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Cyberterrorisme et nouveau messianisme , des frères A. & L. Wachowski. États-Unis, 136 minutes, 1999 Josh Oreck, The Matrix Revisited. États-Unis, 123 minutes, 2001 Michaël La Chance

Les folies de Dieu : les lieux du religieux Numéro 184, mai–juin 2002

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Éditeur(s) Spirale magazine culturel inc.

ISSN 0225-9044 (imprimé) 1923-3213 (numérique)

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Citer cet article La Chance, M. (2002). Cyberterrorisme et nouveau messianisme / The Matrix, des frères A. & L. Wachowski. États-Unis, 136 minutes, 1999 / Josh Oreck, The Matrix Revisited. États-Unis, 123 minutes, 2001. Spirale, (184), 15–18.

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THE MATRIX, des frère s A. & L. Wachowski États-Unis, 136 minutes, 1999. THE MATRIX REVISITED de Josh Oreck États-Unis, 123 minutes, 2001.

Le désir de rencontre par téléphonecellulair elivr édan sun eenvelopp e à son individualité : c'est à ce prix que notre Le système contrôle ce que nous appelons réa­ Federal Express,lorsqu e (Dieu,o u du destin nous appartient. lité, il nous tient par notre besoin de nous sen­ moins Jean-Baptiste, son prophète tout-puis­ La prise de contact est inespérée pour celui tir réels.L'humai n estdeven u prothèsed el a ma­ sant),qu ivoi t tout (comme lespectateu r devant qui cherche, mais il ne se donne peut-être pas chine; celle-ci peut prendre forme humaine un film), peut utiliser le hasard et le rendre si­ assez à sa quête, ou peut-être n'est-il pas à la pour mieuxcontrôle r notre illusion et dissoudre gnificatif, peut insérer des signes dans une re­ hauteur desindice squ i luison t accordés.Né o ne les résistances. Car, dans le « réticulé serré des présentation pour rappeler aux acteurs qu'ils parvient pas à suivre les instructions de Mor­ micro-pouvoirs » (Foucault), tous les individus sont sur une scènee tle srenseigne r sur la nature pheus jusqu'au bout, ils efai t rattraper par lesys ­ peuvent devenir des agents de contrôle, ou plu­ de cette représentation. tème. Quels risques sommes-nous prêts à tôt des archi-agents, qui viendront défendre la prendre pour fuir un danger dont nous ne machine-réalité, le système infocratique. Tho­ sommes pas sûr qu'il soit bien réel? Inverse­ mas Anderson, alias Néo, employé de la firme Lapris e e n charg ed udesti n ment :plutô t que de risquer sa viedan s la fuite, Metacortex quiassur el etissag eliss ee tsan sbor d Morpheus est omniprésent, il voit l'arrivée des on préfère temporiser en alléguant que la me­ de la réalité illusoire, passe à travers l'écran- agents, il peut guider Néo entre les cloisons du nace n'est pas réelle.C'es t l'avantage que le mal fenêtre deso n ordinateur : e n fait, ilétai t « dan s » bureau. Comment Morpheus peut-il voir ces asu r nous : o n nel evoi t pasveni r et lorsqu'il est l'ordinateur et retombe dans le réel. Néo avait choses sinon d'appartenir à un autre monde, lào n préfère lecroir e irréel.C'es t encore lepou ­ lancé le moteur de recherche de son ordinateur comme un programmeur surveille l'environne­ voir du système de décider ce qui est réel et ce « searching... », il cherchait la réalité — et dé­ ment computationnel qu'il a créé . Vic opostulai t qui ne l'est pas. Néo éprouve une grande ambi­ couvre aussitôt que c'est lui qui est activement que Dieu connaît le monde parce qu'il l'a créé. valence àl'égar d de cette prise en charge de son recherché ( pa r les Agentsd u monde etpa r Mor­ Reformulation contemporaine de ce postulat : destin par despuissance s extérieures.Aspec tné­ pheus, leche f de la résistance sous-mondaine). on connaît cequ el'o n contrôle. Morpheus aver­ gatif decett e prise en charge : u n parasite-robot Chez Néo, et aussi chez les résistants qui le tit Néo : ils te surveillent. Ce dernier