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LL’’AAvvantant-Garde-Garde russerusse

Evgueny Kovtun Texte : Evgueni Kovtoune Traduction : Alexandra Gaillard

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ISBN : 978-1-78042-765-2

2 L’AVANT-GARDE RUSSE

- Sommaire -

I. L’Art des premières années de la révolution 7

II. Les Ecoles et les courants 39

Les Incontournables 103

Notes 194

Bibliographie 196

Index 197 6 I. L’Art des premières années de la révolution

« Picasso, ce n’est pas de l’Art nouveau. »

L’art russe s’est trouvé au début du XXe siècle à la pointe du processus artistique mondial. Les décennies qu’il a fallu consacrer en France au renouveau de l’art pictural se sont condensées en Russie en une quinzaine d’années. Les années 1910 ont été marquées par l’influence grandissante du cubisme, qui modifia le « profil » même de l’art figuratif. Mais vers 1913, déjà, la rupture s’est faite sentir, de nouveaux problèmes plastiques ont surgi. Et c’est vers l’avant-garde russe que s’est mis à pencher le plateau de la balance. En mars 1914, Pavel Filonov déclare que « le centre de gravité de l’art » s’est déplacé en Russie1. Dès 1912, Filonov critiqua Picasso et le cubo-futurisme, « conduit à l’impasse par ses principes2 ». Cela fut dit dans la période du triomphe de ce mouvement aux expositions russes. Les penseurs et les peintres russes les plus sensibles virent dans le cubisme et la création de Picasso non pas le début d’un l’Art nouveau mais l’aboutissement de l’ancienne lignée dont Ingres était à l’origine. Nicolas Berdiaev : « Picasso, ce n’est pas un l’Art nouveau. C’est l’achèvement de l’art du passé3 ». Mikhaïl Matiouchine : « Ainsi Picasso, en décomposant la réalité par le nouveau procédé de fragmentation futuriste, poursuit l’ancien procédé photographique du dessin d’après nature, n’indiquant que le schéma du mouvement des plans4. » Mikhaïl Le Dentu : « Il est profondément erroné de considérer Picasso comme un début, il est plutôt un achèvement, on aurait tort de le suivre dans cette voie5. » Nikolaï Pounine : « On ne peut voir en Picasso l’aube d’une ère nouvelle6 ». Les cubistes français se sont arrêtés au seuil de la non-figuration. Leurs théoriciens écrivaient en 1912 : « Néanmoins, avouons que la réminiscence des formes naturelles ne saurait être absolument reniée, du moins actuellement7. » Ce Rubicon fut résolument franchi par l’art russe dans les œuvres de Vassili Kandinsky et Mikhaïl Larionov, Pavel Filonov et Kasimir Malevitch, Vladimir Tatline et Mikhaïl Matiouchine. Les conséquences de cette démarche se firent longtemps sentir dans l’art russe, tout particulièrement dans les années 1920, bien que la peinture non-figurative n’intéressât que peu de temps les artistes. Malevitch présenta pour la première fois quarante- neuf toiles suprématistes à l’exposition qui s’ouvrit au bureau des arts de Nadejda Dobytchina, au Champ de Mars (Petrograd), le 15 décembre 1915. « Les clés du suprématisme, écrivait-il, me conduisent à une découverte dont je n’ai pas encore conscience. Kasimir Malevitch, Ma nouvelle peinture n’appartient pas exclusivement à la terre. La terre est abandonnée Carré rouge, 1915. comme une maison rongée par les vrillettes. Et il y a effectivement en l’homme, dans sa Huile sur toile, 53 x 53 cm. conscience, une aspiration à l’espace, l’envie de se détacher du globe terrestre8. » Musée Russe, Saint-Pétersbourg.

