13 production présente Synopsis La Commune (Paris, 1871) Nous sommes en mars 1871, tandis qu’un journaliste de la Télévision Versaillaise diffuse une information lénifiante, tronquée, se crée une Télévision un film de Peter Watkins Communale, émanation du peuple de Paris insurgé… Dans un espace théâtralisé, plus de 200 participants (intermittents du spectacle, chômeurs, 3h30 – vidéo – 4/3 – noir et blanc – stéréo - visa no 92 276 - 2000 sans-papiers, provinciaux, montreuillois, simples citoyens, …) interprètent, devant une caméra fluide travaillant en plans séquences, les personnages de photos téléchargeables sur www.shellac-altern.org La Commune – tout particulièrement la population du quartier Popincourt dans le XIe arrondissement – pour nous raconter leurs propres interrogations sur les réformes sociales et politiques (…) SORTIE NATIONALE 7 NOVEMBRE 2007 Créée à Montreuil en 1999 – dans les locaux de La Parole Errante d’Armand Gatti, là où Georges Méliès érigeât ses studios – La Commune est donc une création Distribution hors norme. Avec un budget très faible mais grâce à l’étonnante énergie rela- Shellac tionnelle de près de 300 comédiens et techniciens convaincus par la pertinence 40 rue de Paradis du sujet et l’évidence du propos, Peter Watkins, après 16 mois de préparation 75010 Paris intense, a pu reconstituer et restituer en 13 jours – par un processus de tournage Tél. 01 42 55 07 84 chronologique continu – l’exceptionnelle et effroyable expérience de la Fax 01 55 79 01 00 Commune. En se situant au plus près des gens du peuple – qu’ils soient gamins [email protected] de la rue, ouvriers, artisans, petits patrons, fonctionnaires, soldats, intellectuels, curés, bourgeois… - dans le Paris de 1871, La Commune de Peter Watkins – en Presse créant des passerelles avec notre société actuelle – nous réveille et nous rappelle Samantha Lavergnolle que l’histoire est un matériau vivant en devenir, et qu’à tout moment 74 rue de la Folie Méricourt nous pouvons en devenir les acteurs lucides, conscients et responsables. 75011 Paris Tél. 01 40 21 32 25 / 06 75 85 43 39 [email protected] pierre emm. Les photographies sont de Corina Paltrinieri. Liste artistique et technique MON SOUHAIT EN RÉALISANT LA

Interprétation 210 participants (intermittents du spectacle, chômeurs, sans-papiers, provinciaux, n’était pas montreuillois, simples citoyens, …) COMMUNE (PARIS, 1871) de « documenter » ni de « représenter » (deux mots également dangereux) Scénario, réalisation Peter Watkins l’histoire de la Commune sous la forme d’un documentaire télévisuel ni de Image Odd Geir Saether raconter une « histoire » comme dans une saga narrative hollywoodienne, mais Son Jean-François Priester plutôt de travailler avec l’essence même de la forme filmique, de voir s’il était Décors Patrice Le Turcq Montage Peter Watkins, Agathe Bluysen, Patrick Watkins possible de transcender le schéma contraignant de la télévision traditionnelle Production et du cinéma commercial. Je voulais explorer la possibilité de sortir des limites 13 Production traditionnelles du petit écran pour aller vers un processus plus complexe et Arte France plus démocratique d’interaction avec les spectateurs, c’est-à-dire avec la Musée d’Orsay Institut National de l’Audiovisuel communauté tout entière. Par cette tentative, j’espérais que les FORMES et PROCESSUS de notre film aideraient à susciter le débat sur les liens entre Avec la participation les forces qui ont écrasé la Commune, et celles qui aujourd’hui encore du Ministère des Affaires Etrangères, empêchent le collectivisme social d’émerger et de fleurir partout sur la planète. du Ministère de la Culture et de la Communication, du Conseil Général de Seine St Denis, Dans le contexte de la crise mondiale, j’aimerais faire quelques remarques sur de la Scam, les deux rôles clés de notre film, celui de travailler l’histoire par le biais de de la Sofica Cofimage, la Commune de Paris et celui d’utiliser notre expérience pour comprendre de la Procirep, les problèmes inhérents à la réalisation audiovisuelle, au cinéma et à du Centre National de la Cinématographie la télévision. Tout d’abord, je pense que l’un des résultats les plus remarquables Cette version de « La Commune (Paris, 1871) » dure 3h30. Elle a été spécialement montée est que le processus du film se développe sur plusieurs niveaux : avant, pendant pour une distribution commerciale au cinéma. et après le tournage. Ce processus d’expansion est très inhabituel dans Le film original dure 5h45. les mass média audiovisuels aujourd’hui. L’un des aspects les plus importants de l’étape « avant » fut d’inviter les comé- Plusieurs scènes importantes et même certains rôles ont disparu de diens à participer aux recherches élaborées et à réfléchir sur l’un des évènements cette version. Par exemple, la version intégrale contient plusieurs discussions clés de leur histoire. animées où les « acteurs » évoquent le lien entre la Commune de Paris et la société contemporaine. Il ne reste que quelques-unes de ces scènes dans cette version courte. Grâce à la richesse et à au détail de la documentation fournie, les comédiens ont Deuxièmement, je voudrais mentionner le rôle clé dans ce film joué par les eu l’opportunité de se confronter à de nombreux aspects inconnus de la Com- Versaillais et les bourgeois. Ceci représente encore un autre niveau du processus mune qui autrement seraient restés dans l’ombre. Compte tenu de la carence complexe de ce film. Les gens qui ont accepté de jouer ces rôles (et nombre d’en- du système éducatif français et de la censure exercée par les mass médias sur ce tre eux auraient préféré être des Communards) ont participé à un important sujet, ce travail a constitué une occasion rarissime de se plonger profondément travail d’évaluation du rôle opposé dans le processus historique. Je voulais que dans ce volet méconnu et marginalisé de l’histoire de France. notre film invite certains des participants à vivre la recomposition de la pensée Cet aspect de notre démarche, combinée à la demande que nous avons faite aux et de la psyché de personnes douées de valeurs politiques et sociales totalement comédiens de lier cette recherche à leurs propres idées et perceptions person- opposées aux leurs. Et de transmettre ce processus au public. Cet aspect de notre nelles (= votre propre parole), et ainsi contribuer directement à la façon dont film a malheureusement été partiellement perdu dans la version cinéma, mais votre propre histoire est dite, est d’une importance fondamentale, et constitue il demeure une part intégrante de la version longue, et souligne l’expérimen- une importante remise en cause des nombreuses manières qu’a la télévision de tation complexe du film pour, d’un côté soutenir fermement (tout en restant refuser la participation du public à sa propre histoire. Il est particulièrement critiques) la Commune, mais de l’autre, de ne pas déshumaniser ses opposants. significatif de relever la constante liaison entre les perspectives personnelles Étant donné le rôle violent et polarisateur joué par la majorité de la télévision et et historiques dans notre film, créant ainsi une espèce d’histoire vivante, et du cinéma, je crois que ceci constitue un autre aspect important de notre film. que cette parole a été (pour l’essentiel) préparée par les comédiens eux-mêmes, Mon espoir est qu’en traversant un processus filmique comme La Commune, plutôt que sous forme de script dicté par les tenants du pouvoir = les produc- on en ressorte avec des perspectives complètement différentes, et que notre teurs / |réalisateurs des médias. conscience des possibilités et contraintes des différentes méthodes cinématogra- J’aimerais aborder brièvement deux autres aspects du processus de notre film, phiques s’en trouve significativement développée. Si le film atteint ses objectifs liés au développement de la parole publique dans les médias. En premier lieu avec succès, cela impliquera que la relation entre notre film et l’acteur / par- il y a le brouillage des lignes de séparation entre le jeu et le non-jeu. J’espère ticipant, et entre nous et le public, est plus ouverte que ce n’est le cas dans le que ce film a offert aux acteurs la possibilité d’analyser les différentes façons processus hiérarchique habituel. par lesquelles le film hollywoodien traditionnel avec ses dialogues hautement structurés, joue un rôle central dans la restriction de la parole publique. J’espère Peter Watkins, Montreuil, février 2000, suite à la réalisation que notre film démontre qu’il est tout à fait possible pour des acteurs et des de « La Commune (Paris, 1871) ». non-acteurs de travailler ensemble, et que des capacités professionnelles peu- vent complètement s’harmoniser avec celles de la communauté, surtout si le processus et la forme filmique le permettent.

