FOOTBALL BUSINESS

Olivier Orban DU MÊME AUTEUR

Salaire, Travail et Emploi dans le football professionnel français, éditions du Centre de droit et d'économie du sport de Limoges et de la Fédération française de football, 1983.

Ouvrage publié sous la direction de Marie-Hélène Orban

0 Olivier Orban, 1986 ISBN. 2.85565.311.8 A ma mère A mon père

AVANT-PROPOS

Le football, superproduction du sport-spectacle, n'a interpellé jusqu'à présent, que le journaliste pour le récit et le commentaire des matchs, et le biographe pour la légende des divas. Or, si la technique de Platini ou les finesses stratégiques de l'équipe de ne sont un secret pour personne, que sait-on en revanche des « affaires » de Platini ? De sa fortune, de son empire commercial, des coulisses de sa vie de star ? Est-il indécent d'écrire que Platini gagne 400 fois le SMIC ? Que le transfert de Maradona à représente le salaire annuel de 4 000 ouvriers napolitains ? Y a-t-il incompatibilité entre le génie des arabesques platiniennes et le compte en banque du « numéro 10 » ? Dénigre-t-on un prix Nobel parce qu'il est milliardaire ? Lorsque Tigana accélère pour « griller » les défenses ennemies, lorsque Giresse pivote pour lâcher ses gardes du corps, lorsque Rocheteau crochète ses adversaires, ils pensent à tout sauf à leurs fins de mois. D'autres s'en chargent. Identifier les capitaines d'industrie qui chaussent les crampons pour le meilleur et sans le pire, (Tapie, La- gardère, Berlusconi, Agnelli), révéler les liaisons secrètes entre les princes sponsors et les hommes clés du football, éclairer les relations ambiguës entre les médias, la publicité et le ballon rond, est-ce se mettre hors-jeu ? Faut-il rejeter le football au ban de l'humanité comme beaucoup l'ont fait après la messe noire du Heysel ? La beauté du geste sportif est si rayonnante...

Chapitre I

STARS

Je suis un élu de Dieu... Je suis né pauvre. L'argent que je gagne n'a changé ni ma nature, ni mes croyances. , 1984

