DOSSIER PEDAGOGIQUE

Canons de Patrick Bouvet projet et mise en scène de Constance Larrieu et Richard Dubelski

du mardi 27 au vendredi 30 mars 2011 Création

Dossier pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, professeur du service éducatif : [email protected], sur des conseils de Constance Larrieu Contacts relations publiques : Margot Linard : [email protected] Jérôme Pique : [email protected] de Patrick Bouvet projet et mise en scène Constance Larrieu et Richard Dubelski

avec Fanny Fezans Stéfany Ganachaud Constance Larrieu vidéo Jonathan Michel musique Richard Dubelski

production Comédie de Reims

sommaire

LE PROJET ARTISTIQUE Notes d’intention page 3 Entretien avec Constance Larrieu page 5 Photographies des répétitions page 11 Pour aborder les trois « femmes-personnages » page 9 La femme contemporaine lectrice de magazines page 12 La jeune actrice page 15 La performeuse page 15 CANONS de Patrick Bouvet Biographie de Patrick Bouvet par Patrick Bouvet page 17 Entretien avec Patrick Bouvet page 18 Extraits de Canons page 23 Histoire des arts L’Art performance page 25 Marina Abramovic page 25 Matthew Barney page 26 L’EQUIPE ARTISTIQUE page 27 Bibliographie, Vidéographie, Sitographie, Discographie page 31

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LE PROJET ARTISTIQUE

Notes d’intention

Ce qui nous intéresse chez Patrick Bouvet c’est cette langue musicale, particulièrement rythmique, construite comme une succession de séquences sonores qui seraient entendues une première fois dans le bon ordre, et ensuite coupées et montées différemment afin de créer des sens nouveaux. Ensuite au-delà de la langue, il y a bien sûr les figures contemporaines qu’elle expose, à travers lesquelles les medias jouent un rôle important en mettant en scène le présent, comme pour radiographier notre temps.

Notre projet s’articulera autour du recueil Canons, dans lequel on trouve trois femmes aux prises avec les canons de la beauté, se demandant comment s’y prendre pour exister. Soumises ou rebelles ? Elles savent que l’apparence a toujours le dernier mot.

La femme contemporaine, lectrice de magazines, est confrontée au paraître de notre temps, aux méthodes de développement personnel et à la construction de soi-même par les autres. Elle se construit une identité par procuration sans réaliser qu’elle ne parle pas réellement et singulièrement, mais que ça parle à travers elle, puisqu’elle régurgite sans cesse des slogans publicitaires et des conseils de coaching inadaptés à son propre corps.

La jeune actrice se raconte de l’intérieur et nous confesse ses difficultés à vivre en étant toujours exposée aux yeux du monde. Malgré son discours fortement nourri des clichés du métier et de ce qu’il peut avoir de superficiel et de rebutant, nous souhaiterions la prendre au sérieux et lui trouver également une vraie crédibilité, aussi pour transmettre un point de vue critique sur notre propre métier, qui n’a souvent rien à voir dans la réalité avec l’image qu’en donnent les médias !

La performeuse, troisième femme de Canons, utilise son corps comme matériau, comme champ de bataille parfois, mais aussi comme toile reflétant sa vision du monde. Elle donne à voir des vidéos d’elle-même dans lesquelles son corps devient un objet qu’elle expose, manipule, met en scène afin de transmettre des messages politiques, placarder des informations et clamer son identité. Elle joue également avec sa présence sur le plateau en temps réel puisque tout l’intérêt de ses interventions réside dans l’importance d’exploiter divers modes d’expression pour atteindre, déranger et questionner le public. Nous travaillerons donc à partir de propositions qui seront parfois liées à ses propres vidéos projetées au dessus d’elle sur un écran vertical prolongeant son corps, parfois différentes et constitutives d’autres performances réalisées dans l’instant du spectacle et pour le public. Nous ne sommes pas sans ignorer l’histoire de la performance au sens large du terme,

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Patrick Bouvet non plus et conscients de tous les clichés que cela peut véhiculer au théâtre, nous nous nourrirons donc - avec distance et humour - d’images, de références éventuelles (Marina Abramovic, Matthew Barney, La Ribot…) pour mieux comprendre cet archétype de femme moderne que représente la performeuse.

Ces trois récits de femmes aux prises avec leur être et leur corps ne s’alterneront pas comme trois monologues, mais « dialogueront » entre eux. Le dispositif sera frontal et assez simple : un espace pour chaque femme, mais qui constituera une sorte d’à plat à première vue, (comme une double page de magazine), pour le public qui sera directement confronté à ces femmes puisqu’il n’y aura pas de quatrième mur. Ceci permettra donc au spectateur d’avoir une vision linéaire (un monologue, un espace sur lequel focaliser) mais également une vision parallèle qui mettra en relation chaque femme l’une par rapport à l’autre. Nous chercherons, par exemple, comment l’actrice peut être dans une action corporelle liée à son parcours pendant que la lectrice de magazines se livre, afin de trouver ce dialogue des corps et des mots sans pour autant se priver de mettre également du corps dans les mots.

Ainsi les thèmes inhérents à chaque femme seront développés et exploités au plateau de façon à créer du lien avec les autres discours, à inventer du jeu dans un espace défini et isolé pour chacune, mais permettant une polyphonie de gestes, une sorte de hors-champ mais à vue pour celle qui ne parle pas, mettant en relief le discours de l’autre, cherchant à lui faire écho.

Nous envisagerons les corps des comédiennes comme un seul corps musical, par un travail gestuel de réponses possible entre elles, de motifs repris, de postures communes mais réalisées dans des temps différents ou bien encore de répétitions. Nous pensons qu’il peut être intéressant de travailler sur une forme qui suit celle de l’écriture dans ce qu’elle explore de la contamination : d’une phrase à l’autre, d’un motif à l’autre, d’un corps à l’autre et donc d’une femme à l’autre.

Nous poserons alors comme point de départ les questions suivantes : qu’est-ce qui se répond d’un archétype de femme à l’autre ? Quelles similitudes entre ces femmes ? Ont-elles des aspirations communes dictées par la société moderne ? Quel est leur lien à leur identité propre ? Se construit-on à partir des autres ? Peut-on prendre un modèle pour exister ? C’est là encore l’idée du cliché, des phrases toutes faites et extérieures qu’elles reprennent à leur compte pour tenter de se les approprier et de devenir quelqu’un, soi-même ou une autre prise pour modèle. À partir de la construction musicale de la langue de Patrick Bouvet nous souhaiterions de surcroît composer un contrepoint musical qui serait joué sur des objets quotidiens – journaux, accessoires de maquillage, accessoires sportifs, costumes… - faisant partie de l’environnement sonore réaliste de chacune des trois femmes de façon à déterminer des espaces sonores différents qui ensuite pourraient coexister, voire s’affronter. Chaque monde essaierait ainsi de cohabiter jusqu’à un éventuel « chaos sonore » évoquant la multiplicité des informations, des voix médiatiques ou des slogans, impression que le

4 lecteur peut avoir à la lecture des textes de Patrick Bouvet. Ainsi, cette construction rythmique se superposant au texte fera naître une musique jouée sur ces objets utilisés comme des instruments dans laquelle l’interprète « soliste » sera son propre accompagnateur. En parallèle de cette partie musicale plutôt « artisanale », nous souhaitons ajouter des sons concrets extérieurs à des moments bien précis et surtout pour le personnage de la performeuse, qui créeront un effet de réel, un environnement concret mais détaché de ce qui se passe sur le plateau, ou encore une vraie chanson mélodique pour le personnage de l’actrice qui tente de se raconter musicalement comme cela se fait beaucoup actuellement (nous pensons à Scarlett Johansson, …).

Pour certains moments, nous souhaiterions éventuellement aussi explorer les voix des actrices enregistrées au préalable. Nous voudrions enfin tenter divers traitements possibles de la vidéo, qui jouerait, en plus des séquences filmées de la performeuse comme un contrepoint, cette fois-ci visuel, à ces trois personnages, […].

Richard Dubelski et Constance Larrieu, janvier 2011

Entretien avec Constance Larrieu

Maxime Contrepoix : Comment as-tu découvert l’œuvre de Patrick Bouvet ? Constance Larrieu : J’avais lu ses premiers textes : In situ, Shot et puis Direct qui traite du 11 septembre et qui est l’un des plus marquants. J’ai rencontré Patrick Bouvet il y à deux ans à l’occasion d’une performance réalisée à la Comédie en partenariat avec le FRAC Champagne- Ardenne. C’est après avoir assisté à la lecture de Direct que je suis allée lui parler. Je lui ai très simplement exposé mon envie de travailler à la mise en scène d’un de ses textes: Canons, que j’avais découvert par hasard deux ans plus tôt et sur lequel j’avais immédiatement eu envie de travailler. À la suite de quoi j’ai lu toute l’œuvre de Patrick Bouvet. Et puis j’ai décidé de lui écrire, et de fil en aiguille nous nous sommes mis à dialoguer autour de son travail. Il a donc été très vite d’accord pour que je m’attèle à l’adaptation scénique de Canons.