Définition de la Monoforme teurs sont immatures, et qu’ils ont donc besoin de dispositifs de présentation familiers pour être « accrochés » (c’est-à-dire manipulés). C’est pourquoi tant de Pour ceux qui me lisent pour la première fois : la Monoforme est le dispositif professionnels des médias s’appuient sur la Monoforme : les ingrédients tels narratif interne (montage, structure narrative, etc.) employé par la télévision que la rapidité, le montage-choc, le manque de temps et d’espace, garantissent et le cinéma commercial pour véhiculer leurs messages. C’est le mitraillage que les spectateurs n’auront pas le loisir de réfléchir à ce qui leur arrivent. dense et rapide de sons et d’images, la structure, apparemment fluide mais structurellement fragmentée, qui nous est devenue si familière. (…) (…) De nos jours, la Monoforme se caractérise également par d’intenses plages Le problème c’est que la Monoforme a arbitrairement écarté toutes les autres de musique, de voix et d’effets sonores, des coupes brusques destinées à créer formes narratives audiovisuelles, et qu’elle a été unilatéralement imposée pour un effet de choc, une mélodie mélodramatique saturant les scènes, des dialogues régner sur les outils de communication les plus puissants du moment. rythmés et une caméra en mouvement perpétuel. La Monoforme n’a strictement rien à voir avec l’énorme potentiel créatif de la télévision ou du cinéma documentaire. Les raisons de l’assujettissement des Il existe plusieurs variantes de la Monoforme : la structure narrative médias à la Monoforme sont d’ordre économique et politique. mono-linéaire classique, utilisée dans les films de cinéma, les sitcoms et les feuilletons policiers ; le mélange fluide de thèmes et d’images apparemment De nos jours, la Monoforme structure probablement plus de 95% de la produc- décousues, propres aux chaînes de télévision musicales telle que MTV ; la struc- tion télévisuelle et du cinéma commercial, et affecte de manière significative ture saccadée et fragmentaire des informations télévisées du monde entier ainsi les émissions radiophoniques. que de nombreux documentaires (décrit par un réalisateur comme la méthode du « moule à tarte », c’est-à-dire un modèle reproduisant à l’infini le cycle brève Peter Watkins interview, plan de coupe, voix off…) Extraits de Media Crisis, Éd. Homnisphère, 2007, 2e édition.

Ces variantes de la Monoforme ont des caractéristiques communes : elles sont répétitives, prévisibles, et fermées à toute participation des spectateurs. Contrairement aux apparences, elles s’appuient sur une utilisation très rigide et contrôlée du temps et de l’espace. Ces normes sont développées par et pour les médias et non pour servir l’énorme potentialité des désirs existants chez les spectateurs. Il est fondamental de comprendre que ces variantes de la Monoforme sont toutes fondées sur l’hypothèse convenue que les specta- Quelques dates dans l’histoire 29 juillet 1881 – Loi sur la liberté de la presse Elle est votée par la IIIème république 92 ans après la déclaration des droits des médias de l’homme.

