of ongoing murder of Armenians. At the same time Konak draws parental lines between the position taken by him, as speaking from amidst a collective identity of Alevis, and the Armenian victims by designating them as “our brothers and sisters”. Thereby, he links up to the discourse on Alevis from Dersim that constructs a close relation between Armenians and Alevis. Accordingly, Konak equals the ownership of the lands in Tunceli of Kurd-Alevis and Dersim Armenians. As Leyla Neyzi pointed out, the question of land ownership commonly constitutes a prompt for young Kurds in Turkey to speak about the past Armenian presence by drawing on transgenerational memory transmission (Neyzi 2013). Konak uses a passive construction in regard to the act of murder, either because he wants to avoid naming the actual perpetrators of the crime or because he aims to tie up to the discourse on shared victimhood of Alevis and Armenians in Anatolia. By evading this significant divide he joins the systematic silencing in regard to the responsibility of perpetrators, and thereby plays into the hands of the denialist discourse of the Armenian Genocide. In the case of this commemorative action, in order to strengthen the authoritative position of the speakers, the activists choose an Armenian church as the location.

31 The Armenian Apostolic monastery Erkayn Enkuzik counts among the most prominent Armenian architectural remains in present day Tunceli. Michel Thierry visited and documented the monastery in the early 1980s (Thierry 1986-1987). His study shows that the monastery, an important centre of manuscript production, was built in 975 and was restored after a period of destruction and decay in 1435.29 Until today, inside the nave of the monastery, two tombs belonging to the Armenian clergyman’s family from Ergen remain covered by concrete. For many years this family strove to preserve the church after its abandonment in 1938. During these years, they came from Istanbul, where they have been based since their deportation from Ergen in 1938.

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Ergen village, Hozat district, Tunceli province.

Ruined Armenian Apostolic monastery Erkayn Enkuzik from the 10th century, view of the north entrance. Devrim Tekinoğlu, 20/05/2012

32 In 2012 the Tunceli Provincial Directorate of Culture and Tourism [Tunceli Kültür ve Turizm Müdürlüğü] applied for the monument’s registration into the Erzurum Cultural Entities Protection Council [Erzurum Kültür Varlıklarını Koruma Kurulu]. So far, however, no measures have been taken on behalf of state authorities to save the ruins from further decay and pillaging.30 According to Pérouse, recent heritage production in Turkey reveals to be disintegrating into a production for internal use by an exclusively defined we-group and a production for external use by foreign tourists (Pérouse 2011). In this respect, to look into an alternative heritage production project initiated by local descendants of Armenian survivors is revealing. Currently the Dersim Armenians Belief and Social Aid Association DERSİYAD [Dersimli Ermeniler İnanç ve Sosyal Yardımlaşma Derneği]31 in cooperation with the Association of Reviving and Researching Architects and Enigneers HAYCAR [HAYRAT Canlandıran ve Araştıran Mimar ve Mühendisler Dayanışma Derneği]32 is developing a project in order to raise funds for the restoration of the church. In the preliminary restoration project the initiators express the importance of the church for the local population as follows: Tüm inançları bir potada eritmiş olan Dersimlilerin en çok ziyaret ettikleri ibadethaneler arasında, (…) Yergayn’daki Kırmızı Manastır da Dersim’in en önemli hac yerlerinden biriydi ve Kızılbaş beylerinin koruması altındaydı. Among the places of worship visited the most often by the Dersim people, constituting a melting pot of all beliefs, (...) the red monastery in Yergayn was one of the most important pilgrimage sites, and it was under protection of the Kızılbaş lords (DERSİYAD and HAYCAR 2014). 33 In their argumentation for the restoration of the church, these heritage actors, comprising descendants of Armenian survivors from Dersim, take a defensive speaker’s position. By linking up to the discourse on the close relation between Armenians and Alevis in Dersim they evoke the image of a converged religious identity of the collective

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of Dersim people. Accordingly, they remind of the Alevi pilgrimage practice to Armenian churches and monasteries in Dersim. Furthermore, they assume that the loyalty of Kızılbaş lords towards their Armenian neighbours who during the Turkish nation-building process became their subjects and in the best case their protegees, translated into the preservation and protection of Armenian sacred architecture by the Kızılbaş communities. They call on this historical loyalty to raise awareness among the local population in order to mobilize support from the Alevi community to save the Armenian heritage of Dersim and to prevent further pillaging. This heritage project is therefore striving to integrate both aspects into the production —external use by foreign Armenian Christian tourists and internal use as pilgrimage site by the Alevi- Kızılbaş local community. 34 Geçimli village is one of the numerous places in Tunceli where violent state crimes were perpetrated in 1915 and in 1938. Two major mass killing sites are situated in the village’s direct environs: one contains the corpses of Armenians massacred during the 1915 Genocide, and the other, adjacent, contains the corpses of both Armenians and non-Armenians massacred during the 1938 Turkish Army military strike in the region. The first place, a cliff upon the Tahar River, is called Kayışoğlu Yarması by the local population. In an interview, Zeynel Örnek, born into an Alevi holy lineage, in 2009 an administrative officer in the local municipality, drew on oral tradition to explain that the cliff is named after a local Armenian belt manufacturer, who was the first to be thrown to his death from that cliff in the Genocide.33

Kayışoğlu cliff near Ergen village, Hozat district, Tunceli Province.

Massacre site during the 1915 Armenian Genocide and the 1938 Turkish military campaign Tunceli. Annika Törne, 26/05/2012.

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35 The Armenian businessman A.B., now based in Istanbul, also originating from Ergen, was born into an Armenian clergy family in 1938. In his memory account A.B. reflected upon the crimes committed at the Kayışoğlu cliff. A.B. condensed the results of the massacres that were first perpetrated against his family members in 1915 and were then, in 1938, directed against Armenians as well as non-Armenian locals. Amongst the latter he explicitly mentions those who had been perpetrators in 1915: (1915’te, A.T.) Hozat’tan jandarma geliyor. Dedem ve amcasının oğlu’nu götürüp Kayışoğlu Yarması’ndan aşağı atıyorlar. Kayışoğlu Yarması’ndan çok Ermeniyi atıyorlar. Çocukları, hatta bebekleri sepetlerin içine koyup buradan atıyorlar. Dedemi yakalatan İbrahim Ağa’yı 1938’de Kayışoğlu Yarması’nda dedemlerin atıldığı aynı yerde askerler öldürdüler. Dedemi ve amcasının oğlunu aşağı atan yine Dersimli olan jandarma Balo’yu aynı yerde bir hayvan nasıl kesilirse öyle kestiler, öldürdüler. (In 1915, A.T.) gendarmes came from Hozat. They led my grandfather and his uncle’s son off to the Kayışoğlu cliff and threw them down. They threw many Armenians from the Kayışoğlu cliff. Children, even infants, they put them in baskets and threw them from there. İbrahim ağa34 had trapped and caught my grandfather. He was killed by soldiers at the same place, from where my grandfather had been thrown down. They killed the gendarme Balo, again from Dersim, who had thrown my grandfather and his uncle’s son down there, they killed him at the same place the way they would have slain an animal. 36 In his narrative, A.B. relates and puts the murders of his ancestors and of the two collaborators in contrast. The local Alevi tribe leader İbrahim and the police officer Balo collaborated with the Young Turk government and murdered their Armenian neighbours. Then, over the course of time, they fell victim to the Turkish military operation in 1938 and were murdered at the exact site where they murdered Armenians in 1915. Although conforming to the discourse on the shared victimhood of Armenians and Alevis in Tunceli, A.B. takes a unique position. By means of clearly differentiating between the victims, on the one hand the Armenians’ innocence and on the other hand their perpetrators’ responsibility, A.B. expresses his sense of justice. As a Christian believer, A.B.’s view may derive from the concept of Divine justice accomplished in the death of the murderers. Thereby this memory narration counters the modern ’s understanding of justice and citizen rights by relating to transcendental justice.

37 Standing in sharp contrast to this personal sense of justice, over the last five years, a growing civil society movement of Dersim communities evolved, striving for official recognition by the Turkish state’s legal system of the violent crimes in 1938. To this end, these activist groups launched commemorative events which have been held each year on 4 May at different massacres sites in the region. On 4 May 2014, several activist groups gathered in the town of Hozat in order to walk to the Kayışoğlu cliff and to commemorate the victims of the massacres committed there. This commemoration was organized under the direction of two international non-governmental organizations. One of them, the Dersim Clubs Association [Dersim Dernekleri Federasyonu, DEDEF] is related to the DHF and MKP, and the other one, the European Democratic Federation of Dersim Associations [Avrupa Demokratik Dersim Birlikleri Federasyonu, ADEF], is also categorized as an organization related to the MKP in Europe. Both political umbrella organizations are engaged in the creation of collective identity among Tunceli communities by means of constructing a collective memory through cultural events. In a joint declaration, together with three local cultural associations, the Dersim Culture Association [Dersim Kültür Derneği], the Hozat Culture Art and Support Association

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[Hozat Kültür Sanat ve Dayanışma Derneği] and the Ovacık Culture Association [Ovacık Kültür Derneği], they commemorated, for the first time, the Armenians from Dersim massacred at the Kayışoğlu cliff in the Armenian Genocide in 1915. 1937-38 Dersim soykırımı için 4 Mayıs 1937 tarihinde ferman çıkaran devlet on binlerce Dersimliyi katlederken bu toprakların kadim halklarından Ermenilere karşı gerçekleştirdiği soykırımda kullandığı yöntemleri kullanıyordu. 1915 yılında, yaşlı, çocuk, kadın, erkek demeden Ermeni halkına mensup kardeşlerimizi kıyısında durduğumuz bu Kayışoğlu Yarması’ndan atarak katleden devlet, tarihler 1937-38’i gösterdiğinde bu sefer Dersimlileri aynı yerde katlediyordu. Ondandır ki burası Ermeni halkıyla acılarımızın kardeşleştiği yerdir. Onlarca kardeşimiz koyun koyuna yatıyor burada. On 4 May 1937 the government released an order for the 1937-38 Dersim Genocide when they killed tens of thousands of people of Dersim using the methods they had used in the Genocide against the Armenians, one of the ancient peoples of these lands. The government that, in the year 1915, drawing no distinction between the old, children, women, or men, threw and killed our Armenian brothers and sisters (…) from this very Kayışoğlu cliff we are standing over. When the time of 1937 to 1938 had come, this time they killed the people from Dersim at the same place. For this reason this is the place where the Armenian people’s grief fraternizes with ours. Tens of our brothers and sisters rest here closely entwined. (Halkın Günlüğü 05/05/2014) 38 In this context, the commemoration of the massacre committed at the site in 1938, by underlining its parallels to the Armenian Genocide, serves the actors as a strategy of empowerment to demand recognition of this state-based violent crime as genocide. Therefore, the actors refer to the past victimization of the people of Dersim [Dersimliler], that is projected as a collective identity encompassing the whole variety of different identifications in Dersim, including the Armenians. To this end they evoke the image of the murdered victims’ corpses laying in union next to each other in mass graves. Thus they suggest similarity of the victims in both events in terms of their shared defencelessness and innocence. The demand for recognition of the crimes of 1938, while it acknowledges the Armenian Genocide, entails a mechanism of exclusion. The responsibility of parts of the non-Armenian Dersim population as supporters of the Young Turks annihilation policies in the Armenian Genocide is unspoken and remains rejected. By de-historicizing the two different events of mass violence, a common victim identity is created, embracing Alevi and Armenian identities. Parallels in the argumentative patterns can be drawn to other commemorative events in the region, as well as in Kurdish provinces in Anatolia. The Sur Municipality in Diyarbakır for instance inaugurated a Memorial of Common Conscience on 12 September 2013, declaring on the memorial stone in six languages “We shared the pains so that they are not suffered again”, to suggest the possibility of sharing the grief of the Armenian Genocide survivors’ descendants. The local mayor, Abdullah Demirbaş, apologized in the name of their Kurdish ancestors for the massacres and deportations of the Armenian and Assyrian people in 1915, but at the same time did not miss to call upon the Turkish government to apologize as well.

39 In 2012 a first effort was undertaken to create a site of commemoration for the victims of the crimes of 1936-1938 in Tunceli. A civil society initiative, in cooperation with the Tunceli Foundation for Education and Culture [Tunceli Eğitim ve Kültür Vakfı] and the municipality of Mazgirt district, developed a “Dersim ’38 memorial” project.35 Similarly to the municipality of Hozat, the Mazgirt municipality, headed by Mayor Türkel, was elected by the support of the DHF related to the MKP. According to the initiators, the memorial project aims at creating a commemoration site for those massacred in the

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violent state-sponsored crimes committed against the people of Tunceli between 1937 and 1938. They envisaged the construction of this memorial in the vicinity of the town of Mazgirt to be installed in situ upon the killing fields of one of the massacres perpetrated by the Turkish Army against local civilians in 1938. 40 Besides the Monument of Common Conscience addressing “all the massacres that took place since 1915” at the time when the Dersim ’38 memorial project actors commissioned a draft, there was only one memorial project underway in Turkey that could have functioned as a reference for the conceptual and visual realisation of the topic. The Roboski memorial located in the Rojava Park in Diyarbakır was opened on 30 December 2013 for the commemoration of 34 civilian victims killed in a massacre committed by the in Uludere, Şırnak district on 28 December 2011 (EKN 30/12/2013). The elements of the memorial’s visual design, featuring a central monumental sculpture of a kneeling mother raising her arms in grief for her massacred family members, representing the victim’s grief, could have offered an aesthetic reference for the draft of the Dersim ’38 memorial. During this process the initiators showed interest in including the local population by taking oral tradition into consideration. Through a news series published throughout 2012 in Turkish newspapers and via the project’s website and on social media, the transnational community was invited to follow the project’s development from its initial draft and throughout the implementation process.36 As the initiators stated, local residents had initially drawn their attention to this site with their narrations of the massacre they witnessed in 1938. In this regard, the interview with C.D., an Alevi local from Mazgirt and descendant of Armenian survivors of the Genocide, was telling. C.D. recalled in his autobiographical narration the site of the massacre in Mazgirt in 1938: O Mazgirt’in çevresi saaaaade cesetti. Millet cesetti. Geçemiyordu o kadar ki millet kırdılar orda. Çooook, püüüü, çok. Hatırlıyorum, iyi hatırlıyorum. Geçemiyordu cesetten, kokudan geçemiyordu. Yaz zamanıydı. The surrounding of Mazgirt was basically nothing but corpses. The people were corpses. One could not pass, so many people they had killed there, so many, püüüü, many. I remember, I remember it very well. One could not pass because of the corpses. Because of the smell one could not pass. It was in summer time.37 41 As C.D. explained, after his parents had survived as children in 1915 by hiding in Alevi families in Mazgirt, in 1938 his family survived because they had converted to Alevism to save their lives in 1915. His account displays the impossibility to speak of his parents’ experiences of the Genocide. Instead C.D. adhered to official discourse in linking up to the state’s legitimation of violence presented as necessary to install modern life in Tunceli, depicted as the most backward region of the Republic. This concealment of the Armenian survivor’s memories of the 1915 Genocide is extended and consolidated by the 1938 memorial’s conceptualization and design. Unlike the figural representation of the Roboski memorial, the initiators opted for an abstract memorial design. Architect Dârâ Kırmızıtoprak designed a draft in the form of a labyrinth consisting of a rectangular area with irregular cubic blocs of concrete arranged around a burning flame in the centre. According to the architect, the irregular blocs were meant to represent the victims’ corpses impossibly entwined in the massacre. The current chief editor of the Armenian newspaper Agos, Rober Koptaş, scrutinized the visual resemblances between the Dersim 38’ memorial and the Memorial to the Murdered Jews of Europe in Berlin.38 Disregarding the Armenian Genocide in Dersim, the visually evoked association with a Holocaust memorial strengthened the descendants of the

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victims’ claims for acknowledgement of the crimes committed in 1937 and 1938 as genocide and their expectation addressed to the Turkish government to accept responsibility.39

42 Another contradiction in the memorial’s conceptualization is revealed in the date chosen for its inauguration. The memorial should have been opened on the anniversary of local tribe leader Şey Rıza’s assassination on 17 November 2012.40 This date hints at the initiators’ intention to relate the commemoration to a heroic narrative depicting members of the victimized group as heroes of local resistance groups, who resisted the Turkish state’s hegemonic claims in order to fight for their independence. According to the Kurdish nationalist narrative, the events are appropriated as one of the Kurdish uprisings in the course of the Kurdish resistance struggle against the Turkish government. By classifying the events as a conflict between two opposed groups, the character of a genocide as a politic of homogenization directed against a victimized group defined as such by the perpetrators is ignored. 43 The memorial’s construction was already completed when its inauguration was finally impeded and prohibited by the office of the district’s General Governor in October 2012 (Demir 24/10/2012). According to the local mayor Tekin Türkil, the prohibition was declared on the grounds that certain steps in the obligatory procedure to obtain public authorization for construction works on public land were missing, and that the land where the memorial was under construction was registered as belonging to the treasury. He underlined that throughout the whole process of application, the municipality had carefully complied with the necessary requirements. However, according to the mayor, although no problems had occurred so far, just when the construction work was about to be completed, and when only one month was left prior to the envisaged opening of the memorial, the office of the district’s General Governor intervened. The memorial in its current completed state has so far not been inaugurated after the governmental intervention and impediment. It may be perceived as a mute reminder that proves the legitimacy of the state-induced violent crimes in Tunceli.

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Mazgirt district, Tunceli province.

Dersim ’38 memorial site, unaccomplished construction site. Place of massacre in the 1938 Turkish military campaign Tunceli. Koray Kesik, Winter 2013

44 The local mayor Türkil stated that the memorial project’s most important impact should be the consolidation of intergenerational transmission of the legacy of the victims epitomized in the memorial for future generations. İktidarlar, yönetimler, isimler değişir. Ancak benim torunumun torunu yüz yıl sonra yürüdüğü yerlerde 1938’de neler yaşandığını bilmeli. İşte anıt Dersim gerçeğini geleceğe taşımak için gerekli. Rulers, governments, names change. But my grandchildren’s grandchildren should know what happened in 1938 on the grounds where they will walk in a hundred years’ time. So the memorial is necessary to carry the truth into the future. (Vardar 12/10/2012) 45 This statement shows that the heritage actors projected the memorial’s audience as a memory community of the survivors of the 1938 massacres and their descendants, one for which the memorial would provide support in perpetuating a counter-narrative to the violent past. In the imagination of future generations as projected by the Turkish state-sponsored heritage production, the destruction layer represents an obligatory and solid basis upon which to build future modern life. On the contrary, succeeding generations as imagined by survivors of violent crimes are a community of heirs, for whom the destruction layer represents a reminder of their demands for recognition.

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Conclusion

46 Alternative heritage production in Turkey evolves in the discursive field span between Armenian Genocide denial and its legitimization, produced as two complementary elements.

47 In contrast, the specific historical and religious peculiarities of Dersim are, despite ongoing destruction, testified still today by Armenian Apostolic and Syriac Orthodox religious architecture and natural pilgrimage sites. Taking this regional distinctive heritage into consideration, it becomes obvious that the dominant exclusionary discourse on non-Muslim non-Turkish cultural heritage has particularly far-reaching and exhaustive consequences in Tunceli, former Dersim province in Turkey. 48 In order to scrutinize recent alternative heritage production, this study outlined the genealogy of the discursive formation of the Turkish state-led cultural heritage production in Tunceli. This reconstruction has shown that heritage production in post- genocidal Tunceli in archaeological and historical sites puts emphasis on an essentialist representation of Turkish Sunni-Muslim culture. In the discourse-defining Keban rescue project, heritage actors legitimated the exclusionary discourse by ostentatiously pointing at the inaccessibility of knowledge and the impossibility to mobilize resources in favour of restoring non-Muslim, non-Turkish cultural heritage in Tunceli. Turkish state authorities, by taking no measures against violations of non-Muslim cultural heritage, consolidate the legitimacy of acts of pillaging and destruction. As a consequence of the discourse of disregard, Armenian and Syriac heritage is not deemed worthy to be preserved, unless it promises future economic advantages through tourism. Thus, the Turkish post-genocidal society implicitly underlines the legitimacy of the annihilation of the Armenian victims in the Genocide. 49 The assumption that in recent years, as a consequence of the AKP government’s opening politics, the social framework of action for contested heritage production has changed, proves to be misleading. By means of two apologetic statements on the violent transformation process of Turkish nation state building issued by Turkish Prime Minister Erdoğan, the discourses on the events of 1915 and on the Dersim massacres have been transferred into the realm of civil society that continues the Armenian Genocide’s denial by recognising it. Recent heritage actions related to Armenian churches, by presenting them as mere tourist attractions exploitable for the market, decontextualize the heritage. The existence and vital problems of Armenian community life inside Turkey is glossed over by externalizing Armenian cultural life into the Diaspora. Consequently the imagined target audience consists in Armenians, as well as other foreign tourists, who only visit Turkey. Local heritage actors, also including descendants of Armenian survivors, broadly conform to the hegemonic discourse of denial by constructing the audience as alienated from Armenian Christian religious identity, and as undistinguishable from Alevi-Kızılbaş identity. 50 Furthermore, this study has shown that recent commemorative actions emerging among Tunceli communities engage in the representation of contested memories of the heritage of violent pasts in public space at the sites of massacres. By doing so occasionally, they voice the silenced memories of the Armenian Genocide as a strategy to strengthen their own claims for recognition of the Turkish state’s violent crimes from 1936 to 1938 as genocide. Meanwhile they adhere to the official discourse in the following crucial aspect: the argumentation pattern from the denialist discourse

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constructing the victim-perpetrator-equalization is met by drawing on the collective identity constructed as a victim group of Armenians and Alevis alike. Thus recent heritage actors continue to conceal their responsibilities in the Armenian Genocide in 1915 by instead drawing attention to the massacres in 1938. In conclusion, it can be stated that recent efforts of civil society actors in Tunceli, striving for memorialisation of the 1938 massacres, even if drawing on the genocide concept as a strategy of empowerment, continue to exclude the history of the Armenian Genocide and to reject responsibility. As a consequence, these 1938 commemorations and memorialisation projects ultimately fail to counter the dominant denialist discourse. 51 The potential of the discourse on heritage to include the diversity of Anatolian heritage remains dependant on whether the preservation of non-Muslim heritage is acknowledged as a restitution of a traditional religious site, one that can be made use of by religious groups accepted as an integral part of Turkey. In this way the widespread conception in Turkish post-genocidal society of the legitimacy of the Armenian Genocide could be challenged.

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NOTES

1. The denialist discourse of the Armenian Genocide has been well established and sustained since it was launched by the Turkish state in the 1970s (Bayraktar 2010; Dabag 2002), following a set logic of argumentation based on guilt-shifting, perpetrator-victim inversion and equalization, chronological distortions, and cause-and-effect reversal. Turkish denialist politics create an extensive lack of knowledge about the Genocide amongst the population of Turkey. The post- genocidal society of Turkey is understood as a society in the aftermath of genocide, shaped by a reiterated discourse of denial. See Suciyan for her conceptualization of a denialist habitus (Suciyan 2013). 2. In this study the two names that were historically given to the region, Dersim and Tunceli, are used in their respective historical context, i.e. when the times before 2 January 1936 are addressed the name Dersim is used, whereas in regard to the times afterwards, the name Tunceli is used. On 25 December 1935 the law Nr. 2884 called the “Law on the Administration of the Vilâyet Tunceli” [Tunceli Vilâyetinin idaresi hakkında kanun] was passed by the Turkish Parliament and became effective on 2 January 1936. The extensive intervention given way by this law, namely by means of the introduction of the state of emergency and the creation of a military dictatorship equipped with absolute freedom of criminal jurisdiction, legalized the systematic disfranchisement and discrimination of the region’s population that ultimately led to the massacres of 30.000 to 70.000 inhabitants between 1937 and 1938 committed by the Turkish Army indiscriminately against civilians and a small number of armed resistance fighters. The impact of the renaming of former Dersim into Tunceli can be explained on a semantic level and on a functional level: on a semantic level the term Tunceli etymologically can be derived from Turkish tunç eli, meaning iron hand, whereas on a functional level the name Tunceli was given by a single law at the same time to designate the territory, as well as the military operations entailed. These two explanatory levels, when read together, reveal a demonstration of state power announcing the state’s intention to take the decision on both the territory and its population in hand by making use of force. Thus, the discriminatory impact of the name Tunceli as imposed by the Turkish state is taken into consideration as much as the counter hegemonic impact of the reuse of Dersim by a whole array of different actors, including left-wing activists (Le Ray 2009; Jongerden 2009; Jongerden and Akkaya 2012), see also recent scientific knowledge productions

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striving to “release Dersim from its brackets” (Aslan 2013). On toponymic change politics see (Öktem 2008). 3. Besides the obligatory national language Turkish, there are two North-western Iranian languages spoken in the region: according to estimations 90% of the population derives from a background of speakers of the endangered language Zazaki, whereas 10% of the population speaks Kurmancı (Paul 1998). For an analysis of the historical and cultural distinctive features of Zazaki-speakers see (Asatrian 1995). 4. Kızılbaş was a pejorative term used by the to designate Anatolian combat groups wearing a red bandeau as a sign of their loyalty to the Persian Shah Ismail in the times of religious-political schism between the Sunni Ottoman and Shii Safavid Empires (Dressler 2005). Since the Alevi Revival in the 1990s it has been appropriated by pro-Alevi activists as self- designation referring to leftist identifications. Young Turk nationalist discourse coined Alevism as an umbrella term to replace the former pejorative term Kızılbaş. By introducing this neologism they aimed at appropriating different religious streams into official , and to claim them as carriers of Turkish heritage deriving from pre-Islamic Turkish Anatolian culture. On scientific discourses constructing Alevis and Alevism see (Dressler 2013; Göner 2005; Jongerden and White 2002). 5. Currently the descendants of Armenian Genocide survivors are conceptualized in research as “Islamized” or “Crypto Armenians”. The International Hrant Dink Foundation, together with the Bosphorus University, both based in Istanbul, Turkey, organized an International Conference in Istanbul from 2 to 4 November 2013. The conference title was telling: whilst in English the title was translated into passive Islamized Armenians the full title in Turkish was Müslümanlaş(tırıl)mış Ermeniler using brackets to suggest indistinctness of the forced or deliberate character of conversion. The conference organizers aimed at raising acceptance for Muslim Armenians in Turkey, thereby rejecting a reluctant attitude towards converted Armenians by the side of Orthodox Sunni Muslims by locating such an exclusive attitude in the Armenian Christian community. 6. For a discussion of the Ottoman archive accounts of Ottoman military campaigns in Dersim see: (Gündoğdu and Genç 2013). And for the times of the Early Republic of Turkey and the military campaign on Tunceli from 1936 to 1938, see (Bilmez et al. 2011; Watts 2000). 7. According to the Kurdish nationalist discourse, Tunceli constitutes an integral part of the imagined Kurdish territory. In depicting the essentialist view of Tuncelis Kurdish origin, the Kurdish nationalist discourse follows the same rules as the Turkish nationalist one, both aiming to prove Tunceli’s national belonging. Similarly, Kurdish and Turkish nationalists explained the religious peculiarities of Dersim as remnants of an early unspoilt version of respectively a Kurdish religion deliberately named Zoroastrism with pre-Islamic traits or for the latter, an original version of Turkish belief. Accordingly, the local language Zazaki is denied consideration as a proper language, but is declared a Kurdish idiom, or a Turkish derivation to underline its national belonging. 8. Another more specific discourse relevant to this discussion constructs the close relation between Armenians and Kızılbaş Alevis and has been mainly fed by two narratives. The first dates back to the second half of the 19th century to the times when US-American missionaries encountered Kızılbaş in Dersim region and perceived them as Crypto-Armenians in order to render them a legitimate object for their proselytizing mission in Central Anatolia (Kieser 2000; Reinkowski 2007). This close relation between Armenians and Kızılbaş Alevis was also sustained by the Armenian traveller Antranik, who reported a legend of Kızılbaş pilgrims worshipping at Christian Armenian religious sites (Antranik 2012 [1900]) from oral lore, and by Halajyan, who handed down the collective conversion legend of Der Simon (Halajyan 1973). In contrast, the second Young Turks’ counter-narrative suggests that the pejoratively called Kızılbaş in Tunceli were indeed Zaza Alevis, and derived from true Turkish stock (Karakaya-Stump 2004; Dressler

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2013). Recently, the first narrative was appropriated by Yusuf Halaçoğlu, a Nationalist Movement Party [Milli Hareket partisi, MHP] politician and the former president of the Turkish Historical Society [Türk Tarihi Kurumu, TTK]. By assenting to the Ottoman discourse on Kızılbaş as political traitors and disloyal believers (Dressler 2005), Halaçoğlu constructs a similar difference in Zaza Alevis of Tunceli. In order to further legitimate their exclusion from discourse, Halaçoğlu presents them as Crypto-Armenians (Halaçoğlu 2007). 9. In 1990, fifty years after the mass atrocities in Tunceli had been committed and legitimized by the Turkish government, it was a Turkish pro-Kurdish sociologist, Ismail Beşikçi, who first introduced the Dersim Genocide to academic discourse to classify the military campaign of the Turkish Army in Tunceli in 1936-1938. In his study he adheres to the Kurdish nationalist lecture of the events as a Kurdish insurgency by situating the Turkish military operations in Tunceli in a wider frame of interpretation and by listing it among the state-based counterinsurgencies adopted against the growing Kurdish nationalist movement in the 1920s and 1930s (Beşikçi 2013). Following Beşikçi in framing his analysis of the events, van Bruinessen termed the atrocities as “Dersim Ethnocide” because as he argues the measures taken aimed at the destruction of Kurdish ethnic identity not at the destruction of the Kurds or parts of them as such (van Bruinessen 1994: 148). In the last few years this discourse provided the patterns of interpretation for two statements uttered by the Turkish Prime Minister Erdoğan. First, he held a speech in 2011 on the “Dersim massacres” and then published a speech online on 23 April 2014 on the “1915 events”. Both statements resulted in broader media debates, and although they did not actually break with the state’s official denialist discourse, the civil society perceived and discussed them to be signs of recognition (Ayata and Hakyemez 2013). 10. This nostalgia discourse is commonplace in Anatolia and links up to a modern Turkish nationalist perception of a homogenous and therefore conflict-free social fabric. Mills argues in her study on memories related to the built environment of Kuzguncuk, a formerly multiethnic quarter in Ottoman Istanbul, that “Nostalgia for cosmopolitanism, by sustaining the erasure of difference, writes minorities back into a seamless collective, and so nostalgia for minority places and people is part of the discoursive field that dispossesses minorities of place.” (Mills 2010: 211) 11. The early Turkish Republican People’s Houses [Halkevleri], were state-related community centres established to construct Turkish national identity through education and publication, and can be considered successors of the Young Turks Turkish Hearth centres, for the People’s Houses opened in Tunceli, see (Sertel 2013). For the journal Altan published by the People’s House in Elazığ see (Haykır 2007b). For a first study on Young Turkish discourse production about Nazımiye district in Dersim see (Öztürk 1995). Besides his other monograph on the region (Ağar 1938), Ağar mainly published articles in the local People’s House journal Altan, see (Taşkin 2010; Haykır 2007a; Ergen 2007). 12. Similar to another more prominent character Elazığ Mountain flowers boarding school director Sıdıka Avar (Türkyılmaz 2009) who was reportedly called a missionary by Kemal Atatürk before being sent to Elazığ (Putney and Burlin 2012: 62). 13. As Dressler has shown, the Young Turks discourse on Alevis especially applying to Dersim due to the population’s predominantly Alevi identification, aimed at projecting the imagined true Turks adhering to a unaltered form of essential Islam in the groups formerly known and persecuted since the 16th century as Kızılbaş (Dressler 2013). 14. According to the Turkish Republican Statistics Directorate, Kirmil was a subdistrict of Hozat district. The state census of 1935 registered 391 inhabitants for Halvuri vengi, one of a total of 17 villages located in Kirmil subdistrict (Türkiye Cumhuriyeti Başbakanlık Istatistik̇ Genel Direktörlüğü 1937). Uluğ states that Kirmil was Dersim’s heart (Uluğ 1931). 15. For more detailed information on the Armenian Surp Garabed monastery, also known als Halvori Vank as reconstructed according to Armenian sources see (Arakelova and Grigorian 2013). Moreover, oral history research documented the memory accounts of relatives of the last

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clergyman who did his duty in the monastery until 1937 (Gündoğan and Gündoğan 2012: 520-544). 16. In 1946 the village’s name was Til, etymologically derived from Armenian and Kurdish for ‘mound’ or ‘hill’. The village was renamed into Korluca. Until the end of the 13th century, Til was the main settlement in the area situated in the prosperous Til plain, that offered transition over the Murat River [Armenian Artsani], through a ford (Sinclair 1989: 93-94, 100-104). In this article the historical name Til is used in accordance to the time it referred to in the respective context similar to the use of Dersim and Tunceli. 17. The old settlement of Til was abandoned and was moved to the old site of Pertek to improve security facilities. The old site of Pertek in turn was abandoned in favour of the present site in 1838 (Sinclair 1989: 93-94, 100-104). 18. The term triconch, literally meaning three shells, belongs to vocabulary and refers to a ground plan of a building with only three apses, contrary to the more common tetraconch plans with four apses, forming a Greek cross 19. For instance, on the website of the Tourism and Culture Directorate in Tunceli there are two short entries for churches in the whole province that are recommended to tourists: one is to be found in Mazgirt and the other one in Hozat, referring to the monastery in Geçimli. The churches are listed at the bottom of the website page and described only briefly, suggesting that no extended information about the church is available. The statement that this church is of bigger proportions compared to the other churches in the region seems to be pointless as no other churches are introduced. The list of cultural tourism destinations proposed by the Tourism and Culture Directorate in Tunceli lists churches at the end, after a long list of in the first places Islamic religious architecture, Islamic public architecture and natural sites, see: http:// www.tuncelikulturturizm.gov.tr/TR,57329/kiliseler.html. 20. A detailed study on the envisaged transportation of the church was contributed by (Ülgen 1970). 21. Interview held in Pınarlar, Tunceli on 10 May 2012 with Hıdır G., Kurmancı-speaking Alevi, born in Til village, Pertek district, Tunceli. 22. The actual condition of the church, if it still remained accessible today, would most probably resemble the condition of another of the three churches documented in Doomed by the dam that was not submerged by the dams flooding (METU 1967: 42). In addition, this church was exposed to decay and pillaging by successive attacks of treasure hunters who ravished the region since the Armenian Genocide. Due to state agency incentives, these campaigns even intensified from the 1980s onwards. Treasure hunters have posed the heaviest threat to the province’s cultural heritage. Nowadays the church is almost completely destroyed and reduced to its foundations, since the actual private owner of the land decided to enlarge his fields throughout the course of 2012. The latest attack on the church was carried out in June 2013. One of the current owner’s neighbours stated that, for several days, his neighbour was busy quarrying the church’s ruin, reducing it to its foundations before he was reported to the local gendarmes, and was required to refrain from further destruction. So far the case has gone unprosecuted. The sole authorities monitoring and sanctioning this destruction of cultural heritage are the PKK. The PKK entered Tunceli at a relatively late stage in the beginning of the 1990s. In the initial phase, when they started to set up their organization, they were introduced to the region by the armed wing of the Communist Party of Turkey, the Liberation Army of the Worker’s and Peasant’s of Turkey [Türkiye İşci ve Köylü Kurtuluş Ordusu, TİKKO]. Already during the previous ten years of intensification, the PKK incorporated the institutional knowledge of TİKKO, see (Jongerden and Akkaya 2012: § 23). In 2012 an Armenian church already in ruins due to repeated pillaging and decay, located in the village of Yaylagünü in Ovacık district, was attacked by five treasure hunters coming from Ovacık, Elazığ, İstanbul, Maraş and Canada, equipped with professional devices. The PKK challenged them and forced them to leave.

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23. Interview held in Istanbul on 22 May 2012 with a survivor from a massacre in Ergen in 1938, born in 1938 in Hozat district (Tunceli) whose parents, both survivors of the Armenian Genocide, originated from Dersim. 24. Tacy Atkinson, US-American missionary stationed in Harput since 1902, was a witness of the Armenian Genocide. She mentions a massacre in Pertek in June 1915 (Atkinson 2000: 39). 25. The very expression gave name to a documentary film directed by J. Michael Hagopian called “The River Ran Red” that was released in 2009 as part of the series The Witnesses Trilogy. 26. Interview held in Frankfurt on 18 March 2012 with M. A., Armenian born in 1939 in Hozat, Tunceli. 27. On the contrary, by means of establishing military or security zones, restricting the accessibility to places of former Armenian communal life or massacre sites is a common method of discursive exclusion employed by Turkish state authorities. 28. Today called Geçimli, the village was formerly called Ergen. In 1928 the village’s name was still Ergan or Yergan, meaning ‘long’ in Armenian. Its full former Armenian name was Yergan Inguzak, meaning ‘long walnut trees’, changed into Turkish Geçimli, meaning ‘affable’. In this article the name Ergen will be used to refer to the times up to 1938 and the name Geçimli to refer to the times after the massacres in 1938. 29. Thierry considered the sculptures style and iconography, and compared the results with the analysis of ten manuscripts copied in the monastery between 1432 and 1608, preserved in the archives of the Armenian Patriarchate of . 30. Local residents complain about incidents of grave and stone pillaging and destruction, committed on behalf of Turkish state institutions and later by non-state actors, the local population, and private investors. Thomas Alan Sinclair also refers to oral history, and states that the cut stones were robbed from the building and reused for the first time in the construction of the village public school. “Local tradition suggests some serious robbing of the stone in 1944, possibly in order to build a school —but this point needs clearing up by looking at the school” (Sinclair 1989: 82). Cevdet Konak considered the same historical event to be the cause of the building’s actual dilapidated condition, also referencing oral tradition. “After the 1938 massacre these historical buildings were destroyed as well, our elderly people are telling this. Again, this church’s stones were used in a school construction that was realised after the 1950s. From the 1950s to the 1960s it was also used by building companies.” (Gözlü 21/10/2013). Thus oral tradition gives evidence of this plundering practice as a state-induced intervention carried out in order to use this material for the construction of public buildings. Prior to the emergence of the armed conflict between the PKK and Turkish Army in 1994, the old school building was superseded by a new school that was built in the surrounding area. The masonry of the old school building as well as several houses in the village display the stones cut from the monastery reused mainly for the solidification of house cornerstones and foundations. 31. The Dersim Armenians Belief and Social Aid Association was founded in 2010 by its first chairman Miran Pirgiç Gültekin in Istanbul, Turkey. The associations activities range from meetings, cultural events, group visits to Tunceli, the Republic of and Armenian communities in the Diaspora, to the publishing of a quarterly. In summer 2014, the association opened an agency in Tunceli. http://dersimermenileri.blogspot.de/ 32. The HAYCAR Association, founded in 2007 is based in Istanbul, Turkey. http:// www.haycar.com/ 33. Interview held in Hozat, Tunceli on 28 October 2009, with Zeynel Örnek, born in Ovacık, Tunceli. 34. İbrahim ağa was the leader of the Abassan tribe. 35. The project was financed by Özer Özgen and Akçelik Özgen and realized with the contributions of architect Dârâ Kırmızıtoprak, construction engineer Mustafa Güler, documentary director Özgür Fındık and Dilaver Eren.

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36. A group was set up respectively, also offering, though with a very limited scope, the opportunity to discuss on the memorial’s design and purpose. 37. Interview held in a village in Mazgirt, Tunceli on 1 July 2012 with M.E., a descendant of Armenian Genocide survivors, who was born in 1932 in Mazgirt, Tunceli. 38. Rober Koptaş on Twitter “Of course the Dersim 38 memorial is important, but does it not too much resemble the Holocaust memorial in Berlin?” [@rober_koptas: “dersim 38 anıtı önemli tabii ama berlin’deki holokost anıtına fazla benzemiyor mu?”] https://twitter.com/rober_koptas/ status/256684734636228608. 39. Following Turkish Prime Minister Erdoğan’s speech on 2 November 2011 in which he brought forward his apology for the massacres committed in Dersim in 1938, the Armenian community in Istanbul had uttered their hopes for an extension to a corresponding excuse to be expressed on behalf of the Turkish state representatives to the Armenian Genocide survivors and their descendants. 40. Şey Rıza is assigned a place of local resistance in collective memory in Tunceli. On the day of his judgement Şey Rıza expressed his defence by addressing an audience that was indeed absent, because he was to be hanged hidden from the public gaze in Elazığ. He reportedly claimed with risen voice to the absent public that they were children of Kerbela, innocent, and that this was a shame, an atrocity, and a murder [Evlad-i Kerbelayız, günahsızız, ayıptır, zulümdür, cinayettir]. Şey Rıza’s role in the formation of the local resistance against the Turkish military campaign plays a major role in the construction of local identity in Tunceli.