M. C. : Qu’est-ce qui t’a donné aujourd’hui l’envie de monter ce texte ? C. L. : C’est tout d’abord la question du rapport à la femme qui m’intéressait et l’importance qu’elle doit attacher à son apparence, malgré elle, dans la société actuelle. C’est une chose omniprésente dans notre vie quotidienne et dans notre métier. Comment est-il possible de ne pas rentrer dans des rapports de séduction ou des rapports faussés par l’image que l’on a de soi, que les autres ont de nous, que l’on a des autres ?

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En tant que comédienne on ne peut pas se soustraire à l’obligation de maîtrise de cette image, de son image, et en même temps il faut pouvoir se défaire complètement de l’idée que l’on peut avoir de soi-même, souvent réductrice, et qui enferme. La forme de Canons m’intéressait aussi parce qu’elle pose la question des slogans. C’est quelque chose de terrifiant la façon qu’ont les slogans de s’imprimer en nous presque comme des images subliminales. Il m’arrive, la nuit, d’entendre des voix formatées – alors que je n’ai pas de télé -, des voix de publicité ou des voix typiquement radiophoniques. Le problème du formatage me semble beaucoup lié à la femme telle qu’elle est donnée à voir dans notre société donc c’est forcément quelque chose qui me touche. Comment fait-on pour exister sans nécessairement se conformer aux modèles placardés partout, aux mannequins qui font références, aux archétypes de femmes modernes qu’on nous somme de devenir, malgré nous ? Ce qui est fort dans Canons, c’est que ça ne part pas de l’intimité mais ça y revient. D’une certaine façon, c’est un texte qui permet l’appropriation et l’assimilation d’une parole quasi caricaturale. Cette parole brode un tissu de clichés et pourtant contient tout de même quelque chose de nous. C’est une parole qui nous atteint et nous constitue profondément même si elle parle par la voix d’autres, sur un mode ventriloque. Ça appelle une remise en question au sens où on se demande alors quels sont nos véritables choix, ceux qui ne sont pas induits par les multiples diktats. Pourquoi est-ce que je m’habille comme ça ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas sortir sans être maquillée ? Plus largement, Bouvet parle de la question du corps et du rapport au corps. De ce qui nous pousse inconsciemment à entrer dans des logiques de maltraitance du corps. Je suis très sensible à ça. Tu as par exemple différents types de comédiens. Des comédiens qui vont s’échauffer doucement, qui vont être à l’écoute d’eux-mêmes, et puis d’autres qui vont faire du sport en salle jusqu’à l’épuisement, pour se transformer physiquement. Je ne suis pas une adepte des salles de sport parce que je ne comprends pas que l’on puisse accepter de répéter inlassablement un même mouvement quasiment comme si on était à l’usine. On n’est pas vraiment à l’écoute de son corps dans ce cas précis : on répète le même mouvement sur de la musique qui influence le tonus et empêche d’être entièrement à ce qu’on fait parce qu’il vaut mieux ne pas trop y penser, sinon on s’ennuie, on cherche à se « faire des muscles », à perdre tant de kilos etc. Le problème c’est que ce n’est pas vivant. Se pose alors la question de savoir comment on peut faire du sport, rester à l’écoute de son corps et de l’espace extérieur sans se laisser embarquer par des systèmes. Et puis au-delà de ça, essayer de ne pas être seulement intéressé par son corps évidemment, mais voir comment les corps interagissent entre eux.

M. C. : De ce que j’ai compris, les canons de beauté sont personnifiés ici par trois femmes différentes ? C. L. : Oui, dans le texte on trouve trois archétypes de femmes. La première est une jeune actrice de cinéma – précision qui a son importance puisque sa visibilité n’est pas du tout la même que celle d’une comédienne de théâtre. Elle est à la fois une égérie – comme les actrices actuelles qui signent des contrats avec de grandes marques -, une femme

6 capable de créer une ligne de mode – on l’imagine lançant des produits dérivés pour du coaching ou du développement personnel, mais aussi une actrice qui se veut capable de jouer tous les rôles : « je suis à la fois une femme sensible, à la fois une guerrière… ». Elle symbolise cette nécessité qu’ont les femmes aujourd'hui de ne pas représenter qu’un seul archétype, mais plusieurs femmes en même temps (femme fatale, femme-enfant, femme de tête, femme sensible, femme-forte…etc). La deuxième figure de Canons est une lectrice de magazines qui au premier abord pourrait être considérée comme une victime. Elle est complètement phagocytée par ses lectures - ou en tout cas on l’imagine comme ça puisqu’elle ne parle à aucun moment des rencontres qu’elle fait. Elle s’identifie aux modèles de femmes qui lui sont présentés dans les magazines qu’elle lit, seule chez elle, et régurgite les slogans qu’elle avale à longueur de lignes. Ce qui constitue son identité, ce sont exclusivement des voix et des corps extérieurs à elle. Et puis à la fin du texte elle deviendra une sorte de « working girl », c’est-à-dire une femme qui en se prenant en main va reprendre le contrôle de sa vie. Et enfin la troisième est une performeuse féministe qui travaille à partir de références artistiques et politiques, à la fois pour se construire une identité mais aussi pour « choquer » un public néophyte. D’une certaine manière, elle re-acte des performances historiques qui ont marqué les années 70 (comme par exemple celles de Marina Abramovic). La formulation n’est pas exactement celle-ci dans le texte, mais ça ne semble pas aberrant de partir de ce point de vue quand on sait que Patrick Bouvet s’est beaucoup intéressé aux arts plastiques et à tout ce mouvement-là. D’ailleurs, dans d’autres recueils, il cite explicitement des performances ayant véritablement eu lieu. Mais pour en revenir à la performeuse de Canons, elle ne se prive pas non plus d’inventer elle-même des mini- performances, conçues dans l’optique de bousculer le public. Elle souhaite que les femmes cessent d’être influencées par les médias et qu’elles réagissent. C’est en quelque sorte la finalité politique de son art ; finalité qui dans le texte prend une autre dimension car cette parole féministe n’est pas seulement autocentrée, elle s’adresse aussi bien évidemment aux hommes et au regard qu'ils portent sur les femmes !

M.C. : Finalement toutes les trois, même si c’est d’une manière différente, tiennent un discours politique. C. L. : Patrick Bouvet travaille toujours à des questions politiques, et entre autres à l’influence que peuvent avoir les médias sur nos consciences, sur nos modes de vies et sur les individualités. La parole intime n’existe quasiment plus. C’est aussi ça qu’il nous dit à travers ces trois femmes-là. C’est très compliqué d’avoir une parole qui nous appartient en propre puisque la plupart du temps c’est une parole qui a déjà été mâchée, remâchée, ressassée. Finalement, c’est comme si les phrases que l’on faisait n’étaient que des agrégats de phrases entendues. C’est horrible parce que c’est comme si ça nous rendait incapable de produire une pensée.

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M.C. : Qui plus est dans une société ou l’intime tend à devenir public… Tu parles aussi dans ta note d’intention de « langue musicale » à propos de l’écriture de Patrick Bouvet et évoques l’envie de créer, grâce à des objets quotidiens, un contrepoint à celle-là. Comme souvent dans ton travail, la musique et le théâtre semblent indissociables. Est-ce que tu veux nous dire un mot, par le biais de Canons, de ce qui fonde pour toi cette nécessité ? Constance : La première chose, c’est qu’au départ Patrick Bouvet est un musicien, un rockeur. Il a donc beaucoup travaillé sur le sampling et sur le collage musical en prenant des motifs qu’il enregistrait et qu’il agençait en boucle dans des phrases musicales différentes pour créer ses morceaux. C’est un principe encore très utilisé dans le rock, (ne serait-ce que par Rodolphe Burger par exemple). Par la suite, Bouvet a décidé de transposer cette méthode musicale à son écriture pour donner à percevoir ce monde répétitif dans lequel on vit et qui fait de nous des êtres obsessionnels. Direct, son texte qui parle du 11 septembre, part justement du constat qu’on voit les mêmes images des centaines de fois, si ce n’est plus. L’idée que reprend Patrick Bouvet est celle qui consiste à dire qu’en agençant ces images dans un nouvel ordre, on peut leur donner un sens nouveau. Son écriture est justement le médium qui doit permettre de retravailler un motif pour en faire un autre. C’est pour cela qu’il utilise les mêmes mots pour faire des phrases différentes ; pour que le sens se décale.

