Les vestiges du temple de Lucq de Béarn Philippe Chareyre

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Philippe Chareyre. Les vestiges du temple de Lucq de Béarn. Bulletin du Centre d’Etude du Protes- tantisme Béarnais, Archives departementales des Pyrenees-Atlantiques ; Centre d’Etude du Protes- tantisme Béarnais (CEPB), 2018, pp.7-10. ￿hal-02173843￿

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L ES VESTIGES DU TEMPL E DE L UCQ - DE - B ÉARN

Philip pe C HAREYRE

Les temples béarnais constituent un pa- Sans Tartas, Lucq devint l’un des foyers trimoine original attaché à l’histoire parti- d’opposition à la politique de Jeanne culière de ce petit pays autrefois souve- d’Albret. En 1569, lors de l’occu pation du rain. Après avoir utilisé les église s sous un Béarn par les troupes envoyées par le roi régime de simultaneum dans les années de France pour rétablir le catholicisme, 1560, après l’interdiction du catholicisme Antoine Buisson et Bertrand Ponteto, pas- en 1569, les protestants béarnais les adap- teur s de Sainte - Marie et Oloron, s ont exé- tèrent à leur usage. cutés dans les bois de l’Auronce, à Lucq, sur ordre de l’abbé de . Leurs À Lucq, les comptes du trésorier de l a corps , selon l’historien Nicolas de Borde- communauté nous apprennent qu’en 1555 nave, ayant été jetés dans un ruisseau , ils « maeste Henry de Barran » y prêche et furent enterrés par des habitants du vil- fréquente l’abbaye Saint - Vincent. Or cet lage, mais l’abbé de Sauvelade « les fit dé- ancien jacobin fut parmi les premiers à sensevelir et conduire tous nuds au camp, où adhérer et à professer les idées nouvelles après avoir esté visitez et mauditz par les plus du calvinisme dans la principauté béar- grands, furent jettez dedans le Gave » 1 . Le 5 naise et devint pasteur de Nay puis de Pau juillet es t convoquée à Lucq sur ordre du en 1562. roi de France, l’assemblée des Etats de Bien que doté d’un pasteur, Pierre Le- mée, par les synodes de 1563 à 1567 au- 1 Nicolas de Bordenave, Histoire de Béarn et Navarre, quel succéda le bouillant pasteur navarrais (1517 - 1572) , éd. Paul Raymond , Paris, 1873, p. 248. 8