30 mai 1631 - La Gazette, le premier journal français 30 juin 1923 - Monopole de l’État sur la radio Théophraste Renaudot, médecin du roi, obtient du ministre Richelieu le monopole de Une loi établit le monopole de l’État sur l’émission et la réception radiopho- la presse. Il lance la feuille d’information hebdomadaire « La Gazette » (cf du nom d’une nique. La possession de postes de radio est autorisée à condition d’en faire la monnaie vénitienne, organe officieux du pouvoir : Louis xiii y écrit régulièrement. déclaration.

24 août 1789 - La liberté de la presse 30 octobre 1938 - Orson Welles terrorise l’Amérique L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen affirme : « la li- Le réalisateur américain Orson Welles adapte le roman de science-fiction de H.G bre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux Wells « la guerre des mondes » à la radio. Plusieurs milliers de personnes s’en- de l’homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement (…) ». fuient de chez elles croyant à une réelle invasion martienne sur le New-Jersey. Orson Welles s’excuse devant toute l’Amérique quelques jours plus tard, tou- 31 mars 1820 - Premières restrictions de la liberté de la presse jours à la radio. Avec la loi qui suit l’assassinat du duc de Berry en 1822, le « délit d’opinion » est créé tandis qu’il est désormais possible de punir un journal pour son « esprit ». 23 mars 1945 - Monopole de l’État sur la radiodiffusion française Il faut également une autorisation préalable pour diffuser un journal. Suite au traumatisme de la «guerre des ondes», une ordonnance est promulguée et met fin à l’émission des stations privées. La Radiodiffusion française (RDF) est 16 juin 1836 - Émile de Girardin fonde « la Presse » mise en place pour assurer ce monopole absolu. Elle deviendra plus tard, avec le Le premier numéro du quotidien « La Presse » sort en kiosque. Son créateur, Émile développement de la télévision, la Radiodiffusion – Télévision française (RTF), de Girardin, fait appel à des annonceurs afin de diminuer le coût de l’abonnement puis l’Office de la radiodiffusion-télévision française (ORTF) en 1964.

1845 - Construction de la presse rotative 17 novembre 1970 - Hara-Kiri disparaît des kiosques La presse rotative est conçue par l’américain Richard Hoe. Son système de Le journal créé dix ans plus tôt par le professeur Choron subit une énième inter- rouleaux cylindriques allié à un mouvement rotatif permet une impression diction. Misant sur la provocation, ce dernier s’est encore illustré dernièrement beaucoup plus massive que son ancêtre, la presse cylindrique. en titrant « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». Cette approche ironique de la mort de De Gaulle et du traitement journalistique de la tragédie du dancing 1871 – Plus de 70 journaux sont créés pendant les 70 jours de la Commune. de Saint-Laurent-du-Pont dépasse les bornes aux yeux de la censure. Hara-Kiri Mais la liberté de la presse est restreinte dès le 18 avril et le 18 mai le Comité de Salut disparaît ainsi en tant que quotidien, mais il paraîtra encore jusqu’en 1985 en public interdit les journaux favorables au gouvernement Thiers. tant que mensuel. 1981 - Rupert Murdoch achète « The Times » Extrait du Rupert Murdoch fait l’acquisition du journal britannique « The Times ». Il possède déjà aux États-Unis le « New-York Post », le « New York Magazine », Monde « The Village Voice » et « New West », avant de s’attaquer à la presse britannique. Il ne faut pas aller voir ce film pour y Ses acquisitions médiatiques englobent très vite l’édition et la télévision. diplomatique rencontrer les têtes d’affiche d’alors, les Louise Michel, Jules Vallès et autres 9 novembre 1981 - Autorisation des radios libres (mars 2000) insurgés : ce n’est pas le sujet. Tout en L’assemblée nationale promulgue la loi sur les radios libres. Les anciennes étant mû par un grand souci d’exacti- radios « pirates » deviennent des « radios locales privées ». Dans les premiers RENAISSANCE DU CINÉMA tude historique, le projet, parce qu’il temps, les radios libres n’auront pas le droit de diffuser de la publicité. POLITIQUE est protéiforme, est hautement plus Peter Watkins filme la Commune ambitieux. 16 avril 1987 - La privatisation de TF1 En 1986, lors de la 1re cohabitation, le gouvernement de Jacques Chirac propose Par Philippe Lafosse C’est la parole populaire, la naissance la privatisation de la 1re chaîne. Contre 3 milliards de francs, Bouygues obtient de cette parole, et la démocratie à 50 % du capital de la chaîne. Aujourd’hui, TF1 est la 1re chaîne généraliste fran- (…) Le pari de La Commune est de fil- l’aube du xxie siècle. C’est, également, çaise. mer d’abord des idées, d’incarner de la la difficile élaboration d’un discours pensée, en montrant les mécanismes de et d’une démarche collective, car La 9 août 1995 - Netscape entre en bourse matérialisation des idées, comment les Commune n’est pas non plus un pa- La jeune société Netscape entre en Bourse pour être immédiatement sujet de idées deviennent actes. En résulte un négyrique du premier pouvoir révolu- la spéculation qui caractérise alors les nouvelles technologies Internet. Netscape film sur l’idée de la Commune, sur cette tionnaire prolétarien : tâtonnements, domine largement pendant quelques années avant de succomber sous les idée toujours vivante, où l’on voit le sou- errements, divergences individuelles assauts du produit Microsoft dès 1998 : Internet Explorer. lèvement parisien non comme un échec et conflits ne sont pas occultés. C’est, mais comme le début d’une réflexion, le encore, la volonté de ne pas réaliser un 18 février 2002 - Apparition de la presse gratuite d’information en commencement d’une conception de la film « en sens unique » et de repousser France solidarité et de l’engagement. Avec de les frontières habituelles entre le pu- Métro France distribue à Paris le premier quotidien national gratuit. Intitulé nombreux parallèles avec notre époque : blic et les médias, même si, vigilant, le « Metro », le journal est largement rentabilisé par les annonceurs. Un mois après le racisme, la place et le rôle des femmes, réalisateur confie qu’il a « conscience son lancement, il est concurrencé par « 20 minutes », détenu par le groupe norvé- l’inégalité des richesses, la mondialisa- de ne pas avoir évité tous les pièges ». gien Schibsted et par Ouest-France. Depuis, de grands groupes tels que Bolloré tion, la censure, la faillite de l’école… (…) se sont dotés de leurs propres supports gratuits : Direct Soir, Matin Plus…

