Les Grands Procès De L'histoire
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LES GRANDS PROCÈS DE L'HISTOIRE Frédéric Pottecher Les grands procès de l'Histoire Fayard © Librairie Arthème Fayard, 1981. Préface Ce livre n'est pas plus un ouvrage historique qu'il n'est une étude sur la justice. Grâce à la collaboration de Phi- lippe Keyzin, Jean-François Himonet, Patrick Goubier et Pierre Peuchmaurd, cet ouvrage veut être une transcription des grands procès que l'on a évoqués sur les antennes de Radio-Monte-Carlo. On a tenté de rendre présents et vivants ces instants de colère, de passion, où se lisent, à des époques données de notre histoire, le crime et la vertu, l'er- reur et la lâcheté, le courage et la raison. Tout dire, tout décrire est impossible. Il y faudrait des tonnes de papier et des milliers d'heures de radio. Toute- fois ces « instants » précieux que nous avons choisis suffi- sent, nous semble-t-il, pour donner une appréciation exacte des faits et mettre en évidence des personnages dont les noms chantent parfois dans nos mémoires. On a dit que les procès politiques marquaient des moments de crise. C'est sans doute vrai. Peut-être peut-on dire aussi que les grands procès criminels résultent de moments d'aberration, d'er- reurs, où le mal et le bien, le vice et la vertu se combattent et parfois se confondent. Criminels ou politiques, ces combats — parfois dou- teux — trahissent le style, la psychologie, les tendances d'une époque. La justice de notre fin du XX siècle est dif- férente de celle du XIX siècle. Ces différences sont parfois passionnantes à observer. Nous n'y puisons pas que des exemples et des enseignements, nous y trouvons aussi de précieuses informations sur les manières et les façons de penser, sur le langage et les habitudes, et aussi sur les « mi- lieux ». On a évité de déformer, d'interpréter ou de transposer. Tous les aveux, les cris, les vérités et les mensonges rap- portés dans ce livre sont vrais. Notre histoire, pleine de gloire et de tumultes, est comme ponctuée par ces procès dont certains ont été déterminants pour la vie de la nation. Les grandeurs et les faiblesses de certains héros de notre interminable passé réservent toutes sortes de surprises et d'étonnements. Bien souvent un court procès nous en dit plus que de longues études. Que reste-t-il de toutes les guerres, les révolutions et régimes qui se sont succédés tout au long de cette histoire, sinon des rancunes, des revendications, des règlements de compte entre les nations ou les hommes ? C'est l'heure de la justice et parfois celle de la vérité. Ainsi se découvrent et s'apprennent des héros : des hommes et des femmes qui ont étonné ou scandalisé leurs contemporains. Il suffit d'une brève synthèse, d'une phrase, d'un mot, d'une attitude pour les déterminer, les fixer et les voir vivre. Mais les juges eux aussi sont marqués par leur époque. Il est rare qu'un juge puisse totalement faire abs- traction de son temps et plonger objectivement dans le magma des vérités d'un autre âge. On sait aussi que les situations politiques astreignent les juges à des débats de conscience souvent déchirants. C'est dire la difficulté et l'intérêt des recherches historico-judiciaires auxquelles se sont livrés tous ceux de notre équipe. Nous avons choisi, dans la longue liste des grands pro- cès politiques ou criminels qui jalonnent notre histoire, ceux qui ont laissé une empreinte dans nos mœurs, et qui ont insensiblement mais sûrement façonné nos manières d'être et nos manières de juger les hommes, les gouverne- ments et les faits. Nous ne prétendons pas avoir découvert des sources nouvelles; nous croyons seulement qu'en ressuscitant de vieilles affaires exemplaires qui ont ému nos pères, nous donnons à nos lecteurs-auditeurs l'occasion de connaître ou de mieux comprendre des acteurs, des juges, des témoins, et des moments importants de notre passé. F. POTTECHER 1. L'assassin de Jaurès Ce 24 mars 1919 des policiers en armes interdisent l'ac- cès du palais de justice de Paris. Les portes sont fermées, les grilles tirées. Des gardes à cheval, casqués, le sabre au côté, attendent sur les quais, prêts à intervenir. L'île de la Cité est en état de siège. Il y a foule, c'est vrai, mais une foule silencieuse et comme recueillie. Hommes en chapeaux mous et femmes en cheveux, immobiles, se serrent les uns contre les autres. Quelques gosses sont perchés sur les parapets du pont Saint-Michel. Des brassards rouges, frappés de lettres d'or, éclairent çà et là les manches des redingotes : les socialistes sont des- cendus des faubourgs et