100 ans de céramique danoise Préface d’Anne-Mette Villumsen 4 Des collectionneurs exposent 100 ans de céramique danoise 8 Être collectionneur 21

Prologue : La céramique moderne Le monde de Bing & Grøndahl et de la Manufacture Royale de Porcelaine Les grandes manufactures

Michael Andersen & Søn 15 Patrick Nordström 46 Jais Nielsen 12, 51 Erik Hjorth 64 Thorvald Bindesbøll 34 Carl Halier 47, 61 Jean René Gauguin 52 Eva Sjøgren 65 Niels Hansen Jacobsen 35 Cathinka Olsen 48 Thorkild Osvald Olsen 53 Arne Bang 66-67 Søren Kongstrand 32, 36 Lotte Lindahl 48 Bode Willumsen 54 Nathalie Krebs 68-69 Jens Pedersen 36 Kresten Bloch 48 Knud Kyhn 55 Eva Stæhr-Nielsen 68-69 Martin Mortensen 37 H.O. Busch-Jensen 48 Nils Thorsson 56 Hugo Liisberg 68-69 Hans Adolph Hjorth 38-39 Gunnar Nylund 48 Gerd Bøgelund 58 Léon Galleto 68-69 Thora Hjorth 39 Knud Valdemar Pedersen 48, 57 Ivan Weiss 44, 59 Edith Sonne Bruun 68-69 Karl Hansen Reistrup 20, 40 Cathinka Olsen 49 Helge Christoffersen 60 Olaf Stæhr-Nielsen 68 Svend Hammershøi 41 Karin Blom 49 Knud Kyhn 61 Lillian Binderup Jensen 69 Daniel Folkmann Andersen 42 Hans Ancher Wolfsen 49 Nils Thorsson 61 Kähler 70-71 Niels Peter Nielsen 43 Axel Johannes Salto 50 Nils Kähler 30, 72-73 Per Linnemann Schmidt 74-75 Annelise Linnemann Schmidt 74-75 Kjeld Jordan 74 Jacob Bang 76 Axel Brüel 62, 77 Carsten Bagge Laustsen 100 ans de céramique danoise

La céramique de Bornholm Les rustiques Les organiques et les graphiques Les sculpturaux

Gertrud Vasegaard 80-81 Gutte Eriksen 16, 25, 98 Christian Poulsen 116 Mette Marie Ørsted 132 Lisbeth Munch-Petersen 11, 82 Anne Kjærsgaard 99 Gudrun Meedom Bæch 117 Karen Bennicke 133 Marie (Myre) Vasegaard 83 Erik Nyholm 96, 100 Alev Siesbye 114, 118 Morten Løbner Espersen 134 Ulla Gahrn 84 Inger Rokkjær 101 Anne Lise Bruun Pedersen 119 Gurli Elbækgaard 135 Ulla Hjorth 85 Finn Lynggaard 102 Beate Andersen 120 Steen Ipsen 136 Marie L. Hjorth 86 Jytte Trebbien 103 Gunhild Aaberg 121 Flemming Tvede Hansen 137 Ursula Munch-Petersen 87 Birthe Weggerby 104 Bodil Manz 122 Christian Buur Bangsgaard 138 Gerd Hiort Petersen 88 Sten Lykke Madsen 4, 105 Richard Manz 123 Turi Heisselberg Pedersen 139 Hans Munck Andersen 89 Kirsten Sloth 106 Tove Anderberg 22, 124 Christina Schou Christensen 130, 140 Jørgen Lai Knudsen 90 Mette Augustinus Poulsen 107 Bente Hansen 29, 125 Bente Skjøttgaard 141-142 Peter Kofoed 91 Ulla Hansen 108 Inge Marie Fruelund 126 Peter Brandes 143 Per Rehfeldt 92 Inge Bøgh Trautner 6, 109 Poul Erik Eliasen 127 Julie Høm 93 Lis Ehrenreich 110 Dorte Schierup Heide 128 Eva Brandt 78, 94 Kim Holm 111 Lone Borgen 129 Anne Mette Hjortshøj 95 Hans Vangsø 112 Anne Fløche 113 Sten Lykke Madsen, sculpture, détail, 52 cm Préface

Les archéologues continuent de trouver d’innombrables fragments de poteries lorsqu’ils fouillent le sol danois à la re- cherche de vestiges du passé. Ces tessons témoignent de l’importance du rôle joué par l’argile au fil des siècles pour la fabrica- tion d’objets utilitaires. La plus ancienne céramique danoise remonte à la culture d’Ertebølle (environ 4600 à 3900 avant J.-C.). Bien que le métal et le plastique aient depuis lors évincé l’argile comme matériau de prédilection dans les cuisines du Danemark, la fière tradition danoise de la céramique se poursuit avec les objets réalisés par des artisans d’art qui, encore aujourd’hui, ornent et distinguent de nombreux foyers danois. Alors que les potiers de la préhistoire étaient vraisemblablement des artisans locaux produisant leurs pièces en petites quantités, la production de céramique se caracté- risa aux XVIIIe et XIXe siècles par la création d’un certain nombre d’entreprises professionnelles. Dès la fondation de la Manufacture Royale de Porcelaine (Den Kongelige Porcelainsfabrik) en 1775, puis de Bing & Grøndahl (1853), Kähler (1839), Ipsen (1843), Hjorth (1862) et Aluminia (1863), la céramique connut un formidable essor, passant d’une fabrication réservée à une clientèle peu nombreuse et fortunée à une production destinée à la bourgeoisie époque où l’industrie et ses productions Bagge Laustsen qui, côté raison, enseigne collectionneur. Le con amore prime sur en pleine expansion dont les membres en série étaient en plein essor. Du milieu les sciences politiques à l’université d’Aarhus la démocratie. équipaient leur demeure d’objets utilitaires des années 1880 et pendant environ une et, côté passion, est tout entier dédié Cette exposition est ainsi le témoin esthétiques en argile. dizaine d’années, Thorvald Bindesbøll, à son activité de collectionneur de d’un amour pour la céramique danoise les trois frères et sœur Joakim, Niels et céramique danoise. L’exposition s’appuie des quelque cent dernières années, de Susette Skovgaard, Andreas Clemmensen, sur sa collection privée pour présenter la Thorvald Bindesbøll et des expérimentations La révolution , Theodor Philipsen et céramique danoise de ces cent dernières de ses collègues révolutionnaires jusqu’à des Dans les années 1880, il se produisit toute- Elise Konstantin-Hansen – nombre d’entre années, tandis que des prêts d’un certain œuvres défournées il n’y a pas si longtemps. fois quelque chose de tout à fait particulier. eux étant les enfants de célèbres artistes nombre d’autres collectionneurs privés et Cette exposition n’a aucune vocation Le fabricant Johann Wallmann ouvrit un de l’Âge d’or danois – créèrent ainsi chez même de céramistes sont venus compléter encyclopédique et ne prétend aucunement atelier de céramique à Utterslev, un peu Wallmann de nombreuses œuvres céra- ce fonds. C’est l’amour de Carsten Bagge aborder chaque aspect de la céramique à l’ouest de Copenhague, dans lequel il miques qui révolutionnèrent l’artisanat Laustsen pour la céramique qui est à la danoise, mais avec ses quelque 500 œuvres embaucha des potiers qui connaissaient d’art. Travaillant en coopération avec base de ce projet, son réseau ayant permis sélectionnées avec amour et minutie, elle le métier de la céramique. Wallmann prit les potiers de Wallmann, ils réalisèrent d’enrichir encore la vaste sélection des en donne une vision d’ensemble très fournie. cette décision hors du commun d’inviter des des pièces pleines d’imagination et pièces présentées. L’exposition montre Le public se laissera peut-être éblouir par peintres et des sculpteurs à venir travailler d’humour. Esthétique et fonctionnalité ainsi des œuvres qui ne sont normalement la beauté d’une forme, un vase bien tourné, avec les potiers afin de créer de la céramique furent réunies et donnèrent naissance à pas accessibles au public puisqu’elles se le chatoiement d’une glaçure, ou autre d’artiste, l’esthétique devant aller de pair des objets utilitaires artistiques originaux, trouvent chez de simples particuliers chose encore. J’espère que cette exposition avec la fonctionnalité de ces pièces d’excep- qui se révélèrent parfois plus artistiques passionnés de céramique. Bien que la vie communiquera à de nombreux visiteurs tion. Cette démarche était en lien avec le qu’utilitaires ! culturelle repose en grande partie sur l’amour de la céramique et éveillera leur mouvement britannique Arts & Crafts, dont Cette rencontre entre art et artisanat des aides publiques, au Danemark comme curiosité pour ce pan important et historique l’objectif était de faire progresser la qualité marqua également le début de la tradition en , le collec­tionneur privé n’est du patrimoine culturel danois, lequel trouve de vie en rehaussant la qualité esthétique danoise du design. Loin de toucher à sa fin, pas un phénomène rare. Dans plusieurs ici une occasion exceptionnelle d’être des objets domestiques. le mariage entre forme artistique et fonction musées d’art, le fonds est en grande partie présenté à un nouveau public. Cette rencontre entre artisanat et art pratique continue de prospérer, ce dont issu de donations de collections privées, devait apporter quelque chose d’unique témoigne cette exposition. et certains musées ont présenté des aux arts appliqués : on passait de l’utilitaire expositions exclusivement fondées sur Anne-Mette Villumsen, à l’artistique. La forme ne devait pas se des collections privées. Les collections mag. art. (dea) d’histoire de l’art L’amour contenter d’être pratique, car l’esthétique privées ne sont pas tenues à l’obligation Directrice du musée Skovgaard devait faire évoluer la forme et faire de Cette exposition témoigne en outre de publique de donner une représentation l’ordinaire quelque chose de particulier. l’amour pour la céramique, qui lui aussi se fidèle de la production qualitative d’une L’art devait offrir de nouveaux plaisirs liés porte magnifiquement bien. Le commissaire époque ou de ses tendances, mais suivent à l’usage d’objets uniques faits main à une de l’exposition est le collectionneur Carsten au contraire la passion et le goût du

100 ans de céramique danoise

Une tradition danoise de la céramique ? se reconnaît au travers de traits distinctifs Des termes comme le « Design danois » En creusant davantage, on peut dire Peut-on parler d’une tradition danoise de que tous ses membres n’ont pas nécessaire- ou, plus étroitement, le « Danish Modern » que le jugement esthétique doit lui aussi la céramique ? En réalité cette question en ment mais que tous partagent d’une certaine (c’est-à-dire le design danois des années s’entendre comme une médiation. On peut contient deux : existe-t-il une céramique manière, on peut parler d’un air de famille trente aux années soixante) sont devenus bien entendu parler de lignes de force de spécifiquement danoise, et quelles sont ses parmi les céramistes danois. Au sein d’une si évidents qu’ils ne demandent plus aucune la composition, etc., mais de même qu’une caractéristiques ? Et peut-on parler d’une famille, deux personnes auront par exemple explication. Nous les connaissons en particu- tradition ne peut rester figée dans un tradition en la matière, c’est-à-dire d’un hérité de l’index tordu de la grand-mère, lier comme éléments de notoriété du mobi- canon de règles, il n’existe pas de recette du lien entre des générations de céramistes, trois auront le nez massif du grand-père, lier danois. Klint, Juul, Mogensen, Wegner, beau. L’émotion esthétique n’est toutefois de thèmes récurrents, de caractéristiques, un fils ressemblera à son père alors que sa Kjærholm… nous les connaissons tous. pas entièrement singulière. Lorsque nous etc., et d’une relation active au passé ? sœur ressemblera plutôt à sa mère. Une Il convient de se demander s’il se passe disons que quelque chose est beau, c’est une Je répondrai par l’affirmative, mais en tradition s’apparente à une famille : chacun la même chose pour la céramique danoise. déclaration destinée aux autres afin de les nuançant mon propos sur deux points. est un individu à part entière mais tous Pour nombre de personnes, il est difficile convaincre. L’esthète affirmant, par exemple : D’une part, il n’y a aucune caractéristique reconnaissent avoir quelque chose en com- d’imaginer un buffet en teck sans un grès « CECI est une belle rose » (ou un beau vase, commune à tous les céramistes danois ou mun avec les autres et, surtout, chacun se danois posé sur le dessus : il faut donc si l’on veut), ne le fait pas parce qu’il pense à toute la céramique danoise. La céramique sent faire partie d’un même ensemble, à des peut-être répondre par l’affirmative. que toutes les roses sont belles ni parce que danoise est variée car tous les céramistes degrés plus ou moins grands. On sait avec D’autre part, j’ai choisi de décrire cette rose en particulier est hors de la caté- ont naturellement un style qui leur est propre. qui on a des liens de parenté et on suit avec l’évolution de la céramique danoise comme gorie des roses. La rose est montrée comme En outre, le style de la céramique évolue avec intérêt ce que font les autres membres de résultant d’un certain nombre de tensions un bel exemple de rose. On peut parler le temps. On ne peut définir la céramique la famille. Mais au sein d’une famille, les avis fécondes : entre conscience de la tradition de validité exemplaire (Arendt, 1982, p. 13). danoise comme on détermine le groupe peuvent être très divergents et on a parfois et renouveau, art et artisanat, forme et Le jugement esthétique lie un concept sanguin d’une personne. Il n’en reste pas du mal à voir les liens de filiation. substance, matérialité et narrativité, nature (l’idée des roses) à quelque chose de moins qu’en regardant les pièces exposées Dans les pages qui suivent, j’aborderai et culture, et enfin entre goût dominant, singulier (un exemple concret de rose), ou en feuilletant le présent ouvrage, on va différentes hypothèses sur ce qui fait la mainstream (c’est-à-dire les gestionnaires la belle rose devenant ce qui relie les deux vraisemblablement trouver des références singularité de la céramique danoise. Est-ce de la tradition) et avant-garde. Une tradition registres. L’esthétique se trouve dans ce croisées, des recoupements, et discerner une une tradition artisanale spécifiquement évolue, et ce dans une dialectique entre champ intermédiaire, dans la tension entre ambiance particulière et des traits stylistiques danoise, la place accordée à la fonctionnalité, des pôles. Si on la considère comme tournée le singulier et l’universel (ou le général). communs. Si elle ne saurait se réduire à une une conscience élevée des matériaux, un vers le futur, une tradition peut ainsi se La tradition joue le rôle de l’universel simple formule, la céramique danoise consti- certain naturel, une absence de prétention, comprendre comme une lutte entre des auquel les différentes œuvres sont rappor- tue en tout cas quelque chose de différent une simplicité, ou encore une inspiration écoles et des orientations : la céramique tées sans pour autant en faire partie. Les de ce que l’on rencontrerait en parcourant fortement puisée dans la nature ? Au fil du d’artiste contre la poterie, la céramique axée œuvres ne sont qu’un exemple, en l’espèce une exposition de céramique allemande, temps, un certain nombre d’hypothèses ont sur la forme contre la céramique plus narra- un exemple de céramique danoise. Il serait française ou suédoise. été avancées sur ce caractère spécifiquement tive, etc. Rétrospectivement, on peut com- bien morne que l’on se contente de s’excla- À cet égard, on peut donc parler d’un danois, et notamment dans le cadre de prendre la tradition comme les traces que mer, à la vue d’un nouvel objet : « Ah oui, lien de parenté. De même qu’une famille campagnes commerciales à l’étranger. ces luttes et ces positionnements génèrent. en voici donc un de plus ». L’essentiel est Vase de Skarpsalling, copie, 20 cm 100 ans de céramique danoise | 9

que l’on puisse en même temps apprécier les différentes œuvres et la tradition. La conscience de la tradition enrichit l’émotion née de l’œuvre en même temps que l’œuvre contribue à saisir la tradition. Les œuvres font écho à la tradition et contribuent à la développer. La tradition est toujours en mouvement. Une exposition de cent ans de céramique présente cet intérêt que l’on peut tout à la fois apprécier certaines œuvres ou les œuvres de certains céramistes et les replacer dans une tradition. J’ai bien entendu donné certaines orientations et il existe bien d’autres céramistes de talent qui auraient pu être présentés. Lorsque l’on s’adresse à des collectionneurs privés, on s’en tient à ce qu’ils possèdent. Il n’en reste pas moins que la tradition présentée dans le cadre de cette exposition est une esquisse de la tradition telle que je la vois, étant entendu que d’autres peuvent ne pas partager cette vision. Le plus intéressant est peut-être précisément de discuter de ce qu’est la tradition et en quoi elle consiste.