MICHEL PLATINI : LE PATRON

« Il y a deux millions de Français qui me battent à la course et deux autres millions qui possèdent plus de détente » avoue Platini. Ce modeste rang dans la hiérarchie athlétique ne l'empêche pas de grimper au sommet de la pyramide des revenus du ballon rond et du business (estimation des gains en 1985 : 20 millions de francs). Oubliée la truelle du grand-père italien et visa pour le club des « Rockefeller » du foot. Certes, Platini est distancé par le plus gros revenu du pays de l'oncle Reagan, référence en la matière, T. Boone Pickens, P-DG du groupe Mesa Petroleum (200 millions de francs en 1984). Mais Platini gagne quatre fois plus que les dirigeants des 250 premières entreprises américaines (5 millions de francs). Les débuts de Platini sont pourtant timides, salaire mensuel 1977-1978 : 6 250 francs. Les coups francs « scien- tifiques » du Maître n'ont pas encore affolé la machine à sous. L'apprenti va devenir patron en quittant Nancy pour Saint-Étienne (1979). L'exil doré à la Juventus de en 1982 le propulsera sur la planète des stars. 1982 : c'est l'année charnière. Avant, côté sportif, un petit palmarès : une coupe avec Nancy et un titre de champion avec l'AS Saint-Etienne. Côté affaires, les premiers pas ne sortent pas des sentiers battus de la pub : une dizaine de contrats (Le Coq Sportif : 600 000 francs ; Olympia : 600 000 francs ; Baby-foot Charton : 500 000 francs ; Évian Fruité : 250 000 francs ; ballons Delacoste, articles d'écoliers OKS, bonbons Haribo, plus quelques babioles). Après 1982, sa carte de visite s'étoffe : une coupe d'Italie, deux scudettos (titre national), deux coupes d'Europe, une coupe intercontinentale avec la Juve, un titre de champion d'Europe avec la France, trois « Ballons d'Or » de meilleur joueur européen (1983, 1984, 1985), meilleur buteur du calcio, de l'équipe de France. D'autres titres sont programmés... Avec un tel curriculum vitae, le surdoué des pelouses se transforme en pionnier des affaires. Dès septembre 1981, Platini crée sur les conseils de Bernard Genestar une société très peu anonyme : « 10 Platini ». Ex-tourneur et débardeur aux Halles, ancien imprésario de Michel Sardou, Coluche et Bob Dylan, Genestar devient « Monsieur Platini-bis », c'est-à-dire le brasseur d'affaires du numéro 10. En lançant sa société avec deux partenaires, Alain Perrin ex-P-DG de Newman, et la famille Peugeot des filatures, Platini rêve de suivre les traces de Lacoste et de son crocodile. Daniel Hechter dessine les premiers logos. En six mois, le chiffre d'affaires dépasse 15 millions de francs. Mais, fin 1982, les ventes baissent de 30 %. « Quand Michel est parti en Italie, nos clients ont cru qu'on ne parlerait plus de lui » explique Genestar. La réussite « platinienne » déclenche une avalanche de propositions. « On me demande au Japon pour des magné- toscopes, en Thaïlande pour des liqueurs, en Italie pour des ordinateurs... » Platini sait aussi dire non : « Je ne voudrais pas passer pour un homme-sandwich » dit-il en refusant le chèque de 2 millions de francs d'une banque. « Ceux qui viennent me voir, que mon nom intéresse, sont des gens pressés, qui cherchent à faire des coups. C'est le marché italien et surtout français qui les attire... De la pub dans le monde entier, d'accord. En France, non. Je raisonne un peu comme Delon et Deneuve. En Italie, il y a des pubs de Deneuve pour des voitures, pas en France. » Souci de ne pas diluer son image dans un style « Mère Denis », mais aussi volonté de construire quelque chose de durable. Contacté en 1982 par Patrick Proisy, émissaire de la société International Management Group, Platini repousse les offres de Mac Cormack : « Il roule pour vous, vous assiste. Or je tiens à être partie prenante. Pas simplement pour l'argent. Pour le plaisir. Pour créer. Exister. » Platini en a assez de jouer les prête-nom. Avec Genestar, il rachète les parts de leurs deux partenaires dans « 10 Platini » et recentre les activités de la société : « Je ne tiens pas à me disperser. Je préfère réaliser, avec ma marque, quelques opérations importantes aux niveau mondial et européen. » Pour ne plus avoir à maîtriser les problèmes de fabrica- tion et de distribution, « 10 Platini » délivre seulement des licences à des industriels. Exemple de ce virage : le contrat avec Patrick signé en 1983. Mini-multinationale française, huit filiales à l'étranger, 230 millions de francs de chiffre d'affaires, Patrick égratigne Adidas, le leader mondial. Dans un secteur en crise, dopées par le coup de pied de Platini, les ventes de la firme progressent de 25 % par an. « Le nom de Platini devait nous aider à l'exportation » précise Charles Bénéteau, P-DG de la société. Objectif atteint : 60 % des chaussures Patrick sont vendues dans 70 pays. L'accord prévoit une production