des banlieues, tous sont au rendez- vous ici, au cœur de Paris. Ils sont là pour témoigner de leur affection à Jaurès, ils sont là aussi pour voir Raoul Villain, l'assassin de Jaurès, ce Raoul Villain qui a tiré à bout portant sur le leader socialiste, au Café-du- Croissant, le 31 juillet 1914, à la veille de cette guerre inter- minable, dont beaucoup d'ouvriers commencent à penser qu'ils s'y sont faits casser la figure pour rien et dont ils se jurent bien qu'elle sera la « der des der ». Cette guerre que l'assassin appelait de tous ses vœux et que Jaurès, lui, vou- lait éviter à tout prix... C'est à cause de cette maudite guerre, qui a coûté un million et demi de morts à la France, que le procès de Raoul Villain a été sans cesse ajourné jusqu'à ce 24 mars 1919. On a voulu éviter de dresser une moitié de la France contre l'autre, préserver l'Union sacrée face aux Alle- mands. On a voulu ainsi donner à la colère et aux passions le temps de s'apaiser. Mais aujourd'hui, la guerre est finie, la démobilisation est même entamée ; on ne pouvait plus différer davantage l'ouverture du procès. Et cependant, le climat social est tendu, et le chômage qui attendait les « poilus » au sortir des tranchées est venu les rappeler aux réalités politiques. Aussi, bien que l'on soit à la veille d'élections législatives difficiles pour le gouvernement de Georges Clemenceau — Clemenceau, le plus vieil ennemi de Jaurès — on a extrait Raoul Villain de la prison où on le tenait caché depuis plus de quatre ans pour le faire passer en jugement, et se résoudre à ce que soient enfin posées les questions restées en suspens. Car on ne sait toujours pas qui a armé le bras de Villain. L'extrême droite ? L'Action française qui, chaque jour, injuriait Jaurès dans ses journaux ? La police du tsar, comme le prétendent certains socialistes ? Ou bien encore, les Allemands qui, en supprimant Jaurès, espéraient plon- ger la France dans le chaos et la guerre civile, comme le laissent entendre les milieux nationalistes? Autant de questions explosives et qui expliqueraient, parait-il, la prudence de M. Clemenceau qui a interdit l'ac- cès de la cour d'assises au public, afin d'éviter tout désordre. Depuis 1917, Clemenceau dirige le pays d'une main de fer, et chacun sait que celui qui s'intitule lui-même « le premier flic de France » ne supporte pas le désordre. Tout comme il ne supportait pas Jaurès. Pourtant, ce luxe de précautions paraît bien superflu aujourd'hui. Dans les yeux de ces hommes et de ces femmes qui se pressent devant le palais de justice, on ne lit plus ni haine ni colère. Rien que de la tristesse et beaucoup de curiosité. Ils veulent voir et ils veulent savoir. Après tout ce temps, ils estiment qu'ils en ont le droit. Mais ce droit, en cette première journée du procès de Raoul Villain, seuls les journalistes sont autorisés à l'exer- cer. Eux seuls pourront voir l'accusé retranché dans son box comme un employé de banque derrière son guichet, un employé de banque falot et insipide qui aurait tué sa maî- tresse dans un accès de jalousie... car l'image que donne, ce 24 mars 1919, l'assassin de Jaurès, est celle d'un pauvre hère, d'un minus blond au visage pâle, à la moustache rognée. Quand il est apparu dans le prétoire, il n'y a eu qu'un seul cri sur les bancs de la presse : « Dire que c'est ça, qui a tué Jaurès !... » « Ça », ce chétif insignifiant, ce Villain, qui, d'une simple pression du doigt sur une détente, a réussi à supprimer une des plus hautes intelligences de notre époque! Il affirme, avec un niais contentement, qu'il était, au moment du crime, « étudiant » à l'École du Louvre, oubliant de préciser qu'il avait auparavant été chassé d'un emploi d'ingénieur agronome pour incompétence et congé- dié du collège Stanislas à Paris, où il était surveillant, pour manque d'autorité. Il répond d'une voix sans timbre aux questions du prési- dent Boucart, petit homme barbichu au regard doux, der- rière ses binocles embués. — Vous n'avez pour ainsi dire jamais connu votre mère ? — Non, monsieur le président. Elle a été atteinte d'alié- nation mentale juste après ma naissance. Le seul souvenir que j'en aie est celui d'une femme malade qui ne s'occupait pas de moi. Le ton est donné. Pendant de longues minutes, Villain va essayer d'apitoyer l'assistance sur son sort. Un père, greffier au tribunal de Reims, égoïste et coureur, une mère et une grand-mère, toutes deux murées dans leur folie, un frère aîné trop occupé par ses études pour lui prêter atten- tion, tout le portrait, un peu chargé, apparemment, d'une enfance solitaire et misérable.