(source www.linternaute.com)

Extrait de La Le film n’est pas une reconstitution his- qu’ils peuvent savoir. On bâtit alors show et autres émissions spectaculai- torique, une fresque de la Commune. un feuilleton avec l’aide des ouvriers, res. Ainsi, Watkins, « pour défier, dit-il, pensée du midi Il s’apparente plutôt à une chronique. des correspondants, avec l’aide de tous les mécanismes des médias audiovi- o Les faits se présentent sous la forme de les gens qui envoient des renseigne- suels », montre la fabrication du film, (n 3, hiver 2000) récits multiples, fragmentaires tout ments […] » Un tel programme ne fut, nous renseigne sur ses procédés et autant que contradictoires. Cette hé- on le sait, malheureusement pas re- les techniques qu’il utilise, donne ses Les voix ordinaires, La Commu- térogénéité de la parole constitue la tenu par la rédaction du journal. Non sources et cite ses références, présente ne (paris, 1871) de Peter Watkins. mémoire même de la Commune. Ceci seulement la proposition de Foucault tous les protagonistes, faisant, de ce n’est pas sans rappeler la proposition reposait sur un travail de mémoire à film d’histoire sur une lutte populaire, Par Christian Milovanoff que Michel Foucault fit le 22 février travers l’enregistrement et l’archivage, un outil possible de lutte. 1973 au journal Libération, quoti- mais également elle mettait en avant (…) (…) A la question : « Où étaient leurs dien alors en préparation. Il s’agissait le problème de sa transmission : d’où Au total, plus de soixante cartons grands hommes ? », l’historien et le té- d’établir la chronique de la mémoire le journal, d’où la forme du feuilleton. (NDLD : dans la version longue) qui, moin de la Commune Prosper Olivier ouvrière : Il s’agissait non seulement de donner comme les acteurs du film, jouent Lissagaray répondait en 1876 : « Il n’y la parole à ceux et à celles dont la voix trois rôle, au moins, différents. en avait pas. C’est précisément la puis- « Il serait, écrivait-il, intéressant, n’est pas entendue dans les organes sance de cette révolution d’avoir été autour du journal, de regrouper tous de presse, mais également à travers Tout d’abord, ils informent d’un évé- faite par la moyenne et non par quel- ces souvenirs, pour les raconter et les épisodes du feuilleton de restituer nement, d’une date, d’un décret. En- ques cerveaux privilégiés. » C’étaient surtout pour pouvoir s’en servir et à cette voix son caractère fluide, frag- suite, ils mettent en demeure le spec- des anonymes sortant de l’oubli, lut- définir à partir de là des instruments menté, imprévisible. tateur de dégager le sens en associant tant contre l’oubli. C’est aussi la puis- de luttes possibles. » Il ajoutait en- les différents textes qu’il lit. Enfin, ils sance du film de Watkins d’avoir été core : « On peut concevoir une sorte de Tout le film de Peter Watkins - et toute annoncent ce qui va suivre et ne sera fait par des gens ordinaires prenant la feuilleton collectif. On dirait : Voilà, son oeuvre cinématographique depuis pas montré, ou plus radicalement, ce parole et la tenant pour eux-mêmes, actuellement, il y a un thème impor- les années soixante - est soutenu par ce qui ne peut pas être montré, pour des pour humanité, pour exister. « Il est tant; par exemple, les cadences ouvriè- désir : rendre possible une parole que raisons éthiques. Aucune image de temps, dit une femme, que l’on soit res. On demande à un certain nombre les médias occultent et ne laissent ja- cadavres, aucun voyeurisme, aucun pas représenté mais que l’on soit. » d’ouvriers de raconter leurs souvenirs, mais filer, sauf à être passée par les fil- pathos. Aucune compassion. Le carton leurs expériences, d’envoyer tout ce tres du formatage audiovisuel : reality tient lieu du coryphée dans la tragédie grecque. Il orchestre et rythme le film. de la mairie », « au-delà de cette table manque, qu’elle n’épuise jamais la réa- qui, dans les annales du mouvement Il déborde et envahit l’écran jusqu’à se trouve une cour de quartier, avec lité qu’elle est censée représenter. C’est ouvrier européen, a été un événement saturation quand défile le long géné- ses mouches et sa fosse d’aisances et à pourquoi l’image, pour compléter et majeur, mais qui constitue néanmoins rique de fin sous-tendu par Le Temps côté le café où nous avons filmé les dis- affirmer le sens, devra s’adjoindre la l’une des pages les plus méconnues de des cerises et une chanson algérienne cussions avec les comédiens sur la ré- parole proférée et le texte écrit. l’histoire de France. Peter Watkins, en contemporaine sur l’exil, la déporta- volution et la société contemporaine. donnant justement existence à ces voix tion, le cachot, El Menfi. On pourrait Juste derrière, le mont-de-piété, un Dès lors le récit peut s’engager, et la ordinaires, affirme une fois de plus son presque dire du film de Watkins qu’il système gouvernemental de prêt sur journaliste de dire : « Nous vous de- combat contre la logique mondialiste s’inscrit dans la tradition du cinéma gages qui maintenait la classe ouvrière mandons d’imaginer que nous som- du cinéma et de la télévision qui dé- muet car, même si la parole vivante est de l’époque en état d’endettement mes désormais le 17 mars 1871. » veloppe une culture faite, dit-il, « de à l’oeuvre, ce qu’elle dit et ce que l’on permanent. » La voix ainsi délimite structures narratives simplistes, de entend ressemble à des cartons lus, un paysage. Elle dessine la géographie L’image, en noir et blanc, est comme violence, de bruit et d’actions inces- tels qu’on les trouve dans le cinéma des combats qui ont eu lieu : « Sur les lieux qui l’enferment : sobre et santes ». Malgré les difficultés rencon- d’Eisenstein : « Tous à Versailles », cet espace ouvert, hier soir, les corps dépouillée. Toutes les scènes ont été trées et la quasi-censure qui entoure disent les habitants du XIe arrondis- jonchaient le sol et un peloton d’exé- filmées en longs plans-séquences. Le son oeuvre, Watkins dit à nouveau sement. « Au palais d’Hiver’’, peut-on cution gouvernemental tirait et re- cadre est essentiellement occupé par qu’un cinéma de paroles populaires lire dans Octobre. chargeait sans cesse ». La voix d’Aurélia les visages sur lesquels la caméra s’ar- est encore possible. Petit raconte ce qui s’est passé et que rête ou bien glisse en travellings laté- Le recours à la voix off, au tout début l’on ne peut voir. Elle décrit, sur fond raux. Les bouches parlent et débattent Dans un texte de 1928, récemment tra- du film, procède du même ressort. Le d’images vides et dépeuplées, ce qui ne face à la caméra-oeil de Watkins et aux duit en français, le cinéaste Friedrich journaliste lui-même précise que ce peut être montré : l’officier des forces mains-micros-oreilles des deux jour- Wilhelm Murnau notait : « Je crois que que la voix va énoncer fut écrit une versaillaises condamnant des centai- nalistes de la Télévision Communale. les films de l’avenir montreront des fois les prises de vues réalisées : « Le nes de communards, le drapeau rouge Elles narrent chronologiquement les personnes plutôt que des personnali- texte qui suit sera ajouté dans quel- qui, avant, flottait sur la mairie du XIe événements de la Commune, depuis la tés cinématographiques, l’humanité ques mois », dit-il. Cette voix va décrire arrondissement. La voix intervient tentative avortée de l’armée régulière au lieu de stars de cinéma populaires. » des lieux en les ordonnant : « Au-des- moins pour suggérer ou évoquer des pour récupérer les canons de la garde sus des barricades flotte un drapeau », événements passés que pour affirmer nationale jusqu’à la « Semaine san- Le cinéma de Watkins tient cette pro- « sur la gauche se trouve ce qui reste durement que l’image porte en elle un glante » du 21 au 28 mai. Elles disent ce messe-là, soixante et onze ans plus tard. Biographie Filmographie