7 L’Univers spirituel

Pour les peintres, en dépit des découvertes de Galilée, Copernic et Giordano Bruno, l’Univers restait géocentrique (du point de vue émotionnel et pratique, c’est-à-dire dans leur création). Leur imagination et les structures qui naissaient dans leurs toiles restaient inféodées à l’attraction terrestre. La perspective et l’horizon, les notions de haut et de bas étaient pour eux d’une évidence indéfectible. Le suprématisme bouleversa tout cela. Malevitch regarda en quelque sorte la Terre de l’espace ou, plutôt, c’est son « univers spirituel » qui lui suggéra cette vision cosmique. Maints philosophes, poètes, peintres russes du début du siècle revinrent à l’idée des gnostiques du christianisme primitif qui voyaient une identité typologique entre le monde spirituel de l’homme et l’Univers. « Le crâne humain, écrivait Malevitch, offre au mouvement des représentations la même infinité, il égale l’Univers, car s’y loge tout ce que l’homme voit dans l’Univers9 ». L’homme a commencé à sentir qu’il est non seulement le fils de la Terre mais aussi une partie de l’Univers. Le mouvement spirituel du monde intérieur de l’homme engendre des formes subjectives de l’espace et du temps. Le contact de ces formes avec la réalité transforme cette réalité dans la création d’un artiste en une œuvre d’art, donc un objet matériel dont l’essence est spirituelle. C’est ainsi que la compréhension du monde spirituel en tant qu’univers microscopique amène à une nouvelle compréhension « cosmique » du monde. Au XXe siècle cette nouvelle compréhension engendre dans l’art des changements radicaux. Dans les toiles non-objectives de Malevitch, qui a rejeté les « critères d’orientation » terrestres, les notions de haut et de bas, de droite et de gauche n’existent plus, car toutes les orientations sont indépendantes, comme dans l’univers. Cela implique un tel degré d’« autonomie » dans l’organisation de la structure de l’œuvre que le lien avec les orientations dictées par la pesanteur est rompu. Surgit un monde indépendant, en vase clos, possédant son propre « champ » d’attraction-gravitation. C’est une « petite planète » qui occupe sa place dans l’harmonie du monde. Les toiles non-représentatives de Malevitch ne rompent pas avec le principe naturel. Du reste, le peintre les qualifiait lui-même de « nouveau réalisme pictural10 ». Mais leur « caractère naturel » s’exprime à un autre niveau, à un niveau planétaire, cosmique. L’art non-objectif, et c’est en cela son grand mérite, a non seulement donné aux peintres un nouveau tableau du monde mais aussi a mis à nu les éléments premiers de la forme picturale, a enrichi le langage de la peinture. C’est ce qu’a très bien formulé Chklovski en parlant de Malevitch et de ses adeptes : « Les suprématistes ont fait en art ce que le chimiste a fait en médecine. Ils ont dégagé la partie active des moyens. »11 L’art russe offrait au seuil de 1917 un véritable éventail d’orientations et de tendances contradictoires. Il y avait là des Ambulants sur leur déclin, le Monde de l’art qui avait Ivan Pouni, perdu son rôle dirigeant, le groupe du Valet de carreau, dans le sillage cézannien, ainsi Nature morte avec lettres. que le suprématisme, le constructivisme et l’art analytique qui commençaient à s’affirmer. Le Spectre de la fuite, 1919. Huile sur toile, 124 x 127 cm. Pour caractériser l’avant-garde post-révolutionnaire, nous n’aborderons que les Collection privée. phénomènes essentiels de l’art et les principaux événements du monde de la peinture,

