George Sand dans la fiction: représentations imaginaires d'un personnage littéraire

by

Andreina Romero Montiel Bachelor of Arts, Simon Fraser University 2005

THESIS SUBMITTED IN PARTIAL FULFILLMENT OF THE REQUIREMENTS FOR THE DEGREE OF

MASTER OF ARTS

In the Department of French

© Andreina Romero Montiel 2008 SIMON FRASER UNIVERSITY Summer 2008

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Name: Andreina Romero Montiel Degree: Master of Arts Title of Thesis: dans la fiction: représentations imaginaires d'un personnage littéraire.

Examining Committee: Chair: Dr. Christian Guilbault Assistant Professor, Department of French

Dr. Louise Frappier Senior Supervisor Assistant Professor, Department of French

Dr. Jacqueline Viswanathan Supervisor Professor Emerita, Department of French

Dr. Sasha Colby Extemal Examiner Assistant Professor, World Literature Program SFU Surrey

Date DefendedlApproved:

ii SIMON FRASER UNIVERSITY LIBRARY

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Simon Fraser University Library Burnaby, BC, Canada

Revised: Fall2007 Abstract

This thesis explores the representations of George Sand in four works of fiction:

the novels La Confession d'un enfant du siècle (1836) by and Elle et

Lui (1859) by George Sand, and the films Impromptu (1991) by James Lapine and Les

Enfants du siècle (1999) by . In Musset's novel, Sand is a sacralized and

idealized maternaI figure, while in Sand's novel she is an independent woman and painter

idealized in her maternaI dimension. In Impromptu, Sand's masculinity and eccentricity

are emphasized to make a portrait of the romantic artist that reflects a 20lh century vision of a modern artist and mother. Les Enfants du siècle proposes a romantic vision of the

feminine character and makes the writer into an icon of French femininity. This thesis studies the changes and transformations that the character experiences in each representation in relation to the social and cultural context.

Keywords: George Sand; Alfred de Musset; Autobiographical Novel ; Romanticism ; Representation of Feminine Character; Heritage film

Subject Terms: Sand, George; Musset, Alfred de ; Romanticism - France; Authors, French -- 19th century - Biography ; Historical films; Authors in motion pictures

III Résumé

Ce mémoire explore les représentations de George Sand dans quatre œuvres de fiction: les romans La Confession d'un enfant du siècle (1836) d'Alfred de Musset et Elle et Lui (1859) de George Sand, et les films Impromptu (1991) de James Lapine et Les

Enfants du siècle (1999) de Diane Kurys. Dans La Confession, Sand est une figure maternelle sacralisée et idéalisée; dans Elle et Lui elle est une femme peintre indépendante idéalisée dans sa dimension maternelle. Dans Impromptu, l'emphase est mise sur la masculinité et l'excentricité de Sand pour faire un portrait de l'artiste romantique qui reflète une vision du XXe siècle de l'artiste et de la mère. Les Enfants du siècle propose une vision romantique du personnage féminin et fait de l'écrivaine une icône de la féminité française. Ce mémoire étudie les transformations que subit le personnage dans chaque représentation en rapport avec le contexte social et culturel.

Mots clés: George Sand; Alfred de Musset; roman autobiographique; Romantisme; représentation du personnage féminin; film d'héritage

Sujets: Sand, George; Musset, Alfred de ; Romantisme - France; écrivains français - XIXe siècle - biographie; films historiques; écrivains au cinéma

iv A mis padres y a mis hermanos, que me han apoyado incondicionalmente a 10 largo de mis estudios. Y a Sebastitin, mi esposo, quien acept6 compartir nuestro hogar con George Sand durante los largos meses de redacci6n de ésta tesis.

v Remerciements

Je voudrais remercier tout d'abord le Dr. Louise Frappier, sans qui cette étude serait encore en forme de projet. Sa passion pour la recherche, son don pour l'analyse, ainsi que son énergie inépuisable, m'ont profondément inspirée et aidée tout au long de la rédaction de cette thèse. Je tiens aussi à exprimer ma reconnaissance au Dr. Jacqueline Viswanathan, de qui j'ai énormément apprécié les commentaires et discussions sur les films étudiés. Je dois également remercier le Dr. Viswanathan de m'avoir encouragée à continuer mes études sur le cinéma et la littérature à travers cette recherche. Je serais aussi toujours reconnaissante du support financier que j'ai reçu du département de français et du French Memorial Scholarship. l'aimerais aussi remercier le Dr. Sasha Colby, mon examinatrice externe et le Dr. Luc Bonenfant, qui m'a introduite aux œuvres étudiées dans ce mémoire. Je remercie également les professeurs du département de français pour leur encouragement et leur support. Finalement, je tiens à remercier mon mari Sebastian Lavigna et ma famille pour leur soutien moral et leur encouragement constant tout au long de mes études et de la réalisation de ma maîtrise.

vi Table de matières

Approval ii Abstract iii Résumé iv Dédicace v Remerciements vi Table de matières vii Introduction 1

Chapitre 1 ç..Q La Confession d'un enfant du siècle: l'héroïne romantique 16 La Confession: un autel littéraire 18 Entre l'ange et la femme réelle: la sacralisation et l'idéalisation de la bien-aimée 24 La figure idéalisée de la mère 32 La multitude de visages de la femme réelle 36

Chapitre 2 ç..Q Elle et Lui: la « fictionalisation du moi» 43 La femme artiste et indépendante: le refus de la sacralisation ..46 Thérèse et la maternité idéalisée 52 Le dialogue avec le romantisme: une nouvelle conception de l'artiste et de l'art 59

Chapitre 3 ç..Q Impromptu: George Sand, artiste romantique 67 Une comédie « d'héritage » 70 L'artiste romantique au masculin 75 Sand et la nature 76 Le mal du siècle 78 La musique et la quête du sublime 80 Sand écrivaine 84 L'amour et la maternité 85 Les éléments de la légende 90

Chapitre 4 ç..Q Les Enfants du siècle: un éloge du romantisme à l'écran 99 Sand et Musset: les enfants du siècle 106 Sand écrivaine: l'écriture et la libération de la femme 108 Sand amoureuse: l'héroïne romantique à l'écran 114 Conclusion 127 Bibliographie 136

vii Introduction

George Sand, écrivaine extrêmement prolifique, a écrit plus de 90 romans, de même que de nombreux articles dans les journaux. Elle a aussi soutenu une longue correspondance (plus de 25 volumes) avec plusieurs personnages célèbres du monde littéraire du XIXe siècle!. Bien qu'elle ait été une écrivaine respectée, célébrée et reconnue à son époque, ce sont surtout les représentations et les images entourant le « personnage légendaire2 » de George Sand, et non ses romans, qui restent aujourd'hui dans l'imaginaire du public. Avec ses cigares, ses habits d'homme, sa tumultueuse vie amoureuse et son grand succès comme écrivaine, George Sand reste une personnalité fascinante du romantisme français. Cette conception de Sand comme «personnage » apparaît dès son vivant. Non seulement la presse de son époque a souvent relaté et

3 commenté des anecdotes sur sa vie , mais l'écrivaine a aussi été la matière d'œuvres littéraires depuis le XIXe siècle. En particulier, la période de sa liaison amoureuse avec

Alfred de Musset a été dès le début d'un grand intérêt littéraire pour les protagonistes ainsi que pour le public. En effet, quelques mois à peine après leur première rupture,

Musset déclare à Sand son désir d'écrire « leur histoire4 ». Ainsi, lorsqu'en 1836, Musset publie La Confession d'un enfant du siècle, roman qui décrit la relation condamnée de

Brigitte et d'Octave, elle est reçue par la critique et le public comme la version fictive de

IBéatrice Didier, George Sand écrivain: « Un grandfleuve d'Amérique », , PU de France, 1998, p. 2. 2 Isabelle Hoog Naginski, George Sand: l'écriture ou la vie, Paris, Honoré Champion Éditeur, 1999, p. 16. 3 Ibid., p. 16. 4 Alfred de Musset, « Lettre à George Sand, 30 avril 1834 », dans Félix Decori (éd.), Correspondance de George Sand et d'Alfred de Musset, Bruxelles, E. Deman, 1904, p. 56. sa relation amoureuse avec Sand et leur aventure à Venise. Un extrait d'une lettre que

Musset écrit à sa nouvelle amante, Mme Jaubert, après la publication de son roman, est un indice que le public commence à se poser des questions sur les éléments autobiographiques dans La Confession: « la Confession est vraie. Mme Pierson [...] est

e G[eorge] S[and] en personne jusqu'à la moitié du 2 vols ». De la même façon, dans une lettre à , Musset médite sur la nature autobiographique de son roman:

Ces sortes d'ouvrages [...] sont en dehors de l'art [...] il me semble pas assez vrais pour des mémoires à beaucoup près, et pas assez faux pour des romans; le lecteur doit chercher en vain l'attrait d'une réalité qui lui échappe à chaque instant, tandis que le pauvre auteur, tout nu derrière un manteau troué en mille endroits, sent la critique au vif et reçoit les 6 estocades, précisément là où il se découvre .

Le, lien entre la réalité et la fiction s'affirme un peu plus à la publication, 23 ans plus tard, d'Elle et Lui par Sand. Ce roman raconte la relation amoureuse entre deux peintres,

Thérèse et Laurent, mais l'histoire reprend la relation entre Sand et Musset. Ce lien entre la réalité et la fiction a été fait, par le public, non seulement à travers le relevé des similarités entre ce roman et celui de Musset, mais aussi parce que la publication d'Elle et

Lui a suscité un vrai scandale littéraire: la même année de la parution du roman de Sand, au moins trois romans apparaissent en forme de réponse par des personnes intéressées à soigner la réputation de Musset ou de Sand: Lui et Elle de Paul de Musset (1859), Lui de

Louise Colet (1859), et Eux de Gaston Lavalley (1859)7. La publication de ces romans, qui reprennent tous l'histoire de la liaison Musset-Sand, contribue donc à la création de nouvelles représentations de l'écrivaine dans sa relation amoureuse avec le poète. Ainsi,

5 Alfred de Musset, lettre 36-8, février ou mars 1836, dans Marie Cordroc'h, Roger Pierrot, Loic Chotard, (éd.), Correspondance d'Alfred de Musset Tome 1 1826/1839, Paris, PU de France, 1985, p.176. 6 Alfred de Musset, lettre 36-13, 20 juin 1836, ibid., p. 184. 7 Paul Bénichou, L'École du désenchantement: Sainte-Beuve, Nodier, Musset, Nerval, Gautier, Paris, Gallimard, 1992, p. 187.

2 dans une lettre de George Sand à Paul de Musset, frère aîné d'Alfred, celle-ci doit justifier le portrait qu'elle a fait de son ancien amant dans Elle et Lui, face aux accusations de la presse et de Paul de Musset lui-même:

En quelle page du roman, [...] l'auteur a-t-il rabaissé, avili ou calomnié le héros? Dans ce roman tous les caractères sont poétisés et surtout celui-là, qui reste sur son piédestal, dans le trouble et la tempête, il est vrai, mais toujours dans les rayons du génie et jamais dans la boue ni même dans la 8 poussière de son chemin .

La réception du roman a été si scandaleuse que Sand croit nécessaire la publication de sa correspondance avec Musset pour justifier sa version des événements. Sand avait demandé l'avis de Sainte-Beuve, son ami depuis de longues années, qui lui avait

9 conseillé de ne pas les publier • Dans une lettre, datée du 20 janvier 1861, Sand écrit à

Sainte-Beuve:

Mon ami, c'est un grand service que je vous demande. TI s'agit d'un grand conseil à me donner. [...] J'ai fait un roman intitulé Elle et Lui [...] qu'il faudrait que vous prissiez la peine de parcourir. C'est une histoire vraie au fond, une histoire que vous savez, et qui avait été si arrangée par certaines gens, que j'ai èru devoir lui restituer ce que la réalité des sentiments avait d'essentiel, tout en déguisant assez bien les faits et les personnages pour lO que nul n'eût le droit de s'en plaindre •

Or, même si Sand prend soin de « déguiser» les faits et les personnages de son roman, le public et la critique le reçoivent comme un récit autobiographique. Ainsi, dès le début, les personnages de Brigitte dans La Confession d'un enfant du siècle et de Thérèse dans

Elle et Lui sont considérés comme des représentations de George Sand, l'écrivaine.

8 George Sand, lettre du 2 avril 1859, dans Georges Lubin (éd.), Correspondance de George Sand, tome XV, Paris, Garnier Frères, 1981, p. 378. L'emphase est de Sand. 9 Joseph Barry, lnfamous Woman, New York, Doubleday, 1977, p. 326. 10 George Sand, lettre du 20 janvier 1861, dans Georges Lubin (éd.), Correspondance de George Sand, tome XVI, Paris, Garnier Frères, 1981, p. 243.

3 Par la suite, vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle, les représentations de

Sand s'accumulent dans d'autres ouvrages, récits ou biographies, inspirés de la vie de

Sand et de l'épisode de Venise: La Véritable Histoire d'Elle et Lui du Vicomte de

Spoelberch de Lovenjou (1897), Les Amants de Venise (1902) de Charles Maurras, et Le

Secret de l'aventure vénitienne (1938) d'Antoine Adam constituent de nouvelles versions

ll de l'histoire . TI faut aussi mentionner la Correspondance de George Sand et d'Alfred de

Musset publiée par Félix Decori (1904) et la Correspondance de George Sand, éditée par

e Georges Lubin (1964-1991)12. Au XX siècle également, les études critiques sur la vie et

13 l'œuvre de Sand se multiplient, surtout à partir des années 80 . De plus, dès l'arrivée du cinéma au début du XXe siècle, George Sand devient aussi la matière d'un bon nombre d'ouvrages cinématographiques. Ainsi, que ce soit par l'entremise de documentaires, d'adaptations de ses romans ou de films biographiques, les réalisateurs au XXe siècle ont cherché à représenter la vie ou l'œuvre de George Sand de plusieurs façons. Parmi une filmographie étendue dédiée à George Sand à partir des années 20 jusqu'à la fin du XXe siècle, nous remarquons aussi que les films qui racontent sa vie, documentaires ou fictions biographiques, sont plus nombreux que les adaptations de ses romans.

Ainsi, l'intérêt des réalisateurs pour la vie de George Sand se manifeste le long du xxe siècle, et dans les années 90, deux films importants sur George Sand sont sortis en salle en Europe et en Amérique du Nord. Impromptu (1991) du réalisateur James Lapine

Il Paul Bénichou, op. cir., p.196.

12 Georges Lubin, Correspondance de George Sand, Paris, Garnier Frères, 1964. Lubin observe que plusieurs lettres de Sand ont été publiées de son vivant, mais il cite l'édition de Félix Decori en 1904 comme la première à réunir la correspondance entre Sand et Musset. 13 Quoiqu'il s'agisse, dans la plupart de cas, de biographies et d'études critiques et non d'œuvres de fiction, leur effet est aussi de produire une multitude de « visages» de l'écrivaine : «Cette surabondance, on ne peut que s'en réjouir [...] mais elle risque aussi de devenir à son tour un écran. Comment saisir George Sand derrière une telle multiplicité d'interprétations? ». Béatrice Didier, op. cit., p. 6.

4 et Les Enfants du siècle (1999) de Diane Kurys mettent en scène des moments importants de la vie de l'écrivaine : Les Enfants du siècle montre ses débuts littéraires et sa relation avec Alfred de Musset, alors qu'Impromptu exploite sa relation avec Frédéric Chopin. En

2002, le film Chopin: Desire for Love, par le réalisateur polonais Jerzy Antczak, a repris l'histoire de la liaison de Sand et de Chopin, cette fois-ci, du point de vue du

4 compositeurl .

Or, malgré la prolifération des travaux et des études sur George Sand depuis les années 70 et 80, ceux portant sur la relation entre les représentations de George Sand au cinéma et les romans autobiographiques sont peu nombreux. Plus spécifiquement, les

études sur la représentation de George Sand au cinéma ou sur l'adaptation de ses œuvres au cinéma sont presque inexistantes. Une thèse de doctorat portant sur les romans autobiographiques et biographiques qui ont été inspirés par la relation de Musset et de

Sand a été publiée en 2003. Dans son étude, Anne-Dominique Ollivier explore la façon dont cette histoire est devenue un « mythe littéraire» français, repris et exploité dans le film Les Enfants du siècle de Diane Kurys 15. Plus récemment, Anne-Marie Baron a fait l'analyse de deux films portant sur la vie de Sand (La Note bleue, 1997, et Les Enfants du siècle), dans un article sur les textes autobiographiques de l'écrivaine et la représentation de sa vie au cinémal6. De plus, même si les études critiques sur l'œuvre de George Sand se sont multipliées depuis les dernières trente années, le roman Elle et Lui n'a souvent été

14 Ce film n'est pas sorti en salles en Amérique du Nord, mais il est disponible en format DVD depuis 2004. Quoique le film mette en scène un des portraits les plus récents de la romancière, cette œuvre demeure moins connue et moins accessible que les films de Lapine et de Kurys. Une liste complète des films sur George Sand est disponible à l'adresse suivante: www.georgesand.culture.fr 15 Anne-Dominique Ollivier, George Sand et Alfred de Musset: Grandeur et décadence d'un mythe littéraire, Brest, Université de Bretagne Occidentale, 2003. 16 Anne-Marie Baron, «George Sand au cinéma. De l'autobiographie à la biographie filmée », dans Les Héritages de George Sand aux XIX' et xX' siècles: Les Arts et la politique, Tokyo, PU de Keio, 2006.

5 analysé que dans le cadre d'études dédiées à la relation amoureuse et littéraire de Sand et

Musset. Le roman lui-même reste, en général, aux marges de la plupart des études sur

17 l'œuvre de George Sand •

Nous voulons, dans le cadre de ce mémoire, nous pencher sur l'évolution de la représentation du personnage de Sand dans des œuvres de fiction du XIXe et du XXe siècle. Le nombre d'ouvrages, films et textes littéraires variés, qui ont tâché de représenter des épisodes particuliers de la vie de George Sand étant considérable, nous limiterons notre étude au corpus suivant: les romans La Confession d'un enfant du siècle d'Alfred de Musset et Elle et Lui de George Sand, et les films Impromptu de James

Lapine et Les Enfants du siècle de Diane Kurys. Nous avons choisi d'étudier les romans

La Confession d'un enfant du siècle de Musset et Elle et Lui de Sand car ils constituent des témoignages des protagonistes de cette histoire amoureuse, mais aussi parce que l'intérêt personnel de représentation y joue un rôle important. Ce désir d'autoreprésentation chez Musset et Sand devient encore plus intéressant quand la création du personnage féminin des romans doit se conjuguer avec l'esthétique romantique du XIXe siècle. En ce qui concerne les films Impromptu et Les Enfants du siècle, ces derniers sont parmi les plus récents à mettre en scène des épisodes de la vie de

George Sand. Mettant en vedette des acteurs anglais et français connus et respectés, et profitant de la popularité du genre des films d'héritage des années 80 et 90, les films de

Lapine et de Kurys offrent des représentations de George Sand ayant comme cible un public plus étendu, par opposition à un public académique ou littéraire.

17 Alexandra Wettlaufer, « Sand, Musset and the Empire of Genius: Painting Difference in Elle et Lui », dans Anne E. McCall-Saint-Saëns (dir.), George Sand et l'Empire des lettres, New Orleans, PU du Nouveau Monde, 2004, p. 167.

6 Il s'agira ainsi d'examiner, dans ces quatre œuvres, la permanence ou la transformation de la représentation du personnage de Sand. Notre hypothèse est que la représentation du personnage de Sand dans ces œuvres est liée aux contextes esthétiques et sociaux des sociétés qui les ont produites. Cette comparaison entre les textes littéraires du XIXe siècle et les films du XXe siècle nous permettra donc de tracer une histoire des changements et transformations du personnage à travers le temps. Notre désir n'est pas de séparer la fiction de la réalité, ou d'établir une biographie «vraie» de George Sand. Nous voudrions plutôt nous pencher sur quelques représentations que le personnage réel a inspirées et sur ce que ces représentations révèlent des contextes esthétiques et sociaux qui les ont produites.