Peter Watkins est né en 1935 à Norbiton, Surrey, dans le sud de l’Angleterre. 1956 - The web (amateur) Après avoir étudié le théâtre à la Royal Academy of Dramatic Arts de Londres, 1958 - The field of red (amateur) il travaille comme assistant réalisateur de courts-métrages et de films docu- 1959 – Journal d’un soldat inconnu (amateur) mentaires. Grâce aux récompenses obtenues pour ses films amateurs (dont Diary of an unknown soldier et Forgotten faces), il est recruté par la BBC pour 1960 – Visages oubliés (amateur) laquelle il réalise Culloden. Le succès est immédiat. Considéré par ses produc- 1962 - Dust fever (amateur, inachevé) teurs comme un réalisateur plus que prometteur, on lui donne carte blanche 1964 – La bataille de Culloden (Angleterre) pour tourner La Bombe (Oscar du meilleur documentaire en 1966). Le film, qui 1966 - La bombe (Angleterre) décrit les effets dévastateurs d’une attaque nucléaire sur la Grande-Bretagne, 1967 - Privilège (Angleterre) sera interdit d’antenne pendant plus de 20 ans par la BBC. Sous la pression poli- 1969 – Gladiator (Suède) tique et médiatique, il choisit de quitter définitivement le sol anglais en 1968. À partir de cette date, et en dépit des difficultés, il réussira à construire une 1971 - Punishment park (États-Unis) oeuvre originale et engagée, à contre-courant de tous les canons officiels, en 1973 - Edvard Munch (Norvège) tournant un peu partout dans le monde. Les Gladiateurs, Punishment Park, 1975 - 70-talets människor (The seventies people) ; Fällen (The trap) (Suède) Edvard Munch, Le Voyage et La Commune (Paris, 1871), autant de films qui font 1977 - Aftenlandet (Evening land) (Danemark) date dans l’histoire du cinéma. Il n’a jamais cessé de porter un regard critique sur les mass média audiovisuels, particulièrement dans ses films où cette 1987 - The journey (documentaire) (divers pays) thématique majeure a toujours été omniprésente. Aujourd’hui, plus que jamais, Peter Watkins continue de se battre pour l’émergence d’un véritable processus 1994 - Le libre penseur (Suède) alternatif et démocratique dans le champ du medium audiovisuel. Son œuvre a fait l’objet d’un hommage remarqué lors du Festival International du Film de 2000 - La Commune (Paris, 1871) (France) la Rochelle en juin 2004. Un essai intitulé «Media Crisis» écrit en 2002 est paru aux Editions Homnisphères en 2004. Il vient d’être re-édité avec une nouvelle préface de Peter Watkins : Media Crisis, 5 ans après. Rebond pour La Commune Association pour la promotion et la diffusion de la version originale (5h45) de « La Commune (Paris, 1871) » de Peter Watkins.