Qu’est-ce que la céramique ? À titre liminaire, il nous faut regarder en quoi consiste la tradition et proposer une hypothèse aussi banale et simple que pos- sible : à l’évidence, la tradition est faite d’objets réalisés en argile. Ceux-ci sont cuits, glaçurés et décorés. On pourrait justement 100 ans de céramique danoise | 9

affirmer que l’argile rend possibles toutes On distingue d’une manière générale être imperméable. On peut ajouter de la 1200 °C puis est recouverte d’une glaçure les tensions mentionnées précédemment. quatre types de céramique (pour une étude chamotte (argile cuite réduite en poudre stannifère blanche opaque ou d’une glaçure L’argile est un matériau plastique. Elle per- plus approfondie, voir Seisbøll, 1991, p. 95-97, plus ou moins grossière) à l’argile à grès transparente pouvant ensuite être décorée met de réaliser des œuvres d’art et des objets Seisbøll, 2002, et Hansen, 2016 ; le présent pour lui donner un aspect plus brut et éviter de glaçures colorées. Une deuxième cuisson domestiques courants. On peut la travailler exposé est fondé sur ces sources). Les plus les fendillements après cuisson dus au retrait. s’effectue entre 600 et 1000 °C. L’exposition et la défier. On peut l’utiliser pour raconter anciens types de poterie sont des terres Les œuvres tardives de Palshus sont des présente des œuvres en faïence de Thorkild quelque chose ou bien la laisser s’exprimer. cuites faites à partir d’argile calcaire (de exemples de grès très chamottés. Le grès fit Osvald Olsen. On peut laisser la forme parler. couleur bleue, qui jaunit à la cuisson), ou une véritable percée dans les années 1920, Parmi les œuvres exposées, nom- Nous ne nous attacherons toutefois d’argile rouge (ferrugineuse, qui rougit à lorsque la Manufacture Royale de Porcelaine breuses sont celles qui ont été tournées pas, ici, à toutes les réalisations en argile, la cuisson). Ces poteries cuisent à environ et Bing & Grøndahl acquirent de grands sur un tour de potier. On peut soit façonner mais seulement aux objets offrant une 1050 °C, restent poreuses après cuisson et fours de qualité permettant de gérer aisé- une boule d’argile en la creusant en son valeur esthétique. Les lavabos et autres doivent donc être imperméabilisées­ au moins ment ces températures élevées. L’exposition centre et en la montant sur le tour, soit céramiques sanitaires, les briques et les par une glaçure interne si l’objet ne doit pas présente notamment des œuvres de Patrick partir d’un colombin (long boudin de terre tuiles sont également réalisés en argile, seulement avoir une valeur esthétique. Dans Nordström, qui fut un pionnier du développe- enroulé sur lui-même) dont on lisse les mais nous les laisserons de côté. L’homme l’exposition, les vases de sol de la manufac- ment du grès, et en particulier des glaçures, parois. La plupart des œuvres exposées produit de la céramique depuis pratiquement ture Kähler en sont des exemples typiques. à la Manufacture Royale de Porcelaine, ont été réalisées selon ces procédés. Une toujours. Les premières utilisations de l’argile Les pièces d’argile rouge peuvent toutefois tandis que Hans Adolph Hjorth travaillait autre technique consiste à aplatir l’argile dont nous avons connaissance remontent à subir des cuissons à des températures plus à la fabrique Hjorth de Rønne, sur l’île de en plaquettes qui sont ensuite assemblées. 8000 avant J.-C., et il est fait mention pour élevées, à savoir 1160 à 1200 °C, et l’on peut Bornholm. Les objets peuvent également être coulés la première fois de tours de potier deux alors parler d’argile rouge de grand feu ou Le troisième type d’argile est l’argile à dans des moules en plâtre, ou estampés, mille ans plus tard. Dans l’Ancien testament, d’argile rouge grésée. À ces températures, porcelaine. Celle-ci est une argile débarras- c’est-à-dire moulés par application de nous lisons qu’Adam a été créé d’un bloc l’argile (toujours l’argile rouge car l’argile sée de toute matière organique et de tout la pâte sur un moule. Dans les créations d’argile (Seisbøll, 1991, p. 9), ce qui donne calcaire ne supporte pas de telles tempéra- fer. Son principal ingrédient est le kaolin, sculpturales, toutes les techniques une indication de l’importance historique et tures) se fond avec la glaçure. Dans l’exposi- qui blanchit à la cuisson, laquelle s’effectue peuvent bien entendu être utilisées, culturelle que l’argile et les objets en argile tion, les œuvres de Gutte Eriksen, Ulla entre 1300 et 1400 °C. Si la porcelaine est mais on observe souvent un modelage ont toujours eue. Le façonnage de l’argile Hansen, Inge Bøgh Trautner et Lis Ehrenreich suffisamment fine, elle devient translucide plus libre. est presque un exemple paradigmatique sont des exemples d’argile rouge grésée. après cuisson. Cet effet s’observe, par Une fois façonné, l’objet doit être de la transformation de la nature en culture. Le grès cuit à des températures un peu exemple, dans les œuvres de Per Rehfeldt et glaçuré et éventuellement décoré. Les Encore aujourd’hui, nous utilisons du matin plus élevées que l’argile rouge grésée, à Bodil Manz présentées dans cette exposition. objets en argile sont souvent revêtus d’un au soir des objets réalisés en argile. La céra- savoir 1160 à 1200 °C. L’argile à grès, qui est Enfin, on peut parler de la faïence, à pâte engobe, constitué d’une argile délayée et mique a en général été fabriquée à proximité principalement importée, peut être de diffé- argileuse plus poreuse que les autres types colorée. Ce revêtement argileux est alors des gisements d’argile, qui sont nombreux. rentes couleurs. À ces hautes températures, de céramique et ne se vitrifiant pas. La couvert d’une glaçure transparente (voir, par L’argile est une ressource naturelle dont elle se vitrifie dans la masse et durcit de faïence subit une première cuisson à des exemple, les œuvres d’Inge Marie Fruelund). l’extraction est peu coûteuse. sorte qu’elle n’a pas besoin de glaçure pour températures comprises entre 1000 et Avant cette étape, il est possible d’inciser 10 | 100 ans de céramique danoise

Tradition et renouveau des motifs dans l’engobe (voir, par exemple, glaçure et la fait mieux adhérer, le kaolin Dans un four électrique, on peut également le vase de sol de Thorvald Bindesbøll stabilise la température, le quartz confère insérer du bois dans la dernière phase Keramos était le nom que les Grecs de et les vases de sol jaune clair de Kähler). de la dureté, le feldspath est un fondant de cuisson afin d’obtenir une cuisson en l’Antiquité donnaient à la production Cette dernière technique porte le nom et la fritte contribue encore à la fusion. réduction qui appauvrit l’atmosphère des potiers et à l’argile qu’ils employaient de sgraffito. Parmi les glaçures rencontrées dans le en oxygène. Cette réduction fait remonter (Seisbøll, 1997, p. 20). L’homme a pratique- D’une manière générale, on distingue cadre de cette exposition, les principaux le fer à la surface de l’argile, conférant à ment toujours fabriqué des objets en trois formes de décor. D’abord, les pièces types sont : les glaçures au fer (de couleur cette dernière une teinte plus sombre et argile, qui ont bien entendu évolué au glaçurées dont la glaçure constitue le princi- brune, verte, noire ou bleue), au cuivre donnant du caractère à la glaçure. Gutte fil du temps. Tandis que l’aristocratie et pal décor, le mélange de différents oxydes (de couleur verte), à l’uranium (de couleur Eriksen et plusieurs de ses élèves ont la famille royale, jusqu’en 1750, importaient produisant l’effet recherché. Les quatre jaune), aux cendres (aux tons multiples, utilisé et utilisent cette technique. de la porcelaine principalement d’Orient œuvres de Bente Skjøttgaard sont ainsi mais généralement de couleurs de terres), Enfin, il existe une quatrième forme et d’Extrême-Orient ainsi que de la faïence qualifiées de pièces glaçurées par leur les glaçures transparentes (utilisées sur les de cuisson : la cuisson de type raku, qui des Pays-Bas, le Danois moyen se fournissait créatrice. Ensuite, la céramique décorée sur engobes), à l’étain (de couleur blanche), s’effectue entre 800 et 1100 °C (traditionnel- en poterie auprès des nombreux potiers laquelle des motifs figuratifs ou décoratifs au cobalt (de couleur bleue), les lustres lement elle se faisait à 800 °C). Une fois locaux. Le potier était un artisan qui produi- sont peints (souvent au pinceau ou à la corne métalliques (glaçures au cuivre cuites à des cuits, les objets sont défournés et brusque- sait pour la population locale des plats de vache). Enfin, il est possible de découper températures d’abord élevées puis réduites), ment refroidis afin de procurer à la glaçure creux, des passoires, des plats à poisson, ou d’estamper des motifs en relief sur le le céladon (aux tons allant du vert au bleu- un aspect craquelé. Encore chauds, ils sont des récipients pour les conserves et tous tesson ayant commencé à sécher mais vert) et le temuko (de couleur rouge-brun). ensuite placés dans un bac de matériaux autres objets domestiques dont les gens restant plastique (les œuvres de Lisbeth La glaçure fond à la cuisson et donne une inflammables, cette « post-cuisson » avaient besoin, de même que le maréchal- Munch-Petersen sont de superbes exemples surface mate ou brillante, opaque ou trans­ produisant un noircissement de l’argile. ferrant ferrait les chevaux et que le boulanger à cet égard), ainsi que d’ajouter des éléments parente. Certains céramistes composent Enfin, un refroidissement est effectué dans faisait du pain. Il s’agissait d’un « répertoire constitutifs tels que les anses. leurs propres glaçures tandis que d’autres l’eau. Inger Rokkjær et Anne Lise Bruun standard » dans lequel les objets se distin- La composition des glaçures est différente utilisent des mélanges prêts à l’emploi. Pedersen recourent à cette technique. guaient principalement par un mode de selon que le tesson est en argile, en grès, La céramique subit souvent plusieurs En rencontrant des céramistes et en décor spécifiquement local. Les objets en porcelaine, en faïence ou encore en raku. cuissons. Une fois le tesson sec, il est parlant avec eux, on découvre rapidement étaient exclusivement conçus en fonction Les glaçures contiennent de l’argile, du kaolin possible de procéder à la première cuisson que ce qui précède ne constitue qu’une de leur vocation utilitaire et n’étaient (type d’argile de couleur blanche), du quartz dite « de dégourdi ». La glaçure peut ensuite grossière esquisse de leur travail. Il existe donc pas signés. Ce type de poterie devien- (sable très fin entrant également dans la être appliquée, par immersion du tesson un grand nombre de fours, de types d’argile, dra par la suite une source d’inspiration pour composition du verre), du feldspath (granit dans la glaçure ou par versement sur le de techniques, et le nombre de mélanges les céramistes, mais elle commencera par broyé), une fritte (seulement dans le cas tesson, et une nouvelle cuisson est effectuée. de glaçures est quasiment infini. Nous s’éteindre doucement avec les débuts de des glaçures pour tessons d’argile ; jadis on Le nombre de cuissons n’est pas limité. espérons néanmoins que cette brève l’industrialisation. Nous laisserons donc utilisait le plomb, mais plus maintenant) Avant l’introduction des fours à charbon présentation donnera au non-initié une cette piste de côté pour l’instant. et un certain nombre d’oxydes. Dans les puis des fours à gaz et enfin des fours première impression des petits miracles C’est une autre piste qui retiendra glaçures, l’argile facilite le travail de la électriques, on utilisait des fours à bois. que cache chaque objet. notre attention. La Manufacture Royale Lisbeth Munch-Petersen, vase, 17 cm 100 ans de céramique danoise | 11

de Porcelaine (Den Kongelige Porcelains­ fabrik) fut créée en 1775 et comme son nom l’indique, sa production était principalement destinée à la famille royale et à l’aristocratie. Les objets de luxe étaient fabriqués pour les plus prospères. Jusqu’au début du XXe siècle, le courant dominant était le Skønvirkestil (équivalent danois de l’Art nouveau), style dans lequel Arnold Krog, Effie Hegermann-Lindencrone et Fanny Garde créèrent des œuvres superbes. Ils puisaient leur inspiration dans la porce- laine d’Extrême-Orient tout en étant sensibles aux courants internationaux tels que l’Art nouveau en France, le mouve- ment Arts and Crafts en Angleterre et le Jugendstil en Allemagne. C’est précisément là que commence cette exposition : au début du siècle, et précisément là où l’on passe du Skønvirkestil au modernisme. Le modernisme est un concept délicat car il peut recouvrir beaucoup de choses. En l’occurrence, je le vois comme un mouve- ment s’éloignant du figuratif et du narratif et tendant à l’abstraction. C’en était fini des mouettes, des ours polaires, des sirènes et des oiseaux battant des ailes sur un plan d’eau. C’en était fini également de la porcelaine dont le brillant et les décors gracieux devaient être des signes de richesse et d’abondance. Le début du siècle voit la naissance d’une nouvelle forme de céramique dont les artistes Jais Nielsen, sculpture, 65 cm

associés à la production des manufactures s’intéressaient avant tout aux glaçures, sont le principal élément moteur. On parle Bindesbøll mettait les décors au centre alors de céramique d’art (Seisbøll, 1991, p. 9 de ses préoccupations : des décors aux et suiv.). En même temps commencent les formes organiques ne se référant à rien expérimentations sur le grès et les glaçures de particulier, des décors abstraits. à effets de coulures, lesquelles ont été inspi- On dit de Bindesbøll qu’il avait sous son rées à Niels Hansen Jacobsen (1961-1941) lors lit une caisse de fragments de poteries que de ses voyages en France, et à Hans Adolph son ami August Jerndorff avait trouvés et Hjorth (1878-1966) lors de ses visites de collectés lors de l’assèchement des remparts musées, notamment en Allemagne. Outre de Copenhague (Brandes, 2018, p. 4). Les ces deux noms, on peut également citer décors de Bindesbøll lui auraient été inspirés Søren Kongstrand (1872-1951) et tout le cercle des décors de ces fragments, c’est-à-dire entourant Thorvald Bindesbøll (1846-1908) : des décors « simples » de la tradition potière. le clan Skovgaard, Elise Konstantin-Hansen Comme le montrera aussi le mouvement et Theodor Philipsen produisent tous de la Cobra, le « primitif » peut receler quelque « céramique d’art ». Le grès et l’argile sont chose de très abstrait, donc en réalité devenus un mode d’expression de prédilec- quelque chose de moderne. tion et l’intention est de créer quelque chose Comme le veut la dialectique, toute d’unique et d’artistique. On expérimente rupture est en même temps une révocation à tout va dans l’art de la glaçure et Kong- et une assimilation de ce qui est nié. La strand, en particulier, est un équilibriste modernité était un pas en avant et une rup- en la matière. ture avec ce qui la précédait, mais cette rup- Les choses commencèrent toutefois ture fut possible par un retour... aux éléments vraiment avec les récipients et les plats de décoratifs simples des arts populaires. On le Bindesbøll. Architecte de formation, celui- constatera au demeurant aussi, par exemple, ci avait du mal à trouver du travail et se jeta dans l’intérêt d’Asger Jorn (1914-1973) pour dans la création, en particulier la céramique. les arts populaires et leur transposition, Il dessinait souvent ses œuvres sur du papier notamment dans des pièces céramiques, ou du carton avant de les façonner dans dans celui de Per Rehfeldt (1951-) et Beate l’argile ; il s’agissait souvent de grands vases Andersen (1942-) pour les décors géomé- ou récipients. Contrairement aux créations triques orientaux, et dans celui de Gutte de la famille Skovgaard, les décors de Eriksen (1918-2008) et Lisbeth Munch- Bindesbøll, Jacobsen et Kongstrand n’étaient Petersen (1909-1997) pour la poterie pas figuratifs. Si Kongstrand et Hansen traditionnelle. 100 ans de céramique danoise | 13

Tandis que Gutte Eriksen se laissa Le thème de la Chine et de l’Extrême- l’existence non seulement de liens au sein entre Gertrud Vasegaard et sa fille Myre inspirer entre autres des poteries jutlan- Orient fut, par exemple, poursuivi à la d’une tradition, mais aussi d’une tradition Vasegaard (1936-2006), à la fois dans les daises, Lisbeth Munch-Petersen emprunta manufacture Hjorth, où l’on produisit spécifiquement danoise et, peut-être de glaçures transparentes, les incrustations aux vases et autres récipients de la Préhis- dans les années 1920 des vases aux glaçures façon encore plus spécifique, d’un certain d’argile et l’inspiration puisée dans la nature. toire. Parmi les illustrations du présent dites marbrées et aux thèmes japonais. nombre de traditions locales. Elles travaillaient au demeurant beaucoup texte figure une photo du vase de Skarp­ On parle au demeurant du japonisme comme Les ateliers Hjorth produisirent les céra- ensemble. De nombreuses thématiques salling qui remonte à environ 3200 avant d’un phénomène plus large qui toucha miques de cinq générations successives. Ils communes relient également les sœurs J.-C. Il a été découvert dans le village danois également d’autres arts et d’autres formes furent créés par Lauritz Hjorth (1834-1912), Marie (1951-) et Ulla Hjorth (1945-) dans de Skarp Salling en 1891 et constitue l’une de création. Patrick Nordström (1879-1929) dont le fils Hans Adolph Hjorth y travailla leurs œuvres précoces, mais les créations des découvertes les plus importantes du fit des voyages d’étude en France et s’en également. Ce dernier fut le premier à tardives de Marie rappellent clairement Danemark sur la Préhistoire. Figure ensuite laissa inspirer dans son travail sur les produire des pièces en grès au Danemark, les travaux de Vasegaard. Enfin, on trouvera l’un des vases de Munch-Petersen qui en glaçures. Mais c’est sans doute surtout à dont quelques exemplaires glaçurés à effets des parallèles entre les décors incisés d’Ulla est clairement inspiré. Lorsque l’on regarde la Manufacture Royale de Porcelaine que de coulures sont présentés dans l’exposition. Hjorth et de Julie Høm (1944-), par exemple. ces deux vases ensemble, les cinq millénaires l’on observe une passion pour les grès Il tourna également un certain nombre des En dépit de nombreuses différences, on qui les séparent se trouvent en quelque coréens et japonais, en particulier pour pièces à glaçures marbrées exposées, dont observe dans cette famille une passion sorte gommés par une condensation les glaçures de cette région du monde. On sa sœur Thora Hjorth réalisa les décors. Erik pour la nature, l’organique et la céramique du temps. commença ainsi à recourir à des glaçures Hjorth (1906-1982), neveu de Hans Adolph d’atelier. L’étape suivante nous amène aux grandes traditionnelles et vieilles de nombreux Hjorth (il était le fils de Peter Hjorth, frère Gertrud Vasegaard est l’une des plus manufactures : aux grès de la Manufacture siècles comme le céladon et le procédé sang de Hans Adolph Hjorth) est également grandes céramistes danoises dont le talent Royale de Porcelaine et de Bing & Grøndahl, de bœuf, pour ne citer que les plus connus. représenté dans l’exposition. Il est manifeste a été une source d’inspiration pour les à la production de masse des fabriques de Des exemples de ces glaçures figurent que ses œuvres se placent dans le sillage membres de la famille Hjorth et bien d’autres Bornholm, celle de Hjorth en tête, et aux dans les œuvres exposées de Knud Kyhn des pièces à glaçures marbrées et que ses encore. Il en va de même de Gutte Eriksen. productions des ateliers Kähler et Arne (1880-1969) et Jais Nielsen (1885-1961). glaçures doivent beaucoup à celles de Hans Son influence, qui ne s’est toutefois pas Bang. Alors que les grès de la Manufacture Nous pourrions poursuivre cette étude Adolph Hjorth bien qu’elles soient entière- exercée au sein d’une lignée familiale mais Royale et de Bing & Grøndahl conservaient de la tradition en soulignant comment les ment couvrantes. plutôt dans le cadre de son enseignement souvent le caractère de pièces réservées à ruptures supposent toujours en même temps Il serait trop fastidieux de retracer toute à l’Académie Jutlandaise des Arts, est si une clientèle restreinte, d’autres manufac- un positionnement actif par rapport à un l’histoire de la famille Hjorth, mais on peut grande que l’on parle de l’école de Gutte. tures produisaient à destination de publics passé. Terminons toutefois cette partie par distinguer un lien entre les deux sœurs Nombre des céramistes présentés dans la beaucoup plus larges. Ce qui est intéressant, un autre élément caractéristique, à savoir Lisbeth Munch-Petersen et Gertrud Vase- section consacrée aux « rustiques » ont s’agissant de la thèse dialectique de la média- l’importance de la formation d’écoles et, gaard (1913-2007) (toutes deux nées Hjorth), été les élèves de Gutte. Cette inspiration tion des tensions, est que cette rupture partant, de réseaux. Deux exemples s’im- qui commencèrent par travailler ensemble transparaît dans leur intérêt pour l’argile fut rendue possible par un regard ouvert posent à l’évidence ici : le développement et firent toutes deux évoluer leurs œuvres rouge grésée, la place accordée à la tradition porté au loin et un autre tourné vers le des œuvres de la famille Hjorth et de l’école vers une inspiration fortement tirée de potière et le recours à des éléments décora- passé. Gutte Eriksen. Nous pourrons démontrer la nature. On discerne également des liens tifs sobres. La matérialité et la non-dissimula- 14 | 100 ans de céramique danoise