M. C. : Il y aurait donc un re-jeu des mêmes scènes ? C. L. : Il faut d’abord préciser que ce ne sont pas des scènes mais des monologues. En fait, Bouvet n’écrit pas du théâtre ; ça relève à la fois de la poésie, du collage,… Dans Canons, ce sont trois monologues qui s’entrecroisent. Il peut arriver qu’un motif tissé par une des femmes soit repris par une autre, mais ce ne sont jamais les mêmes « scènes ». Il y a donc l’idée d’utiliser la rythmicité – plus que la musicalité – de la langue car ces motifs appellent des temps. D’autre part, la mise en page singulière du texte demande aussi de s’astreindre à un rythme particulier. Tout comme Patrick Bouvet, nous avons alors décidé d’utiliser la technique du sampling vocal. L’idée est la suivante : utiliser cette méthode, mais sans instrument. Par exemple quand je joue le personnage de la lectrice de magazine, j’ai à charge de produire des voix de slogans, alors chaque fois qu’un même mot revient je le joue sur la même note, presque comme si c’était enregistré. Un peu comme si j’appuyais sur un bouton qui faisait dire à ma voix toujours le même mot sur la même note. Sauf que parfois ce même mot n’arrive que trois pages plus tard. C’est donc un véritable travail musical. C’est comme si on définissait une fois pour toute une tonalité pour un slogan, pour un mot. C’est donc la même tonalité qui peut réapparaitre toutes les dix pages. Ça c’est la première chose. Ensuite, on crée un contrepoint musical avec des objets, une sorte de musique bruitiste. Pour rester sur l’exemple de la lectrice, ça se fera sans doute avec des magazines. Le principe est donc de trouver comment je peux faire exister la parole de la lectrice de magazine tout en créant une partition musicale avec l’objet fétiche qu’elle manipule le plus et dont elle ne peut se séparer. Avec le compositeur et co-metteur en scène avec qui je travaille – Richard Dubelski –, on a cherché à écrire toute une partition de tournure de pages. Est-ce que si je déchire une page

8 rapidement ou lentement ça raconte quelque chose ? Il faut toujours que ça raconte quelque chose ; on ne veut absolument pas faire quelque chose de formel. Richard compose donc pour le spectacle une musique en parallèle du texte, mais qui doit pouvoir le porter, l’accompagner. D’autre part, il a aussi écrit la chanson qui ouvre le spectacle à partir d’un autre texte de Patrick Bouvet qui a avoir avec le personnage de l’actrice et qui s’intitule : « machine célébrité ». L’actrice chante cette chanson au début du spectacle. […] Richard a aussi composé une chorégraphie pour machines de sport : un stepper, une corde à sauter et une machine appelée « David Douillet » sur laquelle tu peux faire des rythmes avec tes jambes. Cette chorégraphie est donc aussi écrite musicalement : c’est-à-dire tant de fois la corde à sauter sur tel rythme, tout cela avec le stepper en même temps au tempo 110 etc. Ce sont des choses qui ne sont pas données dans la pièce mais que nous avons construites nous- mêmes pour relier ces femmes qui toutes trois travaillent leur corps, mais absolument pas avec le même appareil. Et puis pour ce qui est de mon rapport à la musique… Comme Patrick Bouvet je viens de la musique puisque j’ai fait du violon et du chant avant d’en venir au théâtre. Je n’arrive pas du tout à dissocier cette pratique musicale du théâtre parce que je me rends compte qu’en tant que spectatrice, ce qui m’intéresse ce n’est pas tellement l’histoire qui va se raconter, mais la façon dont elle va se raconter. Comment ça va me toucher. Comment le son peut être un vecteur d’émotion. Même dans la vie, la voix des gens ou leurs inflexions de voix m’importent davantage que ce qu’ils peuvent dire. Ce n’est pas que je ne prête pas attention aux mots, mais en tout cas je suis très sensible au rythme et à la musicalité des mots, aux modulations et aux accents. Ça vient sans doute du fait que je m’intéresse à la poésie sonore depuis longtemps. Tout ce courant me nourrit beaucoup pour mon travail. Après, comme comédienne, c’est vrai que j’ai un rapport au texte assez musical, assez rythmique. Je me demande toujours quelle sonorité se dégage des phrases, de la poésie d’un texte, comment il faut respirer tel ou tel auteur…

M. C. : Est-ce que tu voudrais nous dire un peu quelle forme va prendre le spectacle ? C. L. : Je ne voulais pas proposer une mise en scène qui rende le texte plus intelligent qu’il ne l’est parce qu’il comporte des répétitions, il est parfois même un peu bavard… A l’image d’une page de magazine, j’ai souhaité montrer ces trois femmes côte à côte, dans un rapport frontal au public. Elles voient le public, le public les voit. Il n’y a pas de quatrième mur. Je voulais aussi que le spectateur puisse avoir accès à tout dès le départ. Elles sont toutes les trois toujours là. Parfois, pendant que l’une parle l’autre peut bouger, ou pas. Elle peut prendre des poses comme dans les pages de mode. J’ai parfois souhaité créer du lien pour que le spectateur n’ait pas nécessairement à regarder une seule chose à la fois, et à d’autres moments, au contraire, j’ai resserré l’image pour que le regard et l’attention se concentrent. Ce qui nous importait c’est de présenter trois univers très différents – aussi en termes d’éclairage. La performeuse est au centre, il y a un écran au-dessus d’elle - qui est un 16/9 inversé c’est-à-dire en vertical et qui est comme un prolongement d’elle-même – sur lequel sont projetées les images que nous avons inventées à partir du texte. Comme je te le disais tout à l’heure, il y a aussi du direct

9 puisqu’elle joue avec la vidéo et sa propre présence en live lors de ses performances. On n’a pas du tout utilisé son monologue en tant que texte écrit pour être dit. On s’en est servi comme d’un scénario : il est à la fois prétexte à lui faire faire des choses, mais aussi matériau à partir duquel on a produit des petites vidéos. Ce texte nous laisse libres d’écrire ou de procéder à des ajouts. En ce qui concerne l’espace, c’est très épuré. Mis à part l’écran, c’est assez abstrait, théâtral, lieu de performance où l’on ne crée pas quelque chose de réaliste. Pour la lectrice c’est davantage réaliste. L’idée c’est qu’elle soit chez elle, enfermée jusqu’à ce qu’elle devienne une « working girl ». C’est donc un espace plus intimiste. Pour l’actrice, on s’est dit que ce serait comme une sorte de plateau de tournage. Il y a un énorme panneau avec sa tête en gros plan, sa machine de sport, ses costumes et accessoires, et un projecteur de cinéma.

M. C. : Malgré tout ce qu’on s’est dit, ce texte, ne serait-ce que par le principe d’écriture qui a présidé à son établissement, tisse des liens entres les trois protagonistes. Il parle donc aussi du rapport qu’entretiennent les femmes entre elles ? C. L. : C’est vrai que dans son propos comme dans le mien, ce qui est important c’est le rapport entre les femmes. Il y a quelque chose qui me terrifie au quotidien, c’est de voir à quel point les femmes ne sont pas solidaires entre elles. Oui, il y en a parfois qui se disent féministes, mais la plupart sont assez dures les unes envers les autres. En tant que comédienne, je me rends compte de la dureté du regard qu’une femme pose sur une autre. Pour ma part, je ne suis pas du tout dans une logique de concurrence parce que je trouve que la position de la femme dans le monde du travail et dans la société est déjà assez complexe comme ça. Ce n’est pas toujours simple. Ne serait-ce que pour ce qui est de la question de la séduction. Est-ce qu’il faut rentrer dans un rapport de séduction ou pas ? Au moins, entre femmes, c’est une question à laquelle on peut plus facilement se soustraire, ou que l'on peut se poser ensemble, en équipe, en miroir ! C’est une chose importante dans Canons. Ces trois femmes-personnages n’ont pas de rapport entre elles, mais ça traite tout de même de la violence qu’elles peuvent nourrir l’une à l’égard de l’autre. On retrouve par exemple une scène de violence impulsée par la performeuse à l’encontre des autres femmes.

M. C. : Formellement, c’est aussi quelque chose que tu mets en scène puisque tu scindes l’espace en trois couloirs où chacune n’a d’autre préoccupation que le rapport à soi. C. L. : Oui, complètement. Elles ne communiquent jamais directement entre elles. Et c’est l’occasion de souligner leur dimension d’archétype.

Entretien réalisé par Maxime Contrepoix à la Comédie de Reims, le 14 décembre 2011

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Photographies des répétitions mars 2012

La_femme_contemporaine_lectrice_de_magazines@Charlotte_Kieffer

La_jeune_actrice@Charlotte_Kieffer

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La_performeuse©Charlotte_Kieffer

Pour aborder les trois « femmes-personnages » La femme contemporaine lectrice de magazines Un article La femme moderne selon les magazines féminins Nymphomane, superficielle, ultra-consommatrice, la femme vantée par la presse féminine fait peur à voir.

- La Une de Marie Claire de Mars 2011 -

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Pour un garçon, partir en vacances avec une fille implique deux choses: 1) supporter ses interminables séances de bronzage et 2) en profiter pour feuilleter les magazines féminins qui traînent sur le coin de sa serviette. Une lecture appréciée de la plupart des mâles, quoiqu'ils en disent: sous prétexte de se moquer de leurs traditionnels psycho-tests, c'est l'occasion de se rincer l'œil en douce (tous les mecs savent qu'il y a bien plus de demoiselles à poil dans Elle que dans n'importe quel FHM). Mais ça permet aussi de se mettre activement à la place d'une fille pendant quelques minutes. Et, là, franchement, quand on voit le nombre d'injonctions ultra-culpabilisantes auxquelles la gent féminine est soumise à longueur de pages, on la plaint. Ah, on nous murmure à l'oreillette que la presse féminine est simplement «frivole» et «pas prise de tête». Peut-être, sauf que si on étudie le portrait-robot de la femme moderne parfaite tel qu'il est matraqué par Glamour, Be, Madame Figaro, Grazia, Cosmopolitan ou 20 Ans, on est globalement plutôt content d'être né avec un chromosome Y et de ne pas avoir à subir la comparaison incessante avec les superwomen présentées à chaque page. Si on résume : [...]