L’histoire de Rebond remonte au 8 janvier 2000, lorsqu’une cinquantaine de « Ce processus d’interaction poursuivi par certains des comédiens « comédiens » et techniciens du film se sont réunis pour préparer un premier constitue un merveilleux hommage à la réalisation de La Commune. week-end d’expérimentation à la Maison Populaire de Montreuil, les 11 et Rebond est sans doute le plus important aboutissement de tous 12 mars. Intitulé « Rebond – média et immédiat », cet espace de rencontres et les processus de tournage de mes films, et démontre clairement que ce de réflexions rassembla près de 300 personnes et de nombreuses associations pour quoi je me bats depuis les années 60 est concrètement possible (Les Amis de la Commune, Droits Devant !!, Attac, Coordination permanente – à savoir que nous pouvons développer un processus au sein des des médias libres… ) autour de débats, projections, concerts et autres activités médias audiovisuels pour se libérer entièrement des contraintes du collectives et festives. L’objectif principal de cette première expérimentation petit écran, afin de développer un processus qui aille bien au-delà, était d’explorer de nouvelles formes de relation à l’œuvre cinématographique en et qui d’une certaine façon est au moins aussi important – que l’expé- essayant de développer vers l’extérieur ce qui se tramait dans l’image. rience que l’on peut tirer en tant que spectateur. » Face aux difficultés rencontrées par la distribution d’une oeuvre d’une telle envergure (de par son contenu, sa durée et sa forme), l’association Rebond s’est Peter Watkins, février 2000 également interrogée sur sa capacité à prolonger ce processus de résistance et Traduction Patrick Watkins de participation au-delà du film et dans la durée. C’est pourquoi des partici- pants à La Commune mais également certains « spectateurs » ont décidé de se réunir pour accompagner la diffusion du film en proposant des débats et des interventions témoignant de la richesse et de l’originalité de cette démarche créative et politique, humaine et collective. Avec la profusion de questions contenues dans La Commune, sa diffusion peut faire l’objet d’une conception inédite avec toute association, comité d’entreprise, établissement éducatif, etc. Les membres de Rebond (acteurs du film, militants, artistes, historiens, etc.) se proposent de partager leurs expériences et réflexions pour que le film soit l’occasion d’une réelle rencontre entre un mouvement de paroles et des images en mouvement. références et liens utiles :

L’Horloge universelle : la résistance de Peter Watkins (The universal clock : the resistance of Peter Watkins), de Geoff Bowie, documentaire, Canada, 1h10, 2001

Media Crisis, de Peter Watkins Editions Homnisphères, 2007, 2e édition.

Paris insurgé, la Commune de 1871 de Jacques Rougerie Découvertes Gallimard, 2006