Béarn qui me t en place la nouvelle admi- bonne confession » 4 . Violence qui touch e nistration sous tutelle française. Mais, le aussi les protestants puisqu’ en cette même mois suivant, Gabriel de Lo rges comte de année 1608 , Lucq est aussi le lieu de Montgomery, commandant de l’armée de l’ assassinat de Théophile Martin, ministre secours vient y rétablir l’autorité de la de Pardies « tué au chemin public, près reine Jeanne. Lucq bénéficie alors du mi- Bordenave, de Som de Luc » 5 . Le pasteur nistère du pasteur Claude Clavel jusqu’en de Lucq qui fait face à cette offensive est le 1600. Après avoir étudié à Lausanne et béarnais Pierre Mulez, formé à et Genève, il était devenu le secrétaire de Montauban, qui dessert Lucq de 1606 à Pierr e Viret, compagnon de Calvin et prin- 1617. cipal réformateur du Béarn, dont il hérita de la robe et des sermons 1 . Au provisoire et fragile sanctuai re champêtre succéda l’ancien réfectoire , Quarante ans plus tard, l orsque l’ordre seul vestige encore debout de l’ancien mo- des barnabites est introduit en Béarn pour nastère 6 . Puis les barnabites essayèrent de y être avec les jésuites, le fer de lance de la récupérer l’église de Saint - Vincent - de - reconquête cathol ique, il tente de récupé- Lucq qui avait été transformée en temple 7 . rer l’église Saint - Vincent , mais va devoir U ne trans a ction intervi e nt l e 29 septembre attendre le rattachement à la France de 1608, en présence de Bernard de Larquer, 1620, pour retrouver l’usage de s biens ec- vicaire de Lucq entre les catholiques et les clésiastiques confisqués depuis 1569. protestants, les premiers « fasen lour offre de L’introduction de ce t te congrégation fut lour far bastir un autre temple en talle part et réalisée par Zaccharie - Fortun é Colo m locq qui bon lour semblara et so à lous propis d’origine béarnaise, accompagné d’un ita- despens » 8 . Cet accord rep renait un précé- lien Maurice Olgiati. C es deux person- de nt tenté en 1575, lorsque le jeune Henri nages arrivent à Pau le 1 er juillet 1608 , puis de Navarre était repassé momentanément se rendent à Oloron où l’évêque Arnaud I er au catholi cisme après la Saint - Barthélemy , de Maytie leur assigne la paroisse de qui n’avait jamais abouti 9 . Lucq - de - Béarn. À leur arrivée , ils érigent , dans une prairie un autel de fortune que Cette fois ils s’entend ent sur un empla- l’évêque vient bénir 2 . Y assistent « quelques cement de onze cannes de longueur et protestants, habitués fidèles des prêches du quatre cann es et demi de largeur, acquis ministre protestant , d’autres enfin, stupéfaits pour l e prix de 120 francs consistant en d’une telle nouveauté et ne sachant de quel côté « une place de maison et un tros de casau qui se placer, finirent par se mettre dans les rangs. es au darrer dequere apperade carrere de Bour - Les notables du parti hérétique, confus et plein nau appartenente à Nabarrine de Larquer et de rage, se tenaient aux fenêtres de leurs mai- Joan de Saint - Martin, son fils, que confronte sons pour regarder » 3 per part de davan ab carrere publique, per l’un coustat ab maison et casau de Marquese, per Cette réintroduction ne se fait pas sans violence . Le père Colom raconte, dans une 4 Ibidem , p. 255. Colom précise aussi que « les hérétiques lettre au père Cavalcani, qu’« à certains poussaient la malveillance contre les missionnaires ca- tholiques jusqu’à censurer non seulement leurs doctrines moments, nous nous attendions au martyre et mais encore le ur langage, leur accent et leurs gestes » . nous nous y préparions mutuellement par une 5 A.D.P.A., GG 16, Lucq, le 27 mars 1608 . 6 Abbé Poeydavant, op. cit ., p. 21 - 22 7 Daniel Bourrouilh, Lucienne Couet - Lannes, Georges 1 Albert Sarrabère, Dictionnaire des pasteurs basques et Fabre, Françoise - Claire Legrand, Lucq - de - Béarn : béarn ais XVI e - XVII e s., C.E.P.B., Pau, 2001, p. 86. l’église St - Vincent , Amis des Eg lises anciennes du Béarn, 2 Abbé Poeydavant, Histoire des troubles survenus en Pau, p. 11. Béarn dans le XVI ème et la moitié du XVIIème siècle , Pau, 8 A.D.P.A., FF 5, Lucq - de - Béarn Tonnet, 1819, pp. 21 - 22 9 Le 14 mai 1575, un accord avait été conclu entre la 3 Victor Dubarat, « Les barnabites en Béarn au XVII ème commune de Lucq et Bernard de Cobrio, cagot de Vielle- siècle » Mélanges de bibliographie et d’histoire locale, ségure. Victor Dubarat, « Les barnabites en Béarn au Pau, 1904 , p. 268 - 269. XVII ème siècle » , op. cit. , p. 234. 9 l’autre coustat ab maison de Saint - Martin et anthropologiques reposant sur la survi- per lo darrer ab lou casan de lad. place de Fau- vance d’anciennes pratiques préchré- rie 1 . Au terme d e cet accord, la construc- tiennes, ou bien médicales suggérant la tion es t réalisée très rapidement , selon le consommation accidentelle d’ergot de père Colom dans sa relation adressée au seigle ; d’autres y ont pu voi r un signe de supérieur général : défi ou de résistance face au retour des re- « On se mit immédiatement à l’œuvre avec ligieux dans la localité qui ne s’est pas ef- ardeur : les uns apportaient le bois, les autres fectuée sans tensions. les pierres, celui - ci fournissait les chevaux, ce- lui - là les voitures, d’autres offraient de grand es Toutefois, le synode protestant du sommes d’argent pour acheter la chaux et les Béarn obtient par un arrêt du conseil du 22 matériaux nécessaires. Tout cela se fit si décembre 1613 que l’évê que d’Oloron et promptement que le temple fut achevé en peu « les moynes de St Paul decolé » so ient de- de temps et en tous points conforme au désir boutés de leurs prétentions à récupérer les des ministres. Je ne saurais vous décrire le con- biens de l’abbaye de Lucq et de Sainte - cours extraordinaire de tous les habitants Christine du Somport. C’est seulement le d’alentour et des pays éloignés, lorsqu’on ap- 28 octobre 1620, à l’occasion de la restitu- prit la cérémonie de réconciliation de l’église tion des biens ecclésiastiques imposée par paroissiale : cette église, bien que très vaste, ne Louis XIII, que l es barnabites s er ont solen- put suffire à une affluence si considérable et un nellement mis en possession de l’abbaye . grand nombre d’assistants durent rester de- hors . Dans l’impossibilité où ils étaient Ce processus se généralise après 1620 , d’entendre la parole de Dieu, ils voulurent du mais de manière moins favorable pour les moins témoigner de leur respect pour celui qui protestants qui ne peuvent plus négocier l’annonçait, par une attitude pleine de piété » 2 . le transfert de leur lieu de culte. Un dé-