ressent s'infiltre en nous par le nombril, de mécanique contacteront, la conviction est forte, mais c'est l'ambivalence du sentiment d'être surveillé : il devient organique, version miniature des la « questio n » qu ies t lemoteu r leplu s puissant. notre destin intéresse des puissances externes dark-bots tentaculaires qui cultivent leschamp s L'action estdéclenché epa r cettecollusio n des parce que nous serions une pièce importante de où «poussen t » les humains. En fait, son destin quêtes,ell es'annonc e par uneséri e de prises de leurproje t global.Quell ees tl anatur ed ec epro ­ ne lui apparaît plus aussi simple qu'avant, lors­ contact. Premier contact :Né o chambre 303, re­ jet? On aura cru un instant que ledesti n deshu ­ qu'il luifau t naviguer entreplusieur s (6) niveaux çoit un message; c'est une annonciation- mains est pris en charge par les machines, mais ontiques. affichage vert phosphore à l'écran de son ordi­ cedesti n estbientô t prise n chargepa r une quête D'abord, lenivea u o- lesous-mond e ou l'im­ nateur. Une présence occulte cherche à prendre qui transcende les machines. Avec Matrix, les monde, les entrailles du monde patrouillées par contact. Un rapprochement entre le monde des frères A&L Wachowski ont réussi une combi­ desméduse smécaniques , le drain ontique,l'égou t états mentaux altérés par des psychotropes naison deSiddhârt a (H.Hesse ) etd e Vingtmill e de l'histoire qui jaillit pour avaler et désagréger. (mescaline) et le monde digital (jeux dans le lieuessou sle smer s( J . Verne) . Le capitaine Nemo 1- Au-dessus du sous-monde :l'extensio n pure virtuel) est suggéré. Choi, le « client » auquel est en guerre contre la société, Morpheus mène de lavi e indéterminée. 2-C equ i permet d'envi­ Néovien t devendr ede sdrogue s numériques,n e une guérilla sous-mondaine contre les ma­ sager l'humanité non asservie, le corps non manquepa sd'appele r Néoso nsauveur ,so nJésus - chinestandi squ e leprinc e Siddhârta sort du pa­ atrophié, le Soi tel qu'il est révélé par l'Oracle. Christ personnel. Chimique ou numérique, tout lais de l'illusion. 2-3 Mais la vie est harnachée et nous sommes cela relève du même simulacre comme l'atteste Quelle est cette quête supérieure : je maintenus dans un sommeil nymphal,un eexis ­ la référence à Jean Baudrillard, dont le livre cherche mon père (Morpheus, Nemo), ou plu­ tence larvaire. Nous restons enfermés dans la Simulacra & Simulation a été évidé au chapitre tôt lepèr e (Dieu) cherche lefils (Jésus) .Jésus - prison de l'esprit, tandis que le monde devient «O n Nihilism »pou r ydissimule r la drogue. Néo sera l'initiateur d'un monde régénéré, la désert. Dansl edéser t du réel,l'humanit é estpé­ Ledeuxièm e contact provient de l'ange Tri­ réincarnation du premier homme qui, bien pinière d'embryons, ferme de piles bioélec­ nity. En la voyant, Néo, soulignant l'ambiguïté que «n é » dan s la Matrice, avait la capacité de triques. 3- Au-dessus s'étend le réseau, qui dé­ sexuelle des chats, s'écrie : « Jesus I thoughtyo u changer la Matrice. Plus tard, ce sentiment ploie l'illusion de l'être. La réalité rendue where a guy. »C equ i peut s'entendre dediverse s d'être surveillé, l'anxiété de participer à un possiblesou sconditio n descontrainte s du sym­ façons : je croyais que Jésus était un homme. projet occulte — tout cela trouvera une ac­ bolique.L apilul e rouge permet d'entrouvrir un L'ambiguïté homme/femme est aussi céleste/ ceptation béatifique. Mais pour l'instant, il entre-deux (Bardo), celui où Néo rencontre terrestre. Letroisièm e contact (se.5) s'effectuera faut surmonter la crainte de devoir renoncer Morpheus. 5- Au-dessus du réseau s'ancre la