ABSTRACTS

Adopting a genealogical approach, this paper discusses recently emerging alternative heritage production as a discursive site for the confrontation of representations of contested memories of the violent past in modern post-genocidal Turkey by exploring the particular case of Tunceli province, former Dersim. The study critically questions the perspectives, constraints and limits of alternative heritage production. It argues that recent contested heritage action evolving in the discursive field, span between post-genocidal denialist discourse and tourist marketisation endeavours, contributes to the ongoing negotiations and struggle over the attribution of meanings to Turkey’s violent past and present. It then moves on to argue that local heritage actors, by claiming representation and recognition of state-induced violent crimes as genocide, adhere to the dominant denialist discourse whilst acknowledging the concept of genocide for their political ends.

INDEX

Keywords: Armenian Genocide, non-Muslim heritage, Tunceli, Dersim, Alevi

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AUTHOR

ANNIKA TÖRNE

Institute for Diaspora Research and Genocide Studies Faculty of History Ruhr-University Bochum, Germany [email protected]

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Le patrimoine arménien en Turquie : de la négation à l’inversion patrimoniale. Armenian heritage in Turkey: from denial to ambivalence.

Taline Ter Minassian

À la mémoire de Sarkis Seropian (1935-2015), éditeur au journal Agos et écrivain- voyageur du patrimoine arménien de Turquie.

« Le Seigneur, à ta droite, brise des rois, Au jour de sa colère, Il exerce la justice parmi les nations ; Il sème la ruine, Il brise des têtes sur toute l’étendue du pays ». Dixit Dominus, Psaume 110. David se leva ; il appela Jean, Il appela aussi l’oncle Thoros et leur dit : « Mes oncles, sortez de votre doux sommeil ; La Vierge Haute de Marouthas est venue à moi tout à l’heure en songe ; Il faut que je tire mon épée de ma ceinture, Et que je place les fondements du couvent sur mon épée ; Puis, quand j’aurai achevé la construction du couvent, Que je fasse célébrer dedans une messe ». David de Sassoun, Épopée en vers, traduction Frédéric Feydit, Paris, Gallimard, 1964, p. 263. 1 En 2013, le spectaculaire mouvement de protestation du parc Gezi eut pour point de départ la défense d’un « espace libre », au sens où les urbanistes l’entendent, contre le projet de construction d’un shopping mall. Fermement soutenu au nom de « l’histoire »

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par le premier ministre Erdoğan, le projet en question prévoyait en effet de construire au beau milieu de la place Taksim des galeries commerciales dans une réplique des baraquements d’une caserne ottomane édifiée au 19e siècle.

La caserne de Taksim édifée en 1806 d’après les plans de l’architecte Krikor Balian

2 Sur ce sujet, deux discours s’affrontent : d’un côté celui de la défense des platanes réputés centenaires d’un parc au demeurant peu investi par les habitants – l’endroit étant notoirement connu pour être à certaines heures un lieu de rendez-vous homosexuel – et de l’autre celle d’un artefact patrimonial, réplique d’un édifice de l’époque ottomane. Les uns semblent défendre une place dont l’état actuel remonte au plan d’urbanisme d’Henri Prost qui a fait de Taksim un des rares espaces publics d’Istanbul aménagés selon les conceptions modernisatrices de Mustafa Kemal. De son côté le Premier Ministre Erdoğan, peut-être inspiré par une stature de leader néo- ottoman que lui reconnaissent alors les médias occidentaux, n’hésite pas à se référer à l’histoire des casernes de Taksim : elles ont en effet été le foyer de l’opposition islamique et conservatrice et le point de départ d’une mutinerie contre le gouvernement Jeune-Turc (31 mars 1909). Kémaliste ou néo-ottomane, la surface de la place Taksim voit émerger dans ce contexte un scénario inédit de mobilisation patrimoniale contre la reconstruction d’un édifice historique et non contre une destruction comme cela est un cas plus habituel. Dans le parc, les manifestants organisent l’espace en véritable camp retranché, s’en attribuent des secteurs limités par segments de la société civile : ils baptisent l’une des « allées » du parc du nom de Hrant Dink, le rédacteur en chef du journal arménien bilingue Agos assassiné le 19 janvier 2007 devant le siège de son journal, à peine quelques centaines de mètres plus loin. Des profondeurs stratigraphiques de Taksim, des bulles remontent à la surface… Comme balbutiées, sorties de la bouche d’un noyé, elles contiennent l’histoire des Arméniens dans cette ville : ici même sous le parc, face à l’hôpital arménien catholique Sourp Hagop (Saint-Jacques), se trouvait un des cimetières arméniens de Constantinople, le plus grand cimetière non-musulman de toute la ville.

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Le cimetière arménien Sourp Hagop avant la construction de la place Taksim, Collection particulière

3 Dans l’une des allées du parc, les manifestants ont placé une tombe improvisée portant l’inscription « cimetière arménien Saint Jacques, 1551-1939 : vous nous avez dépossédés de notre cimetière, vous ne nous prendrez pas notre parc » (Greenhouse 28/06/2013)1. En 1864, les enterrements arméniens furent déplacés dans le quartier de Şişli et le cimetière arménien de Pangaltı laissa place à ce parc. Ainsi, les fameux platanes centenaires plongent leurs racines dans des ossements arméniens, l’étendue de l’ossuaire se prolongeant probablement sous les fondations des immeubles modernes et des hôtels qui bordent aujourd’hui l’un des côtés de la place.

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Le parc Gezi au début des années 1950 Collection particulière

4 Au 19e siècle, le parc jouxtait les casernes de Taksim détruites en 1944 – elles étaient alors dans un état de grande vétusté – pour être remplacées par la promenade İsmet İnönü [İnönü Gezisi] : 26 000 mètres carrés plantés d’arbres, de magnolias et de parterres de fleurs, ce jardin à la française avec bancs publics et kiosques de philharmonie municipale est considéré comme « l’une des réalisations les mieux réussies, si ce n’est la plus réussie, du plan d’urbanisme de Prost en ce qu’elle reflète à la fois le caractère moderne et séculier de la jeune République Turque » (Gül 2009 : 116) célébrée ici par le fameux monument de Pietro Canonica et Giulio Mongeri (1928) (Ibid. : 89) En proposant de reconstruire au nom de l’histoire une réplique des casernes de Taksim, les autorités – municipales, financières, gouvernementales ? – réalisent-elles que la reconstruction d’un édifice « ottoman » pourrait faire resurgir du passé d’autres fantômes ? L’ombre des amiras flotte sur les lieux. Architecte des casernes de Taksim, Krikor Balian fut le deuxième de la dynastie des architectes Balian qui conçurent maints palais et mosquées édifiés dans la capitale ottomane au 19e siècle. Après son père, Bali Kalfa, le fondateur de la dynastie, il détint à son tour le titre prestigieux d’architecte en titre du Sultan2. Il dessina ces fameuses casernes dont le Sultan Selim III lui avait passé la commande en 1806 dans le style « vernaculaire ottoman » qui distingue ses édifices du reste de la production architecturale spectaculairement éclectique des Balian (de Monchaux 10/06/2013).

I. Le patrimoine arménien en Turquie : la fin du déni ?

5 Si l’on peut se servir des événements récents de la place Taksim comme d’une métaphore, c’est qu’on y trouve le champ complexe de références dans lequel la notion de « patrimoine arménien » a fait récemment irruption. Après des décennies de déni, les vestiges matériels du passé des Arméniens refont surface dans la Turquie

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contemporaine. Comme à Taksim, des controverses patrimoniales mettant en jeu l’histoire contemporaine de la Turquie dans son rapport avec la période ottomane font resurgir aussi inconsciemment qu’un lapsus tout un passé englouti par des décennies d’histoire officielle.

Un crypto-patrimoine ?

6 Il est vrai que depuis plusieurs années, le paysage a considérablement évolué en Turquie où le tabou semble avoir été levé sur le sujet arménien. Les « crypto- Arméniens » ou Arméniens « islamisés » sont des thèmes débattus publiquement et la grande entreprise de réconciliation avec le passé soutenue par divers mouvements de la société civile et les recommandations de “good governance” permet désormais l’existence de « patrimonialisations alternatives » (Pérouse à paraître). Le patrimoine en tant que construction politique demeure cependant un objet paradoxal dans la Turquie contemporaine. Le « nouveau régime patrimonial » (Fabre 2013 : 32) du 21e siècle – l’âge du Patrimoine selon Daniel Fabre – vient comme en surimpression s’y plaquer sur un récit national, toujours en cours bien qu’en pleine mutation puisqu’il intègre désormais l’héritage islamique. Cependant, l’émiettement institutionnel qui reflète dans une certaine mesure les diverses strates des héritages historiques ayant précédé la naissance de la république turque permettent aujourd’hui d’envisager l’existence – aux côtés de la notion aléatoire et indécise d’un « patrimoine national » – de plusieurs patrimoines3. Ce sont dans ces interstices et dans les failles de l’État-nation turc qu’on peut tâcher d’identifier d’un point de vue épistémologique le « patrimoine arménien » en Turquie. En ayant conscience de l’extrême difficulté de la tâche et sans aucune ambition d’exhaustivité car l’historien avance ici à tâtons dans une toponymie bouleversée. Reste qu’après des décennies de déni, le « patrimoine arménien » arasé, concassé, resurgit par morceaux. Morceaux de khatchkars (au sens littéral des « pierres croix ») sculptés maçonnés dans les murs des maisons anatoliennes, pierres tombales recyclées comme marches d’escaliers à Taksim, prestigieux immeubles de rapport de riches Arméniens d’Istanbul, d’églises à l’abandon en fontaines restaurées, quelle est la situation du patrimoine arménien dans la Turquie actuelle ? À la veille de la commémoration du centenaire du génocide de 1915, le moment semble idéal pour tenter de répondre à cette question… que la Turquie actuelle décide d’affronter son passé ou qu’une dalle de béton ne vienne, comme à Taksim, refermer le caveau à tout jamais.

7 Dans l’espace-temps de la nation kémaliste, l’Anatolie dont la partie orientale correspond au « plateau arménien » occupe on le sait une fonction cardinale (Copeaux 1997). Vitale, la nécessité de substituer aux traces du substrat minoritaire arménien, un discours historiographique et patrimonial exaltant l’origine anatolienne de la nation turque, impose silence aux monuments arméniens. Cette stratégie « qui consiste à oblitérer toute trace d’époques censées appartenir aux cultures ennemies » (Herzfeld 2013 : 381) est vieille comme le monde4. Elle n’impose pas nécessairement destruction et concassage comme récemment les opérations menées par les autorités azéries au cimetière arménien de Djoulfa (Nakhitchevan). Le temps et l’oubli accompliront naturellement leur œuvre jusqu’à l’anéantissement. Interroger la situation actuelle du patrimoine arménien en Turquie, c’est s’intéresser à une catégorie sans véritable existence institutionnelle, à un « pays arménien » méconnaissable où l’historien, l’archéologue ou l’explorateur patrimonial avance, aveugle et sourd, dans une

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toponymie transformée. Avant d’évoquer la situation actuelle de ce patrimoine et les tentatives d’inventaire dont il est l’objet, il semble nécessaire au préalable de montrer combien l’intérêt récent en faveur de ce « patrimoine latent » des édifices arméniens s’inscrit aussi dans l’imprécision voire les carences de la notion de patrimoine en Turquie.

Du kémalisme à l’AKP : le « patrimoine turc » à l’épreuve de l’altérité

8 Il peut paraître étonnant que le processus de construction de la Turquie moderne, dans sa fascination mimétique du modèle occidental de l’État-nation, ait apparemment négligé de formuler sur le plan conceptuel mais aussi institutionnel, la notion de patrimoine national turc. Récemment le projet de « rendre » à Sainte-Sophie son statut de mosquée alors que la célèbre basilique avait été transformée en musée par un décret kémaliste du 24 novembre 1934, initiative du député du Parti de l’action nationaliste (MHP) Yusuf Halaçoğlu, a remis en cause l’application du principe de la laïcité kémaliste à des édifices patrimoniaux reconvertis par le « droit de l’épée » des conquérants mais historiquement discordants par rapport à l’héritage turco- musulman. Entre 2011 et 2013, la reconversion en mosquées des musées de Sainte- Sophie de Trébizonde, Sainte-Sophie d’Iznik (Nicée) et du monastère Agios Ioannis Prodromos à Istanbul sont les précédents dont semble s’inspirer cette initiative (Perrier 12/12/2013 ; Courrier International 03/01/2014). Selon Edhem Eldem, ce n’est guère un hasard que M. Halaçoglu soit un historien et, qu’avant de devenir député, il ait dirigé la Société turque d’histoire, sorte de conservatoire étatique de l’histoire nationale. Il reflète donc assez fidèlement l’évolution du discours historique officiel d’un nationalisme laïque, voire par moments anti-islamique, à un nouveau type d’idéologie misant sur la réconciliation du nationalisme et de la religion (Eldem 2014 : 20). 9 Fondée par Mustafa Kemal en 1931, la Société turque d’histoire [Türk Tarih Kurumu] s’est longtemps chargée d’effectuer des recherches scientifiques sur l’archéologie de l’Anatolie dans une perspective servant l’histoire de la nation turque5. D’Albert Gabriel à Turan Takaoğlu, l’archéologie anatolienne s’est ensuite efforcée de combler le hiatus de plus de dix siècles qui sépare les civilisations antiques de l’Anatolie des témoignages de la présence des Turcs seldjoukides6. Inscrits temporellement dans ce hiatus, les monuments arméniens les plus remarquables viennent bousculer le « régime d’historicité » d’une Anatolie définitivement turquifiée. Sans être rendu obsolète car l’AKP n’a fait que substituer au kémalisme un nationalisme turco-musulman, « l’anatolisme » patrimonial coexiste désormais avec la notion de « patrimoine anatolien ». Au tournant des années 1990, la menace de l’engloutissement sous les eaux retenues par le système des barrages hydroélectriques, réalisés ou programmés dans le cadre du GAP, participe à la prise de conscience des dangers qui menacent deux types de sites : les sites des époques classiques, médiévales et ottomanes principalement et d’autre part, les sites préhistoriques allant du Paléolithique à l’Âge du fer (Bischoff et Pérouse 2003). L’inondation programmée du site archéologique d’Hasankeyf par la mise en service du barrage d’Ilısu a contribué à faire de cette ville de l’Anatolie du Sud-Est la cause patrimoniale du Kurdistan (Ayboga 2009). L’épisode montre entre autres choses que les autorités sont prêtes à engloutir au nom du développement économique des édifices pourtant classés par le Ministère de la Culture. « L’énumération des destructions dont souffrirait Hasankeyf en devient presque grotesque puisque, en ce cas précis, elle suit, au

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bâtiment près, l’inventaire des monuments classés par le ministère de la Culture… » (Bischoff et Pérouse 2003 : 26).Cette valeur relative de « l’inscription » des monuments dans un inventaire tout comme la protection relative dont bénéficient des monuments pourtant dotés de diverses plaques ou pancartes n’est pas, semble-t-il, uniquement l’apanage des Kurdes ou des patrimoines minoritaires. C’est précisément à une mission d’inventaire des sites archéologiques de Turquie que s’est attelé voici une vingtaine d’années le projet TAY [Türkiye Arkeolojik Yerleşmeleri Projesi] soutenu par le J.M.Kaplan Fund de New York, la Turkish Cultural Foundation, les éditions Ege et l’Université technique d’Istanbul. L’objectif revendiqué par cette organisation est d’inventorier l’intégralité des sites documentés par les prospections et les fouilles archéologiques depuis 1880. Privilégiant les civilisations préhistoriques (paléolithique, néolithique, chalcolithique, âge du bronze, âge du fer) et occultant de manière très évidente les diverses origines du patrimoine médiéval chrétien par la marginalisation d’un patrimoine byzantin redéfini dans « l’altérité » (Eldem 2014 : 21), le projet TAY reproduit avec moyens et compétences7 les ambigüités et les contradictions inhérentes au récit turc des origines anatoliennes. La découverte fortuite à Nevali Çori (province d’Elazığ) avant la mise en eau du barrage Atatürk d’une civilisation de chasseurs-cueilleurs jusque-là inconnue a permis de réévaluer des prospections anciennes et à préciser durant les années 1990 les modalités eurasiennes de la révolution néolithique. Remarquons au passage que les récentes moissons issues des sites néolithiques d’Anatolie et du Caucase, suscitent depuis plusieurs années des historiographies de plus en plus concurrentielles. Dans le sud-est de l’Arménie justement, les fouilles d’Areni I dans la province de Vayots Dzor ont permis en 2008 de mettre au jour les vestiges de la plus ancienne industrie viticole connue (T. Ter Minassian 2013 : 32 et ss.) ainsi que la plus « vieille chaussure du monde » (5500 ans). Englouti au sens propre au même titre que bien d’autres vestiges sous les eaux du GAP ou plus efficacement encore par le silence tacite longtemps imposé par l’historiographie kémaliste, le patrimoine arménien a eu d’autant moins d’existence propre en Turquie qu’il se rattachait intrinsèquement à l’héritage byzantin ou ottoman, tous deux discordants à des titres divers dans le récit historique du kémalisme. Ainsi, c’est paradoxalement le « néo-ottomanisme » de l’AKP avec sa dimension de réhabilitation du passé ottoman qui a permis les quelques mesures gouvernementales prises en faveur d’édifices remarquables du patrimoine arménien. De ce contexte particulier découle la signification ambiguë des quelques restaurations récentes.

II. Restaurations

10 Monuments chrétiens en terre d’islam, livrés à l’abandon et aux déprédations des chasseurs de trésors, le patrimoine arménien en Turquie est un patrimoine en danger. Pour spectaculaires qu’elles aient été, les restaurations récentes sont des mesures tardives effectuées sur un nombre limité d’édifices. Le patrimoine historique du Vaspourakan, royaume arménien du 10e siècle situé entre l’Anatolie orientale et l’Iran du nord, permet par exemple de comparer sur le long terme le traitement du patrimoine chrétien par les autorités respectives des républiques turque et iranienne. Un projet de tourisme patrimonial transfrontalier visant à créer un flux de touristes entre l’Iran et la Turquie est à l’étude. S’il se réalise, il devrait révéler des contrastes considérables entre la situation actuelle de Sourp Baghtolomeos (Saint-Barthélémy d’Aghbak dans la province de Van, lieu supposé du martyre de Saint-Barthélémy, l’un

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des saints patrons avec saint Thaddée de l’église apostolique arménienne) et celle du monastère de Saint-Thaddée situé du côté iranien dans la partie occidentale de l’Azerbaïdjan. Ce dernier a été l’objet de plusieurs campagnes de restauration depuis le 19e siècle jusqu’au 20 e siècle y compris après la révolution islamique de 1979 (campagnes de l’Organisation Terre et Culture). Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008, Saint-Thaddée, qui est aussi un lieu de pèlerinage annuel (du 23 au 26 juillet), montre qu’un gouffre sépare la politique patrimoniale « des mollahs chiites qui éditent des brochures en persan et accomplissent des restaurations sur le compte du gouvernement persan »8 et celle du gouvernement turc qui a longtemps cerné les ruines du monastère Sourp Baghtolomeos d’une ceinture militaire qui en interdisait l’accès. Ce n’est que sous l’impulsion du nouveau gouverneur de Van et l’évacuation récente de l’armée que ce projet d’ouverture à l’économie touristique a pu être formulé. S’il se réalisait, ce projet patrimonial de tourisme transfrontalier représenterait une avancée considérable9.

D’une messe à Aghtamar…

11 Le 19 septembre 2010, pour la première fois depuis le génocide de 1915, une messe est célébrée dans l’église d’Aghtamar, une île du lac de Van, dans les confins de l’Anatolie orientale, au cœur de l’Arménie historique et de ce qui fut, au Moyen-Âge, le royaume du Vaspourakan. Célébrée par l’archevêque Aram Atechian, locum tenens du patriarche arménien d’Istanbul, cette messe d’une grande portée symbolique est un événement à la fois médiatisé et controversé qui fait suite à l’inauguration en mars 200710 de l’église restaurée, ouverte en tant que musée. Trois ans plus tard, journalistes et caméras venus du monde entier, divers représentants de la république d’Arménie et de la diaspora arménienne, habitants kurdes de la région et représentants de la municipalité de Van, tous se sont embarqués pour cet authentique pèlerinage à bord des petits ferry-boats qui assurent le passage vers l’île d’Aghtamar.

La messe à Agthamar, 19 septembre 2010 Christophe Petit-Tesson

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La messe à Agthamar, 19 septembre 2010 Christophe Petit-Tesson

L’église d’Aghtamar Christophe Petit-Tesson

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Façade et sculptures de l’église d’Aghtamar Christophe Petit-Tesson

12 Événement politique, opération symbolique, cette unique messe met aussi sur le plan du patrimoine un monument historique exceptionnel de l’architecture arménienne aux prises avec les orientations contradictoires de la politique de l’AKP depuis 2005. Négligé durant des décennies, le site d’Aghtamar pourrait prétendre sans peine à un classement de l’UNESCO. L’église du 10e siècle est ornée de sculptures d’une qualité exceptionnelle sans équivalent dans les églises arméniennes de cette période : elles font d’Aghtamar un joyau de l’art arménien mais aussi plus généralement un chef-d’œuvre de l’art chrétien. Le site insulaire d’Aghtamar à l’ombre des géants du Sipan et du Nimroud possède le caractère iconique auquel les experts internationaux sont généralement attentifs et il est en tout cas attractif et potentiellement rentable – du point de vue de l’économie touristique. Par sa situation de sanctuaire insulaire, Aghtamar construite entre 915 et 921 par un architecte nommé Manuel est la commande de Gagik Ier Artsrouni, roi depuis 908 du Vaspourakan, un royaume inscrit dans la géopolitique de son époque, pris en étau entre Arabes et Byzantins. Roi bâtisseur du Vaspourakan – un royaume qui s’étendait du nord au sud, de l’Araxe aux montagnes du Korduk et d’ouest en est, du lac de Van au lac d’Ourmia – le roi Gagik entreprit au cours de deux campagnes architecturales la construction de nombreux édifices et la fondation de nouvelles églises. Le sanctuaire insulaire d’Aghtamar, dont seule l’église Sainte-Croix subsiste aujourd’hui, s’inscrivait au sein d’un complexe palatial. Sur l’île entourée d’un quai de pierres, de remparts, de tours et de bastions, Gagik fit construire un somptueux palais « couvert de plusieurs coupoles qui tiennent sans colonnes “comme des oiseaux en vol” » (Mahé et Mahé 2012 : 144). Pendant la construction de ce palais, Gagik mena encore quelques raids victorieux contre de turbulentes tribus frontalières. Exerçant pleinement son droit de conquérant, il fit raser leur forteresse dont les pierres furent difficilement acheminées à travers le lac de Van sur l’île d’Aghtamar pour servir à la construction de l’église. Celle-ci, conçue selon le plan classique de l’architecture arménienne d’une croix libre à coupole, se distingue moins par son architecture que

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par le décor sculpté en haut-relief épousant les formes architecturales de l’édifice, occupant l’intégralité des façades, le pourtour des fenêtres et du tambour où courent de splendides frises végétales ou animales. Une analyse détaillée du programme sculpté d’Aghtamar n’entre évidemment pas dans le champ de cette étude11. Sa dimension patrimoniale tient à sa composition narrative d’une richesse extraordinaire mêlant des éléments religieux et séculiers, les figures des évangélistes, des compositions animales, des motifs végétaux dans une profusion décorative qui n’est pas habituelle dans les églises arméniennes. Sur la façade occidentale, sous la figure de Saint Mathieu tenant l’évangile, le roi Gagik présente, geste patrimonial placé sous les auspices divins, une maquette de l’église au Christ. La messe d’Aghtamar du 19 septembre 2010, perçue à juste titre comme une initiative essentiellement politique, déclencha des réactions très contradictoires parmi la diaspora ainsi qu’en Arménie : si l’intention du gouvernement turc était de faire entendre que s’agissant de la question arménienne désormais « la messe était dite » (France-Arménie 01/10/2010), cette célébration précise est aussi un excellent exemple de l’instrumentalisation du patrimoine arménien par le gouvernement de l’AKP. Cette messe est à la fois le point d’orgue d’une campagne de restauration entreprise en 2005, un geste d’ouverture diplomatique attendu par les instances européennes et la diplomatie américaine soucieuse de faire avancer la demande turque d’adhésion à l’UE, et enfin pour la préfecture et la municipalité kurde de Van une initiative sympathique et rentable du point de vue de l’économie touristique. Entreprise en 2005, la restauration de l’église qui aurait coûté 1,4 millions de dollars – un peu plus de deux millions de livres turques ont été initialement investies dans ce chantier – a été menée tambour battant sous l’égide du conservateur Bekir Eskici. Il est également intéressant de mentionner que les autorités ont fait appel ou du moins toléré la collaboration de l’association HayCar qui réunit depuis 2006 des architectes arméniens de Turquie dont Zakarya Mildanoğlu. Cet architecte aux côtés de Nazar Binatlı, se consacre à la prospection, à la documentation et à la restauration des églises et des monastères arméniens d’Anatolie. Durant tout le chantier, Zakarya Mildanoğlu12 a effectué une fois toutes les deux semaines le voyage entre Istanbul et Aghtamar. Son jugement sur la qualité de la restauration est de ce fait beaucoup moins sévère que celui de divers commentateurs extérieurs, y compris des architectes venus d’Arménie qui n’ont pas ménagé leurs critiques à l’égard des techniques et des matériaux employés13. Critiques tempérées du côté de HayCar dont la marge d’action en Anatolie orientale dépend de toute façon des autorisations et des laissez-passer négociés auprès des autorités du Ministère de la Culture. Usage de ciment industriel ordinaire, pierres dépareillées offrant un aspect très différent des pierres d’origine, remplacement de la toiture du jamatoun – une toiture plate traditionnelle en terre – par une structure en pierres beaucoup plus lourdes menaçant de rompre à terme l’équilibre de l’édifice, nouveau sol en pierres posées sur une chape de ciment… Cette restauration pêche par son caractère ostentatoire et rénovateur, altérant définitivement certaines parties de l’édifice. Inauguré le 29 mars 2007, celui-ci n’est plus une église mais un musée. Conforme on l’a vu aux méthodes du kémalisme à l’égard des mosquées installées dans d’anciens édifices chrétiens, la transformation d’Aghtamar en musée illustre la stratégie d’évitement poursuivie par les autorités turques pourtant initiatrices de cette mise en patrimoine. Il s’agit bien littéralement d’une « sanctuarisation » d’Aghtamar.

13 Dans la région de Van, d’autres monuments arméniens, comme le célèbre (Virtual Ani 04/03/2002), connu en turc sous le nom de Yedi Kilise, où le futur Catholicos

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Mekrtich Khrimian fonda au 19e siècle le journal Artsiv Vaspourakani [L’Aigle du Vaspourakan]– le tout premier journal arménien imprimé dans le yergir [pays] de 1858 à 1864 – connaissent un sort différent du fait de leur statut foncier. Le couvent de Varag appartient comme toute la région autour du monastère à Fatih Altaylı, rédacteur en chef du journal Habertürk.

Le monastère de Varag. Cliché pris durant les années 1980. Organisation Terre et Culture

La Direction de la Culture de la province de Van cherchait le propriétaire de l’église “Yedi Kilise” [Les sept églises] pour sa restauration… Ne trouvant pas le propriétaire, la restauration n’a pas pu commencer. Puis on découvrit que son propriétaire était Fatih Altaylı, rédacteur en chef du journal Habertürk (en son haber 22/09/2012). 14 Si cette information peut nourrir les colonnes de la presse à scandale en Turquie, c’est que Fatih Altaylı, proche de Murat Bardakçı, – l’éditeur du fameux « Carnet Noir » de Talaat Pacha (Tasalp 2012) – avec qui il anime une émission intitulée « Les coulisses de l’histoire » est proche de la mouvance ultra-nationaliste. « L’église est à moi », affirme-t- il, « je l’ai reçue de mon ancêtre »... Mais au-delà de sa situation symbolique, « l’église de Fatih » – un monument du patrimoine matériel et immatériel arménien – illustre la question du statut de ces édifices. Propriétés de personnes privées, ils appartiennent souvent à des propriétaires turcs14. À Trabzon par exemple, le couvent Amenapergitch appartient également à un propriétaire turc, une situation qui est évidemment un obstacle à sa conservation et surtout à sa restauration sous l’égide des instances publiques.

…à une messe à Sourp Guiragos (Diyarbakır)

15 Au cœur du Kurdistan, la municipalité kurde de Diyarbakır a été le théâtre d’une seconde initiative importante menée toutefois dans un contexte complètement différent de celui d’Aghtamar puisqu’il s’agit d’une patrimonialisation non étatique. Capitale du Kurdistan turc, Diyarbakır est l’une de ces municipalités kurdes où s’expérimentent depuis quelques années une ou plutôt des patrimonialisations

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alternatives (Pérouse à paraître). Jean-François Pérouse y distingue au moins quatre manières, parfois convergentes, d’y écrire l’histoire locale : une manière nationaliste turque (ou turco-ottomane) qui s’intéresse au moment ottoman et à la période républicaine (et surtout aux premières décennies de la République), une manière musulmane (qui magnifie les « civilisations musulmanes » successives qui ont participé à l’enrichissement et l’embellissement de Diyarbakır depuis les Abbassides), une manière anatolienne, qui se déploie sur le temps très long et exalte la diversité culturelle et confessionnelle, et une manière plus nationaliste kurde. Pour illustrer cette dernière, on peut évoquer la promotion du nom alternatif d’Amed, à la place de celui de Diyarbakır, qui participe d’une volonté de kurdifier les origines de Diyarbakır (Ibid.). 16 À ces quatre récits, les Arméniens en rajoutent volontiers un cinquième car Diyarbakır est aussi Dikranakert, la capitale fondée au 1er siècle avant J.-C. par Tigrane le Grand. Aussi éphémère fut-il l’empire tigranide dont Dikranakert fut la capitale, étendu « de la mer à la mer » (Méditerranée, Caspienne, Mer noire) a nourri à l’époque contemporaine une cartographie suggestive, support des revendications les plus maximalistes du nationalisme arménien. La restauration de l’église arménienne Sourp Guiragos s’inscrit donc dans un contexte patrimonial très complexe. Depuis 1999, sous l’égide de la municipalité, les murailles de Diyarbakır ont été érigées en patrimoine local sans toutefois que la municipalité en prenne l’entière initiative. Sur cette toile de fond confuse de « patrimonialisation kurde » sous la houlette d’Osman Baydemir15, maire BDP depuis 2004, la restauration de l’église Sourp Guiragos, vieux rêve né dans les années 1980 parmi la communauté des Arméniens d’Istanbul originaires de Diyarbakır, est devenue réalité. D’un montant de 2,5 millions de dollars, le coût des travaux a été pris en charge à hauteur de 70 % par la Fondation Sourp Guiragos, un tiers du budget restant à la charge de la municipalité de Diyarbakır. En outre, le Ministère turc de la Culture devait lui aussi apporter une contribution de 25 000 livres turques : le président de la Fondation Sourp Guiragos, Ergün Ayık confesse cependant avoir rencontré quelques obstacles : Juste avant la restauration nous avons demandé le soutien du ministère, mais on nous a dit de remettre la propriété de l’église au ministère en échange de son soutien. Si nous avions accepté, St Guiragos serait devenue un musée comme [l’église de la Sainte Croix] à Van (collectif VAN 18/02/2011). 17 Édifice datant du 15e siècle, Sourp Guiragos, la plus grande église arménienne du Moyen-Orient, est en réalité un complexe s’étendant sur plus de 3200 mètres carrés comprenant l’église à plusieurs autels, chapelles, école et maisons pour les prêtres. Confisquée par l’armée allemande, l’église a servi de quartier-général jusqu’en 1918 puis a été transformée en entrepôt avant d’être laissée progressivement à l’abandon. La restauration entreprise en 2009 s’est voulue respectueuse de la construction d’origine : c’est un toit traditionnel qui a été refait avec une terre régulièrement aérée et débarrassée des graines pour empêcher la pousse de plantes. Consacrée le 22 octobre 2011 dans une ville où il ne restait plus dans les années 1980 qu’une seule famille arménienne, l’église Sourp Guiragos a été inaugurée en présence d’Arméniens venus d’Arménie, de France et des États-Unis. Des personnalités comme Hovanissian, ancien ministre des affaires étrangères d’Arménie et leader du parti Jarankoutioun [Héritage]– terme qui signifie très précisément le « patrimoine » en arménien –, Francis Ricciardone l’ambassadeur américain en Turquie et l’archevêque Vicken Ayvazian représentant de l’église apostolique arménienne d’Amérique ont assisté à cette cérémonie galvanisante aux côtés de porte-paroles du patriarcat grec, de l’église

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syriaque et d’Osman Baydemir. D’une portée plus symbolique encore, le baptême de plusieurs douzaines de musulmans sunnites d’origine arménienne, ces fameux « crypto-Arméniens » dont les ancêtres survivants du génocide ont été convertis à l’Islam, était de nature à susciter une forte émotion. À Diyarbakır, le réalisateur Bernard Mangiante s’est entretenu avec Armen, l’un d’entre eux : J’ai toujours vécu, depuis que j’ai une conscience, en sachant que j’étais arménien, que j’étais chrétien, mes deux frères aussi. Mais par exemple j’ai un frère aîné qui lui vit comme un musulman. En fait, on nous a appris qu’on était arméniens la première fois, parce que dans la famille on ne le cachait pas mais on n’en parlait pas non plus forcément. Dans la rue lorsqu’il y avait des bagarres avec les enfants, les enfants nous disaient « vous êtes des giavour, des infidèles ». En rentrant à la maison on demandait à notre père « qu’est-ce c’est qu’un giavour ? » et mon père répondait : « on n’est pas des giavour mais on est des Arméniens ». Et après on a commencé à voir des membres de la famille qui vivent ailleurs, mais qui venaient nous voir, qui étaient Arméniens et chrétiens. Donc on avait des exemples devant nous. Pour moi j’étais Arménien et chrétien. Et mon frère aîné, lui il dit « je suis Arménien mais je suis musulman », en terme de croyance, voilà il a choisi comme ça16. 18 Réconciliation ou réparation17, le « retour » des Arméniens à Diyarbakır s’est déroulé dans un climat d’effusion (Jones 17/12/2013) dont témoignèrent tous les membres de l’assistance. « Cette ville est la vôtre autant que la mienne. Vous avez autant de droits sur cette ville que j’en ai » déclara Osman Baydemir lors de la cérémonie. Plus qu’un retour des Arméniens, la restauration de l’église Sourp Guiragos signifie aussi dans le contexte d’une municipalité kurde attentive à la patrimonialisation de la langue, la possibilité pour quarante « crypto-Arméniens » (Ritter et Sivaslian 2012), y compris des enfants et des vieillards, d’y faire grâce à l’appui de la communauté arménienne d’Istanbul l’apprentissage de la langue arménienne. Pour autant, Sourp Guiragos n’a pas complètement échappé, en dépit de sa consécration et de la réouverture au culte, à une mesure partielle, sans doute prophylactique, de muséification.

Vue intérieure de l’église restaurée de Sourp Guiragos (Diyarbakır) Mickael Jimenez-Matheossian Consulté le 30 septembre 2014 sur la plateforme Repair. http:// www.repairfuture.net/index.php/fr/jour-1-sourp-guiragos-sous-plastique-mjm

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19 En septembre 2013, un protocole signé entre le maire Osman Baydemir et le président de la fondation Sourp Guiragos Ergün Ayık, prévoit finalement qu’une partie de l’église sera octroyée à la municipalité et transformée en musée (Hürriyet daily news 10/09/2013). Sourp Guiragos entame ainsi sous les auspices ambigus d’une exposition d’artefacts ethnographiques arméniens, le deuxième acte de sa mise en patrimoine dans le contexte d’une municipalité kurde.

Arrêt sur image : les fontaines de Havav

20 Le village de Havav ou Habab, aujourd’hui Ekinözü, dans le département d’Elazığ, arrondissement de Palu, est le village d’origine de la désormais célèbre grand-mère de Fethiye Çetin. Femme d’exception née en 1950 en Anatolie orientale dans un foyer de musulmans pauvres, Fethiye Çetin a publié en 2004, deux ans après l’arrivée au pouvoir de l’AKP, Le livre de ma grand-mère, un ouvrage réédité depuis lors et traduit dans de nombreuses langues, ouvrage qui révéla au grand jour l’existence des Arméniens islamisés en Turquie (Çetin 2013). Femme combattante, Fethiye Çetin, l’une des avocates les plus en vue de la fondation Hrant Dink, mène depuis 2007 un combat acharné pour faire reconnaître la responsabilité de « l’État profond » dans le meurtre du directeur du journal Agos. C’est à l’âge adulte qu’elle a découvert, petit à petit, l’identité arménienne de sa grand-mère adorée, Seher, née Héranouche Gadarian. Lorsque celle-ci disparaît en 2000, à l’âge de 95 ans, laissant une nombreuse descendance turque, Fethiye fait paraître dans Agos, à Istanbul, un faire-part qui, révélant la vie de sa grand-mère, résume celle de milliers de jeunes filles arméniennes islamisées de force : oubli de la langue et de la religion, peur et silence des origines, mémoire (ou refoulement) de « l’inoubliable » (A. Ter Minassian 2013 : 54).