La femme moderne n’a qu’une obsession : séduire Vous êtes grosse et moche? C'est que vous y mettez vraiment de la mauvaise volonté, vu tous les conseils beauté dont on vous abreuve. Depuis les « 20 tentations slim, saines et sun » de Madame Figaro – un article publicitaire spécial minceur vantant les mérites de différents maillots de bain, d'un gâteau aux fleurs (?), d'un illuminateur pour le corps (??) et d'un raffermisseur électronique (???) – au dossier de Grazia « Bien coiffée même à la plage! », en passant par les «10 conseils séduction pour mettre tous les hommes à vos pieds » de Marie-Claire, vous avez le choix dans les armes. Parmi les missions que s'est assignées la presse féminine, celle d'aider les femmes à se conformer aux désirs masculins semble être la principale. Point de salut hors de la validation par le regard de l'homme: pour ce faire, dépenser des fortunes en maquillage et en soins de beauté (= « astuces bien-être ») apparaît comme la solution miracle. C'était bien la peine d'inventer le féminisme. D'ailleurs certains articles, comme celui qui présente le «test du porte-monnaie» dans Glamour, enjoignent les lectrices à évacuer fissa les prétendants un peu trop progressistes au niveau de l'égalité des sexes.

La femme moderne est heureuse grâce à sa carte bleue La plupart des problèmes rencontrés par les lectrices se résolvent par la consommation. Déprimée? Anxieuse? Névrosée? Un bon coup de mascara et une bonne séance de spa, et tout reviendra dans l'ordre. La presse féminine excelle dans l'art de créer des complexes pour mieux permettre aux annonceurs, omniprésents dans ce type de presse, de leur apporter la solution miracle. Sur un numéro de Marie-

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Claire, par exemple, la pub (mode et cosmétique quasi-exclusivement) représente pas loin de 40% du contenu. Une étude TNS Sofres disponible sur le site du groupe Marie-Claire nous indique d'ailleurs que 80% des acheteuses en produits cosmétiques étaient des lectrices de la presse féminine haut de gamme. Exemple tiré de Elle : dans l’article « Un été zéro complexe », après avoir soigneusement rappelé aux lectrices tous les complexes dont elle peuvent souffrir (j’ai de grosses fesses, je suis trop petite...) et leur avoir expliqué qu'elles étaient OBLIGÉES d'en avoir car « tout le monde a des complexes, y compris Scarlett Johansson ou Angelina Jolie», le magazine leur offre le remède: un vernis à ongles pour maquiller des pieds laids, un maillot de bain girly pour celles qui n’ont pas assez de seins ou un moulant pour celles qui en ont trop (215 euros seulement). Avec à chaque item, un lien vers un site de vente.

La femme moderne se connaît elle-même : merci les psycho-tests Dans Elle ou Cosmopolitan, les différences culturelles, économiques, sociales entre les Françaises n'existent pas. Les ouvrières, les stars, les patronnes, les chômeuses appartiennent toutes au même bloc monolithique : La Femme. Quand Sophie Marceau ou Cindy Crawford sont interviewées, ce sont des femmes comme les autres, avec leurs petits soucis dans lesquels les lectrices sont censées se reconnaître. On en oublierait presque qu'il s'agit d'icônes publicitaires surmédiatisées. Extrait de l'interview de Louise Bourgoin dans le Madame Figaro de juillet : « – Votre vie a-t-elle radicalement changé ? – Non, j'ai toujours les mêmes amis d'enfance, je prends le métro, je sors très peu, je rentre régulièrement en Bretagne. Je suis si normale... c'est d'un sinistre ! Mon cas consterne Fabrice Luchini. » Ouf, nous qui pensions que Louise Bourgoin avait pris la grosse tête depuis sa carrière d'actrice. En fin de compte, le seul critère de distinction valable entre les femmes n'est pas leur niveau de revenu ni leur catégorie socio-professionnelle mais leur profil psychologique. Ça tombe bien, toute une batterie de psycho-tests permet de savoir qui vous êtes vraiment, juste en cochant quelques ronds, triangles et carrés: « Quelle séductrice es-tu? » (Lolita), « Calculez votre QI Mode-People » (Be) ou encore « Quelle croqueuse de pain êtes-vous? » (Cosmopolitan). Vous serez bien avancées quand vous saurez quelle croqueuse de pain vous êtes, au fond. Après des heures de lecture approfondie, le lecteur mâle est frappé par l'uniformité des différents titres. Tous ces journaux parlent des mêmes choses, de la même manière. A une exception près : Causette, le mensuel, dont le slogan est « plus féminine du cerveau que du capiton », est l’antithèse des féminins classiques. Il contredit point par point tout ce qui définit la femme d’aujourd’hui selon Biba ou Glamour. Causette ne pousse pas à la consommation, les filles en photo sont plus vivantes que glacées, plus natures que photoshopées. Et ne sont pas offertes : celle en couverture du numéro de l’été, tout sourire, est

14 en train de se retrousser les manches en Rosie the Riveter des temps modernes. Pour en découdre avec La Femme Elle ? Pierre Ancery et Clément Guillet, article publié sur http://www.slate.fr/story/42671/nympho-superficielle-consommatrice-femme-presse-feminine

La jeune actrice Un commentaire de Constance Larrieu

« [...] nous avons beaucoup lu et regardé les interviews de Mélanie Laurent1, de Sharon Stone etc. Il s'agit toujours de poser devant la caméra tout en disant que l'on est simple, que l'on s'amuse beaucoup, que la célébrité n'empêche pas de rester comme tout le monde, bref, ce qui est écrit textuellement dans Canons, mais c'est le principe, P. Bouvet part de fragments réels qu'il a lu ou entendu et réécrit, fait du collage à partir de ce matériau. Il faut également songer à toutes ces actrices qui deviennent aussi chanteuses2, (là encore Mélanie Laurent, Scarlett Johansson, Charlotte Gainsbourg et j'en passe), ce qui nous a donné envie de composer une chanson […] pour commencer le spectacle. (Richard Dubelski a composé une chanson sur un texte de P. Bouvet intitulé « Machine célébrité », qui ne fait pas partie de Canons mais que nous avons rajouté pour créer une ouverture de l'ordre du show, de l'icône, pour le personnage de l'actrice). » Constance Larrieu, novembre 2011.

La performeuse Des extraits de l’article sur l’Art performance de Wikipédia

La performance3 est, par essence, un art éphémère qui laisse peu d'objets derrière lui. Certains historiens de l'art situent l'origine de la performance dans la pratique des rituels ou rites de passage observés depuis l'origine de l'Homme. D'un point de vue anthropologique, la performance s'est manifestée et définie de différentes manières à travers les cultures et les âges. Selon Richard Martel, l'art performance constitue peut-être la forme artistique la plus ancienne de l'humanité. Une chose semble néanmoins claire : le corps, le temps et l'espace constituent généralement les matériaux de base d'une « performance ». [...] Les origines de la performance artistique comme on l'entend actuellement remontent aux activités du groupe Gutaï (Japon, 1954). Sur des peintures de très grand format, entailler, déchirer, mettre en

1 Voir références dans la sitographie p. 31. 2 Voir références dans la discographie p. 32 et la vidéographie p. 31. 3 Pour des exemples de performeurs célèbres : voir Marina Abramovic p. 25 et Matthew Barney p. 26.

15 pièces, brûler, projeter, lancer… sont ses mots d’ordre ; qui incluent presque systématiquement le corps de l'artiste dans l'œuvre. Celle-ci étant généralement détruite dans l'action, il ne reste donc que très peu de traces des originaux. Par contre, on retrouve en nombre des traces cinématographiques, vidéo et photographiques. [...] Dans la tradition de l'art contemporain occidental, il existe plusieurs termes désignant des types de performances se rattachant à différentes traditions. La « performance concrète », est essentiellement une action artistique comportementale entreprise par un (ou des) artiste(s), face à un public ; la « manœuvre » active une tentative d'infiltration comportementale de l'environnement par l'artiste et des objets prolongateurs ; le happening ; la « poésie-action », expression proposée par Bernard Heidsieck, l'un des fondateurs de la poésie sonore, relève de la mise en situation d'une action impliquant le texte et la présence ; la « situation construite » est une action dirigée vers le tissu social ; l’« art corporel » ou « body-art » des années 1960 et 1970 définit une pratique où les limites du corps sont mises à l'épreuve dans un cadre artistique et où l'artiste vise à expérimenter et à faire partager une œuvre dans laquelle le corps est mis en état de déstabilisation cognitive ou expérientielle. [...] À cause de leurs caractères souvent « monstratifs », faisant appel à une certaine forme de représentation, certaines performances empruntent parfois des éléments au langage théâtral. Mais leurs démonstrations, davantage fondées sur l'idée de processus, relèvent plus de situations fondées sur une structure de déroulement temporelle qu'au théâtre. Contrairement au théâtre où le temps est construit de manière purement fictionnelle, le temps et l'espace in situ constituent souvent les éléments essentiels de la pratique de la performance. Ainsi, si on la met en parallèle avec la tradition littéraire, la prose pourrait être à la poésie ce que la performance serait au théâtre. Certaines performances utilisent également des éléments théâtraux en les détournant de leurs fonctions d'origine, s'inspirant du concept de distanciation brechtienne. [...] La performance peut être un art du risque immédiat, présenté en public, d'ailleurs souvent en interaction avec les membres de celui-ci. [...] Principe de création particulier, la performance est une réponse aux modus operandi de l'art de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle, questionnant l'hypothèse de pérennité de l'objet en art et annonçant le nécessaire intérêt au processus de la réalisation, la performance rappelle que l'art n'a pas d'existence, comme toute production de l'esprit, sans l'existence de l'artiste lui-même : la vie.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Performance_(art)

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CANONS, de Patrick Bouvet Biographie de Patrick Bouvet par Patrick Bouvet P.B. prend différentes expériences de violence différentes formes de violence différents espaces de violence P.B. manipule cette violence que nous pouvons retourner contre nous-même ou renvoyer P.B. parle privé de la parole par les marchands qui accélèrent le temps qui gonflent les formes qui saturent l’espace P.B. vit différentes expériences qu’il peut retourner contre lui-même ou renvoyer P.B. écrit parce qu’il faut un temps pour exister parce qu’il faut des formes pour penser parce qu’il faut un espace pour décoller un texte après l’autre P.B. poursuit P.B. dans le réel pilonné

Repères Né en 1962. Musicien dans les années 80, il s’intéresse à la technique du sampling et du collage dans les années 90, et étend sa pratique à la littérature.