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«Représentatio n »,l e monde-voile de l'illusion synthétique des apparences nous découvrons comme image, il peut surtout aller plus vite. du social : la Matrice. La pilule bleue renforce notre vraie nature : larvaire, dépendante. Le L'adepte du Kung Fu va plus vite que ses adver­ cette intoxication hallucinogène qui est en fait «rée l »es t une immense ruche de capsules pla­ saires :c'es t depuis cette accélération qu'il voit une simulation neuro-interactive généralisée, centaires dans lesquelles nos corps sont réduits lesautres ,le schose s lui paraissent au ralenti,c e unetram eonto-oniriqu e conçuepa r ordinateur. à despile sbio-électriques .Antoni n Artaud avait qui lui permet de démultiplier les mouvements 4- Percer le voile (en 5),découvri r la puissance eu cette vision : « Le corps humain est une pile à l'intérieur d'un même instant, ses perfor­ du réticulé (en 3), nous donne la capacité de électrique chez qui on a châtré et refoulé les dé­ mances neuro-kinétiques gagnent de vitesse les nous projeter dans un théâtre, de nous Action­ charges,don t o n aorient é ver s l a vie sexuelle les ca ­ simulations neuro-interactives del a Matrice. Le ner et de nous transformer. Ainsi,dan s lesous - pacités et les accents alors qu'il est fait justement Kung Fu peut agir dans cet arrêt du monde, ce marin Nebuchadnezzar, peuvent prendre place pour absorber par ses déplacements voltaïques quie n fait l'arme contrele smachines ,l avoi ed e les morphogeneses (sous l'égide de Morpheus) ; toutesle s disponibilitéserrante sd el'infin i duvide , l'apprentissage del'être .C equ in eserai t quejus ­ Néo yser a soigné par acupuncture. Mieux : i ly destrou sd u vide d eplu s e n plus incommensurable s tice quand c'étaient d'abord les machines qui rencontre l'amour. 4- bis.L e « construct »,le s si­ d'unepossibilit é organiquejamai s comblée. » avaient tout accéléré et ainsi gagné sur nous. mulateursd eréalit équ ipermetten t l'entraînement LaMatric e est un utérus «affol é » pa r l'am­ ireétap e : un douteaveugl enou s engagedan s guerrier. 6- Alors, Néo accède enfin au monde bivalenceentr e l'individuel etl e collectif , c'es t le une quête (dans l'information, dans les repré­ comme seuil,théâtr e subversif et hypnagogique. cauchemar d'une société-utérus où la repro­ sentations) bien quel'o n nesach epa s ce qui doit duction humaine est un acte collectif et méca­ être recherché, jusqu'au moment où tout s'in­ nique, pure répétition nauséeuse. Certes, nous verse : on était de l'information, on est nous- Imperfections dans la façade matricielle savions déjà, selon une approche mécanistique même recherché. 2 e étape : nous sommes des Comment direl esystèm edan sl elangag ed usys ­ et moniste du monde, qu'il n'y a d'autre réalité piles bio-électriques, embryons câblés dans tème? I l faut rechercher la tension la plus fon­ quele ssignau xélectrique sdan sl ecerveau .Ains i notre Power-pod, ou Placental-pod, qui rêvent damentale,s eplace r au cœur de cettetensio n et lecervea u nous « construit » un e localisation du d'un monde affairé où ilscroien t réussir leurvie ; récapituler comment le système surgit de cette corps. Nous avons voulu, traditionnellement, 3e étape :l e doute. et Morpheus croient tension. Le monde comme tension fondamen­ que le corps soit ici et l'âme dans une autre di­ en Néo, Cypher n'ycroi t pase ts'exclam e devant tale :plui e de nombres, pluie debi t (1, o),plui e mension, spirituelle, céleste.Dan sMatrix , il n'y Néo :« Jesus,wha t a mind job! » Néo lui-même dedouilles ,ruissellemen t del aplui esu r lescôté s a ici que l'esprit, c'est le corps qui est ailleurs. doute,so nvra i nom estThoma s Anderson, Néo du viaduc (Adam Street Bridge), ruissellement Prendre la pilule rouge, c'est inoculer un virus est l'anagramme de (The) One (l'Élu), il est de l'eau savonneuse sur lesvitre s de l'immeuble informatique dans la simulation numérique l'affirmation de soi à partir d'un doute radical. de Metacortex :e n tout lieu de la Matrice nous neuro-interactive,c'es