La petite Héranouche issue d’une famille respectée fréquentait l’école arménienne de Havav, près de Palu. En 1915, alors que son père est aux États-Unis, elle a vécu avec sa famille toutes les phases du génocide arménien, du massacre des hommes à la déportation des femmes et des enfants. Elle a assisté à des scènes atroces sur les rives de l’Euphrate, avant d’être enlevée à l’âge de dix ans, adoptée et dénommée Seher par un caporal turc. Tandis que son destin se scellait en Turquie par un mariage forcé, des circonstances miraculeuses permettaient les retrouvailles de son père et de sa mère qui, sans jamais l’oublier, reconstruisaient une nouvelle famille à New York. Bien des années après, Fethiye Çetin, dépositaire de ce lourd fardeau familial et historique, ira reconnaître ses cousins arméniens d’Amérique. Havav était un village entièrement arménien en 1915. Son monastère, actuellement en ruines, était le siège du diocèse de Palahovid (Palu) qui avait dans sa dépendance 41 localités et 40 églises. Né de l’initiative de Fethiye Çetin, le programme de restauration des deux fontaines de Havav, une fois surmontées les difficultés administratives et la méfiance de la population locale, est l’exemple même des réparations que les Arméniens pourraient exiger de l’État turc. « Nous devions rénover ces fontaines (…). Nous avons la responsabilité de sauver ce patrimoine (…). Il ne s’agissait pas d’une restauration ordinaire, il nous fallait travailler de concert avec les villageois en évoquant les événements du passé, en brisant le silence installé depuis cent ans, en levant le voile qui occulte les mémoires » (cité dans Çetin 2013 : 114). Travail pionnier de réhabilitation, la restauration des fontaines de Havav a été entreprise en 2009 sous l’égide de la Fondation Hrant Dink, l’association des architectes

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arméniens d’Istanbul HayCar et l’Organisation Terre et Culture. Confié à l’architecte Nihan Sağman, le projet a finalement obtenu au printemps 2011 l’agrément indispensable du Ministère de la Culture. Une entreprise locale a été engagée pour le gros œuvre mais ce chantier de restauration à forte portée symbolique n’a pas manqué d’attirer des volontaires recrutés par la Fondation Hrant Dink et par Terre et Culture en Turquie, en France et en République d’Arménie (Organisation Terre et Culture 2012). C’est l’occasion d’un contact avec la population et d’expérimenter sur le terrain une véritable anthropologie historique du patrimoine. « Le démarrage des travaux a été fixé pour le début du mois d’août (…). Il faisait très chaud et c’était la période du ramadan, tout était en sommeil. Nous avons appris à ce moment-là qu’une discussion avait agité le village ; les habitants en majorité étaient convaincus qu’en venant sur place, nous voulions récupérer les trésors des Arméniens, l’or caché qu’eux-mêmes n’avaient pas réussi à découvrir. À l’heure de la rupture du jeûne, nous avions de longues conversations sous l’arbre en face de la mosquée. Nous nous promenions dans le village, nous rendions des visites pour parler avec les jeunes et les anciens (…). Un jour, à la pause de midi, pendant que nous étions éloignés des fontaines, les gendarmes avaient été appelés sous prétexte que “des chercheurs d’or” faisaient des recherches » (Çetin 2013 : 122). Au fil du temps, comme dans un conte moral, cette incompréhension sera surmontée : malgré leurs réticences initiales, les villageois finiront par montrer un comportement amical. De leur côté, les restaurateurs des fontaines s’émerveilleront de découvrir le système d’adduction très perfectionné qui permettait de desservir les deux fontaines « tout en étant consternés encore une fois par les dégâts causés par les chercheurs d’or ». Inaugurées le 25 novembre 2011, les fontaines restaurées de Havav pourraient être suivies par la restauration d’autres édifices comme l’église pourtant totalement délabrée voire même le sauvetage du monastère. L’initiative n’est pas seulement patrimoniale, elle vise à la réconciliation et à la réparation. En mai 2012, un festival organisé dans le village de Havav par la Fondation Hrant Dink a permis de poursuivre l’expérience. « La présence de Fethiye Çetin et l’ouverture du village au monde extérieur et arménien ont conduit plusieurs villageois à révéler à leur tour l’existence d’une grand- mère arménienne dans leur famille. Ces personnes seraient appelées Groung. Si, par ailleurs, de nombreux villageois ont contribué autrefois à détruire les vestiges arméniens qu’ils avaient sous leurs yeux, d’autres en ont pieusement conservé quelques-uns » (Organisation Terre et Culture 2012). Surtout, les fontaines de Havav ont suscité de nouvelles initiatives patrimoniales. La fondation Anadolu Kültür, l’association HayCar, les éditions Birzamanlar, la fondation Hrant Dink, l’organisation Terre et Culture ont lancé un nouveau programme en faveur de la « sauvegarde de l’héritage historique en Turquie ». Ce programme vient compléter tout un arsenal d’initiatives récentes.

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Les fontaines de Havav avant la restauration. Organisation Terre et Culture

Les fontaines de Havav après la restauration Organisation Terre et Culture

III. Inventaires

21 En Turquie où la notion même de patrimoine n’est pas nettement définie, le patrimoine arménien n’est pas identifié, ni identifiable à travers une nomenclature précise. Dans le

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tour d’horizon général qui est l’objet de cet article, il convient de mentionner sans pouvoir développer davantage le patrimoine immatériel : la langue et l’alphabet arméniens constituent ce patrimoine immatériel dont la situation actuelle est extrêmement préoccupante. De fait, les Arméniens sont la minorité de Turquie aux côtés des Kurdes – pourtant précisément les Kurdes ne sont pas reconnus comme minorité – des Lazes, des Géorgiens, des Juifs, des Assyriens ou des Tcherkesses qui parle le moins bien sa propre langue. Ceci en dépit d’institutions scolaires encore en assez grand nombre, de l’existence du prestigieux lycée Getronagan à Istanbul, de quelques journaux (Agos, Marmara, Jamanak) et maisons d’édition bilingues (Aras) et/ou turcophones. De récentes propositions en faveur d’un enseignement en langue maternelle formulées avec l’appui du président de la fondation Anadolu Kültür, Osman Kavala, entrepreneur patrimonial et voix des minorités auprès des instances étatiques, témoigne d’une prise de conscience. S’il convient de distinguer le patrimoine matériel du patrimoine immatériel, il faut également distinguer dans le champ du patrimoine arménien les « Biens Nationaux » appartenant à la communauté des Arméniens de l’Empire ottoman (Patriarcat de Constantinople, Catholicossat de , établissements laïcs) des biens des personnes privées (biens immeubles, biens meubles, instruments agricoles, pertes des récoltes d’une année, bétail, provisions, capitaux), saisis ou « transférés » durant le génocide (D. Kévonian 2008 : 36)18. L’inventaire des Biens Nationaux tout comme celui des biens privés des Arméniens massacrés ou déportés rentre quant à lui, cent ans après le génocide, dans le vaste champ d’expertise du « Collectif Réparations »…auquel semble répondre sur un autre mode la plateforme arméno-turque Repair vouée au dialogue des sociétés civiles turques et arméniennes sous l’égide des fondations Yerkir-Europe et Anadolu Kültür.

Monuments de Haute-Arménie : de la topographie à l’inventaire des Biens Nationaux

22 Associé à une image récurrente de destruction et de dégradation, le patrimoine arménien d’Anatolie n’est connu en détail qu’à travers ses monuments les plus remarquables ou le biais d’enquêtes détaillées mais ne portant que sur des secteurs limités. Leur identification est souvent une tâche complexe car la turquification des toponymes entreprise à l’époque de Mustafa Kemal a posé une chape opaque sur la topographie du plateau arménien nécessitant l’usage de dictionnaires ou plus récemment de sites Internet19 spécialement dédiés à un usage historique ou patrimonial20. Voués à la vulgarisation, un grand nombre de sites internet proposent des visites virtuelles des monuments les plus connus comme le site Virtual Ani qui expose tout ce qu’il faut savoir sur la « citadelle arménienne désertée »21. Plus que ou Vagharchapat, le site d’Ani, capitale des Bagratouni au 10e siècle a stimulé « l’imaginaire national » arménien à partir de la fin du 19e siècle. Il n’est d’ailleurs pas exagéré de considérer que l’exploration et la fouille de ce site sous l’égide du jeune savant pétersbourgeois, orientaliste, linguiste et archéologue Nikolaï Marr en 1892 marquent pour les Arméniens l’acte de naissance de la notion moderne de patrimoine (Ter Minassian 2007 : 32sqq.). Dans le court laps de temps où la région incombait encore à la première république d’Arménie, la Commission pour la préservation des monuments historiques de la république indépendante d’Arménie présidée par l’architecte Alexandre Tamanian avait envoyé en juillet 1920 une équipe d’architectes, d’archéologues, de photographes, de peintres et d’historiens de l’Art parmi lesquels

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l’archéologue Toros Toramanian et l’archéologue Ashgharbek Kalantar. Quelques semaines avant l’offensive kémaliste et la chute de Kars le 30 octobre 1920, cette équipe parvint à accomplir une reconnaissance complète du site en même temps que la couverture photographique des vestiges, murs d’enceinte, églises, sculptures, khatchkars et pierres funéraires. Ces photographies forment un horizon de comparaison à partir duquel on peut juger de l’état de dégradation du site actuel. Virtual Ani procède à un impitoyable relevé, photographies à l’appui, des « activités de destruction perpétrées par le Ministère turc de la Culture ». Dans les années 1990, le Ministère de la Culture et du Tourisme de la République de Turquie s’est rendu responsable d’une « restauration » des murs défensifs d’Ani, opération qui leur a causé des dommages irrémédiables. En 2008, le Ministère a repris ses activités destructrices à Ani. On vit soudainement apparaître à travers le site, sur tous les édifices des colonnes d’acier peintes d’un rouge éclatant. En apparence, ces colonnes sont destinées à soutenir et à préserver les monuments. En réalité, elles ne jouent absolument pas ce rôle ; elles contribuent à défigurer visuellement les édifices et dans certains cas, elles ont d’ores et déjà contribué à les endommager (Virtual Ani 09/12/2008). 23 Il convient cependant de préciser que d’autres travaux semblent avoir été effectués depuis lors : en octobre 2013, l’église du Rédempteur était dotée d’un système d’étayage plus sérieux et était entourée d’échafaudages en bois augurant de quelque travail de restauration.

Ani, l’église du Rédempteur en octobre 2013. Philippe Dangles

24 Des travaux de restauration ont également été entrepris à l’église Saint-Grégoire des Abughamrents, restauration non achevée en octobre 2013 comme l’atteste la présence d’échafaudages.

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Ani, l’église d’Abughamrents, été 2014 Collection particulière

Panneau de présentation de l’église d’Abughamrents vandalisé, été 2014 Collection particulière

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Ani, église d’Abughamrents, détails de la restauration intérieure et grafftis, été 2014 Collection particulière

25 Au nord-est de la préfecture de Kars, à un jet de pierre de la frontière avec l’Arménie, Ani, site patrimonial par excellence d’une capitale aujourd’hui « expatriée », n’est pourtant pas l’exemple d’un site délaissé par les savants et les archéologues. De 1998 à 2010, la mission archéologique française dirigée par Jean-Pierre Mahé a eu pour objectif de dresser en collaboration avec Beyhan Karamağaralı (Université Hacettepe) la topographie urbaine et monumentale de la ville d’Ani au cours des âges.

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Panneau de présentation du site d’Ani. Noter que la dégradation du panneau semble volontaire Collection particulière

26 La mission composée d’archéologues, d’architectes, de topographes et d’épigraphistes s’était assignée cinq tâches principales dont la première était l’étude de l’enceinte urbaine et des fortifications d’Ani. La mission devait également évaluer les coûts et les modalités de la consolidation de la cathédrale, procéder à un état des lieux complet, à des prospections géophysiques et à une étude sur le terrain des textes épigraphiques.

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Ani, Cathédrale vue du sud-ouest. Noter l’étayage métallique de couleur rouge Collection particulière

27 L’archéologie entretient on le sait, un rapport ambivalent avec les notions et surtout les pratiques, de conservation et de restauration. S’agissant des fortifications, il semblerait que les archéologues aient tiré un certain profit scientifique des destructions successives dues aux séismes intervenus dans la région. Par un bonheur ambigu, la chronologie relative de mise en place des ouvrages de cette double enceinte septentrionale peut être établie avec certitude grâce aux tremblements de terre, qui ont tantôt entraîné l’effondrement de la courtine primitive méridionale, permettant de lire en négatif les adjonctions successives comme autant de « pelures d’oignons » effeuillées depuis le cœur, tantôt pratiqué des « fenêtres » en écorché dans la peau externe des tours, laissant voir l’imbrication des « poupées russes » qu’elles constituent. Ces coups de sabre et ces écorchés s’offrent donc à l’analyse archéologique comme un immense livre ouvert (...) (Mahé et al. 1999 : 740). 28 Tout autre fut le sort, à une dizaine de kilomètres d’Ani, du complexe monastique de – dont les bâtiments les plus anciens datent du 10e siècle – étudié au début du 20e siècle par l’historien de l’architecture Toros Toramanian et abandonné depuis la Première Guerre mondiale. Le couvent est utilisé comme estive par des Kurdes semi- nomades de la région, les monuments s’altérant inexorablement comme en témoigne l’effondrement de l’église Sourp Hovannès durant les années 1980 (Baladian, Thierry et Mahé 2002). Iconique et patrimoniale, l’église de Tekor est un autre monument archétypal22 datant du 5e siècle étudié par Toros Toramanian. Monument fréquemment cité dans l’architecture soviétique de style néo-arménien, l’église Saint-Serge de Tékor a fourni en particulier le modèle des puissantes arches monumentales de la Maison du gouvernement édifiée à Erevan en 1939-1941 (architecte : Alexandre Tamanian). Détruite par les séismes de 1911 et de 1935, l’église de Tékor nous est connue par les

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documents d’archives et les photographies : on peut ainsi considérer qu’elle est désormais devenue un « monument immatériel ».

L’organisation HayCar organise fréquemment des conférences vouées au patrimoine arménien de l’Anatolie. Cette affche annonce une conférence de l’architecte Zakarya Mildanoğlu sur le patrimoine arménien de la région de

29 À côté de ces monuments célèbres, édifices cultes du répertoire de l’architecture arménienne, une foule d’édifices arméniens devenus anonymes et pour beaucoup d’entre eux également « immatériels » attendent encore leur inventaire. Précurseur, Jean-Michel Thierry (1916-2011), chirurgien et historien de l’art et de l’architecture, a entrepris à partir de 1964 avec son épouse Nicole l’exploration des régions montagneuses de la « Haute-Arménie ». Explorateur patrimonial doté de compétences d’architecte, d’archéologue, d’épigraphiste, de linguiste et de solides jambes de marcheur, Jean-Michel Thierry a procédé au cours de trente voyages à une reconnaissance aussi exhaustive que possible de secteurs entiers de l’Anatolie orientale. Bravant la méfiance des autorités, le couple Thierry a constitué avec une intention d’exhaustivité une documentation sur les monuments de Haute-Arménie (Thierry de Crussol 2005). Il procède à la description, à l’inventaire et à la datation des monuments encore visibles et identifiables dans la haute plaine de Garin (Erzurum), le district de Tercan, la plaine d’Erznka (Erzincan), le bassin de Kamax (Kemah), le mont Sepuh, les régions de Bayburt et d’İspir, les districts de Basen, Kuruçay et d’Akn. Ce travail est donc un outil indispensable pour l’organisation Terre et Culture impliquée dans l’inventaire, en cours, des Biens Nationaux arméniens. Située en aval de Garin/Erzeroum sur l’Euphrate occidental, la région d’Erznga représente dans la géographie traditionnelle de l’Arménie le canton d’Egueghiats. Culminant avec le mont Sébouh, les montagnes qui le bordent à l’ouest raccordent ce canton à celui de Taranaghi, qui s’étend au-delà autour de Gamakh. Ces cantons forment la partie occidentale de la province de Haute-Arménie [Partzr Hayk]. Ils ont joué un rôle notoire dans l’histoire de l’Arménie, abritant dans l’antiquité les

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sépultures de rois et le sanctuaire d’Anahid, et devenant au IVe siècle les premières étapes de la prédication de Saint Grégoire l’Illuminateur. C’est là que la tradition rapportée par Agathange fait supplicier Saint Grégoire, et c’est là que celui-ci terminera ses jours dans sa retraite du mont Sébouh. Le mont Sébouh a toujours été pour les Arméniens une montagne sacrée, d’où la floraison d’ermitages et de monastères qu’elle a de tous temps abritée. On comprend la place que tiendra l’Illuminateur dans les dédicaces de nombreux monuments de la région, édifiés sur les lieux de ses supplices, de sa retraite, de son tombeau (K. Kévonian 2008 : 37). 30 Le projet d’un inventaire général des Biens Nationaux mené au sein de l’Organisation Terre et Culture par Kéram Kévonian et Haroutioun Khatchadourian a donc naturellement commencé en 2008 par « l’inventaire provisoire des Biens Nationaux d’Erznga et de sa région ». Églises, couvents, monastères, écoles – la ville d’Erznga en possédait neuf au 19e siècle – cet inventaire qui fait mention de près de 200 Biens n’est pourtant pas complet. Les grands complexes monastiques par exemple possédaient plusieurs églises, une cour intérieure avec un bassin, des logis, des magasins, des greniers, des bergeries, des étables ou des écuries et même éventuellement une école. Haroutioun Khatchadourian précise que les biens fonciers des monastères (terres, bois, domaines) n’ont pas pu être pris en compte dans cet inventaire (Khatchadourian 2008).

Istanbul : du patrimoine ottoman au patrimoine arménien

31 Le patrimoine arménien à Istanbul occupe de toute évidence une place à part. Un volume entier ne suffirait pas à épuiser cette question d’ailleurs en plein chantier. Aussi se bornera-t-on ici à évoquer quelques initiatives essentielles et quelques impressions. Associé à l’image rémanente de Constantinople au 19e siècle, le patrimoine arménien de la capitale ottomane entretient une relation particulière avec la photographie soit que celle-ci intervienne à titre documentaire pour illustrer l’existence d’un passé arménien soit qu’elle parvienne au contraire par le regard des photographes arméniens à faire persister une Constantinople, définitivement perdue, en quelque sorte universellement patrimoniale. De l’atelier des frères Vicken, Kévork et Hovsep Abdullah, photographes du Sultan à Ara Güler, le « prince du Leica », les photographes arméniens sont parvenus à une renommée mondiale (Pinguet 2011). Le regard photographique arménien sur la société ottomane, un regard tour à tour, « orientaliste », portraitiste, patrimonial, quotidien ou pittoresque, fait persister dans nos rétines l’image d’une société disparue. Ce patrimoine photographique23 dont une partie était œuvre de commande lorsqu’en 1893 le Sultan Abdülhamid II désira qu’on lui dresse un portrait de son empire, est la porte d’entrée la plus sensible, la plus immédiate, dans l’univers arménien de la fin de l’époque ottomane24. On serait tenté de fixer l’autre borne chronologique de cet héritage photographique dans le reportage d’Ara Güler pour le quotidien arménien Jamanak en mai 1952 sur les pêcheurs arméniens du quartier populaire de Kumkapı (Güler 2010), un quartier qui ne comporte presque plus, hormis le Patriarcat et l’école Bezdjian, de trace de sa population arménienne d’autrefois et dont la partie littorale fut entièrement transformée à la fin des années 1950, à l’époque de Menderes, par la construction de l’avenue Kennedy. Ara Güler rappelle qu’à cette époque, la technologie utilisée par les périodiques et les journaux ne permettait pas l’utilisation de la photographie couleur. Mais quand j’entendis que le village de pêcheurs de Kumkapı était sur le point d’être démoli, je m’y rendis à plusieurs reprises et je pris de nombreuses photos en couleurs. Après une longue

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recherche dans mes archives, je finis par les retrouver mais complètement ruinées par le passage du temps, elles étaient devenues toutes rouges. C’est ainsi que les pêcheurs de Kumkapı entrent dans l’histoire en noir et blanc. Les pêcheurs prenaient la mer dans l’obscurité de la nuit et revenaient à la pointe du jour, emmenant leur pêche au marché après en avoir partagé une partie avec les goygoygcus. Les goygoygcus prenaient la file dans la nuit noire, retournant les filets, hurlant dans la queue ; le poisson pris dans le filet glissait, s’échappait, scintillant dans la lumière de la torche tremblante, et tout ce monde se dirigeait aux petites heures du jour vers la silhouette d’Istanbul hérissée de . Et voici tout ce qui reste du charmant village de pêcheurs de Kumkapı : quelques photographies en noir et blanc et mes souvenirs de ces heures sombres avant l’aube (Ibid. : 16).

Plaques signalant les édifces historiques de la municipalité de Beyoğlu. T. Ter Minassian

32 Aujourd’hui, l’atelier d’Ara Güler, et le petit restaurant dont il est le propriétaire, à deux pas d’İstiklal Caddesi et du lycée Galatasaray est le point de départ idéal d’une excursion urbaine sur le thème du patrimoine arménien. Bien entendu, un tel parcours n’est proposé par aucune agence de tourisme mais le promeneur saura être sensible aux indices laissés par la municipalité de Beyoğlu qui a apposé 63 plaques sur des immeubles « classés » d’İstiklal et de ses environs immédiats25.

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Istanbul, Beyoğlu: Mısır Apartmanı (1910), Architecte: Hovsep Aznavur T. Ter Minassian

33 La patrimonialisation de Beyoğlu sous les auspices du maire AKP Ahmet Misbah Demircan laisse échapper cependant quelques repères de topographie arménienne : les locaux du journal Jamanak à Narmanlı Hanı, les ateliers de photographie Abdullah Frères et de Phébus, l’immeuble Mısır Apartmanı, l’ancien hôtel Tokatlian sont dotés de ces élégantes plaques portant l’emblème de la tour de Galata. En termes de protection ou de valorisation patrimoniale, elles semblent relever d’une intention purement signalétique.

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Istanbul, Beyoğlu : l’ancien édifce de l’hôtel Tokatlian T. Ter Minassian

34 L’ancien hôtel Tokatlian au coin d’İstiklal et de Solakzade, d’aspect vétuste, abrite des bureaux d’avocats, des sièges de journaux et au rez-de-chaussée divers entrepôts et arrière-boutiques. Qu’est-ce qui justifierait sa mise en patrimoine si ce n’est l’identité de son architecte Hovsep Aznavour (1854-1935), un architecte arménien dont le nom est attaché à de prestigieux immeubles de rapport comme le somptueux immeuble Mısır Apartmanı, la monumentale fabrique de tabac (aujourd’hui l’université Kadir Has) ainsi qu’à l’église Saint-Stéphane des Bulgares d’Istanbul ? Prouesse technique, cet édifice qui combine les styles néo-gothique et néo- est en fait un objet architectural moderne puisqu’il s’agit d’un prototype expérimental d’église préfabriquée en acier comparable aux modèles conçus à la même époque par Gustave Eiffel. Le nom de Hovsep Aznavour, comme dans un autre registre – tout à la fois moderne, éclectique et néo-ottoman – celui d’Alexandre Vallaury est donc attaché à la modernité architecturale et à l’ère de l’occidentalisation de Constantinople (Museum of Architecture s.d. ; Çandar 10/12/2010) au tournant du 20e siècle.

35 C’est au 19e siècle cependant que les Arméniens apportèrent leur contribution la plus spectaculaire à l’architecture de la capitale ottomane. Si le nom des Balian est généralement mentionné dans les guides et les brochures touristiques, le fait n’est généralement pas objectivé à sa juste mesure car selon beaucoup d’Arméniens, les « Balian ont construit la moitié de cette ville »… La formule est sans doute exagérée mais il est vrai que tout au long du 19e siècle, les Balian formèrent une véritable dynastie d’architectes et inventèrent les formes les plus outrées de la nouvelle monumentalité ottomane. Leur contribution à l’histoire de l’architecture ottomane et à l’élaboration des formes de la culture urbaine, sans compter le rôle plus modeste des nombreux kalfa [maître-assistant] arméniens de la capitale. « Architectes impériaux » pendant près d’un

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siècle, les neuf architectes de la famille Balian furent au service du pouvoir ottoman durant quatre générations et construisirent de magnifiques palais, des pavillons, des demeures luxueuses, des mosquées, mais aussi des bâtiments civils et militaires tels que des casernes, des hôpitaux ou des écoles. Architecte du fameux « palais-polder » de Dolmabahçe (1856) sur les rives du Bosphore, Garabed Amira Balian (1800-1866) conçut une nouvelle résidence impériale dans un style éclectique opérant une synthèse audacieuse de l’ensemble des styles européens. Ultime manifestation de la préférence impériale pour un style architectural importé d’Europe, le palais de Dolmabahçe a mobilisé une équipe d’architectes dont la composition exacte a été le sujet d’un débat historique. Cependant, « des recherches effectuées au cours des dernières années basées sur des documents issus des Archives du premier ministre ont établi les noms de Garabet et Evanis, et durant la dernière étape du chantier, le nom de Nigoghos en tant que Saray-ı Hümayun Kalfası » (Kuruyazıcı 2010 : 45)26. 36 Avec sa façade principale donnant sur la rive du Bosphore, l’édifice longitudinal emprunte aux principes de symétrie, de clarté, d’axialité et de régularité professés aux Beaux-Arts même si l’intérieur emprunte les structures de la maison turque. Audacieusement éclectique, peut-être sous l’influence du style « Empire français » et de Charles Garnier, le style composite à la fois occidental et oriental adopté par Garabed Balian à Dolmabahçe, et répété dans bien d’autres édifices de prestige de la capitale, procède d’un mélange singulier et baroque des ordres classiques et d’une ornementation « coloniale » évoquant les Indes lointaines ou l’Empire portugais. Longtemps assimilé au style dévoyé de l’Empire ottoman et de l’architecture alla franca, l’architecture des Balian est aujourd’hui réévaluée et assimilée à une tentative de création d’un style moderne ottoman (Ibid. ; Wharton 2010). Son appropriation en tant que « patrimoine arménien » ou du moins construit par des Arméniens27 est un phénomène intéressant qui semble spontanément venir à la rencontre… du néo- ottomanisme patrimonial de l’AKP ! Dans ce contexte, la restauration de l’église arménienne Sourp Vordvots Vorotman, œuvre de Krikor Balian (1828), et sa réouverture en 2011 – l’église était à l’abandon depuis la Première Guerre mondiale – sous les auspices de l’archevêque Aram Atechian et le ministre turc du commerce Hayati Yazıcı en tant que « centre culturel », illustre les initiatives prises en 2010 dans le cadre du programme Istanbul, capitale européenne de la culture. D’un montant d’un million et demi de dollars, ce chantier de restauration a été possible grâce à un accord entre la fondation Sourp Mariam Astvadzadzin et l’agence Istanbul 2010 (Panorama.am 28/12/2011).

Patrimoine immobilier, fondations et biens saisis à Istanbul : la « Déclaration 2012 »

37 Le maquis législatif entourant la question des fondations religieuses non-musulmanes et des biens Waqfs arméniens depuis l’époque ottomane et d’une manière générale la question des « biens saisis » est le sujet sensible d’une historiographie récente, encore au stade de l’enfance (Der Matossian 2011). Ses enjeux en sont multiples car il s’agit autant d’éclairer la dimension économique du génocide que de mettre en valeur « le tabou dans le tabou » selon la belle expression de Bedross Der Matossian, c’est-à-dire que « le continuum confiscation/appropriation des biens arméniens constitue un élément clé de la continuité historique entre l’Empire et la République » (Ibid. : §6)Sujet sous-jacent mais jamais abordé frontalement, la création d’une classe d’entrepreneurs turcs dans le

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contexte kémaliste pourrait ainsi trouver sa source dans le grand transfert de biens et de capitaux consécutifs au génocide. L’ingénierie ethnique mise en œuvre par les Jeunes-Turcs n’aurait pas eu selon cette perspective qu’un aspect démographique mais également un volet économique dont l’enjeu aurait été au début de la République, au moment de l’échange de 1923, de redistribuer une partie des propriétés confisquées aux immigrés balkaniques afin de créer de toutes pièces une classe d’entrepreneurs turcs notoirement inexistante à la fin de l’époque ottomane28. Ce volet de la question du patrimoine arménien pris dans son sens le plus littéral, est évidemment le plus opaque même si, s’agissant des biens saisis des fondations religieuses, des avancées significatives ont eu lieu au cours des dernières années.

38 Insérées dans un cadre juridique complexe sans cesse remanié à la fin de l’Empire ottoman (loi de 1912), tout au long de la période kémaliste (traité de Lausanne en 1923, loi sur les Fondations de 1935, Déclaration de 1936, Statut de 1956) puis durant ces dernières années par les lois successives de 2003, 2008 et 2011, les fondations religieuses arméniennes comme les fondations non-musulmanes en général sont régies par la Direction générale des Fondations [Cemaat Vakıfları Temsilci Ofisi], un organisme qui a longtemps régi les biens des communautés comme la survivance d’une anomalie inacceptable dans la Turquie moderne, imposée de l’extérieur par le traité de Lausanne de 1923. Lorsqu’elle n’intervenait pas pour disputer aux institutions communautaires tel ou tel lopin de terrain, la Direction générale des Fondations veillait ainsi à appliquer, de la manière la plus stricte, un fouillis de décisions de justice, de réglementations et de procédures qui ont fini, avec le temps, par constituer un véritable carcan administratif autour des communautés. Citons parmi les interdits qui visaient à les encadrer ou à les contrôler, celui d’effectuer les réparations des bâtiments sans autorisation, celui de modifier la fonction d’un bien immobilier ou encore celui de transférer de l’argent d’une fondation à une autre... (Ter Minassian 2012 : 32). 39 L’étau s’est cependant desserré depuis que la loi de 2008 a introduit des changements notables avec le suivi de l’Union Européenne : jusque-là composé uniquement de fonctionnaires, le bureau de la Direction générale des Fondations est désormais composé d’un conseil d’administration de quinze membres dont cinq sont élus. Premier non-musulman de la république turque à siéger au sein de cette institution basée à Ankara, Laki Vingas, fils d’un grec orthodoxe et d’une levantine catholique a été élu en décembre 2008 puis réélu en décembre 2011. La loi de 2008 a certainement amélioré notre situation. Désormais, les fondations religieuses sont autorisées à vendre et acheter des terrains ou des bâtiments. Elles peuvent effectuer des réparations sur leurs immeubles, transférer des biens à une autre fondation si elle a besoin du financement ou recevoir des donations de l’étranger. Enfin, une fondation peut désormais ouvrir un commerce, créer une société, la revendre, la fusionner ou bâtir avec d’autres fondations, une société pour fonder une université. Tout ceci est maintenant possible. Cependant, la réforme de 2008, pas plus que celle de 2003, n’a résolu totalement la question des propriétés saisies par l’État après 1974. Les lois de 2003 et de 2008 ont permis de rétrocéder aux minorités environ 600 biens immobiliers. Mais certains cas restaient litigieux (Vingas 2012 : 35).

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Istanbul, Beyoğlu : l’église Sourp Yerortoutioun. T. Ter Minassian

40 Garantissant aux institutions communautaires (écoles, églises, hôpitaux, cimetières, etc. lesquelles sont des hayrats c’est-à-dire des propriétés charitables) une source de revenus régulière, les fondations arméniennes à Istanbul sont réparties dans tous les quartiers où les Arméniens s’étaient historiquement implantés. La carte de la répartition des fondations dans l’espace urbain tentaculaire de l’agglomération actuelle d’Istanbul montre sans surprise que les biens immobiliers se situent à une exception près dans le vieux Stamboul, à Pera et à Üsküdar, dans les îles et le long du Bosphore29. La seule propriété en dehors des quartiers anciens est le village d’Ermeniköy : cette propriété, dans une zone où plus un seul Arménien ne réside aujourd’hui, a été saisie.

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Istanbul, Beyoğlu : entrée du lycée Getronagan T. Ter Minassian

Istanbul, Beyoğlu : portail et cour intérieure du lycée Getronagan T. Ter Minassian

41 Avec ses églises (56 au total dont 48 fonctionnent encore en tant que telles), ses écoles (16 écoles ainsi que le lycée Getronagan et le lycée Essayan où sont inscrits en

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2012-2013 un total de 3129 élèves), ses deux hôpitaux et ses cimetières, le patrimoine immobilier arménien a été l’objet d’un gigantesque travail d’inventaire mené sous l’égide de la fondation Hrant Dink30 avec le soutien de l’Union Européenne et de la Fondation Open Society (Polatel et al .2012). Cet important volume de 479 pages donne un aperçu exhaustif de la législation, des listes, des tableaux, de nombreuses cartes et des chapitres aussi détaillés que possible sur la situation des biens arméniens dans chaque quartier d’Istanbul.

Travaux de restauration au Patriarcat arménien à Kumkapı T. Ter Minassian

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Plaques apposées au Patriarcat arménien après les travaux de restauration entrepris dans le cadre d’Istanbul, capitale européenne de la culture. T. Ter Minassian

42 Plusieurs histoires particulières de propriétés saisies sont évoquées en détail : celle des démêlés de l’orphelinat Kalfayan, exproprié avant la construction du pont sur le Bosphore en 1970, celle de l’école des Mekhitaristes Bomonti forcée à payer la location de ses propres locaux, la saisie du monastère Andonian et de l’école arménienne catholique d’Ortaköy, l’hôpital Sourp Pergitch (Yedikule) et l’épineuse question de l’immeuble IGS sur Istiklal dont l’issue fut finalement tranchée en 2007 au terme d’une décennie de procédures légales, par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. L’hôpital Sourp Pergitch, fondé en 1832 par l’amira Kazaz Artin Bezdjian, est l’une des fondations [Yedikule Surp Pırgiç Ermeni Hastanesi Vakfı] les plus importantes de la communauté arménienne de Turquie. Établissement hospitalier exerçant depuis le 19e siècle et jusqu’à aujourd’hui une médecine de pointe, Sourp Pergitch (Yarman 2001) a reçu, outre le soutien financier des évergètes arméniens, des donations venant du Sultan en personne et de nombreux akars [propriétés immobilières générant des bénéfices] et des propriétés immobilières (immeubles, maisons, boutiques, fabriques) réparties à travers les quartiers de Fatih, Beyoğlu, Üsküdar, Kadıköy et bien d’autres quartiers. Mais 51 % des 257 biens immobiliers de cette très riche fondation ont rencontré des problèmes de propriétés au regard de la Déclaration de 1936. Depuis le règlement favorable de l’affaire de l’immeuble IGS qui a établi un précédent jurisprudentiel, un certain nombre de biens saisis après 1974 ont été rétrocédés à la fondation Sourp Pergitch. La loi de 2008 a modifié les dispositions restrictives qui empêchaient jusqu’ici les fondations de tirer pleinement profit de leur parc immobilier situé souvent pour des raisons historiques dans les quartiers centraux les plus chers d’Istanbul. Désormais, les fondations minoritaires peuvent vendre et acheter des propriétés, modifier leur usage ou même comme la Fondation de l’Église arménienne ou la Fondation Karakeuzian,

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entreprendre dans le centre d’Istanbul avec des entrepreneurs et des investisseurs turcs, d’ambitieux projets immobiliers… Annoncée le 24 mars 2014, la démission de Laki Vingas de son poste à la DGF est le signe de nombreux dysfonctionnements tant au sein de l’administration des fondations que du côté des instances étatiques réticentes à envisager un débat sur la rétrocession des biens confisqués aux minorités au début de la République (İnanç 24/03/2014). Il faut enfin noter que le projet Déclaration 2012 est conçu apparemment sur une certaine base de réciprocité puisque cette publication qui espère contribuer aux « efforts de démocratisation de la Turquie » s’intéresse non seulement à la situation des minorités non-musulmanes en Turquie mais aussi à celle, tout aussi problématique, des fondations musulmanes en Grèce et en Thrace occidentale (Polatel et al. 2012). En 2010, Constantinos Simitzis, maire de Kavala, a nommé Osman Kavala31 et son père Mehmet Kavala32 citoyens d’honneur de sa ville afin de rendre hommage à « l’harmonie » qu’ils ont contribué à faire régner entre « Grecs, Turcs, Arméniens et Juifs » (Ελευθερη ζωνη 04/11/2010) 33. Osman Kavala, à la tête de la fondation Anadolu Kültür qui soutient pratiquement toutes les initiatives culturelles visant à la réconciliation des minorités anatoliennes et à la promotion du dialogue culturel avec l’Arménie, est un véritable entrepreneur patrimonial. Tour à tour qualifié par les médias turcs de « milliardaire rouge » ou de « Soros turc », Osman Kavala œuvre, dans la proximité de la fondation Open Society, au développement des sociétés civiles et contribue à l’action de plusieurs organisations impliquées à des titres divers dans la défense et la promotion du patrimoine arménien. Force est de constater que celui-ci s’intègre désormais dans la série de gestes symboliques, iconographiques serait-on tenté d’écrire, qui a ponctué les tentatives de médiation américaines dans l’établissement du dialogue arméno-turc notamment en 2009, à l’époque déjà révolue, des « protocoles » (Phillips, Lemmon et de Waal 17/04/2012) et de la « diplomatie du football ». Le projet de restauration de la cathédrale d’Ani dans le cadre d’un partenariat entre le gouvernement turc et la World Monuments Fund de New York est à cet égard symbolique selon les propres termes d’Osman Kavala : « étant situé sur la frontière, il pourra aussi servir de pont afin d’améliorer les relations entre la Turquie et l’Arménie » (Fox news 04/05/2011).

43 La situation actuelle du patrimoine arménien en Turquie appelle des conclusions nécessairement provisoires. On l’aura compris à la lecture de cet article, la notion même de patrimoine arménien est venue se lover au cours de la dernière décennie dans les carences conceptuelles du patrimoine en Turquie. Les quelques exemples exposés plus haut montrent à quel point certains édifices architecturaux arméniens sont susceptibles, par leur caractère iconique et même photogénique, à devenir en ce nouvel âge du « tout-patrimoine » des instruments politiques utiles et économiquement rentables. La connaissance, la défense, la restauration et la valorisation de ce patrimoine engagent une foule d’acteurs différents, étatiques ou non-étatiques, dotés de manière inégale et animés par des motifs différents. Inscrit dans un champ de forces contradictoires, ce patrimoine ou ce qu’il en reste porte les stigmates de la violence passée. Il n’est pas simplement altéré par l’action des forces telluriques, le rythme des saisons et le passage du temps. C’est un « patrimoine témoin » au sens où l’entendrait un géologue d’une « butte-témoin ».

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Virtual Ani (14/02/2007) “A politically-inspired restoration. The restoration of the Holy Cross church on Aghtamar (Akdamar) island: photographs and observations”, virtualani.org. URL : http://www.virtualani.org/aghtamar/2005restoration.htm.

Virtual Ani (09/12/2008) “Damage to Ani between 2007 and 2008”, virtualani.org. URL : http:// www.virtualani.org/2008/index.htm.

YOL (routes de Turquie et d’ailleurs) (30/03/20114) « Osman Baydemir, le maire de Diyarbakir à la conquête d’Urfa », yollar.blog.lemonde.fr. URL : http://yollar.blog.lemonde.fr/2014/03/30/ osman-baydemir-le-maire-de-diyarbakir-a-la-conquete-durfa/.