annuelle de deux mil- lions de chaussures et de quatre cent mille ballons. Chaque crampon vendu rapporte une paire de francs de royalties à Platini. Sur le nombre, les millions deviennent lourds. Deuxième gros coup, après « 10 Platini », l'opération Grand-Stade. Dès 1979, Platini participe au financement de ce vaste complexe sportif situé à Saint-Cyprien dans les Pyrénées-Orientales. Avec le concours de la Caisse des dépôts et consignations (actionnaire principal) et de la commune d'accueil, une cité sportive de 15 hectares est aménagée : 50 courts de tennis, 5 terrains de football, divers équipements de loisirs, piscines, etc. Montant de l'investis- sement : 66,5 millions de francs. Durant les vacances scolaires, chaque lundi (jour de repos à la Juve), Platini vient animer des stages de football pour les jeunes. en faisait autant. On murmure que les problèmes de rentabilité de Grand-Stade l'ont incité à se mettre hors jeu. En revanche, Platini persiste et signe. Une bourse de 18 millions de francs décrochée auprès de Thomson renfloue les caisses de Grand-Stade. Conclu lors du Vidcom de Cannes, en octobre 1984, l'accord porte sur trois ans et permet aux produits Brun, appartenant au groupe français, de bénéficier du parrainage de Platini. Il vante les qualités des micro-ordinateurs, loue son image au téléviseur MC4 et contribue à la conception de logiciels. Du coup, les stocks s'épuisent. Comme, paradoxalement, les promoteurs de l'opération. Le directeur administratif et financier du département grand public de Thomson démissionne. On lui reproche un engagement financier trop important alors que les comptes de la société sont en rouge. Ces remous ne troublent pas . Il rappelle que le géant italien Olivetti lui proposait une montagne de lires pour une même campagne de promotion. « C'est le seul contrat pour lequel nous étions demandeurs. Michel est passionné de micro-informatique » souligne Genestar. Mais comme le note Jean Gerothwohl, P-DG de la Simiv, filiale de Thomson, « l'association entre un footballeur et ces produits n'avait rien d'évident ». Populaire, collectif : telles sont les deux images de ce sport. Mais le coup de patte platinien n'est-il pas synonyme de précision ? Sa vie n'est-elle pas le symbole de la réussite ? « Nous avons dépensé des dizaines de millions de centimes dans une étude de son image. Elle était beaucoup plus pointue qu'on ne le pensait » observe Genestar. Platini n'attend pas d'avoir lu les œuvres complètes de Marshall McLuhan pour comprendre les médias. « Nous tentons un gros pari » disait Genestar en 1984 en évoquant l'émission « Numéro 10 ». Magazine à vocation européenne, co-produit par Antenne 2 et la RAI, enregistré en français et en italien, « Numéro 10 » illustre l'étroite imbrication du football et des affaires. Le titre de l'émission plagie le nom de la société « 10 Platini ». Thomson figure au générique. Platini commente les résultats en pianotant sur un micro- ordinateur M05. Ces débordements publicitaires n'expli- quent pas son semi-échec. La chute des taux d'audience et le coût du magazine (3 millions de francs pour Platini) débouchent sur un divorce de raison. L'impact médiatique du « 10 » s'altérait. Platini se replie temporairement sur le show « Quasigoal » diffusé par Télé Monte-Carlo et la RAI. Canal Plus et la « 5 » de Berlusconi lui font les yeux doux et surenchérissent (200 000 francs par émission proposés par Canal Plus). A l'étude également, une série de quarante émissions d'initiation au football. Budget : 28 millions de francs. Clients : la France, l'Italie, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Es- pagne, le Portugal. Les trompettes de la renommée platinienne transpercent même la muraille de Chine. La Chinese International Sound and Picture Art Company, société de production de films, veut engager Platini pour tourner un feuilleton sur le ballon rond. Si le projet aboutit, les enfants de Mao devront faire appel à des capitaux étrangers pour payer le cachet de Platini. Avec une telle présence internationale, il décroche de gros contrats et diversifie ses placements. Platini ne se contente pas de vendre son image et de s'en remettre à des professionnels du marketing. « Je vise le long terme. Je veux bâtir quelque chose de solide. » Le lancement de « 10 Platini » en 1981 s'inscrit dans cette volonté. « La structure juridique ainsi créée sert de pompe aspirante et refoulante de l'argent. Adaptée à la vie des affaires, elle permet d'économiser les 22 % des gains qui différencient l'impôt sur les bénéfices des sociétés (50 %) de celui qui écrête les plus gros revenus des personnes physiques (72 %) », analyse le juriste Pierre Fontaneau. En France, Delon, Belmondo, Noah et quelques autres stars choisissent cette formule et multiplient par deux leurs revenus.