t démarrer uneroutin e de Ledout e est un moteur puissant pour conduire décelons son artificialité; ilsuffi t d'un ruisselle­ re-traçagequ i remontejusqu'a u corps,qu i saura ledestin ,l afiction es tauss i un moyen privilégié ment ou encore d'une imperfection dans le perturber les signes vitaux de Néo afin de lui detente r derépondr e auxgrande s questions sur mouvement,d'u n vacillement esthétiquedan sl e faireretrouve r lalocalisatio n exacted eso ncorp s la nature de ce monde. Ce qui situe le film lui- voile synthétique des apparences. Car les ma­ dans une capsule placentaire. Car c'est à mé­ même, TheMatrix , etl estatu t del a fiction dans chines déploient un monde selon un style «or - connaître notre corps et de lui avoir substitué le film :Né o n'est pas l'Élu, mais il peut croire gano-synthétique », leurs mouvements sont une idée que nous entrons dans une reproduc­ en cette fiction et devenir effectivement un per­ quelque peu saccadése timparfaits . Il y a un eex ­ tion anonyme. Voilà quelle forme prend la ré­ sonnage mythique, vengeur et rédempteur. périence esthétique du monde qui le révèle sistance contre la Matrice : retrouver unefilia­ Comment un personnage de fiction peut-il comme une construction procédurale neuro­ tion, reconstituer le père et se laisser renaître «croir e » quelquechos e : cettecroyanc ees t réelle interactive au service des intérêts machiniques. dans cette filiation. dèslor s que lespectateu r peut croire en cefilm, Lesréalisateur s dufilm on t choisiun e esthétique faire del'illusio n filmique un arrière-monde de­ de la Matrice : petit e focale qui incruste les per­ puis lequel contester celui-ci. 4 e étape : retour­ sonnagesdan sl efond , dominante devert ,e t fré­ L'apprentissage de l'être ner dans la réalité sachant que c'est un pro­ e quence image/seconde plus rapideafi n d'assurer Lorsque Néo s'extrait de la capsule placentaire, gramme contrôlé par les Agents. 5 étap e : faire uneprojectio n pluslente .I les tbie n sûr plusais é il passe par une re-naissance, ses muscles atro­ exploser laMatrice .Né os eprojett e dans l' de caractériser le monde « inférieur »d e Mor­ phiés seront développés par acupuncture et Smith pour le faire éclater. Ainsi, Trinity va se pheus, en mettant à contribution la bioméca­ exercices.L'entraînemen t deKun gFu ,d e « drun­ fracasser contre la façade vitrée de l'immeuble : nique de Giger et le cyber-steam de Geof Dar- ken boxing »(se .14-15 )lu idemand e peu d'effort le verre explosant en cercles de plus en plus row. Il est plus difficile de caractériser notre puisqu'il ne s'agi t pastan t d'investir sesénergie s larges, les façades ondulant comme des voiles, monde comme hyperréaliste : Mouse se de­ dansu n art qued es elibére r del'énergi e que l'on dansun esecouss egénéralisé ed u monde del'ap ­ mande ainsi pourquoi les machines ont-elles consacre ànourri r l'illusion. Ilfau t laisser l'illu­ parence. souscrit àun e telleesthétique ,o ù lasurcharg ed u e sion être ce qu'elle est, laisser le monde être ce Revenonsà l a 3 étape ,l arésolutio n du doute. visuel doit détruire l'olfactif. qu'il est comme illusion et ne pas mobiliser et Dans l'antichambre de l'oracle, lesenfant s télé- Le système prend en charge notre illusion, finalement drainer ses énergies pour se confor­ kinésiques (se. 21) regardent un épisoded e Night nous sommes enfermés dans unecapsul e dere ­ mer àcett e illusion.O n en fait partie,c'es t tout. oftheLepus (1972) àl atélévision ,Spoon-bo yrap ­ présentation. Dans un épisode alarmant, Néo Nietzsche nous invite à danser dans la chambre pelle à Néo que la cuiller est dans notre esprit, voit deux fois le même chat noir :l a répétition aux mirages, mais à ne pas peindre plus vrais que le «mond e »es t un prolongement mental révèlenotr eenfermement . Le réeles tu nfilm qu i qu'ils ne leson t les mirages. de