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TV/Series

6 | 2014 Écho et dans les séries télévisées (III) : de la métafiction à la transmédialité TV Series Redux: Recycling, Remaking, Resuming (III): from metafiction to transmedia

Florence Cabaret et Claire Cornillon (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/tvseries/305 DOI : 10.4000/tvseries.305 ISSN : 2266-0909

Éditeur GRIC - Groupe de recherche Identités et Cultures

Référence électronique Florence Cabaret et Claire Cornillon (dir.), TV/Series, 6 | 2014, « Écho et reprise dans les séries télévisées (III) : de la métafction à la transmédialité » [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/tvseries/305 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/tvseries.305

Ce document a été généré automatiquement le 22 septembre 2020.

TV/Series est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modifcation 4.0 International. 1

NOTE DE LA RÉDACTION

Ce numéro de TV/Series est paru initialement sur le site : http://revuetvseries.wix.com/ tvseries

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SOMMAIRE

Préface Écho et reprise dans les séries télévisées (III) : de la métafiction à la transmédialité Claire Cornillon et Florence Cabaret

Les amorces , ou le plaisir des histoires cousues de fil blanc Marie Tréfousse

L’art du teaser : les séquences prégénériques dans quelques séries fantastiques américaines des années 1990 et 2000 Claire Cornillon

Échos en série : Formes et enjeux de la réplique dans The Wire Livio Belloï

Échos et dans les séries télévisées des années 1960 à nos jours Jean Du Verger

Relectures, réécritures, réinventions : ou l’art du recyclage postmoderne Alexis Pichard

High Fidelity: Adapting to the Small Screen Shannon Wells-Lassagne

Par le petit écran de Fringe Aurélie Villers

À l’intérieur de Seinfeld : la Jerry Eric Gatefin

Game of Thrones: Quality Television and the Cultural Logic of Gentrification Dan Hassler-Forest

Échos lointains pour reprise dissonante : la série catalane Infidels Jennifer Houdiard

Continuité, canonicité et complétude dans Doctor Who Florent Favard

Réappropriation et intertextualité dans la web-série Girltrash Émilie Marolleau

Seriality and Transmediality in the : Flexible and Multiple Structures in Fan , Art, and Vids Anne Kustritz

Varia

Une génération Sher-locked Marie Maillos

Quatermass and the Pit: from British SF TV serial to Gothic Hammer film Gaïd Girard

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Comptes-rendus

Jonathan Bignell’s conference: “Adventures between TV and film, and between Britain and America” (Journée thématique GUEST-Normandie Séries/cinéma, Novembre 21st, 2014, Caen) Shannon Wells-Lassagne

Tara BENNETT (ed.), Showrunners: The Art of Running a TV Show Londres, Titan Books, 2014 (240 p.) Florent Favard

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Préface Écho et reprise dans les séries télévisées (III) : de la métafiction à la transmédialité

Claire Cornillon et Florence Cabaret

1 Les séries télévisées offrent un terrain particulièrement adapté aux phénomènes de récurrence, d’échos, d’intertextualité ou d’expansion narrative ou fictionnelle. Se déployant dans le temps et jouant sur la tension entre rupture et continuité, elles constituent une fiction aux différentes facettes. À la suite des numéros 3 (« Écho et Reprise I : Reprise et intermédialité »1) et 4 (« Écho et Reprise II : Re-présentations, enjeux socio-culturels, idéologiques et politiques de la reprise »2), le présent numéro entend continuer à explorer la question des échos et , cette fois sous l’angle de la réflexivité et de la multimédialité, ou de la transmédialité. Les séries évoquées ici proposent une complexification de leur écriture ou de leur format par une prise en compte métafictionnelle de leur nature même de série ou bien par l’expansion de leur univers sur plusieurs supports. Dès lors, elles ouvrent les possibilités de la fiction sérielle en tenant compte à la fois des spécificités de la série télévisée ainsi que de ses rapports avec les autres arts ou les autres médias.

2 Les articles proposés dans ce numéro proviennent de communications prononcées lors de différents événements scientifiques mais rassemblés ici par les liens qui se sont tissés entre eux, par delà les thématiques abordées à chaque occasion. Certains textes sont issus de communications présentées au colloque « Écho et Reprise dans les Séries Télévisées3 », d’autres lors du séminaire « sérielles et Transmédialité4 ». Les communications issues du colloque tendent à explorer la notion de reprise sous l'angle de l'intertextualité et de la réflexivité, confrontant la fiction sérielle à des stratégies d'échos internes ou externes, tant sur le plan narratif qu'esthétique. Parallèlement, celles qui sont issues du séminaire insistent davantage sur les connexions qui s’établissent entre la série télévisée et les œuvres qui constituent la nébuleuse propre à son univers fictionnel, qu’elles soient cinématographiques, télévisuelles, littéraires ou ludiques, et qu’elles soient l’œuvre de professionnels ou d’amateurs. Ainsi, tous ces articles envisagent la fiction sérielle dans un contexte qui est celui d’une interrelation et d’une circulation des oeuvres autant que des univers fictionnels.

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3 Tout d’abord, la série télévisée est par essence construite sur une tension entre l’unicité et la multiplicité. La succession des épisodes y est propice à l’intratextualité, à une densification narrative et fictionnelle qui peut passer d’une part par un travail sur la structure de la série ou sur ses codes. Ainsi, Marie Tréfousse explore la question des amorces narratives des soap operas (mais pas exclusivement) en montrant comment elles construisent des récurrences qui créent un horizon d'attente sur lequel peuvent jouer les scénaristes. Claire Cornillon analyse, quant à elle, la forme de la séquence prégénérique, en particulier dans les séries fantastiques, pour souligner la tension qu’elle présente entre autonomie et continuité entre les épisodes, entre récurrence et originalité au sein de la série et entre séries. Silvio Belloï, enfin, traite d’échos langagiers dans la série The Wire en examinant la notion de « réplique », au sens de réplique de dialogue mais aussi de phénomène qui vient redoubler un phénomème premier, potentiellement instigateur d’une série.

4 Or, ces procédés ne se limitent pas à l’auto-référence : ils construisent également des échos avec d’autres œuvres, dans une dynamique intertextuelle. Jean du Verger dresse ainsi un panorama de ce type de pratiques telles qu’elles s’élaborent dans les séries américaines et anglaises depuis les années 1960. Alexis Pichard se penche sur le cas de Charmed pour souligner les processus de recyclage et de références littéraires, cinématographiques ou télévisuelles qui sont au cœur du processus narratif d’une série dont le charme agit aussi par le biais de ce jeu de reconnaissances implicites par le spectateur. Shannon Wells-Lassagne interroge, quant à elle, la notion d'adaptation en étudiant les liens entretenus par Game of Thrones et True Blood avec les romans dont les deux séries s’inspirent, mais aussi avec la tradition du (fantasy et vampire) que ces séries recyclent et transforment, chacune de manière différente. Ces procédés engagent souvent un processus réflexif qui amène la série à se penser elle-même, voire à se représenter elle-même, complexifiant son rapport à la fiction par la mise en abyme. Ainsi, Aurélie Villers suggère que la dynamique narrative de Fringe est liée à son utilisation de l’écran dans l’écran, transformant la référence intertextuelle en un processus de création de fiction au sein de la fiction. Dans une veine plus comique et caustique, la série, analysée par Éric Gatefin, se met en scène elle-même et construit un discours réflexif sur la création de la sitcom que les protagonistes conçoivent au sein de Seinfeld.

5 Ces différents procédés, s’ils relèvent d’une esthétique, travaillent également la série sur un plan idéologique. Ainsi, Dan Hassler-Forest réfléchit sur la gentrification de la série Game of Thrones en interrogeant la manière dont elle se situe elle-même par rapport au reste de la production audiovisuelle d’HBO, qui sort ici le genre de la fantasy d’une niche relativement marginale pour le faire accéder au public de ses spectateurs câblés. Dans le domaine hispanique, Jennifer Houdiard analyse la série catalane Infidels sous un angle social et y décrypte la manière dont la série se construit par rapport à quelques séries nord-américaines telles que Sex and the City et , notamment autour de la question des représentations des rôles genrés.

6 Outre les connexions qui s’opèrent entre une oeuvre et d’autres productions, le cas des œuvres transmédia développant leur univers fictionnel sur plusieurs supports offre d’autres possibilités d’échos internes, sur une échelle plus grande. Ainsi, Florent Favard s’attache à analyser la question de la continuité dans l’univers développé depuis plus de cinquante ans autour de la série britannique Dr Who. Il interroge l’idée d’auctorialité et de canonicité en abordant à la fois les différentes périodes de la série et les

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novélisations, séries dérivées, aventures audios ou qui se sont développés parallèlement. D’autre part, ces univers étendus brouillent les frontières entre productions professionnelles et productions de fans ou d'amateurs, proposant ainsi d’autres voies pour les reprises, les réécritures et, de manière générale, pour l’expansion et la complexification d’un matériau de départ. Ainsi, Émilie Marolleau évoque le cas de la websérie Girltrash et la manière dont elle négocie les représentations de genre par rapport à sa propre inscription générique et à ses références intertextuelles avec des séries telles que The L Word et Sex and the City. Enfin, plus généralement, Anne Kustritz théorise les rapports que l'on peut établir entre les productions de fans et la notion même de transmédia, montrant ainsi comment les vids créées par les amateurs investissent pleinement un fonctionnement qui semblait réservé au domaine professionnel des franchises.

7 Si un épisode de série ne fonctionne pas seul, une série entière ne fonctionne pas seule non plus. La richesse et la complexité de sa et de son univers fictionnel sont souvent fondés sur qui se crée entre les différents éléments de l'œuvre elle-même et l'interaction qui se joue, en amont ou en aval, entre la série et l’ensemble des autres productions, émanant de professionnels ou d'amateurs. Ce sont ces liens et ces échos qui résonnent comme autant de niveaux d'interprétation de la fiction et qui offrent la possibilité aux séries télévisées de dépasser un schéma unique pour atteindre à une plus grande diversité et une épaisseur qui apparaît désormais incontestable.

NOTES

1. http://revuetvseries.wix.com/tvseries#!numero3/c1mvc 2. http://revuetvseries.wix.com/tvseries#!numero4/c22ng 3. Colloque « Écho et Reprise dans les séries télévisées », organisé par Sylvaine Bataille, Florence Cabaret et Sarah Hatchuel à l’université de Rouen, du 12 au 14 septembre 2012. http:// rouenseriestv2012.mont-saint-jean.com/coll2programme.html 4. Séminaire « Narrations sérielles et Transmédialité » : saison 1 (2012-2013), saison 2 (2013-2014), université Sorbonne nouvelle-Paris 3, organisé par Danièle André, Claire Cornillon et Anne Kustritz. En collaboration avec l’université d’Amsterdam. http:// transmedia.hypotheses.org

INDEX

Mots-clés : adaptation, genre, intertextualité, métafiction, transmédia, transposition Keywords : adaptation, gender, , metafiction, transmedia, transposition

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AUTEURS

CLAIRE CORNILLON Claire Cornillon est ingénieur de recherche postdoctoral à l'université du Havre. Elle est agrégée de Lettres Modernes et docteure en Littérature Comparée. Ces recherches les plus récentes portent sur les séries télévisées ainsi que sur le transmédia. Elle co-dirige le projet « Narrations sérielles et Transmédialité » à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 depuis 2012. Elle est par ailleurs directrice de la rédaction de Lintermede.com.

FLORENCE CABARET Florence Cabaret is a Lecturer at the University of Rouen, France. She mainly works on Indian novelists writing in English, a central point of interest that she has recently managed to combine with the study of certain ethnic British and American TV series, as well as with the study of Indian films in English. She is also the translator of Hanif Kureishi’s and Chloe Hooper’s latest and short stories. With Sylvaine Bataille, she co-edited the two 2013 volumes of TV/Series dedicated to “Recycling, Remaking, Resuming”

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Les amorces narratives, ou le plaisir des histoires cousues de fil blanc

Marie Tréfousse

1 L’amorce narrative est définie par Gérard Genette dans Figures III. Il la classe aux côtés de l’annonce, dans la catégorie prolepse, c’est-à-dire la catégorie de l’« anachronie par anticipation1 » :

L’amorce, à la différence de l’annonce, n’est qu’un « germe insignifiant », et même imperceptible, dont la valeur de germe ne sera reconnue que plus tard, et de façon rétrospective. Encore faut-il tenir compte de l’éventuelle (ou plutôt variable) compétence narrative du lecteur, née de l’habitude, qui permet de déchiffrer de plus en plus vite le code narratif en général, ou propre à tel genre, ou à telle œuvre, et d’identifier les « germes » dès leur apparition2.

La terminologie anglo-saxonne, quant à elle, offre deux termes, et telegraphing, que Hallie Ephton définit ainsi :

When you insert a hint of what’s to come, look at it critically and decide whether it’s something the reader will glide right by but remember later with an Aha! That’s foreshadowing. If instead the reader groans and guesses what’s coming, you’ve telegraphed. Ultimately, the line between foreshadowing and telegraphing is in the eye of the beholder3.

2 Une amorce, même de type télégraphié, n’est qu’un « germe », un élément implicite qui n’apporte pas de certitude – Hallie Ephton dit que le lecteur « devine », non qu’il est certain. Le caractère implicite de l’amorce est ainsi ce qui la différencie de l’annonce4. Par l’amorce, le spectateur est amené à deviner la suite de l’histoire. L’expression populaire à teneur péjorative « cette histoire est cousue de fil blanc » peut donc s’appliquer aux histoires qui contiennent de nombreuses amorces, chaque amorce étant une partie apparente du fil en question.

3 En étudiant la stratégie mise en place par les amorces, cet article interrogera plus particulièrement les histoires/séries cousues de fil blanc – même si notre corpus n’est pas exempt de feuilletons diffusés sur de prestigieuses chaînes câblées comme HBO et

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Showtime. Nos exemples seront issus de divers feuilletons mais (FOX, 1992-99) y occupe une place de choix puisqu’il nous servira à montrer qu’un seul et même feuilleton peut réunir différents types d’amorces. Enfin, bien que les amorces soient également présentes dans les séries à épisodes bouclés, notre étude se limitera aux seuls feuilletons. Il sera donc tout d’abord question d’amorces simples (amorce, attente, résolution) qui tendent à mettre un personnage en danger, avec des exemples issus de Plus belle la vie (France 3, 2004-), Game of Thrones (HBO, 2011-), Melrose Place et The L Word (Showtime, 2004-10). Puis, de ces exemples, nous dégagerons les fonctions de l’amorce. Nous nous intéresserons ensuite à ce que nous appellerons des amorces « filées », c’est-à-dire des amorces en série (amorce 1, attente, amorce 2, attente, amorce 3, etc., jusqu’à la résolution) qui peuvent s’étendre sur un grand nombre d’épisodes – ce qui explique aussi notre intérêt exclusif pour le feuilleton. Par le biais des amorces filées, nous étudierons alors deux stratégies récurrentes dans les feuilletons : celle qui consiste à susciter l’envie du spectateur de voir deux personnages vivre une histoire d’amour, avec des exemples issus de Melrose Place et de Life on Mars (ABC, 2008-09), puis celle qui déclenche l’envie qu’un personnage soit « le méchant » (au sens du terme anglo-saxon « villain »), avec pour exemple Melrose Place, Dexter (Showtime 2006-13) et Homeland (Showtime 2011-).

1. L’amorce simple : faire peser un danger sur un personnage par une amorce construite sur un hybris

4 L’hybris est une notion grecque qui repose sur la démesure et sur le destin. C’est une sorte de péché d’orgueil puni par la destruction (némésis). Traditionnellement, il n’est pas bon pour un personnage de présumer de son avenir ni de la part de bonheur qui lui a été attribué : c’est offenser et outrager les dieux, ce qui appelle un châtiment. Dans les films d’horreur, lorsqu’un personnage dit « I’ll be right back » alors que la situation est plus ou moins dangereuse, il signe son arrêt de mort5. Dans le feuilleton, l’hybris est également utilisé de deux manières : soit par un outrage direct, c’est-à-dire par une vantardise du type « I’ll be right back », soit de façon dégradée sous la forme d’une promesse, d’une interdiction ou d’un conseil. Un exemple d’outrage direct peut se trouver dans l’épisode n°1513 de Plus belle la vie (France 3, 2004-). Vadim apprend une très bonne nouvelle. Il boit une coupe de champagne avec sa Luna pour célébrer son succès. Puis, alors qu’elle est sur le point de monter en voiture (le couple doit se rendre à une soirée), Luna lui demande : « Tu es sûr qu’on prend la voiture ? On a bu quand même !? » Vadim répond : « Aujourd’hui, c’est mon jour de chance ; il ne peut rien m’arriver ! » Et, quelques minutes plus tard, au moment du , leur voiture se fracasse contre le versant d’une montagne. Dans cet exemple, Vadim « offense les dieux » de façon très explicite. Les amorces impliquent ainsi un fonctionnement en trois temps : mise en germe, attente, résolution.

5 Le même procédé est à l’oeuvre dans le pilote de Game of Thrones, même si c’est de façon un peu moins sensible : l’outrage n’est pas direct mais dégradé, se présentant sous la forme d’une interdiction mêlée à une promesse. À la minute 15, la mère, Catelyn, dit à son petit garçon, Bran, qui escalade une muraille : « I want you to promise me, no more climbing6 ». Bran promet, mal assuré, et, bien que Catelyn lui dise qu’il ment mal, au moment du cliffhanger, Bran tombe d’une muraille7. L’hybris étant puni par la destruction, les amorces construites sur l’hybris trouvent systématiquement une

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résolution à l’inverse : ce ne sera pas le jour de chance de Vadim, et Bran escaladera de nouveau une muraille. Les phrases « aujourd’hui, c’est mon jour de chance, il ne peut rien m’arriver » et « no more climbing » ont l’effet de phrases magiques, de paroles performatives qui fonctionnent a contrario et à retardement. Ce retardement – c’est-à- dire le temps d’attente entre l’amorce et sa résolution, que Gérard Genette appelle la portée8 de l’amorce – est de longueur variable. Dans les deux exemples cités, la portée de l’amorce est assez courte : elle ne dépasse pas le cadre de l’épisode, la résolution ayant lieu lors du cliffhanger9. À l’inverse, dans les exemples à venir, la portée de l’amorce dépassera le cadre de l’épisode.

6 L’hybris permet de faire peser un danger sur un personnage. Mais, ce danger n’est pas nécessairement tragique et il peut prendre plusieurs formes, comique parfois, comme dans l’une des intrigues de la saison 2 de Melrose Place. Dans l’épisode 2.13, Michael Manccini ayant eu un grave accident, Jane, son ex-femme, accepte de l’héberger. Michael lui promet : « You won’t regret this Jane, I promise10. » Et, quatre épisodes plus tard11, Jane le met à la porte avec fracas, ayant largement matière à regretter de l’avoir hébergé. Cette résolution se produit à la minute vingt-sept de l’épisode, dans le début de l’acte trois, non lors du cliffhanger de l’épisode, ni même lors d’un cliffhanger de fin d’acte12. Toutes les configurations sont possibles (la résolution de l’amorce pouvant avoir lieu à tout moment) mais il est fructueux que l’amorce ait lieu lors d’un cliffhanger : cela permet de se projeter dans la suite de la fiction et d’entretenir les questionnements métadiégétiques sur lesquels repose le . Ainsi, à la fin de la saison 4 de The L World, alors que Bette vient de reconquérir l’amour de Jodi, cette dernière lui confie : « You’d better not break my heart. » Cette phrase est la dernière de la saison 4 : elle sert donc de cliffhanger à la saison, ce qui lui confère un poids considérable. Il semble ainsi fort probable que, par la suite, Bette brisera le cœur de Jodi, même si rien n’est moins certain.

7 Après ces quelques exemples d’amorces construites sur l’hybris, il est nécessaire d’énoncer les fonctions de l’amorce, sur lesquelles nous reviendrons en détail dans la suite de cet article :

8 1 – La fonction première de l’amorce, qui lui est inhérente, est d’introduire un événement et de l’amener de façon à ce qu’il ne semble pas « parachuté ».

9 2 – L’amorce mène le spectateur à craindre (ou espérer) tel événement pour tel personnage en posant indirectement la question « que va-t-il advenir de lui ? » Elle crée donc du suspense, une attente. Aussi le procédé de l’amorce fonctionne-t-il en trois temps : amorce, attente, résolution13.

10 3 – L’amorce crée, insidieusement, le désir que l’événement amorcé se produise. Il s’agit probablement de la fonction la plus importante de l’amorce : créer et orienter les désirs du spectateur, comme le souligne Umberto Eco, dans Eloge de MC, à propos de Dantès :

Il suffit de se reporter aux trois premiers chapitres et de voir combien de fois Edmond Dantès clame à qui veut l’entendre qu’il a l’intention de se marier et qu’il est heureux : quatorze ans au fond du château d’If, c’est encore trop peu pour un pleurnichard de cet acabit14.

À force de dire qu’il est heureux, Dantès « énerve » le lecteur, qui finit par souhaiter que les choses ne se passent pas aussi facilement. Dans cet exemple, Dantès clame son bonheur à plusieurs reprises : il y a donc plusieurs amorces qui sont enchaînées avant la résolution. Et c’est pourquoi nous avons décidé de les appeler « amorces filées ».

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11 4 – L’amorce accroche le spectateur à la fiction en lui faisant espérer que ses « prévisions » se réaliseront et en lui faisant attendre une « confirmation15 » de ses prévisions.

12 5 – L’amorce permet au spectateur de « savourer16 » par avance.

13 6 – La résolution de l’amorce permet de flatter l’égo du spectateur car, ayant anticipé l’événement, lorsque celui-ci se produira, le spectateur aura la satisfaction de pouvoir se dire « j’en étais sûr, je le savais ». Il éprouve ainsi le plaisir de se sentir « plus fort » que la fiction, « au-dessus » de la fiction – ce qui est somme toute logique puisque le spectateur se trouve dans une attitude métadiégétique, consciemment ou inconsciemment. L’amorce apporte donc au spectateur une sensation de contrôle.

14 7 – La résolution de l’amorce procure le plaisir de l’attente comblée.

15 C’est dans les amorces filées que les fonctions trois à sept de l’amorce sont les plus effectives et que la manipulation du spectateur est la plus manifeste.

2. Créer le désir que deux personnages vivent une histoire d’amour par des amorces filées construites sur des clichés narratifs

16 Les amorces filées qui contribuent à créer le désir que deux personnages vivent une histoire d’amour sont le plus souvent construites sur un cliché narratif. Le cliché met le spectateur face à un élément déjà connu, auquel il a eu affaire dans un autre feuilleton et dont on lui a déjà représenté les conséquences – en l’occurrence, ici, l’union des deux personnages. Selon Ruth Amossy et Anne Herschberg Pierrot, chaque cliché autorise « une certaine mesure de prévisibilité17 ». Il est donc permis de considérer qu’une amorce peut se construire autour d’un cliché narratif. Ce que nous entendons par cliché narratif correspond aux éléments de la classe des « stéréotypes thématico-narratifs18 ». Nous y ajoutons ce que Bernard Timberg appelle « stylized expressions »19, que nous traduirons librement par « macro expressions » et qui sont proches des « têtes d’expression » de Louis-Leopold Boilly, où le peintre amplifie la réaction émotionnelle sur la physionomie du personnage. Le terme de « macro expressions » nous paraît également faire écho aux sciences comportementales qui étudient les micro expressions : puisque, ce dont il s’agit ici, est bien d’amplifier ces micro expressions pour les rendre signifiantes dramaturgiquement. Les macro expressions sont si constitutives du soap opera et du feuilleton en général qu’il en est question dans la série Friends (NBC, 1994-2004) où le personnage de Joey, qui est lui-même comédien de soap opera, donne un cours sur le jeu de l’acteur de soap. Il declare un jour à ses étudiants : « Let’s say I wanna convey that I’ve just done something evil. That would be your basic ‘I’ve got a fish hook in my eyebrow and I like it.’20 » – et il exécute la mimique en même temps qu’il la décrit21 (voir figure 1) :

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Fig. 1 : La mimique de Joey

Friends, 3.07

17 Joey emploie le verbe « convey » : il s’agit donc de « transmettre » une information au spectateur, de lui faire connaître les pensées et les intentions du personnage par une mimique signifiante. Il est à noter que ces macro expressions sont également présentes dans les romans-feuilletons du XIXe siècle22.

18 Dans cette partie, nous tenterons de comprendre comment les amorces filées créent et orientent les désirs du spectateur. Pour commencer, nous allons présenter les neuf amorces qui mènent à l’union d’Alison et Billy dans la saison 1 de Melrose Place. Afin de prouver qu’il est bien question de clichés fréquemment employés dans les feuilletons, nous nous référerons également à une autre relation amoureuse, celle d’Annie et Sam dans la version américaine de Life on Mars. Par souci de clarté, notre présentation suivra l’ordre chronologique de la relation d’Alison et Billy.

Amorce n° 1 : le sourire

19 Le premier signe annonciateur d’une relation amoureuse est généralement un sourire, c’est-à-dire une macro expression. C’est le cas dans la relation d’Alison et Billy. Ils sont colocataires – Billy vient tout juste d’emménager – et, lorsqu’au début de l’épisode pilote, Alison aperçoit Billy torse nu, son sourire gêné fait comprendre qu’elle n’est pas insensible à ce qu’elle voit23 (voir figure 2). Les scénaristes américains désignent d’ailleurs ce type de situation dramatique par le terme « meet cute24 » (« la rencontre du beau gosse »). La première amorce a pour effet d’éveiller la curiosité du spectateur.

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Fig. 2 : Un meet-cute ?

Melrose Place, 1.01

20 S’agissant de la relation d’Annie et Sam, le sourire qu’ils échangent n’a pas lieu dans les premiers moments de leur relation mais seulement lors de l’épisode 1.6 ; cependant il s’agit bien de la première amorce de leur relation, et donc d’un meet cute. Par ailleurs, c’est lors du cliffhanger de l’épisode qu’Annie et Sam échangent ce sourire, ce qui lui confère un poids supplémentaire (voir figure 3) :

Fig. 3 : Le « meet cute » entre Annie et Sam

Melrose Place, 1.06

Amorce n°2 : la confidence

21 La confidence est une étape incontournable puisque c’est par son entremise que les personnages accèdent à un certain degré d’intimité25. Dans l’épisode pilote de Melrose Place, Billy, bien qu’embarrassé, avoue à Alison qu’il ne gagne pas sa vie en tant qu’écrivain mais qu’il donne des cours de danse26. Dans Life on Mars, Annie avoue à Sam qu’elle n’a jamais pris l’avion et qu’elle n’est jamais sortie de l’état de New York27.

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Amorce n°3 : nier son état amoureux et préciser la nature de la relation

22 Dans l’épisode 1.2 de Melrose Place, Alison se plaint à des amis de la nouvelle petite amie de Billy28 : ALISON. I know, I’m just… JANE. (la coupe) – Jealous?! ALISON. No! Why is everyone keep saying that? MICHAEL. Well you and Billy are living together. ALISON. Roommates, only roommates.

23 Alison nie être jalouse et précise la nature de leur relation de colocataires. Avec la troisième amorce, le système est en place et le spectateur sent que quelque chose va se passer. Dans Life on Mars, lorsque Maria tente de faire comprendre à Sam qu’il est amoureux d’Annie, Sam répond : « Annie ? No, no, no, we’re friends29. » Sam nie être amoureux et précise qu’Annie et lui sont amis.

Amorce n°4 : faire semblant d’être en couple

24 Faire semblant d’être en couple oblige les personnages à une certaine proximité physique. Dans l’épisode 1.7 de Melrose Place, afin de se faire valoir, Billy fait croire à ses parents qu’Alison est sa petite amie ; aussi Billy et Alison sont-ils amenés à dormir dans le même lit. Dans Life on Mars, Annie et Sam étant policiers, c’est pour une infiltration qu’ils font semblant d’être en couple tout au long de l’épisode 1.14.

Amorce n°5 : dans un état de conscience altéré, fantasmer sur l’autre

25 Dans l’épisode 1.16 de Melrose Place, Billy prend des anti-douleurs pour apaiser une rage de dent, puis il s’endort. Le spectateur assiste à un rêve dans lequel Alison et lui s’embrassent. De même, dans Life on Mars, le spectateur voit le rêve de Sam qui a pris du LSD à son insu : il fantasme sur plusieurs , dont Annie30. Ce cliché, dont ces exemples illustrent une première forme, en revêt parfois une seconde : dans un état de conscience altérée, le personnage avoue son état amoureux. Dans l’épisode 4.11 de Melrose Place, Jane, Jake et sa petite amie du moment ont bu quelques verres d’alcool, et Jane dit à Jake, devant sa petite amie : « I’ve always liked you Jake, you’re a good guy, you’re a really really decent guy. And so good looking. Isn’t he good looking !?31 » Ici, l’alcool mène Jane à des compliments qui ressemblent à une déclaration d’amour. Dans la relation entre Kimberly et Michael (toujours dans la saison 4 de Melrose Place), ce cliché est poussé à l’extrême. Michael (qui est médecin), alors qu’il prétend faire une injection de vitamines à Kimberly, lui injecte du sérum de vérité car il la soupçonne de vouloir s’en prendre à lui. Kimberly, sous l’effet du sérum, lui dit qu’elle ne lui fera plus jamais de mal car elle l’aime de tout son cœur et de toute son âme32. L’état de conscience altérée engendre donc soit le fantasme soit l’aveu.

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Amorce n°6 : sauver l’autre d’un danger

26 Sauver l’autre d’un danger équivaut au topos du prince charmant qui sauve la princesse. C’est le cas dans la saison 4 de Melrose Place où Jake sauve Jane de la noyade33 et Michael sauve Kimberly d’une explosion34. À partir du moment où un personnage sauve l’autre, ils se retrouvent liés. Ce cliché arrive de façon un peu atténuée entre Alison et Billy : dans l’épisode 1.18, alors qu’une une tumeur a été diagnostiquée à Alison, Billy trouve l’argent nécessaire à l’intervention chirurgicale (ce qui constitue un vrai défi) et soutient Alison de ses encouragements constants avant et après l’opération. Plus ostensiblement dans Life on Mars, Sam sauve Annie des mains d’un tueur au cours de l’épisode 1.7.

Amorce n°7 : nier son état amoureux (bis)

27 Chacun des deux personnages se doit de nier son état amoureux. Dans l’épisode 1.18 de Melrose Place, Billy parle d’Alison à des amis communs, Jake et Jo35 : JAKE. Billy, you know what I think: you should wonder how you really feel about Alison. BILLY. I don’t have feelings for Alison!

28 La négation de Billy est très affirmée et très énergique, et sonne comme une dénégation. Dans l’épisode 1.17 de Life on Mars, c’est au tour d’Annie de nier ses sentiments lors d’une dispute avec Ray, arbitrée par le commissaire36 : RAY. Ah, please! They’re in love! Tyler [Sam] burps and she looks at him like he’s singing a melody. To me the all thing is nausia! LE COMMISSAIRE. All right, all right. Is that true Norris [Annie]? ANNIE. No sir.

Amorce n°8 : hybris

29 L’hybris étant un stéréotype thématique, nous nous permettons de l’inclure à cette liste d’amorces. On trouve l’hybris sous forme de conseil dans l’épisode 1.20 de Melrose Place. Jo, voisine et amie d’Alison, lui dit : « Alison, some advise : never go out with anyone in the building37 ». Il n’y a pas d’exemple similaire dans Life on Mars.

Amorce n°9 : la femme panse les plaies de l’homme blessé

30 Il faut évoquer un cliché qui, bien qu’absent de la relation d’Alison et Billy, est fort courant. Il s’agit du personnage, quasi christique, de la femme qui panse les plaies de l’homme, au sens littéral uniquement, et qui implique une proximité physique. Ce cliché est présent à la minute 12 de l’épisode 1.9 de Life on Mars. On le trouve dans de nombreux feuilletons ainsi que dans certains films.

Amorce n°10 : dernier retardement

31 Le dernier retardement est une étape presque obligatoire. Dans Melrose Place, Billy se met en couple avec Amanda depuis l’épisode 1.23 jusqu’à l’épisode 1.24 ; l’union d’Alison et Billy semble donc compromise. Dans l’épisode 1.16 de Life on Mars, Sam tente de partir38, ce qui équivaudrait à ne plus jamais revoir Annie.

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32 Revenons maintenant sur les fonctions 3 et 4 de l’amorce filée. Il est donné au spectateur de nombreuses amorces, le spectateur les remarque, consciemment ou inconsciemment (selon sa « compétence narrative ») et présume qu’un événement va se produire – en l’occurrence l’union des couples Alison/Billy et Annie/Sam. Quelque soit le nombre d’amorces qui compose l’amorce filée, le spectateur ne peut qu’émettre des hypothèses, car l’amorce n’apporte jamais de certitude. Dans Lector in fabula, Umberto Eco écrit : « le lecteur, en faisant ces prévisions, assume une attitude proportionnelle (il croit, il désire, il souhaite, il espère, il pense) quant à l’évolution des choses39. » Les possibilités diégétiques sont donc ouvertes et le spectateur est tiraillé entre deux possibilités : l’événement peut se produire ou non. Dans les feuilletons, le spectateur est amené à faire des prévisions sur la suite de la diégèse et devient, en quelque sorte, un enquêteur métadiégétique ; or, il est humain d’espérer être un bon enquêteur plutôt qu’un mauvais. C’est ici qu’opère la troisième fonction de l’amorce – celle de créer et d’orienter les désirs du spectateur. Car, après avoir remarqué une ou plusieurs amorces, le spectateur finit par espérer qu’il a su décoder la fiction, au point d’espérer que ses prévisions se vérifient. L’espoir d’être un bon enquêteur étant plus de l’ordre de l’inconscient que du conscient et les prévisions de l’ordre de « l’intime conviction », c’est très sincèrement que le spectateur désire l’union des couples Alison/Billy et Annie/Sam – et, peut-être, sans vraiment savoir pourquoi. L’acte est manipulateur car le spectateur croit que ce désir provient de lui, alors que tout cela lui a été savamment insufflé par les créateurs.

33 De plus, à partir du moment où le spectateur est mu par l’espoir qu’un événement précis advienne, il est légitime de penser qu’il continue de suivre la fiction au moins en partie parce qu’il attend que cet événement se produise, parce qu’il attend d’avoir confirmation que ses prévisions étaient justes. Il s’agit de la quatrième fonction de l’amorce filée : accrocher le spectateur à la fiction où il espère trouver la preuve qu’il est un bon enquêteur métadiégétique. Même si l’accumulation des amorces porte à croire que ces couples finiront par se former, rien non plus ne l’assure. Les propos d’Umberto Eco quant aux redondances dans Le Comte de Monte-Cristo peuvent s’appliquer aux amorces filées :

On découvre que les horribles intempérances stylistiques [les redondances] sont, certes, des « chevilles », mais qu’elles ont une valeur structurale, comme les barres de graphite dans les réacteurs nucléaires, ralentissant le rythme pour rendre nos attentes plus lancinantes, nos prévisions plus hasardeuses40.

34 Chaque amorce est une pique qui constitue l’effet lancinant – chaque amorce est une partie visible du fil blanc dont est cousue l’histoire – et certaines amorces rendent « nos prévisions plus hasardeuses », comme l’amorce n°10 (le dernier retardement).

35 Bien qu’il soit évident, que l’événement amorcé se produira, le spectateur est maintenu dans un état de doute. Certes, ce doute est « mince » mais il est justement calibré pour titiller le spectateur et lui faire convoiter une confirmation. Les amorces filées créent, puis attisent des désirs que le spectateur croit siens, et accrochent ce dernier à la fiction en lui faisant guetter le moment où ses prévisions se réaliseront. Le procédé est donc doublement fructueux et « manipulateur » par essence.

36 En ce qui concerne les relations amoureuses, ce procédé peut s’étendre sur une longue période : neuf mois41 pour Alison et Billy, cinq mois 42 pour Annie et Tyler. La

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confirmation sait se faire attendre43. Or, l’attente est un élément primordial du feuilleton44. Billy et Alison s’embrassent enfin dans l’épisode 1.28, et Annie et Sam dans l’épisode 1.

3. Créer le désir qu’un personnage soit le « méchant »

37 Le personnage du méchant est très fréquent dans les feuilletons. Le plus souvent, il est immédiatement identifié par des signes explicites mais, parfois, il l'est par des amorces, c’est-à-dire par des signes implicites. Nous illustrerons ce propos en analysant les amorces qui, dans les épisodes 1.7 et 1.8 de Dexter, mènent le spectateur à souhaiter que Rudy, petit ami de la sœur du héros, soit le méchant.

38 De nombreux éléments, plus souvent métadiégétiques (hybris, cliché, émotion stéréotypée) que diégétiques, vont mener le spectateur à penser que Rudy est le tueur – mais, de son côté, Dexter n’aura accès à aucun de ces éléments d’information et restera dans l’ignorance jusqu’au dernier moment. Umberto Eco définit cette « reconnaissance contrefaite » en ces termes :

Avec la reconnaissance contrefaite, le personnage tombe des nues lors de la révélation, tandis que le lecteur sait déjà ce qui se passe. Exemple type : les multiples dévoilements de Monte-Cristo à ses ennemis, que le public attend et savoure dès la moitié du roman45.

39 Par le biais des amorces, non seulement le public attend (quatrième fonction de l’amorce), mais il savoure aussi à l’avance le moment du dévoilement (cinquième fonction). De même, Jennifer Hayward insiste sur la notion de plaisir :

Soap viewers, far from being ‘tricked’ into expecting a that never arrives, profoundly enjoy the extended suspense, which has been refined to an art over centuries of serialization46.

Le moment dont parle Jennifer Hayward, moment de suspense étendu très apprécié des spectateurs, correspond au moment dont parle aussi Umberto Eco, où le public « savoure » par avance. En ce qui concerne l’amorce filée, ce moment commence avec la première amorce et se termine avec la résolution.

40 Précisons une particularité de l’intrigue de Dexter : le spectateur, en visionnant l’épisode 7, a plus ou moins oublié le personnage de Rudy qui n’a fait qu’une brève apparition dans l’épisode 1.547, et les scénaristes, avant de créer le désir que Rudy soit le tueur, vont d’abord créer celui que Neil Perry, individu présumé coupable par la police, ne le soit pas. Résumons le début de la première saison de Dexter. Le commissariat central de Miami est sur la piste d’un tueur en série nommé « the ice truck killer » (« le tueur au camion réfrigéré »). Dexter, le héros, qui travaille au département scientifique du commissariat, en partie pour mieux cacher qu’il est lui même tueur en série, a été contacté par « the ice truck killer » et, sans qu’ils ne se soient jamais vus, un jeu, puis un respect mutuel, s’instaurent entre les deux hommes. Dexter admire les techniques sophistiquées de cet autre tueur et voit en lui la personne qui, enfin, pourrait le comprendre et l’accepter tel qu’il est. Dans l’épisode 7, tous les membres de l’équipe de police sont persuadés de la culpabilité du suspect numéro un, un homme du nom de Neil Perry. Dexter craint donc que son « ami » ait été pris et ne le dénonce. Mais, en voyant la photo de Neil Perry, Dexter et le spectateur découvrent un visage, et surtout

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une expression, en totale contradiction avec ce que l’on est en droit d’attendre de la part de quelqu’un que l’on admire (voir figure 4) :

Fig. 4 : Découverte de Neil Perry

Dexter, 1.07

41 Dexter demande à sa sœur Deb, qui fait partie de l’équipe de police : « You really think this is the guy !? Hardly look like a guy capable of terrorising Miami, a science camp maybe48. » Ce jugement ironique et méprisant de Dexter – et drôle, ce qui désacralise d’autant plus le suspect – est fondé sur l’apparence physique. Or, l’apparence physique n’est pas une preuve, ni même un indice. Il s’agit d’une amorce sous forme d’enthymème (« the ice truck killer » est sophistiqué, Neil Perry semble frustre, il est donc peu probable que Neil Perry soit « the ice truck killer »). Cela engage le spectateur dans une attitude métadiégètique, qui le à espérer, pour le bien de la diégèse, que le grossier personnage de la photo, Neil Perry, ne soit pas le tueur en série ardemment recherché depuis l’épisode pilote.

42 La deuxième amorce est dans le prolongement de la première. Elle a lieu vingt minutes plus tard. L’équipe de police fouille le domicile de Neil Perry, insalubre et empli d’objets hétéroclites plutôt kitsch, parmi lesquels on trouve de nombreux animaux empaillés – ce qui incite le spectateur à souhaiter que Neil Perry ne soit pas « the ice truck killer » car son domicile ne correspond pas à l’image sophistiquée que Dexter s’est faite du tueur. Aussi Dexter, avec qui le spectateur est donc en accord, assène-t-il à sa sœur : « I hate to break this to you, Deb, but you know you got the wrong guy here49. » Une troisième amorce, cinq minutes plus tard, réitère la thèse du contraste entre l’intelligence supposée du tueur et l’aspect frustre de Neil Perry. Dexter pense en voix off : « The first time I saw his work I felt like a Spanish explorer landing on the shores of a new world; no blood in the victims, no spatter, no stain; Deb is wrong about him50. »

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Puis Dexter, et le spectateur avec lui, commence à avoir des doutes et à envisager la culpabilité de Neil Perry qui, lors de son interrogatoire (interrogatoire retransmis par vidéo – si bien que Dexter voit Neil Perry sans être vu de lui) est un peu plus raffiné que ce à quoi l’on s’attendait. Dexter doute. En observant le visage de Neil Perry sur l’écran vidéo, il confie à la caméra : « At least I hope he’s a fraud51. » Cette quatrième amorce a pour fonction de rendre « nos prévisions plus hasardeuses ». Il s’agit donc moins d’une amorce que d’un leurre52. Mais, dès le plan suivant, le spectateur est aiguillé sur la piste de Rudy. Voici les deux plans successifs53 :

Fig. 5 : Plans successifs de Neil Perry à Rudy

Dexter, 1.07

43 Après un gros plan sur Neil Perry, que le spectateur et Dexter espèrent être un imposteur, vient un plan large dans lequel Rudy se trouve au centre, comme au bout d’un tunnel. Or Rudy, qui avait fait une brève apparition dans l’épisode 1.5, est médecin spécialisé en membres artificiels, ce qui fait de lui un suspect potentiel, « the ice truck killer » ayant la particularité de démembrer ses victimes. Rudy est de surcroît bien plus séduisant et raffiné que Neil Perry. Cette cinquième amorce repose sur la succession de deux plans, c’est-à-dire sur un effet de montage. Le fondement de l’amorce est donc différent de celui de l’indice des romans policiers, qui repose sur des éléments de la diégèse54, alors que l’amorce repose sur des éléments métadiégétiques ; on pourrait dire que l’amorce est un indice métadiégétique.

44 Une sixième amorce, sous forme de cliché narratif, vient tout de suite renforcer l’effet de la cinquième qui, certes, était ténu. Il faut savoir que Deb, la sœur de Dexter, que l’on peut voir à gauche de Rudy sur les images ci-dessus et ci-dessous, a été présentée depuis le début de la série comme le personnage dont les histoires sentimentales s’avèrent toujours catastrophiques – elle représente la jeune fille qui ne cesse de faire de mauvais choix amoureux (« who falls for the wrong guy »). Or, Deb semble sous le charme de Rudy, comme on peut le voir dans l’image suivante55 :

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Fig. 6 : L’attirance de Deb pour Rudy

Dexter, 1.07

45 À la fin de la scène, Deb accepte d’aller dîner avec Rudy en tête-à-tête. Aux yeux du spectateur, Rudy devient alors un suspect idéal car, en plus d’avoir les connaissances médicales nécessaires et en plus d’être plutôt raffiné et séduisant, il met potentiellement Deb en danger de par leur nouvelle proximité sentimentale, ce qui n’est pas le cas de Neil Perry, et ce qui fait de Rudy un méchant bien plus intéressant. Pourtant, cinq minutes plus tard56, la septième amorce sème le doute (il s’agit donc d’un leurre) : Neil Perry, dont l’interrogatoire se poursuit, revendique son et, pour donner foi à ses propos, explique les procédés techniques utilisés avec une précision qui convainc l’assemblée (y compris Dexter) de sa culpabilité. Le spectateur, bien qu’engagé sur la piste de Rudy, est maintenu dans un état de doute. Cinq autres minutes plus tard57, lorsque Deb et Rudy s’embrassent (ce qui constitue une amorce sous forme de cliché narratif), le spectateur est de nouveau orienté sur la piste de Rudy. Il est donc ballotté d’une piste à l’autre. Mais, malgré tout, il en sait plus que Dexter qui, lui, n’a jamais été orienté sur la piste de Rudy.

46 Enfin, lors du cliffhanger de l’épisode, Dexter et le spectateur ont la confirmation que Neil Perry n’est pas « the ice truck killer ». Dexter, qui n’a jamais vu Neil Perry que par écran vidéo interposé, trouve l’occasion de se faufiler dans la salle d’interrogatoire. Précisons que si Dexter ne connaît pas le visage du tueur, ce dernier connaît le sien. Or, Neil Perry, lorsqu’il se retrouve face à Dexter, lui demande : « Who the fuck are you !?58 » sur un ton méprisant qui ne saurait provenir de la personne avec qui Dexter entretient une relation de respect. Cette confirmation est soulignée par un changement de musique, passant d’une atmosphère tendue à une atmosphère joyeuse, voire victorieuse (la scène est presque comique), et par le changement de l’expression faciale de Dexter qui clôt l’épisode en passant d’un visage sombre à un sourire de contentement.

47 La confirmation que Neil Perry n’est pas le tueur étant un moment dramatique fort, il est cohérent qu’elle advienne lors du cliffhanger, qui est le point culminant – de plus, elle atténue la frustration inhérente à ce moment de séparation d’avec la fiction. Cette

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confirmation comble l’attente provoquée par l’amorce et apporte au spectateur une sensation de contrôle par la satisfaction d’avoir su anticiper (combler et flatter sont à notre sens deux plaisirs distincts qui ici se cumulent). En cela, l’amorce est un élément structurel, constitutif de ce qu’Umberto Eco, en parlant de « la dynamique sollicitation- solution59 » des romans populaires, appelle une « machine gratifiante ». La métaphore de la « machine gratifiante » nous semble particulièrement appropriée pour décrire Dexter car, après avoir eu la confirmation que Neil Perry était un imposteur, le spectateur attend de savoir que Rudy est bien « the ice truck killer ».

48 Dans l’épisode 1.8, quatre amorces viennent titiller le spectateur avant qu’il n’obtienne cette dernière confirmation lors du cliffhanger. Tout d’abord, à la suite de leur premiers ébats amoureux, Rudy dit à Deb : « I love your legs, I love your arms, I couldn’t have made them better myself60. » Rudy parle de jambes et de bras dans des circonstances où l’on s’attend à l’évocation de parties du corps plus spécifiquement féminines – cette amorce repose donc sur un cliché non conforme – et sa comparaison implicite avec son travail dénote une certaine mégalomanie. Puis, plus tard dans l’épisode, le spectateur partage le malaise de Deb lorsque Rudy lui demande s’il peut réaliser un moulage de ses jambes afin de fabriquer une prothèse pour l’une de ses patientes : « I wanna give her a smoking new pair of legs. Yours.61 » Dans cette même scène, le sourire malicieux de Rudy, filmé de surcroît en contre-plongée, constitue une amorce construite sur une macro expression : celle du sourire, non plus amoureux comme pour le meet cute, mais cette fois malicieux (voir figure 7)62.

Fig. 7 : La macro expression de Rudy

Dexter, 1.08

49 Une dernière amorce est présente dans la scène finale de l’épisode (elle précède la confirmation de peu). Deb et Rudy, chacun chez soi, se parlent au téléphone63 : RUDY. And, I’m a neat freak. DEB. You’re just full of surprises, ah?! RUDY. Oh you have no idea!…

50 Le terme « monstre » (freak) est employé. Si Deb ne peut imaginer que Rudy soit un monstre, les propos sont des plus explicites pour le spectateur. La confirmation a lieu

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quelques secondes après. Notons que la confirmation se doit d’être absolue et ne laisser aucun doute possible. Après avoir raccroché, Rudy se dirige vers son bureau, sur lequel on découvre un exemplaire similaire de la poupée Barbie offerte à Dexter par « the ice truck killer ». Cet élément est suffisant pour incriminer Rudy mais la confirmation est loin d’être aboutie. De la poupée sur le bureau, la caméra passe à l’écran d’ordinateur ; s’y trouve le mail que Dexter à envoyé au tueur : « frozen barbie looking for Ken. Dear Ken, I’m in pieces. Why the cold shoulder? Love, Barbie ». À ce mail, Rudy répond : « Barbie, be patient. One day we’ll share a cold one.64 »La réponse de Rudy est l’élément le plus important de cette confirmation (qui n’est toujours pas finie) car le spectateur a accès au sens second de la phrase « one day we’ll share a cold one » quand Dexter n’aura accès qu’au sens premier. Le spectateur comprend immédiatement que l’indéfini « one » représente Deb et non un cocktail. Ainsi, le cliffhanger contient la confirmation mais active le suspense en soulignant le danger encouru par Deb65. De plus, la position de supériorité du spectateur sur les personnages, sur Dexter en l’occurrence, est réaffirmée par ce procédé typique de l’ironique dramatique66. Rudy quitte son bureau et se rend dans une pièce (voir figure 8) ; la caméra s’approche très lentement de la porte dont s’échappe une fumée qui semble provoquée par le froid, qui est une des caractéristiques de « the ice truck killer » (voir figure 9):

Fig. 8 et 9 : confirmation a et b

Dexter, 1.08

51 Toujours lentement, la caméra s’approche du seuil de la porte et l’on aperçoit des bocaux dont le contenu reste indéterminé, comme pour ralentir une confirmation qui pourtant est déjà là. Puis, la caméra entre enfin dans la pièce. Du fait de la surexposition, on discerne le premier plan avant le second. Au premier plan, des membres découpés et empaquetés à la façon de « the ice truck killer » ; au second, Rudy qui a eu le temps de mettre un tablier, des lunettes de protection et ses gants. Ensuite, on voit Rudy prendre une perceuse, puis la caméra s’éloigne mais on entend le son de la perceuse. L’épisode se termine ainsi. La confirmation que Rudy est le tueur repose sur l’accumulation de cinq preuves : la poupée Barbie, le mail de Dexter, la réponse de Rudy, le froid qui s’échappe de la pièce secrète de Rudy, et Rudy s’apprêtant à découper des cadavres. Plus la confirmation a été attendue, plus elle se doit d’être magistrale.

52 Ce stratagème est également présent dans d’autres feuilletons : par exemple, dans l’épisode 1.22 de Melrose Place, où Jo retrouve un ami de lycée, Reed. Les amorces menant à croire que Reed est mal intentionné sont les suivantes. La première repose sur son apparence physique : Reed ressemble fortement à l’ex petit-ami de Jo, Jake, mais les traits de son visage sont un peu moins parfaits. C’est Jake en moins bien. Or, le feuilleton n’a pas besoin d’un second Jake (la place est déjà prise). La deuxième amorce est un élément diégétique : Reed dit à Jo qu’il sort de prison, qu’il a été inculpé pour

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trafic de stupéfiants mais qu’il était innocent. Puis une troisième amorce est mise en relief par un élément structurel, le cliffhanger de l’épisode 1.22, où Reed fait à Jo la surprise d’emménager soudainement dans la même ville qu’elle. Les amorces s’accumulent dans les épisodes suivants, jusqu’à nous montrer enfin Reed entreposer de la drogue dans la soute de son bateau dans l’épisode 1.24. De l’épisode 1.22 à l’épisode 1.24, le spectateur attend, espère, désire, « savoure » à l’avance, le fait que Reed soit le méchant, et que Jo ne le sache pas. Il en va de même du premier au dernier épisode de la saison 1 de Homeland. Le spectateur anticipe et se régale avant l’heure à l’idée que Brody, soldat américain de retour au pays après huit ans de captivité en Irak, ait été « retourné » lors de sa captivité, et qu’il incarne un danger pour le pays. Le spectateur est conduit à ce désir, d’une part, pour le bien du personnage de Carrie, agent de la CIA convaincue que Brody est passé à l’ennemi et qui prend de grands risques pour le prouver à sa hiérarchie ; d’autre part, pour le bien de la diégèse car si Brody n’est pas dangereux, la fiction n’a pas lieu d’être67.

53 Les amorces sont la matière première du suspense et, insidieusement, elles accrochent le spectateur à la fiction. Elles orientent les désirs du spectateur qui, inconscient ou même conscient de cette manipulation, « attend et savoure » à l’avance. Enfin, la résolution de l’amorce procure le plaisir de l’attente comblée tout en flattant le spectateur d’avoir su anticiper. Elles incitent donc le spectateur à être « actif », en lui donnant la sensation de « participer » à la fiction, ainsi que l’illusion d’un contrôle. Par ailleurs, elles sont utilisées dans trois cas : pour mettre un personnage en danger, pour orienter les relations amoureuses des personnages et pour introduire le personnage du méchant. Elles jouent donc sur les points les plus forts sur lesquels repose la dramaturgie – la mort, l'amour, le bien et le mal. Nous avons insisté sur l’aspect manipulateur des amorces, qui abusent le spectateur en créant des désirs que ce dernier croit sien tout en excitant un besoin de confirmation et de consolation, mais nous n’avons pas abordé le plaisir intellectuel qu’elles peuvent provoquer, celui de prévoir les éléments dramatiques et leurs combinaisons. Les feuilletons dont il a été ici question correspondent à ce qu’Umberto Eco appelle « la fabula à l’état pur, sans scrupule et libre de tensions problématiques68 », c’est-à-dire des dont la dynamique est centrée sur la dramaturgie et où chaque amorce est une « perche » que l’auteur tend au spectateur, une invitation au grand jeu de la lecture métadiégétique. Selon Umberto Eco, ce type de dramaturgie « va de Tom Jones aux Trois Mousquetaires jusqu’aux descendants actuels du roman-feuilleton » :

Ici, l’histoire, en résolvant ses propres nœuds, se console et nous console. La fin est point pour point ce que l’on attendait. […] Mais ce faisant, il [le roman populaire] déploiera une telle énergie, il libérera un tel bonheur, sinon inventif du moins combinatoire, qu’il proposera une jouissance qu’il serait hypocrite de nier69.

54 Dans cet article, nous avons déterminé deux éléments sur lesquels les amorces peuvent se construire : l’hybris et les clichés – du cliché narratif au cliché de l’expression physionomique. Mais nous savons qu’il existe d’autres éléments à partir desquels des amorces peuvent se construire car, comme nous l’avons vu, l’une des amorces étudiée dans Dexter est construite sur la succession de deux plans, c’est-à-dire sur un effet de montage. Il faudrait poursuivre cette étude afin de déterminer une typologie des amorces. Pour cela, il serait sans doute intéressant d’effectuer une étude du cliffhanger : en effet, certaines des amorces que nous avons étudiées ont lieu à ce moment précis

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(dans Life on Mars, le meet cute à lieu lors du cliffhanger de l’épisode 1.6 ; dans The L Word, c’est au moment du cliffhanger de la saison 4 que Jodi dit à Bette « You’d better not break my heart ») – ceci parce que le cliffhanger contient intrinsèquement une amorce. Il nous reste donc à déterminer sur quels éléments autres que l’hybris et le cliché les amorces peuvent se construire.

55 Par ailleurs, nous avons traité ici d’amorces narratives mais il existe, à un niveau microstructural, des amorces de texte, c’est-à-dire des phrases dont on devine la suite. À ce sujet, Jennifer Hayward indique : « one particularly active soap pleasure is […] predict moves (or scenes or lines)70 ». Ainsi, dans l’épisode 2.29 de Melrose Place. Michael Mancini dit à Kimberly Shaw : « Okay, so what are you saying? » Ce à quoi Kimberly répond : « That before, we did things your way… This time, we’re gonna do things my way71. » Dans cet exemple, le parallélisme guide le spectateur vers la certitude de l’épiphore. Notons que la comédienne marque évidemment une pause entre les deux parties du parallélisme. Avant que le lexème « way » soit énoncé une seconde fois, le spectateur sait qu’il le sera. Le spectateur est donc dans une attitude métatextuelle, à la recherche du texte. La stratégie des amorces est une machine à multiples ressorts.

BIBLIOGRAPHIE

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ECO Umberto, De au surhomme, Paris, Grasset, 1993.

ECO Umberto, Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985.

EPHRON Hallie, Writing and Selling your Mystery , Writer’s Digest Books, 2005.

GENETTE Gérard, Figures III, Paris, Seuil, 1992.

HAYWARD Jennifer, Consuming Pleasures, Lexington, The University Press of Kentucky, 1997.

NOTES

1. Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p. 105. 2. Ibid., p. 113. 3. Hallie Ephron, Writing and Selling Your Mystery Novel, Writer’s Digest Books, 2005, p. 165. 4. L’annonce est explicite et apporte une certitude. Selon Gérard Genette, « la formule canonique en est généralement un ‘nous verrons’, ou ‘on verra plus tard’ », in Figures III, p. 111. 5. Ceci est porté à l’état de théorie dans Scream (Wes Craven, 1996), à la minute 69, lorsque Randy énonce les règles qui permettent à un personnage de survivre dans un film d’horreur. 6. Catelyn : « Je veux que tu me promettes d’arrêter l’escalade. » (notre traduction, comme pour les autres citations en anglais de cet article) 7. Notons que l’ hybris n’est pas du fait de Bran mais de sa mère ; la némésis sera donc proportionnelle à sa faute : par sa chute, Bran ne perdra pas la vie mais l’usage de ses jambes.

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8. Genette définit la portée en ces termes : « une anachronie peut se porter, dans le passé ou dans l’avenir, plus ou moins loin du moment « présent » […] : nous appellerons portée de l’anachronie cette distance temporelle. » in Figures III, p.89. 9. Le cliffhanger est le moment de suspense mais, dans le cadre d’une réception sérielle, il s’agit également d’un moment de frustration puisque la fiction s’interrompt. Préparer le cliffhanger par une amorce est peut-être un moyen d’atténuer la frustration inhérente au cliffhanger et de laisser le spectateur sur une satisfaction, celle d’avoir pu anticiper. 10. Melrose Place, épisode 2.13, minute 27 : « Tu ne le regretteras pas, Jane : je te le promets. » 11. Ibid., épisode 2.18, minute 27. 12. Sur les chaînes du network américain, les feuilletons sont entrecoupés de quatre pauses publicitaires, si bien que la structure en cinq actes est très apparente. Les scénaristes écrivent donc en fonction des pauses publicitaires et ménagent un cliffhanger pour chaque interruption. Ce n’est pas du tout le cas en France, car le moment de la pause publicitaire n’est jamais déterminé à l’avance. 13. La résolution en elle-même est un événement : ainsi, l’accident de voiture de Vadim, la chute de Bran, le renvoi de Michael ou la rupture amoureuse entre Bette et Jodi. 14. Umberto Eco, De Superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993, p. 89. 15. Nous empruntons les termes utilisés par Umberto Eco dans Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985, p. 145 : « Une fois qu’il [le lecteur] aura lu, il se rendra compte si te texte a confirmé ou non sa prévision. Les états de la fabula confirment ou infirment (vérifient ou falsifient) la portion de fabula anticipée par le lecteur. » 16. Nous empruntons le terme utilisé par Umberto Eco dans « Eloge de Monte-Cristo » : « les multiples dévoilements de Monte-Cristo à ses ennemis, qui le public attend et savoure dès la moitié du roman », in De Superman au surhomme, p. 30. 17. Ruth Amosy et Anne Herschberg Pierrot, Stéréotypes et clichés, Paris, Armand Colin, 1997, p. 75. 18. Ibid., p. 74. 19. Hayward cite Bernard Timberg : « stylized expressions of pity, jealousy, rage, self-doubt », p. 156. 20. Friends, épisode 3.7 : « Imaginons que je veuille faire comprendre que j’ai fait quelque chose de mal, ce serait la situation classique du ‘j’ai un hameçon coincé dans un sourcil et j’aime ça.’ » 21. Scène disponible à l’adresse suivante : http://www.youtube.com/watch?v=wsVqP4_kAT0, lien consulté le 11 décembre 2014. 22. Umberto Eco dit du Comte de Monte-Cristo : « le roman est mécanique et gauche dans la description des sentiments : ses personnages frémissent ou pâlissent, ou essuient de grosses gouttes de sueur coulant de leur front […] ou se lèvent brusquement d’une chaise pour y retomber aussitôt… », in De Superman au surhomme, p. 86. En effet, les termes « frémir », « tressaillir », « rougir » et « pâlir » sont extrêmement fréquents dans le texte. Le lexème « sourire » est un peu moins fréquent puisque nous ne croisons pas plus d’un sourire toutes les dix pages. Le lexème « soupir » est également présent, en moindre quantité. Enfin, le lexème « sourcil » (général au pluriel et accompagné de l’adjectif « froncés ») est le moins fréquent de tous ceux que nous avons cités. 23. Melrose Place, épisode pilote, minute 21. 24. « A meet-cute is a scene in film, television, etc. in which a romantic couple meets for the first time in a way that is considered adorable, entertaining, or amusing. » http:// en.wikipedia.org/wiki/Meet_cute « Le meet-cute est une scène de film, de série télévisée, etc. dans laquelle un futur couple d’amoureux se rencontre pour la première fois d’une manière que l’on décrit comme mignonne, divertissante ou amusante ». 25. À noter que la confidence peut être remplacée par un point commun insoupçonné entre les deux personnages. 26. Melrose Place, minute 38.

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27. Life on Mars, épisode 1.14, minute 12. 28. Melrose Place, épisode 1.2, minute 37. Alison : « Je sais, je suis juste… » Jane (la coupe) : « Jalouse ?! » Alison : « Non ! Pourquoi est-ce que tout le monde n’arrête pas de dire ça ? » Michael : « Ben, toi et Billy, vous vivez ensemble. » Alison : « Colocataires, on est juste colocataires. » 29. Life on Mars, épisode 1.14, minute 27. « Annie ? Non, non, non, on est amis. » 30. Life on Mars, épisode 1.4, minute 29. 31. Melrose Place, épisode 4.11, minute 23. « Je t’ai toujours apprécié, Jake. T’es un mec bien. T’es un mec vraiment honnête, franchement. Et puis, super beau. (S’adressant à la petite amie de Jake) N’est-ce pas qu’il est beau !? » 32. Melrose Place, Épisode 4.19, minute 28. Notons que les scénaristes ont donc de nouveau employé ce cliché huit épisodes seulement après la déclaration d’amour alcoolisée de Jane. 33. Ibid., épisode 4.18, minute 43. 34. Ibid., épisode 4.20, minute 55. Notons qu’ici le cliché est utilisé dans deux épisodes consécutifs. 35. Ibid., épisode 1.18, minute 18. Jake : « Billy, tu devrais te demander ce que tu ressens vraiment pour Alison. » Billy : « Je ne ressens rien pour Alison ! » 36. Life on Mars, episode 1.17, minute 21. Ray : « Ils s’aiment ! Tyler [Sam] rote et elle le regarde comme s’il chantait une chanson. Moi je trouve ça écoeurant. » Le commissaire : « Ça va, ça va. Est-ce que c’est vrai Norris [Annie] ? » Annie : « Non monsieur. » 37. Melrose Place, épisode 1.20, minute 25. Jo : « Alison, un conseil : ne sors jamais avec quelqu’un de la résidence. » 38. La diégèse se déroule en 1973. Sam, un homme qui vient du futur (on ne sait comment), est bloqué en 1973 depuis l’épisode pilote. Dans l’épisode 1.16, Sam, se croyant prisonnier d’un rêve, est prêt à se suicider pour y mettre un terme et rentrer chez lui. 39. Eco, Lector in fabula, p. 145. 40. Eco, De Superman au surhomme, p. 101. 41. Neuf mois de diffusion se sont écoulés entre la première amorce et la résolution, c’est-à-dire entre l’épisode pilote (diffusé le 8 juillet 1992) et l’épisode 1.28 (diffusé le 7 avril 1993). 42. Cinq mois de diffusion (quatre mois et demi pour être exact) se sont écoulés entre l’épisode 1.6 (diffusé le 13 novembre 2008) et l’épisode 1.17 (diffusé le 1er avril 2009). 43. À ce titre, dans Plus belle la vie, la relations de Samia Nassri et Jean-Paul Boher, dont les amorces reposent sur sept des clichés narratifs que nous avons évoqués ici (à l’exception des amorces que nous avons numérotées 1, 5 et 9), s’étend sur une période de deux ans. 44. Cf. la célèbre phrase de Wilkie Collins : « Make them laugh, make them cry, make them wait ». 45. Eco, De Superman au surhomme, p. 30. 46. « Les spectateurs de soap, loin d’être trompés par l’attente d’un paroxysme qui n’arrive jamais, trouvent un grand plaisir dans le prolongement du suspense, lequel est devenu un véritable art au bout de deux siècles de sérialité. » Jennifer Hayward, Consuming Pleasures, Lexington, The University Press of Kentucky, 1997, p. 151. De même, Ruth Amossy et Anne Herschberg Pierrot considèrent que « les stéréotypes sont sources de suspense et de plaisir », op. cit., p. 81. 47. Genette, Figures III, p. 112, cite comme exemple d’amorce : « par exemple faire apparaître dès le début un personnage qui n’interviendra vraiment que beaucoup plus tard ». 48. Dexter, coffret DVD Showtime Entertainment et (2007), épisode 1.7, minute 9. 49. Ibid., minute 20. 50. Ibid., minute 25. 51. Ibid., minute 37.

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52. Genette définit le leurre ainsi : « C’est d’ailleurs sur cette compétence même [la compétence narrative du lecteur] que se fonde l’auteur pour tromper le lecteur en lui proposant parfois de fausses, ou leurres », in Figures III, p. 114. 53. Dexter, épisode 1.7, plan 1 de la minute 37:40 à 37:45, plan 2 de 37:45 à 37:49. 54. Permettons-nous une comparaison avec le roman policier. Disons que la diégèse d’un roman policier est une « équation à une inconnue », que le lecteur, parallèlement au détective de la fiction, cherche à résoudre. Il est reconnu par la critique que le roman policier nécessite un récepteur « actif ». En revanche, on ne peut pas vraiment dire que la diégèse d’un feuilleton soit une « équation à une inconnue ». Dans Monte-Cristo par exemple, il est évident dès le premier chapitre que Dantès est le héros, et à partir du moment où l’Abbé Faria complète l’équation du titre du roman en disant à Dantès qu’il y a un trésor sur l’île de Monte-Cristo, il est évident que Dantès trouvera le trésor (car le personnage dont le roman porte le nom pour titre ne saurait être autre que le héros), et se vengera ensuite (il ne saurait en être autrement selon l’idéologie de la consolation émise par Umberto Eco dans De Superman au surhomme : si Dantès n’obtenait pas vengeance, ce ne serait pas « juste » et l’équilibre du quasi-monde ne serait pas rétabli). Le feuilleton ne nécessite donc pas un récepteur particulièrement actif ; mais il encourage l’activité de son récepteur en portant l’attention de ce dernier sur l’énonciation et sur les procédés d’anticipation. Selon nous, le feuilleton engage donc davantage son récepteur dans un rôle d’enquêteur de la narration. 55. Dexter, épisode 1.7, minute 37. 56. Ibid., minute 42. 57. Ibid., minute 46. 58. Ibid., minute 51. « Putain, vous êtes qui vous ?! » 59. Eco, De Superman au surhomme, p. 22. 60. Dexter, episode 1.8, minute 19. « J’aime ton corps, j’aime tes jambes, j’aime tes bras. Je n’aurais pas su faire mieux. » 61. Ibid., minute 34. « Je veux lui donner une paire de nouvelles jambes superbe. Les tiennes. » 62. La macro expression du sourire malicieux est fréquemment utilisée dans les feuilletons, en particulier par le personnage de J.R. dans Dallas (CBS, 1978-91). 63. Dexter, épisode 1.8, minute 51. Rudy : « Et je suis un monstre de propreté. » Deb : « Tu es vraiment plein de surprises, hein !? » Rudy : « Oh, tu n’as pas idée !... » 64. L’échange de mails entre Dexter et le tueur : « Barbie frigorifiée cherche Ken. Cher Ken, je suis en morceaux. Pourquoi me bats-tu froid ? Bises, Barbie » « Barbie, sois patiente. Un jour, on s’en offrira un à deux, bien frais. » 65. Il en était de même dans le cliffhanger de l’épisode 1.7 qui, en apportant la confirmation de l’imposture de Neil Perry, ouvrait la question « mais si ce n’est pas lui, qui est-ce ? » 66. Ainsi, dans les épisodes suivants le spectateur aura plaisir à voir Dexter côtoyer Rudy sans savoir que ce dernier est le tueur qu’il recherche et avec qui il a déjà établi une relation. 67. Si Brody n’était pas dangereux pour le pays, ce début d’histoire ressemblerait à une fin (le retour du héros dans son pays). 68. Eco, De Superman au surhomme, p. 19. 69. Ibid., p. 18-19. 70. Jennifer Hayward, Consuming Pleasures, p. 186. “Un des plaisirs les plus forts du soap, c’est de pouvoir anticiper une (ou une scène ou une réplique). » 71. Melrose Place, épisode 2.29, minute 14. Michael : « D’accord, mais qu’est-ce que tu veux dire ? » Kimberly : « Qu’avant, on faisait les choses à ta manière ; cette fois, on va les faire à ma manière ».

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RÉSUMÉS

Afin de créer chez le spectateur la nécessité de connaître la suite de la fiction, les feuilletons mettent en place une manipulation très précise, presque mécanique, fondée sur la redondance si souvent reprochée au genre. Dans Éloge de Monte-Cristo, Umberto Eco écrit : « on découvre que les horribles intempérances stylistiques [les redondances] sont, certes, des « chevilles », mais qu’elles ont une valeur structurale, comme les barres de graphite dans les réacteurs nucléaires, ralentissant le rythme pour rendre nos attentes plus lancinantes, nos prévisions plus hasardeuses ». Par l’étude d’un cas particulier de redondance, l’amorce, nous montrons ici comment les auteurs de feuilletons télévisés manipulent nos attentes et nos prévisions. L’amorce fait partie intégrante des procédés d’anticipation ; sa fonction est de préparer et d’engager la suite. Cette « préparation », constituée d’une seule ou de plusieurs amorces, a la forme d’un écho, mais un écho « à l’envers », l’information la plus forte étant la dernière. Nous nous proposons d’étudier les amorces narratives qui visent à orienter les désirs du spectateur, amorces de courte portée (trouvant leur écho final dans l’épisode), puis amorces portant sur plusieurs épisodes en examinant deux grands classiques : la création du désir que deux personnages entretiennent une relation amoureuse et la création du désir que tel personnage soit l’assassin, ou plutôt « le méchant ». Nous aborderons ainsi la question du besoin de confirmation du spectateur, qui semblerait presque plus fondamental que le besoin d’être surpris. Chaque type d’amorce sera illustré d’un exemple issu de Melrose Place et doublé d’un deuxième exemple issu d’un autre feuilleton afin de vérifier la validité du procédé.

In order to incite the spectator to need to know the continuation of the story, serials employ a very precise, almost mechanical form of manipulation, founded upon the very redondancy of which the genre is so often reproached. In Éloge de Monte-Cristo, Umberto Eco writes, “we discover that the horrible stylistic intemperances [the redundancies] are, of course, ‘fillers,’ but that they do have a structural value, like graphite rods in nuclear reactors, slowing the rhythm to make our expectations more nagging, our predictions more risky”. Through the study of a particular case of redundancy, the teaser, we will show how authors of TV series manipulate our expectations and predictions. The teaser is an integral technique of anticipation; its function is to prepare for and to lay out the coming action. This “preparation”, formed through one or more teaser, takes the form of an echo, but an echo “in reverse”, the most important information coming last. We will study narrative teasers that aim to orient the spectators’ desires, short-term teasers (which out within the episode), then teasers concerning multiple episodes by examining two classics: the creation of desire that characters enter into a romantic relationship and the creation of the desire that some be the murderer, or rather “the bad guy”. Accordingly, we will address the question of the spectator’s need for confirmation, which would seem almost more fundamental than the need to be surprised. Each type of teaser will be illustrated by an example from Melrose Place and coupled with a second example from another series to verify the validity of the procedure.

INDEX

Mots-clés : Melrose Place, redondance, amorce, annonce narrative Keywords : Melrose Place, redundancy, incipit, narrative prefiguration

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AUTEUR

MARIE TRÉFOUSSE Marie Tréfousse a obtenu un Master de Langue Française, spécialité rhétorique, avec mention Très Bien à l’université Paris IV où elle a été Tutrice pendant trois ans. Son sujet de recherche portait sur le roman-feuilleton et le feuilleton télévisé, comme l’indique le titre de son mémoire de Master 1, « La Répartition de l’information ou la manipulation du récepteur », ainsi que celui de Master 2, « Le Feuilleton et son au-delà ».

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L’art du teaser : les séquences prégénériques dans quelques séries fantastiques américaines des années 1990 et 2000

Claire Cornillon

1 La série télévisée est une œuvre qui se construit autour d’un format et de contraintes financières, structurelles ou narratives souvent bien délimitées. Depuis le début des années 1990, les séries télévisées américaines connaissent de fortes mutations en termes de structures, de narration et d’esthétique. Au modèle qui s’était imposé jusqu’alors, dans lequel chaque épisode était une variation autonome sur une structure similaire, se substitue un modèle semi-feuilletonnant. La terminologie dans ce domaine distingue en effet « la série », qui propose une suite d’épisodes mettant en scène des personnages récurrents mais qui constituent des unités relativement indépendantes, et « le feuilleton », dont l’intrigue unique se poursuit d’épisode en épisode. Dans le modèle qui s’impose au cours des années 1990, si chaque épisode raconte bien une histoire close, la saison, voire la série dans son ensemble, développent une intrigue, un arc narratif, qui se poursuit de semaine en semaine. Stéphane Benassi le constatait en ces termes dans son ouvrage paru à cette même période :

Depuis quelques temps, nous assistons en effet à l’émergence de fictions qui semblent tendre vers un compromis presque « parfait » entre la série et le feuilleton. Ainsi, certaines fictions sérielles, telles que Code Quantum ou Slider, sont-elles constituées d’épisodes narrant les aventures de personnages récurrents et possédant une unité diégétique propre, bien que la fin de chacun de ces épisodes annonce le début de l’épisode suivant, créant l’attente chez le spectateur comme le ferait un feuilleton. D’autres fictions, quant à elles, apparaissent comme étant des feuilletons dont chaque épisode possède une unité diégétique propre. C’est le cas, par exemples, d’Urgences ou de New York Police Blues. Bien que ces compromis entre série et feuilleton ne soient pas nouveaux et remontent aux années soixante, il semble intéressant

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d’observer de quelles façons ils tendent aujourd’hui à se diversifier et à se complexifier1.

2 Le format de la fiction sérielle connaît donc des mutations qui relèvent d’une forme d’hybridation entre la série et le feuilleton. L’approche du personnage s’en trouve dès lors modifiée, comme l’ajoute par ailleurs Stéphane Benassi : « Le héros de la série classique a également ceci de particulier qu’il ne subit aucune évolution au fil des épisodes […]2. » En revanche, dans les séries des années 1990 et 2000, l’évolution du personnage devient un des enjeux majeurs de la narration au point que celui-ci en vient à structurer la série, assurant précisément la continuité de celle-ci au-delà de l’autonomie des épisodes.

3 Par ailleurs, le format de l’épisode lui-même entretient une ambivalence similaire entre l’autonomie et la continuité. Chacun reprend en effet la même structure, qui s’impose dans cette décennie 1990 : le résumé des épisodes précédents3, puis la séquence prégénérique, précèdent le générique lui-même et le corps de l’épisode. Ce teaser4, ou séquence prégénérique, devient le lieu fondamental qui doit happer le téléspectateur pour éviter qu’il ne zappe ; il se construit donc entre deux éléments récurrents plus ou moins fixes, et se doit à la fois d’introduire l’épisode et de laisser des éléments en suspens afin de susciter la curiosité. Plus encore, la séquence prégénérique est le seuil qui porte l’identité de la série, puisqu’elle plonge le spectateur dans les codes d’un genre, dans une certaine spécificité de l’image, de la mise en scène et de la musique, tout en renouvelant constamment l’intérêt du spectateur. Dès lors, cette séquence se construit sur une dialectique entre répétition et nouveauté et oscille entre, d’un côté, une continuité très forte avec le reste de la série et le corps de l’épisode lui-même et, de l’autre, une autonomie relative par rapport à l’épisode qu’il introduit et à l’ensemble de la série. Si certaines séries choisissent de centrer le teaser sur des personnages secondaires, d’autres mettent en scène les héros de l’intrigue dès les premières images ; d’aucunes installent, dès cette séquence, le sujet de l’épisode quand d’autres y voient l’occasion d’une digression fertile. Les stratégies sont multiples, d’une série à l’autre, mais aussi d’un épisode à l’autre.

4 Ce modèle, s’il persiste encore aujourd’hui5, et pas seulement dans la fiction américaine6, est concurrencé depuis le début des années 2000 par d’autres tendances : la vogue des séries entièrement feuilletonnantes comme 24 (Fox, 2001-2010) offre d’autres stratégies narratives7. Par ailleurs, certaines séries ne proposent plus de teaser (c'est le cas de nombreuses séries HBO), alors que le générique lui-même a eu tendance, dans certains cas, à disparaître au profit d’un simple logo, comme dans Supernatural8. Ces nouvelles formules travaillent le format de la série d’une autre manière, tout en s’appuyant sur les expériences narratives qui les ont précédées. La tendance actuelle n’est plus à l’unicité mais à la pluralité. Dans l’abondance de l’offre, toutes les stratégies peuvent cohabiter, et les créateurs usent désormais des normes comme ils le souhaitent, s’inscrivant dans la tradition sur certains points et innovant sur d’autres, d’autant que la conscience même d’une historicité du genre amène les auteurs à revendiquer leur généalogie9.

5 Remarquons également que la séquence prégénérique n’est pas la prérogative des seules séries et qu’elle existe déjà au cinéma. On pense, parmi de nombreux exemples, à l’ouverture célèbre du film Kiss Me Deadly de Robert Aldrich (1955). Le film commence alors qu'une jeune femme court pieds nus sur une route la nuit. Elle arrête une voiture et son conducteur la prend en stop. L'ouverture plonge ainsi le spectateur

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dans l'action et le suspense par le biais d'une séquence mystérieuse qui vient s'imposer avant même que les crédits du film n'apparaissent. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse d’une influence réciproque des deux arts sur ce sujet. Alexandre Tylski souligne ce phénomène dans le cinéma des années 1960 :

Mais une autre technique de fragmentation des génériques est également employée à cette époque, les pré-génériques – qui pourraient aisément faire l’objet d’un livre entier. Leur emploi dans les épisodes de La Panthère rose et autres épisodes de reste célèbre et témoigne souvent d’une volonté de stratégie narrative (et économique) motivée en grande partie par le succès des schémas télévisuels d’alors10.

6 Au-delà – ou peut-être en deçà – de ces remarques esthétiques, il est nécessaire de resituer tout discours sur les séries nord-américaines dans un contexte qui est celui de la dimension économique de l’industrie télévisuelle des États-Unis. Les créateurs de ces œuvres travaillent dans un contexte extrêmement contraignant lié au support de diffusion (les exigences des networks ne sont, par exemple, pas les mêmes que celles des chaînes payantes du câble) mais aussi au problème des coupes publicitaires, de la censure, ou de l’autocensure, ainsi que des usages liés aux formats (le format court est ainsi généralement réservé aux quand les séries dramatiques se déploient le plus souvent sur 40 à 50 minutes) et au nombre d’épisodes par saisons. Tous ces éléments influencent de manière très nette la création mais il est notable que les auteurs des œuvres que nous évoquerons usent de ces contraintes comme d’une source de créativité et les exploitent souvent de manière originale.

7 De fait, avec les séries fantastiques, dans lesquelles l’univers fictionnel est, par définition, le lieu de tous les possibles, la séquence d’ouverture d’un épisode est l’occasion pour le téléspectateur de découvrir également quelles en seront les règles cette semaine-là. C’est aussi l’occasion de jouer sur le statut fictionnel de l’image. Dans le teaser d’une série , puisque le contexte n’est pas encore fourni, et que l’on ne connaît pas toujours avec certitude l’ancrage spatio-temporel, il serait tout à fait possible que nous soyons dans une dimension parallèle, un rêve ou une illusion quelconque. Les scénaristes vont jouer de cette possibilité en trompant le téléspectateur ou en cherchant à le surprendre, en brisant ses repères.

8 Cette analyse s’appuiera essentiellement sur des exemples tirés de The X-Files, de Chris Carter (Fox1993-2002), , de (WB, UPN 1997-2003), et Supernatural11, créée par Eric Kripke, (CW 2005-). L’article s’attachera à déterminer les fonctions de la séquence prégénérique dans ces trois séries, ainsi que son fonctionnement en termes structurels, narratifs et esthétiques avant de montrer comment cette séquence est une matrice, un lieu privilégié de la sérialité.

1. Essai de typologie

9 Pour établir une typologie des séquences prégénériques, quatre critères semblent essentiels : la question de la continuité avec l'épisode précédent, la présence des protagonistes de la série, le sujet de la séquence et sa durée. Ces critères posent les fondements du fonctionnement narratif de la séquence en interrogeant son lien avec l'épisode précédent et avec le corps de l'épisode auquel elle appartient. Ils permettent

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de comprendre comment la séquence pose son identité et son autonomie tout en s'articulant avec le reste de la série.

La séquence prégénérique est-elle feuilletonnante ?

10 Certains teasers reprennent l’intrigue exactement là où le cliffhanger de la fin de l’épisode précédent l’avait laissée. C'est le cas notamment dans les épisodes en deux parties, comme « What’s my line » dans la saison 2 de Buffy the Vampire Slayer. La première partie se termine sur Kendra qui se présente à Buffy comme étant la Tueuse, et la seconde commence exactement après cette réplique, enchaînant simplement la suite de cette scène. Les exemples sont nombreux. Dans ce cas, le statut de la séquence prégénérique repose sur le fait qu'elle doit replonger le téléspectateur dans la réalité de la semaine d’avant : elle construit une continuité non pas seulement avec ce qui va suivre mais avec ce qui a précédé, ce qui relativise d’autant sa possible autonomie.

Les personnages récurrents de la série sont-ils présents dans la séquence prégénérique ?

11 The X-Files ou Supernatural mettent rarement en scène les protagonistes de la série dans les teasers. Lorsque cela arrive, l’épisode est précisément repérable comme un épisode particulièrement important parce qu’il se démarque de la norme présentée comme telle au spectateur. Ainsi, de nombreux épisodes de The X-Files, qui développent sa mythologie, c'est-à-dire son intrigue feuilletonnante, font apparaître Mulder ou Scully dès la séquence prégénérique, ce qui n'est pas la cas dans la plupart des autres épisodes. Dans ces deux séries fantastiques, dans lesquelles chaque épisode est une enquête sur un phénomène surnaturel, le prégénérique est le plus souvent le lieu de la présentation de la première victime, et le générique coïncide avec le moment d'apparition du surnaturel. L'apparition même du titre dans Supernatural, qui explose littéralement à l'écran, suivant des modalités qui varient de saison en saison, qualifie finalement ce qui vient d'être vu par le spectateur : un élément surnaturel (voir figure 1). Le générique, qui n’est qu’un logo, est une sorte d’étiquette qui agit rétroactivement sur la séquence prégénérique : ce que vous avez vu, il faut l’identifier comme un événement surnaturel et comme un événement qui appartient à l’univers de Supernatural.

Fig. 1 : Générique de la saison 5 de Supernatural

12 Le principe est le même dans The X-Files. La plupart du temps, ce n’est que dans la scène qui suit le générique que les protagonistes de la série apparaissent et entament leur enquête. En revanche, Buffy the Vampire Slayer montre les protagonistes le plus souvent

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dès le prégénérique – précisément parce que le surnaturel est, dans cette série, plutôt un prétexte à l'évolution des personnages et davantage une métaphore d'expériences de la vie. Les personnages principaux et les relations qui se tissent entre eux constituent donc l’enjeu majeur de chacun des épisodes, faisant de l’intrigue autonome un catalyseur de leur évolution. La présence des protagonistes est donc essentielle dès la séquence prégénérique. Si les deux premières séries jouent souvent sur les mécanismes du film d’horreur, et présentent donc des premières victimes destinées à mourir de manière spectaculaire dans les séquences prégénériques, la dernière ne vise que très rarement à faire peur au téléspectateur. Ces diverses visées expliquent en partie les différences de stratégies narratives.

Le teaser annonce-t-il le sujet de l’épisode ?

13 La réponse à cette question n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire car le prégénérique peut aussi proposer une ouverture que l’on peut qualifier d’anecdotique, c’est-à-dire qui ne fait pas avancer la narration et qui joue simplement le rôle d’une accroche. Par conséquent, l’isolement relatif du prégénérique peut être utilisé selon des objectifs différents : il peut, par exemple avoir une visée humoristique. Dans l’épisode « Teacher’s pet » (4.1) de Buffy, qui se concentre sur la vie amoureuse de Xander, le prégénérique présente une scène qui se déroule au Bronze, bar bien connu des téléspectateurs, où Buffy est attaquée par des vampires. Cette scène pourrait paraître banale dans la série mais l’image d’ouverture – un gros plan sur la bouche d’une jeune fille hurlant et un zoom arrière qui laisse découvrir son visage – s’inscrit dans un décalage burlesque et une exagération qui laissent entendre la dimension comique de la scène. Buffy ne parvient pas à se tirer de ce traquenard mais elle est sauvée in extremis par Xander – situation qui paraît encore possible bien que surprenante à ce stade de la série, où Xander n'est pas encore considéré comme un combattant efficace. Xander se débarrasse rapidement de l’ennemi avant de demander à Buffy si elle va bien, d’une voix sourde de héros séducteur. Il monte sur scène, empoigne sa guitare, sous les yeux de l’héroïne qui le contemple forcément avec amour (voir figure 2).