Oeuvres In situ, Editions de l’Olivier, 1999 Shot, Editions de l’Olivier, 2000 Ciel à l’Envers, Editions Inventaire/Invention, 2000 Expérience, Editions Inventaire/Invention, 2001 One Hundred Lies, photographies de Mac Adams, Editions Daviet-Théry, 2001

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Direct, Editions de l’Olivier, 2002 Client Zéro, Editions Inventaire/Invention, 2002 Chaos Boy, Editions de l’Olivier, 2004 Flashes, Editions Inventaire/Invention, 2005 De long en large, avec Pascale Fonteneau, Editions Nuit Myrtide, 2006 Big Bright Baby, DVD, production les Laboratoires d’Aubervilliers, 2006 Territory, cd + livre, Filigranes Editions & Dernière Bande productions, 2006 Canons, Editions de l’Olivier, 2007 Recherche+corps, avec Eddie Ladoire, livre + cd, Editions le Bleu du Ciel, 2008 Structure Pulsion, photographies de Takashi Homma, Toluca Editions, 2009 Pulsion Phantom, avec Julie Delpy, Elli Medeiros, Helena Noguerra, cd, Kwaidan records, 2010

Extrait du site de la collection extraction : http://www.0extraction0.net/patrick-bouvet/

Entretien avec Patrick Bouvet

Fluctuat : Tu utilises dans tes livres des références d'art moderne assez pointues comme Nam June Paik, Chris Burden, Gina Pane, Pollock, que tu combines à un style très particulier allant à rebours de l’écriture classique. Ne risques-tu pas de passer pour un érudit hermétique ? P.B : Je ne suis pas un intellectuel, j’ai plus fréquenté la rue que les bancs de l’école, j’ai travaillé très jeune, puis fait de la musique sans suivre un cursus précis. J’ai fait le choix dans Shot de parler d’artistes modernes pointus parce que leurs œuvres me renvoyaient toutes à des sensations précises constituantes de ma personne. En y regardant de près, je décris avant tout des performances ayant eu lieu à un moment donné : je dis "il y a un individu qui a fait ça en telle année" ; c’est ce qui m’intéresse, décrire un acte quelquefois passé à la trappe. Maintenant, je préfère connaître l’histoire des gens dont je parle, mais ma démarche consiste principalement à revenir sur des événements m’ayant marqué et de les transmettre avant qu’on ne les oublie. Mes références viennent de cette volonté, elles ne sont pas de la poudre aux yeux pour épater le public.

Fluctuat : Comment en es-tu arrivé à adopter cette écriture si personnelle ? P.B : Au début des années 90 j’ai commencé l’écriture de manière classique mais j’avais l’impression d’écrire de belles phrases sans réel intérêt. Aussi, voyant que je n’avançais pas, j’ai réfléchi à ce qui me touchait indépendamment de la littérature, jusqu’à me rendre compte de ce qui fonctionnait chez moi : la répétition, la mise en boucle, la mise en musique, et la technique du collage en arts plastiques. Du coup, je me suis remis à écrire en utilisant ces notions-outils. En 1994, j’ai donné un premier script resté en suspens chez un éditeur, ce qui, à défaut d’une publication, m’a encouragé à continuer mes expériences.

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Il me fallait pourtant une trame narrative sur laquelle développer ma théorie et me distinguer d’un vaste cut-up sans queue ni tête. Je me suis donc mis à collecter pleins d’articles de journaux, photos, puis les ai collés dans des cahiers, avec comme direction une interrogation sur le pilonnage incessant des médias, sujet certes rabâché, mais, voilà, nous sommes les produits d’une époque dont on ne peut se défaire. Le processus s’est alors enclenché naturellement. Découvrir une chose, se documenter afin de mieux la connaître, la garder au chaud dans un coin de la tête puis, parfois, sans savoir forcément pourquoi, la relier à un autre événement, tisser un fil avec autre chose afin d’ajouter une dimension insoupçonnée au récit. C’est un peu comme un voyage dans le temps et l’espace, un peu comme lorsque je regarde ma bibliothèque, tu vois un livre du 20ème siècle faisant écho à d’autres auteurs, puis après tu lis un essai du 18ème siècle, et enfin tu attaches le tout.

On se construit toujours sa propre histoire et celle du monde de cette manière, et c’est ce réseau cérébral que je veux retrouver dans l’écriture. Je prends une phrase qui me plaît dans un journal parce qu’elle produit quelque chose en moi, que je combine à une histoire fictionnelle qui sert de toile de fond. La confrontation donne souvent un "cadeau" à partir duquel le fil de mon histoire, plus ou moins orientée au départ, se développe plus instinctivement. Ce n’est pas systématique, mais souvent cette méthode te donne ce que tu voulais sans t’en rendre compte, car comme toi seul choisis ce à partir de quoi tu pars, les éléments que tu souhaites mettre en regard ; c’est qu’il y a forcément une idée inconsciente au fin fond de toi que tu cherches à dévoiler, à soulever. Un jour je tombe sur une performance de Chris Burden allongé dans un monte-charge avec un panneau sur lequel il a écrit "Push pins into my body", œuvre cruelle que je relie au St-Suaire de Turin, car j’avais l’impression de voir en cet artiste une sorte de Christ moderne voulant s'automutiler afin d'expier une faute. En raccordant les deux, ça donne "please my body", "rendez-moi mon corps" : il vaut mieux être un mortel avec le lot de souffrances que ça sous-entend, qu’être immatériel. Voilà un bel exemple de "cadeau".

Pour en revenir aux médias, j’en suis moi-même victime, lorsque je pense sortir une phrase personnelle on s’aperçoit après coup qu’elle est contaminée. Regarde Halloween, exemple trivial mais regorgeant de sens ; il y a 50 ans personne ne savait ce que c’était. Il y a deux ans on nous apprend que c’est à l’origine une tradition française, et maintenant tout le monde est persuadé qu’il faut le fêter. On croit avoir un avis sur les choses, la politique, la société, mais nous sommes finalement manipulés.

Mon but est de me servir du langage des médias pour révéler ce qui se cache en filigrane. Je pense à ce film où le héros met des lunettes spéciales permettant de voir tous les messages subliminaux, c’est un peu kitsch mais c’est d’une certaine manière ma démarche. Bien entendu, beaucoup de gens pensent ça, je ne suis pas le seul, et les personnes intéressées par mes livres ont sans doute déjà ce regard critique. On ne convainc que les gens convaincus, mais bon, il faut bien dire les choses telles qu’elles sont de temps en temps. J’aime considérer mes écrits comme des installations

19 dans une pièce sombre, une œuvre conduisant à cette forme d’expérience physique que représente le pilonnage médiatique. Fluctuat : Quand on lit tes livres d’une traite, on en ressort comme hypnotisé, la tête emplie d’images, en sentant que les liens que tu nous a permis de tisser entre les choses nous aident à nous abstraire du chaos médiatique, et à en saisir les motivations profondes, humaines. C’est un peu comme du shamanisme, terme que tu emploies régulièrement dans tes bouquins. P.B : Il y a deux shamans, celui de In Situ, et un chef de tribu dans Shot, deux personnages différents et magiques qui vont pouvoir se permettre ce qu’ils veulent. Dans le premier livre, cette femme armée, le shaman est le seul à la retrouver car elle vit de l’autre côté du miroir, dans les canaux vidéos. De fait, seul un shaman a cette possibilité d’aller chercher une personne dans ce monde parallèle. Cette idée m’est venue en regardant Twin Peaks de Lynch. Te souviens-tu de cette scène où David Bowie, agent du FBI, réapparaît dans le commissariat où ses collègues cherchent désespérément à élucider sa mystérieuse disparition. Il passe l’entrée sur les écrans de contrôle, tout le monde regarde la porte mais il n’est pas physiquement présent. En fait avec la femme d’In Situ, c’est pareil, les experts se penchent sur sa réalité, les écrans de contrôle, mais elle reste inaccessible dans la nôtre.

