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LE FIL CASSE DU PASSE

CHANEL SOLITAIRE, Pas une date, pas une précision con- par Claude Baillén. cernant certains personnages que rien Gallimard, 214 pages, 19 F. ne nous oblige à connaître, tant les ELLE, ADRIENNE, ont tués, outre leur mort physiologi- par Edmonde Charles-Roux. que, deux guerres et un total boule- Grasset, 556 pages, 32 F. versement des moeurs. Disons qu'il SECRETE, s'agit plutôt d'un, portrait-souvenir, par Marcel Haedrich. œuvre de style plutôt qu'organisation Robert Laffont, 323 pages, 30 F. logique, où rimeur s'efforce de faire Le 10 janvier 1971, décé- réentendre une voix et de reconsti- dait, à l'hôtel Ritz, Gabrielle tuer une présence. Sur les débuts de Bonheur Chanel, dite Coco Gabrielle Chanel, presque Tien. 'Son Chanel, couturière. Elle père veuf vit en Amérique. Elle est avait• quatre-vingt-sept ans. A vrai di- élevée par ses tantes ; enfance provin- re, on ne savait plus très bien qui ciale, confortable et rigide. A seize elle était ; ses origines remontaient ans, en tout bien tout honneur, nous trop loin dans le temps ; une société dit-on, cette fille-garçon, qui aime les nouvelle, qui lui était en réalité étran- chevaux, s'attache aux pas d'Etienne gère, l'avait récupérée, ià cause de sa Balsan, grand éleveur, homme impor- griffe, de son talent sans doute et, tant. Par lui, elle fera connaissance surtout, parce que l'ébahissait un ve- de , un .Anglais à la mode, dettariat dont les débuts se perdaient riche et beau, qui sera le grand dans la nuit de la belle époque. En amour de sa vie et qui sera tué au elle se mêlaient, et bien avant sa lendemain de la guerre dans un ac- mort, réalité et légende. Un person- cident d'auto. De toute façon, le deâ- nage de roman, mais qui vit sous vos tin est en route. Chanel, qui a com- yeux, c'est tout aussi passionnant que mencé à faire des chapeaux avenue l'a pêche au coelacanthe au large des Gabriel, puis à Deauville, voit s'élar- Comores. gir très vite le cercle de ses relations et de ses succès. Autour d'elle, Misia et José-Maria Sert, les grands-ducs tin Anglais riche et beau de Russie, Dali, Christian Bérard, Cette année, on parlera beaucoup 'Diaghilev, .Cocteau, Reverdy, le mon- de Chanel. Déjà, on l'a citée à propos de artiste des années folles. Une liai- du dernier roman d'Edmonde Char- son importante : le duc de Westmins- les-Roux. « Elle, Adrienne » ce se- ter, tout simplement. Mais le grand rait avec les distorsions que le genre secret de Chanel est la fuite. Femme romanesque impose : « Elle, Coco ». à la mode qui fait la mode et que J'y reviendrai. Mieux vaut d'abord son parfum, le « N° 5 », va littérale- voir le modèle que nous propose ment couvrir d'or, elle ne se laisse dans un livre singulier et beau, inti- enchaîner par rien, sinon par son tulé « », Claude Bai- travail qui lui aussi est un moyen de lén, jeune amie des dix dernières an- fuite. nées de la célèbre couturière. Claude Vient la Seconde Guerre mondiale. Baillén est psychanalyste. On lui Chanel disparaît pendant quatorze saura gré de ne pas trop avoir exercé ans. Elle rouvre sa maison de cou- son métier sur un sujet auquel la ture en 1953. Pas de bouleversement. liaient affection et admiration. Il me Fidèle à son passé, elle refait du Cha- semble qu'elle avait découvert en nel et c'est à nouveau le succès. Elle Chanel une éternelle adolescente qui a soixante-dix ans. C'est ici que com- faisait du témoin l'aînée, malgré une mence à apparaître le personnage rai- différence d'âge en sens contraire de sonneur et déraisonnable qu'a connu presque un demi-siècle. et dépeint Claude Bailén. Voici le EN 1940 On s'attendait à trouver ici une moment où Mlle Chanel, sa vie der- Une disparition de quatorze ans biographie. Il n'en est pas question. rière elle, devient vraiment Mademoi-

Page 32 Lundi 19 juillet 1971