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Fig. 2 : Le rêve de Xander dans « Teacher’s pet » (1.4)

14 Il s’agit bien sûr d’un rêve et Xander est rappelé à la réalité – son cours de biologie durant lequel il s’était assoupi. Le prégénérique joue de sa nature même de commencement en utilisant le fait que le téléspectateur ne peut pas identifier le statut de l’image qu’il voit dans la mesure où aucune autre information ne lui a encore été donnée et qu’il est donc amené à accepter la première scène comme étant a priori la réalité. Même si des indices lui sont fournis, qui indiquent que la scène n’est pas une scène habituelle, il n’en connaît pas encore le statut. En effet, dans Buffy, à la question du fantastique s’ajoute la question de l’humour : puisque certains épisodes sont extrêmement burlesques, le spectateur est prêt à envisager et à accepter presque tous types d’intrigues.

15 Cette stratégie du prégénérique permet aux auteurs de mettre en place, dans cet exemple, un tableau particulièrement comique mais aussi, par une voie détournée et expressive, de poser une problématique essentielle du personnage de Xander – son désir d’être un héros. Il est l’humain du groupe, celui qui, en ce tout début de série, ne semble pas encore y trouver sa place et son utilité. Comme nous l’avons dit plus haut, Buffy est avant tout une série fondée sur les personnages, leur évolution et les relations qui se tissent entre eux, et c’est pourquoi le prégénérique peut se concentrer moins sur les événements et l’intrigue que sur la psychologie du personnage qui en sera le moteur principal. Dans notre exemple, l’épisode va ensuite mettre en scène une femme, professeur de biologie remplaçante, qui séduit Xander, mais se révèle être une mante religieuse. La séquence d’ouverture annonce donc bien le sujet de l’épisode (Xander et la séduction érotique) mais elle le fait non pas en termes d’intrigues mais d’approfondissement du personnage, de ses angoisses et fantasmes.

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Quelle est la longueur du prégénérique ?

16 Si dans certaines séries ou dans certains épisodes, la séquence d’ouverture peut être très courte, dans d’autres, elle dure plusieurs minutes. Les exemples de teasers de cinq à dix minutes sont nombreux. Dans les deux cas, le statut de cette séquence varie considérablement : de simple scénette d’ouverture, la séquence prégénérique peut aussi bien constituer un acte entier, comme dans Alias (ABC, 2001-2006). Ainsi la séquence prégénérique de l'épisode 1.4 dure-t-il plus de huit minutes. Elle consiste en la suite exacte de la fin de l'épisode précédent, puisque celui-ci se terminait sur un cliffhanger : Sidney ouvre, avec une autre agent ennemi, une valise et semble effrayée par le contenu qui reste invisible pour le spectateur. L'épisode 4 commence sur ces mêmes images, révélant par la suite que la valise contient une bombe. L'ensemble de la séquence porte sur la confrontation de Sidney avec cette ennemie. En effet, plus qu'il ne commence ce nouvel épisode, le teaser termine l'épisode précédent, non pas de manière anecdotique mais bien par une séquence qui constitue presque le quart de l'épisode. Dès lors, il ne s’agit plus seulement pour le prégénérique d’ouvrir l’épisode, mais bien d'en constituer une partie aussi conséquente que les autres actes. La question de l’isolement de la séquence se pose ici de manière plus problématique dans la mesure où elle joue presque à armes égales avec les autres parties de l'épisode. Ainsi, le statut de la séquence prégénérique se conçoit-il en fonction de la distribution des données narratives : quel est exactement l’apport du teaser dans l'ensemble de l'épisode ou de la série ?

2. Jouer avec les codes : entre rupture et continuité

17 Au-delà des différentes fonctions narratives que nous venons d’évoquer, le prégénérique endosse également des fonctions esthétiques ainsi que des fonctions d’identification générique de l’épisode et de la série. Les différentes stratégies de la typologie qui précède se mêlent à d’autres jeux, métatextuels, inter- ou intratextuels, qui complexifient davantage encore la séquence prégénérique. Celle-ci inscrit l’épisode qui va suivre dans un certain genre, dans un ton et une esthétique spécifiques, mais elle rattache aussi ce même épisode à l’identité narrative et visuelle de la série dans son ensemble. Elle est un seuil qui permet au téléspectateur de reconnaître immédiatement la série qu’il regarde. La séquence prégénérique est, par conséquent, essentiellement fondée sur un jeu de variations à partir de données fixes.

Le prégénérique du pilote et le recyclage des codes

18 Dans l’analyse de la sérialité, le cas de la séquence prégénérique du pilote constitue bien sûr un cas particulier, au sens où rien ne le précède mais que tout découle de lui. Cette séquence est, par bien des aspects, une matrice, c'est-à-dire un modèle, mais aussi une ouverture sur les possibles que déclineront ensuite les prégénériques des autres épisodes. Elle peut d’ores et déjà mettre en place une formule et se situer par rapport aux codes génériques ou, au contraire, se poser en hapax pour entrer dans l’univers fictionnel sans pour autant en dévoiler tous les secrets.

19 À propos des séries fantastiques, nous avons déjà évoqué l’idée selon laquelle le teaser est souvent l’occasion de présenter une première victime d’un fait surnaturel : il

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s’inscrit ainsi dans une codification du genre avec laquelle la série va pouvoir jouer. Le cas du teaser du pilote de Buffy the Vampire Slayer est tout à fait remarquable car non seulement il installe un schéma qui sera celui des épisodes suivants mais il met également en place les éléments qui distinguent Buffy d’autres séries fantastiques, en opérant un renversement des attentes du téléspectateur. Le prégénérique y joue en effet des codes des séries fantastiques par son usage de repères spatio-temporels spécifiques, par l’ambiance inquiétante et par la musique qui souligne le suspense. Le spectateur sait qu’une menace pèse mais, puisque le jeune homme semble pousser la jeune fille à le suivre, il pense que c’est elle qui sera la victime. Or, cette jeune fille n’est autre que Darla, très vieux vampire qui assassine le garçon avant que le générique ne commence. Ainsi, la jeune fille blonde, qui paraît sans défense et qui serait une victime désignée dans n’importe quel film d’horreur, révèle-t-elle son identité de prédateur et sa force sous son apparence inoffensive. Bien sûr, le personnage même de Buffy relève de ce schéma puisqu’elle aussi est une adolescente blonde qui endosse cette fois le rôle de super-héroïne. Le prégénérique inscrit par conséquent la série dans les codes du genre tout en les subvertissant, et anticipe sur ce qui sera un principe fondateur de l’ensemble de la série. Enfin, alors qu’on pense qu’il présente des personnages tout à fait secondaires (les malheureuses victimes que l’on ne revoit jamais ensuite), ce teaser met en fait en scène un personnage qui s’avèrera récurrent, le vampire Darla.

20 True Blood (HBO, 2008-), dans les années 2000, joue du même procédé. Autre série sur des vampires, elle renverse, dans sa première séquence d’ouverture, l’ensemble des codes et des attentes du spectateur. Elle met en scène un couple de jeunes qui possèdent toutes les caractéristiques des victimes potentielles mais qui sont finalement épargnés. Par ailleurs, le vampire de la séquence n’est précisément pas celui que l’on croit. Alors que le propriétaire du drugstore avec ses tatouages, sa bague en forme de crâne et son bracelet de munitions, laisse augurer un danger – d’autant qu’il parle de vampires en disant « nous » –, il apparaît qu’il est humain et ne fait que plaisanter. Et c’est le client banal qui est en fait un vampire (voir figure 3).

Fig. 3 : Première séquence du pilote de True Blood

21 La séquence joue donc sur les codes de représentation des personnages pour déjouer leur identification. Mais elle se poursuit avec humour puisque le vampire ne fait aucune

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victime et clôt la scène avec un sourire qui fait ressortir ses canines, en lançant un joyeux « Have a nice day ». Le prégénérique joue donc sur les contrastes et sur la déconstruction humoristique des codes du genre. Les vampires de Louisiane n’y ont rien de commun avec la tradition des dandys des romans d’Anne Rice mais peuvent tout aussi bien être des Américains moyens qui cherchent à se faire une place au sein de la société. Il s’agit donc bien d’installer l’identité de la série en la caractérisant par rapport au corpus préexistant et aux codes génériques. Comme déjà avec Buffy, mais ce sera le cas de manière plus évidente encore dans les séries des années 2000, nous sommes entrés, au tournant du siècle, dans une ère référentielle où les séries se situent de plus en plus explicitement vis-à-vis de ce qui précède, citent ouvertement leurs modèles, les subvertissent ou les parodient avant de faire de même avec leurs propres codes, une fois le modèle installé au cours des saisons.

Le prégénérique du pilote et l’instauration de codes esthétiques

22 La séquence prégénérique d’une série impose aussi ses particularités propres en termes de choix esthétiques. Ainsi, The X-Files, du fait de son exigence visuelle et de la mise en place de motifs récurrents en termes de mise en scène, impose-t-elle de nouveaux standards de qualité et de structuration, en se rapprochant du cinéma, ce que revendique d’ailleurs son créateur Chris Carter12. Par exemple, la série s’ouvre sans véritable prégénérique puisque l’épisode 1 ne comporte pas de générique, comme c’était souvent le cas des pilotes dans les années 1990. Pourtant, les crédits apparaissent après la première séquence, en surimpression sur l’image, comme à la suite d’un générique dans un épisode normal. De plus, comme dans le reste de la série, cette première séquence, qui est quand même isolée formellement de la suite, expose l’affaire sur laquelle les agents vont enquêter, tandis que le corps de l’épisode débute par l’entrée en scène des personnages principaux de la série, en l’occurrence Scully. Sans véritable coupure, le pilote présente donc une séquence qui correspond à tous les critères du prégénérique.

23 Cette séquence est une scène de nuit tournée dans une forêt où une jeune fille court en chemise de nuit ; une lumière apparaît derrière les arbres, un jeune homme arrive à cet endroit et tous deux sont pris dans cette lumière. L’ancrage spatio-temporel – la forêt, la nuit – est un central de la série et l’approche réaliste de la mise en scène choisit d’ancrer le fantastique dans le monde le plus contemporain et le plus quotidien qui soit. Le pilote s’ouvre d’ailleurs sur une mention qui n’apparaîtra plus par la suite, indiquant que les événements racontés dans l’épisode sont inspirés de faits réels. La deuxième scène de cette séquence présente le corps de la jeune fille entouré de policiers sur ce qui semble bien être une scène de crime. Le lieu de l’action s’affiche à l’écran comme s’il était tapé à la machine à écrire, autre particularité de l’esthétique réaliste de la série À cela s’ajoute la musique électronique de Mark Snow qui travaille peu sur des mélodies et compose davantage des ambiances inquiétantes qui contribuent largement à l’esthétique de la série. Nombreux sont donc les repères esthétiques qui définissent l’identité de la série et qui sont mis en place dès cette séquence. Or, une fois cette identité posée, la séquence prégénérique des épisodes suivants devient un moment de rappel de ces principes.

24 Le teaser, qui est habituellement le lieu de l’identification de la série et de la reconnaissance de ses codes de fonctionnement, peut cependant devenir, l’espace d’un

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épisode, le lieu de la surprise, du décalage, de la référence intertextuelle, du commentaire méta-narratif ou de tout autre procédé qui isole l’épisode.

Des prégénériques marqués

25 Un dernier critère pourrait donc s’ajouter à la typologie dressée précédemment, qui permettrait de dire si le prégénérique possède une esthétique propre, se démarquant de l’ensemble de la série (prégénérique marqué) ou si, au contraire, posant les jalons de l’esthétique de la série, il s’y intègre harmonieusement (prégénérique non marqué) ? Cette dimension est aussi un indicateur pour le téléspectateur qui peut alors sentir, dès les premières images d’un épisode, que celui-ci sera spécial. C'est le cas de l'épisode musical de Buffy, « Once more with feeling » (6.7). On aurait pu imaginer que le démon de la danse arrive en ville et que les numéros musicaux ne commencent que dans l’épisode proprement dit, mais l'effet est bien sûr décuplé par l'ouverture musicale dès le prégénérique, qui plonge immédiatement le spectateur dans l'ambiance d’un épisode qu'il sait être exceptionnel au sein d’une série qui n’est pas musicale.

26 Le cas de « The Post-modern Prometheus » (5.5) de The X-Files en est un autre exemple remarquable. L’épisode est en noir et blanc et utilise les codes du cinéma fantastique (voir figure 4), renvoyant notamment, comme son titre l’indique, à Frankenstein.

Fig. 4 : The X-Files, “The post-modern Prometheus” (5.5)

27 Mais il détourne aussi ces codes de manière burlesque puisqu’il met en scène un personnage monstrueux par son apparence mais inoffensif, dont la particularité, outre son physique, est d’être fan de la chanteuse Cher, ce que révèle le prégénérique particulièrement déroutant et incompréhensible au premier abord. Alors que, dans le teaser du pilote de Buffy évoqué plus haut, la série fonde ses propres codes en renversant ceux des œuvres qui l’ont précédée (la jeune fille super-héroïne plutôt que victime du vampire), The X-Files, à l’inverse, déjoue temporairement ses codes propres en se fondant sur une reprise de codes antérieurs, sur le à la fois de l’hommage et de la parodie ponctuels.

28 Les exemples de ce type sont nombreux. On peut penser à l’épisode 8 de la saison 5 de Supernatural, « Changing Channels », dont la scène d’ouverture présente les

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personnages habituels de la série mais comme si Supernatural était une sitcom et non pas une série fantastique – en utilisant des rires enregistrés, un décor unique filmé toujours du même angle ainsi qu’une palette de couleurs très vives, contrastant radicalement avec l’esthétique de la série (voir figure 5).

Fig. 5 : Générique de « Changing channels », Supernatural (5.8)

29 Le prégénérique est ici une scène qui se passe chronologiquement au milieu de l’histoire de l’épisode. Mais le choix de l’isoler au tout début de l’épisode crée un effet de contraste et de surprise redoublé parce que le spectateur l'aborde sans contexte et sans y être préparé.

30 Ainsi, la séquence prégénérique est un moment privilégié au sein de la narration sérielle et les auteurs s’en servent diversement depuis le début des années 1990, exploitant l’ensemble des possibilités de ce format, soit pour établir des normes, des procédés d’identification et de reconnaissance qui permettent au spectateur d’entrer progressivement dans un univers ou de le retrouver confortablement chaque semaine, soit pour ouvrir un espace de création autonome où les possibilités sont décuplées en raison de l’isolement relatif de cette section narrative. Espace du rêve, de la transgression, du comique, de la référence, de la réflexivité, la séquence prégénérique est le lieu d’une expérimentation potentielle et cristallise les enjeux de la narration sérielle par sa position cruciale et son ambivalence entre la continuité et la rupture au sein de l’épisode même, mais aussi plus largement au sein de la série. C’est un seuil qui fournit de manière directe ou indirecte des informations sur l’épisode à venir. Dans les séries fantastiques, elle permet souvent de frapper un grand coup dès le début de l’épisode, pour capter le téléspectateur, tout en interrogeant la nature véritable de l’événement ou de l’individu surnaturel qui est soumis à notre attention, soulignant ainsi le questionnement du rapport à la « réalité » posé par la série. En outre, la séquence prégénérique ne doit pas être pensée comme la première unité narrative d’une chaîne chronologique. Elle peut l’être mais ce n’est pas toujours le cas. Son véritable enjeu réside dans la manière dont elle met en valeur un aspect de l’épisode ou de la série en l’isolant. Point de suture tout autant que point de rupture, au sein de la série mais également au sein de l’épisode qu’elle ouvre, la séquence prégénérique peut

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jouer le rôle d’une petite poupée russe ou celui d’un jack in the box et acquiert ainsi un statut de « micro film » à l’ouverture de séries qu’elle alimente et grignote tout à la fois.

BIBLIOGRAPHIE

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VÉRAT Éric, Génériques ! Les séries américaines décryptées, Lyon, Les Moutons électriques, 2012.

NOTES

1. Stéphane Benassi, Séries et feuilletons T.V. Pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège, Editions du CEFAL, 2000, p. 37. 2. Ibid., p. 84. 3. Le résumé des épisodes précédents est parfois remplacé par une brève présentation de la série que l’on retrouve au début de chaque épisode et qui est destinée elle aussi à exposer le contexte au téléspectateur néophyte – mais ceci dans le cadre de la série en général et non pas seulement des épisodes qui précèdent. C’est le cas, par exemple, dans la première saison de Buffy The Vampire Slayer. 4. Le terme « teaser » a deux sens. Il peut désigner une pré-bande annonce [c'est-à-dire une bande annonce très courte]. Ici, nous l’employons au sens de « séquence prégénérique » [c'est-à-dire une séquence de l'épisode qui se situe avant le générique]. 5. Supernatural (The WB, 2005-) en est un exemple parmi d’autres. 6. The Fades (BBC Three, 2011) exploite les mêmes principes. 7. Dans le cas d'une série entièrement feuilletonnante, le rapport entre la séquence prégénérique et le reste de l'épisode ou l'épisode précédent est différent puisqu'il est déterminé par la chronologie des événements.

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8. Sur la question du générique, voir Ariane Hudelet « Un cadavre ambulant, un petit-déjeuner sanglant, et le quartier Ouest de Baltimore : le générique, moment-clé de séries télévisées », in Sarah Hatchuel et Monica Michlin (éds.), Les Pièges des nouvelles séries télévisées américaines : mécanismes narratifs et idéologiques, in GRAAT, No. 6, décembre 2009. http://www.graat.fr/ backissuepiegesseriestv.htm, lien consulté le 11 décembre 2014. Voir aussi Eric Vérat, Génériques ! Les séries américaines décryptées, Lyon, Les Moutons électriques, 2012. 9. Bones (Fox, 2005- ) ou Fringe (Fox, 2008- ), par exemple, citent très rapidement The X-Files (Fox, 1993-2002), série fondatrice s’il en est, et il s’agit bien ici de clins d’œil « en hommage » plus que de formes d’allégeance à une série « maître ». 10. Alexandre Tylski, Le Générique de cinéma. Histoire et fonctions d’un fragment hybride, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2008, p. 43. 11. Série d’autant plus intéressante qu’elle s’inscrit dans une certaine tradition des années 1990, empruntant notamment à The X-Files, tout en adoptant des stratégies propres à des séries plus contemporaines. 12. Ce rapport au cinéma dans le discours des showrunners est fréquente au début des années 1990. On peut penser à Twin Peaks (ABC, 1990-1991) ou à E.R. (NBC, 1994-2009).

RÉSUMÉS

Le teaser ou séquence prégénérique est une lieu clef de la sérialité. Placé avant le générique, il constitue à la fois une entrée dans la fiction, un retour à un monde fictionnel que l'on connaît déjà et une ouverture vers quelque chose d'inédit. Jouant sur les codes, et les effets de reprises, il se construit à la fois comme entité autonome et comme moment d' entre un avant et un après, tant à l'échelle de l'épisode qu'à l'échelle de la série. Les séries télévisées des années 1990-2000 ont particulièrement travaillé cette forme pour en tirer toutes les possibilités narratives, structurelles ou esthétiques. Les séries de genre, et notamment les séries fantastiques, y trouvent un lieu propice à l'élaboration de leurs propoes codes génériques. L'article se propose donc d'analyser quelques cas de séquences prégénériques, dans le cadre de séries fantastiques américaines des années 1990-2000.

The teaser or pre-credit sequence is key feature of seriality. Situated before the credits, it constitutes simultaneously an entry into the fiction, a return to the familiar fictional world, and an opening to something entirely new. Playing with codes and reprisal effects, the teaser is constructed as an autonomous entity and as a moment of articulation between a before and an after, both on the scale of the episode and on the scale of the series. Television series from the years 1990–2000 particularly developed this form to draw out all of its narrative, structural, and aesthetic possibilities. Genre series, and especially fantasy series, found teasers to be fertile ground for the elaboration of their own generic codes. The article will thus analyze several examples of pre-credit sequences, within the framework of American fantasy TV series from the years 1990–2000.

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INDEX

Mots-clés : X-Files : Aux frontières du réel, Supernatural, Buffy contre les vampires, teaser, séquence prégénérique Keywords : X-Files (The), Supernatural, Buffy the Vampire Slayer, teaser, pre-opening credits sequence

AUTEUR

CLAIRE CORNILLON Claire Cornillon est ingénieur de recherche postdoctoral à l'université du Havre. Elle est agrégée de Lettres Modernes et docteur en Littérature Comparée. Ces recherches les plus récentes portent sur les séries télévisées ainsi que sur le transmédia. Elle co-dirige le projet « Narrations sérielles et Transmédialité » à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 depuis 2012. Elle est par ailleurs directrice de la rédaction de Lintermede.com.

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Échos en série : Formes et enjeux de la réplique dans The Wire

Livio Belloï

1 Au terme de l’ultime séquence de The Wire (HBO, 2002-2008), vaste radioscopie de la ville américaine de Baltimore (Maryland), tout peut recommencer à zéro. Constat troublant ou amer, c’est selon, qui s’impose en images au regard désabusé de l’ex- inspecteur Jimmy McNulty : la grande roue a tourné d’un cran, mais les mécanismes sont restés identiques à eux-mêmes, prêts à entrer de nouveau en action1.

2 Créée par un ex-journaliste (David Simon) et un ex-policier (Ed Burns), The Wire obéit, en termes de structure, à un ample mouvement cyclique, qui constitue l’une des modalités de sa « complexité narrative » (pour reprendre l’expression, devenue fameuse, de Jason Mittell2). Dans la séquence finale de la série, cette structure en boucle se trouve accusée par la reprise d’un thème musical familier à l’oreille du spectateur : il s’agit de Way Down in the Hole, chanson composée par Tom Waits, modulée au fil des différentes saisons3, mais ici interprétée par les Blind Boys of Alabama, soit la musique même qui aura ponctué le générique du tout premier épisode de la série. La fin comme retour au début, en quelque sorte, au prix d’un puissant effet de bouclage dans lequel se cristallisent emblématiquement les déterminismes en chaîne que la série aura contribué à porter au jour.

3 En pareil univers, la reprise occupe, l’on s’en doute, un rôle cardinal. De fait, elle touche la série sous de multiples aspects, du plus circonscrit au plus général, et peut prendre des formes extrêmement diversifiées. La présente étude se bornera à examiner les effets d’écho et de reprise en tant qu’ils se jouent en territoire langagier.

4 Il y aurait de toute évidence mille choses à dire sur The Wire en tant qu’objet de langage. Ainsi Flore Coulouma veut-elle voir dans cette série une véritable « expérience en matière de linguistique de terrain4 ». Partant de cette observation, l’auteure s’attache à étudier les tropes et autres stéréotypes qui émaillent les propos tenus par les trafiquants de drogue tout au long de la première saison de The Wire. Dans ces tours de parole où les mêmes expressions fleurissent inlassablement, ne se refusant aucune formulation tautologique (« The game’s the game »), Coulouma discerne

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essentiellement des enjeux d’ordre identitaire et clanique. Dans une autre optique, Mathieu Potte-Bonneville a, pour sa part, émis l’hypothèse selon laquelle le langage constitue peut-être « le véritable personnage central de The Wire5 ». D’un point de vue général, Potte-Bonneville croit pouvoir distinguer à cet égard trois grandes fonctions du langage. Sur les trottoirs de Baltimore, le langage peut ainsi prendre valeur, alternativement ou simultanément, de « marqueur d’appartenance », de « vecteur de pouvoir » et d’« opérateur de singularisation ». Comme marqueur d’appartenance, le langage a en propre, selon l’auteur, de « retrempe[r] les formes d’un entre-soi où les acteurs trouvent d’abord à se définir, à parler pour dessiner ce qui entre eux va sans dire6 ». En tant que vecteur de pouvoir, le langage, à suivre Potte-Bonneville, « trace en permanence le diagramme des dominations stratégiques qui s’exercent pour autant qu’elles se disent, mais s’exposent aussi en s’énonçant à se voir déjouées dans l’ironie, renversées dans l’humour7 ». À titre d’opérateur de singularisation enfin, le langage « double l’inscription sous les règles communes de la possibilité de s’y faire entendre, et jouer, une variation propre, comme un méandre ou un bief dans le flot des paroles échangées8 ».

5 Dans ce qui suit, il s’agira de dégager et d’explorer une possible quatrième fonction du langage, qu’il faudra elle aussi nommer, et qui, dans le registre de la parole, est bel et bien affaire de reprise. Il sera plus précisément question d’un micro-phénomène qui, de prime abord, pourra paraître négligeable, mais qui, tout bien considéré, permet, en raison de son caractère aussi discret que systématique, non seulement d’éclairer l’un des enjeux majeurs de The Wire en tant qu’objet linguistique, mais aussi de déterminer avec plus de précision la nature du regard dont la série tout entière procède.

6 La première manifestation du phénomène en question se produit très tôt dans la série : elle prend place, en l’occurrence, au début de l’épisode 1.2 (« The Detail »). Nous sommes dans le bureau du juge Phelan. Ce dernier écoute distraitement l’inspecteur McNulty, qui lui rapporte qu’un certain William Gant, témoin oculaire dans une affaire de meurtre liée au clan Barksdale, vient de se faire assassiner d’une balle dans la tête. Alors qu’il mange un sandwich, Phelan souille sa cravate d’un peu de moutarde. La conversation, assez tendue, se poursuit, cependant que le juge s’efforce de nettoyer sa cravate à l’aide d’une serviette en papier. À un certain moment, au beau milieu de ses récriminations, McNulty, cadré en plan rapproché à l’épaule, fait incidemment remarquer à Phelan qu’il « a raté un endroit » (« You missed a spot »). Sans autre transition qu’une simple coupe franche, la séquence suivante nous transporte dans le sous-sol désaffecté où officiera désormais la nouvelle équipe dirigée par le lieutenant Cedric Daniels. L’inspecteur Santangelo est occupé à nettoyer le sol à l’aide d’une serpillière. L’un de ses collègues plus âgés (Patrick Mahone) lui fait observer, index tendu et regard moqueur, que, dans son opération de nettoyage, il a « raté un endroit » (« Hey, you missed a spot »). Si l’énoncé est sensiblement le même, il ne véhicule pas des connotations identiques : dans la bouche de McNulty, ces mots résonnent comme une marque d’attention, alors que, du côté de Mahone, il s’agit plutôt de pointer une négligence, sur le ton de la raillerie.

7 Petit moment de bégaiement apparent de la série, d’autant plus frappant qu’un intervalle très court (moins d’une minute) sépare les deux prises de parole. En termes sémantiques, rien de plus gratuit que la phrase en question : parole triviale, anecdotique, dépourvue de la moindre incidence sur un plan narratif. Mais ce qui importe en la circonstance, c’est sans doute moins l’énoncé en lui-même que son

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inscription au sein d’une structure d’écho. Paradoxalement, le phénomène se rend d’autant plus manifeste qu’il fait fond sur une parole pauvre, une parole qui, par là, fait d’autant mieux ressortir le mécanisme, le fait même de la répétition.

8 Une telle itération n’est évidemment pas sans danger en termes de vraisemblance narrative. D’un côté, la répétition des mêmes lignes de dialogue peut être reçue, par le spectateur, sinon comme une paresse d’écriture, du moins comme une maladresse dans laquelle l’appareil énonciatif de la série se serait fourvoyé. Pire encore, dès lors qu’il se réitère, tout particulièrement dans un laps de temps à ce point réduit, l’énoncé verbal attire potentiellement l’attention sur lui-même ; il tend à se donner pour ce qu’il est, ligne de dialogue articulée par un acteur, et non acte de locution assumé par un personnage. En d’autres termes, la répétition concourt à accuser l’énoncé verbal comme réplique. Dans cette mesure, la réplique, entendue au double sens du terme, tout ensemble élément de dialogue et fait d’itération, porte virtuellement atteinte à l’effet diégétique.

9 « You missed a spot » – le même énoncé, anodin en apparence, fait retour d’une séquence à l’autre : c’est là un risque, à n’en pas douter, mais, semble-t-il, un risque calculé et pleinement assumé. D’une certaine façon, il ne pouvait en aller autrement. Puisqu’il s’agit en effet d’une première occurrence, le procédé se devait d’être pleinement perceptible – et peu importe l’effet local de doublon ou de redite. Par son office, The Wire invite d’ores et déjà son spectateur à « écouter attentivement » (conformément au leitmotiv de la première saison) et à s’inquiéter de divers phénomènes de reprise affectant la sphère du langage9. Dans le cas qui nous occupe, on pourrait parler de reprise in absentia, en ce qu’elle affecte deux lignes narratives isolées, sans que les personnages concernés soient présents l’un à l’autre et sans qu’ils soient en outre conscients des prises de parole assumées par leur homologue10. Dans cette occurrence inaugurale, il est par ailleurs à noter que la réplique n’engage nullement à postuler un rapport d’homologie entre les personnages concernés ; elle correspond plutôt à l’ d’un procédé, ici actualisé dans toute sa nudité, sans autre véritable enjeu que lui-même, mais que la série s’attachera, par la suite, à investir sous de multiples formes.

10 Dans la dernière séquence de l’épisode 3.11 (« Middle Ground »), le personnage de Stringer Bell, lieutenant et ami d’enfance du tout-puissant gangster Barksdale, se retrouve en bien fâcheuse posture : non seulement parce que ses investissements immobiliers s’avèrent beaucoup plus coûteux que prévu (comme il vient de s’en ouvrir, non sans courroux, à l’entrepreneur Andrew Krawczyk), mais aussi – et surtout – parce qu’au terme d’une course effrénée dans l’immeuble à appartements qu’il a entrepris de faire rénover, il tombe dans un piège tendu de concert par Omar Little, son ennemi de toujours, et par Brother Mouzone, tueur à gages dont il a trahi les attentes et failli précipiter la perte. Séquence particulièrement tendue que celle-ci, par laquelle se clôture un processus enclenché dès la première saison (avec le meurtre particulièrement sauvage de Brandon, l’amant d’Omar, révélé au début de l’épisode 1.6) et qui apporte un point final à un cycle de vengeances en chaîne, cortège ininterrompu d’assauts et de ripostes11.

11 Mis en joue par ses deux adversaires, Bell n’a d’autre choix que de multiplier les manœuvres dilatoires : en premier lieu, il se plaindra implicitement de l’inégalité du combat, soulignant le fait que, pour sa part, il n’est pas armé (« I ain’t strapped ») ; ensuite, il invoquera un détachement, une prise de distance en regard de sa vie de

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gangster (« I ain’t involved, I ain’t involved in that gangster bullshit no more ») ; enfin, manœuvre désespérée, il se retranchera derrière un argument financier, proposant de l’argent contre une vie sauve. Mais ni Omar, ni Mouzone n’en font, à l’évidence, une question d’argent : à leurs yeux, c’est bel et bien d’une affaire d’honneur qu’il s’agit. À mesure que le cadre se resserre sur lui, l’enfermant progressivement à la manière d’un étau, Bell se rend compte que rien n’entamera la détermination de ses deux assaillants et que, par conséquent, sa fin est proche (« It seem like I can’t say nothing to change your minds »). Sur son visage à présent cadré en gros plan (voir figure 1), se succèdent diverses mimiques qui traduisent la résignation de l’homme se sachant condamné – ce qui ne l’empêchera toutefois pas, ultime sursaut d’orgueil, de hausser le ton une dernière fois (« Well, get on with it, motherfuck… ! »), avant de succomber sous les feux croisés d’Omar et de Mouzone et d’être laissé, seul et gisant, dans une pièce à présent désertée12.

Fig. 1 : L’ultime réplique de Stringer Bell (3.11)

12 À cette exécution effective et armée, fait pendant, dans l’épisode suivant (3.12 : « Mission Accomplished »), une exécution d’ordre symbolique quant à elle : celle dont fait l’objet le Major Howard « Bunny » Colvin. Dans le cadre de la saison 3, Colvin, pressé par sa hiérarchie, cherche par tous les moyens à faire baisser, dans le district ouest de Baltimore, le pourcentage des délits engendrés par le trafic de stupéfiants aux coins des rues. Face à une situation qu’il perçoit comme désespérée, le Major décide, à l’insu de ses supérieurs, d’instaurer trois « zones libres » à l’intérieur desquelles le trafic et la consommation de drogues sont tolérés (épisode 3.4 : « Hamsterdam »). Projet audacieux et relativement efficace, mais qui, progressivement, suscitera la désapprobation des policiers de terrain. Excédé, l’un d’entre eux, Thomas « Herc » Hauk, finira par vendre la mèche en passant un coup de fil au Baltimore Sun et en

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invitant un journaliste incrédule à venir visiter les trois zones libres, devenues autant de modernes Cours des miracles (épisode 3.9 : « Slapstick »).

13 Pour le projet « Hamsterdam », c’est bien évidemment le début de la fin. Certes, les coins de rue ont recouvré leur calme et les statistiques criminelles affichent une baisse significative, ainsi que Colvin le démontre à William Rawls et Ervin Burrell, ses supérieurs hiérarchiques, à l’occasion de la traditionnelle réunion hebdomadaire (épisode 3.10 : « Reformation ») – mais c’est au prix d’un grave contournement de la loi (Rawls : « Don’t you see what he’s done ? He legalized drugs ! »). Pour Colvin, les conséquences ne se feront pas attendre. Vers la fin de l’épisode 3.12, le Major fera en effet les frais de son initiative au cours d’une véritable séance d’humiliation publique, non seulement devant ses supérieurs, mais aussi sous les yeux de ses collègues. Après avoir énuméré les multiples fautes professionnelles imputables à Colvin, Rawls y va d’une dernière provocation (« Not much you can say, is there ? Not to real police ») – assertion empreinte de mépris à laquelle le Major répond en gros plan, sur un ton à la fois décidé et dégoûté : « Get on with it, motherfucker », avant de quitter, seul, la salle quelconque et aseptisée qui aura abrité la scène de sa destitution (voir figure 2).

Fig. 2 : L’ultime réplique du Major Colin (3.12)

14 Exécution symbolique – équivalant, pour l’intéressé, à une perte de grade – mais exécution tout de même et non moins sommaire, en cela pas très éloignée de celle que dut subir Stringer Bell dans le cadre de l’épisode précédent. Une fois encore, de singuliers parallélismes se font jour d’épisode à épisode : de part et d’autre, c’est un homme seul (Bell/Colvin) qui endosse le statut de victime face à deux bourreaux (les duos Omar/Mouzone et Burrell/Rawls, respectivement) ; de part et d’autre, c’est la victime qui exhorte ses bourreaux à ne pas faire durer le plaisir, en usant d’une injonction et d’une insulte en tous points identiques, effet de réplique au travers

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duquel se suggère cette fois une possible homologie entre les deux personnages, disposés symétriquement des deux côtés d’une barrière nommée Loi13.

15 Comme fait d’intratextualité, la réplique constitue un procédé d’écriture que The Wire exploite en tous sens et tout au long de ses cinq saisons. Pour s’en convaincre, il suffira de se projeter, au prix d’un nouveau bond dans le temps, dans la quatrième saison de la série et de se pencher plus spécifiquement sur son deuxième épisode (« Soft Eyes »). Une première actualisation de répliques en écho se joue autour des personnages respectifs de Dennis « Cutty » Wise et de Bubbles, le vagabond magnifique, Charlot des temps post-modernes.

16 Repris de justice, ancien bras armé du clan Barksdale, Dennis Wise a trouvé du travail dans une petite entreprise de jardinage à domicile, où il côtoie essentiellement des collègues mexicains, eux aussi passés par la case « prison ». Au début de l’épisode 4.2, une brève séquence nous montre Wise au travail, alors qu’il adresse quelques mots en espagnol à ses collègues sud-américains. Intrigué par cette compétence linguistique, le patron de Wise lui adresse la proposition suivante : « Si on faisait équipe, on pourrait couvrir deux fois plus de terrain et gagner deux fois plus » (« […] if we put in together, we could be coverin’ twice the ground, makin’ twice as much ») (voir figures 3 et 4). Flatté par cette proposition, Wise n’y donnera cependant pas suite, prétextant d’autres obligations (nommément, la gestion de sa salle de boxe).

Fig. 3 : « covering twice the ground » (4.2)

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Fig. 4 : « covering twice the ground » (4.2)

17 Plus loin dans le même épisode, un plan-séquence long d’une minute environ nous montre, en plan large, Bubbles arpentant une ruelle avec sa boutique ambulante (« Bubble’s Depo »), en compagnie de Sherrod, un adolescent déscolarisé qu’il a pris sous son aile. En substance, la discussion tourne autour des lacunes du jeune homme en matière d’arithmétique élémentaire et de leurs répercussions négatives sur la petite entreprise que Bubbles porte littéralement à bout de bras. La situation incite ce dernier à placer Sherrod face à ses responsabilités : « Si je pouvais te laisser gérer l’argent seul, on pourrait couvrir deux fois plus de terrain et vendre deux fois plus » (« If I can cut you loose to handle the money, we can cover twice the ground, selling twice the merchandise ») (voir figures 5 et 6). Moins de dix minutes séparent les deux occurrences, et l’effet d’écho s’y fait d’autant plus sensible que les phrases invoquées, circulant dans les deux cas de l’employeur vers l’employé, obéissent à la même structure grammaticale (une proposition conditionnelle, une proposition principale scandée par l’adverbe « twice » – lequel, éloquemment, dit deux fois la répétition) et répondent au même principe, celui, à la fois, d’une collaboration et d’une possible extension en termes de « parts de marché » (comme le dira Bubbles peu après), et cela au moment même où les barons de la drogue ont décrété que, pour leur part, le produit devait désormais primer sur le territoire14.

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Fig. 5 : « cover twice the ground » (4.2)

Fig. 6 : « cover twice the ground » (4.2)

18 Cet effet de rime interne tend à indiquer qu’entre le patron de Dennis Wise et Bubbles, les situations sont homologues à bien des égards – indice ponctuel, mais particulièrement significatif, de ce que ces destins sont, d’une façon ou d’une autre,

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liés, connectés à distance, sans que ces personnages se croisent effectivement dans la trame du récit15.

19 Dans le cadre du même épisode 4.2, un autre effet de réplique se laisse repérer, légèrement plus complexe et plus audacieux quant à lui, dans la mesure où il convoque deux sphères sociales que tout semble devoir opposer. Juste après le plan-séquence mettant en scène la discussion entre Bubbles et Sherrod, le récit nous transporte sur le seuil d’une maison, où conversent notamment trois des quatre adolescents dont la quatrième saison de The Wire suit les trajectoires contrastées. C’est la fin de l’été. La rentrée scolaire n’est pas loin, et les personnages respectifs de Namond Brice, Randy Wagstaff et Michael Lee envisagent cet événement avec une certaine impatience. Ces bavardages innocents sont cependant interrompus par l’entrée en scène de Monk, premier lieutenant du dealer en chef Marlo Stanfield. Dépêché par son patron, Monk vient distribuer de l’argent liquide à ce groupe d’adolescents, façon d’acheter leur silence et/ou leur complicité. Souvent présenté comme le membre le plus indépendant du groupe, Michael refuse cet argent, ce qui provoque la stupéfaction de Marlo Stanfield en personne, lequel traverse la rue pour venir l’interpeller, occasion d’un champ/contrechamp particulièrement intense. Momentanément suspendue, la séquence reprend quelques minutes plus tard. En travelling latéral, puis arrière, la caméra suit les personnages de Namond, Randy et Michael alors qu’ils déambulent dans les rues, évoquant l’argent distribué par le clan Stanfield. Si Michael a refusé, c’est, dit- il, parce qu’il n’aime pas être redevable envers qui que ce soit (« That owin’ niggas for shit, man. That ain’t me »). Moins scrupuleux, Namond – pourtant le plus favorisé des trois adolescents en termes de capital matériel – résume quant à lui sa position en une seule phrase : « Je prendrai toujours son foutu blé s’il a envie de le distribuer » (« I’ll take any motherfuckin’ money if he givin’ it away now ») (voir figures 7 et 8).

Fig. 7 : « giving it away » (4.2)

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Fig. 8 : « giving it away » (4.2)

20 Indice de la cupidité du personnage, cet énoncé, plutôt banal en apparence, fera retour quelques minutes plus tard, en un contexte tout différent, à hauteur d’une des autres grandes lignes narratives explorées par cet épisode. Alors que l’étau se resserre autour de sa personne et qu’il vient de recevoir une très officielle assignation à comparaître, le sénateur corrompu Clay Davis, dont la première saison de The Wire a déjà pris soin de détailler la vénalité, entend exprimer son courroux au maire Clarence Royce, principal bénéficiaire de ses malversations financières. Au beau milieu de son plaidoyer pro domo, sous le regard résigné du maire, Davis pose à son tour, sur un mode presque oratoire, la question de la provenance de l’argent : « Tu crois que j’ai le temps de demander à un mec pourquoi il me donne de l’argent ? Ou bien d’où il provient ? Je prendrai l’argent de n’importe quel enfoiré s’il a envie de me le donner » (« You think I have time to ask a man why he givin’ me money ? Or where he gets his money from ? I’ll take any motherfucker’s money if he givin’ it away ») (voir figures 9 et 10).

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Fig. 9 : « giving it away » (4.2)

Fig. 10 : « giving it away » (4.2)

21 Nouvelle itération, nouvel effet de réplique. Qu’il s’agisse de Namond Brice ou de Clay Davis – deux personnages qui, à nouveau, ne se croiseront jamais dans l’espace du récit –, le principe est le même : peu importe l’origine effective de l’argent, pour autant qu’il

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puisse être mis à profit par son destinataire (en vue d’acheter des vêtements dans le chef de l’adolescent, en vue de financer des campagnes électorales dans celui du sénateur). Entre la culture de la rue et les coulisses de la scène politique, The Wire met de la sorte en relief des analogies, au travers d’échos ou de reprises dans les actes de parole endossés par les différents protagonistes. C’est là une autre façon, pour la série, de traiter du tissu urbain en termes d’interconnexions, même si celles-ci sont peu apparentes au premier abord. Dans The Wire, l’acte de parole lui-même est ainsi pensé dans sa dimension de réseau.

22 Telle serait peut-être, incarnée dans le procédé de la réplique, une quatrième fonction du langage dans The Wire : marqueur d’homologies entre les différents univers que la série entend passer au crible. Sous cet angle, la réplique dit bien le caractère profondément systémique de la perspective déployée par David Simon et Ed Burns – un caractère systémique qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer, dans ses objets comme dans sa méthode, la grande tradition de l’anthropologie urbaine américaine (William Foote Whyte, Elliot Liebow, etc.), à l’aune de laquelle la série gagnerait assurément à être lue, notamment dans une visée généalogique16.

23 Fait assez remarquable de ce point de vue et occasion d’une ouverture finale : dans la post-face de The Corner. A Year in the Life of an Inner-City Neighbourhood17, l’étude que Simon et Burns ont publiée en 1997 au terme d’une année passée à observer le trafic de stupéfiants tel qu’il se déroulait alors, en plein jour, au coin de Fayette Street et de Monroe, les deux auteurs se réclament explicitement d’Elliot Liebow et de son ouvrage le plus célèbre, Tally’s Corner, paru en 1967 et disponible depuis peu en traduction française18. Issu d’une thèse de doctorat soutenue à la Catholic University of America, Tally’s Corner est une étude d’ethnographie urbaine consacrée à une communauté noire américaine dans un quartier défavorisé de Washington, au départ d’un travail de terrain effectué entre janvier 1962 et juillet 1963. De toute évidence, il y aurait une riche réflexion à mener autour des multiples homologies qui semblent devoir unir les démarches adoptées respectivement par Liebow et par le tandem Simon/Burns. En tout état de cause, The Corner, comme œuvre de narration non-fictionnelle, mais aussi comme mini-série (HBO, 2000), semble marquer la gestation d’un véritable regard anthropologique qui informera en sous-main tout le propos de The Wire. Comme micro- phénomène, la réplique pourrait constituer la manifestation exemplaire de ce regard immergé, attentif aux moindres détails (homologies, modulations, échos, etc.).

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NOTES

1. Sur ce point, voir par exemple Marsha Kinder, « Re-Wiring Baltimore: The Emotive Power of Systemics, Seriality, and The City », in Film Quarterly, Vol. 62, No. 2, hiver 2008-2009, p. 57 [p. 50-57]. 2. Jason Mittell, « Narrative Complexity in Contemporary American Television », in The Velvet Light Trap, No. 58, hiver 2006, p. 29-40. S’agissant de The Wire, les propositions de Mittell ont fait l’objet d’un premier approfondissement par Ted Nannicelli, « It’s All Connected: Televisual Narrative Complexity », in The Wire. Urban Decay and American Television, éd. Tiffany Potter et C. W. Marshall, New York, Londres, Continuum, 2009, p. 190-202. 3. Sur les différentes versions de cette chanson dans The Wire, véritables variations autour d’un même thème, voir par exemple Rafael Alvarez, The Wire. Truth Be Told, Edimbourg, Londres, New York, Melbourne, Canongate, 2009, p. 246-250. 4. Flore Coulouma, « ‘That’s the game, yo’: Stereotype and Identity in The Wire », in TV/ Series, No. 1, juin 2012, p. 144-162 (p. 144 pour le passage cité). 5. Mathieu Potte-Bonneville, « All in the game », in The Wire. Reconstitution collective, éd. Emmanuel Burdeau et Nicolas Vieillescazes, Paris, Les Prairies Ordinaires/Capricci, 2011, p. 164 [p. 147-166]. 6. Ibid., p. 164-165. 7. Ibid., p. 165.

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8. Ibid. 9. Cette idée de « rater un endroit » fera du reste retour beaucoup plus tard dans la série, créant presque les conditions d’un running gag en bonne et due forme. Vers le milieu de l’épisode 4.1 (« Boys of Summer ») en effet, le sergent Carver, accompagné de l’agent Colicchio, rend visite à Bodie et à son équipe de dealers de rue. Tirant prétexte d’une certaine complicité, Carver profite de son passage pour réaffirmer devant Bodie et ses comparses les vertus de la courtoisie élémentaire. Vers le milieu de cette séquence, le dialogue quelque peu sardonique entre Carver et Bodie se suspend et se déplace : le sergent interpelle en effet Lex, l’homme à tout faire de ce coin de rue, occupé à balayer le trottoir. Après les politesses habituelles et convenues, Carver fait observer au jeune homme : « Je ne veux pas critiquer, mais je crois que tu as raté un endroit » (« Not to criticize or anything, but I think you missed a spot there »). Réplique à distance cette fois qui, ironiquement, confère à Lex le même statut que l’inspecteur Santangelo au début de l’épisode 1.2 et qui vaut comme clin d’œil à la mise en œuvre inaugurale du procédé. 10. À la reprise in absentia, pourrait utilement s’opposer, en termes typologiques, la reprise in praesentia, elle aussi assez abondante dans The Wire. À l’enseigne de la reprise in praesentia, il convient de placer tous les cas de figure impliquant qu’une ou plusieurs lignes de dialogue transitent d’un personnage à l’autre sur le double mode de la répétition consciente et du retour d’ascenseur verbal. Pour ne prendre qu’un exemple, la première saison de The Wire se trouve pour ainsi dire encadrée par un remarquable effet de reprise in praesentia. Au début de l’épisode 1.1, la série nous donne à voir le procès de D’Angelo Barksdale. Deux témoins se succèdent à la barre : William Gant (personnage auquel nous avons déjà fait ) et Nakeisha Lyles. Alors que Gant confirme que c’est bien D’Angelo qui est le coupable, Nakeisha Lyles, pour sa part, se rétracte subitement, probablement en raison des pressions exercées sur sa personne par le clan Barksdale. McNulty comprend vite la combine et, dépité, quitte la salle d’. Au passage, il souffle à Stringer Bell, assis au fond de la salle : « Joli coup » (« Nicely done »). À l’autre bout de la saison, c’est-à-dire à la fin de l’épisode 1.13, c’est au procès du clan Barksdale en son ensemble que nous assistons, avec sa panoplie d’arrangements tacites et autres chicanes juridiques. À nouveau déçu par la tournure des événements (notamment par le fait qu’en définitive, D’Angelo, convaincu par sa mère, reste muet comme une carpe quant aux agissements d’Avon Barksdale et de ses complices), McNulty décide d’aller s’asseoir en dehors de la salle d’audience. Accompagné par la mère de D’Angelo, Stringer Bell sort à son tour de la salle et adresse à McNulty la phrase même que celui-ci avait prononcée au début du premier épisode : « Joli coup » (« Nicely done »). Autour du même énoncé, le destinateur devient destinataire et vice-versa. Notons que la reprise in praesentia joue en l’espèce d’autres effets de symétrie : dans la séquence de l’épisode 1.1, Stringer Bell est assis, alors que McNulty est debout et en mouvement ; dans la scène de l’épisode 1.13, c’est exactement le contraire : McNulty est affalé, songeur, sur un banc, cependant que Stringer Bell est pour sa part debout et en mouvement. Cas assez extrême, cette reprise in praesentia se déploie sur l’arc entier d’une saison : elle sollicite fortement et l’attention, et la mémoire du sujet spectatoriel (lequel peut ne pas percevoir du premier coup cet effet de rime à distance). Un tel cas d’espèce devrait inciter à s’interroger sur la portée, en termes temporels, de l’effet de réplique (de séquence à séquence, d’épisode à épisode, de saison à saison). 11. Pour une généalogie de l’alliance relativement inattendue entre Omar et Mouzone, voir Ted Nannicelli, op. cit., p. 194-195. 12. Dans cette séquence, certains commentateurs ont voulu voir une manière de retour de flammes. L’exécution de Stringer Bell ferait en effet écho, sous bien des aspects, à celle que lui- même avait commanditée à l’égard du jeune Wallace dans le cadre de l’épisode 1.12 (« Cleaning Up »). Sur ce point, voir par exemple Stephen Lucasi, « Networks of Affiliation: Familialism and Anticorporatism in Black and White », in The Wire. Urban Decay and American Television, op. cit., p. 142 [p. 135-148].

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13. Sur ce point, voir par exemple Kieran Aarons et Grégoire Chamayou, « Contradictions », in The Wire. Reconstitution collective, op. cit., p. 65-87. Selon ces deux auteurs, les personnages de Colvin et de Bell se ressemblent en ce qu’ils sont essentiellement des « réformateurs », instigateurs d’utopies « développée[s] en miroir » (p. 73). 14. Tel est bien le sens du véritable credo que le personnage de Stringer Bell, probablement inspiré par les cours de macro-économie qu’il suit assidûment au Community College de Baltimore, prononce devant ses ouailles au début de l’épisode 3.1 : « On arrête de se préoccuper du territoire, des rues ou des cités qui nous appartiennent. Le trafic, ce n’est plus ça : ce qui compte, c’est le produit » (« We’re done worrying about territory, man, what corner we got, what project. Game ain’t about that no more : it’s about product »). L’on sait par ailleurs que cette approche réformée et en quelque sorte pacifiée du trafic de stupéfiants sera à l’origine de dissensions de plus en plus profondes entre Stringer Bell et son « patron » Avon Barksdale. Sur les postulats qui informent la prise de position de Bell, voir notamment Jason Read, « Stringer Bell’s Lament: Violence and Legitimacy in Contemporary Capitalism », in The Wire. Urban Decay and American Television, op. cit., p. 122-134. 15. D’un autre point de vue, ce phénomène d’écho nous renseigne tout autant sur la dimension quasiment structuraliste de l’écriture développée par Simon et Burns que sur les effets de symétrie qu’elle cultive volontiers. Dans le cas de Dennis Wise, c’est ainsi une compétence qui est pointée du doigt par l’employeur alors que, dans le cas de Sherrod, c’est précisément une déficience ; dans le premier cas de figure, la compétence est en outre de nature linguistique, alors que, dans le second, elle est précisément d’ordre arithmétique. 16. Sur ce point, voir notamment Linda Williams, On The Wire, Durham, Londres, Duke University Press, 2014 et, plus particulièrement, le premier chapitre intitulé « Ethnographic Imagination. From Journalism to Television Serial », pp. 11-36. 17. David Simons et Ed Burns, The Corner. A Year in the Life of an Inner-City Neighbourhood, Edimbourg, Londres, New York, Melbourne, Canongate, 2009, p. 614. 18. Tally’s Corner. Les Noirs du coin de la rue, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010 – avec une très intéressante introduction de la part de Célia Bense Ferreira Alves, la traductrice.

RÉSUMÉS

Vaste « roman visuel » (David Simon), la série The Wire (HBO, 2002-2008) se donne pour ambition d’explorer sous toutes ses coutures la ville américaine de Baltimore. En termes de construction narrative, les soixante épisodes composant cette série s’ordonnent à un ample mouvement cyclique, au terme duquel rien, en définitive, n’a vraiment changé : The Wire se clôture en effet par un cinglant retour à la case départ. Au sein de cette structure en boucle, les phénomènes d’écho et de reprise foisonnent et affectent la série sous de multiples aspects. Le présent article s’emploie à dégager divers effets d’écho en tant qu’ils se jouent dans la sphère du langage. Il s’agit plus précisément de porter au jour un curieux micro-phénomène selon lequel, tout au long de la série, certains personnages sont amenés à prononcer les mêmes lignes de dialogue, tantôt de manière délibérée, tantôt de manière inconsciente. Après avoir débusqué la première occurrence de ce phénomène dans la trame complexe de The Wire, nous nous attacherons à examiner quelques cas de figure précis, dans une perspective qui se veut d’abord morphologique. Chemin faisant, une notion s’impose : celle de réplique, que The Wire, comme objet de langage, nous invite à entendre dans un fécond double sens – ligne de dialogue et fait d’itération.

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A vast “visual novel” (David Simon), the series The Wire (HBO 2002–2008) aims to explore the American city of Baltimore in all of its aspects. In terms of narrative construction, the sixty episodes that make up the series are organized in a sweeping cyclic movement, at the end of which nothing, definitively, has truly changed: The Wire ends effectively with a crushing return to square one. Within the framework of this looped structure, the phenomena of echo and repetition abound and affect the series in multiple ways. The present article applies itself to bring out the various effects of echo in the way that they play out in the sphere of language. More precisely, it seeks to bring to light a strange micro-phenomenon according to which, for the whole length of the series, certain characters are lead to deliver the same lines of dialogue, either deliberately or unconsciously. After having brought to light the first occurrence of this phenomenon within the complex framework of The Wire, we will set out to examine several precise cases, in a perspective that is intended to be principally morphological. Along the way, a key notion will emerge: the “réplique”, which The Wire, as an object of language, invites us to understand in the rich double sense of the French – a line of dialogue and a retort.

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Mots-clés : Wire (The), itération, dialogue, réplique Keywords : Wire (The), anaphora, dialogue, cue

AUTEUR

LIVIO BELLOÏ Livio Belloï est chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique (Bruxelles) et Maître de conférences à l’université de Liège. Ses recherches portent essentiellement sur le cinéma des premiers temps, sur le cinéma expérimental (Brakhage, Deutsch, Morrison, Sharits, etc.), sur les séries télévisées américaines et sur la bande dessinée expérimentale contemporaine (cf. http://orbi.ulg.ac.be/simple-search?query=belloi). Ses deux derniers ouvrages s’intitulent Film ist. La pensée visuelle selon Gustav Deutsch (Lausanne, L'Âge d'Homme, coll. « Histoire et esthétique du cinéma », 2013) et La Mécanique du détail. Approches transversales (Lyon, ENS Editions, coll. « Signes », 2014, en co-direction avec Maud Hagelstein).

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Échos et remake dans les séries télévisées des années 1960 à nos jours

Jean Du Verger

1 L’un des plaisirs ou, pour reprendre l’expression de Barthes, l’une des jouissances que nous éprouvons en regardant des séries télévisées repose notamment sur notre faculté à déceler et à reconnaître telle ou telle allusion ou référence dans telle ou telle série.

2 Depuis les années 1950, la télévision omniprésente a révolutionné la culture et donné naissance à ce que Dominic Strinati appelle « a postmodern popular culture1. » C’est dans le cadre de cette culture postmoderne où, comme le note Strinati, tout peut se transformer en blague, citation ou pastiche2, que nous allons examiner le rôle de l’écho à travers un certain nombre de séries télévisées des années 1960 à nos jours. La notion même de culture populaire repose sur des paramètres extrêmement fluctuants, tels que le genre et les contextes historique, économique et social. Il nous faut donc tenir compte de ces « nomadic subjectivities3 » comme les appelle John Fiske. En effet, de par sa nature propre, la culture populaire implique que les lecteurs-spectateurs ne perçoivent pas toujours les mêmes choses à la lecture du texte télévisé4, comme l’a d’ailleurs fort justement remarqué Fiske :

By “showing” rather than “telling”, by sketching rather than drawing completely, popular texts open themselves up to a variety of social relevances […]. Showing the obvious leaves the interior unspoken, unwritten; it makes gaps and spaces in the text for the producerly reader to fill from his or her social experience and thus to construct links between the text and that experience5.

3 Tentons maintenant de définir brièvement la notion d’écho, dont la tradition en littérature et en musique remonte à l’Antiquité. L’étymologie grecque du mot inclut les notions de réverbération et de résonance. Par conséquent, l’écho repose sur le principe rhétorique de la reduplicatio, de la répétition, mais une répétition qui se fonde à la fois sur la similitude et la différence. Le phénomène acoustique de l’écho prolonge le son de

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la voix originelle qui se réverbère, se fragmente et se dissémine dans l’espace – en l’occurrence ici, le texte télévisé ou filmique. L’écho n’est donc pas simple répétition mais, comme le souligne John Hollander6, il participe à la réécriture perpétuelle du texte culturel populaire – une culture qui repose elle-même, comme l’écrit Fiske, sur la répétition7. L’écho participe à la consolidation de cette culture populaire qui s’érige peu à peu en une véritable chambre d’échos dans laquelle la mémoire du lecteur-spectateur est sans cesse ravivée par les multiples citations et dont sont parsemés les textes télévisés. L’écho, qui peut être assimilé à l’allusion ou à la citation, se répercute de texte en texte et fait ainsi résonner le texte source comme pour mieux tester la mémoire culturelle du lecteur-spectateur.

4 Il serait vain de vouloir faire ici un relevé exhaustif de tous les types d’échos dont se nourrissent les textes télévisuels. On peut cependant en isoler un certain nombre, parmi les plus fréquemment utilisés. Par ailleurs, loin de constituer une taxinomie hermétique, notre classification se révélera parfois perméable puisque certains des échos répertoriés pourraient parfaitement se retrouver simultanément dans plusieurs catégories.

1. Ébauche d’une taxinomie de l’écho télévisuel

Le personnage écho

5 Le personnage écho par excellence, c’est d’abord le héros lui-même, puisque le principe de la série télévisée repose sur cet élément fondateur, comme le souligne Thomas Elsaesser : « the serial form was meant to tie an audience to a star, or to make the viewer come back »8. Mais nous allons plutôt parler du personnage récurrent du « méchant » qui, dans les séries télévisées des années 1960-1970, pose à la fois la question de l’écho et du stéréotype. En effet, l’acteur incarnant le méchant se trouve cantonné à ce type de rôles de telle sorte que le spectateur l’identifie immédiatement à l’intérieur d’une série ou bien d’une série à l’autre. Comme l’a d’ailleurs bien remarqué Martin Esslin, « the recurring characters […] remain constant and become ever more familiar to their audiences9 », soulignant ainsi la standardisation des séries télévisées à l’époque. Nous n’examinerons ici que quelques exemples tirés de trois séries cultes, à savoir Les Mystères de l’Ouest (CBS, 1965- 69), (ABC, 1966-68) et Hawaï, police d’État (CBS, 1968-80).

6 Les Mystères de l’Ouest ne seraient pas ce qu’ils sont devenus sans le docteur Miguelito Quixote Loveless10 et, dans une moindre mesure, le comte Carlos Mario Vincenzo Robespierre Manzeppi, incarnés respectivement par Michael Dunn et Victor Buono. Au cours de leur brève carrière ces deux acteurs ont incarné de nombreux personnages de méchants. En 1964, dans Le Tueur de Boston (The Strangler) de Bob Topper, Victor Buono joue le rôle d’un psychopathe, Leo Kroll, qui assassine des jeunes femmes. L’année suivante, dans la série Voyage to the Bottom of the Sea (ABC, 1964-68), il incarne le docteur Tabor Ulrich, un scientifique fou et obèse en fauteuil qui cherche à diriger le monde à la tête d’une armée de (« The Cyborg », 2.4). En 1966, on le retrouve dans le rôle du très sanguinaire colonel Hubris dans un épisode des Agents très spéciaux (The Man from U.N.C.L.E., NBC, 1964-68 : « The Deadly Goddess Affair », 2.17). De 1966 à 1968, il endosse le costume du maléfique King Tut dans la série Batman. On le retrouve à la fin des années 1970 dans L’Homme de l’Atlantide (NBC, 1977-78) où il joue encore le rôle d’un

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savant fou, le docteur Schubert, qui cherche à faire fondre la banquise pour immerger la terre sous les océans11… Attardons-nous un instant sur le rôle de Buono, ou plutôt ses rôles, dans Les Mystères de l’Ouest. Dans le pilote de la série, intitulé « La nuit des ténèbres » (« The Night of the Inferno »), il joue le double rôle de l’inquiétant Chinois Wing Fat, qui n’est autre que Juan Manolo, révolutionnaire mexicain recherché par James West et Artemus Gordon. Il tient ensuite à deux reprises le rôle du comte Manzeppi, magicien et illusionniste maléfique. Il incarne enfin le docteur Henry Messenger, secrétaire d’État américain12, dans le deuxième téléfilm intitulé More Wild Wild West (1980), qui vient définitivement clore la série, où il s’allie avec l’adversaire de West et Gordon, un certain Albert Paradine II (voir figure 1).

Fig. 1 : Les « méchants » incarnés par Victor Buono

7 Michael Dunn, quant à lui, endosse les habits du nain diabolique et ennemi juré de West et Gordon à pas moins de dix reprises au cours des quatre saisons de la série. Lors de ses trois premières apparitions, il est accompagné d’un géant muet et simple d’esprit prénommé Voltaire, incarné par l’acteur Richard Kiel, qui deviendra célèbre pour son rôle de Jaws dans L’Espion qui m’aimait (1977) et Moonraker (1979). Hors Les Mystères de l’Ouest, en 1965, Michael Dunn incarne le rôle du méchant, Mr Big, dans le pilote de Max la menace (Get Smart, CBS, 1965-70). Deux ans plus tard, il joue le rôle d’un clown diabolique qui remplace les membres de l’équipage du Seaview par des mannequins de cire dans Voyage au fond des mers (« The Waxmen », 3.24). Il incarne enfin le personnage inquiétant de George Korbal dans la série Run for Your Life (NBC, 1965-68) aux côtés de Ben Gazara13 (voir figure 2).

Fig. 2 : Les « méchants » incarnés par Michael Dunn

8 Le cas du personnage de l’énigmatique Wo Fat, interprété par Knigh Alx Dheigh14, ennemi implacable de Steve MacGarrett dans la série Hawaï, police d’État est tout aussi intéressant (voir figure 3). Il apparaît à onze reprises au cours de la série et, notamment, dans le pilote « Cocoon », ainsi que dans l’ultime épisode de la série « Woe to Wo Fat » (12.19), dans lequel il est finalement mis sous les verrous par MacGarrett. Wo Fat réapparaît dans le récent remake de la série Hawai 5-O (CBS, 2010-) sous les traits de l’acteur Mark Dacascos. Mais c’est la réapparition du personnage d’August March qui a attiré notre attention (voir figure 4). Ed Asner, qui joue donc March dans la série

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originale (dans l’épisode intitulé « Wooden Model of a Rat », 8.14), reprend le même rôle trente après, dans le remake de la série, dans l’épisode « Kalele » (2.19), au cours duquel on peut voir un de l’épisode de 1975... Bel exemple de personnage écho, comme le souligne le journaliste Greg Braxton : « Producers say it may be the first time in television history that a guest performer has played the same role in separate versions of the [same] show15. »

Fig. 3 : Knigh Alx Dheigh : Wo Fat dans Hawaï, police d’État

Fig. 4 : Ed Asner et ses incarnations de March

9 La structure formatée des séries télévisées des années 1960-1970 a donc favorisé l’apparition de personnages stéréotypés, souvent incarnés par les mêmes acteurs. Cependant, le personnage écho, et notamment le personnage du méchant, permettait aussi de créer une continuité, de tisser un lien dans des séries où chaque épisode était cependant autonome et pouvait donc se voir sans obéir à l’ordre chronologique. Sa présence récurrente créait un phénomène d’anticipation chez le lecteur-spectateur, celui-ci attendant avec délectation la réapparition de son « méchant préféré16 ». Le personnage de Wo Fat constitue, à cet égard, un parfait exemple de l’importance scénaristique du personnage écho dans la mesure où il permet de clore de manière logique la série au bout de douze saisons. Comme Wo Fat le fait remarquer à

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MacGarrett : « A fitting end, MacGarrett. Through a dozen adventures which have had no resolution we come now to the final of this… this morality play17. »

10 Ces personnages constituent, par ailleurs, de véritables chambres d’échos culturelles, littéraires et historiques. Les discours des personnages tels que le comte Manzeppi et King Tut, dans Batman, sont parsemés d’échos et shakespeariens. Dans « La Nuit de la pierre philosophale » (« The Night of the Winged Fury », 2.17), outre des locutions latines plus ou moins farfelues ainsi que ses références répétées et erronées à Hérodote18, le comte Manzeppi n’hésite pas à citer le Barde (« Strive mightily, but eat and drink as friends19 »). C’est surtout la citation parodique de la pièce Julius Cæsar, déclamée par King Tut dans Batman au moment où il s’apprête à ébouillanter le héros dans un sarcophage, qui est la plus amusante : « Friends, Egyptians, henchmen, lend me your ears!/ I come to bury Batman, not to praise him./ The evil that men do lives after them,/ The good is oft interred with their bones:/ So let it be with Batman20. »

11 D’un point de vue culturel, l’un des méchants les plus intéressants en termes d’échos est le personnage de l’excentrique docteur Loveless. L’onomastique définit le personnage : Miguelito en espagnol signifie « le petit Michel », référence, s’il était nécessaire, à sa petite taille. Son patronyme Quixote renvoie à la dimension vaine et illusoire de ses tentatives pour diriger le monde. Quant à son nom, il indique bien que le personnage est dépourvu d’amour ou souffre de ne pas être aimé21. Loveless symbolise à la perfection le savant fou dont les motivations semblent échapper au commun des mortels : « Observe the classical magistrate’s mind […] The good judge doesn’t understand me ergo I am mad » (4.12). Sa quête d’un monde meilleur, d’un monde parfait, dans lequel tous les hommes seraient « equal in stature » (4.12), passe inéluctablement par la destruction du nôtre. Comme le comte Manzeppi, Loveless est un fin connaisseur d’art, « a helpless admirer of all that is rare and fine in nature and art » (4.12), ainsi qu’un grand amateur de musique. Sans parler de la manière extrêmement sophistiquée avec laquelle il s’exprime22, une manière pour les scénaristes de souligner qu’il est un homme de culture. Si l’on considère d’un peu plus près cet aspect culturel des personnages de Loveless et Manzeppi on peut y voir l’illustration de l’antagonisme entre ce qu’Umberto Eco nomme « la culture avec un C majuscule23 » et la culture populaire, cette dernière étant toujours prompte à souligner que la première est l’apanage d’un nombre très limité de gens.

12 D’un point de vue historique, le personnage de Wo Fat, qui évolue dans les soubresauts de la guerre froide, constitue une véritable chambre d’échos d’événements réels. Du pilote où il incarnait un espion chinois, il devient peu à peu un parrain de la mafia chinoise, reflétant ainsi l’évolution des relations sino-américaines. Le monde fictionnel de la série devient le miroir du monde réel.

13 Ces personnages ont un autre point commun : ils sont tous affligés d'un handicap. Loveless est un nain et son acolyte pour trois épisodes, Voltaire, est un géant simple d’esprit. Les personnages incarnés par Victor Buono sont à l’image de l’acteur : opulents. Ce handicap physique est le reflet de leur statut de déviants. À cela s’ajoute le fait que Manzeppi et Miguelito Loveless ont des noms à consonance étrangère et symbolisent, en ces temps de Guerre froide, la menace venue de l’étranger24. Wo Fat, qui est d’origine asiatique, pourrait d’ailleurs être vu comme un écho du héros maléfique de Sax Rohmer, Fu Man Chu, symbole du péril jaune.

14 Ces personnages échos interrogent donc le rapport à l'altérité dans la société américaine de l’époque, une société dans laquelle l'autre est souvent perçu comme une

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menace. Hors norme, ils représentent une réification du social, de ses peurs et de la façon dont les différences sont pensées. Il y a bien sûr des contre-exemples : les personnages de Robert Dacier, le détective en fauteuil roulant de la série Ironside (NBC, 1967-1975), et de Frank Cannon, détective privé grand amateur de cuisine au physique pour le moins imposant, dans la série Cannon (CBS, 1971-1976). Une série sort bien sûr complètement de cette logique, c’est Columbo (NBC, 1968-2003). À notre connaissance, c’est la première série télévisée qui subvertit à ce point cette stéréotypie des personnages puisque nombre des meurtriers de la série sont incarnés par les héros d’autres séries télévisées25. Le héros éponyme est quant à lui un homme de petite taille au physique quelconque, vêtu d’un vieil imperméable fripé et crasseux, conduisant une vieille guimbarde.

15 Depuis les années 1980, la psychologie et la représentation des personnages ont énormément évolué. Les héros des séries contemporaines seraient plutôt à l’image de personnage comme Profit ou Dexter : des anti-héros, des personnages à l’intérieur desquels la frontière entre le bien et le mal tend à se dissoudre, voire à disparaître. Aujourd’hui, les mêmes acteurs incarnent une multiplicité de rôles, la réalité morale est plus mouvante et instable. L’acteur Lance Reddick joue ainsi tour à tour le rôle de Marvin, un drogué, dans la mini-série The Corner (HBO, 2000), puis celui du détective Johnny Basil dans OZ (HBO, 1997-2003), infiltré au cœur de la prison et qui, pour mener à bien sa mission, devra commettre un meurtre, puis enfin celui du colonel Cedric Daniels dans The Wire (HBO, 2002-2008), personnage éminemment paradoxal. Reddick a aussi joué le rôle complexe de « scientifique fou » de Walter dans la série Fringe (FOX, 2008-2013). Ces changements à vue surprennent le lecteur-spectateur et montrent la complexification psychologique des personnages et des structures narratives qui reposent de moins en moins sur des stéréotypes26. On retrouve, par ailleurs, dans les séries de David Simon diffusées sur HBO (The Corner, The Wire et, de 2010 à 2013, Treme) une galerie d’acteurs qui, bien que jouant des rôles parfois très différents d’une série à l’autre, créent pour le spectateur un univers familier.

Les échos parodiques

16 Nous allons maintenant examiner quelques exemples d’ échos parodiques, qu’on peut définir, à l’aide des termes de Linda Hutcheon dans son ouvrage A Theory of (1985), comme une forme de répétition qui possède « [a] critical ironic distance »27. Si, dans les séries d’ contemporaines telles que Les Simpson (FOX, 1989-) ou South Park (Comedy Central, 1997-)28, la parodie est pour ainsi dire le ressort essentiel, il nous a semblé intéressant d’examiner plutôt trois exemples d’écho parodique dans quelques séries télévisées des années 1960 à nos jours afin de voir comment elles tournent en dérision certains aspects de la culture populaire et, notamment, le cinéma et la bande dessinée.

17 L’épisode « Le Vengeur Volant » (« The Winged Avenger », 5.6) de Chapeau melon et bottes de cuir (ITV, 1961-69) constitue un parfait exemple d’écho parodique. Dans cet épisode, John Steed utilise des planches de BD pour venir à bout du méchant et l’on voit apparaître en énormes caractères des POW ! et des SPLAT ! C’est un retentissant BAM ! qui viendra à bout du vengeur volant. Cette scène fait clairement écho à la série américaine Batman, elle-même ouvertement parodique, diffusée à la même époque par le réseau ABC, où chaque épisode s’achève par une bagarre épique entre Batman,

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et leurs adversaires, bagarres ponctuées de KAPOW ! BAM ! ZOK ! et autres WHAMM ! Comme le fait remarquer Patrick MacNee, « the show […] was a lighthearted comics strip at the time »29… Cet épisode illustre parfaitement la mise en abyme qui résulte d’une parodie postmoderne et vient souligner la dérision et l’humour qui caractérisent ce processus parodique (voir figure 5).

Fig. 5 : Onomatopées dans Chapeau melon et bottes de cuir (5.6)

18 Dans le pilote de la série The Middle (ABC, 2009-), qui évoque les tribulations d’une famille américaine de la classe moyenne, le personnage de la fille de la famille peu gâtée par la nature, Sue Heck, se retrouve seule sur scène lors d’un spectacle scolaire que sa maladresse a transformé en véritable désastre. Cette scène n’est pas sans nous rappeler la célèbre scène du film de Brian De Palma, Carrie (1976), au cours de laquelle le bal de fin d’année s’achève en tragédie. L’image de la pauvre Sue renvoie à l’image de Carrie, seule sur scène, en sang, alors que tout s’écroule et s’enflamme autour d’elle – mais, ici, le ridicule a remplacé l’horreur… (voir figure 6)

Fig. 6 : The Middle (ABC, 2009-) et Carrie (1976)

19 Au cours de la troisième saison de Breaking Bad (AMC, 2008-2013), Walter White, alias Heisenberg, est la cible de deux tueurs mexicains. L’un d’eux est abattu et l’autre gravement mutilé par Hank, le beau-frère de Walter. Une scène de l’épisode « I See

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You » (3.8), qui se déroule à l’hôpital, montre les collègues de Hank, lui-même gravement blessé par les tueurs, qui invitent Walter, en visite, à venir voir le tueur survivant. En voyant Walter/Heisenberg, le tueur, dont les jambes ont été amputées, se jette au bas de son lit et se met à ramper vers lui dans une scène sidérante, qui rappelle la scène du film de , Freaks (1932), dans laquelle les monstres s'en prennent à Hercule (voir figure 7).

Fig. 7 : De Breaking Bad (AMC, 2008-2013) à Freaks (1932)

20 On voit par cet exemple comment l’écho parodique nécessite impérativement la participation du lecteur-spectateur. En effet, pour être efficace la parodie implique de la part du lecteur-spectateur à la fois une distance critique et la capacité à reconnaître la référence ou citation à laquelle il est fait allusion.

L’écho diégétique

21 Nous allons maintenant nous tourner vers une autre forme d’écho, l’écho narratif ou diégétique. Des épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir et des Mystères de l’Ouest constituent ainsi des échos aux trames narratives provenant, entre autre, de la littérature populaire de la fin du XIXe siècle. Les épisodes « The Night of the Burning Diamond » (1.26, diffusé en avril 1966) des Mystères de l’Ouest et « The See Through Man » (5.5, diffusé en février 1967) de Chapeau melon font ainsi écho au livre de H.G. Wells, L’Homme invisible (1897)30. Les trames narratives de « Escape in Time » (Chapeau melon, 5.2, diffusé en janvier 1967) et « The Night of the Lord of Limbo » (Les Mystères de l’Ouest, 2.15, diffusé en décembre 1967) sont des variations thématiques d’un autre ouvrage de Wells, La Machine à explorer le temps (1895). La structure narrative ainsi que le personnage du méchant, le marquis Philippe de la Mer, dans l’épisode des Mystères de l’ouest « The Night of the Watery Death » (2.9), renvoient au personnage du capitaine Nemo et au livre de Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers (1869). Nous pourrions multiplier les exemples de ce type. Indépendamment des romans populaires, on trouve, comme sources d’inspiration de ces mêmes séries télévisées, des nursery rhymes. Ces célèbres comptines font intimement partie de la culture populaire anglo-saxonne et constituent, par conséquent, un moyen efficace de capter l’attention des lecteurs- spectateurs31. Or, les nursery rhymes sont elles-mêmes fondées sur la répétition et la structure en écho, avec des jeux de mots et de rimes qui évoquent souvent des situations étranges et insolites.

22 L’épisode des Mystères de l’Ouest « The Night of Miguelito’s Revenge » (4.12)32 est calqué sur la structure de la comptine « Monday’s Child », censée prédire le caractère de chaque enfant selon le jour de sa naissance. Le docteur Loveless a décidé d’enlever tous

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ceux qui, au cours de sa carrière criminelle, se sont opposés à lui ou lui ont nui, et de les faire juger par un tribunal composé de marionnettes. Lors de l’enlèvement du juge Alonzo Fairlie, il laisse un énigmatique message, « Thursday’s child has far to go », qui va rapidement mettre nos agents sur la piste. West et Jeremy Pike découvrent alors que cet enlèvement en cache d’autres : à chaque jour de la semaine égrenés par la comptine correspond un type de caractère – et une victime33 :

Monday’s child is fair of face (Lynn Carstairs, l’actrice) Tuesday’s child is full of grace (Ivan Kalinkovith, le maître de ballet) Wednesday’s child is full of woe (Biff Trout, le jokey) Thursday’s child has far to go (Judge Alonzo Fairlie, le magistrat) Friday’s child is loving and giving (Cyrus Barlow, le philantrope) Saturday’s child works hard for his living (Tiny, le maréchal ferrand) And the child that is born on the Sabbath day (James West) Is bonny and blithe, and good and gay.

23 Au cours de l’enquête West est enfermé dans un cercueil et envoyé au fond d’un lac. Pendant ce temps, on entend, dans le gramophone placé dans le cercueil, le docteur Loveless chanter un célèbre « Sea Shanty » anglais intitulé « What Shall We Do with the Drunken Sailor ? ». La chanson populaire vient à la fois commenter l’action qui se déroule sous nos yeux tout en y imprimant son propre rythme. L’utilisation d’une chanson populaire souligne aussi, en un contrepoint ironique, la dimension parodique et fantaisiste de la série en dédramatisant cette scène :

What shall we do with the drunken sailor (3×), Early in the morning Refrain: Hoo-ray and up she rises (3×), Early in the morning Sling him in the long boat till he’s sober (3×) Pull out the plug and wet him all over, (3×)

24 Loveless échappe à nouveau à West et Jeremy Pike. Ils croient lui avoir enfin mis la main dessus, mais c’est un pantin à l’effigie du bon docteur, doté d'une boîte vocale à travers laquelle ses dernières paroles (« There will surely be another time gentlemen, surely another time… another time… another time… another time34 ») résonnent aux oreilles du lecteur-spectateur, véritable écho qui laisse en suspens la possibilité d’un éventuel retour. Cette voix humaine enregistrée puis projetée à travers un pantin traduit à la fois la dématérialisation de la voix qu’induit l’écho et l’effacement d’une présence, annonçant ainsi la mort métaphorique du personnage. On voit dans cet épisode comment les scénaristes empruntent la structure narrative de la comptine pour construire le scénario et la manière dont ils recourent aux procédés propres à la versification des nursery rhymes pour renforcer l’effet de l’écho.

25 Un autre exemple de scénario repose sur une comptine : c’est l’épisode de la série Chapeau melon « The House that Jack Built » (4.23). Emma Peel hérite d’une maison, qui se révèle un piège tendu par le professeur Keller, un ingénieur en automatisation qui travaillait dans l’entreprise du père d’Emma et qu’elle a renvoyé parce qu’il voulait remplacer l’homme par la machine. La maison diabolique est gérée par un ordinateur et constitue un immense labyrinthe en trompe-l’œil, dans lequel chaque porte ouvre sur une pièce identique. Le but est de rendre Emma Peel folle puis de la pousser au suicide. La nursery rhyme « This Is the House that Jack Built » correspond au genre de la

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chanson cumulative35. L’effet cumulatif est multiplié ici par la répétition des pièces à l’infini. La tension particulière qui se dégage de cet épisode vient aussi de la dimension inexorable des événements, de la fatalité contenue dans ce type de comptine.

26 Enfin Emma, errant dans la maison, rencontre un homme hagard et inquiétant. On l’a vu au début de l’épisode se réfugier dans la maison pour échapper à des poursuivants. Piégé, devenu fou, il chantonne de manière itérative l’air lancinant de la nursery rhyme « The House that Jack Built » : « This is the dog that tossed the horse, that killed the cat that closed the cow, that bit the rat, that lived in the house that Jack built »… En reprenant ainsi dans un ordre aléatoire les vers de la comptine, il accentue brutalement le jeu sur le non-sens propre aux nursery rhymes – et souligne qu’il a basculé irrémédiablement dans la folie. À l’instar de la comptine, l’épisode s’achève brutalement. Les producteurs de la série utiliseront une trame narrative similaire, variation de la maison diabolique, au cours la seconde saison de The New Avengers (ITV, 1976-77) dans l’épisode intitulé « Complex » (2.10) (voir figure 9).

Fig. 9 : L’effet cumulatif : de la nursery rhyme à l’espace (The New Avengers, 2.10)

L’écho cinématographique

27 Du fait de la proximité de la télévision et du cinéma, sur laquelle nous revenons ci- dessous, l’écho cinématographique joue un rôle important dans les scénarii des séries télévisées et constitue parfois l’un des principaux ressorts narratifs. C’est le cas par exemple de la série N.C.I.S. : Enquêtes spéciales (CBS, 2003-), où le personnage de Tony DiNozzo, fort d’une vaste culture cinématographique et télévisuelle, commente les situations auxquelles l’équipe se trouve confrontée en faisant des parallèles avec des scènes ou circonstances similaires tirées de divers films ou d’autres séries télévisées. Dans d’autres cas, l’hommage au cinéma est plus flamboyant, comme dans ces trois

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exemples, qui permettent d’étudier le rôle de ce type d’écho dans l’élaboration du scénario36.

28 Dans l’un des meilleurs épisodes de la première saison des Mystères de l’Ouest, « The Night of the Puppeteer » (1.21), un marionnettiste fou, Zachariah Skull, a décidé de se venger de ceux qui l’ont jugé et condamné à tort. Il utilise des marionnettes afin d’accomplir sa vengeance. Si l’histoire peut nous rappeler le film de Tod Browning The Devil-Doll (1936), c’est avant tout aux maîtres du cinéma expressionniste allemand des années 1920 que le réalisateur Irving J. Moore entend rendre hommage37. Le rapport entre ombre et lumière et l’importance du clair-obscur contribuent à rendre l’atmosphère de l’épisode oppressante, parfois cauchemardesque. Le repaire dans lequel se terre Skull, au fond d’un souterrain profond et obscur, symbolise à la fois l’hostilité du monde38 à son égard et son refus du monde réel. À la fin de l’épisode on découvre Skull tapi dans l’ombre, tel une araignée au milieu de sa toile d’où il contrôle ses marionnettes, toile dont il est lui-même prisonnier comme il l’est de sa propre folie. La manière dont Irving filme l’espace fait écho à la vision expressionniste de l’espace monstrueux qui finit par engloutir le personnage du marionnettiste dans les ténèbres et le chaos (voir figure 10).

Fig. 10 : De « The Night of the pupeteer » à The Devil-Doll

29 L’épisode de la série Columbo intitulé « How to Dial a Murder ? » (7.4) et réalisé en 1978 constitue, lui aussi, un très bel exemple d’écho cinématographique. La question purement rhétorique contenue dans le titre fait écho à celui du célèbre film d’Alfred Hitchcock Dial “M” for Murder (1954). Elle n’appelle qu’une seule réponse : en composant le M de Dial “M” for Murder... Mais cet épisode rend avant tout hommage au film d’Orson Welles, Citizen Kane (1941). En effet, le plan d’ouverture s’ouvre sur une vue en plongée qui nous fait passer par-dessus les grilles d’une demeure ; après quoi, la caméra

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s’attarde brièvement sur la lettre K surplombant la grille. Un fondu enchaîné nous fait ensuite pénétrer à l’intérieur d’une demeure qui contient une collection importante des objets mythiques du film, telle la célèbre luge sur laquelle est gravé le mot « Rosebud ». Dans cet épisode l’assassin, le docteur Eric Mason (Nicol Williamson), a mis au point un moyen fort astucieux pour tuer sa victime. Il a dressé ses deux dobermans à attaquer au son du mot « Rosebud ». Sa victime, le docteur Garrison, qui est aussi son meilleur ami, s’occupe de ses chiens en son absence. Mason l’appelle et, au cours de la conversation, lui demande quelle était la dernière parole prononcée par Charles Foster Kane dans le film Citizen Kane. Garrison lui répond « Rosebud » – ce qui a pour effet de déclencher l’attaque fatale des deux dobermans. Ainsi « Rosebud » était-il le dernier mot prononcé par Kane : il en va de même pour la victime du docteur Mason. Toutefois, si dans le film de Welles, Jedemiah Leland, le journaliste de The Inquirer, doit découvrir la mystérieuse signification du mot « Rosebud », l’inspecteur Columbo devra lui, inversement, découvrir l’arme, ou plutôt le mot du crime, pour résoudre l’enquête. On voit ici comment les scénaristes jouent sur l’ironie, l’inversion et la variation thématique pour élaborer, à partir du film de Welles, un scénario fondé sur l’écho cinématographique.