NOTES

1. Selon cet article, le cimetière remonterait à l’époque de Soliman le Magnifique qui pour remercier un certain Manouk Karaseferyan, cuisinier de la cour impériale, d’avoir déjoué un complot qui le menaçait, aurait accordé cette faveur. 2. Krikor Balian (1764-1831), architecte en titre du Sultan Selim III, il a conçu plusieurs palais destinés au Sultan (Akıntıburnu, Beşiktaş, Defterdarburnu ainsi que les Kasırs [pavillons d’été] d’Aynalıkavak et de Çağlayan. On lui attribue la conception de cinq casernes militaires dont celles de Davud Paşa, Selimiye et Taksim. Il est également l’architecte de la mosquée de Nusretiye (1826) ainsi que de la cathédrale Sourp Asdvadzadzin au siège du patriarcat arménien de Kumkapı (1828). (Balmanoukian 2010 : 267). 3. Voir les journées d’étude organisées à l’Institut Français d'Études Anatoliennes les 6-7 juin 2013, Sites et Patrimoines en Turquie, Fabrique, Acteurs, Interactions et Compromis, Istanbul. 4. Inversement, on doit considérer que le patrimoine architectural ottoman vient perturber le récit patrimonial des États-nations balkaniques. (Kiel 2005). 5. L’introduction de Janine Sourdel-Thoumine (1983 : 7), dans l'ouvrage consacré aux études médiévales et au patrimoine turc, publié à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Mustafa Kemal, est éloquente. « État moderne et européen soucieux depuis de longues années de réussir une mutation d’ordre historique sur laquelle on a beaucoup écrit, la Turquie n’en est pas moins restée fidèle, pendant ces dernières décennies, à la conservation et à la méthodique mise en œuvre d’un patrimoine culturel d’une singulière ancienneté. Nombreux ont ainsi été les spécialistes, aux nationalités et curiosités diverses, qui eurent l’occasion d’y venir travailler et de nouer avec leurs collègues turcs des relations fructueuses, tout particulièrement peut-être dans le domaine médiéval qui ne connut pas de découvertes aussi spectaculaires que celles de l’archéologie des périodes antiques ou reculées, mais qui vit croître progressivement, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Turquie, l’admiration pour ses chefs d’œuvre toujours visibles, le goût de son histoire et, partant, l’attention accordée à des documents et monuments aussi nombreux qu’indispensables à la compréhension d’un passé concernant à la fois la nation turque et le monde islamique médiéval dans son entier ». Et à propos de l’Anatolie : « c’est ainsi que, depuis l’avènement de la République, furent réalisés nombre de travaux d’histoire et d’histoire de l’art qui intégraient les résultats d’harmonieuses coopérations ou de cheminements parallèles concourant à un même dessein, celui de mettre en valeur, en fonction d’habitudes scientifiques communes, le remarquable patrimoine qui était celui de la Turquie en matière d’édifices ou d’objets d’époque médiévale trop longtemps ignorés comme en matière de manuscrits et de documents d’archives demeurés inédits. Dans ce dessein se multiplièrent par exemple les incitations de congrès traitant de turcologie et d’art turc au sens large, c’est- à-dire englobant dans leurs curiosités, à travers les témoignages diverses laissés ou apportés en Anatolie, l’évolution de tout le monde islamique médiéval où les Turcs avaient été présents et actifs depuis le XIe siècle après s’y être peu à peu infiltrés dès le début du IXe siècle » (Ibid. : 8). 6. En hommage à l’ethnologue et archéologue, Hamit Zübeyr Koşay (1897-1984), ces volumes évoquent les fouilles archéologiques entreprises à l’époque de la fondation de la république

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turque et l’archéologie anatolienne jusque dans les années 1960. L’auteur, impliqué dans la fouille de sauvetage au moment de la mise en œuvre du Keban Dam Project (1968), cherche à marquer ses distances avec la vision nationaliste de l’Anatolie sans toutefois pleinement y parvenir comme montre la citation suivante ”In Turkey, the close connection of archaeology to state policy in the early years of the newly established Turkish Republic was not simply to promote the glories of the Turks and their supposed ethnic or cultural superiority. On the contrary, the archaeological research conducted in Turkey sought to foster a spirit of patriotism and enhance national unity during a world-wide imperialism. In order to raise the spirit of patriotism, it was fundamental to demonstrate that Anatolia belonged to the Turks even before the Seljuk and Ottoman Turks arrived” (Takaoğlu 2004 : 19). 7. Par exemple la conférence organisée le 26 avril 2012, “Protecting with inventory vs.destruction without inventory”, Conference, First Ankara Archaeological Days, Hacettepe University Archaeological Community, (Beytepe/Ankara/Turkey). 8. Entretien avec Sarkis Seropian, Agos, Istanbul, 24 décembre 2013. 9. Ibid. 10. Les rapports du vice-ambassadeur des États-Unis à Erevan, Anthony Godfrey donnent une analyse lucide de la perception par le gouvernement d’Arménie de la restauration et de l’inauguration de l’église d’Agthamar le 29 mars 2007 comme étant purement et simplement « une opération de propagande turque ». « Le ministre des affaires étrangères Oskanian a affirmé que le gouvernement arménien acceptera l’invitation de la Turquie à envoyer une délégation à la cérémonie de réouverture à l’île d’Aktamar au lac de Van mais celle-ci sera dirigée plutôt par le vice-ministre que par le ministre de la culture lui-même. Ceci est un compromis politique, une demi-mesure entre les demandes (émanant spécialement de la diaspora arménienne mais recevant un large écho localement) de boycott de la cérémonie et la nécessité de répondre à l’invitation de la Turquie. Oskanian a commenté la chose en expliquant que la situation était encore compliquée par la dispute actuelle entre le patriarche arménien d’Istanbul et le gouvernement turc sur la question de savoir si les autorités turques permettront de monter une croix au sommet de l’église rénovée et si le clergé du patriarcat sera autorisé à célébrer le culte au moins une ou deux fois par an (…). Oskanian a exprimé son mécontentement à propos du fait que les autorités turques n’ont pas choisi d’ouvrir la frontière afin de permettre à la délégation du gouvernement d’Arménie et de l’Église arménienne à se rendre par la route au lac de Van. Ceci aurait été un véritable symbole politique. Et cela aurait aussi facilité la logistique, quatre heures de route seulement au lieu d’un long trek de 14 heures. L’autre solution était que la délégation prenne l’avion jusqu’à Istanbul depuis Erevan, puis repartir vers l’est jusqu’au lac de Van ce qui est aussi très lourd. Ceci est une opportunité ratée de la part de la Turquie de montrer un peu de bonne volonté (…). Oskanian a déclaré que lui et son gouvernement sont “de plus en plus convaincus” que la Turquie n’avait pas l’intention de laisser ce processus apparent de rapprochement conduire à quelque chose de substantiel. Il a ajouté que “le président est encore plus pessimiste que moi”. Les leaders arméniens sont convaincus que la stratégie de la Turquie est d’apaiser les leaders occidentaux en créant l’apparence d’un dialogue actif avec l’Arménie mais en ne faisant aucune concession valable à l’Arménie ». (07YEREVAN344_a 22/03/2007 ; 07YEREVAN386_a 30/03/2007). 11. On se reportera à Der Nersessian (1965). 12. Témoignage d’une véritable connaissance du terrain, le 9 janvier 2014, Zakarya Mildanoğlu a donné une conférence sur les Arméniens du Daron Muş’ta Ermeni Kültür izleri. 13. On trouvera un inventaire de ces « erreurs » de restauration dans Virtual Ani (14/02/2007). 14. Le détail de cette affaire est exposé dans Marchand et Perrier (2013 : 92-93). À propos de la situation du patrimoine arménien en Turquie, ces mêmes auteurs évoquent un « génocide de la pierre ». 15. Osman Baydemir est né le 6 juin 1971 dans le village de Dokuzçeltik près de Diyarbakır. Il a accompli ses études primaires et secondaires à Diyarbakır puis est entré à la faculté de droit de Dicle en 1990. Diplômé de droit en 1994, inscrit au barreau de Diyarbakır en 1995, il s’engage dans le militantisme et la défense des droits de l’Homme. Membre du comité exécutif de la Human

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Rights Association, il en est élu vice-président à l’échelon national en 1997 jusqu’à ce qu’il représente la candidature du DEHAP [Demokratik Halk Partisi] pour Diayarbakır lors de l’élection générale du 3 novembre 2002. De mai à décembre 2003, Osman Baydemir séjourne à San Francisco, États-Unis, pour y apprendre l’anglais. À son retour en mars 2004, il est élu maire de la région métropolitaine de Diyarbakır. En mars 2014, il se présente aux élections municipales d’Urfa sous l’étiquette du BDP [Barış ve Demokrasi Partisi] (YOL 30/03/2014). En 2010, Osman Baydemir appelle publiquement à « l’autonomie démocratique » des Kurdes et à la possibilité d'un parlement local en Anatolie du Sud-Est. Ayant publiquement annoncé que les Kurdes devaient renoncer à l’action armée, Baydemir est la figure montante de la scène politique kurde en qui Abdullah Öcalan verrait un possible rival. Lors de sa campagne de réélection en 2009, il annonce sa volonté d’étendre l’usage de la langue kurde dans les services municipaux (la chaîne de télévision en kurde TRT-6 venait de commencer à émettre) mais aussi de rétablir les noms traditionnels des villages kurdes et arméniens de la région de Diyarbakır. En décembre 2008, lors d’une rencontre avec le consul américain d’Adana Douglas Silliman, le maire de Diyarbakır avait exprimé « l’espoir que la nouvelle administration Obama envisagera la question kurde en Turquie en établissant un dialogue qui permettra de mettre fin aux violences du PKK et une extension des droits politiques des Kurdes, idéalement au sein d’un système fédéral ». (08ANKARA2109_a 12/12/2008). 16. Entretiens réalisés par Bernard Mangiante et Burçin Gerçek à Diyarbakır, janvier 2014. 17. La plateforme Repair publie dans la perspective de « réparer le futur » beaucoup d’articles consacrés aux questions patrimoniales et notamment un reportage photographique consacré à Diyarbakır. http://www.repairfuture.net/index.php/fr/le-projet-repair. 18. À propos du patrimoine privé, précisons que peu d’actes de propriété ont pu être sauvés des déportations et des massacres. D’autre part, il n’existe pas à ce jour de données globales disponibles sur le nombre et la valeur des entreprises, ateliers, fabriques, boutiques et usines spoliées en dehors du Tableau approximatif des Réparations et Indemnisations pour les dommages subis par la Nation arménienne de Turquie et dans la République arménienne du Caucase, présenté par les délégations arméniennes à la Conférence de la paix en 1919 et signé par Boghos Nubar Pacha et Avédis Aharonian. S’agissant des biens spoliés et de l’histoire de la législation turque à cet égard, on peut consulter Ketsemanian (01/11/2013) et Kévorkian (02/10/2011). 19. Comme Index Anatolicus http://www.nisanyanmap.com. Ce site a été mis au point par l’écrivain, essayiste, entrepreneur de restauration, Sevan Nişanyan dont les circonstances de l’arrestation en Turquie sont rapportées dans Cengiz (30/01/2014). On doit également signaler que le volume du recensement turc de 1965 donnant la division administrative détaillée du pays avec la population de tous les villages indiquait entre parenthèses le nom ancien des villages dont le nom a été turquifié (Devlet İstatistik Enstitüsü 1968). 20. Le site Internet de Houshamadyan [Mémorial] propose en anglais, arménien et turc le « projet de reconstruire la vie urbaine et villageoise de l’Arménie ottomane ». http:// www.houshamadyan.org/en/home.html. Mentionnons également l'important volume contenant une collection de remarquables photographies publié par l'association sous la direction de Vahé Tachjian (2013). 21. http://www.virtualani.org. Il faut également consulter Research on Armenian Architecture (RAA), http://www.raa-am.com. 22. L’importance de Tékor réside dans la nouveauté de la décoration mais surtout dans la composition qui y apparaît pour la première fois. Il s’agit d’un exemple très précoce de croix inscrite à quatre appuis libres, modèle largement repris au 7e siècle au moment de l’âge d’or de l’architecture arménienne. (Donabédian 2008 : 54-57 ; Haroutounian 1992 : 118-119). 23. Le site internet Lusadaran [Photothèque] est consacré à la conservation, la collecte et la diffusion de l’œuvre des photographes arméniens. http://lusadaran.org/artistspage/. 24. En particulier la collection de photographies et cartes postales d’Orlando Carlo Calumeno (Köker 2005).

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25. Pour la liste de ces 63 objets architecturaux, voir Beyoğlu Belediyesi (2014). 26. Ce livre est le catalogue d’une exposition photographique qu’on a également pu voir à l’Institut d’Architecture d’Erevan puis à Gyumri en 2010-2011. 27. Les mosquées de Dolmabahçe et d’Ortaköy (1864) dessinées par Nigoghos Balian avec leurs minarets d’ordre corinthien montrent le degré de pénétration des idées occidentales dans le vocabulaire architectural quoique l’on puisse également considérer de telles idées comme le produit d’une synthèse locale. Le style néo-gothique adopté par Nigoghos Balian pour la mosquée Hamidiye (1886) constitue une meilleure démonstration à cet égard. Copié sur le style « Empire français », le style hybride appliqué par les Balian dans les monuments les plus prestigieux de Constantinople est parfois désigné par l’appellation « Empire turc » par les historiens de l’architecture (Çelik, 1986 : 143 ; voir aussi Wharton 2015). La formation occidentale, et même française et parisienne, de quatre des neuf enfants de Garabed Balian qui devinrent également architectes du Sultan, Nigoghos (1826-1858), Sarkis (1831-1899), Hagop (1837-1875) et Simon (1864-1894) a nourri parmi les Arméniens une mythologie tenace selon laquelle ils auraient été diplômés des Beaux-Arts. Dans les faits, formés sur le tas au sein de l’entreprise familiale, les jeunes Balian qui allaient parsemer les deux rives du Bosphore de somptueux palais (Ihlamur, Çırağan, Göksu, Beylerbeyi) étudièrent au collège Sainte-Barbe et apprirent l’architecture grâce à l’enseignement d’un précepteur particulier. Cette formation architecturale en marge des institutions s’explique peut-être par la disparition après les Tanzimat de l’organisation des architectes royaux [Hassa Mımarları Teşkilatı] qui outre la construction et la réparation des édifices du palais et du gouvernement, avait également la vocation d’un établissement. Aucune institution ne semble l’avoir remplacée avant la création en 1883, à l’initiative d’Abdülhamid, des Beaux-Arts de Constantinople dont Alexandre Vallaury, adepte quant à lui de la rigueur classique, deviendra le principal enseignant. Selon Murat Gül « la connaissance qu’avaient les architectes de l’architecture islamique était juste suffisante pour décorer superficiellement des édifices occidentaux avec des motifs décoratifs islamiques » (Gül 2009 : 57). 28. Dans son ouvrage, Ayşe Buğra Kavala, intellectuelle progressiste, retrace sur la base de quelques autobiographies l’histoire du monde des affaires et de l’entreprise en Turquie sous l’angle de l’ethnicisation d’une part, des liens particuliers avec l’État d’autre part. L’auteure constate (1994 : 38-39) la relative absence des musulmans des activités commerciales dans l’Empire ottoman et d’une manière générale la sous-représentation des Turcs musulmans dans la vie économique et commerciale au début du 20e siècle. En 1915 sur 264 firmes employant plus de 10 travailleurs, seulement 42 soit 19,6 % appartenaient à des musulmans alors que 172 entreprises (moulins à farine, fabrique de pâtes, raffineries de sucre, fabriques de boîtes de conserve) soit 80,4 % appartenaient à des minoritaires non-musulmans. Curieusement, l’auteure n’a disposé d’aucune information sur les manufactures de tabac. La politique des Jeunes-Turcs, plus tard reprise à son compte par la République a été de nature à contribuer à l’accumulation du capital entre les mains des businessmen musulmans. “This policy was aimed at fostering a trade mentality among the Muslim population and helping the latter to raise the necessary funds. While economic rationality would have imposed a policy of using the existing entrepreneurial talent and capital resources to the maximum, the Unionist policy was, by its very nature, dominated by a political attempt to create these resources exactly where they were absent, with the right political affiliation being the ultimate criterion of choice for the encouragement of a particular business venture”, (Ibid. : 50-51). Il faut noter enfin que la quasi-totalité des compagnies enregistrées par la TÜSİAD [Türk Sanayicileri ve İşadamları Derneği] ont été fondées après la République. Ayşe Buğra Kavala note plus loin “in addition to the histories of individual enterprises, the business histories of the families that control the most important groups – the holding companies – in which enterprises are situated cannot typically be traced further back than the early days of the Republic” (Ibid. 56). Voir également Bianchi (1984).

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29. Outre le déclin spectaculaire de la population arménienne, cette répartition actuelle, trace des implantations anciennes, tient également à une législation qui a longtemps interdit aux fondations minoritaires d’acquérir de nouvelles propriétés. 30. Le site Internet http://istanbulermenivakiflari.org/en/ tient à jour la liste des biens inventoriés. Pour un historique complet du système des Waqfs, voir dans Polatel et al. (2012) les chapitres “The Vaqf (Foundations) system in Ottoman law and non-Muslims”, p. 29-48 et “ Minority Foundations from the Treaty of Lausanne to date”, p. 49-84. 31. Originaire de Kavala, ville annexée à la Grèce en 1913, la famille d’Osman Kavala s’est installée à Istanbul en 1924 où le grand-père a monté un commerce d’exportation de tabac et investi dans un entrepôt près du port sur la rive européenne. Si l’on ne dispose pas de davantage de détails sur les origines de l’entreprise Kavala, l’éventualité qu’elle puisse reposer sur une réappropriation d’un bien arménien n’est pas à exclure dans la mesure où la réappropriation sauvage des biens des Arméniens a été l’une des bases de la constitution d’une « bourgeoisie nationale » en Turquie. (Bozarslan 2013 : 393 ; Aktar 2009). Né à Paris en 1957, Osman Kavala a passé la majeure partie de sa vie à Istanbul. Élève du Robert College, il a ensuite fait des études en sciences sociales à Ankara à la fin des années 1970, avant de partir étudier la science politique et la sociologie à Manchester. Durant les années 1980, il séjourne un an à New York. En 1982, après le décès de son père, il rentre en Turquie pour reprendre les affaires familiales. Il hérite alors d'une immense fortune, une des plus importantes de Turquie. À partir de 1985, il commence à fréquenter les cercles culturels et le milieu des intellectuels turcs. Si depuis plusieurs décennies, trois familles influentes occupaient le devant de la scène culturelle : les Koç, les Sabancı et les Eczacıbası ; Osman Kavala, au même titre qu’Oğuz Özerdem, les a rejoint plus récemment. Au sujet de la politique culturelle des grandes familles à l’horizon d’Istanbul, capitale européenne de la culture en 2010 voir Şeni (2010). Il est toutefois frustrant que l’auteure ne consacre pas une ligne aux activités culturelles d’Osman Kavala, n’évoquant comme « cas à part » que la figure d’Oğuz Özerdem. La spécificité d’Osman Kavala est de travailler essentiellement sur les questions relatives aux droits de l’homme, au niveau politique et social, à travers l’art. La création en 2002 d’Anadolu Kültür, dont il est le créateur avec quelques autres, coïncide avec les pourparlers en vue de l’entrée de la Turquie dans l’UE. Anadolu Kültür procure aux villes d’Anatolie des subventions pour développer l’art et la culture et organise des rencontres entre artistes turcs et européens. Fondé en 2005, “Depo” cherche à être une scène alternative à la création artistique stambouliote. Il est situé en plein cœur d’Istanbul, à Tophane, sur la rive européenne à deux pas de l’embarcadère, dans l’ancien dépôt de tabac acquis par son grand-père en 1924 et donné par Osman Kavala. Anadolu Kültür intervient à différentes étapes et à des hauteurs variables dans les projets artistiques mais la plus grande partie des fonds provient directement de Kavala Group, la société familiale dont Osman Kavala a pris la direction à la mort de son père Mehmet Kavala en 1982. Le groupe s’occupe aussi bien d’immobilier que de téléphonie mobile (KVK). 32. L’excellente réputation de la firme d’import-export de Mehmet Kavala est attestée dans un rapport du consulat américain donnant par ailleurs quelques détails sur ses secteurs d’activités en 1976. La firme Kavala exporte du minerai de zinc et du tabac et est importatrice, distributrice et agent pour une multitude de services. L’entreprise de Mehmet Kavala tirait à cette époque 120 millions de livres turques annuelles de la vente du tabac, 25 millions de LT de la vente du zinc, 20 millions de LT des ascenseurs. Mehmet Kavala contrôlait 86 % de la compagnie M. Kavala ve Ortakları Kom. Şti. exportatrice de tabac et plusieurs autres compagnies dont Menka Ticaret ve Sanayi A.Ş. qui s’occupe de l’extraction de la mine de zinc du village de Kurşunlu dans la région de Sivas. La compagnie représentait également à l’époque plusieurs firmes établies en Pologne et en Tchécoslovaquie. (1976ISTANB00890_b 04/03/1976). 33. Si l’on ne sait pas ce qu’« être de Kavala » peut signifier dans la Turquie contemporaine, on peut néanmoins lire avec profit à propos « d’être de Salonique », l’article de Leyla Neyzi (2002).

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RÉSUMÉS

Cet article tente de faire le point sur la situation du patrimoine – matériel comme immatériel - arménien en Turquie. En partie détruit et longtemps renié, ce « patrimoine » arménien s’inscrit dans les contours indécis tant du point de vue du concept que des institutions, de la notion de patrimoine en Turquie. Néanmoins, la remise en question du modèle kémaliste de l’État-nation et dans une certaine mesure le néo-ottomanisme de l’AKP constitue un contexte neuf et ambivalent. L’article évoque trois cas de restaurations de monuments arméniens issus d’initiatives diverses (Sainte-Croix d’Aghtamar, Sourp Guiragos à Diayrbakır, fontaines de Havav). Il examine enfin la nébuleuse d’acteurs engagés dans la topographie, l’inventaire et la promotion de ce patrimoine arménien en Anatolie et à Istanbul.

This paper points out the situation of Armenian physical as well as intangible cultural Heritage in Turkey. Partly destroyed and in any case, denied for a long time, in Turkey the very notion of Armenian « heritage » takes place into the ill-defined conceptual and institutional categories of Heritage. However the current questioning of the kemalist pattern of the Turkish nation-state, and to some extent, neo-Ottomanist inclinations of the AKP, have created a new but ambivalent context. The paper evokes three cases of recently restored monuments and architectural objects (Holy Cross of Aghtamar, Sourp Guiragos in Diyarbekir and the Havav fountains). Finally, the nebula of actors engaged into the survey, inventory and promotion of this Armenian heritage in Anatolia and Istanbul is examined.

INDEX

Keywords : heritage, Armenian heritage, Turkey, Aghtamar, Sourp Guiragos, Havav, Istanbul Mots-clés : patrimoine, patrimoine arménien, Turquie, Aghtamar, Sourp Guiragos, Havav, Istanbul

AUTEUR

TALINE TER MINASSIAN

Historienne, Professeur des Universités à l’INaLCO [email protected]

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2.b. Nationalism and transnationalism in identitarian claims and heritage development of diverse cultures 2.b Nationalisme et transnationalisme dans les revendications identitaires et la mise en patrimoine de cultures plurielles

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Une réécriture urbaine. La mise en mémoire du quartier de Kurtuluş à Istanbul Urban rewriting process. The patrimonialisation of Kurtuluş neighborhood, Istanbul.

Cilia Martin

1 Depuis la fin des années 1980, les élites politiques ainsi que les professionnels du tourisme veulent faire d’Istanbul une capitale culturelle et touristique incontournable. Ce désir de reconnaissance internationale s’accompagne d’une réécriture de l’histoire pouvant prendre diverses formes : des projets de kentsel dönüşüm [ transformation urbaine] décidés par le haut à une vague généralisée d’écriture du passé en passant par des actions commémoratives isolées.

2 À Istanbul, ce réveil du passé est doublé d’une exhortation du local, autrement qualifié de « retour du quartier1 ». En tant qu’espace de proximité préservé de la grande ville, l’imaginaire du quartier est activé et alimenté par un ensemble d’acteurs. Parmi eux, les producteurs de séries télévisées et les promoteurs immobiliers font du quartier un modèle de vie réinvesti. Par ailleurs, le quartier est aussi au cœur d’un programme idéologique basé sur la famille et soutenu par les élites politiques en place. Dans ce contexte de réécriture de l’histoire qui prend pour objet principal les anciens quartiers d’Istanbul2, Kurtuluş, en tant qu’ancien « quartier minoritaire3 » et espace péri-central, tient une place particulière. 3 Apparu au 17e siècle, sous le nom de Saint Dimitri ou de Tatavla, Kurtuluş est d’abord un village isolé qui abrite une population majoritairement rum. Dans la première moitié du 20e siècle, le quartier, désormais intégré au reste de la ville et abritant une importante population minoritaire, est au cœur d’une entreprise d’ingénierie territoriale kémaliste. Celle-ci se réalise, entre autres, à travers l’échange obligatoire de population qui affecte l’équilibre démographique de la population rum et par le biais d’une révolution toponymique qui donne au quartier et à ses rues de nouveaux noms, plus conformes à l’imagerie nationale turque. Dans la seconde moitié du 20e siècle,

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Kurtuluş connaît un phénomène de circulations croisées entre le départ de l’ancienne population, en raison des exactions exercées à son encontre, et l’arrivée de nouveaux habitants dont de nombreux arméniens venus d’Anatolie et une quantité importante de migrants internationaux en provenance des anciens pays soviétiques mais aussi d’Afrique subsaharienne. À ces circulations croisées s’ajoute une déprise sociale de la part des classes sociales supérieures qui après être venues s’installer dans le quartier au début du 20e siècle le quittent pour rejoindre les nouveaux quartiers en vue. Toutefois, depuis le début des années 2000, Kurtuluş bénéficie d’une revalorisation qui n’est pas sans lien avec la mise en mémoire du quartier. 4 Dans cet article, nous privilégierons la notion de mémoire à celle de patrimoine afin de marquer le fait que les actions de revalorisation du quartier se traduisent uniquement par un réveil de son passé et excluent tout processus de mise en valeur de ses propriétés présentes, notamment en ce qui concerne la richesse de son bâti ou de son tissu démographique et social qui n’est nullement prise en compte. Aussi et surtout, nous préférons le terme de mémoire parce qu’il fait référence au fait que les usages du passé se font entièrement à la marge d’une patrimonialisation officielle. En effet, les pouvoirs officiels restent quasiment absents du processus de revitalisation du passé qui se fait à l’échelle d’individus ou de groupes d’individus. L’absence de l’État pourrait s’expliquer par le fait que Kurtuluş, en tant que quartier péri-central, est situé en dehors des circuits touristiques et qu’il est, en partie, rattaché à une mairie qui n’est pas AKP4. Par conséquent, la revitalisation du passé portée par le gouvernement, et plus particulièrement du passé ottoman, n’a pas eu lieu donnant ainsi une plus grande visibilité à d’autres types d’actions et différentes figures d’entrepreneurs mémoriels (Pollak 1993). 5 Si la question de l’articulation entre les récits publics et privés du passé, autrement dit l’étude de la mémoire collective sera abordée dans cet article, nous mettrons davantage la lumière sur les récits publics qui se situent du côté de la « mémoire historique ». Cette dernière qui résiste à la réalité du passé pour nourrir la vérité du présent s’oppose à la « mémoire vive » qui renvoie à la question des représentations partagées par les habitants ou du souvenir (Lavabre 1994). Dans cet article, il s’agira donc d’analyser la fabrique d’une « mémoire historique », le profil de ses entrepreneurs, de leurs ressources et la pluralité de leur champ d’action en mettant en avant les phénomènes d’entre-soi et de concurrences. Enfin, nous aborderons la question des réappropriations du passé afin de mettre en avant l’articulation entre les dimensions mémorielle, foncière et marchande de la revalorisation du quartier. 6 Dans un premier temps, nous étudierons la production scientifique et mémorielle du passé du quartier. En dehors du champ littéraire, la deuxième partie s’attachera à décrire le processus de revitalisation du passé en analysant l’émergence et le déroulement de plusieurs manifestations commémoratives. Enfin, nous mettrons en exergue les usages du passé faits par un promoteur immobilier, de nombreux commerçants et par quelques artistes qui participent à faire du passé du quartier, et par extension du quartier lui-même, un puissant label.

I. L’écriture d’une l’histoire locale

7 Près d’un siècle après l’édition de la première histoire du quartier (Hristodoulos 1913), de nombreuses publications à caractère scientifique ou journalistique remettent à jour

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l’histoire de Kurtuluş, ou du moins une partie de son histoire : celle qui se concentre sur la période où le quartier s’appelait encore Tatavla et abritait de nombreux rum. À ces publications, s’ajoutent de nombreux Mémoires écrits par des anciens habitants du quartier qui, à travers le même canal de diffusion, l’écrit, participent à la mise en place d’une histoire locale. Loin de l’imaginaire ottoman prévalant dans la majorité des anciens quartiers d’Istanbul, celle-ci assimile Kurtuluş à un monde clos, isolé de son contexte spatio-temporel, entièrement rum, voire cosmopolite5. Autrement dit, est dressé le portrait d’un « quartier hors-sol » détaché de la ville d’Istanbul qui disparaît à la suite d’un incendie faisant de Kurtuluş un oublié, voire une erreur, de l’histoire.

Publications à caractère scientifique ou journalistique

8 Au début des années 1990, la première tentative de réhabilitation de Tatavla en tant que quartier rum provient de la Grèce (Stamatopoulos 1992). Il s’agit d’une sorte de carnet de bord tenu au cours de plusieurs voyages effectués à Istanbul dont l’auteur, Kostas Stamatopoulos est le petit-fils d’un célèbre banquier originaire d’Aydın émigré à Athènes dans les années 1920. En raison du déclin démographique de la minorité rum et de ses affinités avec les Rum d’Antioche (chrétiens orthodoxes arabophones venus à Istanbul dans les années 1980), Kostas Stamatopoulos, fervent défenseur d’un hellénisme défini comme orientaliste et radical (il est aujourd’hui le vice-président de la société hellénique pour la protection de l’environnement et l’héritage de la culture située à Athènes), associe Istanbul à « la nuit de l’hellénisme » qu’il dit « coupée de son passé byzantin »6. Son radicalisme est également palpable dans l’indifférence qu’il porte aux monuments non-helléniques de la ville. Ce n’est qu’au bout de la cinquième page de son livre qu’une mosquée fait son apparition. Cependant, il ne parle pas de n’importe quelle mosquée, mais d’une mosquée construite par le célèbre architecte Sinan, celle de Rüstem Pacha, dont il finira par dire que « c’est un art fin mais en essence barbare ». Pour toutes ces raisons qu’il résume sous le terme de « dégradation », Kostas Stamatopoulos ambitionne de collecter toutes les traces helléniques de la ville. Il se donne pour but d’« effectuer un relevé avant que tout ne disparaisse ». C’est dans ce but qu’il écrit un récit de voyage dans lequel figure un croquis de la place centrale du quartier de Kurtuluş qu’il appelle encore Tatavla. L’auteur utilise également les anciens noms de rue alors qu’un changement toponymique a eu lieu 50 ans avant son premier séjour à Istanbul. Dans ce croquis, comme dans toutes ses autres illustrations, l’auteur fait le portrait d’une ville virtuelle, une « ville à trous », qui met uniquement en relief les lieux de l’hellénisme et élimine le reste. Ce croquis est représentatif d’un imaginaire hellénique, provenant de Grèce, qui fait de la place principale de Kurtuluş et par extension du quartier lui-même un haut- lieu de l’hellénisme. Quelques années plus tard, cet imaginaire sera également alimenté en Turquie par une série de publications à commencer par celles d’Orhan Türker.

9 Ayant vécu dans le quartier pendant une trentaine d’années et entretenant de nombreux liens avec la Grèce, Orhan Türker décide de commencer sa série de monographies de quartier en 1993 (il écrit au total neuf livres portant sur neuf quartiers d’Istanbul) avec celle du quartier de Kurtuluş. Son helléno-centrisme transparait à travers le choix des quartiers. En effet, il s’agit uniquement de quartiers à forte composante rum, à savoir les anciens villages du Bosphore, Fener, les îles des Princes, Galata, Samatya. Sorte de « conte historique », à en croire la première phrase

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du livre sur Fener qui commence par « Il était une fois », ses livres sont tous conçus selon le même modèle : celui d’un catalogue qui énumère les églises, les fontaines, les théâtres, les meyhane [tavernes], les écoles, les associations, les clubs sportifs… rum. 10 Huit ans après la publication du livre d’Orhan Türker, c’est au tour d’un autre turc musulman, Burhan Yentürk, d’écrire l’histoire du quartier dans lequel il habite de 1993 à 2003. Comme dans le livre d’Orhan Türker qui ressemblait déjà au livre de Pamfilos Mellisinou Hristodoulos, l’auteur fait l’inventaire des mêmes lieux sur 20 chapitres et arrête l’histoire du quartier en 1929, date de l’incendie, contribuant à renforcer la coupure historiographique entre Tatavla et Kurtuluş. La structure répétitive des récits et leur contenu quasiment identique les placent dans ce que Gérard Noiriel appelle l’« histoire-mémoire » qu’il définit comme nécessairement subjective et partisane en opposition à une « histoire-problème » déterminée par l’art du questionnement (Noiriel 2005). 11 Contrairement aux précédents auteurs qui n’habitent plus dans le quartier, Nikos Isteklis qui est après Pamfilos Mellisinou Hristodoulos le deuxième rum à avoir écrit l’histoire de son quartier, se vante de ne l’avoir jamais quitté7. Ayant travaillé 40 ans comme enseignant puis comme directeur de l’école rum de Kurtuluş et ayant fait partie du comité d’administration de la paroisse rum de Saint Dimitri (comité qui s’occupe principalement de la gestion des biens fonciers et immobiliers rum du quartier, dits vakıf), il a pu ainsi collecter une quantité considérable d’informations. En 2005, Nikos Isteklis publie un livre sur l’histoire des écoles rum de Tatavla dans lequel il reconstitue année par année le nombre d’élèves avec leur nom et le nom des professeurs. Inventaire minutieux, ce premier livre sera suivi de l’histoire de Tatavla depuis l’époque ancienne à nos jours que l’auteur qualifie de « petite Athènes d’Istanbul ». Reprenant la même structure littéraire, à savoir un chapitre par type de monuments, son livre est de loin le plus volumineux. Lors de nos entretiens, Nikos Isteklis me fait comprendre qu’en raison de ses anciennes fonctions au sein de la population rum, il est l’héritier direct de l’histoire de son quartier. D’après lui, les autres livres ne valent pas le sien. Bien qu’ils écrivent la même histoire en donnant, à peu de différences près, les mêmes informations, il n’en reste pas moins que presque chacun des auteurs pense avoir la meilleure version de l’histoire, celle-ci s’inspirant largement de la première histoire de Tatavla rééditée en 2013. 12 À l’occasion des cent ans du livre de Pamfilos Mellisinou Hristodoulos, la jeune maison d’édition Istos - dont la ligne éditoriale est la publication d'ouvrages en grec et en turc portant principalement sur des sujets ayant trait aux minoritaires - a réédité une version bilingue, allégée et simplifiée de l’histoire de Tatavla. Ce dernier était rédigé en grec, dans sa forme puriste [Katharevoussa] et comprenait des passages sur le clergé et la musique liturgique dues à la fonction ecclésiastique qu’occupait alors son auteur. Cette réédition a eu de très grands échos dans la presse turque, rum et arménienne et a été l’occasion pour de nombreux journalistes de réécrire la « mémoire historique » de Tatavla qui, à force de répétition, est devenue une véritable légende urbaine participant à la folklorisation et à l’essentialisation du quartier. En dehors de l’écrit, cette légende a également été diffusée à travers le support télévisuel. En 2011, un documentaire télévisé diffusé dans une émission intitulée Ah güzel Istanbul [Ah, la belle Istanbul] explique, sur un fond de musique grecque, l’histoire de Kurtuluş en reprenant tous les éléments qui se retrouvent ailleurs dans les livres.

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13 Enfin, il faut mentionner la présence, si maigre soit-elle, de récits plus officiels concernant le quartier de Kurtuluş. Il s’agit d’un livret d’une dizaine de pages publié par la Mairie Métropolitaine d’Istanbul en 2003, d’un paragraphe dans un livre sur l’histoire de Şişli publié par la municipalité de Şişli en 2013 et d’un texte qui figure sur le site municipal de la mairie de Şişli à la rubrique « histoire ». Malgré la permanence dans le contenu et la structure du récit, on remarque toutefois la présence de nouveautés dans ces derniers textes : l’histoire du quartier ne s’arrête plus en 1929 et la mosquée est incluse dans l’inventaire des monuments. Ainsi, ce sont les textes officiels qui font alors apparaître quelques nuances et donnent un certain relief à l’histoire du quartier tandis que les auteurs qui l'ont connu, pour y être nés ou y avoir habité, en donnent une version bien plus monolithique. Entre ces derniers, on remarque une circulation des récits prouvant la présence d’une chaîne mémorielle reproduisant une histoire à l’identique et contribuant à faire de Kurtuluş un espace figé et homogène. Cette impression se retrouve dans les Mémoires de quartier qui représentent l’autre segment de la production littéraire patrimoniale.

La publication de Mémoires

14 Depuis la fin des années 1990, le thème du quartier est devenu le sujet privilégié de nombreux livres qui appartiennent au genre de la littérature mémorielle. Sur Kurtuluş, il existe, en turc, trois voire quatre ouvrages de ce type. Bien qu’ils aient été écrits par des anciens habitants et qu’ils pourraient, à ce titre, être considérés comme de la mémoire vive, ils contribuent fortement à la fabrication de la « mémoire historique » dans le sens où ils soutiennent et alimentent les récits dominants par le vécu. C’est pour cela que nous définirons aussi ces auteurs comme des entrepreneurs de la mémoire qui sans forcément créer les références communes veillent à leur respect et détiennent, par rapport aux autres habitants, une visibilité importante sur la scène mémorielle locale (Pollak 1993 : 30).

15 Le premier à avoir écrit ses mémoires de quartier est Hüseyin Irmak. Notons au passage que c’est le seul livre qui fait apparaître Kurtuluş dans le titre et que son récit a été publié par Aras. Créée en 1993, cette maison d’édition ouvre une fenêtre sur la littérature arménienne avec des publications à la fois en arménien et en turc. Né à Sivas, Hüseyin Irmak, d’origine kurde, arrive dans le quartier dans les années 1960. Il travaille aujourd’hui comme conseiller de publications à la mairie d’arrondissement de Kağıthane où il réside depuis une dizaine d’années. C’est en regardant une série télévisée que Hüseyin Irmak a imaginé écrire un livre sur le quartier dans lequel il a grandi8. Il me dit, lors de nos entretiens, que la série télévisée montrait des Rum et des Arméniens qui vivaient ensemble et formaient un milieu agréable [hoş bir ortam]. Il décide alors d’écrire ses Mémoires dans le but de raviver les couleurs de Kurtuluş qui se sont effacées. Publiées en 2003, elles seront suivies par deux autres livres du même genre. Le premier intitulé Il neige sur Tatavla est écrit par un Rum né dans le quartier (Valasiadis 2005), aujourd’hui installé en Allemagne où il exerce le métier d’ingénieur. Quant à l’auteur du dernier livre Feriköy, des souvenirs... maintenant (Büyükkürkciyan 2010), il s’agit d’une femme d’origine arménienne, professeure à l’université de Bilgi à Istanbul. Née dans le quartier, elle a vécu plusieurs années à l’étranger puis est revenue à Istanbul où elle réside depuis 2005 dans le quartier de Galata. C’est dans ce quartier qu’elle a décidé d’écrire ses Mémoires sur Feriköy. Mitoyen du quartier de Kurtuluş et

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possédant une histoire similaire, il est rare de trouver une description de Feriköy sans y trouver la mention de Kurtuluş, et inversement. Par ailleurs, concernant le dernier livre sur Feriköy, signalons qu’il a été publié dans une collection littéraire intitulée Mon Istanbul [Istanbulum] soutenue par l’agence Istanbul 2010, capitale européenne de la culture dont la particularité, outre le fait qu'elle soit passée de 40 livres à 80 en deux ans, est qu’elle intègre des quartiers relativement moins anciens, moins centraux ou non minoritaires, autrement dit qui n’avaient pas suscité un intérêt particulier jusqu’alors. En effet, des quartiers plus éloignés et plus récents comme Maltepe, Çengelköy, Göztepe ou encore Ataköy, sont intégrés dans cette dynamique d’une production localisée de la mémoire urbaine et contribuent ainsi à redessiner les nouvelles frontières d’Istanbul et à justifier son image de métropole, voire de capitale culturelle. 16 S’agissant de souvenirs ressuscités sur le papier, ces trois livres sont relativement similaires dans le sens où l’on y trouve de longues descriptions de scènes familiales, de la maison dans laquelle les auteurs ont vécu, de la rue dans laquelle ils ont habité, de leurs anciens voisins ou encore des commerçants du quartier. Toutefois, le récit de Hüseyin Irmak se concentre uniquement sur le quartier de Kurtuluş au point qu’Istanbul est complètement absente du récit. Aussi, en dehors du caractère nostalgique inhérent à ce genre littéraire, la vision du quartier diffère selon les auteurs et selon leur origine. 17 Si Yorgo Valasiadis met l’accent sur la composante rum du quartier à laquelle appartient l’auteur, Talin Büyükkürkciyan, elle, insiste sur la présence arménienne. Entre les deux, Hüseyin Irmak met en avant la mixité du quartier : « les enfants rum, arméniens, turcs, kurdes, tous ensemble nous regardions avec intérêt » ou encore « Autant Ahmet, Hasan, Hüseyin était naturel pour nous, autant Agop, Niko, Yasef l’était aussi ». 18 Ce bien-être ensemble apparaît même au sein de la communauté musulmane puisqu’il écrit : « Dans nos maisons, Alévis, Sunnites, tous ensemble nous mangions ». 19 En ce sens, le récit d’Hüseyin Irmak présente une particularité : non seulement, en s’inscrivant dans le récit cosmopolite il essentialise les anciennes populations rum, arméniennes ou juives mais il élargit aussi sa définition à la population musulmane, en particulier alévie et kurde. Hüseyin Irmak est une sorte d’électron libre et sert d’interface entre les différents récits, puisqu’il participe à la fois à la diffusion de l’imaginaire cosmopolite dont il élargit la définition au passage et à celle du récit hellénique qui vise à faire de Kurtuluş un ancien quartier rum. Lors de notre entretien, il a prononcé cette phrase surprenante de la part d’un kurde : “Istanbul rum demek”, [qui dit Istanbul dit rum] assignant une identité rum à l’ensemble de la ville. 20 La deuxième particularité du livre d’Hüseyin est la présence d’un fort sentiment d’amertume à en croire l’utilisation des expressions suivantes : « À cette période, Kurtuluş c’était complètement autre chose », « Après, plus rien ne fut comme avant », « avant, tout était mieux », « des années après, à la place de cette maison, un nouvel immeuble a été construit, en le voyant je souffrais dans ma chair » ou encore « pourquoi ces maisons chaudes après avoir été démolies ont-elles été transformées en un amas de béton froid ? ». 21 En outre, dans son dernier chapitre intitulé « Un vent froid », l’auteur écrit ses dernières lignes : « Où êtes-vous ? Où est l’ancien Kurtuluş ? Où sont les couleurs effacées de Kurtuluş, ses fils, ses filles ? ».