L'envergure des partenaires de Platini illustre les moyens d'action et d'investissement de telles sociétés : la Fiat, Total, Thomson. Avantageuse sur le plan fiscal, efficace commercialement, « 10 Platini » garantit un avenir rose et une retraite dorée à son patron. Platini est pour la liberté des prix : « smicard » à la fin des années 70 (80 000 francs en 1977-1978), millionnaire au début de cette décennie (1 500 000 francs en 1980-1981), milliardaire en 1986. Cependant, dès ses débuts à Nancy, le salaire représente seulement son argent de poche. L'essentiel de ses gains (80 %) provient de ses contrats publicitaires. La valeur de Platini explose : 1981 (6 millions de francs de revenu), 1983 (10 millions de francs). Pour l'addition 85, l'ordinateur est préférable. Salaire, primes, royalties, divi- dendes, bénéfices, cachets approchent les 20 millions de francs : un tiers versé par la Juventus (7 millions de francs), deux tiers d'origine extra-sportive (13 millions de francs). Malgré l'argent, les titres, les distinctions, le leader charismatique des « Bleus » n'est pas dupe : « Le joueur, c'est comme un citron que tu presses et que tu jettes. » Homme providentiel d'une décennie baignée dans la félicité, Platini garde les pieds sur terre. « Ce qui me frappe, relève son ami Battiston, c'est que les titres qu'il a remportés, sa réussite sportive et ses opportunités extra- sportives n'ont rien changé. » Numéro un mondial en 1984 et 1985 devant Maradona, Schuster, Junior et Robson, Platini séduit par ses éclairs de génie, devient populaire sans être un looser, prouve que biceps et cortex peuvent faire bon ménage. « C'est un vrai pro de la communication. Ce qui m'impressionne le plus chez lui, c'est cette capacité d'entreprendre sa reconversion en pleine activité. Même Pelé n'avait pas fait ça » applaudit Michel Drucker. « C'est en faisant beaucoup de choses à l'extérieur du football que je parviens à échapper à la pression » indique Platini. Une liaison télex relie son domicile turinois aux bureaux marseillais de Bernard Genestar. Lequel lui expédie chaque jour un compte rendu complet des activités en cours. « Je prends soin de mes affaires, je ne suis pas un patron potiche » précise Platini. Admiratif, Genestar note : « C'est un pinailleur, il aime bien tout voir, suggérer, modifier. » Gros contribuable, plusieurs centaines de millions par an d'impôt (52 à 53 % payés en Italie, 17 à 18 % en France), il pourrait échapper à la lourde fiscalité française. « Une loi prévoit qu'après deux ans de résidence en Italie, je pourrais y payer la totalité de mes impôts. Mais j'ai des scrupules. Je suis un bon Français. » Un palmarès étincelant, une image médiatique fabuleuse, une valeur commerciale inestimable, Platini tutoie le bonheur. Lequel, dit-on, n'a pas d'histoire. Et pourtant ! Plusieurs blessures morales orientent sa trajectoire. La première, secrète et d'ordre privé, provoque en 1982 son départ en Italie ; cela afin de fuir un environnement peu favorable à la vie du couple Platini. La deuxième blessure, plus récente, est encore ressentie douloureusement. Après le drame du stade du Heysel en 1985, « j'étais habité par un grand sentiment de culpabilité. Je me disais : "Ils sont venus pour toi et ils sont morts". » Pendant plusieurs mois, Platini envisage de raccrocher. « Il y a dix ans, le football n'était pas ce qu'il est aujourd'hui. Un jour, un fou va rentrer sur un terrain et nous tirer dessus. Et je serai le premier visé. En 1986, il existe 80 % de chances pour que j'arrête définitivement. » , président de la Juventus, té- moigne : « Michel supporte depuis des mois une charge de stress qui écraserait un éléphant. » Unanimement reconnu sur les pelouses du calcio comme le numéro un, mais pas toujours compris, assiégé par une presse italienne constamment à l'affût de ses déclarations, Platini a du vague à l'âme : « La société a mal évolué et le football avec. Comment se faire plaisir maintenant ? Qui admet la défaite ? Comment serait-ce possible lorsqu'on entend des présidents de clubs dire aux joueurs : "Si vous ne gagnez pas, vous n'êtes pas des hommes." La presse, les intérêts financiers font boule de neige. Toujours dans le même sens. » Cet aveu illustre le mal de vivre d'une diva : « Moi qui ai réussi à concilier la vie de footballeur de haut niveau avec celle des affaires, moi qui suis un précurseur dans ce domaine, je reste un incompris. » Tout a une fin. Même une période de doute. La retraite ? Ce sera pour plus tard. Aussitôt, Naples, , Barcelone, Arsenal, Tottenham, , Marseille, Bordeaux, Genève se mettent sur les rangs. Le Servette de Genève sort 22 millions de francs de ses coffres. Les firmes TAG du milliardaire Mansour Ojjeh et IMG de MacCormack tirent des plans sur la comète pour financer le transfert de Platini, en fin de contrat au mois de juin 86. Plaque tournante du monde des affaires, paradis fiscal, la Suisse a tout pour plaire. Tout, sauf un football de haut niveau. Or, Platini a L'EMPIRE PLATINI