Fluctuat : Tu crois au Schaman ? P.B : Oui, surtout confronter son côté magique à un monde occidental technicien où il y a toujours des spécialistes possédant soi-disant la science infuse, cela crée une tension intéressante. Saches qu’au sein de certaines tribus, on prend le mec le plus malade nerveusement, car de part son état très faible il sera plus réceptif à la magie. C’est tout de même génial de se dire que c’est le mec le plus faible qui va, entre guillemet, sauver le monde. John Hassell a sorti un disque s’intitulant Dream Theory in Malaya, titre piqué à un livre d’anthropologue ayant étudiée la tribu des Sénoî en Malaisie. Toute leur vie s’organise autour du rêve. Un habitant rêve que son voisin se bat avec lui, va le voir le lendemain pour lui offrir un présent afin d'éviter les conflits, se faire pardonner. Tous leurs problèmes se résolvent de cette manière, la solution apparaît dans la vie psychique. Du coup, il n’y a jamais de conflits.

Je ne suis pas mystique, zen, plutôt rationnel en vieillissant, mais bon, c’est une réalité, quelquefois basée sur de la manipulation (sang, ossements) mais ça fonctionne pour le peu qu’on y croit. Après tout, lorsque j’écris avec John Hassel en bruit de fond, je m’immerge aussi au sein d’un univers ressemblant à un rêve éveillé où des portes s’ouvrent, où se créent des liens, c’est une sensation très fortement ressentie chez moi. Tout est dans notre tête, comme je le dis à la fin de Shot, une explosion permanente entre les deux hémisphères de notre cerveau, un sampling permanent, un cosmo-cortex sans aller aussi loin que Dantec. J’estime que la littérature doit provoquer une sorte de prise de conscience.

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Fluctuat : La disposition de tes phrases n’empiète pas sur la totalité de la page, surtout dans Shot, on dirait que tu donnes au lecteur la liberté de combler les espaces vides. P. B. : C’est évident pour Shot. D’ailleurs c’est pour cela que je tiens à ce que mes livres soient courts. Ils doivent provoquer une sorte de voyage rapide pour des gens prêts à effectuer un travail personnel durant leur lecture. Par ce biais j’établis une complicité active avec eux. Ca peut paraître élitiste, mais bon, chacun choisit ce qu’il veut lire. Personnellement j’aime aussi les romans classiques, mais j’ai besoin de voir des œuvres d’arts « différentes » qui me donnent autre chose.

Fluctuat : Dans In Situ et Shot, tu te sers d’évènements terroristes. Penses-tu qu’au sein de nos sociétés médiatisées où l’on vit perpétuellement dans un monde fictionnel (média, télévision, internet, photos, récits journalistiques), ce qui distingue la réalité de la fiction s’annule de plus en plus, et, du coup, l’acte terroriste au sens large, armé et artistique, soit la dernière possibilité au réel d’apparaître, au corps de reprendre ses droits ? P. B. : Concernant plus précisément le terrorisme à l’intérieur de mes textes, le truc pour moi est que cette femme d’In Situ qui déclenche tout ce délire sécuritaire, tout le monde se demande si elle va vraiment passer à l’acte. Au final non, elle est désarmée par le Shaman. Pour Shot, par contre, je voulais décrire un vrai passage à l’acte afin d’aborder le terrorisme frontalement. En fait, pour te répondre directement, je ne vois pas trop en ce moment quel acte violent pourrait tout bouleverser ; mis à part foutre le bordel, mais ça ce n’est intéressant qu’un moment. Actuellement plane ce sentiment qu’il faudrait qu’il se passe enfin quelque chose, sans trop savoir quoi au fond. On a le net qui permet aux idées de circuler très vite, mais je me demande si son pouvoir est bien réel, j’ai plutôt l’impression que c’est déjà vieux, enterré. Remarque, je ne suis pas un spécialiste même si j’ai lu un truc ou deux dessus comme Akim Bay. Ceci dit, il faudrait sans doute que nous réagissions plus. La politique se délabre, il faudrait trouver d’autres modes de fonctionnement, et, je pense qu’un jour quelqu’un fédérera à nouveau les gens. Dans les années soixante dix par contre, sur tous les plans, il y avait vraiment des actes terroristes sanglants. De nos jours, victimes de la mode, de la presse, de la connerie, notre voix ne signifiant plus grand chose, il nous reste peut-être le corps comme dernier bastion de résistance, la dernière réalité physique d’une certaine liberté. Le système ne peut pas encore le balayer, à moins de revenir au nazisme en nous incinérant comme de vulgaires déchets.

Fluctuat : Justement, tu fais référence dans Shot au St-Suaire de Turin, première représentation du corps, puis à Hiroshima, en quelque sorte sa désintégration, puis, enfin, à la numérisation, comme une forme de réincarnation, un devenir autre du corps. Quelle prochaine étape à ton avis, sa disparition ? P. B. : Il nous reste le corps mais il est très menacé par la technologie, peut-être est-ce un bien mais je ne le pense pas. Si le corps évolue il faudra développer des techniques pointues détenues par les puissants, et je ne crois pas qu’ils veulent le bien. Si on agit sur le corps il y aura forcément une société à deux vitesses, un fossé entre riches et pauvres, où certains disposeront de puces pour

21 accroître leur potentiel et d’autres non, faute de moyens. Pour moi, Hiroshima a été le départ d’une certaine société dont on récupère aujourd’hui les restes - de la société consumériste à la société scientifique - au détriment d’un corps collectif maintenant totalement désagrégé, patchwork de la bombe atomique combinant un corps calciné, et un bout de la Shoah aussi ; un corps de déchets industriels.

Actuellement, nous sommes un corps en devenir, à la fois électronique, sportif « dieu du stade » et plastique type « poupées Ken ou Barbie ». Regarde, même maintenant il y a des magazines hommes aux abdos en plaques de chocolat qui t’imposent une façon d’être ce sans quoi tu passeras pour de la merde aux yeux des autres. L’image nous bouffe. Starship Troopers de Verhoeven parle très bien de ce phénomène. Il a été controversé, mais il a très bien analysé tout cela en choisissant des acteurs aux courbes « parfaites », très forts, doués. D’ailleurs, à ma connaissance c’est le seul film totalitaire où les rebelles n’existent pas. La société décrite est assumée par tout le monde, les gens deviennent tous des armes sans intellect luttant contre de dangereux insectes. Au fond, on tend plus ou moins vers ça, surtout dans le monde du travail. Il m’intéresse aussi cet univers, les gens se forment avec beaucoup d’angoisses parce qu’ils sont obligés d’être performants la journée, puis rentrent chez eux le soir totalement nazes sans apprendre de choses sur eux-mêmes. Tu deviens un outil performant changeant tous les 5 ans.

Fluctuat : Tu as fait une performance aux Métaphores d’Aubervilliers, où tu as mélangé textes et sonorités électroniques. Dans le même esprit, Dantec et Pinhas ont réalisé le projet Schizotrope sur le label Sub Rosa, où des textes de Deleuze s’imbriquent à des nappes synthétiques glaciales. Houellebecq se produit sur scène avec le soutien de Bertrand Burgalat. Tu penses que la littérature à un avenir musical ? P. B. : Il semblerait qu’au même moment certaines personnes du même âge vont dans ce sens. En Angleterre, la lecture publique est une tradition. En France ça manquait un peu, du coup agir ainsi renouvelle un peu le genre. Ca ne sauve pas la littérature, ça sert juste à provoquer des sensations différentes. On me propose souvent des lectures à la sortie de mes livres, mais parler dans une librairie, très peu pour moi, je préfère nettement qu’il y ait une atmosphère particulière avec du son et des comédiens.

Fluctuat : Tu as un passé de rocker, ne penses-tu pas qu’au fond c’est cela qui motive tes performances ? P. B. : Apparemment Houellebecq voulait réaliser un projet musical bien avant son succès, Dantec lui était dans le rock en tant que chanteur. Notre génération a sans doute été très imprégnée par le pouvoir de la musique. De nos jours, c’est plus dilué, le rock n’a pas le même impact : plus de messages de rébellion, de postures impliquées, voire superficielles. Entre le début des années soixante-dix et la fin des années quatre-vingt, il y a eu un réel impact sur les consciences.

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Fluctuat : Tu as collaboré avec le graphiste de Rodolphe Burger pour Shot, Céric Scandella, tu comptes poursuivre tes recherches avec lui ? P. B. : En fait, il est arrivé après la rédaction du livre, du coup son travail reste discret, juste un travail sur la typo perceptible seulement par les spécialistes. On s’entend bien et nous comptons poursuivre notre collaboration. Comme je réalise aussi des collages très plastiques, je compte éditer un bouquin mixant images et fragments de textes. En fait, maintenant, beaucoup d’écrivains ne viennent plus de la littérature pure, mais d’horizons parallèles. En retour, leurs œuvres suscitent également l’imaginaire d’artistes de divers domaines. Personnellement, l’art contemporain, la musique m’ont autant formé que la littérature. Et puis, je ne souhaite pas devenir le nouveau Proust, m’inscrire dans l’histoire, j’ai simplement choisi ce médium car on peut aller loin avec lui ; et je n’en suis qu’au début.