tion des traces laissées par le travail artisanal (1889-1961), d’autres ayant par la suite mais en tout cas très danois de tenter de impossible à réaliser, mais la solution était jouent un rôle essentiel. Et de même que eux aussi travaillé la céramique d’art. Les conférer à des objets utilitaires une dimen- de revenir à des matériaux classiques comme la céramique japonaise a marqué, par l’inter- deux plats du peintre Peter Brandes (1944-), sion esthétique. Il n’y a presque rien au l’argile, le cuivre, le laiton et le bois et de médiaire de Bernard Leach, l’œuvre de qui figurent dans la dernière section de Danemark qui ne soit à tous égards conçu concevoir les produits de manière à leur Gutte Eriksen, ce lien est également présent l’exposition, sont deux exemples d’œuvres et réfléchi en termes de design. donner une connotation plus humaine que chez ses élèves. L’influence de Gutte est très récentes. On peut dire que plusieurs L’artisanat d’art est né pendant la période mécaniste. la plus manifeste chez Inge Bøgh Trautner grands céramistes créent aujourd’hui des précédant la création des œuvres que pré- Dans ce contexte, il est également (1953-), Ulla Hansen (1953-) et Kirsten œuvres dénuées de vocation utilitaire, sente l’exposition. L’Art nouveau (en France), essentiel de mentionner que la tradition Sloth (1938-). à savoir des objets purement sculpturaux, le Jugendstil (en Allemagne), Arts and Crafts céramique danoise a toujours été inspirée le caractère artistique n’étant donc plus (en Angleterre) et le Skønvirkestil (au Dane- par celle du Japon et qu’une distinction une impulsion de l’extérieur vers l’intérieur. mark) ne se caractérisaient pas seulement entre art et artisanat, art et objets utilitaires Art et artisanat La notion de céramique d’art doit par par leur intérêt commun pour des ornements ne fait pas davantage sens dans la tradition Comme déjà évoqué, le mot céramique conséquent être abandonnée et il nous stylisés inspirés de la nature et pour l’usage japonaise. vient du grec keramos, lequel renvoie au faut à la place parler d’art céramique. de matières naturelles. Ces mouvements À partir des années 1930, les objets issus mot keras, signifiant « corne ». Cette corne Dans l’Antiquité, on distinguait déjà étaient également animés par une intention des arts appliqués danois furent commer­ était un petit gobelet en argile, une corne à les arts (artes liberales) de l’artisanat (artes de penser entièrement les objets quotidiens cialisés sous l’appellation « Danish Modern ». boire (Seisbøll, 1991, p. 9). Cette étymologie meccanicae) (Seisbøll, 1991, p. 10). Le trait sous l’angle de la création et du design, et Il s’agissait non plus d’une médiation entre est intéressante car elle témoigne de la essentiel des beaux-arts et de l’art, d’une de les enrichir d’une dimension artistique. artisanat et art, mais entre production indus- vocation initialement utilitaire de la céra- manière générale, est que les objets produits À cet égard, Thorvald Bindesbøll fut déter­ trielle et art, et ce qui reliait les deux choses mique. Au Danemark aussi, cette vocation dans ces disciplines ne sont pas destinés minant par ses créations dans l’argenterie, fut de nouveau l’artisanat. On insista sur le utilitaire a été présente et perdure encore à un usage pratique. L’art et le champ artis- les meubles et les textiles ainsi que dans fait que ces nouveaux produits fabriqués en fortement. tique sont autonomes ou en ont la prétention la céramique. masse portaient l’empreinte d’une tradition Il convient cependant de mentionner (Ugilt & Laustsen, 2009, p. 59). L’art céra- Ces nouveaux mouvements s’étaient artisanale danoise spécifique leur conférant que de nombreux artistes se sont lancés mique désigne ainsi « les sculptures, reliefs créés en réaction contre l’industrialisme une qualité esthétique particulière. dans la céramique au fil du temps et ont et surfaces picturales dont les formes et et son style impersonnel et froid fabriqué Dans l’art du meuble, surtout, on rappelle contribué à la dynamique de cette tradition. couleurs sont empreintes de caractères en masse. La production à la chaîne du taylo- inlassablement que les designers avaient Ils l’ont révolutionnée et fondé le moder- artistiques prenant le pas sur les propriétés risme exerçait une pression sur l’artisanat une formation d’ébéniste. À l’époque, la nisme céramique danois. Par la suite aussi, utilitaires de l’objet » (ibid., p. 10), écrit Lise traditionnel et le fait de redonner sa place à moindre brochure montrait des photos d’ate- des artistes (principalement des peintres et Seisbøll. Ce qui reste – la majeure partie – la tradition artisanale constituait une rébel- liers d’ébénisterie et de mains travaillant le sculpteurs) se sont intéressés à la céramique. se définit comme de l’artisanat d’art, c’est- lion contre l’aliénation, la froideur et l’imper­ bois. Contrairement aux autres modernismes, La Manufacture Royale de Porcelaine les à-dire quelque chose qui n’est ni de l’art, sonnel. Les vertus de l’artisanat, l’apport le modernisme danois fut ainsi présenté invitait volontiers à créer en son sein, les ni de l’artisanat, une forme hybride portée de l’humain devaient désormais transpa- comme une tradition s’enracinant dans plus connus d’entre eux étant sans doute par une tension productive entre les deux. raître clairement, même dans les produits l’artisanat. Christian Holmsted Olesen, les peintres Jais Nielsen et Axel Salto Il n’est peut-être pas spécifiquement danois, fabriqués en masse. Cela pouvait sembler conservateur du Designmuseum Danmark, Michael Andersen & Søn, vase, 37,5 cm 100 ans de céramique danoise | 15

l’exprimait comme suit sur le site du musée : typiques de cette époque. Mais c’est un endroit où les gens pourront vivre dans « Le design américain est un business, peut-être précisément de cette manière la joie au milieu de belles choses » (cité dans le design allemand une science, le design que l’on a pu positionner le design danois Munch, 2017, p. 103). italien un art, et le design danois un par rapport à des courants interna­tionaux. La tradition danoise était un fonction­ artisanat » (Olesen, 2018). Avec Salto, et d’autres, on pouvait parler nalisme nordique particulier, qui était C’est là que la céramique est venue d’un modernisme nordique spécifique, moins conceptuel que le Bauhaus, mettait occuper une place cruciale. Elle devait plus organique, plus authentique, davantage l’accent sur les formes orga- renvoyer à la fois à l’art et à l’artisanat. empreint d’artisanat et démocratique. niques et autorisait davantage les décors, Cette idée se manifesta clairement dans La chaise Fourmi (Myren), le fauteuil et qui en outre était présenté comme les innombrables expositions de design Cygne (Svanen), la lampe Pomme de plus démocratique. C’était l’artisanat danois des années 1950 et 1960, par exemple pin (Koglen) – et les vases à bour- d’art pour tous, un luxe quotidien que Design in Scandinavia qui tourna en Amérique geons de Salto – tous faisaient tout le monde avait les moyens de du Nord de 1954 à 1957 et l’exposition The partie d’un seul et même tout. s’offrir (Munch, 2017, p. 104). Arts of , présentée en 1960-1961 Dans le Danish Modern, Dans ce contexte, les chefs (Munch, 2017, p. 103). On y voyait en général la céramique faisait partie de file n’étaient pas la Manufacture­ exposés un ou plusieurs meubles avec un intégrante d’une « œuvre Royale de Porcelaine et Bing & textile en arrière-plan et une céramique au d’art totale » au centre de Grøndahl, mais plutôt un certain premier plan sur un meuble (Munch, 2017, laquelle se tenait Salto. nombre de grands et nouveaux p. 108). Ces céramiques, qui étaient des Non seulement ce dernier ateliers. Arne Bang (1901-1983) pièces uniques de grande valeur esthétique, maîtrisait plusieurs arts commença en 1929 à produire des devaient étayer le récit selon lequel il s’agis- (dessin, peinture, céramique), pièces en grès pour la verrerie sait d’art danois du meuble. En même temps, mais il travaillait aussi à réfor- Holmegaard, à Næstved, et ouvrit l’accent mis sur la matérialité, la tactilité, mer la formation aux métiers par la suite sa propre entreprise devait conférer l’idée d’un artisanat. d’art afin que les élèves soient où il fabriqua des grès de qualité Les œuvres de Salto furent souvent formés à plusieurs disciplines. d’inspiration Art déco, relative- utilisées à cet effet. Elles devaient montrer Il écrivait ainsi, et il convient ment peu onéreux. Grâce à une les liens étroits unissant l’art au design de remarquer la référence culture de la simplicité et à des danois, d’une part, et l’artisanat au design à peine dissimulée à Le Corbu- décors équilibrés et discrets, il sut danois, d’autre part. Salto est en réalité un sier : « L’Académie devrait unir dans ses œuvres la lourdeur céramiste danois atypique du fait qu’il est œuvrer à une standardisation du du grès à des éléments sculpturaux. très éloigné du style fonctionnaliste épuré logement, qui n’est pas seulement Un modernisme nettement moins que l’on trouve chez bien d’autres (Munch, une machine à habiter car ce genre massif était à l’œuvre chez Saxbo, 2017, p. 103). Ses créations étaient trop de choses ne satisfait aucunement grand atelier de l’île du Seeland dans fantasques et extravagantes pour être les besoins de l’être humain, mais lequel la simplicité des formes créées par Gutte Eriksen, plat, ø 25 cm

Eva Stæhr-Nielsen (1911-1976), Edith Sonne Bruun (1910-1993), Jens Jacob Bregnø (1877-1946), Hugo Liisberg (1896-1958) et d’autres était associée à la sobriété et au raffinement des glaçures de Nathalie Krebs (1895-1978). Nathalie Krebs travaillait chez Saxbo à la délicatesse de réalisation de chaque glaçure, les grès de Saxbo étant ainsi des glaçures avant d’être des formes. Par leur positionnement changeant selon les pièces, ces glaçures sobres faisaient ressortir et enrichissaient de façon spectaculaire la forme simple et la masse des grès. D’autres ateliers poursuivront sur ces deux voies : Nymølle produisit à partir des années 1950 des grès classiques et simples relevant d’une tradition plus rustique, tandis que Palshus travailla à de délicates glaçures revêtant des objets finement tournés.

Forme et décors Les œuvres de Salto étaient plus excessives que le fonctionnalisme ne le permettait en principe. L’échappatoire consistait à évoquer la beauté esthétique comme une fonction. De même que l’on a besoin de meubles adaptés au corps humain et, par conséquent, définis par rapport à leur fonction, par exemple un meuble pour s’asseoir, on 100 ans de céramique danoise | 17

pouvait voir l’ornementation comme une je suivrai trois axes correspondant approxi- tionnelle. Ils produisaient des objets utili- cas de cette dernière. La thématique de « fonction de l’effet de matière » (Munch, mativement à la manière dont la céramique taires – ou des objets artistiques inspirés la nature est plus directe chez Lisbeth 2017, p. 104). Les surfaces ornées ressortaient d’après-guerre est répartie dans l’exposition. d’objets utilitaires dans leur forme. S’il Munch-Petersen, qui a donné à plusieurs mieux avec les glaçures et permettaient Le premier axe concerne la céramique de est vrai qu’ils dépeignaient la nature, de ses œuvres la forme concrète et recon- de ressentir la matière, cette émotion Bornholm (chapitre 4) et sa mise en tension ils produisaient non pas des figurines naissable d’un élément naturel, par exemple étant impossible autrement. entre nature et culture. Deuxièmement, d’animaux, de fleurs ou de végétaux, une pomme de pin. Les pièces de Julie Høm Comme je l’ai indiqué à titre liminaire, dans la céramique principalement­ jutlandaise mais des vases, des plats, des coupes, offrent un éventail allant de ce qui pourrait il est difficile de faire entrer tous les céra- (chapitre 5), l’élément essentiel est une des pots avec couvercle, etc. La thématique ressembler à des cellules ou à des micro­ mistes dans quelque chose qui caractériserait tension entre la matière et la texture, d’une de la nature rencontre donc une forme organismes (le grand pot), à la représentation un style spécifiquement danois. Une telle part, et la pièce travaillée, d’autre part. créée par l’humain. La forme proprement d’animaux (le pot à couvercle orné de quatre tentative nous amènerait toutefois à relever Le troisième axe est principalement centré dite est le premier aspect qu’il nous faut libellules). La coupe verte d’Ursula Munch- les éléments suivants : une attention et une sur l’île du Seeland, où une tension s’exerce aborder ici. Aucune arête vive, mais des Petersen (1952-) ressemble à la moitié du place importante accordées à la fonction­ entre forme, d’une part, et contenu ou fonc- structures évoquant quelque chose qui, tégument d’une graine tandis qu’Anne Mette nalité des objets, à leur dimension artisanale, tion, d’autre part. Autrement dit, je vais à défaut d’exister naturellement, nous Hjortshøj (1973-) a recours à des matières d’où un intérêt pour la texture et la matière ; esquisser trois thématiques dont on verra renvoie par sa douceur et son rendu à naturelles, outre l’argile, à savoir des pour mieux laisser cela s’exprimer, une inspi- ensuite les entrecroisements et liens trans- quelque chose d’organique. Nous sommes anses en tiges de saule tressées. ration puisée dans la nature, qu’il s’agisse versaux. De nombreux céramistes autres loin des visions de tuyaux en acier du La deuxième tension susmentionnée de la forme, des glaçures ou des décors ; un que ceux de Bornholm ont travaillé sur Bauhaus et des surfaces monochromes est celle entre les formes générées par vœu de simplicité et, par conséquent, une la tension entre nature et culture, mais du fonctionnalisme. l’être humain et la matière elle-même. sobriété dans les glaçures, les décors et les c’est à cet endroit qu’elle est la plus visible. Une inspiration puisée dans la nature « La matière proprement dite […] est le éléments plus narratifs ; enfin, une approche La tension entre forme et décors est égale- transparaît également dans le traitement style des choses » (Bodelsen, 1960, p. 43). de la création à la fois constante, simple ment importante pour les Jutlandais, et des surfaces privilégiant les glaçures en La tradition jutlandaise, plus précisément et sans prétention. ainsi de suite. Une tradition étant un entre- douces teintes de terres. La surface des l’héritage de Gutte Eriksen, semble vouloir Il me semble toutefois que nous lacs, notre approche sera avant tout œuvres de Vasegaard et d’Eva Brandt (1952-) pousser les matières à l’extrême. On n’y irons plus loin si nous nous intéressons heuristique. rappelle des fourrures d’animaux, des plumes voit aucune tentative de dissimulation à la singularité danoise en tant que série La première tension susmentionnée et d’autres éléments présents dans la nature. que les pièces ont été faites par des mains de tensions dynamiques, et à la tradition vise l’équilibre entre nature et culture. Le plat de Gerd Hiort Petersen (1937-) humaines. L’argile est cuite au grand feu comme constituée de parentés entre des L’objet céramique est bien entendu un objet offre une structure similaire aux strates et est en quelque sorte malmenée, ce qui groupes de céramistes plutôt que comme façonné et donc produit. La matière, l’argile, géologiques de la terre ou des falaises, et il transparaît, par exemple, dans les petites caractérisée par une essence commune. est domestiquée. Enfin, l’objet se réfère par en va de même de ses coupes en porcelaine. imperfections et irrégularités des glaçures. Telle est l’idée-force du présent essai. sa forme à une fonction, à une valeur d’usage. Les décors d’Ulla Gahrn (1937-) et d’Ulla Les céramistes jutlandais de la tradition Dans la dernière section, où je tenterai À cet égard, tous les céramistes de Bornholm Hjorth évoquent eux aussi des structures de Gutte font souvent appel aux formes d’aborder les œuvres proprement dites, se placent dans le sillage de la poterie tradi- naturelles, et même des vagues dans le classiques, cette simplicité permettant ainsi 18 | 100 ans de céramique danoise

à la matière de s’exprimer. Là réside peut- de l’œuvre. On discerne également ici une s’effondrent. Si les décors des œuvres de dans l’épaisseur des parois des vases, etc., être l’explication du recours si fréquent à influence du Japon et l’idée du « parfait Vasegaard sont plus denses, on y voit là extrêmement fines chez les trois céramistes. la forme cylindrique, une caractéristique imparfait » (Zettersten, 2002, p. 30). aussi une tentative d’obtenir la plus grande Chez Alev Siesby, ce sera un jeu entre un au demeurant très danoise. La rigueur du Trautner et Ehrenreich faisaient partie du simplicité possible, et ce souvent par des pied très étroit et un corps plus volumineux, cylindre permet précisément de diriger groupe des « Huit Jutlandais » qui comptait motifs répétitifs. les vases semblant en suspension, tandis toute l’attention sur les effets de matière. également dans ses rangs Anne Fløche « Toute notre évolution s’est caractérisée que les pots de Manz ont des parois si fines Les centaines de cylindres de Kim Holm (1952-), Ulla Hansen, Kim Holm, Inge Bøgh par une terreur des décors. Le décor a été qu’elles se dissoudraient presque dans l’air. (1952-) en sont une parfaite illustration. Trautner, Inger Rokkjær et Hans Vangsø. considéré comme étranger aux objets. On Il semble que c’est le décor qui les tient, tel Imaginez une ville abandonnée depuis Mette Augustinus Poulsen (1945-) n’en n’a pas compris qu’un décor doit contribuer un grillage d’appui sans lequel elles disparaî- dix ans. Le lierre grimpe le long des murs faisait pas partie mais son style est dans à faire ressortir la forme et en constitue une traient purement et simplement. Enfin, des maisons, l’enduit craquelé est tombé la même ligne. partie logique » (Herløv, 1960, p. 13). C’est chez Beate Andersen, la forme est un élé- par endroits, la peinture s’est écaillée. La Augustinus Poulsen et Vasegaard nous ce qu’écrivait Erik Herløv en 1960, et il est ment porteur, qu’il s’agisse de la forme du nature reprend ses droits, attaque les amènent précisément à notre troisième vrai que les céramistes danois font preuve vase ou de ses décors. Le pot double est formes générées par l’humain. On dirait thématique : une tension entre forme et de modération dans leur utilisation d’élé- par exemple une forme que l’on ne voit que que le même processus est à l’œuvre dans décors. Ou entre la forme en tant que forme ments décoratifs, voire d’une modération chez elle. Comme chez Vasegaard, le décor le travail des céramistes jutlandais. Prenez, utilitaire (vase, bol, plat) et la forme en tant extrême. Ils recherchent à la place une revêt chez Beate Andersen un caractère par exemple, les créations d’Inger Rokkjær que forme pure, c’est-à-dire une forme en soi abstraction formelle, la forme des œuvres sériel et répétitif. L’inspiration lui en est (1934-2008) ou de Hans Vangsø (1950-). et non la forme de quelque chose. Les décors devenant l’élément décoratif en soi. venue de ses voyages au Tibet, en Inde et Rokkjær ajoutait entre autres du marc de ne sont pas uniquement des peintures (quelle Christian Poulsen (1911-1991), en particulier, dans des pays musulmans. Il semble se café à ses glaçures pour casser et texturer qu’en soit la technique) de quelque chose cultivait cette démarche, ne recourant dessiner un parallèle à l’interdiction de les surfaces, tandis que Vangsø cuit souvent de déjà fini, comme c’était le cas dans la tra- qu’à des glaçures monochromes permettant l’image dans l’Islam. De même que le signe ses céramiques avec du varech et d’autres dition de la poterie. Les décors appuient la de mieux souligner la forme. La même idée peut devenir un objet esthétique en soi matières naturelles. C’est une lutte entre forme, ils sont la forme. On raconte que le s’exprime dans le grand vase à méandres de dans la tradition islamique, la forme le le céramiste et la matière, et le meilleur cinéaste danois Carl Th. Dreyer, dans son Bente Hansen (1943-). On pourrait presque devient dans la tradition céramique danoise. résultat est celui obtenu en cas de filmOrdet , devait tourner une scène dans avancer la thèse selon laquelle la modération La forme est contenu. match nul. une cuisine. Il demanda à une mère de famille dans l’usage des glaçures et le travail d’élimi- Dans les œuvres de Lis Ehrenreich (1953-) de mettre en place cette cuisine, après quoi nation des traces de processus de mise Fin de parcours et dans certaines d’Inge Bøgh Trautner, la il en supprima un à un les objets jusqu’à ce en œuvre permettent à la forme de mieux glaçure est presque explosée en un paysage qu’il ne reste que le strict minimum permet- ressortir. « S’il faut parler d’une constante spécifique- de cratères, sans tentative de dissimulation tant encore d’y voir une cuisine. On pourrait Le travail sur la forme comme élément ment danoise dans les arts appliqués, il faut des traces du travail des mains humaines en dire de même des œuvres d’Augustinus décoratif fondamental est également présent sans doute citer un solide sens de la qualité et des ravages du feu. Ce qui échappe à la Poulsen, qui offrent une simplicité méditative chez Alev Siesbye (1938-), Beate Andersen doublé d’un profond respect pour la puis- maîtrise contribue activement à la création et qui, si l’on en supprime la moindre ligne, (1942-) et Bodil Manz (1943-), et notamment sance et la texture de la matière, ainsi qu’une 100 ans de céramique danoise | 19