***

Dans le cas des romans de Musset et de Sand, le fait d'écrire et de publier un texte autobiographique témoigne aussi du désir de faire un portrait particulier de soi-même qui soit reçu et accepté par le public. Dans Est-il je? Roman autobiographique et autofiction,

Philippe Gasparini indique que le roman autobiographique «mélange deux codes incompatibles, le roman étant fictionnel et l'autobiographie étant référentielle» ; ainsi, ce type de textes «échappe aux critères de jugement applicables aux genres établis ». Par conséquent, «le roman autobiographique avance masqué, sans s'annoncer. Son statut générique ne peut être établi qu'a posteriori, à l'issue d'un processus aléatoire de lecture et d'interprétationl8 ». Gasparini explique que:

Le roman autobiographique va se définir par sa politique ambiguë d'identification du héros avec l'auteur: le texte suggère de les confondre, soutient la vraisemblance de ce parallèle, mais il distribue également des

18 Philippe Gasparini, Est-il je? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Seuil, 2004, p.lO.

7 indices de fictionnalité. L'attribution à un roman d'une dimension autobiographique est donc le fruit d'une hypothèse herméneutique, le résultat d'un acte de lecture. Les éléments dont dispose le lecteur pour avancer cette hypothèse ne se situent pas seulement dans le texte, mais aussi dans le péritexte, qui entoure le texte, et dans l'épitexte, c'est-à-dire, l9 les informations glanées par ailleurs .

La Confession d'un enfant du siècle et Elle et Lui restent dans cet univers ambigu de mi- réalité, mi-fiction et c'est à travers les péritextes et les épitextes qu'ils en viennent à être reconnus comme des romans autobiographiques. Comme nous l'avons déjà mentionné, la

Correspondance de Sand et de Musset révèle que Musset avait, dès leur première rupture, manifesté le désir d'écrire leur histoire, ce qu'il fait dans La Confession d'un enfant du siècle. De plus, l'utilisation du mot « confession» pourrait être un autre indice de l'intention autobiographique de Musset: «l'emploi du terme 'confession' [...] renvoie au discours du pénitent dont le destinateur est d'abord Dieu, qui en garantit la sincérité20 ». Ainsi, les rumeurs qui circulent dans les cercles littéraires de Paris et chez les lecteurs plus au moins avertis sur la rupture de Sand et de Musset, se voient confirmées, en partie, par le choix du titre du roman de Musset, qui contribue à la réception du roman comme étant autobiographique.

Dans le cas du roman de Sand, l'utilisation du titre Elle et Lui voile l'identité des amoureux du roman en même temps qu'il suscite l'envie chez le lecteur de découvrir cette identité. Mais ce sont surtout les textes qui ont suivi la publication du roman de

Sand, et qui ont repris les étapes de la relation amoureuse de Sand et de Musset sous plusieurs noms différents, qui ont facilité chez la critique et le public la reconnaissance

19 Ibid., p. 32. 20 Ibid., p. 66. Rappelons-nous que Rousseau écrit ses Confessions à la fin du XVIIIe siècle, et que cette œuvre est considérée comme étant le premier récit autobiographique de la littérature française. Le terme « confession» renvoie également aux Confessions de Saint-Augustin, ouvrage aussi bien connu des romantiques.

8 d'un référent réel dans les histoires. Or, nous verrons que, même si dans les deux romans la construction de l'héroïne a répondu à un intérêt personnel de représentation, les portraits de l'écrivaine s'inscrivent néanmoins dans un modèle romantique du personnage féminin.

Les films, quant à eux, tout en montrant une femme du XIXe siècle, imposent des valeurs du XXe siècle sur le personnage de Sand : elle est une femme épanouie à la fois au niveau professionnel (elle a du génie, elle est respectée et ses romans sont populaires) et au niveau personnel; elle est une mère accomplie, capable d'aimer, de soigner, de protéger et d'avoir une vie amoureuse passionnée. Par conséquent, les films confèrent à la quête amoureuse et intellectuelle du personnage de George Sand, une vision de la

e e femme qui est plus proche du XX siècle que du XIX , surtout en ce qui concerne le statut de la femme artiste. Or, tout comme les romans de Musset et de Sand mettent en évidence deux visions particulières du personnage féminin, les films de Lapine et de Kurys abordent la représentation de l'écrivaine de façon très différente.

Impromptu, fait à partir d'un scénario de Sarah Kernochan, est une comédie à l'esprit vif qui décrit le début de la relation amoureuse entre Sand et Chopin. Le film montre aussi le cercle artistique et intellectuel auquel appartenait Sand. Dans ce film, l'image de George Sand « artiste romantique» est exploitée au maximum. Le film met en scène une Sand habillée en homme, faisant de l'équitation et poursuivant un Chopin délicat et un peu féminisé. Pourtant, l'œuvre montre aussi le génie de Sand ainsi que la force de ses idées, de son écriture et de son pouvoir de séduction. Les Enfants du siècle, fait à partir d'un scénario de Diane Kurys et de Murray Head, décrit la relation entre Sand et Musset, notamment l'épisode de Venise et le triangle amoureux qui s'est formé entre

9 Sand, Musset et le docteur Pagello, qui a soigné Sand et Musset quand ils étaient malades en Italie. Ce film, en plus d'exploiter l'histoire de la liaison Musset-Sand, présente aussi un portrait de l'écrivaine qui met l'emphase sur sa féminité et sa sensualité.

***

Notre approche, dans l'analyse des œuvres étudiées, sera principalement narratologique et thématique. Les portraits du personnage dans les romans La Confession d'un enfant du siècle et Elle et Lui, doivent être vus à travers le cadre de l'esthétique romantique du XIXe siècle tandis que la représentation de George Sand dans les films témoigne de la lecture que les réalisateurs du XXe siècle font des textes romantiques. Or, nous verrons que.la différence entre le medium littéraire et le medium cinématographique nous mènera, également, à utiliser des méthodes d'analyse distinctes dans les chapitres sur les romans et les chapitres sur les films. Ainsi, les études sur l'esthétique romantique seront le cadre théorique à partir desquels nous analyserons les romans du XIXe siècle.

En ce qui concerne l'analyse des films, nous utiliserons les théories sur le film historique ou « d'héritage », ainsi que sur l'analyse cinématographique.

Dans Lire le Romantisme, Bony met en lumière l'importance de l'idéal féminin chez le personnage masculin romantique et il explique comment l'artiste romantique, et par conséquent l'esthétique romantique, est caractérisé par ses contradictions:

Écrivains et artistes romantiques ont cherché leur inspiration dans des directions apparemment opposées: amants de la nature, ils se font volontiers peintres des «villes énormes »; attachés au réel [...] ils cultivent aussi les délires du fantastique [...] farouchement individualistes, ils rêvent de sociétés nouvelles; amoureux de la beauté, [...] ils sont fascinés par la laideur, l'horreur, la décomposition. Bien des héros

10 témoignent de ces contradictions qUi sont pour eux déchirement 21 intérieur •

Dans La Confession d'un enfant du siècle et Elle et Lui, le personnage masculin, épigone de Musset dans les deux romans, incarne le héros romantique par excellence: Octave dans La Confession et Laurent dans Elle et Lui, se débattent entre deux forces contradictoires de leur personnalité. lis passent de la lumière à l'ombre, du génie à la folie, de l'amour à la haine, de l'inspiration artistique la plus intense au dédain complet du travail. Dans le deuxième chapitre de La Confession, Musset exprime clairement la cause de ce sentiment: «tout ce qui était n'est plus; tout ce qui sera n'est pas encore. Ne

22 cherchez pas ailleurs le secret de nos maux ». Pour les romantiques, la femme et l'amour sont le seul remède capable de guérir ce malaise, leur mal du siècle: « au milieu

23 de l'effondrement des idéaux, l'amour représente le dernier refuge possible ». Par conséquent, dans le désir de guérir leurs maux et dans leur vision de l'amour comme seul salut, les romantiques vont créer une image idéalisée de la femme. En effet, la quête « de la femme parfaite, et de l'idéal féminin », est un thème important de la littérature

24 romantique • L'échec de l'histoire amoureuse tel que présenté dans La Confession d'un enfant du siècle et Elle et Lui est aussi le reflet de ce malaise, car les romantiques ont

également une conception idéalisée de l'amour. Quand Musset rencontre George Sand en

1833, sa philosophie sentimentale est déjà en place: «culte de l'Amour, innocence et corruption, Femme ennemie, tentation de fraternité avec le rival, mensonge universel, déchéance et velléité de salut. Tout cela s'est trouvé intensifié, et pour ainsi mis en forme

21 Jacques Bony, Lire le Romantisme, Paris, Dunod, 1992, p.vi. 22 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, Paris, Flammarion, 1993, p. 42. 23 Jacques Bony, op. cit., p.26. 24 Gilles Castagnès, Les Femmes et l'esthétique de la féminité dans l'œuvre d'Alfred de Musset, Berne, Peter Lang, 2004, p. 212-213.

Il superbement dans son aventure avec George Sand25 ». Dans La Confession d'un enfant

du siècle, Musset met en place les éléments de sa vision particulière de la relation

amoureuse, qu'il retrouve presque un par un dans sa relation réelle avec George Sand et

l'aventure à Venise. Musset «exalte» et «idéalise» George Sand à travers le personnage de Brigitte car, comme nous le verrons, son roman représente la dimension

26 idéalisée et « sublime» de l'histoire de leur liaison . La construction du personnage de

Brigitte-Sand est donc très influencée par cette vision préconçue que Musset a du rôle de la femme dans la relation amoureuse, ainsi que par la quête romantique d'un idéal féminin, qui, comme l'explique Michel Brix, prendra souvent la forme d'une figure

27 matemelle •

Dans une étude dédiée aux héroïnes romantiques créées par les femmes écrivaines du XIXe siècle, Chantal Bertrand-Jennings offre une comparaison entre les personnages masculins et féminins de la littérature romantique. Tout comme Bony, Bertrand-Jennings voit le mal du siècle comme la caractéristique principale du personnage et du héros romantique, mais elle voit une différence chez les personnages féminins créées par des femmes: si les personnages féminins souffrent aussi d'un mal de siècle, celui-ci n'est pas causé par le déchirement intérieur qui touche les jeunes héros romantiques; il est la

e 28 conséquence de la situation sociale qui entoure les femmes du XIX siècle •

Dans Elle et Lui, George Sand présente non seulement un personnage masculin qui souffre du mal de siècle, elle crée aussi un personnage féminin qui se rapproche de

25 Paul Bénichou, op. cit., p.188 26 Ibid., p. 196. 27 Michel Brix, Éros et littérature: Le discours amoureux en France au XIX" siècle, Louvain, Peeters, 2001, p.109. 28 Chantal Bertrand-Jennings, Un autre mal du siècle: le romantisme des romancières 1800-1846., Toulouse, PU du Mirail, 2005, p. 167.

12 l'idéal envisagé par Musset et les romantiques. Or, dans son roman, elle donne également

à son héroïne la dimension d'artiste. Si dans sa relation avec Laurent (qui est peintre aussi) elle exprime une vision idéalisée et romantique de la relation amoureuse, elle cherche aussi à mettre en lumière le statut de la femme, en particulier de la femme artiste, dans la société du XIXe siècle. Ainsi, la définition du mal du siècle que donne Bertrand-

Jennings nous aidera dans l'analyse des personnages romantiques masculins. Elle nous aidera également à déterminer si la maladie morale, et le désir d'idéalisation de l'être aimé qui en résulte, sont une caractéristique exclusive des héros romantiques masculins.

Au XXe siècle, le cinéma a été un lieu important de réflexion sur l'identité nationale, à travers non seulement une lecture spécifique des grands événements historiques et politiques, maIS aUSSI des personnages importants des mouvements artistiques et littéraires. Ainsi, les films Impromptu et Les Enfants du siècle appartiennent à une vague de films biographiques, historiques et «d'héritage» apparue dans les années 80 et 90 en Europe. La caractéristique principale de ce type de films est la recréation d'un passé français, anglais ou européen, à travers la représentation de la vie des personnalités de l'histoire, des événements marquants de l'histoire nationale ou à travers l'adaptation de romans considérés comme «classiques» dans la littérature du pays29. Dans Film/Literature/Heritage, Ginette Vincendeau explique que si le film historique existe déjà au début de l'histoire du cinéma, les films européens des années 80 et 90 possèdent un nouveau groupe de caractéristiques. Exemplifiant ce qu'elle appelle

«l'esthétique de musée30 », l'emphase de ces films passe du narratif au visuel. Ce

29 Carrie Tarr, Brigitte RoUet, Cinema and the Second Sex: Women 's Filmmaking in France in the 1980's and 1990's, New York, Continuum, 2001, p. 252. 30 Ginette Vicendeau, «Introduction », FilmlLiterature/Heritage, London, BPI, 2001, p. xi-xxxi.

13 déplacement est évident dans le désir de recréer, de façon très détaillée, les décors, les costumes ou l'architecture des époques représentées. Ainsi, en plus de nous aider à faire

e e le lien entre les textes romantiques du xrx siècle et les films du XX , les théories sur le film d'héritage nous permettront de voir si la représentation de George Sand dans les films contribue à la transformation de la légende du personnage ou simplement à son exploitation.

Or, si Lapine et Kurys ont profité de la popularité des films d'héritage dans leur choix de raconter des épisodes de la vie de Sand, ils ont aussi créé des représentations du personnage très différentes à travers leur utilisation particulière du langage cinématographique. Dans Le Langage du cinéma narratif, H.-Paul Chevrier explique l'importance de comprendre la spécificité du langage cinématographique et sa relation avec la perception que le spectateur a de l'histoire ou de la narration d'un film:

Dans un film, l'histoire (les événements et les personnages) s'avère conditionnée par la narration (le traitement de l'espace et du temps) qui est justement une utilisation particulière du langage cinématographique. Les raccords, les contrechamps, le montage alterné fournissent des consignes de lecture et balisent notre compréhension. La narration brise le déroulement chronologique de l'histoire, focalise l'attention sur tel personnage et manipule le savoir du spectateur par rapport à celui du 3 personnage !.

Ainsi, dans notre analyse des films, nous regarderons non seulement la fonction du personnage de George Sand dans la narration, mais aussi la façon dont le personnage est construit à travers l'utilisation des outils spécifiques au cinéma. Dans les films de Lapine et de Kurys, les types de plans, ainsi que le traitement de l'espace et de la musique, sont des aspects qui contribuent à la construction du personnage de Sand. De plus, si un

31 H.-Paul Chevrier, Le Langage du cinéma narratif, Québec, Les 400 coups, 2001, p. 13.

14 personnage cinématographique est «surtout déterminé par l'acteur qui l'interprète32 », le choix des actrices principales, et par conséquent, leur apparence et leur style de jeu, seront aussi des éléments que nous considérerons dans notre analyse.

Nous regarderons ainsi, de façon chronologique, les quatre représentations du personnage de l'écrivaine dans les deux romans et dans les deux films, ce qui nous permettra de mieux repérer l'évolution de ses changements et ses transformations.

32 Ibid., p. 94.

15 ro Chapitre 1 œ La Confession d'un enfant du siècle: l'héroïne romal1tique

16 En 1835, quand Alfred de Musset décide d'écrire l'histoire de sa liaison avec

George Sand, il ne pouvait pas imaginer que presque deux siècles plus tard, cette histoire d'amour continuerait à fasciner de nouvelles générations d'écrivains, de cinéastes, de chercheurs et de spécialistes du romantisme. Or, la relation amoureuse entre Sand et

Musset a été dès le début d'un grand intérêt littéraire pour les protagonistes ainsi que pour le public du XIXe siècle. Ainsi, la correspondance de Sand et Musset suite à leur rupture révèle que Musset décide très tôt de transformer l'histoire de leur liaison amoureuse en un roman et de faire un portrait de Sand qui honorerait son ancienne amante. Or, en écrivant La Confession d'un enfant du siècle, Musset ne s'est pas seulement inspiré de sa liaison avec Sand pour raconter celle d'Octave et de Brigitte, personnages qui représentent Sand et Musset dans le roman, mais le personnage de

Brigitte réunit à la fois des éléments de la vie et de la personnalité de George Sand et des

éléments des personnages féminins typiques de la littérature romantique. Ainsi, dans La

Confession d'un enfant du siècle, le personnage de Brigitte est d'une grande complexité: elle est à la fois pure et passionnée, simple et cultivée, gaie et résignée, et elle porte des habits d'homme de temps en temps. En plus de cette multiplicité de visages, Brigitte se transforme, comme le fait Octave, le long du roman. Si Octave va de la débauche à la rédemption, Brigitte passe de la gaieté et de la sérénité au désespoir et à la résignation.

À la suite de la trahison de sa première maîtresse, Octave souffre d'une terrible maladie morale---Ie mal du siècle--- et le rôle de Brigitte sera de tenter de le guérir de ce

17 3 mat3 • Or, au fur et à mesure que se développe la liaison entre les deux amants, Brigitte

semble, au contraire, succomber elle aussi à ce mal à cause de la jalousie presque

pathologique d'Octave. Dépendante de l'état d'esprit d'Octave, Brigitte est l'ange,

l'amante ou la mère. Parfois, elle assume aussi le rôle de l'amie parfaite et spirituelle, et

elle est masculinisée et infantilisée. Ces aspects du personnage s'entremêlent tour à tour

le long du roman, mais l'aspect religieux reste le fil conducteur. Grâce au sacrifice

symbolique de Brigitte, Octave retrouve sa foi en Dieu à la fin du roman. Nous

aborderons l'analyse du personnage dans trois grandes parties: l'idéalisation et la

sacralisation du personnage féminin, la dimension maternelle de la bien-aimée dans la

liaison amoureuse, et finalement, la multitude de visages de la femme réelle et

l'impossibilité de leur réconciliation. Or, parce qu'en écrivant La Confession d'un enfant du siècle Musset s'est inspiré de l'histoire de sa liaison amoureuse avec Sand, un bref aperçu des étapes de leur liaison ainsi que de la genèse du roman est utile.

La Confession : un autel littéraire

Sand et Musset se rencontrent pour la première fois en juin 1833, lors d'un dîner que Buloz offre à ses amis. Quelques semaines plus tard, en août, ils sont déjà amants.

Ils décident de partir pour l'Italie en décembre de la même année. Ce voyage, qui se termine quelque mois plus tard avec la rupture de Sand et Musset, hante les deux

écrivains; leur correspondance, ainsi que les deux romans autobiographiques qu'ils ont

écrits sur leur liaison, en sont la preuve. Musset est le premier à écrire un roman, La

33 Dans son livre Un Autre mal du siècle: le romantisme des romancières 1800-1846, Chantal Bertrand­ Jennings énumère les caractéristiques du mal du siècle, terme qu'elle considère polysémique: «Disposition maladive, inquiétude anxieuse, ennui incurable, désenchantement, mélancolie non motivée, exaltation de l'imagination qui débouche nécessairement sur une déception face à la réalité, absence de dynamisme et de fibre morale, haine de la société et désir hautain de se retrancher du monde, isolement, sentiment de l'absurdité de l'existence, anxiété métaphysique, destin fatal [...] ». Op. cit., p. 135.

18 Confession d'un enfant du siècle, publié le 1er février 1836. Mais la liaison entre Sand et

Musset fascine aussi un public avide qui, juste après la mort de Musset, suit le scandale causé par la publication d'Elle et Lui de Sand, Lui et Elle de Paul de Musset et Lui de

Louise Colet, romans tous également inspirés de la liaison de Sand et de Musset et de leur voyage à Venise.

Or, le séjour à Venise commence mal. À leur arrivée, le 1er janvier 1834, Sand est très malade. Mais, un jeune docteur italien, Pietro Pagello, est appelé et Sand guérit rapidement. De plus, dès leur arrivée à Venise, Sand accuse Musset d'infidélité et de débauche. Dans sa biographie de Musset, Frank Lestringant décrit leur séjour à Venise:

«George écrit dans les frissons de la fièvre, et Alfred s'amuse, gaspillant son énergie et

34 ses louis d'or dans des fêtes continuelles ». Musset tombe très malade à son tour, et le docteur Pagello est appelé de nouveau. Musset souffre, en plus de la fièvre,

35 d'hallucinations et d'accès de folie, et Sand veille le malade jour et nuit • Pagello réussit

à guérir la fièvre presque fatale de Musset, mais il devient aussi l'amant de George Sand.