8 9 10 nous arrêtant moins sur les œuvres concrètes des peintres que sur les processus qui ont eu lieu dans l’art à cette époque et sur les problèmes avancés par les grands maîtres ayant déterminé alors les sommets de l’art. Peu après la révolution d’octobre, quelques jeunes peintres se regroupent autour de la Section des arts plastiques (IZO), du Commissariat du peuple à l’instruction publique (Narkompros), dirigé par Anatoli Lounatcharski. Pour eux, la révolution signifie assurer le renouveau complet de toutes les assises de la vie, s’affranchir de tout ce qui est vétuste, dépassé, injuste. L’art, pensent-ils, est appelé à jouer un rôle essentiel dans ce processus purificateur. « Le grondement des canons d’octobre aidait à devenir novateur, écrivait en ces journées Malevitch. Nous sommes venus pour nettoyer la personnalité des accessoires académiques, cautériser dans le cerveau la moisissure du passé, et rétablir le temps, l’espace, la cadence et le rythme, le mouvement, les fondements du jour d’aujourd’hui12. » Les jeunes peintres voulaient démocratiser l’art, le faire descendre sur les places et dans les rues, en faire une force efficace dans la transformation révolutionnaire de la vie. « Que dans les rues et sur les places, de maison en maison scintillent de mille feux les tableaux (les couleurs), flattant, ennoblissant le regard (le goût) du passant13 », écrivaient Vladimir Maïakovski, Vassili Kamenski et David Bourliouk. C’est à Moscou que fut entreprise la première tentative de « sortir » l’art dans la rue. Trois toiles de Bourliouk furent suspendues aux fenêtres de l’immeuble situé au coin de la rue Kouznetski Most et du passage Neglinny, le 15 mars 1918. Cet épisode fut interprété comme une nouvelle espièglerie de la part des futuristes, mais on y pressentait déjà le proche avenir. En 1918, le suprématisme quitta les ateliers des peintres et sortit pour la première fois dans les rues et sur les places de Petrograd, traduit de façon originale dans les panneaux décoratifs d’Ivan Pouni et de Xenia Bogouslavskaïa, de Vladimir Lebedev et de Vladimir Kozlinski, de Nathan Altman et de Pavel Mansourov. Le panneau de Kozlinski, destiné au pont Liteïny, se caractérise par des formes simples et lapidaires, une image riche de sens, sans traits fortuits ni secondaires. L’artiste sait bâtir l’image sur des rapports de couleurs peu nombreux, mais prononcés : le bleu profond de la Neva, les silhouettes foncées des navires de guerre, les drapeaux rouges de la manifestation qui défile sur le quai. Les aquarelles de Kozlinski ne sont pas seulement décoratives et gaies, mais se caractérisent aussi par une monumentalité authentique, quand avec un minimum de formes de couleurs, l’œuvre acquiert sa charge émotionnelle maximale. Les esquisses de Pouni, Lebedev et Bogouslavskaïa reflètent des influences suprématistes très fortes. Mais, dans ces premières expériences, les peintres concevaient de façon quelque Olga Rozanova, Composition non-objective peu « simpliste » les principes suprématistes, ne voyant là qu’un nouveau procédé (Suprématisme), 1916. d’organisation du plan, du point de vue décoratif et de la couleur. Ils ne saisirent pas le sens Huile sur toile, 102 x 94 cm. intime de ce courant, ses racines philosophiques. Musée des arts visuels, Ekaterinburg.