unité entre usage et conception tradition- œuvres deviennent nettement plus centre des préoccupations chez Christina du passé est précisément ce qui caractérise nelle. Les expérimentations très poussées volumineuses et conceptuelles. Schou Christensen, Morten Løbner une tradition vivante et dynamique. De n’ont jamais été danoises, mais un dévelop- On peut parler ici, avec prudence, (1965-) ainsi que chez Skjøttgaard, tous nouveaux chapitres vont s’écrire à la suite pement régulier sans à-coups reste caracté- d’une quatrième voie, et peut-être de trois nourrissant une passion pour des sept que nous avons tenté de montrer ristique des arts appliqués danois » (Herløv, quelque chose d’entièrement nouveau. l’exploration du potentiel des glaçures. avec cette exposition. Nous espérons 1960, p. 9). Ce qu’écrivait Erik Herløv peut On peut également s’efforcer de saisir Enfin, un intérêt pour la forme s’exprime que cette exposition non seulement s’appliquer d’une manière générale au design la nouveauté en se référant à la tradition. chez Flemming Tvede Hansen (1967-), éveillera l’intérêt du public pour ces cent danois et à la céramique. La tradition danoise Les formes organiques sont présentes Christian Buur Bangsgaard (1971-) et dernières années de céramique mais de la céramique est une tradition marquée chez Gurli Elbækgaard (1969-), Steen Mette Marie Ørsted (1952-). Le relais qu’elle suscitera aussi, sur cette base, par la continuité et les changements gra- Ipsen (1966-), Karen Bennicke (1943-) est assuré. une curiosité pour les créations à venir. duels. Peut-être est-elle parvenue à son et Bente Skjøttgaard (1961-). L’intérêt Le fait que la nouveauté se présente terme. La céramique danoise d’aujourd’hui pour la matérialité et la texture est au à la fois en rupture et en prolongement est orientée vers l’international. Elle est plus artistique et sculpturale, et les expéri- mentations qui s’y mènent se font d’une manière que l’on pourrait presque qualifier de non-danoise. Bibliographie Herløv poursuivait ainsi : « Il est frappant Arendt, Hannah, Lectures on Kant’s Herløv, Erik, « Generelle Retnings­ Seisbøll, Lise, Keramisk kunst. de constater que très peu de céramistes Political Philosophy, Chicago, linier i Dansk Kunsthaandværk Dansk kunstnerkeramik gennem University of Chicago Press, 1982. i Dag », in Dansk Keramik, Copen- 100 år, Copenhague, Rhodos, 1991. exploitent le potentiel purement sculptural Bodelsen, Merete, « Stentøj fra hague, Gyldendal, 1960, p. 9-14. Seisbøll, Lise (sous la direction de), de l’argile. Rares sont ceux – peut-être n’y Danmark », Dansk kunsthåndværk, Munch, Anders V., « Rumkunst Fra ler til keramik, Middelfart, en a-t-il qu’un – qui ont laissé l’argile pousser 1952, 25: p. 93-97. og uregerlige vaser. Saltos rolle Danmarks keramikmuseum, 2002. entre leurs mains et qui dans l’association Brandes, Peter, Ostraka. Potteskår, i Danish Modern Design », in Thirslund, Lars, « Dansk Lertøj entre forme, ornements et glaçures, sont Copenhague, Ann Linnemann Axel Salto. Stentøjsmesteren, i Dag », in Dansk keramik, Copen- Galleri, 2018. Middelfart, Clay Keramikmuseum hague, Gyldendal, 1960, p. 89-111. parvenus à un art personnel puissant célé- Hansen, Claus Domine, Håndbog Danmark, 2017, p. 103-109. Ugilt, Rasmus & Laustsen, Carsten brant la vie » (Herløv, 1960, p. 13). On peut i studiokeramik. Teori & teknik. Olesen, Christian Holmsted, Bagge, « The Scandalous Autonomy penser ce que l’on veut de cette critique, Odense, Praxis, 2016. Designmuseum Danmark, https:// of Art », chapitre 59 in John Reardon, mais la dernière section de l’exposition Hansen, Per H., « Networks, Narra- designmuseum.dk/, 2018. Secondary Communities, New York, donne une idée des tentatives tournées vers tives, and New Markets: the Rise 2009. une telle céramique purement sculpturale. and Decline of Danish Modern Furniture Design, 1930-1970 », La nouveauté est ici totale. Les références Business History Review, 2006, aux formes de la céramique utilitaire et 80: p. 449-483. à la tradition potière s’estompent, et les

Être collectionneur

LA CHOSE manquante Le désir les autres n’ont point. Ce n’est pas un atta- les grands plats et la bonbonnière. Ce Dans Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle chement à ce qui est parfait, mais à ce qui n’est qu’à ce moment que je collectionne. On pourrait être tenté de considérer les de 1688, Jean de la Bruyère nous fait rencon- est couru, à ce qui est à la mode. Ce n’est Chaque nouvelle acquisition a donc une collectionneurs comme les êtres les plus trer Diognète, collectionneur de médailles pas un amusement, mais une passion, et fonction double et contradictoire : c’est insatisfaits et les plus aliénés que l’on puisse en quête de celle qui lui manque pour remplir souvent si violente qu’elle ne cède à l’amour un objet qui parfait la collection (c’est imaginer, mais l’on passe alors à côté d’un la seule place restée vacante dans sa tablette. et à l’ambition que par la petitesse de son l’élément qui manque), mais en même aspect essentiel : cette quasi atteinte pro- Il ne sait pas grand-chose des médailles mais objet. Ce n’est pas une passion qu’on a temps chaque nouvelle acquisition voque un plaisir. Si l’on peine à comprendre ce vide lui blesse la vue, et il emploie son bien généralement pour les choses rares et qui repousse constamment la limite, de sorte ce qui précède – c’est peut-être le cas des et sa vie pour le remplir. Son projet sera alors ont cours, mais qu’on a seulement pour une qu’un nouvel objet non encore acquis non-collectionneurs – il suffit de prendre achevé et la tablette entièrement garnie. certaine chose, qui est rare, et pourtant joue ce rôle (Baudrillard, 1978). l’exemple du shopping. Le shopping génère Un autre personnage, Démocède, a toutes à la mode. » (La Bruyère, 1975, p. 311). Le pire qui puisse arriver, en quelque pour beaucoup de gens un plaisir bien supé- les estampes de Callot hormis une seule et sorte, est donc que la collection soit achevée rieur à la simple joie d’acquérir les différentes recherche depuis vingt ans cette estampe qui Le collectionneur est animé d’un intense (Baudrillard, 1978, p. 130). Si l’on approche choses qu’ils achètent. En parlant de « manie achèverait sa collection. Ce n’est pas une désir : la quête de l’objet suivant. Mais cet ce stade, on va se dépêcher de modifier du collectionneur » ou de « collectionnite », œuvre de grande qualité, mais c’est la seule objet n’est pas un simple objet s’ajoutant les règles présidant à la conception et au on tente de décrire cette envie de collection- qui lui manque. Le prix de sa quête est élevé : à une série selon la logique du +1, à savoir contenu de la collection. Avant, on collec- ner qui consiste tout à la fois à constamment ses filles sont mal vêtues et se couchent la posséder une chose de plus : par exemple, tionnait de la céramique danoise. Ensuite, atteindre son objectif et à le manquer. Le faim au ventre, et n’ont de surcroît aucune je possède maintenant 50 vases Kähler, scandinave... D’abord des pièces de Gertrud mot « manie » et le suffixe « -ite » désignent chance de se marier puisqu’il ne peut leur 50 boîtes d’allumettes, 50 autographes de Vasegaard, à présent tout Hjorth, ensuite précisément cette perte de contrôle. On donner une dot. Tous ces problèmes trouve- rock stars, 50 timbres ornés de chevaux, peut-être toute céramique de Bornholm... n’est plus le sujet à l’initiative de la collection raient une solution si seulement Démocède 50 décapsuleurs de bière… au lieu des 49 On jette son dévolu sur un nouveau ou une mais un simple accessoire de la collection. voulait vendre sa collection (La Bruyère, 1975, que j’avais auparavant. Outre le fait qu’il nouvelle céramiste, des objets d’une couleur Collection oblige. p. 313). Selon La Bruyère, il ne s’agit pas de s’additionne à la collection, le nouvel objet nouvelle, on veut soudain compléter un ser- C’est là que La Bruyère fait mouche : collectionner ce qui est esthétique, agréable est en même temps censé achever cette vice de table par un service à café, etc. Être notre désir des choses est un désir porté ou même abouti, mais tout bonnement de dernière et ainsi conférer de la valeur à tous collectionneur, c’est être en mouvement. par la société. Selon le psychanalyste Jacques remplir le vide. Le fait de collectionner les éléments qui la composent déjà. Une Le collectionneur est motivé non pas par la Lacan (1998, p. 235), le désir est le désir du semble plus important que ce que l’on collection ne constitue pas une simple collection, mais par ce qui manque à cette désir de l’Autre. Nous désirons ce que collectionne. Et ce que l’on ne possède pas multiplicité, une accumulation : si je possède dernière. C’est la raison pour laquelle on d’autres désirent aussi. Qui ne connaît cette encore emplit l’espace bien plus que ce que douze grandes assiettes, douze assiettes n’achète pas une collection toute faite. envie soudaine de surenchérir lors d’une l’on a déjà acquis. La Bruyère écrit ainsi : à dessert, douze assiettes creuses, ces C’est la quête elle-même et en particulier les vente aux enchères au motif que l’on voit 36 pièces de porcelaine ne forment pas souvenirs qui y sont liés (tout collectionneur d’autres personnes accorder une valeur en- « La curiosité n’est pas un goût pour ce qui pour autant une collection. Elles n’en sait précisément où et comment il a acquis tel core accrue à l’objet en question. Une chose est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui constitueront une que si j’entends acquérir ou tel objet) qui aiguillonnent et définissent qui semblait ordinaire devient soudain inté- est rare, unique, pour ce qu’on a et ce que aussi les bougeoirs assortis, les vases à fleurs, le collectionneur (Baekeland, 1994, p. 209). ressante. Un vase Salto peut au bout de vingt Tove Anderberg, vase, détail, 17 cm

ans voir sa valeur tout à coup multipliée par dix, et nous le désirons alors d’autant plus. Car non seulement le prix donne une indication de la valeur, mais le vase n’est dès lors plus un objet que tout un chacun peut acheter. Il existe des gens qui collectionnent de façon tout à fait idio- syncratique, mais la plupart des collection- neurs ne sont pas du tout coupés de l’extériorité sociale et veulent ce que d’autres personnes veulent aussi. Dans le fait que le désir est le désir du désir de l’Autre, il y a aussi que l’Autre doit me désirer moi. Je peux fièrement montrer ma collection. Regardez quelle magnifique pièce je possède ! À l’instar de Don Juan qui recensait toutes ses conquêtes dans son carnet, nous exposons nos trouvailles dans une armoire à trophées. Certains collection- neurs ne se dévoilent guère, mais ne vous y trompez pas, ils continuent de se mesurer à l’aune des autres, ne serait-ce qu’à travers le prix des choses. Le prix est intéressant car il est une indication de la rareté ou du caractère recherché de la chose, deux aspects soulignés par La Bruyère dans la citation susmentionnée. En vérité, combien de fois n’ai-je entendu que les autres n’y entendent rien en matière de collection : ils n’ont aucun sens de la valeur esthétique, courent après la mode, achètent trop bon marché et ne visent pas les pièces dignes des musées... Le collectionneur a la douloureuse conscience de ce que les autres possèdent. être collectionneur | 23

La collection Il y a toujours un équilibre à trouver entre sion de collectionner et n’y comprennent timbres, d’assiettes décoratives et de Le collectionneur a une approche systé- ce qui est difficile et ce qui est accessible. donc rien. Ces pièces ont été achetées en cartes téléphoniques en ont fait l’expérience. mique. Chaque nouvel objet a du sens Si l’objet s’avère trop difficile à obtenir, la tant qu’objets esthétiques et parce qu’elles Outre la mode et la rareté, l’origine de et un emplacement au sein de la collection. motivation s’en trouve réduite à néant, de s’inscrivent parfaitement dans la collection. l’œuvre et ses conditions de production Le collectionneur peut néanmoins parfois même si son acquisition est trop facile. Les Elles n’ont aucune valeur d’usage, mais une jouent également un rôle. Si elle est être dépassé et il est alors tentant de le règles régissant la collection doivent viser valeur « de collection ». C’est un peu comme produite dans l’idée d’aiguiser l’intérêt des considérer comme atteint de syllogomanie, très précisément un équilibre entre le trop avoir la foi : si l’on n’est pas croyant, on ne collectionneurs, l’œuvre conserve rarement c’est-à-dire d’accumulation compulsive. facile et le trop difficile. Par conséquent, il peut la comprendre. de la valeur. Le fait qu’il s’agit d’une simple J’ai rendu visite à plusieurs collectionneurs arrive souvent que le collectionneur modifie « Ceci n’est pas une pipe », indique la marchandise transparaît­ alors trop facile- chez lesquels il était difficile de se déplacer les règles lorsque ses finances s’améliorent légende du tableau de Magritte. De même, ment. On ne nous dupe pas si facilement ! tant l’espace était encombré de pièces de ou au contraire se détériorent. Ou qu’il on pourrait dire de chacun de mes vases : Quoique… céramique, et qui faisaient passer l’acquisi- se mette à collectionner quelque chose « Ceci n’est pas un vase ». Il ne s’agit pas Étant actif dans divers groupes Facebook tion de nouvelles pièces pour leur collection d’entièrement nouveau. À l’époque où j’étais d’un objet défini par sa fonction, ni d’ailleurs relatifs à la céramique, je vois souvent des avant même certaines contingences de chercheur invité à la New School for Social de quelque chose que l’on pourrait enfermer gens demander une évaluation de leurs base. Mais tandis que le syllogomane n’a Research de New York, j’ai ainsi commencé sous un terme générique (pipe, vase…). « superbes pièces ». Sans chercher à vendre, pas de critères lui permettant de distinguer à collectionner les quarters, pièces de 25 Un vase de Gertrud Vasegaard n’est pas ils viennent de trouver un vase dont ils aime- l’important de l’accessoire, voire de choisir cents, car les grès scandinaves m’étaient un simple vase. Il ne s’ajoute pas aux raient juste connaître la valeur. Et de même tout simplement (Frost & Hartl, 1996), le inaccessibles. autres comme un simple exemple supplé- que d’autres vous félicitent pour la beauté collectionneur est animé d’une maîtrise Les collectionneurs se distinguent mentaire de vase. L’œuvre est singulière et d’une pièce que vous avez acquise, on peut minutieuse. Il donne du sens à chaque également des syllogomanes d’une autre offre une résistance – elle résiste à toute vous féliciter pour un achat judicieux. Dans pièce par rapport à un projet plus global. manière. Si curieux que cela puisse paraître, utilité et plus généralement au fait d’être les deux cas, tout est affaire de reconnais- Il peut s’agir de collec­tionner la totalité le syllogomane est tourné vers l’utilité des définie par rapport à autre chose que ce sance, et nous y reviendrons ultérieurement. des figurines de Knud Basse, les animaux choses. Il conserve des journaux car ces der- qu’elle est. Une démarche similaire est à l’œuvre dans de Lisa Larsson, de n’acquérir que des pièces niers risquent de contenir des informations « L’œuvre d’art absolue se confond les nombreuses émissions de divertissement venant de Saxbo, éventuellement ornées de dont il pourrait avoir besoin par la suite. Pour avec la marchandise absolue », écrit dans lesquelles les gens font évaluer leurs glaçures blanches ou turquoise, de rainures, le collectionneur, au contraire, il est essentiel cependant Theodor Adorno dans sa Théorie antiquités. La magie entourant tout ce dis- de la période Art déco, des vases d’Alle- que les objets (les pièces de la collection) esthétique (1970). C’est précisément l’absence cours sur la valeur vénale est qu’il n’abîme magne de l’ouest ; on serait tenté de dire soient dénués de toute utilité. Un philatéliste de valeur d’usage qui fait de l’œuvre d’art en rien la possibilité d’apprécier l’esthétique qu’il y a autant de manières de collectionner ne fait pas la collection de timbres parce une marchandise absolue. L’œuvre d’art des objets, bien au contraire. Plus la valeur qu’il y a de collectionneurs. Mais le dénomi- que ces derniers pourront être utilisés, et il est un pur produit de la demande : du désir vénale de l’objet est grande, plus l’objet est nateur commun, c’est l’existence d’un en va de même du collectionneur de boîtes des collectionneurs pour cette œuvre. superbe. projet. Les règles régissant la collection d’allumettes. Lorsqu’ils me demandent à quoi Les prix peuvent donc parfois énormément servent de guide : on ne peut pas se me servent mille vases, les gens ne font que varier, comme les propriétaires de meubles mettre en quête de tout. montrer qu’ils n’ont pas été saisis de la pas- en acajou, d’horloges, de tapis persans, de 24 | être collectionneur