36 Finalement, à peine guéri de sa grave maladie, Musset rentre seul à Paris • Après leur rupture à Venise, Sand et Musset retracent le cours de leur relation amoureuse à travers leur correspondance, qui devient aussi un lieu de transformation et de réinterprétation des

événements. À travers cette correspondance, Sand et Musset redécouvrent leur amour en l'idéalisant: plusieurs des thèmes que Musset exploite plus tard dans La Confession d'un enfant du siècle peuvent être repérés dans les lettres qu'ils ont échangées pendant cette

34 Frank Lestringant, Alfred de Musset, Paris, Flammarion, 1999, p. 209. 35 Ibid., p. 213-214.

36 Ibid., p. 234-235.

19 période. Dans l'une de ces lettres, datée du 30 avril 1834, Musset écrit à Sand qu'il

aimerait écrire «leur histoire» un jour:

Je m'en vais faire un roman. J'ai bien envie d'écrire notre histoire: il me semble que cela me guérirait et m'élèverait le cœur. Je voudrais te bâtir un 37 autel, fût-ce avec mes os ; mais j'attendrai ta permission formelle •

Le ton de ces lettres est celui d'un profond regret de la part de Musset et d'une profonde tristesse chez Sand. Ce qui se dégage des lettres de Musset est son aveu qu'il a été moins qu'un amant idéal et qu'il cherche un moyen d'honorer Sand. C'est aussi dans cette série de lettres que nous voyons se développer le thème de l'amour maternel, thème qu'il exploite aussi dans son roman: «Sois fière, mon grand et brave George, tu as fait un homme d'un enfant38 ». Déjà, bien avant l'aventure de Venise, dans une lettre non datée du début de leur amitié, Musset déclare son amour à Sand dans ces termes: «Adieu

George, je vous aime comme un enfant39 ». Dans une autre lettre datant d'après leur rupture, il lui dit «Pauvre George! Pauvre chère enfant! Tu t'étais trompée; tu t'es crue ma maîtresse, tu n'étais que ma mère; [...] c'est un inceste que nous commettions40 ». Il est intéressant de remarquer que Musset utilise aussi le mot «enfant» pour s'adresser à

Sand: cette ambiguïté est-elle une question de pouvoir entre les amants? C'est possible et leur correspondance met en évidence les différents rôles qu'ils ont assumés lors de leur relation. Quand Sand reprend le thème de l'inceste dans sa réponse à Musset, elle semble réfuter ses idées:

Que j'aie été ta maîtresse ou ta mère, peu importe. Que je t'aie inspiré de l'amour ou de l'amitié; que j'aie été heureuse ou malheureuse avec toi,

37 Alfred de Musset, « Lettre à George Sand, 30 avril 1834 », op. cif., p. 56. 38 Ibid., p. 51. 39 Alfred de Musset, « Lettre à George Sand, sans date », ibid., p. 16. 40 Alfred de Musset, « Lettre à George Sand, 4 avril 1834 », ibid., p. 25.

20 tout cela ne change rien à l'état de mon âme à présent. Je sais que je 41 t'aime et c'est tout •

Plus loin dans la même lettre, elle lui dit: « tu as raison, notre embrassement était un

inceste, mais nous ne le savions pas42 ».

Les lettres échangées entre Sand et Musset montrent la complexité de leurs sentiments mais aussi leur capacité de transformer leurs expériences personnelles en

43 textes littéraires • En effet, comme l'affirme Daniel Leuwers dans sa préface à La

Confession, «George Sand et Musset se sont moins écrit l'un à l'autre, qu'ils ne se sont adressés à leurs lecteurs futurs 44 ». A son retour, Musset découvre que «ces lecteurs futurs» sont déjà au courant des événements entourant son voyage à Venise et sa rupture avec Sand. Dans la lettre datée du 30 avril, Musset parle des rumeurs qui circulent à

Paris:

Je te dirai qu'on parle beaucoup de mon retour. [...] Quinze jours avant mon arrivée, tout le monde savait déjà que nous étions séparés. [...] Quoi qu'il en soit, j'ai peur qu'on croie que je n'ai voulu que me défendre du ridicule tout en te défendant du blâme. [...] TI m'est très indifférent qu'on se moque de moi mais il m'est odieux qu'on t'accuse avec toute cette histoire de maladie45.

Non seulement Musset veut « bâtir un autel» à Sand, mais il veut aussi la défendre contre tout blâme dans leur rupture. Dans la même lettre du 30 avril, il écrit à Sand:

41 George Sand, « Lettre à Alfred de Musset, 15-17 avril 1834 », ibid., p. 28. 42 Ibid., p. 30. 43 Sand écrit aussi une version de l'aventure à Venise avant même que Musset ne décide d'écrire son roman. Ce texte est une lettre qui deviendra la première des Lettres d'un voyageur. Dans cette Lettre d'un voyageur, un narrateur masculin, figure de George Sand, narre à son ami (et lui rappelle) l'histoire de sa maladie à Venise. Cette maladie serait le résultat d'une vie de débauche et la lettre trace le séjour spirituel de Musset. Sand envoie cette lettre à Musset, qui la donne ensuite à Buloz. Elle a paru dans la Revue des Deux Mondes le 15 mai 1834. Paul Bénichou, op. cit., p. 194, note 1.

44 Daniel Leuwers, « Préface », La Confession d'un enfant du siècle, Paris, Flammarion, 1993, p. 10. 45Alfred de Musset, « Lettre à George Sand, 30 avril 1834 », op. cit., p. 57.

21 Le mensonge, voilà ce que j'abhorre, ce qui me rend le plus défiant des hommes, peut-être le plus malheureux. Mais tu es aussi sincère que tu es noble et orgueilleuse. Voilà pourquoi je crois en toi et je te défendrai 46 contre le monde entier jusqu'à ce que je crève .

Une fois séparé de Sand, Musset se culpabilise de l'échec de la liaison. 11 accepte la trahison de Sand comme une punition et va au-delà de sa douleur pour glorifier et idéaliser son ancienne amante. 11 le fait non seulement dans les lettres qu'il lui adresse mais aussi à travers la création de son personnage féminin dans La Confession d'un enfant du siècle.

Paul Bénichou explique que pour Musset, La Confession « est, dans son esprit, le livre de George Sand salvatrice, ou du moins ardemment souhaitée et espérée telle; il est le témoignage de ce que fut, entre lui et elle, le sublime de leur amour47 ». En effet,

Musset présente l'histoire dans un cadre profondément religieux et la relation entre

Brigitte Pierson et Octave, s'établit autour d'une dynamique de sacrifice et de rédemption. Comme l'explique Jeanne Fuchs: «Musset was seeking notjust to unburden himself through his confession but also to transcend his experience by receiving absolution48 ». C'est ce désir de transcendance ou « d'absolution» qui peut expliquer son choix de la topique religieuse, car comme l'explique Fuchs, «it is rare to ascribe a religious interpretation to any of Musset's works [...] as a whole, his oeuvre rest

46 Ibid., p. 53-54. 47 Paul Bénichou, op. cit., p.196. 48 Jeanne Fuchs, « George Sand and Alfred de Musset: Absolution Through Art in La Confession d'un enfant du siècle », dans Natalie Datlof, Jeanne Fuchs et David A. Powell (dir.), The World ofGeorge Sand, New York, Greenwood Press, 1991, p. 210.

22 comfortably in the profane categor/9 ». De la même façon, Bénichou signale que l'œuvre poétique de Musset est marquée, en général, par l'absence d'une «pensée chrétienne [...] ou religieuseSo ». Il explique plus loin que, pour Musset « aucune autre valeur ni humaine ni religieuse ne prévaut [...] sur l'amourS] ». Le choix de Musset de raconter l'histoire de sa liaison avec Sand dans un cadre religieux est donc très délibéré et s'inscrit dans son projet de «bâtir un autel» littéraire à son ancienne amante.

L'ambiguïté des rapports entre les amants que l'on observe dans la correspondance entre Sand et Musset, est évidente aussi dans les portraits des personnages d'Octave et de Brigitte. Le personnage de Brigitte reflète les différents visages de Sand que Musset découvre lors de leur liaison, et elle devient le personnage catalyseur de la transformation ou de la transcendance d'Octave. Chez Brigitte, Musset tente de réunir les différents éléments qu'il cherche chez la femme---et auxquels il avait eu accès dans sa liaison avec Sand (qui se prête à tous ces rôles) ---ce qui résulte en un personnage idéalisé: elle doit être à la fois mère et amante, sœur et amie. Dans sa quête de cette femme idéalisée, Musset entre aisément dans un courant très commun de la littérature romantique, qui privilégie la diversité des personnages féminins, mais qui semble néanmoins osciller principalement entre les deux opposés de «l'ange inaccessible» et de la « courtisaneS2 ».

49 Elle explique aussi la signification du choix du mot « confession» par Musset: «The word 'confession' in the title serves to underscore the religious framework within which Musset chose to tell his tale. [...] La Confession d'un enfant du siècle reveals an intensity of feeling that goes beyond the simply recounting of a failed live affair. The vocabulary, the imagery, the tone, the structure [...] point to a profound desire by the author for catharsis, for transcendence, and, to use the religious term, for absolution ». Jeanne Fuchs, ibid., p. 208-209. 50 Paul Bénichou, op. cit., p. 157. 51 Ibid., p. 186. 52 Jacques Bony, op. cit., p. 28.

23 Entre l'ange et la femme réelle: la sacralisation et l'idéalisation de la bien-aimée

Dans La Confession, Brigitte est connue dans le village comme Brigitte-la-Rose

car elle a été rosière. Or, une rosière est une « jeune fille à qui, dans certains villages, on

remettait solennellement une récompense [...] pour sa grande réputation de vertu53 ». Ce

festival religieux, qui a des origines anciennes dans le village de Salancy, en France, a

connu une grande popularité au xvnf siècle et au XIXe siècle. La jeune fille choisie

était élue par le peuple et elle était présentée avec une couronne de roses le jour du festival. La jeune rosière était couronnée par le prêtre du village et elle devenait ainsi

54 « une reine de la vertu », fait qui était reconnu par le village entier comme étant vrai .

La rose et son symbolisme religieux sont donc associés à Brigitte. Comme symbole chrétien, la rose est associée à la Vierge Marie, et elle représente l'innocence, la pureté,

55 la virginité, mais aussi la beauté et la perfection . À partir du Moyen Âge, l'iconographie chrétienne donne à la rose différentes significations dépendant de sa couleur: la rose blanche est le symbole de la pureté de la vierge Marie, tandis que la rose rouge représente l'amour chrétien (la charité) ou le sang versé par le Christ et les premiers martyres chrétiens56. Aussi, dans la tradition littéraire occidentale, une jeune fille ou une jeune femme associée aux roses «has always stood for the most beautiful, [...] and often for one who is notably young, vulnerable, virginal57 ».

53 Entrée « Rosière », Le Petit Robert, Paris, 2003.

54 Sarah Maza, «The Rose-Girl of Salency: Representations in Virtue in Prerevolutionary France », Eighteenth-Century Studies, vol. 22, no. 3, Special Issue: The French Revolution in Culture, Spring 1989, p. 1. 55 « Rose », The Complete Dictionary of Symbols, Jack Tresidder (dir.), San Francisco, Chronicle Books, 2005, p. 417-418. 56 Ibid., p. 417-418.

57 Michael Ferber, « Rose », A Dictionary ofLiterary Symbols, Cambridge, Cambridge UP, 1999, p. 173.

24 La vie de débauche d'Octave fonne contraste dès le début avec le passé vertueux

de Brigitte. La mort subite de son père ramène Octave dans son village natal, où il

déménage pour garder la maison paternelle. C'est dans ce petit village qu'Octave voit

Brigitte pour la première fois. Dans une scène qui décrit leur rencontre, Brigitte est

accompagnée d'un petit chevreau blanc:

Comme je me promenais un soir dans une allée de tilleuls à l'entrée du village, je vis sortir une jeune femme d'une maison écartée. Elle était mise très simplement et voilée [...] sa taille et sa démarche me parurent si charmantes que je la suivis des yeux quelque temps58.

Octave cherche quelque chose à donner à manger au chevreau, mais l'animal ne lui fait pas confiance. Brigitte, enlevant l'herbe qu'Octave avait prise, s'approche du petit chevreau et lui donne à manger de sa main. Sans vouloir trop insister sur ce point, ce chevreau blanc peut facilement nous rappeler l'agneau blanc, symbole chrétien de sacrifice, d'innocence et de bonté. Octave découvre bientôt que Brigitte habite «dans une petite maison de paisible apparence, avec un jardin59 »et «qu'elle [est] veuve, menant une vie retirée60 ». Un peu plus tard dans la même journée, Octave voit le chevreau blanc

à nouveau, et il le suit dans la montagne. Cette promenade mène Octave près d'une chaumière, où il s'arrête demander à boire ou à manger. TI découvre Brigitte prenant soin d'une femme malade. Musset nous donne ensuite une description physique plus complète de Brigitte, et introduit un vocabulaire religieux qu'il associe au personnage tout au long du roman. Dès le début, beauté et charité se retrouvent chez Brigitte:

Elle me parut pâle et un peu maigre; ses cheveux étaient d'un blond cendré. Elle n'était pas régulièrement belle; qu'en dirais-je? Ses grands

58 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 146. 59 Ibid., p. 146. 60 Ibid., p. 147.

25 yeux noirs étaient fixés sur ceux de la malade, et ce pauvre être près de mourir la regardait aussi. TI y avait dans ce simple échange de charité et de 61 reconnaissance une beauté qui ne se dit pas .

Ce passage où elle guérit une malade annonce aussi le processus de transformation et de

guérison qu'Octave va subir entre ses mains. Octave est ébloui et touché par la présence de Brigitte dans la ferme, et dès le début il la voit comme un être presque divin:

Le bruit de l'orage, le vent qui mugissait, la colère des éléments déchaînée sur le toit de chaume, donnaient, par leur contraste avec le silence religieux de la cabane, plus. de sainteté encore et comme une grandeur étrange à la scène dont j'étais témoin. [...]Et lorsqu'au milieu de tout cela, je voyais cette femme douce et pâle, allant et venant sur la pointe du pied, [...] ne paraissant s'apercevoir de rien, ni de la tempête, ni de notre présence, ni de son courage [...] il me semblait qu'il y avait, dans cette œuvre tranquille, je ne sais quoi de plus serein que le plus beau ciel sans nuages, et que c'était une créature surhumaine ~ue celle qui, à travers tant d'horreur, ne doutait pas un instant de son Dieu .

« Sainteté », « silence religieux », « créature surhumaine », ce sont ces aspects de Brigitte qui frappent le jeune Octave quand il la voit chez la malade et aussi quand ils se promènent plus tard dans la forêt: «c'était que les douleurs humaines ne lui enseignaient

3 rien qui pût accuser Dieu, et je sentis la piété de son souriré ». Ainsi, les connotations religieuses se multiplient et Brigitte devient, dès le début, une personnification des vertus théologales de la foi, de la charité et de l'espérance. Ces vertus sont considérées comme provenant directement de la grâce de Dieu, ce qui donne à Brigitte une dimension encore

64 plus sacrée ou divine • Ces qualités divines expliquent l'effet de transcendance que ressent Octave presque immédiatement. Après l'orage, en raccompagnant Brigitte au village, Octave ressent déjà de la paix: «je sentais mon cœur, à côté d'elle, devenir fier et

61 Ibid., p. 148. 62 Ibid., p. 148-149. 63 Ibid., p. 152. 0d 64 T. C. O'Brien, «Virtue », New Catholic Encyclopedia, 2 ed., vol. 14, Detroit, Gale, 2003, p. 549, Gale Virtual Reference Library, Thomson Gale, Simon Fraser University, 18 Oct. 2007.

26 65 innocent ». La tempête qui sert de toile de fond à la scène de la chaumière, contraste aussi avec le calme de la nature lors de leur promenade car alors qu'ils marchent l'un à

66 côté de l'autre, « le ciel redevint bientôt pur ».

C'est aussi très tôt dans la rencontre de Brigitte et d'Octave que Musset introduit le thème de l'amante maternelle, thème qui est développé plus profondément dans la quatrième partie du roman:

Elle vient seule dans cette chaumière, à cette heure? Là où le danger ne l'appellera plus, elle ira en chercher un autre? [...] À travers tous ces orages, toutes ces forêts [...] elle va et vient, simple et voilée [...] Voilà ce qu'elle faisait dans cette vallée, pendant que je courais les tripots: elle y est sans doute née. Et on l'y ensevelira dans un coin du cimetière, à côté de mon pere'b"len-alme-67.

La mère biologique d'Octave étant mystérieusement absente, Brigitte devient la figure de

68 la mère dans la mort . Ce passage révèle aussi la grande opposition de caractère qui existe entre Octave et Brigitte. La jeune Brigitte a aussi souffert d'une profonde déception amoureuse. Pourtant, la différence fondamentale entre Octave et Brigitte est leur choix ou leur réaction face à ces expériences douloureuses. Tandis que Brigitte se réfugie dans des œuvres de charité et dans les soins donnés à sa vieille tante, Octave se lance dans une vie de débauche qui renforce et scelle son mal du siècle causé par la trahison de sa première maîtresse.

La possibilité de vivre une vie vertueuse et charitable frappe Octave, qui voit le dévouement de Brigitte auprès de la malade comme étant presque sacré: «[...] TI me semblait que, si j'avais essayé de l'aider, si j'avais étendu ma main pour lui épargner un

65 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 151. 66 Ibid., p. 151. 67 Ibid., p. 149. 68 Nous reviendrons sur cet aspect un peu plus loin.

27 pas, j'aurais commis un sacrilège et touché aux vases sacrés69 ». Musset insiste donc sur cette opposition entre Brigitte et Octave, car l'extrême vertu de Brigitte s'oppose à l'extrême débauche du jeune homme. Lorsque l'amitié entre Octave et Brigitte se développe, Musset continue à décrire leur rapport dans des termes religieux.

Pour Octave, Brigitte est «un ange de lumière» que Dieu a envoyé pour le

« retirer de l'abîme» et ces paroles ont un grand effet sur Brigitte car elle a «une dévotion exaltée70 ». Musset met l'emphase sur les qualités «divines» de Brigitte, et l'effet qu'elles ont sur Octave: seul un miracle peut sauver son âme. Leur amour est en effet un amour «divin», un miracle, et Brigitte est l'ange par lequel Octave atteint le ciel: «je me souvins d'un certain jour que j'avais regardé avec désespoir le vide immense de ce beau ciel [...] tout était si plein maintenant! Je sentis qu'un hymne de grâces s'élevait dans mon cœur et que notre amour montait à Dieu71 ». Le narrateur a déjà expliqué, en faisant référence au grand moment historique où «ces enfants malades» sont nés, la cause de son mal de vivre:

Toute la maladie du siècle présent vient de deux causes; le peuple qui a passé par 93 et par 1814 porte au cœur deux blessures. Tout ce qui était n'est plus; tout ce qui sera n'est pas encore72.

C'est, d'une façon, la perte de l'innocence, de la pureté et de la foi, qualités qu'Octave retrouve chez Brigitte. La Révolution française dégénère en la Terreur en 1793, tandis que l'année 1814 voit l'abdication de Napoléon et la Restauration. Ces deux dates marquent, selon Musset, deux moments historiques où la promesse de ce qui pouvait être

69 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 149. 70 Ibid., p. 173.

71 Ibid., p. 182. 72 Ibid., p. 42.

28 s'est écroulée, laissant toute une génération face à l'incertitude de l'avenir. De la même

façon, le mal du siècle se manifeste chez Octave dans son incapacité de croire en

l'amour, car il se trouve constamment déchiré entre le souvenir de son premier amour qui

« n'est plus» et cet amour «qui n'est pas encore ». Or, Octave veut guérir et croire en

l'amour de nouveau. N'ayant connu que la déception et la débauche dans son passé,

l'amour qu'a connu Octave fut moins que sacré. C'est pour cette raison que l'arrivée de

Brigitte dans sa vie, une femme à la fois belle et charitable, représente pour Octave l'opportunité de guérir de son mal du siècle et de trouver la transcendance à travers l'amour:

Au milieu de l'effondrement des idéaux, l'amour représente le dernier refuge possible [...] c'est donc tout naturellement que la femme sera, pour l'homme, l'image terrestre de la Beauté, mais, de ce côté aussi, la désillusion guette73.

Par conséquent, dans ces premiers passages qui décrivent leur amitié, Brigitte est une femme sacralisée et idéalisée qui représente l'opposé d'Octave, tout ce qu'il désire pour lui-même, tout ce qu'il n'est pas. La profonde mélancolie d'Octave s'oppose donc à la gaieté et à la sérénité de Brigitte et ces qualités attirent le jeune homme vers elle comme vers la lumière. Musset décrit Brigitte comme « un bon ange» qui doit soigner tout ce qui l'entoure pour pouvoir elle-même être heureuse: tout autour d'elle est soigné, aimé et protégé74. À la fin de sa première visite chez Brigitte, Octave est guéri: «Ô mon pauvre cœur! » se dit Octave, «Dieu soit loué! tu es jeune encore; tu peux vivre, tu peux aimer !75 » Le motif de «l'ange» qui se répète dans cette première étape de la liaison

73 Jacques Bony, op. cit., p. 26. 74 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 157. 75 Ibid., p. 158.

29 entre Octave et Brigitte est aussi typique de la littérature romantique et une conséquence

de la transformation de la femme réelle en des personnages féminins très idéalisés:

Le rêve et le réel se montrent inconciliables et il vaut mieux préserver le rêve en gardant la femme à distance [...] Evacuée de la femme réelle, le rêve se réfugie dans des images extra-naturelles: anges [...], androgynes [...], ou, êtres au sexe ambigu [...f6.