Société : — P-DG : Bernard Genestar. 10 Platini — Directeur : Michel Platini. Ok Sports — Capital : 2,4 millions de francs. — Actionnaires : Genestar et Platini. — Chiffre d'affaires : plus de 10 millions de francs par an. — Rémunération de Platini : royalties. — Activités : licences (exemple : Patrick), textiles (Al- partagas), horlogerie (montres Zénith), lunettes, cosmétiques, marquage de vitres de voitures. Grand-Stade — P-DG : Michel Platini. — Directeur : Bernard Genestar. — Investissement : 66,5 millions de francs. — Investisseurs : Caisse des dépôts et consignations, Compagnie des wagons-lits, Commune de Saint- Cyprien, banques, Platini, Genestar (En projet : Thomson, Fiat, U.A.P., Total). — Équipements : hôtel (30 millions), centre tennis (15 millions), centre d'hébergement (15 millions), ter- rains de football (2,5 millions), rénovation d'un mas pour séminaires (3 millions), câblage pour installa- tion vidéo (1 million). — Rémunération de Platini : actionnaire. — Activités : stages de football, tennis, squash, micro- informatique, centre d'entraînement, séminaires pour entreprises. — Projets : exportation de Grand-Stade (Italie, Maroc, Tunisie).

Thomson — Contrat : Société « 10 Platini » - Thomson. Entrée de Thomson dans la société d'exploitation de l'hôtel de Grand-Stade. — Rémunération de Platini : 18 millions de francs sur 3 ans (1984-1987). — Activités : promotion directe et indirecte des maté- riels Thomson dans le monde, conception de jeux et logiciels pédagogiques.

Média — Animation d'un magazine sur TMC et la RAI. — Contrat d'exclusivité avec la presse régionale et Paris-Match en France, La Gazzetta dello Sport en Italie. — Production d'une série de quarante émissions d'ini- tiation au football dont seront tirées des copies en français, anglais, allemand et espagnol. Budget : 28 millions de francs. Associés : Henri Emile, Joseph Mercier (conseillers), Charles Bietry (coordination), Gérard Vandergucht et Jean-Paul Jaud (réalisation), Thomson (matériel). — Projet d'association avec Presse-Edition et Télé Globo (Brésil).

Source : Dominique Rousseau « Platini : une affaire qui tourne » L'Équipe, 28 mai 1985. retrouvé ses sensations et l'homme d'affaires ne veut plus écourter la vie de l'artiste. Pour constituer le « ticket choc » du siècle, Maradona- Platini, Naples pousse jusqu'à 125 millions de francs versés sur trois saisons. Problème : qui portera le numéro 10 ? Avec , patron de l'AC Milan, le pactole taquine les 100 millions de francs pour deux saisons, soit 4,6 millions de francs par mois et une reconversion assurée dans le groupe de communication Fininvest. Dépassée, la Juve se tourne vers Bernd Schuster, le meneur de jeu du FC Barcelone, et négocie sur la base de 50 millions de francs. Platini hésite : « Dommage que le soccer américain ait mis la clé sous la porte, mon choix aurait été plus simple. » La Juve reprend espoir. La Fiat annonce à Platini qu'elle lui réserve un pourcentage sur les ventes d'un nouveau modèle succédant à la "126". Suite à une intervention de , P-DG de Fiat et homme fort de la Juve, Berlusconi se retire. « Michel fait durer le plaisir, car cela l'amuse. Il est très intelligent » observe Agnelli. Début février, Platini se décide : une saison supplémentaire à la Juve pour un fixe de 7,5 millions de francs et une bourse annuelle de 28 millions de francs offerte par la Fiat et son club.