Paris Libre 1871 de Jacques Rougerie Seuil, Points Histoire, 2004

La Commune de Paris de William Serman Fayard, 1986

Histoire de la Commune de 1871 de Prosper Olivier Lissagaray La découverte/poche, 2000 site de Peter Watkins : www.mnsi.net/~pwatkins site de l’association Rebond pour La Commune : www.rebond.org site de l’éditeur de Média Crisis : www.homnispheres.com à propos de fiction qui déroute, fiction historique, (…) nants. Être son propre souverain : dans fiction du réel, fiction inspirée du réel. Peter Watkins n’a pas cherché à « racon- le Paris de 1871 c’est – utopiquement « La Commune Docu-fiction, terme qui avait plu à Wa- ter », à représenter tout ce qui s’est passé peut-être, sûrement - s’auto-adminis- tkins lui-même, mais ne me semble pas dans le Paris de 1871, toute l’histoire de trer, vivre le politique comme on dit (Paris, 1871) » davantage convaincant. la Commune, si complexe en dépit de alors « autonomiquement ». S’affirme, sa brièveté. Watkins a choisi, et ce n’est de manière bien sûr désordonnée, une Par Jacques Rougerie* Bref, une expérience rare, « ovni dans le pas un hasard, un questionnement volonté de participation politique im- paysage audiovisuel ». De surcroît un troublant sur la nature de la démocra- médiate, dans l’exercice quotidien par Mon propos n’est nullement ici de faire film politique, polémique. (…) tie, qui est en effet le vaste problème ceux d’en bas de leur petit pouvoir lo- un quelconque éloge du film La Com- que pose – aujourd’hui du moins - la cal, au club, dans leur bout de quartier, mune de Peter Watkins. Il se défend fort Je sais combien est majeure pour Peter Commune. au sein des commissions qui dirigent bien tout seul. Je voudrais seulement Watkins la question de la forme. On chaque arrondissement. Soit, si l’on poser à son propos une question qui me connaît sa critique de la « monoforme », Le communard révolté veut être pleine- veut théoriser, ce qu’on nommait, as- semble trop rarement, ou mal abordée. cette manière hachée, « frénétique », de ment « citoyen ». Citoyen travailleur, et sez mal peut-être, sous la Révolution, Ce film « raconte » (je mets aussitôt ici découper l’information en petits bouts, surtout alors en armes : en ces temps, démocratie directe ; depuis 1850 on des guillemets) une histoire : l’histoire, en staccato, caméra toujours en mouve- l’affirmation de la citoyenneté ne va pas parle de « gouvernement direct de la dramatique, d’une insurrection pari- ment : formatage manipulateur qui n’a sans l’arme, jadis la pique du sans-cu- République ». Claude Lefort a souligné sienne du xixe siècle, ce geste dont les rien à voir avec la communication. D’où lotte et en 1871 le fusil du garde natio- de la nature profondément « libertaire » Parisiens sont coutumiers depuis 1789, « l’urgence qu’il y a à trouver un type de nal. Il exige qu’on aille jusqu’au bout de de l’idée de démocratie. L’insurrection tous les vingt ans à peu près : juillet processus collectif qui puisse surmon- la logique de la « souveraineté du Peu- communaliste, comme les autres in- 1830, février et juin 1848, mars 1871. ter la relation hiérarchique imposée par ple » tant de fois affirmée, jamais réali- surrections parisiennes, peut-être vue les médias envers le public. » Question, sée. Les insurgés du premier xixe siècle aussi et sans doute d’abord comme un Je remarque l’incapacité où se sont je me contente pour le moment de le réclament une « vraie » République ; ils « questionnement de la démocratie ». trouvés les critiques à nommer « cette souligner, en somme de démocratie. disent plutôt une « bonne » République. chose » comme disent certains d’entre Sociale, elle procurera à tous le mieux- Peter Watkins a choisi clairement ce eux, qu’est l’œuvre de Peter Watkins. « La Commune » me paraît être, très être et le bonheur. Elle réalisera poli- point de vue. Ce qu’il « montre », c’est Un « drôle d’objet » ; une reconstitu- simplement, aussi un film d’histoire : tiquement la vraie démocratie, qui as- ce questionnement populaire, confus, tion documentaire ; un documentaire j’entends clairement par là un travail sure vraiment les droits des gouvernés, tâtonnant, contradictoire ; il évoque le fictionnalisé ; fiction documentée, une historien, une œuvre d’histoire. avec, s’il le faut contre leurs gouver- conflit entre les « gérants » de la Révolu- tion, membres lointains de la Commu- aucun que je puisse comparer en pos- « Consciemment ou non, c’est toujours contemporaine, nous le voyons forcé- ne à l’Hôtel de Ville, mais aussi chefs ture et en stature avec l’œuvre de Peter à nos expériences quotidiennes que, ment avec des yeux d’aujourd’hui ? Il y militaires d’une Garde nationale sans Watkins. pour les nuancer, là où il se doit, de a à coup sûr prise de risque dans l’usage discipline, et des hommes et des fem- (…) teintes nouvelles, nous empruntons de l’anachronisme, mais la superposi- mes en insurrection, en bas ; tout en Tout se dit dans un rapport étroit, en dernière analyse les éléments qui tion des temps, en effet de miroir, peut bas. On appelle en effet cela, de manière fortement appuyé, entre passé et pré- nous servent à reconstituer le passé : être payante, à la fois du point de vue assez simplette, l’histoire vue d’en bas. sent. On a crié au dérapage, à l’ana- les noms mêmes dont nous usons afin de l’intelligence du problème, et pé- (…) chronisme. La télévision en 1871, quel de caractériser les états d’âme disparus, dagogiquement : il est de toute façon Sans offenser, je l’espère, personne, je scandale ! Probablement pas plus que les formes sociales évanouies, quel sens profondément inscrit dans l’opération soulignerai d’abord que c’est à mes la présence troublante d’une voix off, auraient-ils pour nous si nous n’avions historienne. yeux le premier vrai film qui ait été celle d’un auteur qui prétend bien inu- d’abord vu vivre des hommes ? À cette réalisé sur la Commune. On a eu des tilement se cacher. imprégnation instinctive, mieux vaut C’est un risque ici pleinement assumé ; œuvres de commémoration, voire de cent fois substituer une observation vo- bien pis, voulu par Watkins. « La Com- quasi-propagande. On a eu des allégo- Anachronisme ! Il est parfois nécessaire, lontaire et contrôlée. » Ce que reprend mune traite non seulement des événe- ries (réussies, mais combien engagée, ce et justifiable en histoire ? Nicole Lo- Ricœur, de manière beaucoup plus ments de 1871, mais aussi du combat qui ne gène en ce cas personne, comme raux, grande historienne de l’Antiquité précise : « L’historien a pour tâche de mené par de nombreuses personnes la Nouvelle Babylone), des récits do- grecque a écrit un « Éloge de l’anachro- traduire, de nommer ce qui n’est plus, contre les problèmes sociaux et écono- cumentaires expliquant pédagogique- nisme », volontairement paradoxal : « Je ce qui fut autre, en des termes contem- miques croissants causés par le proces- ment la Commune, illustrés par des réfléchirai sur la méthode qui consiste porains. Il se heurte là à une impossible sus de mondialisation. » images, d’ailleurs toujours les mêmes, à aller vers le passé avec des questions adéquation parfaite entre sa langue et que chacun se réappropriait à sa façon du présent pour revenir vers le présent, son objet et cela le contraint à un effort Ses personnages, dit-il, « ne sont pas des (La Commune de 1871 de Cécile Clair- lesté de ce que l’on a compris du passé » d’imagination pour assurer le transfert acteurs traditionnels interprétant un val). Portant souvent sur seulement un […] « à condition que ce soit en toute nécessaire dans un autre présent que le script ; ils se montrent tels qu’ils sont - aspect de l’insurrection : la répression connaissance de cause et en choisissant sien et faire en sorte qu’il soit lisible par citoyens de la France de 1999 - recréant (Jean Baronnet), la Semaine sanglante, les modalités de l’opération ». ses contemporains. » certains épisodes de la Commune de Pa- tel héros (Rossel, Dombrovsky). Il en ris, développant leurs propres réactions est auxquels j’ai participé, il en est que Marc Bloch évoquait déjà clairement en C’est bien ici le problème. Nous osons à ces événements et aux liens existant j’apprécie tout spécialement (L’Année 1940, dans son Apologie pour l’Histoire, parler de ce qui s’est passé en 1871 – il y entre ces derniers et l’état de la société terrible de Claude Santelli). Il n’en est ce problème du rapport passé/présent. a bien plus d’un siècle – en notre langue contemporaine. » Ses acteurs (deux tiers de non professionnels) ont la parole, ils deux répressions. Et ce d’autant qu’on quoi ne seraient-ce pas des oubliés, des cinéastes devant un public d’élèves sont réellement des co-auteurs et des avait parlé imprudemment autrefois exclus d’aujourd’hui qui auraient le de l’école sur Histoire et fiction. On y interprètes » du film. de Communes à Alger, à Constantine droit de prendre la parole et d’exprimer parlait de la Controverse de Valladolid, en avril 1871 : ce n’étaient en réalité que le problème, à charge, à peine bien en- fiction si réussie que plusieurs appren- Watkins met en scène des Algériens ac- de courtes rébellions de colons républi- tendu d’être contestés et contredits ? tis historiens croient à sa « réalité » ; du tifs dans cette histoire. Selon une forte cains, hostiles aux partisans de la poli- (…) Retour de Martin Guerre, qui, associant probabilité, il n’y en a pas eu, sauf une tique arabe des bureaux militaires de Un dernier mot sur la mise en forme, la pour l’écriture du scénario l’éminente exception, peut-être, aux côtés des Com- l’Empire qui ménageaient trop à leurs « monstration », la « représentance » ci- historienne Nathalie Zemon Davis et munards, bons partisans républicains yeux les intérêts des indigènes. Mais nématographique. Le film n’est pas une Jean-Claude Carrière, aurait pu être de la politique coloniale, tout autant avant toute chose, Watkins y voit la for- « reconstitution ». Si l’ordre chronologi- l’occasion de traiter ce problème que qu’ils étaient fort peu féministes. Déra- te possibilité de rapprocher, de compa- que dont ne peut se passer l’historien j’essaie d’évoquer ici. J’y ai trouvé inté- page ? Si l’on veut. Mais on a là aussi bien rer des exclusions, d’en faire vraiment est respecté, les faits se présentent sous rêt, mais en aucune façon d’analyse qui une information historique inatten- saisir le sens. Les mots seuls, on le sent la forme de récits multiples, de prises me convainque quant aux rapports en- due : le rappel de l’insurrection kabyle bien ici, les meilleurs discours, quel que de vues fragmentaires, parfois contra- tre Histoire et « réalisation » (cette fois je de El Mokrani, Elle débute très exacte- soit le talent de l’historien dont ils sont dictoires. Mais cela parvient à faire une mets des guillemets) cinématographi- ment le 16 mars 1871 (et la Commune l’unique moyen d’expression, n’y peu- remarquable unité. C’est un procédé que. Mon approche était tout autre que le 18) ; elle a touché un tiers au moins vent suffire. typique d’historien que de multiplier celle des participants à ce débat que je du territoire algérien et ne s’achèvera, les regards pour obtenir, difficilement, voyais, pour leur travail propre, « se ser- elle, que le 20 janvier 1872. Combats J’oserai risquer une remarque qu’on une vue d’ensemble. Quel immense vir » volontiers de l’histoire. Je n’ai pas et répression ont fait des dizaines de pourra trouver impertinente. L’histoire avantage enfin que celui du cinéaste aperçu en revanche en quoi vraiment milliers de victimes algériennes (on dit dominante est, on le sait aujourd’hui, quand il s’agit de représenter une foule, ils la servaient, autrement que dans le 60 000). Ses chefs sont condamnés à la mais les historiens ont mis bien long- une insurrection, la violence populaire : but d’en faire un objet distrayant, ce déportation en Nouvelle-Calédonie, où temps à reconnaître – l’histoire des ce que l’historien ne parviendra jamais qu’elle ne saurait être seulement, en ils ont pu retrouver des communards. vainqueurs : peu sont ceux qui la trou- à faire que médiocrement avec ses pau- aucun cas. Peu d’historiens (et seulement depuis vaient partiale, ou précisément, ana- vres mots. 2000) ont fait ce parallèle. Il y a lieu à chronique. Ne serait-ce que pour se- *Jacques Rougerie est historien et a été maî- tout le moins d’y réfléchir, de rappeler couer un peu l’arbre de la connaissance, Je regardais encore il y a peu un débat tre de conférences à l’Université de Paris I. que Versailles avait au même moment pour faire l’histoire oubliée des vaincus de septembre 2 000, tenu à l’ École Nor- sur les bras deux guerres intérieures, condamné au silence des sources, pour- male Supérieure, qui rassemblait trois La Commune, repère historique