Interpassivité collections de CD, de disques vinyle, de « arranger » les objets, c’est-à-dire les dispo- qu’il désire lui aussi la mère. Une relation En japonais, un mot désigne le fait d’acheter vidéos ou bien de livres écoutent, regardent ser en petits tableaux formant un ensemble symbiotique à l’objet désiré (la mère) est des livres qu’on ne lit pas : Tsundoku. On ou lisent à notre place. Il en va peut-être esthétique. remplacée par l’interdit du père. pourrait dire qu’une collection de céramique, de même de ma collection de céramique, Il y a toutefois quelque chose d’intrinsè- Comment l’enfant maîtrise-t-il cette contrairement à une telle collection de livres, qui « fait » à ma place. quement mensonger dans cette démarche, perte ? En collectionnant. L’objet de désir de s’utilise en réalité puisque l’on profite de ses La collection me décharge d’un fardeau. car les objets restent bien évidemment la collection vient remplacer l’objet (la mère) qualités esthétiques. Mais ici encore, nombre Mais lequel ? Une première réponse est qu’il les mêmes. Si je ne les avais pas moi-même que l’enfant a perdu. La libido s’investit ainsi de collectionneurs ont bien plus de pièces me décharge de devoir moi-même produire acquis, quelqu’un d’autre l’aurait fait. La dans des substituts, mais il s’agit également qu’ils ne peuvent en exposer chez eux et quelque chose d’esthétique. À travers ma collecte et la quête d’objets me permettent de maîtriser l’absence et le manque. Le fait sont donc contraints de les ranger dans leurs collection, je peux me penser en artiste. Ma cependant d’occuper une place plus passive de collectionner consiste à symboliser le jeu placards et dans des caisses. Dans un tel cas, collection devient une œuvre que je signe. à un niveau plus fondamental. En psychana- entre la présence et l’absence. Le manque ce qui confère de la valeur aux objets est la Le mécène peut se mêler aux artistes comme lyse, on parle souvent de la névrose du col- est sans cesse repoussé et cette constante pensée qu’on les possède et que l’on peut leur égal, la provenance devenant une sorte lectionneur, le fait même de collectionner mise à distance devient en soi une forme de les sortir à tout moment pour les apprécier. de signature supplémentaire de l’œuvre. étant une manière d’éviter la confrontation maîtrise. Comme Danet et Katriel l’écrivent : On peut presque affirmer que la collection Getty, Wallraf et Guggenheim sont tous à l’imprévisibilité et aux contingences de « Les collections sont comme des animaux de apprécie à ma place. connus pour leurs collections. Le collection- l’existence. Bref, au manque. compagnie : objets d’affection, ils deviennent À cet égard, la notion d’interpassivité neur ne fait qu’accumuler, mais il pense sa également des objets de domination et de de Robert Pfaller (2017) peut s’avérer utile. collection comme une œuvre qu’il compose. contrôle » (1994, p. 228). Psychopathologie du collectionneur On parle normalement d’interactivité, à Il n’est pas rare que le collectionneur Dans Au-delà du principe de plaisir, Sig­ savoir que quelque chose facilite notre se prenne pour quelqu’un qui insuffle une Pourquoi collectionnons-nous ? Parce que mund Freud décrit une scène dans laquelle activité en nous y faisant participer. Nous nouvelle vie aux objets. Walter Benjamin nous en tirons un plaisir esthétique ? Sans l’un de ses petit-fils âgé de 18 mois s’amuse sommes partie prenante dans l’enseignement (1992), dans son texte relatif à la collection aucun doute. Mais l’enjeu est plus vaste, avec une bobine. Il l’envoie loin de lui en lorsque nous pouvons poser des questions de livres, a par exemple décrit la manière comme toujours lorsque la psychanalyse disant « Fort » et la ramène vers lui en et émettre des avis. Nous pouvons devenir dont il a sauvé certains livres de l’oubli. s’en mêle. Commençons par les enfants. s’exclamant « Da ! », ce que Freud « traduit » actifs lors d’un spectacle, par exemple en Il les a trouvés lors de ses voyages, dans Presque tous les enfants sont collection- par « parti » et « là », comme un jeu permet- applaudissant, en pleurant ou en exprimant des boutiques au fond de petites ruelles, neurs, le plus activement entre l’âge de tant à l’enfant de symboliser et maîtriser la notre activité émotionnelle d’une autre ma- les a achetés et a fait revivre l’histoire grâce sept et douze ans (Baudrillard, 1978, p. 123). disparition de sa mère. Le collectionneur fait nière. L’interpassivité désigne le mouvement à ces fragments. De la même manière, le Le besoin de collectionner peut être consi­ en quelque sorte de même. L’objet est loin (le inverse : la charge de l’activité ne pèse plus collectionneur de céramique peut dénicher déré ici comme une manière de se libérer vase qu’il me faut obtenir) et l’instant suivant sur nos épaules. Dans les tragédies grecques, des trésors oubliés dans des brocantes et leur de la mère. Selon la lecture psychanalytique, il est conquis (acquis aux enchères), ce qui le chœur pleure à la place des spectateurs. redonner honneur et dignité au sein d’une l’enfant vit à un moment donné une forme ne fait que déclencher l’idée d’une nouvelle Les rires enregistrés utilisés dans les séries collection. Leur valeur se trouvera accrue de castration symbolique. Il doit reconnaître absence, d’un nouveau vase manquant. TV nous déchargent de l’obligation de rire. du fait de leur intégration à un ensemble que quelque chose le sépare de sa mère, Autrement dit, la contingence et la nécessité D’un point de vue encore plus radical, les plus vaste, le collectionneur pouvant alors à savoir le père, dont l’enfant découvre se rencontrent dans la stratégie du collec- Gutte Eriksen, vase, détail, 68 cm

tionneur. La contingence devient nécessité. Un manque fondamental à être devient La manie de collectionner devient une supportable dès lors qu’il prend la forme du manière de maîtriser le temps, qui se mue manque d’un objet précis d’une suite sérielle. en intervalles séparant les conquêtes. Le C’est à cet égard que l’on a parlé de temps est ainsi domestiqué et prend une la manie du collectionneur comme d’une orientation. Un collectionneur sait donc névrose (Subkowski, 2008, p. 386 et suiv.). toujours que faire. Baudrillard écrit ainsi Le névrosé tourne autour d’un manque, mais des objets que : tandis qu’il est destructeur du moi dans le cas d’une psychose, chez le névrosé ce manque « [ils] interpos[e]nt, entre le devenir irréver- s’internalise, se projette dans un objet sible du monde et nous, un écran discontinu, très surinvesti – soit dans son acquisition, classifiable, réversible, répétitif à merci, soit dans son évitement. Le névrosé a un une frange du monde qui nous appartient, « projet » et sait en particulier rassembler docile à la main et à l’esprit, ôtant à l’an- et étayer son moi. Nous avons tous de tels goisse. Les objets ne nous aident pas seule- « projets », raison pour laquelle Freud parle ment à maîtriser le monde, par leur insertion au demeurant d’individus normalement né- dans des séries instrumentales, ils nous vrosés. Chez le collectionneur, cela s’exprime aident aussi, par leur insertion dans des par le fait de collectionner. Le collectionneur séries mentales, à maîtriser le temps, en se met à collectionner avec une énergie fré- le discontinuant et en le classant sur le nétique, laquelle lui permet en même temps même mode que les habitudes, en le soumet- d’omettre de se relier à un manque qui n’est tant aux mêmes contraintes d’association pas un manque d’objets, de céramiques, mais qui ordonnent le rangement dans l’espace. » au contraire un manque à être fondamental. (Baudrillard, 1978, p. 132-133).

Histoire des collections Le collectionneur se définit tout autant par sa collection que la collection se définit par Une explication psychanalytique est à la base lui. Une symétrie parfaite les unit. La sérialité une explication anhistorique. Un manque à (la conception de la collection) constitue en être est cultivé par le fait de collectionner : même temps un séquencement constant et fort – da. Cette culture peut toutefois s’effec- maîtrisé du temps. En organisant le temps, tuer de multiples manières, lesquelles sont par le biais de la collection, en séquences déterminées historiquement et expriment successives (le fort – da de Freud), nous différentes positions dans le champ social, atténuons notre angoisse existentielle. et de même qu’avec les diagnostics psycha- 26 | être collectionneur

nalytiques, on peut les voir comme l’expres- reste le plus difficile. La manie de la collec- Henry Clay Frick (1849-1919) à Manhattan. les collections tendent à s’uniformiser. On sion de stratégies individuelles de collection- tion existe aussi chez les artistes. Honoré Les visiteurs pouvaient ainsi venir admirer produit des objets bon marché susceptibles neurs. Abordons ici une perspective histo- de Balzac, Walter Benjamin et Umberto les Rembrandt du collectionneur et autres d’être collectionnés : timbres, chopes rique afin de tenter de distinguer trois Eco, par exemple, avaient d’importantes œuvres rapportées d’Europe. Avec une millésimées, assiettes décoratives, cartes à grandes époques dans l’histoire des collec- collections de livres. collection, on sortait du lot. Les collection- l’effigie de stars du football, assiettes éditées tions. Collecte, collection. Certaines des neurs américains imitaient en cela les pour Noël, pièces de monnaie commémora- La première période peut être qualifiée de premières civilisations étaient celles des régents européens qui avaient longtemps tives… On produit des albums de philatélie période de la souveraineté, pendant laquelle chasseurs-cueilleurs, dont l’activité de amassé presque n’importe quoi. Auslander et des coffrets pour les pièces de monnaie. le fait de collectionner était réservé aux collecte était exclusivement utilitaire écrit ainsi : La ressource nécessaire n’est plus l’argent seules personnes souhaitant sortir du lot puisque les provisions étaient nécessaires mais le temps, et l’aspect social ne réside plus comme les monarques, les scientifiques, les à la survie. À l’époque de la souveraineté, « L’acquisition et l’exposition, par la royauté, dans l’ostentation et la convoitise, mais dans propriétaires d’entreprises ou les artistes. la collection était le symbole du fait que d’objets somptueux et rares dépassant l’ima- l’échange. Les collectionneurs deviennent La collection était l’expression d’une consom- l’on pouvait affecter des fonds à une con­ gination même de la noblesse ont contribué égaux, et dans leurs interactions les doublons mation souveraine et oiseuse et montrait sommation inutile. On peut comparer cela à instaurer et à renforcer le pouvoir théori- deviennent un capital à mettre en jeu au que l’on ne faisait pas partie du peuple. On au potlatch décrit dans leurs ouvrages par quement illimité du roi. Les biens royaux moment de remplir les vides d’une collection. se distinguait par son goût, sa science et/ou les anthropologues Marcel Mauss et Claude visaient essentiellement à démontrer la puis- L’ardeur des collectionneurs est systématisée son pouvoir économique et financier. Lévi-Strauss et l’écrivain Georges Bataille. sance créative et économique du monarque et organisée et l’objet que l’on collectionne Parmi les collectionneurs, nous avons Le potlatch était un rituel au cours duquel et la loyauté de sa cour face aux difficultés à présent est un objet de collection à part précédemment mentionné Getty, Wallraf des tribus concurrentes se mesuraient sur le territoire national et à l’étranger. Ou entière. Tandis que l’art de collectionner et Guggenheim, richissimes industriels et en distribuant d’abord des cadeaux aussi bien, comme l’indiquait une requête adressée pouvait jadis être considéré comme visant hommes d’affaires américains, et au Dane- dispendieux que possibles puis en brûlant à Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), contrô- l’inutile et le superflu, les objets de collection mark on peut citer Carl Jacobsen (qui a leurs biens. Plus on voulait aller loin, plus leur général des finances, concernant l’ému- sont à présent intrinsèquement dénués permis notamment la création du musée le statut atteint était élevé. Il va de soi que lation bourgeoise de la Cour, ”la Cour des de valeur : cartes téléphoniques usagées, Glyptoteket) et Christian Ludvig David ces destructions ritualisées étaient réservées princes souverains est le lieu principal timbres utilisés, cartes issues de céréales, (fondateur de la collection Davids Samling). aux plus riches et puissants de la société. où doit éclater leur magnificence, de la splen- figurines sorties d’œufs Kinder, etc. Plusieurs scientifiques possédaient d’impor- La collection souveraine peut ainsi être deur duquel ou de son obscurité les princes Dans notre modernité et notre société tantes collections d’objets acquis du fait de considérée comme une forme de potlatch. étrangers ou leurs ambassadeurs tirent des industrielle, l’engouement pour les collec- leurs possibilités de voyages, ce qui n’était Il n’y a pas de destruction à proprement conséquences de la force ou de la faiblesse tions massifiantes a toutefois perdu du pas donné aux gens ordinaires. On peut parler, si ce n’est une destruction du capital du Royaume” » (Auslander, 1996, p. 35). terrain, lentement mais sûrement. Il reste également citer Sigmund Freud, dont la circulant. Les riches pouvaient montrer leur peu de philatélistes et au Danemark, les collection de statuettes antiques comptait trop-plein – leur pouvoir et leur puissance – Les collections ont changé de caractère assiettes éditées pour Noël s’achètent dans trois mille pièces et qui n’a réfléchi que de en acquérant de vastes collections d’art. avec le passage à la société industrielle et la plupart des brocantes pour deux euros façon sporadique à la manie du collection- Souvent ils aménageaient des musées privés de masse, elles ne sont plus réservées à une l’unité. À mon sens, on assiste à présent neur. Mais l’autoanalyse, comme on le sait, pour abriter leurs collections, comme le fit élite. Tout le monde est collectionneur, et à une forme hybride de la collectionnite, être collectionneur | 27

entre la souveraine et la massifiante. Les Il importe beaucoup que l’on distingue C’est ainsi que d’anciens modèles sont réédi- générale, dans lequel la céramique d’atelier gens continuent d’accumuler, mais dans un processus humain à l’œuvre dans la pièce : tés (Knabstrup et Saxbo) ou que l’ancien nom est constituée d’objets d’art parmi d’autres le but de s’individuer. On ne collectionne les petites imperfections, les traces de sert de faire-valoir pour des objets venant et où les collectionneurs d’art luttent pour plus les pièces standardisées, mais des tournage, la glaçure coulant de façon légère- d’être produits (Kähler). des objets et se positionnent par rapport pièces uniques. En extrapolant, on pourrait ment incontrôlée, le coup de pinceau, etc. aux autres. Dans ce champ, le prix des peut-être dire que la manie de collectionner Je crois que l’art nous renvoie l’image d’une œuvres se fixe en fonction de celui des Le champ du collectionneur de notre époque tient à une nostalgie de virginité et d’une pureté remontant à une ère autres. Alors qu’ils ne recevaient pas aupara- quelque chose que nous aurions perdu avec précapitalistique et préindustrielle. De tout Nous avons à présent décrit le champ vant une considération particulière dans le les marchandises standardisées de la société temps on a produit de la céramique, extrait du collectionneur de façon diachronique. champ artistique et n’étaient peut-être pas industrielle et de consommation. de l’argile du sol et façonné des poteries. L’évolution touche tous les aspects : com- même vus comme des objets d’art mais Collectionner la céramique danoise Il en va de même du dessin et de la peinture. ment on collectionne, combien sont les comme de la poterie et de l’artisanat d’art, d’atelier et le design danois d’une manière Le caractère « non moderne » de ces œuvres collectionneurs, qui ils sont, et ce qu’ils le grès et la céramique occupent aujourd’hui générale correspond peut-être à une nostal- et objets tient précisément au fait qu’on ne collectionnent. Nous pouvons toutefois une place plus importante. Les objets sont gie de l’artisanat. C’est à la fois une joie et peut les reproduire. Cela explique peut-être appliquer une perspective synchronique plus chers, conférant ainsi à leurs posses- un plaisir que de voir et savoir que les objets en partie l’engouement pour l’art depuis et tenter de saisir comment différents seurs un statut plus élevé. Le rapport entre sont passés par des mains humaines, qu’ils quelques années. De même qu’un grand collectionneurs collectionnent et en art et artisanat d’art est particulièrement sont singuliers ou ont en tout cas un carac- nombre d’émissions TV nous incitent à faire particulier comment ils se positionnent intéressant. Les céramistes s’estiment peut- tère singulier. Car c’est précisément ce que les choses par nous-mêmes, par exemple les uns par rapport aux autres. être plus simples et plus près des réalités nous sommes en train de perdre dans notre cultiver nos propres légumes, l’œuvre nous Les collectionneurs sont organisés en que les peintres et les sculpteurs, lesquels civilisation (Senneth, 2008). Les objets renvoie que l’artiste l’a créée seul et qu’elle différents champs. Ce concept est emprunté considèrent peut-être la céramique comme uniques permettent d’imaginer que l’on se est singulière et unique. À défaut d’être nous- au sociologue Pierre Bourdieu (1989, 1993), de l’artisanat plus que de l’art (voir Bourdieu, crée soi-même par le biais de sa collection. mêmes uniques, nous pouvons au moins qui a étudié de nombreux champs tels que 1993, p. 125 et suiv.). Je suis ma collection, ma collection est acquérir une œuvre d’art unique et croire celui des médias, de l’éducation, les champs On peut définir un champ plus vaste unique, donc je suis unique. Ce point de vue ainsi que nous sommes quelque chose. politique et artistique. Un champ se crée regroupant artistes, sociétés de ventes aux permet aussi de saisir en quoi une collection S’il est une chose qui énerve les collec­ lorsqu’un groupe lutte pour une même chose. enchères, collectionneurs et conservateurs devient elle-même une œuvre d’art : un pro- tionneurs, c’est que des pièces anciennes Les acteurs d’un champ sont en concurrence de musée, qui au sein de ce champ luttent jet d’autoculture. À cet égard, il est intéres- soient reproduites. Non seulement le nombre pour le capital spécifique à leur champ. Ils pour s’approprier un capital, à savoir les sant de constater que le fait de collectionner desdites pièces augmente alors fortement, sont pris au jeu, reconnaissent les enjeux œuvres, et pour la valeur des œuvres. À cet revêt aujourd’hui beaucoup d’importance. faisant ainsi baisser la valeur des objets qui s’y jouent et croient que le jeu en vaut la égard, on peut se demander qui crée la valeur Plusieurs musées ont organisé des exposi- collectionnés (puisqu’ils ne sont plus aussi chandelle (ce rapport au champ étant l’illusio). dans ledit champ : les artistes ou les gale- tions centrées autour d’un collectionneur. rares), mais les nouvelles pièces sont le plus Nous pouvons répertorier plusieurs ristes ? Les écrivains ou les éditeurs ? Il est Ce dernier se rend immortel à travers sa souvent produites en masse. Or, sans l’aspect champs différents dans lesquels l’intérêt essentiel de garder à l’esprit que c’est ici que collection tout comme l’artiste le fait à initial signant l’authenticité, ces reproduc- pour la céramique d’atelier joue un rôle. s’écrit l’histoire. Les œuvres sont canonisées travers son œuvre. tions ne sont que de pâles copies inanimées. Il y a le champ artistique d’une manière et dans cette lutte, on peut prendre des 28 | être collectionneur