DIEGO ARMANDO MARADONA : L'ÉLU DE DIEU

Comme toute belle histoire, celle de Maradona commence par : « Il était une fois... » Une tripotée de frères et de sœurs, une enfance dans la misère des faubourgs de , un surnom prometteur, « Nifto de Oro ». Le destin est en marche. Les exploits de l'adolescent impressionnent déjà les pellicules. Après et Boca Juniors, Maradona signe en 1982 au FC Barcelone et provoque une sortie massive de devises : 60 millions de francs. Dans un pays où le salaire minimum plafonne à 1 800 francs par mois, plusieurs ministres et syndicalistes espagnols protestent. Immobilisé par une hépatite virale, abattu par un tacle assassin de Goicotchéa, Maradona évolue en demi-teinte. Les supporters s'impatientent. Pour effacer ses doutes, Maradona accomplit le pèlerinage de la Vierge de Lujan. Au bout des 42 kilomètres parcourus à pied, Maradona sait qu'il doit quitter Barcelone pour se refaire. Déjà en 1981, il avait failli tout abandonner dans une période de crise. Seul, un télégramme de Pelé, « Courage petit », l'avait remis en selle. Ce nouvel exil doré en Italie regarnit un portefeuille vidé par un train de vie de diva et par le blocage de revenus en Argentine dû aux nouvelles orientations politiques du gouvernement Alfonsin. Chez les Maradona, ce n'est pas bas de laine et bourse cousue. Une villa achetée dans le quartier le plus chic de Barcelone (2 millions de francs), quatre voitures (BMW, Mercedes, Golf, Talbot), une douzaine de collaborateurs à entretenir, une famille de quarante membres à nourrir, des réceptions trop grandioses... Le passage du cratère du Nou Camp aux vapeurs du Vésuve arrange tout. Sur ce transfert du siècle, 75 millions de francs, Maradona récupère 9 millions de prime, un salaire mensuel de 600 000 francs et quelques cadeaux de bienvenue (deux voitures, une villa dans la baie de Naples, dix billets aller et retour Italie-Argentine). « Bonsoir Napolitains ! Je suis heureux d'être avec vous. Vive le Napoli ! » Ces premières paroles historiques du Messie aux 70 000 fidèles massés dans le stade suffisent à leur bonheur. Le trésorier du club jubile. Les abonnements couvrent deux fois le montant du transfert de Maradona. Chaque match au San Paoli est une véritable liesse païenne : cortèges, cantiques, poèmes, prières, cierges, posters. Maradona se sent investi d'une mission sur terre : « Pour moi, chaque victoire est un cadeau donné à tous les enfants du monde et particulièrement à ceux qui ne peuvent en avoir. » Adulé par les tifosis, Maradona apprivoise à nouveau le ballon comme personne au monde. Mais les effets ensoleillés des balles qu'il caresse ne suffisent pas. Qu'a gagné Maradona ? Une star peut perdre mais elle doit entretenir une légende. Il ne s'en prive pas. « Je suis un élu de Dieu » confesse-t-il gratuitement (une interview de Maradona coûte généralement 150 000 francs). Socialement, le mythe fonctionne à merveille. Maradona ne renie pas les siens (il verse 100 000 francs par mois à sa famille), n'oublie pas les nécessiteux (il leur accorde une totale liberté de vente des maillots, drapeaux, casquettes, etc., à son effigie). « Si les gosses ont besoin de moi, je serai toujours à leur disposition. » Un tel langage touche l'imagi- naire napolitain. En serait-il de même à Paris, Rome ou Londres ? Faute de palmarès, le mythe Maradona doit beaucoup aux milliards brassés au gré des étapes d'une vie de saltimbanque et qui transforment le prestidigitateur en prophète aux pieds d'or. « Ils cherchent à me toucher pour vérifier si je suis bien là » dit-il en parlant de ses fans. Comme les apôtres, les conseillers de Maradona sont au nombre de douze. « J'ai besoin de dépendre des autres. Je ne peux pas tout faire seul, ou, alors, c'est mon football qui se perdra. » Quatre disciples l'assistent en permanence. Georges Cyterszpiler, un ami d'enfance, manager globe- trotter monnaie l'image de Maradona à travers le monde et dirige la société Diego Armando Maradona Producciones (DAM) lancée en 1978. Guillermo Blanco, l'attaché de presse, répand la bonne parole. Fernando Signori prépare physiquement Maradona. Un cameraman et une équipe de vidéo enregistrent chaque prestation du Maître. Caprice de star ? Souci de l'immortalité ? Seulement pour faire plaisir à sa mère qui ne peut se déplacer. Côté business, la légende nourrit son homme. Lorsque Maradona trinque avec Coca-Cola, cela fait des bulles magiques. La star magnifie la réalité. C'est d'ailleurs tout ce que lui demandent Puma (3 millions de francs de royalties en 1985), Seiko (400 000 francs), Agfa, Sony, Toyota, TSV Cosmeticos, une ligne de vêtements, une banque, des fournitures scolaires, etc. Maradona se contente de signer. On multiplie pour lui les contrats juteux et on partage : 85 % pour lui, 15 % pour Cyterszpiler. En 1982, la société DAM réalisait 12 millions de francs de chiffre d'affaires. Les revenus annuels de Maradona flirtent avec les 20 millions de francs : 7,5 millions de salaire, 3,5 millions de primes et de cachets divers, 9 millions de la DAM. La peur d'un enlèvement par la mafia conduit même Maradona et les siens à souscrire une assurance garantissant une indemnité de 52 millions de francs en cas de rapt. Sa villa est surveillée 24 heures sur 24. « Il n'y a que sur le terrain que je jouis de mon entière liberté » regrette Maradona.