Dans La Confession, Octave a le désir de réconcilier les aspects spirituels et charnels de

Brigitte, mais ce qui détruit finalement la liaison est la difficulté qu'il éprouve à

réconcilier ces deux dimensions. Ainsi, tout comme le fait Octave, le lecteur est surpris

de voir que loin d'être une «dévote» Brigitte est aussi une femme vivante et cultivée:

«ce qui me frappa de ses goûts, c'est que rien n'y était bizarre, mais seulement jeune et

agréable77 ». Elle semble être la femme complète: Brigitte a une conversation qui

«montrait une éducation achevée », une personnalité «profonde et riche»; «une

intelligence vaste et libre », mais surtout « une gaieté qui, sans aller jusqu'à la joie, était

inaltérable; on eût dit qu'elle était née fleur et que son parfum était la gaieté78 ». Elle est

donc capable d'une «gaieté folâtre» les jours où elle va danser au village, mais aussi

d'une «tranquillité intérieure» qui rassure Octave. Présentée dès le début comme une figure « surhumaine» et sacrée, Brigitte est «aussi pieuse qu'ardente79 », et ces aspects

plus charnels de Brigitte interfèrent avec l'amitié pure et spirituelle qu'ils partagent au début. En effet, dans ces passages qui décrivent le début de leur amitié, Musset ne révèle presque rien de l'apparence physique de Brigitte, mais il décrit la passion toujours croissante d'Octave:

76 Jacques Bony, op. cit., p. 26-27.

77 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 154. 78 Ibid., p. 155. 79 Ibid., p. 173.

30 Quoique mon amour, qui avait commencé dès le premier jour, eût augmenté jusqu'à l'excès, le respect que j'avais pour madame Pierson m'avait pourtant fermé la bouche. [...] Elle avait produit sur moi une impression si violente que je ne la quittais jamais sans des transports 8o d'amour •

Octave commence à se débattre contre son désir pour la femme réelle: il ne peut pas cacher « la violence de ses désirs81 » envers Brigitte, qui vont à l'encontre des sentiments de familiarité et de sérénité qui l'accompagnent au début. Plus tard, quand ils deviennent des amants et qu'Octave a ses premiers attaques de jalousie, il voit Brigitte à la fois comme un ange et un démon, et à ses yeux, elle oscille entre l'idéal sacré et la femme charnelle: «plus j'admirais sa beauté et son air de candeur, plus je me disais qu'une

82 pareille femme, si elle n'était pas un ange, était un monstre de perfidie ». Comme l'explique Jeanne Fuchs, « ultimately incapable of reconciling spiritual and physicallove-

--the sacred and the profane---Octave becomes determined to destroy any relationship

83 between himself and Brigitte ». Ainsi, dès le début, les démonstrations d'amour d'Octave ont un effet négatif sur l'apparence physique de Brigitte, changement qu'Octave remarque immédiatement: elle est «maigrie et changée. Son sourire habituel

84 paraissait languissant sur les lèvres décolorées ». Or, après une longue série de déclarations d'amour d'Octave et de refus de la part de Brigitte, celle-ci accepte finalement son amour. Dans une scène d'extrême volupté romantique, Brigitte accepte un baiser d'Octave et ils deviennent des amants. Brigitte est très bouleversée par son moment de faiblesse: «je la regardais, belle comme le jour, appuyée contre un arbre; ses

80 Ibid., p. 161. 81 Ibid., p, 181. 82 Ibid.,p.196. 83 Jeanne Fuchs, op. cit., p. 214. 84 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 171.

31 longs cheveux tombant sur ses épaules, ses mains irritées et tremblantes, ses joues couvertes de rougeur, toutes brillantes de pourpre et de peries85 ». Brigitte, exemple de gaieté et de sérénité au début de leur amitié, devient alors terriblement angoissée. La pâleur «divine» qu'Octave remarque chez elle quand il la voit dans la chaumière, a disparu, et son visage est couvert de larmes. D'une certaine façon, Brigitte n'est plus

« surhumaine », mais une femme réelle qui s'éloignera de plus en plus de l'idéal féminin imaginé par Octave. Comme nous l'avons déjà mentionné, les différentes couleurs des roses, fleur associée à Brigitte à cause de son statut de rosière, ont différentes significations, la couleur rouge étant un symbole de l'amour mais aussi du sang des

86 premiers martyrs chrétiens . L'opposition entre la pâleur et la rougeur de Brigitte est un indice de sa transformation en «amante» mais aussi un indice du «martyre» qu'elle souffrira avec Octave. L'incapacité de réconcilier la femme idéalisée et la femme réelle mène Octave à transformer Brigitte en une autre figure, celle de la mère.

La figure idéalisée de la mère

Dans son étude sur l'éros et le discours amoureux au XIXe siècle, Michel Brix explique qu'un des traits distinctifs de l'amour romantique est le rapport maternel qui se développe souvent entre les amants. Ce rapport est étroitement lié au désir d'idéalisation et de sacralisation de la femme:

[...] On constate d'abord que la femme aimée est généralement plus âgée que l'homme, et surtout--- idéalisation de la bien-aimée oblige --- d'un rang social plus élevé que lui. [...] Plus mûre et plus avancée dans la société, la femme joue pour le jeune homme un rôle d'éducatrice et fait également office de mère. Ainsi, la bien-aimée céleste à laquelle on voue

85 Ibid., p. 179. 86 « Rose », The Complete Dictionary ofSymbols, op. cit., p. 417-418.

32 une passion éthérée est au moins une figure maternelle, et au mieux, la 8 mère elle-même ?

Si dans La Confession Brigitte n'est pas d'un rang social plus élevé qu'Octave, elle est

toutefois plus âgée que lui et elle assume un rôle de mère face à la maladie morale du jeune homme. Ainsi, dans le roman, la dimension maternelle de Brigitte se révèle plus profondément au moment où elle devient l'amante d'Octave.

Mais le bonheur de Brigitte et d'Octave ne dure pas très longtemps, car la jalousie et la cruauté du jeune homme, symptômes de son mal du siècle, reviennent les hanter.

Octave accuse Brigitte d'être capable de mentir facilement et face aux accusations injustes d'Octave, Brigitte tombe dans un état de mélancolie permanent. Ainsi commence un cercle vicieux d'accusations et de réconciliations où Octave, dans des moments de profonde culpabilité, traite Brigitte « comme une idole, comme une divinité88 ». Dans ces passages, les références à la mère et à l'enfant se multiplient:

Madame Pierson me témoigna plus de confiance, après m'avoir avoué qu'elle m'aimait, qu'elle ne m'en avait jamais montré. [...] Je la voyais quelquefois s'abandonner à une gaieté folle, puis tout à coup s'arrêter 89 pensive, affectant, à certains moments, de me traiter presque en enfant •

À la suite d'une attaque de jalousie, Octave constate, en regardant Brigitte, qu'« il n'y avait dans ses beaux yeux ni orgueil blessé ni colère; il n'y avait qu'une tendre inquiétude, comme si j'eusse été malade90 ». Octave ne tarde pas à assumer le rôle de l'enfant malade: «[...] Si vous saviez quelles horreurs, quelles perfidies monstrueuses a

87 Michel Brix, op. cit., p. 109. 88 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 229. 89 Ibid., p. 180.

9Q Ibid., p. 191.

33 vues l'enfant qui est devant vous !91 » tandis que Brigitte endosse celui de la mère:

« Brigitte me tendit les bras, me fit les plus tendres caresses92 ». Un peu plus tard, dans un autre moment de profond regret, il lui dit :« Ô ma bonne et brave maîtresse! tu as fait un homme d'un enfant! [...] maintenant toi seule au monde tu peux me tuer ou me sauver; car je porte au cœur la blessure de tout le mal que je t'ai faië3 ».

Le développement de Brigitte en « mère» se révèle aussi dans le changement de sa personnalité. Si au début elle est d'une gaieté inaltérable, elle devient sévère plus tard,

94 sérieuse et d'une «gaieté patiente» envers Octave . Elle ne se plaint pas mais elle

«montre les marques d'une altération profonde95 ». La différence d'âge, (<

Tu m'as dis, dans tes bons moments, que la Providence m'a chargée de veiller sur toi comme une mère. C'est la vérité mon ami ; je ne suis pas votre maîtresse tous les jours; il Y en a beaucoup où je suis, où je veux être votre mère. Oui, lorsque vous me faites souffrir, je ne vois plus en vous mon amant; vous n'êtes plus qu'un enfant malade [...] que je veux soigner ou guérir pour retrouver celui que j'aime [...]98.

91 Ibid., p. 199. 92 Ibid., p. 200. 93 Ibid., p. 239. 94 Ibid., p. 231. 9S Ibid., p. 230.

96 Ibid., p. 165. 97 Ibid., p. 211. 98 Ibid., p. 216.

34 À la fin de son discours, Brigitte fait une prière au « Dieu des mères et des amantes» pour qu'il lui donne la force de guérir son jeune amant. Octave est emporté par son amour et son repentir: «Que mon cœur se lave dans tes larmes; qu'il devienne une hostie sans tache, et que nous la partagions devant Dieu !99 » Les larmes de Brigitte, qui sont celles d'une mère, sont aussi pures que celles d'une sainte, ou celles de la Vierge

Marie, car elles sont capables de « laver» le cœur d'Octave. Ainsi, même si l'âge plus avancé de Brigitte ainsi que son air sévère contribuent à l'humaniser aux yeux d'Octave, dans sa dimension maternelle et dans la manifestation de sa souffrance elle est toujours sacralisée. En effet, à travers sa prière, Brigitte redevient pour Octave une «frêle et sublime créature lOO ». Par conséquent, dans sa dimension maternelle, Brigitte est dans une position de pouvoir vis-à-vis Octave, car c'est à travers sa souffrance et sa résignation patiente qu'elle réussit, à plusieurs reprises, à susciter le repentir d'Octave et à le mener un peu plus loin dans le chemin de la guérison. Son pouvoir est donc en conflit avec sa propre liberté car c'est en se plaçant dans un rôle de victime qu'elle exerce un pouvoir sur lui. Or, la sévérité du visage de Brigitte ou la dignité glaciale avec laquelle elle réagit aux paroles d'Octave lorsqu'il souffre d'une attaque de jalousie (<< Quand je commençais

à la maltraiter, elle sortait sans mot dire et s'enfermaitlOl »), la montrent néanmoins comme une femme qui, tout en gardant sa dignité et montrant son dégoût vers la jalousie d'Octave, se soumet très consciemment au supplice de sa relation. La dimension maternelle de Brigitte représente ainsi un autre visage de la bien-aimée, un visage pour lequel Octave montre un certain degré d'ambivalence.

99 Ibid., p. 217.

100 Ibid., p. 217. 101 Ibid., p. 230.

35 La multitude de visages de la femme réelle

Dans la transfonnation graduelle de Brigitte en une femme chamelle, Musset développe dans son personnage d'autres dimensions qui semblent contredire la vision divine qu'en a Octave. Ainsi, en faisant écho à l'habitude de George Sand de porter des vêtements masculins, Musset introduit le fait que Brigitte porte des habits d'homme quand elle fait de longues promenades dans la forêt en compagnie d'Octave. Ce passage, qui précède le monologue de Brigitte, révèle un autre aspect du personnage, qui passe de la figure maternelle à la figure fraternelle, et elle est presque décrite comme un enfant:

« Quand il s'agissait de ces grandes courses, elle prenait une blouse bleue et des habits d'homme» et « sa petite casquette de velours [...] lui donnait si bien l'air d'un gamin résolu, que j'oubliais qu'elle était femme lorsqu'il y avait quelque pas difficile à franchir 102 ». Lors de ces promenades aussi, ils s'égarent souvent et lisent les noms des routes à l'aide d'un briquet, «tout cela follement, comme deux enfants que nous

étions103 ». Or, même si Musset décrit le corps de Brigitte comme celui d'un «écolier », et qu'il parle d'eux comme d'« enfants », elle n'est pas entièrement désexualisée: Octave la prend dans ses bras et l'aide à marcher. Musset fait référence aussi au fait qu'elle

lO4 représente un mélange d'énergie physique et de délicatesse féminine • Ainsi, ce passage révèle un autre aspect de l'ambiguïté qui existe entre les amants. Comme l'explique

Bony, derrière les images des femmes « anges» ou« androgynes» si présentes dans la littérature romantique, « se profile le rêve de l'androgyne primitif, la recherche d'une réconciliation des sexes 105 ». Si dans cet extrait Brigitte n'est pas complètement

102 Ibid., p. 212. 103 Ibid., p. 213. 104 Ibid., p. 212. 105 Jacques Bony, op. cit., p. 28.

36 androgyne, l'harmonie et la gaieté qui s'installe entre Brigitte et Octave, nous fait penser

à cette réconciliation des sexes évoquée par Bony. Ce passage est, néanmoins, un peu isolé du reste du portrait du personnage de Brigitte, et il est intéressant que Musset ait choisi d'inclure cet aspect de Sand dans son roman. C'est un point qui n'échappe pas à

Sainte-Beuve, qui considère que Musset a fait «une substitution subtile» et que le personnage de Brigitte qu'on rencontre au début de la liaison, n'est pas le même que celui

106 présenté dans ces lignes . Le travestissement des personnages féminins dans la littérature romantique n'est pas un phénomène inconnu. Comme l'explique Sylvie

Gendrot:

Les auteurs de l'époque se préoccupent [...] de l'aspect physique des personnages féminins. [...] Le thème du déguisement, et plus particulièrement celui du travestisme de la femme artiste, est un motif commun à ces romans 107

Gendrot explique que même si les auteurs romantiques touchent au thème du travestissement féminin, cette pratique reste néanmoins « suspecte» tout au long du XIXe siècle108. Dans le cas de Brigitte, qui n'est pas artiste dans le roman, la pratique semble véritablement hors du caractère du personnage tel que Musset l'a développé jusqu'à ce

106 «Plus tard, il y a un moment où tout d'un coup, à propos d'une promenade nocturne, nous découvrons que Mme Pierson, pour ces longues courses, prend une blouse bleue et des habits d'homme. Le trait est jeté au passage, comme négligemment; mais l'œil délicat le relève, et toute illusion a disparu. Car l'auteur a beau dissimuler et ne faire semblant de rien; la nouvelle Mme Pierson, fort charmante à son tour, n'est plus la même que la première; celle qui a la blouse bleue n'est plus celle qui, un peu dévote et très charitable, parcourait à toute heure, en voile blanc, ces campagnes qui l'avaient vu couronner rosière. Il y eu là une substitution subtile, qui rentre dans le défaut de continuité dont j'ai parlé; le cœur ému du lecteur ne s'y prête pas.» Sainte-Beuve,« La Confession d'un enfant du siècle de M. Alfred de Musset », Revue des Deux Mondes, tome 5, 1836, p. 4 [Site fr.wikisource.org]. 107 Sylvie Gendrot, Déguisements de la femme artiste dans la littérature romanesque française du XIX" siècle, thèse de maîtrise, Burnaby, Simon Fraser University, 1998, p. 38. 108 Ibid., p. 38. L'étude de Gendrot se base sur l'analyse de quatre romans qui touchent au déguisement de la femme artiste: Corinne ou l'Italie (1807) de Madame de Staël, Béatrix (1830) d'Honoré de Balzac, Mademoiselle de Maupin (1835-36) de Théophile Gautier et (1842) de George Sand. Chantal Bertrand-Jennings dédie aussi une partie de son analyse du mal du siècle au féminin à la pièce Gabriel (1839) de George Sand, qui touche directement au thème du travestissement féminin, op. cit., p. 116-134.

37 moment. Si les personnages de femmes artistes apparaissent comme des êtres «aux

facettes multiples» à cause de leur statut de figures publiques, le travestissement de

Brigitte nous révèle qu'elle aussi a cette capacité de se transformer, même si son

déguisement reste dans le domaine du privé. D'abord « sœur de charité », puis amante, et

mère, Brigitte apparaît finalement en tant que sœur spirituelle d'Octave. Musset est clair sur ce point, puisqu'Octave, pris à nouveau dans l'extase du repentir, dit à la Brigitte habillée en homme: «Ô ma maîtresse, ma mère et ma sœur, demande aussi pour moi que je puisse t'aimer comme tu le mérites !109 »

Ayant atteint une fusion momentanée entre la mère et la sœur, l'ange et l'amante,

Brigitte comprend que son amour pour Octave doit transcender les limites de la dévotion maternelle, de la fraternité ou de la passion et elle se donne à Octave en sacrifice. Octave découvre, par hasard, que Brigitte a écrit son testament:

Tout était écrit d'une main tranquille; j'y trouvai d'abord un récit fidèle, sans amertume et sans colère, de tout ce que Brigitte avait souffert par moi depuis qu'elle était ma maîtresse. Elle annonçait une ferme détermination de tout supporter tant que je l'aimerais, et de mourir quand je la quitterais. [...] Elle rendait compte, jour par jour, du sacrifice de sa viellO.

Il est clair que le sacrifice de Brigitte sera de mourir pour sauver son jeune amant.

En effet, Octave découvre aussi une lettre que Brigitte écrit à Henri Smith, figure du docteur Pagello et le soupirant de Brigitte à la fin du roman. Dans cette lettre, elle lui révèle le sacrifice qu'elle doit faire pour Octave: « Lorsque vous recevrez cette lettre, je serai loin de vous [...] ma destinée est liée à celle d'un homme à qui j'ai tout sacrifié;

109 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 217. 110 Ibid., p. 232.

38 vivre sans moi lui est impossible, et je vais essayer de mourir pour lui. [...] Plaignez-

nous"l ».

Vers la fin du roman, le symbolisme religieux revient donc à travers le sacrifice

de Brigitte et elle devient de plus en plus triste et froide. Brigitte commence, en effet, à mourir et le vocabulaire utilisé par Musset est un reflet de ce changement: elle est silencieuse ou s'adresse à Octave «d'une parole glacéell2 »; lorsque Smith dîne avec

l eux, il remarque de la « froideur », et Octave sent « un froid mortel» lui serrer le cœur I3.

Octave soupçonne que Brigitte ne l'aime plus et que son amitié avec Smith est en train de devenir de l'amour. Après une confrontation où Octave demande à Brigitte de lui dire la vérité, elle lui révèle, finalement, ses vrais sentiments:

Partout, toujours, quoique je fasse, l'injure, la colère. Ah ! cher enfant, si vous saviez quel froid mortel, quelle souffrance de voir ainsi la plus simple parole du cœur accueillie par le doute et le sarcasme! [...] Depuis six mois je ne me suis pas couchée un soir sans me répéter que tout était inutile et que vous ne guéririez jamais; que je ne me suis pas levée un matin sans me dire qu'il fallait essayer encore [...]114.

Brigitte confesse avoir perdu à maintes reprises sa conviction de pouvoir guérir Octave, mais sa dévotion est évidente dans son désir de renouveler ses vœux à chaque jour pour « essayer encore ». Brigitte, dans les reproches qu'elle fait finalement à Octave, est terriblement claire et juste, mais aussi humaine. Or, le torrent de mots de Brigitte sert aussi à montrer la magnitude de son sacrifice silencieux et de son «martyre », ce qui la rend encore plus divine aux yeux d'Octave. L'effort que Brigitte fait en disant ces mots à

111 Ibid., p. 307. 112 Ibid., p. 251.

113 Ibid., p. 252-253. 114 Ibid., p. 284.

39 Octave, la brise aussi physiquement, et elle tombe dans un sommeil profond. Musset nous montre un Octave abattu et repentant, tandis qu'il observe Brigitte dormir:

Qu'elle était pâle! Ses longues paupières, entourées d'un cercle bleuâtre, brillaient encore, humides de larmes; [...] sa joue, amaigrie et plombée, reposait dans sa main fluette; [...] son front semblait porter l'empreinte de ce diadème d'épines sanglantes dont se couronne la résignationIl .

La métaphore est claire. Brigitte porte, de sa propre volonté, la couronne d'épines du

Christ, et sa souffrance et son sacrifice sont amplifiés par l'humanité et la fragilité dont elle vient de faire preuve. Cette image de Brigitte «portant» une couronne d'épines, nous rappelle aussi la couronne de roses de Brigitte rosière. Elle passe de l'image de la vertu et de la virginité à celle de la martyre. En regardant Brigitte dormir, Octave vit sa plus grande crise spirituelle. li n'a pas la foi car il a « sucé de bonne heure le lait stérile de l'impiétél16 ». Octave est tenté de tuer Brigitte car il ne peut pas supporter l'idée qu'elle donnera un jour son amour à quelqu'un d'autre. Musset décrit ensuite une scène qui a toutes les caractéristiques d'un sacrifice religieux: Brigitte, endormie sur le lit, frêle et vulnérable avec sa «couronne d'épines », se donne à Octave symboliquement.