soi. Lemond e c'est encoresoi ,o u plutôt iles t neparaî t paste l caro n nel epass epa sdeu x fois, Lepersonnag e de dessin animé bat des pau­ verrouillé dans un rapport à soi . Laplasticit ére ­ sansscène ssaccadées . L e cinéma,c'es t lerée lré - pières; pourtant, ses yeux ne sont pas secs, trouvée (protéimorphe : Morpheus) du monde g pété pour révéler que c'était déjà du cinéma. mieux encore il ne voit pas :pourquo i devrait- peut tolérer des états différents de la cuiller, Z Mieux que cela,l e système apouvoi r de répéti- ilconsacre r sesénergie s àparaîtr e réel (s'il ade s parce que lemond e peut exister tout en laissant 3 tion mortifère mais n'en usepas ,o u plutôt ilré - énergies qui lui soient propres, outre l'énergie une grande latitude aux choses. Lemond e peut £ pète mais à notre insu, il contrôle les images spécifique qui fait bouger l'image) ? Libéré del a donner consistance à des visions différentes, à w pour assurer cette répétition qui nedoi t paspa - tâche de se rendre plausible, le personnage est nous de passer d'une vision à une autre, soit ê§ raître dans la représentation. Sous le monde rendu àse sfantasme s etpeu t alorss e « réaliser » d'un monde à un autre — ou de laisser se

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superposer les mondes possibles,comm e lamé ­ Lesmachines , c e qui inclut lecinéma , détestent- d'Othello, il lui envie l'amour de Desdémone - canique quantique l'enseigne à propos du sub­ elles par-dessus tout les odeurs parce qu'elles Cypher ne peut supporter la sollicitude de Tri­ atomique. Néo prend pleinement conscience n'ont pas lecontrôl e de l'olfactif? Comment les nity pour Néo. Le monde de Matrix est par que tout est illusion de la Matrice et parvient machines peuvent-elles détester les odeurs si avance « color é » — c'es t uneluminosit éverdâtr e ainsi à arrêter le temps. Tout est ruissellement ellesn esenten t rien?C'es t unequestio n quepo ­ — par l'envie :chaqu e homme est incapable de phosphorescent de chiffres, les murs de la sait Mouse :commen t lesmachine s ont-elles pu tolérer les succès et lebonheu r des autres. chambre sedilaten t ets econtracten t alors qu'ils créer l'illusion du goût du poulet si au départ Lemal ,c'es t l'envie,c'es t aussi une contesta­ respirent avec lui et se soumettent à sa durée. ellesn esaven t pasc equ e goûte lepoule t ? Laré ­ tion del asagesse ,u n défi àl aconfiance , un refus Cypher peut regarder le ruissellement du nu­ ponse est simple : elles peuvent détester ce du destin. Cypher entreprend de détruire Néo mérique etvoi rcommen t celui-ci este n train de qu'elles ne connaissent pas, démontrant par là dans le seul but de contredire la conviction de façonner un monde d'apparences. Il peut voir qu'elles peuvent être humaines. Morpheus que Néo serait effectivement le sau- des formes en observant directement du code, sans les interpréteurs qui les afficheront sur écran ou dans une simulation 3D. Qu'est-ce que la Matrice :un e masse de particules-bit (la ten­ sion) et la scénographie que nous élaborons à partir decett e masse . Tou t celan'es t qued u code (ou particules) transformé par le cerveau en steak savoureux ou en fille séduisant e (ycompri s POUR PARVENIR A LA CONTEMPLATION la blonde à la robe rouge, digital pimp, pro­ grammée par Mouse). Horsd ecett e spectaclisa- PARFAITE, L'ES'MU"^ A BESOIN DE tion, il n'y a pas de goût, de sensation, de plai­ sir. À bord du vaisseau des résistants, la nourriture n'est qu'une bouillie basique, un PURIFICATION. LA RADSON EST composé de protéines dérivées d'organismes monocellulaires : dans le sous-monde tout est ?IÉE QUAND ELLE SE DÉGAGE Dl immonde. TOUTES LES REPRÉSENTATION L'envieau x yeux verts Cypher, qui avait été un des plus fervents dis­ SENSIBLES, ELLE EST ENCORE PLUS ciplesd e Morpheus, estame r den epa sêtr e l'Élu, le Rédempteur. Faute d'avoir reçu cette