11 Mikhaïl Matiouchine, Mouvement dans l’espace, 1922. Huile sur toile, 124 x 168 cm. Musée Russe, Saint-Pétersbourg.

12

Les Fenêtres de la ROSTA de Petrograd

En 1920-1921 l’influence du suprématisme transfigura l’affiche révolutionnaire, créée par Kozlinski et Lebedev. Les premières Fenêtres de la ROSTA (Agence télégraphique de Russie) firent leur apparition à Moscou à la fin de 1919. Maïakovski prit une part active à leur création. Selon l’acte, signé par Platon Kerjentsev et Vladimir Maïakovski, Vladimir Kozlinski fut désigné à la tête de la Section de peinture de la ROSTA de Petrograd. Il fit participer son ami Vladimir Lebedev ainsi que Lev Brodaty à la création d’affiches. Les difficultés, auxquelles les jeunes peintres se sont heurtés, consistaient en ce qu’ils ne pensaient pas prendre pour modèles les affiches datant de l’époque d’avant la révolution, celles-ci se caractérisant par un niveau artistique assez médiocre. De plus elles ressemblaient aux caricatures de journaux ou revues et même aux vignettes. Or, les jeunes peintres de la ROSTA avaient une tout autre notion de l’affiche. Ils y voyaient un art d’une grande envergure, constructif et simple du point de vue de la plastique, qui impressionnait par son caractère monumental. En deux ans de travail fut créé au moins un millier d’affiches, dont quelques dizaines seulement se sont conservées. Deux peintres — Kozlinski et Lebedev — jouèrent un rôle déterminant dans la création des Fenêtres de la ROSTA, c’est à eux qu’appartient la majorité écrasante des affiches pour lesquelles ils parvinrent à créer un style original typique pour Petrograd. Les Fenêtres de la ROSTA sortaient à grand tirage. Sur certaines épreuves d’essai se sont conservées les indications suivantes : « Tirer 2000 exemplaires » ou « Tirer le maximum (1500 ou 2000) ». Bien sûr, l’auteur n’était pas en mesure de colorier seul un tel nombre de feuilles. Il fournissait des modèles à partir desquels tout le tirage était colorié par des aides. Les linogravures étaient peintes avec des couleurs à l’aniline, pures et éclatantes. Le coloriage se faisait librement, de façon improvisée. Une seule et même affiche avait de ce fait plusieurs variantes picturales. La couleur était posée non seulement sur le contour du dessin mais, souvent, comme dans le loubok (imagerie populaire naïve russe), dépassait le contour. Cette particularité technique, inévitable dans la production de masse, conférait aux affiches le charme du travail fait à la main, bien que l’emploi de la presse fût évident. Bien que les affiches de la ROSTA se caractérisent par l’unité des principes plastiques, elles reflètent néanmoins les distinctions artistiques individuelles de Kozlinski et de Lebedev. Les deux jeunes peintres ont été formés à la même école, ils se sont passionnés pour le cubisme, comme cela transparaît dans maintes de leurs affiches. Mais Kozlinski est plus doux, plus Kasimir Malevitch, lyrique que son confrère, caustique et brutal. Kozlinski est expansif et ouvert dans Principe de peinture murale : Vitebsk, l’expression de ses sentiments. Lebedev est plus sévère, plus conventionnel, plus constructif. 1919. Il parvient, et ceci bien plus que Kozlinski, à « buriner » ses formes. L’influence du Aquarelle, gouache et encre de Chine sur papier, 34 x 24,8 cm. suprématisme est souvent ressentie. Les affiches de Lebedev sont, en leur genre, des formules Collection privée. plastiques auxquelles on ne peut rien retrancher ni ajouter.

14 15

L’Artel Sievodnia

Il convient également de citer l’artel des artistes qui existait à Petrograd dans les années 1918-1919 sous le nom de Sevodnia (Aujourd’hui). En 1918, des poètes et des peintres se réunissaient fréquemment chez Vera Ermolaïeva. On pouvait y voir Maxime Gorki et Vladimir Maïakovski14. Ces rencontres aboutirent au regroupement de peintres et d’écrivains pour la co-création de livres, surtout pour les enfants. Sous ce rapport, l’artel Sevodnia fut le prototype du Detguiz (Editions de littérature enfantine) de Leningrad. Les peintres et les écrivains faisaient tout eux-mêmes, de la composition de l’ouvrage à sa vente. Les livres de l’artel n’étaient pas épais : quatre pages en tout. Ils n’étaient tirés qu’à cent vingt-cinq exemplaires. La couverture et les illustrations étaient gravées sur linoléum. Une partie du tirage était coloriée par le peintre lui-même, les couleurs variaient d’un livre à l’autre, aussi chaque exemplaire devenait unique et acquérait le charme du travail « artisanal ». Par le caractère monumental de sa composition, Vera Ermolaïeva sut reproduire sur la couverture des Pionniers de Whitman le rythme libre des vers du poète américain. Elle mit la même puissance plastique dans la couverture réalisée pour le livre de Nathan Vengrov Aujourd’hui. Le personnage assis ressort avec expressivité en gros plan, sur la toile de fond des immeubles branlants de la ville. La simplicité lapidaire des formes, les facettes géométriques attestent que l’art de ce peintre eut des contacts avec la plastique du cubisme. Le titre et le nom de l’auteur sont inclus dans l’image en tant que partie intégrante de la composition. Ermolaïeva suit ici la tradition des enseignes peintes, auxquelles elle s’intéressait dans ces années. Parmi les meilleurs livres édités par Cartel, citons : l’Enfant Jésus de Essenine, Branches de pins de Vengrov (dessins de Tourova), 8 heures et quart d’Annenkov (dessins de l’auteur). L’activité de l’artel Sevodnia fut de courte durée. En automne 1919, la Section des arts plastiques du Commissariat du peuple à l’instruction publique envoya Ermolaïeva à Vitebsk, et l’artel ferma ses portes.

