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LA BANDE DESSINÉE, NOUVELLE FRONTIÈRE ARTISTIQUE ET CULTURELLE 54 propositions pour une politique nationale renouvelée Rapport au Ministre de la Culture Pierre Lungheretti Avec la collaboration de Laurence Cassegrain, directrice de projet à la DGMIC-Service du Livre et de la Lecture Janvier 2019 1 2 En hommage à Francis Groux et Jean Mardikian, pionniers de cette nouvelle frontière. « La bande dessinée est l’enfant bâtard de l’art et du commerce », Rodolphe Töpffer (1799-1846) "La bande dessinée en l’an 2000 ? Je pense, j’espère, qu’elle aura enfin acquis droit de cité, qu’elle se sera, si j’ose dire « adultifiée ». Qu’elle ne sera plus cette pelée, cette galeuse, d’où vient tout le mal, cette entreprise, dixit certains – d’abrutissement. Qu’elle sera devenue un moyen d’expression à part entière, comme la littérature ou le cinéma [auquel, soit dit en passant, elle fait pas mal d’emprunts]. Peut-être –sans doute –aura-t- elle trouvé, d’ici là, son Balzac. Un créateur qui, doué à la fois sur le plan graphique et sur le plan littéraire aura composé une véritable œuvre". Hergé 3 SYNTHÈSE 4 1. La bande dessinée française connaît depuis 25 ans une vitalité artistique portée par la diversification des formes et des genres. Art jeune apparu au XIXème siècle, un peu avant le cinéma, la bande dessinée française connaît depuis près de vingt-cinq ans une phase de forte expansion, que certains observateurs qualifient de « nouvel âge d’or », dans un contexte mondial d’essor artistique du 9ème art. Passant d’un marché orienté principalement vers le jeune public, par le biais de la presse enfantine, à une bande dessinée pour adultes investissant le secteur de l’édition de livres, la France s’est affirmée comme le troisième pays producteur du monde avec un accroissement de sa production multipliée par dix depuis 1996. La vitalité de sa création a gagné en reconnaissance et se caractérise par une diversification artistique qui a donné naissance à des formes nouvelles et exigeantes (roman graphique, bande dessinée de reportage, autobiographies, adaptations littéraires, bande dessinée jeunesse...) et une relative bonne santé du secteur de la bande dessinée franco-belge qui a su se renouveler. Cette création connaît un succès significatif en France et à l’étranger. Pendant la même période, le manga a effectué une percée remarquable, atteignant près d’un tiers du marché de l’édition en France. La sphère d’influence du 9ème art s’est par ailleurs considérablement élargie, interagissant avec plusieurs autres expressions artistiques telles que le cinéma, le film d'animation, les jeux vidéo, les arts plastiques et la littérature, ce qui le positionne au carrefour de plusieurs arts. La bande dessinée a tissé sa toile pour être au cœur d’un écosystème ample, qu’elle contribue à irriguer et à nourrir de façon significative. 2. Malgré son dynamisme, le secteur est marqué par des déséquilibres et des fragilités qui affectent la situation économique et sociale des auteurs. La bande dessinée est devenue le deuxième segment le plus dynamique du marché du livre en France avec, en 2017, une croissance de 13% du chiffre d’affaires afférent, derrière les ouvrages de documentation. Elle constitue l’une des pratiques culturelles les plus importantes des Français, notamment auprès des jeunes et des femmes, avec un élargissement notable de son audience et une plus forte féminisation, même si en valeur absolue son lectorat, comme pour l’ensemble des autres secteurs du livre, a diminué. Elle constitue pour les jeunes un outil d’apprentissage de la lecture et l’un des premiers contacts avec le livre. Son attractivité auprès des marchés étrangers progresse. En 2017, elle représentait avec la littérature jeunesse plus de 50% des cessions de droits à l’étranger de l’ensemble de l’édition française. Le secteur est cependant confronté à une crise de croissance, due à une augmentation de la production totale (soit le nombre de titres publiés) plus rapide que les ventes, et la précarisation des auteurs. Il s’agit d’un risque majeur de fragilisation de la vitalité de la création qui caractérise notre pays. D’une part, les tirages moyens ont chuté et génèrent une rémunération par titre moindre que par le passé. D’autre part, le métier d’auteur de bande dessinée, particulièrement de dessinateur, exige une concentration, une minutie et un temps passé qui rendent difficile le cumul avec un emploi parallèle ou une activité secondaire régulière, comme c’est le cas pour une majorité des auteurs des autres secteurs du livre. Enfin, les réformes conduites sur le régime social des artistes auteurs ont pour effet collatéral d’affecter plus fortement les auteurs de bande dessinée compte tenu de la baisse continue de leurs rémunérations depuis près de