positions orthodoxes (ceux qui tentent de donne souvent lieu à une dévalorisation pas parce qu’on n’a pas les moyens, c’est une sous-tendant les collections sont différents, maintenir le canon) ou hétérodoxes (ceux des objets des autres : tel objet a été simple question de goût. Les inégalités sont mais les collectionneurs voient les objets de qui le remettent en cause). Ici encore, la produit en masse, la glaçure est dénuée déniées, dissimulées derrière une histoire manières différentes. Il nous faut ici aborder lutte entre le courant dominant et l’avant- d’intérêt, la réalisation manque de qualité, de préférences. les choses sous un angle phénoménologique garde et entre le grand art et l’art commercial etc. D’autres, faisant preuve de plus de tact, Enfin, on pourrait aussi parler d’une et nous attacher à la manière dont les objets est bien entendu déterminante (Bourdieu, se contentent de le penser. Cette « classe classe moyenne qui reconnaît le goût de la apparaissent à la conscience. Il existe au 1993, p. 74 et suiv.). dominante » a tout intérêt à faire perdurer classe dominante mais n’en a pas les moyens, moins quatre types différents de collection- Nous pouvons également définir un la hiérarchie du goût. et qui en même temps se considère comme neurs auxquels correspondent quatre types champ plus limité regroupant exclusivement Lorsqu’il évoque le champ social, c’est- ayant plus de connaissances et de goût que différents d’objets, l’argument étant qu’ils les collectionneurs, qui présentent sans à-dire la société en général, Bourdieu affirme la classe inférieure. Ce sont les ambitieux du vivent le fait de collectionner de manières doute le plus d’intérêt pour notre propos. qu’il existe une classe dominante en matière champ des collectionneurs. Ils souhaitent différentes. Que vise la lutte au sein de ce champ ? économique et en matière culturelle. Cer- s’élever et miment le goût de la classe domi- Le premier est « l’esthète », qui achète Plusieurs choses. Bien entendu les œuvres tains ont une richesse d’argent, d’autres nante. Ils vont peut-être acheter des pièces et collectionne ce qui, de son point de vue, – il faut arriver le premier lorsqu’une annonce une richesse scientifique et culturelle. Il en présentant de légers défauts, des petites a une valeur esthétique sublime. La céra- est passée ou être prêt à surenchérir dans va de même dans le champ de la céramique, pièces des grandes fabriques, espérant au mique doit être belle et bien réalisée. L’es- une vente aux enchères. Mais on lutte aussi où tout ne tourne pas autour du pouvoir fil du temps monter dans la hiérarchie. thète ne collectionne en réalité que les plus pour le prestige lié à la possession d’objets d’achat : il faut également avoir une connais- Les produits culturels sont, à la base, des belles pièces, laissant volontiers une œuvre et, qui plus est, d’objets dignes d’être sance des objets, par exemple des signatures. instruments de positionnement. de côté si elle n’a pas tout à fait les qualités possédés. Les deux aspects suscitent la reconnaissance requises. Il collectionne des œuvres, s’atta- Les positions sont en même temps des collectionneurs moins fortunés et moins chant au sublime et à ce qui dépasse à la Les types de collectionneurs des dispositions, et inversement. Lorsque experts. fois l’artiste et ses contemporains. Les objets l’on a un goût précis, par exemple pour la Mais il existe également des hétérodoxes, Dans le champ des collectionneurs, tout de l’esthète sont « uniques » dans les deux céramique de la fabrique Saxbo (qui est ceux qui remettent en cause la hiérarchie est évalué et comparé, le mécanisme à sens du terme. Ils sont hors du commun et devenue extrêmement chère), on se posi- du goût et critiquent le fait de « n’acheter l’œuvre étant la question du capital. Le constituent le degré suprême. tionne également par rapport à d’autres que des marques ». « Pourquoi retourner les capital économique (qui donne du pouvoir Vient ensuite le « collectionneur sériel », personnes qui n’ont pas ce goût-là. Le objets pour en lire la signature et payer 150 d’achat), le capital culturel (le savoir relatif qui recherche quelque chose de précis. Il peut prix étant souvent vu comme corrélé à euros si c’est un Saxbo ? On peut trouver aux objets, aux signatures, aux glaçures, etc.), s’agir d’objets uniques ou produits en masse, la qualité esthétique, on peut faire l’objet des objets similaires très beaux pour bien le capital social (contrats de collectionneurs) mais il tient à tout avoir. Il collectionne les d’admiration et/ou de convoitise lorsque moins ! » Les hétérodoxes appartiennent et le capital symbolique (la reconnaissance pièces de tel(le) céramiste, des types précis l’on montre un objet de prix élevé sur les le plus souvent à la « classe inférieure ». liée à la richesse dans les trois formes de de pièces, par exemple des animaux de réseaux sociaux. L’essentiel est bien entendu Ils ont le sentiment que leurs goûts sont capital susmentionnées). Cette stratification Knud Basse, des pièces avec telle glaçure que je sois le seul ou la seule à posséder dévalorisés, mais comme dans toute autre des collectionneurs nous aveugle cependant (solfatara, céladon, sang de bœuf,…), des cet objet très cher. La vantardise de per- classe, le goût pour une chose est en même sur un aspect : les manières de collectionner pièces comportant un couvercle, des pièces sonnes manquant de connaissances temps un dégoût pour une autre. Ce n’est sont différentes. Non seulement les principes d’une période ou d’une région précises, etc. Bente Hansen, vase, détail, 40 cm être collectionneur | 29

Ce qui le différencie de l’esthète, c’est que le collectionneur sériel achète tout, même les objets d’une valeur esthétique médiocre. Il n’achète pas des œuvres mais des éléments s’inscrivant dans un ensemble plus vaste. Les œuvres ne sont pas uniques mais trouvent leur valeur et leur identité par rapport à une série. Le troisième type de collectionneur est passionné d’histoire : histoire de la céra- mique, histoire de l’art, histoire de l’architec- ture, etc. Les objets sont intéressants parce qu’ils s’inscrivent dans certaines périodes, à la fois du point de vue de l’œuvre globale de l’artiste et de celle de ses contemporains. Chaque pièce est singulière mais une grande partie du plaisir consiste à la replacer dans un tout : constater que le style Art déco est une forme intermédiaire entre le Jugendstil et le fonctionnalisme, et le fonctionnalisme entre le style Art déco et le modernisme. Chaque objet s’intègre dans une image plus vaste, dans une histoire, l’intérêt étant de repérer les liens et les ruptures. L’ancien se transmet dans le nouveau et s’y transforme ou s’y conserve. Les objets collectionnés sont ceux qui racontent leur époque, leurs conditions de production et les personnes qui les ont créés ou possédés. Le quatrième type de collectionneur est le chasseur de trésors, le chercheur d’or. Il cherche sur les marchés, dans les brocantes, chez les antiquaires, sur Le Bon Coin, n’importe où. Il adore réussir Nils Kähler, vase, détail, 35 cm

un coup, dénicher une pièce, belles esthétiquement mais en limitant le selon le nom qu’on donne à cette champ à certains céramistes, voire un seul. démarche. L’essentiel est le plaisir On peut éventuellement aussi acquérir cer- de trouver les objets, ceux qui auront taines pièces parce qu’on les sait bon marché échappé à d’autres collectionneurs et que le bénéfice de la revente pourra finan- stupides, ignorants, ou trop lents. cer l’achat suivant. Les objets collectionnés ne sont pas Chacun est en quête d’objets différents des trésors étonnants : céramique, et les quatre types de collectionneurs auront argent, or, meubles design, tout ce qui souvent tendance à considérer les achats des permet de réussir un coup et en avoir beau- autres comme incompréhensibles. « Quel coup pour son argent. Pour les chasseurs de intérêt voyez-vous donc à cette pièce ? ». trésors, les objets ne sont pas la préoccupa- Une chose cependant les unit : les marchands tion première. C’est leur quête qui les anime. leur mettent des bâtons dans les roues en Il existe un cinquième type, qui en réalité achetant non pas sur des coups de cœur mais n’est pas collectionneur. C’est un marchand pour gagner de l’argent, et en asséchant le qui entend revendre. Aux antipodes de l’es- marché pour revendre plus cher, ils font mon- thète, il n’achète pas les pièces pour leur ter les prix de ce que les autres collectionneurs beauté mais dans la perspective d’en tirer aimeraient acquérir. Les marchands nous un bon prix par la suite. Une collection étant rappellent constamment que les choses n’ont pour lui un investissement fructueux, il pas seulement une valeur esthétique mais investit dans ce qui rapporte le plus, et si des constituent également des marchandises. tableaux ou des céramiques répondent à ce critère, c’est ce qu’il achètera. Par consé- La céramique, masculin/féminin quent, il acquiert des œuvres d’art non pas pour les posséder ou parce qu’elles trouvent Il semble y avoir une très grande différence leur place au sein d’une collection, mais entre les sexes car on trouve beaucoup plus exclusivement parce qu’il fera un profit lors de collectionneurs parmi les hommes que de la revente. parmi les femmes (Olmsted, 1991, p. 297-298 ; Ces quatre (ou cinq) types de collection- Baekeland, 1994, p. 207), et nombre d’entre neurs forment une typologie idéale. Certains eux sont homosexuels. Le premier élément collectionneurs correspondent entièrement est peut-être culturel, à savoir que les à un type précis, tandis que d’autres asso- hommes sont peut-être plus enclins que les cient les caractéristiques de plusieurs d’entre femmes à tout miser sur un seul enjeu et sont eux. On peut rechercher les pièces les plus plus individualistes, agressifs et actifs (les être collectionneur | 31

femmes étant au contraire plus passives, collectionner et la stratégie mise en œuvre lectionneur, on doit vivre avec cette dissocia- manipulé par d’autres, par exemple le mar- altruistes et ouvertes au groupe) (ibid.). Par sont influencés par les stéréotypes culturels tion. Comme Peter Sloterdijk (1988), nous ché, que la valeur est malléable, mais nous exemple, les hommes sont également beau- d’une société donnée. pouvons dire que nous sommes des cyniques pouvons néanmoins prendre plaisir à l’art coup plus nombreux à jouer (sur les chevaux, adoptant une position ironique par rapport et saisir l’émotion pure de l’œuvre. Et ce, au football, aux cartes, etc.), et collectionner à des idées qui dirigent notre réel. Ou que, parce qu’un plaisir est en jeu. C’est peut-être Cynisme et jouer sont peut-être l’expression de choses comme l’avance Slavoj Žižek, nous souffrons ce en quoi réside la magie suprême quand approchantes : dans les deux cas il y a une Collectionner est bien entendu une de « fausse conscience éclairée » (1989, p. 28). on est collectionneur : savoir décoder l’enjeu forte composante de compétition et de question de plaisir : plaisir d’apprécier la Nous savons que le désir est en jeu, qu’il est et continuer de se laisser séduire. hasard. Le deuxième élément tient peut-être valeur esthétique de ce que l’on collectionne au fait que souvent, les homosexuels n’ont ou, comme on l’a vu précédemment, la pas d’enfants et que la céramique ou d’autres « valeur de collection » de l’objet (ce que Bibliographie collections deviennent de ce fait une tierce gagne l’objet à s’intégrer à la collection). Adorno, Theodor, Théorie esthétique Danet, Brenda & Katriel, Tamar, Olmsted, A. D., « Collecting: Leisure, entité commune. On observe au demeurant Ce plaisir présuppose que tous les autres (1970), , Klincksieck, 1995, p. 43. « No two alike: play and aesthetics Investment or Obsession? », chez les homosexuels un intérêt plus marqué aspects et conditions soient éliminés. Auslander, Leora, Taste and Power. in collecting », in Susan M. Pearce Journal of Social Behavior and pour le design et la décoration intérieure que Le « plus » – cet élément supplémentaire Furnishing Modern France, Berkeley, (sous la direction de), Interpreting Personality, 6 (6), 1991, p. 287-306. University of California Press, 1996. Objects and Collections, London, Pfaller, Robert, Interpassivity. The chez les hétérosexuels, et il en va de même conféré à l’objet, sa sublimité ou son carac- Baekeland, Frederick, « Psychological Routledge, 1994, p. 228-239. Aesthetics of Delegated Enjoyment. des loisirs et du plaisir (Bech, 1999). tère fétiche, pourrait-on dire – doit être aspects of art collecting », in Susan Dewey, John, Art as Experience, Edinburgh, Edinburgh University Il semble aussi que les femmes soient pensé comme une propriété de l’objet en M. Pearce (sous la direction de), vol. 10, The Later Works, 1925-1953, Press, 2017. moins atteintes de collectionnite aiguë et soi. « Ce vase est superbe… ». Lorsque l’on Interpreting Objects and Collections, Carbondale, Southern Illinois Senneth, Richard, The Craftsman, que, plus que les hommes, elles envisagent est collectionneur d’art, qu’il s’agisse de Londres, Routledge, 1994, p. 205-219. University Press, 1987. New Haven, Yale University Baudrillard, Jean, Le système des objets Frost, Randy O. & Hartl, Tamara L., Press, 2008. la céramique sous l’angle de la décoration céramique ou d’autres arts, les objets repré- (1968), Paris, Gallimard, « Tel », 1978. « A Cognitive-Behavioral Model Sloterdijk, Peter, Critique of Cynical intérieure, alors que pour les hommes, sentent davantage et autre chose qu’un Bech, Henning, Leisure Pursuits of Compulsive Hoarding », Behavior Reason, Londres, Verso, 1988. la collection serait davantage ce qui fixe le simple effet lié à l’ensemble dans lequel ils Studies in Modernity, Masculinity, Research and Therapy, 34 (4), 1996, Subkowski, Peter, « On the Psycho­ cadre (Baekeland, 1994, p. 209). Les femmes sont placés. L’œuvre d’art dépasse l’artiste Homosexuality and Late Modernity. p. 341-350. dynamics of Collecting », The collectionneraient en outre des choses et sa situation d’origine, elle nous parle. A Survey of Some Results. Copen- La Bruyère, Jean de, Les caractères International Journal of Psycho­ ne relevant pas, aux yeux des hommes, L’art doit également être davantage qu’une hague, Sociologisk Institut, 1999. ou les mœurs de ce siècle (1688), Paris, analysis, 87, 2008, p. 383-401. Benjamin, Walter, « Unpacking My Gallimard, « Folio classique », 1975. Žižek, Slavoj, The Sublime Object de collections : les chaussures, la vaisselle, marchandise : les objets ont une valeur Library – A Talk about Book Collect- Lacan, Jacques, Les quatre concepts of Ideology, Londres, Verso, 1989. les vêtements, les parfums (ibid.: 207). intrinsèque – une valeur artistique. ing » in Illuminations, Londres, fondamentaux de la psychanalyse, Collection et genre ne sont pas un champ D’un côté, Dewey a raison d’affirmer que Fontana Press, 1992, p. 61-69. Paris, Seuil, « Points », 1973. Ouvrage d’étude très investi, mais les différences de le collectionneur type est le capitaliste type Bourdieu, Pierre, cité dans une cité dans sa traduction anglaise : stratégie dans les collections des deux sexes (1987, p. 12). D’un autre côté, nous sommes traduction anglaise : The Field of Four Fundamental Concepts of Cultural Production. Essays on Art Psychoanalysis, New York, W.W. sont visibles. S’il est plus délicat d’en saisir sans doute toujours autre chose et plus que and Literature, Cambridge, Polity Norton & Co., 1998, p. 235. les raisons profondes, on peut néanmoins cela, car un tel aveu tue l’émotion et le plaisir Press, 1993. raisonnablement supposer que le besoin de esthétiques liés aux objets. En tant que col- Detaljebillede. Forslag fra Carsten kommer Prologue : La céramique moderne

100 ans de céramique danoise – cent ans jusqu’en 1920, ont créé les tendances, Les premiers travaux de Hammershøi et on distingue clairement dans les vases et quelque. Nous ouvrons l’exposition avec et c’est pourquoi on parle de céramique étaient dans le sillage du style organique de Daniel Folkmann Andersen, le fils du un vase réalisé par Thorvald Bindesbøll, d’artistes ou d’art. L’expression était créative de Bindesbøll, mais l’artiste évolua vers fondateur de la manufacture, l’influence datant de 1894 et présenté à l’Exposition mais la forme restait relativement classique. un style plus indépendant caractérisé de Bindesbøll. Les vases exposés ont un universelle de 1900. Nous commençons Bindesbøll décorait par exemple des vases notamment par de fins épaulements décor dit « de camouflage ». Ceux de Dagnæs donc avec la fin d’une époque car les œuvres et des plats de grande taille, et réutilisait décoratifs. La glaçure aux cendres gris- témoignent également d’un intérêt pour les de Bindesbøll ont marqué une rupture avec d’ailleurs ses esquisses de décors dans noir mise au point non pas par lui, mais essais de glaçures. On pourrait en dire de la tradition de deux manières au moins. d’autres applications, par exemple sur des par Jens Thirslund, devint néanmoins même des travaux de Martin Mortensen, D’une part, Bindesbøll annonçait la moder­ couverts en argent et des enveloppes de le signe distinctif de ses pièces. qui sont toutefois antérieurs et dont le style nité et l’abstraction dans la céramique coussin. Cette période se caractérisa par le fait plus décoré n’est pas sans rappeler celui danoise. Ses motifs sont végétaux mais D’autres artistes suivirent Bindesbøll. que la glaçure devint en soi un mode de Svend Hammershøi. ne représentent rien de précis. Son art n’est Sculpteur, Niels Hansen Jacobsen se lança d’expression abstrait. La surface des Enfin, il convient de mentionner les pas naturaliste, et si l’on peut en considérer lui aussi dans la céramique. Son style était céramiques n’était plus telle une toile à pièces « marbrées » de la fabrique Hjorth, les motifs dans la ligne du Skønvirkestil d’avant-garde lorsque, sur certaines pièces, décorer de motifs naturalistes. Au contraire, une grande partie d’entre elles ayant été (équivalent danois de l’Art nouveau en il cherchait à réaliser une forme imparfaite. la glaçure était à apprécier à part entière. tournées et décorées par Hans Adolph France), la représentation de la nature Des vases étaient ainsi vrillés pour donner On le constate clairement chez Søren Hjorth, tandis que d’autres ont été décorées devient abstraite. Le décor est un simple un aspect plus sculptural. Jacobsen travaillait Kongstrand, qui expérimentait à tout va en par sa sœur Thora Hjorth. Ces vases décor. D’autre part, Bindesbøll rompt avec la également à des sculptures en argile. Un matière de glaçures. Il recourait lui aussi aux témoignent de façon très directe d’une tradition dans son choix de matériaux. Alors oiseau est par exemple venu compléter lustres métalliques et aux glaçures à forte inspiration japonisante. Lors de ses visites que dans le Skønvirkestil, les œuvres étaient deux bols faits de sa main. La fabrique teneur en plomb qui procuraient aux vases de musées en Allemagne et en France, souvent des objets raffinés en porcelaine, Kähler invita également des artistes à une irisation rappelant celle produite par la Hans Adolph Hjorth acquit des connais- Bindesbøll choisit de travailler l’argile travailler pour elle, notamment le céramiste lumière du soleil sur une flaque d’essence. sances sur le grès, ce qui l’amena à travailler brute et d’inciser ses motifs dans l’engobe. Karl Hansen Reistrup, par ailleurs sculpteur Hans Adolph Hjorth expérimenta beaucoup sur les coulures de glaçure ainsi qu’à des Bindesbøll était membre du groupement et peintre. Un des amis de Bindesbøll, le les glaçures et fut par ailleurs le premier au vases aux décors plus figuratifs. L’inspiration d’artistes « Dekorationsforeningen » qui peintre Svend Hammershøi, fut lui aussi Danemark à s’essayer à la production de grès. venant de l’Orient et de l’Extrême-Orient, comptait également un certain nombre associé à la manufacture Kähler. Reistrup Dans l’autre grande manufacture de l’île en particulier de la Corée et du Japon, d’autres peintres et sculpteurs s’essayant est en particulier connu pour ses vases au de Bornholm, Michael Andersen & Søn, s’avérera un trait presque constant de à la céramique. Ce sont les artistes qui, lustre métallique et aux motifs animaliers. on commençait aussi à travailler l’abstrait la céramique danoise. 34 | Thorvald Bindesbøll (1846–1908) Niels Hansen Jacobsen (1861–1941) | 35 36 | Søren Kongstrand (1872–1951) Jens Pedersen (1890–1956) Martin Mortensen (1874–1949) | 37 38 | hjorth: Hans Adolph Hjorth (1878–1966) hjorth: Thora Hjorth (1875–1970) Hans Adolph Hjorth (1878–1966) | 39 40 | kähler: Karl Hansen Reistrup (1863–1929) kähler: Svend Hammershøi (1873–1948) | 41 42 | michael andersen & søn: Daniel Folkmann Andersen (1885–1959) dagnæs: Niels Peter Nielsen (1888–1968) et autres | 43