VKhOUTEMAS [Ateliers Supérieurs d’Art et Technique]

Les Ateliers supérieurs d’art et technique (VKhOUTEMAS) à Moscou devinrent le centre d’où rayonnait l’art novateur. Pounine, s’étant rendu à Moscou en février 1919, notait : « Le suprématisme s’épanche en une explosion de couleur dans tout Moscou. Enseignes, expositions, cafés — tout est suprématisme. »15 Il avait à rivaliser avec le constructivisme, courant né des contrereliefs de Tatline dans les années prérévolutionnaires. Le peintre écrivait : « Ayant construit des reliefs angulaires et centraux de type supérieur16, j’ai repoussé, en tant que superflue, toute une série d’« ismes », le mal chronique de l’art Ivan Pouni, moderne. »17 Les constructivistes, renonçant à l’approche esthétique de la création, Liteïny (esquisse pour le prospectus Liteïny), 1918. s’orientèrent vers la création de différents objets utilitaires. La rationalité fonctionnelle Encre de Chine et aquarelle sur papier, devint pour eux l’équivalent de la valeur artistique. La rivalité entre Tatline et Malevitch se 38,3 x 34,4 cm. poursuivit durant toutes les années vingt. « Je ne sais pas quand cela a commencé, écrivait Musée Russe, Saint-Pétersbourg.

17 Pounine, mais, autant que je me souvienne, ils se partageaient toujours l’univers — et la terre, et le ciel, et l’espace interplanétaire — instaurant leur propre sphère d’influence. Tatline, généralement, se réservait la terre, en essayant d’envoyer Malevitch à la recherche de la non-objectivité dans le ciel. Sans renoncer aux planètes, Malevitch ne cédait pas non plus la terre, estimant à juste titre qu’elle est, elle aussi, une planète et qu’elle peut être, par conséquent, non-objective. »18

Vassili Kandinsky

De son côté, Vassili Kandinsky déploya une énorme activité créatrice pendant les années de la révolution. Il publia des articles, fit des conférences, fut aussi l’un des organisateurs de l’Institut de la culture artistique de Moscou (INKhOUK). Un des premiers ouvrages édités par la Section des arts plastiques du Commissariat du peuple à l’instruction publique fut l’automonographie du peintre, V.V Kandinsky. Dix ans plus tard, Kandinsky fut purement et simplement rayé de l’histoire de la culture artistique russe et rattaché à l’expressionnisme allemand. Si, dans l’édition d’avant-guerre des Maîtres de l’art sur l’art, les textes de Kandinsky entraient dans la section russe, dans la dernière édition (1969) par contre ils figurent dans la section « Allemagne », sous prétexte que son art serait une fleur exotique sur le sol russe. Il faut rétablir la justice. Ses expérimentations picturales étaient issues de l’expérience de l’art populaire, de la polychromie du loubok ainsi que l’artiste le disait lui-même. On peut difficilement trouver un peintre du début du siècle qui ait porté au loubok autant d’intérêt, autant d’émotion que Kandinsky. Ayant appris que Nikolaï Koulbine lui envoyait un loubok, le Jugement dernier, Kandinsky lui écrit : « Vraiment quand j’y pense, mon cœur se met à battre plus fort. »19 Il s’efforçait de dénicher des louboks chaque fois qu’il venait à Moscou. Le peintre Mansourov parle de ses explorations, souvent menées en compagnie de Larionov : « Kandinsky et lui allaient surtout flâner dans les bazars et dénichaient des louboks peints par les moujiks. Bova Korolevitch et le tsar Saltan, et avec eux, les anges et les archanges, badigeonnés à l’aniline en long et en large : c’était cela, et non Cézanne, qui était la source de tout. »20 Kandinsky reproduisit quelques louboks dans l’Almanach du Cavalier bleu, et organisa en 1912, avant Larionov, une exposition de louboks à la Galerie Holtz de Munich. C’est au début des années 1890 que Kandinsky découvrit l’art populaire russe. Diplômé en droit à l’Université de Moscou (1892), il fut envoyé dans le gouvernement de Vologda pour faire une étude sur les exploitations paysannes. Et c’est là, dans ces campagnes, que le « miracle » s’offrit à lui et devint plus tard, comme il l’écrivait, un des éléments de ses œuvres. L’impression que lui fit la première visite d’une isba paysanne ne le quitta pas pendant des années : « Je me souviens clairement comment je me suis arrêté au seuil devant ce spectacle inattendu. La Mikhaïl Larionov, table, les bancs, le poêle énorme et imposant, les armoires, les dressoirs, tout était décoré Coq et poule, 1912. Huile sur toile, 69 x 65 cm. de larges ornements multicolores. Sur les murs, des « louboks » : un preux représenté Galerie Tretiakov, Moscou. symboliquement, des batailles, une chanson transmise par les couleurs. Le haut bout de la