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22 Hüseyin Irmak décrit le changement provoqué par les événements politiques et le départ des minoritaires alors que les autres auteurs, qui ont été directement touchés, n’y consacrent pas une ligne. En effet, Yorgo Valasiadis, par exemple, n’a intentionnellement pas voulu raconter les épisodes dramatiques de sa vie ni son départ d’Istanbul. Il porte un regard très nostalgique et très doux sur ses années d’enfance sans la moindre once de reproches. 23 Enfin, signalons la présence d’un dernier auteur, un turc musulman qui habite dans le quartier depuis trois générations, et qui est en train d’écrire ses Mémoires qu’il veut appeler Agapi mou Tatavla [ Tatavla mon amour]. Lors d’un entretien, ce dernier a prononcé une phrase qui pourrait résumer les propos qu'il m’a été très souvent donné d’entendre de la part de nombreux habitants du quartier : “Pastane gitti, geldi” [les pâtisseries sont parties, les lahmacun sont arrivés]. Les pastane [pâtisseries] sont des lieux figés dans la mémoire des stambouliotes et porteurs d’une grande nostalgie. Ici, elles représentent la culture de la « ville minoritaire » contre les lahmacun qui sont un plat originaire de l’Est de la Turquie, associés à la migration d’Anatoliens vers la ville. Au-delà cette phrase représente une rhétorique bien courante dans le quartier qui constitue à faire l’apologie des anciennes populations et à l’inverse à dévaloriser les populations présentes arrivées dans le quartier dans la seconde moitié du 20e siècle. 24 Dispensée par de nombreux habitants, cette rhétorique d’un âge d’or, auquel est systématiquement opposé un présent décadent, cache, au-delà d’un sentiment de nostalgie, des tentatives de récupération à des fins de légitimation sociale. En effet, accusant les migrants d’être des villageois arriérés et d’avoir dégradé la ville au détriment de l’ancienne population riche et bien éduquée, ces propos proviennent souvent de personnes qui, bien qu’également originaires d’Anatolie, ont connu un décollage socio-économique qui se traduit par la reprise du discours dominant. Ainsi, la reproduction de ce discours très négatif qui véhicule un cliché tenace sur la ruralité, est un moyen pour de nombreux individus de revendiquer leur propre réussite sociale. En reproduisant cette rhétorique, autrement dit en s’identifiant aux minoritaires, aux « premiers occupants » du quartier [ilk gelen] alors qu’eux sont arrivés par la suite dans le quartier [sonradan gelen], de nombreux individus tentent de gommer leurs différences et de se placer dans une continuité sociale. L’adhésion au discours dominant sur le passé de Kurtuluş engage et légitime donc l’appartenance au groupe dominant. À l’inverse, elle exclut tous ceux qui ne s’y reconnaissent pas. 25 La mise en mémoire du ou dans le quartier de Kurtuluş reflète donc la présence d’un entre-soi mémoriel basé sur la circulation de mêmes récits. Ces récits proviennent d’individus qui soit n’habitent plus dans le quartier soit ne font pas partie de la population minoritaire. En ce sens, ce sont souvent les acteurs les plus exogènes qui deviennent les premiers défenseurs et héritiers du passé. Aussi, il s’agit souvent d’un même profil d’individus qui possèdent un capital scolaire relativement élevé (Hüseyin Irmak est conseiller à la publication, Talin Büyükkürkciyan professeure d’université et Yorgo Valasiadis ingénieur). Comme le soulignait Yves Aguilar, l’action mémorielle ou patrimoniale peut être interprétée comme une opération de reproduction des privilèges, permettant à des groupes socialement homogènes de conserver intact et de reproduire leur environnement quotidien en évitant de le partager. Il s’agit de conserver l’ordre social par l’ordre esthétique, de renforcer le capital social par du capital symbolique et, en l’occurrence, par du capital littéraire (Aguilar 1982). Cependant, en dehors de la littérature, cette « mémoire historique » est également

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produite et alimentée par d’autres entrepreneurs mémoriels qui mettent en place de nouvelles formes d’action.

II. L’émergence de pratiques commémoratives : entre la fête et le deuil

26 Depuis la fin des années 2000, la mise en mémoire a pris une nouvelle forme dans le quartier et se traduit par l’organisation d’événements festifs, comme la re-célébration du carnaval, ou de cérémonies commémoratives qui traduisent une volonté d’ouverture du débat sur le passé et ses traumatismes souvent réalisée sur un mode expiatoire voire paternaliste.

La re-célébration du carnaval de Kurtuluş

27 Jusqu’au début de la Seconde guerre mondiale, un carnaval [tatavliano karnavali ou Baklahorani] était célébré dans de nombreux quartiers d’Istanbul dont celui de Kurtuluş. Inaugurant les quarante jours de carême qui mènent à Pâques, le carnaval est décrit dans de nombreux journaux ou récits de voyages de l’époque comme un moment spectaculaire de transgression, sur le plan ethno-confessionnel ou social. Plus de 60 ans après sa disparition, la volonté de ré-célébrer le carnaval naît de la rencontre entre un auteur dont nous venons de dresser le portrait, Hüseyin Irmak, deux étudiants grecs (Haris Theodorelis Rigas et Marina Drymalitou) installés à Istanbul depuis le milieu des années 2000 et le président du comité d’administration de la paroisse rum de Saint Dimitri. Avant de revenir sur le profil des organisateurs, décrivons le déroulement de la soirée.

Le déroulement de la soirée

28 Le 2 mars 2009, un groupe de personnes se réunit à l’intérieur de l’ancienne meyhane Despina en souvenir de l’ancien carnaval de Kurtuluş. L’année suivante, le carnaval se déplace à l’extérieur où 200 personnes défilent sur la voie publique. En 2011, ils sont le double et poursuivent la soirée dans le club sportif rum de Kurtuluş. En 2012, malgré le mauvais temps, ils sont environ 400 à défiler et à se réunir dans un des restaurants situé sur la place du Son durak. En 2013, le carnaval n’a pas eu lieu mais a repris l’année suivante.

29 Entre 2010 et 2012, la soirée se déroule de la façon suivante : les carnavaliers se donnent rendez-vous en début de soirée et commencent à défiler dans les rues du quartier. Puis, les carnavaliers stationnent un moment sur la place du Son durak. La soirée se poursuit, enfin, dans un haut-lieu de la minorité rum où le prix de l’entrée, en échange d’un repas chaud et d’une boisson, a d’abord été fixé à 25 puis à 30 livres turques les années suivantes. Après un discours d’ouverture prononcé par les organisateurs, les musiciens et les danseurs prennent place sur scène. 30 La majorité des carnavaliers sont des étudiants grecs et turcs. Leur présence est donc liée à l’existence d’un certain cercle d’étudiants connectés sur le réseau social Facebook. Créé par Marina Drymalitou, le groupe Facebook Baklahorani Tatavla Karnavalı réunit 485 individus avec une moyenne d’âge se situant autour de 30 ans. En plus de ces étudiants, on compte de nombreux touristes ou hommes d'affaires grecs installés à

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Istanbul dont la présence s’inscrit cette fois dans un réseau gréco-rum. Par conséquent, les habitants du quartier sont aux abonnés absents. L’engouement croissant que connaît le carnaval reste donc relatif si l’on considère le peu d’impact qu’il a sur la population du quartier. Lors du défilé des carnavaliers dans les rues du quartier en 2012, sur une dizaine de commerçants interrogés, aucun n’était au courant de la réorganisation du carnaval, voire de l’existence du carnaval lui-même. 31 Malgré la faible réception parmi les habitants du quartier, l’accueil de ce carnaval et sa diffusion dans la presse et sur les réseaux sociaux est remarquable. Si les premières éditions du carnaval ont eu peu d'écho dans la presse nationale turque, si ce n’est par le Hürriyet Daily News (un journal turc écrit en anglais et conçu pour un lectorat étranger), les années suivantes ont été fortement couvertes. Que ce soit dans les médias écrits ou télévisés, turcs et étrangers, le carnaval a fait l’objet de nombreux articles qui à leur tour ont participé à la circulation, voire à l’amplification, de la « mémoire historique » qui donne à Tatavla une image de quartier populaire, festif et harmonieux. À l’occasion de ces manifestations mémorielles dans le quartier, le mot « ghetto » ainsi que l’ancien toponyme Tatavla ont été largement utilisés jusqu’à devenir l’image de marque de Kurtuluş. 32 Face à cette apologie du carnaval, s'élèvent toutefois des voix contestataires. Les détracteurs principaux sont Nikos Isteklis, qui, avec ses livres volumineux, se proclamait le meilleur historien du quartier et le directeur du journal rum Apoyeumatini, Mihail Vasiladis. Les récentes initiatives comme la réorganisation du carnaval ne semblent pas naturelles à Nikos Isteklis. Selon lui, les étudiants grecs et Hüseyin Irmak n’ont rien à voir avec le passé du quartier et sont obnubilés par les médias. De manière générale, il accuse les Grecs et certains Rum revenus vivre à Istanbul de prétendre aujourd’hui faire partie de la communauté sans avoir connu le sort de ceux qui sont restés. 33 D’après Mihail Vasiladis, le carnaval était loin de ressembler à ce que les organisateurs mettent en avant. Célébré par une classe populaire et par des individus marginalisés, il avait mauvaise réputation. Le rôle de l’église était minime étant donné que le carnaval était une célébration païenne bien que s’inscrivant dans un calendrier chrétien. Elle ne jouait donc aucun rôle alors qu’aujourd’hui l’argent du carnaval lui est reversé ainsi qu’aux musiciens. Comme le fait remarquer Katerina Seraïdari dans un travail qu’elle a réalisé à propos de la réactivation d’un rituel dans l’île de Sifnos, le contenu symbolique des rituels reconstitués dévie généralement par rapport à leur sens premier (Seraïdari 2010). Aussi, on remarque la présence de nouvelles créations comme la chanson “ Baklahorani Karnaval” spécialement composée pour le carnaval par Haris Theodorelis Rigas (Rigas 2012). Donnant l’impression d’être un air d’époque que les musiciens auraient ressuscité, cette chanson, qui ne fait l’impasse sur aucun lieu commun de Kurtuluş, fait l’apologie de la fête et de la nuit et contribue à la folklorisation du quartier. Véritable tradition inventée, la re-célébration du carnaval se trouve donc décriée par d’autres entrepreneurs de la mémoire qui n'y participent pas et accusent les organisateurs d’avoir récupéré cet événement, alors révélateur de tensions et de concurrences au sein du réseau mémoriel. 34 Par ailleurs, l’absence de support ou de relais officiel peut nous amener à mettre en cause la pérennité de cette action mémorielle qui sans l’engagement de ces organisateurs ou son relais par d’autres individus ou groupes d’individus peut être amenée à disparaître. En effet, le carnaval est né d’initiatives personnelles et ne reçoit

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pas le soutien financier ni même le support matériel des municipalités dans lesquelles se trouve le quartier (Şişli et Beyoğlu). Lors d’un entretien avec le conseiller de Mustafa Sarıgül (maire de Şişli), ce dernier m’a avoué ne pas être au courant de la nouvelle célébration du carnaval qui avait eu lieu quelques semaines avant notre entretien. Toutefois, signalons qu’en 2014, la soirée s’est déroulée, cette fois-ci, dans un lieu prêté par la mairie. Peut-on y voir le signe d’un intérêt nouveau de la part des édiles municipaux ? Difficile à dire, notamment en période de campagne électorale qui pousse les édiles à faire des actions en faveur des habitants du quartier. 35 Revenons à présent sur le profil des organisateurs.

Les organisateurs

36 De loin le plus actif et le plus médiatisé, Haris Theodorelis Rigas a été décrit par le patriarche Bartholomeos comme « le plus grand espoir » de la communauté rum (Hürriyet, le 27 août 2010). Né à Athènes en 1983, il tire son lien avec les Rum de sa grand-mère paternelle qui était une rum originaire de Cappadoce. Après des études à Oxford, il décide de venir à Istanbul et s’installe dans le quartier central, mais non moins défavorisé, de Tarlabaşı. À côté de ses études universitaires (il réalise une thèse de doctorat portant sur la communauté rum d’Istanbul), il joue dans un groupe de musique rembétiko qu’il a baptisé Tatavla Keyfi, [l’humeur de Tatavla]. Ce groupe est très présent lors du carnaval puisqu’il accompagne les carnavaliers lors du défilé dans les rues du quartier. Haris Theodorelis Rigas a aussi participé à la création de la maison d’édition Istos et fait une demande d’obtention de la nationalité turque parce que, selon ses propres dires, il se sent plus chez lui à Istanbul qu’en Grèce. Dans les faits, la nationalité turque lui permettrait d'acquérir le statut de propriétaire ou de directeur de vakıf [fondations pieuses]. Enfin, il est aussi engagé dans la réouverture d’une université à Istanbul qui dispenserait des cours en grec et en turc. En raison de ses nombreuses activités, Haris Theodorelis Rigas est une figure clé et polyvalente de la mise en mémoire rum du quartier réalisée par de nombreux étudiants grecs.

37 À côté de cet étudiant hyper médiatisé, se trouve une autre étudiante grecque. Originaire de l’île de Naxos, Marina Drymalitou a fait ses études à Londres où elle y a rencontré Haris. Elle arrive à Istanbul en 2005 et emménage dans un appartement situé à deux pas de l’avenue centrale d’Istiklal. Dès son arrivée à Istanbul, elle intègre le club Hava Baba, plate-forme d’accueil pour les nouveaux venus de Grèce au sein duquel se créent de nombreux liens professionnels. Parallèlement à ses études, elle travaille pour l’association RumVader, association non gouvernementale qui s’occupe de la défense du patrimoine rum. Lors de nos entretiens, Marina Drymalitou me confie que Haris Theodorelis Rigas veut lui voler la vedette et prétend que toutes les actions réalisées en faveur de la minorité rum lui reviennent 9. Sur la scène mémorielle du quartier, la concurrence entre les deux est telle qu’ils n’arrivent plus à s’entendre, si bien que l’édition du carnaval en 2013 n’a pas eu lieu. 38 En plus de Marina Drymalitou et de Haris Theodorelis Rigas, Hüseyin Irmak, qui a écrit ses Mémoires en 2003, est aussi largement impliqué dans la reconstitution du carnaval. Il entretient de très bons rapports avec les deux étudiants et Dimitri Zotos, le président du comité d’administration de la paroisse rum de Saint Dimitri depuis 2007. 39 Enseignant à l’école rum de Fener, Dimitri Zotos n’est pas né dans le quartier mais y a emménagé au milieu des années 2000. Son fort engagement dans la re-célébration du

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carnaval traduit la tentative de l’Église de jouer un rôle de premier plan dans la revitalisation du passé. Toutes les activités de l’Église sont visibles sur son site Internet10. En page d’accueil, on peut y lire l’histoire du quartier et voir toutes les activités culturelles organisées par l’Église dont l’événement organisé à l’occasion de la réédition de la première histoire du quartier ou l’organisation d’une exposition de photographies prises par un ancien habitant du quartier vivant aujourd’hui à Athènes. En dehors de ses actions mémorielles, l’Église possède de nombreux biens fonciers et immobiliers dans le quartier. Elle possède, entre autres, la totalité de la place centrale (Son durak) et perçoit les loyers de tous les établissements qui y sont situés, dont le supermarché Carrefour. En 2012, profitant de la revalorisation du quartier tout en y participant, elle a augmenté le prix des loyers. Marquant la conjonction entre la mémoire et le foncier, l’Église est un acteur important de la revalorisation du quartier tout comme le sont les membres de l’association de quartier créée à la suite des contestations de Gezi. La présence de ce groupe nous pousse donc à questionner le rôle de Gezi dans le relais de la mise en mémoire du quartier.

Initiatives post-Gezi : entre la réappropriation et l’expiation

40 Pour des raisons d’ordre politique, la contestation populaire qui a eu lieu en juin 2013 est venue alimenter le phénomène de retour du quartier. À la suite de la fermeture du parc de Gezi par les forces de l’ordre, la contestation s’est déplacée dans des parcs un peu partout dans la ville où des forums de discussion se sont créés donnant naissance, dans un troisième temps, à des associations dans plusieurs quartiers dont celui de Kurtuluş. L’initiative de former une association de quartier à Kurtuluş revient à quelques habitants qui, un soir du mois d’août 2013, ont décidé de se recentrer sur leur quartier. Bien que son but soit plutôt de mener des actions politiques, l'association participe à la mise en mémoire du quartier tout en lui donnant une image de quartier protestataire. On constate donc l’émergence d’une nouvelle image affublée au quartier, celui d’un quartier qui en plus d’avoir accueilli de nombreux minoritaires est un bastion pour les opposants au gouvernement, un foyer de résistance [direniş].

Logo de l'association http://kurtulusdayanismasi.blogspot.com.tr/

41 Intitulée Tatavla Dayanışması [Solidarité Tatavla], cette association réhabilite l’ancien toponyme du quartier et, ce faisant, s’inscrit dans une perspective mémorielle qui possède toutefois un caractère plus politique et engagé que les actions précédemment citées. En choisissant le mot Tatavla, cette association souhaite rappeler la politique de turcisation qui avait causé le départ de nombreux minoritaires. Le logo de l’association représente un arbre, symbole du phénomène Gezi qui s’était enclenché avec l'arrachage des arbres en vue de la construction d’un complexe commercial. On y remarque aussi

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que sous le mot Tatavla, figurent Kurtuluş, Pangaltı et Feriköy. Dans cette réhabilitation, Tatavla recouvre un espace beaucoup plus grand qu’à l’époque où le quartier s’appelait encore ainsi. Depuis le mois d’août 2013, l’ancien toponyme refait également son apparition sur les murs du quartier. Ces graffitis symbolisent la résistance des habitants par le biais d’une réappropriation de leur quartier et de son histoire.

42 Tous les soirs d’abord, puis de manière plus espacée ensuite, les membres de cette association, qui s’autodésignent comme Tatavla Halkları [ les peuples de Tatavla], se réunissent dans un parc du quartier, puis depuis le mois de septembre 2013 dans un local, pour proposer des actions en vue de résister à la politique du gouvernement et d’échanger des idées pour une ville et un monde meilleurs. Leurs activités sont visibles sur leur site internet ou sur leur page Facebook qui compte, en février 2015, 1134 membres. 43 Les membres de cette association sont majoritairement des habitants du quartier, âgés de 25 à 45 ans. Parmi eux, on compte de nombreux artistes et étudiants qui auparavant habitaient dans le quartier favorisé de Cihangir et qui ont emménagé à Kurtuluş en raison, selon eux, de ses commerces et de son atmosphère de quartier. On remarque donc que le spectre du profil des entrepreneurs de la mémoire s’élargit, autrement dit que la mise en mémoire s’effectue par un public plus élargi parmi lequel figurent quelques habitants du quartier qui ont un capital scolaire relativement élevé par rapport aux autres habitants. L’arrivée de cette population participe donc à la rehausse foncière du quartier qui est, à son tour, basée sur une revalorisation symbolique de Kurtuluş s’appuyant sur la réécriture du passé et sur un retour du local. 44 Bien que les membres de cette association s’inscrivent dans la continuité des pratiques mémorielles déjà à l’œuvre dans le quartier, notamment en ressuscitant l’ancien toponyme et en alimentant la « mémoire historique », on voit émerger de nouvelles initiatives comme la commémoration de la mort de Hrant Dink, journaliste turc d'origine arménienne assassiné en 2007 ou de la nuit du 6/7 septembre 1955, nuit d’extrêmes violences perpétrées contre la population minoritaire (Güven 2005). 45 En plus de la commémoration de la mort de Hrant Dink, les membres de Tatavla Dayanışması sont à l’origine d’une action qui vise à rebaptiser la rue Ergenekon, en « rue Hrant Dink ». Après la réforme toponymique kémaliste de 1927 qui avait transformé l’avenue de Feriköy en avenue d’Ergenekon (faisant partie de l’imaginaire idéologique national, Ergenekon est le nom d’une vallée mythique au fin fond de l’Asie centrale, d’où seraient originaires les tribus turques « originelles »). Ce nom de rue est donc de nouveau remis en cause. Contrairement à cette action en faveur du changement de nom qui est relayée en dehors du quartier, aussi en raison du retentissement général lié à l’assassinat de Hrant Dink, la commémoration du 6/7 septembre a eu un impact plus réduit. 46 Pour la première fois dans le quartier, le soir du 6 septembre 2013, des manifestants ont défilé le long de l’avenue de Kurtuluş en scandant des slogans tels que « Le 6-7 septembre ne sera pas oublié, on ne le fera pas oublier » ou encore « Où sont les assassins du 6/7 septembre ? ». Après le défilé, les manifestants ont marqué une pause sur le Son durak où une des membres de l’association a lu un discours devant quelques journalistes. Ce dernier mettait en avant l’impact des événements de Gezi sur la nécessité de se réapproprier le quartier et son histoire : « Mais maintenant fini le pillage. Avec les événements de Gezi, nous avons appris qu’il existe un autre monde

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possible. Ici, nous le crions haut et fort, nous allons libérer le peuple de cette terre devenue une prison ». 47 Pour beaucoup, les événements de Gezi marquent un tournant important qui signe la fin de l’ère AKP, ce dernier passant tout d’abord par la réappropriation, voire la réparation, du passé. Après le discours, les manifestants ont été invités à rejoindre le parc d’Ortanca, non loin du quartier de Bomonti. 48 Là-bas, la soirée a commencé avec un groupe de musique reprenant une partie du répertoire arménien. Le directeur du journal rum Apoyeumatini est ensuite venu parler de la situation démographique de la minorité rum. Enfin, la soirée s’est terminée avec la projection du documentaire O gün: 6-7 Eylül 1955- Azınlıklara saldırı [ Ce jour-là : 6-7 septembre 1955 – l'attaque des minorités] de Can Dündar sur la nuit du 6/7 septembre 1955 (Dündar s.d.). Au vu des différents discours prononcés par les membres de Tatavla Dayanışması à l’occasion de ces actions commémoratives, force est de constater qu’à travers cette nouvelle association qui met un point d’honneur à ouvrir le débat sur le passé, la mise en mémoire du quartier possède aussi une dimension expiatoire qui vise à réduire les minoritaires à de malheureuses victimes et les Turcs à des bourreaux. 49 Au total, une centaine de personnes est venue manifester sur l’avenue de Kurtuluş et un peu de moins de la moitié a participé à la soirée commémorative organisée dans le parc. Il s’agissait pour la grande majorité d’habitants du quartier, relativement jeunes, parmi lesquels aucun rum. Les membres du comité d’administration de la paroisse rum, Hüseyin Irmak, Burhan Yentürk, ou encore Orhan Türker étaient également absents nous laissant conclure que la mise en mémoire du quartier se fait de manière segmentée. Elle repose, en effet, sur des groupes d’acteurs différents entre lesquels les interactions sont quasiment absentes, si ce n’est par le biais de Facebook. Toutefois, malgré l’absence de connexions entre les différents entrepreneurs de la mémoire, la fabrique d’une « mémoire historique » autour de Tatavla est incontestable. Elle est même devenue un produit rentable.

III. Rentabiliser le passé

50 À Istanbul, la revitalisation du passé est largement récupérée à des fins commerciales conjointement à la marchandisation du quartier qui est un aspect non négligeable du phénomène de retour du local. Dans le cas de Kurtuluş, de nombreux commerçants mais aussi un promoteur immobilier et un propriétaire d’hôtel ont comme point commun de voir dans le passé du quartier une excellente valeur marchande. En marchandant le passé du quartier, nous verrons qu’ils vident souvent ce dernier de son sens, ne faisant ni référence au récit hellénique ni au récit cosmopolite. En d’autres termes, Tatavla devient un label porteur et rentable.

Un produit marchand

51 Le premier indice d’une récupération du passé à des fins marchandes apparaît sur la brochure publicitaire du site Elysium Cool Kurtuluş où l’on constate que le récit cosmopolite est clairement devenu un argument de vente. Construit en 2007 par l’entrepreneur immobilier OFTON, Elysium Cool Kurtuluş est le premier complexe résidentiel fermé qui illustre, de manière évidente, la revalorisation foncière de Kurtuluş. Divisé en 5 blocs de 210 logements chacun, le projet comprend une piscine,

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un court de tennis, un terrain de , un plus petit de football, un salon de fitness, un , un sauna, un parc pour enfants, et plusieurs épiceries. Le prix des logements varie entre 139 000 et 500 000 dollars. Sur la brochure, on peut lire : « Kurtuluş est encore une mosaïque confessionnelle, un centre du bien-être ensemble… C’est un secteur unique dans lequel les diverses religions et cultures historiques vivent ensemble en toute tranquillité et dans une véritable harmonie. ».

52 Kurtuluş apparaît donc comme un quartier historique où il fait bon habiter tous ensemble. Toutefois, malgré cet argumentaire de vente basé sur l’harmonie du quartier, le produit proposé est une gated community, une cité résidentielle, close et délimitée par de hauts murs, habitée par des individus au revenu nettement supérieur que celui de la population environnante. 53 En plus de ce promoteur immobilier, de nombreux commerçants ont fait du passé leur gagne-pain à l’instar de ce boulanger qui, après avoir racheté sa boulangerie à un Arménien, continue d’attirer l’ancienne clientèle du quartier en vendant exactement les mêmes produits et en gardant la décoration intérieure identique. Il existe aussi, dans des proportions plus importantes, d’autres commerçants qui vendent le récit hellénique. Le gérant de la meyhane Despina, par exemple, fait partie de ces acteurs de la marchandisation du récit hellénique. 54 Du nom de sa propriétaire décédée en 2006, Despina est la meyhane la plus ancienne du quartier. Ouverte en 1946, elle succède à l’ancien gazino [cabaret] Bijou rappelant le phénomène de stratification urbaine qui caractérise les anciens quartiers d’Istanbul. Depuis 1998, son gérant est un Turc musulman qui habite le quartier depuis une quarantaine d’années. En vantant les qualités des Rum, en entretenant l’ancienne décoration intérieure, en mettant en avant l’ancienneté de l’établissement rappelée dès l’entrée par l’inscription suivante « Meyhane Despina de 1946 à nos jours » et enfin en accueillant les carnavaliers lors de la première édition du carnaval, cet individu est un des relais de la revitalisation du passé du quartier à la tête de laquelle est son propriétaire, qui n’est autre que l’Église rum. 55 Comme ce restaurant, plusieurs établissements situés sur le Son durak, appartenant à l’Église, ont des noms rappelant le passé du quartier. L’établissement situé en face de l’église rum de Saint Dimitri s’appelle Olimpia et rappelle le nom du gazino qui existait à cet endroit jusqu’au milieu du 20e siècle. Sur un coin de la place, se dresse un autre restaurant appelé Tatavla. On remarque que le logo du restaurant représente un temple grec. Le gérant du restaurant n’est pas rum mais un musulman originaire de la mer Noire. Il n’habite pas non plus dans le quartier mais sur la rive asiatique. 56 Citons aussi le cas d’un magasin intitulé Tatavla spécialisé dans l’achat et la vente d’objets anciens. Ouvert en 2010, ce magasin fait office de magasin sentinelle puisque son ouverture précède celle d’un autre tekel [débit de boissons] nommé Tatavla dans la même rue. Ces magasins se trouvent sur l’avenue où défilaient les carnavaliers faisant de cette rue une véritable vitrine hellénique. Toutefois, le propriétaire du tekel Tatavla qui n’habitait pas dans le quartier a dû fermer ses portes au mois de juillet 2013 nous rappelant que comme tout marché, le marché mémoriel est sous la loi de la concurrence et que la durée de vie des commerces est souvent très courte. 57 Ainsi, depuis le début des années 2000, des établissements Tatavla s’ouvrent et se ferment un peu partout dans le quartier. La dernière ouverture en date est celle d’un boutique-hôtel dénommé Tatavla Appartments Istanbul qui a ouvert ses portes en 2012.

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Situé sur la rive est de l’avenue de Kurtuluş dans un appartement de quatre étages entièrement refait à neuf, il confirme aussi la revalorisation foncière du quartier. Les caméras de vidéosurveillance, le système de codes d’accès à l’entrée, le tarif proposé allant de 50 à 80 dollars la nuit et enfin l’utilisation de l’ancien toponyme symbolise l’alliance entre la reconversion du tissu social et urbain du quartier et la réactivation du passé. Tatavla Appartments Istanbul incarne aussi un mouvement relativement moderne en Turquie dans le sens où il est défini, selon son site internet, comme gay- friendly. Son propriétaire, lui-même gay, fait la publicité de son hôtel en disant qu’il se trouve à dix minutes de la « scène locale gay » renvoyant à la présence de nombreux bars gays et transsexuels qui se trouvent (pour combien de temps encore ?) dans le quartier voisin de Tarlabaşı en proie à un vaste projet de transformation urbaine. 58 Enfin, au-delà d’un produit marchand, une pratique similaire fait de Tatavla un label artistique qui envahit non plus les enseignes des commerces mais les couvertures de livres et magazines.

Un label artistique

https://www.facebook.com/tatavlafanzine

59 Le terme Tatavla est aussi devenu un label artistique dont l’usage s’étend considérablement comme nous le prouvent la création du fanzine Tatavla, d’une école de théâtre dénommée Atölye Tatavla sur l’avenue de Kurtuluş ou encore d’un roman intitulé Le loup de Tatavla.

60 Le premier numéro de Tatavla fanzin est sorti en juillet 2012. Créé par un jeune étudiant turc musulman né en 1994 dans le quartier de Şişli, on y trouve des montages photos, des critiques de lectures, de films, des poèmes, etc. En résumé, rien qui n’a trait directement au quartier. Utilisant le label, plus par un effet de mode et d’engagement que par un réel intérêt pour le quartier, cet étudiant, comme tous les commerçants qui utilisent l’ancien toponyme, connaît très peu de chose sur le quartier. Toutefois, il sait que c’est un ancien quartier où habitaient de nombreux minoritaires. C’est pourquoi la présence de la calligraphie grecque tient une place importante au sein du fanzine et sur son compte Facebook. Il a aussi choisi le pseudonyme Tatavlalı [habitant de Tatavla] sur son compte Facebook alors qu’il n’a jamais habité dans le quartier de Kurtuluş. De plus, il diffuse une image de Tatavla comme un symbole de lutte urbaine et en ce sens rejoint les membres du groupe Tatavla Dayanışması auquel il participe d’ailleurs.

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Couverture du roman Le Loup de Tatavla

61 Sorti en 2011, le roman Le Loup de Tatavla écrit par Fikret Yıldırıcı, né à Bursa en 1963, retrace le parcours d’un homme né à Kurtuluş. Dans le livre, le quartier ne fait pas l’objet de longues descriptions. Le seul élément qui pourrait nous rappeler, tout en le caricaturant, Kurtuluş est la présence de Silva, l’amoureuse d’enfance du héros d’origine arménienne. Kurtuluş sert donc juste de décor dramaturgique à une histoire qui raconte les tiraillements d’un homme partagé entre son amour d’enfance, d’origine arménienne, et ses idéaux nationalistes. Ce tiraillement est illustré de manière très caricaturale sur la couverture du livre qui représente une croix et le symbole nationaliste du loup. On remarque aussi l’utilisation de l’ancien toponyme. Toutefois, à l’intérieur du livre, on est surpris par l’absence du terme de Tatavla qui n’apparaît que dans le titre. L’utilisation du mot Tatavla serait donc une stratégie de marketing urbain contribuant à déformer l’histoire du quartier et à l’éloigner de sa réalité démographique et sociale actuelle. Dans le même ordre d’idées, un film grand public intitulé non pas Tatavla mais Kurtuluş Son durak est sorti le 6 janvier 2012 dans les salles de cinéma. Ce film met en scène l’immeuble nommé Saadet apartman [immeuble de la félicité] comme le théâtre d’un mouvement féministe qui touche tout le quartier. Bien que le sujet du film soit la condition de la femme en Turquie, l’image que le film donne du quartier est très intéressante. En effet, les femmes de l’immeuble et les relations qu’elles entretiennent entre elles sont très caricaturées. Parmi les femmes de l’immeuble âgées de 30 à 60 ans se trouve une femme arménienne, Vartanuş, dont les murs sont placardés de croix et d’icônes. De plus, comme l’indique le titre du film, à chaque fois que le quartier est désigné, c’est sous le nom de Kurtuluş son durak. De même, lors de la projection du film dans les différentes salles ou dans la presse, le quartier était présenté comme le mahalle de Kurtuluş son durak de manière à ce que non seulement une nouvelle image du quartier ait été créée mais que son nom ait aussi changé. Par conséquent, depuis le début des années 2010, certaines franges du monde artistique et marchand tout comme de nombreux professionnels du tourisme et entrepreneurs immobiliers participent également à la transformation urbaine, dans les quartiers centraux et péricentraux d’Istanbul, au moyen d’une réécriture du passé.

62 En guise de conclusion, rappelons que la mise en mémoire se traduit à Kurtuluş par une intense production littéraire, l’organisation d’événements festifs ou de cérémonies commémoratives et par la création d’un label marchand à partir du toponyme Tatavla.

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Reposant sur des initiatives individuelles et parfois collectives plus que sur un support officiel, ces initiatives manifestent un intérêt sur l’histoire locale et la volonté d’ouvrir un débat sur le passé et ses traumatismes tout en traduisant la présence de nombreuses tensions et concurrences au sein du réseau mémoriel. Aussi, elles contribuent toutes à la fabrique d’une « mémoire historique » qui se situe au croisement de trois récits principaux : le récit cosmopolite qui fait de Tatavla un des anciens haut-lieu du bien-être partagé, le récit hellénique qui réhabilite l’image du « ghetto rum » et depuis peu le récit contestataire qui à la suite des événements de Gezi donne à Kurtuluş une forte coloration politique. Toutefois, la figure de Hüseyin Irmak nous montre qu’il est possible d’articuler ces différents récits et de circuler dans plusieurs réseaux. De plus, le parcours de cet entrepreneur de la mémoire, d’origine kurde et arrivé dans le quartier dans les années 1960, nous amène à constater que ce ne sont souvent pas les premiers concernés qui deviennent les fervents héritiers du passé. Les entrepreneurs de la mémoire, sont souvent exogènes (nombre d’entre eux n’habitent pas dans le quartier et sont Grecs). Aussi, ils possèdent un profil social quasiment identique et pour certains, comme l’Église rum, une autorité locale non négligeable. À la fois propriétaire foncier et immobilier mais aussi engagé dans la revitalisation du passé, celle-ci joue sur plusieurs tableaux. Au regard de la similarité des profils sociologiques des entrepreneurs de la mémoire et de la circulation des récits, la mise en mémoire du quartier témoigne donc d’un fort entre soi et par conséquent d’une fragmentation de la mémoire dans le sens où celle-ci n’est pas partagée par l’ensemble des habitants. 63 La « mémoire historique » et sa diffusion n’a donc de sens que pour un segment de la population, celle qui a connu une ascension socio-économique. Celle-ci reconstruit ses propres souvenirs selon le récit dominant bien que sa propre présence n’apparaisse pas dans l’image d’Épinal produite sur le passé. En revanche, de nombreux individus, arrivés dans la seconde moitié du 20e siècle, vivent souvent dans deux espaces-temps mémoriels qui s’interpénètrent quelque fois. La richesse de leur mémoire tournée vers un ailleurs, leur lieu d’origine, contraste avec la pauvreté de leur mémoire d’ici, du quartier. Ainsi, une grande part de la population du quartier ne se retrouve ni dans le récit hellénique, ni dans le récit cosmopolite qui, sous couvert d’un bien-être ensemble, écarte de nombreux individus qui ne correspondent pas à l’image de la mixité passée (arménienne, juive et rum) ou qui n’ont pas connu d’élévation socio-économique. Enfin, la mémoire vive d’une bonne partie de la population est également ignorée étant donné que ladite population n’est plus présente dans le quartier mais a quitté le pays dans la seconde moitié du 20e siècle faisant de l’émergence et de la transmission de la mémoire collective dans les anciens quartiers d’Istanbul une entreprise difficile, souvent récupérée et sujette à une intense réécriture.

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NOTES

1. La définition de quartier dont il sera question dans cet article ne renvoie pas à une entité administrative spatialement délimitée mais fait référence à la notion d’espace vécu. C’est aussi un espace à géométrie variable dont les frontières mentales varient selon les habitants et selon les périodes. À l’instar de Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire, nous excluons l’idée d’une propriété homogénéisante du quartier mais au contraire mettrons l’accent sur la pluralité des espaces, des acteurs et des pratiques. Jean-Claude Chamboredon, Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale : les grands ensembles et leur peuplement », Revue française de Sociologie, vol. XI, n° 1, janvier-mars 1970. 2. En dehors des anciens quartiers centraux, certains espaces périphériques sont aussi touchés par ce phénomène. Aux lisières de la ville, on observe, depuis peu, des complexes résidentiels fermés vantant une vie de quartier basée sur le confort, la cordialité et la présence de la nature à l’instar de la gated community dont le nom signifie quartier [ mahalle] qui se situe dans la périphérie est d’Istanbul. 3. Le terme minoritaire renvoie au statut juridique international des populations arméniennes, juives et chrétiennes orthodoxes [rum] établi par le Traité de Lausanne en 1923 qui marque, entre autres, la fin de la guerre gréco-turque et l’échange obligatoire de population entre ces deux pays. 4. Parti politique au pouvoir depuis 2002 et créé par Recep Tayyip Erdoğan, président de la Turquie. 5. Bien qu’ils se recoupent largement, il existe une nuance importante entre le récit cosmopolite et le récit rum. Le récit cosmopolite est plus englobant, il fait référence à l’ancien tissu démographique d’Istanbul et à la présence des populations juives, arméniennes et rum. Le récit rum, lui, se concentre uniquement sur la présence d’une population, celle de la population rum, en effaçant toutes les autres. 6. Propos tiré d’un entretien réalisé à Athènes en juillet 2007. 7. Entretiens réalisés à Istanbul au cours de l’année 2013. 8. Entretiens réalisés à Istanbul au cours des années 2012 et 2013. 9. Entretiens réalisés à Istanbul au cours de l’année 2013. 10. http://tatavla.org .

RÉSUMÉS

À travers l’exemple du quartier de Kurtuluş, cet article s’attache à décrire et analyser les mécanismes de revalorisation du passé qui ont lieu dans les anciens quartiers d’Istanbul depuis le début des années 2000. À Kurtulus, cette revalorisation mémorielle s’effectue par une myriade d’acteurs non officiels et majoritairement exogènes (vivant en dehors du quartier ou de la Turquie) qui participent à une réécriture de l'histoire locale par le biais de divers supports. Cet article met l’accent sur les multiples interactions existant au sein des entrepreneurs mémoriels

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qui prennent la forme d’un entre soi, de chevauchements et/ou de concurrences illustrant les divers enjeux liées à la mise en mémoire du quartier. D’autres usages du passé sont également mis en lumière comme les réappropriations à caractère marchand et immobilier afin de rendre compte de l’articulation entre les dimensions mémorielle, foncière et marchande de la revalorisation du quartier.

Through the example of Kurtuluş neighborhood, this article attempts to describe and analyze the mechanisms of enhancement of the past that takes place in the ancient quarters of Istanbul since early 2000. In Kurtuluş, this revaluation of the past is performed by a non-official and largely exogenous myriad of actors (living outside the district or Turkey) involved in rewriting the local history through various media. This article focuses on the multiple interactions within memorial entrepreneurs as a self-between, an overlapping and / or a competition illustrating the various issues related to this memory production. Other uses of the past are also highlighted as the reappropriations with commercial or real estate purposes to reflect the articulations between the different dimensions of the neighborhood’s revalorization.

INDEX

Keywords : memorial entrepreneurs, uses of the past, self-between, competitions, reappropriations Mots-clés : entrepreneurs mémoriels, usages du passé, entre-soi, concurrences, réappropriations

AUTEUR

CILIA MARTIN

Historienne, Institut Français d'Études Anatoliennes, Istanbul École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris [email protected]

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Being sick of politics: The production of dengbêjî as Kurdish cultural heritage in contemporary Turkey

Marlene Schäfers

My thanks are due to Yael Navaro-Yashin, Banu Karaca and Jeremy Walton for providing invaluable feedback on earlier drafts of this paper. I am also indebted to the anonymous EJTS reviewers for their critical engagement with the subject matter.