Le monde de Bing & Grøndahl et de la Manufacture Royale de Porcelaine

Alors que les deux premières décennies du nues à attirer nombre des meilleurs céra- constituent un motif de prédilection. Salto et monochrome. Un grand nombre de ces XXe siècle furent celles des petits ateliers, mistes du Danemark. Une partie du succès Bøgelund avaient tous deux une préférence mêmes glaçures étaient utilisées par Nils les deux suivantes furent dominées par les de ces manufactures tient au fait qu’elles pour les glaçures marron et mordorées. Thorsson, qui entra en apprentissage manufactures. Hans Adolph Hjorth fut au mettaient des fours et des ateliers de qualité Bode Willumsen, fils du peintre et sculpteur en 1912 à la Manufacture Royale, où il prit Danemark le premier à travailler le grès, à la disposition des céramistes, qui avaient J. F. Willumsen, et Knud Kyhn recouraient aux les fonctions de responsable artistique mais c’est avec le développement des la possibilité de mener des expérimentations mêmes types de glaçures, et en particulier à en 1949. Il est pratiquement impossible de lignes de grès de la Manufacture Royale de façon autonome. Elles employaient ceux des grès Song. Mais si le monde végétal caractériser son travail, tant il est éclectique. de Porcelaine (Den Kongelige Porcelains­ également des céramistes salariés qui tous était pour Salto et Bøgelund la principale On trouve à la fois des pièces subtilement fabrik) et de Bing & Grøndahl que cette étaient autorisés à utiliser toutes les source d’inspiration, c’est le monde animal glaçurées et des objets décorés, souvent tendance connut un véritable essor. glaçures. Le dynamisme de ces manufactures qui jouait ce rôle pour Willumsen et Kyhn. de poissons peints ou en relief. Une partie Un élément essentiel à cet égard fut le tenait cependant aussi au fait qu’elles firent Bode Willumsen collabora avec la manu­ de sa production, qui ne figure pas dans recrutement en 1912, par la Manufacture venir des artistes issus d’autres disciplines. facture de 1904 à 1908 puis de 1923 à 1935, l’exposition, est japonisante. C’est une source Royale de Porcelaine, du Suédois Patrick Le peintre Jais Nielsen collabora ainsi à partir où il créa un certain nombre de vases, pots, d’inspiration qu’il partage avec Ivan Weiss, Nordström en qualité de responsable du de 1920 avec la Manufacture Royale, où il etc., ornés notamment d’animaux et de trolls dont les œuvres rappellent la tradition des développement de la production de pièces rehaussa le niveau de la production avec ses ou de faunes. Il ne quitta la manufacture dessins à l’encre et la calligraphie. Les saules de grès et de glaçures pour grès. Nordström sculptures et ses objets aux décors sculptu- que dans les années 1930 pour fonder son pleureurs et les joncs sont des motifs de était très inspiré des grès français, ce qui raux. Jais Nielsen est surtout connu pour propre atelier, dont sont issues toutes les prédilection des pots, dont la forme fait transparaît en particulier dans ses glaçures. ses motifs religieux et son style cubiste. Un pièces exposées ici. Son style était alors penser à des boîtes laquées. Un an après le recrutement de Nordström, autre artiste associé à la Manufacture Royale devenu plus brut. La texture était plus visible Enfin, l’exposition présente un certain Carl Halier entra à la Manufacture Royale et fut le peintre et graphiste Axel Salto, dont et les œuvres avaient un aspect de pièces nombre de céramistes dont les œuvres sont se distingua en particulier comme tourneur. les œuvres en céramique s’inspirent souvent uniques. Les exemplaires d’un même modèle plus sculpturales : de Helge Christoffersen, Il utilisait souvent les glaçures de Nordström de la puissance de la nature. Ses grandes étaient souvent glaçurés de diverses façons, une sculpture de deux chats se battant, et et il existe des pièces que les deux hommes pièces ont été produites en peu d’exem- la frontière entre pièces uniques et produc- de Jean René Gauguin (fils du peintre Paul ont réalisées conjointement. Leurs œuvres se plaires, tandis que les plus petites ont été tion en série devenant ainsi difficile à établir. Gauguin), la grande sculpture sur le jeu des caractérisaient par des formes relativement produites en série dans des moules. Les Salto travailla à l’atelier de Bode Willumsen vagues. Thorkild Osvald Olsen est quant simples associées à une glaçure entièrement coulures de glaçure ornent néanmoins les au début de sa carrière et ils réalisèrent à lui représenté par un certain nombre de couvrante de couleur souvent ocre, bleue vases de façon virtuose et leur confèrent plusieurs œuvres communes. créations en faïence décorées de motifs ou verte, et souvent à effet tacheté comme un caractère unique. On trouve un style plus sobre chez Knud naturels. dans la glaçure de type œuf-de-vanneau, La nature comme source d’inspiration Valdemar Pedersen, qui travailla à la fois par exemple. est également présente dans les œuvres pour la Manufacture Royale de Porcelaine La Manufacture Royale de Porcelaine et de Gerd Bøgelund de la fin des années 1940 et pour Bing & Grøndahl. Les œuvres de ses Bing & Grøndahl sont dès le départ parve- et des années 1950. Les feuilles stylisées en débuts sont souvent décorées d’une glaçure 46 | Patrick Nordström (1870–1929) Carl Halier (1873–1948) | 47 48 | Cathinka Olsen (1868–1947) Lotte Lindahl (dates inconnues) Kresten Bloch (1912–1970) H.O. Busch-Jensen (1887–1972) Deux vases attribués à Gunnar Nylund (1904–1997) Knud Valdemar Pedersen (1906–1981) Cathinka Olsen (1868–1947) Karin Blom (1881–1951) Hans Ancher Wolfsen (1870–1924) | 49 50 | Axel Johannes Salto (1889–1961) Jais Nielsen (1885–1961) | 51 52 | Jean René Gauguin (1881–1961) Thorkild Osvald Olsen (1890–1973) | 53 54 | Bode Willumsen (1895–1987) Knud Kyhn (1880–1969) | 55 56 | Nils Thorsson (1898–1975) Knud Valdemar Pedersen (1906–1981) | 57 58 | Gerd Bøgelund (1923–1987) Ivan Weiss (1946–) | 59 60 | Helge Christoffersen (1925–1965) Knud Kyhn (1880–1969) Carl Halier (1873–1948) Nils Thorsson (1898–1975) | 61

Les grandes manufactures

Dans les années 1930, 1940 et 1950, la en chamotte. Au sein de Saxbo, Jens Jacob teintes de bleu, de marron et de jaune, des objets. Kjeld Jordan et Frode Bahnsen céramique danoise fut dominée par les Bregnø et Hugo Liisberg créaient des aux surfaces le plus souvent lisses et, y furent également associés et y créèrent grandes manufactures qui se mirent à sculptures. Le Français Léon Galleto fut plus rarement, ornées de motifs répétitifs. des pièces animalières et des œuvres produire à destination d’un public beaucoup lui aussi brièvement associé à cette manu­ Il tournait des vases aux parois plus fines uniques dont les glaçures fourrure de lièvre plus vaste, qu’il s’agisse d’ateliers établis facture. et au style plus léger que ceux de son frère. entraient également dans la « princi- depuis longtemps comme Hjorth ou Michael Chez Arne Bang, le style était plus Les pièces d’Axel Brüel, qui travaillait pale ligne » de l’atelier. Andersen & Søn sur l’île de Bornholm, la rustique, la pesanteur du grès étant également dans cette manufacture, sont Alors que les manufactures et ateliers Manufacture Royale de Porcelaine (Den souvent soulignée par les décors en relief. postérieures à celles de Jacob E. Bang susmentionnés ont été fondés à partir des Kongelige Porcelainsfabrik), Bing & Grøndahl Au début de son activité, Arne Bang tra- et semblent plus lourdes, sur le plan de années 1930, on constate que certains des ou la manufacture Kähler à Næstved, ou vaillait avec Carl Halier dans leur atelier la matière, de la masse, et du fait des fabricants plus anciens se mirent à produire de fabricants plus récents tels qu’Arne Københavns Stentøjsbrænderi. Halier glaçures sombres. Celles présentées dans des pièces dans le nouveau style, plus Bang, Saxbo, Palshus et Nymølle. Leur trait tournait les pièces et Arne Bang les décorait. le cadre de l’exposition ont des surfaces simple. De la manufacture Hjorth sont stylistique commun résidait dans la simplicité Par la suite, plusieurs des glaçures d’Arne lisses mais il réalisait également des ainsi présentées plusieurs œuvres d’Erik des formes et la sobriété des décors. Du Bang lui seront inspirées de l’époque de sa décors en relief. Hjorth ainsi que des pièces aux décors en fait des formes épurées et fonctionnelles, collaboration avec Halier. Arne Bang entra Dans l’atelier Palshus (fondé en 1949), relief dont certaines ont été façonnées les glaçures réalisées prirent davantage ensuite en 1929 à la verrerie Holmegaard, au sein duquel travaillaient Per et Annelise par Eva Sjøgren. Enfin, l’exposition montre d’importance dans de nombreux ateliers. où l’on récupérait la chaleur issue de la Linnemann Schmidt, la production des des œuvres de la manufacture Kähler : une Chez Saxbo (fondé en 1929), Gunnar production de verre pour cuire les pièces années 1950 privilégiait les élégants vases, série de vases datant des années 1930 et du Nylund et Natalie Krebs créèrent des de grès. Il ouvrit son propre atelier en 1948, bols et coupes aux fines parois, aux couvertes début des années 1940, pendant lesquelles œuvres strictes portant toutes des glaçures qu’il transféra à Fensmark cinq ans plus tard. fourrure de lièvre et aux bords souvent il était difficile de se procurer les matériaux de Krebs. Les glaçures se regroupaient Les créations d’Arne Bang se caractérisent plus clairs, les vases étant de forme ventrue, nécessaires aux glaçures dont on était principalement en quatre lignes : les bleues, par un style Art déco. Les glaçures sont allongée ou cylindrique et comportant un par conséquent économe, et un certain les jaunes, les vertes et les brunes. Saxbo mates et tachetées en plusieurs nuances, nombre relativement limité de glaçures. La nombre de grès de Nils Kähler aux glaçures s’était adjoint de nombreux céramistes, avec des éléments décoratifs en relief tels production des années 1960 se caractérise jaunes uranifères ou bleu cobalt et aux parmi lesquels Eva Stæhr-Nielsen fut la plus que des cannelures, des côtes, des feuilles par des œuvres fortement chamottées et, décors estampés. Ces pièces datent des productive. Une autre figure centrale était ou des fruits. ici encore, un nombre relativement limité années 1960. Edith Sonne Bruun qui comme Stæhr-Nielsen Le frère d’Arne Bang, Jacob Eiler Bang, de glaçures. Palshus était peut-être l’atelier réalisa, dans les dernières années d’activité travaillait quant à lui chez Nymølle où il le plus conceptuel du Danemark et s’intéres- de la manufacture, des pièces à forte teneur créait des œuvres glaçurées en douces sait aux variations itératives de la forme 64 | hjorth: Erik Hjorth (1906–1982) hjorth: Eva Sjøgren (1930–2008) et autres | 65 66 | Arne Bang (1901–1983) Arne Bang (1901–1983) | 67 68 | saxbo: Nathalie Krebs (1895–1978) Eva Stæhr-Nielsen (1911–1976) Hugo Liisberg (1896–1958) Léon Galleto (1931–2009) saxbo: Nathalie Krebs (1895–1978) Eva Stæhr-Nielsen (1911–1976) Hugo Liisberg (1896–1958) Léon Galleto (1931–2009) | 69 Edith Sonne Bruun (1910–1993) Olaf Stæhr-Nielsen (1896–1969) Edith Sonne Bruun (1910–1993) Lillian Binderup Jensen (1943–) saxbo: Nathalie Krebs (1895–1978) Eva Stæhr-Nielsen (1911–1976) Hugo Liisbergsaxbo (1896–1958): Eva Stæhr-NielsenLéon Galleto (1931–2009) (1911–1976) | 69 Edith Sonne Bruun (1910–1993) Lillian Binderup Jensen (1943–) 70 | kähler kähler | 71 72 | kähler: Nils Kähler (1906–1979) kähler: Nils Kähler (1906–1979) | 73 74 | palshus: Per Linnemann Schmidt (1912–1999) Annelise Linnemann Schmidt (1918–1969) Kjeld Jordan (1926–2003) palshus: Per Linnemann Schmidt (1912–1999) Annelise Linnemann Schmidt (1918–1969) | 75 76 | nymølle: Jacob Bang (1899–1965) nymølle: Axel Brüel (1900–1977) | 77

La céramique de Bornholm

L’île de Bornholm a toujours été un haut se porta au fil du temps sur un style plus issue d’une union ultérieure avec le peintre Hjorth, l’environnement naturel comme lieu de la céramique. On peut supposer que géométrique et itératif. Les œuvres tardives Poul Høm, est elle aussi passionnée par source d’inspiration est présent chez tous. la majeure partie des tessons de poteries de Munch-Petersen sont également très la nature de l’île de Bornholm, toutefois Les œuvres en porcelaine de Gerd Hiort rapportés à Bindesbøll par un de ses amis, inspirées de la nature. Plusieurs de ses de manière beaucoup plus abstraite que Petersen rappellent des roches sédimentaires qui les avait découverts dans les remparts créations sont décorées d’éléments issus sa mère. tandis que celles de Hans Munck Andersen asséchés de Copenhague, provenait de de la nature, comme des épis, tandis que Autre descendant de la famille, Erik sont plus rythmées et sculpturales. La nature Bornholm. En effet, Bornholm est riche d’autres sont façonnées en des formes Hjorth eut deux filles qui devinrent égale- semble aussi avoir fortement inspiré les en argile de qualité, et c’est même le seul naturelles telles que des artichauts et ment céramistes : Ulla et Marie travaillèrent deux céramistes les plus jeunes de ce groupe, endroit du Danemark ayant des gisements des pommes de pin. toutes deux dans la manufacture familiale, Anne Mette Hjortshøj et Eva Brandt, qui d’argile à grès. Ayant déjà évoqué dans La fille de Gertrud Vasegaard, Myre à la fois à des céramiques utilitaires tradi­ travaillent les surfaces comme une texture les pages précédentes un certain nombre Vasegaard, travailla beaucoup avec sa tionnelles et à des œuvres uniques. Leurs organique. de céramistes de Bornholm, nous nous mère, et ses créations personnelles ont pièces des années 1960 et 1970 ont le style Enfin, il convient de citer les trois céra- attacherons ici à la céramique d’atelier beaucoup en commun avec celles de sa un peu massif et les teintes caractérisant mistes chez lesquels la veine de la nature, à partir des années 1930. mère en termes de formes, de textures cette époque et sont elles aussi fortement si elle est moins nette, reste toutefois Les deux filles de Hans Adolph Hjorth, et de glaçures. Si la fille préférait les motifs inspirées de la nature. Marie Hjorth a réalisé présente : Per Rehfeldt, influencé par Lisbeth et Gertrud, annoncèrent une animaliers alors que sa mère était attachée par la suite un certain nombre d’œuvres les décors géométriques de l’Islam et nouvelle époque pendant laquelle la à un style géométrique, la vivacité et le uniques dont le style offre la légèreté et reconnaissable à ses récipients à base production de pièces uniques fut au centre naturel qui se dégagent des œuvres des l’élégance des créations de Gertrud Vase- étroite qui semblent suspendus ; Peter des préoccupations. Les deux sœurs tra­ deux femmes sont tels que toute raideur gaard. Ulla Gahrn ne fait pas partie de Kofoed, autodidacte ayant principalement vaillèrent ensemble de 1933 à 1936 puis en est absente. Lisbeth Munch-Petersen la famille Hjorth mais a travaillé sur plusieurs réalisé des coupes et des bols fins et effilés créèrent chacune leurs propres ateliers. eut cinq enfants, dont deux devinrent projets avec Lisbeth Munch-Petersen, les dans des teintes naturelles ; et Jørgen Lai Elles se marièrent par la suite et prirent céramistes. Née d’un premier mariage avec décors en relief étant un trait commun aux Knudsen, dont les créations aux formes respectivement les noms de Munch-Petersen le poète Gustav Munch-Petersen, Ursula deux céramistes. Ulla Gahrn s’inspire elle douces et organiques se caractérisaient et Vasegaard. Au départ, elles s’intéressèrent Munch-Petersen a travaillé sur des formes aussi de la nature, dans un style toutefois souvent par un col étroit et des glaçures toutes deux aux arts primitifs, ce que sculpturales simples. On discerne dans plus expressif. brillantes. continua de faire Lisbeth Munch-Petersen les formes organiques de ses œuvres une Si la céramique de Bornholm est bien plus tandis que l’intérêt de Gertrud Vasegaard inspiration puisée dans la nature. Julie Høm, vaste que le seul cercle de la manufacture 80 | Gertrud Vasegaard (1913–2007) Gertrud Vasegaard (1913–2007) | 81 82 | Lisbeth Munch-Petersen (1909–1997) Marie (Myre) Vasegaard (1936–2006) | 83 84 | Ulla Gahrn (1937–) Ulla Hjorth (1945–) | 85 86 | Marie L. Hjorth (1951–) Ursula Munch-Petersen (1937–) | 87 88 | Gerd Hiort Petersen (1937–) Hans Munck Andersen (1943–) | 89 90 | Jørgen Lai Knudsen (1933–2012) Peter Kofoed (1942–) | 91 92 | Per Rehfeldt (1951–) Julie Høm (1944–) | 93 94 | Eva Brandt (1952–) Anne Mette Hjortshøj (1973–) | 95