18 19 Mikhaïl Matiouchine, Composition pour la mort d’Elena Gouro, 1918. Aquarelle sur papier, 27 x 38,1 cm. Collection privée.

20 Paysans 52-53 Principe de peinture murale : Vitebsk 15 Malevitch, Kasimir (forme) et Tchachnik, Ilia (peinture) Suprématisme 99 Matveïev, Alexander Autoportrait 94 Matiouchine, Mikhaïl Composition pour la mort d’Elena Gouro 20-21 La Meule. Lakhta 25 Mouvement dans l’espace 12-13 Siverskaïa. Paysage de tous les côtés 183

P Petrov-Vodkine, Kouzma Autoportrait 184 Bain d’un cheval rouge 117 La Mère 105 Le Printemps 106 Popova, Lioubov Composition avec figures 33 Construction spatiale-force 102 Philosophe 45 Pouni, Ivan Liteïny 16 Nature morte.Table 79 Nature morte. Le Violon rouge 80-81 Nature morte avec lettres. Le Spectre de la fuite 9

R Radonitch, Bossilka L’Egalité en droit 100 Rodtchenko, Alexandre Composition non-objective 187 Rouge et jaune 68 Rozanova, Olga Composition non-objective 125 Composition non-objective (Suprématisme) 10 Incendie dans la ville (Paysage urbain) 32

S Sarian, Martiros Lac Sevan 121 Silitch, Lioubov Faucheuses 87 Sokolov, Pjotr Portrait de A. Smirnova 188 Souetine, Nikolaï EPO-I 66-67 Vitebsk 191

T Tatline, Vladimir Matelot 192 Modèle pour le monument de la 3e Internationale 92 Nu 88-89 Nu se reposant 90 Tsarevitch 100 Tchachnik, Ilia Ecran soviétique no 4 65 Tchekhonine, Sergueï Plateau R.S.R.S.R. 100

199 Collection Art of Century

L’Expressionnisme abstrait Le Cubisme Le Pop Art

L’Abstraction Le Dadaïsme Le Post-Impressionnisme

American Scene L’Expressionnisme Les Préraphaélites

Arts & Crafts Le Fauvisme Le Rayonnisme

L’Art Déco La Figuration libre Le Réalisme

L’Art informel Le Futurisme Le Régionalisme

L’Art nouveau Le Gothique L’Art de la Renaissance

Arte Povera Hudson River School Le Rococo

Ashcan School L’Impressionnisme L’Art roman

Le Baroque Le Maniérisme Le Romantisme

Le Bauhaus L’Art minimal L’Avant-Garde russe

L’Art byzantin L’Art naïf L’EcoledeBarbizon

Camden Town Group Le Naturalisme Le Réalisme social

COBRA Le Néo-Classicisme Le Surréalisme

Le Constructivisme Le Nouveau Réalisme Le Symbolisme

avant-garde russe naît à l’aube du XXe siècle dans une Russie prérévolutionnaire. ’ L’effervescence intellectuelle et culturelle connaît alors son apogée : de nombreux L artistes, influencés par l’art européen, se libèrent des contraintes sociales ou esthétiques héritées du passé. Ce sont ces artistes avant-gardistes qui, par leur incroyable inventivité, donnent naissance à l’art abstrait, et permettent à la culture russe d’accéder à la modernité.

Les peintres Kandinsky, Malevitch, Gontcharova, Larionov et Tatline, pour ne citer que les plus connus, marqueront de leurs empreintes tout l’art du XXe siècle.