L'image de l'autel que Musset veut bâtir pour Sand revient, mais cette fois-ci c'est un autel sacrificiel. Octave s'approche du lit de Brigitte, un couteau à la main, et découvre sa poitrine. Mais, la vue d'un petit crucifix que porte Brigitte autour de son cou le frappe au moment où il est prêt à donner le coup mortel :

J'en jure par ton Christ lui-même, je ne tuerai ni toi ni moi. Je suis un fou, un insensé, un enfant qui s'est cru un homme. [...] Tu es jeune et vivante,

115 Ibid., p. 292. 116 Ibid., p. 304.

40 et tu es belle, et tu m'oublieras. Tu guériras du mal que je t'ai fait, si tu l17 peux me le pardonner •

Brigitte réussit finalement à guérir Octave à travers son sacrifice symbolique. La dernière scène entre les deux amants la montre fragile et brisée, se soumettant aux désirs d'Octave: il lui «donne» sa liberté et cet acte est la preuve de sa guérison. Dans un dernier geste, Brigitte coupe ses cheveux pour les donner à Octave, lui donnant ainsi le symbole de sa féminité. Elle est dorénavant «défiguréeJ 18 ». Or, la chevelure n'est pas seulement le symbole de la féminité, elle est aussi le symbole de la pureté et de la

ll9 virginité dans la tradition iconographique chrétienne . Brigitte est donc libre d'aimer

Smith, mais elle est aussi libérée de son passé de rosière: sa liaison avec Octave a détruit sa réputation dans le village, et elle est maintenant une femme déchue. Quoique Brigitte ne meure pas dans La Confession, son sacrifice symbolique évoque le destin fatal et tragique de nombre d'héroïnes romantiques qui, mal-aimées, maltraitées ou déchues, meurent ou succombent à la folie à la fin du récit12o. Comme l'explique Margaret Waller,

la mort, la maladie ou le sacrifice de l'héroïne romantique dans des romans tels qu'Adolphe de Constant, Volupté de Sainte-Beuve et La Confession d'un enfant du siècle sert ainsi à mettre en scène un héros capable de transcender la liaison amoureuse racontée

117 Ibid., p. 305. 118 Ibid., p. 312.

119 «Rose », The Complete Dictionary ofSymbols, op. cit., p. 219.

120 Le motif du destin fatal des héroïnes romantiques n'est pas exclusif des romans écrits par des hommes, il a aussi été exploité par des femmes auteures. Ainsi, les héroïnes d'Ourika de Claire Duras, de Corinne de Germaine de Staël et de Lélia (1833 et 1839) de Sand, meurent toutes à la fin du roman. Ce destin tragique commun « souligne la difficulté du statut des femmes» au XIX· siècle, et que ces auteures ont exploré dans leurs romans. Chantal Bertrand-Jennings, op. cit., p. 139. Dans son article «The Wasting Away of Romantic Heroines », Nancy Rogers explore aussi le phénomène de la mort prématurée de quelques héroïnes romantiques. Quoiqu'une condition médicale ne soit presque jamais donnée, la mort de ces héroïnes aurait quelques éléments en commun: «[their] demise is mysterious, incompletely explained and [...] appears almost self-willed ». Nineteenth Century French Studies, vol. Il, no. 3, Spring-Summer 1983, p. 246.

41 121 dans le récit • Dans La Confession, en effet, Octave « donne sa liberté» à Brigitte, qui

part avec Smith. À travers cet acte de noblesse et de générosité, Octave montre non

seulement qu'il est guéri de son mal du siècle, mais aussi qu'il a transcendé finalement

son désir et son amour pour Brigitte.

Finalement, lors des premiers jours de sa liaison avec Octave, Brigitte était devenue « toute folle d'amour» et elle ne « savait qu'imaginer, quoi faire, quoi dire, pour se donner et se donner encore, elle, corps et âme, et tout ce qu'elle avait122 ». À la fin du roman, Brigitte continue à se donner symboliquement à Octave, mais ce faisant, elle n'incarne plus un idéal sacré. Agent catalyseur de la rédemption d'Octave, Brigitte subit également une transformation au cours du roman. Or, cette transformation n'est vue que du point de vue d'Octave, car Musset utilise un récit à la première personne pour raconter son histoire. Ainsi, le lecteur ne peut pas dépasser le portrait, très subjectif, que

Musset fait de Sand à travers le personnage de Brigitte, et qui s'insère dans son projet de lui « bâtir un autel» dans son roman. En tant que représentation de George Sand, vue à travers un regard subjectif, Brigitte est un personnage féminin romantique, non seulement dans sa perfection angélique ou sa vertu religieuse, mais aussi dans ses visages multiples, que Musset tente de réconcilier.

121 Margaret Wal1er, «Male Malady and Narrative Politics in the French Romantic Novel », PMU, vol. 104, no. 2, Mars 1989, p. 149. 122 Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, op. cit., p. 186.

42 ro Chapitre 2 œ Elle et Lui: la « fictionalisation du moi»

43 En mai 1858, un an après la mort d'Alfred de Musset, George Sand commence la rédaction d'Elle et Lui, roman qui reprend l'histoire de sa liaison avec Musset plus de vingt ans après la publication de La Confession d'un enfant du siècle. Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, Musset s'était inspiré de Sand pour créer le personnage de Brigitte Pearson et avait créé un portrait très idéalisé de son ancienne amante. Ce portrait est à la fois repris et réfuté par Sand dans Elle et Lui, roman qui présente Musset et Sand comme deux jeunes peintres à succès, Laurent de Fauvel et

123 Thérèse Jacques. Le roman de Sand, publié dans la Revue des Deux Mondes en 1859 , a

124 été reçu dès le début comme étant autobiographique • Sa publication provoque un scandale littéraire qui sera alimenté par la parution du roman Lui et Elle, de Paul de

125 Musset • Si l'aspect autobiographique de ce roman a été à l'origine de ce scandale littéraire, l'œuvre présente aussi des éléments d'intérêt au delà de l'autobiographique en ce qui concerne la création du personnage féminin car Sand établit, dans son roman, un dialogue littéraire avec Musset et avec le romantisme. Dans ce chapitre, nous aborderons trois points principaux qui concernent la création du personnage de Thérèse.

123 Il commence à paraître sous forme de feuilleton dans la Revue des Deux Mondes le 15 janvier 1859, jusqu'au le' mars. Georges Lubin, «Chronologie », Correspondance de George Sand, tome XV, Paris, Garnier Frères, 1981, p. 255. 124 Dans une revue contemporaine de la parution du roman, le critique G. Vapereau parle des éléments autobiographiques d'Elle et Lui: «Nous parlons du roman auquel Mme Sand a donné le titre un peu mystérieux d'Elle et Lui. Le titre seul faisait présager une double révélation autobiographique, puis dès les premières pages, on trouvait une situation analogue aux relations qui se formèrent, aux premiers temps de sa gloire, entre Mme Sand et un jeune poète non moins connu par les agitations de sa vie que par l'originalité de son talent ». « Le Roman biographique. Le talent et le scandale. Mme George Sand, P. de Musset, Mme Colet », L'Année littéraire et dramatique, Paris, 1860, Année 2, p. 83. [Site Gallica.fr] 125 La publication du roman de Sand crée un scandale littéraire à cause du portrait qu'elle fait de son ancien amant, portrait qui pousse son frère, Paul de Musset, à publier presque immédiatement une autre version des événements dans Lui et Elle. Une ancienne amante d'Alfred de Musset, Louise Colet, publie aussi une version de l'histoire dans le roman Lui. Nous avons déjà donné quelques détails de celle bataille littéraire dans notre introduction.

44 Premièrement, Sand utilise l'histoire amoureuse entre Thérèse et Laurent pour

aborder le thème de l'artiste romantique, et plus particulièrement le statut de la femme

artiste en France au XIXe siècle. En effet, au début du roman, Sand fait de la femme

artiste un être mystérieux, admiré et exceptionnel. Le mystère de Thérèse provient non seulement de son grand talent artistique, mais du choix que fait Thérèse de vivre seule et

sans amant. Aussi, au contraire de Musset, qui présente l'histoire de la liaison entre

Brigitte et Octave dans un contexte profondément religieux et transcendantal, Sand choisit un ton plus réaliste dans Elle et Lui, en partie grâce à l'utilisation de la troisième personne ou la narration omnisciente. Si Musset avait sacralisé son personnage féminin en faisant des comparaisons avec des figures angéliques et divines, Sand place Thérèse fermement sur terre: elle est rationnelle, pratique, toujours consciente de ses besoins matériels et de l'importance du travail qui lui permet de gagner sa vie. Or, elle est consciente aussi que Laurent a une tendance à vouloir la sacraliser et l'idéaliser, ce qu'elle va rejeter.

Deuxièmement, comme nous l'avons déjà vu, Sand et Musset ont assumé, dans leur liaison amoureuse, les rôles de mère et d'enfant. Cette dynamique amoureuse, déjà présente dans le roman de Musset, se retrouve également dans Elle et Lui. Tout comme

Brigitte, Thérèse s'offre en sacrifice en acceptant l'amour de Laurent, car elle se rend compte très tôt qu'il peut se montrer cruel et jaloux. Or, en même temps que Sand exploite le modèle romantique de la liaison amoureuse, elle montre aussi son aspect destructeur et la difficulté qu'éprouve Thérèse à trouver l'équilibre entre une position de pouvoir et de contrôle sur Laurent, et une position de victime face à sa cruauté et à ses caprices.

45 Finalement, Thérèse et Laurent ont des tempéraments et des idéaux qui

s'opposent diamétralement, et ce sont leurs approches différentes de la vie et du travail

artistique qui contribuent à les séparer à la fin. En rejetant la tendance à l'idéalisme

excessif de Laurent dans son art et sa vie, Thérèse incarne une approche plus réaliste de

l'art et de l'artiste qui est en opposition avec la posture romantique incarnée par Laurent.

Cette exploration du réalisme est aussi évidente dans le choix de Sand de donner à son roman autobiographique un narrateur à la troisième personne qui lui permet de porter un regard plus distancié sur la liaison et d'établir un dialogue littéraire avec Musset.

La femme artiste et indépendante: le refus de la sacralisation

Le récit Elle et Lui commence par des lettres échangées entre Thérèse Jacques et

Laurent de Fauvel. Ainsi, au début du roman, Sand introduit le personnage de Thérèse telle que vue à travers les yeux de Laurent, son ami et futur amant. Nous apprenons donc, dès les premières pages, que Laurent voit Thérèse comme une égale, au moins au niveau artistique: «vous savez que pour moi vous n'êtes pas Mlle Jacques, qui fait des portraits très en vogue, mais un homme supérieur qui s'est déguisé en femme l26 ». Le talent de

Thérèse est désigné comme étant une qualité masculine qui la différencie du reste des femmes. Plutôt que de montrer une ambiguïté sexuelle, cette qualité masculine fait contraste avec les qualités féminines de Thérèse, telles que son apparence physique et ses tendances maternelles, qui apparaissent aussi dès le début du roman. Lors d'une

l27 conversation entre Laurent et son ami Mercourt, «un jeune critique », apparaît la première description physique de Thérèse. Laurent a déjà décrit le talent de Thérèse

126 George Sand, Elle et Lui, Paris, Seuil, 1999, p. 10. 127 Ibid., p. 19.

46 comme étant celui d'un homme, et Mercourt, après les commentaires indifférents (en

apparence) de Laurent, insiste sur le fait que Thérèse «est une vraie femme. Je l'ai bien

regardée» et qu'elle «n'est pas très grande, elle a des petits pieds et des petites

mains 128 ». Mercourt la décrit aussi comme étant «jeune et belle» et ayant «des yeux

d'un noir doux, des cheveux qui ne sont ni bruns ni blonds» et « l'air d'un sphinx bon

enfant l29 ». Il ajoute que Thérèse est « tout à fait célèbre» et qu'elle est faite pour être

remarquée 130. Ces commentaires de Mercourt introduisent de façon indirecte le thème de

la femme artiste et sa position dans la société: non seulement doit-il insister sur le fait

que Thérèse est «une vraie femme », mais il voit sa vie indépendante comme une

curiosité: «On dit qu'elle n'a pas d'amant connu, bien qu'elle vive avec une grande

liberté131 ». Pour Mercourt, de même que pour Laurent, Thérèse est un mystère, et c'est

ce côté mystérieux et ambigu qui attirera de plus en plus Laurent vers elle. Sand présente

ainsi Thérèse comme une figure publique et mystérieuse à cause de sa vie indépendante

et libre et de son passé obscur. Davantage que son grand talent artistique, c'est le choix

de Thérèse de ne pas avoir «d'amant connu », malgré sa grande liberté et son

indépendance, qui représente le plus grand mystère pour Laurent et Mercourt. Laurent, déjà amoureux de Thérèse sans en être vraiment conscient, commence à ressentir de la jalousie envers les amis et les connaissances de celle-ci. TI croit d'abord que Thérèse a comme amant «tous ceux qu'elle [traite] d'amis» mais, peu à peu, il apprend qu'elle n'a véritablement pas d'amant: «Dès lors il s'était senti ardemment curieux de savoir la cause de cette anomalie, une femme jeune, belle, intelligente, absolument libre et

128 Ibid., p. 20. 129 Ibid., p. 19.

\30 Ibid., p. 19. 13I Ibid., p. 21.

47 volontairement isolée132 ». La vision qu'a Laurent de la position de Thérèse dans la

société comme étant anormale ou exceptionnelle, reflète celle d'une société qui véhicule

une vision particulière de la femme artiste. En effet, la conception du génie au XIXe

siècle, si liée à celle de l'artiste romantique, voit cette propriété comme étant

essentiellement masculine:

Les femmes dont le travail révélait du génie étaient considérées comme anormales, ou, au mieux, asexuées. Les attributs de la féminité étaient diamétralement opposés à ceux du génie; dans la mesure où une femme aspirait à faire une grande carrière artistique, on la soupçonnait de trahir sa vocatIOn. domestlque . 133

Ainsi, si Laurent considère Thérèse comme son égal au niveau artistique, il n'est pas encore capable de réconcilier son statut d'artiste avec celui de femme «jeune et belle» et

qui est pourtant« absolument libre et volontairement isolée ». Thérèse est donc une femme qui présente plusieurs contradictions aux yeux de Laurent: tandis que son génie contredit sa féminité et sa beauté, son statut de femme indépendante et libre, (grâce à sa carrière artistique) contredit «sa vocation domestique », représentée à travers ses tendances maternelles et ses mœurs exemplaires. L'histoire de la brève carrière artistique de Thérèse, racontée par le narrateur, sert à présenter le mystère entourant Thérèse ainsi que sa profonde éthique de travail:

Le passé de Mlle Jacques était un mystère impénétrable pour les gens du monde qui allaient se faire peindre par elle et pour le petit nombre d'artistes qu'elle recevait en particulier. Elle était venue à Paris on ne savait d'où, on ne savait quand, on ne savait avec qui. Elle était connue depuis deux ou trois ans seulement, un portrait qu'elle avait fait ayant été très remarqué chez des gens de goût et signalé tout à coup comme une œuvre de maître. C'est ainsi que, d'une clientèle et d'une existence

132 Ibid., p. 27. 133 Anne Higonnet, « Femmes et images: apparences, loisirs, subsistance », dans Georges Duby, Geneviève Fraisse, Michelle Perrot (dir.), Histoires des femmes en Occident IV. Le XIxe siècle, Paris, Perrin, 2002, p.31O.

48 pauvres et obscures, elle avait passé brusquement à une réputation de premier ordre et à une existence aisée; mais elle n'avait rien changé à ses goûts tranquilles, à son amour de l'indépendance et à l'austérité enjouée de ses manières 134

Comme nous le verrons plus loin, à travers cette description de Thérèse, Sand peint un portrait particulier de l'artiste, plus spécifiquement de la femme artiste, qui est en opposition directe avec l'éthique de travail de Laurent, qui incarne toutes les caractéristiques de l'artiste romantique. Ainsi, le style de vie, la profession et la réputation sans tâche de Thérèse créent une aura de mystère autour d'elle à cause de l'incompatibilité apparente de ces trois éléments. Utilisant toujours le point de vue de

Laurent, Sand renforce cet aspect mystérieux de Thérèse, ainsi que son apparente ambiguïté sexuelle, dans un court épisode où Laurent décide de l'épier un soir. Une femme voilée, qui, nous l'apprenons plus tard, est la mère de Thérèse, dîne avec elle.

Quand Laurent croit entendre Thérèse faire au personnage voilé une déclaration d'amour, il ressent, pour la première fois, de la jalousie envers elle. li se sent aussi, plus que jamais, très attiré par elle: «Il se promettait [...] de ne pas remettre les pieds chez

Thérèse avant quinze [jours]. Cependant il ne resta que quarante-huit heures à la

l35 campagne, et se trouva le troisième soir à la porte de Thérèse ». Sand montre que le mystère de Thérèse, réel jusqu'à un certain point, est amplifié dans l'imagination avide de Laurent. Ainsi, l'aspect exceptionnel des mœurs de Thérèse, le mystère de sa vie et de son passé, sont montrés comme des constructions émanant de la perception des autres personnages, de Laurent mais aussi de Mercourt, représentants de la vision externe de la société sur la femme et la femme artiste.

134 George Sand, Elle et Lui, op. cil., p. 26. 135 Ibid., p. 23.

49 Le mystère qui entoure Thérèse provoque chez Laurent le désir de la sacraliser et de l'idéaliser. En effet, quand Thérèse dit à Laurent qu'elle a un amant (elle ment pour l'empêcher de devenir encore plus amoureux d'elle), il déclare: «Merci, merci,

Thérèse! Me voilà tout à fait sur mes pieds, je sais qui vous êtes et qui je suis, [..] je crois que je vous aime mieux ainsi, vous êtes une femme et non plus un sphinx136 ». Sand montre ainsi que le désir de Laurent d'idéaliser Thérèse disparaît une fois le mystère perdu: «une fois le mystère de son cœur dévoilé, Thérèse perdit d'abord son prestige

l3 aux yeux de Laurent. Ce n'était plus qu'une femme pareille aux autres ? ». Or, au cours du roman, Laurent va tenter à plusieurs reprises de transformer Thérèse en un être idéalisé, ce qui fait de lui un héros typiquement romantique. Ceci est évident dans un passage où Palmer raconte à Laurent le passé tragique de Thérèse:

Laurent avait songé à épouser Thérèse en écoutant le récit de M. Palmer [...] Cette fille sans parents, cette mère sans enfant, cette femme sans mari, n'était pas vouée à un malheur exceptionnel ? Quelles tristes notions n'avait-elle pas du garder de l'amour et de la vie! Le sphinx reparaissait devant les yeux éblouis de Laurent. Thérèse dévoilée lui paraissait plus mystérieuse que jamais: s'était-elle jamais consolée, ou pouvait-elle l'être un seul instant ?138

Tant que Thérèse sera inatteignable et mystérieuse, elle demeurera aussi une figure idéalisée dans l'esprit de Laurent. Comme l'explique Michel Brix, la conception de l'amour des romantiques est « apparenté au platonisme» et comme telle elle « conduit à vouer un culte à la femme, instrument de salut de l'homme139 ». Mais, ce culte comporte aussi ses dangers, tel que le montre Sand dans Elle et Lui, car une fois que la femme réelle apparaît, elle perd sa valeur comme instrument divin ou salvateur de l'homme.