Propos recueillis par Yannick Nowak. Paris, octobre 2000. Extrait du site http://www.fluctuat.net/

Extraits de Canons

1 vous devez finir ce que vous avez commencé vous devez aller au bout de votre aventure votre destin est entre vos mains il faut réagir lancez-vous dans la bataille maintenant allez de l’avant lancez-vous au bout de vous-même vous devez finir c’est votre destin allez (…)

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2 exagérément maquillée elle passe de pièce en pièce nue dans un peignoir transparent et crasseux elle enchaîne des répliques de sitcom propos malveillants soupirs déclarations d’amour lamentations remarques cruelles (…) 3 un rôle comme celui-là demande beaucoup d’énergie c’est une expérience épuisant bien plus éprouvante que je ne l’avais imaginé j’ai du travailler ma diction ma gestuelle le maniement des armes les sports de combat j’étais couverte de bleus franchement j’ai failli craquer plus d’une fois on me trouve un peu lisse superficielle (…)

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Histoire des arts L’Art performance Marina Abramovic

Cette performance remporte le Derrière l’artiste, sur des écrans défile l’image d’elle- Lion d’or de la Biennale de même enfant et de ses parents récitant des Venise en 1997. comptines serbes.

Balkan Baroque (« Baroque balkanique »), 1997, Venise, XLVIIe Biennale.

L’artiste a su conjuguer La très forte sensation première résultait de l’odeur sa vie personnelle, le dégagée par les lambeaux de chair restés attachés passage de l’état de aux os de boucherie sur le tas desquels l’artiste était fillette à celui d’adulte, assise, six heures par jour et cinq jours durant, pour avec les angoisses et la gratter et nettoyer ces os tout en chantant des tragédie de la guerre comptines pour enfants. dans l’ex-Yougoslavie. Marina Abramovic (née en 1946 à Belgrade) étudie de 1965 à 1970 à l’académie des beaux-arts de Belgrade, et elle est aujourd’hui l’artiste auteur de performances le plus connu sur le plan international. Elle commence son activité dans le domaine de l’art corporel et de la vidéo en 1973 ; elle la poursuit avec Ulay, et tous deux signent leurs actions de 1975 à 1988. Le corps exploré jusqu’aux limites extrêmes (jusqu’à des pratiques masochistes douloureuses et dangereuses), le corps comme vecteur social dont il faut respecter ou subvertir les conventions (y compris en l’exhibant nu devant un public contraint de l’examiner, voire de le toucher), le corps comme objet historique, tels sont les sujets que Marina Abramovic a abordés au cours de plus de trente ans d’activité intense. Si dans les années 70 le thème principal est la « libération » et la manifestation du corps, dans les vingt années suivantes s’y ajoute l’intérêt pour l’aspect politique de la présence du corps dans l’environnement. Significative à cet égard est l’œuvre avec laquelle Marina Abramovic remporte le Lion d’or de la Biennale de Venise en 1997 : au lendemain des féroces guerres civiles dans l’ex-Yougoslavie – pays d’origine de l’artiste -, elle se présente assise sur un tas d’os de boucherie, cependant qu’une vidéo déroule une comptine serbe pour enfants. Elle enseigne actuellement à la Hochschule für Bildende Kunste de Hambourg. Marco Meneguzzo, L’Art au XXe siècle. II. L’art contemporain, Hazan, 2007.

Matthew Barney

Avant de réaliser le cycle Cremaster Dans cette longue vidéo, il met en Matthew Barney se filme lui-même en scène la puissance du corps et sa train d’escalader les murs d’un beauté athlétique, mais aussi tous gymnase en utilisant tous les les appareils et prothèses le accessoires les plus récents pour prolongeant offerts par les grimpeurs et alpinistes. progrès techniques.

Photogramme extrait de Blind Perineum (« Périnée aveugle »), 1991. La salle de gymnase, avec ses L’artiste accomplit sur lui-même appareils et agrès pour l’escalade, une action sadomasochiste : il se ressemble aussi à une chambre de fait pénétrer par une vis de glace, accentuant ainsi l’aspect torture : le corps est séduit par la métaphorique de la relation technologie, mais il est aussi dominé ambiguë avec la technologie. par elle.

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Matthew Barney (né en 1967 à San Francisco) représente l’un des plus extraordinaires exemples de succès soudain dans le domaine de l’art. Depuis sa prime jeunesse, vivant entre l’Idaho, où il pratique beaucoup le sport, et New York, où il fréquente le monde de l’art, il élabore une forme extrêmement singulière de performance et d’art environnemental, où il unit l’enregistrement filmé des ses difficiles exercices physiques et la création d’évocateurs et improbables gymnases. La reconnaissance immédiate de son talent, au début des années 1990, lui permet de concevoir, de financer et de réaliser le cycle de Cremaster, l’œuvre pour laquelle il est le plus connu. Cremaster est un ensemble de cinq films de longueur standard, réalisés en dehors de l’ordre de leur succession (il a commencé par Cremaster 4, en 1994, et a fini par le troisième de la série en 2002), dans lesquels l’artiste prend les apparences de protagonistes les plus divers et les plus variés, d’un faune au prestidigitateur Robert-Houdin, d’un bouc à l’atroce assassin Gary Gilmore. Chaque film montre une facette de l’imaginaire fantastique de l’artiste, qui construit des mondes à partir de sa vie et de sa fantaisie, mais sait les ouvrir grâce à des images somptueuses et vaguement oniriques, où se mélangent de façon singulière des décors pop ou expressionnistes et d’obliques allusions à des situations d’une obscure sensualité. Marco Meneguzzo, L’Art au XXe siècle. II. L’art contemporain, Hazan, 2007.

L’EQUIPE ARTISTIQUE

Fanny Fezans Elle suit une formation théâtrale à l’École Régionale d’Acteurs de Cannes de 2005 à 2008, qui lui permet de rencontrer le travail de Simone Amouyal, Catherine Marnas, Ludovic Lagarde, Philippe Demarle, Youri Pogrebnitchko, Alain Zaepffel, Valérie Dreville, Charlotte Clamens, Laurent Poitrenaux, Sylvie Osman, Véronique Dietschy, Richard Dubelski, Rania Meziani, Didier Galas, Pascal Rambert.

Elle joue dans Avant/Après (2010) de Roland Schimmelpfennig, mis en scène par Vincent Collet (théâtre de Poche–Hédé) Tatez-là si j'ai le coeur qui bat (2010) d'après les œuvres de Tchekhov, mis en scène par Aurélie LEROUX (théâtre les Bernardines –Marseille) “G” mise en espace sonore des textes de Denise Desautels, Myriam Montoya, Gertrude Stein, Sylvia Plath, création collective Cie les Ex-citants (médiathèque Antibes, centre d'animation Place des Fêtes – Paris) Calderon (2009-10) de P.P. Pasolini mis en scène par Clara Chabalier (Théâtre de l’Epée de Bois- Cartoucherie, Confuences, La Bellevilloise, CDN de Dijon) MANGE (2009) mis en scène par Enora Boelle et Vincent Collet Roman noir (chantier) de Jacques Dor (Corbeil-Essonnes)

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Crave, c’est l’espoir ? (Manque) de Sarah Kane, mis en scène par Constance Larrieu (Friche Belle de Mai-Marseille, et Anis gras-le lieu de l’autre, Arcueil)

Elle s’intéresse également aux arts de la marionnette et joue dans : Alice au pays des lettres (2010) de Roland Topor, mis en scène par Elzbieta Jeznach (Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines) La Vie songeuse de Leonora de la Cruz d'A. Taborska, mis en scène par Elzbieta Jeznach Cie Mietes (Festval Lalkatez Czlowiek à Varsovie – Pologne) PUPPET TIME Partition en solitude ou comment Pierrette embrasse le monde (2009) Cie Arketal (Festival International de la Marionnette à Charleville-Mézières ) Un jour mémorable pour le savant Monsieur Wu, Farce chinoise mis en scène par Christan Jéhanin Cie Théâtre de l’Eclipse (théâtre de l’Eclipse Juvisy-sur-Orge)

Stéfany Ganachaud est née le 29 août 1972 à Montereau en Seine et Marne. Après avoir suivi des cours d’art dramatique et de danse entre 1984 et 1991, elle s'oriente vers la danse contemporaine et obtient en 1995 son DE d'enseignement.

Elle rencontre alors Odile Duboc et intègre sa compagnie pour la création de Trois boléros (1996). Depuis elle a collaboré fidèlement avec la chorégraphe en tant qu’interprète pour les créations de Comédie (1998), A la suite… (1999), Le Pupille veut être tuteur (2001), J’ai mis du sable exprès, vite fait, comme ça dans mes chaussures (2001), Rien ne laisse présager de l’état de l’eau (2005), La place de l’autre (2006), Le dialogue de l'ombre double (2010), mais aussi pour ses projets extérieurs, tels les opéras Thaïs (1999), Cadmus et Hermione (2001), Fairy Queen (2003), Actéon et Les Arts florissants (2004), Vénus et Adonis (2006).

Elle développe aux côtés de la chorégraphe un travail pédagogique à travers l’assistanat, les stages et ateliers, et participe en tant que formatrice au projet pour 300 amateurs La pierre et les songes en Franche-Comté (2007), en Serbie (2008), et dans les Hauts-de-seine (festival Seine de danse, parvis de la défense-2009).

Parallèlement au travail d'interprète, elle participe en tant que chorégraphe et collaboratrice artistique aux mises en scène de Jean Lambert-Wild (1998), Philippe Berling (de 1999 à 2004) et depuis 2003, Ludovic Lagarde qui met en scène en 2008 l’opéra Massacre dont elle est également interprète.