1 “I am sick of politics [siyaset]!” Hatice1 exclaimed with a sense of exasperation as we were trying to warm up over tea after the performance she had given together with a number of other women dengbêjs [Kurdish bards] at the occasion of the International Day for the Elimination of Violence against Women on the 25 November, 2012. The rally had been organized by the Democratic Free Women’s Movement [Demokratik Özgür Kadın Hareketi, DÖKH], the PKK-aligned wing of the Kurdish women’s movement, and the seemingly never-ending speeches by various women politicians had not only made the cold seep into our bodies but also cut into the dengbêjs’ performance time. Angry over having been cut short at a rally yet another time Hatice exclaimed with a mixture of passion and frustration: “I want to do art [sanat], not politics [siyaset]!” She felt that Kurdish culture and arts – paradigmatically embodied, in her view, by dengbêjs like herself – had lost out not only against the upbeat tempo of popular pieces like Aynur Doğan’s “Keça Kurdan” that had been pounding out from the large loudspeakers during the rally, but also against the professional politicians of the Kurdish Peace and Democracy Party (BDP)2 and their speeches. But wasn’t being a dengbêj and thereby preserving Kurdish traditions in itself a measure supporting the Kurdish cause, Hatice now asked us. Were they not supporting the aims of the Kurdish women’s movement, as women dengbêjs out there on a stage in the freezing cold? Why then were they not given the attention she felt they deserved? Turning to me, Münevver, a great admirer of dengbêjs and their kilams 3 with a passion for Kurdish literature and poetry, felt the need to explain. It is a general problem of the Kurds as a people that they don’t know

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how to keep things separate, she told me, and seemed to imply that this failure at proper separation was somehow responsible for the historical predicament of Kurdish subaltern status and possibly even for the Kurdish failure at establishing an independent nation-state. “Politics, militarism, music, art, culture; they should be separate from each other,” she said, “but we Kurds, we constantly mix them up!”

2 Taking Hatice’s rejection of politics in the name of art and Münevver’s simultaneous insistence on boundary maintenance as my points of departure, in what follows I seek to investigate some of the complexities and paradoxes of contemporary Kurdish heritage production in Turkey through the prism of dengbêjî. As this article will argue, Hatice’s exasperation at the continual encroachment of politics upon the art of dengbêjî has to be understood as an effect of the particular ways in which dengbêjî has become codified as cultural heritage and thus as the authentic essence of Kurdish culture. Such an understanding, in turn, allows for a continual slippage between cultural heritage understood as, on the one hand, marking the essence of the Kurdish nation and being therefore of an inherently political nature and, on the other hand, constituting a non- or prepolitical realm of folkloric engagement with ethnic traditions. Following Banu Karaca (2009), I suggest that it is precisely this slippage which lends the concept of cultural heritage its particular political productiveness and which may therefore account for the ways in which dengbêjî has become the central object of a number of heated debates and contestations. 3 By marshalling ethnographic material from my fieldwork with women dengbêjs in the region of Van who advocate dengbêjî as a form of cultural practice separate from politics, I do not mean to suggest that these women were in any way representative of all dengbêjs, of all Kurdish women in general or of all Kurdish cultural activists. This was in fact hardly the case: more often than not, women like Hatice or Münevver find themselves in a minority position within a context where everyday life – including cultural and artistic production – is intensely and consciously politicized. Given a longstanding and engrained history of systematic and violent persecution, repression, denial and assimilation of all matters Kurdish by the Turkish state, Kurdishness has effectively been rendered an inherently and inescapably political subject position in Turkey today. Moreover, the Kurdish political movement in its struggle to counter state repression and denial, has in its own turn insisted that Kurdishness is a thoroughly political state of existence. As a result, the terrain on which any cultural or artistic production takes place in Turkish Kurdistan has become so thoroughly suffused with politics that invoking cultural heritage here as a sphere that ought to be free from politics requires, as this article will proceed to show, a certain amount of social labour. This is not to say that the kind of cultural activism advocated by women like Hatice and Münevver is in any way apolitical; rather, their engagement may be regarded as a form of “nongovernmental politics” as developed by Michael Feher. Feher describes nongovernmental politics as a form of politics that explicitly does not aspire to govern and which derives its legitimacy precisely from this abstinence, thus making for nongovernmental actors’ frequent downplaying or denial of the political character of their endeavours. Such claims, writes Feher, do however not enable nongovernmental activists “to eschew the conflicts and transcend the power relations that make up the social fabric in which they intervene” and therefore make their engagement “no more apolitical than governmental” (Feher 2007: 13). Referring specifically to the Turkish context, Jeremy Walton has argued that here the kind of nongovernmental politics

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described by Feher “is not a fait accompli but an achievement” (Walton 2013: 184) given Turkey’s strong state tradition. Taking up Walton’s suggestion, in what follows I therefore seek to explore how rendering the politics of culture nongovernmental in Turkish Kurdistan equally constitutes an achievement that has to labour against not only the Turkish state but oftentimes also against the Kurdish political movement. 4 A word of caution is necessary here. Given that the Turkish state has, over the last several decades, increasingly turned to a particular form of liberal multiculturalism in an attempt at managing its “Kurdish question” (alongside its other ethnic and religious “minorities”), invoking Kurdish cultural heritage as a sphere free from politics plays with the ambiguous risk of replicating – even if unintentionally – the state’s agenda of rendering Kurdish culture a matter of depoliticized folklore. By attending to the ways in which some of my interlocutors sought to straddle this fraught political and cultural landscape and paying close attention to the different registers of politics they evoked in order to do so, this article seeks to outline the fault lines that characterize attempts at codifying and institutionalizing a stable field of Kurdish cultural heritage in Turkey today. Moreover, the article will also highlight some of the specifically gendered dynamics involved in this undertaking and ask what opportunities a liberal imagination of dengbêjî as the exercise of authentic Kurdish culture free from politics may hold for women dengbêjs in particular. 5 But let me begin with a brief account of the ways in which dengbêjî has come to be conceptualized as the paradigmatic form of Kurdish cultural heritage and how such a conceptualization lends it a particular form of political productivity.

I. The authentic essence of Kurdishness: Dengbêjî as cultural heritage

6 The idea that dengbêjî constitutes the essence of authentic Kurdish culture and that dengbêjs are consequently its main transmitters is relatively recent. The term dengbêjî itself is indicative of the social labour that had to go into turning this disparate field of persons, practices and knowledge into a delimited sphere of culture, a coherent and defined entity that could then become the object of any conversation, debate or argument. As Clémence Scalbert-Yücel has noted, in Kurdish the term dengbêjî4 “sounds a bit artificial” (Scalbert-Yücel 2009: 14). Why should this be the case? Even though I have not been able to determine with any exactitude when the term first entered into widespread use in either written or oral Kurmanji Kurdish, my own observations as well as those of other researchers indicate that the term has a relatively recent history, which seems to have evolved in response to a need to designate the object it denotes – “minstrelsy,” “singing” or “the art of being a dengbêj,” as defined by Michael Chyet (2003) – as this has come into being as a delineated object. While the noun dengbêj, designating the singer or storyteller as a person, is a long- established term,5 the widespread use of the related dengbêjî as a noun denoting in abstract fashion the body of knowledge, as well as the practice that makes one a dengbêj, seems to be a relatively recent phenomenon. Today, the term dengbêjî (or dengbejlik in Turkish) appears quite commonly in written publications and is used frequently in spoken discourse by academics, intellectuals, and many dengbêjs themselves, especially those who have been in contact with Kurdish cultural institutions. Throughout my fieldwork I found that the term was much less commonly

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used, however, by many of the illiterate and elderly women living in the countryside, who would more often employ constructions with dengbêj as the grammatical subject (e.g. “dengbêjs do…” or “ dengbêjs say…”) rather than speaking abstractly about dengbêjî as a body of knowledge (as implied by constructions like “dengbêjî is…” or “I do dengbêjî”).6 I interpret this shift in language as indicative of the coming-into-being of an abstract and disembodied understanding of what a dengbêj does as an identifiable object of knowledge-cum-practice, something that one can conceive of separately from the dengbêj as the practitioner herself. This shift, moreover, appears symptomatic of broader changes in the understanding of Kurdish “culture” as a delineated field distinct from the ordinary practices of everyday life.

7 Attempts at delineating, codifying and documenting Kurdish culture as a distinct field can be traced back to the beginnings of modern in the early twentieth century, when Kurdish intellectuals self-consciously sought to create a canon of Kurdish language, folklore and traditions – the kind of culture, in other words, which constitutes the key for entry into modern nation- (and state-) hood. While intellectuals initially chose to focus their attention on the “high culture” of written Kurdish literature, especially in the period following the First World War attention shifted towards oral and folk culture – including dengbêjs’ kilams and tales – as the main source for what was understood to constitute Kurdish cultural heritage (Strohmeier 2003: 151-154). Among the most important efforts at documenting this heritage-to-be were those undertaken by Celadet Bedirkhan, who published – in close scholarly exchange with French Orientalists like Thomas Bois and Roger Lescot – orally collected stories, fairy tales, riddles and songs in his journal Hawar in Damascus during the 1930s (Fuccaro 2003: 206-209). This early emphasis on the significance of orally transmitted literature secured the figure of the dengbêj a central place within an evolving understanding of Kurdish culture, although not yet in the paradigmatic fashion that has characterized the tradition’s more recent revival. 8 With the often violent suppression of any Kurdish cultural and intellectual activity beginning in the last years of the Ottoman Empire and taking on intensified and systematic shape under the Kemalist regime of the Turkish Republic, it took until the latter half of the twentieth century for a revival of Kurdish cultural activities to take place, now in the framework of Kurdish nationalism that had been developing since the 1960s. This Kurdish political activism, as it emerged from Turkey’s Left with a distinct socialist character, entailed a focus on the culture of “the people” and consequently a rather sceptical attitude towards dengbêjs, who were considered symbols of Kurdish society’s feudal structure and hence of a backwards past that Kurds needed to overcome. While some voices within the Kurdish movement did advocate the collection of oral traditions and the revival of folklore as a means to construct a corpus of national culture, the dominant ideological position was that Kurdish national culture needed to be comprised of revolutionary cultural forms, which would reflect the heroic national struggle for liberation, and not of dengbêjs’ epics and legends that smacked of feudalism and fairy-tale romances (Scalbert-Yücel 2009). This attitude was confirmed to me by many of my female interlocutors, who recalled that activists and Kurdish institutions had initially not shown any interest in the “old songs” [kilamên kevn] that these women knew, and that Kurdish music production, broadcasting and performance used to be dominated instead by popular music with political lyrics glorifying the Kurdish struggle (Aksoy 2006; Blum and Hassanpour 1996).

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9 Beginning in the late 1990s and early 2000s this situation started to change as the result of several factors. One important element was the ideological reorientation of the PKK and the Kurdish movement more broadly after the arrest of Abdullah Öcalan in 1999, which entailed a distancing from Marxist-Leninist ideology, the official abandoning of the struggle as one directed towards the establishment of an independent nation state, and the embracement of a politics of identity focusing on the attainment of cultural and linguistic rights for Kurds in Turkey (Akkaya and Jongerden 2013). This shift in the political arena coincided with a renewed interest in dengbêjî by Kurdish writers and intellectuals, many of whom live and work in the European diaspora, and the publication of several fiction and non-fiction works about dengbêjî and/or individual dengbêjs.7 Central to the change in perception of dengbêjî has moreover been the role of institutions, most importantly the Kurdish municipalities and Kurdish cultural institutions like the Mesopotamia Cultural Centres [Navenda Çanda Mezopotamya, NÇM], which have since the early 2000s increasingly promoted dengbêjî through festivals and concerts, the opening of so-called Dengbêj Houses [Malên Dengbêjan] and other institutionalized cultural activities (Scalbert-Yücel 2009; Watts 2010: 148). 10 Today, only a small number of cultural centres in Turkish Kurdistan are in their entirety dedicated to dengbêjs.8 Nevertheless, in most towns established NÇMs have a section, if only a separate room or corner, allocated to dengbêjs’ performances (so- called diwans). These tend to be decorated with cushions and hand woven carpets, oil lamps, water pipes and other “authentic” village objects that are considered indicative of Kurdish tradition. Dengbêjî has also experienced a revival on Kurdish television, with video clips of dengbêjs – usually shot against the backdrop of iconic landscapes taken to signify Kurdishness, such as highland pastures, remote villages or high mountain passes – being broadcasted frequently on the various music channels. Live performances of larger groups of dengbêjs, in turn, fill entire evening programmes. Dengbêjî recordings also make up a sizable proportion of the professionally distributed Kurdish music in Turkey and of the music that circulates outside the realm of copyright law, judging from the ubiquitous acoustic presence of dengbêjs’ voices in both public and private spaces, emanating from cars and shops and resounding inside homes and work places (cf. Reigle 2013). 11 The dominant narrative about dengbêjî depicts the dengbêj as one or even the most important representative of Kurdish culture, thanks to whom Kurdish language, culture and history have been saved from extinction despite decades of state suppression (Scalbert-Yücel 2009). Famous dengbêjs like Evdalê Zeynikê are often described as the Homer of the Kurds, and their stories characterized as Kurdish versions of the Epic of Gilgamesh. Dengbêjs are venerated as the oral historians of the Kurdish people, as the carriers of Kurdish collective memory and the transmitters of oral literature.9 This discourse effectively posits dengbêjs not just as one, albeit central, element of Kurdish culture, but as what has allowed Kurdish culture as a whole to survive to the present day. In this way, dengbêjî is held to constitute an essential link between a Kurdish present and its past, a link that ought to be extended in order to harness a Kurdish national future (Kanakis 2013). 12 And it is this imagination of continuity, also, combined with the notion of authenticity that qualifies dengbêjî as a form of cultural heritage. Indeed, in conversations with dengbêjs and other cultural actors or in popular publications on the topic the terms k ültür [culture] and miras [heritage, inheritance] are often used interchangeably, with

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both terms all too often accompanied by the attribute otantik [authentic] (cf. Kanakis 2013). Here then, we can see how a cultural practice – cultural in this instance evoking the sense of processual, “lived” culture – turns into heritage through a process of what Nathalie Heinich has felicitously termed “the administration of authenticity” (Heinich 2009: 261). As Heinich notes, such “authentic” heritage operates according to a logic of inscription: because heritage is held to provide continuity between past and present, its object requires some sort of fixation (Heinich 2009: 24). The emergence of dengbêjî as an abstract noun is only one effect of such fixation; others include, for example, the evolving notion of “original” as opposed to “faulty” kilams and the slow (though nonetheless contested) standardization of a canon of recognized dengbêjs, repertoires and styles. Another effect is that dengbêjî has come to be virtually an umbrella term used in order to describe almost all Kurdish performers of sung poetry and prose. While the term dengbêj used to be local to the region of Serhat, 10 increasingly performers from other regions who are often locally known under terms such as stranbêj [singer] or şair [poet] have appeared under the label “ dengbêj” when addressing supra-local audiences through Kurdish media outlets or their record covers (Çakır 2011: 52-53). Dengbêjî, in its function as virtually the most important instantiation of Kurdish culture – itself modelled on a paradigm of heritage – has thus come to bear the promise of bestowing the authority of authenticity while at the same time allowing for ready recognisability amongst broad audiences.

II. Negotiating Kurdish cultural heritage: Between political and depoliticized culture

13 This construal of dengbêjî as cultural heritage and thus as a delimited and relatively fixed entity has allowed for dengbêjî to turn into an object of debate whose relations to politics may be envisioned in radically different ways. Before I go on to explore some of these different positions in more detail, let me briefly note how the particular conceptualization of dengbêjî as cultural heritage that I have outlined here is crucially linked to liberal forms of governance. Understood as the primordial attribute of an authentic ethnic community moving through the continuous and linear time of the nation, cultural heritage and “culture” more broadly crucially contributes to qualifying the community in question for liberal forms of representation and recognition. Within liberalism, the notion of cultural heritage thus hinges on what Jeremy Walton has termed a “primordialist logic of identity in relation to civil society and political action” (Walton 2013: 190). What Walton expresses here is the idea that in a liberal framework identity, because it is imagined as natural and authentic, is construed as essentially prepolitical. Nevertheless, it simultaneously constitutes a crucial criterion for communities to be able to claim rights of recognition within the political arena of the modern nation state. Walton moreover identifies such an understanding of identity as integral to a “romantic,” idealized imagination of civil society as a sphere distinct from political society and (corrupting) state power. As I want to suggest, Hatice’s rejection of politics indicates a similar “romance of civil society” as that described by Walton in relation to Islamic civil society institutions in Turkey. But in order to advance this argument further it is necessary to spell out in some more detail how other actors within the political and cultural landscape at stake here – chiefly the Turkish state and

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the Kurdish movement – have envisioned the relation between cultural heritage and politics in different ways.

14 To begin with, for the Kurdish movement dengbêjî represents an inherently and inescapably political practice. The premise here is that cultural heritage is by definition political since it marks the pristine and authentic identity of an ethnic community that by virtue of being endowed with such an identity is able to claim political representation and recognition, be it in the form of self-determination, autonomy, or even nationhood. This is the understanding of cultural heritage that Dacia Viejo-Rose, Yudhishtir Raj Isar and Helmut K. Anheier point to when they note: Today, having a heritage is indispensable to having an identity and cultural memory; losing a heritage is like losing a key bit of both. Heritage has come to be used as ‘proof’ of past, tradition, belonging, and therefore proof also of rights to place, representation and political voice. (Viejo-Rose et al. 2011: 9)11 15 Take, for example, the following remark by Esra, a young university student from Tatvan with close ties to Kurdish political organizations, which poignantly brings to the fore precisely such an understanding: [Dengbêjî’s] political aspect is immense because it is my essence [asıl]… The fact that it is in Kurdish is already politics. That it speaks of Kurdish history is another kind of politics. […] That we lay claim to it [sahip çıkmamız], that we are Kurdish adds yet another meaning to it. 16 For Esra dengbêjî, because it constitutes the essence of Kurdishness, is a political matter by definition. What accounts for this inevitable link between Kurdishness and the political is of course the fact that any expressions of Kurdishness have been brutally and systematically suppressed by the Turkish state throughout most of its history. Esra’s remark is thus placed on a terrain that has been decisively structured by the Turkish state, a terrain that is marked by the decade-long ban on the production and circulation of Kurdish music and by a continuing surveillance of Kurdish musical and cultural activity, regularly leading to convictions of musicians, including dengbêjs, as well as other cultural figures on charges of supporting terrorism.12 By continually reading any cultural expression that makes reference to Kurdishness as a marker of political difference and subsequently criminalizing it, the state has thus effectively put in place the very conditions under which attempts at Kurdish heritage-making are able to take place. Note, however, that this criminalization of Kurdish cultural activity on the part of the state is equally based on an understanding of culture as the prime marker of primordial ethnic difference – a difference, which the state fears is readily translatable into political difference. Both the Turkish state’s and the Kurdish movement’s cultural policies are thus driven by a common understanding of what culture constitutes – primordial and collective ethnic identity – and how this makes for its privileged relation to politics.

17 More recently however – and arguably coinciding with the rise to power of the Islamist Justice and Development Party (AKP) – observers have noted a turn of Turkish state politics away from its Kemalist insistence on national homogeneity towards a peculiar form of (neo)liberal multiculturalism. Of specific significance in this regard has been the AKP’s so-called “democratic opening” [demokratik açılım] launched in 2009, which has entailed the (often highly selective and partial) recognition of a number of rights held by Turkey’s ethnic and religious “minorities” as well as a more general rhetoric of cultural and religious pluralism (cf. Casier et al. 2013). With regards to dengbêjî, the new pluralist rhetoric in the wake of the “Kurdish opening” [Kürt açılımı] in particular

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has manifested itself in a veritable embrace of the practice by the state as a demonstration of its newly found tolerant stance towards its largest ethnic “minority,” the Kurds. Thus, over recent years, state authorities and AKP-run municipalities have, for example, organized numerous public performances featuring dengbêjs while dengbêjî performances have also become a central element of programmes aired on TRT Kurdî (formerly TRT6), Turkey’s state TV channel broadcasting in Kurdish that was established as part of the “Kurdish opening.” 18 Yet, as critics of liberal multiculturalism have repeatedly noticed, tolerance is here extended only on the condition that the object to be tolerated remains within boundaries determined by the tolerant majority itself (Ahmed 2000; Brown 2009; Povinelli 2002). In contemporary Turkey, the boundaries that define such a domain of tolerability revolve, as Banu Karaca has noted, around what “can be construed as threatening the territorial integrity, and thus the sovereignty, of the Turkish state” (Karaca 2011: 156). This preoccupation with national integrity has a long-standing historical legacy in Turkish political culture and is frequently dubbed the “Sèvres Syndrome.”13 Nevertheless, the particular limits of what is deemed tolerable remain “unclearly mapped” writes Karaca (2011: 158) and in this way allow for arbitrary state sanctioning of any cultural or artistic practice as soon as the latter is perceived to be threatening to Turkish state sovereignty. As Casier, Jongerden and Walker argue in their discussion of the AKP’s “Kurdish opening,” this is a mode of politics that belies a security-focused approach to the Kurdish question which ultimately results in narrowing the political arena for pro-Kurdish politics rather than opening it up (Casier et al. 2013: 160 ). The ambiguity surrounding what public expressions are deemed intolerable by the Turkish state that Karaca points to also accounts for the fact that dengbêjs are regularly invited to Turkish state television and their performances heralded as an indication of the state’s turn to ethnic and cultural tolerance, while they simultaneously continue to be legally persecuted for singing about their experiences of political violence.14 The limits of the speakable – and hence the point where the performance of cultural heritage turns from a depoliticized display of folklore into a political statement in support of separatist terrorism in the eyes of state authorities – thus clearly run, with regards to the Kurdish community, alongside a history of state- sponsored violence. 19 What I would like to emphasize, however, is that the state’s turn to the enactment of depoliticized displays of “minority” cultural heritage in crucial ways hinges on the same basic understanding of culture as does the notion of culture’s inherent political nature: in both cases culture (or cultural heritage) is understood as the prime marker of authenticity and ethnic difference. In case of the former, however, such difference is construed as an ultimately private one, therefore rendering it immune from the realm of political contestation and, in its supposed naturalness, also immune from being questioned as to the historical, economic and political conditions of its construction (Stolcke 1995; Wright 1998), which in turn allows for the kind of commercial and touristic heritage display critiqued by numerous analysts (e.g. AlSayyad 2001; Herzfeld 1991; Öncü 2007). 20 One consequence of the move towards liberal multiculturalist forms of governance on the part of the Turkish state has been that maintaining the sense of Kurdish cultural heritage as an inherently political category constitutes an ongoing struggle waged on the part of the Kurdish movement, putting constant pressure on all actors in the

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purview of the movement to display and prove their political allegiance to the latter. This has led to a fierce policing of political community boundaries, with accusations of treason being not uncommon (Gurbuz 2012). Artists who “collaborate” with state institutions like TRT Kurdî, for example, are frequently sanctioned from performing at events organized by Kurdish cultural institutions and often have their video clips removed from party-aligned TV channels.15 21 Yet the radical political stance of the Kurdish movement has not remained uncompromised either. No matter their political affiliation, given the virtual absence of state funding for explicitly Kurdish arts and culture in Turkey, Kurdish cultural actors are pressed hard to conform to the bureaucratic structures of potential sponsors (mainly the EU and other Western European institutions) and the normative models these entail. As Karaca (2010) has shown, due to this general dependency on external funding, the promotion of liberal multiculturalist agendas with their depoliticized visions of culture on the part of both governmental EU agencies and European nongovernmental organizations exerts profound influence on Turkey’s cultural sector. This equally holds true for Turkish Kurdistan where the situation is only exacerbated by the chronic underinvestment on the part of the central state. The resulting large- scale reliance on European funding has led to a situation where BDP-led (today HDP) municipalities and other Kurdish civil society institutions often – even if perhaps unintentionally – perpetuate the normative language of liberal multiculturalism promoted by funding bodies like the EU, which frame Kurdish culture mainly as a matter of the exercise of minority rights. One effect of this kind of framing is that Kurdish cultural production comes to be read as a marker of ethnic group identity (that is, as Kurdish “culture”) only, consequently foreclosing any possibility of evaluating such production as art (as a form of individual expression) (Karaca 2010; Kosnick 2007). Indeed, the frequent slippage between the terms art [huner, sanat] and culture [çand, k ültür] in reference to dengbêjî which one can frequently observe in both written and spoken discourse by Kurdish cultural actors, including Hatice’s remark in the opening vignette, is indicative of this tendency to regard dengbêjî primarily as a collective ethnic marker. Such a reading, in turn, is readily facilitated by the concept of cultural heritage and simultaneously chimes with the Kurdish struggle for recognition within a liberal system of governance. Moreover, the brand of multiculturalism promoted by the Turkish state through vehicles like TRT Kurdî equally performs this reading of dengbêjî as a marker of ethnic difference – a difference construed here as neither politically nor artistically consequential. 22 Nevertheless, despite (or perhaps rather because of) the increasing prevalence of liberal multiculturalist discourses in Turkish Kurdistan due both to policies by the Turkish state and by European funding bodies, the landscape of Kurdish cultural production remains highly politicized. It is against this complex backdrop, then, that we have to understand Hatice’s rejection of politics in favour of a supposedly pristine sphere of arts and culture. Her rejection did not mean, however, that Hatice gave up on politics altogether; rather, the romanticized idea of arts and culture free from politics she evinced entailed an equally romanticized ideal of politics as a sphere of voluntary, moral commitment.

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III. Romances of civil and political society

23 Not long after the DÖKH rally on 25 November, I found myself party to a car ride together with Hatice, Cemal, a male dengbêj, and Selahattin, who introduced himself as a poet [helbestvan] and welatparêz,16 that is, a supporter of the Kurdish armed struggle. During our journey along the coast of , a conversation between Hatice and the two men – whom she knew only through distant common acquaintances – ensued. Hatice promptly introduced herself as “linked to the party” [giredayî partî], even though she was not in fact a party member (although an active sympathizer) and told of her family’s martyrs [şehit] and of the hardships she has had to endure as a Kurdish singer as a result of repression and bullying by Turkish state authorities. It did not take long before Selahattin, in turn, started praising himself for the hundreds of poems he claimed to have written honouring guerrilla fighters and commemorating martyrs, recounting rural customs and celebrating Kurdish traditions. As much as Hatice he, too, clearly had an interest in portraying himself as an artist committed to the Kurdish struggle. In response to Selahattin’s self-celebratory introduction, Hatice steadfastly maintained that politics [siyaset] and culture [çand] should be kept separate, despite the importance of personal political commitment to the struggle [dava]. What she didn’t like about politics, Hatice let us know, was that many engage in it merely for their own self-interest [çikara xwe]. Most people “do politics” [siyaset dikin] in order to gain materially or to practically benefit in other ways, she announced. At this point, however, she encountered opposition from her two interlocutors: politics, they maintained, was not a business of furthering self-interest, but quite to the contrary, for a true welatparêz politics was an obligation towards their people; it was both a duty and an honour. Hatice acquiesced to this standpoint, yet maintained that there were some people within “the party”17 who only sought to further their own benefits by engaging in politics. Hatice’s scepticism towards (party) politics did not mean that she thought of herself or her singing as non-political, however. Several times throughout the conversation she emphasized that singing in Kurdish and being a dengbêj in particular was “itself the biggest politics” [bi xwe siyaseta herî mezin] – a politics that she was of course devoted to. On this point, Cemal and Selahattin could only agree.

24 How could Hatice maintain that politics and culture ought to be kept separate, only to reiterate almost in the same breath that dengbêjî was itself a form of politics? The answer is related, I think, to the construction of dengbêjî as a sphere of prepolitical cultural essence as I have outlined it above – a construction which allowed Hatice to simultaneously maintain two romances: one of civil and one of political society, which effectively worked to reinforce each other. On the one hand, Hatice displayed a vision of cultural activity as “an apolitical domain of authentic desires and identities, entirely separate from the messy turf of political society” (Walton 2013: 183). This vision came to the fore, for example, in her criticism of other dengbêjs for replacing the traditional lyrics of their kilams with political ones (celebrating the guerrilla struggle or commemorating a particular martyr, for example) while maintaining the kilam’s original makam, melody and intonation. She considered such changes to be “disrespectful” [saygısız] towards the original kilam and therefore indicative of a lack of appreciation of the authenticity inherent in cultural heritage. Based on the same premises Hatice, like many other dengbêjs, would also regularly voice criticism towards the Kurdish movement’s long neglect of the dengbêjî tradition in favour of explicitly

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political music that had dominated the movement’s cultural politics until the early 2000s. 25 Since this vision of dengbêjî as a prepolitical sphere of pristine and authentic cultural heritage effectively worked not only to erect a romantic view of civil (or cultural) society but also to infallibly prove its own premises – that is, the pettiness of its other, political engagement – it simultaneously made for the cultivation of what one may want to call the romance of political society. This was a vision of political society as one in which political activity would be premised on personal, moral commitment and not on a purely instrumental logic of personal benefit (cf. Kuzmanovic 2012). To elucidate this logic further, let me refer to the remarks by Mehmed, a Kurdish intellectual, whom I met at a little Kurdish bookshop in Istanbul. During our conversation about Kurdish music he showed himself very critical of the politicized nature of much contemporary Kurdish literature and music. “They [Kurdish musicians] have learnt that whenever they make the victory sign [zafer işareti]18 they get applause from the audience. So that’s what they do, they write political lyrics and include political symbols,” he remarked cynically. The politicization of Kurdish arts and culture meant that what was actually important about artistic production in Mehmed’s opinion, namely the artistic content, was neglected in favour of explicitly political messages, which he regarded as having a corruptive influence on the former. Yet what Mehmed criticized was not only that arts and culture as ostensibly autonomous domains had become usurped by politics, leading to a concomitant neglect of artistic quality, but also that political lyrics and symbols did not even reflect genuine political commitment on the part of the artists. The problem, according to him, was that politics sells and that it was used in an instrumental means- ends relationship for precisely such purposes. What interlocutors like Hatice and Mehmed thus rejected was the use of culture as a means for political ends while they simultaneously upheld that cultural production is inescapably a political matter in the context of Turkish Kurdistan. 26 Importantly, the ideal of politics purported here – an ideal that regards politics as a matter of personal and voluntary, moral commitment – hinges on the liberal idea of a self-determined individual subject whose authentic and essentially prepolitical opinions and desires constitute the source of motivation for entering political society (Kuzmanovic 2012: 22-26). But in their romanticized view of political commitment, Hatice and Mehmed also reflected the contemporary reality of everyday life in Turkish Kurdistan that has become so thoroughly politicized as a result of Turkish state politics and the Kurdish movement’s politics of opposition that subjects stand under the constant pressure of having to continually profess and display their political allegiance in both public and private spheres (cf. Gurbuz 2012). And it is this very logic which works to put at risk the moral high ground of political activism promoted by the Kurdish movement by potentially emptying political action of sincere, “interior” commitment, given that individuals may engage in it simply in response to “exterior” social pressure (cf. Taylor 1991). 27 It is such mutually reinforcing “romantic” conceptualizations of both civil and political society, I suggest, that allowed Hatice to simultaneously maintain that dengbêjî ought to be separate from politics and that it was in fact a form of politics: only by keeping it separate from a corrupted form of politics that relied on an instrumental means-ends logic could dengbêjî remain truly political by virtue of its nature as the marker of

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authentic Kurdishness – in turn understood to be an inherently political and indeed moral condition.

IV. Promises of autonomy and gendered spaces of manoeuvre

28 This leaves one question unanswered, however. Why did Hatice cling to a vision of dengbêjî as separate from politics – thereby potentially reiterating the logic of the state’s depoliticizing politics of multiculturalism – given that subscribing to the Kurdish movement’s culture-as-politics model (like her interlocutor Selahattin had done, for example) could have been in many ways the easier option? What did the appeal to cultural heritage as a space autonomous from politics afford her and others that I found to be reasoning in similar ways?

29 First of all, part of Hatice’s motivation seemed to lie in gaining a space of agency outside both the realms of the Kurdish political movement and that of the Turkish state. Evoking cultural heritage as an autonomous sphere carried the promise of a degree of independence from the obligations and duties each side imposed on its supporters. As much as working for the party was perceived by welatparêz Kurds as a honourable commitment, it was also clear that it was an onerous one. Not only Hatice, but many other Kurdish women and men I knew who worked either paid or unpaid for the party at lower levels such as local assemblies, councils or party-associated cultural organizations and cooperatives talked (and sometimes complained) about the sacrifices party work demanded: one had to be ready to conduct house visits in the neighbourhood to mobilize supporters until late at night, one was expected to deliver condolences to martyr families, one was obliged to attend demonstrations in faraway cities and the like. Many of these activities were moreover risky in the sense that they could easily lead to legal prosecution. The risk incurred and the sacrifices shouldered were for many a source of honour accompanied by a sense of patriotic duty, but they were also talked about with anxiety and often with a yearning for a “normal” life outside the rigour which permanent political mobilization demanded. 30 Moreover, as much as being associated with the party gave individuals and associations access to financial funds and crucial personal and institutional relations, it also meant that other networks of relations outside the political hegemony of the Kurdish movement were cut off. Trying to carve out a space outside the logic of political allegiance based on the alleged autonomy of culture therefore held the promise of allowing for a space of action where different relations and new associations might be possible.19 In practice, however, the sought-for space of action only seldom opened up: instead of allowing for new relations, trying to steer free of both sides often rather led to further isolation. In her attempt at keeping her cultural activities out of politics, Hatice, for example, was confronted with the difficulty of not receiving any kind of funding – neither from the party, because she refused to formally associate with them, nor from the state, because she was too politically active and outspoken. As a result, the attempt at dissociating herself from either political side only highlighted the net of dependencies Hatice found herself in fact embedded in. The freedom of manoeuvre, which the autonomy of culture promised, was thus rarely fulfilled: the politicization of everyday life continually claimed back any autonomous space actors like Hatice laboriously sought to carve out.

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31 Secondly, Hatice’s attempts at invoking the liberal ideal of prepolitical cultural heritage speaks of an attempt at tapping into the legitimating authority the authenticity of culture potentially conferred. This was particularly salient for female dengbêjs, since many of them were faced with various restrictions concerning singing in public, or even just singing outside their own homes in the presence of (male) strangers. For a number of reasons, which I will not be able to explore in any detail for the sake of brevity here, women’s voices are associated to various degrees with the notion of shame [şerm, ayıp].20 This means that especially women dengbêjs of an older generation have to confront a considerable amount of (sometimes even violent) opposition, mainly by their male kin, when they seek to sing in spaces where their voices can be overheard by strangers, let alone the broader public. In this context the discourse of dengbêjî as representing the essence of Kurdish culture – paired with an equally powerful discourse about Kurdish women’s central role in ensuring the survival of the Kurdish language as a mother tongue (Çağlayan 2012) – allows women to cast themselves as the authentic bearers of Kurdish culture. Such a move, in turn, worked to legitimate women dengbêjs’ quest to sing in public as it allowed connecting the practice of dengbêjî to the political agenda of the Kurdish movement precisely on the basis of the culture-as-politics notion I outlined above. Thus, when women dengbêjs told me, for example, that it was wrong to think of women’s voices as shameful, they would add that all they were doing, after all, was to recount Kurdish history. Was this not an honourable deed, which could only help the Kurdish cause? Here, we see how the transformation of a “living” oral tradition into what one might easily criticize as “dead” cultural heritage can actually become a dynamic nexus of gendered engagement. As David Berliner has noted in a different context, “instead of stopping transmission and culture mechanisms, heritage recognition creates aesthetic forms, historical narratives, politics of transmission, and, more generally, new social configurations” (2012: 771).

Conclusion

32 In their discussions of different Alevi attempts at attaining legal, political and religious recognition in contemporary Turkey both Jeremy Walton and Kabir Tambar have highlighted the ambiguities and paradoxes surrounding liberal pluralism in this particular national context. Since in Turkey pluralism constitutes “an incipient rather than an entrenched mode of governance,” Tambar notes, it may well provide a “critical perspective on state practice” (2010: 653). Similarly, Walton has suggested that “in contexts such as Turkey, defined by a strong state tradition” the nongovernmental politics called for by liberal-pluralist imaginations of civil society “is not a fait accompli but an achievement” (Walton 2013: 184) – an achievement which, he furthermore notes, may take on counterhegemonic valence. Applying this insight to the political landscape of Turkish Kurdistan, I have argued that in this particular context advocating the practice of dengbêjî as a form of cultural heritage that ought to be separate from politics similarly constitutes an achievement, given that it goes against the grain of established modes of governance as they are enacted both by the Turkish state and the Kurdish political movement.

33 What nevertheless unites the various actors engaged in current debates about dengbêjî and its status as Kurdish cultural heritage – from those who imagine dengbêjî as

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inherently political to those who to the contrary regard it as entirely autonomous from politics – is a conceptualization of the latter as the essence of an authentic, primordial identity that stands logically and temporally prior to politics. It is this shared understanding which makes possible at all recurring debates about the ways in which dengbêjî ought to relate to politics: whether it ought to provide the legitimizing basis for political claims or whether it ought to be autonomous from governmental politics. Today, an increasing number of Kurdish cultural actors not directly aligned with the Kurdish political movement advocate the latter: like Hatice or Münevver, their discourses and practices rely on liberal ideas that posit institutions and practices of civil society (here, in particular, the world of arts and culture) as distinct from state power in an idealized way – an idealization Walton aptly calls “the civil society effect.” Yet, as I have argued, this idealization of civil society does not amount to a departure from political commitment altogether. Quite to the contrary, it goes hand in hand with an idealization of oppositional politics as a sphere of personal and sincere moral commitments – an imagination that in turn hinges on liberal ideas about the self- willed, authentic individual. 34 However, characterizing the attempts by women dengbêjs like Hatice at rendering dengbêjî autonomous from governmental politics as a counterhegemonic achievement should not be taken to imply that the kind of project Hatice was engaged in could take shape outside the purview of state governance. Doing so would in fact only replicate the civil society effect. Given Turkey’s more recent turn to liberal multiculturalism, the invocation of cultural heritage as autonomous from politics – even if doing so in the name of commitment to an oppositional political struggle – inevitably has to risk becoming complicit in perpetuating the Turkish state’s regime of administering public (un)speakability.

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NOTES

1. All personal names used in this article are pseudonyms. 2. Since the time of my research the BDP has established a joint party structure with the HDP [Halkların Demokrasi Partisi] and its politicians are today running under the name of the latter. Since the party was still called BDP at the time of my research, I will refer to it as BDP throughout the article. 3. Kilam is the Kurdish term for the specific genre of sung narratives performed by dengbêjs. 4. In Kurdish, the suffix -î makes an abstract noun out of adjectives and nouns (e.g. qencî means goodness from qenc [good], or biratî means brotherhood from bira [brother]). Dengbêjî is accordingly derived from dengbêj and denotes the art or profession of being a dengbêj. 5. Michael L. Chyet (personal communication) argues that the term dengbêj goes back at least several centuries. It appears for example in the seventeenth-century romance Mem û Zîn by Ehmedê Xanî. 6. This observation has been confirmed to me by other researchers. Fethi Karakeçili (personal communication) has noted that he found the term dengbêjî to be used primarily by younger dengbêjs, mainly in order to refer to the practice as a profession and a means to earn money. Moreover, as Argun Çakır (personal communication) has noted, the grammatical type of noun formation that creates dengbêjî from dengbêj cannot be observed for Kurmanji terms denoting musicians other than dengbêjs. For instance, the terms mitirbî from mitirb (a term for Doms, a Romani people of the Middle East who are often professional musicians), hozanî or hozantî from hozan (bard or minstrel) or çîrokbêjî from çîrokbêj (storyteller) are not – or at least not in widespread – use, even though they are grammatically possible word formations of the same type as dengbêjî. This seems to indicate that it is specifically the figure of the dengbêj whose knowledge and practice have come to be the object of explicit discourse. 7. The works by Mehmed Uzun (1991, 2008), in particular, have enjoyed immense popularity amongst both Kurdish and Turkish audiences. Other works of popular non-fiction writing on dengbêjs include those by Kızılkaya (2001) and Kevirbirî (2002). In fact, the older works by Yaşar Kemal from the 1960s and 1970s, who wrote in Turkish but was of Kurdish origin, already drew inspiration from and made reference to the epics and ballads of dengbêjs, but did so in a broader framework of a multivocal Anatolian folk culture, not out of a Kurdish nationalist impetus. See Çakır (2011). 8. Most important in this regard is Diyarbakır’s “Dengbêj House” [Mala Dengbêjan], opened in May 2007 as part of an EU-funded project implemented by the Municipality of Diyarbakır (Scalbert- Yücel 2009). In Van, a similar Dengbêj House was operative for a few years, but had been closed by the time I did my fieldwork, for reasons I was never exactly able to determine but that apparently had to do both with a lack of funding and with disagreements over the degree to which dengbêjs enrolled at the Dengbêj House ought to represent party politics. The institution was reopened – again under the auspices of the local NÇM – in early 2014. While public statements about the reopening reiterated a liberal discourse of dengbêjî as a non-political and purely cultural practice (see e.g. http://www.wanhaber.com/mala-dengbejan-yeniden- acildi-191908h.htm), when talking to the few female dengbêjs enrolled at the institution they clearly indicated that they conceived of their engagement at the Dengbêj House unambiguously as a political activity in support of the Kurdish struggle. 9. See for example the works by Parıltı (2006) or Uzun (2008). 10. Serhat is a geographical term that refers to the Kurdish inhabited high-range mountains and plateaus that lie North of the Diyarbakır plain, including Kurdish-inhabited Western Armenia and North-Western Iran.