préfé­ FIÉE QUAND ELLE ESI rence, il chute de loyauté en trahison :c'es t Lu- Cypher (ou Gabriel,jou é par Christopher Wal- ken dans Prophecy), l'ange déchu, réversif . Faut e COMPLÈTEMENT LIBÉRÉE DES d'être premier dans leciel , Cypher préfère lavi e terrestre où ilser a richee t important, « acteu r » ODUCTÏONS DE L'IMAGINATION, du réel qui suscite la même fascination que les vedettesd eciném a ! Le vaissea u està l avi eréelle , où lesaspirant s acteurs attendent leurchanc ed e passer à lacaméra , cequ e la Matrice est à l'uni­ vers cinématographique de la fiction et aussi à l'univers des stars. C'est pourquoi Cypher est prêt à trahir sescompagnon s de vaisseaux pour assurer sa placea u soleild'Hollywood . Nouvelle version de l'enfer : tout faire pour assurer sa place dans le spectacle.À l a remise des Oscars, l'ingénieur du son fut saisi par le trac : n'était- ce pas cela la Matrice, (« sur scène il y avait ce mondepréfabriqu é ») avec ses personnages aux costumes noirs? Sans-titre de Miguel A. Berlanga, 1998 Autre personnage maléfique, l' éprouve le plus grand dégoût pour l'humanité, Cypher aembrass équelqu etemp s unevisio n veur attendu ; il préfère provoquer un dénoue­ c'est un maître hégélien prisonnier de la tâche libératrice, mais soupçonne qu'il ne parviendra ment dans l'espoir de prolonger l'incertitude. interminable de toujours recréer l'illusion de jamais àl'illuminatio n ultime,malgr é toutes les Cypher clame que cela prendrait un miracle l'esclave. Sa férocité particulière viendrait de privations, les ascèses, les études. Il a trouvé le pour l'en empêcher,comm e s'il attendait cemi ­ cette lassitude (ou mépris de soi-même) vrai chemin mais s'en détourne néanmoins car racle. En effet, Tank revient pour éliminer Cy­ qu'éprouve le maître d'œuvre du faux qui sait cechemi n lui paraît trop long.Jalou x de ne pas pher : ce dernier a provoqué le miracle de sa que, ce faisant, il se produit lui-même comme être l'élu, il conçoit une haine contre le père mort. faux.À satanise r Smith,l eciném a s'auto-exorcise (Morpheus). Iléprouverai t labéatitud ed'un e ré­ icicomm eétan t unefaço n dejoue r lerée lqu i fa­ vélation du sacrés ic emond e du sacrén elu i pa­ çonne le réel. Pour l'Agent (réalisateur) Smith, raissait pas encombré de la présence de Dieu. L'illumination deso i l'humanité est un zoo pathétique, un parc d'éle­ C'est « le monstre aux yeux verts » évoqué par La Matrice ne dit qu'elle-même, et nous, qui vage (on pense à Sloterdijk) qui sent mauvais. Shakespeare dans Othello : Iag ojalous e lesuccè s sommes dans la Matrice, ne pouvons connaître

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de nous-même que ce qui peut servir l'intégra­ déclarations d'hostilité envers un monde gou­ filmées,pa r des images numériques, sous-pro­ tion globale de tous les éléments de la Matrice. verné par les machines. Références d'un fonda­ duitsde svraie simage s : ajouter desinstant sdan s Cependant l'Oracle (une dame dans sa cuisine mentalisme néo-christique relancé par la cyber- l'instant, ajouter des images entre les images— - comme Heraclite près du four àpain ) ne voit culture? Les ennemis ne seraient pas des êtres et superposer des mondes dans ce qui apparaît passeulemen t lerouag e que nous sommes dans humains maisl'ombr e d'eux-mêmes : on peutle s comme une rencontre àl'écra n del a mécanique la machine, elle voit le rôle que nous pouvons détruire sans remords. Ainsi, Carrie-Ann Moss, quantique et du bouddhisme. jouer dans une épopée de libération, elle peut dans le commentaire du film ( Feature-Lengh L'efficacité des effets spéciaux du film vérifie envisager notre identité selon une autre pers­ Audio Commentary), semble amenuiser la vio­ lepostula t de Matrix : le monde des apparences pective (sc.2o). Elle reconnaît d'emblée notre lence de Matrix en déclarant que les victimes, estun e