Football Business
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FOOTBALL BUSINESS Olivier Orban DU MÊME AUTEUR Salaire, Travail et Emploi dans le football professionnel français, éditions du Centre de droit et d'économie du sport de Limoges et de la Fédération française de football, 1983. Ouvrage publié sous la direction de Marie-Hélène Orban 0 Olivier Orban, 1986 ISBN. 2.85565.311.8 A ma mère A mon père AVANT-PROPOS Le football, superproduction du sport-spectacle, n'a interpellé jusqu'à présent, que le journaliste pour le récit et le commentaire des matchs, et le biographe pour la légende des divas. Or, si la technique de Platini ou les finesses stratégiques de l'équipe de France ne sont un secret pour personne, que sait-on en revanche des « affaires » de Platini ? De sa fortune, de son empire commercial, des coulisses de sa vie de star ? Est-il indécent d'écrire que Platini gagne 400 fois le SMIC ? Que le transfert de Maradona à Naples représente le salaire annuel de 4 000 ouvriers napolitains ? Y a-t-il incompatibilité entre le génie des arabesques platiniennes et le compte en banque du « numéro 10 » ? Dénigre-t-on un prix Nobel parce qu'il est milliardaire ? Lorsque Tigana accélère pour « griller » les défenses ennemies, lorsque Giresse pivote pour lâcher ses gardes du corps, lorsque Rocheteau crochète ses adversaires, ils pensent à tout sauf à leurs fins de mois. D'autres s'en chargent. Identifier les capitaines d'industrie qui chaussent les crampons pour le meilleur et sans le pire, (Tapie, La- gardère, Berlusconi, Agnelli), révéler les liaisons secrètes entre les princes sponsors et les hommes clés du football, éclairer les relations ambiguës entre les médias, la publicité et le ballon rond, est-ce se mettre hors-jeu ? Faut-il rejeter le football au ban de l'humanité comme beaucoup l'ont fait après la messe noire du Heysel ? La beauté du geste sportif est si rayonnante... Chapitre I STARS Je suis un élu de Dieu... Je suis né pauvre. L'argent que je gagne n'a changé ni ma nature, ni mes croyances. DIEGO MARADONA, 1984 MICHEL PLATINI : LE PATRON « Il y a deux millions de Français qui me battent à la course et deux autres millions qui possèdent plus de détente » avoue Platini. Ce modeste rang dans la hiérarchie athlétique ne l'empêche pas de grimper au sommet de la pyramide des revenus du ballon rond et du business (estimation des gains en 1985 : 20 millions de francs). Oubliée la truelle du grand-père italien et visa pour le club des « Rockefeller » du foot. Certes, Platini est distancé par le plus gros revenu du pays de l'oncle Reagan, référence en la matière, T. Boone Pickens, P-DG du groupe Mesa Petroleum (200 millions de francs en 1984). Mais Platini gagne quatre fois plus que les dirigeants des 250 premières entreprises américaines (5 millions de francs). Les débuts de Platini sont pourtant timides, salaire mensuel 1977-1978 : 6 250 francs. Les coups francs « scien- tifiques » du Maître n'ont pas encore affolé la machine à sous. L'apprenti va devenir patron en quittant Nancy pour Saint-Étienne (1979). L'exil doré à la Juventus de Turin en 1982 le propulsera sur la planète des stars. 1982 : c'est l'année charnière. Avant, côté sportif, un petit palmarès : une coupe avec Nancy et un titre de champion avec l'AS Saint-Etienne. Côté affaires, les premiers pas ne sortent pas des sentiers battus de la pub : une dizaine de contrats (Le Coq Sportif : 600 000 francs ; Olympia : 600 000 francs ; Baby-foot Charton : 500 000 francs ; Évian Fruité : 250 000 francs ; ballons Delacoste, articles d'écoliers OKS, bonbons Haribo, plus quelques babioles). Après 1982, sa carte de visite s'étoffe : une coupe d'Italie, deux scudettos (titre national), deux coupes d'Europe, une coupe intercontinentale avec la Juve, un titre de champion d'Europe avec la France, trois « Ballons d'Or » de meilleur joueur européen (1983, 1984, 1985), meilleur buteur du calcio, de l'équipe de France. D'autres titres sont programmés... Avec un tel curriculum vitae, le surdoué des pelouses se transforme en pionnier des affaires. Dès septembre 1981, Platini crée sur les conseils de Bernard Genestar une société très peu anonyme : « 10 Platini ». Ex-tourneur et débardeur aux Halles, ancien imprésario de Michel Sardou, Coluche et Bob Dylan, Genestar devient « Monsieur Platini-bis », c'est-à-dire le brasseur d'affaires du numéro 10. En lançant sa société avec deux partenaires, Alain Perrin ex-P-DG de Newman, et la famille Peugeot des filatures, Platini rêve de suivre les traces de Lacoste et de son crocodile. Daniel Hechter dessine les premiers logos. En six mois, le chiffre d'affaires dépasse 15 millions de francs. Mais, fin 1982, les ventes baissent de 30 %. « Quand Michel est parti en Italie, nos clients ont cru qu'on ne parlerait plus de lui » explique Genestar. La réussite « platinienne » déclenche