136 Ibid., p. 45. 137 Ibid., p. 46. 138 Ibid., p. 61.

139 Michel Brix, op. cif., p. 37.

50 Ainsi, à travers le personnage de Thérèse, Sand critique cette conception romantique des

femmes comme êtres à idéaliser et à sacraliser. Dans une lettre que Thérèse écrit à sa 14D mère, elle appelle la maladie de Laurent «l'amour de ce qui n'est pas », et elle

présente le problème fondamental de la vision qu'a Laurent de l'amour et de la femme, et

par conséquent, de l'amour romantique:

Hélas ! oui, cet enfant voudrait avoir pour maîtresse quelque chose comme la Vénus de Milo, animée du souffle de ma patronne sainte Thérèse, ou plutôt il faudrait que la même femme fût aujourd'hui Sapho et demain Jeanne d'Arc. Malheur à moi d'avoir pu croire qu'après m'avoir ornée dans son imagination de tous les attributs de la Divinité, il n'ouvrirait pas les yeux le lendemain! Il faut que, sans m'en douter, je sois bien vaine, pour avoir pu accepter la tâche d'inspirer un culte !141

Thérèse est consciente du désir de Laurent de la sacraliser ou de lui créer « un culte », et

aussi du fait que ce désir vient de son mal du siècle, tout comme chez Octave dans La

Confession142. Au niveau narratif et au niveau de la construction du personnage, Thérèse n'est pas, par conséquent, une représentation de l'héroïne romantique sacralisée car Sand place l'opposition à cette vision au cœur même du personnage féminin. En refusant de faire de Thérèse une figure sacrée, Sand rejette, en partie, le portrait que Musset avait fait d'elle dans La Confession. Car, si Sand refuse de sacraliser Thérèse, comme le fait

Musset avec Brigitte, son choix de lui donner des qualités morales irréprochables pourrait indiquer toutefois un désir d'idéalisation. En effet, une des critiques de Sainte-Beuve à

George Sand au sujet d'Elle et Lui, est d'avoir fait de son personnage féminin un être un peu trop chaste et parfaitl43 . Or, la chasteté de Thérèse pourrait s'expliquer aussi comme

140 George Sand, Elle el Lui, op. cil., p. 147. 141 Ibid., p. 148.

142 Nous avons déjà discuté les caractéristiques du mal du siècle dans le chapitre 1 en utilisant la définition de Bertrand-Jennings. Voir chapitre l, note 35. 143 Georges Lubin, Correspondance de George Sand, tome XV, op. cil., p. 24, note 2.

51 l44 un signe de sa rationalité et une conséquence de son passé tragique . Sand crée ainsi un

personnage, qui, sans être sacralisé, est presque idéalisé en ce qui concerne ses mœurs

exceptionnelles et ses qualités maternelles.

Thérèse et la maternité idéalisée

Comme nous l'avons mentionné dans le chapitre précédent, une des caractéristiques de l'amour romantique est qu'il prend souvent la forme d'une relation mère-enfant, dans laquelle, par conséquent, la femme idéalisée est une forte figure maternelle. Dans Elle et Lui, ce désir de sacraliser et d'idéaliser la femme chez Laurent a pour conséquence le développement d'une relation ambiguë avec Thérèse. En effet, dans ce dialogue que Sand établit avec le romantisme et avec le roman de Musset, plus de vingt ans après leur rupture et la publication de La Confession, Sand exploite elle aussi l'ambiguïté des rapports entre Brigitte et Octave et la reproduit dans la liaison de

Thérèse et Laurent. Or, si, dans La Confession d'un enfant du siècle, la quête de la femme idéalisée mène Octave à voir Brigitte à la fois comme son ange, sa sœur, son amie et sa mère, dans Elle et Lui, c'est le rapport mère et enfant qui s'impose tout au long du roman.

Au début, la relation entre Thérèse et Laurent se caractérise par l'égalité entre collègues, mais leur amitié possède déjà les éléments d'une relation maternelle. Dans une lettre qui apparaît au début du roman, Laurent écrit à Thérèse: « vous êtes mille fois

144 Le passé de Thérèse est particulièrement tragique: fille d'une institutrice et d'un riche banquier, elle est née bâtarde. Elle connaît son père et sa mère, mais ils gardent le secret sur son existence tout au long de leurs vies. Son père la marie à quinze ans avec un comte portugais. Or, ce comte est déjà marié et Thérèse, qui est enceinte quand elle fait cette découverte, le laisse partir avec sa première femme. Thérèse mène une vie solitaire avec son enfant. Lorsque le comte revient pour lui demander pardon, Thérèse refuse. Il lui enlève l'enfant et disparaît. Selon le comte, l'enfant est mort ensuite pendant le voyage en Amérique. Palmer, ami d'enfance de Thérèse, rencontre le comte par hasard et apprend la nouvelle, qu'il transmet à Thérèse.

52 trop maternelle, ma chère Thérèse, de penser à mes intérêts au détriment des vôtres 145 ».

En effet, dans Elle et Lui, Thérèse possède des qualités maternelles dès le début du récit. Thérèse, plus âgée que Laurent de cinq ans, est son guide moral et spirituel.

Comme le fait Brigitte pour Octave dans La Confession, son rôle sera aussi de guérir le jeune peintre de son mal du siècle. Séparée de son enfant, Thérèse endosse le rôle de la mère de Laurent et entreprend sa guérison comme une nouvelle œuvre d'art à laquelle elle s'attaque délibérément: «Thérèse n'eut pas de faiblesse pour Laurent dans le sens moqueur et libertin que l'on attribue à ce mot en amour» et c'est «par un acte de volonté, après des nuits de méditation douloureuse» qu'elle accepte d'être sa

l46 maîtresse . La faiblesse de Thérèse est d'avoir des tendances maternelles envers

Laurent, que Sand met en contraste, néanmoins, avec la rationalité avec laquelle elle accepte d'assumer ce rôle. Laurent assume aussi, dès le début, le rôle de l'enfant: «vous savez bien qu'auprès de vous je suis chaste comme un petit enfant l47 » et il déclare finalement dans une lettre «Adieu Thérèse, vous ne m'aimez pas, et moi, je vous aime comme un enfant !148 » Si Thérèse était prête à refuser la déclaration d'amour de Laurent, ces mots réussissent toutefois à éveiller chez elle son amour maternel: «Ces deux lignes firent trembler Thérèse de la tête aux pieds. La seule passion qu'elle n'eût jamais travaillé

à éteindre dans son cœur, c'était l'amour maternel 149 ». Par conséquent, c'est par sacrifice que Thérèse accepte la proposition d'amour de Laurent: «Eh bien! j'offre à

Dieu pour toi le sacrifice de ma vie [...] Je serai assez payée si je te préserve du suicide

145 George Sand, Elle et Lui, op. cit., p. 15. 146 Ibid., p. 77. 147 Ibid., p. 63.

148 Ibid., p. 69. Ces mots proviennent d'une lettre que Musset écrit à Sand au début de leur liaison. Voir le chapitre 1, notes 40 et 41. 149 Ibid., p. 69.

53 que tu étais en train d'accomplir quand je t'ai connu150 ». Par la suite, les références à la

mère et à la dynamique mère-enfant entre Thérèse et Laurent sont nombreuses dans le roman. Thérèse, qui voit Laurent comme un génie qui gaspille son talent dans une vie de débauche, prend en charge la santé physique et morale de son ami:

Moi, je ne suis qu'une vieille prêcheuse qui vous aime bien, qui vous conjure de ne pas vous coucher tard toutes les nuits, et qui vous conseille de ne faire excès et abus de rien. Vous n'avez pas ce droit-là, génie l51 oblige .

Ainsi, en plus de ses instincts maternels, c'est sa sensibilité d'artiste qui mène Thérèse à prendre soin de Laurent car c'est son génie et son talent qu'elle veut aussi protéger. Par conséquent, elle se préoccupe aussi du manque de discipline de Laurent: «il m'est impossible de ne pas m'affliger de vos accès de paressel52 ». Grâce à son instinct maternel, Thérèse a aussi la capacité de deviner la «maladie» qui affecte Laurent, et lors d'une conversation qui se transforme en confession, Laurent lui déclare son malheur.

Si Thérèse assume le rôle de la mère dès sa première lettre à Laurent, c'est à ce moment qu'il est le plus infantilisé:

Un déluge de pleurs inonda son visage, et, se jetant aux genoux de Thérèse, non pas comme un amant qui se déclare, mais comme un enfant qui se confesse: Ah ! ma pauvre chère amie! [...] vous avez raison de me plaindre, car j'en ai besoin! 153

L'effet salutaire de Thérèse sur Laurent est évident aussi dès le début quand Laurent écrit dans une lettre: «Thérèse, quand je vous vois, quand vous me parlez, je suis calme154 ».

Laurent, qui vit une vie de débauché et de cynique, est touché par la charité et le calme de

150 Ibid., p. 78. 151 Ibid., p. 14. 152 Ibid., p. 29. 153 Ibid., p. 33. 154 Ibid., p. 44.

54 Thérèse:« Je sais que sage, laborieuse, tranquille, respectée, puisque vous êtes libre,

aimée, puisque vous êtes heureuse, vous trouvez le temps et la charité de me plaindre, de

155 savoir que j'existe, et de vouloir me faire mieux exister ».

Donc, si Sand rejette un aspect de l'amour romantique, elle en exploite un autre,

la relation maternelle entre deux amants. Cette dimension de la relation amoureuse, si caractéristique de la littérature romantique, ne se limite pas aux romans de Sand. Comme nous l'avons vu dans les extraits de la correspondance de Musset et de Sand discutés dans le premier chapitre, Sand a souvent assumé un rôle maternel envers ses amants. Comme l'explique Marie-Paule Rambeau :

La frontière est souvent mal délimitée dans la sensibilité de George Sand entre l'amour de l'enfant et l'amour de l'amant; la fusion de ces deux aspects de l'amour lui paraît naturelle. L'attitude maternelle n'exclut Eas, 1 il s'en faut, l'attrait sensuel initial, elle lui sert au contraire d'adjuvant 6.

De la même façon que dans La Confession d'un enfant du siècle et dans Elle et Lui, où l'héroïne est plus âgée que son amant, quelques-unes des liaisons les plus célèbres de

Sand ont été caractérisées par la quête d'un équilibre entre ses tendances maternelles et son désir d'égalité avec ses amants:

Le nombre des expériences sentimentales qui marquent la période 1831­ 1838 traduit la recherche d'un équilibre difficile à concilier avec [une] double exigence: être reconnue par l'homme comme son égale et trouver dans l'amour l'indispensable contrepoint de la maternité qui protège et se dévoue. Les liaisons qui semblent avoir le plus compté révèlent ces deux tendances dont l'impossible synthèse conduit à la rupture; ce fut le cas pour Sandeau, pour Musset [...]157.

155 Ibid., p. 38.

156 Marie-Paule Rambeau, Chopin dans la vie et l'œuvre de George Sand, Paris, Les Belles Lettres, 1985, p.53. 157 Ibid., p. 21-22.

55 Dans Elle et Lui, Sand présente aussi Thérèse comme se débattant entre son désir

d'indépendance et son désir de se donner entièrement à l'amour car elle rejette d'abord la

déclaration d'amour de Laurent mais elle l'accepte ensuite quand il apparaît comme un

enfant innocent et malade. Thérèse est consciente de la nature contradictoire de ses

sentiments:

[Thérèse] s'était longtemps imaginé qu'elle vivrait ainsi, et que l'art serait son unique passion. Elle s'était trompée, et elle ne pouvait plus se faire d'illusions sur l'avenir. TI lui fallait aimer, et son plus grand malheur, c'est qu'il lui fallait aimer avec douceur, avec abnégation, et satisfaire à tout prix cet élan maternel qui était comme une fatalité de sa nature et de sa vie. Elle avait pris l'habitude de souffrir pour quelqu'un, elle avait besoin de souffrir encore [...]158.

Thérèse hésite à accepter la proposition de mariage de Palmer à cause de sa tendance maternelle envers ses amants, qu'elle ne peut pas exprimer avec lui. À la différence de

Laurent, Palmer n'est pas un enfant malade qu'elle doit soigner et guérir:

Palmer s'était donc trompé en lui offrant un appui et une consolation. TI avait manqué à Thérèse de se croire nécessaire à cet homme, qui voulait qu'elle ne songeât qu'à elle-même. Laurent, plus naïf, avait ce charme particulier dont elle était fatalement éprise, la faiblesse! 159

En évoquant la faiblesse de Laurent comme le trait qui attire le plus Thérèse envers lui,

Sand explore la dynamique de pouvoir qui se développe dans cette dimension maternelle de l'amour romantique et qui place souvent le personnage féminin dans un rôle dominant.

Or, en évoquant en même temps le besoin de Thérèse de se sacrifier en amour et de souffrir pour ses amants, Sand montre comment la femme peut aussi tomber facilement dans un rôle de victime. C'est un thème que Sand avait déjà exploré dans des romans antérieurs à Elle et Lui.

158 George Sand, Elle et Lui, op. cit., p. 200. 159 Ibid., p. 200.

56 Dans son analyse du roman Lucrezia Floriani (1846) de Sand, Françoise

Massardier-Kenney explique comment l'auteure utilise la dynamique de l'amour maternel pour montrer un personnage féminin qui oscille entre un rôle de victime et un rôle de pouvoir: «Lucrezia Floriani focuses on the paradoxically empowering and victimizing effect that the adoption of a maternaI model has on independent women 160 ».

Dans Lucrezia Floriani, et dans Elle et Lui, Sand met en scène une femme qui mène une vie indépendante et libre jusqu'au moment où elle commence sa liaison avec un homme plus jeune. Le roman Lucrezia Floriani présente aussi le personnage féminin comme une femme qui n'a jamais accepté d'avoir des liaisons amoureuses avec des hommes au- dessus de son propre statut social pour ne jamais devenir dépendante, financièrement ou socialement, de ses amants. Lucrezia a donc des liaisons avec des hommes considérés comme ses inférieurs, intellectuellement mais aussi moralement, occupant ainsi le rôle le plus puissant:

Thus in her efforts to avoid occupying an inferior position in the love relation, Lucrezia reproduces an (inverted) inequality of positions. Paradoxically, this inverted power structure is translated into her overemphasis on motherhood as a model structure for relations with men 161

Finalement, en acceptant un rôle maternel envers son amant, Lucrezia assume le contrôle de la liaison mais en créant chez son amant des besoins si forts qu'elle doit sacrifier sa vie pour les combler. Si dans Elle et Lui Thérèse n'a pas un statut social plus élevé que

Laurent, les ressemblances entre la relation de Thérèse et de Laurent et celle de Lucrezia et du prince Karol sont néanmoins claires. De la même façon que Thérèse évoque le

160 Françoise Massardier-Kenney, Gender in the Fiction of George Sand, Atlanta, GA, Rodopi, 2000, p.126. 161 Ibid., p. 147.

57 succès et l'indépendance de Lucrezia, Laurent possède la même personnalité excessive

que Karol, qui est à la fois un enfant malade et faible et un amant cruel et jaloux. En

effet, dans Elle et Lui, Laurent passe du statut d'enfant innocent à celui d'« enfant en

délire162 » et du « fatal enfant163 ». Ainsi, la relation maternelle entre Laurent et Thérèse

place celle-ci dans un rôle de pouvoir sur Laurent, mais elle en fait aussi la victime de ses

propres tendances maternelles car c'est au détriment de sa carrière artistique, de sa

stabilité financière et de sa santé qu'elle reste avec Laurent. Le point culminant du

sacrifice maternel de Thérèse a lieu lorsque Laurent tombe malade à Florence et qu'elle

le soigne avec dévouement pendant « vingt jours et vingt nuits 164 ». Or, à la différence de

Lucrezia Floriani, où Lucrezia est la victime fatale de sa relation maternelle avec Karol,

Thérèse, après avoir accepté de jouer un rôle maternel dans sa liaison avec Laurent, refuse à la fin de perpétuer la dépendance pathologique de Laurent en refusant sa proposition de mariage. De la même façon, si Brigitte dans La Confession est prête à donner sa vie pour Octave, Thérèse refuse, quant à elle, de le faire pour Laurent car Sand donne à son héroïne la force d'échapper à leur liaison destructrice. Victime de la jalousie de Laurent mais aussi de celle de Palmer, Thérèse adresse une prière à son enfant mort: «Mon enfant [...] je te jure, à toi qui es dans le ciel, qu'aucun homme n'avilira plus ta pauvre mère165 ». Avec la réapparition miraculeuse de son enfant, elle peut finalement se dévouer à lui, au détriment de sa relation amoureuse avec Laurent, qu'elle a véritablement aimé. Ainsi, même si Sand exploite le caractère maternel de l'amour romantique, elle présente aussi ses dangers et refuse de perpétuer ce type de relation chez

162 George Sand, Elle et Lui, op. cit., p. 187 163 Ibid., p. 192. 164 Ibid., p. 119. 165 Ibid., p. 188.

58 son personnage féminin. À la fin, Thérèse refuse de continuer sa liaison avec Laurent face à l'impossibilité d'établir une relation amoureuse de sérénité avec lui. Sand présente

néanmoins un personnage féminin qui est défini principalement par sa maternité, son dévouement et son sacrifice.

Le dialogue avec le romantisme: une nouvelle conception de l'artiste et de l'art

Dans Elle et Lui, Sand pose un regard caustique sur la conception romantique de la femme et de l'amour à travers l'opposition de l'attitude face au travail chez Thérèse et chez Laurent. Cette comparaison permet à Sand de se distancier de certains aspects du romantisme ainsi que d'explorer des thèmes et des éléments associés au courant réaliste de la deuxième moitié du XlXe siècle. Comme l'explique Alexandra K. Wettlaufer, Elle et Lui est «[al novel of female painter and her struggle between love and art» qui présente «an eloquent portrait of the artist as a not-so-young woman that provides significant, yet almost entirely ignored, insights into the author's late aesthetic and her on-going dialogue with Romanticisml66 ». Dans son article, Wettlaufer choisit de lire Elle et Lui du point de vue esthétique et non du point de vue autobiographique pour aborder des questions plus abstraites sur le genre sexuel, la production artistique, la maternité et le romantisme. Selon Wettlaufer, pour Sand, «Romanticism represented a larger world-view of masculinist aesthetics and impotence l67 » et elle explique que dans

Elle et Lui, cette impuissance masculine est représentée par l'incapacité de Laurent de travailler et de créer au même rythme que Thérèse. En effet, l'impuissance artistique de

Laurent est évidente dès le début car, tandis que Thérèse est capable de travailler

166 Alexandra K. Wettlaufer, op. Cif., p. 167. 167 Ibid., p. 168.

59 constamment et de faIre· des port"raIts «tres en vogue168 », Laurent ne traVaI'11e pas

suffisamment et doit attendre l'inspiration pour pouvoir produire un tableau. Sand

propose ainsi deux portraits opposés de l'artiste.

Dans une lettre qu'il écrit à Thérèse, Laurent, qui fait des tableaux historiques, lui

explique pourquoi il ne peut pas faire de portraits: « Certains peintres, incapables de rien

composer, peuvent copier fidèlement et agréablement le modèle vivant. [...] Quand on

est un pauvre peintre d'histoire [...] on ne peut pas lutter contre des gens du métier [...]

Je suis un malheureux inventeur d'attitudes, de types et d'expressions. Il faut que tout

cela obéisse à mon sujet, à mon idée, à mon rêve [...]169 ». Non seulement leur talents

sont différents, mais de son propre aveu, Laurent manque aussi de la discipline nécessaire

pour travailler et bien faire de la peinture comme le fait Thérèse: «D'ailleurs jamais je

n'ai été moins en train de faire de la peinture. Il faut pour cela deux choses que vous avez, la réflexion et l'inspirationl70 ». Laurent se pose comme un jeune homme de talent supérieur mais qui manque de discipline et qui a perdu son inspiration pour travailler. Au contraire, l'amour du travail est clair chez Thérèse quand elle affirme: «Je suis très

171 heureuse à présent, puisque j'ai du travail et que j'aime le travail par-dessus tout ».

C'est que, comme l'explique Wettlaufer, « for Thérèse, art is not a question of genius, but of survival172 ». En effet, nous avons déjà vu dans la description de la carrière artistique de Thérèse, que c'est à travers l'art et le travail discipliné qu'elle a pu s'établir dans la société et se faire un nom respecté dans les cercles artistiques. C'est son travail de peintre

168 George Sand, Elle et Lui, op. cit., p. 10. 169 Ibid., p. 8-9. 170 Ibid., p. 15-16. 171 Ibid., p. 26.

172 Alexandra K. Wettlaufer, op. cit., p. 178.

60 qui lui permet aussi de vivre librement comme elle le fait. Sand montre ses idées sur

l'artiste et son approche du travail plus clairement lors du voyage des amants en Italie.