simulation neuro-interactive générée par place dans la course vertigineuse des âmes : elle dans lehal l de l'immeuble du gouvernement, ne ordinateur :prè s de vingt pour cent du film est distingue la vieille âme qui quittera bientôt le sont pasde shumain s maisde smachines ,soi tde s composé en imagesd esynthès e numérique.Bul ­ cycle,d el'âm e qui porte un karma accablant,o u illusions créées par la machine. N'est-ce pas ce let-time + fond virtuel = plateau de tournage encore de celle qui possède une prédisposition que l'on peut dire de la violence au cinéma qui multidimensionnel (dimensional computersets) . exceptionnelle pour l'illumination. L'Oraclede ­ consiste en premier lieu à déréaliser les êtres? On peut envisager un monde construit à cent mande à Néo s'il attend sa prochaine existence Pour mieux contrôler ce que nous appelons pour cent d'effets spéciaux. Mi-figue mi-raisin, pour faire lepas . réalité,l amachin epeu t prendre forme humaine. Gaeta annonce que le technicien d'effets spé­ Comment seconnaîtr e soi-même sinou s ne Par opposition, la force de l'individu, c'est la ciaux, que l'on trouve aujourd'hui sur les pla­ sommes rien, formes éphémères qui flottent un conviction qu'il saura vaincre la machine (Car- teaux de tournage, sera l'ingénieur social de instant dans le vide. Nous croyons « être » rie-Ann Moss affirme pour sa part qu'elle demain.S il esystèm e (la matrice techno-écono­ l'image que nous nous formons selon les «croi t » à cefilm e t au rôle qu'elle yjoue) , c'est mique) peut produire un simulacre de réalité, le moyens neuro-perceptuels mis à notre disposi­ laconfianc e quele sautre s mettent en nous,c'es t cinéma en général est la répétition dans un tion par notre société, selon les exigences d'in­ notre foi dans le fait que l'amour humain est monde de fiction de ce pouvoir d'illusion, tan­ tégration etd efonctionnalit é psycho-politiques plus grand que la mort : Trinity redonne vie à dis que le film Matrix en particulier serait une de cette société. Nous voudrions naïvement Néo. Ici, le cyberfondamentalisme d'une récu­ tentative d'exorciser lepouvoi r d'illusion du ci­ croire que nous existons pour jouir du simple pération du divin dénaturé par le système poli­ néma lui-même.Auto-exorcism e du cinéma qui fait individuel d'exister, alors que nous existons tico-économique est tempéré par l'apologie de va à rebours de notre capacité de morphing, pour constituer un relaisdan s uneexistenc ecol ­ l'amour. Car l'amour est ledélir e d'une transfi­ quand le réel sera un gigantesque morphing où lective. Lesystèm e est une machine de réalitéà guration du monde autour du désir del'autr e— nous n'aurons de cessed e « frankensteine r » le s travers laquelle le collectif perpétue son exis­ sa puissance de résurrection relève de la kines- corps en les augmentant toujours dans leur la­ tence. Pour sortir du collectif, il faut abandon­ thésie opérée par celui qui tord une cuiller en titude de mouvement : nous avons admiré le ner notre réalité telle qu'elle est définie par ce modifiant savisio n interne.L'Oracl e en donnait battement de jambes de Trinity dans son saut système, ce qu'on ne saurait faire qu'à devenir l'indice à Néo :s i tu entres en contact avec toi- spirale entre les immeubles, eh bien ce ne sont aussi puissant que collectif : chaqu e partie sur­ même, personne ne le saura, c'est comme pas lesjambe s de Trinity ! passant le tout. Néo parvient à bouger tantôt lorsque tu es en amour. L'amour révèle Trinity LaMatric e est usurpation par lecollecti f de plusvit etantô t pluslentemen t quele sAgent sd u pour ce qu'elle est, une Marie-Madeleine qui la fonction maternelle : les êtres humains ne système,à être tout àl a fois en dehors et en de­ croit en l'Élu. sont plus nésmai scultivé s dans deschamps .L e dans, àêtr e tout à la fois avant et après. Remar­ Néo devient invincible car