une avalanche de propositions. « On me demande au Japon pour des magné- toscopes, en Thaïlande pour des liqueurs, en Italie pour des ordinateurs... » Platini sait aussi dire non : « Je ne voudrais pas passer pour un homme-sandwich » dit-il en refusant le chèque de 2 millions de francs d'une banque. « Ceux qui viennent me voir, que mon nom intéresse, sont des gens pressés, qui cherchent à faire des coups. C'est le marché italien et surtout français qui les attire... De la pub dans le monde entier, d'accord. En France, non. Je raisonne un peu comme Delon et Deneuve. En Italie, il y a des pubs de Deneuve pour des voitures, pas en France. » Souci de ne pas diluer son image dans un style « Mère Denis », mais aussi volonté de construire quelque chose de durable. Contacté en 1982 par Patrick Proisy, émissaire de la société International Management Group, Platini repousse les offres de Mac Cormack : « Il roule pour vous, vous assiste. Or je tiens à être partie prenante. Pas simplement pour l'argent. Pour le plaisir. Pour créer. Exister. » Platini en a assez de jouer les prête-nom. Avec Genestar, il rachète les parts de leurs deux partenaires dans « 10 Platini » et recentre les activités de la société : « Je ne tiens pas à me disperser. Je préfère réaliser, avec ma marque, quelques opérations importantes aux niveau mondial et européen. » Pour ne plus avoir à maîtriser les problèmes de fabrica- tion et de distribution, « 10 Platini » délivre seulement des licences à des industriels. Exemple de ce virage : le contrat avec Patrick signé en 1983. Mini-multinationale française, huit filiales à l'étranger, 230 millions de francs de chiffre d'affaires, Patrick égratigne Adidas, le leader mondial. Dans un secteur en crise, dopées par le coup de pied de Platini, les ventes de la firme progressent de 25 % par an. « Le nom de Platini devait nous aider à l'exportation » précise Charles Bénéteau, P-DG de la société. Objectif atteint : 60 % des chaussures Patrick sont vendues dans 70 pays. L'accord prévoit une production annuelle de deux mil- lions de chaussures et de quatre cent mille ballons. Chaque crampon vendu rapporte une paire de francs de royalties à Platini. Sur le nombre, les millions deviennent lourds. Deuxième gros coup, après « 10 Platini », l'opération Grand-Stade. Dès 1979, Platini participe au financement de ce vaste complexe sportif situé à Saint-Cyprien dans les Pyrénées-Orientales. Avec le concours de la Caisse des dépôts et consignations (actionnaire principal) et de la commune d'accueil, une cité sportive de 15 hectares est aménagée : 50 courts de tennis, 5 terrains de football, divers équipements de loisirs, piscines, etc. Montant de l'investis- sement : 66,5 millions de francs. Durant les vacances scolaires, chaque lundi (jour de repos à la Juve), Platini vient animer des stages de football pour les jeunes. Yannick Noah en faisait autant. On murmure que les problèmes de rentabilité de Grand-Stade l'ont incité à se mettre hors jeu. En revanche, Platini persiste et signe. Une bourse de 18 millions de francs décrochée auprès de Thomson renfloue les caisses de Grand-Stade. Conclu lors du Vidcom de Cannes, en octobre 1984, l'accord porte sur trois ans et permet aux produits Brun, appartenant au groupe français, de bénéficier du parrainage de Platini. Il vante les qualités des micro-ordinateurs, loue son image au téléviseur MC4 et contribue à la conception de logiciels. Du coup, les stocks s'épuisent. Comme, paradoxalement, les promoteurs de l'opération. Le directeur administratif et financier du département grand public de Thomson démissionne. On lui reproche un engagement financier trop important alors que les comptes de la société sont en rouge. Ces remous ne troublent pas Michel Platini. Il rappelle que le géant italien Olivetti lui proposait une montagne de lires pour une même campagne de promotion. « C'est le seul contrat pour lequel nous étions demandeurs. Michel est passionné de micro-informatique » souligne Genestar. Mais comme le note Jean Gerothwohl, P-DG de la Simiv, filiale de Thomson, « l'association entre un footballeur et ces produits n'avait rien d'évident ». Populaire, collectif : telles sont les deux images de ce sport. Mais le coup de patte platinien n'est-il pas synonyme de précision ? Sa vie n'est-elle pas le symbole de la réussite ? « Nous avons dépensé des dizaines de millions de centimes dans une étude de son image. Elle était beaucoup plus pointue qu'on ne le pensait » observe Genestar. Platini n'attend pas d'avoir lu les œuvres complètes de Marshall McLuhan pour comprendre les médias. « Nous tentons un gros pari » disait Genestar en 1984 en évoquant l'émission « Numéro 10 ». Magazine à vocation européenne, co-produit par Antenne 2 et la RAI, enregistré en français et en italien, « Numéro 10 » illustre l'étroite imbrication du football et des affaires.