Dès leur arrivée, Thérèse trouve du travail en faisant des copies des tableaux

célèbres de Van Dyck. Thérèse, en effet, «ne [peut] pas se dispenser» de faire de la

peinture 173. Au contraire, quand elle suggère à Laurent de faire des copies lui aussi, il

« trouva cette idée absurde. Tant qu'il avait quelque argent en poche, il ne concevait pas

que l'on descendît des hauteurs de l'art jusqu'à songer au gain l74 ». Dans sa plus forte critique de l'artiste romantique, Sand décrit l'état d'esprit de Laurent et son incapacité de créer quand il se trouve face à face avec la réalité:

[Laurent] se sentit frappé d'impuissance momentanée, et tomba dans un de ces spleens contre lesquels il ne savait pas réagir tout seul. TI lui eût fallu des émotions venant du dehors, une magnifique musique sortant du plafond, un cheval arabe entrant par le trou de la serrure, un chef d'œuvre littéraire inconnu sous la main, ou encore mieux, une bataille navale dans le port de Gênes, un tremblement de terre, n'importe quel événement, délicieux ou terrible, qui l'arrachât à lui-même, et sous l'impulsion duquel f75 il se sentît exalté et renouvelé •

Le ton ironique et presque moqueur de ce passage montre le refus de cette vision romantique de l'art et du travail. Sand favorise clairement l'approche de Thérèse, qui, même si elle ne crée pas des tableaux originaux à Venise, est capable de continuer à travailler en faisant des copies des tableaux de Van Dyck pour des impératifs

économiques. Par contre, Laurent n'est pas seulement frappé d'une« impuissance momentanée» mais il refuse aussi de sacrifier l'art sur l'autel de la nécessité. Sand oppose l'inspiration romantique, qui touche l'artiste comme un coup de foudre, à la

173 George Sand, Elle et Lui, op. cit., p. 93. 174 Ibid., p. 94.

175 Ibid., p. 95-96.

61 capacité d'effectuer un travail avec discipline et efficacité. Elle oppose donc inspiration

et capacité de travail, émotion et réflexion, mais semble aussi suggérer qu'un équilibre

entre ces éléments est également important. Sand montre aussi que Thérèse est capable de

gagner sa vie seule, sans avoir jamais eu le support d'un homme, grâce à cette

combinaison de talent artistique et de discipline. L'auteure insiste aussi sur la quête

d'indépendance personnelle et financière de Thérèse en tant que femme artiste de talent,

ce qui l'amène à produire de l'art. Donc, chez Thérèse, création et production, dans le

sens économique du terme, se côtoient sans problème. Ainsi, l'auteure montre comment

la liaison de Thérèse avec Laurent contribue à détruire non seulement sa réputation mais

sa stabilité financière et artistique:

Avec la déconsidération arriva bientôt pour Thérèse un autre sacrifice à faire: celui de la sécurité domestique. Jusque-là elle avait gagné assez d'argent par son travail pour mener une vie aisée; mais ce n'était qu'à condition d'avoir des habitudes réglées, beaucoup d'ordre dans ses dépenses et de suite dans ses occupations. L'imprévu qui charmait Laurent amena la gêne176.

Sand évoque donc une réalité matérielle qui n'est pas présente dans La Confession et qui est plus caractéristique du courant réaliste dans son portrait d'un personnage préoccupé par le travail, et la production ou le manque d'argent. Un autre exemple de cet élément plus réaliste dans le roman est le passage où Thérèse, seule dans un petit village italien, doit faire de la dentelle pour pouvoir payer le loyer de la pension où elle loge. Dans ce passage, Sand choisit encore une fois de décrire de Thérèse à travers un personnage masculin qui dit être amoureux de la jeune femme. Elle utilise aussi la description pour parler des artisanes de la dentelle et de leur situation à cette époque:

176 Ibid., p. 92.

62 C'était une femme qui paraissait avoir de vingt-cinq à trente ans. li ne l'avait vue qu'à une fenêtre où elle était assise, faisant de la dentelle. La grosse dentelle de coton est l'ouvrage des femmes du peuple sur toute la côte génoise. C'était autrefois une branche de commerce que les métiers ont ruinée, mais qui sert encore d'occupation et de petit profit aux femmes et aux filles du littoral. Donc celle dont le jeune enseigne était épris appartenait à la classe des artisanes, non seulement par ce genre de travail, mais encore par la pauvreté du gîte où il l'avait aperçue177.

Ce passage classe Thérèse parmi les « artisanes », non seulement à cause de son travail

mais aussi à cause de la pauvreté de l'immeuble où elle choisit de demeurer. Sand met en

lumière non seulement les difficultés éprouvées par la classe ouvrière des artisanes de la dentelle, mais aussi la capacité de Thérèse d'assumer cette identité d'ouvrière avec aisance. C'est enfin le refus de Thérèse de vivre dans un monde idéalisé, tel que le désire

Laurent, qui marque l'opposition entre les deux personnages. Les impératifs économiques rendent caduques la conception de l'art comme strictement soumis à la poussée de l'inspiration ou du génie. Ainsi, Thérèse vit dans un monde où la réalité économique rend impossible un mode de vie « romantique », basé sur des idéaux artistiques indépendants des contraintes économiques.

Dans son livre sur l'écrivain, Béatrice Didier consacre une partie de son analyse à la question du réalisme dans l'œuvre de Sand. Elle explique que le « roman de l'artiste », genre parmi lequel elle place Elle et Lui, a été exploité principalement par les romantiques, même s'ils ne l'ont pas fait exclusivement178. Or, elle explique aussi que

Sand a longuement médité sur le réalisme, en particulier dans sa correspondance avec

Flaubert, et que nous pouvons trouver des thèmes et des «traits fondamentaux de la

177 Ibid., p. 153. 178 Beatnce' . D'd'11er, op. CIf.,. p. 825.

63 l79 manière 'réaliste' » dans son œuvre . Tel que l'explique Didier, « un moyen d'affirmer

la réalité du monde, c'est de mettre en scène un héros qui refuse de voir cette réalité et

l8o dont l'idéalisme sera dénoncé ». En effet, dans Elle et Lui, l'idéalisme de Laurent est dénoncé comme son plus grand défaut, mais aussi comme l'essence de l'artiste qu'il est:

« Tu as aspiré de toutes tes forces à l'idéal du bonheur, et tu ne l'as saisi que dans tes rêves. Eh bien! tes rêves, mon enfant, c'est ta réalité, à toi, c'est ton talent, c'est ta vie:

l81 n'es-tu pas artiste? » lui écrit Thérèse . Or, ces dernières paroles de Thérèse à Laurent montrent que même si elle rejette sa conception trop idéalisée de l'art et du travail artistique, elle a toujours de l'admiration pour son génie. Sand montre ainsi que sa conception plus réaliste de l'art et du travail artistique n'exclut pas l'idée du génie et de la quête d'un idéal dans l'art. Une dernière observation sur le contraste entre les styles de travail et de tempérament de Thérèse et Laurent, illustre le dialogue que Sand établit entre le romantisme et le réalisme.

Tandis que Laurent est peintre de tableaux historiques, il doit faire appel à son imagination et à l'allégorie. De son côté, pour faire des portraits, Thérèse doit copier et reproduire ses modèles, et être fidèle à la réalité. Dans ce contexte, les œuvres autobiographiques de Sand et de Musset, se prêtent à une comparaison similaire: Elle et

Lui apparaît ainsi comme un récit plus rationnel et fidèle à la réalité, tandis que le roman de Musset est associé à l'excès de subjectivité et à l'idéalisation du romantisme. Le type de narration choisi par Sand et Musset montre également cet écart: la subjectivité de la narration à la première personne dans La Confession, typique de la littérature romantique

179 Ibid., p. 675. 180 Ibid., p. 677.

181 George Sand, Elle et Lui, op. cit., p. 228.

64 du début du XIXe siècle, s'oppose à la narration omnisciente utilisée par Sand. Ce choix

permet à Sand de se tenir à distance de son histoire personnelle.

Pour conclure, si Sand utilise l'histoire de sa liaison avec Musset pour explorer et

remettre en question les conceptions romantiques de la femme, de l'amour et de l'art, elle

n'abandonne pas complètement les thèmes prédominants du romantisme. À travers le

personnage de Thérèse, Sand fait un portrait de la femme artiste du XIXe siècle qui va à

l'encontre de la figure de l'artiste romantique au masculin. Sand rejette la tendance à la

sacralisation de la femme typique de la littérature et de l'art romantique, non seulement

au niveau de la création artistique mais au niveau des relations naturelles entre les hommes et les femmes. En même temps que Sand semble idéaliser l'amour maternel en faisant de Thérèse une femme dévouée aux tendances profondément maternelles, ce rapport mère-enfant qui existe entre Thérèse et Laurent installe le personnage féminin dans un rôle de pouvoir qui lui permet, à la fin, de déterminer son propre avenir. Or, le regard rationnel que pose Thérèse sur sa relation complexe avec Laurent, et aussi avec

Palmer, est son trait le plus caractéristique. Consciente que ses tendances maternelles envers ses amants la placent dans un rôle de pouvoir mais aussi de victime, Thérèse décide d'abandonner Laurent et de dédier sa vie à son enfant et à son art. Cette rationalité de Thérèse est évidente aussi dans son approche du travail artistique et dans ses opinions sur l'art. Au contraire de l'artiste romantique, représenté par Laurent, Thérèse apparaît comme une artiste de talent consciente de la réalité matérielle et soumise aux impératifs

économiques. Son travail est pour elle une source de plaisir et d'épanouissement artistique, mais aussi un moyen de subsistance qui lui permet d'avoir son indépendance.

On constate donc, que si Thérèse refuse finalement d'être la victime de Laurent, dans La

65 Confession Brigitte décide de rester dans une position de victime et de se donner en

sacrifice à Octave. Si elle est « libérée» à la fin du récit, c'est grâce à Octave qui, guéri

de sa maladie du siècle, est capable de la laisser partir avec Smith et de transcender son

amour pour elle.

Finalement, dans Elle et Lui, la « fictionalisation du moi» est évidente dans le choix de Sand de présenter son histoire personnelle à travers un narrateur omniscient qui

lui pennet de créer un personnage assez distinct et séparé d'elle-même et de son histoire amoureuse avec Musset. Or, ce processus de fictionalisation du moi lui pennet aussi de créer un personnage féminin qui oscille entre le réel et l'idéal, tout comme elle le fait dans le dialogue qu'elle établit entre le romantisme et le réalisme: il n'y a pas d'absolu chez Sand. Comme l'explique lleana Mihiala: «Chez George Sand, la lucidité n'exclut pas la soif de l'idéal; au contraire, c'est elle qui lui confère la force et la valeur: voir le monde tel qu'il est et s'évertuer à le rendre meilleur par sa création l82 ».

182 I1eana Mihiala, « Romantisme et réalisme dans la construction des personnages sandiens », dans Jeanne Goldin (dir.), George Sand et l'écriture du roman: actes du Xr colloque international George Sand, Montréal, Département d'études françaises, Université de Montréal, 1996, p. 94.

66 tG) Chapitre 3 œ Impromptu: George Sand, artiste romantique

67 Dans notre analyse des romans La Confession d'un enfant du siècle et Elle et Lui, nous avons étudié la façon dont Musset et Sand ont construit leurs personnages romanesques pour présenter des conceptions particulières de la femme, ainsi que de la femme artiste en France au XIXe siècle. Si les romans de Musset et de Sand montrent que la composition de ces personnages autobiographiques reflète une vision personnelle des

événements de leur liaison, ils révèlent aussi que cette vision a été influencée par les préoccupations esthétiques et les grands thèmes de leur époque. Réalisés plus de cent ans après la parution des romans de Sand et de Musset, les films de James Lapine et de Diane

Kurys reflètent l'écart temporel qui les sépare des œuvres romanesques ainsi que la multitude de sources (autobiographiques, biographiques et romanesques) qui auraient contribué à leur construction du personnage. Ainsi, Impromptu, réalisé en 1991, présente une vision moderne et ironique du romantisme et de l'artiste romantique, en même temps qu'il exploite plusieurs aspects, devenus des lieux communs, du personnage légendaire de Sand. En effet, en faisant un portrait de Sand en tant que femme artiste et femme amoureuse, le film projette une image moderne de la femme artiste et professionnelle, ce qui est fait, en grande partie, à travers la représentation visuelle du personnage.

Dans Impromptu, l'utilisation de différents types de plans, des costumes et de la musique contribue, en même temps que les dialogues, à créer une image de Sand qui met l'emphase sur sa masculinité et qui la distingue des portraits de l'écrivaine qu'on trouve dans les romans de Musset et de Sand. Par conséquent, l'utilisation du medium cinématographique appelle une méthode d'analyse différente de la représentation de l"ecrivaine. Comme l'explique H. Paul Chevrier, la composition d'un personnage au cinéma dépend, en grande partie, de la façon dont il est mis en scène:

68 [...]La composition de l'image, l'échelle des plans, l'angle de prise de vue et le découpage organisent l'espace et déterminent une certaine perception. La proximité d'un personnage dans une série de champs et contrechamps, sa position privilégiée dans une profondeur de champ ou dans un plan­ séquence, l'attitude des protagonistes dans les plans de réaction suscitent l'identification à ce personnage en particulier. Indépendamment de l'acteur, la mise en scène fournit un statut particulier au personnage principal183•

En effet, dans Impromptu, l'utilisation de plans (plus souvent moyens ou d'ensemble) et

le traitement de l'espace servent à montrer la liberté de mouvement du personnage, qui

fait contraste avec les autres personnages féminins. Aussi, si au cinéma un personnage

« se définit par son apparence, son physique, son habillement, sa démarche, ses tics [...]

ainsi que par l'acteur qui l'incarne184 », les costumes et le style de jeu de l'actrice principale constituent deux autres éléments importants dans la représentation. Enfin, la musique, qui est associée au personnage le long du film, sert à révéler le monde intérieur de Sand et sa connexion spirituelle avec Chopin. À travers l'optique des films à costumes ou d' «héritage », mais aussi de la comédie, nous regarderons la façon dont le personnage incarne une représentation particulière de l'artiste romantique, en même temps qu'il s'enrichit des éléments de la vie de Sand, tels que son côté maternel ou sa grande capacité de travail. Or, comme pour les romans de Musset et de Sand, notre analyse se concentrera sur la représentation du personnage de George Sand dans la fiction plutôt que sur la quête d'une vérité historique ou biographique, en vue d'étudier la vision qu'a pu avoir le XXe siècle sur une artiste et écrivaine du XIXe siècle.

Ainsi, c'est en tenant compte de l'ensemble complexe d'éléments qui forment le

«texte cinématographique» que nous examinerons la construction du personnage en

183 H. -Paul Chevrier, op. cit., p. 94-95. 184 Ibid., p. 93-95.

69 fonction de trois aspects principaux: la représentation de Sand en artiste romantique au

masculin, la dimension de femme amoureuse et maternelle de l'auteure et, finalement,

l'exploitation des éléments particuliers de la «légende» de Sand. Nous ferons d'abord,

un bref aperçu sur le film d'héritage et sur les étapes du film.

Une comédie « d'héritage»

Impromptu, réalisé par James Lapine avec un scénario de Sarah Kernochan,

raconte un épisode de la vie amoureuse de George Sand, le début de sa relation avec

Frédéric Chopin, un des compositeurs les plus importants du romantisme. Ce film, qu'on peut qualifier de comédie, appartient aussi à un genre cinématographique plus spécifique qui émerge en Europe dans les années 80 et 90, 1'« heritage film », ou film d'héritage en français:

Heritage cinema [...] refers to costume films made in the past twenty years or so, usually based on popular classics [like] Forster, Austen, Shakespeare, Balzac, Dumas, Hugo, Zola. The large majority are European, though in the 1990s productions evolved towards a greater internationalism, either pan-European [...] or with large American participation185.

Impromptu, une coproduction entre les États-Unis et le Royaume-Uni, n'est pas une adaptation, mais le film trouve ses sources dans l'histoire littéraire et artistique européenne. Comme l'explique Ginette Vincendeau: «Heritage films also draw on a wider popular cultural heritage that includes historical figures and moments, as weIl as music and painting186 ». Dans le cas d'Impromptu, la longue expérience de James Lapine comme metteur en scène de théâtre, ainsi que son choix de raconter une histoire du

185 Ginette Vincendeau, « Introduction », op. cil., p. vii. 186 Ibid, xviii.

70 passé littéraire et artistique européen, aident à placer le film dans la veine littéraire et

théâtrale associée aux films d'héritage.

Ainsi, la relation directe ou indirecte avec une œuvre littéraire respectée ou avec

une période spécifique du passé artistique européen rehausse le prestige des films d'héritage, qui sont souvent considérés comme des films d'art :

In this respect, the heritage film is a kind of « art cinema» but one that derives its « art » from extra-textual sources rather than its employment of the strategies of self-conscious narration and expressive visual style 18 characteristic of art cinema in the 1950s and 1960S .

Or, si Impromptu profite de la popularité des films d'héritage dans les années 80 et 90 au

Royaume-Uni, le film diffère d'autres films d'héritage dans le fait qu'il porte un regard plutôt ironique et comique sur le passé. En effet, si les films d'héritage révèlent une fascination pour la reconstitution détaillée des costumes et des objets d'une période spécifique de l'histoire du pays, dans Impromptu, ces détails laissent davantage la place à

l88 l'action et aux dialogues . Et si ce genre a été très critiqué à cause de la tendance de

189 certains films d'héritage à porter un regard nostalgique et peu critique sur le passé , dans son film, Lapine célèbre les artistes du mouvement romantique et s'en moque à la fois. Avec un style théâtral et des éléments empruntés à la farce et à la comédie,

Impromptu va à l'encontre des caractéristiques établies du genre «heritage film ».

Comme l'explique Susan Hayward, la comédie en tant que genre «deliberately goes againts the demands of realism », ce qui, dans le contexte d'un film d'héritage, a pour

IB7 John Hill, British Cinema in the 1980s, Oxford, Clarendon Press, 1999, po 780 IBB John Hill explique que le film d'héritage est souvent caractérisé par l'utilisation de techniques visuelles complexes et élaborées qui mettent l'emphase sur l'aspect visuel du film: «Visual techniques are often employed in ways which are ostentatious or just visually pleasing in themselveso [000] Visual techniques, however, are used not only to display sorne of their own artistry but to display the iconography with which the genre is most associated: buildings, properties, costumes, and landscapes »0 Opo cito, po 80-81. IB9 Ginette Vincendeau, « Introduction », opocito, po xviiio

71 l9o effet de diminuer «l'authenticité historique» et le prestige associé à ce type de film •

Ainsi, la réception d'Impromptu par les critiques en Europe et en Amérique du Nord est

variée. Plusieurs critiques accusent le film d'anachronismes; Janet Maslin du New York

Times écrit: «The film's style is so merrily and unapologetically contemporary that all of

these events might easily be taking place in the present day, most likely on 'Dallas' 191 ».

Un critique encore plus sévère déclare que le film montre « a radical inability to imagine the European past as a place that is truly different from the American presentl92 ». Keith

Edwards, dans sa critique du film, le compare à d'autres films d'héritage et déclare que le style et le ton ne conviennent pas au sujet: «If indeed we must tell this tale once again it should be in the Merchant Ivory style with a script of Jhabvala elegance l93 ». En général, le jeu de l'actrice principale, Judy Davis, est apprécié par les critiques: «Davis, steely, sexy and vulnerable all at the same time, is characteristically splendid 194 ». Dans son article, Georgia Brown admire l'aspect «garcon manqué» du personnage, tel que joué par l'actrice, (<< She rides, she shoots, she evades her lovers by going out on a window and hanging from a trellis [...]»), ainsi que son apparence physique: «[...] with no makeup and [...] her blunt-chopped, frizzy hair au naturel [she] becomes uncommonly glamorous l95 ». Mais si, dans l'ensemble, le film est perçu comme comique, et le jeu de

l96 Davis admiré, l'œuvre est vue aussi comme superficielle et peu sérieuse • li est évident dans les comptes rendus de l'époque que le manque de fidélité historique a été considéré

190 Susan Hayward, « Comedy », Cinema Studies: The Key Concepts, New York, Routledge, 2001, p. 73. 191 Janet Maslin, « Chopin, George Sand, Liszt and Sorne Others », The New York Times, April 12 1991, p.ClO. 192 Richard Alleva, « Ignorants Abroad: Robin and Impromptu », August 9 1991, p. 486. 193 Keith Edwards, « Film Reviews: Impromptu », Films in Review, vol. 42, no. 5/6, June 1991, p. 191. 194 Ralph Novak, « Impromptu », People Weekly, vol. 35, no. 16, April 29 1991, p. 14. 195 Georgia Brown, « Two Serious Tomboys », The Village Voice, no. 36, April 16 1991, p. 58. 196 Dans un article sur le film, le célèbre critique américain Roger Ebert écrit: « The p1easure of the movie cornes at the same level as id1e gossip », « Impromptu », May 3 1991, [http://rogereberLsuntimes.coml]

72 comme un des plus grands défauts du film. Pourtant, dans des interviews faites lors de la

sortie du film, Kernochan a déclaré que la précision historique n'était pas une de ses

priorités et que le scénario était plutôt « a free association of a personal nature based on a

historical theme » et que le film « speculates about a poorly documented period at the

start of Chopin and Sand's idyll197 ». Si la quête de vérité historique dans la

représentation de George Sand n'est pas le but de notre analyse, la réaction négative des

critiques sert néanmoins à montrer que le traitement comique d'un épisode de la vie de

deux artistes connus et respectés allait à l'encontre des attentes par rapport aux films

d'héritage et à leur représentation des personnages historiques. Or, nous verrons que la

comédie dans le film est un élément important dans la représentation de Sand, car elle

sert à montrer le personnage dans tous ses excès et ses défauts, mais aussi à mettre

l'emphase sur sa modernité.