Platini, Maradona : deux stars pour un point commun, l'Italie, lieu de passage obligé du sacre. Et les autres, , Rummenigge, Boniek, Giresse, Bossis, Schuster, Socrates, Falcao... ? Seulement des vedettes ! C'est-à-dire des êtres mortels. N'est pas star qui veut. La star doit faire l'objet d'un rituel spécifique, d'un culte (clubs de fans, courrier, photographies, etc.). Avec Mara- dona, ce fétichisme va plus loin. « Ça ne me gêne pas d'être suivi par deux mille personnes lorsque je vais déjeuner en ville » dit-il, un brin blasé. Le restaurateur sait ce qui lui reste à faire. Dès que Maradona arrive, il baisse les stores. Faute de quoi, le quartier se retrouverait paralysé par des centaines de véhicules au klaxon bloqué. Le lendemain, la bataille est féroce entre les candidats au siège occupé la veille par l'idole. Toute intronisation s'accompagne souvent de la diminu- tion du nom. « Ouais Michel... ! » répète Thierry Roland après chaque but inscrit par Platini. L'univers devient épique avec le langage poétique des surnoms. Le Roi (Pelé), Sa majesté (Cruyff), l'Empereur (Beckenbauer) : autant de syllabes mêlées à la légende du football par dribbles interposés. Autant de symboles qui représentent tout à la fois une valeur métaphysique et une intimité tout humaine. Ces diminutifs transforment le peuple en voyeur de ses dieux dans un mélange d'admiration et de servilité. Même la pelouse et certaines phases de jeu sont personnifiées. Ne parle-t-on pas de coups francs à distance platinienne ? En fait, la star jaillit du choc entre une trajectoire individuelle et une situation historique. Ainsi, le génie de Platini s'épanouit dans un football français en pleine renaissance. Au hit-parade de la réussite, Platini est, selon un sondage BVA-Mieux-Vivre (avril 1983), en troisième position derrière le commandant Jacques-Yves Cousteau et Marcel Dassault. « Le besoin d'affirmation de soi par voie compétitive demeure la dominante de la culture occidentale » rappelle le sociologue Georges Magnane. Synonyme de succès social, le football fait coïncider le rêve avec le gain, le plaisir avec la gloire, le travail avec le loisir. La star incarne ce système de valeurs. « Au cours du processus de mythification qui fait du champion un demi-dieu, la collusion entre les exigences spontanées du consommateur et l'empressement des mass média à les satisfaire à tout prix, crée un jeu de surenchères perpé- tuelles. Réclamant toujours plus d'anecdotes sensation- nelles, toujours plus de prodiges, le public incite les échotiers et les reporters spécialisés à en inventer sans cesse de nouveaux » observe George Magnane. La télévision démocratise et mondialise la star. Les risques de saturation et d'usure du capital média- tique et social sont grands. Seul Pelé est l'archétype de la star immortelle. Son maillot bouton-d'or reste dans toutes les mémoires. Comme ses tirs de loin, ses lobs, ses pichenettes, ses têtes aériennes ou plongeantes, ses sprints courts, ses longues courses. Les Brésiliens voyaient dans ses arabesques le doigt de Dieu. « Non, on ne peut pas me comparer à un dieu, à un mythe, prévient Platini. Pelé est le seul dont on peut dire qu'il débarquait d'une autre planète. J'ai vu Cruyff à l'œuvre, un « super » mais il était près de nous. La télévision le faisait entrer dans nos salles à manger. On pouvait le toucher. Pas Pelé. On tendait le bras ; Pelé était toujours trop loin... » Selon un sondage récent, 26 % des Brésiliens sont favo- rables à une candidature de Pelé à la présidence de la République. Le mythe Pelé, c'est aussi cela. Une star qui brise les barrières pour imposer sa personnalité dans d'autres domaines que le sien. Pelé-Rocheteau : deux touches de balle géniales. Mais un duo qui sonne faux. L'« Ange Vert » avait tout pour appartenir à la même galaxie que le « Roi ». Mais « pour moi le football commence à l'entrée du stade et finit à la sortie. J'appréhende les cinq cents mètres qui séparent les vestiaires du car qui nous ramène » avoue Rocheteau. Et pourtant ! Seul joueur français à avoir vécu l'épopée des « Verts » et des « Bleus », il dispose d'un formidable capital de vedettariat qu'il refuse d'exploiter. « Je ne suis pas un homme d'affaires. L'argent ne me motive pas. » En ce sens-là, Rocheteau reflète les ambiguïtés d'une génération post soixante-huitarde. Être ou ne pas être dans le système. « Je profite du système, mais... » précise-t-il. Compagnon de route de Alain Krivine et de Arlette Laguiller rêvant des Amériques, anarchiste résidant dans un quartier chic de Neuilly, fou de foot « qui ne retournera plus au stade » après avoir raccroché, Rocheteau a beau répéter, à l'image du philosophe Michel Serres : « Je n'ai jamais eu d'idole, ni rêvé de modèle, et j'espère ne laisser aucune image, aucun souvenir », les années 1975-1985 resteront, d'une certaine façon, les « années Rocheteau ». Chapitre II LES TRANSFERTS

« Je suis un être humain. Qu'on me respecte ! Je ne suis pas une marchandise ! » SOCRATES, août 1984