30 Terminons notre analyse de l’écho cinématographique par une rapide étude de l’épisode « Rencontre sportive » (« Sports Medicine », 1.12) de Dr House (FOX, 2004-2012). Dans cette série, chaque épisode peut se voir comme un tout autonome grâce au formatage des histoires médicales résolues par le docteur House. L’épisode s’ouvre sur le réalisateur Bryan Singer, dans son propre rôle, en train de tourner une publicité avec un joueur de baseball sur le retour. Au cours du tournage ce dernier se fracture le bras. À l’hôpital de Princeton Plainsboro, les examens révèlent un problème osseux. House soupçonne le sportif de se doper. Lorsque Chase communique à House les premiers résultats des examens il lui annonce : « None of the usual suspects », à savoir lupus, sarcoïdose, etc. Il semble bien que cela soit la première occurrence de cette expression dans la série. Elle fait inévitablement référence au film de Bryan Singer, The Usual Suspects (1995) 39. Le film trouvera un autre écho dans la deuxième saison de la série danoise The Killing (Forbrydelsen II) diffusée en 2009 sur la chaîne danoise DR1. L’enquête de Sarah Lund se déroule cette fois-ci sur fond de politiques. Dans cet univers sombre et labyrinthique, les personnages se télescopent et les indices sont insérés de manière fragmentaire au cours des différents épisodes de la saison. Ces images s’imprègnent dans la mémoire du lecteur-spectateur et prennent progressivement forme, à la manière d’un puzzle offrant ainsi l’opportunité au spectateur et à Sarah Lund de découvrir le criminel. Dans le film de Singer, l’agent fédéral Kujan s’aperçoit que les noms et les détails de l’histoire que lui a racontée Roger « Verbal » Kint proviennent des photos et coupures de presse épinglées sur le tableau, dans le bureau où il l’interrogeait. La combinaison de photos et de coupures de presse collées sur les murs du local loué par le présumé coupable ainsi qu’une affiche sur le mur qui fait face à l’entrée du local et un livre exposé dans la vitrine d’un libraire vont donner la solution de l’énigme à Lund. Mais là, le coupable ne s’échappe pas comme dans Usual Suspects (voir figure 11).

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Fig. 11 : Forbrydelsen II (2009) empruntant à The Usual Suspects (1995)

L’écho métafictionnel

31 Bon nombre de séries télévisées se font écho entre elles, que ce soit par l’intermédiaire des spin-offs ou autres cross-overs. En se référant ainsi les unes aux autres, elles produisent une série de réverbérations verbales, musicales ou visuelles qui contribuent à la construction d’un véritable palais des glaces dans l’imaginaire et la mémoire des lecteurs-spectateurs. D’une certaine manière, ces échos constituent des auto-citations, des renvois obliques et des citations qui convoquent un fragment de la vaste toile culturelle dont se nourrissent les scénaristes et qu’il appartient aux spectateurs de déceler et d’interpréter. Récemment, un certain nombre de séries américaines se sont ingéniées à jouer de manière allusive ou explicite avec les références cinématographiques et télévisuelles. Nous pensons tout particulièrement au héros de la sitcom Community (NBC, 2009-2014), Abed, jeune étudiant en cinéma, porteur d’un syndrome d’Asperger, qui structure sa vie en établissant une analogie permanente entre son quotidien et la culture populaire, en empruntant tout particulièrement à la télévision et au cinéma40. Nous ne prendrons ici que quelques exemples plus anciens pour illustrer notre propos.

32 Dans l’épisode « Identity Crisis » (5.3) de la série Columbo, Patrick McGoohan, qui interprète le rôle de l’agent de la CIA Nelson Brenner, emploie le célèbre salut du Prisonnier : « Be seeing you ». Les échos sont parfois plus explicites, comme dans l’épisode de N.C.I.S. intitulé « The Meat Puzzle » (2.13), à la fin duquel Kate demande à Gibbs à quoi ressemblait Ducky dans sa jeunesse. Gibbs lui répond, impassible : « Illya Kuryakin ». Or, l’interprète de Ducky, David MacCullum, est devenu célèbre pour son interprétation de l’agent russe Illya Kuryakin, aux côtés de Robert Vaughn, qui incarne

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le rôle de Napoléon Solo dans la série Des Agents très spéciaux (The Man from U.N.C.L.E., diffusée sur NBC entre 1964 et 1968).

33 Dans certains épisodes de The Corner (2000, épisode 6, « Everyman’s Blues »), The Wire (3.1) et Treme (1.2), on peut entendre les dealers s’écrier « Five O, Five O!! » à l’approche de la police. Et en effet, l’expression « Five O » désigne désormais en argot les forces de police. Et, pourtant, elle trouve bel et bien son origine dans le titre original de la série Hawaï, police d’État, Hawaï Five-0… L’expression « Five O » a ainsi intégré le langage populaire, avec la symbolique véhiculée par la série et particulièrement son héros, Steve MacGarrett, policier incorruptible et infatigable adversaire du crime. On a donc ici un phénomène très intéressant d’une série télévisée qui s’est profondément ancrée dans la culture populaire, mais aussi dans l’inconscient collectif, au point de donner corps à une expression populaire qui ressurgit dans deux séries fictionnelles fortement inspirées par la réalité du ghetto (The Corner et The Wire).

34 Il arrive parfois que ces échos soient musicaux, comme par exemple dans le premier épisode de la saison 3 de The Wire, « Time After Time ». Lors d’une poursuite entre policiers et dealers, retentit la bande originale de la musique du film Shaft. La musique fait ainsi écho au film de la blaxploitation réalisé en 1971 par Gordon Parks qui raconte les aventures d’un détective afro-américain de Harlem, et les paroles – « Who is the man that would risk his neck/For his brother man?/Shaft! » –soulignent l’amitié forte qui lie l’inspecteur Thomas R. « Herc » Hauk et l’inspecteur Ellis Carver.

35 Très brièvement, un dernier type d’écho métafictionnel est de nature visuelle. Dans le récent remake du Prisonnier (AMC, 2009), un certain nombre d’échos visuels rappellent la filiation dont se réclame la reprise de la série culte des années 1960. Dès l’ouverture du premier épisode, « Arrival », un vieil homme en fuite porte une veste qui rappelle celle que portait Patrick McGoohan dans la série originale et, dans les épisodes 5 et 6, on aperçoit le célèbre grand-bi ou Penny-farthing bicycle41 ainsi que l’effrayant gardien du Village, le « rôdeur ». Mais, peut-on encore parler d’échos dans une série qui se revendique elle-même comme un remake de la série anglaise des années 1960, diffusée sur ITV et qualifiée par Alain Carrazé de « chef-d’œuvre télévisionnaire » ?

36 La question que posent, en creux, les différents échos que nous venons d’examiner brièvement est celle de leur rôle dans l’élaboration des scénarii puisqu’ils sont une constante source d’inspiration pour les scénaristes. Mais ils tissent aussi une trame bien plus importante sur laquelle repose la culture populaire et qui participe à l’homogénéisation de la culture télévisuelle42. La télévision s’érige en une véritable caisse de résonance de cette culture perpétuellement en mouvement. La réverbération et la répétition de ces différents échos, en renforçant la mémoire des lecteurs- spectateurs, participent à l’édification permanente de ce que l’on appelle la culture populaire. Nous allons maintenant aborder une autre facette de cette question : celle du remake et de son rôle dans l’évolution des séries télévisées.

2. et échos : les deux faces de Janus ?

37 Dans son ouvrage Film Remakes (2006), Constantin Verevis définit avec pertinence l’aspect intertextuel de la reprise et de la sérialité. La dimension éminemment intertextuelle du cinéma américain en particulier, est, comme l’explique Verevis, « related to the radical extension of film literacy and the enthusiasm for [American] film history that took hold in the during the 1960s and early 1970s »43.

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Dès les années 1950, les tournages des séries télévisées quittent les studios de la côte Est pour Hollywood, ce qui aura pour conséquence, comme le note Michael Easton, d’accroître « the increasing mutual interdependence of the [two] institutions »44. Nous n’examinerons ici la question de la reprise que dans le cadre de la série télévisée et sous un angle chronologique et nous laisserons de côté le cas des spin-offs qui, de toute évidence, a son importance, depuis L’Homme qui valait trois milliards (ABC, 1974-78) et Super Jaimie (ABC-NBC, 1976-1978) ou Columbo et Madame Columbo (NBC, 1979), pour ne citer que deux exemples. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons caractérisé quatre étapes qui nous semblent clefs dans l’évolution du remake et dans son influence sur les séries télévisées depuis les années 1960.

38 Mais avant cela, il convient de définir ce que nous entendons par le terme remake. Dans son ouvrage, Verevis suit la thèse de Thomas M. Leitch. Selon Leitch, le remake s’articule autour de trois éléments centraux : la réadaptation, la réactualisation et l’hommage. La définition de Leitch se fonde sur une approche textuelle de la question. En effet, à l’image de l’écho, la reprise induit de facto un phénomène de répétition : « repetition of specific shots, sequences and themes »45. Le remake, ou reprise, ne peut donc se concevoir que dans le contexte de l’intertextualité.

39 Au cours des années 1960-1970, un certain nombre de films donnèrent naissance à plusieurs séries télévisées. Le film de science-fiction Le Sous-marin de l’apocalypse (Voyage to the Bottom of the Sea) réalisé par Irwin Allen en 1961 est ainsi repris dans la série éponyme Voyage au fond des mers, produite et réalisée par le même Irwin Allen entre 1964 et 1968 et diffusé sur ABC. Les films policiers se révèlent eux aussi une source d’inspiration majeure pour les réalisateurs de séries télévisées de l’époque. Nous pensons tout particulièrement à Shaft (1971) de Gordon Parks, qui connaît deux suites cinématographiques, Shaft’s Big Score (1972) du même réalisateur et Shaft in Africa en 1973 par John Guillermin, et qui est encore à l’origine d’une série télévisée diffusée au cours de la saison 1973-1974 sur CBS. On peut citer également le film de Sidney Lumet, Serpico (1973), qui raconte l’histoire vraie d’un policier du 22e District de New York qui entreprend de dénoncer la corruption au sein des services de police de la ville. Le film engendre, lui aussi, une série télévisée diffusée sur le réseau NBC entre 1976 et 1977, David Birney reprenant le rôle créé par Al Pacino au cinéma. Le film de de Michael Anderson, Logan’s Run (L’Âge de cristal, 1976), est repris l’année suivante dans une série télévisée du même nom sur CBS (1977-78).

40 Ce ne sont là que quelques exemples parmi d’autres. À notre avis, c’est La Planète des singes, inspiré de l’œuvre de Pierre Boulle, qui constitue le cas le plus emblématique et le plus intéressant de la reprise. Le film originel de 1968, signé Franklin J. Schaffner (The Planet of the Apes), va donner lieu à pas moins de quatre autres films : on peut parler d’une véritable mini-série cinématographique46. Le début du deuxième film, Le Secret de la Planète des singes (Beneath the Planet of the Apes, 1970), fonctionne d’ailleurs comme un véritable recap du film, ou plutôt de « l’épisode » précédent, puisqu’il résume les dernières scènes du premier film. Dans les trois autres films, ce sont les personnages47 qui assurent le lien et font le rappel des événements qui se sont déroulés dans les épisodes/films précédents. Cette série de films va à son tour donner naissance à une série télévisée éponyme, en 1974. Elle peut être vue, d’une certaine manière, comme le développement du dernier volet de la série de films, à savoir La Bataille de la planète des singes (1973). En 1975, cette série télévisée connaît à son tour une suite, sous la forme cette fois-ci d’une série d’animation, intitulée Return to the Planet of the Apes,

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dont la trame narrative s’inspire en revanche du second film de la série, Le Secret de la planète des singes (Beneath the Planet of the Apes, 1970). Au cours du premier épisode de la série animée, les héros se retrouvent, comme Taylor et Nova dans le deuxième volet, en proie aux hallucinations provoquées par les mutants télépathes qui peuplent le sous-sol de la zone interdite48. Il y a maintenant une douzaine d’années, fit un remake de La Planète des singes (2001), Rupert Wyatt réalisera dix ans plus tard La Planète des singes : les origines (Rise of the Planet of the Apes, 2011) et, tout dernièrement, Matt Reeves vient de réaliser la suite, La Planète des singes : l’affrontement (Dawn of the Planet of the Apes, 2014), preuve s’il en est de la vitalité de l’histoire.

41 Au cours de la décennie 1980-1990, on note un phénomène relativement nouveau49 dans le domaine des séries télévisées, connu sous le nom de revival ou updating, qui s’inspire des romans d’aventure populaires du XIXe siècle, et notamment celui d’Alexandre Dumas, Vingt ans après (1845). Le ressort narratif est le suivant : des héros vieillissants se croyant retirés des affaires sont rappelés pour effectuer une nouvelle mission. Sur ce principe, le réseau CBS diffuse, en 1979 et 1980, deux téléfilms tirés des Mystères de l’Ouest : The Wild Wild West Revisited, qui fut un réel succès, et More Wild Wild West, au destin décevant – ce qui, d’une certaine façon, était prévisible. En 1983, Ray Austin reforme le célèbre duo Napoléon Solo-Illya Kuryakin (Robert Vaughn et David McCallum) le temps d’un téléfilm, Le Retour des agents très spéciaux (The Return of the Man from U.N.C.L.E. – The Fifteen Years Later Affair). Cette production nous intéresse tout particulièrement dans la mesure où le film résonne véritablement d’échos : George Lazenby (James Bond) fait une apparition au volant d’une Aston Martin DB5 ; le rôle du superviseur de Solo et Kuryakin est incarné par Patrick MacNee, célèbre pour avoir interprété le rôle John Steed ; enfin, le rôle du méchant, Justin Sepheran, est tenu comme il se doit par Anthony Zerbe50, personnage écho du méchant par excellence. Lors de la scène d’ouverture, la musique est un habile mélange de la musique originale de la série et de celle de… Mission impossible.

42 À propos de cette dernière série, un revival réapparaît sur nos écrans vers la fin de la décennie, qui dans la version américaine conserve le même titre mais, et ce n’est certainement pas un hasard, est diffusé en France sous le titre Mission impossible : 20 ans après (CBS, 1988-90). La présence de Peter Graves dans le rôle de Jim Phelps, un peu à l’image de John Steed dans The New Avengers, permet d’assurer le lien avec la série originelle. Par ailleurs, le fils de Greg Morris (qui joue Barney Collier dans la première série), Phil Morris, incarne le rôle du fils de Barney, Grant51. Les séries télévisées semblent ainsi se calquer sur la réalité ou, en tout cas, une certaine réalité dans laquelle les séries pourraient se poursuivre éternellement, chaque héros ou héroïne étant remplacé par son fils ou sa fille. Ainsi de la suite, dans les années 1990, de la série Kung Fu (ABC, 1972-1975), intitulée Kung Fu, la légende continue (Kung Fu: The Continues, Syndication, 1993-97), qui raconte les aventures du petit-fils de Kwai Chang Caine (toujours incarné par ), lequel porte opportunément le nom de son grand-père52. Véritable transposition des aventures de Caine à notre époque, la série contribue à ce phénomène qui tend à conférer aux héros de séries télévisées une sorte d’immortalité. Ce phénomène peut s’expliquer par les effets de la crise économique qui affecta la production des séries télévisées à partir du milieu des années 1970, ainsi que par un esprit créatif en berne. Mais ces reprises reposent également sur la fibre nostalgique des téléspectateurs et sont intéressantes à cet égard. En effet, elles sont l’illustration de la manière dont les Américains perçoivent leur passé. Un passé qui se conçoit, comme l’a fort bien remarqué Umberto Eco, comme une véritable

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réincarnation : « il existe une constante de l’imagination et du goût [des] Américains moyens pour qui le passé doit être conservé et célébré sous forme de copie absolue […] une philosophie de l’immortalité avec duplicata53. »

43 Pendant la période des années 1990-2000, on assiste à un véritable retour en force des séries télévisées au cinéma sous forme de reprises. Le remake obéit inévitablement aux lois du marché dans la mesure où il permet aux réalisateurs et producteurs de proposer un produit déjà connu et de limiter, par conséquent, les risques financiers sur des productions aux budgets parfois pharaoniques. On voit donc apparaître un nouveau type de film dont le scénario repose sur la notoriété d’une série dite culte. Quelques productions sortent un peu du lot, tels les films d’Andrew Davis Le Fugitif (1993)54 et de Brian De Palma, Mission : Impossible (1996). Mais, dans l’ensemble, ces films sont de bien piètre qualité. Citons pour exemple : Le Saint (1997) de Philip Noyce, Chapeau melon et bottes de cuir (1998) de Jeremiah S. Chechnik, Wild Wild West (1999) de Barry Sonnenfeld ainsi que Charlie’s Angels (2000) et Charlie’s Angels: Full Throttle (2003) de McG. Le phénomène s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui puisque l'adaptation de la série Miami Vice a été réalisée en 2005 par Michael Mann, Sex and the City (HBO, 1998-2004) a donné lieu à deux adaptations cinématographiques (Sex and the City : le film en 2008 et Sex and the City 2 en 2010) et, dernièrement, la série 21 Jump Street (FOX, 1987-1991) a été portée sur les écrans à deux reprises par Phil Lord et Chris Miller (21 Jump Street en 2012 et 22 Jump Street en 2014).

44 Les années 2000-2010 sont marquées, sur les chaînes de télévision, par une série de remake de séries cultes telles que Battlestar Galactica (Sky One-SciFi Channel, 2004-2009), V (ABC, 2009-2011), Le Prisonnier (AMC, 2009) et, plus récemment, Hawai 5-O (CBS, 2010-) et Drôles de Dames (ABC, 2011). La récente reprise de Drôles de Dames, qui n’aura duré qu’une seule saison, ressemble d’ailleurs plus aux adaptations cinématographiques qu’à la série originale. Les scènes d’actions se succèdent, et le rythme endiablé du scénario n’est pas sans rappeler celui du remake d’Hawaï, police d’État. La reprise du Prisonnier se présente quant à elle comme une sorte de méta-commentaire de la série originale, son scénario reposant sur un réagencement des épisodes de la série des années 196055. Au cours de l’ultime épisode, peu avant les funérailles de son fils 1112, le n°2, interprété par Ian McKellen, s’adresse ainsi aux habitants du Village :

You like Six, don’t you? Trust him? Is he someone who can give us better Village, Village? Freedom within the prison? And when the moment comes, you will stand beside Six and you will call out, « Six… is the One »56.

45 Le discours du numéro 2 se présente donc comme une interprétation de l’épisode « Fall Out » (épisode 17) de la série originale. Au cours de cet épisode, le n°1 porte un masque de singe que le prisonnier lui arrache, révélant le visage du… numéro 6. Par conséquent, la phrase du n°2 dans le remake pourrait s’interpréter de la manière suivante : « Six… is [Number] One ». Outre ces commentaires et références parfois simplistes, l’utilisation répétée du flashback qui est censé nous permettre de reconstituer, à la manière d’un puzzle, les raisons pour lesquelles le n°6 est prisonnier du Village n’apporte pas grand-chose à une structure narrative qui manque cruellement de fond. Comme l’a fort bien écrit Tim Goodman, « Any time you change a classic you lose. The original “Prisoner” opened the door to decades of innovative television. Remaking it now seems pointless57. » Toutefois, nous nous garderons d’ériger cette remarque en vérité absolue : la reprise de Battlestar Galactica est, par

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exemple, bien supérieure à l’original. En effet, la qualité du scénario et le jeu des acteurs en font une œuvre bien plus riche et complexe que la version originale.

46 En proposant une typologie de l’écho, mode allusif par excellence, nous avons voulu montrer à la fois l’importance et la richesse du procédé dans l’élaboration des scenarii de différentes séries télévisées. D’une part, le personnage écho du méchant permet d’établir un lien narratif entre des épisodes qui se caractérisent à l’époque par leur autonomie narrative ; d’autre part, les échos diégétiques ou cinématographiques illustrent comment les scénaristes pouvaient à la fois utiliser et détourner les structures narratives traditionnelles. Par ailleurs, on a relevé des échos parodiques ou métafictionnels qui reposent sur l’ironie, la distanciation et la culture du spectateur- lecteur. Dans tous les cas, l’écho permet aux scénaristes de se réapproprier et de réactualiser le texte original, qu’il soit écrit ou filmique. On voit donc bien ici comment l’on est passé imperceptiblement de l’écho à la reprise. En effet, le remake peut se définir comme une réactualisation et une réappropriation de l’œuvre originelle. L’écho et la reprise reposent tous deux sur une certaine forme de nostalgie qui permet de réverbérer la voix du texte original à travers le temps et l’espace culturel.

47 Échos et remake ne sont, au fond, que les reflets d’un même processus culturel qui repose sur la nature éminemment intertextuelle et fragmentée de la culture populaire postmoderne. La nature répétitive de l’écho et de la reprise vient à la fois réveiller et consolider en permanence la mémoire du téléspectateur. Comme l’écrit Mikhail Iampolski, « repetition thus simultaneously asserts and denies that meaning is univocal »58. Par conséquent, grâce à la nature foncièrement créatrice de l’écho, le texte télévisé reste ouvert à de multiples interprétations, qui reposent sur ces subjectivités nomadiques que nous avons mentionnées au début de cet article. Comme un Tirésias postmoderne, le lecteur-spectateur puise dans sa mémoire, véritable bibliothèque, les fragments et échos à travers lesquels il déambule, afin d’y consulter les multiples allusions qui se réverbèrent dans le vaste texte télévisé. Mais, laissons plutôt au comte Manzeppi le soin de conclure : « Hi, Ho! Another chapter closed, another horizon to turn one’s eyes to. My friends, farewell […]. Later, gentlemen, later. At my choice of time, and place. I assure you. We shall meet again.59 »

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1. Dominic Strinati, An Introduction to Studying Popular Culture, London and New York, Routledge, 2000, p. 236. Ce point de vue est partagé par M. Keith Booker. Ce dernier part en effet du postulat selon lequel « by virtue of the social, historical, and technological positioning of the medium

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itself, all television is postmodern », in M. Keith Booker, Strange TV: Innovative Television Series from the Twilight Zone to the X-Files, Westport, CT, Greenwood Press, 2002, p. 2. Jean-François Lyotard situe le début de « l’âge dit postmoderne […] depuis au moins la fin des années 50 », in Jean- François Lyotard, La Condition postmoderne, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 11. Voir aussi Ihab Hassan sur la difficulté qu’il y a à donner une définition claire et précise du postmodernisme : « no clear consensus about its meaning exists upon scholars », in The Dismemberment of Orpheus. Toward a Postmodern Literature (1971), Madison, University of Wisconsin Press, 1982, p. 263. 2. Strinati, op. cit., p. 240. 3. John Fiske, Understanding Popular Culture (1989), London and New York, Routledge, 2009, p. 24. 4. J’emprunte cette expression à John Fiske qui parle de « television text », op. cit., p. 61. 5. Fiske, op. cit., p. 122. 6. John Hollander remarque en effet : « as in the realm of echo, the prior voice produces new copia or verbal substance », in John Hollander, The Figure of Echo. A Mode of Allusion in Milton and After, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, Quantum Books, 1981, p. 34. On consultera avec profit le très intéressant article de Max Nänny, « Textual Echoes of Echoes », jn Swiss Papers in English Language and Literature 7, Tübingen, Gunter Narr, 1994, p. 115-143. 7. Fiske, op. cit., « popular culture is built on repetition », p. 126. 8. Thomas Elsaesser, « Fantasy Island: Dream Logic as Production Logic », in Cinema Futures: Cain, Abel or Cable? The Screen Arts in the Digital Age, éd. Thomas Elsaesser et Kay Hofmann, Amterdam, Amsterdam University Press, 1998, p. 143-158, p. 143. 9. Martin Esslin, The Age of Television, W.H. Freeman and Company, San Francisco, 1982, p. 41-42. 10. Dans le premier téléfilm de la série, qui fut diffusé en 1979 sur CBS, The Wild Wild West Revisited, les producteurs ne pouvant plus compter sur Michael Dunn qui était décédé, firent appel à Paul Williams pour interpréter le fils du docteur, Miguelito Jr.. En 1999, dans le film de Barry Sonnenfeld, Wild Wild West, le rôle du docteur Loveless fut confié à Kenneth Branagh, preuve s’il en est de la dimension incontournable du personnage. Pour en savoir plus sur cette série, on peut consulter le livre de Didier Liardet, Les Mystères de l’Ouest. Les reflets de l’étrange, Marseille, YRIS, 1999. 11. Il incarnera à nouveau au cinéma le personnage d’un boucher psychopathe dans le film d’un certain Guido Zurli, The Mad Butcher (Lo strangolatore di Vienna, 1971) ainsi que celui du diable dans The Evil (1978) de Roger Corman. 12. On ne peut pas ne pas voir ici un clin d’œil des réalisateurs à l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger. 13. Dans l’épisode intitulé « The Dark Beyond the Door » (2.4). Cette série fut diffusée de 1965 à 1968. Il n’y a que dans l’épisode « It’s a Small World » (11.14) de la série Bonanza qu’il incarne le rôle d’un personnage attachant mais rejeté par la société du fait de sa différence. 14. Knigh Alx Dheigh était, comme Buono et Dunn, abonné aux rôles de méchants. Dans Les Mystères de l’Ouest, il incarne tour à tour le Baron Saigo dans « The Night of the Samurai » (3.6) et Din Chang dans « The Night of the Pelican » (4.13). 15. Greg Braxton, « Another day in Paradise for Ed Asner », The Los Angeles Times, March 19th, 2012. Ed Asner est célèbre pour son rôle de Lou Grant dans la sitcom The Mary Tyler Moore Show (CBS, 1970-77) et dans son spin-off, la série dramatique Lou Grant (CBS, 1977-82). 16. Le phénomène atteindra son acmé au début des années 1980 dans la série Dallas avec le personnage de J.R., incarné par l’acteur récemment disparu Larry Hagman. 17. Hawaï, police d’État, « Woe to Wo Fat » (12.9). Victor Buono aura, d’une certaine manière, un rôle similaire puisqu’il incarne le personnage du méchant dans le pilote des Mystères de l’Ouest et il sera présent, aux côtés de l’adversaire de West et Gordon, dans l’ultime téléfilm de la série. 18. Dans Les Nuits attiques, Aulu-Gelle traite Hérodote d’« homo fabulator », in Nuits attiques, Livre III, chapitre X. On pourrait donc envisager ces multiples références à l’historien grec à la fois

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comme une sorte de mise en abyme culturelle qui tendrait à tourner en dérision la culture « élitiste » et de présenter le personnage de Manzeppi comme bonimenteur et fat. 19. William Shakespeare, The Taming of the Shrew, 1.2, ll. 269-277. Margaret Rose Jaster note à ce propos : « for the majority of modern Americans, the Shakespeare remains high culture », in « The Earnest Equivocator: Columbo Undoes Macbeth », Journal of American Culture, Vol. 22, No. 4, 1999, p. 51-55, p. 51. Je remercie Nathalie Vienne-Guerrin de m’avoir communiqué cette référence. 20. Batman, « King Tut’s Coup », 2.53, diffusé en 1967. On peut voir l'épisode complet sur YouTube à l'adresse suivante : http://youtu.be/Bvkyt2r87Ak, consulté le 8 septembre 2014. Il s'agit ici de l'acte III, scène 2, ll. 65-69, de Julius Cæsar. King Tut est, en réalité, un professeur d'égyptologie de l'université de Yale. Ce dernier souffre d’« amnesia [and] identity transferrence » et, lorsqu’il reçoit un choc à la tête, il se transforme en une créature maléfique, réincarnation de King Tut. 21. Dans « La Nuit de la mort du docteur Loveless » (« The Night Dr Loveless Died », 3.4), il apparaît déguisé sous les traits d’un neurologue suisse, le docteur Werther Otto Liebknichtet, en allemand, « Lieb[k]nicht » signifie également « sans amour ». 22. On peut ainsi entendre Loveless s’exprimer en ces termes : « At last. A small light begins to glow in the dark corners of my benighted mind » dans « The Night the Wizzard Shook the Earth » (1.3). 23. Umberto Eco, « Culture comme spectacle », in La Guerre du faux, Paris, Le Livre de Poche, collection Biblio essais, 1985, p. 236. 24. Dans l’épisode intitulé « The Night the Wizard Shook the Earth » (1.3), le docteur Loveless revendique une partie du territoire de la Californie qui aurait appartenu à ses ancêtres. Cette revendication peut être perçue comme un désir de fragmenter l’unité territoriale et nationale. L’étranger est donc vu comme un élément de déstabilisation et, par conséquent, dangereux. 25. Nous pensons notamment à Gene Barry, pour le pilote de la série « Prescription: Murder ». Mais aussi à Ross Martin dans « Suitable for Framing » (1.4), Richard Baseheart dans « Dagger of the Mind » (2.4), Robert Kulp dans « Double Exposure » (3.4), Robert Conrad dans « An Exercise in Fatality » (4.1), Patrick McGoohan dans « By Dawn’s Early Light » (4.3), Robert Vaughn dans « Troubled Water »(4.4), Ricardo Montalban dans « A Matter of Honor » (5.4) et William Shatner dans « Fade in to Murder » (6.1). 26. Bien évidemment, les faits ne sont pas aussi simples que cela et l’acteur Jack Lord, archétype s’il en est du héros, incarna dans le d’Anthony Mann, Man of the West (1958) et, dans les séries télévisées The Man From U.N.C.L.E (Pharos Mondor) et The Invaders (ABC, 1967-68, George Vikor), des personnages de méchants. Mais, si l’on étudie la question de manière plus générale, il paraît indéniable que les rôles tenus par des acteurs comme Anthony Zerbe ou Theodore Marcuse sont, en majeure partie, ceux de méchants – si on les compare notamment avec les rôles de héros tenus par un acteur comme Robert Conrad par exemple : Assignment Vienna (ABC, 1972-1973) ; Baa Baa Black Sheep (NBC, 1976-1978) et A Man Called Sloane (NBC, 1979-1980). 27. Linda Hutcheon, A Theory of Parody. The Teachings of Twentieth-Century Art Forms (1985), Urbana, Chicago, University of Illinois Press, 2000, p. 37. 28. Dans l’épisode intitulé « The Problem » (12.8), Stan fait un rêve dans lequel il voit le personnage d’Indiana Jones se faire violer par Steven Spielberg et George Lucas, parodiant ainsi la terrible scène du viol du film de John Boorman, Delivrance (1970) – un exemple parmi d’autres des parodies acides de South Park... 29. Patrick MacNee cité dans l’ouvrage de Toby Miller, The Avengers (1997), BFI Publishing, London, 1998, p. 20. 30. Le livre de Wells connut de nombreuses adaptations télévisées. Dès 1959, la télévision britannique produit une série éponyme de 26 épisodes. Edgar G. Ulmer en tire un film en 1960 et la télévision américaine diffuse la série L’Homme invisible (NBC, 1975-1976) en 1975, avec David MacCullum dans le rôle du docteur Daniel Westin. On note que le pilote de la série réunit à

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nouveau le duo MacCullum-Robert Vaughn, ce dernier interprétant le rôle du docteur Maggio, clin d’œil aux Agents très spéciaux. Cette série sera suivie l’année suivante par Le Nouvel homme invisible (NBC, 1976) et, plus récemment, par Invisible Man (SciFi Channel, 2000-2002). 31. Iona et Peter Opie remarquent : « By its nature a nursery rhyme is a jingle preserved and propagated not by children but by adults, and in this sense it is an “adult” rhyme », in The Lore and Language of Schoolchildren (1959), New York, The New York Review of Books, 2001, p. 1. 32. Le scénario de cet épisode rappelle celui de « The Night of the Puppeteer » (1.21). Dans les deux cas, les victimes sont considérées comme responsables de la situation de leur bourreau et James West est jugé par un tribunal composé de marionnettes. En outre, les criminels laissent derrière eux suffisamment d’indices pour que l’on remonte rapidement jusqu’à eux. Par ailleurs, les marionnettes de Skull portent toutes un stigmate qui symbolise les meurtrissures qui parsèment le corps du marionnettiste. L’épisode constitue, par conséquent, un véritable écho diégétique à l’intérieur même de la série. 33. La correspondance entre trait de caractère et meurtre rappelle immanquablement Seven de David Fincher (1995). 34. Comme le note Max Nänny, « echoes of speech return as truncated fragments of the last part of a verbal utterance », op. cit., p. 117. 35. Voir l’ouvrage de Lina Eckenstein, Comparative Studies in Nursery Rhymes, Duckworth & Co., Londres, 1906. Selon Eckenstein, la forme cumulative se définit par « a form of verse that depends for its consistency on repetition », p. 115. 36. On notera par ailleurs que l’épisode « The Night of the Raven » (2.3) des Mystères de l’Ouest et l’épisode intitulé « Mission… Highly Improbable » (6.8) de Chapeau melon et bottes de cuir font explicitement référence au film de Jack Arnold, L’Homme qui rétrécit (1957). Par ailleurs, le titre de l’épisode de Chapeau melon se réfère à la série américaine Mission impossible. Comme le souligne Toby Miller, « Mission: Impossible is called up by “Mission… Highly Improbable” », op. cit., p. 139. 37. Nous devons l’essentiel de notre analyse à l’ouvrage fondamental de Lotte H. Eisner sur le cinéma expressionniste allemand, L’Écran démoniaque, Eric Losfeld, Paris, Le Terrain Vague, 1965. On consultera tout particulièrement les chapitres II, III, VI, VIII et IX. 38. James West lui dit d’ailleurs : « The world of people offends you, so you create your own world… of puppets. » 39. On note également que l’un des épisodes de la série X-Files (FOX, 1993-2002) est intitulé « The Unusual Suspects » (5.2). 40. Voir l’article de Shannon Wells-Lassagne, « Transforming the Traditional Sitcom: the Postmodern Reflexivity of Abed in Community », in TV/Series, No. 1, juin 2012, p. 453-464, http:// revuetvseries.wix.com/tvseries#!numero1/c26q. Nous pensons, entre autre, à l’épisode 20 de la première saison (« The Science of Illusion ») qui fait référence à différentes séries policières, de manière explicite (Cagney et Lacey) et implicite (Starsky et Hutch). 41. Cette bicyclette est apparue au début des années 1870. Elle possède une roue avant d’un très grand diamètre et une roue arrière plus petite. Patrick McGoohan avait choisi ce type de bicyclette parce que, selon lui, elle constitue « an ironic symbol of progress. The feeling is that we are going too fast… I wish we could go a bit slower, but we can’t », in Matthew White & Jaffer Ali, The Official Prisoner Companion, New York, Warner Books, 1988, p. 122. 42. Martin Esslin note : « television thus has what might be called a homogenizing effect on world culture », op. cit., p. 89. 43. Constantin Verevis, Film Remakes, Edinburgh, Edinburgh University Press Ltd, 2006, p. 25. 44. Michael Easton, « Cinema and Television: From Eden to the Land of Nod », in Cinema Futures: Cain, Abel or Cable? The Screen Arts in the Digital Age, Thomas Elsaesser et Kay Hoffmann (dir.), Amsterdam, Amsterdam University Press, 1998, p. 137-142, p. 137. 45. Constantin Verevis, op. cit., p. 8.

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46. Il convient de rappeler ici que la notion de sérialité au cinéma n’est pas un phénomène nouveau ; il suffit de se référer à la série comique des Kri Kri produite en Italie en 1913, ou aux films de Louis Feuillade en France, la série des 5 Fantômas (1913-1914), Les Vampires, film en 10 épisodes réalisé en 1915 ainsi que le ciné-roman Judex produit en 1916. Sans parler de séries plus récentes comme La Guerre des étoiles (Star Wars, de 1977 à 1983 pour la trilogie originelle et de 1999 à 2005 pour la « prélogie ») ou la Jason Bourne (quatre films entre 2002 et 2012), etc. 47. Le lien entre le second et le troisième film de la série est incarné par le couple Cornelius-Zira et le professeur Milo. Le personnage du Señor Armando incarné par Ricardo Montalban sert, lui, de lien entre Les Évadés de la planète des singes (Escape from the Planet of the Apes, 1971) et le film suivant intitulé La Conquête de la planète des singes (Conquest of the Planet of the Apes, 1972), le lien entre cet épisode et le dernier film de la série, La Bataille de la planète des singes (Battle for the Planet of the Apes, 1973), est assuré par le personnage central César et celui de MacDonald, qui joue un rôle clef dans le destin du héros. 48. Cet épisode, intitulé « Flames of Doom », est disponible sur YouTube à l’adresse suivante : http://youtu.be/-2KZh-kbkQw. Consulté le 12 décembre 2014. 49. En réalité, ce phénomène a commencé au cours des dernières années de la décennie précédente et s’expliquait par le désir des producteurs de relancer un certain nombre de séries célèbres. 50. Anthony Zerbe a incarné à de nombreuses reprises des rôles de méchants dans les séries télévisées des années 1960 et 1970. Les Mystères de l’Ouest « The Night of the Legion of Death » (1967) et Hawaï, police d’État « Mother’s Deadly Helper » (1974), etc. 51. On note aussi le cas dans le récent remake de Dallas (2012) diffusé sur TNT : on retrouve les acteurs de la série originelle, à savoir Larry Hagman (J.R.), Patrick Duffy (Bobby Ewing), Linda Gray (Sue Ellen), Ken Kercheval (Cliff Barnes) et Charlene Tilton (Lucy). La série a par ailleurs réalisé les meilleures TNT de la saison. 52. La série se présente donc comme « a to the 1972-1975 offbeat ABC western series ». Voir Susan King, « Retro: Kung Fu: Alive and Kicking », The Los Angeles Times, January 24th, 1993. 53. Umberto Eco, « Les forteresses de la solitude », in La Guerre du faux, op. cit., p. 21. 54. Le film d’Andrew Davies est adapté de la série éponyme qui fut diffusée entre 1963 et 1967. Cette série donna lieu, quelques années plus tard, à un curieux spin-off, Joe le fugitif (Joe, Run, Joe, NBC, 1974-1976), dont le héros est un berger allemand recherché pour avoir attaqué son maître, crime qu’il n’a bien évidemment pas commis. 55. L’ordre des épisodes fait l’objet d’un grand débat entre les fans de la série. Voir à ce sujet Matthew White & Jaffer Ali, The Official Prisoner Companion, New York, Warner Books, 1988, p. 160-162. 56. « Fall Out », épisode 6. 57. Tim Goodman, « “Prisoner” Remake Captive of the Past », San Francisco Gate, Friday, November 13th, 2009. 58. Mikhail Iampolski, The Memory Of Tiresias. Intertextuality and Film, Berkeley-Los Angeles- London, University of California Press, 1998, p. 38. 59. Les Mystères de l’Ouest, « The Night of the Feathered Fury » (2.17).

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RÉSUMÉS

Depuis les années 1960, les séries télévisées britanniques et américaines proposent aux lecteurs- spectateurs des scenarii reposant souvent sur un jeu d’échos et de références intertextuelles voire intra-textuelles, jeu fondé notamment sur l’interpicturalité, la citation verbale ou visuelle ou le ré-emploi d’un acteur/actrice – nous pensons ici tout particulièrement au personnage récurrent du « méchant ». Pour séduire les téléspectateurs en jouant sur leur mémoire, les scénaristes tissent une toile de références implicites ou explicites qui contribuent à l’élaboration d’un monde fictionnel, fonds culturel commun dans lequel chacun peut puiser. Notre étude se propose de donner une définition de l’écho dans le cadre de la série télévisée afin d’en mieux appréhender le sens, avant d’ébaucher une taxinomie de l’écho à partir d’exemples tirés d’un certain nombre de séries : Batman, Chapeau melon et bottes de cuir, Les Mystères de l’Ouest, Hawaï, police d’État, Le Prisonnier, Columbo, South Park, Dr House, N.C.I.S. : Enquêtes spéciales, Breaking Bad et The Middle. Cette classification devrait nous permettre de mieux comprendre le rôle de l’écho dans l’élaboration du scénario d’une série télévisée. Nous examinerons ensuite la question du remake (pour les films et séries Voyages au fond des mers, Le Prisonnier, Les Mystères de l’Ouest, Hawaï, police d’État, L’Âge de cristal, La Planète des singes, Mission impossible, Kung Fu) afin de savoir si l’écho et la reprise sont, d’une certaine manière, le reflet d’un même processus narratif et culturel.

Since the 1960s, British and American TV series offer their reader-spectators scenarios that rely upon the play of echoes and intertextual or intratextual references. This play is founded upon interpicturality, verbal or visual citation or the re-usage of an actor or actress — particularly the recurring figure of the “bad guy”. To captivate spectators by playing on their memory, the screenwriters weave a web of implicit or explicit references that contribute to the elaboration of a fictional world, a common cultural background from which everyone can draw. Our study proposes to provide a definition of the echo in the frame of the TV series in order to better apprehend its sense, before drafting a taxonomy of the echo based on examples from a certain number of shows: Batman, The Avengers, The Wild Wild West, Hawaii Five-O, The Prisoner, Columbo, South Park, House, N.C.I.S., Breaking Bad, The Middle. This classification should permit us to better understand the role of the echo in the development of a TV series. Subsequently, we will examine the question of the remake (for the films and series Voyage to the Bottom of the Sea, The Prisoner, The Wild Wild West, Hawaii Five-O, Logan’s Run, The Planet of the Apes, Mission Impossible, Kung Fu) in order to understand whether echo and repetition are, in a certain sense, the reflection of a single cultural and narrative process.

INDEX

Mots-clés : Batman, Mystères de l'Ouest (Les), Prisonnier (Le), Columbo, citation, référence, réemploi, remake Keywords : Batman, Wild Wild West (The), Prisoner (The), Columbo, , reference, reusing, remake

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AUTEUR

JEAN DU VERGER Jean Du Verger enseigne actuellement l’anglais à l’ENSMM à Besançon après avoir enseigné à Paris V et Paris XI. Il a aussi enseigné à l’université de Paris IV-Sorbonne où il a donné des cours sur le théâtre britannique contemporain. Il est l’auteur de trois articles portant sur l’œuvre de Shakespeare. Il est aussi l’auteur d’un article intitulé « Géographie et cartographie fictionnelles dans l’Utopie de Thomas More » publié dans la revue Moreana (décembre 2010), ainsi que d’un article sur le rôle de la cosmographie dans le Baldus de Teofilo Folengo (à paraître dans la revue Moreana en décembre 2014). Il a par ailleurs écrit deux articles sur les séries télévisées dans les revues GRAAT et TV/Series, ainsi que trois articles sur la contre-culture aux États-Unis des années 1950 à 1970 publiés dans la revue EOLLE. Il prépare actuellement une thèse sur la parodie dans le théâtre de Tom Stoppard sous la direction d’Elisabeth Angel-Perez.

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Relectures, réécritures, réinventions : Charmed ou l’art du recyclage postmoderne

Alexis Pichard

1 Cette formule inaugurale prononcée par Phoebe Halliwell dans le premier épisode de Charmed (The WB, 1998-2006) place la question de la filiation et de l’influence au cœur de la série. La jeune femme invoque, sans le savoir, les pouvoirs ancestraux et, avec eux, tout un héritage intertextuel qui va donner cette saveur particulièrement ludique à Charmed. Le titre de la série lui-même suggère cette influence du passé : Charmed, soit « charmé », « ensorcelé » en français. Un sort a été jeté et l’on peut dès lors se demander qui en est la cible. S’agit-il des sœurs Halliwell que les prophéties nomment les « Charmed Ones », puissantes enchanteresses attendues de tout temps, ou bien des spectateurs que la série va ensorceler ? À moins que l’objet du charme ne soit la série elle-même.

2 La formule magique prononcée par Phoebe prend alors une dimension métafictionnelle car elle peut être entendue comme le manifeste de la série : à peine née, celle-ci affirme son identité. Le vers « in this night and in this hour » semble faire allusion au moment de la diffusion, impression renforcée par la présence de deux pronoms démonstratifs (« this »), qui ancrent la diégèse dans une situation d’énonciation partagée, et par le fait qu’un épisode dure une heure. Cette identité sera façonnée par les dieux et pouvoirs anciens qui sont convoqués. Le couplet final est en cela intéressant puisqu’il démontre l’aspect revendiqué de cette exhortation. Les sœurs seront, en effet, investies de tout un héritage culturel, par un pouvoir intertextuel consenti qui va accompagner leurs aventures. Dès ses premiers instants, Charmed se présente comme la série de la reprise et du recyclage et s’ancre dans la mouvance postmoderne cathodique typique de son époque, aux côtés d’autres séries telles que Buffy the Vampire Slayer (The WB, 1997-2003) ou Xena, Princess (Syndication, 1995-2001). Ces séries datant des années 1990 sont caractérisées par leur usage détourné et amusé de la culture aussi bien populaire qu’élitaire, phénomène qui est constitutif de l’esthétique postmoderne1. Ainsi, pendant huit années, Charmed n’a eu de cesse de réinventer son héritage culturel, lequel lui a

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souvent servi de moteur narratif. L’intertextualité est cependant ici plus complexe et ne se limite pas au simple recyclage. En effet, la série propose une dynamique originale qui vise progressivement à se détacher de l’influence initiale pour façonner son propre héritage. Le recyclage postmoderne servirait alors à poser les fondations d’un nouveau cycle que Charmed tente de transmettre lors de son ultime épisode.

3 C’est précisément cette dynamique que nous nous proposons d’étudier au cours de cet article. Après avoir démontré que Charmed est une œuvre où foisonnent les références intertextuelles qui sont néanmoins recyclées de telle sorte qu’elles participent pleinement de la narration, nous analyserons la dimension palimpseste de la série, c’est-à-dire la manière dont elle se réécrit elle-même, rature ou efface certaines histoires ou bien certains personnages. Enfin, ces résurgences du passé intertextuel, de même que cette idée de palimpseste, trouvent pour symbole le manoir Halliwell qui officie comme le temple de toutes ces transformations. C’est un lieu hanté par le passé au sein duquel l’hypotexte – aussi bien le texte référence que la couche inférieure du palimpseste – prend vie, s’incarne, se répand et représente une menace que la série tente d’annihiler.

1. Charmed, série hybride sous influence

4 La série créée par Constance M. Burge se présente donc de prime abord comme un condensé ludique d’influences multiples. Films, livres, jeux vidéo, bandes dessinées, les sœurs Halliwell évoluent dans un maelström de références qu’elles réinventent au gré de leurs aventures magiques. Cette intertextualité est revendiquée dès le titre des épisodes. Substrat herméneutique de l’intrigue, le titre procède de la mise en relation d’une référence culturelle et d’un élément de la diégèse et est ainsi doublement référentiel. Ainsi, l’épisode « Womb Raider2» (4.21) le titre du jeu vidéo Tomb Raider qui suit les aventures de l’archéologue Lara Croft. Ce détournement drolatique tient au fait que, dans l’épisode, la diabolique Prophétesse tente l’impossible pour s’emparer du fœtus démoniaque de Phoebe dans le but de régner sur le monde souterrain. La corrélation entre le titre et l’intrigue opère aussi dans « Save Private Leo » (4.17) qui fait référence à la fresque guerrière de Steven Spielberg, Save Private Ryan (1998). En effet, l’épisode relate le passé méconnu de Léo, l’ange gardien des sœurs Halliwell, qui servit d’infirmier et périt à Guadalcanal en 1942. Il est à présent traqué par ses anciens compagnons d’armes devenus fantômes en quête de vengeance. Le film de Spielberg se déroule également pendant la seconde guerre mondiale mais suit le débarquement de Normandie de 1944 et la recherche du soldat James Francis Ryan. Enfin, dernier exemple, « The Importance of Being Phoebe » (5.11) qui renvoie à la pièce The Importance of Being Earnest (1898) d’Oscar Wilde. L’épisode met en scène une démone avide de pouvoir qui va prendre l’apparence de Phoebe auprès de ses sœurs dans le but de les mener à leur perte. Cette duplicité identitaire n’est pas sans rappeler le jeu des dandys complices de la pièce de Wilde, Jack Worthing et Algernon Moncrieff, qui empruntent tous deux le nom d’Earnest (Constant en français) et s’inventent une vie parallèle afin d’échapper aux bienséances de la société victorienne3.

5 Si Charmed s’approprie de grandes références culturelles à un niveau préliminaire, elle présente également de nombreux recyclages formels. Ainsi, sa nature générique est- elle mise à l’épreuve et rendue hybride par les péripéties que traversent les sœurs Halliwell. Sur un ton toujours très amusé et décalé, la série va ainsi basculer d’un genre

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à l’autre, le plus souvent de manière inattendue. Dans l’épisode « The Good, the Bad and the Cursed » (3.14), dont le titre fait référence au célèbre western spaghetti The Good, the Bad and the Ugly (1966) réalisé par Sergio Leone, la série revisite le western italien en déclinant toute l’esthétique du genre, des ralentis aux combats de saloons. Puis, dans les doubles épisodes « Oh My Goddess » (5.22-23) et « Valhalley of the Dolls » (6.1-2), la série revêt des allures de péplum. Phoebe, Piper et Paige sont successivement transformées, malgré elle, en déesses grecques pour venir à bout des libérés des glaces, puis en Valkyries, ces divinités de la mythologie nordique qui recueillent et entraînent les âmes des meilleurs guerriers humains pour l’Ultime Combat. Dans ce dernier cas, il est amusant de remarquer que Charmed multiplie les clins d’œil en utilisant un extrait bien connu de « La Chevauchée des Valkyries » de Richard Wagner. Armures, épées, tridents, toges, gladiateurs, tous les clichés du genre sont tournés en dérision. Dans l’épisode « Charmed Noir » (7.8), Paige est piégée dans l’univers du film noir des années 1930. Devenue femme fatale, incontournable figure du genre, elle est confrontée à des gangsters en quête du convoité faucon birman dont le faucon maltais – allusion au roman de Dashiel Hammett et à l’adaptation filmique de John Huston – ne serait qu’une réplique. Entre fusillades, courses poursuites de voitures aux freins crissant et visites à des détectives véreux, la série s’amuse à nouveau avec les codes du genre, tout en les respectant à la lettre. Du point de vue de la technique, les particularités visuelles du film noir sont également rendues avec un souci d’authenticité puisque le réalisateur Michael Grossman multiplie les dutch angles (types de plans obliques), les contre-plongées et les projections d’ombres inquiétantes de gangsters sur les murs de sombres ruelles. En outre, l’épisode est en grande partie en noir et blanc, fait très rare à la télévision américaine contemporaine, et s’achève sur un « The End » dont la typographie réaffirme l’ambiance codifiée du genre.

Fig. 1 : Plan final de l’épisode « Charmed Noir » (7.8)

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6 Le recyclage effectué par la série s’effectue donc principalement sur le ton de l’hommage ou du pastiche. L’influence hypotextuelle affleure par moments pour être réinventée. Dans l’épisode « Primrose Empath » (3.8), Prue Halliwell libère un innocent d’une terrible malédiction : celui-ci est en effet capable de ressentir toutes les peines du monde qui l’entoure. Sans le savoir, Prue vient de venir en aide à un démon et se retrouve affublée de ce don qui va progressivement la conduire à la folie. Dans l’ultime affrontement qui l’oppose au démon Vincere, la sorcière parvient à maîtriser cette empathie destructrice et s’en sert alors comme une force. Le combat qui s’ensuit est un pastiche de The Matrix (Wachowski, 1999), film de science-fiction dont l’esthétique singulière est passée à la postérité. Charmed propose une relecture croisée de deux scènes de combat du film. En premier lieu, Prue s’élance dans les airs pour accabler Vincere d’une série de coups de pieds, mouvements similaires à l’attaque portée par Neo contre l’agent Smith lors de leur vigoureux corps à corps dans la station de métro. La fin du combat est, quant à elle, une relecture de la scène finale entre Neo et Smith. Prue prend alors l’avantage et se bat d’une seule main, son autre bras derrière le dos (en gros plan), avant de projeter son ennemi au sol d’un violent coup de poing. Cet enchaînement suit exactement celui de Neo, à l’exception du coup de pied qui devient coup de poing dans Charmed. Enfin, le coup de grâce porté par les deux héros se révèle identique. Neo et Prue s’élancent bras en avant et pénètrent le corps de leur opposant. Sous la pression interne, leur ennemi respectif convulse et se déforme avant de se disperser en mille morceaux dans une explosion d’un vert matriciel.

7 Si nous avons ici explicité et expliqué la nature et la dynamique de la relation intertextuelle, il semble important d’en interpréter la fonction au sein de la diégèse. En plus d’un hommage conscient, l’affleurement de l’hypotexte dans la série à un moment donné se révèle également porteur de sens. S’opère alors une corrélation entre la signification de la scène dans l’hypotexte et celle dans sa reprise hypertextuelle. La reprise est aussi bien stylistique que sémantique. Ainsi, la réécriture du combat final entre Neo et Smith joue le même rôle dans les deux récits. Il s’agit à chaque fois de l’acceptation et de la maîtrise d’un pouvoir démesuré. The Matrix suit précisément l’avènement de Neo et son parcours initiatique. La cinglante défaite de l’agent Smith démontre alors que l’ancien informaticien a embrassé sa destinée et qu’il sait se servir du pouvoir dont il a été investi. Il est l’Élu. C’est un cheminement semblable que l’on retrouve dans « Primrose Empath », où Prue finit par transcender ses peurs et sa souffrance pour finalement accepter ses dons.

8 D’autres passages illustrent cette imbrication de l’esthétique et du sens. Dans l’épisode « The Torn Identity » (8.18), Coop – l’un des Cupidons – essaie tant bien que mal de réconcilier Phoebe avec l’amour. Tel un agent matrimonial, il pousse Michael, collègue de travail de Phoebe, à la courtiser. Hélas, celui-ci, franc et direct, s’avère récalcitrant aux exigences de son mentor. Néanmoins, convaincu que Michael est un parfait prétendant pour Phoebe, Coop promet de l’aider à lui faire la cour. Cela donne lieu à un dialogue qui pastiche la célèbre scène du balcon de Cyrano de Bergerac4 (Rostand, 1897) dans laquelle Cyrano aide son rival Christian à courtiser Roxane, dont les deux hommes sont épris. Incapable de parler d’amour, Christian accepte de répéter les mots doux, poétiques et passionnés que lui souffle Cyrano, dissimulé sous le balcon de Roxane. Charmed détourne cette configuration avec humour (au lieu de répéter « no, I’m not » il dit « no, I’m hot, » effectuant un saut de registre qui ne correspond pas au rôle qu’il doit tenir). Alors que Phoebe s’avance sur son balcon, elle est surprise de découvrir

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Michael en contrebas, les bras chargés de roses rouges. Comme chez Rostand, la belle se laisse séduire par la déclaration d’amour que le prétendant lui délivre, sans savoir que, tapi dans l’ombre du balcon, se cache le réel auteur de ces mots. À l’instar de Cyrano qui aime Roxane, Coop est éperdument épris de Phoebe. Une nouvelle fois, on observe que l’hypotexte n’est pas seulement l’objet d’une reprise ludique et amusée, mais qu’il a aussi une fonction narrative presque identique.

9 On peut également s’attarder sur l’épisode « Malice in Wonderland » (8.2) qui pastiche ostensiblement la série Sex and the City. À la différence des autres exemples mentionnés, la référence est annoncée dès le début de l’épisode. Les sœurs Halliwell, après de nombreuses péripéties, ont feint leur mort et ont embrassé une nouvelle existence sous de fausses identités. Le prologue de l’épisode met l’accent sur les difficultés qu’elles rencontrent dans cette quête d’une vie normale, chacune étant confrontée à des choix déterminants. Elles en viennent à évoquer la récente prémonition de Phoebe, laquelle s’est vue épouser Dex, collègue de travail qu’elle connaît à peine. Au cours de la discussion, Phoebe mentionne Carrie Bradshaw qu’elle va prendre comme modèle : Piper. We were watching Sex and the City... Phoebe. Speaking of which, did Carrie ever have to marry a man that she did not know, huh ? Leo. Carrie ? Paige. Don’t ask, they’re on Sex and the City again. Phoebe. No, the answer is no. Why can’t we live our lives like they did?

10 Et alors que cette dernière s’empare du coffret DVD, Charmed s’imprègne soudain des codes et de l’ambiance de Sex and the City (voir figure 2). Phoebe devient la voix narrative de l’épisode, à la manière de Carrie dans Sex and the City. Charmed se pare alors de la dimension métaleptique de son aînée, autre procédé typiquement postmoderne qui « consiste en la transgression de la frontière entre deux niveaux narratifs en principe étanches, pour brouiller délibérément la frontière entre réalité et fiction5. » La métalepse est souvent l’apanage des séries à narration en voix-off qui tendent à rompre le quatrième mur entre la fiction et le réel6. Le pastiche de Sex and the City est ici favorisé par la proximité des deux héroïnes, Carrie et Phoebe, qui tiennent chacune une chronique sur l’amour dans un journal. Par ailleurs, la musique de l’épisode reprend soigneusement les teintes jazzy de la série d’origine. Enfin, la dernière scène, qui s’achève sur un gros plan de l’écran d’ordinateur, rappelle un passage présent dans la plupart des épisodes de Sex and the City, durant lequel Carrie prononce sa célèbre réplique-ritournelle introductive : « I couldn’t help but wonder… »

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Fig. 2 : Sex and the City pénètre l’univers diégétique de Charmed (8.2)

11 Venant parachever cet épisode pastiche, la présence de l’acteur Jason Lewis offre un cas intéressant d’hypertextualité puisque celui-ci a également tenu un rôle régulier dans Sex and the City. Il y interprétait Smith Jerrod, un acteur en devenir propulsé dans le show bizness par Samantha. Dans Charmed, il joue Dex Lawson, prétendant et mari – le temps de quelques heures – de Phoebe. Si le passage d’un acteur d’une série à une autre est un phénomène fréquent, il est néanmoins plus rare d’employer un acteur au sein d’une série qui pastiche celle dans laquelle il tenait auparavant un rôle semblable. Plus qu’un acteur, on a le sentiment que c’est un personnage de Sex and the City qui est transféré dans Charmed. Ainsi, la présence de Lewis dans les deux séries semble aller plus loin que l’acception traditionnelle de l’hypertextualité définie par Gérard Genette. Il ne s’agit plus d’une simple transformation d’un univers fictionnel par un autre mais bien d’une transgression de l’un dans l’autre. L’univers de Sex and the City pénètre la diégèse de Charmed et l’on observe ainsi une coprésence des deux séries. Cela est rendu d’autant plus patent que le prénom du personnage joué par Jason Lewis est Dex, qui s’entend presque comme le « sex » de Sex and the City. Cette assonance est d’ailleurs soulignée par un jeu réflexif de Piper :

Last year you had a premonition that you would have a daughter which means that this year you have to have a little sex and get pregnant. And since Dex, which coincidentally rhymes with sex, could be the father! (nous soulignons)

12 Cet épisode représente donc un cas peu fréquent qui mêle hypertextualité et intertextualité : alors que Charmed pastiche minutieusement Sex and the City, ce qui tient de l’hypertextualité, la série donne aussi à voir des espaces diégétiques aux frontières ténues, espaces qui se fondent sans distinction les uns dans les autres, ce qui illustre

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une définition plus étroite de l’intertextualité. L’esthétique postmoderne est à son comble.

13 L’influence s’exerce également à travers la citation qui se révèle aussi porteuse de sens. Dans l’épisode « The Seven Year Witch » (7.16) qui voit le retour momentané de Cole Turner, grand amour maléfique de Phoebe, Piper tombe dans le coma après avoir été infectée par un poison mortel. Dans les limbes, elle rencontre l’esprit errant de Cole. Voyant passer Phoebe devant lui, celui-ci cite un vers de Romeo and Juliet : « O [beauty], she doth teach the torches to burn bright !7 » Ces quelques mots sont prononcés par Romeo alors qu’il vient d’apercevoir Juliet chez les Capulet. Interloqué par la beauté de la jeune femme, il exprime son admiration avant d’être découvert par Tybalt, neveu de lady Capulet. C’est la première rencontre entre les deux amants maudits (I, 5). Charmed intègre la citation dans un contexte semblable. Cole prononce ce vers alors que Phoebe ne peut le voir, ce qui est aussi le cas de Romeo. Étrangement, au moment où Cole déclame ce vers, Phoebe s’arrête brusquement et recule pour regarder dans sa direction, croyant avoir entendu quelque chose. Mais elle ne voit rien. La citation traverserait les différents mondes comme elle traverse les âges. Cependant, alors que Romeo prononce sa tirade enflammée (« the torches to burn bright ») au premier regard porté sur Juliet, présageant la relation passionnée des deux amants, Cole se limite au premier vers, deux ans après avoir été vaincu par Phoebe8. On entend ici l’ironie et l’amertume de l’utilisation de ce vers qui ne suggère pas l’idylle à venir mais bien la fin de l’histoire des deux amants. Il faut rappeler que le couple formé par Cole et Phoebe était déjà très inspiré par Romeo et Juliet, tous deux appartenant à des camps antagonistes, le bien et le mal. Ainsi, l’intertexte shakespearien convoque la connaissance de la pièce et celle de l’histoire de la série9.

14 Charmed se présente donc comme une série dans laquelle on retrouve les traces plus ou moins subtiles d’autres œuvres artistiques. Ces jeux de reprises et d’échos donnent lieu à d’étonnantes transformations, telles que le pastiche ou bien la réécriture, et illustrent ainsi l’aspect métafictionnel et postmoderne de la série. On peut d’ailleurs remarquer que Charmed ne se limite pas seulement à une réécriture intertextuelle puisqu’elle procède également de sa propre réécriture, ce qui lui permet de mettre doublement l’accent sur son caractère fictionnel.

2. Réécrire la diégèse : entre alternative et altération

15 La réécriture, processus essentiel pour insérer la référence dans un nouveau cycle, celui de la série, s’opère également au niveau de la diégèse. On ne cherche alors plus à réécrire et à réévaluer l’héritage intertextuel mais bien l’histoire proposée dans la série. Ces phénomènes émaillent les huit saisons de Charmed et donnent à voir une série palimpseste. Gérard Genette définit le palimpseste comme « tout texte dérivé d’un texte antérieur, par transformation […] ou par […] imitation10. » Il s’agit plus généralement d’une œuvre d’art dans laquelle on perçoit en filigrane les traces d’une autre œuvre d’art. On s’appuiera ici, d’une part, sur les voyages dans le temps qui sont légion au sein de la série et, d’autre part, sur les fins alternatives proposées par certains épisodes.

16 Dans Charmed, le saut dans le temps repose toujours sur l’idée que le passé doit être altéré afin de réécrire le présent et ainsi sauver la lignée des sœurs Halliwell sans cesse menacée. Dans l’épisode « That 70s show» (1.17), les sœurs doivent retourner dans les

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années 1970 pour empêcher leur mère Patty de conclure un pacte maléfique avec un démon qui l’immunisera face au pouvoir des trois. Dans « All Halliwell’s Eve » (3.4), elles sont envoyées dans l’Amérique des Pères Fondateurs afin de permettre la naissance de Melinda Warren, fondatrice de la lignée Halliwell. Enfin, l’intrigue de la sixième saison repose entièrement sur ce procédé en inversant la perspective. Cette fois, c’est Chris, jeune homme âgé d’une vingtaine d’années, qui surgit du futur pour prévenir les sœurs Halliwell qu’un danger plane sur l’avenir de Wyatt, fils de Piper. L’intrigue principale tournera autour de ce mystère : quelle est cette menace ? Et comment l’arrêter ? Nous apprendrons à mi-parcours que Chris est en fait le frère cadet de Wyatt revenu pour empêcher celui-ci de basculer vers la magie noire. Ainsi, par ses distorsions et manipulations temporelles, Charmed semble se rapprocher des récits non- linéaires qui sont l’apanage du roman postmoderne.

17 Au-delà de ces altérations narratives, la série propose aussi un autre type de réécriture : les fins alternatives. On retrouve ce mécanisme constitutif du postmodernisme littéraire dans de nombreuses œuvres, comme dans The French Lieutenant’s Woman (1969) de John Fowles qui nous propose pas moins de trois fins possibles à son récit sans en privilégier aucune. Dans Charmed, la portée de ce procédé est limitée par la nature sérielle du programme qui impose que la dernière fin offerte dans un épisode apporte la conclusion de l’intrigue. Nul doute ne doit subsister, l’épisode doit être bouclé de manière à ce que le spectateur sache où la série recommencera.

18 Le couple d’épisodes formé par « Déjà Vu All Over Again » (1.22) et « All Hell Breaks Loose » (3.22) donne à voir deux processus de réécriture enchâssés, qui semblent se faire écho. Ces deux season finales reposent sur la même idée d’un temps circulaire, d’une journée qui se répète à l’infini. On retrouve le même démon, Tempus (David Carradine), responsable de la boucle temporelle dans les deux cas, que l’on découvre dans « Déjà Vu All Over Again » et qui est à nouveau mentionné dans « All Hell Breaks Loose ». Ce couple d’épisodes forme ainsi un doublon qui repose sur une série de répétitions et d’échos comportant malgré tout quelques différences très sensibles. Si la journée dans le final de la saison 1 se répète deux fois, celle du final de la saison 3 ne se répète qu’une fois. Autre écho intéressant, les sœurs, au cours d’un combat semblable, sont projetées à travers différentes pièces du manoir. Dans le premier cas, Piper traverse une porte vitrée donnant sur le solarium. Dans le second cas, Prue et Piper traversent le mur situé juste à côté de cette même porte. Une nouvelle fois la scène semble identique alors qu’elle est subrepticement déformée. On mentionnera également que, dans les deux épisodes, un personnage important perd la vie : d’abord Andy Trudeau, l’ami des sœurs, puis Prue. Enfin, tandis que le dernier plan montre les portes du manoir Halliwell se refermer, dans le premier cas, c’est Prue qui les referme par magie et, dans le second cas, c’est le démon Shax qui, ayant accompli sa mission, se replie dans une tornade dont la violence va jusqu’à briser les vitres teintées des portes. S’opère donc ici un recyclage interne qui donne lieu à une réécriture de la diégèse : le même en différent. Sans oublier que l’histoire des deux épisodes se fonde sur le principe de réécriture puisque la journée est relancée pour que son issue soit différente.

19 Par ailleurs, l’histoire familiale des Halliwell a aussi été sujette à des altérations ayant trait à la production même de la série. Le père des sœurs, Victor Bennett, apparaît pour la première fois dans l’épisode « Thank you for not morphing » (1.03) sous les traits

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d’Anthony Denison. L’acteur n’ayant pas souhaité reprendre son rôle, Victor Bennett est ensuite interprété par James Read. La série, tel un palimpseste, est ainsi émaillée de ratures et d’effacements. L’exemple le plus probant est sans doute la résurrection du pouvoir des trois dans l’épisode « Charmed Again » (4.01-02). À l’issue de la troisième saison, le départ de Shannen Doherty11, interprète de Prue Halliwell, marque la fin du premier pouvoir des trois. Les dernières secondes de l’épilogue apocalyptique nous montrent la victoire de la Source et de son assassin Shax, lequel est parvenu à tuer Piper et Prue, laissant le téléspectateur désemparé face à ce cliffhanger inédit. « Charmed Again » constitue le renouveau de la série et du pouvoir des trois, comme l’indique la présence de l’adverbe « again ». Pour la première fois dans l’histoire de la série, le titre d’un épisode contient le mot « charmed » (ce ne sera pas la dernière). Ce procédé sert à réaffirmer l’identité de la série après une période de doute et à amorcer un nouveau cycle. Le sort va de nouveau opérer, le pouvoir des trois va être ressuscité, la série va se réinventer. Cet épisode charnière sonne comme un nouveau départ, marqué par l’inhumation de Prue dès les premières minutes12, et pourrait signifier l’enterrement symbolique des trois premières années de la série. Pourtant, le titre de l’épisode semble d’abord annoncer que la série restera la même, que Charmed sera encore Charmed. Cette promesse apparaît dans toute son ambiguïté dans les premières secondes de l’épisode lorsque Piper, assise dans le grenier, essaie désespérément plusieurs formules magiques afin de faire revenir Prue. En effet, une voix se fait entendre dans le couloir. Piper, filmée en plan rapproché poitrine, relève la tête et prononce le nom de sa défunte sœur avec un soudain regain d’espoir. À ce moment précis, le spectateur rejoint ce sentiment et veut aussi croire au retour de Prue. Le contre-champ qui suit nous montre l’entrée du grenier, vide. Prue est bien morte, elle ne reviendra pas, comme l’annonce Phoebe au cours d’une réplique qui semble aussi bien destinée à sa sœur qu’au spectateur : « We have tried every magical way to bring her back. But we can’t. She’s . »

20 Le titre de l’épisode apparaît dès lors comme une tromperie. Charmed ne sera plus jamais Charmed. Pour autant, comment continuer à justifier un tel titre ? La dynamique de la série reposant sur un trio de sorcières, les scénaristes vont créer une nouvelle sœur pour reformer le pouvoir des trois. Au personnage de Prue succèdera Paige. À travers ce prénom, la série affirme son désir de renouveau, renouveau ambivalent puisqu’il repose sur un recyclage. Notons d’abord que la phonie du prénom « Paige » est identique à celle de « page » en anglais. Cette quatrième sœur, dont l’existence nous est révélée et expliquée au cours de l’épisode, est donc intrinsèquement liée à l’écriture et à la page vierge qui reste à écrire. Cette relation est mise en exergue par l’épisode « A Paige from the Past » (4.10), titre qui substitue à la page le nom de Paige. Néanmoins, cette page vierge ne l’est peut-être qu’en apparence puisque Paige semble être une nouvelle version, certes différente à certains égards, de Prue. En effet, comme elle, son prénom commence par un « P ». Toutes deux sont brunes, peuvent déplacer les objets par la pensée et se transporter dans un espace différent. Autrement dit, Paige serait un personnage palimpseste derrière lequel on retrouve l’influence de Prue que l’on devine en transparence.

21 Ainsi, les métamorphoses physiques au sein de la famille Halliwell illustrent un cas de réécriture diégétique qui voit un personnage13 interprété par différents acteurs. À cela, nous pouvons ajouter deux types de réécritures « métamorphiques ». Comme l’indique l’étymologie du terme en grec ancien, nous sommes à présent « au-delà » (méta) de la « forme » (morphê). La transformation métamorphique se comprendrait alors comme

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un changement aussi bien physique qu’identitaire, formel et structurel. On distingue, d’une part, les cas où un acteur incarne différents personnages et, d’autre part, ceux où un personnage incarne un autre personnage.

22 Connue pour son rôle de rédactrice en chef du Bay Mirror, journal où travaille Phoebe, Rebecca Balding a d’abord fait une apparition dans la première saison14 de Charmed sous les traits d’un autre personnage, celui de Jackie, tante d’Aviva, jeune sorcière sous l’influence d’une démone. La même actrice incarne donc deux personnages différents, situation que la série oblitère complètement. On peut aussi voir dans ce procédé un nouvel hommage au théâtre de Shakespeare qui, tel qu’il était joué au XVIIe siècle, était marqué par le fait que les acteurs jouaient souvent plusieurs rôles au sein d’une même pièce, ce qui rendait prépondérante la question du masque. Imitant le théâtre élisabéthain, Charmed va recourir au masque dans le cas de l’acteur Michael Bailey Smith, qui incarne à lui seul quatre démons réguliers de la série. L’aspect « métamorphique » de la transformation est rendu évident du fait que chaque démon se démarque par un physique idiosyncratique, de Shax, monstre imposant au corps bleu, à Belthazor, à la peau rouge marquée de volutes noires, en passant par les Grimlocks, démons souterrains à la peau blanche et aux yeux cerclés de rouge sang. L’acteur est ainsi devenu cette roche altérée par transformation métamorphique (au sens scientifique de ce terme), ici générées par l’univers fictionnel. Ainsi, par ce recyclage conscient des acteurs, lesquels sont amenés à jouer plusieurs rôles, Charmed réaffirme son caractère métafictionnel en revendiquant précisément son statut une fiction. Le cas précité de Belthazor illustre bien ce point, de même qu’il montre la mise en abyme métafictionnelle à l’œuvre dans la série puisque le maquillage du démon est inspiré de celui de Darth Maul, Sith malfaisant de Star Wars: The Menace (Lucas, 1999). Autrement dit, on recycle consciemment un acteur pour un autre rôle au sein du même programme mais, afin de le masquer, on le grime en reprenant les traits d’un personnage d’une autre fiction.

23 À ces métamorphoses diégétiques s’ajoutent des métamor-phoses intradiégétiques, qui voient un personnage incarner un autre personnage. La série en propose un nombre considérable tant la magie invite au déguisement, aux apparences et à la tromperie, se rapprochant une nouvelle fois du théâtre shakespearien dont ces pratiques étaient constitutives15. Les sœurs Halliwell sont les premières victimes de ces transformations, en particulier Phoebe, qui aura tour à tour été une Banshee, démone aux allures de vampire, une ménagère tout droit sortie des années cinquante, une sirène, une super héroïne digne des comics américains ou bien encore Cendrillon. La récurrence de ces métamorphoses la conduit d’ailleurs à de savoureux constats ironiques, notamment lorsque, devenue génie, elle s’exclame : « And why do I always get stuck with the wig16? » Une nouvelle fois, ce commentaire se pare d’une résonnance métafictionnelle, ne sachant plus très bien si le locuteur est Phoebe ou son interprète, Alyssa Milano. Ces mises en abyme fictionnelles sont également le fondement de nombreux épisodes reposant sur l’usurpation d’identité, le plus souvent à des fins machiavéliques, dans lesquels l’identité et l’histoire des sœurs sont réécrites.

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Fig. 3 : Phoebe et son double démoniaque (5.11)

24 C’est notamment l’objet de « The Importance of Being Phoebe » qui voit la démone Kaira prendre l’apparence de Phoebe (voir figure 3), mais aussi de « The Power of Three Blondes » (6.04) où les sœurs Halliwell sont remplacées par un trio de sœurs démoniaques. Plus tard, ce motif narratif est une nouvelle fois décliné dans « Repo Manor » (8.13) au cours duquel trois sœurs démones prennent l’identité des sœurs Halliwell pour s’emparer de leurs pouvoirs dans le but de mettre à mal le système esclavagiste qui régit le monde souterrain. On voit donc que chacune de ces transformations métamorphiques conjugue changement physique et identitaire. Les personnages réinterprétés voient leur génome réécrit, modifié, pérennisant l’image d’une série au caractère instable où les identités sont volatiles.

25 Ces exemples mettent ainsi en évidence l’aspect palimpseste de Charmed, laquelle ne recycle pas seulement les textes qui l’ont précédée mais aussi son propre texte. En donnant à voir les expérimentations auxquelles elle se livre, les effacements et les altérations qu’elle opère sur sa propre diégèse, la série revendique une nouvelle fois son caractère fictif et s’engage à nouveau dans un jeu ironique et métafictionnel typique de l’esthétique postmoderne. Finalement, si l’on essaie de résumer l’ensemble des analyses faites à propos du recyclage intertextuel et de l’idée de palimpseste, on peut théoriser une certaine poétique de l’influence à l’œuvre dans Charmed. En effet, la série serait travaillée par une tension entre désir d’ et désir d’originalité, à laquelle elle proposerait une résolution dialectique. Afin d’explorer ce cheminement, nous nous proposons d’examiner ici ce lieu central et hautement symbolique de la série : le manoir Halliwell.

3. Le Manoir Halliwell : temple palimpseste

26 Nous avons démontré jusqu’ici que Charmed est une série hybride, sous influences multiples, au sein de laquelle s’enchâssent différentes réécritures. Dans cette dernière

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partie, nous nous attarderons plus particulièrement sur le lieu où se réalisent la plupart des mécanismes intertextuels, le manoir Halliwell. Il symbolise à lui seul la notion d’héritage présente au cœur de la série. L’étymologie même du terme « manoir » nous invite à cette interprétation puisqu’il provient du verbe latin manere, autrement dit « demeurer », « habiter ». Ce qui demeure, dans un premier temps, c’est la magie de la lignée Halliwell depuis Mélinda Warren jusqu’à Chris Halliwell (deuxième fils de Piper né à la fin de la sixième saison). Cette filiation est incarnée par le Livre des Ombres, transmis et complété de génération en génération, véritable encyclopédie sur le monde de la magie. Il comporte à lui seul toute la mythologie propre à Charmed, établit un dialogue entre passé et présent et agit ainsi comme le métonyme de l’intertextualité. Par ailleurs, le manoir est aussi le garant de la pérennité de l’influence. De manière récurrente, il déclenche l’intertextualité. Il exerce une influence ambiguë tant l’hypotexte conjuré peut être salvateur, comme nous l’avons vu dans l’épisode « Primrose Empath » où Prue est investie des pouvoirs de Neo, héros de la séries des films The Matrix (1998-2003), ou bien, au contraire, mortifère. On peut dès lors voir affleurer une « angoisse de l’influence » (« anxiety of influence »), concept énoncé par Harold Bloom17 à propos de la poésie. Le critique anglais argue que la créativité d’un poète est naturellement inspirée par les poètes qui l’ont précédé. Cette réflexion montre le caractère ambivalent de cette relation qui inspire et nuit dans le même temps à l’originalité. En effet, cette angoisse de l’influence réside dans l’impossibilité supposée de produire un texte neuf et authentique qui soit libéré de toute influence. Selon Bloom, tout texte est tributaire de ceux qui l’ont précédé. Appliqué à Charmed, ce concept permet d’entrevoir la tension existante entre une influence fondatrice qui perdure jusqu’à nuire in fine et un désir d’originalité. Le manoir apparaît alors comme l’épicentre de ce conflit interne et joue un rôle particulièrement ambigu.

27 L’histoire même du lieu a longtemps fait la part belle à la légende. En effet, durant des années, on raconta que le manoir Halliwell était précisément celui qui avait été bâti à la fin des années 1950 pour les besoins du film Psycho d’Alfred Hitchcock. Dès le début, le manoir apparaissait donc habité par une influence inquiétante et dévoilait sa nature palimpsestueuse. Néanmoins, malgré d’indéniables similitudes, les bâtisses présentes dans les deux œuvres s’avèrent différentes et ne partagent pas la même histoire. Le légendaire manoir de Psycho, construit dans les studios d’Universal, fut détruit à la fin des années 1970 puis reconstruit en 1981 pour le tournage de Psycho 2 de Richard Franklin. Le manoir Halliwell, quant à lui, a été bâti à la fin du XIXe siècle sur les hauteurs en bordure de Los Angeles et il est encore habité. Malgré tout, la filiation légendaire est exploitée dans Charmed, comme si le manoir victorien était toujours hanté par Norman Bates. Le passé se fait des plus néfastes. On mentionnera, par exemple, le Nexus, source de pouvoir instable qui jaillit des entrailles de la cave à plusieurs reprises au cours de la série et opère une influence des plus funestes. Dans l’épisode « Is there a Woogie in the House? » (1.15), le Nexus prend possession du corps de Phoebe et, par là-même, du manoir. L’hypotexte, partie inférieure du palimpseste, semble reprendre ses droits et combattre l’histoire nouvelle qui s’écrit. Cela est particulièrement remarquable dans l’épisode où Prue tente de rentrer dans le manoir et qu’elle en est alors rejetée violemment, mais aussi, de manière plus métaphorique, quand le papier peint aux murs se décolle, ce qui symbolise bien les couches constitutives du palimpseste. Néanmoins, cette possession mortifère est finalement

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mise en échec par les sœurs et le Nexus – sorte de dense fumée noire – est aspirée par la faille dont il s’était échappé plus tôt.

28 Sur un ton plus drolatique, l’influence hichcockienne originelle surgit aussi lors dans l’épisode « Chick Flick » (2.18) où des personnages de films d’horreur traversent l’écran de cinéma et assaillent le manoir. Poursuivie par l’un d’entre eux, Piper se réfugie dans la douche avant de s’apercevoir de son erreur : « I am being stalked by psycho killers and I hide in the shower ! » L’occurrence du mot « psycho » réaffirme l’intertexte, de même que la douche, métonyme mémorable du film d’Hichcock (voir figure 4). Mais l’influence est à ce moment-là déjouée et Piper ne subira pas le même sort que Marion Crane. En effet, l’ombre menaçante qui se dessine sur le rideau de douche n’est autre que celle de sa sœur, Prue.

Fig. 4 : Charmed pastiche le film Psycho (2.18)

29 Cette influence du passé est aussi visible dans les résurgences diégétiques et extradiégétiques que le manoir provoque. Qu’il s’agisse de vies ou de carrières antérieures, le manoir ancre la série dans le passé à différents niveaux narratifs. L’épisode « Pardon My Past » (2.14) s’ouvre sur une scène tout à fait anodine. Piper et Prue organisent une soirée avec des amis. Phoebe, en pleines révisions pour ses examens, descend signaler à ses sœurs qu’elle a besoin de silence. La fête prend doucement fin, les invités s’en vont. C’est alors que Phoebe entend une musique jazzy et une ambiance festive dans le salon. Courroucée par ce vacarme qu’elle impute à ses sœurs, la jeune femme descend à nouveau mais, contre toute attente, elle trouve le manoir vide. Soudain, elle se retrouve plaquée contre un mur par ce qui paraît être un fantôme, avant de se voir déshabillée puis caressée sensuellement. Une lampe tombe. Piper et Prue sont alertées. Que s’est-il donc passé ? Les sœurs découvrent vite que cette présence invisible est celle d’Anton, démon capable de changer d’apparence. Ce dernier était en fait l’amant de la diabolique P. Russell, sorcière ayant vécu au manoir

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Halliwell au cours des années 1920 avec ses cousines, P. Bowen et P. Baxter (les prénoms ne sont jamais révélés mais on peut facilement les deviner). On découvre très vite que ces trois cousines sont en fait les vies antérieures des sœurs Halliwell. La résurgence du passé signifie la mort imminente de Phoebe Halliwell, de même que son destin semble intimement lié à celui de sa vie antérieure18. Le manoir exerce donc une influence néfaste puisqu’il arrime la série à un passé familial tragique et l’attache à un destin voué à se répéter, malédiction qui semble ne pas pouvoir être rompue. Mais l’héritage est déjoué et Phoebe parvient à se détacher de sa vie antérieure, à s’affranchir de l’influence mortifère du passé.

30 Par ailleurs, la résurgence des carrières artistiques des acteurs attache la série à un passé extradiégétique et semble hanter la série. Nous nous concentrerons essentiellement sur la filmographie d’Alyssa Milano, qui offre une belle illustration de cet argument. En 1989, les studios Disney sortent The Little Mermaid, inspiré du conte du danois Hans Christian Andersen paru en 1837. Le film d’animation suit les aventures et la jeune et très belle sirène Ariel qui rêve d’avoir des jambes pour pouvoir vivre sur la terre avec les humains et notamment Eric, prince dont elle s’est éprise. Pour donner corps et âme au personnage d’Ariel, les dessinateurs décident de s’inspirer de jeunes actrices dans le vent dont Alyssa Milano, alors vedette de la sitcom Who’s the Boss ? (ABC, 1984-1992). À partir de photos de l’actrice et en s’inspirant de sa personnalité, ils ont ainsi façonné l’apparence et le caractère de l’héroïne de leur dessin animé. C’est en gardant à l’esprit cette anecdote biographique que l’on doit aborder l’épisode « A Witch’s Tail » (5.1-2) qui ouvre la saison 5. En voulant aider Mylie, une sirène devenue humaine, qui rappelle étrangement Ariel, Phoebe se métamorphose en sirène (voir figure 5). L’influence du dessin animé est ici à l’œuvre et la référence évidente. À nouveau, la transformation se passe au manoir. Alyssa Milano, à travers le personnage de Phoebe, réincarne Ariel et on ne manquera pas de noter la ressemblance des costumes. Mais, alors qu’Ariel souhaite devenir humaine, Phoebe aspire davantage à la liberté que représente l’océan ; renversement qui semble indiquer un retour au passé. Néanmoins, la fin de l’épisode marque une nouvelle fois la puissance du présent face au passé. L’influence menaçante est mise en échec.

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Fig. 5 : Après avoir inspiré Ariel, Alyssa Milano redevient sirène dans Charmed (5.1-2).

31 Ainsi, on peut arguer que tout le parcours de la série vise à se défaire de cette influence. Il semble d’ailleurs qu’un lien métaphorique se tisse entre les démons et l’intertexte, lien parfaitement mis en évidence par celui que l’on nomme « The Source ». Ce démon, qui apparaît pour la première fois dans l’épilogue de la saison 3 avant d’être vaincu quelques épisodes plus tard, se révèle être l’instigateur de toutes les attaques dont ont souffert les Halliwell. Son nom, « The Source », peut être interprété de plusieurs manières : il s’agit aussi bien de la source du mal que de la source textuelle, origine de l’influence. Le manoir se serait donc imprégné de toute cette énergie démoniaque et textuelle accumulée au fil des années. D’où le recours à un « witch doctor » dans l’épisode « House Call » (5.13) pour purifier le manoir. Les sœurs Halliwell sont en effet excédées par les multiples esprits démoniaques qui hantent le manoir et font de leur vie un véritable enfer. Leo essaie tant bien que mal de rassurer Piper :

[It’s] residual energy left over the years from all the demons you vanquished here. Besides the Elders said they would dissipate over time.

32 Cette « énergie résiduelle » condamnée à se dissiper selon l’être de lumière des sœurs ne serait-elle pas l’intertextualité « démoniaque » qui hante la série depuis ses origines ? Les Halliwell font donc appel à un guérisseur afin que ce dernier éradique tous les esprits errants. « These walls are clogged with evil waste » s’exclame-t-il après un premier repérage. L’intertexte semble présent dans chaque mur. Ce constat peut se lire comme un commentaire métafictionnel qui arrive juste après le centième épisode de la série. Charmed semble consciente de l’ensorcellement qui l’accable et cherche maintenant à l’éradiquer. La manière dont la série va procéder se révèle assez radicale. Envoûtée par le guérisseur, qui est convaincu que les Halliwell ne sont plus aptes à contrôler leurs obsessions et donc leurs pouvoirs, Piper va jusqu’à faire disparaître le manoir. En une formule, elle balaie ainsi tout le passé aussi bien démoniaque que

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textuel. Avec la disparition du manoir, la série se libère de l’angoisse bloomienne de l’influence. Désormais, elle va pouvoir affirmer son identité propre sans peur de voir surgir de nouveau l’intertexte démoniaque. C’est ce que confirme Piper dans une réplique hautement métafictionnelle : Paige. Piper, what did you do with the house? Piper. Oh, I thought it would be better to start from scratch.