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11. This understanding of cultural heritage as constitutive of (national) communities has, of course, a long intellectual legacy reaching back at least to Herderian ideas of nationhood, which I will not be able to spell out here. For a brief overview see Wright (1998). 12. As Siyah Bant’s 2013 report on freedom of expression in the arts and censorship in the Kurdish region notes, due to Turkey’s anti-terror legislation “all cultural (e.g. language) and artistic expression within the Kurdish rights struggle can be construed as illegitimate ‘separatist propaganda’ and hence outside of the protection of freedom of expression and the arts.” The report as well as an invaluable archive of many other cases of artistic censorship in Turkey is available at www.siyahbant.org. I would like to thank Banu Karaca for bringing this initiative to my attention. 13. The term refers to the Treaty of Sèvres concluded in 1920 at the end of World War I, which envisioned a partitioning of the Ottoman Empire between Armenia, Greece, Britain, France and . “Sèvres Syndrome” refers to the widespread belief in Turkey that outside forces are continually conspiring to weaken, carve up and destroy the Turkish nation, therefore requiring an unceasing attitude of vigilance and defense against such impending danger. 14. Consider for example the case of Dengbêj Gazin. She was sentenced to one year in prison for singing two Kurdish songs in 2010 in Tatvan that were deemed by the state prosecution to constitute “propaganda for an illegal organization” (i.e. the PKK). She has moreover been tried for supposedly singing songs “with separatist content” at Newroz celebrations in the same year. After a series of appeals she was acquitted in both cases in 2013. See https://www.change.org/ petitions/free-raziye-k%C4%B1z%C4%B1l-gazin-kurdish-singer-and-activist and http:// bianet.org/english/minorities/133332-two-trials-for-singing-kurdish-folk-songs (accessed 19/12/2013). 15. The most famous example of this literal “excommunication” from the realm of the Kurdish movement is probably the case of the renowned Kurdish singer Şivan Perwer. See Gurbuz (2012). 16. Welatparêz in Kurdish (yurtsever in Turkish) means patriotic. It is used commonly amongst Kurds to refer to those Kurds who are supporting the armed struggle and the Kurdish movement in general as opposed to Kurds who support the AKP or the Turkish state. 17. Depending on context, this expression could refer either to the BDP (today HDP) or to the Kurdistan Workers’ Party (PKK) and is extremely widespread in Turkish Kurdistan, bearing testimony to the ambiguous yet nearly omnipresent nature of the Kurdish political movement as it manifests itself in people’s lives in a variety of instantiations. 18. The victory sign indicates support for the Kurdish movement. 19. One example for what kind of relations might be possible outside the entrenched logic of the political operative in Turkish Kurdistan by claiming a position of neutrality would be relations with Turkish feminists from a liberal or leftist background as well as relations with cultural organizations working on a national level with different minority groups. However, attempts at cooperation between liberal Turkish and radical Kurdish activists carry their own risks and often harbour confrontations regarding the Kurdish armed struggle and a Turkish history of colonization and systematic injustice and political violence in Kurdistan. 20. For an anthropological exploration of the dynamics of shame and honour in an Egyptian Bedouin community, particularly in relation to women’s singing see the work by Lila Abu-Lughod (1999).

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ABSTRACTS

Over the last decade the art of dengbêjî [Kurdish minstrelsy] has come to be understood as the paradigmatic form of Kurdish heritage and dengbêjs concomitantly as the authentic carriers of Kurdish “culture.” This article seeks to outline some of the complexities and paradoxes of this ongoing process of Kurdish heritage production as it occurs at the intersection of growing liberal multiculturalist and continuing repressive forms of governance in Turkish Kurdistan. I argue that the production of Kurdish cultural heritage as it unfolds on a highly politicized terrain relies on an understanding of heritage as a marker of collective primordial identity, which goes hand in hand with an idealization of culture as a sphere of prepolitical pristine authenticity. Moreover, this article also seeks to shed light on some of the specifically gendered dynamics involved in contemporary Kurdish heritage making by asking what promises the evocation of dengbêjî as explicitly distinct from politics may hold for a number of female dengbêjs.

INDEX

Keywords: cultural heritage, female dengbêjs, cultural policy, Kurdish movement, liberal multiculturalism

AUTHOR

MARLENE SCHÄFERS

PhD Candidate University of Cambridge, Department of Social Anthropology Wiener-Anspach Doctoral Fellow, Université Libre de Bruxelles, Laboratoire d’Anthropologie des Mondes Contemporains (LAMC) [email protected]

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Alevi Cultural Heritage in Turkey and Germany: Negotiating “Useable Pasts” in Transnational Space

Benjamin Weineck

Introduction

1 Since the beginning of the millennium a number of activities have been carried out by UNESCO to promote the safeguarding of the Intangible Cultural Heritage of Humanity. The Convention for the Safeguarding of Intangible Cultural Heritage in 2003 was followed by the Convention on the Protection and Promotion of the Diversity of Cultural Expression (2005) to maintain and “enrich cultural diversity”, with Intangible Cultural Heritage considered to be the “mainspring” of cultural pluralism (UNESCO Convention 2003: §3).

2 In 2010 a committee consisting of members elected by state parties of UNESCO’s General Assembly decided to include the ritual dance semah, a sequence of the Alevi- Bektaşi1 cem ritual2, on the Representative List of Intangible Cultural Heritage. Alevi-Bektaşi heritage was subsequently listed on Turkey’s National Inventory of Cultural Heritage, “fostering and enriching [the] traditional music culture of Turkey” (UNESCO Nomination file 2010: 6). 3 The latter aspect of its inscription on Turkey’s inventory list is particularly remarkable. in the Republic of Turkey as well as in the Ottoman Empire has often been perceived by many Alevis as constituting a “history of suppression” (Göner 2005: 111) with ongoing issues of institutional, cultural, and social marginalization. Recognition of the contribution of an Alevi ritual to the enrichment of Turkey’s cultural diversity would thus seem to challenge the nation’s dominant Sunni-Turkist conception of belonging. Furthermore, it would also appear to support UNESCO’s objective of empowering vernacular groups by safeguarding their creative cultural practices as Intangible Cultural Heritage, ICH. Three years after the categorization of the semah ritual as Cultural Heritage in Turkey, members of the Alevi community in Germany, Almanya Alevi Birlikleri Federasyonu, AABF, raised the possibility of inscripting the semah

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ritual onto the Representative List via a federal UNESCO bureau. Prohibition of the performance of the ritual in Turkey was given as the rationale for its required protection and recognition as Cultural Heritage in Germany (Tauschek 2013: 23). 4 In Turkey, while the ritual in question is not an entirely forbidden practice there are continuing institutional and social constraints, which serve to limit the public expression of Aleviness. References made by the AABF representative to an Alevi Cultural Heritage and the limitations imposed on Alevi religious life in Turkey offers an insight into the uses of Cultural Heritage discourse and suggests that there is more to Cultural Heritage than the mere preservation of certain aspects of the past. The language of Cultural Heritage and references to intergovernmental institutions such as UNESCO are used by cultural, social or ethnic(ized) groups to express demands for the recognition and representation of their identities. The contested / iterated notion of semah as Alevi heritage in Turkey and Germany indicates the extent and dissemination, both geographically and socially, of the actors involved in the negotiation of Alevi Cultural Heritage. This paper seeks to analyse the multiple ways in which the concept of Cultural Heritage has been used by Alevi organizations in Germany and Turkey. In order to grasp the capacities (and limitations) of the concept of Cultural Heritage in the negotiation of ideas about identity and the nation’s past, I will argue that references to Cultural Heritage have to be understood in terms of their political dimensions and social implications (for both civil actors and nation-states). What specific ideas about belonging and cultural or religious alterity are put into practice and rendered true by these policies? In what ways do Alevi communities involved in the process position themselves and act in accordance or opposition to these discourses? What is the ratio of empowerment and containment within these governmentalities of heritage, which celebrate diversity on the one hand, while denying legal recognition on the other? 5 In order to understand the multiple layers of Alevi heritage discourse in Germany and Turkey the paper first seeks to provide an overview of the institutional and discursive background of Alevi organizations in both countries and in “transnational space” (Sökefeld 2008). Analysis of the development and conceptualization of Alevi Cultural Heritage reveals the very specific imaginations of national and group identities that emerge in heritage regimes. Here also the multiple capacities of heritage policies for identity-formation, the politics of recognition and the governance of diversity are explored, an aspect which requires greater emphasis if critical studies on Cultural Heritage are to resist the tendency towards rather naïve narratives of agency, empowerment, and the representation of minority issues by governments and intergovernmental actors.

I. Alevis and their Ritual Practice: Organizing Alevism in Turkey, Germany, and Transnational Space

6 Up until the end of the 1980s Alevi-related matters were comparably less visible in public space and politics than today, a development which is applicable to the case of both Germany and Turkey (Dressler 2013: 12). In Germany, Alevi immigrants were categorized according to their nationality and thus listed on the population census as Turkish citizens. In Turkey Alevism has long remained an unrecognized (or silenced) phenomenon: The Turkish nation-state since the Treaty of Lausanne has been built upon a Turkish-(Sunni) Islamic notion of belonging that has invisibilized Kurdish and

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Alevi identities as non-Turkish and / or non-Sunni respectively (Dressler 2014: 141). However, political and socio-economic transformations occurring since the late 1980s have contributed to the opening of Alevi associations in the larger cities of Turkey and in Western Europe, to where many Alevis had emigrated in the 1960s and 1970s (Şahin 2005; Sökefeld 2008). The work of these organizations has largely been tolerated by the state and in 2007 the AKP government proclaiming an “Alevi opening” launched a series of policies aimed at redressing the political position of Alevis (Soner and Toktaş 2011: 420). Various meetings aimed at formulating Alevi demands from the state and negotiating their implementation were attended by representatives of the Alevi communities alongside their state interlocutors (Önraporu 2010: 1). Despite these outward improvements, the possibility of expressing an Alevi identity distinct from Sunni Islam has remained fundamentally limited by the enduring dominance of the Turkish-nationalist (Sunni-Muslim) model of identity (Dressler 2014: 140). It is particularly interesting to analyze Turkey’s Cultural Heritage policies and practices in the light of the (apparently) changing attitude of the state because the recognition of Alevi Cultural Heritage and its inscription onto the Turkish National Inventory of Heritage has (yet?) to be translated into the parallel recognition of critical political identity demands and rights, concerning, for example, Alevi religious education in public schools or providing public funding for religious infrastructure such as cemevis3.

7 In the following section I will provide an overview of the actors involved in the process(es) of defining Alevi Cultural Heritage and, in particular, of the socio-economic developments, which have engendered changes to Alevi ritual practices. It will be argued that such transformations made the emergence of an Alevi ritual as Turkish Cultural Heritage imaginable in the first place.

Alevi Organizations and the Quest for Representation

8 Although all of the organizations considered here represent a certain form of Alevism they differ considerably in political outlook and available socio-economic resources (Massicard 2013: 49). However, a point of unification, canalized and (partly) expressed by these Alevi organizations, may be found in the divergence of their devotional service and principles of belief from Sunni Islam. For example, Alevis neither say the five daily prayers [namaz] nor do they fast during Ramadan. In many Alevi communities a salient aspect of Alevi ritual practice is the performance of the cem ritual by men and women together, a factor which continues to be employed by Alevis and Sunni groups as a distinguishing feature used to demarcate their respective differences. 4

9 Turkish nationalist ideology and the political structures upon which the Republic was built still translates into an institutional setting that fails to recognize Alevis as a legitimate part of the nation, approaching Alevism as a problem to be addressed by “sometimes less and sometimes more violent politics of coercion and assimilation” (Dressler 2014: 139). This polity finds its expression in the General Directorate of Religious Affairs, Diyanet, a state institution defining, controlling, and organizing legitimate forms of religious life and one which does not recognize Alevism as a religious group distinct from Sunni Islam. 10 The organizations involved in this “multipolar movement” (Massicard 2013: 51) of Alevi Cultural Heritage-making in Turkey are representative of very different interpretations of Alevism, relating, for example, to the highly contested understanding of whether

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Alevism can be considered an Islamic tradition or a religion in its own right (Şahin 2005; Sökefeld 2004). In this sense it is highly remarkable that such a wide range of Alevi actors with quite different agendas were able to unite for the sake of a common Alevit-Bektaşi Cultural Heritage. In order to describe the diverse range of Alevi identities represented by the various associations, Soner and Toktaş employ the binary concept of “modernist-secular vs. traditionalist-religious” groups (Soner and Toktaş 2011: 423). In their terms “traditionalist-religious” organizations like CEM- (Cumhuriyetçi Eğitim ve kültür Merkezi) or the Ehl-i Beyt Foundation articulate a more religious interpretation of Alevism. For example, CEM Vakfı seeks the representation and organization of Alevism within state institutions like Diyanet and thus subscribe to a vision of Alevism as a form of Islam (Ibid., 424). In contrast, other organizations defined as “modernist-secular”, such as the Alevi-Bektaşi Federasyonu (ABF), fear assimilation with state institutions and thus tend to advocate for the separation of religion and state, a position that would support neither Sunni nor Alevi religious beliefs and practices (Ibid.). Massicard, however, identifies three major axes along which Alevi associations in Turkey are ideologically and practically organized. The Hacı Bektaş Veli Anadolu Kültür Vakfı and the Alevi Kültür Derneği for example, as opposed to the aforementioned CEM Vakfı, represent those parts of the Alevi movement that emphasize the folkloristic and cultural aspects of Alevism. Still others like the Pir Sultan Abdal organization have adopted a more political and leftist outlook (Massicard 2013: 49). 11 Parallel to the socio-economic and political developments in Turkey from the 1980s, comparative changes were also occurring in Germany. Of the many different Alevi organizations that emerged the Almanya Alevi Birlikleri Federasyonu (AABF) constitutes the most pertinent case study for consideration in this paper, the question of an Alevi ritual as Cultural Heritage in Germany having been raised by an AABF member (Tauschek 2013: 23). The organization is also an example of what Sökefeld has termed an “opposition diaspora” (Sökefeld 2008: 250). AABF opposition against current Turkish politics towards Alevis emerges from the organizations partial representation of the politics of leftists exiled from Turkey in the 1970s and 1980s. Furthermore, there are many Kurdish speaking Alevis organized within the AABF (Ibid., 230). Institutionally speaking, the AABF holds quite a powerful position, being officially recognized as both a “registered association” [eingetragener Verein] and a “religious community” [Religionsgemeinschaft] in the sense of § 7, 3 of the German constitution applicable in some federal states. As such, in concert with the state it is able to organize religious education in German public schools, albeit this influence does not mean that its position and understandings of Alevism are uncontested by other more conservative or religiously oriented organizations. The comparatively privileged legal standing of the AABF sets it apart from other Sunni organizations, which do not enjoy the same degree of institutional integration (Sökefeld 2008: 250). 12 The institutional position of the AABF is fundamental to understanding the underlying dynamics of its capacity to act as an “opposition diaspora” and criticize the situation of Alevis in Turkey. Sökefeld argues that institutional power alongside the endeavour to distinguish an Alevi identity distinct from Sunni-Turkish Muslims in Germany enabled the AABF to yield the resources for a “transnational politics of identity aiming at [the] formal recognition of Alevis in Turkey” (Sökefeld 2003: 135). The utilisation of the sphere of “transnational space”’ for the articulation of the identity claims of the

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diaspora community is argued by Sökefeld to be perceptible in the expression of “home orientated issues” i.e. those issues concerning Alevis in Turkey (Sökefeld 2008: 221). The concept of “transnational space” encompasses the multiple connections and interactions of Alevi organizations in Germany and Turkey and opens up a field in which the claims of an Alevi diaspora are made “against the nation-state of origin” (Ibid.,: 250), as illustrated by the use of the discursive framework provided by intergovernmental institutions in the case of Turkey.

Dynamics in Ritual Practice

13 The socio-economic and political processes of rural-urban and transnational migration, in addition to the increasing degree to which Alevism was being organized in cultural associations, have resulted in fundamental transformations and adjustments of religious practice (Motika and Langer 2005: 76). The public articulation of Alevi identity in Turkey and diaspora contexts marks a shift away from the former strategy of concealment from non-Alevis [takiye] towards the open display of religious and cultural assets, a development which holds true not only for Alevis, but also for other “Ali- oriented religions” as well (Olsson 1998: 199). The emergence of Alevi associations have been— and still are— accompanied by discussions about the standardization and unification of Aleviness (Sarıönder 2005: 164), a process that has been highlighted by the recognition of a common Alevi-Bektaşi Intangible Cultural Heritage. The relatively isolated and scattered geographical location of Alevi communities alongside the absence of a central normative Alevi religious authority has resulted in great variation in ritual practice. Such variation has undermined the struggle for the standardization of ritual practice for the sake of a collectively accepted form of public ritual display. This is exemplified in the performance of the most important congregational ritual among Alevis, the cem ritual, which may vary considerably in length and order. Many Dedes (the religious specialist conducting the rituals) follow an individual approach to the ritual. The prayers and religious hymns may subsequently differ considerably from those used by other Dedes, while the terminology of the different sequences may vary according to the specific historical or regional context of its performance (Langer 2008: 97). The public representation of Alevi religion and / or culture requires the definition of the common denominators of belief and ritual practice (Göner 2005: 128). Thus, the cem-ceremonies currently held in the associations of the big cities in Turkey and in the Diaspora, often omit certain local sequences while others, such as the ritual dance sequence semah, have come to assume a greater significance. Langer, for example, argues that changes have been made to the public display of the juridical part of the ritual, in which inner-communal conflicts are resolved by the Dede. The juridical part was frequently observed to have been removed altogether or reduced to a symbolic act (Langer 2013: 207). In the same manner, Dinçer’s analysis of urban cem rituals in Izmir and Istanbul, attended by Alevis from various regions with different mother tongue languages and alternative imaginations of ethnic belonging, revealed the dominance of the semah, as one of the “12 services”, vis-à-vis other ritual sequences (Dinçer 2000: 37). The tendency to emphasize specific ritual features, such as the semah, and its public presentation has been argued to have contributed to the “de-sacralisation” of the cem ritual (Massicard 2013: 130). According to the UNESCO Nomination file, 2010 the semah has clear religious connotations when conducted privately as the rhythmic movements symbolize the unity of man and God (UNESCO Nomination file 2010: 4). The lifting of

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one hand towards the sky during the circular movements of the dance, for example, commemorates God’s immanence in human beings and the inseparable connection of the two (Ibid.).5 Yet, its musical and dancing characteristics are also recognized to “constitute a common language of humanity” (Ibid., 6). Such a focus on the main folkloristic and representative symbols of the Alevi community helps to overcome divergent imaginations of Alevism in the religious and political field. This “self- folklorization” (Massicard 2013: 130) is thus identified as a means of fostering a common Alevi identity without facilitating a corresponding disagreement about contested issues, such as the standing of Alevism towards Islam or Alevism being a religion or culture (Ibid., 134).

14 Similar dynamics and conflicts are also evident in the German diaspora. Since the publication of the “Alevi Declaration” [Alevilik bildirgesi] in 1989, Alevism was no longer thought of as a “religious creed with secret oral traditions” (Şahin 2005: 465), but instead was recognised as a cultural and religious identity distinct from Sunni Islam. The manifesto, in which members of the Alevi Cultural Centre in Hamburg, Germany publicly announced their recognition of the existence of Alevis in Turkey, is considered to have been the first step towards a publicly articulated Alevi identity in Germany and the “reconstitution of Alevism” after the long-practiced takiye (Sökefeld 2004: 139). The transferal of the ritual to the public realm in the context of diaspora consequently also brought about fundamental changes to ritual practice. Comparable to the Turkish context and the changes precipitated by rural-urban migration from the 1960s, similar processes were also discernible in the context of (trans)national migration. Here too the complexity and duration of the cem ritual was reduced, while the public display of the ritual was conducted with the exclusion and emphasis of certain selected parts (Motika and Langer 2005: 99). 15 The emphasis on the semah dance in the public presentation of the ritual is all but uncontested by Alevis themselves. In the process of ritual transferal and the accompanying (re)invention and (re)interpretation of ritual practice, the question of whether or not Alevism constitutes a religion or culture is continuously negotiated. Furthermore, the definition of Alevism not only differs among various Alevi organizations, but may also shift according to the specific discursive and institutional contexts in which the actors are operating. For example, in order to exercise influence over the question of religious education in public schools, it is first necessary to be recognized as a specific public corporation representing a “religious community” [Religionsgemeinschaft] (Sökefeld 2004: 148). Conversely, the discursive and institutional setting for the safeguarding of ICH requires a definition of ICH as the de-sacralised remains of the past; the aim of safeguarding Cultural Heritage explicitly sets itself apart from safeguarding religious artefacts (Tauschek 2013: 23). If an Alevi ritual is to be considered Cultural Heritage in UNESCO’s terms, it has to be, by the very definition of Cultural Heritage, de-sacralised.

II. Negotiating Alevi Cultural Heritage

16 The instruments developed by UNESCO for safeguarding ICH are explicitly directed at “communities, in particular indigenous communities” (UNESCO Convention 2003: §7). Merkel regards this as an attempt to empower “communities” and correct earlier rather exclusive misconceptions of heritage that were directed at aesthetic and

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monumental representations of human kind’s achievements (Merkel 2011: 68). Furthermore, this also allows these “communities” – understood in terms of networks, not limited to specific geographic boundaries – to include diaspora groups as bearers of their ICH (Ibid.). It is noteworthy for the case discussed here that UNESCO perceives the recognition of Intangible Cultural Heritage as “bringing human beings closer together” (UNESCO Convention 2003: §15). This is especially interesting when we also take into consideration the fact that explicit allowances are made for the inclusion of instances in which the actors of designated heritage itself transcend national borders; the criteria for submitting an application recognizes multi-national nominators6. Despite this opportunity for a “shared heritage” of Alevi communities across Turkey and the diaspora, the case described here seems to be demonstrative of an alternative position: The nomination sheet for the Turkish Alevi semah neither lists any German Alevi organization, such as the AABF, nor does the AABF recognize the Turkish Alevi semah as part of its Cultural Heritage.7 In spite of its intended aspiration of “bringing human beings closer together” the Convention can, to the contrary, be used as a means for demarcating difference.

Theoretical Considerations: Heritage, Power and Belonging

17 This exclusive notion of heritage becomes even more powerful in the light of a central concept of heritage: “categorization and listing” (Harrison 2013: 6). The alleged character of ICH being less hierarchic or a bottom-up process is undermined by the very mechanisms that implement these ICHs: listing and categorizing always has to apply certain criteria, which inevitably ascribe value while simultaneously devaluating others. This aspect becomes even more apparent if we take into consideration the fact that the nation-state(s), as representatives of Cultural Heritage (next to “indigenous groups”), have to consent to safeguarding measures, providing financial resources and infrastructure (UNESCO Criteria 2012: §3). In the case discussed here, the political rationale for recognizing Alevi Cultural Heritage as enhancing the nation’s diversity without adopting this diversity in a political and legal framework is brought into question.

18 Similarly, in both Turkey and the diaspora, the negotiation of Cultural Heritage between the Alevi “community”, the nation-state, and UNESCO renders visible the specific imaginations about the nation, its past, its criteria for belonging, its pluralism or its homogeneity that underpin the construction of Cultural Heritage. Referring to this aspect of heritage policies, Hall has highlighted the evaluating character of Cultural Heritage policies. Heritage, from this perspective, is not only the desire and the practice of preserving certain aspects of the past, but constitutes “the symbolic power to order knowledge, to rank, classify and arrange, and thus to give meaning to objects and things through interpretative schemas” (Hall 2007/1999: 88). These particular formations of knowledge and mentalities of government are embodied in the instruments, strategies, and politics applied. The approach of the “governmentality” of heritage tries to grasp this interrelation of knowledge, power, and the specific governmental understandings, for example, of diversity, which are inscribed in political programmes and political practices and put into play by these very strategies (Rose 1999: 2). Drawing on Foucault’s notion of government, which perceives political power as an incoherent assemblage of endeavours to guide, shape, direct, conduct, and enhance people in a desirable way (Foucault 2004: 162), Cultural Heritage too may be

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understood as a part of this assemblage and of the politics of social or national cohesion and diversity management (Coombe 2012; Tauschek 2013: 20). The analytical power of this concept lies in its connection between the individual and government. The conduct of contemporary (neo-liberal) government relies on enhancing individual and collective agents (“communities”) ability to act upon themselves, rather using ideas of freedom, self-fulfilment, and responsibility than domination, law or coercion: Governing, in this sense, is not a way to force people to do what the governor wants; it is always a versatile equilibrium with complementarity and conflicts between techniques which assure coercion and processes through which the self is constructed or modified by himself (Foucault 1993: 204). 19 This understanding enlarges the analytical framework for this paper in many ways. Firstly, as discussed in the previous section, the dynamics of ritual practice constitute the basis of adjustment for both Alevi actors and state policies. Government here is best understood when the exercise of power is dissociated from domination. The governmentality of Cultural Heritage does not oppress the endeavours and capacities of Alevi actors to publicly display and negotiate their identity demands, but rather recognizes this capacity and adjusts to it with instruments such as heritage policies. With that being said, the construction of heritage may not only be read as an “agentive way to act upon one’s own world” (Brosius and Polit 2011: 3), but also as a device of government (among many others) to govern ethnic(ized) or religious minorities in certain ways. If we are to grasp the implications of heritage formation on empowerment and exclusion, the aspect of agency has to be discussed with deference to the complex array of identity demands and the (possibly disciplining) political structures that provide the means “to act upon one’s own world”.

Alevi-Bektaşi Cultural Heritage in Turkey: Making an Alevi “Community”

The understanding of God-human unity and that everything will return to God has found its way in semah through circular movements which is derived from the movement of celestial bodies. Provided that this element is included in the Representative List [of Intangible Cultural Heritage (ICH)] the authentic understanding of nature and universe, the symbolism and the conceptual depth of semah will better contribute to the universal awareness in ICH. The human-centred perception of the world and the universe and humanist philosophy of semah are values which can contribute to the intercultural dialogue (UNESCO Nomination file 2010: 6). 20 The above cited quotation is taken from the 2010 application file of various Alevi- Bektaşi organizations in Turkey seeking to assign the semah – a sequence from the cem ritual – onto UNESCO’s protective list. The ritual dance’s subsequent successful inscription on the Representative List of Intangible Cultural Heritage also resulted in its official recognition as a part of Turkish “folklore”, “enriching traditional music culture in Turkey” (UNESCO Nomination file 2010: 6). Although nation-states have to support the nomination process, a criterion for granting ICH status is that the actors, groups or communities concerned participate in the application process (UNESCO Criteria 2012: §3). This aspect requires an understanding of the comparative benefits of creating Cultural Heritage for both state and non-state-actors. Especially in the context of the Alevi-state relationship, this is particularly interesting to investigate as the (legal and

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social) position of Alevis in the Turkish state is subject to heavy criticism by human rights actors and Alevi NGOs in Turkey and abroad.

21 Alevi communities in Turkey are in an ambivalent position. On the one hand, the Law on Dervish Lodges [Tekke ve Zaviye Kanunu] instituted in 1925 and remaining in effect, forbade all forms of religious orders [tarikat] and associated ritual practices, clothing, and titles. The law also had wider implications on Alevi ritual practice and in fact constitutes one of the main issues in the struggle for the recognition of Alevi communities in Turkey and the diaspora (Sökefeld 2008: 236ff.). On the other hand, in accordance with UNESCO Criteria, 2012 a number of Alevi-Bektaşi cultural organizations have been included in the application process for the recognition of their Cultural Heritage (UNESCO Nomination file 2010: 13). The assemblage of these diverse associations and the public practice of rituals (under the term “Alevi”) has largely been tolerated by the Turkish authorities while the revision of the aforementioned law on Dervish Lodges has also been under consideration8. Since 2007 Alevis may also be exempt from compulsory religious education in public schools following a decision by the European Court of Human Rights, which found Turkey to be in breach of the article relating to The Right to Education of religious and minority identities (Dressler 2013: 7)9. Yet, tolerating the work of Alevi-Bektaşi NGOs does not amount to the legal and political recognition of the Alevi communities as religiously different subjects with the right to religious self-representation. 22 Alongside representatives of the state party, various NGOs of Alevi-Bektaşi character, research institutes, and academics are involved in the construction of heritage in Turkey (UNESCO Nomination file 2010: 13f.). The Ministry of Culture and Tourism is involved in the process of “heritagization” (Graham 2007/2002: 250), acting on behalf of the state party. According to UNESCO Criteria, the ministry is required to act in concert with the “concerned communities” (UNESCO Criteria 2012 §3). This “concerned community” is represented by various Alevi-Bektaşi NGOs10 and by local authorities such as Nevşehir Hacıbektaş Bakanlığı. The fact that the Ministry of Culture and Tourism has been instituted by the nation-state to undertake overall responsibility of the process is indicative of the specific folkloristic and cultural understandings being applied to heritage issues; Alevi identity demands formulated within this realm thus fail to address the serious issue of belonging, rather detaching such demands from their political origin, as will be argued in further detail below. 23 It is of significance to note that only four out of the seventeen NGOs involved in the process operate under the heading “Alevi”, while the others refer in their naming to the saint Hacı Bektaş or to tribal associations such as Tahtacı. The close association between “Alevi” and “Bektaşi” in many of these denominations — also evident in the naming of the ritual in question as “Alevi-Bektaşi” heritage — may denote a certain form of state-controlled difference: As Dressler has pointed out, the term Alevi-Bektaşi is used mostly by Turkish speaking Alevis (Dressler 2013: 19). Although Alevis and Bektaşis share a lot of their ritual practices and belief systems and as such may be imagined as one community, the term also annihilates the institutional, social, and geographic differences between these groups. In the Ottoman period, the Bektaşis as a religious order [tarikat], served a specific administrative purpose via its zaviyes [dervish lodges] and affiliations with the janissary corps of the Ottoman army. In contrast, Alevis — or more appropriately, the communities in Anatolia that have come to be identified as the predecessors of present-day Alevis, historically referred to as Kızılbaş

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11 — were socially and economically marginalized and temporarily heavily persecuted due to their alliances with Shiite missionaries from Iran (Ibid., 18). However, already towards the end of the 16th century a state-favoured process of socio-economic assimilation had been set in motion, linking the Kızılbaş communities to the Bektaşis in order to undermine sectarianism among the Kızılbaş of Anatolia (Faroqhi 1992: 176). Still, as Kieser argues, there have never been any strong ties between Kurdish speaking Kızılbaş from southeast Anatolia and the Bektaşis residing in central and western Anatolia (Kieser 2003). Neither can it be said that all Turkish Alevi ocaks 12 maintained any form of relations with the Bektaşi Order. According to Dressler, the emphasis on an Alevi-Bektaşi synthesis may be read as a means of strengthening Alevi agency in the Turkish public sphere by weakening the notion of social and cultural differences between Turkish and Kurdish speaking Alevis and the Bektaşis (Dressler 2013: 19). 24 Although the character of these denominations may be losing their ideological and discursive clarity13, the organizations in charge of constructing an Alevi-Bektaşi Heritage refer to themselves in the nomination file as an “Alevi-Bektaşi Order” thereby excluding any alternative form of Alevism, which refuses to subscribe to the Bektaşi notion of Alevi identity: The “Alevi-Bektaşi Order has distinguished itself from the mainstream Alevi belief system, with respect to its roots, formation processes and current cultural background” (UNESCO, Nomination file: 2, my italics). The specificities that comprise the “current cultural background”, however, remain ambiguously defined. The distinction drawn between the “Alevi-Bektaşi Order” and “mainstream Alevism” regarding their formation processes and current background suggests a stratification, which orders various forms of Alevism and explicitly sets the Alevi-Bektaşi Order apart from other (unnamed) interpretations of Alevism. Despite this distinction, which acknowledges the Alevi-Bektaşi Order as the cultural-bearer of an Alevi Heritage, the UNESCO Nomination file, 2010 also emphasizes the “richness in semah culture” (UNESCO Nomination file 2010: 4) and names various “Alevi Bektaşi communities” as “bearers and practitioners of the semah tradition” (Ibid., 2). The Nomination file, 2010 requires the identification of the geographical location of the communities and groups concerned with the designated heritage. Although the Alevi-Bektaşi Order is distinguished from mainstream Alevism, the geographical range afforded to Alevi communities extends to almost all of the Anatolian region. Such an expansive (geographical) definition, therefore, encompasses very different Alevi and Bektaşi groups like the Babağan Bektaşis and Alevi ocaks from central and eastern Anatolia, which distinguish themselves from one another through the principle of initiation (Babağan Bektaşis) or descent as means of belonging. At least for some of the Anatolian ocaks it is — historically speaking — difficult to uphold any relationship with the Bektaşi Order (Dressler 2013: 17). However, a consequence of involvement in Cultural Heritage policy-making has been the alliance of different organizations representing diverse Alevi identities and interests under the label of “Alevi-Bektaşi”. The list of the “concerned community organization(s) and representative(s)” (UNESCO Nomination file 2010: 13) also contains those associations like CEM Vakfı and the Pir Sultan Abdal Kültür Dernekleri, which politically and religiously follow quite different agendas. CEM Vakfı, for example, represents the position of Alevism as an Islamic tradition, while the Pir Sultan Abdal Foundation clearly distances itself from such claims, perceiving Alevism to be a religion on its own right (Dressler 2013: 7).

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25 In order to bring such divergent actors together, the heritage of semah is thus designed and described accordingly. Distinguishing between içeri and dışarı semah [private and public semah] the ritual dance is defined to comprehend both its religious and folkloristic / cultural meanings. Recognition that “It is not desirable to perform içeri semah in front of those without faith” (UNESCO Nomination file 2010: 5) represents the position of Alevi organizations wishing to preserve the religious and sacred character of the ritual. The dışarı semah, in contrast, addresses organizations like the Hacı Bektaş Veli Kültür ve Tanıtma Dernekleri that rather focus on the folkloristic aspects of Alevism for the purpose of its presentation to outsiders and the schooling of younger generations (Massicard 2013: 49). Interestingly, the recognition of semah as a commemoration of the prophet Muhammad’s meeting with the so-called kırklar meclisi [the assembly of the forty saints of Alevism] is not mentioned in the description of the semah as Alevi-Bektaşi heritage. Although many Alevis believe that it was during this meeting the semah was danced for the first time (Langer 2008: 98), the connection of the dance with the prophet Muhammad is omitted from the document. In the context of negotiating an understanding of Alevism as a religion or culture this may be once again indicative of the rather de-sacralised and folkloristic interpretation of the semah. 26 The question of folklore is quite an important issue in the Alevis struggle for recognition. First and foremost, it is one that is directly linked to financial demands regarding the payment of religious personal by the state. While Sunni Imams are paid by the state, Alevi religious authorities cannot be sponsored publicly, as the cemevi is not considered a “prayer house”, but a “cultural house” (Dressler 2013: 10). In response to a question about the situation, the former Turkish Prime Minister Erdoğan replied: Whichever Alevi I meet says, we are Muslims. The prayer place for Muslims is the mosque. Alevism is not a religion [din]. Therefore one cannot compare [Islam and Alevism]. If we made this distinction, why should we divide Turkey? One is a house for prayer; the other is a culture house. Cem houses cannot receive the same [financial] assistance that the mosques receive. If there is somebody who wants to support cem houses this cannot be hindered (cited in Sökefeld 2008: 245). 27 Although the UNESCO Nomination file explicitly accepts the semah as part of the cem ritual — and by implication acknowledges that it is part of the religious practices of Alevi-Bektaşi adherents — there are also strong folkloristic connotations; the ritual is also ascribed the function of “enriching (the) traditional music culture of Turkey” (UNESCO Nomination file 2010: 6). As the quote at the beginning of this section suggests, alongside this rather vernacular characterization of semah, the ritual sequence is also described as maintaining a “humanist philosophy”, which “can contribute to intercultural dialogue” (Ibid.). Both the vernacular and universal aspects of semah serve to detach the ritual dance from its religious context. In the same manner, the participation of both men and women together in the dance has also assumed symbolic significance (Ibid., 5): Contemporary gender equality issues are expressed through the nomination file as the dance and the designated Cultural Heritage are understood to signify the explicit rejection of “gender discrimination” by all Alevi-Bektaşi communities (Ibid.). This aspect highlights the character of Cultural Heritage as inherently linked to contemporary issues and needs (Graham 2007/2002: 251). Likewise, the ICH Convention itself, through the principle of heritage as empowering the instrument of protection strikingly reveals the capacity of heritage as a “useable past” (Merkel 2011). As Intangible Cultural Heritage the semah has to fulfil multiple functions yielding a performativity, which explicitly raises “awareness”;

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awareness for “local literature” in addition to the safeguarding of the Intangible Cultural Heritage of human kind in general (UNESCO Nomination file 2010: 6).

28 Despite the recognition of the diversity of Alevi groups and communities in Turkey, the state nevertheless continues to privilege one particular form of organization: those who are willing to integrate themselves into the Alevi-Bektaşi imagination of belonging. Here the state party becomes visible as a powerful actor in this allegedly bottom-up process. A fundamental paradox of the process remains that despite the ICH Convention’s intended inclusion of “indigenous communities”, without the state these communities have no opportunity of accessing UNESCO’s protective mechanisms for Cultural Heritage. An unchanged condition institutes the concerned state party — in Turkey represented by the Ministry of Culture and Tourism — with the overall responsibility for listing the element in question on the National Inventory of the Intangible Cultural Heritage (UNESCO Criteria 2012: §3). This aspect accentuates the necessity of engaging state interest in safeguarding certain (vernacular) communities’ Cultural Heritage.

Alevi Cultural Heritage in the “Opposition Diaspora”

29 In May 2013 an informational conference held for parties interested in the application and nomination process of Intangible Cultural Heritage was organized by a regional UNESCO bureau in Lübeck, Germany. At this conference a representative of the AABF in Hamburg asked about the possibility of inscribing the Alevi semah ritual on the list (given the prohibition of its performance in Turkey) (Tauschek 2013: 23). No mention, however, was made of the fact that the ritual had already been inscribed on the Representative List. The omission of this detail was perceived to be of little consequence to the AABF organizers14 who did not regard their interests (and indeed their Cultural Heritage) as being legitimately represented by either the Turkish state or by (some of) the Alevi-Bektaşi communities involved in the process of heritagisation in Turkey. The recognition of an Alevi-Bektaşi Cultural Heritage in Turkey by UNESCO has done little to change the general perception of AABF actors that Alevis in Turkey still do not enjoy the same religious freedoms as their Sunni Muslim counterparts or in comparison to Germany.