vingt ans. 3. Le potentiel de développement artistique, culturel et économique du 9ème art appelle une nouvelle politique publique pour donner un nouveau souffle à la filière. Longtemps considérée comme une sous-culture ou comme une production de strict divertissement, la bande dessinée a gagné en reconnaissance en tant qu’art à part entière par les instances académiques et institutionnelles. Elle continue toutefois de se heurter à un plafond de verre. En effet, sa prise en compte institutionnelle comme vecteur d’éducation artistique et culturelle et comme objet de recherche demeure inaboutie : la recherche universitaire progresse mais elle ne dispose pas d'une place spécifique au sein de l’université ; le développement des festivals et des expositions dans de grands musées 5 publics a contribué à sa légitimation tout en restant ponctuels ; les opérations d’éducation artistique et culturelle demeurent encore isolées et circonscrites à des initiatives individuelles, générant parfois des résistances, même si elles produisent des bénéfices éducatifs reconnus. Par ailleurs, l’absence de pilotage public en matière de formation a favorisé une éclosion récente d’écoles et de formations en grande majorité d’initiatives privées, alors même que cette question constitue un élément déterminant pour la reconnaissance de la filière, aucune des formations existantes ne faisant référence sur le plan national et international. La politique publique nationale conduite en faveur du 9ème art s’incarne principalement dans le soutien au festival international d’Angoulême et à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image ainsi que par un régime d’aides en faveur des auteurs, des éditeurs et des librairies allouées par le Centre National du Livre, les directions régionales des affaires culturelles et les services régionaux du Livre. Cette politique se situe au carrefour de multiples enjeux des politiques culturelles : la politique de l’artiste auteur, qui est actuellement fortement questionnée par les auteurs eux-mêmes, la politique des arts visuels et de la lecture, la politique d’éducation artistique et culturelle pour laquelle la bande dessinée présente un potentiel important, le développement multi-support des industries culturelles et créatives, la politique festivalière et d’animation territoriale ainsi que la politique culturelle extérieure de la France pour laquelle le 9ème art constitue un vecteur efficace de diffusion de la francophonie et de l’image culturelle de notre pays. La situation constatée appelle une refondation de la politique publique en lien avec la filière et l’ensemble des pouvoirs publics, pour mieux prendre en compte un tissu créatif fragilisé et pour valoriser pleinement un potentiel de développement artistique, culturel, éducatif et économique. Dans le cadre de cette refondation, la question de la situation des auteurs revêt une place névralgique. La poursuite de la paupérisation des auteurs pourrait entraîner un affaiblissement de la vitalité de la création, qui constitue l’atout majeur du secteur et de ses capacités de rayonnement et d’influence. L’amélioration de leur situation doit être considérée comme une priorité, en actionnant une palette d’outils publics impliquant notamment le concours des collectivités territoriales. Le renforcement du soutien aux petits éditeurs s’inscrit dans le même objectif. La structuration d’une meilleure prise en compte du 9ème art au sein des instances académiques et culturelles par une mise en réseau et une professionnalisation ainsi que le développement d’une politique volontariste d’éducation artistique et culturelle auraient des effets bénéfiques pour développer de nouveaux lecteurs et favoriser ainsi, sur le long terme, un rééquilibrage du marché par une demande regénérée. Les potentialités d’une nouvelle politique de promotion à l’international devraient être pleinement exploitées en inventant de nouveaux modes d’action, notamment en tirant bénéfice de la place carrefour du 9ème art vis-à-vis du film d'animation et des jeux vidéo. Enfin, la mise en œuvre d’une politique nationale du patrimoine permettrait de répondre à une demande sociale qui s'accroît, de satisfaire un intérêt de la filière en matière de valorisation des fonds et de transmettre une histoire et une culture du 9e art notamment en diffusant des collections publiques et privées dans un partenariat original. Les 54 propositions du rapport s’articulent autour de 7 axes : 1. Renforcer la reconnaissance institutionnelle et symbolique du 9ème art. Malgré des progrès récents et réels, la place du 9ème art dans le paysage académique et culturel français semble marquer le pas. La recherche académique doit être mieux structurée et reconnue. Il est proposé de créer une école nationale de la bande dessinée à partir du savoir-faire