33 Repartir de zéro, faire table rase du passé, voilà ce qu’annonce désormais la série. Néanmoins, Piper s’aperçoit rapidement qu’en faisant disparaître le manoir, elle a aussi fait disparaître Phoebe. Elle recrée alors le manoir. Cette scène semble indiquer finalement qu’éradiquer l’influence serait comme détruire une partie de l’identité de la série, puisque cela revient à tuer Phoebe. La série doit alors trouver un moyen de concilier influence et originalité et non pas seulement de chercher à annihiler le charme. C’est là l’argument défendu par Markus Reisenleitner pour qui le manoir Halliwell ne représente pas tant une menace – le topos du manoir hanté fut repris par nombre d’écrivains romantiques et victoriens19 –, que la source d’un immense pouvoir pour les sœurs. Cette source s’acquière par un dialogue avec le passé et non par sa négation. La connaissance du passé (l’histoire du manoir et celle de la lignée Halliwell) amène le pouvoir présent et futur :

(…) The sisters’ commitment to their home and their willingness (and ability) to encounter its horrors, to bring the demons home, as it were, as well as to learn from the histories its walls remember, are presented as sources of empowerment.

34 Pourtant, elle réitère sa tentative, de manière plus radicale encore, dans le pénultième épisode intitulé « Kill Billie: Vol. 2 » (8.21). L’épilogue voit le combat final entre les sœurs Halliwell et les sœurs Jenkins qui, à forces égales, s’engagent dans un affrontement voué à la perte des deux parties. Alors que les déflagrations jaillissent de toutes parts, tous les objets symboliques du manoir et de la série sont détruits dans un ordre révélateur. Un premier jet percute le lustre mythique que l’on voit trembler et scintiller à plusieurs reprises au cours de la série, notamment lors de la naissance et de la renaissance du pouvoir des trois (1.01 ; 4.01), moments charnières qui emblématisent l’héritage et la passation de pouvoir. Puis, c’est au tour de l’horloge, détruite une vingtaine de fois au cours des huit saisons, de recevoir une charge électrique létale. Tout cycle, passé et à venir, est donc réduit en cendres. Renier le passé implique l’impossibilité d’un futur. Quelques plans plus tard, le grenier est pris par la déflagration grandissante, dernière étape avant l’explosion du manoir. Tout s’achève à l’endroit où tout a commencé. Toutes les parties symboliques de la série sont détruites ; du manoir, il ne restera qu’un champ de ruines (voir figure 6).

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Fig. 6 : Piper dans les décombres du manoir (8.22)

35 En une trentaine de secondes, tout ce qui était constitutif de Charmed, jusqu’à ses héroïnes, est réduit à néant. La scène post apocalyptique qui suit montre que seule Piper a survécu. Encore une fois, la morale est univoque : éradiquer l’influence ne prélude d’aucun avenir possible. Sans origine, pas d’originalité. Et c’est finalement cette maxime qu’embrasse la série lors des dernières minutes du bien nommé « Forever Charmed » (8.22). Après avoir remporté leur ultime bataille, les sœurs Halliwell se réunissent autour du Livre des Ombres, prêtes à y inscrire leur histoire et à s’intégrer à leur tour dans le cycle éternel de l’héritage et de la transmission : Piper. Well I think we should write everything down, everything that happened, everything we want the futuregenerations to know so that we can pass it down just like it was passed down to us.

36 Cette idée est développée dans la dernière scène de l’épisode où la voix de Piper se dédouble, faisant le lien entre présent et futur. C’est en effet une Piper âgée de 80 ans que l’on retrouve assise avec son arrière-petite-fille à feuilleter le Livre des Ombres. Elle lit les mots qu’elle y a inscrits quelques décennies plus tôt : Piper. And although we certainly had our struggles and heart aches over the years we’re a family of survivors and we will always be. Which is why we’ve truly been Charmed. Son arrière-petite-fille. Again, Grandmama, again. Piper. Oh, dear. No, I can’t. I need to rest. But you can look at it for a little while if you’d like. After all, it’ll be yours one day.

37 « Après tout, ce livre sera tien un jour », promesse d’éternité de Charmed à son public qui peut aussi se lire comme l’héritage qu’elle s’apprête à léguer aux séries à venir. Comme le suggère le titre de l’épisode, Charmed survivra dans le cœur des fans et dans d’autres univers sériels. Après avoir été imprégnée par toutes les œuvres qui l’ont précédée, la série s’apprête à devenir le modèle pour les futures créations et à faire l’objet de tous les recyclages. Comme le résume Tiphaine Samoyault, « le rapport au

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modèle implique aussi une recherche de constitution de soi en modèle20. » La preuve en est avec la récente et éphémère The Secret Circle (The CW, 2011-2012), série dramatique fantastique dont beaucoup de spectateurs ont noté la filiation avec Charmed. Outre des similitudes d’ordre narratif, on peut relever notamment la présence d’un Livre des Ombres, rappel symbolique imparable du grimoire des sœurs Halliwell, ou bien une forte ressemblance architecturale – et décorative – entre la maison de l’héroïne, Cassie, et le manoir de Charmed qu’une internaute n’a pas manqué de repérer :

If you’re a diehard Charmed fan who has seen the new CW show, The Secret Circle, you’ve probably noticed the eerie resemblance between the home of Cassie Blake and the Halliwell Manor. Other than a moved staircase, the floor plan is almost 100% identical, complete with the stained glass door21.

38 Charmed se présente ainsi comme une série postmoderne à bien des égards. Par son recyclage de la culture populaire et lettrée, ses réécritures multiples allant jusqu’à transgresser les niveaux narratifs, elle s’est façonnée une identité hybride et ludique parfaitement ancrée dans son époque. Cette filiation consciente et recherchée dans un premier temps s’est ensuite transformée en héritage pesant que la série a cherché à estomper. L’influence fondatrice est alors devenue indésirable – étape nécessaire dans l’affirmation d’une identité propre. Elle n’a cependant pas cessé de surgir et est peu à peu devenue un ennemi à éliminer, incarné par le manoir Halliwell où demeurent les fantômes familiaux et culturels du passé. Nous l’avons vu, la série essaie dans ses dernières saisons de se soustraire à toutes ces influences. Mais, à faire table rase de ses origines, il semble qu’elle efface aussi une partie de ce qui la définit et fait son succès. La résolution de ce conflit entre passé et présent ne peut donc être le produit d’une négation mais plutôt d’un dialogue. Écrire son histoire ne peut se faire sans prendre en compte celle qui nous précède et c’est en embrassant ses origines et en s’inscrivant dans le cycle immuable de l’héritage et de la transmission que Charmed transcende ses ambitions premières et parvient à affirmer son originalité. Elle se situe dès lors à la croisée des chemins, entre passé, présent et futur. Le charme a opéré, opère et opèrera toujours et nous serons « Forever Charmed ».

BIBLIOGRAPHIE

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--, Métalepse, Paris, Éditions du Seuil, 2004.

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PICHARD Alexis, Le Nouvel âge d’or des séries américaines, Paris, Le Manuscrit, 2011.

SAMOYAULT Thiphaine, L’Intertextualité : Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, 2005.

NOTES

1. « Buffy: The Vampire Slayer, Xena: Warrior Princess, Dark Angel and Charmed (…) combined fantastic spectacle with a knowing recycling of plots and fragment from the media past. (…) Since the 1990s, the intertextuality, recycling and self-referentiality of the postmodern form have also passed into the TV mainstream », in Marc O’Day, « Postmodernism and Television », in Stuart Sim (ed.), The Routledge Companion to Postmodernism, New York, Routledge, Second edition, 2005, p. 103-110. 2. Ce titre pourrait se traduire littéralement par « La pilleuse d’utérus » tandis que Tomb Raider signifie « La pilleuse de tombeaux ». 3. Pour l’analyse de l’intertextualité des titres de la série Charmed, nous renvoyons le lecteur à Alexis Pichard, Le Nouvel âge d’or des séries américaines, Paris, Le Manuscrit, 2011, p. 48-49. 4. III, 7. 5. http://www.signosemio.com/genette/narratologie.asp, lien consulté le 11 décembre 2014. 6. Que l’on songe à Meredith dans Grey’s Anatomy (ABC, 2004- ) ou à Mary Alice dans Desperate Housewives (ABC, 2004-2012). 7. Romeo and Juliet (1597), I, 5. Notons que la citation est signalée par la réplique de Piper : « Since when do you quote Shakespeare? » 8. « Centenial Charmed » (5.12). 9. On pourra relever d’autres références à l’univers shakespearien, notamment à MacBeth (1606). Ainsi, la présence dans Charmed d’un trio de sorcières n’est pas sans rappeler celui de la pièce de Shakespeare. Cet écho est d’autant plus marquant que le titre du premier épisode de la série emprunte à une réplique de MacBeth prononcée par l’une des sorcières : « By the pricking of my thumbs, Something wicked this way comes. » Charmed reprend la dernière partie de cette réplique et la détourne, comme à son habitude, en « Something wicca this way comes ». On voit ainsi s’établir un dialogue entre les sorcières shakespeariennes (« weird sisters ») et celles de Charmed, nettement moins effrayantes. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le mot « wicked » ait été remplacé par « wicca » : à la cruauté et à la laideur promise, se substituent la magie et le charme enchanteur. Le tragique de la pièce est d’emblée déjoué dans la série. 10. Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982. 11. Ce départ inattendu fut très médiatisé en mai 2001 mais les raisons en restent néanmoins assez obscures. Beaucoup de journalistes ont expliqué la décision de Shannen Doherty par les différends artistiques qu’elle rencontrait avec la production, qui souhaitait donner une orientation plus sombre à la série afin de l’éloigner d’un public trop féminin. Officieusement, ce serait la rivalité avec sa partenaire, Alyssa Milano, qui aurait poussé la production à se séparer de Doherty. Ce départ fracassant n’était alors pas le premier de l’actrice puisque, quelques années plus tôt, elle quittait brusquement Beverly Hills suite à une mésentente avec la production. Ou quand le recyclage dépasse le cadre de la diégèse…

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12. Cette scène d’enterrement inaugurale semble d’ailleurs annoncer l’épisode « Still Charmed and Kicking » (8.1) au début duquel se déroule une veillée funèbre en l’honneur des sœurs Halliwell, mortes aux yeux du monde entier. 13. Considérons ici Prue et Paige comme un seul et même personnage car elles ont toutes deux un rôle similaire au sein de la famille et de la série. 14. « The Fourth Sister » (1.7). 15. On peut penser au roi Polixenes qui se déguise en berger dans The Winter’s Tale pour empêcher le mariage de son fils avec une bergère. 16. « I Dream of Phoebe » (6.15). 17. Harold Bloom, The Anxiety of Influence: A Theory of Poetics, New York, Oxford University Press, 1997. 18. L’épisode se déroule le 17 février 2000, soit 76 ans jour pour jour après la mort de P. Russell. 19. On peut penser à de nombreux romans tels Jane Eyre de l’Anglaise Charlotte Brontë (1847) ou encore The House of the Seven Gables (1851) de l’Américain Nathaniel Hawthorne dans lesquels les manoirs sont tout aussi effrayants que dangereux. On notera que, dans le roman d’Hawthorne, l’un des personnages principaux se prénomme Phoebe... Dans la même veine horrifique, « The Fall of the House of Husher » (1839), nouvelle ténébreuse écrite par Edgar Allan Poe, présente un huis-clos obsédant dans un manoir hanté. Dans toute cette littérature gothique, la menace s’incarne dans chaque mur et est le plus souvent une résurgence d’un passé douloureux et caché. 20. Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité : Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, collection 128, 2005. 21. http://answers.yahoo.com/question/index?qid=20120217105605AA8WVle, lien consulté le 11 décembre 2014.

RÉSUMÉS

Cet article se propose d’étudier l’esthétique postmoderne à travers la série fantastique Charmed. En nous reposant sur les travaux du théoricien français Gérard Genette, nous envisageons l’une des caractéristiques majeures des œuvres postmodernes : l’intertextualité, c’est-à-dire, au sens large, la relation référentielle qu’entretient un texte B avec un texte A. Charmed est bien une série intertextuelle dans la mesure où elle recycle des œuvres passées et foisonne de références et de clins d’œil aux cultures populaire et élitaire. La série fait néanmoins un usage original de ces œuvres antérieures qui surgissent au fil des épisodes en les incorporant au sein de la diégèse et en leur conférant un rôle et un sens narratifs. La référence est réécrite pour amener un écho, une profondeur supplémentaire. Au-delà de ce recyclage intertextuel, Charmed procède aussi de sa propre réécriture et mobilise une autre figure clé de l’esthétique postmoderne que Gérard Genette définit également : le palimpseste. Par son recours récurrent aux sauts dans le temps et aux fins alternatives, la série se présente comme une œuvre qui expérimente des trames narratives, se rature et se réécrit. En dernier lieu, nous nous intéressons au rapport ambigu que Charmed entretient avec l’influence, autrement dit les œuvres qui l’ont précédée. En partant du concept d’« anxiety of influence » théorisé par le critique américain Harold Bloom, qui joue sur l’idée que l’influence est une source d’angoisse mais aussi une source ardemment recherchée (polysémie du terme « anxiety » en anglais), nous montrons que la série propose une résolution

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dialectique à cette tension : elle semble arguer du fait que l’acceptation de l’origine permet à terme de faire naître l’originalité.

This article proposes a study of postmodern aesthetics through the fantasy series Charmed. With the works of the French theoretician Gérard Genette as a basis, we will consider one of the major characteristics of postmodern works: intertextuality, which is to say, in the broad sense, the referential relationship that a text B maintains with a text A. Charmed is an intertextual series insofar as it recycles past works and abounds with references and nods to popular and elitist culture. Nevertheless, the series makes an original use of these past works that appear across the episodes by incorporating them into the and giving them a narrative role and sense. The reference is rewritten to introduce an echo, an additional depth. Beyond this intertextual recycling, Charmed undertakes its own rewriting and mobilizes another key figure in the postmodern aesthetic that Gérard Genette defines as well: the palimpsest. By its recurrent recourse to shifts in time and alternative endings, the series presents itself as a work that experiments with narrative frames, crossing out and rewriting itself. Finally, we will focus on the ambiguous relationship that Charmed sustains with influence, in other words the works that preceded it. From the concept of the “anxiety of influence” theorized by the American critic Harold Bloom, who situates the idea influence as not only a source but also something ardently sought (the double sense of the word “anxiety” in English), we will show that the series offers a dialectic resolution to this tension: it seems to argue that acceptance of influence’s origin permits, in the end, the emergence of .

INDEX

Mots-clés : Charmed, postmoderne, recyclage, intertextualité Keywords : Charmed, postmodern, recycling, intertextuality

AUTEUR

ALEXIS PICHARD Alexis Pichard est agrégé d’anglais et ATER à l’université Paris Ouest Nanterre la Défense. Il prépare une thèse de doctorat sur les séries américaines de l’après 11-Septembre et il est notamment l’auteur du Nouvel âge des séries américaines (Le Manuscrit, 2011, 2e éd. 2013) et des Séries américaines, la société réinventée ? (L’Harmattan, 2013) avec Aurélie Blot.

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High Fidelity: Adapting Fantasy to the Small Screen

Shannon Wells-Lassagne

1 When considering issues like echoes and refrains in relation to television, the of adaptation seems an obvious one: adaptations necessarily imply a distance (in format, if not in content) between source text and television adaptation, and the resulting reverberations make for a profitable analysis of the specificities of television and text. In recent years, there have been two notable fantasy adaptations to grace our screens: Game of Thrones (HBO, 2011- ) and True Blood (HBO, 2008- ). Adaptations are nothing new to the small screen – like feature-length films, adaptations have long been a mainstay of commercial television, but for the most part, they have been what British and American people refer to as mini-series, short-lived series of adaptations of generally classic novels that are not destined to see another season, like the many BBC adaptations of classic 19th-century novels (Austen, Dickens…) or American like Roots (ABC, 1997) or Lonesome Dove (CBS, 1989) – or, less prestigiously, countless Danielle Steele novels. The recurring television adaptations tend to fall into the category of genre fiction, as with Agatha Christie’s Poirot novels (or in France, Simenon’s Maigret) and this is no doubt to be expected – genre fiction privileges the and long-running series more adapted to TV format with its voracious need for a large number of stories. In genre fiction, most of these are detective stories or procedurals – that are not only already well-established on the small screen, but also less expensive and less risky than the other very popular type of genre fiction, fantasy. Fantasy after all necessarily requires special effects, with budgets that may not be within reach for television shows, and fantasy has – until now – remained more of a niche market, with a die-hard audience, but which did not necessarily translate into a popular following in the general public.

2 Things have changed, however – in the wake of Buffy the Vampire Slayer (The WB, 1997-2001, UPN, 2011-03), X-Files (FOX, 1993-2002), Xena: Warrior Princess (Syndication, 1995-2001) Lost (ABC, 2004-10), or Supernatural (The WB, 2005-2006, The CW, 2006- ) – the fantastic has made its successful appearance on the small screen1, no doubt explaining HBO’s willingness to translate the works of Charlaine Harris and George R.R.

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Martin to the screen. The supernatural series I have just mentioned, however, are all original series without a source text (unless you count the feature-length film version of Buffy, which creator Joss Whedon has essentially disowned as having little to nothing to do with his original idea and/or screenplay2). Having fantasy adaptations is new, and though Vampire Diaries (The CW, 2009-) has since followed in the wake of True Blood (partially in response to the popularity of True Blood and the Twilight franchise), Alan Ball brought this innovation to the screen after his previous success with Six Feet Under (HBO, 2001-05) or American Beauty (1999).

3 The fact that these are adaptations rather than original series may seem relatively unimportant when talking about television series; indeed, given the number of predecessors, one could perhaps call into question the extent to which these series are novel at all. But their role as adaptation is in fact crucial. After all, these series were largely chosen because of a significant fan base of faithful readers, implying a built-in audience, as well as an impressive pool of stories from which to draw for inspiration3: these are sound reasons to take on that otherwise imply intimidatingly large budgets in order to convince its audience. Indeed, Game of Thrones cost approximately 60 million dollars for Season 1, and the budget increased by 15% for Season 2, each of which was only 10 episodes to the traditional 12 for HBO series4.

4 To a large extent this paper was inspired by an article in The Atlantic, where writer Alyssa Rosenberg compares The Game of Thrones to True Blood in an attempt to pinpoint the ways in which the first succeeds where the older series fails5. In the end, the author determines that it all comes down to fidelity: Alan Ball’s show has added to the cast and the themes without building a convincing world for them to people, while Game of Thrones has remained true to the George R.R. Martin novel from which it draws its name, streamlining and adding to the , rather than the character list.

5 Of course the fact that fidelity is the core issue argued here to explain the success or failure of a series is ironic for several reasons: not only is it at odds with everything that adaptation theory has argued for decades6, but historically filmmakers originally turned to less “high literature” source texts in order to avoid the necessity to be faithful to a text made sacred by the canon, thus spawning some of the more successful if less faithful noir films. Beyond this, Alan Ball himself has argued against fidelity, insisting on its unfeasibility since the novel is in the first person, and he has to tell everyone’s story, and adding that he wants readers of the original Charlaine Harris novels to be surprised7. As such, I would like to examine the way that each approaches this specific issue of echoes of the source text in the finished product. Are these series “faithful”? To what? To whom? Fidelity, I would like to suggest, is not so simple as the relationship between text and television: the two series contain echoes not only of the source texts, but of their genre, their medium, their audience, and above all, their respective creators’ vision. As such, though I’ll mention the relationship between text and series briefly, I’ll be focusing on those other influences – the hidden source texts that the series are also adapting.

6 My initial comment that the obsession with fidelity is ironic is somewhat disingenuous: after all, though hard boiled novels allowed for new innovation both in terms of themes and aesthetics in film, conversely popular literature often has harsher standards for fidelity than does classic literature: thus the rumor about David Selznick not worrying about fidelity to Jane Eyre, but being frantic about retaining the essence of Daphne Du Maurier’s Rebecca or Margaret Mitchell’s Gone with the Wind, because “people have

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actually read them”8. It is clear that more people were attentive to the fidelity of the Harry Potter adaptations than they were to the adaptations of Vanity Fair, for example, and cult series like A Song of Ice and Fire or the Southern Vampire Mysteries could definitely expect to garner the same type of critical attention. Rosenberg’s criticisms, then, are unsurprising, but they are important in that the ultimate success of the series is linked to their success at translating as much of the source text as possible to the screen. Anyone who has seen faithful but lifeless adaptations of classic texts knows that this is not the case, and as such, we must ask ourselves if this is a case of the writer being overwhelmed with a case of “the book-was-better-itis” common in fans or if there are specific problems in adapting fantasy that should be addressed.

7 Upon first glance, it seems clear that Game of Thrones plays the fidelity game much more than does True Blood: author George R.R. Martin is an executive producer for the series and writes at least one episode per season, and the series goes to great pains to reproduce the feel of the world of Westeros in which the series takes place, even going so far as to mimic the structure of the novels themselves (each chapter is told from a different character’s point of view, set in a different place and focusing on a different plot than the one before; the series makes very effective use of cross cutting to similar effect). Alan Ball, on the other hand, seems resolutely opposed to fidelity to his source texts – in the fifth season, the series barely touched on the primary plot of the corresponding novel, Dead as a Doornail, where shapeshifters, having recently gone public like the vampires at the beginning of the series, are now subject to attack. This idea was minimized (shifters are still secret, and the recently retired local sheriff and square dancing champion is the “evil genius” behind the plot – his own ludicrous status tells the viewer much about the import of the plotline as a whole), while original storylines and characters largely dominated the season. Though season 1 was most faithful to the source text, from the incipit the nature of the (told wholly from Sookie’s first-person perspective) is willfully forsaken: rather than an intimate subjective vision of an increasingly crazy world, the series makes the decision to focus on an ensemble cast, and many of the characters that are soon killed off or disappear from the novels take on a storyline of their own as the seasons go by.

8 However, to come back once again to the original Atlantic article, the author insisted not only on fidelity to the source text, but to its world: fantasy (along with science fiction) is unusual in that it creates a world adjacent to our own, and that world must be as believable as the characters or the plotlines if the fiction is to succeed. Ultimately, I will argue that True Blood seeks to increase the echo between text and TV series, by creating a constant distance not only from its source text but also from its characters and the events its recounts. After all, True Blood recounts a world much like our own, that just so happens to be populated by supernatural creatures – by creating various defamiliarizing elements (including invented episodes, but also comic or outrageous effects to distance the viewer from the characters’ emotions), the show creators force us to pull back from the story and consider its implications. Game of Thrones, on the contrary, wants to pull the reader in, minimizing this “echo”: when creating a world more typical of the fantasy genre, with religions, languages, and political hierarchies that are familiar to the characters but not the viewer, a distancing effect would be disastrous to the suspension of disbelief necessary to enter these new worlds. This is perhaps best reflected in the opening credits of the series, where the maps that open

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Martin’s novel become three-dimensional and take shape before our eyes, literally bringing the viewer into this new world. (see plate 1)

Plate 1: A world coming to life for the viewer

Game of Thrones opening credits

9 Though I refer to both of these series as fantasy, they in fact harken back to very different traditions and contexts, to which they must also refer in order to position themselves for the audience: one is not just faithful to a text, but to the literary tradition that inspired the authors. Making a series about vampires like True Blood implies taking into account representations of vampires from Bram Stoker onwards, as symbols of animal nature, sexuality, exoticism, inner darkness, etc. Making a series about vampires in the wake of Twilight mania implies positioning oneself in relation to the for abstinence and self-control. It is no coincidence that our main character is a virgin that is soon corrupted by a vampire, and who thereafter spends most of her time naked. Nor is it surprising that the previous exoticism of the vampires takes on a decidedly Orientalist bent when the True Blood vampires become the symbol of otherness, of a minority that may or may not be dangerous to the “American way of life” attempting to fight for its rights, where the vampire authority figure (Eric Northman) makes his living by creating a theme bar that, we are told, is the Disneyland version of a vampire bar (1.4), complete with souvenir T-shirts9. Clearly, Harris chose this theme as a contradiction of a previous tradition, and Ball has taken that innovation and expanded on it. Its notes of comedy and camp could in fact be attributed to yet another tradition, the supernatural sitcoms mentioned earlier, since the premise is essentially the same – here, too, supernatural creatures are attempting to assimilate into American society more or less successfully, and comedy is the result as often as tragedy.

10 Likewise, like A Game of Thrones is also a fairly recent : though it harkens back to Arthurian from Sir Thomas Malory’s Le Morte d’Arthur on, it was J.R.R. Tolkien who created the genre of an imaginary medieval world as an for the onslaught of industrialization in Jolly old England, i.e. The Shire. Martin seems to be explicitly referencing the master – it is no coincidence that he goes

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by “GRR” Martin, like “JRR” Tolkien, and though he admits his fascination for Tolkien’s classic series The Lord of the Rings10, his saga chooses to counter Tolkien’s nostalgia with issues like slavery, corruption, sexual violence, and oppression, making it an echo of our own imperfect society. At the same time, Tolkien spawned not only literary, but cultural progeny – from Dungeons and to World of Warcraft, adapting high fantasy implies taking into account gaming fans as well as literary fans. As such, once again, the opening credits are a stroke of genius: the maps are reminiscent of Tolkien’s maps of Middle Earth (as well as the ever-broadening maps of Westeros with each new tome of A Song of Ice and Fire), and the camera movement from one area to another is very similar to the and movement of role-playing video games. Thus both True Blood and Game of Thrones acknowledge the tradition implicit in their source texts, though once again both undermine these traditions.

11 In order to give a practical example of the use of echo in True Blood and Game of Thrones, it seems appropriate to take a closer look at the framework each series provides in their opening moments; as such I will examine the cold opens of each pilot, to see exactly how they navigate this idea of proximity and distance in their world-building. The cold opens are important because in neither of the series do they include major characters or storylines that will be followed up in the ensuing episodes (at least not directly); instead, they serve to introduce the viewer to this new world, and give a concrete example of their relation to source text and to the viewer’s world.

12 The most striking thing about the opening of Game of Thrones is the silence, the solemnity with which it begins – clearly this is a series that is going to take its time the scene before advancing the action. The opening image of faces behind a gate initially show little difference from our own universe, and though we then see them dressed in medieval garb and on horseback, the defamiliarisation is minimal: they are not dressed gaudily, or in hose and doublet, or even stylishly, in leather catsuits à la Xena – these are dark, practical clothes, quite similar to our own when attempting to stay warm. Though this is clearly not our world, it is a recognizable one. (see plate 2)

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Plate 2: A recognizable world

Pilot of Game of Thrones

13 The fact that we cut from a gate opening to our characters going through a tunnel again emphasizes the idea that we are being drawn in to this world. It is only once we are “through the rabbit hole”, if you will, that we get our first glimpse of a truly fantastic element, the Wall (an enormous 700-foot tall wall of ice meant to separate civilization from the Wildlings and the who supposedly live on the other side). Even this sight is given to the viewer without fanfare or commentary, and is followed by yet another silence which allows the viewer to both absorb this new information and dread what this now-ominous silence portends. We are not disappointed, of course: the violence and the fantastical elements then come fast and furious. It is once the Rangers first encounter the dead bodies that the series picks up the prologue largely as Martin wrote it, with one marked difference: the circle of body parts. In the novel, the scout assumes the bodies are dead because they are not moving, but can not be absolutely sure they are not simply sleeping, and this change made to the textual blueprint is made all the more violent in its contrast to the quiet opening. Beyond this, the circle seems to echo the astrolabe of the credit sequence: now that the series has drawn in its viewer, it emphasizes the unique nature not only of Westeros, but also the unique nature of the television series. The authors, while attempting to hew closely to the novels, also declare their independence.

14 True Blood also begins with an entirely invented sequence, immediately showing that these will not be the Sookie Stackhouse adventures; the consequences of vampires coming out of the shadows obviously outweigh a simple concern with the ’s love life. The opening teaser is voluntarily as close to our world as possible (in possibly sleazier), whether it be bored over-sexed college students looking for a cheap thrill, the reference to Hurricane Katrina, or the political comedy show Real Time with Bill Maher (HBO, 2003-) broadcasting on the TV at a Quick-E Mart (given its libertarian leanings, perhaps that is the least likely of the elements of the opening). We are lulled into

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complacency, only to have our expectations confounded when it is the hillbilly, rather than the goth who is a vampire. (see plate 3)

Plate 3: Confounding expectations

Pilot of True Blood

15 Thus, rather than constantly attempting to pull us in to this world, Ball seems to be constantly pulling us back out: though we recognize this world, we should not be drawing assumptions. The vampire figure is not a vampire, the hillbilly character is not a hillbilly, and this is not reality, but TV.

16 Indeed, one of the ways that True Blood pulls us out of the story is quite simply by referencing its very nature as TV series on HBO. Real Time with Bill Maher is also an HBO show, and the pilot will go on to show Arlene, a fellow waitress at the bar where protagonist Sookie Stackhouse works, on the phone to her children, commenting: “If René thinks you’re too young to watch a scary movie on HBO, I’m gonna side with him.” (1.01) Later, one vampire will immobilize another by braining her with a plasma television – literally, we are being hit over the head with the idea that this is TV. (see plate 4)

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Plate 4: TV is a weapon.

pilot of True Blood

17 Though the pilot also shows Sookie’s Gran reading a Charlene Harris book, thus explicitly acknowledging the source text, Sookie’s beloved mentor then puts the novel away to listen to Sookie’s story about the first sighting of Vampire Bill at Merlotte’s bar – clearly, the book has been read, and then abandoned11.

18 Just as the viewer is constantly reminded not to get too sucked in to the story, that it is only TV, so Ball will continually frustrate viewers who tune in for the love stories that dominate the novels: Eric and Sookie might finally have their famous shower scene (4.8), a titillating set piece that kicks off their romantic relationship and remains a favorite of fans of the novel, but showrunner Alan Ball will not allow the viewer to simply bask the or the eroticism of it all; instead, this will be a surreal episode of a drug high, reminiscent of the relationship between Jason Stackhouse and psychopath Amy (1.9), whose drug-fueled relationship led to murder (of a vampire and Amy herself). (see plates 5 to8)

Plates 5 and 6: A fantasy sequence that hearkens back to season 1

True Blood, 4.8

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Plates 7 and 8: The apparently idyllic (but drug-fuelled) dream

True Blood, 1.9

19 In so doing, the viewer must take a step back – not just from the source text, but from the TV series itself, and acknowledge that the series is not simply a plotline (who will Sookie sleep with next?), but a series of or about difference, religion, and sexuality in contemporary America. Though titillation remains a major part of the series, Ball never allows us to lapse into complacency, passively enjoying the eye candy: instead we are forced to acknowledge our voyeurism and the sentimental nature of our desire for the heroine to end up with our favorite sexy vampire, whichever character that may be. If we can take up the metaphor of the echo once again, we could say that by increasing the distance between novel and series, between story and suspension of disbelief, the resonance (political and artistic) increases.

20 Of course “it’s not TV, it’s HBO”! The premium cable channel has made itself not just a studio, but a brand, characterized as “quality television”, with complex and often unlikeable , provocative topics, and lots of sex and violence. Both True Blood and Game of Thrones are noticeably more sexy and gory than their sources (as the body parts in the Game of Thrones cold open can attest), and the actors and producers are insistent that these are HBO shows – it could only happen on HBO, says Peter Dinklage12, while Kit Harington declares that despite the fantasy trappings, Game of Thrones is like any other HBO show 13. Both True Blood and Game of Thrones have come under fire for their provocative sexuality, making TV critics regard the one as a guilty pleasure, while the other comes under fire for its use of “sexposition” – sex scenes going on in the background while exposition is given, in an attempt to keep the viewer’s interest (though perhaps not his whole attention)14.

21 I would like to conclude by discussing a comment made by George R.R. Martin in an interview about Game of Thrones15. He spoke of “The Butterfly Effect” in relation to adaptation, referring of course to the where the rich can go back in time and hunt dinosaurs – but one of them steps off the path and steps on a butterfly, and the world they come back to is unrecognizable. Martin suggests that for each change made to the original story, there is a domino effect for the rest of the story to come (he was speaking specifically of a character who is injured in a way that makes his further participation in the plot impossible). Going along with that, I would say that adapting these novels for the screen is changing the past, and therefore creating a new future – though we create perhaps parallel universes rather than obliterating the past. Though these two series take very different stances towards fidelity, whether it be to text, genre, medium, or channel, their end goals are essentially the same: to create an enjoyable experience that allows viewers to ponder the relationship between their world and ours. Given the audiences and the debates waged every Sunday night, I would argue that both these series are therefore successful adaptations.

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NOTES

1. The supernatural was fairly popular in the 1960s and 70s, with supernatural sitcoms like Bewitched (ABC, 1964-72), The Munsters (CBS,1964-66), or The Addams Family (ABC, 1964-66), or action shows like The Incredible (CBS, 1978-82) or (ABC, 1975-79), but had since died out, and had never really been treated in the guise of drama. 2. With the notable exception of the comic-book adaptations The Incredible Hulk and Wonder Woman, as mentioned above; one may of course question whether or not fiction constitutes fantasy or not, though a complete definition is beyond the boundaries of this analysis. 3. The Southern Vampire Mysteries upon which True Blood is based had just published its 12 th installment of Sookie Stackhouse adventures (Deadlocked, published in May 2012), and A Song of Ice and Fire, the source text for Game of Thrones, has five volumes, doorstoppers of about 800 pages each, the last of them (A Dance with Dragons) clocking in at 1100 pages. 4. June Thomas, “How much gold is Game of Thrones worth?”, Slate, March 29th, 2012, http:// www.slate.com/articles/arts/culturebox/2012/03/ game_of_thrones_how_hbo_and_showtime_make_money_despite_low_ratings_.html, last consulted December 8th, 2014. 5. Alyssa Rosenberg, “Fantasy on TV: How ‘Game of Thrones’ succeeds where ‘True Blood’ fails”, The Atlantic, August 31, 2011. http://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2011/08/ fantasy-on-tv-how-game-of-thrones- succeeds-where-true-blood-fails/244365/, last consulted December 8th 2014. 6. Current adaptation theory has essentially been constructed on a refusal of the premise that adaptations can only be analysed in relation to their faithfulness to their sources; cf. Kamilla Elliott, Rethinking the Novel/Film Debate, Cambridge, Cambridge University Press, 2003; Linda Hutcheon, A Theory of Adaptation, New York, Routledge, 2006; Thomas Leitch, Film Adaptation and Its Discontents: From Gone with the Wind to The Passion of the Christ, Baltimore, John Hopkins University Press, 2007; Robert Stam (ed.), Literature and Film: A Guide to the Theory and Practice of

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Film Adaptation, Malden, MA, Blackwell, 2005; Deborah Cartmell and Imelda Whelehan, Screen Adaptation: Impure Cinema, London, Palgrave Macmillan, 2010. 7. Tim Stack, “‘True Blood’: Alan Ball and Charlaine Harris discuss Sunday’s shocking death of [SPOILER]”, Entertainment Weekly, July 12th, 2011. www.insidetv.ew.com/2011/07/12/true-blood- alan-ball-claudine-death/, last consulted December 2014. 8. James Naremore, “Introduction”, Film Adaptation, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 2000, p. 11-12. 9. In his now canonical work Orientalism that essentially began Postcolonial studies, Edward Saïd suggests that the European vision of “Orientals” (read: non-Westerners) makes them primarily representations of “Otherness”, both in a negative sense, garnering all of the West’s most pernicious qualities (licentiousness, violence, laziness, bestiality, etc.) as well as in a more positive sense, as exotic and mysterious. Thus, Saïd insists that Western culture has largely been built in response to this Oriental other. More importantly, Saïd suggests that this vision has not only shaped the West, but “the Orient” as well, which has come to conform to Western expectations. This conformity to well-known stereotypes is of course the basis of Fangtasia’s success, though Eric Northman is portrayed as being self-aware, profiting from the implicit racism rather than seeking to curtail it. Edward Saïd, Orientalism, New York, Random House, 1979. 10. Lev Grossman, “George R.R. Martin’s Dance with Dragons: A Masterpiece Worthy of Tolkien”, in Time, July 7th, 2011, www.time.com/time/arts/article/0,8599,2081774,00.html, last consulted December 2014. 11. In fact, Gran herself will soon suffer the same fate as the novel, as she is soon the victim of a vampire-hating serial killer; she is dismissed from the plot of the series, but will be occasionally revived later in the show for the purposes of the narrative. 12. The actor said as much during his Emmy acceptance speech: www.youtube.com/#/watch? v=lu8pSihUJvM&desktop_uri=%2Fwatch%3Fv%3Dlu8pSihUJvM, consulted September 2014. 13. Jace Lacob, “Kit Harington on ‘Game of Thrones’, Fame, and playing emo hero Jon Snow”, The Daily Beast, April 9th, 2012. http://www.thedailybeast.com/articles/2012/04/09/kit-harington-on- game-of-thrones-fame-and-playing-emo-hero-jon-snow.html, consulted December 2014. 14. See for example Mary McNamara, “HBO, you’re busted”, Los Angeles Times, July 3rd, 2011; or James Poniewozik, “Breast Practices: Too many boobs in Game of Thrones?”, Time, July 7th, 2011. 15. Adam Pasick, “George R.R. Martin on his favorite Game of Thrones actors, and the Butterfly Effect of TV Adaptations”, Vulture, October 20th, 2011. http://www.vulture.com/2011/10/ george_rr_martin_on_his_favori.html, last consulted December 2014.

ABSTRACTS

In an article in The Atlantic, Alyssa Rosenberg compares HBO series Game of Thrones to True Blood in an attempt to pinpoint the ways in which the first succeeds where the older series fails. In the end, the author determines that it all comes down to fidelity: Alan Ball’s show has added to the cast and the themes without building a convincing world for them to people, while Game of Thrones has remained true to the George R.R. Martin novel from which it draws its name, streamlining and adding to the characterization, rather than the character list. Of course the fact that fidelity is the core issue argued here is ironic for several reasons: not only is it at odds with everything that adaptation theory has argued for decades, but historically

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filmmakers originally turned to less “high literature” source texts in order to avoid the necessity to be faithful to a text made sacred by the canon, thus spawning some of the more successful if less faithful noir films. Beyond this, Ball himself has argued against fidelity, insisting that as the novel is in the first person, he has to tell everyone’s story, and that he wants readers of the original Charlaine Harris novels to be surprised. As such, I would like to examine the way that each approaches this specific issue of echoes of the source text in the finished product. Ultimately, I will argue that True Blood seeks to increase the echo, by creating a constant distance not only from its source text but also from its characters and the events its recounts. After all, True Blood recounts a world much like our own, that just so happens to be populated by supernatural creatures – by creating various defamiliarizing elements (including invented episodes, but also comic or outrageous effects to distance the viewer from the characters’ emotions), the show creators force us to pull back from the story and consider its implications. Game of Thrones, on the contrary, wants to pull the reader in, minimizing this “echo”: when creating a world more typical of the fantasy genre, with religions, languages, and political hierarchies that are familiar to the characters but not the viewer, a distancing effect would be disastrous to the suspension of disbelief necessary to enter these new worlds. I will also argue that the “source text” is not singular in either case – the two series adapt not just a novel or series of novels, but a tradition. True Blood cannot be studied separately from the long tradition of vampire texts equating vampirism with sexuality, and certainly is set up in echo (and contrast) to the more recent phenomenon of teenage vampire romances, where the “messy” aspects of sex (and its inevitable moral and political ramifications) become manifest in the death and gore characteristic of the series. Likewise, Game of Thrones clearly harkens back to that founding text of the fantasy genre, The Lord of the Rings (as well as its film adaptation), and replaces Tolkien’s nostalgia with a voluntarily “gritty” realism, where rape, murder, corruption and general injustice makes it an echo of our own imperfect society. As such, we can argue that though the two series take very different approaches to the idea of fidelity, their end goal seems to be similar: they seek to heighten the viewer’s awareness of the political ramifications of these fantasy worlds, and so acknowledge the echoes to be found in the world outside the television screen.

Dans un article paru dans The Atlantic, Alyssa Rosenberg compare la série Game of Thrones (HBO) à True Blood dans une tentative d’identifier les manières dont la première réussit tandis que l’autre échoue. Enfin, l’auteure détermine qu’il s’agit d’une question de fidélité : la série d’Alan Ball rajoute des personnages et des thématiques, sans pour autant leur construire un univers convaincant à peupler, alors que Game of Thrones demeure fidèle au roman de George R.R. Martin dont il tire son titre, tout en rationalisant le récit et en enrichissant la représentation des personnages, plutôt qu’en en augmentant la liste. Bien entendu, le fait que la fidélité soit l’enjeu principal de ce raisonnement paraît bien ironique, et pour plusieurs raisons : il est non seulement en contradiction avec tout ce que la théorie de l’adaptation maintient depuis des décennies, mais aussi, sur le plan historique, avec le fait que les réalisateurs ont à l’origine privilégié des textes- source provenant d’une littérature moins « haute » dans le dessein d’éviter la nécessité d’être fidèle à un texte consacré par le canon, ainsi engendrant certains des films noirs les plus réussis, à défaut d’être fidèles. En outre, Ball a lui-même avancé des arguments contre la fidélité, en insistant qu’il lui revenait de raconter l’histoire de tous les personnages, étant donné que le roman est écrit à la première personne, et qu’il voulait que les lecteurs des romans originaux de Charlaine Harris soient surpris. Ainsi, je voudrais étudier la façon dont chacun des réalisateurs aborde cette problématique spécifique des échos du texte-source dans le produit fini. En fin de compte, je souhaite soutenir que True Blood cherche à augmenter cet écho, en créant une distance constante non seulement avec son texte-source mais aussi avec ses personnages et les événements que la série raconte. Enfin, True Blood dépeint un monde très similaire au nôtre, qui

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se trouve, par la même occasion, peuplé d’êtres fantastiques — en produisant de divers effets de dépaysement (dont des épisodes inventés, mais aussi des effets comiques ou scandaleux mis en place afin de créer une distance entre le spectateur et les émotions des personnages), les concepteurs de la série nous forcent à nous prendre du recul par rapport au récit et à réfléchir à ses implications. En revanche, Game of Thrones veut attirer le lecteur, en réduisant cet écho au maximum : lors de la création d’un univers plus typique du genre fantastique, avec des religions, des langues, et des hiérarchies politiques qui sont familières aux personnages mais inconnues des spectateurs, un effet de dépaysement serait désastreux à la suspension d’incrédulité nécessaire pour entrer dans ces mondes nouveaux. Je soutiendrai aussi que le « texte-source » n’est pas unique dans les deux cas — les deux séries adaptent non seulement un roman ou une série de romans, mais une tradition. Il est impossible d’isoler True Blood de la longue tradition des textes sur les vampires, qui relie le vampirisme à la sexualité, et du phénomène récent des romances de vampires pour adolescents, où les aspects « chaotiques » du sexe (et ses conséquences morales et politiques inévitables) se manifestent par la mort et le sang qui caractérisent la série. De même, Game of Thrones rappelle clairement un texte fondateur du genre fantastique, Le Seigneur des anneaux (ainsi que son adaptation cinématographique), et remplace la nostalgie éprouvée pour l’univers de Tolkien par un réalisme « cru », où le viol, le meurtre, la corruption et l’injustice générale font de la série un écho de notre propre société imparfaite. Alors, nous pouvons soutenir que si les deux séries abordent la notion de la fidélité de deux manières très différentes, leurs buts paraissent similaires : elles cherchent à rendre les spectateurs plus conscients des implications politiques de ces mondes fantastiques, afin de reconnaître les échos de celles-ci dans le monde en-dehors de l’écran.

INDEX

Mots-clés: True Blood, Game of Thrones, fantasy, adaptation Keywords: True Blood, Game of Thrones, fantasy, adaptation

AUTHOR

SHANNON WELLS-LASSAGNE Shannon Wells-Lassagne is an associate professor (maître de conférences) at the Université de Bretagne Sud in Lorient, France. She works primarily on the relationship between literature and film and television. She is the co-author (with Laurent Mellet) of Étudier l’adaptation filmique: cinéma anglais, cinéma américain (Presses Universitaires de Rennes, 2010), and the co-editor (with Ariane Hudelet) of Screening Text: Critical Perspectives on Film Adaptation (McFarland, 2013), De la page blanche aux salles obscures: l’adaptation filmique dans le monde anglophone (Presses Universitaires de Rennes, 2011), and (with Delphine Letort) of L’Adaptation cinématographique: premières pages, premiers plans (Mare et Martin, 2014). She has also edited special issues of Interfaces (“Expanding Adaptations”, No. 34, with Ariane Hudelet) and GRAAT Online (“Television and : New Avenues in ”, No. 15, with Georges-Claude Guilbert). Her work has appeared in The Journal of Adaptation in Film and Performance, Critical Studies in Television, Études britanniques contemporaines, Irish Studies Review, The Journal of the Short Story in English, Cinémaction, and Études irlandaises.

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Par le petit écran de Fringe

Aurélie Villers

1 Deuxième série phare de J.J. Abrams après Lost (ABC, 2004-2010), Fringe (Fox, 2008-2013) étale sur ses cinq saisons la vie trépidante de ses personnages principaux (de classiques agents du FBI faisant équipe avec un savant fou), explore le paranormal, replie les univers, verse dans le genre dystopique et ne se refuse pas de pertinentes réflexions métafictionnelles. Elle se place dans une tradition de séries et de films de science- fiction à suspense auxquels elle rend hommage tout en innovant et en présentant des complexités narratives et formelles. On peut rendre compte de cette diversité formelle en prenant la série par le petit bout de la lorgnette – en examinant ici la présence des écrans, et tout particulièrement des écrans de télévision.

1. Jeu de pistes intertextuel

2 Fringe est par excellence une série « jeu de pistes » qui cultive le plaisir de la reconnaissance et celui de la citation, voire de l’autocitation dans le cas d’objets récurrents (la main, l’hippocampe, le papillon, la fleur, la pomme, la grenouille, etc.). Nous commencerons par dresser une rapide typologie de citations intertexuelles des œuvres du petit écran, voire du grand écran, telles qu’elles sont insérées dans la série, qu’elles prennent la forme de clin d’œil, d’hommage ou de commentaire.

3 Repère intertexuel fondamental, le clin d’œil à d’autres œuvres est la première forme de jeu de piste que l’on remarque. Ainsi, pour cultiver le plaisir de la reconnaissance chez les fans, la série parsème ses épisodes de fugaces références, comme elle le fait avec ses objets fétiches. Le spectateur attentif pourra ainsi, au détour d’un plan rapide, repérer un oiseau de cartoon ou une créature des Monthy Pythons (5.9), de vieux écrans vus dans Brazil (Terry Gilliam, 1985) (5.1), une ouverture à la StarWars (George Lucas, 1977) (4.19), mais aussi quelques plans classiques issus de Lost (3.19, 5.1). La série Fringe s’ouvre en effet elle aussi sur un crash d’avion qui va être l’occasion de phénomènes surnaturels. Dans presque tous les épisodes de la saison 5, on retrouve également une trappe semblable à celle qui est découverte par Boone et Locke et qui donne accès au bunker souterrain. De même, l’épisode 15 de la saison 1 débute, après le générique, sur

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l’œil d’Olivia, comme dans la célèbre ouverture de Lost sur l’œil de Jack, plan d’ailleurs repris et dérivé tout au long de la série. Enfin, les vidéos de Walter qui jalonnent la saison 5 ne peuvent que rappeler aux fans celles de l’initiative Dharma dans Lost : un scientifique en blouse blanche qui évoque des projets obscurs, et dont le discours est d’autant plus cryptique que la bande des vidéos est endommagée. Une deuxième forme de citation intertextuelle est celle du passage obligé. Comme bien d’autres, Fringe a cédé à cette tendance avec l’épisode « Black Betty » (2.20), qui se veut à la fois un épisode de comédie musicale, comme dans Buffy (WB, UPN, 1997-2003), et un épisode « Noir », comme dans Castle (ABC, 2009- ), rendant ainsi doublement hommage aux premières séries qui ont eu recours au passage obligé ainsi qu’à ces deux genres du grand écran.

4 Dépassant l’hommage fugace, la série se place aussi parfois directement sous l’égide d’une référence classique. Fringe se laisse à l’occasion envahir, voire contaminer, par l’esthétique unique et reconnaissable d’un chef d’œuvre du grand écran : le procédé rotoscopique de A Scanner Darkly (Richard Linklater, 2006) dans l’épisode 9 de la saison 3, cartoon « à la Gilliam » dans l’épisode 9 de la saison 51, traitement de l’image comme dans Vidéodrome (David Cronenberg, 1983), par exemple. Dans le cas de A Scanner Darkly et du cartoon, la série s’offre pour ainsi dire un voyage métaleptique dans un film ou une série remarquables en raison de la prouesse technique mobilisée (voir figures 1 et 2). Lors de la reprise du procédé de A Scanner Darkly, l’esthétique d’une autre œuvre s’adapte aux personnages de Fringe. Dans celui de la séquence typique des Monty Pythons, les personnages des deux œuvres se mêlent. Néanmoins, à chaque fois, le spectateur fait l’expérience du paradoxe d’un voyage défamiliarisant alors même qu’il est projeté dans un insert dont la forme est connue, à défaut d’être familière. Il trouve l’inconnu dans le connu. L’hommage intertextuel sert aussi à cultiver la rupture.

Fig. 1 : Hommage à A Scanner Darkly (3.19)

Fig. 2 : Hommage aux cartoons de Terry Gilliam (5.9)

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5 Le cas du traitement de l’image rappelant Vidéodrome est plus ambigu et pas toujours explicite. Néanmoins, par la répétition des emprunts, ce procédé en vient à connoter positivement la série qui se colore du cachet de l’esthétique singulière de son modèle. Cette image vieillie et diaprée des années 1970 est notable et n’est pas utilisée par hasard, d’autant qu’elle est associée à l’objet-clé du film : un écran de télévision (voir figure 3). C’est celui sur lequel Walter regarde ses vidéocassettes au cours des cinq saisons. Mais même ce que contenait l’écran de Vidéodrome se retrouve dans Fringe : des parties du corps qui le traversent pour sortir littéralement de l’écran et envahissent le monde de référence (virus informatique qui tue l’utilisateur : 2.12), des femmes et des jeunes filles dont on abuse (2.1) et qui sont les objets des expériences scientifiques de Walter Bishop et William Bell.

Fig. 3 : Hommage à Vidéodrome (2.1)

6 Enfin, déplaçant la simple référence, l’hommage intertextuel est utilisé comme commentaire (souvent proleptique) de la scène dans laquelle il est inséré. Dans l’épisode qui ouvre la saison 5, le personnage de Markham déjeune tranquillement devant la série télévisée Maverick de Roy Huggins (1957). Plus qu’une citation destinée aux fans, ce cas nous montre que l’intertextualité, par petit écran interposé, explique la scène en cours. Markham prend l’épisode pour ce qu’il est – une fiction divertissante –

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et ne lui accorde que peu d’importance. La scène est pourtant comiquement proleptique car l’un des personnages met Maverick en garde : « Let’s get out of here Maverick, you don’t want any trouble ». Ce à quoi l’intéressé répond : « You’re right Doc, not that kind »2 avant de frapper son adversaire. Juste après, Markham, qui n’a pas écouté le conseil de la fiction et qui est toujours là, s’empare de son fusil pour se défendre face à Peter qui le désarme aussi vite que Maverick a réduit son adversaire à l’impuissance.

7 Les emprunts et hommages sont toujours faits en ayant pleinement conscience de leur impact. Du clin d’œil au commentaire, les auteurs ont montré qu’ils savaient utiliser la comparaison pour la dépasser. Ce n’est donc pas un hasard si l’on aperçoit brièvement un épisode de X-Files (Fox, 1993-2002) qui passe sur un téléviseur en arrière-plan de l’enquête du premier épisode de la saison 2. La première saison de Fringe avait souvent été accusée de n’être qu’une pâle copie de son célèbre prédécesseur des années 1990. En débutant la saison 2 par cet hommage explicite, les créateurs entendaient montrer qu’ils étaient conscients du reproche. Mais le modèle encadré est inséré dans l’écran englobant de la série Fringe, qui suggère peut-être ainsi qu’elle va la dépasser et donner au modèle initial une autre dimension. L’écran est donc souvent une petite fenêtre annexe, ouverte dans un coin pour le spectateur, plus qu’il ne s’adresse aux personnages auxquels il est originellement destiné. Dans la série, les citations jouent avec le cadre de l’écran pour lui donner différentes valeurs. Mais ce cadre doit rester matérialisé et ne devrait pas être transgressé car, alors, il contamine le réel qui l’entoure (ce que nous apprenait Vidéodrome). La leçon de Fringe, c’est bien qu’il ne faut jamais confondre les univers. Toute métalepse est à proscrire, nous explique l’épisode 12 de la saison 1, dans lequel un programme virus, quand il est activé, attaque matériellement l’utilisateur : une main sort de l’écran et tue la victime.

2. L’écran comme lieu de fiction

8 Au-delà des hommages, la majorité des écrans jouent un rôle central dans le propos de la série ou de l’épisode. Ils diffusent des programmes ou des informations que les personnages regardent et utilisent, qu’il s’agisse d’indices de réalisme ou de fictionnalité. Ils servent à créer un effet de réel, ont une valeur programmatique ou permettent de regarder de la fiction.

9 La plupart du temps, l’écran est inoffensif et signale même la banalité du réel. À la fin du premier épisode de la série, l’équipe fait irruption dans l’appartement du suspect, lequel vient juste de fuir. Mais la télévision est encore allumée sur un programme culinaire, connotant à la fois le quotidien de l’univers domestique, qui est loin de correspondre au profil du suspect, et l’anormalité de l’absence de ce dernier, annonciatrice de sa culpabilité. Comme dans bien des séries, les téléviseurs de Fringe ont cette fonction paradoxale qui consiste à connoter le réel et à rappeler en retour au spectateur la nature fictionnelle de ce qu’il regarde. Ainsi, systématiquement, les multiples téléviseurs du bureau du FBI retransmettent les programmes d’information, généralement une version « officielle » et donc tronquée de l’enquête qui nous occupe, mais qui s’avère paradoxalement beaucoup plus réaliste que l’enquête surnaturelle que l’épisode s’apprête à raconter. Dans l’épisode 15 de la première saison, alors que l’équipe enquête sur une chimère monstrueuse, le flash info évoque les attaques d’un « monstre » mais se clôt sur l’image d’un puma. Les écrans des ordinateurs suggèrent

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eux une intense activité de recherche dont le spectateur ne verra jamais le détail (portraits , rapports, cartes, etc.). Toujours en arrière-plan, aucun personnage principal ne les regarde ni ne les commente. Ils ne servent qu’à évoquer le travail en cours et à souligner, par métonymie, les efforts mis en œuvre par le FBI. De façon similaire, même si Walter ne travaille sur aucun cas, les écrans de son laboratoire de Harvard montrent toujours quelque traduction visuelle d’un procédé scientifique (graphique, équation). Cherchant à promouvoir la vulgarisation scientifique, l’écran donne à voir la science, l’image étant plus compréhensible que des termes abscons, ou que le simple fait de voir des scientifiques qui s’activent. Mais il sert avant tout à définir le lieu où il est placé de façon métonymique, tout en créant un effet un réalisme absolument improbable.

10 Plus il y a d’écrans allumés, plus l’heure est grave, plus les équipes s’affairent en vue de faire progresser l’enquête, doit-on comprendre. Mais l’écran réaliste doit rester un objet passif que l’on active. Lorsqu’il s’allume seul et devient quasiment agissant, comme dans l’épisode 9 de la saison 1, il signale l’anormal. Vecteur de surnaturel, il permet alors à un John Scott décédé de contacter Olivia. Le phénomène est identique dans les cas où l’on nous montre des écrans de surveillance : plus il y en a, plus l’enfermement est strict et plus la menace est grande. Les écrans sont ainsi utilisés lors des scènes qui se déroulent dans la prison allemande qui détient Jones, et dans l’hôpital psychiatrique Saint Claire où Walter retourne momentanément pour le bien d’une mission. La succession des plans directs et de plans montrés par le biais d’une caméra de surveillance est croissante et redouble l’idée d’enfermement. Dans le cas de Jones, ce procédé dénote l’idée d’enfermement absolu et rend encore plus spectaculaire son évasion. En ce qui concerne Walter, ce montage montre qu’une simple visite est vouée à se prolonger anormalement. Walter ne ressortira pas aussi rapidement ni aussi aisément qu’on aurait pu le croire. Mais, plus que cela encore, lorsque ces plans sont directement montrés au spectateur et non aux personnages, ils annoncent leur échec de façon presque programmatique : Jones s’évadera forcément ; Walter, visiteur temporaire de Saint Claire retenu contre toute attente, finira bien par ressortir le lendemain. Ces écrans de surveillance ne sont finalement que des obstacles narratifs, des péripéties. Ils ont une valeur programmatique qu’il convient de considérer à présent.

11 Fringe est une série sur la contamination et la peur des épidémies de masse. Ce que l’on nous montre dans un écran finit invariablement pas dépasser ses limites et sortir de son cadre. La fiction vient contaminer le réel, de façon parfois relativement inoffensive. Il faut alors accorder à ces écrans une valeur programmatique. Dans l’épisode noir « Black Betty » (2.20), Olivia observe Nina qui complote avec William Bell par l’intermédiaire d’un écran (voir figure 4). Ce cadre signale que l’on rend présent un être éloigné. Mais, de façon plus intéressante, la représentation de Bell annonce l’épisode rotoscopique qui nous sera donné à voir dans la saison suivante (3.9) et qui évoque A Scanner Darkly (voir figure 5). L’écran est programmatique, ou plutôt, il joue sur l’effet d’annonce qui invite au re-visionnage.

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Fig. 4 : Allusion programmatique à A Scanner Darkly (2.20)

Fig.5 : Épisode rotoscopique et référence à A Scanner Darkly (3.9)

12 L’écran, en dernière analyse, délimite un espace permettant de regarder ailleurs. Le regard passe dans l’autre monde, le cadre signale un changement de régime métaleptique, donnant en retour une pseudo réalité au monde qui le contient. Le va-et- vient est constant entre deux tendances : d’une part, utiliser les écrans pour renforcer le caractère réel du monde qui les contient (pour preuve, dans l’écran, Bell est plus proche de la fiction, d’un personnage de dessin animé, que d’un être humain réel) ; d’autre part, jouer sur des effets de cadrage pour rappeler la nature fictionnelle de ce qui se joue. Un Walter qui regarde un interrogatoire de l’autre côté d’un miroir sans teint (qui a la forme d’un grand écran) va par exemple s’exclamer : « This is wonderful, don’t you agree ? Just like a good detective movie. »3 (1.13, 16’07)

13 C’est en se plongeant dans l’écran que l’on s’immerge dans la fiction. L’un des premiers gadgets futuristes que Walter ait inventé est une fenêtre (qui ressemble beaucoup à un écran) au début de l’épisode 16 de la saison 2, épisode qui replonge dans le passé de 1985. Il utilise cet écran pour espionner Walternate (son double dans le monde parallèle) et voir en temps réel ce qui se passe dans cet univers parallèle, fiction du monde d’origine. La première visée de cet espionnage est : le simple passage du regard dans l’autre monde est donc apparemment aussi inoffensif que le visionnage d’un film, suggérant peut-être même que la fiction recèle des remèdes qui nous sont encore inconnus. Walter suit les recherches de son alter-ego, Walternate, qui tente de

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mettre au point un remède pour son fils atteint d’un mal incurable (ce qui est également le cas du fils de Walter). Par le moyen de cet écran, les deux personnages unissent indirectement leurs forces pour un Bien plus grand. Dans les faits, ce sera l’étape initiale du drame qui va motiver toute la série. En un sens, par cet écran enchâssé, et dans cet épisode analeptique, nous assistons à la genèse de Fringe : ce n’est pas tant la naissance d’un enfant, mais sa mort, qui va pousser le parent à aller plus loin que la création d’une fiction mentale de sauvetage ou de résurrection. Walter va passer dans la fiction pour rendre son fantasme réel et aller chercher dans l’autre univers le double du fils qu’il vient de perdre.

14 Mais, dans Fringe, le dedans sort irrémédiablement du cadre. Le contenant échoue à circonscrire le contenu. Il en est de même des deux univers : regarder ne suffit jamais. La vision crée la tentation et les deux univers vont se contaminer à travers l’écran. Walter étant le personnage qui a créé cette perméabilité et cette contamination, il aura pour caractéristique de souvent confondre réel et fiction. Il prend le réel pour un film policier, on l’a vu, mais il prend parfois la fiction pour sa propre réalité. Ainsi dans l’épisode 7 de la saison 5 (8’00), il raconte ce qui est arrivé à Bell (qui les a trahis et a pris le parti des «Observers »), et qui terrifie tout le monde, les personnages comme les spectateurs ; pour entendre Astrid lui répondre : « Walter, this is the movie Marathon Man!4 » L’écran, c’est aussi le portail, un passage dimensionnel que Walter va inventer. Le but est louable, mais l’homme est faible. Walternate a mis au point l’antidote qui permet de sauver son fils mourant mais il ne l’a pas compris, au contraire du Walter qui l’observait depuis son monde. Walter passe donc dans le monde parallèle pour aller chercher Peter et le ramène pour le guérir. Cependant, la tentation de combler le vide laissé par son fils mort est trop grande : il garde auprès de lui son enfant fictif. Il vole à la fiction, en concrétise une part et déclenche toute une série de collisions entre les mondes. Les écrans permettent de laisser passer plus que le regard, mais la fenêtre et le portail sont assimilables à un autre titre. La fenêtre se présente comme un écran de télévision, et au retour, le portail est activé par Walter au moyen d’une « simple » télécommande. Une fois ce portail ouvert débute la contamination. Nina tente de le traverser, mais il se referme sur son bras et le coupe. La partie qui est restée dans l’autre univers sera remplacée par une prothèse, tandis que son irruption dans l’écran la rapproche un peu plus de l’état de personnage et l’éloigne de celui d’être humain. Quand Robert David Jones, lui, tente de fuir dans l’univers parallèle (1.20) au moyen du même portail (activé cette fois par des ordinateurs dont on ne voit que les écrans), c’est l’ensemble du monde « réel » qui subit une fictionnalisation. À mesure que s’ouvre le portail, le monde se change en film d’horreur. Le portail prend l’apparence d’un écran de cinéma qui projetterait un vieux film en noir et blanc à la Nosferatu (F.W. Murnau, 1922), tandis que le monde d’origine se change en parodie des X Files ou d’un film d’horreur dont il reprendrait les clichés (décor de forêt nocturne, orage, monstre couvert de bandelettes, musique). La leçon donnée par le sort qu’a connu Nina annonce la chute de la scène. Le portail se referme au moment où Jones allait passer. Il se retrouve donc coupé en deux. La science, même fiction, ne peut alors vraiment plus rien pour lui. L’équipe, impuissante, n’a plus qu’à regarder le film qui se joue là.

15 Quand l’écran n’est pas poreux, c’est le monde qui l’entoure qui l’est, ce qui conduit le spectateur à hésiter encore plus entre réel et fiction. Une scène est remarquable à cet égard. Dans l’épisode 7 de la saison 3, on découvre un extrait du film Casablanca (Michael Curtiz, 1942) intégré à l’intrigue (41’-42’). À ce moment, Fauxlivia (double d’Olivia vivant dans l’univers alternatif) a été transférée dans le monde initial en se

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faisant justement passer pour Olivia. Elle vit avec Peter, qui la prend pour Olivia. C’est à l’occasion du visionnage du film qu’il va comprendre la véritable identité de la femme avec laquelle il vit : elle est une autre version de celle qu’il aime, une fiction, d’autant plus qu’elle lui ment sur son identité. Ce qui se passe dans l’écran permet de révéler la porosité du réel puisque Fauxlivia se trahit en faisant référence à la version de son monde parallèle où le rôle de Bogart est joué par Ronald Reagan. Par la suite, les versions respectives de Fauxlivia et de Peter divergeront encore. Fauxlivia imaginera une fin de conte de fée, tandis que celle de Peter sera la version réelle : la rupture du couple. Fauxlivia est alors reconnue pour ce qu’elle est : un mensonge, une fiction. Et la version réelle annonce la chute de l’épisode suivant : « All the best love stories are tragedies ». Fauxlivia répond : « Only in the movies.5 » Puisqu’elle connaîtra une fin tragique, c’est donc bien qu’elle est un personnage de film. Chose étonnante, Casablanca est une fiction connue aussi bien du spectateur que des personnages de ce monde (en l’occurrence, Peter), ce qui produit une fois de plus un effet de réel. Casablanca est aussi, dans cet épisode de Fringe, ce qui se rapproche le plus de notre monde de référence, comme si un morceau de l’univers du spectateur s’inscrivait dans la série avec ce paradoxe que notre univers de spectateur y est représenté par une fiction. Peter a besoin d’un écran pour comprendre le réel qui l’entoure, comme c’est le cas, à un niveau quelque peu différent, pour Walter. Ce dernier doit revoir les vidéocassettes des expériences qu’il a menées dans le passé pour retrouver son histoire et comprendre qui il était et qui il est. La fiction aide à comprendre le réel, une fois de plus.

3. L’écran révélateur

16 Markham est un personnage secondaire qui apparaît à la saison 1. Ce bouquiniste aux allures de marginal est un homme attaché au papier qui peut dénicher de rares manuscrits utiles à l’équipe. Lorsqu’on le revoit à la saison 5 (qui se déroule en 2036), il est reclus dans son appartement où il recueille des antiquités, au nombre desquelles les très vieux écrans de télévisions qui nous rappellent Brazil. Dans cette saison 5, le monde extérieur à son appartement est celui des tablettes et des projections holographiques en 3D. Entre Markham et les Observers, entre ces deux extrêmes techniques, entre la première et la dernière saison, Fringe a donc retracé toute l’histoire des écrans pour connoter ce qui les entourait. Par effet métonymique, encore, nous comprenons que l’homme aux téléviseurs des années 1950 est un homme du passé – et que le téléviseur sert d’indicateur temporel. Par opposition, dès la saison 1 (qui se déroule à notre époque), lorsqu’un personnage entre dans le building de la multinationale « Massive Dynamic », il est surpris par des écrans ultra modernes dont le seul but est de donner une apparence futuriste à cette entreprise. C’est donc là une autre utilisation métonymique de l’écran : créer un effet passéiste ou futuriste qui contaminera le lieu ou les personnages qui les utilisent. Dans le laboratoire, le téléviseur de Walter participe de la même démarche. Intellectuellement, Walter est resté bloqué au moment qui a précédé son internement à Saint Claire. Il continue donc à utiliser sa télévision de l’époque et à regarder des vidéocassettes. Dans la saison 5, c’est en grande partie par leurs projections holographiques qu’est présenté l’aspect futuriste des Observers (ils peuvent se dématérialiser et projeter leur image), et c’est par différents types d’écrans que l’on comprend la nature dystopique de la société qu’ils ont instaurée. Ainsi, les écrans qui permettent d’observer sont matérialisés dans la rue, à la différence des projections 3D qu’ils utilisent entre eux. Le règne humain est celui de la

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matérialisation. Quant aux Observers atemporels, ils ont aussi bien recours à l’écrit (dans leur carnet de notes au langage obscur), qui signale un passé encore antérieur, qu’à la projection immatérielle.

17 Au fil des saison, Fringe se révèle donc être une histoire de la dématérialisation. On peut l’expliquer en faisant un détour par la mise en scène des « fringe events » (événements paranormaux sur lesquels les personnages enquêtent), qui signalent dans leur surgissement que tout ce qui permet le déplacement est potentiellement source de problème. En effet, ces « fringe events » se produisent tout particulièrement dans les moyens de transports (avion, bus, train, voiture, hall de gare, tunnels de métro). La série prône donc indirectement l’immobilisme, le conservatisme et la nostalgie puisque tout ce qui bouge ou favorise le transport / transfert est invariablement le lieu d’un événement paranormal qui cause la mort des citoyens ordinaires qui s’y trouvent, au point que nombre de protagonistes en viennent à regretter la technologie antérieure. C’est une leçon que l’on peut également tirer de l’étude des écrans. Au fil des saisons, ils se dématérialisent ou deviennent mobiles, ce qui semble refléter la décadence du monde ou, en tout cas, son invasion par les Observers, êtres dénués d’émotions qui peuvent se téléporter dans l’espace et le temps et qui finissent par régner en maîtres tyranniques sur la Terre. L’opposition entre les Observers et la résistance, tous deux se livrant à des activités de surveillances du groupe adverse, sera concrétisée par cette représentation des écrans : à la projection des Observers s’opposent ainsi les écrans de l’Underground, matérialisés et nombreux (voir figures 6 à 9). La forme de l’écran que l’on aperçoit dans le décor est donc un signe imparable du temps diégétique. Mais, au- delà de cette utilité, l’écran a souvent un rôle narratif. Tout récit comporte des ellipses, et dans Fringe, les écrans viennent soit les combler, soit les créer.

Fig.6 : Vieux écrans de Markhams (5.4)

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Fig.7 : Projection 2D des Observers (5.1)

Fig. 8 : Projection holographique des Observers (5.3)

Fig. 9 : Mur d’écrans de l’Underground (5.1)

18 Les passages didactiques pouvant être laborieux, les écrans sont parfois utilisés pour venir combler les parties de l’enquête que les personnages n’auraient pas expliquées. Le premier épisode de la série fournit le tout premier exemple de ce type de procédé narratif : ce n’est pas un agent du FBI ou une quelconque autorité qui fait part de la décision de brûler l’avion qui s’est écrasé, mais une présentatrice d’informations lors d’un flash diffusé par l’un des écrans dans les bureaux du FBI, en arrière-plan d’un dialogue entre Broyles et Olivia. On retrouve ici la technique du jeu de piste qui offre des informations supplémentaires mais non capitales au spectateur attentif.

19 La saison 5, qui clôt la série en 13 épisodes, est particulièrement savoureuse en ce qu’elle devient réflexive et métanarrative. C’est ce qu’il y a dans un écran que l’on

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regarde qui dicte l’épisode, ses intrigues, sa complexité, ses manques, ses ellipses et sa quête. Pour devenir acteurs, les héros doivent d’abord être spectateurs. Dans cette saison, l’équipe se « réveille » en 2036 et Walter, comme toujours, est à la fois ingénieux et partiellement amnésique. Se connaissant et sachant qu’ils allaient tous subir une longue stase, il avait non seulement mis au point un plan pour vaincre les futurs envahisseurs, mais il avait également prévu qu’il l’oublierait. Il a donc disséminé dans son laboratoire des vidéocassettes sur lesquelles est enregistré son plan d’action pour détruire les Observers, avant de figer le tout dans l’ambre pour les protéger. Chaque cassette numérotée contient une partie de son plan, qui constitue une étape menant théoriquement à la défaite des Observers. À chaque épisode, l’équipe récupère une cassette et s’efforce de mener à bien la mission qu’elle recèle. La cassette et sa projection à l’écran sont donc des matérialisations de l’intrigue. Plus encore, l’état de la bande même représente et incarne la difficulté de la quête. De façon fort peu logique, alors que les cassettes étaient bien protégées dans leur boîte, la bande passante se révèle systématiquement endommagée. À chaque brouillage correspondent donc les inconnues de l’épisode et par conséquent une péripétie. Dès lors, le passé est à nouveau valorisé. L’écran est créateur d’ellipses quand ce qu’il présente est partiellement brouillé. Plus exactement, il est l’instigateur des paralipses qui redonneront de l’intérêt à l’intrigue. Par exemples, dans la saison 5 épisode 8, on n’entend que les coordonnées d’un lieu sans savoir ce que l’équipe y trouvera parce que la suite de la bande est trop abîmée. À l’épisode de montrer au spectateur ce que la cassette endommagée cachait aux personnages.

20 Enfin, les tendances au désordre de Walter, généralement utilisées comme facteur d’humour autant que comme concrétisations de ses amnésies partielles, amplifient le suspense et les attentes du spectateur. Du fait que Walter n’a pas rangé ces cassettes, celles-ci sont récupérées de façon aléatoire et visionnées à mesure qu’on les trouve. Elles livrent alors une succession non logique de quêtes au fil de la saison. Les personnages trouvent la cassette n°7 avant la n°5, ce qui permet une résolution partielle de l’intrigue. La quête de l’épisode est achevée, mais le mystère de l’arc narratif qui couvre la saison reste entier. L’objet cassette est présent avant que les personnages sachent à quoi il servira. Une fois le spectateur familiarisé avec cette routine, le lien entre la diégèse de l’épisode et le contenu des cassettes projetées sur la vieille télévision du labo entre dans une dialectique métaleptique associant contenu de la cassette et diégèse de l’épisode. En plus de cela, le caractère inséparable de Walter et de sa vieille télévision font de cette dernière la représentation métonymique du scientifique. Dans cette saison, il n’est pas d’épisode sans cassette vidéo, ni de cassette sans Walter : à qui en douterait, cela confirme qu’il est bien le héros de la série. Dans l’épisode 6 de la saison 5, les scènes alternent entre le contenu de la vidéo de l’époque (Walter se rendant sur les lieux où se trouve le nouvel indice) et l’action des personnages (le Walter de 2036 se rendant à la même adresse) : la diégèse de l’épisode redouble donc celle d’une histoire passée, l’écran plus grand rejoue l’écran plus petit. Ceci est doublé d’une paralipse cruciale : est coupé le moment où Walter regarde la fin de la cassette puis part sur les lieux. Les autres personnages butant comme le spectateur sur cette paralipse, ils le croient disparu. Ils referont alors le cheminement de Walter : regarder la vidéo (cette fois partiellement, et s’arrêtant là où le montage nous faisait croire que Walter s’était arrêté), puis se rendre sur les lieux avec une caméra qui leur permet de regarder la suite « en direct ». C’est une technique narrative irréaliste mais qui a son utilité. L’équipe aurait pu prendre quelques minutes

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supplémentaires pour regarder la vidéo en entier, mais ils en auront besoin sur place, dans l’immeuble partiellement détruit où s’est rendu Walter, car elle leur servira de mode d’emploi afin de passer dans l’autre dimension. D’autre part, ce procédé de révélation « aléatoire » permet de morceler l’information et de ne fournir au spectateur que le segment informatif qui va lui servir dans les minutes qui suivent son visionnage. Dans ce cas précis, l’utilisation de la caméra qui permet de regarder la cassette est aussi une alternative à une technique narrative plus communément utilisée dans la série : Astrid reste au laboratoire, décrypte ce qui pose problème pendant que l’équipe se rend sur les lieux, puis l’informe de ses découvertes grâce au téléphone portable. Ce dernier est d’ailleurs fréquemment utilisé par les personnages pour regarder des vidéos ou chercher des informations visuelles sur le terrain. La vieille télévision matérialise donc le récit, tout comme elle est la métonymie de Walter à bien des égards. Il est le seul à l’utiliser et, quand il disparaît du labo, c’est un écran vide que trouvent les personnages.

21 On peut regarder les écrans de Fringe d’un œil distrait. Pourront bien sûr échapper au spectateur des clins d’œil culturels, des hommages secondaires, des références intertextuelles qui font sourire les avertis ou rappellent la tradition dans laquelle se situe la série. Mais, progressivement, en s’immergeant un peu plus dans son écran, le spectateur sort du cadre référentiel pur et est amené à lire les écrans comme autant d’indices disséminés – sorte d’alphabet à reconstruire, comme celui qui est proposé à chaque coupure de publicité au cours d’un l’épisode. L’écran devient paradoxalement ce qu’il y a de plus réel dans cette fiction. Il commente, annote, puis donne forme à l’épisode qu’il finit par dicter. Les mondes de Fringe sont poreux, nous disait l’intrigue. La forme transmet exactement la même idée lorsqu’elle utilise son propre cadre pour commenter le propos et montrer la perméabilité des univers englobants et englobés. L’écran regarde en arrière, en avant et à côté. La série est conservatrice par bien des aspects, mais aussi futuriste et alternative. Et, si le temps y est chronologique, le propos comme la forme ne sont a priori qu’histoire d’enchâssement de cadres. Mais la diversité des jeux de cadrage auxquels les auteurs se livrent, le caractère équivoque du cadre lui- même, la perméabilité des univers fictionnels et leurs références protéiformes au réel font de Fringe une série à la complexité narrative au moins aussi étourdissante et palpitante que celles de Lost.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Le cartoon est visible en entier à l’adresse suivante : http://www.youtube.com/watch?v=t9Uq- yXc7x0D, lien consulté le 26 décembre 2014. 2. « Sortons d’ici, Maverick, tu n’as aucune envie d’avoir des problèmes. » « Tu as raison, Doc, pas des problèmes de ce genre, en tout cas. » 3. « C’est merveilleux, n’est-ce pas ? C’est comme un bon vieux polar ». 4. « Walter, c’est l’histoire du film Marathon Man ». 5. « Toutes les meilleures histoire d’amour sont des tragédies. » « Seulement dans les films ».

RÉSUMÉS

Fringe est une œuvre qui se montre hautement consciente de son statut de série télévisée, que se soit par le jeu de pistes intertextuel qu’elle offre au spectateur dans des écrans disséminés dans le décor, par la dialectique entre réel et fiction qui s’y cristallise ou encore par l’aspect réflexif et métanarratif des œuvres qui y sont projetées. Dans les téléviseurs et moniteurs placés dans le décor passent d’anodines références intertextuelles qui, de clins d’œil adressés aux fans et de références à d’augustes chefs d’œuvres du petit et du grand écran, deviennent vite des commentaires de l’histoire en cours. L’écran se pose comme cadre qui renforce le caractère réel de ce qui l’entoure et la nature fictionnelle des images enchâssées. Il permet de regarder la fiction avant de se faire poreux au fil des saisons et de pousser les protagonistes à entrer et sortir du cadre, à changer littéralement d’univers et de régime fictionnel. Le petit écran délimite l’espace, donc, mais signale aussi la temporalité. Des vieux téléviseurs des années 1950 placés dans le décor aux projections 3D des Observers venus envahir le monde, il montre que Fringe est une histoire de dématérialisation des cadres. Ainsi les écrans sont les lieux privilégiés des ellipses narratives que, tour à tour, ils comblent (en projetant des éléments que les protagonistes passent sous silence) ou créent (lorsque, dans la saison 5, ce sont de vieilles vidéocassettes qui dictent le programme de chaque épisode).

Fringe is a work that shows itself to be highly aware of its status as a TV series, whether by the intertextual scavenger hunts it offers to spectators in the screens placed in the background, by the dialectic between fiction and the real that crystallizes there, or by the reflexive and

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metanarrative aspects of the works that are shown there. Negligible intertextual references appear on the televisions and monitors placed in the scenes, which, nodding to fans and making references to venerable masterpieces of the small and big screens, quickly become commentaries on the story in progress. The screens pose themselves as frames that reinforce the real nature of what surrounds them and the fictional nature of the images enshrined in them. These screens permit spectators to watch the fiction before it becomes porous over the seasons and pushes the protagonists into and out of the frame, literally changing universes and fictional regimes. The small screen defines the scope of space, but also indicates temporality. From old televisions from the 1950s placed in the decor to the 3D projections of the Observers, who have come to invade the world, the screen shows Fringe to be a story of the dematerialization of frames. Thus, screens are the principal places of the narrative ellipses that, one after another, they fill in (by projecting elements that the protagonists leave out) or create (when, in season 5, old video cassettes dictate the program of each episode).

INDEX

Mots-clés : Fringe, enchâssement, écran réflexif, méta-narration Keywords : Fringe, embedded structure, reflexive screen, meta-narration

AUTEUR

AURÉLIE VILLERS Aurélie Villers est Docteur en littérature américaine, traductrice et enseignant-chercheur à l’université de Picardie-Jules Verne. Spécialiste de science-fiction américaine contemporaine, elle a coorganisé plusieurs colloques internationaux sur ce genre. En plus de la littérature de science- fiction, elle s’intéresse aux séries américaines contemporaines, en particulier Lost et Fringe.

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À l’intérieur de Seinfeld : la sitcom Jerry

Eric Gatefin

1 Un comique new-yorkais, ses amis, ses amours. Ainsi résumée, la sitcom Seinfeld (NBC, 1989-1998) ne semble pas devoir surprendre le téléspectateur. Produite peu avant des séries comme Dream on (HBO, 1990-1996), Friends (NBC, 1994-2004) ou Mad About You (NBC, 1992-1999), elle entretient avec elles de fortes parentés thématiques. Situations, personnages, gags, rythme, le téléspectateur ne peut qu’être parfois troublé par ces univers si voisins. Il est aussi nécessairement dérouté par la singularité de Seinfeld, à l’intérieur de ce champ en apparence si balisé. L’arc narratif principal de la saison 4 est à cet égard emblématique de l’audace des auteurs de Seinfeld : voilà le personnage principal Jerry Seinfeld, qui semble jouer son propre rôle, contacté pour créer une sitcom sur le network NBC. Tout est donc en place pour une stricte mise en abyme de la série, avec ses risques et ses complexités.

2 Comment ce processus est-il montré dans la sitcom ? Considérée sur l’ensemble de la saison, la représentation de la fabrication d’une série semble reprendre assez fidèlement les étapes principales de production : contacté par NBC, le personnage de Jerry Seinfeld saisit l’opportunité de voir une série bâtie autour de lui. Avec le concours de son ami George, il propose un concept. Après un accord de principe ont lieu les négociations sur le salaire. Une fois soumis le scénario d’un pilote, les auteurs attendent le verdict des décideurs de la chaîne. La décision leur est favorable. George et Jerry sont donc invités à choisir des comédiens lors d’un casting, avant que le tournage n’ait lieu dans le dernier épisode de la saison.

3 Derrière ce résumé linéaire se cache une grande disparité de traitement des différentes étapes. D’abord, cet arc narratif, qui donne bien une perspective d’ensemble à la saison, n’est pas évoqué dans quelques épisodes tandis qu’il est présent seulement en filigrane dans d’autres. Ensuite, ce qui intéresse paradoxalement les auteurs de la série, c’est la mise en scène de l’écriture – la recherche du concept d’abord, de l’histoire ensuite et des dialogues. Le casting et le tournage n’occupent que l’épisode final de la saison, alors qu’ils semblent plus aisés à montrer. Cette prégnance s’explique par le dispositif de la sitcom. Contrairement à certains autres formats télévisés, ce genre est par excellence

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celui de l’écriture. L’auteur, au sens où la critique française l’entend, ne peut être que celui qui imagine dialogues, situations, entrelacs des lignes d’intrigue, puisque le metteur en scène suit une grammaire visuelle particulièrement basique. Ainsi, nous montrerons que Larry David et son équipe proposent moins à voir une mise en abyme directe de la série au sens où un épisode serait montré dans un épisode, qu’une image de leur travail d’écriture de la série. La mise en branle de la sitcom Jerry offre un nouveau moyen de mettre à jour le mécanisme de la création et d’exhiber le fonctionnement de cette machine à effets que constitue tout programme télévisé.

1. La petite histoire d’une création

4 Seinfeld porte sur le processus même de la réalisation d’une série le même regard acide et décapant que sur les autres domaines qu’il aborde au cours de chaque épisode. On trouve dans cette saison 4 la trace d’un certain nombre de critiques habituelles contre le médium télévisé et ses productions. Reste à voir jusqu’où les créateurs peuvent aller, d’une part compte tenu de la censure qui s’exerce sur leurs scripts, d’autre part pour ne pas heurter un public qui verrait d’un mauvais œil une critique trop radicale de ce qu’il est en train de regarder.

Satire de l’univers télévisé

5 La de l’univers télévisé est étrangement poussée assez loin tout au long de la saison. Pour une série diffusée sur un network généraliste (NBC), le fait peut surprendre. Plusieurs éléments viennent expliquer cette relative liberté accordée aux auteurs de la sitcom. D’abord, Seinfeld n’est pas jusque-là une série phare de la chaîne. Diffusée après la très populaire Cheers (NBC, 1982-1993), elle retient l’attention d’un public de fidèles mais ne connaîtra un large succès que lors de cette quatrième saison1. Par ailleurs, dans leurs premiers développements, les péripéties de la création de la série paraissent ridiculiser principalement les auteurs de sitcoms. Seule une vue rétrospective sur l’ensemble de la saison permet de saisir le caractère corrosif du propos pour l’ensemble de ce milieu.

6 De prime abord, les dirigeants de NBC passent simplement pour assez naïfs et peu regardants sur la valeur des programmes qui leur sont proposés. Leur goût paraît assez peu sûr, à l’inverse de leur sens de la négociation financière qui tournera en défaveur des deux auteurs. Une vue plus détaillée sur le destin du projet conduit par les personnages de Jerry et George montre que les incertitudes qui entourent la création de ce pilote sont d’abord entretenues par les fluctuations des désirs et caprices des dirigeants. C’est parce que Susan, conseillère du président de la chaîne, va désirer George que les auteurs auront une chance d’écrire leur pilote ; c’est parce que George va jeter un œil un peu trop insistant sur le décolleté de la fille du producteur de NBC que la réalisation de ce même pilote sera remise en cause. Enfin, si le producteur change d’avis, c’est qu’il est obsédé par Elaine, après avoir été charmé, à son tour, par son décolleté. Rejetées au second plan, les interrogations sur la valeur de la création proposée ne jouent guère de rôle dans la mise au point du pilote. Ce dernier est subordonné à un chantage sexuel, dont créateurs et producteurs sont parfaitement conscients et dont ils savent jouer quand l’occasion se présente.

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7 Du côté du public, la même indifférence au contenu règne. Si les producteurs de NBC n’ont guère à se préoccuper des programmes qu’ils diffusent, c’est aussi parce que les téléspectateurs n’ont pas la moindre exigence artistique sur ce qu’ils regardent. À Jerry qui s’inquiète de ne pouvoir écrire pour la télévision, George rétorque : « Come on Jerry, it’s just TV » (4.3). Meuble central de l’appartement de Jerry, la télévision est accaparée par les personnages et fonctionne comme une drogue, qui conditionne les individus. Regards habités, fascinés s’abîment dans la contemplation de jeux ou de programmes enfantins2. L’invisible enfant-bulle auquel George et Susan rendent visite est un tyran domestique par la maîtrise qu’il a de la télécommande (4.7). Son caractère acariâtre passe aisément pour la conséquence de son immersion permanente dans l’univers du petit écran. Kramer, incapable de maîtriser son addiction, fait fi de ce qui l’entoure pour mieux participer à la version américaine de Jéopardy (4.10), comme dans cette scène :

Fig. 1 : Kramer plongé dans le petit écran ou la figuration de l’absence complète de distance avec la télévision

8 L’intégration de ses répliques dans le flux du dialogue entre Jerry et George souligne l’absence totale de relation à l’autre induite par le rapport fusionnel au téléviseur.