La guerre avec la Prusse et les états allemands vient de se terminer par une cui- sante défaite. L’armistice a été signé le 28 janvier 1871.

Paris, ville populaire, patriote, qui a proclamé la République le 4 septembre 1870, et qui vient de subir l’épreuve d’un siège de quatre mois, se refuse à accepter cette humiliation. Ville républicaine, elle refuse plus encore les résultats de l’élection d’une Assemblée nationale, le 8 février 1871, au sein de laquelle les députés roya- listes constituent une écrasante majorité. Leur programme à l’évidence est la res- tauration d’une royauté. Ils choisissent le très modéré Adolphe Thiers, comme président provisoire d’une République tout aussi provisoire.

La garde nationale parisienne s’est constituée au début du mois de mars en une Fédération, dirigée par un Comité central, qui se veut la « barrière inexorable éle- vée contre toute tentative de renverser la République ». Le conflit est dès lors difficilement évitable entre l’Assemblée, qui siège à Ver- sailles et la capitale, qui menace de se constituer en « République autonome ».

Le 18 mars 1871, une maladroite tentative militaire de reprendre la ville rebelle échoue face à la résistance populaire. Le 26 mars, Paris élit une « Commune » ré- volutionnaire.

L’utopique aventure de Paris « ville libre » ne durera que soixante-treize jours. Elle se termine tragiquement : la féroce répression versaillaise de la Semaine san- glante, du 21 au 28 mai, fait au minimum de 15 à 20 000 morts.

La république, très modérée, ne s’établira en France qu’en 1878.