Depuis septembre 2009, elle est artiste associée à la Comédie de Reims dirigée par Ludovic Lagarde.

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Constance Larrieu Elle suit une formation musicale (diplôme de fin d’étude de violon au Conservatoire de Genève) puis théâtrale à l’École Régionale d’Acteurs de Cannes de 2005 à 2008, qui lui permet de rencontrer le travail de Simone Amouyal, Catherine Marnas, Ludovic Lagarde, Philippe Demarle, Youri Pogrebnitchko, Alain Zaepffel, Valérie Dreville, Charlotte Clamens, Laurent Poitrenaux, Sylvie Osman, Véronique Dietschy, Richard Dubelski, Rania Meziani, Didier Galas, Pascal Rambert.

Elle joue dans Calderon de Pasolini m.e.s Clara Chabalier au Théâtre de l’Epée de Bois-Cartoucherie Paris Depuis 2009, elle fait partie de l’équipe de comédiens permanents de la Comédie de Reims, dirigée par Ludovic Lagarde, où elle joue dans : Le Bouc/Preparadise Sorry Now de Fassbinder mis en scène par Guillaume Vincent, Manque de Sarah Kane,mis en scène par Simon Delétang, La Terreur du Boomerang d’Anne Kawala, mis en scène par Emilie Rousset, Un Nid pour quoi faire d’Olivier Cadiot, mis en scène par Ludovic Lagarde, La Place Royale de Pierre Corneille, mis en scène par Emilie Rousset, Maman, et moi, et les hommes d’Arne Lygre, mis en scène par Jean-Philippe Vidal.

De par sa formation à la fois théâtrale et musicale, elle s’intéresse aux projets mêlant ces deux arts et en 2008, elle met en scène Crave, c’est l’espoir ? (Manque) de Sarah Kane qui sera joué à la Friche Belle de Mai-Marseille, et Anis gras-le lieu de l’autre, Arcueil.

Richard Dubelski Né dans les coulisses de l’Alcazar de Marseille - temple du music-hall et de l’opérette - d’un père compositeur et chef d’orchestre du théâtre, et d’une mère comédienne et chanteuse. Il suit une formation musicale (1er prix de percussion du C.N.R de Rueil-Malmaison) et théâtrale auprès de Betty Rafaelli, qui lui permettent d’embrasser les activités de metteur en scène, comédien, musicien et compositeur.

En 1987 il rencontre Georges Aperghis dont il sera l’interprète dans différents spectacles et également un proche collaborateur jusqu’en 1992. Parallèlement, il joue comme comédien dans les spectacles de Thierry Bédard, Lucas Thiéry, Edith Scob, Georges Appaix, André Wilms, Jean-Pierre Larroche, Thierry Roisin, Marcel Bozonnet…

En 1993, il décide de mettre en scène son premier spectacle musical au sein de sa compagnie Corps à Sons Théâtre, et depuis poursuit cette recherche avec laquelle il crée une vingtaine de spectacles dans des lieux comme le théâtre de Nanterre- Amandiers, le Théâtre du Campagnol

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C.D.N de Corbeil-Essonnes, le Cargo à Grenoble, le Théâtre Athénor St Nazaire-Nantes, le Théâtre de la Minoterie- Marseille, le festival Musica de Strasbourg, la Comédie de Béthune, la Comédie de St Etienne, le T.N.T-Toulouse, les Scènes nationales de Vandoeuvre-les-Nancy, Malakoff, Douai, Aubusson, etc.

- Har, le tailleur de pierre (2008) création Grame-TNG Lyon… - L’avenir du Progrès (2006-07) commande de la Comédie de Béthune - OH OUI OH LA LA ! (2006) Théâtre National de Toulouse - KESsKISsPASs-autopsie du paradis (2005) Théâtre Athénor Nantes-St Nazaire, Anis Gras Arcueil, Théâtre la Minoterie Marseille, L’Échangeur -Bagnolet… - Les Dix Paroles (2001-2004) Scène Nationale de Quimper, Théâtre Athénor-St Nazaire, Comédie de St Etienne, Théâtre la Minoterie Marseille… - Ce Soir, gala (2001) festival Alternatives Lyriques-Paris, Scène Nationale d’Aubusson, Théâtre la Minoterie Marseille… - Issue de Secours (1999) Friche Belle de Mai-Marseille, festival 38ème Rugissants-Grenoble, Théâtre Athénor-St Nazaire - What's goin' on ? (1998 )Banff Centre for the Arts (Canada) - 20th Century Opera & Song - Il faut... (1998) Théâtre Athénor St Nazaire, Théâtre Nanterre-Amandiers… - Déjouer (1997) C.D.N.J Strasbourg, Friche Belle de Mai-Marseille, Scène Nationale de Douai… - Détours : fragments d'un événement courant (1996) théâtre Nanterre-Amandiers, Le Cargo- Grenoble… - Opérettes (1995) Théâtre du Campagnol, Scène Nationale de Malakoff, Théâtre la Minoterie Marseille, Maison de la Musique-Nanterre, Théâtre de la Renaissance Oullins… - Leçon de Musique (1994) spectacle itinérant joué dans les lycées, collèges, I.U.F.M, Conservatoires de 1994 à 1996. - Impasse à 7 Voix (1993) l’Atem-Nanterre-Amandiers, festival Nouvelles scènes-Dijon, Scène Nationale de Douai….

Il anime également divers stages et ateliers de théâtre musical au sein d’écoles nationales de théâtre (l’E.R.A.C, l’Ecole de la Comédie de St Etienne…) et de Centres Dramatiques Nationaux.

En 2009 et 2010, il est directeur artistique musical et compositeur de Kaléidoscope 2, un spectacle de l‘Opéra de Lyon avec 350 amateurs, l’orchestre et la Maîtrise de l’Opéra de Lyon. En 2004 il suit une formation sur la réalisation en 35mm à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière et réalise des films documentaires (Mon histoire à l’Alcazar, L’avenir du progrès, Laisse pas ce temps !) s’inscrivant autour des créations théâtrales, puis réalise en 2008 Qui tu es ?, un court- métrage de fiction.

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Bibliographie

- Patrick Bouvet, Canons, Editions de l’Olivier, 2007, - Marco Meneguzzo, L’Art au XXe siècle. II. L’art contemporain, Hazan, 2007, - Les magazines féminins, - Marina Abramovic, James Westcott et Jeanne Bouniort, Performances éternelles : Marina Abramovic, Œuvres photographiques, Ed. Galerie Guy Bärtschi, 2005, - Kristine Stiles, Klaus Biesenbach et Chrissie Iles, Marina Abramovic, Ed. Phaidon, 2008, - Klaus Biesenbach, Marina Abramovic : The Artist Is Present, Ed. Museum of Modern Art, 2010.

Vidéographie

Charlotte Gainsbourg, IRM in IRM, 2009 : - http://www.youtube.com/watch?v=N7KxvSwmzkY Scarlett Johansson et Pete Yorn, Relator in Break up, 2009 : - http://www.youtube.com/watch?v=5ABMBJ9jT-w Scarlett Johansson et Lulu Gainsbourg : Bonny and Clide : - http://www.dailymotion.com/video/xku8up_lulu-gainsbourg-et-scarlett-johansson-bonnie-and-clyde_music Mélanie Laurent, En t’attendant, in En t’attendant, 2009 : - http://www.youtube.com/watch?v=Zwb8hXlUE1E Mélanie Laurent, Je connais, in En t’attendant, 2009 : - http://www.youtube.com/watch?v=kQ4fo59nPX4&feature=related Matthew Barney, Drawing Restraint 9, 2006

Sitographie

Le site de la collection extraction (éditions joca seria) : - http://www.0extraction0.net/ L’article de Wikipedia sur l’Art performance : - http://fr.wikipedia.org/wiki/Art_performance Marina Abramovic sur le site du MoMA, Museum of Modern Art, New York : - http://www.moma.org/explore/multimedia/audios/190/1988 Interview de Mélanie Laurent à propos de Inglourious Bsterds de Quentin Tarantino, 2009 : - http://www.wat.tv/video/cannes-2009-interview-melanie-1ih4u_2exzl_.html Interview de Mélanie Laurent, 2011 : - http://www.youtube.com/watch?v=ZhN3q1i1PTU Interview de Mélanie Laurent à propos de son film Les Adoptés, 2011 : - http://www.youtube.com/watch?v=KbMK1tRr4L8&feature=related Interview de Marina Abramovic : - http://www.youtube.com/watch?v=ennfeVSirDU&feature=related

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Discographie

- Charlotte Gainsbourg, Charlotte for Ever, 1986, - Charlotte Gainsbourg, 5:55, 2006, - Charlotte Gainsbourg, IRM, 2009, - Charlotte Gainsbourg, , 2011, - Scarlett Johansson, Anywhere I Lay My Head, 2008, - Scarlett Johansson et Pete Yorn, Break up, 2009 (inspiré des duos de Brigitte Bardot et ), - Mélanie Laurent, En t’attendant, 2011.

LA COMEDIE DE REIMS Centre dramatique national Direction : Ludovic Lagarde 3 chaussée Bocquaine 51100 Reims Tél : 03.26.48.49.00 www.lacomediedereims.fr

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