9 La sitcom Jerry créée par George et Jerry n’a pas vocation à dépareiller dans cet univers où superficialité et abrutissement sont de mise. Réaffirmé à plusieurs reprises, le projet des deux auteurs est d’être simplement amusant. Jerry ambitionne de donner une nouvelle ampleur à sa carrière de comique. George pense pouvoir gagner beaucoup d’argent et séduire des femmes grâce à ce métier. Bien vite, cependant, les auteurs de Seinfeld donnent à voir la réalité face à ces fantasmes. Maigrement rétribué pour l’écriture du pilote, George est par ailleurs raillé par une femme qui souligne la médiocrité du genre de la sitcom.

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10 On voit que la critique de l’univers de la télévision est acerbe. Conformément au ton général de la série, le rire se veut grinçant, dans la mesure où sont visées toutes les instances participant à la création d’une sitcom : la charge contre les producteurs devient notamment, par degrés, particulièrement sévère tout comme celle qui vise le public. La satire de la création audiovisuelle atteint toutefois une toute autre portée, quant on touche au contenu du programme proposé et à l’écriture de la sitcom. Cette fois, les auteurs de la série Seinfeld se prennent en quelque sorte pour objet de la création et offrent une étrange représentation de leur activité.

« A show about nothing »

11 Il est assez significatif que l’initiateur du projet de série soit George. Conçu après quelques tâtonnements, son concept se veut, au choix, révolutionnaire ou absurde. Il prétend imaginer « a show about nothing » (4.3, voir figure 2) :

Fig. 2 : L’artiste et son concept ou la vanité d’une idée de génie

12 Encore convient-il de définir ce « rien », sujet de débat avec les producteurs de NBC mais aussi entre George et Jerry. Dans une première acception, le « rien » signifie l’absence de récit progressif dirigé vers une fin et contenant un message. En somme, la fiction ne dirige pas l’esprit du spectateur vers un univers imaginaire qu’il s’agirait de représenter et donc d’abord de concevoir. Se substitue à ce récit classique une peinture de la vie quotidienne, de ce qu’on pourrait appeler des riens. Il s’agit de petits détails a priori sans intérêt, sans importance, qui prennent pourtant une place inopportune dans l’esprit de chacun et qui se trouvent à leur place à la télévision, écran destiné au familier plus qu’au spectaculaire.

13 Mais ce projet, George semble vouloir le radicaliser, passant des petits riens au Rien avec un grand « R » : il n’est plus alors question de mettre en relief certains aspects de

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la vie quotidienne mais de la représenter dans son absolue banalité, voire en en ôtant tout ce qui pourrait être de l’ordre de l’événement. À la question de Dalrymple : « Why am I watching it ? », George, triomphal, réplique : « Because it’s on TV ! » (voir figure 3).

Fig. 3 : Vers la téléréalité : le programme comme flux sans contenu

14 En somme, le média occupe une place tellement banale dans la vie de tous les jours que le programme conçu n’a plus d’importance en soi. On n’est pas loin du projet de la téléréalité, du moins sur le principe. Cette idée s’accorde particulièrement à la paresse de George dans la mesure où l’écriture consiste alors à collecter des faits, sans invention ni travail de dramatisation.

15 Or, très vite, pour George comme pour les concepteurs de programmes bas de gamme, la question du contenu se pose à nouveau et implique un changement de perspective. La concession du créateur ne règle pourtant rien. Après le vide revendiqué vient le vide subi, signe d’impuissance. Longtemps, Jerry reste une coquille vide que les deux auteurs ne savent pas remplir. Des pitches hasardeux qui ne mènent nulle part, une absence de motivation dans les idées qui feraient plus qu’agacer un Robert Mc Kee, des dialogues navrants ne dépassant pas « Hello ! » et « How are you doing ? », Jerry semble bien appelée à rester un rien (4.8). Cette sitcom est le signe de la paresse de ses auteurs à consentir le moindre effort intellectuel et à développer une idée personnelle. Dès lors, le temps pendant lequel les deux auteurs devraient composer Jerry est consacré à trouver un prétexte pour ne pas écrire, à dormir ou encore à regarder la télévision. Processus d’évitements, mais aussi d’aveuglement, car dans le même temps que le scénario ne se construit pas, Jerry et George vivent une existence scénarisée avec brio, dont Jerry repère même, pour le téléspectateur, le caractère brillamment construit (4.10). Il fait ainsi remarquer à George que sa situation présente un aspect singulier. D’abord, il a obtenu une situation socialement enviable en séduisant Susan : le voilà

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auteur de sitcom. Mais l’obtention de ce statut ne lui permet pas d’en bénéficier pour séduire une femme puisqu’il ne le détient que dans la mesure où il est le petit ami de Susan3. Coïncidence et ironie du sort, voilà deux artifices d’écriture que les auteurs de Seinfeld pointent aux yeux du téléspectateur par l’intermédiaire du dialogue, comme si la mise à jour du procédé ne nuisait pas à son efficacité comique. Surtout, cette mise en exergue est à double détente, puisqu’une autre ironie du sort échappe aux personnages. En effet, leurs situations vécues fourniraient la matière de la fiction au second degré qu’ils désespèrent d’inventer.

16 Passant ainsi à côté de ce qui constituerait le contenu d’une sitcom dans leur existence, George et Jerry lancent un pitch typique d’un comique de situation, sans intérêt aux yeux de Jerry, mais qui retient toute l’attention des producteurs. D’un concept audacieux on passe donc à une histoire conventionnelle peu vraisemblable. Jerry ne sera pas « a show about nothing ».

Une fiction-miroir : Jerry dans Seinfeld

17 L’objet final obtenu constitue-t-il une mise en abyme de Seinfeld, au sens d’une représentation fidèle de la fiction au premier degré ? Si Jerry n’est pas une sitcom sur rien, peut-elle être perçue comme un double exact de Seinfeld ?

18 Le trouble principal introduit par la mise en scène du tournage du pilote consiste dans l’identité des acteurs-personnages. Un écart se crée entre les acteurs, lié à celui qui transparaît dans la sitcom Seinfeld. À un premier niveau en effet, Jerry Seinfeld interprète son propre rôle dans la série que nous regardons. Son personnage a donc un statut particulier par rapport à ceux d’Elaine, George et Kramer. Effet redoublé ici : Seinfeld joue son rôle en train de jouer son rôle dans la sitcom Jerry. Problème : cette mise en abyme ne fonctionne pas de la même manière pour ses comparses. George, Elaine et Kramer, personnages de fiction, sont repris dans la fiction au second niveau sous les traits d’acteurs jouant le rôle d’acteurs censés les interpréter (voir figure 4).

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Fig. 4 : Kramer et son double : Michael Richards face à l’acteur qui aurait pu jouer son rôle dans la fiction Seinfeld

19 Les acteurs interprétant les personnages de la fiction au second degré induisent tous un trouble dans leur rapport avec leur rôle (4.23 et 24). Le Kramer au second degré se détache du Kramer joué par Michael Richards qui convoitait le rôle. Il est indépendant, marginal et retrouve paradoxalement les traits du personnage de Kramer en refusant la fusion, l’imitation. L’actrice qui interprète Elaine veut au contraire s’immerger totalement dans son personnage. Puisqu’Elaine a couché avec Jerry, elle le fera aussi. Elle rompra aussi dans une scène où, pour elle, fiction et réalité semblent se mêler. Enfin, le comédien interprétant George panique tant à l’approche du tournage qu’il entre ainsi dans le rôle même qu’il craint de ne pouvoir jouer. Le spectateur de Seinfeld se retrouve également face à un trouble compte tenu des ressemblances physiques entre les personnages et les acteurs les incarnant dans la fiction au second degré. Tout se passe comme si ces acteurs étaient des caricatures des personnages de Seinfeld, ayant avec eux une vague parenté mais paraissant simultanément incapables d’incarner à nos yeux Elaine, George et Kramer.

20 Au-delà de la question des acteurs se pose celle du contenu de la série. Le téléspectateur n’a qu’une perception fragmentaire de ce qu’est le pilote Jerry. Les auditions, le tournage offrent quelques éléments, qui semblent indiquer que les personnages recyclent des répliques et situations de leur vécu dans la fiction Seinfeld. Pour autant, ces échos ne s’articulent pas à l’histoire du pilote. Ils sont autant de morceaux détachés, de références sans lien avec l’intrigue appelée à être traitée. De manière significative, les trois scènes montrées lors de la diffusion du pilote sont entrecoupées des réactions de différents personnages de la saison devant leur petit écran. Ainsi, le caractère fragmentaire de ce qui est montré est souligné. Dans le même temps, les effets comiques sont plus efficaces dans les scènes de téléspectateurs, car ils fonctionnent en écho avec des situations issues des autres épisodes de la saison, ce qui est impossible

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pour le pilote de Jerry. Plus exactement, la seule façon dont les extraits de Jerry peuvent faire rire tient aux liens qu’ils entretiennent avec la fiction Seinfeld. Le rire est alors pure affaire de ressemblance, de familiarité mais il est simultanément désamorcé par le décalage qui fait que Jerry n’est pas un épisode de la fiction Seinfeld mais bien une autre fiction peu innovante en tant que telle.

21 Incapable d’adhérer au jeu d’acteurs interprétant des personnages au second degré, à un pitch peu enthousiasmant et à une sitcom qui semble singer la fiction au premier degré sans en capter la singularité, le téléspectateur ne peut, à l’instar de la nouvelle productrice, que porter un jugement négatif sur le produit final. Difficile en réalité de définir clairement les intentions des auteurs de Seinfeld dans les extraits du pilote diffusé. Il semble qu’il leur fallait nécessairement attester de l’existence de la fiction au second degré en en proposant des images, mais il est évident qu’ils avaient plus à dire sur le processus de création que sur son aboutissement. Ce qui ressort justement de ce processus est l’idée d’une vanité absolue, qui tient autant aux créateurs qu’aux récepteurs du projet. De cette vanité naît Jerry, une sitcom comme les autres, mais ce qui transparaît en filigrane, c’est bien sûr que ce vide absolu est aussi celui de Seinfeld, de sorte qu’à travers la conception de la sitcom, c’est bien à une vertigineuse mise en crise de la fiction que le lecteur assiste (voir figure 5).

Fig. 5 : Du naufrage d’un texte à celui d’une fiction

2. George, « the nothing man »

George, personnage principal

22 Cette crise de la fiction est avant tout, me semble-t-il, celle d’un personnage qui fait exploser le cadre classique de la sitcom. George est, en effet, de manière assez

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paradoxale, le personnage central de la série Seinfeld. On sait que l’écriture de la sitcom est supervisée, pendant les sept premières saisons, par Larry David et Jerry Seinfeld. Le premier a volontiers reconnu avoir beaucoup mis de lui dans la figure de George, avant d’en venir à une autoreprésentation directe dans Curb your Enthousiasm4 (HBO, 2000-2011). Le concept initial et les apparences mettent en exergue Jerry Seinfeld. Donnant son titre à la série et interprétant son propre rôle, il accueille le téléspectateur et les autres personnages dans son appartement. Des extraits de ses spectacles de stand- up ponctuent chaque épisode pendant les sept premières saisons. Les personnages d’Elaine, Kramer et George sont censés graviter autour de lui, au point que dans un épisode, George et Elaine éprouvent de la gêne à rester tous les deux (3.4), Seinfeld étant, finalement, leur seul point commun. Figure indispensable, Jerry vaut donc d’abord comme lien. Aux yeux du téléspectateur, il peine parfois à exister pleinement comme personnage. À l’inverse, tout en déroutant complètement les habitudes du téléspectateur, George apparaît d’emblée comme une figure nettement caractérisée. Son instabilité, sa singularité lui valent d’imprimer son ton et son rythme à la série.

Un danger pour la fiction

23 Co-créateur de la série Jerry, George est à la fois l’élément moteur et l’obstacle fondamental de la production du programme. Face à un Jerry d’abord inhibé, il estime qu’il est facile d’écrire pour la télévision, vu ce qui y passe. Il est ensuite à l’initiative de pitches peu brillants mais qui témoignent de son implication. C’est au final l’une de ses idées peu pertinentes qui servira de base à la réalisation du pilote. Par ailleurs, George est l’inventeur du concept du « show about nothing », concept-limite qui lui vaut la méfiance des dirigeants de NBC. Sa relation instable avec Susan, le regard qu’il dirige vers le décolleté de la fille du président de NBC (4.17) sont autant d’erreurs qui remettent en cause l’existence de la série. Symboliquement donc, Larry David et Jerry Seinfeld, auteurs de la série, font de George celui qui est au fondement et qui empêche simultanément la fiction de se faire. La mise en abyme offre une lecture de la fonction du personnage de George dans la sitcom Seinfeld : il est à la fois la condition sine qua non de l’existence de la série (quel intérêt aurait-elle sans lui ?) et ce qui fait obstacle à son aboutissement, en ce sens peut-être qu’il l’empêche d’être une sitcom comme les autres et de se dérouler suivant des codes classiques. Les pathologies du personnage, son caractère souvent antipathique, perpétuellement dysfonctionnel enraient les processus classiques d’attachement et de continuité du récit. George, en effet, se montre incapable d’apprendre de ses erreurs ; il ne manifeste aucun désir de s’amender et condamne son entourage à suivre le même processus. Ainsi, la figure de Jerry Seinfeld, peu marquée au début de la série, rejoindra progressivement celle de George. Initialement chargé de l’analyser, de mettre à jour ses nombreuses pathologies, Jerry incarne d’abord le discours de la norme. Mais, progressivement, son personnage tend, avec son caractère propre, à évoluer suivant une mécanique identique à celle de George5. Spectateur de ses errances, il en devient parfois aussi l’initiateur en même temps qu’il expose lui aussi au grand jour ses tares et multiples obsessions6. Ainsi, il apparaît que, dans une grande mesure, George entraîne les autres et l’ensemble de la sitcom Seinfeld, vers le vide et la folie.

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Portrait d’un instable

24 À l’instar des grandes figures de marginaux, George est un être des extrêmes. Quand il défend l’idée d’une « série sur rien », il est, selon les points de vue, génial ou ridicule. Mais son attitude même à l’égard de cette idée passe d’un extrême à l’autre. D’un sentiment de supériorité, il passe à une compromission totale en renonçant à ce à quoi il semblait croire. Dans les autres domaines, George navigue ainsi d’une position à l’autre. Après avoir maudit Susan, employée de NBC à laquelle il doit tout mais qui l’empêche de séduire d’autres femmes (4.10), il se mue en amoureux désespéré, déclamant sa passion sous le regard indifférent de ses amis auxquels il se donne en spectacle (4.13). Plus que de sentiments sujets à variation, c’est bien le rôle qui importe et surtout la compassion et l’intérêt qu’ils peuvent provoquer. Tout se passe comme si George se trouvait face à un auditoire et qu’il continuait à interpréter son rôle malgré la perplexité de son public, concentré sur une fiction en laquelle il est le seul à croire. À peine Susan reconquise, il cherchera d’ailleurs immédiatement comment rompre avec elle (4.13). Ce grand écart est aussi celui de la hiérarchie entre l’essentiel et l’accessoire. Au moment où la série qu’il a contribué à concevoir s’apprête à voir le jour (4.24), George est miné par deux préoccupations : il veut savoir s’il est atteint d’un cancer et si l’acteur interprétant Kramer a réellement volé des raisins secs lors de son audition. Ce qui est ainsi mis en scène, c’est la manière dont l’esprit du personnage oblitère ce qui pouvait être un enjeu majeur pour lui. Il substitue à cela deux obsessions d’importance tout à fait inégales. Ce jeu des disproportions sur lequel les auteurs construisent les lignes d’intrigue concernant George permet à de multiples reprises de remettre en cause les conventions sociales et les normes de comportement. Fréquemment, l’attitude de George lève certains tabous : il est prêt à rompre avec sa compagne qui vient d’être renvoyée de son emploi par sa faute (4.10) et négocie une réduction pour un voyage par avion en profitant de la mort de la tante de sa petite amie (4.19). On voit que si George est un personnage des extrêmes, il n’est jamais question pour les auteurs de lui attribuer la moindre forme de grandeur.

25 Ces contradictions et cette faiblesse morale font de George un être vain. Pour rompre avec une compagne trop éprise, il affiche sa vacuité, proclamant : « I’m nothing » (4.16), écho évident de l’expression « a show about nothing » (voir figure 6).

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Fig. 6 : Un personnage à l’image de sa fiction : la vacuité assumée

26 Mais même de cette insignifiance, George ne parvient pas à convaincre son interlocutrice. Il lui faudra par conséquent endosser des rôles pour espérer susciter le dégoût de sa compagne. Il sera d’abord un homosexuel, ensuite une star de cinéma pornographique, sans que ces changements d’identité lui permettent de démontrer son insignifiance à la jeune femme. La déviance entraîne inévitablement la déviance, et tout semble indiquer que cette compagne est elle-même dérangée. Ce spectre de la folie rôde significativement autour de George. Parmi les personnages récurrents de cette quatrième saison se trouve Joey De Vola, qui fréquente le même psychiatre qu’Elaine. Sa première apparition coïncide avec un moment de panique chez George avant de rencontrer les dirigeants de NBC. Une continuité apparaît alors entre les deux personnages, tous deux aspirants scénaristes. Tandis que De Vola menace la vie de Jerry, George présente un sérieux danger pour sa réussite professionnelle. La suite confirmera ce risque : Jerry conseille à George d’aller voir une assemblée de psychiatres pour traiter son cas après sa conduite désastreuse lors du rendez-vous à NBC. Aussi incontrôlable que l’inquiétant De Vola, George verbalise ce que l’humanité ordinaire enfouit, il agit souvent en dépit du bon sens et se meut dans son propre univers, guidé par ses obsessions.

27 Que nous dit finalement George sur les figures de la série ? En bien des occasions, elles ne font qu’endosser des rôles sociaux sans y croire véritablement. Une sorte de distance s’établit entre le personnage et le rôle qu’il devrait tenir. Par ailleurs, c’est l’ensemble des conduites déviantes qui trouvent un lieu de manifestation dans la série. La norme guette, la censure morale, la réprobation aussi mais de manière pulsionnelle, viscérale émerge l’anormalité triomphante, fruit d’un fonctionnement social absurde par ses conventions. Quel récit construire alors ? Comment redonner sens à ce qui n’en a pas ?

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3. Variations critiques

28 Larry David et Jerry Seinfeld ne vont pas mettre leurs ressources d’écriture au service du récit. S’affranchissant des codes en se donnant pour visée la maxime « No hugging, no learning »7, ils fondent un nouveau registre d’attachement ou, plus exactement, de séduction. On sait qu’une sitcom repose sur la répétition, que la familiarité joue un rôle essentiel. De ce point de vue, Seinfeld suit les codes en mettant en place un univers étriqué, réduit à quelques décors8. Mais de manière assez retorse, les auteurs font aussi un usage dévoyé de la répétition, source d’une démarche critique de commentaire. Les rapprochements les plus osés et improbables sont établis pour nourrir un comique qui ne naît plus alors de la scène proprement dite et des traits d’humour qu’elle contient mais de la relation qui se met en place entre des éléments disparates. Série de la reprise et de la variation, Seinfeld nourrit son rire d’une prise de distance et d’un dispositif qui ravale au même rang des éléments auxquels on n’assignerait pas a priori la même valeur.

Combinaisons virtuoses

29 L’épisode « The implant » (4.19) peut donner une idée de ce système : les situations, les dialogues entrent dans un jeu de références vertigineux, déployé tout au long de l’épisode, mais qui va aussi fonctionner à l’échelle de la saison et de l’ensemble de la série. Prenons à un premier niveau une situation-clef: tout comme Jerry se demande s’il a à faire à une femme qui s’est fait refaire les seins, Kramer voudrait savoir si c’est bien Salman Rushdie qui fréquente le club de gym. On voit que l’écart est maximal entre une situation frivole et une autre qui implique une personnalité mêlée à une actualité grave9. Ce doute est à l’origine d’une enquête, de renversements de situation qui s’articulent autour d’une scène-clef qui établit la connexion : SEINFELD. There is Sidra. KRAMER. There is Salman. SEINFELD. Where? KRAMER. Talking to that woman. SEINFELD. Talking to Sidra? KRAMER. If that’s Sidra, she’s talking to Salman. SEINFELD. I don’t think that’s Salman. KRAMER. Well, I don’t think they’re real. SEINFELD. If that’s Rushdie, they’re real. KRAMER. If they’re real, that’s Rushdie. SEINFELD. Well, I’ve got to know, I’m talking to Sidra. KRAMER. I’ve got to know, I’m talking to Salman. (4.19)

30 La vitesse du dialogue, les répétitions, parallélismes et chiasmes étourdissent le téléspectateur. Si l’écriture d’une sitcom se nourrit d’échos, on atteint dans Seinfeld certaines limites : d’une part, il y a quelque chose d’irrévérencieux à évoquer les opérations de chirurgie esthétique dans le milieu du spectacle ; d’autre part, évoquer la situation de Salman Rushdie s’entraînant à la salle de gym pour pouvoir mieux fuir les Musulmans fondamentalistes constitue une approche plutôt grinçante du drame vécu par l’écrivain. Enfin, la mise en rapport des deux situations constitue une satire d’un principe fondateur de la fiction, qui est la recherche de la vérité. Les deux quêtes présentent un aspect dérisoire et ne font que souligner les traits majeurs des deux êtres

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assoiffés de vérité : Kramer s’empêtre dans son rapport au réel tandis que Jerry fait montre d’une grande superficialité.

31 La répétition avec variation, la mise en parallèle n’ont pas vocation à la gratuité, elles sont chargées d’une dimension critique. Le téléspectateur acquiert une distance qui le fait rire en jugeant le personnage en même temps qu’il peut s’amuser de la répétition pour elle-même. L’attitude de George lorsque sa compagne apprend la mort de sa tante donne à voir cette double détente du rire (4.19). Si le téléspectateur s’amuse de voir George mimer en quelque sorte les paroles de la jeune femme, il rit aussi bien sûr de l’inconvenance de son comportement. La caricature qu’offre le mime produit un décalage très caractéristique de la série. La scène est par ailleurs insérée par le montage dans une séquence où Elaine et Jerry discutent de la poitrine de la compagne de celui- ci. Miné de tous côtés, le coup de téléphone tragique devient une nouvelle dérisoire. Le tabou du deuil explose : le personnage incarnant une réaction normale est falot, n’entraîne aucune identification. Seuls importent le dédoublement du discours en mime et le potentiel comique qu’annonce le détachement de George à l’égard de cette mort. À l’échelle de la série, les reprises avec variation de cet épisode abondent. Le personnage de la petite amie fait écho aux relations sentimentales de George avec des personnages fragiles, leitmotiv de la série. Par ailleurs, la dérision appliquée au domaine de la mort fait penser bien sûr à la manière dont George réagit à la mort accidentelle de Susan, qu’il s’apprêtait à épouser par incapacité à rompre (8.1). Ainsi, chaque épisode de Seinfeld devient un puzzle constitué de pièces familières qui produisent des combinaisons surprenantes et entrent en réseaux avec les situations d’autres épisodes.

Les images du bas corporel

32 L’arc narratif de la saison 4 se trouve lui-même pris dans ce tourbillon de signes, où les mises en réseaux exploitent sans limite ce qui est de l’ordre du bas corporel. Corps et création sont intimement liés sans que jamais ce lien soit ouvertement énoncé. La première évocation du projet d’une série intervient juste après une discussion où George s’interroge sur l’histoire du papier-toilette à travers les siècles (4.3). Papier fonctionnel produit en grande quantité, le papier-toilette peut être l’équivalent d’une page de sitcom aisément produite, du moins selon George. Plus tard, le vomissement viendra se substituer à un échange sur le script rédigé par les deux auteurs de la sitcom Jerry. Pris de nausées, le président de NBC ne sera pas en mesure de formuler ce qui ne convient pas dans le scénario (4.17). On voit bien alors une volonté de mettre de côté l’intellect et la dimension artistique au profit d’un élément qui a trait au corps et à son contrôle. La dévalorisation de la création connaîtra son apogée lors du dernier épisode de la saison, où le tournage du pilote est mis en parallèle avec les problèmes de constipation de Kramer (4.24). Le règlement de cette difficulté intervient en effet juste au moment où la série est enfin diffusée ou, pourrait-on dire, évacuée.

33 Si la dimension scatologique est régulièrement reprise, ce sont plus encore les métaphores sexuelles qui jouent un grand rôle dans cette saison qui marque une progression dans la liberté de ton de la série par rapport à ces questions. Il semble que, dans une certaine mesure, la mise en abyme de la série et les mises en scène de la virginité, de l’homosexualité et de la masturbation entrent dans une même logique de test des limites de ce que les producteurs et téléspectateurs sont susceptibles

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d’accepter. L’écriture et les modalités d’approche de ces thèmes constituent le nœud de la série : tout se passe comme s’il s’agissait de montrer au public les risques pris pour ensuite les désamorcer par un traitement habile qui emporte l’adhésion et suscite le rire.

34 A priori, les épisodes traitant explicitement des questions sexuelles ne sont pas ceux où se déploie l’arc narratif de la création de la série. Pourtant, le jeu des mises en réseaux permanentes dont nous avons vu des exemples fonctionne une nouvelle fois dans ce cas. Le travail d’écriture à deux de Jerry et George offre d’abord une piste pour confirmer leur éventuelle homosexualité. Dans l’épisode « The Outing » (4.16), les deux personnages s’entretiennent avec une journaliste dans une scène aux quiproquos multiples où leur travail en commun passe pour un indice de plus d’une complicité qui dépasse le stade de l’amitié10. Plus tôt dans la saison, l’épisode traitant de la virginité (4.10) permet de remettre au premier plan le manque d’expérience des scénaristes ignorant leur métier, maladroits dans l’approche de leur sujet, incapables de se mettre en action. L’épisode « The Virgin » commence ainsi par une scène où Jerry s’inquiète de ne pas être parvenu à écrire – les hésitations de la vierge pour le passage à l’acte feront écho aux excuses que se sont trouvés George et Jerry pour ne pas écrire.

La masturbation: impuissance ou création?

35 Enfin, de manière plus fondamentale, la masturbation traitée dans l’épisode « The Contest » (4.11) s’associe étroitement au processus créatif. Reprenons au moment où George fait preuve d’une absence de fierté risible face aux producteurs de NBC qui lui demandent de revenir sur l’idée d’une série ne parlant de rien. Prêt à tout pour obtenir les faveurs des producteurs, il s’exclame : « Without a story, this is just masturbation ! », phrase accueillie avec surprise et réserve par tout l’entourage (voir figure 7).

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Fig. 7 : Le nouveau dogme de George : ne pas écrire pour se faire plaisir

36 En quoi la création d’une série comme Jerry peut-elle être associée à l’onanisme ? Une première réponse consisterait à revenir sur la première réaction de Kramer et de George à l’évocation d’une sitcom sur Jerry (4.3). Chacun des deux va proposer des idées incongrues et peu convaincantes. Ces propositions ne tiennent aucun compte de ce qui est susceptible de séduire un large public. Elles reflètent plutôt le caractère déviant ou dérangé des deux personnages qui cherchent à se faire plaisir plutôt qu’à s’interroger sur la validité de leurs idées. La proposition est l’équivalent d’une pulsion irréfléchie où la satisfaction personnelle passe au premier plan. Ainsi, la création ressemble bien dans ce cas à la masturbation : elle passe par un fantasme, une idée personnelle à partir de laquelle l’imaginaire de l’individu travaille. Dans les deux cas, tout destinataire est nié, notamment parce que Kramer et George s’attachent à la première idée qui leur vient à l’esprit.

37 Autre caractéristique de l’écriture de la sitcom Jerry : composée par deux hommes, elle intègre avec difficulté l’élément féminin. Dans « The Shoes » (4.17), George et Jerry sont prêts à évacuer le personnage d’Elaine, qu’ils ont oublié dans leur pilote et pour laquelle ils ne parviennent pas à imaginer le moindre dialogue. Comment savoir ce qui se passe dans l’esprit d’une femme ? L’affaire paraît insurmontable. Si Elaine parvient à intégrer la série, ce n’est que par l’intermédiaire de deux scènes de voyeurisme, où la convoitise masculine finit par rendre indispensable une présence féminine. Ce regard concupiscent porté sur la femme sera évidemment l’un des leitmotivs de l’épisode « The Contest » (4.10) : George observe une patiente qui se dénude derrière un drap à l’hôpital ; Kramer et Jerry profitent de la présence d’une voisine qui se déshabille face à leurs fenêtres.

38 Par un savant jeu de miroirs, c’est sur la série Seinfeld que le principe de George finit par trouver un écho. « The Contest », comme épisode, représente au premier degré le sens de la phrase prononcée par George. Puisqu’il n’y a pas d’histoire, il n’est question

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que de masturbation. C’est pourtant de ce vide que naît un épisode. Ce qui apparaît n’être rien, pur plaisir personnel qui n’a que soi pour visée, se révèle en fait plus productif qu’on ne l’imagine. Comme le dit Jerry un peu plus tôt, « Nothing is something. » (voir figure 8)

Fig. 8 : Jerry et le compromis théorique : produire à partir du néant

39 Plus largement, donc, ce qui n’intéresse que soi, qui ne semble avoir de signification que pour soi vaut en réalité d’être partagé. Les histoires anodines vécues par les auteurs ou racontées à eux sont susceptibles d’être investies par autrui. La masturbation associée à l’écriture de la série Seinfeld signifie certes à un premier niveau que les auteurs n’ont rien à transmettre, en termes de valeurs, ou de messages. Constamment réaffirmée, l’idée de transgression présente la particularité de ne produire dans un second temps aucun retour à la norme, à laquelle une morale pourrait aisément se greffer. Mais le triomphe de ce cynisme, de cette méchanceté gratuite demeure une création, une production de l’esprit qui, aussi dévalorisée soit-elle, persiste à affirmer son existence. Ainsi, l’impuissance fondamentale à construire un récit classique aux repères identifiables contraste avec le pouvoir des auteurs de bâtir sur des ruines. L’onanisme n’est pas qu’un pis-aller, pour poursuivre la métaphore sexuelle. Il ne fait pas que s’associer négativement aux refoulements et frustrations vécus par les personnages. Ce pur témoignage de l’égotisme est aussi partie prenante de la création. Si mettre en abyme la fiction risque à coup sûr de passer pour un exercice d’autosatisfaction des auteurs s’occupant seulement d’eux-mêmes, c’est encore, quoiqu’il en soit, une production. Aussi, l’arc narratif de la saison 4 ne fait que mettre à jour le dispositif fondamental de la série où du rien naît quelque chose. Plus que ce qui est produit, c’est bien le processus qui importe, le moment où ce qui n’est pas, ce qui semble infinitésimal, se transforme en quelque chose. D’un détail anodin surgit une interrogation dont la démesure fait le comique. Pour l’acteur, c’est le

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mouvement qui le conduit à endosser un rôle qui est mis en scène au gré de chaque épisode. On peut penser au jeu décalé de Jerry Seinfeld semblant parfois incarner à peine un rôle – ou peut-être n’est-il, comme le dit la productrice de NBC, qu’un comique de stand-up ne sachant pas jouer la comédie (4.24). George est évidemment la représentation extrême de cette capacité à endosser des rôles contradictoires et d’une impossibilité fondamentale à les conserver11. Logiquement, dans un temps où la sitcom lorgne vers le feuilleton en ménageant des évolutions aux personnages et en cherchant à utiliser le facteur temporel, Seinfeld sera marquée par une remarquable discontinuité : on laisse, au choix, George à la merci d’un tueur en série dans les toilettes d’un avion (4.12) ou dans les bras d’une amoureuse un peu trop passionnée (4.16) pour le retrouver seul et vivant, sans mémoire de ce passé embarrassant à l’épisode suivant. Chaque élément repris l’est dans une perspective non temporelle, sur le mode de la citation, du clin d’œil, dans un mouvement référentiel que nous avons déjà analysé.

40 Dans cette recherche du plaisir immédiat, qui naît d’un rien et se revendique infécond, c’est la culture du stand-up qui innerve la série (voir figure 9).

Fig. 9 : Le rire du stand-up : la culture de l’autoréférentiel

41 À travers un format qui reste parfaitement standardisé, cette culture fait exploser les codes de la sitcom. Mais ce dépassement est aussi celui du stand-up lui-même, dans la mesure où les auteurs créent d’épisode en épisode, de saison en saison, un écheveau complexe de signes, dans lequel importe plus la relation entre les éléments qu’une situation comique prise en elle-même.

42 Modestie et vanité se confondent dans le projet, comme le soulignent les auteurs dans le dialogue entre George et Jerry12. Le substantif « fun » résume à lui seul l’objectif visé par la création (voir figure 10). Débarrassée d’hypocrites fonctions qui alourdissent son contenu, la sitcom apparaît pour ce qu’elle est : petit produit, fait de peu de choses dès lors que les conventions attachées aux personnages et aux intrigues sont abandonnées.

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Fig. 10 : Faire rire : un projet dérisoire ou modeste ?

43 Les auteurs de Seinfeld veulent à chaque instant rappeler au téléspectateur le caractère purement artificiel de ce qui se joue à l’écran, mais aussi dans l’existence. Dans la série, on joue donc perpétuellement le jeu du dévoilement des mécanismes et d’exhibition des clichés. Si les personnages de Seinfeld sont à coup sûr des voyeurs, c’est bien pour que ceux qui les regardent prennent conscience du spectacle qu’on leur joue, des fictions improbables qu’on leur conte. Face aux voyeurs dupés, le téléspectateur retiendra enfin peut-être d’une création que le soupçon et la lucidité critique sont les deux seules attitudes pertinentes devant l’écran.

BIBLIOGRAPHIE

AHL Nils, FAU Benjamin (dir.), Dictionnaire des séries télévisées, Paris, Philippe Rey, 2011.

COLONNA Vincent, L’Art des séries télé, Paris, Payot, 2010.

GOULD Charlotte, « ‘Not That’s There Anything Wrong With That’: A Queer Reading of Seinfeld », GRAAT, issue #2, June 2007, http://www.graat.fr/queertv04.pdf

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NOTES

1. Sur ce point, comme sur les conditions de production de la saison 4 de Seinfeld, voir le documentaire « La saison du succès » dans les bonus du coffret de la saison 4, chez (2005). 2. Dans l’épisode « The Contest » (4.11), Jerry escompte maîtriser ses pulsions sexuelles en regardant un programme pour enfants. 3. Pour un autre exemple, voir l’épisode « The Cheever letters » (4.8) : George a reçu du père de Susan des cigares cubains qu’il n’aime pas. Il les a offerts à Kramer. Plus tard, invité à passer un week-end dans la cabane que le père de Susan possède, il a vu cette habitation partir en fumée à cause de la négligence de Kramer qui a déposé un cigare dans cette cabane. George aura bien du mal à faire apprécier au père de Susan toute l’ironie de la situation. 4. La question du récit spéculaire est au cœur des créations de Larry David. Il poussera plus avant encore le travail de mise en abyme de Seinfeld dans Curb your Enthousiasm qui fait intervenir les acteurs de la première série dans leur identité de comédiens traçant leur route après l’arrêt de Seinfeld. Il n’est évidemment pas anodin que Larry David ait aussi fini par interpréter un rôle principal chez Woody Allen (Whatever Works, 2009), cinéaste lui aussi préoccupé par la question de l’auto-représentation dans plusieurs de ses films, parmi lesquels on peut citer Crimes and Misdemeanors (1989) ou Deconstructing Harry (1997). 5. Sur ce point, voir aussi Nils Ahl et Benjamin Fau (dir.), Dictionnaire des séries télévisées, Paris, Philippe Rey, 2011, p. 792. 6. Le premier épisode de la septième saison (« The Engagement ») offre un bon exemple de cette évolution. George et Jerry prennent la résolution de donner un sens à leur existence en faisant preuve d’une plus grande maturité dans leurs relations sentimentales respectives, ceci devant les conduire au mariage. Tandis que George franchit le pas avec Susan, Jerry hésite et rompt le pacte, témoignant d’une inaptitude viscérale à évoluer. 7. Que l’on pourrait traduire par « Pas de câlins, pas de transmission de savoir ». 8. Seinfeld est, en effet, une sitcom qui fait paradoxalement exploser les cadres d’un genre, sans s’affranchir pour autant du carcan des règles qui le constituent. Sur ce point, voir Vincent Colonna, L’Art des séries télé, Paris, Payot, 2010, p. 276. 9. En l’occurrence, une condamnation à mort pour avoir écrit Les Versets sataniques, roman qualifié de blasphématoire par l’ayatollah Khomeiny en 1989. 10. Pour une analyse de cet épisode, cf. Charlotte Gould, « ‘Not That’s There Anything Wrong With That’: A Queer Reading of Seinfeld », in GRAAT, issue #2, June 2007, http://www.graat.fr/ queertv04.pdf, lien consulté le 10 décembre 2014. 11. Ce statut aléatoire du rôle et des signes qui le constituent est explicitement mis à jour par les auteurs dans l’épisode « The Opposite » (5. 24), où Elaine et George voient leur situation professionnelle évoluer de manière diamétralement opposée au même moment, tandis que Jerry voit sa situation changer pour devenir strictement identique à ce qu’elle était au départ. La part de l’expérimentation théorique l’emporte sur toute recherche de la vraisemblance. 12. À la fin de l’épisode « The Shoes » (4. 17), George et Jerry, contraints de s’enthousiasmer pour une idée d’Elaine, lui appliquent les termes qu’ils réservaient au dialogue qu’ils avaient eux- mêmes imaginé plus tôt dans l’épisode : GEORGE. Well, it’s a funny idea. SEINFELD. It’s funny. GEORGE. Come on. Funny is funny. SEINFELD. Funny’s funny. We’re here to entertain, right?

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RÉSUMÉS

L’arc narratif principal de la saison 4 de Seinfeld, diffusée sur NBC, consiste en une mise en abyme de la création du show. Cette saison s’intègre en fait dans un processus transgressif global. L’écriture de Seinfeld repose en effet sur une dénonciation sans concession des conventions sociales, des dogmes moraux mais aussi des codes télévisuels liés aux sitcoms. Cette dénonciation s’opère sur le mode de la charge. Montrer ce qui échappe en principe au regard, tel semble être le projet des scénaristes qui, dans leur entreprise de démystification des tabous, incluent les mécanismes de production de la sitcom Seinfeld. Les étapes de création du show présentées dans la saison 4 font l’objet d’un traitement corrosif. De l’absence fondamentale d’idées de la part des personnages soi-disant créatifs aux pitches douteux, en passant par une négociation financière peu reluisante, la série avance cahin-caha vers sa création. Au-delà des soubresauts qui conduisent de la rencontre avec NBC à la diffusion d’un épisode, le caractère provocant de la mise en abyme vient principalement du concept arboré fièrement par le personnage de George : « a show about nothing », concept qui met au premier plan la démarche critique et démystificatrice de la série. Loin de figurer comme une astuce scénaristique, l’arc narratif relatant la fabrication du show exhibe au contraire la volonté de déconstruction à l’œuvre tout au long de la série. Il entre également dans un jeu d’échos au sein d’une sitcom qui fait de l’auto-référence son mode de fonctionnement principal. Ainsi, les étapes qui conduisent à la réalisation du pilote s’articulent aux questions sexuelles traitées dans plusieurs épisodes : la virginité, la masturbation, la frustration, l’homosexualité et l’impuissance. De manière directe ou implicite, la création et les pulsions sexuelles des personnages interfèrent et s’éclairent entre elles.

The principal narrative arc of the season 4 of Seinfeld, broadcasted on NBC, consists of a mise en abyme of the creation of the show. As it happens, this season fits into a more global transgressive process. The writing of Seinfeld is effectively founded upon an uncompromising denunciation of social conventions, moral dogmas, but also televisual codes related to sitcoms. This denunciation takes effect in the form of a charge. To show what, as a rule, escapes from view seems to be the goal of the screenwriters who, in their initiative to demystify taboos, include the mechanisms of production of the sitcom Seinfeld. The steps of the show’s creation presented in season 4 are the object of a corrosive treatment. From the fundamental absence of ideas among the supposedly creative characters to questionable pitches, passing by a far from brilliant financial negotiation, the show advances with difficulty toward its creation. Beyond the jolts that lead from the meeting with NBC to the broadcasting of an episode, the provocative character of the mise en abyme comes principally from the concept proudly sported by the character George: “a show about nothing”, a concept that puts the critical and demystifying approach of the show in the forefront. Far from figuring cleverness, the narrative arc recounting the creation of the show exhibits, on the contrary, a will to deconstruct at work throughout the show. It enters as well into a game of echoes within a sitcom that makes self-reference its principal mode of function. In this way, the steps that lead to the production of the pilot articulate themselves with the sexual questions dealt with in several episodes: virginity, masturbation, frustration, , and impotence. Directly or indirectly, creation and the characters’ sexual impulses interfere and shed light on one another.

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INDEX

Mots-clés : Seinfeld, Jerry, mise en abyme, auto-référence, transgression des codes, sitcom Keywords : Seinfeld, Jerry, mise en abyme, self-reference, code transgression, sitcom

AUTEUR

ERIC GATEFIN Éric Gatefin est docteur en Lettres Modernes (XVIIIe siècle) et actuellement en poste en collège. Membre de l’équipe « Histoire des représentations » de l’université de Tours, il a publié plusieurs articles sur la littérature du XVIIIe siècle (notamment sur Diderot, le romanesque et les mémoires) et sa réception au XIXe siècle. Auteur de contributions sur le cinéma fantastique de Jacques Tourneur et sur les films de Bruno Podalydès, il a également écrit deux articles sur The West Wing d’Aaron Sorkin ainsi qu’une contribution sur Homeland pour l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales).

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Game of Thrones: Quality Television and the Cultural Logic of Gentrification

Dan Hassler-Forest

1 It has become commonplace to proclaim that we live in a new Golden Age of television drama. Since the late 1990s, we have experienced a veritable deluge of serialized television narrative that is routinely compared (and often favorably) to the literary masterworks of Shakespeare, Dickens, Balzac, and Pynchon. HBO evangelists have proclaimed that the television series is already the dominant narrative form for the 21st century, as film had been for the twentieth, and the novel had been for the nineteenth1. Whether or not this kind of hyperbole is justified remains to be seen, but when the most frequently discussed question within a university’s English literature department is no longer ‘what book do you recommend?’ but ‘which series should I be watching?’, it seems obvious that something has certainly changed.

2 Ironically, this transformation of television culture has occurred during the exact period in which television itself has in many ways experienced its demise: the medium’s third era, in which its boundaries are challenged and reframed by the rise of digital culture and media convergence2, is referred to as ‘post-television’ in the same way that its second era was ‘post-network3’. In certain ways, the television medium therefore seems to be experiencing this Golden Age posthumously, though perhaps we should be careful before we proclaim yet another narrative medium officially deceased.

3 One of the most remarkable transformations in this period of widespread acclaim for certain kinds of new televisual content has been the prominence of fantastical genres. Long a fringe phenomenon within scripted television drama4, genres like fantasy, horror, and science fiction have played an increasingly dominant role in the development of 21st-century ‘Quality TV’: American network hits like Lost (ABC, 2002-2010) and (NBC, 2006-2010), basic cable phenomena like Battlestar Galactica (SyFy, 2004-2009) and The Walking Dead (AMC, 2010- ), and premium cable productions from Dead Like Me (Showtime, 2003-2004) to True Blood (HBO, 2008-2014) are among the most widely acclaimed serialized television narratives5. HBO’s hit fantasy series Game of

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Thrones (2011- ) is not only the most successful exponent of this development, but it also demonstrates clearly how television’s adaptation of the content, the forms, and the discursive practices of other media have resulted in its recent increase in cultural capital6. It adapts not only a series of novels that had developed a small but very devoted fan base, but also a larger set of aesthetic and discursive practices that relate back to the institutional framework of American premium cable and ‘Quality TV.’

4 As a case study that illuminates some of the key transformations in serialized television drama, it therefore suits not only the framework of shifting hierarchies of adaptive value in the context of media convergence and globalization: the narrative’s emphasis on political in an imaginary world brings into sharp focus the relationship between fictional geopolitics and our own ‘post-ideological’ moment7. While the franchise’s status as a global cross-media phenomenon constitutes its own politics of adaptation, the ideology reflected by its world-building process simultaneously makes up an illuminating adaptation of politics. The overwhelming success of the Game of Thrones brand thus provides us with a unique opportunity to study not only the ways in which the ongoing transformation of media culture has affected traditional methods of adapting literary texts to other media, but also the complex cultural hierarchies that shape our reading of them.

5 In the following essay, I will argue that this transformation of media value constitutes a politics of adaptation that revolves around appealing to a desirable global elite audience through elaborate processes of branding and gentrification. In the first section, I introduce and unpack the term ‘Quality TV’ as a meta-genre that has shaped the recent development of what we might term ‘cine-literary television.’ The second part of this article will offer a critical reflection of how the creation of imaginary worlds relies on its own form of politics, which in the case of Game of Thrones involves the mapping out of a pseudo-medieval geopolitical landscape that relates back to an imagined global past. Then, in the third and final section, my article brings together these elements in its discussion of ‘grittiness’ and ‘authenticity’ as concepts that can be applied to better understand Game of Thrones as a particularly relevant case study that places ‘Quality TV’ within the cultural logic of gentrification.

1. ‘Quality television’ and cine-literary culture

6 As network audiences declined in the face of competition from the proliferation of cable and satellite channels in the 1980s, the networks became less concerned with attracting mass audiences and increasingly concerned with retaining the most valuable audiences: affluent viewers that advertisers were prepared to pay the highest rates to address. In other words, the compulsiveness of ‘must see’ television is designed to appeal to affluent, highly educated consumers who value the literary qualities of these programs, and they are used by the networks to hook this valuable cohort of viewers into their schedules.

7 The first and most important obstacle for the producers of Game of Thrones to overcome was the low-brow perception of the fantasy genre. Many television critics initially sneered at the notion that a premium cable network like HBO would include this type of genre material in their established ‘Quality TV’ brand, with the New York Times describing it as ‘boy fiction patronizingly turned out to reach the population's other half8’. But audiences and critics alike were soon won over, and Game of Thrones now

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stands as one of the most widely acclaimed series in HBO’s current roster of programs, with its fourth season breaking the network’s viewership record previously held by the final series of The Sopranos9.

8 A key element in the series’ success has been its producers’ successful negotiation of the text’s relationship to its generic affiliation on the one hand, and its position within the format of premium cable ‘Quality TV’ on the other. This concept of ‘Quality TV’ is constructed around the notion of appealing to a particular audience with abundant disposable income, and has traditionally been organized around hybrid texts that combined familiar television formats with themes and aesthetics drawn from more celebrated sources such as the Hollywood gangster film, romantic comedy, and European arthouse cinema. Following the basic format established in the early 1980s by production company MTM, HBO was the first cable TV company to foreground its programming’s high art connections by emphasizing ‘character development, structural complexity, reflexivity, [and] aesthetic innovation10’. This formula ensured the critical success of series ranging from HBO’s own The Sopranos (1999-2007) and Sex and the City (1998-2004) to Showtime hits like Homeland (2011- ) and Californication (2007-2014), all of which are designed to appeal primarily to premium cable’s coveted audience of upper-middle class subscribers with abundant disposable income.

9 The ‘quality TV’ meta-genre should therefore be read primarily as a form of adaptation, successfully ‘remediating11’ the aesthetics of cinema on the one hand, and the narrative structure of the 19th-century realist novel on the other. But at the same time, television’s strategic incorporation of elements from other media occurred within a context in which all narrative media were fully engaged in a complex process of technological and cultural convergence12. Jim Collins describes the resulting alignment between cinema and literature as a new kind of ‘cine-literary culture,’ allowing for ‘an unprecedented interdependency of the publishing, film, and television industries, which can reach that “public at large” wherever it may be with ever greater proficiency13’. The flattening out of former cultural hierarchies therefore results in an environment in which changing social practices alongside the increasing conglomeration of media industries has made the consumption of ‘quality TV’ a cine- literary experience that creates new value for corporate producers like HBO.

10 This appeal hinges on HBO’s identity as a premium brand offering boutique programming, perpetually constructing for itself ‘an air of selectivity, refinement, uniqueness, and privilege14’. For HBO and other television producers in the post- network era, the careful development of this brand identity has relied on the way in which it ‘offers consumers a place where it’s okay to be transgressive with regard to mainstream television15’. Premium cable’s drama series tend to offer this kind of televisual transgression by including depictions of nudity, sex, and violence, alongside generous profanity, thus differentiating itself from ‘normal’ network TV drama and its traditional policy of offering ‘least objectionable programming (LOP)16’. These characteristics have become so institutionalized and predictable that the term ‘Quality’ in this context should be taken not so much as an actual qualitative distinction, but as identifying ‘a set of generic traits that distinguishes a group identity17’.

11 This group identity, spearheaded for over a decade now by HBO’s corporate brand, distinguishes itself by offering what might be described as ‘most objectionable programming,’ but in ways that are experienced as literary rather than televisual, ground-breaking rather than gratuitous, challenging rather than accessible. Celebrated

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by enthusiastic audiences as complex texts that use the television medium to combine the production values and visual style of cinema with the narrative complexity of the 19th-century novel, ‘Quality TV’ has in recent years bestowed a bourgeois sense of respectability upon a medium all too frequently maligned by highbrow audiences:

HBO must continuously promote discourses of ‘quality’ and ‘exclusivity’ as central to the subscription experience. These discourses aim to brand not only HBO, but its audience as well. In this manner, pay cable sells cultural capital to its subscribers, who are elevated above the riffraff that merely consume television, a medium long derided as base and feminizing in its unabashed embrace of consumerism18.

12 Described by some as ‘The Sopranos meets The Lord of the Rings19’, Game of Thrones combines the cinematic visual spectacle of pseudo-medieval high fantasy with the tonal register of adult-oriented Quality TV, adapting what was generally viewed as an immature niche genre to HBO's upmarket brand identity. Commensurate with this seal of cultural respectability is the explicit identification of an author figure who is responsible for the text – which, in the case of Game of Thrones, is not only identified in the writerly persona of George R.R. Martin, but also in the series’ celebrated duo of executive producers, David Benioff and Daniel B. Weiss. Their co-authorship of the television adaptation, which is emphasized throughout the series’ promotional materials, reflects the historical development through which show runners and executive producers gained ever greater public prominence as celebrated creative forces, ‘because their names proved more attractive to demographically desirable audiences than did the network brand20’.

13 This foregrounding of author figures activates specific discourses of fidelity and literacy, and in a way that places ‘a high premium on the kind of authorship more commonly associated with traditional art forms carrying high cultural kudos: theater, international art cinema, and literature21’. In the case of Game of Thrones, the series’ systematic incorporation of brutal violence and explicit sex scenes thus functions not only to ‘liberate television fiction from the laws governing established creative practices and writing styles22’, as is by now customary for premium cable productions; it also adapts the fantasy genre in a way that makes it more attractive and accessible to a very particular and explicitly adult audience, thus dramatically increasing its commodity value.

14 Game of Thrones should therefore be seen as an adaptation in multiple senses: not only as a that adapts a series of novels, but also as the adaptation of an industrial framework that expands the existing parameters of what constitutes ‘Quality TV’ in the post-network era. At the same time, the series has managed to re-articulate and re-organize key generic features of high fantasy and its audience. Premium cable appeals to its core viewers because it ‘minimizes the value of popular television and popular culture in general while marketing and addressing seemingly non-televisual programs to upscale television audiences23’. The development of Quality TV is also an intensely gendered form of cultural discourse:

if TV feminizes all who watch it, and feminization is linked to a loss of power and status brought about through the act of consumption, then HBO’s brand offers to “re-mark” subscribers as “masculine,” thus repositioning its audience as powerful bearers of cultural capital that is free from the commercialized trappings of regular television24.

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15 This makes it irrelevant whether the actual audience is predominantly male or female: either way, the dispositif that defines the viewer’s relationship to the medium has been changed from ‘passive,’ ‘feminine’ spectatorship to that of an ‘active,’ and therefore ‘masculine’ connoisseur.

2. Topofocal Storytelling: Fantasy Maps and the Politics of World-Building

16 The promotional material surrounding the first season of Game of Thrones generally emphasized the ways in which it departed from general preconceptions about the fantasy genre, most noticeably in the emphasis on complex, adult storytelling. One of the generic features of the fantasy genre that has been left intact both in Martin's novels and in the TV adaptation is the strong emphasis on the mapping of imaginary geographical spaces, as is so often the case with ‘secondary worlds25’. With many varieties of high , one is all but forced to keep the accompanying maps handy while reading, as one’s understanding of the narrative is mostly predicated on the ability to follow the characters' trajectories through this fictitious geography. In many fantasy franchises devoted to the development of imaginary worlds, this emphasis on mapping out the diegetic environment shifts the audience’s focus from the narrative’s causal chain to the complex environment that sustains it, something Stefan Ekman refers to as a ‘topofocal’ – or place-centric – approach, in which ‘setting is as important as character and plot’26.

17 The books in the series include multiple maps of the lands of Westeros and the franchise's other notable imaginary areas, which prove to be essential in order to form a basic understanding of the narrative events. Similarly, the opening credits of the TV version present an animated rendition of this geographical map, offering the viewer helpful weekly reminders of the spatial relations between the story’s key locations27. In addition, fan-made maps and highly detailed breakdowns of the series’ various national histories and geographies have proliferated on the web, further emphasizing the crucial role played by the literal mapping of space in this fantasy environment28.

18 This obsession with spatio-temporal integrity is by no means unique to fantasy. One might say that the mapping out of multiple characters’ trajectories through measurable time and space has been an organizing feature in narrative fiction from the early modern novel onwards: Robinson Crusoe (1719) and Pride and Prejudice (1813), perhaps the two most widely read and most frequently copied novels in the English literary tradition, are only the most obvious examples of a similarly obsessive textual mapping of characters in relation to coherent temporal and geographical coordinates. As David Harvey has noted in regard to this way of mapping out and thereby controlling space,

The Renaissance revolution in concepts of space and time laid the conceptual foundations in many respects for the Enlightenment project. What many now look upon as the first great surge of modernist thinking, took the domination of nature as a necessary condition of human emancipation. Since space is a ‘fact’ of nature, this meant that the conquest and rational ordering of space became an integral part of the modernizing project29.

19 The high fantasy genre and its insistent mapping of imaginary space is therefore all the more remarkable for the fact that its narratives are resolutely anti-modern, even as

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they rely so heavily on quintessentially modern organizations of space and time that produce what Harvey calls ‘a homogenization and reification of the rich diversity of spatial itineraries and spatial stories,’ while ‘eliminating little by little all traces of the practices that produce it30’. Or, as Negri and Hardt would put it: ‘Modernity replaced the traditional transcendence of command with the transcendence of the ordering function31’. In other words, the kind of mapping so commonly associated with -building automatically suggests a politics of conquest and imperialism, as the individual character’s abilities to navigate these spaces become the default focus.

20 20th-century modernist literature destabilized this early modern sense of spatio- temporal coherence, fracturing the integrity of space and time by its intensely subjective forms of representation32, and late 20th-century postmodernism represented an even more radical challenge to our ability to develop what Jameson describes as a cognitive map of our environment33. The contemporary popularity of high fantasy may therefore be understood in part at least as a response to the genre’s dialectical tension between the pre-modern worlds they tend to articulate, and their fundamentally modern ways of organizing and representing them.

21 The most problematic aspect of this preoccupation with the mapping out of geopolitical spaces is the way this naturalizes a fundamentally political dichotomy between a Western ‘us’ and non-Western ‘Other,’ occupying ‘a specific place in a spatial order that was ethnocentrically conceived to have homogeneous and absolute qualities34’. The way in which these maps organize the narrative’s physical and conceptual space into a basic binary distinction between the civilized world of Westeros and the more mystical, dangerous, and generally more primitive areas to the east and south reflect a very specific tradition of the high fantasy genre that articulates a distinctly Eurocentric perspective35. Visits to the foreign lands surrounding the central kingdoms of Westeros demonstrate the conventional forms of Orientalism, as both the non-Western geographies and their inhabitants are portrayed as mysterious, unchanging, backwards, and treacherous. Therefore, although Game of Thrones does not entirely duplicate Tolkien's more rampant xenophobia, the series’ structural distinction between a Western ‘us’ and a mystical, foreign ‘other’ does clearly re-articulate the genre’s traditional Eurocentric construction of global geopolitics.

22 In the series, this distinction is made most obvious in the plot strand that follows the exiled Daenerys Targaryen, one of several candidates who seek to claim the Iron Throne and become the single ruler of Westeros and its seven kingdoms. She has spent all of her time in the five novels that have been completed as of spring 2014, and the four seasons of the television series, in the lands of Essos, located to the east and across the sea from the franchise’s central kingdoms. As Daenerys moves around the larger but far more thinly populated lands of Essos, she encounters several different cultures, many of which exist either as tribal hunter-gatherers (e.g. the Dothraki) or as vaguely Orientalist city-states (e.g. Qarth). What all the lands outside of Westeros have in common is that they are presented as more primitive and implicitly unchanging than the more advanced Seven Kingdoms. And while these cultures are not presented with the same degree of callous disdain that Tolkien famously demonstrated for any peoples from outside the borders of Middle-earth, the overwhelmingly Eurocentric perspective that organizes the series’ topofocal world couldn’t be more obvious: the central ‘game of thrones’ illustrates vividly how the central dramatic conflict in the franchise

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revolves around gaining control of the proto-European area of Westeros, with all the more primitive lands of decidedly secondary importance.

23 The series’ racial politics in relation to its spatial organization is even more pronounced in the television adaptation, where the ‘Common Tongue’ in Westeros is English36, while the inhabitants of Essos speak in made-up languages like ‘High Vallyrian,’ which are subtitled. The result is that the distinction between the ‘normal’ space of the kingdoms of Westeros, as a fantastical hybrid that fuses the British isles with continental Europe, systematically privileges the Eurocentric perspective over its available alternatives. While the series does go out of its way to cast its characters in such a way that none of these more ‘primitive’ lands can be directly related to a single real-world equivalent, the overall effect strongly reinforces the Orientalist conceit that projects a radical otherness onto the East37.

24 The politics of this patronizing representation of non-Western spaces becomes most painfully obvious in the extended of Daenerys’s to liberate the slaves in several city-states in the southern region of Essos, located around Slaver’s Bay. The motif of an enlightened ‘white messiah’ liberating non-Western cultures from their backward ways has a long history in Western literature and cinema, with countless examples ranging from Rudyard Kipling’s ‘White Man’s Burden’ (1899) to Steven Spielberg’s Indiana Jones and the Temple of Doom (1984). The fact that Daenerys happens to be a female white messiah whose naïve actions produce unexpected complications should not be interpreted as especially progressive in terms of the series’ fundamental Orientalism: the key point is that the civilizations outside of Westeros, populated by people of color, are once again shown to be unable to control their own destinies, requiring the intervention of a ‘more advanced’ outsider. In spite of Game of Thrones’ aesthetic sophistication, narrative complexity, and adult sensibilities, the way it therefore maps out its world still tends to fall in line with a reactionary form of politics that privileges the Western perspective while applying generic but nevertheless egregious stereotypes to its imagined, non-Western ‘other.38’

3. Gentrification and the construction of ‘authenticity’

25 The mapping out of difference within the diegetic world of Game of Thrones reflects and enhances the current transformation of television as an important bearer of cine- literary cultural capital. As described above, the series’ appeal to its largest audience derived not from its relationship to its literary source, which for most viewers formed an obstacle rather than an attraction. While the publicity campaign made good use of the novels’ readership as online ‘influencers’ whose extensive use of social media provided the first season with positive ‘buzz’, most promotional materials distributed by HBO foregrounded the show’s complexity, its maturity, and its novelty. Paradoxically, the series’ respectability came to rely on familiar ‘Quality TV’ ingredients like its harsh violence, its uncompromising cynicism, and its frank depiction of sexual acts. The class-based prejudice that has legitimized this practice ‘implies that pay cable consumers can handle graphic language, sex, and violence in a more thoughtful and productive way than broadcast viewers39’.

26 In its depiction of sex and (female) nudity, the series pays lip service to the books’ cynical perspective on sex and the female body as a form of currency in its pseudo- medieval society. But more than this, several critics have pointed out that the show's

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constant flaunting of naked female bodies, quickly and astutely dubbed 'sexposition' by blogger and cultural critic Myles McNutt40, has more to do with the kind of audience the series is addressing, and its obvious attempts to rid itself of those genre elements that have limited high fantasy to a primarily fan-driven audience. Indeed, ‘the show’s softly lit and erotic staging of any scene involving a naked woman evokes Playboy of the 1960s and ’70s more than it underscores sexual politics or a culture of violence41’. At the same time, the series makes sure that it caters to progressive tastes and female viewers by including many women characters in non-traditional gender roles, including Brienne, Arya, and Daenerys.

27 The inclusion of such sexually explicit material simultaneously adapts fantasy as a genre that is appropriate for an adult audience. Just as cultures of fandom are derogatorily viewed as immature or even childish, many of the key texts in popular cultures of fandom are marked by a peculiarly chaste or even puritanical approach to nudity and sexuality. Star Wars, The Lord of the Rings, Harry Potter, and many other key fan-driven franchises in the broad ‘popular fantasy’ genre display little interest in sexuality or eroticism, with romantic relationships defined primarily by fairy-tale concepts of chivalric love and extremely chaste depictions of romantic relationships. Taken together with the fantasy genre’s prominent association with role-playing, flat characters, and fantastical creatures, the general perception has been one of a pervasive and perhaps even fundamental lack of maturity. And while the breakthrough success of Peter Jackson’s filmed Tolkien adaptations has certainly contributed to the genre’s wider acceptance among mainstream audiences, the franchise’s depiction of Middle-earth did little to alter the larger sense that the genre thrived on childish spectacles of good versus evil. A key aspect of the transformation of the fantasy genre orchestrated by Game of Thrones is therefore its deliberate appeal to an explicitly upscale and (crucially) adult audience, which was accomplished primarily through the established aesthetic paradigms of Quality TV.

28 These elements bestow upon the show a critical sense of discursive authenticity that aligns itself with what sociologist Sharon Zukin has described as the cultural logic of gentrification. In her book Naked City: The Death and Life of Authentic Urban Places (2010), she describes gentrification as a hegemonic cultural process in which a political and economic elite continuously seeks out both physical spaces and (sub)cultural practices that are specifically associated with a ‘gritty’ sense of authenticity:

Critics praised gritty novels, plays, and art for their honest aesthetic qualities, their ability to represent a specific space and time, and identified ‘gritty’ with a direct experience of life in the way that we have come to expect of authenticity. … Today the use of ‘gritty’ in the media depicts a desirably synergy between underground cultures and the creative energy they bring to both cultural consumption and real estate development, not as an alternative to but as a driver of the city’s growth42.

29 Game of Thrones’ discursive authenticity as an example of the cultural logic of gentrification resides not only in the many paratextual reassurances that the show is faithful to its literary source. It is also and perhaps even more visible in its uncompromising dedication to premium cable’s familiar kind of ‘most objectionable programming’ involving sex and violence. While distancing itself from popular perceptions of the supposedly infantile fantasy genre, Game of Thrones offers value to those ‘hipsters and gentrifiers’ who continuously seek out novel but crucially

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‘authentic’ experiences43, and who of course also happen to make up HBO’s most desirable audience.

30 The show’s tendency to court controversy therefore makes more sense once we perceive it from this perspective of gritty, uncompromising authenticity, and the way it continuously distinguishes HBO’s brand identity from ‘normal’ network television. As the series has developed throughout its first four seasons, it has in fact adapted the most violent and controversial moments from the novels by making them even more extreme than the already somewhat notorious source texts44. For instance, in the third- season episode that adapts the ‘Red Wedding’ chapter from the novel A Storm of Swords (2000), the mass murder that takes place on-screen involves not only the grisly deaths of popular leading characters Robb and Catelyn Stark, but also that of Robb’s fiancée, whose pregnant belly is graphically stabbed several times before her throat is slit. The show-runners thus made the scene not only as graphically violent as possible, but adapted it for television in a way that made an already grisly sequence a great deal more upsetting and controversial, resulting in a great deal of desirable media attention that once again emphasized the show’s ‘gritty’ and ‘uncompromising’ authenticity.

31 This moment and others like it demonstrate clearly that the traditional logic of film and television adaptations, in which the most potentially offensive elements are either removed or softened, finds its opposite in the cultural logic of gentrification and its politics of adaptation. The creation of value in this context hinges on the hegemonic and adaptation of subcultures and genres in ways that are experienced as overwhelmingly ‘gritty’ and ‘authentic.’ But while their Quality TV aesthetics align such offerings with recognizably branded commodities that hold enormous value for ‘distinguished’ viewers, the ideological organization of the franchise’s story-world articulates the same kind of politics that underlies global processes of gentrification.

32 Much in the same way that AMC's popular TV adaptation of the comic book series The Walking Dead (2010-) has made the zombie genre accessible to a new audience, Game of Thrones has played a key role in the gentrification of the fantasy genre. While carefully working to remain inclusive towards the fan cultures that have traditionally sustained such texts, the HBO adaptation makes Martin’s story-world accessible to a ‘quality’ audience that does not define itself in terms of fandom. Instead, high-culture categories of authorship, novelistic narrative complexity, psychological realism, and adult- oriented scenes of sex and violence connect to a larger discourse of innovative quality television that is innovative and ‘edgy’ in ways that remain tasteful to bourgeois viewers.

33 But while some of the most noticeable characteristics of traditional fantasy fiction have been tweaked or altered to adapt to the show's envisioned audience, Game of Thrones’ rewriting of genre conventions leaves the most ideologically problematic building blocks largely intact: while the show resists the traditional Manichean structure of high fantasy, its larger plot still revolves around the concept of a monstrous exterior threat to its central proto-European geography; while the genre’s most rampant xenophobic tendencies are at the very least tempered, the governing framework of Orientalist prejudice and racist assumptions is left intact; and even as the series’ narrative critiques institutionalized sexism, it continuously fills up the screen with naked female bodies subjected to the male gaze. The franchise’s success amongst upscale audiences can therefore be related more convincingly to cosmetic changes that bestow prestige

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on a disreputable genre than with any substantial attempts to address the reactionary ideological premises that ultimately continue to delimit the high fantasy genre.

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Catherine Johnson, “Tele-branding in TVIII: The network as brand and the programme as brand”, in New Review of Film and Television Studies, Vol. 5, No. 1, 2007, p. 5-24. 3. Roberta E. Pearson, “Lost in Transition: From Post-Network to Post-Television”, in J. McCabe and K. Akass (eds.), Quality TV: Contemporary American Television and Beyond, London, Tauris, 2007. 4. Jason Mittell, Genre and Television: From Cop Shows to Cartoons in American Culture, Florence, Psychology Press, 2004. 5. While American productions remain the global norm for trends in serialized TV drama, recent European productions such as the British In the Flesh (BBC, 2013- ), British-Canadian co- production Orphan Black (BBC America, 2013- ), and the French Les Revenants (Canal+, 2012- ) demonstrate that the interest in fantastical genres is not limited to US television. 6. Pierre Bourdieu, Distinction: A Social Critique of the Judgment of Taste, London, Routledge, 2010. 7. Slavoj Žižek, The Sublime Object of Ideology, London, Verso Books, 1989. 8. Ginia Bellafante, ‘A Fantasy World of Strange Feuding Kingdoms’, in The New York Times, April 4th, 2011. 9. Tim Kenneally, ‘Game of Thrones Becomes Most Popular Series in HBO’s History’, in The Wrap, June 5th, 2014. 10. Jane Feuer, ‘The MTM Style’, in S. Feuer, P. Kerr and T. Vahimagi (eds.), MTM ‘Quality Television’, London, BFI, 1984, p. 34. 11. Jay David Bolter and Richard Grusin, Remediation: Understanding New Media, Cambridge, MIT Press, 2000. 12. Henry Jenkins, op. cit. 13. Jim Collins, Bring On the Books for Everybody: How Literary Culture Became Popular Culture, Durham, Duke University Press, 2010, p. 33. 14. John T. Caldwell, Televisuality: Style, Crisis and Authority in American Television, New Brunswick, Rutgers University Press, 1995, p. 141. 15. Marc Leverette, ‘Cocksucker, Motherfucker, Tits’, in M. Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley (eds.), It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television Era, New York, Routledge, 2008, [p. 123-51], p. 144. 16. Robin Nelson, ‘Quality TV Drama: Estimations and Influences Through Time and Space’, in J. McCabe and K. Akass (eds.), Quality TV: Contemporary American Television and Beyond, London, Tauris, 2007, p. 39. 17. Sarah Cardwell, ‘Is Quality Television Any Good?’, in J. McCabe and K. Akass (eds.), Quality TV: Contemporary American Television and Beyond, New York, I.B. Taurus, 2007, [p. 19-34], p. 32. 18. Avi Santo, ‘Para-Television and Discourses of Distinction: The Culture of Production at HBO’, in M. Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley (eds.), It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television Era, New York, Routledge, 2008 [p. 19-45], p. 20. 19. Sarah Hughes, ‘“Sopranos Meets Middle-earth”: How Game of Thrones Took Over Our World’, The Guardian, March 22nd, 2014. 20. Roberta E. Pearson, op. cit., p. 241. 21. Janet McCabe and Kim Akass, ‘It's Not TV, It’s HBO’s Original Programming: Producing Quality TV’, in M. Leverette, B.L. Ott and C.L. Buckley (eds.), It’s Not TV: Watching HBO in the Post-Television Era, New York, Routledge, 2008, [p. 83-94], p. 87. 22. Ibid., p. 89. 23. Sudeep Dasgupta, ‘Policing the People: Television Studies and the Problem of “Quality”’, NECSUS, Vol. 1, No. 1, Spring 2012. 24. Avi Santo, op. cit., p. 34. 25. Mark J.P. Wolf, Building Imaginary Worlds: The History and Theory of Subcreation, London, Routledge, 2012. 26. While Ekman’s study acknowledges that many fantasy books are published without accompanying maps, his empirical work as well as his own specialized engagement with the topic

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demonstrates quite vividly the commonly assumed equivalence between fantasy narratives and maps of imaginary lands. See Stefan Ekman, Here Be Dragons: Exploring Fantasy Maps and Settings, Middletown, Connecticut, Wesleyan University Press, 2013, p. 2. 27. As the series moves through its yearly seasons, the animated map in the opening credits has changed to reflect the importance of new locations as well as changes to existing ones. 28. See for example the interactive Google Map of Westeros created by fans (see Ben Beaumont- Thomas, ‘Game of Thrones fans create an interactive map of Westeros… via Google Maps’, in The Guardian: Radio & TV Blog, April 15th, 2014), or the elaborate geological map created by a team of geologists and map designers at Stanford University (see Annalee Newitz, ‘A Fantastically Detailed Geological History for Game of Thrones’, http://io9.com/a-fantastically-detailed- geological-history-for-game-of-1561092800, April 8th, 2014). 29. David Harvey, The Condition of Postmodernity, Malden, Blackwell Publishing, 1990, p. 249. 30. Ibid., p. 253. 31. Antonio Negri and Michael Hardt, Empire, Cambridge, Massachusetts & London, England, Harvard University Press, 2000, p. 88. 32. David Harvey, op. cit., p. 10-38. 33. Fredric Jameson, ‘Cognitive Mapping’, in C. Nelson and L. Grossberg (eds.), Marxism and the Interpretation of Culture, Champaign, University of Illinois Press, 1990, p. 347-60. 34. David Harvey, op. cit., p. 252. 35. One central of the series is that the larger threat to the inhabitants of Westeros actually comes from the North, beyond The Wall. 36. Tellingly, characters who live in ‘the North’ of Westeros have (mostly) Northern-English or Scottish accents, like the Sheffield-born actor Sean Bean, while those in the more southern capital of King’s Landing have fancier-sounding southern accents (see Brian Wheeler, ‘Why are Fantasy World Accents British?’, in BBC News, March 30th, 2012). Characters from even further south in the seven kingdoms, such as those from the kingdom of Dorne, speak English with vaguely mediterranean-sounding accents, and have cast actors like the Chilean-American actor Pedro Pascal and the Indian-Swiss actress Indira Varma. 37. Edward Saïd, Orientalism: 25th Anniversary Edition, New York, Vintage, 2004. 38. While some may argue that Game of Thrones depicts many of its Western characters negatively, there is an obvious difference between portraying individual characters as good or evil, or rendering judgment on an entire culture. This franchise clearly engages in the latter, especially in its depiction of non-Western countries that have not yet ‘developed beyond’ the slave trade, or in the show-runners’ decision to invent non-European-sounding languages for nations outside Westeros. 39. Deborah L. Jaramillo, ‘The Family Racket: AOL Time Warner, HBO, The Sopranos, and the Construction of a Quality Brand’, in Journal of Communication Inquiry, Vol. 26, No. 1, 2002 [p. 59-75], p. 66. 40. See Valerie E. Frankel, Women in Game of Thrones: Power, Conformity and Resistance, Jefferson, McFarland, 2014, p. 7. 41. Anna Holmes, ‘Skin is Wearing Thin on HBO’s Game of Thrones’, in The Washington Post, April 27th, 2012. 42. Sharon Zukin, Naked City: The Death and Life of Authentic Urban Places, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 53. 43. Ibid., p. 7. 44. In the fourth-season episode ‘Oathkeeper,’ the transformation of an already-incestuous sex scene between Jaime and Cersei that was consensual in the book was dramatized as a rape scene in the series, an adaptive choice that follows the same logic but (for once) seemed to overreach in its attempt to be as ‘gritty’ as possible: it resulted in a great deal of negative criticism, which at

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the same time of course also brought more free publicity to the franchise as a form of ‘mature and edgy’ fantasy.

ABSTRACTS

The success of the television adaptation of Game of Thrones marks a crucial transitional moment in the relationship between cult audiences and the global élite associated with ‘quality television’. By looking not only at the specific changes made to the novels as they were adapted for television, but also at the reception practices that have surrounded the series on fan forums and social media, this essay argues that the ‘mainstreaming’ of cult genres has troubling political implications. Increasingly, fan activity is in the process of being commodified by corporations that mobilize their most loyal consumers as brand-name ambassadors and online ‘influencers’.

La réussite de l’adaptation télévisuelle de Game of Thrones représente un moment de transition crucial dans le rapport entre les publics de séries cultes et l’élite mondiale associée à la « télévision de qualité ». En examinant non seulement les changements spécifiques faits aux romans lors de leurs adaptations télévisuelles, mais aussi les pratiques de réception qui entourent les séries sur les fan forums et les médias sociaux, cet essai soutient que « l’intégration au courant dominant » des genres cultes ait des implications politiques troublantes. Petit à petit, l’activité des fans est marchandisée par des sociétés qui mobilisent leurs clients les plus loyaux comme des ambassadeurs de marque et des « vecteurs d’influence » sur .

INDEX

Mots-clés: Game of Thrones, télévision de qualité, gentrification, fantasy, réception Keywords: Game of Thrones, quality TV, fantasy, gentrification, reception

AUTHOR

DAN HASSLER-FOREST Dan Hassler-Forest currently works as an assistant professor of film and literature based in the English department of the University of Amsterdam, and is a frequent public lecturer on contemporary film, adaptation theory, animation and digital cinema, urban studies, and theoretical approaches to popular culture. He also teaches at Amsterdam University College. He wrote Capitalist Superheroes: Caped Crusaders in the Neoliberal Age (Zero Books, 2012) on the Bush- era superhero movie genre. All of his work is informed by a critical approach to commodity culture and globalized capitalism, with a special focus on the political and ideological implications of fantasy genres.

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Échos lointains pour reprise dissonante : la série catalane Infidels

Jennifer Houdiard

1 La série Infidels a été diffusée durant trois saisons, de 2009 à 2011, sur TV3 ainsi que sur Internet. Il s’agit de la première série « féminine » produite par Diagonal TV et diffusée sur la chaîne publique catalane : l’action d’Infidels est centrée sur cinq protagonistes, cinq amies barcelonaises qui ne sont pas sans évoquer les héroïnes de Desperate Housewives (ABC, 2004-2012) ou de Sex and the City (HBO, 1998-2004). Cependant, ses créateurs la définissent comme une fiction originale et résolument catalane, une série « féminine, mais sur des femmes de chez nous, qui n’a rien à voir avec les séries féminines étrangères.1 » Pour Jordi Roure, directeur des programmes de fiction de TV3, Infidels est un pari, un nouveau défi pour une chaîne dont les fictions s’adressent habituellement à toute la famille, sans cibler un genre en particulier : « Pendant longtemps, nous avons été obligés de proposer des productions qui visaient à satisfaire l’ensemble de la famille. [Infidels] est une série différente, qui fait appel aux émotions et aux sentiments et met en scène des femmes qui ont décidé de vivre leur vie en prenant tous les risques2. »

2 En tant que chaîne catalane publique, TV3 est doublement contrôlée par le CAC (Consell Audiovisual de Catalunya) et par la Generalitat, le gouvernement autonome catalan3 : les programmes sont donc soumis à d’importantes exigences en matière de lutte contre les inégalités entre hommes et femmes. En effet, parmi les missions des médias publics catalans figure « la promotion active de l’égalité entre femmes et hommes, qui inclut l’égalité de traitement et d’opportunités, le respect de la diversité et de la différence, l’intégration de la perspective de genre, la promotion d’actions positives et l’emploi d’un langage non sexiste4, » comme le stipule la loi du 29 décembre 2005 régissant la communication audiovisuelle publique en Catalogne. On peut s’interroger sur les implications de ce code de conduite non-sexiste dans une fiction comme Infidels, revendiquée comme « une série dans laquelle les personnages masculins sont le contrepoint », où l’on a choisi de privilégier « un regard féminin sur le monde, et non un regard sur le monde féminin5. »

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3 Il faut commencer par rappeler que l’autonomie des médias catalans face au pouvoir politique a justement été remise en question par les fidèles d’Infidels au moment où a été annoncée la fin de la série : certains y ont vu la trace d’une intervention des conservateurs de Convergència i Unió6, prétendument choqués par une série qualifiée d’« immorale7. » La rumeur a été vigoureusement démentie, tant par les responsables politiques que par les instances dirigeantes de la chaîne. Qu’ils soient fondés ou non, ces soupçons de censure méritent que l’on s’interroge : est-ce l’originalité revendiquée de la série, notamment en ce qui concerne la construction de ses protagonistes féminines, qui en fait un objet controversé ? Le cahier des charges anti-sexiste auquel sont soumis les programmes de TV3 participe-t-il de cette originalité, et contribue-t-il, d’une manière ou d’une autre, à faire d’Infidels une série subversive ?

4 Fait original, la réputation sulfureuse de la série a précédé son arrivée sur les écrans, et pas seulement à cause de son titre : en effet, TV3 a proposé au public une campagne de promotion constituée de cinq vidéos d’une trentaine de secondes chacune, diffusées quelques jours avant le premier épisode. Chaque teaser présente l’une des cinq protagonistes d’Infidels ; plus exactement, chaque personnage se présente aux futurs téléspectateurs, en regardant la caméra et en prononçant une phrase qui évoque son rapport personnel à l’infidélité, fil conducteur apparent de la série. Penchons-nous, par exemple, sur la vidéo consacrée au personnage d’Arlet8, la benjamine. La phrase que prononce Arlet annonce qu’elle est en train de préparer la scène de l’infidélité qu’elle s’apprête à commettre : « Je n’ai jamais été infidèle. Jusqu’à maintenant9. » La musique qui accompagne chacune des vidéos, par son rythme lent et la voix de la chanteuse qui susurre plus qu’elle ne chante, achève de créer un horizon d’attente teinté d’érotisme10. Ces petites mises en bouche annoncent une série centrée sur la vie amoureuse et sexuelle de cinq femmes fictives que rien ne semble a priori distinguer des habitantes de Wisteria Lane ou de la bande de New-Yorkaises branchées gravitant autour de Carrie Bradshaw (voir figure 1).

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Fig. 1 : Les cinq protagonistes d’Infidels

5 Cela nous amène à nous poser la question du cadre spatio-temporel, qui joue un rôle déterminant dans des séries telles que Desperate Housewives et Sex and the City. En effet, l’action de la première série ne se conçoit que dans une banlieue résidentielle états- unienne dans la mesure où la fiction est centrée sur les « femmes au foyer » de la classe moyenne aisée. Quant au New York de Sex and the City, il s’agit en réalité de la recréation d’un microcosme, le petit monde de la communication, de la mode et de l’art contemporain dans lequel évoluent des personnages féminins culturellement, artistiquement et sexuellement avant-gardistes. En revanche, Infidels donne à voir des figures féminines qui esquissent un portrait assez contrasté de la classe moyenne barcelonaise. Le rôle symbolique du cadre apparaît comme limité dans la mesure où il semble avoir peu d’influence sur la construction des personnages qui le peuplent ; tout du moins, il n’est pas lié à une unité entre les cinq protagonistes de la série, qui sont toutes issues de milieux différents (une institutrice, une gestionnaire de patrimoine, une psychiatre, une journaliste et une femme au foyer).

6 Pourtant, comme dans toutes les fictions catalanes, l’accent est mis sur la recréation d’un contexte extrafictionnel identifiable comme réel par les téléspectateurs : la ville de Barcelone est copieusement nommée et montrée, et l’ancrage de la fiction en Catalogne est régulièrement rappelé par la mention d’éléments de la réalité catalane actuelle, comme par exemple les groupes de musique qu’écoutent les personnages de la série11. C’est peut-être l’un des points communs les plus importants entre les cinq protagonistes d’Infidels : ces femmes d’âges et de milieux différents, que les hasards de la vie ont fait se rencontrer, partagent une langue et une culture qui non seulement s’imposent comme des évidences, mais qui jouent également un rôle non négligeable dans l’économie du récit. En effet, c’est grâce au comportement linguistique de son mari que Joana découvre qu’il mène une double vie : la fille de Joana, intriguée d’entendre son père parler en castillan au téléphone, ne le croit pas lorsqu’il lui dit qu’il

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parlait avec sa mère. Un peu plus tard, la fillette évoque les mensonges de son père auprès d’une des amies de sa mère : MARINA. Je l’ai entendu parler au téléphone, et il a dit qu’il parlait avec maman. ARLET. Et pourquoi est-ce que cela ne serait pas vrai ? MARINA. Parce qu’il parlait en castillan, et qu’ils ne font jamais ça. (1.2)

7 Face à l’argument imparable de la petite Marina, Arlet reste bouche bée : un couple catalan n’a aucune raison d’employer le castillan au quotidien. C’est donc à cause de l’utilisation d’une langue plutôt que d’une autre que Joana finit par apprendre que son mari a fondé une autre famille à Buenos Aires, ville où ses affaires le retiennent une partie de l’année.

8 Parmi les protagonistes, seule Cruz s’exprime parfois en castillan, lorsqu’elle parle avec sa mère : la plus fortunée des cinq amies est la fille d’une femme de ménage d’origine andalouse. Cruz, à l’instar d’autres personnages de séries diffusées sur TV3, incarne le « rêve catalan12 » : elle est l’exemple d’une ascension sociale fulgurante allant de pair avec une irréprochable intégration culturelle et linguistique, dans la mesure où elle est presque exclusivement catalanophone. De fait, Cruz est l’épouse d’Eduard De Queralt, dont le patronyme ne laisse aucun doute quant à son appartenance à la vieille bourgeoisie catalane. Les repas de famille donnent d’ailleurs une curieuse impression : la mère de Cruz est la seule à s’exprimer en castillan, tandis que Cruz, Eduard et le père de celui-ci n’utilisent que le catalan, y compris lorsqu’ils s’adressent à elle (1.2). La visibilité du castillan est réduite au strict minimum dans la série, comme si le catalan était la seule langue parlée au quotidien, alors que la situation réelle est bien plus complexe. Ce traitement des langues dans les fictions de TV3 correspond à une stratégie de promotion de la langue catalane13. Peter, le voisin de Joana, constitue un autre exemple de la volonté des concepteurs de la série de montrer le catalan comme la seule langue du quotidien : le jeune homme, originaire de Boston et récemment arrivé à Barcelone, parle un catalan presque parfait, à peine teinté d’un léger accent, et aucun des autres personnages de la série ne semble en être spécialement étonné.

9 La présence du personnage de Peter peut être vue comme une sorte de clin d’œil à un univers fictionnel ayant largement inspiré les créateurs d’Infidels, celui des séries états- uniennes. D’ailleurs, le fait que Joana, la maladroite de la bande, tombe sous le charme de son séduisant voisin (voir figure 2), ne peut qu’évoquer l’attirance de Susan Mayer pour Mike Delfino dans les premiers épisodes de Desperate Housewives.