il entre dans une film rejoue un roman familial soumis à la bio­ quer que la Matrice nous maintient en 1999, temporalité (bullet-time) où tout est illusion. Il politique,expriman t une volonté de combattre alors que les machines sont deux siècles en peut arrêter le temps, ce qui arrête la violence. la déparentalisation et la recherche passionnée avance en 2199. Contre cette hétérochronie La machine peut voir / entendre / et même agir d'une conception del asexualit é etde s rapports d'une humanité en retard sur sa technologie, à travers nous — un mouvement que Néo peut humains qui n'est pas seulement génitalité et Néo préconise une intemporalité extatique. inverser lorsqu'il s'infiltre dans la machine — reproduction de l'espèce (le branchement de Lavocatio n de Néo est révélée quand ilvoi t lorsqu'il s'introjette dans l'agent Smith pour la l'individu à la Matrice, par un dard d'acier qui son pèreadopti f sesacrifie r pour lui. Alors le fils faire éclater del'intérieur .Ains iNé ovis el etout - lui rentre dans lecerveau ,paraî t assez phallique s'efforcera d'incarner la fiction du père, ce que possible;te l Jésusressuscité ,i lacquier t toutesle s en ce sens, il rappelle par ailleurs l'image du le père espérait de lui, car la vie du père est au autorités (Marc, 1 6 :19), devient incandescent et doute : Morpheus ayant « a splinter in your cœur de son espoir. C'est pourquoi, prenant les finalement s'élève dans leciel . mind »).Douter , c'est un dard dans le cerveau, plus grands risques, Néo retournera dans le ne pasdouter , c'est nepa ssoupçonne r avoir un monde où Dieu est emprisonné dans la matière tel dard. Le dilemme qui se pose à la fin, lors- immonde, où la politique a instrumentalisé le Cinémae t ingénieri e sociale qu'apparaît la nécessité de tuer le père (dé­ religieux. Néo devient Messie non pour sauver Pour certains artisans de Matrix, en particulier brancher Morpheus dont l'esprit est prisonnier l'humanité maispou r sauver Dieu.Ironi e oucy - par leur travail sur le temps, ce film constitue desagents ) pour sauver lavill esecrèt e de , berfondamentalisme? Il devient une furie cy- une réalisation spirituelle en soi. D'après un est révélateur de ce qui doit réellement être berterroriste pour combattre lesystèm equ i tient John Gaeta ironique :le s Movie Studios,c'es t le sauvé dans cet affrontement contre lesystèm e: en otage et utilise lesvaleur s religieuses.Rappe ­ système.Alor sle seffet s spéciaux,lorsqu'o n peut nouveau messianisme del arédemptio n du père lons que Morpheus était le dieu du sommeil et arrêter letemp s avecbullet-time , c'est faire écla­ que l'on croyait devoir sacrifier. Matrix est le que Nebuchadnezzar était un roi de Babylone ter lesystèm e del a représentation de l'intérieur. premier volet d'une trilogie : « / / vousfaudr a ré­ qui avait reçu en songe les instructions de dé­ Sans soupçonner qu'il ne s'agirait là que d'une viser Hegel, Kant et Descartes, les traditions truire Jérusalem car ses habitants croyaient en mise en abyme du système. Depuis un certain judéo-chrétiennes et les recherches contempo­ un faux dieu. Rappelons aussi que Zion, la cité temps déjà, le mouvement circulaire d'une ca­ rainesparc equ etou tcel a estexplor édan s les 2'e t secrète où se réfugient lesdernier s humains qui méra sur des rails permet une projection au ra­ f volets » (Lorenzo di Bonaventura, Président, n'ont pas été contrôlés par la Matrice,qu e Zion lenti. John Gaeta commande une caméra vir­ Worldwide Theatrical production, Warner donc est la prophétie d'un royaume des justes, tuelle en contrôlant le ratio image/seconde de Bros.). la promesse d'une Nouvelle Jérusalem (Révéla­ cent vingt caméras numériques montées en tion, chap. 21). Alors on peut se méfier de ces cercle. De plus, il peut interpoler les images MiCHAËl l_A CrHAINCE

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