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UNIVERSITÉ DE LYON Institut d'Etudes Politiques de Lyon LA MOBILISATION D’UNE PRATIQUE ARTISTIQUE POPULAIRE COMME VECTEUR D’ENGAGEMENT POLITIQUE ET SOCIAL : LE RAP FRANÇAIS « TRIBUNICIEN » CONTEMPORAIN MESTRE Antonin Affaires Publiques – Enjeux de la globalisation Cultures populaires, éthique et politique 2016 – 2017 Sous la direction de Philippe Corcuff Composition du jury Philippe Corcuff, Maître de conférences - IEP de Lyon Thibault Jeandemange, Doctorant - Université Lumière Lyon 2 (1er septembre 2017) 1 Déclaration anti-plagiat 1. Je déclare que ce travail ne peut être suspecté de plagiat. Il constitue l’aboutissement d’un travail personnel. 2. A ce titre, les citations sont identifiables (utilisation des guillemets lorsque la pensée d’un auteur autre que moi est reprise de manière littérale). 3. L’ensemble des sources (écrits, images) qui ont alimenté ma réflexion sont clairement référencées selon les règles bibliographiques préconisées. NOM : Mestre PRENOM : Antonin DATE : 24/08/2017 2 LA MOBILISATION D’UNE PRATIQUE ARTISTIQUE POPULAIRE COMME VECTEUR D’ENGAGEMENT POLITIQUE ET SOCIAL : LE RAP FRANÇAIS « TRIBUNICIEN » CONTEMPORAIN 3 Introduction Dis-leur que c'est l'heure dis-leur que l'missile rentre dans la machine Ma rage sa maison mère dis-leur qu'ils ne pourront pas fliquer mon anarchie Dis-leur que j'suis trop à cran pour me formater tu captes Que j'suis pas une rappeuse mais une contestataire qui fait du rap Keny Arkana, « Le missile suit sa lancée », Entre ciment et belle étoile, Because music, 2006 A travers son deuxième album Entre ciment et belle étoile, la rappeuse marseillaise Keny Arkana semble assumer et revendiquer un positionnement extrêmement engagé à travers la conception qu’elle a de sa propre pratique du rap. La phrase, le vers, ou plutôt la « phase » pour reprendre le terme d’Anthony Pecqueux, qui sert d’intitulé à cette introduction justifie idéalement la démarche entreprise dans ce mémoire. La rappeuse choisit explicitement de privilégier, non pas son statut d'artiste, mais bien son positionnement politique contestataire vis-à-vis de l'organisation établie de la société. Il est donc question ici d’affirmer clairement la mobilisation d'une pratique artistique afin de la constituer en tribune d'un engagement politique. Cette réflexion est par ailleurs largement représentative de l’ensemble de l’œuvre de Keny Arkana et laisse par ailleurs poindre un autre enjeu de ce mémoire : parvenir à illustrer que cet engagement par l’art passe par la mobilisation des procédés stylistiques communs au genre rap, procédés dont beaucoup d’études sociologiques et d’essais tentent de dresser les contours. En effet, l’interpellation « Dis- leur… » est caractéristique d’un aspect emblématique de la pratique du rap, aspect qu’Anthony Pecqueux conceptualise dans ses travaux comme éléments d’une « institution phatique ». Ainsi l’interpellation des auditeurs de rap par l’artiste et la distinction entre le Nous (ici représenté par l’injonction du rappeur à ces auditeurs « Dis ») et le Eux (« leur ») participent-elles des « jeux de langages » du rap selon la dialectique de Ludwig Wittgenstein, sur laquelle nous allons être amenés à revenir. Il s’agit donc d’expliciter la manière dont certains rappeurs engagés mettent en scène des jeux de langage spécifiques afin de les inclure dans leur démarche « d’art pour l’engagement », par opposition à l’idéal-type de « l’art pour l’art ». Ce mémoire n’a donc pas prétention à définir le genre rap dans sa globalité. Il ne s’agit pas d’extraire ce qui serait « l’essence » du genre rap, ou de couronner un rap fidèle à l’esprit originel. Il ne s’agit pas non plus de considérer que tout texte rappé est porteur d’un engagement, d’un message ou d’une teneur politique. Dès les années 1940, le mot « rap » est employé pour qualifier une « pratique d’interprétation ni parlée, ni chantée, mais proférée en harmonie avec une rythmique » (Hammou, 2014, p.9). Si elle ne constitue pas alors une pratique artistique structurée, la définition qu’elle fait émerger du « rap » est très proche de son sens contemporain. D’un point de vue strictement étymologique, le terme « rap » aurait des origines plurielles. Il viendrait de l’anglais « to rap » signifiant à la fois l’action de frapper, en référence à la manière rythmée et saccadée par laquelle les rappeurs déclament leurs textes, mais aussi bavarder ou « jacter ». D’autres analyses, moins sollicitées, préfèrent y voir la contraction de rapide ou de repartee, ou encore l’initial de rhythm and poetry ou de rhythm and protest. Ce qui deviendra un genre musical à part entière est d’abord un mode technique d’expression artistique qui s’inclue dans le mouvement plus large de la culture 4 hip-hop. Il se développe particulièrement dans les années 1970 à New-York. Depuis ses débuts, le rap est pratiqué par les Masters of Ceremony, ou MCs, afin d’animer les soirées et