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Fig. 2 : Peter, le voisin de Joana

10 À bien y regarder, les références plus ou moins évidentes aux fictions produites outre- Atlantique sont nombreuses et jouent sur la culture télévisuelle du spectateur, sur un ensemble de références partagé car faisant partie de l’encyclopédie du public contemporain. Lorsque la femme au foyer Joana quitte son mari infidèle et décide de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants, Peter lui propose de l’aider à rédiger son CV. À la question : « Quel est ton profil ? », elle répond : « Femme divorcée et désespérée » (1.7). On pourrait multiplier les exemples mais il semble plus intéressant de s’interroger sur la fonction de ces nombreuses citations, références et clins d’œil. L’apparente ressemblance entre Joana et Susan Mayer se révèle être, au fur et à mesure que la diégèse se déroule, une sorte de fausse piste : certes, ces deux femmes maladroites et gaffeuses ont également en commun de s’être retrouvées seules suite à l’infidélité de leurs époux respectifs et de tomber amoureuses de séduisants voisins, mais les similitudes s’arrêtent là. Tout au long de la série Desperate Housewives, le personnage campé par Teri Hatcher est une femme-enfant rêveuse, immature, dont la préoccupation première semble être le regard des autres, qu’il s’agisse de l’homme qu’elle souhaite séduire ou des femmes avec lesquelles elle passe son temps à rivaliser. En revanche, la comédienne Montse Germán incarne un personnage beaucoup plus « rond14, » à plus d’un égard. Certes, sa fixation sur ses rondeurs sert de prétexte à plusieurs séquences comiques : par exemple, dès le premier épisode, elle apparaît face à un miroir, s’efforçant d’enfiler un bustier. Son fils, hors champ, lui demande : « Maman, quand est-ce qu’on dîne ? » et elle répond, l’air désabusé : « Vous, tout de suite. Moi, dans trois jours. » (1.1) Cependant, lorsqu’elle découvre la double vie de son mari, Joana décide de le quitter et de reprendre les rênes de sa vie, après des années passées à s’occuper uniquement de sa maison et de ses enfants. C’est seulement bien après son divorce, une fois que Joana est indépendante, financièrement et émotionnellement, que commence sa relation avec son jeune voisin Peter : au lieu de se réfugier dans les bras d’un homme et de chercher à combler le vide laissé par son ex-mari, Joana se bat pour acquérir une autonomie qu’elle refuse de remettre en question. Quand Peter lui propose de venir vivre avec elle, Joana hésite, puis décline son offre : « Je ne me vois pas partager les tâches ménagères avec toi, emmener les enfants à l’école ou repasser ton linge.» (1.16) La formation d’un nouveau couple n’est pas présentée comme le but à

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atteindre par le personnage féminin : la relation que Joana entretient avec Peter est un des éléments d’une nouvelle vie qu’elle s’est forgée à la force du poignet ; elle participe de son bonheur et de son équilibre sans toutefois les conditionner totalement.

11 L’un des traits d’originalité d’Infidels est l’importance donnée à l’activité professionnelle de certaines des protagonistes : elle joue parfois un rôle fondamental dans l’économie du récit. C’est le cas pour Cruz, qui apparaît très régulièrement dans son bureau, occupée à des tâches qui évoquent la complexité et la technicité de son métier de gestionnaire de patrimoine. C’est d’ailleurs sur le terrain de la finance que s’exprime sa rivalité avec la maîtresse de son mari, et non dans un domaine plus classique comme celui de la séduction. Lorsqu’elle découvre la liaison adultère d’Eduard avec Carlota, une riche héritière dont elle gère la fortune, Cruz se venge en investissant délibérément une partie de l’argent de sa rivale sur une opération qu’elle sait vouée à l’échec (1.4). Un peu plus tard, quand Eduard hérite de son père une agence immobilière criblée de dettes, Carlota lance à Cruz une sorte de provocation en duel : elle a les moyens d’aider Eduard à remettre à flot l’entreprise familiale et elle défie Cruz de pouvoir en faire autant. En bonne épouse aimante, tant pour sauver l’élu de son cœur que pour neutraliser une fois pour toutes son encombrante rivale, Cruz se livre à une opération financière aussi complexe qu’illégale (1.9). Alors qu’elle se rend ainsi coupable d’un délit d’initié et qu’elle met de côté l’éthique qui lui est pourtant chère, avec les risques que cela suppose pour sa carrière, Cruz s’inscrit dans une longue tradition de personnages féminins sacrificiels pour lesquels amour rime avec renoncement15. Ce qui est original ici, c’est la manière dont s’exprime l’abnégation de la femme amoureuse, à travers ses compétences professionnelles. Le personnage de Cruz est en cela à la fois désespérément classique et extrêmement original. La figure de la maîtresse d’Eduard met justement en valeur cette originalité, par contraste : Carlota, fille de bonne famille sans métier connu, n’apparaît qu’à travers sa relation avec Eduard, qu’elle côtoie depuis l’enfance et dont elle est amoureuse depuis presque aussi longtemps. Lorsqu’Eduard l’informe de son désir de mettre fin à leur liaison adultère, Carlota, au bord des larmes, plaide sa cause dans un monologue qui n’a rien à envier aux déclarations enflammées des personnages torturés de soap operas ou de culebrones (voire figure 3). Elle évoque la première fête à laquelle elle a participé, à l’âge de seize ans, dans la résidence familiale de Cadaqués, et l’éveil de ses sentiments pour Eduard : « Ce soir-là, je me suis promis que nous serions ensemble un jour. » (1.4) Contrairement aux cinq protagonistes d’Infidels, Carlota évolue dans un milieu social fermé qui apparaît comme isolé du monde réel, et elle semble n’avoir d’autre préoccupation dans l’existence que son apparence et ses déconvenues sentimentales : elle est sans doute à lire comme une sorte de transfuge venue d’autres univers fictionnels, clin d’œil aux feuilletons dont la télévision catalane a toujours eu à cœur de se démarquer, et contre- point aux figures féminines originales que donne à voir la série.

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Fig. 3 : Carlota, transfuge d’un soap opera

12 Les protagonistes d’Infidels ont en commun un certain nombre de caractéristiques qui les opposent à la grande majorité des figures féminines qui peuplent les fictions télévisées. Il n’y a, dans la série, ni femme boniche, ni femme potiche16 : seule Joana, mère au foyer, est parfois montrée en train d’exécuter des tâches ménagères. C’est également la seule des protagonistes à exprimer explicitement une préoccupation pour son apparence, et cet élément est traité, comme nous l’avons vu, de manière plutôt comique. Une fois séparée de son mari, Joana se met à travailler17, n’apparaît plus que très sporadiquement avec une serpillière ou une casserole à la main et ne semble plus s’inquiéter de son surpoids imaginaire, comme si le fait de commencer à vivre pour elle-même et non plus pour sa famille avait radicalement bousculé ses préoccupations. Le rôle nourricier traditionnel des femmes et son complément contemporain, celui d’objet esthétique et sexuel, sont remis en question par la série d’une manière qui mérite commentaire. De la même façon que la diégèse s’ancre dans un univers politique, culturel et linguistique idéal – une sorte de Catalogne utopique, qui ne parlerait que catalan –, elle a pour cadre une société dont le sexisme semble avoir été pratiquement éliminé, ou tout du moins être en voie d’extinction. Dans les différentes sphères professionnelles qui sont données à voir, le plafond de verre n’a pas l’air d’exister, les femmes ont les mêmes perspectives d’évolution de carrière que leurs homologues masculins et elles occupent souvent des postes à responsabilités. Quand Paula se voit proposer une promotion, elle dit à son mari Marc qu’elle pense la refuser car elle craint d’être trop accaparée par de nouvelles responsabilités qui risquent de la retarder dans l’écriture de son roman. Marc, journaliste comme Paula, reproche vivement à son épouse son manque d’ambition (1.1) : le relativisme de genre habituel est ici absent – Marc voit Paula comme une professionnelle, comme une égale censée se consacrer corps et âme à son travail et à la compétition pour atteindre le plus haut niveau de responsabilités et de prestige.

13 Lorsqu’elles sont évoquées, chose assez rare, les tâches domestiques sont équitablement réparties entre les conjoints. Après la rupture entre Cruz et Eduard (1.12), il suffit d’un seul plan pour que Joana et le téléspectateur découvrent que ce dernier s’est installé chez sa maîtresse : Joana, qui fait du porte-à-porte pour vendre

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des ustensiles de cuisine, se retrouve par hasard à proposer un de ses appareils miracles à Carlota. Alors que celle-ci tente de décliner l’offre, Eduard apparaît dans le champ, derrière elle, portant un tablier : il est ainsi immédiatement identifié comme habitant de la maison et non comme simple visiteur (voir figure 4). Du même coup, l’association automatique cuisine-personnage féminin est implicitement remise en question, une fois de plus : le partage des tâches n’est pas l’exception mais la norme, du moins pour la génération des personnages principaux.

Fig. 4 : Eduard, l’amant-au-foyer

14 En revanche, les choses sont bien différentes pour les personnages plus âgés, et le contraste suggère une considérable évolution de la condition féminine et des rôles de genre. Lorsque Cruz et Eduard annoncent à leurs parents qu’ils attendent un enfant, ces derniers se réjouissent et imaginent que la future mère va mettre un frein, sinon un terme, à sa brillante carrière. La mère de Cruz relativise l’importance du succès professionnel de sa fille face à la maternité, priorité absolue selon elle. Quant au père d’Eduard, il renchérit en disant qu’ « une femme ne se réalise complètement que quand elle devient mère. » (1.2) De manière générale, la vision qu’ont les personnages âgés des rôles de genre relève du cliché : la mère de Cruz et le père d’Eduard sont des figures secondaires assez plates, dont la fonction essentielle semble être d’évoquer une évolution fulgurante de la condition des femmes catalanes en quelques décennies. En ce sens, on pourrait les rapprocher des parents d’Arlet, à travers lesquels est abordé le thème de la violence conjugale. Si le père d’Eduard est une sorte d’archétype de bourgeois catalan pétri de convictions surannées, celui d’Arlet concentre les traits caractéristiques les plus sombres de l’homme machiste : il exige d’être servi en toutes circonstances et maltraite sa femme. Lorsqu’il apprend que sa fille a rompu avec son fiancé, il lui reproche de ne pas avoir fait assez d’efforts pour le « garder », comme si la bonne marche d’une relation relevait de la responsabilité exclusive des femmes, et comme si la rupture ne pouvait avoir eu lieu qu’à l’initiative du partenaire masculin – comme si une femme, objet passif, ne pouvait qu’être abandonnée (1.11). Dans un mouvement d’humeur, Arlet finit par avouer à ses parents le véritable motif de la séparation : elle a quitté Víctor pour Dani, sa monitrice d’aquagym.

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15 La relation entre Arlet et Dani se tisse progressivement, au fil des premiers épisodes, alors qu’Arlet est en couple avec un homme et que Dani collectionne les conquêtes masculines. Le trouble qui s’empare des deux jeunes femmes lorsqu’elles sont ensemble apparaît comme évident, mais elles mettent beaucoup de temps à reconnaître qu’elles sont attirées l’une par l’autre, jusqu’au moment où elles s’embrassent, timidement, à la fin du cinquième épisode. Un peu plus tard, Arlet invite Dani à dîner, mais celle-ci lui fait faux bond, visiblement mal à l’aise, comme le suggère l’explication qu’elle lui donne le lendemain : « Arlet, nous sommes amies et tu es géniale, mais je ne ressens rien de plus pour toi, le baiser de l’autre fois a été une erreur. [...] Je suis parfois un peu embrouillée, mais s’il y a une chose qui est très claire pour moi, c’est que je ne suis pas lesbienne ». Arlet lui répond : « Mais moi non plus ! » (1.6) Les deux femmes nient l’attirance qu’elles ressentent l’une pour l’autre, car l’accepter les ferait entrer dans une catégorie à laquelle elles refusent d’appartenir. Arlet et Dani tardent beaucoup à accepter leurs sentiments et à officialiser leur relation, qui provoque des réactions contrastées auprès de leur entourage. Les amies d’Arlet ne semblent pas choquées, ni plus surprises que lorsque Joana leur présente son jeune amant américain. En revanche, l’attitude d’autres personnages mérite commentaire, à commencer par celle du père d’Arlet. Lorsqu’il rencontre Dani, il refuse de lui parler et lui dit à propos de sa fille : « Elle était normale avant que tu ne t’en mêles. » (1.11) Dani ne relève pas l’accusation implicite d’anormalité dont elle est l’objet mais réagit sur l’adjectif et renvoie le père d’Arlet à son propre comportement, en répliquant calmement : « Je n’arrive pas à comprendre votre conception de la normalité. Pour moi, il n’est pas très normal de foutre des baffes à sa famille. » (1.11) Le père d’Arlet étant caractérisé de manière négative dès sa première apparition, ce qui est rappelé ici à travers la mention de la violence qu’il exerce à l’encontre son épouse, son jugement apparaît comme totalement dépourvu de crédibilité : son rejet de l’homosexualité achève de le dépeindre comme une caricature d’homme machiste et intolérant ; du même coup, associer l’homophobie à ce personnage, c’est la condamner sans appel, c’est la dénoncer comme un comportement primaire et agressif. L’attitude de Víctor face à la relation naissante entre son ex-petite amie et Dani mérite également commentaire car Víctor refuse de prendre acte de la rupture, considérant que les sentiments d’Arlet pour une femme ne peuvent être qu’une passade : « Arlet, ce qui t’arrive, c’est que tu es aveuglée par cette fille. [...] C’est temporaire. Tu veux expérimenter ? D’accord, expérimente. [...] Elle t’a juste allumée, et quand ça te passera, je te manquerai » (1.10). Après le père d’Arlet, Víctor offre une seconde variation sur le thème de l’hétérosexualité obligatoire : une liaison entre deux femmes ne peut être qu’un caprice répondant à une pulsion passagère, une toquade insatisfaisante qui se terminera invariablement par un retour à l’homme, seul apte à combler les désirs et aspirations profondes d’une femme. Or, Víctor brille davantage par sa plastique que par son intelligence : là encore, le message est clair – Infidels évoque les idées reçues sur l’homosexualité (féminine, ici) et suggère qu’elles sont aussi stupides qu’infondées.

16 Cependant, Arlet et Dani s’interrogent également sur leur attirance et leur orientation amoureuse, n’ayant jamais connu, ni l’une ni l’autre, de relations autres qu’hétérosexuelle : ARLET (à Dani). Tu te considères comme lesbienne ? DANI. Je suis avec toi, non ? ARLET. Oui, mais on a toujours été avec des mecs. DANI. Qu’est-ce que tu veux dire ? Qu’on est bisexuelles ?

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ARLET. Mais pourquoi est-ce que les gens ont besoin de mettre des étiquettes partout ? (1.13)

Fig. 5 : Deux amoureuses refusant l’étiquetage

17 C’est sur ces mots que se terminent le dialogue et la séquence : Arlet refuse de « s’étiqueter » pour satisfaire les autres, et refuse de faire de son désir une caractéristique définitoire. D’ailleurs, le couple formé par ces deux personnages remet en question l’étanchéité des catégories d’orientation sexuelle, et jusqu’à leur existence : ces deux femmes, qui jusqu’alors ne fréquentaient que des hommes, sont tombées amoureuses l’une de l’autre, mais ne changent pas pour autant d’identité en « devenant » lesbiennes. Comme le sexisme, l’homo-phobie et les idées reçues hétéronormatives sont cantonnées à des personnages caractérisés négativement et/ou représentant une époque révolue ; mais la série ouvre également des pistes de réflexion sur le désir, l’amour et l’orientation sexuelle, sur les multiples formes qu’ils peuvent prendre et sur l’inutilité, voire l’absurdité, des classements et des hiérarchisations dans ce domaine.

18 Infidels, comme l’immense majorité des programmes diffusés sur TV3, s’inscrit dans la continuité des fictions catalanes « maison », pensées et élaborées par des Catalans pour des Catalans, et peut être considérée à cet égard comme un produit méritant son « appellation d’origine contrôlée18, » bien qu’ayant selon toute vraisemblance été inspiré par des recettes étrangères. Loin de se limiter à transposer à la réalité barcelonaise les séries états-uniennes à succès, les concepteurs d’Infidels ont construit tout un système de références ayant vraisemblablement un autre but que le simple plaisir du jeu et de l’identification des clins d’œil. En effet, la série semble citer ses apparents modèles pour mieux s’en démarquer ; cela participe de la construction de figures féminines complexes et originales, et met en valeur leur dimension novatrice en rappelant celles qui les ont précédées sur les écrans. Certes, on pourrait reprocher à Infidels le manque de réalisme du cadre spatio-temporel dans lequel s’inscrit la diégèse : en plus de donner l’image d’une Catalogne exempte de ques-tionnements quant à l’identité nationale (caractéristique récurrente des fictions de TV3), la série donne à voir un univers utopique dont le sexisme et l’homophobie semblent avoir été presque totalement éliminés chez les nouvelles générations.

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19 Cependant, en construisant une société fictionnelle libérée d’un certain nombre de problèmes « réels » d’inégalités et de discrimination, Infidels propose un questionnement qui aurait sans doute difficilement pu être abordé si la fiction s’était inscrite dans un cadre plus « réaliste », par exemple en ce qui concerne les assignations de genre, qui sont amplement questionnées. Les personnages masculins, que je me propose d’étudier dans un travail ultérieur19, sont particulièrement intéressants à cet égard. De plus, si la série fait l’impasse sur la répartition inégale des tâches ménagères ou sur les difficultés qu’ont les femmes dans le monde du travail, on peut certes y voir un traitement utopique de la condition féminine, mais il me semble qu’une autre interprétation est possible, si l’on établit un parallèle avec la question linguistique et culturelle : est-ce qu’il ne s’agit pas, tant pour les concepteurs du programme que pour les instances dirigeantes de la chaîne publique catalane, d’offrir aux téléspectateurs une représentation ayant valeur d’exemple ?

BIBLIOGRAPHIE

« TV3 aposta a partir de dijous que ve per una sèrie de dones, Infidels », El Punt, 19/III/2009, p. 38.

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HOUDIARD Jennifer, « La série catalane Ventdelplà, entre réalisme et utopie », TV/séries, No. 2, 2012, p. 48-61.

NOTES

1. « TV3 aposta a partir de dijous que ve per una sèrie de dones, Infidels », El Punt, 19/III/2009, p. 38. Je traduis, comme pour les autres citations de la suite de l’article. 2. Ibid. 3. « Créé en l’an 2000, le CAC est le reflet de la volonté des politiques nationales de communication de ces dernières années d’offrir aux médias une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Il s’agit d’un organisme régi par des membres proposés par le Parlement avec des mandats de six ans, afin de ne pas être lié excessivement aux législatures. Des mécanismes comme celui-ci ont visé à consolider les politiques nationales de communication contre les intérêts que pourrait avoir tel ou tel gouvernement. Ainsi, la Loi de la Corporation Catalane des Médias Audiovisuels (2007) donne également à TVC et Catalunya Ràdio une certaine

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indépendance vis-à-vis du gouvernement, même si la composition des instances dirigeantes de la Corporation reste largement politisée ». Source : site web de la Generalitat, http://www20.gencat.cat/portal/site/culturacatalana/[...], lien consulté le 17 juillet 2014. 4. Llei 22/2005, de 29 de desembre, de la comunicació audiovisual de Catalunya, p. 24, http://www.cac.cat/pfw_files/cma/normativa_sa/Text_consolidat_Llei_22-2005.pdf, lien consulté le 17 juillet 2014. 5. Déclaration du producteur exécutif Javier Olivares, « TV3 aposta a partir de dijous que ve per una sèrie de dones, Infidels », op. cit. 6. Coalition des partis souverainistes de centre droit Convergència Democràtica de Catalunya et Unió Democràtica de Catalunya, souvent désignée par le sigle CiU. 7. Le quotidien Diari de Girona évoque ainsi la polémique : « La fin précipitée de la série Infidels, annoncée la semaine dernière par TV3 […], est à l’origine d’une forte polémique au sein du public. Nombreux sont les spectateurs qui considèrent que la fin de la série […] répond à des motifs politiques et moraux en rapport avec l’arrivée de CiU au Gouvernement de la Generalitat. Le groupe Facebook « Nous ne voulons pas qu’on tue Infidels » est né, ainsi que le hashtag #infidels sur Twitter, où de nombreux usagers dénoncent une censure. […] Selon plusieurs médias en ligne, certains leaders du parti Unió Democràtica de Catalunya ont manifesté publiquement leur rejet de cette série en raison de son contenu ‘immoral’ », « El punt i final de la sèrie Infidels continua aixecant polèmica », Diari de Girona, 08/III/2011, http://oci.diaridegirona.cat/tv/noticias/nws-9234-el-punt-i-final-serie-infidels-continua- aixecant-polemica.html, lien consulté le 17 juillet 2014. 8. http://www.youtube.com/watch?v=wMejUSOONNU, lien consulté le 18 juillet 2014. 9. Pour plus de commodité, toutes les répliques de personnages citées dans cet article ont été traduites en français. 10. Il s’agit des premières mesures de la chanson « Sweet dreams (Are Made Of This) », composée et écrite par le groupe britannique Eurythmics (1983), reprise par la chanteuse québécoise Terez Montcalm. 11. Dans l’épisode 6 de la saison 1, Arlet offre à son fiancé Víctor des places pour un concert du groupe pop majorquin d’expression catalane Antònia Font. 12. Pensons, par exemple, au personnage de Rafa, fils d’immigrés andalous, dans la série Ventdelplà. Cf. mon article « La série catalane Ventdelplà, entre réalisme et utopie », TV/ séries, No. 2, 2012, p. 57-58 [p. 48-61]. 13. Selon la consultante linguistique d’une autre série de TV3, le traitement de la langue dans les fictions véhicule une sorte de « code de conduite » pour les catalanophones : « La fonction de la série avec les personnages d’immigrés est également de ‘donner des pistes’ aux gens sur la manière dont il faut agir linguistiquement face à des communautés qui ne parlent pas catalan […]. Dans ce sens, on peut dire que la série de fiction intègre certains types de stratégies pour promouvoir le catalan ». Propos de Núria Comas, consultante linguistique de la série El cor de la ciutat, recueillis dans Enric Castelló, Bernat López, Identitat cultural i societat a les séries de ficció catalanes : dels discursos a la recepció, Estudis de Comunicació de la URV, Tarragone, Universitat Rovira i Virgili, 2007, p. 33. 14. Nous pensons à l’opposition entre flat characters et round characters établie par E.M. Forster dans Aspects of the Novel, Londres, Abinger edition, 1974 (1927). 15. Nous pourrions proposer de nombreux exemples, tant ces personnages sont nombreux dans les productions culturelles. Qu’il nous soit permis de faire ici une incursion dans le domaine de la musique et d’évoquer la chanson de country « Stand by your man » (Tammy Wynette et Billy Sherill, 1968), dont je reproduis ici un extrait qui, selon moi, parle de lui-même : « Sometimes it’s hard to be a woman,/giving all your love to just one man. /You’ll have bad times and he’ll have good times / doing things that you don’t understand. /But if you love him you’ll forgive him, / even though he’s hard to understand./ And if you love him, /oh, be proud of him!/ Cause after all

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he’s just a man./ Stand by your man, and show the world you love him. /Keep giving all the love you can ». 16. Cf. Claude Alzon, La Femme potiche et la femme boniche. Pouvoir bourgeois et pouvoir mâle, Paris, Maspéro, 1973. 17. Joana reprend également ses études dans la deuxième saison. 18. Cf. Joana Gallego, « Els serials catalans : un nou producte amb denominació d’origen », in Anàlisi, No. 23, 1999, p. 17-24. 19. Ce questionnement a donné lieu à un article intitulé « Confusion des genres et troubles dans les rôles : la série catalane Infidels », qui sera prochainement publié aux Presses Universitaires de Limoges, dans la collection Féminin Masculin.

RÉSUMÉS

La série Infidels (TV3, 2009-2011), diffusée sur la chaîne catalane ainsi que sur internet durant trois saisons, était attendue comme une sorte d’adaptation de séries « féminines » américaines telles que Sex and the City (HBO, 1998-2004) ou Desperate Housewives (ABC, 2004). Cependant, une fois les premiers épisodes diffusés, Infidels fut rapidement reconnue comme une production originale, à double titre. En effet, loin de se limiter à transposer au cadre barcelonais des fictions télévisées venues des États-Unis, les scénaristes ont réussi à concevoir une fiction « maison » de qualité, fidèle à l’esprit de la chaîne TV3 par son ancrage dans la re-création d’un contexte catalan identifiable comme réel et réaliste par le spectateur. Si des « clins d’œil » aux séries américaines citées plus haut ou à la série britannique Mistresses (BBC One, 2008-2010) sont aisément perceptibles, ils se limitent en général à un jeu sur l’intertextualité. Au-delà de l’originalité et de la « catalanité » d’Infidels, les journalistes et critiques ont célébré le traitement profondément novateur des figures féminines et, plus généralement, la remise en question encore inédite des clichés et des rôles traditionnels dévolus aux femmes ainsi qu’aux personnages féminins qui peuplent la grande majorité des fictions télévisées. Les cinq protagonistes de la série ont en commun l’infidélité sexuelle et sentimentale, il est vrai, mais à mesure que les épisodes s’enchaînent, la quête ontologique qui sous-tend la diégèse et lui sert de fil conducteur se révèle de plus en plus clairement : Paula, Lídia, Cruz, Joana et Arlet sont, finalement, infidèles aussi bien aux rôles de genre traditionnels qu’au modèle incarné par le nouvel « Éternel féminin » des médias de masse, et ce n’est qu’ainsi qu’elles peuvent devenir fidèles à elles-mêmes.

The show Infidels (TV3, 2009–2011), broadcasted on the Catalan channel as well as online for three seasons, was anticipated as a sort of adaptation of American “feminine” shows such as Sex and the City (HBO, 1998–2004) or Desperate Housewives (ABC, 2004). However, once the first episodes were broadcasted, Infidels was rapidly recognized as an original production, for two reasons. Effectively, from limiting itself to transposing televised fiction from the United States on to a Barcelonian frame, the screenwriters succeeded in conceiving a “homemade” fiction of quality, faithful to the spirit of the TV3 channel by its anchoring in the recreation of a catalan context, identifiable as real and realistic by the audience. If the “nods” to the American shows cited above or to the British show Mistresses (BBC One, 2008–2010) are easily visible, they are generally limited to play on intertextuality. Beyond the originality and the “Catalanity” of Infidels, journalists and critics praised its

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profoundly innovative treatment of female figures and, more general, the new and profound reassessment of clichés and traditional roles accorded to women as well as female characters that populate the majority of televised series. While it is true that the five protagonists of the show have sexual and sentimental infidelity in common, as the episodes go on, the ontological quest that underlies and drives the diegesis becomes more and more clear: Paula, Lídia, Cruz, Joana, and Arlet are, in the end, just as unfaithful to traditional gender roles as to the model incarnated by the new “Eternal Feminine” of the mass media, and it is not only in this way that they are enabled to become faithful to themselves.

INDEX

Keywords : Infidels, cliché, gender, intertextuality, subversion Mots-clés : Infidels, cliché, genre, intertextualité, subversion

AUTEUR

JENNIFER HOUDIARD Jennifer Houdiard est Maître de conférences à l’université de Nantes. Ses recherches portent sur la prose narrative contemporaine espagnole et catalane, ainsi que sur la télévision catalane, et s’intéressent tout particulièrement à la thématique de l’identité (nationale et de genre) et de ses représentations dans la fiction. Elle est rattachée à titre principal au CRINI (Centre de Recherche sur les Identités Nationales et l’Interculturalité, Université de Nantes), et au GRIC (Groupe de Recherche Identités et Cultures, Université du Havre) en tant que membre associé.

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Continuité, canonicité et complétude dans Doctor Who

Florent Favard

1 Dans l’une des dernières séquences de The Day of the Doctor (7.14), le Docteur éponyme, extraterrestre à l’apparence humaine voyageant à travers l’espace et le temps, vient à la rescousse de sa planète natale, Gallifrey, prise d’assaut par les belliqueux Daleks. Étant capable de se régénérer pour vivre des milliers d’années sous des visages différents, il appelle à l’aide toutes ses incarnations, mises en scène via l’utilisation d’images d’archives. Sont présents les sept Docteurs de la série dite « classique » (BBC One, 1963-1989), le Huitième, issu du téléfilm américano-britannique de 1996, et les trois Docteurs de la nouvelle série (BBC One, 2005-), qui se veut la continuation de la précédente. Deux autres incarnations font leur première apparition dans cet épisode. L’une, interstitielle, entre le Huitième et le Neuvième, complique la biographie du Docteur. L’autre, future, permet de présenter aux spectateurs le prochain interprète du rôle-titre, Peter Capaldi, alors même que le Docteur joué par Matt Smith ne se régénèrera que plus tard dans la saison.

2 Cet épisode événement, mêlant le passé, le présent et le futur du programme tout en le révisant, vient à point nommé : The Day of the Doctor, diffusé le 23 novembre 2013, célèbre les 50 ans de la série britannique Doctor Who. La longévité du Docteur n’a d’égale que la pérennité du programme qui, malgré une suspension1 dans les années 1990, a développé un univers fictionnel dense et complexe s’étendant via des séries dérivées, des aventures audio2, des comics, des romans et des jeux vidéo. Mais ce que révèlent aussi The Day of the Doctor, et plus largement la période comprise entre 2010 et 2013, est un rapport plus que jamais ambigu face à la continuité d’un programme qui a été, et est encore, le fruit de nombreuses influences et figures auctoriales, et dont la politique transmedia vise l’expansion plutôt que la cohérence. Au-delà de l’unfolding text perçu par John Tulloch et Manuel Alvarado3, Doctor Who s’apparente à un texte-rhizome4, dont la série principale est parfois, selon le point de vue, une racine parmi d’autres, tout en restant la plus visible aux yeux des différents publics.

3 La présente analyse vise à détailler cette continuité problématique et à explorer les moyens mis en œuvre par le texte et par la « marque » (brand) pour négocier la multi-

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auctorialité du programme, une politique transmedia aux nombreuses ramifications et, enfin, son monde fictionnel hétérogène.

1. Un programme en constante régénération

4 À l’image de son principal protagoniste, la série Doctor Who a souvent changé de visage au fil des décennies. La régénération du Docteur est d’ailleurs le marqueur le plus visible, lorsqu’il s’agit de catégoriser la série en ères successives, d’une activité menée aussi bien par les fans que par les universitaires, comme le note Paul Booth. Dans son article dédié à la périodisation de Doctor Who5, Booth détaille les nombreux autres critères qui peuvent être retenus, liés au contexte de création, de production et de diffusion du programme. Autre élément prépondérant : la succession des producteurs et des scénaristes en chef, figures auctoriales de la série – que l’on pourrait qualifier, à la suite de François Ronan-Dubois, de « primo-producteurs6 ».

5 Ces primo-producteurs – et productrices, dans le cas de Verity Lambert par exemple – confèrent, de par leur influence, une « production signature » aux épisodes qu’ils supervisent7 : un ton, des thématiques qui permettent de délimiter, par exemple, la période « horreur gothique » sous la direction du producteur Philip Hinchcliffe, entre 1974 et 1977. Une telle catégorisation est d’ailleurs au centre de la méthodologie de l’ouvrage de James Chapman, Inside the TARDIS. Paul Booth explique cependant que toute catégorisation du programme sera toujours subjective, dépendante du contexte dans lequel elle est formulée, et proposera une typologie plutôt qu’une définition. Il suggère d’ailleurs de voir Doctor Who comme un « indefinable text8 ».

6 La succession des primo-producteurs, critère relatif dans le cadre d’une catégorisation des ères du programme, permet toutefois d’analyser son évolution dans une perspective diachronique. Le monde fictionnel de Doctor Who porte la trace des différentes innovations, reconfigurations voire révisions narratives apportées par les différentes équipes de production successives, et motivées par les contextes économiques, sociaux et culturels. La faculté de régénération du Docteur, par exemple, est un mécanisme inventé dans l’urgence pour justifier la transition entre le premier interprète du rôle-titre, William Hartnell, et son successeur Patrick Troughton, dans The Tenth Planet (saison 4, segment 29) en 1966. Les Daleks, ennemis mortels du Docteur, voient leur genèse complètement remaniée à mesure qu’ils gagnent en popularité, entre leur introduction dans The Daleks (saison 1, segment 2) et Genesis of the Daleks (saison 12, segment 4). Une modification justifiée intra-diégétiquement lorsque le Quatrième Docteur, explorant le passé, altère les conditions de leur création.

7 En 2005, le head writer (scénariste en chef) Russel T. Davies et son équipe choisissent de relancer Doctor Who en manifestant, au sein du monde fictionnel, le fossé qui sépare cette continuation de son aînée, la série classique. La Dernière Grande Guerre du Temps a vu périr les Seigneurs du Temps, le peuple du Docteur, dans leur combat effroyable contre les Daleks. Cette reconfiguration permet de resserrer le monde fictionnel autour de la figure du dernier survivant, justifiant les changements thématiques et le rythme narratif de la nouvelle série, et renouvelant le discours pour mieux explorer le contexte culturel et politique des années 2000. Le traumatisme du Docteur est celui du soldat revenu du front, et la destruction (supposée) de sa planète natale, l’équivalent symbolique du gouffre laissé par les attentats du 11 septembre 2001. En 2010, lorsque Steven Moffat succède à Russel T. Davies, son équipe de production décide d’opérer ce

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que, manque d’une terminologie adéquate, je qualifierai de « localisé », en modifiant certains aspects de l’ère Davies tout en gardant intacte la continuité. Là encore, la refonte de l’identité du programme par ses primo-producteurs est signalée jusque dans le monde fictionnel, où l’Histoire est peu à peu effacée, et où l’univers doit être, littéralement, redémarré (rebooted) par le Docteur – une marque de réflexivité assumée sur laquelle nous reviendrons.

2. Une mosaïque d’auteur.e.s

8 Après avoir défait Davros et retrouvé la Terre dérobée par les Daleks dans un épisode de la nouvelle série, Journey’s End (4.13), le TARDIS, le vaisseau du Docteur, ramène notre planète dans le système solaire. À bord, les compagnes et compagnons du Docteur apprennent à cette occasion que le TARDIS n’est pas fait pour être piloté seul (ce que fait le Docteur dans la quasi-totalité des épisodes des deux séries) mais qu’il nécessite un équipage de six personnes. De la même façon, Doctor Who ne se conduit pas seul.

9 La multi-auctorialité du programme peut paraître moins évidente dans une perspective synchronique10. La nouvelle série, tout particulièrement, se trouve dans un état de superposition parfois paradoxal. Depuis son retour en 2005, elle s’est peu à peu construite comme une brand, une marque, une franchise. Un procédé qui, comme le détaille Catherine Johnson, permet à la BBC de développer un modèle commercial efficace, de distinguer le produit culturel qu’est Doctor Who du reste de sa production, et de gérer les extensions du programme et les produits dérivés11. Mais le processus, selon le brand manager de la série, Ian Grutchfield, est d’abord circonstanciel :

Within the BBC (Public Service) there wasn’t a strategic decision to manage key brands – it came about more through circumstances and individual people’s ideas. […] […] For Doctor Who, [it] came from the Showrunner model of management deployed by the two visionaries at its helm – i.e. Russel T. Davies writer and executive producer and Julie Gardner, head of drama Wales and executive producer12.

10 Le « showrunner model » (américain) auquel fait référence Grutchfield concerne le duo formé par les executive producers13 Russel T. Davies, scénariste reconnu en Grande- Bretagne, notamment pour son travail sur Queers as Folk (Channel 4, 1999-00) et Bob & Rose (ITV, 2001) ; et Julie Gardner, dont le poste est l’équivalent d’une directrice de la fiction pour l’antenne galloise de la BBC. Davies et Gardner maîtrisent ainsi les aspects artistiques et économiques de Doctor Who, et supervisent la première ère de la nouvelle série14, de son retour sur les écrans en 2005 à la passation de pouvoir en 2010. Le duo est en quelque sorte le visage de la franchise, à une époque où la BBC cherche à produire un contenu de qualité et à s’éloigner de l’image de programme carton-pâte, à la continuité absconse, que possédait la série classique15. Ainsi, à une époque où, comme le souligne Roberta Pearson, le nom d’une auteure est plus attractif que le nom de la chaîne qui diffuse le programme16,

[…] the positioning of Davies in particular as “author” of the series equally contributes to the construction of a specific brand identity for the series as a quality text created by a “visionary” that could appeal to the fan and non-fan audience17.

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Ce phénomène est encore plus prégnant durant l’ère Moffat : les executive producers se succédant d’années en années à ses côtés, il apparaît comme une instance auctoriale dominante, presque omnipotente.

11 Mais si Steven Moffat reste la figure de proue de la série depuis 2010, le paratexte de Doctor Who a toujours insisté sur la multi-auctorialité du programme 18. La série documentaire Doctor Who Confidential (BBC Three, 2005-11), diffusée immédiatement après chaque épisode de la nouvelle série, met en lumière le travail de toute une équipe sous l’égide du head writer : scénaristes, producteurs mais aussi Murray Gold, le compositeur de la bande sonore musicale, les réalisateurs ou encore les spécialistes des effets spéciaux. L’immense majorité des intervenants se réfèrent à Davies, puis à Moffat, comme la plus haute autorité ; dans le même temps, Doctor Who Confidential met en avant les scénaristes de chaque épisode, faisant valoir le modèle britannique : loin des writing room américaines où l’écriture est collective, chaque épisode de Doctor Who entame un dialogue entre son propre scénariste et le head writer, qui peut guider, corriger, voire réécrire le script pour apporter plus de cohésion à la saison19. Ainsi, dans le Confidential dédié à Victory of the Daleks (5.3) peut-on voir intervenir, en plus de Steven Moffat, Mark Gatiss, scénariste-phare de la série. Gatiss et Moffat sont ici traités à égalité, et c’est bien Gatiss que l’on voit visiter le Cabinet War Room de Churchill, qui a servi d’inspiration pour l’épisode ; c’est son travail de recherche qui est mis en avant.

12 Si la série classique n’offrait pas autant d’informations sur son contexte de production, le paratexte contemporain met en valeur sa multi-auctorialité. La BBC a produit, dans le cadre du cinquantenaire de Doctor Who en 2013, un docu-fiction destiné à relater la création du programme et ses premières années, jusqu’au remplacement de William Hartnell par Patrick Troughton. Écrit par Mark Gatiss, An Adventure in Space and Time dévoile les coulisses de la BBC en 1963, et met en scène la multiple paternité/maternité du programme. Si le head of drama Sydney Newman est crédité de l’idée originale, le insiste sur la position déterminante, mais malaisée, de deux icônes : Verity Lambert, productrice dans un monde d’hommes, qui va sauver le programme malgré des débuts difficiles ; et William Hartnell, acteur au fort caractère qui, d’abord dubitatif, va s’accaparer le rôle, mais dont l’interprétation sera marquée par la maladie. An Adventure in Space and Time dévoile aussi les figures moins connues de Waris Hussein, réalisateur des premiers épisodes (quand on sait, aujourd’hui, l’importance de l’esthétique proposée par un épisode pilote) ; et de Peter Brachacki, le designer qui, exaspéré par l’insistance de Lambert, construit la maquette du TARDIS, le vaisseau du Docteur, en deux temps trois mouvements, avec ce qui lui tombe sous la main. La séquence de la maquette cristallise l’image carton-pâte de la série classique, que An Adventure in Space and Time nous présente avec une certaine nostalgie et une évidente fierté, alors que la qualité discutable des effets spéciaux et des décors de la série a été l’un des critères déterminants dans la suspension de Doctor Who en 1989.

13 Ce que les paratextes contemporains dévoilent, ce sont d’abord des passionnés, et, tout particulièrement en ce qui concerne la nouvelle série, des fans de Doctor Who. Matt Hills détaille le processus qui a poussé de jeunes spectateurs et spectatrices de la série classique à devenir professionnels, souvent par le biais d’activités de fans (fanzines, fanfiction, etc.) puis via l’univers « étendu » de Doctor Who (écriture de romans, production d’aventures audio, etc.) jusqu’à participer à la résurrection de la série en 2005. Hills note que cette « Doctor Who Mafia » va à l’encontre des thèses initiales de Henry Jenkins, de l’idée d’une séparation stricte entre les primo-producteurs et les

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fans20. Davies, puis Moffat, mais aussi David Tennant, interprète du Dixième Docteur, et Peter Capaldi, du Douzième, s’avouent volontiers fans de la série classique, et ce positionnement de fan-turned-gamekeepers (« fans devenus maîtres du jeu », comme les nomme Hills) est valorisé par la communication de la BBC, qui y voit un gage de respect du matériel narratif face aux fans les plus exigeants.

14 Cependant, le savoir encyclopédique ainsi partagé par les fans et les primo-producteurs aurait un revers : le fanwanking21, qui consiste, au sein d’un épisode, à faire d’obscures références au passé du programme pour le seul plaisir des fans, au risque d’aliéner des publics profanes. Matt Hills relativise le phénomène, expliquant que la nouvelle série parvient à faire référence à sa continuité tout en restant accessible aux non-initiés, superposant des niveaux de lecture à densités variables22. Il critique du même coup une vision binaire des publics de Doctor Who, entre fans assidus et profanes. La densité du monde fictionnel, la variété des supports sur lesquels le programme se déploie depuis ses débuts, et les degrés de canonicité du matériel narratif à disposition du public, impliquent une approche multi-modale des « whovians » : il y a peut-être autant de façon d’être fan de Doctor Who qu’il y a d’auteur.e.s et d’influences affiliées au programme.

3. Un univers transmedia hétéroclite

15 L’univers « étendu » de Doctor Who ne s’apparente pas à du transmedia storytelling au sens strict. Le concept, popularisé par Henry Jenkins23, insiste sur la dispersion des éléments fictionnels sur divers médias, mais aussi sur le caractère « unifié » de l’expérience transmédiatique vécue par les publics – un exemple canonique parmi d’autres étant la campagne transmédia de la trilogie Matrix (Andy et Lana Wachowski, 1999, 2003). Les différents éléments, s’ils ne sont pas tous nécessaires à la compréhension de l’histoire, augmentent l’impression de complétude du monde fictionnel et permettent, par exemple, d’explorer des intrigues secondaires que l’œuvre principale esquisse à peine.

16 Doctor Who est perçu par Lynette Porter comme l’une des plus vieilles licences transmédia24 ; dans le même temps, Neil Perryman explique que les plus anciens éléments « transmédia » de la série seraient aujourd’hui reconnus comme du « franchising », des produits dérivés25 – par exemple, les novélisations des épisodes de la série classique, parus entre 1964 et 1991 chez Target Books. Mais l’univers étendu de Doctor Who, présent sur cinq décennies et une multiplicité de supports, ne peut pas être si facilement catégorisé, car il marie des intentions esthétiques et commerciales radicalement différentes selon les éditeurs, et une approche du monde fictionnel qui mène parfois à des contradictions étonnantes.

17 À la télévision, Doctor Who possède deux séries dérivées, Torchwood (BBC 3, 2, 1, Starz, 2006-2011) et The Sarah Jane Adventures (CBBC, 2007-2011). Elles ont été lancées durant l’ère Davies (toutes deux sont créées et supervisées par Davies et Julie Gardner) et entretiennent des rapports étroits avec la série-mère. Elles possèdent donc le plus haut niveau de canonicité : les événements mis en scène dans les séries dérivées appartiennent au monde fictionnel de Doctor Who sans qu’aucun doute ne soit possible. Le statut des mini-séries animées est plus ambigu : The Infinite Quest (CBBC, 2007) et Dreamland (BBC Red Button, 2009) mettent en scène le Dixième Docteur de l’ère Davies mais ne sont jamais directement référencées par la série-mère. En dehors du canon,

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Scream of the Shalka, mini-série animée diffusée en 2003 sur Internet par la BBC, possède un statut liminal. Elle met en scène un Neuvième Docteur « alternatif », dont l’existence est invalidée lors du retour de Doctor Who en 2005, lorsque qu’un autre Neuvième Docteur, incarné par Christopher Eccleston, devient de facto le Neuvième Docteur canonique.

18 Au-delà de la télévision, Doctor Who et ses séries dérivées s’étendent via un réseau de romans, d’aventures audio et de comics. En s’appuyant sur les données de Tardias.wikia, le wiki anglophone le plus riche dédié à la série, on peut dater le début des publications de romans originaux aux années 1980. Des séries de romans plus denses apparaissent dans les années 1990 chez Big Finish et BBC Books. Elles permettent de découvrir des aventures inédites du Docteur – ou plutôt, des Docteurs. BBC Books, par exemple, propose plusieurs séries. Les Past Doctors Adventures concernent les Docteurs de la série classique, et ne comprennent pas moins de 75 titres parus entre 1997 et 2005. À l’arrivée de la nouvelle série en 2005, la BBC joue de son statut « officiel » de primo- productrice en publiant des séries de romans dédiées à chacun des nouveaux Docteurs, et dont la durée de vie est égale à leur présence sur les écrans. Ainsi, le Neuvième Docteur, qui n’est apparu que dans la première saison de la nouvelle série, apparaît dans six romans publiés en 2005. Entre 2006 et 2010, alors que David Tennant incarne le Dixième Docteur à la télévision, le personnage vit aussi 57 aventures sur le papier entre 2005 et 2009. La lecture des romans n’est pas nécessaire pour comprendre la série télévisée, mais la synchronisation entre diffusion télévisée et publication renforce le lien symbolique entre les deux supports.

19 La BBC possède depuis 1996 un monopole auparavant détenu par Virgin Books (pour les romans) et Big Finish (pour les aventures audio). Il est intéressant de constater que Big Finish n’a le droit d’utiliser que les Docteurs de la série classique et celui du téléfilm de 1996, laissant à la BBC les Docteurs de la nouvelle série. Big Finish a néanmoins étendu sa gamme en proposant les aventures audio des compagnes et compagnons du Docteur, et notamment de Bernice Summerfield, apparue sur le papier chez Virgin Books en 1992. La canonicité des aventures de Summerfield peut paraître discutable : elle n’est jamais apparue ni n’a été mentionnée à la télévision, alors même que le nombre d’œuvres la mettant en scène approche la centaine en 2014, et qu’elle interagit avec plusieurs incarnations du Docteur. Summerfield cristallise le caractère rhizomique de l’univers étendu de Doctor Who : pour pallier aux restrictions imposées par la BBC, qui contrôle l’univers transmédia autour de la nouvelle série, les éditeurs affiliés ont étendu l’univers fictionnel dans des directions variées qui, parfois, deviennent presque indépendantes.

20 Les éléments les plus contradictoires prennent place durant l’interstice26 qui sépare la série classique (1989) de la nouvelle série (2005), et qui n’est marqué que par le téléfilm de 1996 (à la continuité discutable, sur laquelle nous reviendrons). Entre 1989 et 1996 notamment, ce ne sont pas moins de trois primo-producteurs qui se disputent le monde fictionnel : Virgin Book (romans), Big Finish (audio) mais aussi Doctor Who magazine, publié mensuellement depuis 1980 (hebdomadaire à sa création en 1979), qui propose des comics mettant en scène le Docteur. À cela s’ajoute l’arrivée de BBC Books en 1996, qui va reprendre en main l’univers en niant, parfois, le travail des autres éditeurs et en imposant sa continuité plus « officielle27 ». Un exemple intéressant est proposé par Tardis.wikia : la biographie du Maître (un autre ennemi du Docteur) est rendue chaotique par les différents éditeurs. Virgin Books continue à mettre en scène le Maître

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dès 1994 et construit autour de lui toute une continuité qui sera invalidée par BBC Books deux ans plus tard, afin de rendre la biographie du personnage plus cohérente avec le téléfilm de 1996. Pendant ce temps, Big Finish, qui doit trouver des interprètes pour ses aventures audio, choisit un acteur qui avait incarné le Maître dans la série classique, avant d’être remplacé. Pour expliquer pourquoi « son » Maître a la voix d’une incarnation que la série classique a enterrée, Big Finish altère la continuité pour le « ramener à la vie »28.

21 Si d’autres problèmes similaires apparaissent dans la continuité de l’univers étendu de Doctor Who, il n’en reste pas moins que le texte se prête aux reconfigurations narratives. Non seulement le voyage dans le temps permet d’expliquer ces abrupts changements, mais la structure même du texte, elliptique, autorise toutes les extensions. Dans la série, il est rare que le Docteur et ses compagnons mentionnent l’ordre précis de leurs différents voyages. Il est donc possible d’intercaler à loisir des aventures papier, audio, voire vidéoludiques, entre des épisodes de la série. Si les modifications dans la biographie du Maître, citées plus haut, s’apparentent sans ambiguïté au procédé de la continuité rétroactive, la série repose plus largement sur un principe similaire que je tiens cependant à distinguer : celui de la complétude rétroactive. Doctor Who ne modifie pas tant sa continuité qu’elle l’augmente, remplissant les interstices et changeant le point de vue des publics sur des éléments déjà établis, sans forcément modifier les éléments eux-mêmes. Ainsi du War Doctor, l’incarnation interstitielle que The Day of The Doctor impose en 2013 entre le Docteur du téléfilm et la neuvième incarnation de 2005 : son existence ne brise pas la continuité mais étend la connaissance de la biographie du Docteur et introduit une subtilité dans le décompte de ses incarnations qui ouvre, de façon logique, la voie à de possibles autres incarnations interstitielles jamais mentionnées auparavant. Plutôt que d’être une force centripète qui insisterait sur la cohésion de l’univers fictionnel, le transmédia pratiqué par Doctor Who est centrifuge et étend son univers de manière elliptique. Plus que du transmedia storytelling, le dispositif s’apparente à du transmedia branding : il fait vivre la franchise de manière dynamique, créant un univers hétérogène riche en possibilités et qui ne tourne pas en orbite autour de la seule série-mère pour toucher une grande variété de publics.

22 Matt Hills voit une autre utilité au dispositif transmédia, dans le cas de la série dérivée Torchwood. En plus de changer de chaîne chaque année, le programme a vu sa production et sa narration évoluer au fil du temps. Les deux premières saisons de treize épisodes chacune sont suivies d’une courte troisième saison au ton beaucoup plus sombre, puis d’une quatrième co-produite avec la chaîne américaine Starz. Cette dernière est perçue par une partie des fans comme niant ses origines en exportant les personnages aux États-Unis. Hills détaille le contenu transmédia qui a accompagné la série, et évoque la notion de « fanagement » (gestion des fans par les producteurs) : les romans servent ici à tisser des liens entre les saisons pour « aplanir » l’univers fictionnel et justifier la transition vers l’internationalisation de la série. Ils ont aussi pour but d’apaiser les fans en expliquant les conséquences (invisibles à l’écran) de la mort tragique d’un personnage majeur à la fin de la saison 3, tout en confisquant aux fans la possibilité de remplir ces interstices via leurs fanfictions29. Sous couvert de cohérence, ces œuvres dérivées visent, selon Hills, à taire les doléances des fans et à imposer des changements drastiques dans le ton et la configuration du monde fictionnel.

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23 On trouve enfin, au sein de l’univers étendu de Doctor Who des exemples de transmedia storytelling au sens strict du terme, mais ils sont soit discrets (les webisodes précédant certains épisodes, diffusés sur Internet et servant de « préquelle », de prologue), soit infructueux. Les Adventure Games, en ce sens, constituent un semi-échec. Mis à disposition sur Internet par la BBC, ces jeux vidéo accompagnent les saisons 5 et 6 de la nouvelle série, soit le début de l’ère Moffat (2010 et 2011). Ils sont écrits par Phil Ford et James Moran, scénaristes sur Doctor Who, Torchwood et The Sarah Jane Adventures, et mettent en scène le Onzième Docteur et sa compagne d’alors, Amy Pond, doublés par les interprètes de la série, Matt Smith et Karen Gillan. Si les aventures qu’ils mettent en scène ne sont pas mentionnées à la télévision, les Adventure Games sont bien censés se dérouler à des moments spécifiques, entre deux épisodes de la saison 5 ou 6. Concernant les quatre jeux publiés durant la saison 5, Piers Wenger, executive producer à cette époque, explique :

There aren’t 13 episodes of Doctor Who this year. There are 17 – four of which are interactive. Everything you see and experience within the game is part of the Doctor Who universe.

24 Neil Perryman détaille les efforts fournis par la BBC pour faire la publicité des jeux et assurer les publics de leur authenticité – jusqu’à rappeler que Steven Moffat en personne, le head writer de la série, a supervisé leur création 30. Malheureusement, les jeux ne contribuent pas à l’intrigue de la saison 5 (la réécriture de l’Histoire et le reboot de l’univers par le Docteur)31 et ne rencontrent pas le succès. L’idée de publier plusieurs saisons de jeux est abandonnée.

25 Malgré ce revers, il n’est pas étonnant que les Adventure Games aient été publiés durant l’ère Moffat : ils font partie d’un plus vaste projet qui consiste à prendre la mesure de la cohérence de l’univers fictionnel, et à unifier l’expérience des publics après 50 ans d’un transmedia branding hétéroclite, à la fois riche et hasardeux. Ce projet esthétique ne se manifeste pas seulement en termes économiques, puisqu’il impacte jusqu’au monde fictionnel lui-même.

4. « Reboot the universe »

26 Comptant parmi les éléments les plus problématiques de la continuité, le téléfilm de 1996 est pourtant conçu comme la première tentative de continuation de la série classique. Coproduction américano-britannique (BBC, Universal, Fox), il s’ouvre avec le Septième Docteur, joué par Sylvester McCoy – qui tenait déjà le rôle-titre à la fin de la série classique. Alors qu’il transporte les restes de son ennemi de toujours, le Maître, il est abattu par les membres d’un gang lorsque le TARDIS atterrit à San Francisco en 1999. Le téléfilm met en scène sa régénération, le remplaçant par sa huitième incarnation, sous les traits de l’acteur britannique Paul McGann.

27 Si ce Huitième Docteur, supervisé en partie par la BBC et faisant directement suite à la dernière incarnation de la série classique, paraît canonique, le téléfilm suggère que le Seigneur du Temps est en réalité à moitié humain, entrant en contradiction avec les éléments connus de sa biographie32. De plus, les taux d’audiences décourageants – notamment aux États-Unis – condamnent une possible nouvelle série à une mort prématurée. Le Huitième Docteur devient ainsi l’incarnation à la durée de vie la plus courte à l’écran, 85 minutes.

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28 Mais c’est sans compter sur l’univers étendu, qui s’empare du personnage, justifie ou gomme son ascendance problématique de diverses manières33, et lui fait vivre au moins autant d’aventures que ses prédécesseurs : plus de 73 romans chez BBC Books entre 1997 et 2005, et plus de 7334 audio chez Big Finish dans les diverses collections mettant en scène le Docteur, entre 1999 et 2014. Paul McGann, l’interprète, a autorisé BBC Books à utiliser son image et a joué son propre rôle dans les aventures audio, trouvant là l’occasion de développer le personnage et de laisser sa marque dans la succession des incarnations du Docteur. Bien qu’absent des écrans, le Huitième Docteur est donc, de 1996 à 2005, considéré comme le Docteur « actuel », avant l’arrivée de Christopher Eccleston. La nouvelle série ne montre pas la régénération du Docteur de McGann en celui de Eccleston, mais n’en respecte pas moins le décompte des incarnations, achevant de donner au Huitième Docteur un statut canonique.

29 À l’occasion du cinquantenaire de la série en 2013, deux webisodes sont diffusés dans les deux semaines qui précèdent l’épisode-événement The Day of the Doctor. Paul McGann reprend, à l’écran, le rôle du Huitième Docteur dans The Night of the Doctor (BBC iPlayer, 14 novembre 2013), alors que le personnage, au seuil de la mort, traverse la régénération qui fait de lui le War Doctor interstitiel, interprété par John Hurt. Avant de « mourir », le Huitième Docteur a l’occasion de mentionner les compagnes et compagnons qui ont vécu de nombreuses aventures avec lui, mais ne cite que celles et ceux issus des aventures audio Big Finish, ignorant les personnages rencontrés dans les romans de BBC Books ou les comics. Ce webisode canonique écrit par Steven Moffat est le premier à mentionner les productions Big Finish et à leur accorder le plus haut statut canonique, un choix qui sonne comme la reconnaissance du travail de l’éditeur.

30 Cette référence à l’univers étendu de Doctor Who peut paraître contradictoire au sein d’une ère qui, depuis 2010, prend ses distances avec la continuité sur la direction du head writer Steven Moffat. La saison 5 de la nouvelle série marque en effet une rupture unilatérale avec les saisons précédentes : le casting est renouvelé dans son intégralité35 avec l’arrivée d’un Onzième Docteur (Matt Smith) et d’une nouvelle compagne, Amy Pond (Karen Gillan) ; les décors changent aussi, avec notamment une refonte complète de l’intérieur du TARDIS ; derrière la caméra, Russel T. Davies cède sa place de head writer à Steven Moffat tandis que Piers Wenger et Beth Willis remplacent Julie Gardner au poste de executive producer. Moffat, qui a déjà écrit certains épisodes de l’ère Davies, possède une signature particulière : une ambiance de dark (« conte de fée sombre »), un penchant pour les paradoxes temporels, la réflexivité et les récits complexes. Une signature qu’il va déployer à l’échelle de la série, faisant notamment des saisons 5 et 6 des ensembles feuilletonnants fonctionnant comme des puzzles36.

31 Ce changement abrupt est manifesté au sein du monde fictionnel dans la saison 5, la première de l’ère Moffat : suite à l’apparition de mystérieuses failles dans l’espace et le temps, le Docteur comprend au fil des épisodes que l’Histoire est effacée petit à petit. Dès Victory of the Daleks (5.3), ce reboot « localisé » (seuls certains éléments sont annulés ou reconfigurés) impacte le monde fictionnel. Le Docteur cherche à convaincre Winston Churchill que les Daleks, malgré les apparences, sont tout sauf ses alliés dans la guerre contre l’oppression nazie. S’ensuit cet échange révélateur : LE DOCTEUR. Amy, tell him. AMY. Tell him what? LE DOCTEUR. About the Daleks. AMY. What would I know about the Daleks? LE DOCTEUR. Everything. They invaded your world, remember? Planets in the sky,

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you don’t forget that. Amy, tell me you remember the Daleks. AMY. No, sorry. LE DOCTEUR. That’s not possible.

32 Le Docteur fait ici référence aux événements survenus dans le diptyque The Stolen Earth/Journey’s end (4.12, 4.13), lorsque les Daleks ont déplacé la Terre à des années- lumière du système solaire. Le dialogue ci-dessus a trois fonctions. Premièrement, il sert de clin d’œil à la continuité en citant des épisodes de l’ère Davies – seuls les spectateurs les plus assidus comprendront la référence. Moffat indique ici qu’il n’a pas coupé les ponts avec le passé du programme, et que le monde fictionnel reste dans la droite ligne de l’ère Davies. Deuxièmement, la référence permet aux spectateurs profanes d’en découvrir plus sur le monde fictionnel et d’apprendre qui sont les Daleks. Troisièmement, le dialogue permet de souligner l’effacement d’une continuité dont seul le Docteur se souvient, et articule l’arc narratif de la saison. Si le Docteur reboot l’Univers à la fin de la saison, rétablissant (de manière présumée) la continuité telle que les fans la connaissent, cet éloignement temporaire d’avec les ères précédentes permet à Moffat d’introduire de nouveaux antagonistes et protagonistes, mettant à égalité fans et profanes, faisant de la saison 5 un point d’entrée possible pour de nouveaux publics. Le head writer assume aussi ce processus de déconstruction de la continuité pour mieux imposer sa marque sur Doctor Who.

33 La saison 7 de la nouvelle série, qui précède le cinquantenaire du programme, est l’occasion d’un nouveau jeu avec la continuité : dans l’épisode qui conclut la saison, The Name of the Doctor (7.14), Clara Oswald, la nouvelle compagne du Docteur, se retrouve douée d’ubiquité et rencontre le Docteur sous toutes ses incarnations via l’utilisation d’images d’archives. La technique n’est pas nouvelle : grâce à des flashbacks ou à la consultation de banques mémorielles, l’apparition des anciennes incarnations à l’écran est courante dans la nouvelle série, et l’ère Moffat en fait un usage marqué à deux reprises : lors du premier épisode du Onzième Docteur, The Eleventh Hour (5.1) et dans The Lodger (5.11). À chaque fois, il s’agit d’établir le personnage joué par Matt Smith comme le dernier d’une longue lignée, alors même que la continuité est temporairement mise en retrait au profit d’une reconfiguration des enjeux narratifs.

34 The Name of the Doctor a ceci de particulier qu’une interaction est suggérée entre Clara et les Docteurs via la manipulation du son et de l’image ; William Hartnell, le Premier Docteur, semble notamment lui répondre lorsqu’elle l’interpelle. Clara est ici pour empêcher la Grande Intelligence (un autre antagoniste récurrent) de tuer le Docteur à divers moments de son passé : elle a pour tâche de préserver la continuité en la revisitant. C’est d’ailleurs à cette occasion que l’incarnation interstitielle créée par Steven Moffat, et jouée par John Hurt, est aperçue pour la première fois. Clara a sauvé la vie du Docteur et la continuité, mais l’épisode joue aussi sur la complétude rétroactive, révélant ce que le Docteur avait tenu secret : qu’une de ses incarnations ne portant pas le titre de « Docteur » avait participé à la Dernière Grande Guerre du Temps.

35 Si Paul Booth voit, de façon plus conventionnelle, The Name of the Doctor comme une forme de continuité rétroactive (alors que rien n’y est modifié ou annulé, seulement complété), il dessine une analogie efficace dans son article sur la périodisation de la série, voyant Doctor Who comme une archive. Empruntant à la notion de littérature archontique proposée par Abigail Derecho, il explique que le fonctionnement de Doctor Who comme des wikis qui documentent le programme se fonde sur le principe d’une

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archive ouverte, en flux constant. Le texte n’est pas figé dans la pierre, mais peut être sans cesse revu et corrigé, étendu, annulé, complété. De plus, il conserve la trace de ces modifications : tout comme une archive, Doctor Who en tant que texte n’est pas simplement un artefact mais un processus qui laisse une marge à la reconfiguration, rejoignant ainsi la notion, évoquée par Booth, d’un indefinable text37.

36 L’exemple – ouvrant cette analyse – du sauvetage de la planète Gallifrey par toutes les incarnations du Docteur, dans l’épisode anniversaire The Day of the Doctor, s’inscrit dans une tradition qui date de la série classique : les épisodes à multiples Docteurs, marquant généralement les décennies du programme (The Three Doctors en 1973, The Five Doctors en 1983). Lorsque les Docteurs annulent la destruction de Gallifrey – jouant ici, sans ambiguïté, sur la continuité rétroactive –, il apparaît évident que Moffat se sert de la continuité comme d’une arme à double tranchant : il convoque tous les Docteurs dans une séquence sans précédent pour rendre honneur à l’histoire du programme, mais dans le même temps, il annule le dispositif narratif inventé par Davies (la destruction de Gallifrey) pour expliquer la reconfiguration du monde fictionnel entre les deux séries. Dans un mouvement paradoxal, Moffat présente comme possible un retour à une configuration du monde fictionnel datant de la série classique, tout en le mettant en scène comme une victoire, un événement, un renouveau dans le fond comme dans la forme. Il permet au programme de rebondir en soulignant sa capacité toujours intacte à se renouveler sans fin.

37 Après les événements de The Time of the Doctor (7.15), le Onzième Docteur, arrivé au terme de son cycle de régénérations, se croit au seuil de la mort, lorsqu’il est sauvé in extremis par les Seigneurs du Temps qu’il a secourus dans l’épisode précédent, et se voit accorder de nouveau la capacité de se régénérer. Peter Capaldi, âgé de 56 ans, succède ainsi à Matt Smith (32 ans), et devient de loin le plus vieux Docteur de la nouvelle série, évoquant les figures de patriarches de la série classique en même temps que l’âge du programme. Sa compagne Clara peine à le reconnaître ; dans l’ouverture de la saison 8 (« Deep Breath », 8.1), via le procédé du voyage dans le temps, le Docteur incarné par Matt Smith adresse à Clara un ultime appel téléphonique38, et lui assure que l’homme qui se tient à présent devant elle a beau avoir changé de visage, il est toujours lui- même. Il n’a jamais la même apparence, peine parfois à être reconnu, parce que son identité même est en flux permanent. Matt Hills, dans sa critique dédiée à « Deep Breath »39, notait que la scène, chargée d’émotion, pouvait être perçue comme irrespectueuse des fans, comme si ce clin d’œil réflexif trahissait un manque de confiance de la part des primo-producteurs envers celles et ceux qui ont suivi la série au travers de ses multiples changements.

38 Tout comme le Docteur, la nature même du programme est évidemment en flux constant. Doctor Who assume sa multi-auctorialité, laquelle fait partie de l’image du programme malgré une communication parfois centrée sur la seule figure du head writer ou d’un.e producteur.ice. L’univers étendu, elliptique, centrifuge, rhizomique, a gagné en cohérence pour les célébrations du cinquantenaire, les éditeurs affiliés coordonnant leurs efforts pour proposer des collections spéciales40. Reste à voir comment, dans un avenir proche, la BBC choisira d’embrasser ce vaste monde fictionnel, dont la dynamique est intersticielle par essence ; monde fictionnel qui, comme le montre l’épisode-événement du cinquantenaire, ne cesse, à l’image du phénix, de se nourrir de lui-même, de renaître de ses cendres, de rester fidèle à lui- même, quelle que soit son apparence.

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NOTES

1. Le vocabulaire de la BBC a toujours été nébuleux concernant l’arrêt de la série classique en 1989, mais elle n’a jamais été annulée, la chaîne laissant espérer une reprise du programme par une autre société de production externe à la BBC. Voir James Chapman, Inside the TARDIS: The Worlds of Doctor Who, Londres, New York, IB Tauris, 2013 (édition révisée), p. 172. 2. Diffusées à la radio ou directement disponibles à la vente. 3. John Tulloch, Manuel Alvarado, Doctor Who: The Unfolding Text, New York, Saint Martin’s Press, 1983. 4. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie : Tome 2, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980. 5. Paul Booth, « Periodising Doctor Who », Science fiction film and television, 7.2, 2014, p. 195-215. 6. « […] le canon sépare implicitement les primo-producteurs, régies légitimes des discours, des producteurs seconds qui, comme les fans, font vivre l’univers étendu sans nécessairement respecter ses limites justement canoniques. Les primo-producteurs sont par exemple en mesure de légitimer des manipulations thématiques et narratives de la fiction […]. » François Ronan- Dubois, « Auteurs, régies discursives et primo-producteurs », Contagions, consulté le 3 septembre 2014. 7. On consultera John Tulloch, Henry Jenkins, Science Fiction Audiences: Watching Doctor Who and Star Trek, Londres, New York, Routledge, 1995. 8. Booth, op. cit.. 9. Il reste compliqué de choisir une dénomination pour les histoires de la série classique. Au contraire des saisons contemporaines, les series (saisons) de l’époque étaient composées de segments (stories) constituant une histoire complète, chaque segment rassemblant plusieurs épisodes de 25 minutes. Je choisis ici de numéroter la saison, puis le segment, en comptant à partir du début de chaque saison. 10. On consultera par exemple Matt Hills, qui distingue lui aussi une multi-auctorialité diachronique (la succession des auteur.e.s dans le temps) et synchronique (multiplicité d’influences sur un épisode ou une saison donnée). Voir Matt Hills, Triumph of a Time Lord, Londres, New York, IB Tauris, 2010, p. 31. 11. Catherine Johnson, « Doctor Who as Programme Brand », in New Dimensions of Doctor Who, éd. Matt Hills, Londres, New York, I.B. Tauris, 2013, p. 96. Voir l’article de Johnson, en particulier pour les tensions qu’elle décrit entre l’aspect commercial du branding et la mission de service public de la BBC. 12. Cité dans Johnson, ibid., p. 100. 13. De même que j’utilise showrunner et head writer, je me permets d’employer executive producer puisque le terme n’a pas d’analogue exact dans la langue française (le plus proche étant « producteur délégué »). 14. Si, en termes de production, l’ère Davies (2005-10) et l’ère Moffat (2010-) se ressemblent, elles se distinguent par leur esthétique, leurs thématiques et leur approche de la continuité. De même que pour la série classique, principale cible des réserves de Paul Booth, il est possible que la catégorisation des ères Davies et Moffat paraisse désuète et grossière dans quelques dizaines d’années ; pour le moment, par manque de recul, cette distinction reste efficace aux yeux des fans et des universitaires. 15. Voir Hills, op. cit., p. 151 et sq. 16. Roberta Pearson, « The Writer/Producer in American Television », in The Contemporary Television Series, Michael Hammond et Lucy Mazdon (éds.), Édimbourg, Edinburgh University Press, 2005. 17. Johnson, op. cit., p. 101. 18. Hills, op. cit., p. 26, 42.

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19. On consultera notamment Russel T. Davies, Benjamin Cook, The Writer’s Tale: The Final Chapter, Londres, BBC Books, 2010. 20. Hills, op. cit., p. 54 et sq. 21. Pour des raisons qui apparaîtront évidentes, je laisse aux lecteur.ice.s la possibilité de traduire ce terme grossier, popularisé par les fans de Doctor Who dans les années 1980, et qui a très vite pris une connotation négative – certainement parce qu’une partie des fans persiste à penser que les références obscures à la continuité ont été l’un des critères déterminants dans la suspension de la série classique, hypothèse toujours débattue aujourd’hui. 22. Hills, op. cit., p. 58 et sq. 23. Henry Jenkins, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, NYU Press, 2006. 24. Lynnette Porter, Doctor Who, American Influence, Fan Culture and the Spinoffs, Jefferson, Londres, McFarland & Company, 2012, p. 78. 25. Neil Perryman, « “I AM THE DOCTOR !”: Transmedia Adventures in Time and Space », in Doctor Who, The Eleventh Hour, Andrew O’Day (éd.), Londres, New York, IB Tauris, 2014, p. 232. 26. J’utilise « interstice » pour reprendre l’expression de Russel T. Davies, qui voit Doctor Who comme un programme structuré autour de gaps : la suspension entre 1989 et 2005, mais aussi la disparition de certains épisodes de la série classique. Il considère que ces interstices sont attractifs pour des générations de fans qui vont chercher à les combler et, par là peut-être, à entrer comme lui dans le métier. Cité dans Hills, op. cit., p. 55. 27. Le wiki anglophone le plus dense consacré à Doctor Who, Tardis.wikia, affiche, au-dessus des pages concernant des éléments considérés comme non-canoniques, l’encadré suivant : « You can believe this subject is part of the Doctor Who universe. But we don’t. » Le site, s’il affirme son autorité en se fondant sur la continuité proposée par la BBC et ses éditeurs affiliés, reconnaît aux fans le droit de définir leur propre canon. Lynnette Porter, quant à elle, insiste sur la différence entre les séries canon (le matériel narratif proposé par la BBC à la télévision) et les romans et aventures audio, sanctioned (approuvés par la BBC, mais avec un degré de canonicité moindre, ne serait-ce que parce que ces produits culturels, vendus par des tiers, n’entrent pas dans la mission de service public de la BBC). Voir Porter, p. 84. 28. On consultera sur la page « The Master » (consultée le 3 septembre 2014) l’encadré intitulé « Making Sense of the 1990s ». 29. Matt Hills, « Torchwood’s trans-transmedia: Media tie-ins and brand “fanagement” », in Participations, Vol. 9, No. 2, novembre 2012. 30. Perryman, op. cit., p. 232-233. 31. Perryman, op. cit., p. 236. 32. Un autre cas de continuité rétroactive : ici un élément clairement établi est modifié. 33. Tardis.wikia dénombre l’incertitude (McINTEE, David, Autumn Mist, BBC Books, 1999), des procédés de procréation artificielle (MAGRS, Paul, The Scarlet Empress, BBC Books, 1998), le mensonge éhonté (LEE, Tony, The Forgotten vol. 1-6, IDW Publishing, 2008-09) ou encore la vérité (PARKIN, Lance, The Gallifrey Chronicles, BBC Books, 2005). On notera que trois de ces versions contradictoires cohabitent chez le même éditeur… 34. J’emploie des chiffres approximatifs, me limitant aux aventures les plus canoniques, mais d’autres apparitions peuvent entrer en ligne de compte. 35. Fait rare dans les deux séries, qui ont toujours cherché à conserver un personnage familier pour « contrebalancer » les transitions entre les Docteurs. Voir Pierce Britton, « It’s All New Doctor Who: Authorising New Design and Redesign in the Steven Moffat Era », in Doctor Who, The Eleventh Hour, Andrew O’Day (éd.), Londres, New York, IB Tauris, 2014, p. 149. 36. Concernant l’écriture de Moffat, on consultera notamment Frank Collins, « Monsters Under the Bed: Gothic and Fairy-Tale Storytelling in Steven Moffat’s Doctor Who », in Andrew O’Day, op. cit.

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37. Booth, op. cit. 38. De la même façon que, dans « The Bells of Saint John » (7.7), c’est elle qui l’appelle « par erreur » avant leur première rencontre, bouclant la boucle. 39. Matt Hills, « Fans can breathe again after Peter Capaldi’s captivating Doctor Who debut », in The Conversation, consulté le 3 septembre 2014. 40. Matt Hills, « Anniversary Adventures in Space and Time: The Changing Faces of Doctor Who’s Commemoration », in Matt Hills, New Dimensions of Doctor Who, Londres, New York, I.B. Tauris, 2013, p. 229.

RÉSUMÉS

Cet article explore le rapport complexe à la continuité qu’entretient la série britannique Doctor Who (BBC One, 1963-1989, 2005-), en se penchant sur sa multi-auctorialité d’un point de vue diachronique puis synchronique, et en détaillant un monde fictionnel dispersé sur de multiples supports suivant un processus qui ne se conforme pas à la définition stricte du transmedia storytelling. La période de production la plus récente du programme (depuis 2010) est aussi analysée, en ce qu’elle révèle une tension entre respect et reconfiguration de la continuité. Les degrés de canonicité des diverses œuvres liées à la série-mère, la réception par les publics et les processus de production du programme sont passés en revue afin de dresser le portrait le plus complet d’une œuvre transmédiatique qui trouve sa dynamique dans l’ellipse via le procédé de complétude rétroactive, dans un développement qui évoque le rhizome plutôt que l’arbre, et dans un renouvellement constant et fluide de ses enjeux esthétiques et économiques.

This article explores the complex relation to in the British show Doctor Who (BBC, 1963-1989, 2005-), by looking into its multi-auctoriality from a diachronic and then synchronic point of view, and by detailing a fictional world dispersed between multiple media following a process that does not conform to the strict definition of transmedia storytelling. The most recent period of production of the program (since 2010) is also analyzed, in that it reveals a tension between respect and reconfiguration of the continuity. The degrees of canonicity of the various works related to the mother-seies, its reception by audiences, and the program’s process of production are reviewed in order to establish the most complete portrait of a transmedia work that finds its dynamic in ellipsis via the technique of retroactive completeness, in a development that evokes the rhizome rather than the tree, and in a constant and fluid renewal of its aesthetic and economic stakes.

INDEX

Keywords : Doctor Who, transmedia, ellipsis, multi-authoriality, reception Mots-clés : Doctor Who, transmédia, ellipse, multi-auctorialité, réception

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AUTEUR

FLORENT FAVARD Florent Favard termine actuellement son doctorat en études cinématographiques à l’université Bordeaux Montaigne sous la direction de Pierre Beylot. Il travaille sur l’unité narrative des séries télévisées de science-fiction contemporaines, abordant les notions de clôture narrative, de canonicité, la réception du récit ou encore la configuration des mondes fictionnels. Il s’intéresse plus largement aux évolutions contemporaines du récit sous toutes ses formes et aux genres de l’imaginaire.

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Réappropriation et intertextualité dans la web-série Girltrash

Émilie Marolleau

1 Ces dernières années ont vu l’apparition d’un phénomène de plus en plus populaire, les web-séries, qui sont des productions audiovisuelles au budget généralement limité, réalisées par des amateurs ou bien par des professionnels, et diffusées exclusivement sur Internet. Une des premières web-séries américaines à voir le jour dans les années 2000 s’intitule Red vs. Blue, créée par Burnie Burns en 2003 et mettant en scène les personnages et l’univers du jeu vidéo Halo. De nombreuses autres productions ont suivi et ont commencé à gagner en popularité sur Internet : ainsi, The Guild, une web-série créée en 2007 par l’actrice américaine Felicia Day, présente le quotidien d’une guilde de joueurs. Cette série a gagné un Streamy Award, prix qui récompense spécifiquement les web-séries depuis 20091 et dont l’existence témoigne de l’importance du phénomène. Parallèlement, la prolifération des web-séries peut être interprétée comme une manifestation de l’ampleur que prennent les productions issues de la « culture participative », où les spectateurs ne sont plus des consommateurs passifs mais contribuent activement à la production de séries, par exemple, en se regroupant en communautés autour d’un projet. Le terme « culture participative » a été popularisé par Henry Jenkins, qui y voit un type de culture dans laquelle les consommateurs de produits culturels, en particulier les communautés de fans, se réapproprient ces produits et transforment leur expérience de spectateurs en un processus complexe qui va au-delà de la simple consommation, et qui implique un infléchissement du contenu d’origine2.

2 Les web-séries, dont une grande partie est produite en dehors des circuits professionnels, ont des points communs avec la culture plus marginale du « Do It Yourself » et de la création de « » ou « fanzines ». Les premiers « zines » sont apparus dans les années 1930, leurs moyens de production ayant ensuite évolué en même temps que les moyens d’impression et de diffusion de la culture mainstream. Ainsi, la révolution du Web 2.0 en a permis une diffusion plus rapide et à plus grande échelle, mais elle a aussi offert la possibilité de varier les formes d’expression, en ouvrant notamment la voie à la production de web-séries3. Ces créations audiovisuelles

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sont régies selon des modes de production et de réception différents de ceux des séries télévisées, leur contenu étant le plus souvent disponible en accès gratuit, et consultable en ligne au gré de l’internaute, sans les contraintes de programmation ou de contrôle de contenu qui caractérisent généralement les productions télévisuelles. Même si, à l’origine, la majorité des productions étaient réalisées par des amateurs, il existe maintenant un grand nombre de web-séries conçues par des professionnels. C’est le cas notamment de Girltrash, web-série à petit budget réalisée par Angela Robinson, qui a travaillé en tant que scénariste et réalisatrice pour plusieurs séries télévisées, dont The L Word (Showtime, 2004-2009), et pour plusieurs films. La web-série Girltrash a été diffusée de juin à août 2007 et était à l’époque hébergée sur ourchart.com, site qui rassemblait justement une communauté de téléspectateurs autour de la série The L Word. Le but de ce site était d’offrir aux téléspectateurs la possibilité de s’exprimer sur différentes séries télévisées, de participer à la rédaction du scénario d’un épisode (« fanisode »), ou encore de publier des« fanfictions ». Ces productions avaient pour point commun la problématique de la visibilité lesbienne et se proposaient d’examiner, d’interroger, voire de remettre en question les images diffusées dans les séries télévisées, y compris dans The L Word. C’est dans ce contexte d’interactivité qu’est née la web-série Girltrash, financée d’une part par des bannières publicitaires et d’autre part par les dons des internautes. La série, qui comporte 11 épisodes de courte durée (entre 2 et 4 minutes), met en scène la vie de deux jeunes femmes, Daisy et Tyler, et raconte sur un ton décalé leurs démêlés avec le monde criminel de Los Angeles. L’objectif de cet article est d’expliquer comment Girltrash crée une relation de connivence avec ses spectateurs et spectatrices, qui appartiennent à une catégorie d’ailleurs bien définie, la web-série étant diffusée sur un site communautaire rassemblant des personnes s’identifiant comme « lesbiennes », « bi » ou « queer ». Nous utiliserons ici le terme d’ « internautes » pour désigner le public des web-séries. Nous montrerons en quoi le jeu des références intertextuelles de la web-série permet de s’adresser directement à ces internautes, en renvoyant par exemple à des personnages de séries télévisées prisées par la communauté à laquelle la web-série s’adresse. Nous décrirons également la façon dont cette production diffusée sur le web reprend des conventions existantes, notamment celles des séries télévisées particulièrement connues de ce groupe d’internautes. Puis, nous analyserons comment Girltrash fait référence au cinéma, et plus spécifiquement à l’univers de Quentin Tarantino. Enfin, nous étudierons en quoi la web-série se réapproprie et « queerise » cet univers.

1. Un jeu intertextuel

3 Comme nous l’avons évoqué plus haut, certaines web-séries font directement référence à des produits culturels existants. C’est le cas notamment pour Red vs. Blue, qui recycle l’univers du jeu vidéo Halo en utilisant les mêmes décors et les mêmes personnages. En ce qui concerne Girltrash, la référence semble plus complexe puisqu’il s’agit d’une référence non pas seulement aux produits culturels eux-mêmes, mais également aux productions de fans que ces produits ont généré. En effet, lors d’un panel dédié à la web-série4, Angela Robinson a expliqué qu’elle avait conçu Girltrash comme une « fanfiction », soit un mélange de personnages et d’univers s’inspirant de productions de fans (les fanfictions), qui s’inspirent elles-mêmes de séries télévisées, de films ou d’ouvrages littéraires, et sont publiées sous forme de zines ou sur des sites Internet. En définissant la web-série de la sorte, Robinson en souligne donc le lien avec

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la culture fan, à laquelle la créatrice se rattache. On retrouve ce lien dans le casting des rôles secondaires de Girltrash puisque la créatrice a fait appel à des actrices qui incarnaient, ou avaient incarné, des personnages lesbiens du petit écran. On peut penser à Rose Rollins, qui jouait le rôle de Tasha dans The L Word, à Amber Benson, qui interprétait Tara dans Buffy the Vampire Slayer (The WB, 1997-2001 ; UPN, 2001-2003), ou encore à Gabrielle Christian et Mandy Musgrave de South of Nowhere (The N, 2005-2008) qui jouaient les rôles de Spencer et Ashley. Ainsi, le choix de ces actrices crée une constellation de références qui entrent en résonance les unes avec les autres et participent à la construction du sens dans la web-série, sachant que Girltrash s’adresse à un public qui est avant tout une communauté de fans qui sont en mesure de décoder ces références et qui maîtrisent ce recours à l’intertextualité et à la réappropriation, deux caractéristiques typiques des productions de fans5.

4 En effet, les trois séries télévisées citées ci-dessus ont pour point commun d’avoir généré une quantité importante de « fanfictions », publiées notamment sur la plateforme ourchart.com, le site qui hébergeait Girtrash. Comme Henry Jenkins le souligne dans Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture, ces fictions produites par les fans sont une forme d’appropriation culturelle6. Jenkins s’appuie sur l’idée de « braconnage » formulée par Michel de Certeau, selon laquelle les spectateurs et autres « consommateurs culturels » influent sur les images qu’ils consomment en se les réappropriant et, parfois même, en les détournant7. Les fans se réapproprient par exemple les personnages de séries et les mettent en scène dans leurs propres récits, en collant plus ou moins à l’univers des productions originales. En effet, très souvent les « fanfictions » sont des exemples de lectures résistantes, mettant en avant des éléments du sous-texte, ou bien allant à contre-courant de l’histoire telle qu’elle existe dans la production originale8. Selon Jenkins, les fans éprouvent du plaisir à se réapproprier les personnages et leurs histoires et les réécrivent afin qu’elles répondent à leurs attentes, à leurs désirs.

5 Même si Girltrash ne reprend pas de personnages préexistants, le choix des actrices et leurs rôles passés viennent complexifier la lecture que l’on peut faire de leurs personnages dans la web-série. Cette lecture complexe repose alors sur la « compétence encyclopédique » des spectateurs, pour reprendre l’expression d’Umberto Eco9. En effet, seuls les spectateurs ou lecteurs « avertis » seront en mesure d’identifier le jeu sur les références et allusions intertextuelles. Girltrash cite par exemple la série South of Nowhere, lors d’un dialogue entre Colby et Misty, les personnages interprétés par Gabrielle Christian et Mandy Musgrave, interprétant respectivement Spencer et Ashley dans South of Nowhere. Dans la web-série, le dialogue entre Colby et Misty évoque une histoire de tromperie avec une élève de l’université UCSC. Dans la série télévisée South of Nowhere, Spencer a une relation avec une élève de la même université, relation qui provoque la jalousie d’Ashley et qui aura des conséquences dramatiques sur le déroulement de la trame narrative. Ainsi, Girltrash fait référence, sous forme de clin d’œil intertextuel, à un événement marquant de la série South of Nowhere, ce qui a pour effet de donner une certaine profondeur à la relation Colby/Misty, mais de manière implicite. On voit donc apparaître ici ce qu’Eco appelle des « guillemets imperceptibles », qui « ne peuvent être perçus que sur la base d’une connaissance extratextuelle10. » Il est tout à fait possible de comprendre la scène sans reconnaître la référence ; toutefois, l’identification de la citation entraîne les internautes dans un jeu intertextuel, soulignant la participation des fans dans le processus de consommation

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des produits culturels, et rendant hommage par la même occasion à des personnages et des séries appréciés des fans. À travers ces références, Girltrash s’adresse directement aux internautes et les invite à réfléchir et à s’impliquer, à la fois en tant que lecteurs « avertis » et en tant que « braconneurs ». En d’autres termes, à travers ce jeu de références intertextuelles, se tisse un réel lien de connivence avec les internautes, dont les pratiques de visionnage et de lecture sont clairement mises en avant par la web- série. Ce lien est même appuyé par les caractéristiques structurelles de la web-série, puisqu’elle reprend de nombreuses conventions des séries télévisées, format bien connu du public auquel Girltrash s’adresse.

2. La reprise des conventions des séries télévisées

6 Tout d’abord, chaque épisode comporte un générique de début et un générique de fin, tous les deux associés à une musique de fond. Si le générique n’est pas un code spécifique aux séries télévisées (puisqu’on le retrouve dans les films et les dessins animés), son utilisation dans Girltrash s’apparente davantage à celle des séries télévisées du fait qu’il participe à la fidélisation d’un public qui éprouve du plaisir à le voir au début de chaque épisode11. Ici, le générique de début est constitué d’une animation graphique dans laquelle apparaissent le titre de la série et le numéro de l’épisode, suivis d’un zoom arrière laissant apparaître trois images fixes correspondant à trois moments distincts de l’épisode, puis d’un zoom avant sur l’une de ces images, qui s’ alors pour signaler le début de l’épisode (voir figure 1).

Fig. 1 : Le générique d’ouverture (épisode 1)

7 Le générique de fin, quant à lui, a pour fonction de créditer les acteurs et les personnes impliquées dans la réalisation et la production de la série. Par conséquent, les génériques de début et de fin de Girltrash ont des fonctions similaires à ceux des séries télévisées : ils servent de transition, signalant l’entrée et la sortie du monde diégétique de la série, ils ont une visée informationnelle et ils constituent en quelques sortent la signature de la série, à travers la répétition des graphismes et de la musique12.