Les rustiques

La tradition céramique danoise avait Bøgh Trautner, Ulla Hansen, Lis Ehrenreich, qui associent une forme simple (vase permanente à La Borne deux ans plus tard. précédemment puisé dans une inspiration Kim Holm, Hans Vangsø, Anna Fløche, cylindrique, carré, hexagonal ou octogonal) Elle travaillait le grès, qu’elle cuisait dans un spécifiquement japonisante et plus généra­ Kirsten Sloth et Inger Rokkjær. Il y a bien à une glaçure expressive. Leurs œuvres four à bois. Ses œuvres prenaient les formes lement asiatique. On « importait » des entendu de grandes différences entre les sont souvent cuites plusieurs fois pour leur de la céramique traditionnelle, par exemple formes, des glaçures, des grès, et dans huit, qui ont évolué dans des directions donner plus de texture et un aspect plus des pots à lait, des coupes et des plats, que certains cas aussi des motifs japonais. différentes, mais ils avaient en commun brut. Alors que Holm travaille l’argile rouge la décoration, souvent rapide et spontanée, Avec Gutte Eriksen, c’est l’idée proprement une même base de départ. grésée, Vangsø travaille le grès. Fløche cuit venait étayer. dite qui fut importée, à savoir qu’il était Trautner et Hansen façonnent toutes l’argile à des températures un peu moins Tout comme Gutte, Birthe Weggerby possible d’unir l’artisanat et l’art. Par deux des pièces aux fines parois où le grand élevées et a pris, par rapport à la tradition enseignait à l’Académie des beaux-arts l’intermédiaire de l’Anglais Bernard Leach, feu et le rustique rencontrent quelque chose Gutte, une orientation plus sculpturale dans d’Aarhus et travaillait principalement le Gutte explora le style japonais dans un de plus fragile. Souvent la glaçure n’est pas laquelle les pièces sont souvent décorées grès, souvent avec des décors inspirés du grand nombre d’objets utilitaires et de entièrement couvrante et laisse apparaître de glaçures claires et mates. mouvement Cobra. Dans cette exposition façon quasi imperceptible, cette démarche le biscuit par endroits, ce qui contribue à Kirsten Sloth et Mette Augustinus Poulsen elle apparaît à côté de Sten Lykke Madsen, fusionna avec un intérêt pour la poterie donner un aspect plus brut. Les glaçures créent des pièces d’argile rouge grésée et qui lui aussi crée des animaux fabuleux en danoise traditionnelle. sont en général vertes ou bleues, avec pour travaillent plus que les autres les éléments grès brut. On trouve également un style plus Gutte enseignait à l’Académie Jutlandaise Trautner des décors glaçurés en blanc et noir. décoratifs des glaçures. Sloth le fait souvent artistique et sculptural chez Erik Nyholm, des Arts et parvint à faire école grâce à son Trautner et Hansen travaillent principale- avec une série de petites surfaces décorées dont les plats s’offrent tels des paysages enseignement très motivant accordant une ment sur des formes à vocation utilitaire. à la façon d’un damier alors qu’Augustinus d’argile et de glaçures. large place aux compétences techniques. Les œuvres d’Ehrenreich sont plus pesantes, Poulsen est plus minimaliste avec ses dessins Enfin, nous rencontrons Finn Lynggaard Le groupe d’exposants « Les Huit Jutlandais » leur socle plus large les rapproche de de traits fins. Enfin, Rokkjær travaille les et Jytte Trebbien, qui travaillent sur des ne comptait que des élèves de Gutte qui cylindres toutefois terminés par un col de pièces en raku, où une dynamique se crée pièces aux formes simples et entièrement avaient en commun un intérêt pour les facture plus classique. Ehrenreich crée des par l’ajout de matières à la glaçure, par glaçurées avec, pour les deux céramistes, formes à vocation utilitaire, une attention motifs par pression sur le tesson à l’aide exemple du marc de café, ou par l’enlève- une préférence pour le volume et le poids à la texture et à l’artisanat, et enfin une d’outils, lui conférant un relief sur lequel ment de matière sur le tesson. qu’offre le grès. passion pour l’argile rouge de grand feu, la glaçure coulera de diverses façons. L’influence de Leach était également ou argile rouge grésée. Créé en 1987, « Une puissance d’expression similaire très présente chez Anne Kjærsgaard. Elle Les Huit Jutlandais » rassemblait Inge se retrouve également chez Holm et Vangsø, arriva en France en 1958 et s’installa de façon 98 | Gutte Eriksen (1918–2008) Anne Kjærsgaard (1933–1990) | 99 100 | Erik Nyholm (1911–1990) Inger Rokkjær (1934–2008) | 101 102 | Finn Lynggaard (1930–2011) Jytte Trebbien (1926–2001) | 103 104 | Birthe Weggerby (1927–1982) Sten Lykke Madsen (1937–) | 105 106 | Kirsten Sloth (1938–) Mette Augustinus Poulsen (1945–) | 107 108 | Ulla Hansen (1953–) Inge Bøgh Trautner (1953–) | 109 110 | Lis Ehrenreich (1953–) Kim Holm (1952–) | 111 112 | Hans Vangsø (1950–) Anne Fløche (1952–) | 113

Les organiques et les graphiques

Alors que la céramique de Bornholm différente, et comportent parfois un décor Andersen et Aaberg étaient en outre vase à méandres qui est exposé offre s’intéressait à la rencontre entre nature simple et discret. Avec ses chaudes teintes membres du collectif d’exposition « Kera­ quelque chose d’organique. Il en va de même et culture en privilégiant le premier des dorées et ses bleus froids, la palette de miske Veje » incluant aussi le couple Bodil des vases de Tove Anderberg, qui tous ont deux éléments, et la céramique jutlandaise couleurs de Siesbye rappelle ses origines et Richard Manz, ce dernier étant à présent une connotation florale. La force de la nature à la tension entre art et artisanat tout en turques. Ses pièces semblent en suspension décédé. La signature de Bodil Manz consiste y est à l’œuvre, mais de manière féminine s’inspirant de l’art japonais, la tradition sur leur base étroite, avec souplesse et en des cylindres aux parois fines comme et sensuelle. du Seeland est avant tout centrée sur puissance. L’intérêt pour la forme anime du papier, par conséquent translucides, et Inge Marie Fruelund (de Thisted) et la forme et les décors. également Anne Lise Bruun, qui tourne aux décors graphiques dont certains, dans Poul Erik Eliasen (de Langeland) travaillent Cette section commence par Christian des pièces aux fines parois apportant leur exploration des champs et des couleurs, tous deux l’argile engobée. La nature Poulsen, qui cultivait la forme en tant beaucoup d’élégance. C’est l’une des rares semblent inspirés de Mondrian. Bodil apparaît chez Fruelund avec une précision qu’élément porteur. Monochromes, ses au Danemark à travailler le raku. et Richard Manz sont l’un par rapport à gracieuse et en même temps abstraite. Le glaçures font ressortir la forme quasi Beate Andersen et Gunhild Aaberg font l’autre comme Andersen et Aaberg : tandis style d’Eliasen est lui aussi organique sans monumentale tandis qu’un fonctionnalisme toutes deux partie de l’atelier collectif que les œuvres de Bodil sont légères et toutefois mimer la nature. Comme ce dernier, épuré apporte la puissance. Si la forme des Strandstræde keramik. Elles travaillent sur aériennes, celles de Richard sont lourdes Dorte Schierup Heide travaille à une forme œuvres de Gudrun Meedom Bæch est au des décors graphiques, Andersen sur des et attachées à la terre. Nombre de pièces rigoureuse laissant le décor s’exprimer. contraire classique, voire conventionnelle, objets tournés très fins et Aaberg sur des créées par Richard Manz sont sculpturales, Les ouvertures étroites de ses vases sont l’intérêt jaillit de la rencontre entre cette grès rustiques. Toutes deux s’intéressent avec un tesson à peine cuit. comme un trou dans lequel disparaîtraient forme et les décors. La sobriété de ces aux décors sériels et non narratifs. Ceux Bente Hansen est elle aussi membre de des copeaux de fer attirés par un aimant. derniers confère aux œuvres de l’élégance d’Andersen rappellent des motifs islamiques « Keramiske Veje ». Elle travaille à développer Enfin, Lone Borgen (d’Aarhus) crée des et de l’intensité. Les deux céramistes, qui et courent de façon régulière autour de et repousser les formes utilitaires classiques. objets évoquant une nature sauvage. Elle créèrent leurs plus belles pièces à partir des ses pièces. Les œuvres d’Aaberg sont au Les vases prennent de nouvelles formes tout est par ailleurs l’artiste la plus narrative années 1950, annonçaient une nouvelle ère. contraire le plus souvent marquées par en restant des vases. Ces expérimentations du groupe, par exemple avec sa critique On trouve une modération équivalente leur centrage autour d’un axe. Celles formelles sont revêtues de glaçures unies, de la société de consommation et de chez Alev Siesbye, qui vit en France depuis d’Andersen sont tournées vers un soleil souvent noires, toute l’attention étant surabondance que montre le vase exposé. 1978. Ses œuvres sont principalement torride, celles d’Aaberg vers la terre, dirigée vers la forme. Comme la plupart monochromes, avec un bord d’une glaçure la pierre et le sable. des pièces de la main de Hansen, le grand 116 | Christian Poulsen (1911–1991) Gudrun Meedom Bæch (1915–2011) | 117 118 | Alev Siesbye (1938–) Anne Lise Bruun Pedersen (1931–2004) | 119 120 | Beate Andersen (1942–) Gunhild Aaberg (1939–) | 121 122 | Bodil Manz (1943–) Richard Manz (1933–1999) | 123 124 | Tove Anderberg (1942–) Bente Hansen (1943–) | 125 126 | Inge Marie Fruelund (1950–) Poul Erik Eliasen (1952–) | 127 128 | Dorte Schierup Heide (1942–2005) Lone Borgen (1952–) | 129

Les sculpturaux

Nous terminons par un certain nombre en tant que telles. Les parties non glaçurées semble vouloir s’échapper. La sculpture œuvres présentées s’appuient sur des pieds d’œuvres récentes à l’allure sculpturale. font apparaître l’argile, donc la matière, est à la limite du reconnaissable, ce que en glaçure tandis que chez Skjøttgaard, Alors que l’exposition commençait par la la forme faisant toutefois penser à ce qu’un l’on observe aussi chez Flemming Tvede l’argile devient un élément maintenant la céramique d’artiste, c’est-à-dire des œuvres plombier-zingueur aurait pu réaliser dans Hansen. Là, la forme organique rencontre glaçure en place. Dans les deux cas, la forme céramiques produites par des artistes n’ayant un moment de créativité débridée. Les quelque chose de plus industriel. S’agit-il est créée par la glaçure. Dans aucun d’eux pas de formation de céramiste, nous nous ouvertures ont une orientation, un sens. d’un égouttoir, d’une carte topographique il n’est question d’une forme que l’on « se attachons à présent à un groupe de céra- Elles pourraient évoquer des gens tournés les en 3d, d’un moule créé au fond de la mer contente » de glaçurer. En même temps, la mistes qui ont choisi de s’exprimer dans des uns vers les autres pour converser ou encore sous l’effet du courant, ou d’encore glaçure féminine et sensuelle rencontre chez œuvres d’art. Il est possible d’affirmer que des plantes cherchant la lumière. Quelque autre chose? les deux artistes une forme « masculine » nous sommes à l’aube de quelque chose de chose d’instable, en mouvement, est en tout Christian Buur Bangsgaard et Turi Heissel- plus brute. On note également un intérêt nouveau, et à la fin d’une tradition qui avait cas au cœur de cette œuvre. berg Pedersen sont, quant à eux, beaucoup pour le potentiel des glaçures dans les quatre été inspirée par la céramique utilitaire et qui Le cylindre est l’une des formes préférées plus proches d’un langage formel classique. pièces plus anciennes de Skjøttgaard, qui peut s’inscrire dans ce qu’on appelle souvent de Morten Løbner Espersen et lui offre Il ne fait aucun doute que l’on est en en termes de forme sont toutefois plus le Danish Modern. On peut voir également la possibilité d’explorer le potentiel de la présence de cylindres et de vases. Dans classiques. ce dernier chapitre comme unissant les trois glaçure. Cet artiste travaille la glaçure de les deux cas, la forme permet toutefois un Enfin, nous achevons l’exposition avec thèmes évoqués précédemment : l’intérêt façon sculpturale de manière à produire des travail sculptural sur l’intervalle. Les vases Peter Brandes, qui boucle la boucle en nous pour la nature, et surtout pour la matière structures cratériformes aux innombrables de Bangsgaard sont composés de plaques ramenant au début de l’exposition. Tout et la forme. strates. Le cylindre est une forme classique empilées conférant un rythme en coupe comme Bindesbøll, Brandes travaille sur Karen Bennicke travaille sur des sculptures constituant quasiment un signe distinctif verticale où alternent l’argile et l’air. Chez de grands vases et plats, et comme lui il céramiques en général revêtues d’une seule danois, mais Espersen en fait autre chose. Heisselberg, l’espace séparant les vases recourt à la technique du sgraffito. Ses motifs et même glaçure, toute l’attention étant ainsi Gurli Elbækgaard procède de même avec donne à ces derniers une nouvelle structure (l’agneau sacrificiel et la pieuvre) renvoient dirigée vers la forme. On a l’impression de la forme du vase, bien que ce ne soit pas la et devient presque une structure en soi. à l’Antiquité, à une époque bien antérieure voir quelque chose qui ressemble à quelque glaçure mais le façonnage qui crée la forme Les pièces des deux artistes se caractérisent à celle représentée dans cette exposition, chose mais on n’est jamais certain de savoir sculpturale. Du fait de leur structure très également par le travail sur des surfaces et par conséquent aussi à la joie de donner ce que c’est. La sculpture exposée se organique, on imagine ces objets engendrés mates. forme et structure à l’argile, d’une part, présente comme une accumulation de par division cellulaire. Chez Christina Schou Christensen et et à l’importance historique et culturelle formes organiques dont certaines sont La sculpture de Steen Ipsen aborde elle Bente Skjøttgaard, le défi à la glaçure et la des objets en céramique, d’autre part. coupées et évoquent de ce fait une sorte aussi la thématique organique, mais ici la création de la forme qui en découle sont au Nous avons présenté 100 ans de céramique de contenant. Les objets de Mette Marie nature est disciplinée par des liens contrai- cœur des préoccupations. Le rapport entre danoise, étant entendu qu’un début n’est Ørsted se rapprochent des formes de la gnant la matière. Le cordon rouge maintient glaçure et argile est inversé chez Christensen, jamais un début et une fin jamais une fin. céramique utilitaire mais sont inutilisables la sculpture pendant que la masse blanche la glaçure devenant l’élément porteur. Les 132 | Mette Marie Ørsted (1952–) Karen Bennicke (1943–) | 133 134 | Morten Løbner Espersen (1965–) Gurli Elbækgaard (1969–) | 135 136 | Steen Ipsen (1966–) Flemming Tvede Hansen (1967–) | 137 138 | Christian Buur Bangsgaard (1971–) Turi Heisselberg Pedersen (1965–) | 139 140 | Christina Schou Christensen (1973–) Bente Skjøttgaard (1961–) | 141 142 | Bente Skjøttgaard (1961–) Peter Brandes (1944–) | 143 Que tous les prêteurs privés et institutionnels acceptent nos plus sincères remerciements pour leur adhésion Cet ouvrage a été réalisé pour l’exposition à notre exposition. Nous leur sommes très reconnaissants d’avoir mis leurs œuvres à la disposition du public français. 100 ans de céramique danoise 29 nov 2018 – 3 mars 2019 · Maison du Danemark, Paris

Anders Uhrskov Institut for Statskundskab, Morten Kilian Commissariat : Carsten Bagge Laustsen Andreas Vedkiær Knudsen Aarhus Universitet Nils Overgaard Auteur : Carsten Bagge Laustsen Bornholms Museum Jacqueline Trebbien Hammerum Per Rehfeldt Préface : Anne-Mette Villumsen Crédits photographiques : Erik Balle Povlsen Brian Christensen Jens Drachmann Bukh Pernille Flensted-Jensen Conception graphique – design : Carl-H.K. Zakrisson Brian Erhardtsen et Jonas Brandhøj Peter Brandes et Suivi éditorial : Gitte Neergård Delcourt Inger Vervaet Erhardsen Karen Bennicke Maja Lisa Engelhardt Traduction : Suzanne Niemann Carsten Bagge Laustsen Katrine May Diis Peter Nedergaard Relecture : Sarah Chevalier Dorte Christine Larsen Kim Albrechtsen Poul Jensen Impression : Narayan Press, Gylling, Danemark Distribution : Maison du Danemark Ea Bjerg-Nielsen Kirsten Sloth Poul Schmidt Imprimé au Danemark Eva Brandt Lene Hass Søren Holmstrup © 2018 Maison du Danemark Galerie Moderne Silkeborg Lis Ehrenreich Steen Ipsen isbn 2-914878-32-6 Henning Jørgensen Lone Borgen Stina Juel Lanken Avec le soutien de Danish Arts Foundation Henrik Følsgaard Mads Eyde Ulla Hansen et en partenariat avec Sophienholm et le musée Skovgaard Inge Marie Fruelund Magnus Alasdair Jones Kramer Ulla Prip Kayser Inge Bøgh Trautner Mariann Bang-Madsen Vladimir Stokic Ingvar Gaardsted Svensson Mikkel Rosquist maison du danemark 142 avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris Tél. 01 56 59 17 40 [email protected] www.maisondudanemark.dk

Direction : Torben Nielsen Conseiller culturel et de presse : Marius Hansteen Coordination de l’exposition : Gitte Neergård Delcourt assistée de Elvira Enevold Højbjerg Scénographie : Scénos Associés Réalisation : Volume Agencement Montage : Christine Melchiors, Thomas Klintø, Halfdan Halbirk, François Gaston