Le nombril des transferts, c'est le palais des Congrès de Milanofiori. Situé à Assago, à dix kilomètres de Milan, ce palace vitré devient chaque année, durant l'été, le Wall Street du football. Formidable bourse où toutes les valeurs sûres du gotha sont cotées, le palais abrite le plus grand marché des transferts du monde : le calcio-mercato. C'est ici qu'au début des années 50, l'extravagant prince Raimondo Lanza de Trabla, dirigeant du club de Palerme, organisait à l'Hôtel Gallia de Milan de fastueuses réceptions auxquelles il conviait les joueurs qu'il souhaitait recruter. Aujourd'hui, la bourse grimpe les marches du palais et la monnaie d'échange a des accents « ricains ». Mais derrière le raz de marée des dollars, la mécanique fonctionne à l'identique. Seul le chiffre d'affaires a pris l'ascenseur : 250 millions de francs en 1985.

Valeurs à la cote : Maradona, Platini, Rummenigge, Boniek, Junior, Cerezo, Wilkins, Souness, Larsen... autant de diamants réunis dans le même écrin en forme de botte, celle du calcio. Il y a dix ans, Cruyff, Netzer, Breitner, Kempes, Neeskens... se retrouvaient sur les pelouses d'Es- pagne. Les lendemains du Mundial 1982 déchantent et une crise financière paralyse les clubs espagnols. Du coup, les stars vont ailleurs s'approvisionner en devises et notam- ment chez les « ritals ». Les clubs italiens investissent massivement, pour satisfaire la boulimie des tifosis : poids financier des vedettes étrangères évoluant en Italie, 60 milliards de centimes, le prix d'une razzia. Sport-religion, ancré dans l'existence de tout un peuple, le football transalpin fait recette. Chaque dimanche, à quinze heures, dans des cathédrales colorées et bourdon- nantes, les stars déesses sont vénérées. Le dernier duel au sommet Maradona (FC Naples) — Platini (Juventus de Turin) a rapporté sept cent trente millions de centimes (85 000 spectateurs). Véritable eldorado, les stades du calcio ressemblent aux studios de Hollywood, Michel Platini n'est pas surpris : « Je serais frustré si je revenais en France. La passion que j'ai pour le football, en Italie, ils me la rendent. En France, non. Il est logique que les meilleurs joueurs étrangers viennent en Italie pour des raisons financières et pour des raisons d'amour. » Un exemple : lors des dernières élections européennes, en 1984, plusieurs milliers de Napolitains votent Maradona. Devant le refus de transfert et les surenchères de son club, le FC Barcelone, des supporters se mettent la corde au cou, accrochés à la porte du siège du FC Naples et restent toute la journée ainsi en plein soleil, à prier. « Si je n'avais pas engagé Maradona, les supporters auraient incendié mon stade » indique , président du club. Durant les jours précédant le transfert, cent dix enfants sont baptisés des deux prénoms de l'idole argentine : Armando Diego. Du pain et des jeux, disait-on dans l'Antiquité. Faute de pain, le chômage et la pauvreté y sont très élevés, Naples dévore Maradona. Sur les pentes du Vésuve, on a les yeux qui coulent. A Barcelone, on se frotte les mains. Après le départ de Maradona, le club est devenu champion d'Es- pagne en 1985. Acheté en 1982, 8,2 millions de dollars à Boca Juniors et Argentinos Juniors, Maradona a été revendu un demi-million de plus. Le club empoche en outre la réévaluation, de près de 50 %, du billet vert par rapport à la peseta. Dès son arrivée en août 1984, Maradona reçoit l'allé- geance de 70 000 tifosis rassemblés au San Paoli de Naples, temple de son intronisation. Il est heureux Diego. Le Pour la première fois en France, une enquête approfondie lève le voile sur les rapports secrets du football et de l'argent. Sait-on combien gagne Platini? Quels sont les 50 plus gros salaires des footballeurs français? Le rôle des sponsors? Le montant des transferts? Les budgets des grandes équipes? De Lagardère à Berlusconi, des mille et un secrets du Mundial mexicain aux portraits des grandes stars, des scandales de l'argent au noir à la guerre des médias pour l'achat des droits de retransmission des matchs, Jean- François Bourg a exploré toutes les coulisses du football business. Une foule d'anecdotes révélatrices, de nombreux chif- fres inédits éclairent la face cachée du ballon rond. Un dossier explosif pour découvrir comment ce sport est devenu la plus grande entreprise multinationale de spectacle du monde.

89,00 F TTC ISBN 2.85565.311.8 K 20 345 Didier Thimonier 4-86 Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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