compte effectué en 16 64 pa r l’intendant Pour faire oublier les violences et légi- Claude Pellot ne mentionne que 66 timer l’introduction de leur cong régation temples (86 selon les chiffres donnés par de fondation italienne et vaincre la résis- les protestants) , dont 34 où il n’y a pas de tance qui leur est opposée, les barnabites ministres « qui sont des annexes et quasi vont par ailleurs mettre en scène le fameux abandonnés » . Les temples béarnais du épisode miraculeux des aboyeurs arrivé à XVII e siècle o nt quasiment tous été dé- Lucq en 1610 3 . C’est un cas d’exorcisme truits, et les démolitions les plus spectacu- destiné à montrer la supériorité du catho- laires, comme celle du temple d’Osse - en - licisme dans la lutte contre le Malin. Les Aspe soigneusement mise en scène , sont possédés, le plus souvent des femmes, vic- les conséquences de la r évocation de l’édit times des sorcières du lieu, refusaient de Nantes. Mais en Béarn, cet édit a été d’entendre la messe , et lorsqu’on les y précédé de mesures restrictives comme la conduisait de force, ils aboyai ent au mo- ferme ture de quinze temples en février ment de l’élévation. Le père barnabite 1685 par l’intendant Foucault qui appela Maurice Ogliati les guérit en leur impo- ensuite les régiments de dragons , provo- sant les reliques de Charles Borromée, le qua nt un grand nombre d’abjurations col- saint de la Réforme catholique italienne , lectives. qui incarne le modèle du nouveau prélat défini par le concile de Trente. À côté du L’année terrible de 1685 ne doit pas ré cit édifiant, des explications de faire oublier l’édit spécifique au Béarn de l’aboiement ont été avancées ; elles sont 1668 qui pr épare la Révocation . Présenté

1 A.D.P.A., FF 5 Lucq - de - Béarn. par le roi comme une « loy generalle, 2 Victor Dubarat, « Les barnabites en Béarn au XVII ème claire, nette et absoluë » pour les catho- siècle » op. cit. , p. 267 - 268 liques et les protestants, ayant pour objec- 3 Christian Desplat, Sorcières et diables en Gascogne (fin XIV e – début XIX e siècle) , Pau, Marrimpouey, p . 50 - 52 . tif de régler « tous les differens qui sont 10 cy - devant survenus sur ce sujet entre eux, Le temple est alors désaffecté, l’éd it de et qui pourront e ncores survenir cy - aprés, 1668 ne prévoyan t pas la destruction mais et dont les uns et les autres ayent sujet de la fermeture et la vente par la communau- se contenter » , il maintient le culte à Osse - té elle - même. Il fut est très vraisemblable- en - Aspe, Pau et Oloron que le parlement ment transformé en grange, ce qui lui va- de Navarre voulait supprimer , mais réduit lut de survivre aux destructions de 1685. Il en contrepartie le nombre de lieux de culte se trouve toujours sur une propriété pri- à 20 et appliq ue au Béarn non pas l’édit de vée. Son état de ruine actuel est probable- Nantes auquel il n’était pas assujetti car ment dû à un incendie intervenu ultérieu- souverain lorsqu’il fut pris, mais les me- rement. Les trois pans de mur qui subsis- sures restrictives à ce dernier prises depuis tent construits en pierre, la présence de l’année 1659 1 . nombreux corbeaux sans doute destinés à soutenir une galerie, de même que le tra- Cette offensive menée contre les protes- vail particulier de la fenêtre qui ne sont tants béarnais était portée par un lobby ca- pas sans rappeler c eux des vestiges du tholique à la tête duquel se trouvait le pré- temple d’, viennent conforter sident du parlement de Navarre Thibaud l’identification de ces ruines. de Lavie , mais aussi les conseillers de Ca- saux et de Claverie , les évêques de et Oloron, les jésuites et les barnabites.

Le temple de Lucq qui aurait pu faire part ie du train de suppression de 1668 avait ainsi déjà été fermé, à la suite des mesures restrictives entamées par le par- lement de Navarre à l’encontre des protes- tants béarnais et qui avaient suscité l’intervention royale de 1668. Ainsi, un ar- rê t du parlement de Navarre du 21 juillet 1662 avait interdit l’exercice du culte pro- testant à Lucq - de - Béarn . Cette décision était intervenue à la demande des barna- bites, malgré l’accord de 1608, sous le pré- texte que la cloche et les matériaux du temple provenaient des ru ines de l’ancienne église et parce que les protes- tants ne représentaient pas plus de dix fa- milles selon les termes de l’édit de Nantes 2 . L’édit de 1668 vient confirmer cette fermeture et la fin du culte protestant à Lucq , car il fait « deffences très expresses ausdits ministres de faire ledit exercice public ny particulier ailleurs soit par forme d’annexe ou autrement, en quelque sorte et manière que ce soit » .

1 Philippe Chareyre, « 1668, l’édit de Nantes est introduit en Béarn », Entre institutionnalisation, répression et Re- fuge : le protestantisme français au XVII e siècle (1598 - 1715) , actes du colloque d’Angers 21 - 23 juin 2017, à pa- raître dans la revue XVII e si ècle , PUF, 2018. 2 É lie Benoît, op.cit., Pièces, p. 103, 106.