30 These findings reveal the inherently dissonant nature of heritage, a dissonance, as Ashworth points out, that is less caused by vague or inconsistent definitions of the term itself (Ashworth 2011: 19), but by its constructed and thus easily contestable character. According to Tunbridge and Ashworth, such a dissonance may be caused by the geographical diffusion of populations and cultures (Tunbridge and Ashworth 2007: 225). I do not wish to imply here that the notion of Alevi ritual heritage in Germany is somehow “misplaced” or “in the wrong place” (Ibid.) as an aspect of this dissonance as such a perspective would misguidedly reproduce the highly normative idea of heritage belonging to a certain territory or a certain nation. An understanding of the negotiation of heritage in “transnational space”, however, allows us to overcome some of the limitations inherent in the concept of original belonging; dissociating heritage from homogeneous, national or territorial understandings of origin rather facilitates an insight into heritage as a dissonant product of social practice and negotiation (Falser and Juneja 2013: 24).

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31 The possibilities and constraints for reaching a shared consensus for the safeguarding of Cultural Heritage in the context of geographically dispersed communities with an (assumed) common heritage has been discussed by Merkel (Merkel 2011: 69). However, Merkel does not adequately take into consideration the possibility of intra-communal conflict over the question of legitimate representation and the ownership of heritage. Yet, in the case of Alevi Cultural Heritage in Germany and Turkey this constitutes an important issue for deliberation. In the particular case of semah being recognized as Alevi-Bektaşi heritage in Turkey, the question of the legitimate governance and representation of heritage emerges: AABF actors in Germany do not perceive their heritage as being protected so long as it is represented by the Turkish state and certain Alevi-Bektaşi organizations.15 Although the AABF maintains quite close relations with some of the organizations involved in the heritage process in Turkey, in Germany they nevertheless promote their own political agenda for safeguarding Alevi Cultural Heritage. Intra-communal ruptures between German and Turkish Alevi organizations become visible in this case because the UNESCO instrument designed for advancing their particular recognition fails to account for these competing perceptions of legitimate representation. 32 It is here in the different political and geographical positions occupied by Alevi organizations involved in the negotiation of Alevi Cultural Heritage that the dissonance of heritage emerges. The argumentation of the AABF representative, rather than offering an insight into how such dissonance may be resolved or harmonized, instead is indicative of the way in which it is “turned into a constructive imagination of identity” (Graham 2007/2002: 252). Reference to the semah ritual sequence as Alevi Cultural Heritage and to the limitations placed on the performance of the ritual in Turkey serves to criticize the ongoing marginalization of Alevi identities in Turkey. The point here is, of course, not to argue about the issue of whether or not the semah — as it has been publicly presented and recognized as Cultural Heritage — can indeed be regarded as having been “forbidden”. Critical analysis does not negate the assertion of a marginalized and excluded Alevi collective identity by subtle and less subtle methods. Rather, the statement is to be taken – analytically – at face value in order to grasp the underlying understandings of Cultural Heritage and the corresponding notions of nation, community, and belonging it elicits. 33 Formulating an endeavour for safeguarding the semah “against the nation state of origin” (Sökefeld 2008: 250) serves to criticize current political practice in Turkey, which continues to deny the recognition of Alevism as a legitimate part of the nation with distinct characteristics from Sunni Islam. The expression “being forbidden” thus employed by the AABF representative in connection with the cem-ceremonies of which the semah constitutes an important part, alludes to the specific form of diversity politics exercised in Turkey. The ritual is tolerated and under the label of Cultural Heritage even promoted as folklore serving to enrich Turkey’s cultural diversity. Yet, what is at stake in the struggle for recognition is the attainment of comparative equality (in religious terms) with Sunni Islam (Sökefeld 2005: 226). References to Cultural Heritage and the endeavour to ensure its safeguarding thus enables the AABF to hint at these political deficits in an intergovernmental arena. As Merkel points out, the negotiation of Intangible Cultural Heritage in contexts of migration and nationally separated communities enables the groups concerned to question the legitimate

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representation (or usurpation) of the communities’ heritage by the nation state(s) involved: Even where direct human rights abuse is not an issue, legitimacy of government in representing the interests of the living cultural traditions of communities might be challenged or questioned by the groups concerned (Merkel 2011: 69). 34 The issue of Human Rights generally constitutes an important component of the AABF’s critique of Turkish policies towards Alevis (see, for example, Alevitische Gemeinde Deutschland e. V. 2013: 2), and yet it was not invoked in this particular context by the representative of the AABF. Still, references to intergovernmental regimes such as UNESCO provide the discursive and institutional framework for the articulation of alternative versions of Alevi heritage in the Diaspora and thus challenge other perceived illegitimate representations of this heritage. An Alevi heritage that sets itself apart from the existing Alevi-Bektaşi heritage therefore also demonstrates the refusal to subscribe to a dominantly Turkish-speaking notion of Alevism or be assimilated into the folklorized cultural heritage as it is expressed in Turkey.

35 Furthermore, the concept of Intangible Cultural Heritage is useful for the AABF as it fits in with their political programme on integration in Germany. The humanist ideas of Alevism, which also finds its representation in the Turkish-Alevi nomination form for semah, is frequently invoked in integration discourse in Germany. AABF actors insist on the fact that Alevi values are far less different from German values than those of Sunni Muslims (Sökefeld 2008: 250). This, in turn, facilitates an argument for the categorization of semah on the German National Inventory of Cultural Heritage, a necessary move with regards to the conditions established by UNESCO Criteria, 2012 if Intangible Cultural Heritage status is to be granted. Here too, the agency of the nation-state in the process of heritagisation may heavily influence or even prevent Alevi endeavours. During the above-mentioned conference, a representative from the ministry in charge expressed her doubts about the prospective recognition of the semah ritual as Cultural Heritage, emphasizing the position that religious elements were generally excluded from the nomination process (Tauschek 2013: 24). Thus, safeguarding the semah ritual within UNESCO’s terms requires its de-sacralisation. Such a cultural understanding of the cem ritual in general and the semah dance in particular is not uncontested — by either Alevis in Germany or in Turkey. Yet, as Sökefeld argues, the discursive and institutional contexts of both countries differ considerably. A cultural and folkloristic notion of Alevi ritual practice in Turkey, as the Erdoğan quote above indicates, is from the viewpoint of the AABF almost equal to its negation (Sökefeld 2005: 225). This also explains how the ritual may be interpreted as being “forbidden” in Turkey, while simultaneously recognized as Cultural Heritage. In Germany, on the other hand, such a culturalized comprehension of the term does not necessarily bear the same negative or pejorative connotations, although the position of the AABF is by no means unchallenged by other Alevi organizations in Germany (Ibid.).

III. Heritage, Empowerment and Discipline

36 As has been made clear, references to Intangible Cultural Heritage in Turkey and Germany may serve vernacular communities or marginalized groups in society by protecting elements of their culture perceived to be in danger. Wulf underlines the “symbolic meaning” of Cultural Heritage for the formation and reassertion of

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community because it fosters a sense of common values, practices or roots (Wulf 2011: 83). This aspect of heritage with which members of certain groups identify, must be stressed here because it is integral to comprehending the underlying rationale of UNESCO’s Intangible Cultural Heritage Convention. With regard to the aims of the convention, Merkel points out that a “psychological sense of ownership” can generate activity for discovering, documenting, and researching Cultural Heritage (Merkel 2011: 60). In these terms, Brosius and Polit also draw attention to the aspect of Cultural Heritage that enhances a community’s awareness of its heritage and its capacity to articulate identity demands vis-à-vis the nation-state: [T]rading rituals as one’s own cultural product — thus turning ritual into heritage — does not mean to render these rituals dead in the sense that it mummifies them. Instead, this is to be understood as an agentive way to act upon one’s own world (Brosius and Polit 2011: 2) 37 Such accounts emphasize the empowering potential gained through the construction of Intangible Cultural Heritage for (vernacular) groups. The enhancement of agency that it entails (or intends to entail) plays a critical role in the evaluation of UNESCO’s instruments. The authors cited here underline the capacity of ICH to act as a cultural resource. This is especially important in the context of migration and diasporas, because Intangible Heritage is not necessarily place-bound in the same way as other forms of heritage such as monuments and the like (Ibid.: 3).

38 This latter point is applicable to the case study described in this paper: The Alevi diaspora in Germany may refer to the same ritual as their own particular heritage, just as other Alevi communities had done in Turkey before them. Due to the specific character of the Alevi community in Germany — as an “opposition diaspora” (Sökefeld 2008: 250), represented in this context by the AABF — it may be said that UNESCO and its instruments provided the discursive and institutional framework for the articulation of a version of semah heritage in Germany. Although Alevi heritage in Germany is not yet recognized as such, it is possible to acknowledge the argument that reference to a claimed (Alevi) heritage may be potentially empowering. Within the rationale of semah as Alevi Cultural Heritage in Germany lies a critique of the still marginalized position of Alevis in Turkey. Although the AKP government officially launched a democratic “Alevi opening” in 2007, aimed at improving the relationship between the government and the Alevi population, reference to UN bodies like UNESCO and to international legislation like the Human Rights Convention may serve yet again to enhance the visibility of ongoing subtle and less subtle forms of suppression. 39 However, acceptance of this perspective on the empowering capacities of Cultural Heritage policies tends to overestimate UNESCO’s intergovernmental influence vis-à-vis nation-states. It takes for granted the idea that policies on “minorities” (of all kinds) yield empowering and liberating forces for the good of these very “minorities”. Such an approach fails to grasp the disciplining aspects of these policies, which not only empower, but simultaneously inscribe a certain understanding of “minority” identity that renders them detached from a perceived political centre represented by the “majority”16. Although UNESCO provides the AABF with the language and institutions to articulate its own diasporic heritage, it is not yet clear whether the German authorities in charge would inscribe the semah on the National Inventory of Intangible Cultural Heritage, a necessary measure if it is to be also inscribed on UNESCO’s list. The point at which state parties join in the process of heritagisation is also the point of potential (re)nationalisation and exclusion. In Germany the issue of Alevi heritage may

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result in the need to once again redress the question of Germany being an “immigration country” [Einwanderungsland]. The negotiation of diversity and pluralism at stake in Germany differs from the situation in Turkey. In the latter case, Alevi- Bektaşi heritage has already been awarded through its UNESCO-endorsed inscription on the Representative List and the Turkish National Inventory of Heritage. Yet, recognition of pluralism and the Alevi-Bektaşis’ contribution to Turkey’s cultural diversity does not touch on sensitive political issues, such as the recognition of Alevism as a religious community. The semah as Alevi Cultural Heritage is perceived to be folklore and as such is easily accommodated within the Turkish-nationalist narrative of unity, which allows diverse forms of cultural expression to exist, but without corresponding acknowledgement in a legal framework. In this setting of “disciplined liberalization” (Tambar 2014: 84), claims for Alevi religious education in schools or for a state-paid religious infrastructure may continue to be denied. 40 The heritage of vernacular groups or “indigenous communities” (to employ the language of UNESCO) indeed produces some forms of cultural diversity and visibility. However, as the nation-state remains the ultimate arbitrator in decisions relating to the National Inventory of Cultural Heritage, this diversity continues to be articulated in the form of “domesticated diversity” (Göner 2005: 127). Diversity as it thus emerges is not only invoked to fulfil an ideological or political purpose, but the particular form it takes is also the result of the intrinsic nature of heritage itself and its capacity to categorize, list, include and exclude (Harrison 2013: 164). Furthermore, the recognition of Alevis on a comparative legal-political basis with Sunni Islam, seems to have been traded for cultural recognition. In such contexts, Ashworth argues that heritage discourse may be “used deliberately to render insignificant the ideas and practices that could potentially challenge or distract a dominant ideology” (Ashworth 2011: 34). He speaks of “museumification” to denote this specific aspect of heritage policies, which transforms cultural expressions of (political / social / religious / ethnic[ized]) minorities into folklore thereby undermining their capacities for political participation and resistance (Ibid., 33). 41 Ashworth’s argument challenges the emphasis on agency, which is supposed to be enhanced by UNESCO’s instruments. His idea of “museumification” and “vernacularization” (Ibid., 34) rather contests the liberal notion of the ability of individuals and communities “to act upon their own world” (Brosius and Polit 2011: 2) and hints at the (marginal) position that these groups adopt in heritage discourse or which is ascribed to them. The sets of knowledge about the past and diversity, embodied in the policies and practices of Intangible Cultural Heritage, thus renders very specific imaginations about belonging legible, firm, and true. Alevi-Bektaşi Cultural Heritage may enrich Turkey’s diversity, but it is thought of as a rather (dead and indeed “mummified”) folkloristic facet, detached from its political context. An understanding of Cultural Heritage as governmentality enables us to grasp the hegemonic knowledge inscribed in Heritage policies and put into practice by its “safeguarding” measures. This perspective allows us to analyse the above-mentioned aspects of “museumification” and “vernacularization” as forms of political conduct that rely on a wide assemblage of instruments guiding, directing, enhancing, and shaping the populations’ will to act upon itself. What was labelled a “discursive and institutional frame” providing the language and the modes of organization in heritage construction, within this light is reconsidered as a mode of governmental conduct that

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does not draw on the semantics of rule, law, or coercion to guide the population in desired ways. In the present context of ongoing physical political violence in Turkey it is particularly important to emphasize that the recognition of subtle forms of political power does not mean to imply that other less subtle forms of conduct or even violent interventions have ceased to exist. However, taking a perspective on the close link between power and knowledge enables us to grasp both the governmental mind in its capacity “to rank, classify and arrange” (Hall 2007/1999: 88) knowledge and the communities’ adjustments to these schemas. The “communities” addressed, on the other hand, are the very agents that put these schemas into practice: The policies on Cultural Heritage, for example, produce forms of Alevi-Bektaşi subjectivities that intersect with “modernist-secular” or “traditionalist-religious” cleavages, the terms of which are employed to characterize the various organizations active within these policies (Soner and Toktaş 2011: 423). Rather, the governmentalities of Cultural Heritage turn them into productive forces that negotiate an Alevi-Bektaşi Cultural Heritage. Furthermore, this negotiated Cultural Heritage may also be recognized by diverse organizations that differ considerably in their comparative positions, for example, as demonstrated by the respective views expressed by CEM Vakfı and the Pir Sultan Abdal Kültür Dernekleri on the issue of Alevism as an inner Islamic tradition or a religion in its own right (Dressler 2013: 7). 42 This approach also comes to terms not only with the focus on community empowerment in ICH discourse, but also with the constitution of Alevism as a socio- religious problem of a (nationalist / neoliberal) government. The ostensible tension and the alleged binary distinctions between liberation and control, inclusion and exclusion, empowerment and containment, can be analysed as a form of political conduct that engenders very specific sets of knowledge about belonging and diversity, which recognizes this pluralism as Cultural Heritage, but does not translate it into equivalent political and legal recognition. The “communities” to be empowered play a crucial role in the enactment of these forms of knowledge in order to render them true (Rose 1999: 167). The institutions and language provided by UNESCO’s heritage measures make one “community” of heterogeneous Alevi-Bektaşi organizations intelligible in the first place and produce the very subject of cultural difference it comes to represent. Furthermore, the “communities” sustain the regimes of heritage as they “contribute to the universal awareness on ICH” (UNESCO Nomination file 2010: 6). 43 UNESCO’s heritage regime and all the positive and empowering semantics it brings to bear may thus be scrutinized as creating certain subjectivities, certain emotions, and certain behaviours that are inherently directed towards heritage itself. This perspective not only uncovers “new domains of governance and intervention” (Coombe 2012: 382) in the politics of Cultural Heritage, but also allows us to better understand the fact that heritage construction encompasses more than mere empowerment or the emotional need for preservation. As has been argued in the case of Alevi-Bektaşi Intangible Cultural Heritage in Turkey, this heritage may engender vernacularization or “museumifiction” of the past, which stratifies cultural life and religious expression in certain ways and renders them detached from the present, as Ashworth has observed (Ashworth 2011: 35). This has significant political implications on the Alevi struggle for recognition and cannot be grasped when the multiple forms of influence on peoples’ behaviour, desire, opinions and so forth are excluded from a discussion on heritage and its empowering and disciplining forces.

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Conclusion

44 The inherently constructed, dissonant and political character of cultural heritage was taken up here as an axiomatic starting point of analysis. The question to be answered was not one of whether heritage can or cannot be used for multiple political purposes, but rather this paper sought to examine the ways in which the concept of heritage has been used in the Alevi struggle for recognition in Turkey and Germany and ask how these particular constructs are turned into socially generative forms of subjectivity and identity constructions.

45 The articulation of semah as Alevi heritage in Germany in parallel with Turkey supports the notion of heritage as empowering the means of opposition. The AABF does not recognize Alevi-Bektaşi heritage in Turkey as “their” heritage and questions the legitimacy of being represented by both the Alevi-Bektaşi organizations and the Turkish state. In this case, the ICH as an instrument of UNESCO provides the vocabulary and institutional framework for the referral of its own respective Alevi Intangible Cultural Heritage in Germany, thereby revealing the dissonant character of heritage and unveiling its capacity for critique. The mere phenomenon of semah being perceived as Alevi heritage in Germany demonstrates the fact that minorities (of all kinds) do refer to this political instrument for their identity demands. Yet, this also evokes the political question of belonging, which potentially limits the capability of the ICH to achieve its aspirational principles of empowerment. The decision about who may refer to Intangible Cultural Heritage and who may use it as a political and cultural resource lies with the state party, — a fact that severely canonizes heritage and has significant implications for thinking about diversity. In the Turkish case described here, the folklorization of an Alevi ritual through heritage discourse, furthermore, corresponds to a political understanding of the socio-religious stratification of Sunni Islam and Alevism, which again supports the endeavour to place Alevi demands for recognition in the (less subversive) realm of culture and not religion. 46 This aspect seriously limits the capacity of ICH to enhance agency among Alevi-Bektaşi civil actors in Turkey. As the promotion of Alevi-Bektaşi Cultural Heritage is not accompanied by legal recognition, “museumification” becomes an interrelated notion of heritage, detaching vernacularized groups from present, critical questions about political participation and human rights. This facet of heritage’s performativity and its use for a nationalist narrative in Turkey requires the analysis of heritage as a mode of governmental intervention and guidance, which draws on enhancing activities in certain desirable ways. Increasing references to cultural heritage in politics, scholarship, and by NGOs, therefore, have to be understood and explored within the context of the multiple functions that they perform: On the one hand, for identity demands and empowerment; and, on the other hand, for political intervention and new forms of subjectivity.

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NOTES

1. The term “Alevi-Bektaşi” is not my own, but is one that is used in the above-cited UNESCO nomination file to denominate the community of various Alevi and Bektaşi organizations involved in the process of heritage construction. The different historical and social trajectories of these groups are discussed in part three of this paper. 2. The cem ritual is a congregational ritual among Alevis. The sequence semah is one of various different parts which constitute the ritual. For an overview on Alevi rituals see Langer 2008, for an idealtypical description of the cem see Karolewski (2005).

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3. The cemevi is the place where the cem ritual takes place. Although possibly any profane place may be rendered into a cemevi, Alevi organizations tend to provide central places for gathering. However, these buildings are not subject to statefunding, which renders their status unequal compared to sunni muslim mosques. 4. For an overview of Alevi ritual practice, see for example Langer (2008). The (ongoing) resentment against Alevi ritual practice is analyzed in its historical context by Karolewski (2008). 5. For a description of the various sequences of the cem ritual see Langer (2008). 6. Coombe mentions the example of ascribing Capoeira mestres outside Brazil with the title of ambassadors of Brazilian Cultural Heritage, which considers actors outside the nation-state of origin as bearers and representatives of their Cultural Heritage (Coombe 2012: 384). 7. Personal note from Interview with an AABF representative held on 17 December 2013 in Hamburg. 8. Berber, Mehmet Ali: “Cemevleri için tekke ve zaviye yasası değişiyor”, Sabah Gazetesi, 01. 07. 2013. 9. However, the favourable ruling in the case of Hasan and Eylem Zengin is not universally applicable. Every Alevi pupil seeking to be exempt from class has to present a judgment in their own name from a Turkish court to the Ministry of Education, despite the ruling by the European Court of Human Rights that the exemption procedure was ineffectual for the respect of religious minority rights. 10. These include: Alevi-Bektaşi Federasyonu; Hacı Bektaş Veli Anadolu Kültür Vakfı Genel Merkezi;, Hacı Bektaş Veli Kültür ve Tanıtma Dernekleri Genel Merkezi; Pir Sultan Abdal Kültür Derneği Genel Merkezi; Pir Sultan Abdal 2 Temmuz Kültür ve Eğitim Vakfı, Karacaahmet Sultan Eğitim ve Kültür Vakfı; CEM Vakfı Genel Merkezi; Dünya Ehl-I Beyt Vakfı; Ankara Cem Kültür Evlerini Yaptırma Derneği; Hüseyingazi Derneği; Hubyar Sultan Alevi Kültür Derneği; Hacı Bektaş Derneği; İstanbul Alevi Kültür Derneği; Tahtacı Kültür Eğitim Kalkınma ve Yardımlaşma Derneği; Turhal Kültür ve Dayanışma Derneği; Gazi Üniversitesi Türk Kültürü ve Hacı Bektaş Veli Araştırma Merkezi; and the Alevilik Araştırma Dokümentasyon ve Uygulama Enstitüsü (UNESCO nomination file: 14). 11. According to Dressler the term ‘Alevi’ has a rather young origin, its emergence dating back – in its narrower sense – to the 19th and early 20th century (Dressler 2013b: 70). It has often been claimed that ‘Kızılbaş’ was the historical term for ‘Alevi’ (see Karakaya-Stump 2013: 279). Although not an entirely incorrect assertion, such a narrative suggests that all present day Alevis are the descendants of the Kızılbaş. It thus fails to grasp either the complex semantic layers of the historical usage of the term ‘Alevi’ as “(any) follower of Ali” or the various anachronistic projections of a longue durée Alevi identity in Anatolia.. 12. The term ocak - “hearth” in the Alevi context refers to the holy family lineages. 13. For example, the Alevi-Bektaşi Federasyonu is rather critical about the AKP’s policies towards Alevis (Soner and Toktaş 2011: 424). 14. Interview conducted on 17 December in Hamburg with the aforementioned AABF representative. 15. Personal note from an interview held on 17 December in Hamburg. 16. Additionally, the Turkish term for minority, azınlık, bears a rather negative connotation as Alevis would rather regard themselves as constitutive part of the (original idea) of the Republic (Dressler 2014: 144f.)

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ABSTRACTS

The accelerating references to Cultural Heritage in politics and scholarship have impacted on ‘vernacular’ or migrant communities’ aspirations for the recognition of their distinct identities and have likewise influenced nation-states’ policies on cultural diversity. Thus Alevi communities in Turkey and Germany have used the institutions and language provided by intergovernmental actors to claim recognition of their Intangible Cultural Heritage. In 2010, the Alevi-Bektaşi ritual dance, semah, was inscribed onto Turkey’s National Inventory for Intangible Cultural Heritage. However, Alevis in Germany, also drawing on the semah as their “useable past”, recently initiated their own heritage project. This paper analyses the various functions and uses of heritage discourse in the context of its exercise by both state and non-state actors in Germany and Turkey. It will be argued that a critical investigation must question the empowering and disciplining aspects of the governmentalities of Cultural Heritage because, as demonstrated by the Turkish case, recognition of (Alevi) heritage does not necessarily translate into legal recognition.

INDEX

Keywords: Alevis, ritual, diaspora, transnational migration, governmentality.

AUTHOR

BENJAMIN WEINECK

University of Bayreuth Religionswissenschaft [email protected] & University of Heidelberg Seminar für Sprachen und Kulturen des Vorderen Orients Islamwissenschaft [email protected]

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Postface

Michel Rautenberg

1 Il est assez exceptionnel qu’une revue scientifique prenne la responsabilité de consacrer un numéro entier à la question patrimoniale dans une seule aire géographique - ici ce sont deux volumes de travaux de grande qualité – qui plus est dans un seul pays. L’International Journal of Heritage Studies, la « revue scientifique de référence » sur le patrimoine, selon l’expression consacrée, ne l’a fait qu’une seule fois depuis sa date de création, en 1994, à raison de quatre à dix numéros par an : c’est en 2015, cette année même, à propos du patrimoine de l’aire Pacifique1. Museum International elle-même, l’une des revues de l’UNESCO, ne s’y est pas beaucoup plus engagée2.

2 Une autre originalité de cette parution, qui peut sembler tout aussi étonnante, est qu’elle consacre sans ambages un volume aux politiques d’État, ce qui n’est plus si fréquent hors les publications institutionnelles, et un volume aux pratiques patrimoniales de la société turque, mettant ainsi en questionnement ce qui fut l’une des dialectiques majeures des recherches sur le patrimoine sur la longue durée. Problématique peut-être moins présente aujourd’hui dans la littérature scientifique, mais problématique qui mérite très probablement un renouveau d’intérêt à l’heure où la nation redevient, dans de nombreuses régions du monde, et particulièrement en Europe, une question sensible. 3 Nombre de revues de sciences sociales ont consacré récemment l’un de leurs numéros au patrimoine, mais très généralement ce sont des numéros thématiques qui confrontent les points de vue sur plusieurs pays ou aires géographiques3. Un inventaire plus rigoureux nuancerait peut-être le propos, il n’empêche que cela pose question alors que les publications sur le patrimoine se multiplient depuis une bonne dizaine d’années dans toutes les régions du monde, la signature de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, en 2003, semblant avoir joué un rôle accélérateur considérable. En France, par exemple, le décompte des manifestations scientifiques repérées sur le site Calenda intégrant dans leur titre les mots patrimoine et patrimonialisation a connu une rapide progression entre 2004 et 2012, passant d’une trentaine à plus de deux cents (Gravari-Barbas 2014). Comment comprendre que dans le foisonnement des publications sur le patrimoine, cette

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question de la nation et des politiques d’État semble avoir été reléguée alors qu’elle a dominé les points de vue et les analyses pendant les années dix-neuf cent quatre-vingt- dix, particulièrement en France ? 4 On peut faire l’hypothèse que la manière dont l’Unesco s’est emparé de la question patrimoniale apporte quelques éléments de réponse. En favorisant l’émergence d’une catégorie universelle de patrimoine, l’Unesco a contribué à éloigner l’idéologie patrimoniale des discours nationaux. Francesco Bandarin, directeur général adjoint de l’Unesco pour la culture jusqu’en 2014, le disait lui-même lors d’un colloque à Paris en 2012 : la période actuelle est « la plus importante après la création du patrimoine à l’époque révolutionnaire. On avait créé le patrimoine pour la nation, et on crée maintenant le patrimoine pour l’humanité » (Bandarin 2012 : 17). Cet élan humaniste universel promu par l’Unesco s’appuie sur l’idée qu’il ne devrait plus y avoir d’opposition entre le patrimoine institué, quasi-canonique, des nations européennes qui avaient constitué leurs êtres collectifs sur un imaginaire national représenté par des monuments et des œuvres d’art, documenté par les historiens de l’art et les érudits (Poulot 2006)4, et le patrimoine immatériel prétendument plus proche des civilisations non occidentales. Ainsi serait-il désormais possible que le patrimoine puisse devenir l’expression de la « diversité des expressions culturelles, mais aussi des influences et des appartenances (…) symbole de l’identité culturelle des peuples et des communautés, mais aussi témoignage de la mémoire collective de l’humanité, et les conditions de son avenir » (Poulot 2006). 5 De toute évidence, ce volume de l’European Journal of Turkish Studies affiche autre chose : le « tournant patrimonial » que connaît la Turquie depuis quelques années concerne au premier chef les politiques d’État qui continuent à exercer fortement et très directement leur influence sur la définition du patrimoine, triant et sélectionnant entre le bon grain du patrimoine légitime – lui-même évoluant avec les majorités au pouvoir - incarnant les valeurs nationales, de l’ivraie des expériences et pratiques patrimoniales des citoyens et des « communautés » ethniques et religieuses. On retrouve ici l’un des scénarios sur l’avenir du patrimoine proposés par l’Atelier de Recherche Prospectif de l’Agence Nationale de la Recherche Patermondi : la renationalisation du patrimoine est à prendre tout à fait au sérieux (Gravari-Barbas 2014). En effet, par de nombreux mécanismes que sociologues, anthropologues et politistes ont décortiqués depuis longtemps, les États parviennent bien souvent à reprendre la main et à imposer leurs propres cadres aux patrimoines défendus ou promus par les populations locales, quand ce n’est pas le marché touristique ou la production des produits dérivés qui imposent leurs normes. Ces tensions entre patrimoine localisé et institutions étatiques et marchandes sont largement documentées dans ces deux volumes. 6 Une autre des questions que posent les travaux sur le patrimoine traverse l’ensemble des articles, celle de sa valeur culturelle et sociale, et de l’illusion que consisterait sa prétendue universalité, contre laquelle les travaux des heritage studies nous ont souvent mis en garde (Harrison 2013). C’est souvent par l’entremise du débat entre valeur sociale et valeur intrinsèque des objets patrimoniaux que cette question a été abordée : à la valeur intrinsèque de l’objet patrimonial, validée par l’onction savante de l’expert, correspondrait une forme d’universalité qu’il faudrait défendre. À sa valeur sociale, c’est-à-dire celle octroyée par les acteurs eux-mêmes, par ceux qu’on pourrait nommer les acteurs profanes mais impliqués, correspondrait une forme de relativisme patrimonial qui ne fait l’affaire ni des États, ni des instances internationales. C’est une

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tension qui traverse l’ensemble des deux volumes, comme elle existe dans de nombreux ouvrages collectifs sur le patrimoine, sans qu’il soit facile d’y trouver des explications claires. Mais cela n’a rien d’étonnant, et la question n’est pas neuve. Elle était déjà présente dans les réflexions de Alois Riegl, à la fin du 19e siècle : la valeur du patrimoine est-elle ontologique, relevant de l’art ou de l’histoire, c’est à dire qu’elle serait incarnée dans l’objet – sa valeur « historique » ou « d’ancienneté » selon Riegl- ; ou bien est-elle sociale, c’est à dire indexée aux discours, aux pratiques et aux imaginaires des acteurs sociaux – sa valeur de « remémoration » disait-il ? La réponse n’est pas simple car elle renvoie aux épistémologies de chacun : si pour le sociologue ou l’anthropologue c’est la position de l’acteur – des acteurs devrions nous dire- qui fait le patrimoine, au risque de l’erreur historique et de l’amalgame, pour l’historien, pour l’archéologue ou pour l’expert, l’objet patrimonial reste attaché avant tout à l’histoire, aux traces. Pour les premiers, son authenticité, comme dirait Jean Louis Tornatore, réside dans l’affection que lui portent les gens, dans l’émotion qu’il suscite en eux, dans les expériences concrètes qu’ils mettent en œuvre. Pour les seconds, elle est dans sa véracité, l’objet patrimonial devant « faire preuve » des discours qui sont tenus. Il est souvent une autre forme de l’archive, consultable en 3D5. Plus qu’un objet d’étude, il est un objet pour l’étude. C’est aussi l’une des ambigüités de l’œuvre gigantesque de Pierre Nora qui est, d’une certaine façon, le grand exemple d’un travail à la fois encyclopédique et scientifique sur le patrimoine d’une nation : la multiplication de monographies, parfois brillantes, des Lieux de mémoire montre bien qu’il y a concordance entre l’affaiblissement de l’idée de nation et l’emballement mémoriel et patrimonial ; mais pour autant il ne nous dit pas ce qu’est l’objet patrimonial et mémoriel dans un monde qui semble muter si rapidement. Il ne nous dit pas, par exemple, comment le patrimoine et la mémoire expriment aujourd’hui la polyphonie des sociétés, de nouveaux « régimes de partage visant à rendre appropriables par un public des expériences propres, c’est-à-dire célébrées pour leur authenticité » (Tornatore 2009 : 45), des « communautés d’expérience » qui font de l’activité patrimoniale l’instrument de « luttes pour la reconnaissance » (Tornatore 2009 : 46). 7 C’est pourtant bien ce qui semble se jouer aujourd’hui en Turquie : à travers les monographies, les inventaires de lieux de cultes, de maisons vernaculaires ou de pratiques qui pourraient justifier d’être inscrites sur les listes de l’Unesco, ces études rendent compte de la complexité de la société turque, avec ses groupes sociaux entrant dans des stratégies de reconnaissance et les politiques patrimoniales de l’État qui évoluent avec les régimes politiques, relisant le passé au gré des idéologies du moment, instrumentalisant telle tradition kurde ou sanctuaire chrétien, voire même invisibilisant les traces du passé arménien de l’Anatolie. L’approche située, expérientielle du patrimoine, qui tentent d’embrasser les pratiques des acteurs, les politiques publiques et les normes patrimoniales, mais aussi les émotions, les imaginaires et la variabilité des interprétations, est probablement le moyen de résoudre la série d’équations entre valeur intrinsèque et valeur extrinsèque, entre approche compréhensive et localisée et approche globale, entre valeur locale et valeur universelle. 8 Cependant la chose n’est pas simple à bâtir. De nombreux textes institutionnels et officiels, y compris à l’Unesco, continuent de défendre l’idée que les valeurs patrimoniales seraient intrinsèques aux objets, que les caractéristiques matérielles des objets patrimonialisés ne devraient pas être modifiées, et qu’ils devraient pouvoir être appréciés par tous et chacun, indistinctement des appartenances culturelles ou sociales

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(Labadi 2013 : 148). Mais cette conception idéaliste du patrimoine fait peu de cas de l’évolution des contextes historiques et sociaux, elle détache l’objet patrimonial de son environnement et des interprétations concurrentes dont il peut être l’objet. “This excludes, de facto, the possibility of drawing a comprehensive statement of significance that would take into account wider sociocultural values and considerations, in particular values attributed by the local communities (…)” (Labadi 2013 : 148). Il est donc essentiel, chaque fois, de revenir au terrain pour éviter les contresens sur l’universel et le particulier, cette tarte à la crème des études culturelles contemporaines. C’est probablement l’apport le plus important de ces deux volumes : on n’y parle pas du patrimoine turc « en général » ou dans le vague, selon le point de vue abstrait et déréalisé qui est souvent valorisé dans les essais qui fleurissent régulièrement sur les étals des librairies, mais de patrimoines situés, qui se vivent dans l’expérience et la confrontation, dans la contestation et la défense d’intérêts qui peuvent être divergents : à l’inverse du lieu commun universalisant, le patrimoine peut aussi être synonyme de fractures, de luttes, de manipulations que certains groupes réfutent et contre lesquelles ils se battent. 9 Un dernier point pour boucler cette postface – mais bien sûr ce n’est pas une conclusion. Le patrimoine pose la question du « peuple », de la « communauté » qu’elle soit ou non nationale. Il pose aussi, en Turquie comme dans de nombreux pays qui ont connu des échanges de population, la question du territoire et de son lien avec une population. Qu’est-ce qu’un patrimoine grec ou arménien en Turquie quand les uns et les autres ont été chassés du territoire turc ? Plus précisément, qu’est-ce qu’un patrimoine en Turquie, sur le sol turc, pour les Grecs de Grèce ou les Arméniens de la diaspora ? Ou pour les Alévis d’Allemagne ? Rarement documenté dans les travaux francophones, c’est un point heureusement bien présent ici. On pourrait aussi prolonger la réflexion, sortant du cadre proposé ici, sur ce que peut être le patrimoine turc (ou plutôt, pour le coup, ottoman) dans les Balkans et particulièrement en Bulgarie ? La Bulgarie, où environ 10 % de la population se réclament d’un héritage ottoman, où la ville de Plovdiv avait, dès les années trente envisagé la protection de certaines maisons de ville étrangement proches, dans leur aspect extérieur et dans leur architectonique, aux Turkish houses présentées ici, et où, mieux encore, le quartier de Kanapa, reconstruit au début du 20e siècle, fut l’objet d’un plan de sauvegarde fondé sur la préservation du tracé « ottoman » de ses rues (Krastanova et Rautenberg 2005). C’est ainsi, à nouveau, mais d’une autre manière, en transgressant les frontières politiques, la question du lien entre nation et patrimoine qui est posée. On devine que la question déborde les politiques publiques : comme le montre bien le récent ouvrage de Bianca Botéa sur le patrimoine et l’identité en Transylvanie, parmi les acteurs de la patrimonialisation, on trouve aussi des groupes d’érudits, d’intellectuels et d’activistes qui œuvrent en faveur de formes de patrimonialisation « nationales » ou « transnationales » au-delà des frontières politiques. Ce que montre aussi cet ouvrage, c’est que le patrimoine tant « roumain » que « hongrois » de Transylvanie, région frontière par excellence entre les mondes catholique/protestant à l’ouest, et orthodoxe/musulman à l’est, s’est défini, entre autres critères, en vis-à-vis des influences culturelles ottomanes. Le patrimoine, même national, ne peut pas se comprendre à partir d’une observation strictement interne, endotique. Sa compréhension passe aussi par un regard plus large qui réinscrit les patrimoines nationaux dans les interactions qu’ils ont avec d’autres.

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BIBLIOGRAPHIE

Bandarin, Francesco, 2012, « Notes d’ouverture », Le patrimoine, oui, mais quel patrimoine ? International de l’imaginaire, nouvelle série, numéro 27, Paris, Babel, p 23-40.

Botéa, Bianca (2013) Les territoires de mémoire. Expériences de coexistence et de négociation en Transylvanie, Paris, Éditions Petra

Gravari-Barbas, Maria, (dir.) (2014), Atelier de réflexion prospective Nouveaux défis pour le patrimoine culturel. Rapport final. Synthèse des travaux du consortium PA.TER.MONDI, Paris, EIREST, Université Paris 1, Agence Nationale de la Recherche. URL: http://www.agence-nationale-recherche.fr/ fileadmin/documents/2014/ARP-PACT-Rapport-final.pdf

Harrison, Rodney (2013), Heritage. Critical Approaches, NY, London, Routledge

Krastanova, Krassimira ; Rautenberg, Michel (2005) « Réinterprétation du passé et imaginaire urbain. Patrimoine architectural, politique culturelle et peinture figurative à Plovdiv, Bulgarie », Balkanologie, VIII (2), pp. 33-54. URL: http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00371587

Labadi, Sophia (2013) Unesco, Cultural Heritage, and Outstanding Universal Value, Altamira Press

Poulot, Dominique (2006), Une histoire du patrimoine en Occident. XVIIIe – XXIe siècle, Paris, PUF

Tornatore, Jean-Louis (2009), « L’espace de la mémoire, une approche anthropologique ou comment dépasser le concept de “lieu de mémoire” », in Benoît Majerus, Kmec, Michel Margue et Pit Péporté (dir./Hrsg.) Dépasser le cadre national des « Lieux de mémoire » / Nationale Erinnerungsorte hinterfragt. Innovations méthodologiques, approches comparatives, lectures transnationales / Methodologische Innovationen, vergleichende Annäherungen, transnationale Lektüren, Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, Éditions Peter Lang, p. 33-48.

NOTES

1. International Journal of Heritage Studies, “Special Issue: Transformations, transactions and technologies: New directions in Pacific heritage”, vol 21, issue 2, 2015. URL: http:// www.tandfonline.com/toc/rjhs20/21/2#.VNHhQOaYeUk 2. Le numéro 226/227, paru en 2006, était consacré à l’Afrique, et le numéro 248, en 2014, portait l’intitulé suivant : « Haïti, patrimoine culturel et refondation ». 3. Citons par exemple la revue suisse d’anthropologie, Tsantsa dont le volume 19, en 2014, comprend un dossier intitulé : « Patrimoine culturel - constitutions, conflits et conventions », mêlant des articles sur la Chine, la Suisse, l’Espagne et le monde méditerranéen. 4. Apportons cependant une réserve : face au modèle français fondé sur l’histoire et le monument, qui inspira longtemps les instances internationales, un autre modèle, germanique et privilégiant la langue et le folklore dans la constitution des identités nationales, s’est développé largement dans l’est et le centre de l’Europe. Étrangement, ce modèle est rarement évoqué alors que les conceptions actuelles du patrimoine de l’Unesco s’en rapprochent sensiblement. 5. Bien évidemment, cette polarité est loin de structurer si clairement le champ de la recherche : bien des historiens et archéologues défendent l’idée d’un patrimoine essentiellement social et situé, comme Rodney Harrison (voir bibliographie) ; à l’inverse bien des chercheurs en sciences sociales restent attachés à une conception objective du patrimoine (pensons, par exemple, aux travaux pionniers, en France, de Yvon Lamy).

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AUTEUR

MICHEL RAUTENBERG

Université Jean Monnet Saint-Étienne, Centre Max Weber

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