concerts organisés par les Disc Jockeys1, ou DJs, férus de sound systems jamaïcains2 et de musique Funk. Ces représentations sauvages du couple artistique MC-DJ, d’abord organisées dans les rues du Bronx New-Yorkais, portent la dénomination de Blocks parties. Le rap est également influencé par l’ensemble de la « musique noire américaine » la Soul, le Reggae ou encore le Jazz (Lapassade, Rousselot, 1998). Ce phénomène est donc, dans un premier temps, éminemment musical et relève d’une démarche divertissante, ou dite d’entertainement, à l’image de groupes comme Fatback Band, Joe Bataan et The Sugarhill Gang. A cette démarche s’ajoute bien vite une pratique bien plus politisée et bien souvent polémique comme l’ont illustré les groupes Public Enemy ou Grandmaster Flash. Cette pratique plus politique et sociale n’est d’ailleurs pas une exception du genre, puisque le groupe Last Poets avait déjà abordé ces questions dans les années 1960. Leur approche s’inclue plus globalement dans le vaste mouvement du Protest song3, courant chansonnier transversal à de nombreuses pratiques artistiques. Le rap ne saurait donc être résumé à une essence politique, c’est avant tout une pratique sociale, artistique et culturelle. Si les DJs représentaient à l’origine les artistes légitimes et dominants par rapport aux MCs, ces derniers s’imposent progressivement en tant qu’auteur-interprètes et finissent par devenir l’élément artistique prédominant du genre rap. Ce n’est pas pour autant que la pratique du Deejaying se retrouve au second plan de la culture hip-hop, puisque se structure parallèlement le champ de la musique électronique dont les DJs sont les acteurs principaux. Karim Hammou, sociologue chargé de recherche au CNRS et chercheur associé au Centre Norbert Élias, a beaucoup écrit sur la constitution du rap en genre musical légitime. Il décrit précisément l’arrivée du genre rap en France, son évolution irrégulière et incertaine, sa reconnaissance progressive et différenciée en tant que genre artistique à part entière, puis sa pérennisation. Il montre qu'il est d'abord perçu en tant qu'innovation artistique et stylistique pratiquée par des chanteurs de variété cherchant à faire évoluer leur répertoire, notamment sous l’impulsion des maisons de disque dont l’objectif est de profiter de la vague Funk / hip-hop de la fin des années 1970. En effet la « culture hip-hop » germe d'abord dans les ghettos noirs américains des années 1970, le Bronx en tête. Elle se caractérise alors par quatre pratiques majeures que sont l'emceeing, autrement dit le rap, le deejaying, le breaking, ou dance hip hop, et le graf. D’autres disciplines existent également, tel que le human beatboxing. Ainsi, dans les années 1980, le rap n'est considéré que comme une composante parmi d'autres de la « culture hip-hop » et non comme un genre à part entière. Les artistes de variété, comme Annie Cordy dans son morceau « Et je smurf »4, reprennent simplement certaines innovation stylistiques, principalement en ce qui concerne le phrasé saccadé, plus proféré que chanté. Les boites de nuit et les radios indépendantes permettent toutefois la maturation autonome du genre rap, processus au cours duquel les amateurs jouent un grand rôle et dont certains acteurs émergent alors aux yeux des médias. Karim Hammou donne l’exemple de Daniel Bigeault, un français passionné de musique hip-hop qui, à la fin des années 1970, se rend tous les six mois à Boston uniquement dans le but d’acheter les derniers disques. En 1984, celui qui se fait désormais appeler Dee Nasty sort Paname City Rappin’, 1 Littéralement des « passeurs de disques », les DJs sont devenus des créateurs à part entière recourant à des manipulations de disques vinyles 2 Les sound systems jamaïcains désignent littéralement les discomobiles qui véhiculaient la musique à travers l’île au moyen d’un énorme appareillage sonore. Le terme désigne par extension les fêtes musicales qu’ils généraient. 3 Type de chansons dont la caractéristique principale est de porter une critique politique claire et directe, le protest song ne se cantonne pas à un genre musicale spécifique. 4 Annie Cordy, « Et je smurf », face B du 45-tours Choubidou, CBS Records, 1984 5 le premier disque de hip-hop réalisé en France. Il est considéré comme le pionnier du mouvement hip-hop en France. Anthony Pecqueux donne quant à lui une piste de perspective historique plus stato- centrée permettant de penser le développement du rap français dans la continuité de certaines pratiques chansonnières française. Ainsi la forme des « lettres au président », initiée par Boris Vian et poursuivie par les générations suivantes de la chanson française, est largement utilisée par des auteurs de rap français. Pareillement, une certaine esthétique du rap, basée sur le recours aux « ellipses syllabiques », s’inscrirait inconsciemment dans la droite tradition des « musiques populaires », dites « musiques réalistes », de l’entre-deux siècle.