8 Par ailleurs, la web-série est organisée selon une structure diégétique semblable à celle que l’on peut trouver dans une série télévisée. La trame globale est centrée sur les deux personnages principaux, Daisy et Tyler, qui sont présentes dans tous les épisodes et sur lesquels on apprend de plus en plus, grâce notamment à leur interaction avec les

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personnages secondaires13. En ce qui concerne la narration, Girltrash se rapproche des séries feuilletonnantes, puisque l’histoire s’étend sur plusieurs épisodes, chaque épisode apportant des informations essentielles au dénouement de l’histoire14. On y retrouve aussi des éléments généraux, tel que le récapitulatif commençant par la formule traditionnelle « Previously on… ». Les internautes auront donc le plaisir de reconnaître dans Girltrash les éléments d’un format de production audiovisuelle qui leur est familier, et ils y apprécieront une expérience de visionnage similaire, avec le découpage en épisodes, l’attente entre les épisodes, etc. Parallèlement aux reprises des conventions de séries télévisées, on trouve aussi dans la web-série des échos à un autre média, le cinéma et, plus précisément, aux codes utilisés dans quelques films du réalisateur américain Quentin Tarantino.

3. La réappropriation des codes de l’univers Tarantino

9 Ces échos se remarquent tout d’abord dans le thème de la web-série. En effet, au fil des épisodes, on apprend que Daisy et Tyler sont menacées de mort par une dangereuse femme surnommée « The Widow Maker », incarnée à l’écran par l’humoriste et actrice Margaret Cho. Le premier épisode donne tout de suite le ton, puisqu’il met en scène la première menace de mort et se termine avec un mystérieux appel téléphonique à l’issu duquel Tyler annonce : « We’ve got a job ». Même s’il n’est pas clair qu’elles appartiennent à une quelconque organisation mafieuse, ce clin d’œil à l’argot des gangsters, tel qu’on le trouve dans par exemple dans les dialogues du film Reservoir Dogs de Tarantino, suggère leur lien avec le monde criminel. Le langage utilisé dans Girltrash est d’ailleurs un autre élément faisant écho aux codes de l’univers de ce réalisateur15. De fait, les dialogues de la web-série empruntent à un registre cru où les insultes fusent. On sait par exemple à quel point les films de Tarantino affectionnent le mot « fuck » et tous ces dérivés. En effet, on peut l’entendre 269 fois dans Reservoir Dogs et 265 fois dans Pulp Fiction16. Girltrash ne faillit pas à la règle : dans le seul premier épisode, qui dure 3 minutes 39, on peut compter plus d’une dizaine d’occurrences du terme.

10 On identifie également des échos aux films de Tarantino dans le choix des lieux. L’action de Girltrash se déroule dans le centre ville de Los Angeles, loin des quartiers chics. L’atmosphère est sombre, la majorité des scènes étant tournées de nuit, dans des ruelles peu éclairées. On retrouve d’autres lieux emblématiques tels que la voiture (voir figures 2 et 3), les bars et les restaurants (voir figures 4 et 5). L’univers de Girltrash nous plonge ainsi dans un monde où il ne serait pas étonnant de croiser des personnages tout droit sortis de Reservoir Dogs.

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Fig. 2 : Tyler au volant de sa voiture Marcellus (épisode 2)

Fig. 3 : Vincent Vega et Wallace (Pulp Fiction, 1994)

Fig. 4 : Daisy et Tyler dans un bar à Los Angeles (épisode 1)

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Fig. 5 : Scène dans un restaurant (Reservoir Dogs, 1992)

11 En ce qui concerne l’esthétique de la web-série, le choix du noir et blanc peut être interprété comme une référence aux films de gangster des années 30, par exemple à la première version de Scarface de 1932. Les quelques passages du noir et blanc à la couleur peuvent aussi être lus comme un écho plus spécifique au style de Tarantino. En effet, plusieurs de ses films contiennent au moins une séquence avec un passage du noir et blanc à la couleur, et inversement. On peut citer Kill Bill : Volume I (2003), et sa scène de combat lors du chapitre 5, et Kill Bill : Volume II (2004), dont le chapitre 6 est entièrement en noir et blanc. On retrouve des séquences similaires dans Girltrash, de façon ponctuelle, mais cette fois-ci avec des passages du noir et blanc à la couleur, notamment lors de scènes de flashback. D’ailleurs, la présence de ces flashbacks peut être entendue comme un autre clin d’œil au style de Tarantino, qui utilise ce procédé narratif dans plusieurs films, dont Reservoir Dogs et Pulp Fiction.

12 En reprenant ces éléments, la web-série fait donc référence à un genre familier : les internautes qui ont une connaissance, même relative, des films de Tarantino éprouveront ainsi du plaisir à en reconnaître les codes dans Girltrash. La référence à ces codes permet aussi de situer l’action dans un univers fictionnel particulier et de fournir des informations très synthétiques sur les personnages de Daisy et Tyler, en particulier en ce qui concerne leurs liens avec le monde criminel. Cet univers est d’ailleurs mis en scène de manière très allusive par la web-série, comme on le voit par exemple avec ses affiches promotionnelles, sur lesquelles apparaissent des mugshots des héroïnes (voir figure 6). Ces mugshots permettent non seulement de présenter les personnages et le casting, mais aussi d’évoquer les ennuis que les héroïnes s’attirent suite à certains actes illégaux auxquels elles se livrent (vols, cambriolages, etc.).

Fig. 6 : Mugshots utilisés pour les bannières publicitaires,notamment sur le site www..com

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13 Toutefois, la reprise des codes des films cités plus haut ne sert pas seulement à établir un univers diégétique qui leur est commun puisque la web-série n’en présente pas une simple imitation. En effet, il semble y avoir une volonté de jouer avec les codes, signalée notamment par l’ironie et l’humour de la web-série et qui se manifeste souvent par l’excès, l’exagération, à travers la profusion d’insultes, les situations tirées par les cheveux et la désinvolture des personnages. On retrouve également ce ton du fait de la dimension « production à petit budget » très assumé, qui forme un net contraste avec les grosses productions auxquelles la web-série fait écho. Il est évident que Girltrash ne jouit pas du même statut que des films comme Reservoir Dogs ou Pulp Fiction, dont les budgets se chiffrent en millions de dollars et qui appartiennent désormais au canon cinématographique. Il n’y a pas de scène d’action spectaculaire dans Girltrash : les rafales de balles y sont remplacées par des tempêtes de mots, les deux personnages ayant un sens assassin de la répartie.

14 L’humour présent dans la web-série peut être alors interprété comme une stratégie de distanciation. En effet, si les héroïnes de Girltrash et les situations dans lesquelles elles se retrouvent constituent une forme d’hommage à certains films de Tarantino, la réappropriation s’effectue en prenant aussi ses distances avec l’original. Dans son ouvrage intitulé La Seconde main ou le travail de la citation, Antoine Compagnon identifie le travail de la citation comme « l’appropriation ou la reprise, c’est-à-dire, le produit de la force qui saisit la citation par le déplacement qu’elle lui fait subir17. » Dans le cas de Girltrash, cette force, ce déplacement ont pour effet de mettre à l’épreuve, de « queeriser18 » l’image de masculinité présente dans l’univers de Tarantino, en la confrontant à de nouvelles formes de lectures et à de nouvelles significations.

4. « Queeriser » le genre

15 Tout d’abord, on peut remarquer que la web-série met clairement les personnages féminins en avant, et renverse ainsi la marginalisation des femmes opérée dans certains films de Tarantino. Cette mise en avant des personnages féminins, tout en reprenant les codes d’un genre favorisant habituellement des personnages masculins, ouvre la possibilité d’explorer d’autres formes de masculinité et de féminité, comme on peut le voir par exemple avec le personnage de Tyler, dont le nom introduit déjà un trouble dans le genre. Ce personnage présente une version particulière de masculinité, détachée du corps masculin, et exprimée à travers le jeu et la performance de l’actrice. Sa performance forme un contraste considérable avec la performance de la féminité des personnages de Daisy (voir figure 7) et de Lou Ann. La gestuelle, la manière de tenir sa cigarette, la démarche, la façon de parler de Tyler sont autant d’échos à une forme de masculinité exprimée par les personnages endurcis que l’on trouve, une fois encore, dans les films de Tarantino cités plus haut. Le jeu de Michelle Lombardo, qui interprète Tyler, révèle, à travers la répétition d’une gestuelle quelque peu exagérée, le caractère performatif de la masculinité et, se réappropriant ces marqueurs de masculinité, il remet en question l’équilibre du système sexe-genre. L’interprétation de l’actrice est un exemple de renégociation de la masculinité et des formes qu’elle prend dans les films auxquels la web-série renvoie. Ce jeu avec la masculinité rappelle d’ailleurs la performance des drag kings. Dans son ouvrage intitulé Female Masculinity, Judith Halberstam définit le terme drag king de la façon suivante: « A drag king is a female (usually) who dresses up in recognizably male costume and performs theatrically in

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that costume19. » Ainsi, les drag kings présentent une version dénaturalisée de la masculinité, en signalant son artificialité. Alors que les performances des drag kings se déroulent généralement sur scène (dans des bars, ou lors d’ateliers) en présence d’un public dont la participation est parfois sollicitée, la performance de Tyler dans Girltrash est présentée en différé, via l’intermédiaire d’un écran et permet donc moins d’interactions. Le but reste néanmoins le même : déclencher le rire des spectatrices et les inciter à porter un regard critique sur les modèles de genre dominants, à imaginer d’autres formes de masculinité et de féminité non conformes aux normes dominantes.

Fig. 7 : La masculinité de Tyler et la féminité de Daisy (épisode 4)

16 Le personnage de Tyler, à travers sa réappropriation et renégociation de la masculinité, bouleverse donc le statu quo du système binaire féminin/masculin, en brouillant en quelque sorte les catégories, et remet ainsi en question la vision essentialiste du genre. Ceci est également exprimé dans la web-série par une renégociation du « male gaze », pour reprendre la formulation de Laura Mulvey. Dans « Visual Pleasure and Narrative Cinema », elle explique comment, dans le cinéma hollywoodien, les personnages féminins sont systématiquement positionnés comme objets du regard masculin : celui du personnage masculin et celui du spectateur masculin se combinant et ayant pour résultat l’objectification du personnage féminin20. Lors d’une scène où Daisy et Tyler entrent dans un bar, cette dernière aperçoit Lou Ann au fond de la pièce et se met à la regarder fixement depuis le bar (voir figure 8). Lou Ann, qui comprend vite l’intérêt qu’elle suscite, la regarde elle aussi fixement, jusqu’à ce qu’elle sorte par la porte de derrière en suggérant à Tyler de la suivre. Le « male gaze » se retrouve ainsi radicalement re-signifié. D’une part, le caractère érotique du regard est ici recontextualisé pour signifier le désir lesbien : on pourrait alors dire qu’il devient le « gaze ». D’autre part, la dynamique de pouvoir instauré par le « male gaze », c’est-à-dire la position du personnage féminin, passif, comme objet du regard masculin, se trouve ici confronté à un regard en retour. En renvoyant le regard, Lou Ann résiste à l’objectification (voir figure 9). Par ailleurs, son regard peut être lu comme un code destiné à signifier son désir pour les femmes, ou du moins, pour Tyler.

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Fig. 8 : Le regard (épisode 4)

Fig. 9 : Le regard en retour (épisode 4)

17 En somme, Girltrash subvertit l’univers souvent hétéronormatif des films de Tarantino, en explorant de nouvelles formes de masculinité, en remettant en question la passivité féminine, et en représentant une vision queer de la sexualité.

18 Le réseau de références intertextuelles et interpicturales au sein de la web-série Girltrash implique les internautes dans un jeu de décodage et crée avec eux une relation de connivence, les invitant par la même occasion à porter un regard critique sur les représentations du genre et de la sexualité dans les films de Tarantino et, par extension, dans la société en général. À travers l’exploration d’une forme de masculinité alternative et la représentation de sexualités marginales, à travers la référence à des pratiques culturelles qui leur sont familières, l’univers de Girltrash s’adresse directement aux internautes appartenant à une communauté qui se définit comme lesbienne, bi, queer. La web-série est un exemple de réappropriation d’un genre dominant par la marge pour la marge – « for us, by us ». En interpellant personnellement cette communauté, elle les encourage à s’investir dans la production de séries ou de films évoquant des problématiques qui leur sont propres, dans le but de leur donner plus de visibilité. C’est d’ailleurs grâce à cet investissement et aux dons des internautes qu’Angela Robinson a pu produire le long métrage Girltrash: All Night Long (2014), prequel de la web-série qui s’inscrit cette fois-ci dans le genre de la comédie

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musicale. Le film reprend les personnages de la web-série, avec le même casting, et explore plus en profondeur leurs relations. Par ailleurs, les performances chantées et dansées des personnages sont autant d'occasions d'explorer le caractère performatif et la fluidité du genre (gender) tels qu’ils ont déjà pu être mis en scène dans la web-série. En outre, Girltrash a ouvert la voie à d’autres productions du même type, s’adressant à la même communauté, et qui interrogent elles aussi des œuvres où ce n’est plus tant la représentation de la masculinité qui fait l’objet de la reprise. C’est ainsi que la web- série The Real Girl’s Guide to Everything Else, créée en 2010 par Carmen Elena Mitchell, se réapproprie l’univers de la série américaine Sex and the City (HBO, 1998-2004) et queerise les images de féminité que cette dernière véhiculait et qu’elle contribuait déjà à réévaluer21. Où l’on voit bien le travail souterrain mais non moins efficace d’œuvres qui pourraient sembler mineures mais qui prennent appuint sur l’ancrage culturel maintenant solide du fonctionnement sériel de bon nombre de fictions audio-visuelles, fonctionnement lui-même démultiplié par les moyens de diffusions du web.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. http://www.streamys.org/nominees-winners/2009-nominees/, lien consulté le 9 décembre 2014. 2. Henry Jenkins, Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture, New York, Routledge, 1992, p. 23. 3. Paul Hodkinson, Media, Culture and Society: An Introduction, Londres, Sage Distribution Ltd, 2011, p. 257-258. 4. Ce panel s’est déroulé le 9 juin 2007, dans le cadre d’une convention de fans de la série South of Nowhere, où Angela Robinson, Gabrielle Christian, Mandy Musgrave et Maeve Quinlan ont animé une conférence autour de Girltrash. 5. Jenkins, op.cit., p. 41. 6. Ibid., p. 23-24. 7. Ibid., p. 28. 8. Stuart Hall analyse cette notion de lecture résistante, ou lecture oppositionnelle, dans son article « Encoding, decoding », et explique qu’elle relève d’un positionnement du spectateur, qui décode un message, au moment de la lecture, en utilisant un code différent de celui qui est utilisé pour encoder le même message, au moment de sa production. Voir Stuart Hall, « Encoding, decoding », in The Cultural Studies Reader, ed. Simon During, New York, Routledge, 2007, p. 102. 9. Umberto Eco, Daedalus, Marie-Christine Gamberini, « Innovation et répétition : entre esthétique moderne et post-moderne », in Sociologie de la communication, 1997, Vol. 1, No. 1, p. 131-148. 10. Ibid., p. 142. 11. Ariane Hudelet, « Un cadavre ambulant, un petit-déjeuner sanglant, et le Quartier Ouest de Baltimore : le générique, moment-clé des séries télévisées », in GRAAT Online, Issue #6, décembre 2009, p. 1. 12. Ibid. 13. On retrouve par exemple ce type de schéma narratif dans la série américaine Cagney and Lacey (Orion/CBS, 1981-88) de Barbara Avedon et Barbara Corday. La trame narrative se concentrait sur les deux personnages féminins et s’inscrivait dans la tradition des « buddy films », dont l’histoire tourne principalement autour de deux personnages masculins. Voir Ray B. Brown and Pat Brown (ed.), The Guide to United States Popular Culture, Madison, University of Wisconsin Press, 2001, p. 131. 14. Stéphane Bénassi, Séries et feuilletons T.V. : pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège, Éditions du Céfal, Collection Grand Écran Petit Écran, 2000, p. 79. 15. D’ailleurs, certains films de Quentin Tarantino font eux même échos à de nombreux films, le réalisateur utilisant l’intertextualité à la fois en tant que jeu et en tant qu’hommage. 16. http://www.pajiba.com/seriously_random_lists/the-25-films-that-most-frequently-use-the- word-fk.php, lien consulté le 9 décembre 2014. 17. Antoine Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979, p. 9. 18. Nous entendons ici par « queeriser » l’action de troubler, requalifier et repenser les expressions de genre et les normes. 19. Judith Halberstam, Female Masculinity, Duke University Press, 1998, p. 232. 20. Laura Mulvey, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », in Visual and Other Pleasures, Bloomington, Indiana University Press, 2009, p. 19. 21. Aymar Jean Christian, « Fandom as Industrial Response: Producing Identity in an Independent Web Series », Robin Anne Reid and Sarah Gatson (eds.), Transformative Works and Cultures, « Race and Ethnicity in Fandom », special issue, No. 8, 2011. doi:10.3983/twc.2011.0250.

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RÉSUMÉS

Cette présentation portera sur la web-série Girltrash, issue d’un phénomène de création et de diffusion de plus en plus populaire sur internet qui atteste de la centralité contemporaine de la « culture participative. » À l’origine, cette web-série fut mise en ligne sur le site ourchart.com dont le but était de rassembler une communauté de fans autour de The L Word et d’autres séries télévisées afin de les commenter, mais aussi de participer à la rédaction du scénario d’un épisode et de publier des « fanfictions ». Ces productions avaient pour point commun la question de la visibilité lesbienne et cherchaient à interroger les images diffusées dans les séries télévisées, y compris dans The L Word. C’est dans ce contexte qu’est née la web-série Girltrash, série au ton décalé qui met en scène la vie de deux jeunes femmes et raconte leur démêlés avec le monde criminel de Los Angeles. L’objectif de cet article est d’expliquer comment Girltrash crée une relation de connivence avec son public. Nous démontrerons tout d’abord en quoi le jeu des références intertextuelles de la web-série permet de s’adresser directement aux spectatrices- internautes et encourage leur investissement dans la série. Nous analyserons également comment Girltrash reprend certaines conventions d’un média bien connu de son public : les séries télévisées. Enfin, nous étudierons la manière dont la web-série se réapproprie et « queerise » l’univers du réalisateur américain Quentin Tarantino.

This presentation will concern the web series Girltrash, emerging from an increasingly re- appropriated popular phenomenon of creation and broadcasting on the internet, which attests to the contemporary centrality of “participative culture”. At its origin, this web series was uploaded on the website http://ourchart.com, whose purpose was to bring together a community of fans of The L Word and other televised series in order to discuss, but also to participate in the composition of a of an episode and to publish “fan-fictions”. These productions share the common theme of lesbian visibility and aim to question images transmitted in TV shows, including The L Word. It is in this context that Girltrash emerged. With its quirky , the show depicts the life of two young women and recounts their troubles with the criminal world of Los Angeles. The objective of this article is to explain how Girltrash creates a relationship of connivence with its public. We will first show how the play of intertextual references in the web series permits direct contact with its internet audience and encourages their investment in the show. We will also analyze how Girltrash takes on the conventions of a form of media well-known to its public: the TV series. Finally, we will study the way in which the web series re-appropriates and “queers” the universe of the American director Quentin Tarantino.

INDEX

Keywords : Girltrash, L Word (The), intertextuality, gender, reception, web-series Mots-clés : Girltrash, L Word (The), intertextualité, genre, réception, web-série

AUTEUR

ÉMILIE MAROLLEAU Émilie Marolleau est doctorante à l’université François Rabelais de Tours sous la direction de Georges-Claude Guilbert. Ses recherches portent sur la question de la visibilité lesbienne dans les séries et les films américains et se concentrent sur les axes suivants : la représentabilité

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lesbienne dans les productions audiovisuelles américaines, les signes de cette visibilité, la construction d’une entité « lesbienne » dans les films et les séries et, enfin, le lien entre cette entité et les spectateurs / spectatrices qui se définissent comme « lesbienne », « gay », « queer » et « trans ».

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Seriality and Transmediality in the Fan Multiverse: Flexible and Multiple Narrative Structures in , Art, and Vids

Anne Kustritz

1 Don’t stop me if you’ve heard this one before. Serial forms of repetition fundamentally structure the audience’s experience of popular culture on numerous levels, from the hit-hit-miss “rule of three” in slapstick comedy, to the cyclical nature of beats and arcs in serialized television. Yet the incorporation of transmedia elements within an overall story world requires essential reassessment of how seriality has changed in contemporary digital culture, especially when professional and fan-produced transmedia each contribute to the overall narrative whole. Thinking about fan works as transmedia equalizes all narrative investments and promotes the freedom of any audience member to author their own interpretations and desires into the official text. At the same time, accepting fan works, including fan fiction, fan art, and fan video or “vids”, as legitimate and equal parts of transmedia networks also requires reassessment of the limits and effects of the serial narrative form in contemporary transmedia environments. Fan works thus elucidate and complicate the picture of seriality within professional transmedia franchises, while also introducing their own unique processes for constructing a serial narrative backchannel and interpreting and processing the underlying serial nature of representational structures across history and media.

1. Authority, Ownership, and Legitimacy: Fan Works as Transmedia

2 Before dealing with the serial character of fan works, the ontological status of various transmedia components must be addressed to resolve how fan production of fan

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fiction, art, and video relates to the larger narrative whole1. Taking fan works seriously requires challenging of both authors and holders to determine a story’s meaning and legitimacy. The boundaries and components of corporate transmedia narratives most often result from a combination between money and power, making fan works a grassroots alternative that places emphasis on the audiences’ preferences, contributions, and control. Many recent changes in contemporary transmedia narration can be attributed to the shifting social and legal meaning of authorship, and the industry’s evolving business models, rather than any inherent artistic properties of new media. Yet, the industry’s turn toward telling stories that take place across a variety of mediated formats is often framed as a new development caused by the possibilities within web 2.0. As noted by Marie-Laure Ryan, story worlds that multiple authors and artists interpreted in many media trace their history far further back than the social web, at least to classical Greece and perhaps even before2. Even if the definition of transmedia is restricted to stories that incorporate so-called “old and new” media forms, fans as well as independent authors and artists have been exploring the possibilities of on-line multi-media storytelling since the very beginning of the internet. Nevertheless, often discussions of transmedia only incorporate consideration of corporate forms of transmedia narration, ignoring or sidelining independent and fan-produced material. In comparison to such non- commercial material, hallmarks of early corporate transmedia like The Matrix (1999-2003) and Lost (ABC, 2004-2010) arrived to the internet fairly late in the game. Rather than unique moments in the history of narrative, these series pinpoint important landmarks in media industry history because they mark changes in corporate strategy.

3 Ryan recounts a conversation between scholar Henry Jenkins and an unnamed film maker that encapsulates this change. The film maker explains that the mainstream media’s historic preference for strong stories shifted over time toward strong characters, around whom a series of stories might be told, and then shifted again to a preference for fictional worlds, within which numerous characters and stories might develop. However, many fans, genres of literature, and alternative media have long treated stories as narrative worlds that could be rewritten and expanded in multiple directions. For the industry this transformation revolves around changing strategies for ownership, requiring cross-platform conglomeration, marketing, and licensing. Because it makes little business sense to construct transmedia narratives unless the same parent corporation owns all the necessary platforms, a conglomeration strategy was necessary to first ensure that a single media corporation could simultaneously produce and distribute or narrowly license TV, film, video games, comics, and web content. Furthermore, a flexible approach to authorship and licensing was required to dissociate these multiple story products from a single author so that each medium can tell the stories most suited to its own format without diluting the authority of those stories told in other media. This requires either a reinvestment in the notion of a single authorial mastermind who oversees every aspect of the project and from whom studios take all their cues, or a collaborative ethos in which the studio itself transparently becomes the proxy author within which many artists, authors, producers, and technicians work together.

4 These alterations in corporate strategy strongly influence the meaning and legitimacy assigned to various components of transmedia narratives. Some franchises cling to the

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central function of the author to provide overall coherency and limits to their story world. Thus, for example, the boundaries of Harry Potter are determined by J.K. Rowling’s somewhat dubious “intentions” and showrunners, like Battlestar Galactica’s Ron Moore or Joss Whedon of Buffy the Vampire Slayer, Firefly, and Dollhouse fame 3, can also take on this function of embodying the ultimate authority over the narrative’s purpose and meaning, even when the studio acts in contradiction to the author/ auteur’s stated desires4. Yet increasingly studios more and more transparently treat transmedia narratives as a piece of their own corporate over which no author holds an ultimate authoritative vision, as in the recent decision by Alloy Entertainment to fire the original author of The Vampire Diaries (The CW, 2009- ) and continue publishing books under her name that were actually written by a ghost writer5. Thus it becomes increasingly obvious that the limits of transmedia narrative worlds are imposed by legal questions of ownership and licensing, not by the inherent creative integrity of the story itself. The process of determining whether a particular story should be considered a legitimate extension of a transmedia world often has little to do with the ever illusive “intentions” or imagination of the author, and more to do with the purely market considerations of corporations who grant legitimacy through licensing agreements and deny official legitimacy to all those creative projects that exist beyond the reach of their money-making preview.

5 Thus, because the limits and ontological status of transmedia story worlds become increasingly muddled the more obviously corporations select official narrative extensions on the basis of profitability rather than artistry or narrative, insisting upon treating unlicensed fan works as legitimate parts of the overall story structure takes on an even more clearly populist political resonance. Who determines characters’ personalities, the rules of a , and ultimately what “really” happened? While some answers to these questions might be more interesting, convincing, moving, or pleasurable to imagine than others, there is no a priori reason to assume that these will always be produced by authors recognized as “original” in the publication process, or by authors contractually licensed by corporations. The “death of the author” settles the moral question of who has the right to tell stories6; once it is accepted that everyone has equal authority to participate in the co-creation of culture, and no necessary reason remains to grant greater value to the first version of a story over the many retellings, transformations, and adaptations that follow, the only remaining hurdle to the proliferation of participatory story worlds is the artificial legal boundary imposed by intellectual property law. Similarly, statements like Ryan’s consigning fan works to the level of “apocrypha” or Carlos Scolari whose taxonomy would classify fan works as “peripheral” undermine the full potential of fan works to unseat the industry’s monopoly on public culture7. If fan works are considered fully legitimate and ontologically valid contributions to the overall transmedia narrative, then not only does the practice of transmedia gain a much longer and more democratic history than that provided by corporate transmedia projects, but fan works also significantly complicate the question of how transmedia serial narration can function.

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2. Seriality in Professional and Fan Produced Transmedia Narratives

6 Including fan works, namely fan fiction, fan art, and fan video collage or “vids”, within a transmedia story world may at first appear to render sequential storytelling and seriality nearly impossible. By their very nature, transmedia narratives may unfold in different sequences and across a different timeframe for each audience member; yet fan narratives not only publish events out of sequence, but also contain numerous alternate interpretations and versions of the same events. However, these complications need not negate the role of seriality; rather they call for a reevaluation and expansion of the serial form and function. First, fan works emphasize the increasingly complex nature of seriality in all transmedia and the way in which serial effects do not vanish, but more and more depend upon the viewer’s choices. Secondly, fan works create their own kind of flexible and multiple serial effects wherein meaning does not depend on consuming a specific sequence of narratives, but instead upon reading any collection of narratives within larger cycles or tropes to assemble a sense of flowing norms, genres, and preferences. Finally, fan works also uniquely analyze and reconfigure the serial effects of tropes found not only across the transmedia components of individual stories, but also across the breadth of popular culture. By remixing and reimagining repeated structures of representation, fan works often call attention to latent forms of seriality within popular culture as a collective whole.

3. Retrospective Baselines and Flexible Transmedia Seriality

7 The first of three major principles to grasp in thinking about fan works as transmedia seriality is that fan works further complicate the increasingly complex nature of seriality in transmedia narration, emphasizing the mainstreaming of audience agency over the speed and order of narrative events, while adding the option for the audience to intervene and usurp corporate narration entirely. As noted by Ruth Page, scholars have most often identified seriality as a result of the separation of a story into a fixed sequence of installments, and the publishing schedule which requires that audiences wait between installments8. The experience of shared waiting has historically performed an important function in terms of narrative and social structure. As a narrative form, the imposition of fixed blocks of time between installments allows for the traditional “beats and arcs” structure of television and encourages writers to increase tension at pre-defined climactic moments that precede periods of shared waiting: before each commercial break, at the end of an episode, and at mid-season and season finales. Such use of shared waiting as a technique to increase narrative tension can also be seen in other serialized forms such as the novels of Dickens. As a social form, shared waiting also intensifies the audience’s sense of themselves as an imagined community, because all experience this period of anticipation together. The uproar over First Lady Michelle Obama’s access to an early pre-screening of Downtown Abbey’s third season exemplifies the extent to which even contemporary audiences still construct shared periods of waiting for the next narrative installment as a key part of community cohesion9.

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8 Yet, both physical and social technologies have long allowed at least some segments of the audience to undermine publishers’ installment schedule and follow a story at their own . Serialized novels were often also eventually published as a compendium, allowing readers to decide the speed of narration, while the arrival of home VHS machines granted audiences an unprecedented level of control over television scheduling. The binge-viewing and time-shifting common in recent years are often attributed to the sale of television on DVD, as well as DVR, digital streaming, and file- sharing technologies; yet in actuality these merely extend the behaviors of fan communities to mainstream audiences. VHS recording combined with international fan communities facilitated broad circulation of media even before the digital age. Because fans distributed taped collections of episodes through the mail and at conventions, they no longer remained at the mercy of the industry’s scheduling systems, and thereby claimed the autonomy to rewatch and binge-view television long before the internet. However, now that such practices have spread beyond cult audiences to the mainstream public, serialized television can no longer take for granted that the bulk of the audience will view installments at the same pace.

9 The fixed sequence of installments may seem like an even more critical characteristic of seriality. It may appear wholly unintuitive and unpleasurable to imagine, for example, reading the chapters of a novel out of sequence. Yet, increasingly, transmedia franchises offer flexible narratives wherein pieces remain interdependent, while encouraging the audience to choose their own sequence. In some ways this model is a throw-back to earlier forms of episodic television wherein each episode offered new permutations of the show’s themes, but always returned the characters to the same “baseline” so that they could begin the next episode from the same starting point. Such formats allowed viewers to pleasurably watch only a few episodes out of a season, and critically facilitated syndication so that episodes could be rescreened multiple times in any order without significantly disrupting audience interest. Yet, these older episodic structures also inhibited significant growth and change, attributes increasingly vital to the development of “quality television” and most transmedia franchises. How then can a story world simultaneously support both a flexible, user-controlled sequence and radical change in characters, plot, and setting?

10 Three concepts help explain the way in which both professionally and fan-produced transmedia narratives may maintain both the highly prized markers of “complex narration” and user-controlled, flexible seriality10: first, an understanding of narration as a movement from “information-light” encounters to “information-heavy” encounters, rather than movement through a fixed plot; second, the notion of a quantum narrative multiverse rather than a unitary narrative world; and third, consequently foregrounding seriality as an effect experienced by the audience rather than a pre-determined and uniform intention of the producers. In her self-published essay “The Advantages of Fan Fiction as an Art Form: A Shameless Essay”, Jane Mortimer describes seriality as a relationship between the baseline and “the momentary focus of intensity on two square inches11.” In other words, she argues that very small statements, gestures, and moments in serials can carry incredible intensity and payoff for audiences because of their relationship to a pre-existing baseline of repeated and expected character psychology, behavior, or plot development. One of the chief pleasures of fan fiction, she argues, is that authors may use the audience’s pre- existing knowledge of the baseline to cut directly to the pay-off moment of

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experimentation that becomes resonant in relation to audience expectations and previous story segments. While this theory does explain the pleasures of many transformative fan works, it cannot fully account for the relatively common practice of reading or viewing fan works without having previously encountered the professionally published source, nor transmedia narratives’ increasing tendency to start from moments of complex conflict and require the audience to work backwards and build the baseline in reverse.

11 Different pleasures are at play when an audience enters a narrative already in progress and then must retrospectively move from a position of reading the text as an information-light to an information-heavy interpreter. The narrative question transforms from “what will happen” to “who are these people and why have these things happened”, while seriality no longer offers a linear sequence of events, but instead an a-linear flexible sequence of information, each piece of which enriches the viewer, listener, or reader’s ability to re-interpret the central events. Lost and Once Upon a Time (ABC, 2011- ) offer paradigmatic examples of this technique as both allowed the audience to slowly piece together the characters’ histories and personalities from a transmedia series of narratives presented out of order and on multiple platforms. In fan communities, a game called “Stranger in a Strange Fandom” exemplified the tendency of many audiences of fan works to engage with fan interpretations independent from the professional text12. Participants were asked to watch a vid, which is a form of fan video, for which they had never previously seen the professional source. Participants then wrote a description of the source material based on what they could piece together from the vid version, resulting in an enormous range from hilarious to shockingly accurate inferences. Lost, Once Upon a Time, and Stranger in a Strange Fandom all play upon the shifting process of interpretation as audiences slowly gather more information about the narrative world by interacting with more of its components. Importantly, the guesses and inferences made by audiences at the very beginning of this process need not be considered “wrong” or “worse” than those made later in the game by audience members acting with more information. This is a chief point of difference from “Possible Worlds Theory” which postulates that readers and viewers constantly compare the ontological validity of story segments to the real world and other parts of the story world13. As the enjoyment of those playing the Stranger in a Strange Fandom game imply, moving toward an information-heavy interpretative position does not involve discovering the “truth;” there are merely different pleasures available at different stages, and with different informational frames. Yet still, in all of these examples, seriality and narrative continue to function. Particularly as producers move toward a model of transmedia in which audiences are expected to enter a story world from any medium, the primacy of one medium over the others has been displaced by an expectation that audiences will move between different media independently and unexpectedly, constructing their own serial sequence without reference to publication dates. Audiences only access pieces of the narrative world one at a time, and slowly accumulate a greater and greater understanding of the order of events and the characters’ lives at their own pace and in their own order. They still encounter the story in serial installments, but the order and speed of their travels, and thus the narrative and serial structures, become self-directed.

12 In addition, the ability to simultaneously provide flexible forms of transmedia seriality and maintain coherent narratives is facilitated by a transition from regarding the story as one shared narrative world held in common by the entire audience and production

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team to the notion of a quantum narrative multiverse. In her article “Transmedial Storytelling and Transfictionality”, Ryan considers story segments that modify or contradict character actions, key events, or core characteristics of other segments difficult if not impossible for professional transmedia, and maintains that such internal contradiction must remain the domain of “apocryphal” fan texts. Yet, this assertion overlooks many genre forms that incorporate multiple timelines, and the narrative possibilities of treating fan works as legitimate parts of the overall transmedia story network, wherein they may either exist in parallel, or actually change and usurp the audience’s understanding of the professional text. For example, comic books have long mastered the ability to spin off multiple time lines so that each character may live many different lives, and this tendency only magnified when comics expanded into transmedia via film, television, and on-line components. Many of these function largely by keeping most aspects of the baseline intact, and altering different components for each timeline, creating a series of “what if?” proposals. Although fans of course endlessly debate their preferences, the characters of one timeline are no less “real” than those of any other; yet those who have read how a single character develops and reacts in other timelines approach new storylines in a more information-heavy position because that timeline will resonate and interact with their previous knowledge, allowing them to assemble a much more layered narrative web than a fan meeting a character for the first time. Thus, it does not take very much effort to understand that in almost any Marvel timeline is a tough Canadian with the mutant ability to regenerate, and thus to construct a baseline; yet as opposed to new viewers, fans seeing him for the second, third, fourth, or fifth time will receive different pleasures from the first instance in a given timeline that he lights a cigar, or in some iterations, his sudden surprising refusal to don yellow spandex14. The long-time fan thus creates a unique serial experience gained through reading across multiple timelines, learning more about the many paths individual characters and plots may take depending on alterations in characteristics of the overall timeline.

13 Many franchises including James Bond and Star Trek have sought to duplicate this comics-based multiverse success by rebooting their own storylines and characters along a new, fundamentally altered timeline. Similarly, in short form the film Clue (1985) directly demonstrates this principle by providing multiple endings to a murder mystery, each of which reveals a different perpetrator. This fluidity is ultimately undermined by a final ending that the film positions as “what really happened” in opposition to the other endings referred to only as “how it could have happened;” yet one might just as easily imagine a narrative structure like that presented in Clue without its ultimate surrender to the need for narrative closure and certainty. In the television format soap operas are notorious for illogically changing fundamental aspects of their own previous narration, while the most infamous and transparent of these television devices may be Dallas’ (CBS, 1978-1991) use of a dream sequence to completely negate an entire season and re-start the narration with a different premise. Many series experiment with less intrusive forms of these devices, such as Community (NBC, 2009-) which repeatedly refers to an alternate “darkest timeline”, itself a reference to the common wherein characters in many series spend one episode locked in a hallucination in which they must decide whether the entire narration up to that point was real, or only a psychotic break in which the real story takes place in a mental institution.

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14 Each of these examples explores some of the potential of the multiverse concept, which allows for the investigation of an infinite variety of narrative adaptations across multiple forms of media. No individual story or sequence need maintain ultimate authority as “real” or “true” in a multiverse-style narrative as none actually negates the others and all remain equally possible. Audiences thereby construct seriality through multiverse transmedia narration in two directions: by creating a sequence of story elements through one timeline that flow across multiple media, and also by creating a sequential path across timelines. Further, in multiverse narration it does not matter if audiences begin with a timeline created by a sanctioned or unsanctioned, professional or transformative author. Wherever each audience member begins becomes their starting point and because all timelines are valid, the audience is not “missing” any information but rather gaining greater complexity no matter which narrative path they choose.

15 Thinking of serial narration as increasing information acquisition within a multiverse also foregrounds a turn toward considering seriality as an effect experienced by the audience rather than a pre-determined intention of the producers or the publication schedule. In her article “Seriality and Storytelling in Social Media”, Page argues that scholars must consider the innovative forms of seriality constructed by new media platforms like YouTube, Twitter, and Wikipedia. In a parallel move, transmedia stories form a bridge between older forms of seriality and the new structures described by Page, because while some components of a transmedia story may comply entirely with conventional series television, transmedia allow individual audience members to assemble their own cross-media narrative sequences, including components with new forms of seriality and both professionally and fan-created elements. Although unplanned and uncontrolled, the sequence of narrative encounters that each individual audience member collects is experienced by that person as a coherent series that gradually provides them more information, access, and insight into the entire narrative multiverse. One might similarly call the narrative itself an effect rather than an intentional design, by emphasizing the coherence and structure that the audiences provides while interacting with a dispersed network of potential narrative elements and choosing how to navigate, add to, nullify, and/or connect them15. In this manner, even contradictory versions of the same events can still function as a series from the perspective of the viewer/reader because each deviation further investigates the possibilities within a given premise. Thus the addition of fan works to a transmedia multiverse provides a serial effect that deepens understanding of the story in multiple segments over time.

4. Information Acquisition in the Fan Multiverse

16 The second major principle of thinking about fan works as serial transmedia is that fan works create their own unique kind of flexible and multiple serial effects wherein meaning does not depend on consuming a specific sequence of narratives, but instead upon reading any sequence of narratives across multiple media within larger cycles or tropes to assemble a sense of flowing preferences, community norms, interpretive frames, and genres, and thus progressively moving toward an increasingly information-heavy interpretive position. “Misreadings” of fan texts offer a window into the limitations of reading fan works only in relation to the professional source text, or

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in relation to a singular notion of “fan culture.” Instead, working backwards to infer the many different sequences of professional and fan texts that offer increasing layers of meaning to a fan vid dramatizes the process by which individual audience members approach fan texts from multiple serial trajectories, creating their own unique narrative assemblages by reading and viewing across multiple timelines, and multiple forms of fan and professional media.

17 The flexible transmedia seriality of fan works becomes obvious in those which have “escaped” fan culture to become mainstream successes. Mainstream audiences often attempt to retroactively build a baseline to make sense of fan works’ narrative and aesthetic experimentation; yet, without access to the history of other fan works, they start from a much more information-light interpretative position than those within the fan community. Their interpretations are not “wrong”, as fan work is itself premised upon audience autonomy and interpretative freedom, but they lack access to the sequence of previous texts against which the fan work gains increased resonance. They thereby read the climax of a serial narrative as if it were a stand-alone statement. In her article “User Penetrated Content”, Julie Levin Russo discusses the ideological consequences of how audiences contextualize fan works16. Russo recounts the unauthorized uploading of a classic homoerotic or “slash” vid, based on Kirk and Spock of the original Star Trek series (NBC, 1966-1969), which resulted in “Closer” by T. Jonesy and Killa going viral on YouTube in 200617. Russo takes care to acknowledge that the problem with mainstream audiences’ readings of “Closer”, which positioned the video as camp or even homophobic comedy, was not that these readings were “wrong” or usurped the “intended” meaning of the vid, but that these readings often reinforced and exposed mainstream audiences’ homophobic assumptions while silencing the underground history of same-sex storytelling that the vid rested upon. It is important to note in this conclusion that fans who watch “Closer” also come from a variety of viewing perspectives. However, no specific group of texts is necessary to understand the vid’s narrative; instead, previous familiarity with any number of slash narratives would provide a sense of the many common tropes the vid operates within. Because fan works share no central index or canon and are self-published across multiple platforms and real world locations, fan authors cannot depend on their audience’s familiarity with any specific group of previous works; however, because fan works often respond to each other and build upon each other’s experiments and insights, knowledge of a fan work’s position within larger conversations, tropes, and genre forms appreciably enriches a reader’s or viewer’s ability to trace the story’s baseline and interpret multiple layers of serial narrative interactions. Understanding fan works as the apex of an on-going serial thereby helps to explain why insider and outsider audiences often react so differently, and how fan works can create such a dramatic analytic and emotional impact, due to their often invisible connections to other professional and fan narrative elements.

18 Unpacking the multiple, flexible series that provide increasing layers of meaning for a single vid demonstrates this process by which transmedia seriality within fan works is no longer strictly about order, but rather an interaction of multiple layers, which the audience may enter and expand in any direction. The vid “Written by the Victors” (2007) by Zulu, if taken on its own, functions as a piece of collage art combining video from the television show Stargate: Atlantis (Sci-Fi Channel, 2004-2009) with original text to narrate an intergalactic rebellion using an epistolary frame. Indeed, the vid may be

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pleasurably consumed from this information-light position; yet it gains much greater intensity and nuance if viewed at the apex of a flexible series of previous texts. Knowledge of the intricacies of the Stargate franchise provides important background about the meaning of many of the acronyms that appear in the text, and the original narrative context of the video clips, as well as background for the central four characters, Dr. Rodney McKay, a Canadian physicist, Lieutenant Colonel John Sheppard, an American pilot, Teyla Emmagan, a native of the Pegasus galaxy and leader of the planet Athos, and Specialist Ronon Dex, a native of the Pegasus galaxy from the planet Sateda. Yet most of the vid refers to other fan works, both specific works and larger aesthetic trends as well as fan-constructed genre forms both within and beyond Stargate: Atlantis fandom.

19 Perhaps most importantly, the vid is a direct interpretation of a novel-length fan fiction story of the same name by Speranza18. Reading the written version fills in many of the narrative gaps of the vid, includes numerous scenes the vid chose not to dramatize, and further explains the title. As the saying that “history is written by the victors” implies, the novel is constructed by excerpts taken from thirty-six fictitious academic texts as well as several other “primary artifacts” each purporting to tell the history of Atlantis Expedition’s secession from Earth, which all become unreliable narrators in contrast to the central narrative through line describing events from an omniscient position. Perhaps because of the story’s sprawling scope and incorporation of multiverse logic able to handle both expansion and contradiction, the story inspired a multi-authored transmedia story world with numerous fan artists and authors expanding Speranza’s narrative through drawings, spoken word, video, short stories, and songs19. Each of these expansions and reinterpretations adds to the audience’s understanding of the whole. For example, the vid ends with what appears to be an antique scroll telling the genealogy of a great king in verse. This is perhaps one of the more perplexing parts of the vid for someone who has not read the fan fiction story it is based upon. Although set in a futuristic present with space ships and high technology, the story frames our present day in the distant past and constructs Atlantis as a center for cultural exchange between alien people with many levels of technology and social forms, while John Sheppard becomes the city’s king. The story ends with a series of histories in various genres and languages written by the descendants of the original Atlantis characters. Thus, many interpreters of Written by the Victors create artifacts, ceremonial chants, and historical records in many forms and languages including scrolls and stone tablets, all recording overlapping and sometimes contradictory versions of Atlantis’s history.

20 While all these fan works reflect upon each other and become interdependent, each also caters to different desires and interests. One of the most obvious differences between the various versions is the prominence of the relationship between Rodney and John. Speranza’s novel melds at least three primary subjects: political intrigue including a post-colonial critique, anthropological or sociological analysis of multicultural traditions within speculative history, and interpersonal dynamics including homoerotic romance. These overlap and interact in Speranza’s text, especially when John and Teyla marry each other for political reasons (i.e. to solidify intercultural alliances and provide a clear line of succession), while remaining romantically involved with their other two teammates. The primary romance of the story is between Rodney and John, although it often takes place between the lines as most of the excerpts of “official” history omit or remain ignorant of this relationship

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underlying the public royal marriage. As an indication of the story’s recognition as a slash romance within fan genre markers, Written by the Victors won an award for “Best Canon AU” in 2007 from the “Mackay/Sheppard Awards”, an annual contest for outstanding fan fiction featuring a homoerotic relationship between Rodney and John20.

21 Yet most works within the Written by the Victors story world focus only on “two square inches”, minutely exploring or riffing off of one aspect of the overall narrative. Thus, of the four official “book covers” for Written by the Victors, one features all four primary characters, emphasizing their collective impact on history, one shows only John in front of Atlantis with text in an alien language that stresses his ascension to the throne and unification of Earth and alien cultures, and two show only John and Rodney in front of scenes of conflict, highlighting the dramatic political context21. Yet, although the latter covers could be understood solely in relation to the war of secession, the choice to illustrate only John and Rodney gains much greater resonance when set in relation to their romance in the novel, and their larger popularity as a commonly slashed couple who star in thousands of other slash stories and pieces of art. The vid version, like the two cover illustrations, can also be interpreted primarily in terms of a ; yet it too contains traces of the John/Rodney romance for audience members interpreting it from an information-heavy perspective that includes knowledge of slash. The middle of the vid portrays a meeting between representatives of the newly independent Atlantis and an envoy from Earth, signaled by overlays of several historical excerpts about the summit. The arrival of Earth personnel in Atlantis is followed by a shot of John surrounded by pageantry and Teyla singing with the subscript “pure political theater”, indicating Atlantis’s attempt to present itself as strong and independent to the negotiators. To the words “promise after promise” the vid then shows John’s stern face followed by a group of Teyla’s people presenting ceremonial gifts. This sequence of words and images marks this section of the vid as entirely about political staging to solidify the new government’s legitimacy and this theme is important for interpreting the next two video clips, the first of which shows John and Teyla kissing, and the next focused on a reaction shot of Rodney cringing. These two shots are the vid’s only indication of the interpersonal plots of the novel, which includes a romantic relationship between Teyla and Ronon as well as the John/ Rodney narrative and the political marriage. The vid provides enough visual information for a very attentive viewer to grasp that the kiss should be interpreted within the “pure political theater” frame and that Rodney’s pained expression indicates some kind of discontent with the situation; however, previous general knowledge of slash allows a viewer to infer that Rodney’s discontent arises from his love for John and likely feelings of insecurity, while previous specific knowledge of the plot of Written by the Victors, whether through reading the novel, listening to the spoken audiobook, or viewing art and artifacts, allows a viewer of the vid to read a much richer depth of emotion into that moment and feel Rodney’s fear for the future of his relationship with John in a much more profound manner than viewers seeing the story for the first time in vid form.

22 In this manner, the “Written by the Victors” vid may include a serial narrative back channel that incorporates elements from many other fan works. Having read any slash story before experiencing a version of Written by the Victors creates a flexible serial narrative as the stories overlap and enrich each other, while reading any collection of stories or vids within the Rodney/John pairing significantly intensifies and expands the

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meaning of later stories as each refracts slightly different yet entwined sets of events, emotions, and character choices. Watching Rodney stand aside while John and Teyla marry, even just for show, feels differently dramatic for an audience member who has read about John and Rodney’s true love hundreds of times and believes in their destiny together, than for someone experiencing the idea of their relationship for the first time. In this manner, serial repetition of the premise inherently changes its impact and meaning.

23 These serial elements need not be restricted purely to overtly narrative elements but also include aesthetic, stylistic, and thematic components, many of which may function only on a subconscious level. For example, the primary coloration of “Written by the Victors” is blue or blue-green, a palate shared by many vids based on Stargate: Atlantis including most notably a vid simply called “Blue” by Kiki Miserychic, partly because this color spectrum echoes the primary locations and visual effects of the show, namely the ocean, the lights on many key pieces of alien technology, and the wormhole that transports the characters between planets (and occasionally galaxies)22. At every level, “Written by the Victors” rewards greater knowledge as even the song choice offers special pleasures to those approaching the vid from an information-heavy position. The vid’s soundtrack is the theme to the Canadian television series Traders (Global Television Network, 1996-2000); a double reference for those with fan knowledge, it highlights the shared media space of Canadian productions, since Stargate was also produced in , and the actor David Hewlett played both Rodney in Stargate and Grant, one of the primary characters on Traders. The vid then becomes linked to two more chains of seriality: one about Canadian media and the other around David Hewlett’s star text23.

24 Furthermore, the “Written by the Victors” vid, like all the transmedia components of the multi-authored and open-ended Written by the Victors serial multiverse, helps to emphasize or reinterpret key parts of the novel, and connects with longstanding narrative interventions into real world politics common within Stargate fandom. Although filmed and produced in Canada with a mostly Canadian cast and revolving around an international expedition featuring characters from across the globe and eventually the universe, the Stargate franchise also maintains close ties to the USA military and has been granted permission to include real US Air Force planes in several episodes24. In addition, the series often thematized current events from contemporaneous developments in the “War on Terror”, including an episode dealing with the morality and efficacy of using torture against prisoners of war, which coincided with public discussions surrounding the American military’s use of torture on political prisoners in Iraq25. Many fan works thus engage with the relationship between Stargate and contemporaneous US military policy and American foreign relations. Thinking of these works as a series allows audience members to weigh a range of characters’ decisions, feelings, and actions, comparing the varying accounts and perspectives of many stories and works of art to determine their position about the morality and practicalities of the real world political situation, as well as their preferences and expectations about specific characters’ behavior. Thus interacting with a series of narratives, including the official Stargate: Atlantis episode, creates an open- ended conversation unimpeded by the normative effects of narrative closure.

25 The Written by the Victors novel engages with two primary forms of real world politics: closeting and colonialism. Both of these had already been represented by fan works

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numerous times, in every shade between outright critique of Stargate’s position on these issues to pure reproduction or even intensification of Stargate’s sometimes homophobic and racist tropes. The novel takes a strong position against many of Stargate’s neo-colonial discourses of conquest by directly incorporating native people into the new independent Atlantis government, and connecting Atlantis to the cultural and economic life of the Pegasus galaxy, undermining its function in the aired series as merely an outpost of Earth, parasitically funneling knowledge, technology, and resources to the Milky Way without giving much of anything in return. Yet, because of its multi-vocal form, told through many conflicting historical accounts, this anti- colonial critique may become muddled in Written by the Victors’ written form. Partly because the vid version cuts many of the novel’s events and focuses almost exclusively on the political plot, the multicultural message of the story becomes much more strikingly central. One of the key artistic choices creating this effect is the vidder’s use of descriptions emphasizing intellectual talent paired with images of Teyla and Ronon, the team’s two alien members, portrayed by actors of color. Especially for Ronon, these descriptions, including “visionary”, “brilliant”, and “impeccable political judgment”, reverse the stereotypical portrayal of these characters as primitive warrior figures in the original series, reiterating over and over that they have more to offer than brawn. Taken alone, the vid reverses common Western structures of representation by repeatedly associating characters of color with intellectual attributes. Experienced as a serial installment in relation to the Written by the Victors novel, the vid selects and intensifies the impact of the novel’s anti-colonial themes and reinterpretation of Ronon’s characterization. Connected to a larger series that includes the original Stargate episodes and other fan works, the vid functions as a critique not only of common cultural tropes, but of the specifically painful way Stargate has repeatedly cast characters of color to play the same primitive stoic warrior role, and resonates against the many ways that fans have reproduced, critiqued, and reinterpreted those across time and across many forms of media.

26 In the other direction, the “Don’t Ask, Don’t Tell” or DADT policy of the American military also strongly influenced fans’ explorations and interpretations of the Stargate franchise. Despite the international character of the expedition and the presence of an often antagonistic organization called the International Oversight Advisory (or IOA), most professional versions of Stargate repeatedly emphasize the importance of keeping the titular Stargate under American control. Its location in Colorado inside an American military base thereby sets an expectation that although the Atlantis mission includes personnel from around the world, American law and culture still hold considerable sway, presumably including the DADT regulation which at the time that Stargate: Atlantis aired supposedly allowed LGBTQ people to serve in the military if they remained closeted, but in actuality resulted in a higher rate of military discharge on the grounds of sexuality than the previous policy which completely forbid service by LGBTQ personnel26. In addition, none of the characters on Stargate overtly identified as LGBTQ, although after the series ended producers retroactively classified two secondary characters as gay and lesbian27. Numerous slash stories and vids set within the Stargate multiverse such as “Dreams” by Newkidfan thereby explore the pressures and dilemmas faced by LGBTQ personnel of the Atlantis expedition living under DADT, and how such individuals might navigate relationships both with colleagues and potential lovers28. The political marriage that became the public of John and Rodney’s relationship in Written by the Victors thereby resonates against multiple real-

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world and fan written histories and stories of closeting, and the vid’s micro-citation of those dynamics acts as both a reference and performance of the closet since it only identifies the John/Rodney relationship to those already in the know.

27 Furthermore, “Written by the Victors” can also be situated within an artistic movement in toward increasingly experimental aesthetics combining words, manipulated images and video, as well as increasingly original storylines and artistic positions vis-a-vis the published material. To some extent this movement can be observed in many fandoms, but it became a particularly important strand within Stargate: Atlantis vidding, which one might even call a coherent artistic “school.” Once again, one need not pin down a definitive timeline or canon since seriality in this sense does not require a single linear progression; yet several vids became important touchstones within this stylistic turn, any constellation of which could enrich and contextualize “Written by the Victors.” For example, the John/Rodney vids “Scrapbook of my Life” by Mamoru22, “My Brilliant Idea” by Lim, and “2 Atoms in a Molecule” as well as “Absolutely Cuckoo” by Zoetrope, make extensive use of computer generated, drawn, and manipulated images, to the degree that many frames consist mostly of original rather than repurposed content29. Kiki Miserychic’s “Blue”, “Ambushed” by Newkidfan, and “Wallpaper” by Lim create a kind of visual employing thick image overlays and repetition30. They utilize a series of largely static images and words to meld the fiction and video formats, developing a kind of word and image collage form, especially promoted by the Art/Word challenges which asked fans to transcend the limiting separation between written and audio-visual media31.

28 In addition, many vidders increasingly also used external video to construct narratives that confront the storytelling limits of the footage provided by the source. For example, “Mission Report” by Lim uses primarily nature footage and words, and “Dreams” by Newkidfan also uses nature footage as well as other films to reexamine the kinds of stories that can be told in a fan vid32. In addition, Newkidfan’s John/Rodgey vid “The Tree” became perhaps the most well-known of this experimental school of Stargate: Atlantis vidding 33. In “The Tree” Newkidfan constructs extensive animated original material and uses a primarily white frame to isolate only select images from the source. Over the course of the vid the largely black, white, and blue images show Rodney increasingly alone as he is dwarfed by the empty white frame after John rejects him. In desperation and sadness he becomes a tree, watered by oppressive rain that mirrors his own tears, rooted to the spot where his lover abandoned him. In the last frame a retreating John is slowly engulfed by the roots and branches growing from Rodney’s sorrow. The aesthetic choices in “The Tree” become additionally resonant for audience members who view it in a sequence with a pair of other Canadian productions: the film Nothing (2003) directed by Vincenzo Natali and also starring David Hewlett, which utilizes aesthetic minimalism through which the protagonist’s emotional state erases the world, dominating the frame with white emptiness, and Treed Murray (2001) , directed by William Phillips, in which David Hewlett’s character spends the bulk of the storyline stuck in a tree after climbing there to escape an assault.

29 Watching any series of these vids and films provides viewers a sense of the developing aesthetics within Stargate: Atlantis vidding in particular, and the broader vidding culture as well. That sequence of serial encounters provides audience members with an information-heavy history within which “Written by the Victors” gains increasing complexity; unlike most academic interest in complex “Quality TV” focused on the

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vision of a central showrunner, complexity in fan narratives, and perhaps all transmedia narratives, develops in cooperation between the individual fan artists’ and authors’ design and the audience’s active construction of connections between media, as well as the community’s facilitation of a space where the publication and discussion of interlinked amateur content becomes possible. However, viewers with less information can still interact pleasurably with individual fan works like “Written By the Victors”, and regardless of the probability, “truth”, or compatibility of various narrative elements, some viewers may choose to disregard some of the information they’ve encountered in order to retain a more pleasurable viewing position. For example, rather than import the real world injustices of the DADT regulation into a fictional galaxy, some fans prefer to discard that interpretive lens and construct Atlantis as a utopian haven for free sexual expression and experimentation. Indeed, some fans deliberately cultivate a series of interactions with fan and professional texts that reinforce the interpretative framework they find most pleasurable. They are not “wrong” to do so, but instead exploit an open narrative system’s ability to support numerous expansions, contradictions, and investments. Fans thus exert control over a flexible, multiple transmedia narrative by choosing how to navigate its many timelines and forms of media, and additionally by deciding which information from those encounters to incorporate into their own unique serial trajectory. A full understanding of fan works therefore requires consideration of their construction and function at the apex of multiple flexible serial readings.

5. Latent Seriality and Cultural Critique: Political, Aesthetic, and Emotional Serial Effects

30 Finally, fan works also uniquely analyze and reconfigure the serial effects of tropes found not only within a particular transmedia multiverse, but also across the breadth of popular culture. By remixing and reimagining repeated structures of representation, fan works often call attention to latent forms of seriality within popular culture as a collective whole. Genres, tropes, and structures of representation are never created in one instance out of whole cloth, but instead are assembled one at a time, and experienced by viewers one at a time in an unpredictable and unique order. Yet, taken together this latent, unplanned form of serial repetition has strong social, artistic, and ideological power. In ideological critiques of the mass media, it is difficult to nail down any one representation to blame for the stereotypical and limited way in which women, minorities, and Othered subjects appear in television, film, and music. Indeed, no single representation can be all things for all people and each fails to fully and realistically represent entire social groups, instead offering a mixed ideological landscape of both regressive and progressive choices. Individual representations rarely become politically problematic or powerful completely in isolation, but instead because they fit within a much larger pattern of serial repetition found across history and across many forms of media. By re-presenting collections of clips and tropes from many different sources, some forms of fan creative work can reframe these isolated moments, narrating them as part of a coherent process of serial repetition, and thereby act as an important form of aesthetic commentary and media criticism.

31 In many cases, multi-fandom vids that chronicle a series of repeated tropes throughout history have an overtly political purpose and message. Sometimes these collections

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serve to gather evidence demonstrating just how pervasive a particular has become. Thus, in her vid “Stay Awake”, Laura Shapiro brings together clips from nine science fiction series showing at least ten major incidents of forced impregnation, sterilization, and other devices that turned main female characters to incubators34. That these examples all come from the period from 1990 through 2010 only further underscores how often series portray pregnancy as a form of horror or torture, and how writers choose to reduce even otherwise strong and prominent female characters to their female biology. Taken separately, each of these series may appear to have good narrative reasons for using such plots, and most of these female characters recovered from their reproductive trauma to continue growing and actively contributing to other stories. Yet isolating and presenting these events as a series allows audiences to experience the cumulative impact of these events throughout time. Watching the bodies of intelligent, competent women turned against them over and over again powerfully argues that the message such plot choices send casts the female body as vulnerable and frightening, making female characters constantly susceptible to the cruel whims of biology in a way that their male counterparts are not, since few if any of these series ever included similar plots involving male impregnation or external forces that steal male characters’ reproductive choices. However, without “Stay Awake” the prevalence of these plot structures might easily pass unnoticed because their repetition occurred across the span of two decades. By narrating them together into a single story about what happens to women’s bodies on screen, Shapiro lays bare the perhaps unconscious but still powerful cumulative effects of this series35.

32 Some overtly political vidding projects simultaneously critique a history of limited and stereotypical depictions while also recovering and collecting counter-images celebrating more affirmative representations. “Space Girl” and “I’m Your Man” by Charmax as well as “Around the Bend” by Danegen each attempt to excavate both histories of silence and misrepresentation, alongside histories of rebellion and affirmation36. While “I’m Your Man” charts the history of lesbian representation, both “Space Girl” and “Around the Bend” take up the question of women’s mobility, both literally and metaphorically in terms of women’s access to transportation technologies, but also the social mobility and independence implied by the ability to explore the world, or even the universe. Collecting images throughout history of female characters from science fiction in “Space Girl”, and women primarily with cars but also motorcycles, planes, and spaceships in “Around the Bend”, these vids reexamine the popular culture archive to find joyful moments when women and machines interact to produce representations of women with technical skill, expansive lives, and a shared community of other hyper-mobile female friends. “Around the Bend” in particular builds a strong story about an inclusive community of women who love their cars, motorcycles, and planes by incorporating fictional and real life examples of women of all ages and racial or ethnic backgrounds, as well as transwomen. Yet these projects also contain traces of the historical and contemporary limitations that made such images relatively rare and excluded women from technical professions. Near its end “Around the Bend” shows a magazine cover depicting professional race car driver Danica Reys with the caption “Yes She Can.” In one sense this image affirms that women can and do drive race cars just as well as men and the subtitle “Danica Reys Up for Indy” attests to women’s inclusion at the top of the profession. However, the very need to have a cover declaring “Yes She Can” also brings to mind echoes of the social forces that for so long made “no she can’t” the reality of many women. The vid thereby

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positions its citation of historical and fictional women who love motors, from early aviators to modern “dykes on bikes” groups, against that shadow “no she can’t”, transforming the vid from a random collection of themed clips into a political statement about the imperative to keep loudly claiming women’s right to be in the driver’s seat.

33 “Space Girl” likewise incorporates the history of women’s exclusion from both science and science fiction in the lyrics of its soundtrack which repeatedly recount the speaker’s mother warning her to keep away from space followed by her refusal to heed that restraint. Thus the song’s first lines stating “My mama told me I should never venture into space, / But I did, I did, I did”, structures the problematic of the vid’s images, which recover a history of simultaneous presence and absence. The dream of mobility and an expansive life full of adventure represented by the female characters of “Space Girl” not only characterizes the desire for more women in science fiction narratives, but may also represent the voice of the female science fiction fan, vocalizing her awareness of social forces that exclusively gender science fiction and science occupations as male pursuits, followed by her insistence on the right to follow her imagination and “venture into space.” Thus, like “Around the Bend”, “Space Girl” positions its characters and viewers against an implicit understanding that they often disappear from official histories of science and science fiction, making the narration of this series into a coherent collection again not a random assembly of similar images, but instead a strident insistence that these women exist. “I did” in this case speaks against script “you didn’t”, which would argue that women have not been present in the history of science and science fiction and that women inherently have no interest in these genres and pursuits.

34 Like “Stay Awake”, “Around the Bend”, and “Space Girl”, “I’m Your Man” also identifies forms of serial repetition throughout the history of popular culture, bringing into contact images that had been scattered by the passage of time. “I’m Your Man”, also by Charmax, charts the history of lesbian representations, many of which include stereotypes, ranging from the repeated aesthetic characteristics of female cross- dressing to the unfortunate propensity for lesbian characters to die by murder or suicide at the story’s close. The vid deconstructs these serial forms as destructive, while at the same time offering the possibility of recognition for people overwhelmingly underserved by mainstream media. Opening with a title sequence culminating in the statement “A Celebration of Media Clichés”, “I’m Your Man” attests that, despite their sometimes painful content, some of these stereotypical representations may also offer pleasures because they at least allowed lesbian women to see themselves on screen in some form. Importantly, many of the images collected by Charmax play at the very edge of lesbian visibility and invisibility because within their original narrative context the characters’ identities, desires, and relationships remained subtextual. However, by placing them in a series with much more overt scenes, Charmax explicitly positions these fragments as instances of desire between women, visualizing the archive of images reclaimed and eroticized by generations of LBTQ audiences. By reconnecting these cultural scraps and narrating their serial structure, all of these vids allow audiences a unique opportunity to question the collective affects of repeated representations and absences across history, and across media forms.

35 Yet not all multi-fandom vidding projects contain overtly political messages. Others collect aesthetic or narrative serial structures that would otherwise remain implicit

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across representations, while some unearth the emotional weight of serial structures that evade articulation in any other form. In “Flow” Lim thematizes the aesthetics of flexible serial transmedia narration37. By sampling from several contemporary representations of the detective figure, all of which have cult audiences, Lim exposes a surprising level of underlying similarity. Partly because these all include complex mastermind or puzzle plots Lim is able to meld each series’ use of visual information management into one overall conspiratorial collection of ordered and hidden information. She also draws upon repeated gestures and locations, to the point that in one sequence characters from two different shows appear to catch and throw each other the same rubber ball. Yet in addition to the coincidence of thematic and visual repetition, the title “Flow” also connects the vid to a classic concept in media studies: Raymond Williams’ theory that television schedules structure a flow of images that encourages the audience to keep watching one show after another in sequence38. The vid performs this sequencing, melding these series together by unifying them artistically and connecting them all within the underlying aesthetic of information visualization wherein all ultimately surrender and dissolve into the 0s and 1s of digital code. These cyberaesthetics partly resonate with the characters’ analytic minds and the shows’ puzzle plots, but also act as an acknowledgement of the vid itself as digital art and the modern internet fan community as the force that unifies these perhaps otherwise disparate narratives into one overall serial flow. “Filthy Mind” by Sol Se demonstrates a similar principle, following a flow of repeated themes, images, and locations across an enormous array of cultish media sources39. The vid works aesthetically because these representations function as one meta-series wherein, perhaps more often than one might expect, characters repetitively scream at locked doors, wear black trench coats, display snake tattoos, dance at the same club, watch themselves on each other’s televisions, run their hands along windows, and cringe while it rains blood. The message of “Filthy Mind” contains no clear or obvious ideological slant, but rather echoes the paranoid conspiracy aesthetics of Lim’s “Flow” wherein the practice of viewing mass media turns into a kind of pleasurable déjà vu. In “Filthy Mind” the flow of televisual images becomes a question not of discrete narratives but of one overall serial multiverse wherein all characters and all stories interact and repeat the same imagery.

36 Finally, some meta-vids, or vids about vidding and fandom, unearth the serial processes of reception, identification, interpretation, co-authorship, and conversation by which media images resonate with a vast network of collective emotional connections. The collaborative vid “The Long Spear”, primarily edited by jmtorres and Niqaeli et al., was published with the eventual byline “Holy cow, it’s harder to hear people cry than to hear them laugh”, because so many audience members burst into tears while watching40. The vid’s emotional power derives from its layering of many eras of resonant Star Trek images over each other, some professionally produced and others fan created, some referencing important plot moments and others referring to important social practices of Star Trek fandom. More than anything the vid is a love letter not only to the official texts of the Star Trek franchise, but more importantly to the community that collectively invests Star Trek with meaning through their shared interpretative practices and relationships with each other.

37 jmtorres explains that the title describes the way in which fannish or cult media develops emotional weight over time through serialization, noting with regard to Lois McMaster Bujold’s Vorkosigan novels, “how the later novels like Brothers in Arms and

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Memory are that sharp point on the long spear, they have an emotional impact because of the history of the other novels they carry. I consider the Star Trek Reboot movie to be the sharp point41.” By visually layering the history of older professional and fan created Star Trek narratives onto video clips from the new Star Trek reboot film (2009) the vidders formally show the way that fans watch cult media, allowing all the connections made by an information-heavy viewer to float to the surface of the screen. At first these images associate the new Star Trek reboot actors with the actors who played the same character in the original series, showing the way these images bleed into each other for a viewer who watched these in sequence. Then the vid’s premise widens to incorporate not just memory of the same characters’ previous lives, but also all the many characters from every version of Star Trek who all seem to walk through the bridge of the Enterprise together, followed by integration of other Star Trek story world space ships as well, pulling together the many diverse memories and emotional investments of different generations of Star Trek fans, so that each may recognize “their Trek” overlapping and joining together into one communal mythology.

38 Yet fans themselves and fan media are also present from the very beginning of the vid. In her article “Women, ‘Star Trek,’ and the Early Development of Fannish Vidding”, Francesca Coppa relates the story of Star Trek’s original pilot which included a female First Officer who would later be replaced by First Officer Spock because test audiences found a woman in such a position of authority implausible42. The actress who played the original Number One, a woman too strong and analytic to be believed at the time, became the voice of the Enterprise, the secondary character Nurse Chapel, and eventually Mrs. Gene Roddenberry when she later married the creator of Star Trek. Coppa argues that vidding echoes this mixed legacy of women in Star Trek because as a predominantly female community vidding requires the very technical skill that test audiences found unbelievable in women, and powerfully comments on a genre that marginalized women from its inception by re-centering women’s desires and perspectives. This history appears twice in “The Long Spear”, as Number One becomes part of the collage of memories haunting the Enterprise, but also in the very opening frames when the vid starts with an argument between Captain Kirk and his misbehaving ship computer, which uses Number One’s analytic yet female voice to both compute and sexualize the captain, insistently calling him “Dear” while performing the equations he requested. Just as Coppa described, the vid begins by positioning vidders and female fans in this dual role of analysis and desire wherein technological mastery becomes a tool of communal artistic pleasure.

39 That this is a communal and collective practice reverberates throughout the vid, not only because it was collaboratively edited, but also because it includes a section sung by a fan, images from fan works, images representing fans, and images of fans themselves. The soundtrack of the vid segues between “The Boxer”, “Both Sides Now”, and “Dante’s Prayer” sung by a digital mix of Simon and Garfunkel, Joni Mitchell, Loreena McKennit, and a fan. At the beginning as Simon and Garfunkel sing about “a poor boy whose story’s seldom told” the vid shows an ironic juxtaposition of Chris Pine as the new film version of Captain Kirk interspersed by images of women in 1960s-style fashions reading and writing, an allusion to the many female fans who loved the original Star Trek and loved each other’s often erotic reinterpretations enough to found the first communities for transformative fan works. These fannish foremothers both loved the text and fundamentally changed it by leaving a legacy of their own desires and dreams layered upon the professional work. Thus the vid frames all that follows through the

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lens of their passions, as later fans who read fan works knowingly or unknowingly benefit from the community infrastructure and artistic experiments of those original female fans.

40 As the vid proceeds, the music changes to “Both Sides Now” and the images double, placing a series of small square pictures over the corner of video from the reboot film. The pictures come from “Both Sides Now” by Kandy Fong, the first vidder and one of the first vids ever made, and “Dante’s Prayer” by Killa, one of the early vids made on a computer43. These sequences again recall founding moments in the history of Star Trek, slash and creative fan communities, not only because they are often remembered as “firsts”, but also aesthetically as the frame depicts the slide projector format. Seeing these fan works layered upon the professional film again reinforces the flexible seriality of transmedia narration by visualizing the rich associations that spring out of the image for fans with knowledge of interconnecting webs of professional and fan story components. Such fans situate the new Star Trek not only at the apex of the official professional multiverse, but also within a flexible, multiple transmedia multiverse that has been fundamentally reinterpreted and transformed by fan works and practices.

41 To underscore this point, the vid ends by pulling images of actual fans out of the frame. The section begins with Leonard Nemoy as the original Spock and Zachary Quinto as the new Spock holding up their hands to each other in the Vulcan salute, meaning “Live long and prosper.” From within Spock’s hand other images emerge of all the Star Trek captains making the same gesture. Then between the two Spocks more Vulcan salutes emerge, first by celebrities and President Obama, then a torrent of female fans suddenly fills the screen, all making the gesture for “Live long and prosper”, each claiming space within the frame, within the Star Trek fan community, and within the ongoing story. The words of the song that play over the shared Vulcan greeting state in a computer-enhanced multiple voice “we are more or less the same”, making a strident claim that all these fans, and all these professional and fan images, are unified and equal within the overall multivocal and multi-linear narrative. They all sing Star Trek together.

6. Narrative Investments across Media, Space, and Time

42 Fan works incorporate a layered history of numerous stories, desires, investments, and connections. Considering fan works as a form of transmedia seriality both aids in understanding the styles, aesthetics, and function of modern transmedia serial narration in its corporate and amateur forms, and focuses attention on audiences’ role in the construction of serial effects. Coming to grips with fan works’ avoidance of any centralized authority or canon that could provide (illusory) coherence and order to the narrative’s pathway requires a flexible, multiple approach to serial forms. Thus in a transmedia serial multiverse, audience members traverse narrative strands both across media and across timelines, limited not (or not only) by a principle of realness, truth, coherence, or compatibility, but by cultivation of a serial trajectory that they uniquely find interesting and pleasurable to explore. Fans frequently navigate through and between franchises, and that refusal of boundaries between media properties, and possible and “impossible” worlds, facilitates an additional approach to media analysis

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as a consideration of the serial effects of representations, stereotypes, and emotional investments across professional and amateur media history. Unpacking the transmedia serial structures within fan works thus reveals the complex narratives constructed by fan communities ever since their “old media” story worlds crossed from slide projector to song to VHS to print to spoken word, and back again, while also demonstrating the vast richness of experience, aesthetics, and affect at play in fan engagement with transformative works.

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NOTES

1. It should be noted that this article primarily addresses the production of transformative works by organized groups of fans who see themselves as part of a community. Some of these conclusions may apply to other types of fans and other fan practices, especially at the level of metaphor, but they are grounded in the reflexive circulation of fan fiction, fan art, and fan vids. 2. Marie-Laure Ryan, “Transmedial Storytelling and Transfictionality”, Poetics Today, Vol 34, No. 3, 2013, p. 361-388. 3. Harry Potter (2001-2011), Battlestar Galactica (Sci-Fi Channel, 2003-2012), Buffy the Vampire Slayer (20th Century Fox and the WB, 1997-2003), Firefly (20th Century Fox, 2002-2003), Dollhouse (20th Century Fox, 2009-2010). 4. While the author’s ideological authority creates a sense of coherence across multiple storylines and media platforms, their public skirmishes with the media corporations who actually own and produce these media often undermines that illusion, as do the author’s momentary lapses and mistakes. Rowling’s book and film publishers often acted against her fans on matters of intellectual property in contradiction to her own stated wishes, while Rowling’s contradictory statements about the characters’ ages and retroactive back stories also internally destabilize a unitary vision of the Harry Potter universe. Similarly, Joss Whedon’s very public disputes with his television series’ networks over decisions that seriously alter his intended storylines leverage the author’s authority not to provide overall coherence to a fragmented story world, but to further delegitimize the published text. “J. K. Rowling at Carnegie Hall Reveals Dumbledore is Gay; Neville Marries Hannah Abbott, and Much More”, 2007, Hosted by The Leaky Cauldron. http://www.the-leaky-cauldron.org/ 2007/10/20/j-k-rowling-at-carnegie-hall-reveals-dumbledore-is-gay-neville-marries-hannah- abbott-and-scores-more, last consulted on May 10th, 2013. “JK Rowling World Book Day Chat”, 2004, Hosted by Mugglenet. http://www.mugglenet.com/ jkrwbd.shtml, last consulted on May 10th, 2013. Stanford Center for Internet & Society, “Harry Potter in the Restricted Section, NoticeID 522”, 2002, Hosted by Chilling Effects. http://www.chillingeffects.org/fanfic/notice.cgi?NoticeID=522, last consulted on May 10th, 2013. “Writers Cannot do Math”, hosted by TV Tropes. http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/ WritersCannotDoMath, last consulted on May 10th, 2013. Bernard Zuel, “Not So Shiny: Plenty of drama for Buffy creator Joss Whedon”, in The Sydney Morning Herald, Entertainment Section, August 25th 2010. http://www.smh.com.au/

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communities never share an identical baseline, and that what “rings true” or feels most pleasurable to one reader will be completely wrong or unpleasurable to many others. This contradiction means that the community as a whole never processes the narrative around one fixed core, but instead becomes a space where numerous contradictory versions peacefully co- exist. Van Steenhuyse, “The Writing and Reading of Fan Fiction and Transformation Theory”, CLCWeb: Comparative Literature and Culture, Vol. 13, No. 4, 2011. http://dx.doi.org/10.7771/1481-4374.1691. Marie-Laure Ryan, “Possible-Worlds Theory”, in Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, London, Routledge, 2005, p. 446-450. 14. Fans who begin at different points in the multiverse, or who simply prefer different character details, will thus accumulate different baselines. Only some fans will deem yellow spandex or a particular height as fundamental parts of Wolverine’s character. The serial narratives these fans collect will therefore resonate differently with the new representations they experience, depending upon both which information they have encountered previously, but also which elements they most value and enjoy. 15. This definition of narrative remains deliberately ambiguous and loose, partly to reserve space for future narrative experimentation and the diversity of non-western narrative traditions, but also to center the importance of audience interpretation and production in the process of meaning creation. The increasing looseness of transmedia narrative stories emphasize Michel De Certeau’s principle that, regardless of authorial intent and artistry, individual viewers, readers, and listeners will cultivate their own unruly investments and narrative paths. Understanding narrative thereby cannot remain at the level of the text’s formal properties, but also must account for the way in which people make sense of the world. In this, a very loose definition also follows from theories of narrative as the fundamental structure of human thought whereby people make sense of the world by imposing coherence on the chaos of existence. Notably, this definition refuses any clear separation between narrative and argument, art and rationality, intervening in large-scale struggles about the place of poetics in politics as in Michael Warner’s work, and specifically reworking the division between rationality and affect in fan cultures, as discussed primarily by Matt Hills and Henry Jenkins. Within this approach, these divisions become purely artificial, as Mark Johnson might argue that all human attempts to make disparate events and actions coherent involve narrative elements. Cf. De Certeau (1980, 2011), Johnson (1993), Hills (2002), Jenkins (1992, 2013) and Warner (2002). 16. Julie Levin Russo, “User-Penetrated Content: Fan Video in the Age of Convergence”, Cinema Journal, Vol. 48, No. 4, Summer 2009, p. 125-130. 17. T. Jonesy and Killa, “Closer” (2004). http://fanlore.org/wiki/Closer_%28Star_Trek_vid%29, last consulted on May 15th, 2013. 18. Speranza, Written by the Victors, 2007, hosted by Trickster, http://trickster.org/speranza/ cesper/Victors.html, last consulted on May 15th, 2013. 19. “Victorsverse Art and Artifacts: Including the Ars Atlantiadae as well as Earth Documents”, hosted by Speranza, via Trickster, http://trickster.org/speranza/cesper/victorsverse.html, last consulted on May 16th, 2013. 20. Forcryinoutloud, “2007 Winners: McKay/Sheppard FanFiction & FanArt Awards”, 2007, Mcshep-Awards, hosted by Livejournal. http://mcshep-awards.livejournal. com/41522.html, last consulted on May 16th, 2013. 21. Sleepwalker Fish, Monanotlisa, Astrid V., and Averillovessev, “Victorsverse Art and Artifacts: Including the Ars Atlantiadae as well as Earth Documents”, hosted by Speranza, via Trickster. http://trickster.org/speranza/cesper/victorsverse.html. Last consulted on May 16th, 2013. 22. Kiki Miserychic, “Blue” (2008). 23. Because fans frequently branch off from one media text to explore an enormous range of related media, history, hobbies, and practices, it was common for fans of Atlantis to view the

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complete filmography of the series’ actors, and that information was widely available and discussed in Atlantis fan spaces. Thus it is not a stretch to assume that at least some fans who viewed “Written by the Victors” had also seen Traders. 24. Air Force News, “Stargate SG-1 Movie - Cast filming with the U.S. Air Force” (2007), hosted by YouTube, uploaded by EMS808. http://www.youtube.com/watch?v=PyBs_aGa7-0, last consulted on May 16th, 2013. 25. The episode aired nearly one and a half years after torture by the American military against prisoners of war in the Abu Ghraib prison in Iraq came to light; however, because official policy on torture, or “enhanced interrogation”, had not changed, vigorous public debate on torture continued even in that period, placing the Stargate storyline into direct dialogue with current events. Carl Binder, “Critical Mass”, Andy Mikita (dir.), #213 Stargate: Atlantis, December 5th, 2005. 26. Anuradha K. Bhagwati, “Sexism and Racism Lurk in Don’t Ask, Don’t Tell Enforcement “, in “It’s a Free Blog”, WYNC, New York Public Radio, 2010. http://www.wnyc.org/blogs/its-free-blog/ 2010/nov/30/sexist-and-racist-lurk-dont-ask-dont-tell-enforcement/, last consulted on May 15th, 2013. Nathaniel Frank, “Research Note Assessing ‘Homosexuals and U.S. Military Policy: Current Issues’ a Congressional Research Service Report for Congress”, Palm Center Whitepaper, 2005. Gary J. Gates, “Discharges Under the Don’t Ask/Don’t Tell Policy: Women and Racial/Ethnic Minorities” The Williams Institute on Sexual Orientation and Gender Identity Law and Public Policy at UCLA School of Law, 2010. 27. Meredith Woerner, “So Who’s Gay On Stargate Atlantis?” hosted by io9, December 12th, 2008. http://io9.com/5107866/so-whos-gay-on-stargate-atlantis, last consulted on May 14th, 2013. 28. Newkidfan, “Dreams” (2006). 29. Lim, “My Brilliant Idea” (2007). Mamoru22, “Scrapbook of my Life” (2008). Zoetrope, “2 Atoms in a Molecule” (2008). Zoetrope, “Absolutely Cuckoo” (2006). 30. Lim, “Wallpaper” (2006). Newkidfan, “Ambushed” (2007). 31. Newkidfan (founder), “Art/Word”, 2006, hosted by Livejournal. http://fanlore.org/wiki/Artword, last consulted on May 20th, 2013. 32. Lim, “Mission Report” (2006). http://fanlore.org/wiki/Mission_Report, last consulted on May 20th, 2013. 33. Newkidfan, “The Tree” (2007). 34. Laura Shapiro, “Stay Awake” (2010). 35. One might question whether “Stay Awake” functions as a narrative or essay; yet its aesthetics and structure borrow from both, creating a hybrid story that argues, or an argument that also evokes corporeal and emotional response. Elsewhere I have argued that fan works make arguments in a “genre commensurate form”, meeting the strengths of video with video, and narrative with narrative. By presenting her argument in audio-visual form, Shapiro calls upon the same emotive, narrative, and aesthetic strengths which made the original materials she critiques into powerfully compelling cultural icons. She thereby attacks them in the same language with which they speak to audiences. Julie Levin Russo also takes up this line of inquiry. Kustritz, “Re: Public Sphere Theory”, Discussion following “Gender and Fan Culture (Round Thirteen): Anne Kustritz and Derek Johnson”, 2007, hosted by Fandebate on Livejournal. http:// fandebate.livejournal.com/5330.html?thread=181458#t181458, last consulted on August 31th, 2007. Russo, p. 125-130. 36. Charmax, “Space Girl” (2011). Charmax, “I’m Your Man” (2008). Danegen, “Around the Bend” (2010). 37. Lim, “Flow” (2013). 38. Raymond Williams, “Programming: Distribution and Flow”, in Television: Technology and Cultural Form, New York, Routledge, 1974, p. 77-120. 39. Sol Se, “Filthy Mind” (2007).

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40. jmtorres and Niqaeli et al., “Vid Announcement: Star Trek, The Long Spear”, 2009, hosted by Dreamwidth. http://jmtorres.dreamwidth.org/1366457.html, last consulted on May 10th, 2013. 41. jmtorres, ibid. 42. Francesca Coppa, “Women, Star Trek, and the early development of fannish vidding”, in Transformative Works and Cultures, No. 1, 2008. http://journal.transformativeworks.org/ index.php/twc/article/view/44. 43. jmtorres explains, “Killa’s Dante’s Prayer, because Killa is a seminal Trek vidder of the modern era (Dante’s Prayer has been cited as ‘Hey, you guys! We can use those computers things for vidding!’), and Kandy Fong’s Both Sides Now, which is, so far as I know, the earliest vid of which we have visual record.” jmtorres, “Vid Announcement: Star Trek, The Long Spear.”

ABSTRACTS

This article explores new forms of serial structure found in transmedia story worlds, with particular attention to the innovations of amateur transmedia works. Although the term transmedia has most often been associated only with corporate media at the center, taking amateur works as the paradigmatic example produces new insights into the affordances of digital technology, beyond the industry’s limitations, namely how transmedia creativity can function in the absence of the need to remain marketable, to maintain a coherent brand, and to work within a corporate family of conglomerated media companies. This study thereby focuses on fan fiction, art, and “vids”, a form of remix video collage, to demonstrate how contemporary amateur production interacts with professional content, but also produces its own type of complex narration through unique forms, aesthetics, and story structures, likewise encouraging alternate reception practices as a result. This article identifies at least three types of transmedial seriality elucidated by studying amateur fan media. First, fan works emphasize the increasingly complex nature of seriality in all transmedia and the way in which serial effects do not vanish, but increasingly depend upon the viewer’s choices. Secondly, fan works create their own kind of flexible and multiple serial effects wherein meaning does not depend on consuming a specific sequence of narratives, but instead upon reading any collection of narratives within larger cycles or tropes to assemble a sense of flowing norms, genres, and preferences. Finally, fan works also uniquely analyze and reconfigure the serial effects of tropes found not only across the transmedia components of individual stories, but also across the breadth of popular culture. By remixing and reimagining repeated structures of representation, fan works often call attention to latent forms of seriality within popular culture as a collective whole.

Cet article explore de nouvelles formes de la structure sérielle que l’on trouve dans les story worlds transmédiaux, avec une attention particulière sur les innovations des œuvres amateurs de transmédia. Si le terme transmédia est le plus souvent associé aux médias des entreprises, prendre les œuvres d’amateurs comme exemples paradigmatiques donne un nouvel aperçu sur les apports de la technologie numérique, au-delà des limitations de l’industrie : notamment, la question de comment la créativité transmédiale peut fonctionner sans exigence de rester commercialisable, de maintenir une marque cohérente et de s’intégrer dans une famille de sociétés composée d’entreprises de média agglomérées. Cette étude se concentre donc sur la fanfiction, l’art, et les « vids », une forme de collage vidéo remix, pour démontrer comment la

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production d’amateur contemporaine et le contenu professionnel s’influencent mutuellement, tout en produisant un type de narration complexe à travers des formes uniques, des esthétiques et des structures narratives, ainsi encourageant des pratiques de réception alternatives. Cet article identifie au moins trois types de sérialité transmédiale qui s’expliquent par l’étude des médias faits par des fans amateurs. D’abord, les créations des fans mettent l’accent sur la nature de plus en plus complexe de la sérialité dans les créations transmédiales et la manière dont les effets de sérialité ne disparaissent pas, mais dépendent de plus en plus des choix des spectateurs. En deuxième lieu, les créations des fans produisent leurs propres effets de sérialité, flexibles et multiples, où le sens ne dépend plus de la consommation d’une séquence spécifique de récits, mais de la lecture de n’importe quelle collection de récits dans des cycles ou des figures plus larges afin de construire une impression de normes, de genres et de références fluides. Enfin, les créations des fans analysent et restructurent de façon particulière les effets de sérialité des figures qui traversent non seulement les éléments des récits individuels, mais aussi toute l’étendue de la culture populaire. En remixant et en imaginant de nouveau les structures répétées de la représentation, les créations des fans attirent notre attention sur les formes latentes de sérialité dans la culture populaire dans son ensemble collectif.

INDEX

Mots-clés: transmédia, fan fiction, réception, reconfiguration, vid Keywords: transmedia, fan fiction, reception, reconfiguration, vid

AUTHOR

ANNE KUSTRITZ Anne Kustritz is currently a Visiting Scholar with the department of Media Studies and the Amsterdam School for Cultural Analysis at the University of Amsterdam. She is also a co- coordinator the Transmedia Serial Narration network, and organizer of the network’s Amsterdam seminar sessions. Her research and scholarship focus on fan creativity, new media, media ethnography, and queer and feminist theory. Her articles appear in Camera Obscura, The Journal of American Culture, and Feminist Media Studies. She is also a contributor to and board member of the journal Transformative Works and Cultures, associated with the nonprofit Organization for Transformative Works.

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Varia

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Une génération Sher-locked

Marie Maillos

1 En novembre 2004 sortait aux États-Unis l’épisode pilote de House M.D (FOX, 2004-12). Son personnage principal, directement inspiré de Sherlock Holmes et adapté au milieu hospitalier, eut un succès certain, qui valut à la série de se poursuivre sur huit saisons. Quatre ans plus tard, ce fut au tour de Patrick Jane –un héros à l’intuition tout aussi étonnante – d’apparaître dans la série The Mentalist (CBS, 2008- ), qui en est à sa sixième saison et est encore programmée aujourd’hui. Quelques mois après, c’était la série Lie to Me (FOX, 2009-11) qui lui emboîtait le pas, avec un concept très proche mais encore plus explicite : ce héros peut savoir si vous mentez rien qu’en vous regardant. Ce fut ensuite au tour de la série anglaise Sherlock (BBC, 2010- ), puis de son pendant américain Elementary (CBS, 2012- ), de captiver les audiences avec de nouvelles aventures inspirées du détective centenaire, Sherlock Holmes. Enfin, Rustin Cohle, dans la première saison de True Detective (HBO, 2014-), est une variante plus sombre et moins directement inspirée du personnage narcissique et haut en couleur des romans. La succession de ces adaptations à l’écran, qui reconnaissent plus ou moins leur parenté avec Sherlock Holmes, est assez remarquable pour nécessiter un éclaircissement. Il s’agit de comprendre pourquoi cette figure d’un autre siècle envahit notre quotidien, ce qu’elle donne réellement à voir au spectateur contemporain, et pourquoi les séries sont le support privilégié de ces héros que l’on pourrait appeler des « lecteurs », en ce qu’ils « lisent » leur entourage comme un livre ouvert.

1. Ce que ces séries retiennent de Sherlock Holmes

2 La multiplication des séries inspirées du célèbre détective Sherlock Holmes est remarquable en soi, mais ce qui l’est plus encore est ce que ces séries retiennent du personnage d’Arthur Conan Doyle. Pour des raisons que l’on pourrait penser budgétaires, toutes ces séries présentent une modernisation, parfois extrême, du personnage. Le Sherlock de la série éponyme, écrite par Steven Moffat et Mark Gatiss, utilise le téléphone et les réseaux sociaux en permanence, tandis que son acolyte Watson retranscrit leurs aventures sur son blog ; le Docteur Lightman, dans Lie to Me, jouit avec son entreprise d’un complexe architectural tout de verre et de métal ;

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Docteur House est à la pointe de la médecine moderne. Cette modernisation indique que ce n’est pas l’univers de Sherlock Holmes dans son ensemble qui intéresse le public et les créateurs – hormis Sherlock et Elementary, aucune de ces séries ne donne d’ailleurs de référence directe à son héros – mais le personnage lui-même et son « super- pouvoir », qui peut être nommé ainsi puisque son intuition est tout à fait surhumaine.

3 Ce qui fait le point commun des héros de ces séries est leur capacité presque sur- naturelle, donc, à « lire » ceux qui les entourent, c’est-à-dire à tirer de signes extérieurs (ces signes formant un langage) un sens intérieur. Ce pouvoir de relier le signe et le sens est typiquement celui de la lecture. Dans Sherlock, cette lecture est rendue évidente par le fait que ce que Holmes découvre est justement écrit à l’écran, comme traduit d’une langue étrangère, pour le spectateur (voir figures 1 et 2).

Fig. 1 : Sherlock

Fig. 2 : Sherlock

C’est aussi le cas dans le générique de Lie to Me (voir figures 3 et 4).

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Fig. 3 : Lie to Me

Fig. 4 : Lie to Me

4 Comme l’indiquent d’ailleurs ces illustrations, ce sont les gens, particulièrement, qui intéressent ces héros. Tandis que les personnages de séries policières stricto sensu se concentrent davantage sur des « traces » et des indices matériels – balistiques, chimiques, physiques – ceux de ces adaptations de Sherlock sont plutôt profilers et comportementalistes, au point d’en être devins. Aucun d’eux n’est d’ailleurs « policier » à proprement parler mais ils sont, fidèlement à l’œuvre originale, des consultants de la police ou, dans le cas du Docteur House, médecins. Même les personnages de True Detective ne font partie de la police que durant la moitié de la saison.

5 Là où les méthodes de ces consultants s’approchent du pouvoir magique et s’éloignent justement de celles de leurs homologues policiers – auxquels ils n’ont de cesse de prouver leur supériorité – c’est dans l’instantanéité absolue de leurs déductions. Un seul regard permet à Cal Lightman de savoir si une personne ment, est en colère ou a

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peur. Il faut quatre minutes en temps réel à Patrick Jane, dans The Mentalist, pour dévoiler le rapport incestueux instauré par un père avec sa fille en interrogeant simplement la mère, dès le début de l’épisode pilote. Les marques d’impatience de Sherlock envers ses collègues sont à la mesure de sa propre célérité. Rustin Cohle dans True Detective assure à des enquêteurs : COHLE. I’ve never been in a room with a suspect for more than ten minutes without knowing whether or not he did it1. (1.3).

6 C’est pourquoi, par ailleurs, ces personnages ont un débit de parole extrêmement rapide, qui donne un aspect vertigineux à la moindre de leurs découvertes. Ce n’est pas le cas de Rustin Cohle dans True Detective, qui, contrairement à ces autres héros, est touché, personnellement et jusque dans son intégrité physique, par l’enquête qu’il mène, et ne peut se permettre ce décalage presque comique entre la rapidité de son discours et la lourdeur dramatique des scènes. Mais, si son discours reste lent, il est dense et n’en reflète pas moins la rapidité de ses déductions.

7 Le travail qu’opèrent ces personnages dans leur lecture n’est pas un travail de synthèse ou d’analyse, qui consisterait à construire ou à défaire des réseaux de sens à partir des signes découverts (qui sont en l’occurrence des « indices »), mais un pouvoir immédiat que l’on pourrait assimiler à la métonymie. Pour Cal Lightman, dans Lie to Me, le coin droit relevé de la lèvre de son interlocuteur n’est pas un indice de mépris : il signifie « mépris » ; au point que, très vite, il ne lui est même plus nécessaire d’indiquer ce qui l’amène à telle ou telle déduction. Il se contente de regarder la personne, avec justement les yeux à demi plissés de celui qui se concentre sur un texte difficile, et de dire ce qu’il voit. Comme cela est propre à la métonymie, il remplace un élément par un autre, alors qu’ils devraient être juxtaposés, ou reliés entre eux, ici par un lien causal. Car, en effet, comme le montre Antin Fougner Rydning dans son article sur la métonymie conceptuelle, au-delà d’une figure de style, la métonymie est aussi un processus cognitif :

Nous retenons que la métonymie est un processus cognitif par lequel une entité conceptuelle fournit un accès mental à une autre entité conceptuelle. Le principe en œuvre est celui de la contiguïté où un rapport est établi entre deux entités à l’intérieur de ce domaine. La nature de la contiguïté est conceptuelle, car la métonymie fait appel à une représentation mentale où le sujet mobilise ses connaissances extra-linguistiques. Si celles-ci font défaut, le mécanisme référentiel ne joue pas. Il s’ensuit qu’en l’absence d’une conceptualisation le message reste lettre morte2.

8 Dans ces séries, en l’absence de conceptualisation, le message, plutôt que de rester lettre morte, évoque un « pouvoir magique » puisque les spectateurs sont mis par le détective dans l’incapacité de mettre en œuvre « le mécanisme référentiel », tant le héros dissimule son chemin déductif. Ce « pouvoir » permet à ces Holmes divers de mettre de côté les médiateurs inutiles de l’intuition, de l’enquête et même du raisonnement, de sorte qu’il ne reste plus pour eux que la nécessité peu contraignante de « lire ». Joan Watson souligne d’ailleurs dans Elementary ce travail métonymique lorsqu’elle adresse à Sherlock ce compliment : « It’s incredible the way you can solve people just by looking at them3» (1.1), ce qui paraît en effet l’une des meilleures façons de décrire synthétiquement les méthodes de tous ces héros.

9 Ainsi, ces détectives, en faisant un lien immédiat entre la cause (interne) et l’effet (externe), créent l’illusion de la transparence, qui est cette possibilité de voir, depuis

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l’extérieur, ce qui se passe à l’intérieur et qui serait de l’ordre de l’intime. C’est pourquoi l’accent est très souvent mis sur leurs regards, qui se veulent perçants – par quoi on peut entendre qu’ils voient au-delà des apparences. Les photographies promotionnelles ne manquent d’ailleurs pas de mettre en valeur cet aspect de leur héros, au point de faire du portrait de face en plan serré un trope incontournable de ce genre de séries (voir figures 5 à 8).

Fig. 5 : Sherlock

Fig. 6 : House M.D.

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Fig. 7 : Lie to Me

Fig. 8 : Elementary

10 La transparence est l’objectif absolu de ces héros, lorsqu’elle est appliquée aux autres. Eux-mêmes restent opaques, voire absurdes, comme en témoigne l’incompréhension permanente de leurs « Watson » respectifs (Joan, John, John, Gillian, James). Ils sont les seuls êtres pour qui le monde soit transparent et, de fait, ils sont absolument maîtres de cette transparence. C’est pourquoi aucun d’eux n’hésite à mentir, à omettre ou à manipuler. Dans le cas de Cal Lightman, cette manipulation par la transparence est représentée très clairement par ce que les personnages appellent la « glass box », la « boîte de verre », qu’un simple interrupteur qu’il est le seul à utiliser permet de rendre transparente ou opaque. C’est donc ici qu’il procède à ses interrogatoires, trompant et dévoilant tour à tour, cachant et donnant à voir. Le fait que les salles d’interrogatoires soient équipées de miroirs sans tain n’a jamais manqué d’alimenter l’imaginaire des cinéastes et les scènes de jeux de regards ; cependant, cette fois, le héros est entièrement, et activement, maître de ce qu’il montre ou dissimule, comme dans cette scène de Lie to Me (2.16 : voir figures 9 et 10).

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Fig. 9 : Lie to Me

Fig. 10 : Lie to Me

11 Le nom même de Lightman est un indice évident que le personnage est celui qui fait la lumière. De même, dans la série Sherlock, la fenêtre est un élément extrêmement récurrent, depuis l’épisode pilote où Watson sauve Sherlock en tirant à travers deux fenêtres en vis-à-vis, jusqu’à la re-fenestration de Sherlock dans le premier épisode de la saison 3, en passant par les multiples indices que Sherlock récolte en regardant à travers des vitrines et des fenêtres : la vitre est, pour le personnage, une nouvelle forme de miroir sans tain, qui le dissimule et lui montre ce qu’il veut voir (voir figures 11 et 12).

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Fig. 11 : Sherlock

Fig. 12 : Sherlock

12 Au-delà de ces représentations symboliques à l’écran, il y a, dans chacune de ces séries, une glorification sans équivoque de la transparence, qui dépasse le cadre de la série policière classique, où le policier recherche une vérité particulière, c’est-à-dire un coupable. Ici, la recherche de la vérité s’étend aux personnes qui entourent le personnage principal et à tous ceux qui croisent son chemin : il ne s’agit plus de résoudre une enquête mais de résoudre le monde dans une pan-connaissance ; le personnage devient « omniscient » et s’approche en cela d’une figure de « l’œil de Dieu ».

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2. Du « petit génie » des années 1990 au « lecteur de signes »

13 Georg Lukács4 et Lucien Goldmann 5 supposaient, comme le rapportent Glaudes et Reuter, que :

Le héros, parce qu’il est constitué en référence à l’idéologie dominante, est la figure à partir de laquelle s’organisent dans le texte les oppositions de valeurs les plus significatives6.

14 Il est évident qu’il y a des oppositions de valeurs dans ces séries et, plus particulièrement, dans ces personnages (celle de la transparence et de l’opacité, celle de la vérité et du mensonge et, corrélatif immédiat, celle de la connaissance et de l’ignorance), lesquelles s’avèrent en effet très significatives. Le renouveau des personnages inspirés de Sherlock Holmes est propre à ces dix dernières années et ces oppositions de valeurs sont particulièrement abordées dans les séries télévisées : s’il y a bien eu des adaptations de Sherlock Holmes au cinéma ces derniers temps (réalisées par Guy Ritchie), elles se penchent à l’inverse bien plus sur l’univers du personnage – rendu sans mal vaguement rétro-futuriste – que sur son pouvoir de « lecteur », et Sherlock y est un homme d’action plutôt qu’un intellectuel. De fait, la nature de ces personnages de séries est révélatrice en ce qu’elle est représentative de notre époque et prend place au cœur du dispositif sériel.

15 En effet, la série, parce qu’elle utilise comme support la télévision, objet populaire s’il en est, et Internet (par le biais du streaming, du téléchargement, de la Video on Demand, etc.), plus populaire encore actuellement, présente des héros particulièrement constitués « en référence à l’idéologie dominante », et porte donc en elle des oppositions de valeurs d’autant plus significatives. Ainsi, le héros, au cours de l’histoire des séries télévisées, ne cesse de subir des transformations au gré des tendances. Mais celles qui nous intéressent ici ont commencé dans les années 1990, avec une vague importante de héros surdoués dont le quotient intellectuel était vanté plusieurs fois par saison : dès 1989, Sam Beckett dans Quantum Leap (NBC, 1989-93) et, à partir de 1996, The Pretender (NBC, 1996-2000), ou encore à travers les débats sans fin que peuvent avoir les personnages de The West Wing (NBC, 1999-2006) sur leur intelligence respective. Dans un autre registre, même Dewie, le frère de Malcolm dans la série éponyme (FOX, 2000-06), est un surdoué dont le génie est utilisé certes à des fins humoristiques, mais de façon récurrente. Cette multiplication de personnages brillants entraîne d’ailleurs ce que Carole Desbarats, dans son cours sur The West Wing pour le Forum des images7, appelait « l’érotisation de l’intelligence », laquelle est d’ailleurs confirmée par un personnage de Sherlock, Miss Adler, lorsqu’elle déclare au détective : « Brainy is the new sexy8 » (2.1). Or, s’il y a une multiplication de ces héros intelligents d’une part, et si cette intelligence est érotisée d’autre part, c’est qu’elle se révèle être une forme de puissance.

16 Cette nouvelle forme de puissance est due, en effet, à une transformation de la façon de voir le monde et d’appréhender les rapports de forces et les conflits (qui sont à l’origine de tout récit, du moins dans une logique structuraliste), glissant de critères quantitatifs vers des critères qualitatifs dans la mesure de la force, notamment militaire, depuis la guerre du Viet Nam et la prise de conscience du danger atomique9. Dans un monde ainsi transformé dans son système de valeurs, l’information et le savoir deviennent les deux

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piliers majeurs de la puissance et, de fait, l’homme intelligent – à proprement parler qui peut « inter ligere », c’est-à-dire « lier les choses entre elles » – est celui qui détient le pouvoir10. Le pouvoir du scientifique et, d’une autre façon, celui du diplomate, transcendent donc celui du général d’armée. C’est ainsi qu’à partir de la fin de la guerre froide, une génération de héros incarne ce tout nouveau « pouvoir ». À la même époque, l’apparition de l’ordinateur personnel faisait pressentir les possibilités infinies de la « puissance de calcul ». Par conséquent, dès les années 1990, le héros devait avoir des capacités de calcul hors-normes pour faire valoir sa légitimité à l’attribut de « héros ». Dans les années 2000, les capacités intellectuelles de ces héros ne sont toujours pas remises en cause. D’ailleurs, toutes les séries inspirées de Sherlock Holmes précédemment citées soulignent l’intelligence hors-norme de leur personnage. Celle-ci est pour autant moins calculée sur des systèmes de valeurs pré-établis qu’elle ne l’était auparavant : Sam Beckett, dans Quantum Leap, possède sept doctorats très variés (musique, médecine, physique quantique, archéologie, langues anciennes, chimie et astronomie) et un prix Nobel en physique quantique ; il a un quotient intellectuel de 267 et parle six langues (anglais, espagnol, français, russe, allemand et japonais). Il a obtenu son diplôme de fin d’études secondaires à l’âge de 16 ans et suivi quatre années d’études au MIT en seulement deux ans : son intelligence est rendue tout à fait quantifiable. A contrario, rien n’indique précisément le niveau intellectuel des personnages plus récents de Lie to Me ou même de House M.D., quoique leur niveau d’étude et leur niveau de langue laissent entendre une culture certaine et les présentent comme des hommes cérébraux. Mais, aujourd’hui, ces personnages prouvent leur intelligence dans un cadre plus flottant, à l’image des ordinateurs qui, de calculatrices géantes, se sont transformés en réservoirs inépuisables de connaissance, de savoir, de débat et de communication. Cependant, à mesure que l’intelligence des personnages devenait plus diffuse et moins quantifiable, ils devenaient aussi moins psychologues et moins humains. Sam Beckett dans Code Quantum et Jarod dans The Pretender ont tous deux des capacités d’empathie et de psychologie hors du commun, qui sont une façon de pousser à l’extrême le concept même de ces séries : la rencontre entre la sensibilité la plus parfaite et la plus exacerbée, et l’intellect le plus mathématique et mécanique, dans une forme de sur-homme dont le quotient intellectuel répond au quotient émotionnel. Aujourd’hui, l’accent est mis sur l’intelligence des héros, mais sous une forme toute différente. Ce sont particulièrement Internet et les réseaux sociaux qui ont permis la transition des personnages des années 1990 à ceux des années 2000. En effet, pour une génération dont les connaissances sont à portée d’un clic, la supériorité ne peut plus se trouver seulement dans une intelligence faite de connaissance et de savoir, mais dans une forme de perspicacité. Comme l’indique Michel Serres :

De notre tête osseuse et neuronale, notre tête intelligente sortit. Entre nos mains, la boîte-ordinateur contient et fait fonctionner, en effet, ce que nous appelions jadis nos « facultés » : une mémoire, plus puissante mille fois que la nôtre ; une imagination garnie d’icônes par millions ; une raison aussi, puisque autant de logiciels peuvent résoudre cent problèmes que nous n’eussions pas résolus seuls. Notre tête est jetée devant nous, en cette boîte cognitive objectivée11.

17 Parce qu’il n’est plus besoin d’avoir les sept doctorats de Sam Beckett pour accéder à ce qu’il sait et plus encore, les « lecteurs de signes » ont fait leur apparition. Le pouvoir de ces génies n’est plus tant dans leur esprit mais à l’extérieur d’eux : le monde est leur

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ordinateur. Comme dans cette image de « tête intelligente » sortie de notre « tête osseuse, » même ce qui leur est le plus intime, leur mémoire, est projeté hors d’eux par l’utilisation de la méthode des loci12, appelée aussi « méthode des lieux », qui consiste pour eux en une mise en scène physique de leurs souvenirs. Sherlock l’utilise de nombreuses fois en l’illustrant par la représentation d’un « memory palace13 » dans la série anglaise. Il se réfugie d’ailleurs dans ce palais lorsqu’il se trouve à l’article de la mort (3.3), chaque pièce représentant une partie de ses souvenirs, dans lesquels il puisera la force et la volonté de revenir parmi les vivants. Sherlock Holmes, dans Elementary, en fait une utilisation un peu moins visuelle (1.8) : alors qu’il découvre une citation utilisée par un potentiel criminel et qu’il cherche à se souvenir de la dernière fois qu’il l’a entendue, il s’écrie « I know where I was when I heard it14 » et se rue physiquement à l’endroit en question, avant d’essayer de reformer en pensée la disposition exacte de la pièce lorsqu’il y a entendu la citation. Patrick Jane, dans The Mentalist (1.6), explique quant à lui qu’il mémorise les cartes au poker en associant chacune d’elles à un personnage, et chaque position du paquet à une pièce de son « memory palace », encore une fois.

18 Aussi, tout porte à penser que, comme n’importe quel individu devant son ordinateur, ces héros ne savent pas, en tant que tel : ils lisent. Que l’ordinateur ne serve pas de transition à leur lecture n’est en soi qu’un détail et, d’ailleurs, les concepteurs des futures « Google glasses », véritables lunettes-ordinateur, prouvent que le fantasme d’abandonner cet objet de transition au profit d’une lecture « au bout du regard » et non plus « au bout des doigts » n’appartient pas qu’aux créateurs de séries. Mais, comme nous l’avons constaté, leur lecture ne s’intéresse pas à toutes choses sans discernement : elle porte particulièrement attention aux personnes. Nullement étonnant que, dans House M.D, ce héros soit transposé dans le monde hospitalier où les enquêtes matérielles sont largement moins déterminantes que celles qui concernent l’individu lui-même. Or, « l’opposition de valeurs » la plus médiatisée de nos jours, à l’échelle de la personne, est celle qui concerne le rapport de l’individu à son intimité, c’est-à-dire la frontière, difficile à tracer aujourd’hui, entre le public et le privé. Cette opposition de valeurs confronte donc d’une part la tentation individuelle et instinctive de rendre l’intime public, d’autre part le besoin culturel et moral de garder l’intime privé. La force de cette confrontation est que, dans un sens comme dans l’autre, le « secret » devient la véritable richesse de ce siècle.

19 Facebook, à la suite de MySpace, est devenue la plateforme la plus célèbre et la plus utilisée pour publiciser le privé. Les internautes y partagent leurs photos, leurs pensées ou leurs coups de cœur. Les débats, les appels en justice et les jurisprudences se multiplient pour déterminer si Facebook peut être considéré comme un espace public ou un espace privé15 et soulignent cet évident changement : il n’y a jamais eu une aussi grande part de nous-mêmes hors de nous16. Aussi, même si en soi l’internaute a des capacités de « lecture » des autres proches de ces héros, puisqu’il a accès à toute information au bout de ses doigts, ce n’est pas ce point commun qui fait le succès de ces séries, mais l’idée que le pouvoir de l’un puisse être utilisé sur l’autre : que le spectateur puisse être intimement déchiffré par son héros détective. Le public de ces séries désire moins savoir sur les autres qu’être « su » par les autres. Ce besoin de se laisser lire est d’ailleurs représenté dans Sherlock par le comportement d’une jeune femme journaliste qui, dans l’épisode 3 de la saison 2, tente avec succès d’être lue par Holmes en se faisant passer pour une fan (ce qui est un clin

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d’œil volontaire aux véritables fans du héros de la série) : alors qu’elle semble ressentir un plaisir certain à être déchiffrée par l’enquêteur, ce qui se traduit par des postures de plus en plus langoureuses et sensuelles, le détective reste hautain, terminant sans équivoque sa lecture par « You repel me17 » (voir figure 13).

Fig. 13 : Sherlock

20 Sherlock insiste donc sur un rapport de domination entre celui qui « lit » et celui qui est « lu », puisqu’il ne se considère pas même dans l’obligation de respecter cette fan. Il continue d’y avoir une érotisation de l’intelligence du détective mais elle passe cette fois entièrement par ce rapport de domination. C’est aussi tout à fait le cas de l’épisode de Sherlock mettant en scène Irène Adler (2.1), dominatrice qui démontre clairement son pouvoir sur Holmes en lui rendant toute lecture impossible dès le début de l’épisode (puisqu’elle est nue, telle une feuille blanche). L’envie qu’a la journaliste d’être lue est condamnée comme étant une forme d’asservissement, tandis que le désir qu’a Irène Adler d’être illisible est promu au rang de force de domination. L’équilibre de mystère qu’Irène Adler essaie d’entretenir avec Sherlock est cependant fragile : par exemple, Sherlock est capable de deviner qu’elle a utilisé ses propres mensurations pour le code de son coffre-fort, mais pas avant qu’Irène Adler n’ait elle-même deviné que Sherlock les avait mesurées du regard…

21 Si, par ailleurs, la notion de vie privée est défendue bien plus vigoureusement lorsqu’il s’agit de la vente d’informations par Google ou Facebook à des entreprises privées, ou de la surveillance des communications par la NSA, il est intéressant de reconnaître que, pour condamnables ou non que soient ces pratiques, elles n’ont pas d’effet immédiat sur l’usager lambda. Or – le but ici n’est pas de remettre en cause la gravité de ces pratiques – les réactions des internautes et de la population ont été viscérales18, au point qu’il est possible d’y lire une fascination intrinsèque : s’il y a une crainte globale d’un monde dans lequel « Big brother is watching you19 », il est pourtant palpable à travers l’utilisation qui est faite aujourd’hui des réseaux sociaux pour afficher sa vie privée qu’il y a aussi une crainte équivalente d’un monde où « Big Brother is NOT watching you20 ». Cette ambivalence se retrouve dans la caractérisation des détectives de ces séries, dont le travail d’observation est utilisé pour le bien de la communauté mais qui sont en eux-mêmes moralement ambigus : ils sont absolument tous et à leur

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façon misanthropes, sociopathes, exaspérants voire dangereux. Ils sont d’ailleurs tous à certains moments accusés des horreurs sur lesquelles ils enquêtent, et c’est à chaque fois en raison de leur observation du monde : Sherlock, dans la série éponyme, est accusé d’avoir commis les meurtres qu’il prétendait résoudre afin d’avoir l’admiration de tous chaque fois qu’il viendrait à bout d’une enquête et, lorsque Watson insiste sur le fait que Sherlock avait deviné du premier regard tout ce que son ami cachait sur sa sœur, le détective lui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas : « Nobody could be that clever21 » (2.3) ; Docteur House est plusieurs fois accusé d’avoir mis en danger la vie de ses patients, notamment lorsqu’il demande à plusieurs reprises à ses collègues d’entrer par effraction chez eux pour observer l’intimité de leur quotidien ; Cal Lightman est soupçonné du meurtre d’un combattant de rue qu’il venait seulement regarder combattre (2.18) ; Rustin Cohle, dans True Detective, est le principal suspect de meurtres qu’il ne cesse de dénoncer (saison 1), justement parce qu’il est photographié en train d’observer les scènes de crime. Chacun des soupçons dont ils sont l’objet est une façon de souligner le pouvoir actif de leur regard, de reconnaître qu’un savoir peut être un danger en soi, surtout dans la mesure où ils obtiennent ce savoir sans empathie, sans compassion, et sans aucun lien émotionnel avec les individus qu’ils appréhendent. Ainsi, l’idée d’être observé est parfaitement ambivalente, comme le sont ces personnages et, comme eux, elle se révèle être aussi attirante qu’inquiétante.

3. Glorification de la transparence et de la vérité

22 Pour autant, l’ambiguïté de ces héros n’est pas dans leurs découvertes, mais dans le mystère qu’ils laissent planer sur leur propre personne : ils sont réceptacles, mais ne sont pas distributeurs. C’est ce secret qui les rend suspects. Donc, ce n’est pas la transparence et la vérité dont la moralité est mise en cause, mais l’absence de transparence de ces personnages en particulier. La transparence reste une valeur importante de ces séries et se fonde sur deux postulats majeurs : le premier est que ce qui est secret et dissimulé est toujours la vérité, et le second, que la vérité est toujours bénéfique.

23 En effet, comme on l’a montré, l’omniscience à proprement parler des héros leur permet de résoudre leurs enquêtes, mais aussi les soucis de leurs acolytes : Sherlock permet à Watson de découvrir, puis d’accepter, la véritable nature de sa femme Mary dans Sherlock ; Rustin Cohle, dans True Detective, s’il en viendra malgré lui à détruire le couple déjà fragile de Martin Hart, prêche un plus grand respect du mari pour sa femme, dont il perçoit les fêlures ; Patrick Jane, dans The Mentalist (2.3), hypnotise sa collègue Teresa Lisbon afin de « lire dans [ses] pensées », selon ses propres termes, et permet de l’innocenter d’un meurtre. Cal Lightman aide quant à lui Gillian à découvrir la vérité sur son petit ami du moment (2.20) en évitant à ce dernier une mort certaine. Ce qui est d’ailleurs très représentatif est que chacun de ces acolytes rejette dans un premier temps l’aide de son « Holmes » (Watson et Gillian se mettent en colère, tandis que Teresa Lisbon résiste à son hypnose, pour revenir ensuite vers Patrick Jane bien plus tard). Toutefois, ils finissent par se rendre, non pas en échange de leur droit à leur propre intimité, mais en échange des connaissances que ces Holmes possèdent. Par exemple, dans l’épisode de Lie to Me en question, Gillian est en colère contre Cal Lightman pour avoir espionné son amant Burns et, pourtant, sa colère prend fin lorsqu’elle obtient de Cal cette promesse : « No more secrets22 ». De fait, alors qu’elle lui

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demandait un droit à une vie privée et à des secrets, c’est l’inverse qu’elle obtient de lui.

24 Cette omniscience et la résistance apparente des personnages secondaires à cette omniscience est une façon de créer un lien indéfectible entre le secret et la vérité. C’est-à-dire que les héros n’ont pas particulièrement accès à la vérité par opposition à l’erreur –laquelle a peu d’importance narrative dans ces séries – mais par opposition au mensonge. Ils ne créent pas la transparence dans un univers flou (celui dans lequel nous avançons et qu’il nous est difficile de « définir », littéralement), mais dans un univers de secrets et d’opacité. En somme, ils recherchent la vérité qui a été dérobée, qu’elle soit leur ou non. Lorsque Docteur House répète « Everybody lies23 », il entend cela comme une provocation à découvrir la vérité derrière les mensonges qui lui sont dits. C’est le cas aussi de Cal Lightman, qui nous met au défi de lui mentir – afin qu’il puisse lui-même faire jour de la vérité – dès le titre de la série : « Lie to Me24 ».

25 Mais de l’idée que la vérité qu’ils recherchent est toujours cachée à celle que « tout ce qui est caché est la vérité », il n’y a qu’un pas, aisément franchi. Ces Sherlock n’accordent aucune valeur à ce qui se révèle au premier regard et au premier degré : chaque geste, chaque comportement, est interprété comme un masque, la vérité étant toujours dissimulée. Ces héros, en somme, ne trouvent pas la réalité dans ce que les gens font mais dans ce que les gens sont – et qu’ils prétendent être les seuls à pouvoir définir : leur existence à leurs yeux a moins de valeur que leur essence. Dans l’épisode pilote de Sherlock, le héros prouve à John Watson que sa douleur à la jambe est psychosomatique. Le fait même de le lui prouver a un effet immédiat sur Watson qui, dès lors, n’a plus besoin de sa canne. Pourtant, rien n’obligeait l’existence de Watson, dans laquelle sa jambe était douloureuse, à se plier à son essence d’homme sain. C’est pourquoi la capacité de Sherlock à soigner par la vérité (ce que le Docteur House fera à sa façon dans chaque épisode puisque ses méthodes médicales sont en tous points des enquêtes sur la vie de ses patients) atteste de la vertu attribuée à la vérité. François Jost compare d’ailleurs le pouvoir de ces héros à un pouvoir d’alchimiste :

Adossée à une théorie que la vérité se cache au plus profond des êtres, la science de ces héros valorise épistémologiquement l’intime, comme les alchimistes le faisaient à leur manière […] Portées par la soif de connaître du téléspectateur, les séries américaines les plus regardées donnent sur les terræ incognitæ d’une intimité conçue à l’image de conceptions préscientifiques de la matière, valorisant tout ce qui est intérieur. De la sorte, en élargissant en apparence le champ du savoir, elles ouvrent en fait celui de la croyance25.

26 Par cette comparaison avec l’alchimie, François Jost commente donc à la fois la dimension magique – qui plonge dans l’intime pour y trouver la vérité comme on plonge dans le plomb pour y trouver l’or – et l’échelle de valeurs – qui donne à l’intime plus de valeur qu’à la surface comme à l’or plus de valeur qu’au plomb.

27 Il est possible d’aller plus loin en affirmant que, si la vérité se trouve dans l’intime, alors la transparence, qui donne un accès immédiat à la vérité, se trouve dans l’émotion, qui fait la transition du monde extérieur au monde de l’intime, puis celle du monde de l’intime au monde extérieur. Ces personnages atteignent la vérité en faisant ressentir aux autres les événements le plus fortement, et donc le plus violemment possible. Quand Sherlock doit interroger la vieille gardienne de l’internat où deux enfants ont été enlevés (2.3), il hurle « What are you: an idiot, a drunk or a

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criminal26?! », en ôtant à la pauvre femme terrorisée la couverture qui lui avait été donnée du fait de son état de choc. Lorsqu’elle lui explique ce qu’elle sait et le supplie de la croire, il répond simplement qu’il voulait juste qu’elle s’exprime rapidement. En somme, plus l’émotion de celui qui est interrogé est forte, plus la vérité est accessible immédiatement, c’est-à-dire plus il atteint un état de transparence. De fait, il n’est pas étonnant que l’opacité absolue de ces héros eux-mêmes, le mystère qui les entoure, aille de pair avec toutes les caractéristiques du sociopathe, qui se définit par des dysfonctionnements émotionnels : ils ont à la fois des troubles dans le ressenti des émotions humaines des autres (ils lisent directement en eux la vérité, sans être sensibles aux émotions de ceux qu’ils scrutent) et dans l’expression de leurs propres émotions (ce qui les rend impossibles à lire). La vérité est donc liée à l’émotion, laquelle est elle-même liée à la santé d’esprit. Les différents « Watson » sont représentés comme des personnes saines et équilibrées, qui n’ont justement « rien à cacher », ce qui les place moralement au-dessus de tous les autres personnages, héros ou personnages secondaires. Ils échappent ainsi au « everybody lies » du Docteur House.

28 Ce qui est vrai à l’échelle des individus peut encore une fois être vu à l’échelle des états, et François Jost commente encore :

En débusquant les mensonges, en offrant le spectacle d’une vérité à visage humain, découverte par cette mise en relation de deux subjectivités, les séries américaines apportent une consolation à la perte définitive de la transparence dans nos sociétés démocratiques. Le succès des séries s’explique moins par leur capacité à refléter de façon réaliste notre monde qu’à en fournir une compensation symbolique27.

29 C’est donc aussi bien la transparence des individus qui est louée dans ces différentes séries que, symboliquement, la recherche de la transparence des gouvernements, des sociétés et des états. Car, bien entendu, si l’une existe sans l’autre, un rapport de domination s’instaure alors, rapport anti-démocratique et qui n’est pas sans évoquer 1984 : celui qui est visible est à la merci de celui qui garde les secrets. C’est pourquoi, comme l’indique François Jost, ces personnages, qui entrent dans les pensées des autres sans subir le même traitement, rappellent le mythe de Gygès et celui d’Asmodée : tous deux ont le pouvoir d’observer, l’un par l’invisibilité que lui procure son anneau, l’autre en soulevant les toits, et tous deux représentent le maléfice induit par un tel pouvoir. Pour autant, et comme pour ces séries, la valeur maléfique est attachée entièrement à celui qui regarde sans être vu, mais jamais à l’acte même de lire la vérité. Celle-ci reste entièrement positive. C’est ce qu’exprime Cal Lightman en condamnant systématiquement le mensonge : CAL LIGHTMAN. In my experience, telling a lie can never be a good thing28. (Lie to Me, 2.21)

30 La série True Detective est pourtant moins catégorique quant à la valeur de la vérité. Plutôt que de la discuter d’un point de vue moral, elle choisit d’adopter un point de vue « extra-moral », c’est-à-dire ne tenant pas compte de sa valeur morale. D’ailleurs, le nihilisme de Rustin Cohle n’est pas sans évoquer la philosophie de Nietzsche qui affirmait dans son bien nommé « Vérité et Mensonge au sens extra-moral » :

Dans la mesure où l’individu veut se maintenir face à d’autres individus, il n’utilise l’intellect, dans un état de choses naturel, qu’à des fins de travestissement : or, étant donné que l’homme, à la fois par nécessité et par ennui, veut vivre dans une société et dans un troupeau, il a besoin d’un

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accord de paix et cherche du moins à faire disparaître de son univers le plus grossier bellum omnium contra omnes. Cet accord de paix ressemble à un premier pas dans l’acquisition de notre énigmatique instinct de vérité. Maintenant en effet se trouve fixé cela qui désormais sera de droit « la vérité », c’est-à-dire qu’on invente une désignation constamment valable et obligatoire des choses, et la législation du langage donne aussi les premières lois de la vérité : car le contraste entre vérité et mensonge se produit ici pour la première fois29.

31 Nietzsche représente ici la vérité moins comme un besoin moral que comme une nécessité sociale. C’est avec le même dédain mêlé de résignation que Rustin Cohle considère la vérité « sociale », une vérité qui est un mensonge et qui permet simplement de vivre : COHLE. This is what I mean when I’m talkin’ about time, and death, and futility. There are broader ideas at work, mainly what is owed between us as a society for our mutual illusions30. (1.3)

32 Quoique le dégoût de Rustin Cohle, comme celui de Nietzsche à d’autres occasions, soit tourné principalement vers la religion, qui lui paraît être un mensonge confortable, il observe le monde – à l’instar des autres héros présentés plus haut – comme si lui seul avait accès à la vérité ; mais, pour lui, cette vérité conduit naturellement au néant, et à la non-existence. L’un et l’autre sont d’ailleurs prétextes à de nombreux dialogues qui alimentent depuis les recueils de citations de la série, qui fleurissent sur Internet. COHLE. You gotta get together and tell yourself stories that violate every law of the universe just to get through the goddamn day? What’s that say about your reality31? (1.3) COHLE. People… I have seen the finale of thousands of lives, man. Young, old, each one so sure of their realness. […] The truth wills out, and everybody sees. Once the strings are cut, all fall down32. (1.3) COHLE. We are things that labor under the illusion of having a self; an accretion of sensory, experience and feeling, programmed with total assurance that we are each somebody, when in fact everybody is nobody33. (1.1) Pour Rustin Cohle, la vérité première nie l’humanité, laquelle elle-même n’existe que dans sa dimension sociale.

33 Le désir d’être « lus » qu’ont les spectateurs de ces séries possède d’ailleurs une dimension sociale : s’il y est question de notre rapport au privé et, comme nous l’avons montré, de notre rapport à la vérité, ce ne peut être que dans la place que nous avons et souhaitons avoir dans la société ou notre communauté. Les Sherlock sont le fantasme d’une population plongée dans l’anonymat, d’individus conscients de leur insignifiance dans un monde presque intégralement interconnecté. Ces nouvelles lois sociales, sorte de « mondialisation » de la communauté telle qu’elle est commentée par l’article d’Armand Mattelard, « Vers une globalisation ? »34, rendent difficile le positionnement des individus dans la société : c’est d’ailleurs ce mal-être de l’anonymat qui caractérise la plupart des « Watson » de ces séries avant qu’ils ne rencontrent le héros. Ils sont solitaires, parfois plongés dans une crise existentielle liée à leur éjection hors du monde qui les définissait : John Watson dans Sherlock, très conformément à l’œuvre originale, était médecin militaire en Irak avant d’être réformé pour blessure et Joan Watson dans Elementary était chirurgienne avant de provoquer par erreur la mort d’un patient. Dans une scène de l’épisode pilote de Sherlock, le frère du héros, Mycroft, montre à John Watson d’où vient réellement son intérêt pour le détective : « You’re not haunted by the war, Dr. Watson. You miss it.35 » Cela pourrait s’entendre comme

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l’attrait pur et simple de l’adrénaline, mais, un peu plus tôt, Mycroft définit très bien une opposition plus particulière entre la « guerre » et la « normalité » : MYCROFT. Most people blunder around this city and all they see are streets and shops and cars. When you walk with Sherlock Holmes you see the battlefield36. (1.1)

34 Par ailleurs, ce pouvoir qu’a Sherlock Holmes de sauver les gens du risque de la normalité ne concerne pas uniquement Watson. Si le détective porte son attention sur quelque individu que ce soit, il le sort par là même de son état de décor, de silhouette ou de personnage secondaire et lui donne l’espace d’un instant une narration propre : une caractérisation et un récit. Il les tire donc de l’anonymat pour en faire des personnages. Qu’importe d’ailleurs que l’un ou l’autre Sherlock soit lui-même rebuté par la médiocrité de ceux qui l’entourent : ils sont caractérisés de facto par son attention, quelle que soit son opinion à leur égard.

35 La vérité que découvrent ces Sherlock a pourtant des limites certaines. Pour parvenir à la caractérisation de ceux qui les entourent, par définition, ils peuvent procéder d’une part par identification (à une famille, un groupe, une communauté) et d’autre part par différenciation. En apparence, ces Sherlock donnent à ceux qu’ils observent la possibilité d’une différenciation : les personnages qu’ils lisent sont individualisés grâce à l’addition de leurs caractéristiques. Par exemple, lorsque Sherlock, dans Elementary, est à la table d’un restaurant, il confronte instantanément le prix du restaurant dans lequel il se trouve, l’usure du costume du jeune homme assis derrière lui et sa manie de mettre la main sur la pochette de sa veste – comme pour vérifier que quelque chose de précieux y est encore – et en conclut que le garçon s’apprête à demander la jeune fille en face de lui en mariage (1.4). Ces héros donnent ainsi l’illusion de comprendre l’individu dans son ensemble, et en tant qu’individu.

36 Cependant, pour lire les personnages qui les entourent, ces Sherlock utilisent en réalité des « types », et donc une identification des suspects, ou des autres personnages qu’ils lisent, à certaines catégories sociales, professionnelles ou culturelles. Le jeune homme au restaurant dans Elementary, pour reprendre cet exemple, correspond exactement au type d’une classe socio-professionnelle peu aisée (un seul costume, usé par les lavages à sec successifs), tandis que le prix exorbitant du restaurant laisse entendre qu’il s’y rend pour une occasion très particulière. Cette identification des individus à un type est particulièrement évidente dans Sherlock37, lorsque le héros innocente un homme suspecté d’un crime en expliquant tout simplement que ce n’est pas son genre : SHERLOCK. Did you see him? Morbidly obese, the undisguised halitosis of a single man living on his own, the right sleeve of an internet porn addict, the breathing pattern of an untreated heart condition. Low self-esteem, tiny IQ and a limited life expectancy and you think he’s an audacious criminal mastermind38 ? (2.1)

37 Ce discours détermine le caractère de la personne en fonction de son apparence au travers de constructions sociales pré-définies. On en retrouvera d’ailleurs la substance dans un dialogue entre Martin Hart et Rustin Cohle à propos d’une assemblée réunie autour d’un prêcheur : COHLE. What do you think the average IQ of this group is, huh? HART. Can you see Texas up there on your high horse? What do you know about these people? COHLE. Just observation and deduction. I see a propensity for obesity. Poverty. A yen for fairy tales. Folks puttin’ what few bucks they do have into a little wicker basket being passed around. I think it’s safe to say nobody here’s gonna be splitting the atom, Marty39. (1.3)

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Or, la capacité des Sherlock Holmes à passer sans transition du type à l’individu est à mettre en relation avec sa capacité métonymique de relier l’indice au sens : par le même acte de lecture, le pouvoir de ces Sherlock s’étend donc du signe à l’intime, de l’intime à une forme de vérité, et de cette vérité à l’individualité.

38 Ces personnages qui commentent, critiquent et définissent l’image, dont tout le pouvoir réside dans les yeux (et l’intellect), ont très justement leur place dans les séries télévisées, qui sont aujourd’hui le principal vecteur d’éducation du public à l’image : elles sont plus populaires que le cinéma, et comportent aussi une plus grande dimension sociale. François Jost décrivait ainsi la réalité des spectateurs de séries :

Ce mode d’appréhension de la réalité s’adresse évidemment aux « enfants de la télévision » pour qui le monde existe d’abord par la médiatisation et, particulièrement, celle de l’écran d’ordinateur. […] Dans le monde des séries, la vérité surgit toujours des images : images de l’actualité que déverse la télévision ou images indices qui confondent les coupables40.

C’est en effet par l’image et à propos d’elle que les séries – qui, à l’instar du cinéma, sont de plus en plus métafictionnelles – traitent les questions de l’intimité, de la vérité et de l’individualité qui, à l’époque des réseaux sociaux, sont des concepts en transformation.

39 À travers des personnages dont le don quasiment magique fait fi des frontières entre les unes et les autres – l’intimité devenant une fenêtre vers la vérité, la vérité une façon pour l’individu de se définir, et le tout étant découvert par la fameuse loupe de Sherlock Holmes : son intelligence –, ces séries offrent la possibilité cathartique pour les spectateurs de sortir de la pénombre, de toutes les pénombres, qu’elles soient liées à l’ignorance, au mensonge ou à l’anonymat.

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NOTES

1. « Je n’ai jamais passé plus de dix minutes dans une pièce avec un suspect sans savoir s’il était coupable ou non. » (ma traduction pour les citations) 2. Antin Fougner Rydning, « La métonymie conceptuelle », in Romansk Forum, No. 17, 2003, p. 75 [p. 71-85]. 3. « C’est incroyable cette façon que tu as de résoudre les gens, simplement en les regardant. » 4. Georg Luckács, La Théorie du roman, Bibliothèque Médiations, Paris, Denoël, 1920. 5. Lucien Goldmann, Pour une sociologie du roman, Idées, Paris, Gallimard, 1964. 6. Pierre Glaudes et Yves Reuter, Le Personnage, Que sais-je ? , Paris, PUF, 1998, p. 106. 7. http://collections.forumdesimages.fr/CogniTellUI/faces/details.xhtml?id=VDP40451, lien consulté le 10 mars 2014. 8. « Maintenant, être intello, c’est être sexy. » 9. Jusque dans les années 1970, il était question dans l’armée essentiellement de quantités d’armes, d’équilibre de forces, d’arsenaux militaires, de nombre de combattants, etc. À partir du milieu des années 1970, la fin de la guerre du Viet Nam et la dissolution progressive de la guerre froide font apparaître de nouveaux critères de puissance : les États-Unis se retirent en boitant d’une guerre qui, selon des logiques quantitatives pures, aurait dû en faire des vainqueurs et, par ailleurs, la bombe atomique a entièrement changé la donne stratégique entre les deux « grandes puissances » : à la fois unique, et totale. Elle impliquait donc des stratégies évoluées telles que celle d’une force nucléaire qui serait dite de « dissuasion », fondée sur l’idée que l’équilibre des puissances serait le meilleur vecteur de la paix. Comme l’indique justement Dominique Pignon, « brutalement, avec l’invention de la bombe A, le dispositif militaire traditionnel, issu de la révolution industrielle du XIXe siècle, voyait apparaître en son sein une arme qui, par la rupture dimensionnelle qu’elle introduisait, rendait caduques les organisations construites autour des puissances de feu –artillerie, aviation – mises en jeu par la physique classique. » Dominique Pignon, « La guerre-monde », in Communications, No. 42, 1985, p. 90 [p. 87-102]. 10. On en trouve encore l’indice dans l’article de Dominique Pignon : « La sortie hors du champ de l’échelle humaine, hors de la perception immédiate, oblige au détour de la formalisation et de la simulation. La guerre nucléaire ne s’exprime plus que dans un langage codé inaccessible au non-spécialiste. » Ibid., p. 94. 11. Michel Serres, Petite Poucette, Manifestes, Paris, Editions le Pommier, 2012, p. 28. 12. Méthode mnémotechnique consistant à associer à des lieux connus des éléments que l’on veut mémoriser. Elle est utilisée depuis l’Antiquité, d’après l’étude qu’en fait Frances Yates : voir Frances Yates, Danijel Aras et Sreten Maric, L’Art de la mémoire, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 1987. 13. « Palais de la mémoire. » 14. « Je sais où j’étais quand je l’ai entendue. » 15. À l’exemple de l’arrêt du 10 avril 2013 de la Cour de Cassation : http:// www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/344_10_26000.html, lien consulté le 15 mars 2014.

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16. « A person’s conception of himself or herself can be distinguished by two categories: the ‘‘now self,’’ an identity established to others, and the ‘‘possible self,’’ an identity unknown to others. […] Unlike anonymous online environments, nonymous settings place more constraints on the freedom of identity claims. However, they provide an ideal environment for the expression of the ‘‘hoped-for possible self,’’ a subgroup of the possible-self. This state emphasizes realistic socially desirable identities an individual would like to establish given the right circumstances. » (« La conception qu’une personne a d’elle-même peut être divisée en deux catégories : le « moi actuel », une identité fondée aux yeux des autres, et le « moi possible », une identité inconnue des autres. […] Contrairement aux sphères anonymes d’Internet, les paramètres nonymes imposent plus de contraintes sur les prétentions à la liberté d’identité. Cependant, ils assurent un environnement propice à l’expression du « moi possible espéré », une sous-catégorie du moi-possible. Cet état met l’accent sur les identités réalistes et socialement souhaitables qu’un individu voudrait établir dans les bonnes circonstances. ») Soraya Mehdizadeh, « Self-Presentation 2.0: Narcissism and Self-Esteem on Facebook », Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, Vol. 13, No. 4, 2010, p. 358 [p. 357-364]. Or, parce que l’internaute a une maîtrise apparente de ce qu’il laisse voir aux autres, il est en même temps grisé par l’assurance d’une attention constante et ce qu’elle apporte à son estime personnelle, comme l’indique d’ailleurs cet article sur le narcissisme et l’estime de soi sur Facebook. 17. « Vous me répugnez. » 18. Les articles sur l’affaire Snowden par exemple se sont multipliés, à tel point que Wikipédia propose dans ses sources près de 500 articles de la presse mondiale sur le sujet. Des pétitions ont été créées dans plusieurs pays – dont la France – pour demander au gouvernement d’offrir l’asile politique au célèbre informaticien. 19. « Grand frère te regarde », selon l’expression consacrée par le 1984 de George Orwell. 20. « Grand frère ne te regarde pas. » 21. « Personne ne peut être intelligent à ce point. » 22. « Plus de secrets. » 23. « Tout le monde ment. » 24. « Mens-moi. » 25. François Jost, De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? , Paris, CNRS Éditions, 2011, p. 47-49. 26. « Qu’êtes-vous : une idiote, une ivrogne ou une criminelle ?! » 27. Jost, p. 62. 28. « D’après mon expérience, mentir n’est jamais une bonne chose. » 29. Friedrich Nietzsche, « Introduction théorétique sur la vérité et le mensonge au sens extra- moral », in Le Livre du philosophe, Paris, Aubier-Flammarion, Flammarion Bilingue, 1969, p. 2. 30. « C’est ce que je veux dire quand je parle du temps, de la mort, de futilité. Ça met en œuvre des idées plus larges, principalement ce qui est dû entre nous, en tant que société, pour préserver nos illusions respectives. » 31. « Vous devez vous rassembler, et vous raconter des histoires qui violent toutes les lois de l’univers, juste pour survivre un jour de plus ? Qu’est-ce que ça dit sur votre réalité ? » 32. « Les gens… J’ai vu le dernier souffle de milliers de vies, mec. Des jeunes, des vieux, chacun si sûr d’être réel. […] La vérité finit par se savoir, et tout le monde l’a sous les yeux : une fois qu’on coupe les fils, tout s’effondre. » 33. « Nous sommes des choses qui nourrissent l’illusion que nous avons un « soi » ; nous sommes un amalgame de sens, d’expérience et de sentiments, programmés pour avoir la certitude absolue que chacun de nous est quelqu’un, alors qu’en réalité tout le monde n’est personne. » 34. Armand Mattelard, « Vers une globalisation », in Réseaux, Vol. 18, No. 100, 2000, p. 81- 105. 35. « Vous n’êtes pas hanté par la guerre, Dr. Watson. Elle vous manque. »

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36. « La plupart des gens errent dans cette ville et tout ce qu’ils voient, ce sont des rues, des boutiques et des voitures. Quand on marche avec Sherlock Holmes, on voit le champ de bataille. » 37. Pour plus de détails sur l’utilisation qui est faite des types dans Sherlock, et sur les limites de cette démarche, consulter l’essai d’Anne Kustritz et de Mélanie E.S. Kohnen, « Decoding the Industrial and Digital City: Visions of Security in Holmes’ and Sherlock’s London », in Sherlock and Transmedia Fandom: Essays on the BBC Series, Jefferson, MacFarland, 2012, p. 85-102. 38. « Est-ce que vous l’avez regardé ? Obésité morbide, mauvaise haleine de célibataire vivant seul, manche droite typique d’un accro au porno sur Internet, respiration d’une personne atteinte d’une maladie cardiaque non traitée, peu d’amour-propre, QI médiocre et espérance de vie limitée ; et vous pensez que c’est un audacieux génie du crime ? » 39. COHLE. Tu penses que le Q.I. de ce groupe est de combien ? HART. Tu peux voir le Texas, de là-haut, monté sur ton grand cheval ? Qu’est-ce que tu sais de ces gens ? COHLE. Observation et déduction, c’est tout. Je vois une propension à l’obésité. De la pauvreté. Une envie de conte de fées. Des gens mettant le peu d’argent qu’ils ont dans un petit panier en osier qu’ils se font passer. Je pense qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que personne ici ne va diviser l’atome, Marty. 40. Jost, p. 15-16.

RÉSUMÉS

Les années 2000 ont vu apparaître cinq séries au concept très similaire : Sherlock, Elementary, House M.D., Lie to Me et The Mentalist. Chacune d’elles présente un personnage principal dont le pouvoir quasi-surnaturel consiste à lire les émotions, les mensonges et les caractéristiques de tous d’un simple regard. Plus précisément, chacune d’elles offre à son public une adaptation plus ou moins libre du célèbre personnage d’Arthur Conan Doyle : Sherlock Holmes. Plus tard, la série True Detective donnera à voir, à partir d’un concept différent, un personnage tout aussi perspicace et presque aussi surnaturel. Il s’agit ici de comprendre la variété et l’unité de ces adaptations, et d’analyser pourquoi l’archétype de ce détective envahit aujourd’hui nos écrans de télévision. Car s’il est transposé d’un univers de la fin du XIXe siècle à nos jours, c’est qu’il véhicule une idéologie – un rapport à l’intelligence, à l’intime et à la vérité – résolument moderne. Ces séries seront ainsi considérées en tant que symptôme des errances et mœurs de la génération 2.0, dont Internet et les réseaux sociaux en particulier ont transformé et transforment encore les valeurs, notamment celle du « secret », ce à quoi s’était déjà intéressé François Jost dans son essai sur « De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? ».

The 2000s saw the emergence of five TV shows with very similar concepts: Sherlock, Elementary, House, Lie to Me, and The Mentalist. Each of these portray a principal character with a quasi- supernatural power to read others’ emotions, lies, and personalities with a single glance. More precisely, each show presents its public with a more or less free adaptation of Arthur Conan Doyle’s famous character: Sherlock Holmes. Later, though founded on a different concept, the show True Detective would portray another character just as perceptive and almost as supernatural. Here, we aim to understand the variety and unity of these adaptations and to analyze why the of this particular detective has invaded our television screens today. If he has been transported from a universe of the end of the nineteenth century to today, it is

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because he carries a resolutely modern ideology — a relation to intelligence, to the intimate, and to truth. These shows will thus be considered as symptoms of wanderings and habits of generation 2.0, for whom the internet and social networks in particular have transformed and still transform values, especially that of the “secret”, a topic that François Jost has already addressed in his essay « De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? [Of what are American TV Shows Symptomatic?] ».

INDEX

Keywords : Sherlock, Elementary, True Detective, archetype, adaptation, detective story, secrecy Mots-clés : Sherlock, Elementary, True Detective, archétype, adaptation, enquête policière, secret

AUTEUR

MARIE MAILLOS Marie Maillos est actuellement doctorante contractuelle au Laboratoire d’Analyse et de Recherche en Audiovisuel (LARA) à l’université de Toulouse. Ses recherches portent sur les showrunners et leurs personnages de séries télévisées. Elle a auparavant étudié l’écriture de scénario à New York (School of Visual Arts – SVA) et en France (École Supérieure d’Audio-Visuel – ESAV).

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Quatermass and the Pit: from British SF TV serial to Gothic Hammer film

Gaïd Girard

1. From series to film: a few elements of context

1 The Quatermass TV serials are a monument in the history of post-war British television. The three hugely popular serials – The Quatermass Experiment (1953), Quatermass II (1957), Quatermass and the Pit (1958-9) – were all written by Nigel Kneale and broadcast by the BBC between 1953 and 1959. They were transmitted live and did not resemble anything that had been done before; they gripped the entire nation – including the Queen1, combining for the first time science fiction and horror in sophisticated plots aimed at adults. In the early fifties, TV was basically “radio with pictures” according to Nigel Kneale. When the shooting of the first serial began, The BBC production team were unable to devise a credible man/; in order to signify astronaut Carroon’s mutation, Kneale had to fabricate and operate huge fungus-like puppet hands which he filmed at close range. Working with director Rudolph Cartier, and using electronic music for the first time in this type of production, Kneale invented a truly “televisual” style2.

2 The first two Quatermass stories were quickly adapted to the big screen by Hammer films (Val Guest, 1955-1957) whereas Quatermass and the Pit, a colour film directed by Roy Ward Baker, was released later in 1967. The original titles were retained in Britain, except for the first one, which was slightly altered to The Quatermass Xperiment, in order to cash in on the supposedly alluring power of the newly categorized Xrated films. But contrary to British television, Hammer films which included American financing from the start also targeted the American market3. Yet, Hammer productions always retained a specifically British flavour, not only because plots were set in Britain but also because the filming was done on location, in British country houses, landscapes, and small villages rather than in studios4. The Hammer style was distinctly different from that of Corman in the US or Bava in Italy, who also specialized in the horror genre.

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3 The Quatermass films were huge hits on both sides of the Atlantic. In fact, it was the success of the first one, The Quatermass Experiment, that made Hammer shift its production to concentrate on the horror genre, so successful in the following years; films like The Curse of Frankenstein (1957), Dracula (1958), The Mummy (1959) developed a highly sensational and intense – some would say rather crude – visual style, foregrounding graphic violence and sexual titillation. This was also a response to the increased popularity of television, made more powerful by the arrival in 1955 of ATV, a new British commercial channel. Cinema audiences were starting to dwindle and Hammer films, which had always used stories adapted from the radio or from television, kept a close eye on what could draw spectators to see their films.

4 All these parameters should be kept in mind when working on the film adaptations of the Quatermass stories. Moreover, the proximity between TV and the cinema worked both ways: while Hammer adapted well-known TV serials to the big screen, the TV producer and director of the Quatermass serials, Rudolph Cartier, claimed that his aim was to “bring cinema effects to TV studios5”, using for example inserted film sequences in his live studio recordings. Cartier, born in Austria, was a pupil of Max Reinhardt in Vienna. He originally worked as a scriptwriter and director in Berlin for the UFA studios, before fleeing nazism in 1935, following Billy Wilder to America; he finally settled in Great Britain. The lighting and some of the close range shots on the mutating astronaut’s face in The Quatermass Experiment, the crowd scenes in Quatermass II, the mass killings in Quatermass and the Pit all bear obvious traces of Cartier’s Austrian/ German period, blended with American know-how. With the Quatermass stories, both the BBC and Hammer productions broke aesthetic and visual ground in popular media6.

2. Recycling a British background

5 Quatermass and the Pit, the third and most acclaimed production of the Quatermass serials is the only one for which Nigel Kneale wrote the scripts both of the TV serial and the film. In an interview with Paul Wells, Kneale explains that when he started working on science-fiction stories, he wanted to do something different from the usual simplistic American science fiction movies, and that he aimed at “something British but not flag-waving, something with real human interest and some good humour7.” He also declared that he preferred the TV serial to the filmic version of his story, which “suffered from shrinkage” and never allowed room for , to ease off the melodrama. “Film story telling is cruder,” he bluntly concludes8. Obviously, six 35- minute-long TV episodes can say more than a 93-minute-long film. But besides the issue of time and length, one of the distinctive features of the TV serials which is not to be found in the film lies in the way this obviously highly fictional story of ancient beings coming from outer space and having caused the human race to mutate is deeply anchored in British social reality.

6 An outline of the story has to be given here before going any further. As in all the other Quatermass stories, the main character Bernard Quatermass, the head of the British Experimental Rocket Group, has to wrestle with an alien threat from outer space. In Quatermass and the Pit, the danger seems to have been lying in wait for over five million years in the form of a strange capsule unearthed by construction workers in the heart of London. Primitive humanoid skulls lying about and dead horned insects found in the capsule point to the mind-boggling hypothesis offered by Quatermass and the

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paleontologist, Roney: five millions years ago, Martians decided to colonize the earth by proxy since life on their planet was doomed. They imported terrestrial apes and through something akin to selected breeding and atomic surgery, they implanted in them higher intelligence and new faculties, together with memories of life on Mars, before bringing them back to earth.

7 The capsule found in the excavation must have been an accident in which all creatures died, Martian insects and Earth apes alike. Other spaceships must have fulfilled their mission to allow the implantation of Martian genes in humankind, thus enabling its progression, in the manner of the black monolith in Kubrick's 20019. As TV Quatermass claims: “We are the Martians now”; indeed, most of them are just that — mutated human beings complete with dormant archaic memories of elimination and the mass slaughter of deviant individuals. As the energy of the capsule is liberated, some humans standing near it begin to experience headaches and visions of insect mass killings which send them reeling and screaming away; those images look like ancient cave drawings, descriptions of ghost sightings and uncanny phenomena in the area dating back to the 17th century, thus bridging alien insect-like creatures with the dawn of humanity.

8 In a climatic final scene, the capsule fed by a TV power line glows white and sends the entire London population on a rampage; any human being immune to the mutation that took place five million years before is ruthlessly killed. Roney, one of the few immune people, who succeeds in escaping the murderous crowd hurls iron into the mass of energy emanating from the capsule and ultimately destroys it, sacrificing his life in the process. Londoners, and eventually the human race, are saved.

9 As was said, Nigel Kneale preferred the time and space given by the TV serial format, which gives full scope to his view that a kind of balance between melodrama and humour should be kept10. Indeed, the TV episodes are interspersed with funny and typically British scenes linked with beer and whisky in the pub, tea (stretching as far as reading tea leaves) in sitting room, and leisure (the audience is treated to a narrative of a fantastic trout fishing party). They also draw on British reality and a tradition of realistic British documentary on TV: the first episode mentions race riots, recalling for contemporary audiences the Notting Hill race riots of 1958, while a black construction worker is shown on screen together with other middle-aged workers. This does not appear in the film.

10 Yet, the film retains from the TV serial several socially and politically related issues: an obvious reference to images of the London Blitz, only a few years back and still vivid in the memory of British people; a pointed criticism of narrow minded and dangerous army bureaucrats11; a sexist attitude towards Roney’s assistant Barbara Judd; last but not least, a surprisingly lucid awareness of media matters, and the role of television in particular. Indeed, in both the TV serial and the film, a TV news bulletin broadcast live from the pit is interrupted before the very eyes of pub customers who complain about missing their next program. A cut back to the pit shows a scene of pandemonium where camera and reporters are trampled over by a panic-stricken crowd. Disaster makes reporting impossible, and television is outdone by the magnitude of the . Reality becomes too excessive for static TV to represent it adequately. Yet, the end of the serial reinstates the BBC as the privileged medium to analyse and make sense of the world and human nature. Contrarily, the film offers a very different conclusion by showing a last image of utter disaster in deserted London.

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3. Two endings / two widely different cultural agendas

11 In the serial ending, the destruction of the capsule is represented with much economy and virtually no special effects. A white screen with appropriate soundtrack signifies the destruction of the pulsating source of energy and the disappearance of Roney. When the smoke clears, only white rubble is left scattered at the bottom of the excavation. In the epilogue, Quatermass, filmed by the BBC, surrounded by all the representatives of society, including a priest, delivers the moral of the story and transforms Roney into a hero who singlehandedly defeated the not-so-alien force and sacrificed himself for humanity. The menace of our own impulse for destruction is channelled back into language in the form of a lucid, rational conclusion, appealing to human reason, with a whiff of the allegorical12. Thus the BBC recovers its function as the recording instrument of social normality and order; Quatermass’ concluding speech partakes more of Shakespeare’s epilogues than of cinematographic last shots. This ending can be seen as a hymn to the role of the BBC, with the last shot pointedly showing the studio sign “SOUND ON/VISION ON”.

12 Drawing on much more extensive technical means, the ending of the Hammer film is obviously more spectacular, but also deeply different in spirit and aesthetics. The shot of the energy-laden horned devil rising hugely against the London sky cannot help triggering memories of white atomic clouds and post-world-war-II angst. It is all the more efficient as its appearance has been built throughout the film on the dialectics between underground forces of the past and cosmic threats of elimination, in keeping with Gothic vertical aesthetics. Contrary to the TV serial where the excavation was carried out at ground level and the artefact was found lying horizontally, the film locates the capsule deep in the London underground, at Hobb’s Lane tube station. This shift creates a totally different sense of space, including numerous high- and low-angle shots taken in the pit and many darkened shots typical of Gothic aesthetics. The depth of the drilling allows very slimy earth to be shovelled out in order to unearth the space ship. The sheer primitive physicality of the location is made much more impressive and paves the way for the horrifying bodies of the insects, which putrefy under our gaze the minute they are exposed to open air, in true Lovecraftian manner. Baker makes extensive use of colour here: greenish fluid oozes out of the Martians’ bodies, turning everybody's stomach inside out (see plate 1). The TV insects looked much more civilized (see plate 2).

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Plate 1: Green gore in the film version

Plate 2: BBC version of the Martians

4. Threatened British masculinity

13 From the film’s womb-like slimy pit, unleashed telluric forces are redirected upwards into a highly phallic and cinematic idol-like shape shimmering in the sky (see plate 3). This effigy which holds nearly the entire population in a zombie-like murderous trance (Romero’s living dead are only a year away) is ultimately attacked by another thrusting tower of strength, a metallic crane ridden by heroic Roney. An epic confrontation takes place between two male fighting for the control of London/the earth and the

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Human Mind. This highly sexualized scene – a hallmark of the Hammer manner – points to a hysterical response to threatened British masculinity.

Plate 3: Unleashed telluric forces in the film version

14 Indeed, more obviously in the film than in the TV serial, Barbara Judd, Roney’s assistant is an unstable construction: her brain is more susceptible than her male counterparts’ to the influence of the forces emanating from the capsule, and she is the medium through which Quatermass understands the pattern of ritual slaughter which has been planted in most human brains for five million years13. She is also an efficient and smart assistant, and the sexual focus of the whole film, reminiscent of James Bond girls. But, in the last scene, she errs zombie-like in the street before Quatermass socks her, knocks her out and slings her over his shoulder, in cliché barbaric fashion – a rather extreme gesture which nevertheless seemed necessary for the rounding up of the narrative and the final victory of civilization.

15 Physical mistreatment of women is frequent in the Hammer horror tradition and is also a staple of the Gothic genre. Hammer's sensational treatment of the Quatermass and the Pit story develops in a rather frenetic style what was already graphically present in the TV serial, i.e. issues of uncertain masculinity. But whereas the serial reinstates male control and order, turning a science fiction drama into a post-war meditation on human nature, the film, shot nearly ten years later in 1967, leaves gender issues stridently open. Gothic horror has always been a means of addressing unresolved social and political contradictions and Hammer's Quatermass and the Pit is no exception.

16 Not only does it graphically echo through the white hot silhouette towering over London but it also ends on a dire vision of defeated British manhood, represented by a limp, slumping Quatermass, and pointing to the insignificance of a nation squeezed between two cold war giants, especially after the Suez crisis (1956). The credits roll on two broken characters, a man and a woman isolated in depressed post-war London where only the siren of a firemen’s engine can be heard in the distance. The ultimately philosophical BBC serial has given birth to a gothic disaster film; the issue of post-holocaust humanity and the strictly gendered fabric of society lie at the core of both narratives by pessimist Nigel Kneale. Paradoxically, Barker’s wasteland leaves room for a totally new London to emerge, such as in Antonioni’s Blow Up (1966) or Nicholas Roeg’s Performance (1970) where new media and altogether another Britain will be given pride of place.

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WRIGHT Will, “The Face of Quatermass: National Identity in British Science-Fiction”, Offscreen, 2008, Vol. 12, No.10, http://www.screenonline.org.uk/people/id/1181098/, last consulted on December 7th, 2014.

NOTES

1. Cf. “The Kneale tapes” in the BBC DVD bonus: when Nigel Kneale aired an adaptation of Orwell’s 1984 after the first Quatermass serial, sections of the audience were shocked at the violence shown on TV. Questions were asked in Parliament, but it turned out that Buckingham Palace liked the programme and the outcry died off. 2. Ibid.: see “The Kneale tapes” and “Conversation between Nigel Kneale and Rudy Cartier”. 3. The Quatermass films were retitled for the American market since the name Quatermass did not have the appeal it had for British audiences; respectively The Creeping Unknown (1955), Enemy from Space (1957), Five Millions years to Earth (1967). 4. Will Wright, “The Face of Quatermass: National Identity in British Science-Fiction”, in Offscreen, 2008, Vol. 12, No. 10, http://offscreen.com/view/face_of_quatermass, last consulted on December 7th, 2014. 5. Cf. Nigel Kneale in the BBC DVD bonus: “Rudy put a lot on the small screen. He burst it open. That really did break the bounds of Mrs Smith drawing room”. 6. Cf. BBC Screenonline: “Cartier exploded the that television was by its nature small-scale, having to aspire to the ‘intimate’. He excelled in staging wide-ranging stories, large vistas, and crowd scenes in the studio, spectacles hitherto believed inimical to television. To do this he often inserted extensive pre-filmed sequences into his live productions. While other directors used such inserts as little more than filler material or for scene setting, in Cartier’s hands they brought the story to life, allowing it to expand beyond the cramped studio. (…) This highly visual aspect of his work has led some to call Cartier’s style ‘cinematic.’ However, his large-scale images were not big pictures as for a big screen, but images that challenged the confines of the domestic screen. As such, his work is essentially ‘televisual.’ http://www.screenonline.org.uk/people/id/1181098/, last consulted on December 7th, 2014. 7. “I wanted to write some strong characters, but did not want them to be like those horrible people in those awful American science fiction films, chewing gum and stating the obvious. Not that I wanted to do something terribly British, but I really didn’t like all the flag waving you got in those films. I tried to get real human interest in the stories, and some good humour.”, in Paul Wells, “Apocalypse then! The ultimate monstrosity and strange things on the coast… An

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interview with Nigel Kneale”, in I.Q. Hunter (ed.), British Science Fiction Cinema, London and New York, Routledge, 1999, p. 50. 8. Ibid., p. 54. 9. 2001 A Space Odyssey was released in 1968. 10. Cf. Paul Wells, op. cit., p. 54. 11. Kubrick’s Dr Strangelove was released in 1964. 12. Here is the end of Quatermass’ speech: “We are armed with knowledge. We also have knowledge of ourselves and of the ancient destructive urges in us that grow more deadly as our populations increase and approach the size and complexity of those of ancient Mars. Every war, crisis, witch-hunt, race riot, purge, is a reminder and a warning. We are the Martians. If we cannot control the inheritance within us, this will be their second dead planet.” 13. Roney has devised a machine which records the brain waves of individuals and projects them on a screen for the others to see.

ABSTRACTS

This brief article aims at showing the shift of ideological and aesthetic perspective underlying the transposition of the 1950s Quatermass British TV serials to the later Hammer film version of the original BBC program. While the science fiction TV Quatermass reads as an obvious declaration of philosophical faith in the restoration of social normality and order in spite of alien threats from outer space, the Hammer films tend to enhance a more Gothic approach of a disaster film where uncertainties of all kinds eventually prevails. Post-WWII convictions and Cold War tensions either support or undermine the evolution of the plotline and its subterranean vision of the world as we pass from tv serials to films.

Cet article tente de montrer le glissement de perspective idéologique et esthétique qui sous-tend la transposition des feuilletons britanniques des années cinquante de Quatermass à la version Hammer Films plus tardive de l’émission originale de la BBC. Tandis que la science-fiction de Quatermass se lit comme une déclaration évidente d’une foi philosophique dans le rétablissement de la normalité et de l’ordre sociaux malgré les menaces d’extraterrestres, les Hammer films ont tendance à privilégier une approche plus gothique d’un film de désastre où des incertitudes de toutes sortes prévalent. Les convictions d’après-guerre et les tensions de la Guerre Froide soit soutiennent, soit ébranlent l’évolution du récit et sa vision souterraine du monde en passant des feuilletons aux films.

INDEX

Keywords: Quatermass, transposition, science fiction, , historical context Mots-clés: Quatermass, transposition, science-fiction, fiction gothique, contexte historique

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AUTHOR

GAÏD GIRARD Gaïd Girard is a full professor at the UBO (University of Western Britanny). Her areas of interest include the Gothic and the Fantastic, especially in Irish Literature and the Visual Arts (she published a book on Irish author Sheridan Le Fanu and edited another one on the Uncanny in Irish Literature). She has recently co-edited an on-line journal issue about Ireland and photography. (Lisa Vol. 12, No. 3 | 2014, Freeze-Frame: Photography, Icons and Literature in Ireland / Arrêt sur Image : Photographie, icônes et littérature en Irlande http://lisa.revues.org/5876). She has also written extensively on cinema (Kubrick, Roeg, Epstein, Marker and SF in general). She is currently working on representations of the Posthuman within the research group she heads in Brest, Heritages and Constructions in Texts and Images (http://www.univ-brest.fr/hcti).

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Comptes-rendus

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Jonathan Bignell’s conference: “Adventures between TV and film, and between Britain and America” (Journée thématique GUEST-Normandie Séries/cinéma, Novembre 21st, 2014, Caen)

Shannon Wells-Lassagne

1 Jonathan Bignell’s keynote address broached the central topic of the relationship between film and television by focusing on the link between Ian Fleming’s iconic character James Bond and the adventure series of the 1960s. As his talk made perfectly clear, the topic is a very rich one, as it reveals largely unknown affiliations both between television and film and between British and American productions.

2 To a large extent, the overlap was due to practical circumstances. Though Ian Fleming’s character has come to represent the height of Britishness, and at the time participated in the “cool Britannia” concept so popular in the 1960s, it turns out that transatlantic concerns have always had an important role in bringing Bond to the screen. In fact, his first screen appearance was not in film, but in a live TV broadcast in the US, where “Jimmy Bond” faced off against Peter Lorre playing “Le Chiffre”; the first film adaptation of the Bond novels, Dr. No, was originally developed as a treatment (and a pilot episode) for a new television series, called James Gunn – Secret Agent, where the title character was in fact an American; and before Daniel Craig and Martin Campbell finally brought the first Bond novel to the screen, the premise of Casino Royale was adapted for American television as The Man from UNCLE. Though today we may see Bond as a British film icon, his associations with television and with the US are undeniable.

3 Likewise, if we look at some of the British spy series that were so popular in the 1960s (The Prisoner, The Persuaders, The Saint, The Champions, Danger Man), we can notice a similar transatlantic bent. These series were all filmed largely in Pinewood and Elstree studios, in many cases sharing studio space with the Bond films and their like, and sought to emulate Bond by creating an international feel in their cosmopolitan plotlines – but this transnational sentiment extended also to production, where series

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were filmed rather than performed live so as to be able to export the series to the American market, and made use of Americans fleeing McCarthyism or the Vietnam War both in front of the camera and behind it. Indeed, series like The Saint, which was originally conceived by the head of the production company as a means of interesting an American audience in a British fiction, was filmed in color exclusively for American use, as Britain would not use color television until 1967.

4 Diegetically, these series had a distinctive spatial aesthetic, using outdoor local shooting (still a relative novelty at this time), and lots of stock footage of foreign locales. Place and movement between those places is a real attraction, creating a sort of transnational , and focusing on “international non-places” like international hotels, highways, etc., where different cultures meet. From this perspective, Bignell suggests, these series were anticipating what we today refer to as media convergence, both in their close association with film sets and audiences as well as with film plots – international adventurers/spies who travel across space, police and manage space. As the 60s continued, television became increasingly similar to film, using more expensive locales (capital cities, Monte Carlo) and casting film stars (such as Tony Curtis in The Persuaders) with an increased emphasis on an international cast (as can be seen in the interaction between Roger Moore’s Brit and Tony Curtis’s Yank in that same series). The Prisoner seems particularly relevant here, as its outdoor filming in Portmeirion, with its medley of Mediterranean aesthetics seemed characteristic of the assortment of international locations typical of the spy fiction, while its interiors made use of the high-tech aesthetic recurrent in Bond films. As such, these spy series demonstrate a mixture of national specificity and internationalism, and of the profound interactions between television and film.

INDEX

Keywords: James Bond, cinema, television, adaptation, Great Britain, United States (the) Mots-clés: James Bond, cinéma, télévision, adaptation, Grande-Bretagne, États-Unis

AUTHOR

SHANNON WELLS-LASSAGNE Shannon Wells-Lassagne is an associate professor (maître de conférences) at the Université de Bretagne Sud in Lorient, France. She works primarily on the relationship between literature and film and television. She is the co-author (with Laurent Mellet) of Étudier l’adaptation filmique: cinéma anglais, cinéma américain (Presses Universitaires de Rennes, 2010), and the co-editor (with Ariane Hudelet) of Screening Text: Critical Perspectives on Film Adaptation (McFarland, 2013), De la page blanche aux salles obscures: l’adaptation filmique dans le monde anglophone (Presses Universitaires de Rennes, 2011), and (with Delphine Letort) of L’Adaptation cinématographique: premières pages, premiers plans (Mare et Martin, 2014). She has also edited special issues of Interfaces (“Expanding Adaptations”, No. 34, with Ariane Hudelet) and GRAAT Online (“Television and Narratology: New

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Avenues in Storytelling”, No. 15, with Georges-Claude Guilbert). Her work has appeared in The Journal of Adaptation in Film and Performance, Critical Studies in Television, Études britanniques contemporaines, Irish Studies Review, The Journal of the Short Story in English, Cinémaction, and Études irlandaises.

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Tara BENNETT (ed.), Showrunners: The Art of Running a TV Show Londres, Titan Books, 2014 (240 p.)

Florent Favard

RÉFÉRENCE

Tara Bennett (ed.), Showrunners: The Art of Running a TV Show, Londres, Titan Books, 2014 (240 p.)

1 Conçu comme un companion book du documentaire Showrunners (Des Doyle, 2014), Showrunners: The Art of Running a TV show est dirigé par Tara Bennett, spécialiste de ce type de publication pour les séries et le cinéma : elle est notamment l’auteur (ou co- auteur), entre autres, du September’s Notebook (Titan Books, 2013) qui accompagne la série Fringe (Fox, 2008-2013), et de la Lost Encyclopedia (Brady Games, 2010).

2 Showrunners se veut le prolongement du film documentaire de Des Doyle, rassemblant des entretiens, voire des participants, qui ne figurent pas dans les 90 minutes du long- métrage (p. 13). Le but est le même : dévoiler l’envers du décor d’une profession encore mal connue et pourtant très médiatisée aujourd’hui, celle des executive producers responsables de l’équipe de scénaristes – la writing room – d’une série télévisée.

3 On y retrouve les grands noms de la télévision américaine, de Damon Lindelof à Joss Whedon en passant par Jane Espenson (Once Upon a Time, ABC, 2011- ), mais aussi Janet Tamaro (Rizzoli and Isles, TNT, 2010- ), Andrew Marlowe (Castle, ABC, 2009- ) ou Dee Johnson (Nashville, ABC, 2012- ). Divisé en six chapitres, l’ouvrage s’articule de façon thématique et Bennett se limite à l’introduction des rubriques en présentant le contexte à grands traits. Place est faite aux entretiens et aux citations croisées sur des domaines variés : les voix de différents showrunners s’enchaînent sur des sujets tels que l’écriture d’un épisode pilote, la différence entre broadcast (networks accessibles gratuitement) et cable, ou encore le rapport à la célébrité ; on croirait lire une discussion riche et animée qui cherche à faire le tour de la question avec beaucoup de

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sincérité et qui mobilise de nombreuses anecdotes. Cette plongée sans concessions dans l’univers des showrunners est l’objectif visé – et atteint – dans cet ouvrage compilé par Bennett.

4 Son premier chapitre s’intéresse au début de carrière des showrunners et, plutôt que de dresser un parcours-type, il valorise les expériences variées des participants, en mettant tout de même l’accent sur la hiérarchie très stricte de la writing room, les exigences des studios et de la chaîne ainsi que sur les éventuels conflits qu’un showrunner doit arbitrer. Le chapitre 3 poursuit cette réflexion sur les débuts de carrière : l’importance des spec scripts est mise en exergue comme un moyen efficace de faire connaître son style à une équipe en place, en écrivant un script non-sollicité. Là aussi, les parcours sont variés, de l’écrivain dans l’âme qu’était Ronald D. Moore (Battlestar Galactica, Sci-Fi, 2004-2009) aux brusques changements de carrière tels celui de la journaliste Janet Tamaro, ou de l’avocat David Shore (House, Fox, 2004-2012). La question des minorités encore trop peu représentées dans la profession est abordée via les propos de Dee Johnson, Janet Tamaro et Ali LeRoi (Everybody Hates Chris, UPN>The CW, 2005-2009), dans une rubrique dédiée d’une dizaine de pages qui ne fait guère le tour de ce vaste problème. Le chapitre 5 conclut en évoquant les difficultés inhérentes à la fonction de showrunner et, notamment, le moment où il faut décider de l’annulation d’une série.

5 Au-delà de la profession elle-même, l’ouvrage de Bennett dévoile les ficelles du travail d’écriture et permet de mieux connaître la perspective de celles et ceux qui conçoivent les récits sur des questions déjà étudiées par les universitaires mais surtout du point de vue du texte ou de la réception : les chapitres 2 et 4 abordent la différence entre les séries « serialized » (feuilletonnantes) et procédurales, la composition et la répartition du travail dans une équipe de scénaristes, les variations de l’écriture du câble aux grands networks, chacun ayant ses avantages et inconvénients. C’est l’occasion d’avoir un autre aperçu, pratique, empirique, qui tantôt valide les interprétations théoriques, tantôt les défie ou les enrichit : la distinction cruciale entre les moves (les retournements de situation) et les « moments » faite par Joss Whedon (p. 99), la difficulté de trouver un clue path original pour un épisode de série procédurale (p. 77) ou encore le risque perpétuel de « run out of story », de perdre l’inspiration (p. 83). Le chapitre 6 ajoute à ces considérations l’exploration rapide de phénomènes récents : la prise en compte des retours des fans, les interactions sur les réseaux sociaux, ou l’importance croissante des webséries, par exemple.

6 Malgré ses 240 pages, l’ouvrage est encore trop court pour venir à bout de toutes les problématiques abordées, qui mériteraient chacune un livre entier. En attendant l’émergence de « showrunner studies », Showrunners: The Art of Running a TV Show reste un ouvrage essentiel pour qui s’intéresse aux séries télévisées du point de vue des études du récit, des fan studies et des media studies : il offre sur le travail de showrunner un aperçu encore trop rare aujourd’hui, et dresse le portrait d’une profession complexe en pleine mutation.

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INDEX

Mots-clés : documentaire, entretien, showrunner, écriture sérielle, études de la culture fan, études des média Keywords : documentary, interview, showrunner, serial writing, fan studies, media studies

AUTEURS

FLORENT FAVARD Florent Favard termine actuellement son doctorat en études cinématographiques à l’université Bordeaux Montaigne sous la direction de Pierre Beylot. Il travaille sur l’unité narrative des séries télévisées de science-fiction contemporaines, abordant les notions de clôture narrative, de canonicité, la réception du récit ou encore la configuration des mondes fictionnels. Il s’intéresse plus largement aux évolutions contemporaines du récit sous toutes ses formes et aux genres de l’imaginaire.

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