Impromptu raconte le début de la relation amoureuse entre Sand et Chopin. Le film a trois parties principales: la présentation du personnage de George Sand, sa découverte de Chopin (à travers sa musique) et le début de la relation amoureuse. La première séquence du film montre la jeune Aurore Dupin. Cette scène est de fait un souvenir de George Sand adulte, qu'on voit en train de rédiger un chapitre de son autobiographie. Ensuite, nous voyons ses enfants, Maurice et Solange, qui jouent dans le jardin de la maison à Nohant. Aussi, sa liaison avec Félicien Mallefille, instituteur de ses enfants, semble arriver à sa fin. À la suite de ces séquences à Nohant, une autre séquence met l'emphase sur la vie professionnelle de Sand. À Paris, elle est une écrivaine établie et respectée dans les cercles artistiques de Paris. Nous voyons Sand négocier son salaire

197 Cité dans Patricia Corbett, « In Impromptu, ICs George Sand and Chopin Again », New York Times, Jan 7,1990, p. H13.

73 avec son éditeur, François Buloz, rendre visite à ses amis artistes (Liszt et Delacroix) et

visiter un salon avec d'autres artistes et membres de l'aristocratie. C'est à ce moment

qu'elle entend la musique de Chopin pour la première fois.

La deuxième partie du film concerne le séjour à la campagne chez le duc et la

duchesse d'Antan et la tentative de séduction de Chopin par Sand. Hantée par la musique

de Chopin, Sand éprouve un malaise indéterminé. Le reste du séjour, elle est poursuivie par ses anciens amants, Musset et Mallefille, tandis qu'elle entreprend la séduction de

Chopin sans beaucoup de succès. Tous ses efforts sont gâchés quand elle écrit avec

Musset une pièce de théâtre qui se moque de leurs hôtes aristocratiques.

La troisième partie du film nous montre Sand poursuivant Chopin de manière assez agressive. De retour à Paris, Marie d'Agoult, amie de Sand et l'amante de Franz

Liszt, conseille à Sand de séduire Chopin à la façon d'un homme. Suite à une série de quiproquos, Chopin rejette l'amitié de Sand, mais après un duel entre le musicien et

Mallefille, Sand et Chopin deviennent finalement amants. La dernière séquence du film les montre partant pour Majorque avec les enfants.

En général, le film montre Sand comme une femme exceptionnelle, excentrique, passionnée et très libérée pour son époque. L'œuvre présente Sand non seulement comme l'artiste romantique par excellence, mais aussi comme une femme qui a rompu avec les codes moraux de son époque à travers ses célèbres relations amoureuses et sa vie scandaleuse. Mais, la dimension maternelle de Sand, évidente dans ses relations avec ses enfants ainsi qu'avec ses amants, sert à nuancer le portrait très exagéré et comique du personnage.

74 L'artiste romantique au masculin

Comme nous l'avons vu dans les romans de Musset et de Sand, Octave et

Laurent représentent deux portraits typiques du personnage romantique, lequel, atteint du

mal du siècle et déçu de la réalité, cherche à idéaliser la femme aimée. La nature comme

reflet de l'âme, le mal du siècle, ainsi que la quête de l'idéal amoureux et du sublime dans l'amour et dans l'art, sont des questions essentielles explorées par les artistes romantiques 198. Dans Impromptu, le personnage de Sand incarne ces trois aspects du héros romantique, et elle devient, par conséquent, une représentation de l'artiste romantique au masculin. En effet, nous avons vu que l'héroïne romantique possède, quant à elle, des caractéristiques très différentes de celles des héros: figure à la fois sacralisée et idéalisée, elle assume aussi le rôle de la mère face au personnage masculin.

Ainsi, dévouement maternel, vertu et sacrifice sont les valeurs les plus souvent personnifiées par les héroïnes romantiques. Or, nous verrons plus tard que chez Sand, le fait d'incarner le rôle de l'artiste masculin n'est pas au détriment de sa dimension maternelle.

D'abord, dans le film, Sand est amante de la nature, et visuellement, elle y est associée le long de l'œuvre. Le mal du siècle, sujet qui est mentionné brièvement dans le film, sert à montrer un autre aspect de Sand comme artiste romantique. Plus important encore, dans sa quête d'un idéal de l'amour, Sand trouve dans la musique de Chopin une expression du « sublime» qu'elle voit comme la manifestation directe de l'état de l'âme du compositeur. Par conséquent, elle va sacraliser et idéaliser son futur amant.

198 Jacques Bony, op. ci!., p. vi.

75 Sand et la nature

Le rapport entre Sand et la nature est évident dès le début du film. En effet, la

première séquence d'Impromptu montre George Sand enfant dans une forêt. La jeune

Aurore court vers la caméra dans un long plan qui met l'emphase sur l'espace et la nature qui l'entoure. Ensuite, Aurore s'arrête devant un arbre et elle adresse une prière à

Corambé, un dieu inventé par Sand dans son enfance. Ce monologue introduit des aspects importants du personnage:

Hear me, hear me, 0 Corambé. Corambé, thou who art man, woman and god in one, hear me. 1 free this bird in thy name. Come to me sublime being. 1 want to know the meaning of life and 1 want to find perfect, perfect love [...]199.

Dans son autobiographie Histoire de ma vie, Sand parle de Corambé comme de la figure mi-religieuse, mi-fantastique qu'elle a créée dans son enfance et qu'elle a considérée comme le début de sa «vie poétique », ou le début de sa vocation d'écrivain. Sand raconte comment Corambé lui est apparu dans ses rêves :

Et voilà qu'en rêvant la nuit, il me vint une figure et un nom. Le nom ne signifiait rien que je sache. [...] Mon fantôme s'appelait Corambé, et ce nom lui resta. TI devint le titre de mon roman et le dieu de ma religion. En commençant à parler de Corambé, je commence à parler non seulement de ma vie poétique [...] mais encore de ma vie morale, qui ne faisait qu'une 20o avec la première •

Dans le film, cet épisode sert non seulement à montrer l'imagination développée et innée de la jeune Aurore mais aussi le début de la quête d'un idéal de l'amour. Cette prière adressée à Corambé montre aussi que la vision de l'amour de Sand est étroitement liée à la spiritualité, élément qu'elle va trouver dans la musique de Chopin. De plus, la nature

199 Sarah Kernochan, Impromptu, scénario, 1991, transcription personnelle du dialogue. 200 George Sand, Histoire de ma vie, Paris, Quarto Gallimard, 2004, p. 816-817.

76 comme lieu de méditation d'Aurore (on entend en voix off, en même temps que nous

voyons Aurore courir, la voix d'une femme l'appelant par son nom) révèle aussi le

caractère libre, spontané et un peu « sauvage» du personnage, aspect qui est aussi présent

tout au long du film. Une autre séquence, chez le duc et la duchesse d'Antan, souligne le

rapport étroit entre Sand et la nature.

Lors d'un pique-nique avec Delacroix, Liszt et Marie d'Agoult, Sand s'éloigne du

groupe. Lors de sa promenade, elle rencontre le duc bouleversé, qui vient d'avoir un

accident et qui regarde son cheval blessé. Sans dire un mot, Sand prend le fusil et tire sur

l'animal. Le film montre Sand comme ayant plus de force que le duc, qui pleure en

silence. Cette scène révèle aussi que Sand accepte les lois, souvent cruelles, de la nature

(plus tard, dans une scène entre Sand et Mallefille, cette détermination du personnage est

évidente quand elle lui explique, fermement mais doucement, qu'elle ne l'aime plus). De

retour à la maison, Sand monte sur un cheval, que le duc décrit comme « a devil », pour

échapper à l'arrivée d'un de ses anciens amants. Dans un long plan, nous voyons Sand

s'éloigner dans la forêt en galopant. La séquence se termine au moment où Sand tombe du cheval dans une petite rivière. Ainsi, cette longue séquence où Sand est associée à la nature révèle non seulement sa force et son esprit libre et impulsif, mais aussi son caractère un peu «sauvage ». Le cheval, presque sauvage lui aussi, apparaît comme un reflet de l'esprit libre et indomptable de Sand.

Nous voyons l'écrivaine une dernière fois dans un décor naturel vers la fin du film. Chopin a accepté l'amitié de Sand et ils sont seuls dans une maison de campagne.

On les montre ensuite se promenant dans la forêt ainsi que dans un canot. Sand, qui porte une robe, semble plus douce et féminine qu'au début du film. Pourtant, elle donne la

77 main à Chopin pour l'aider à mieux marcher dans la forêt, et elle rame aussi dans le

canot. Ainsi, la nature est un motif qui révèle l'authenticité du personnage (par exemple,

ses aspects masculins et féminins sont réunis dans cette séquence) mais aussi le fait

qu'elle est différente des autres en ce qui concerne cette relation avec la nature, plus

spécifiquement la duchesse d'Antan et Marie d'Agoult qui en restent détachées,

visuellement, tout au long du film. La dernière séquence montrant Sand et Chopin dans

un décor naturel fait également penser à la première scène du film avec la petite Aurore:

la continuité de sa relation avec la nature est mise en évidence ainsi que le fait qu'elle a

trouvé chez Chopin l'amour parfait (<< perfect, perfect love») tant désiré par elle enfant.

Le mal du siècle

Dans son portrait de George Sand, le film fait référence aussi à cet aspect du romantisme qu'a été le mal du siècle. Quoique dans Impromptu cette allusion au mal du siècle soit assez superficielle, elle apporte un élément important au personnage dans sa dimension d'artiste romantique. Comme nous l'avons vu, le mal du siècle d'Octave dans

La Confession est causé par son désenchantement envers l'amour tandis que chez

Laurent, il est causé par «l'amour de ce qui n'est pas20l ». Dans les deux romans aussi, l'amour de Brigitte et de Thérèse a un effet salutaire sur les deux héros. Ainsi, le mal du siècle demeure une condition essentiellement masculine. Dans son étude, Bertrand­

Jennings explore le mal du siècle des personnages féminins créés par des romancières et le compare à celui des personnages masculins :

201 George Sand, Elle et Lui, op. cit., p.147.

78 Comme eux, ils sont rejetés, incompris, ils souffrent moralement et parfois physiquement, ils s'adonnent à l'introspection et subissent un destin fatal qui le plus souvent ouvre sur la folie ou sur la mort. [...] À la différence des héros traditionnels du «mal du siècle », cette cause, ils l'incarnent dans leur être physique, moral ou social par leur genre sexuel, leur apparence, leur âge, leur race [...] ou le degré de leur honorabilité. [...] 202 Cette différence leur est imposée de l'extérieur, elle n'est pas choisie .

Ainsi, le mal du siècle au féminin aurait été différent de celui qu'éprouvent les personnages masculins, parce qu'il aurait été causé par leur genre sexuel et leur position dans la société. Par contre, dans Impromptu, Sand ne souffre pas à cause de son genre sexuel ou de son «degré d'honorabilité », et le personnage semble incarner les caractéristiques de l'artiste masculin. Déçue de ses liaisons avec Mallefille et avec

Musset, Sand est toujours en quête de «l'amour parfait» déjà invoqué dans les prières de la petite Aurore. À cause des difficultés qu'elle éprouve à rencontrer Chopin, Sand tombe dans un malaise indéterminé, que ses amis remarquent lors de la scène du pique- nique. Tandis que Marie d'Agoult, Liszt et Delacroix sont réunis, Sand est seule à l'arrière-plan, appuyée contre un arbre et fumant un cigare. Quand Liszt demande à

Marie d'Agoult «What's wrong with George? », elle lui explique que Sand est

«incurably disgusted203 ». Ainsi, même si Sand semble souffrir d'un mal du siècle momentané (et beaucoup plus léger que celui qui aurait affecté les personnages romantiques masculins), cette référence constitue un autre élément important du portrait de l'écrivaine en artiste masculin. Certes, le film ne touche que brièvement le sujet du mal du siècle et la représentation du personnage met surtout l'emphase sur sa spontanéité, sa vitalité, sa force et sa passion sans limite.

202 Chantal Bertrand-Jennings, op. cit., 136-137. 203 Sarah Kernochan, op. cit., transcription personnelle du dialogue.

79 La musique et la quête du sublime

Si le personnage de Sand endosse le rôle de l'artiste, le film exploite aussi sa

quête du sublime et de l'idéal dans l'amour. La séquence où Sand entend la musique de

Chopin pour la première fois révèle cet aspect du personnage. Cette séquence commence

avec Sand arrivant chez la baronne Laginsky. Suite à une conversation avec cette dernière, Sand entend de la musique de piano provenant du salon. La baronne lui interdit

d'entrer, et lui révèle que c'est Chopin qui est en train de jouer. Par la suite, la baronne

quitte la pièce et Sand est finalement libre d'écouter. Elle est très attirée par la musique, car elle croit l'avoir entendue chez Liszt lors d'une de ses visites. Ainsi, du plan

d'ensemble que nous avons vu lors de la conversation avec la baronne, la caméra suit

Sand jusqu'à ce qu'elle arrive devant la porte du salon. La musique (la Ballade en sol mineur), est maintenant le son principal de la scène et sert à montrer que nous sommes dans la subjectivité du personnage, que nous observons, au même moment, écoutant la musique à travers les portes du salon. Ensuite, un plan plus rapproché présente Sand fermant ses yeux et caressant tendrement les portes du salon. Elle est extasiée et la musique semble la transporter. L'effet spirituel et salutaire de la musique de Chopin sur

Sand est immédiat. Le retour de la baronne tire Sand de sa rêverie.

Sand: Do you pray, Baroness? La baronne: If you must know, l'm secretly devout. Sand: Do you ever hear an answer? La baronne: To my prayers? WeIl, no. 204 Sand: There... is the answer •

204 Ibid.

80 Profondément touchée par la musique de Chopin, Sand croit qu'elle trouvera chez lui

l'amour parfait auquel elle aspire depuis son enfance. Ainsi, la fascination de Sand

envers Chopin commence à travers sa musique et la scène révèle que pour Sand, l'amour,

l'art et la spiritualité sont étroitement liés. Ceci est évident dans la façon dont Sand décrit

non seulement la musique de Chopin mais, plus tard, l'aspect physique du musicien.

Ainsi, tel que le font Octave et Laurent dans La Confession et Elle et Lui, le personnage

de Sand va sacraliser et idéaliser son amant. La séquence où Sand et Chopin se

rencontrent pour la première fois renforce ce renversement des rôles féminins et

masculins, et exploite le thème de la sacralisation.

Un soir, lors du séjour à la campagne, Mallefille enferme Sand dans sa chambre

dans un accès de jalousie. Lorsqu'elle tente de s'échapper, elle entend la musique de

Chopin provenant de la chambre d'à côté. Sale et décoiffée suite à sa chute de cheval, elle

décide de grimper sur le balcon de sa chambre pour retrouver Chopin. Une fois dans sa chambre, elle se cache sous son piano. Finalement, Chopin fait une pause et Sand décide de se montrer. Elle parle avec extravagance:

Sand: Monsieur Chopin, you were in the middle of a miracle. l'm not quite yet cured. Chopin: How did you get in? Who are you?

Sand: 1am your slave. And you have summoned me with Y0uf music. Chopin: Oh, yeso 1 think 1know who you are. 1have heard you described. Madame Sand, rumour has it you are a woman, and so 1 must ask you to leave my private chambers. 205 Sand: Have 1offended Y0uf modesty? 1 apologise .

Ce dialogue est accompagné par le jeu, très théâtral, de Judi Davis et de Hugh Grant.

Tandis que Sand bouge et avance dans la chambre avec des mouvements forts et assurés,

205 Ibid.

81 Chopin recule et serre ses vêtements dans un geste de modestie. L'opposition de leurs personnalités ainsi que l'inversion des rôles masculins et féminins, produisent un effet comique qui se répétera dans plusieurs scènes par la suite. Finalement, en quittant la chambre de Chopin, Sand n'hésite pas à lui déclarer son admiration: « l've seen you at last, and l'm delighted to find you're not a man at aIl. You're an angel: hands, halo, wings...everything206 ». Faisant écho à la transformation spirituelle d'Octave après sa rencontre de Brigitte dans La Confession, cette scène met l'emphase sur l'effet salutaire que la musique de Chopin a sur Sand. Cette musique est donc miraculeuse et si elle est la réponse à ses prières, Chopin' lui-même prend à ses yeux l'allure d'un «ange ». Ainsi, si la musique de Chopin représente pour Sand tout ce qui est « sublime» dans l'art, son aspect angélique complète, à ses yeux, sa vision de l'être aimé comme une figure à sacraliser. Or, une partie du comique dans le film provient aussi du contraste entre la vision romantique de Sand et celle plus cynique des autres personnages. Par exemple, dans une scène où Sand dit à Marie d'Agoult que Chopin est éternel (<< We shall all be in our graves soon enough, but Chopin is eternal »), la réplique de Marie élimine tout aspect divin ou sacré chez le compositeur: «the only thing eternal about him is his cough207 ». Mais, si le film se moque de l'excès de romantisme de Sand, la musique sert malgré tout à révéler le monde intérieur, profondément romantique, du personnage ainsi que de Chopin. Comme l'explique Jeffrey Kallberg: «In Impromptu, we need to pay attention to the sounding music in order to make sense of the unfolding relationship

20s between Chopin and Sand ». Par exemple, la «Ballade en sol mineur» de Chopin,

206 Ibid. 207 Ibid.

208 Jeffrey Kallberg, «Nocturnal Thoughts on Impromptu », The Musical Quarterly, vol. 81, no. 2, Summer 1997, p. 201.

82 utilisée plusieurs fois dans le film, constitue le thème musical associé à la connexion

spirituelle entre les artistes. Non seulement Sand tombe amoureuse de Chopin en

écoutant cette pièce de musique, mais c'est aussi cette ballade que Chopin est en train de jouer lorsque Sand entre dans sa chambre. Ainsi, la musique, diégétique ou extra­

diégétique, accompagne chaque scène mettant en présence Sand et Chopin. Dans une

autre scène vers la fin du film, la musique est utilisée de nouveau pour montrer le rapport

spirituel et artistique entre l'écrivaine et le compositeur. Cette scène commence sans

musique, mais lorsque Chopin commence à parler de ses peurs (causées par sa maladie) et qu'il révèle à Sand ses pensées les plus intimes, nous entendons à nouveau la

«Ballade en sol mineur». Cette musique signale non seulement leur connexion spirituelle, mais le début réel de leur liaison amoureuse. Dès la première séquence du film, le personnage de Sand est associé à la musique du compositeur, et un impromptu de

Chopin accompagne les images de la petite fille courant dans la forêt. Plus tard, lors d'une conversation entre Sand et Chopin, le musicien explique que l'impromptu en tant que pièce musicale n'est libre et spontané qu'en surface et qu'un grand travail de réécriture est requis pour obtenir l'effet d'improvisation qui le caractérise. Le titre du film gagne ainsi une signification plus profonde, qui met en lumière un autre aspect du personnage de Sand dans sa dimension d'artiste romantique. Non seulement le mot impromptu décrit la spontanéité et l'impulsivité du personnage, mais il montre également que derrière le visage d'artiste romantique de Sand, il y a aussi un niveau de construction

(elle joue le rôle de l'artiste), que nous voyons, par exemple, à travers le style théâtral du jeu de Davis. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin.

83 Enfin, la musique dans le film sert aussi à rapprocher le public des personnages de

Sand et de Chopin, non seulement en lui donnant accès à leur monde intérieur, mais en

lui montrant aussi que la musique de Chopin est, en effet, « éternelle» car l'œuvre du

musicien continue à être populaire, connue et respectée aujourd'hui. Ainsi, cette

musique, qui constitue presque la totalité de la bande sonore du film, sert de lien direct et

concret entre le monde et les idées des romantiques et le spectateur moderne, en montrant que même si l'excès romantique des personnages est démodé, leur art continue encore à

toucher et à émouvoir.

Sand écrivaine

Tout comme la musique dans le film permet de nuancer la représentation comique de Sand en artiste romantique, le film célèbre aussi la dimension plus profonde de l'écrivaine.

En effet, si le film commence avec une séquence de la jeune Aurore Dupin dans la forêt, le premier plan de Sand adulte la montre travaillant jusqu'au petit matin dans son bureau à Nohant. Le film fait le lien entre la petite fille idéaliste et l'écrivaine qu'elle est devenue à travers le paragraphe, que nous entendons en voix off, que Sand est en train d'écrire. Ensuite, tout au long du film, nous voyons Sand en train d'écrire à plusieurs occasions : habillée dans une de robe de chambre exotique, une plume en main, le front ridé et les cheveux en désordre, Sand est l'image même du génie artistique. Le film présente aussi le talent poétique et créateur de Sand à travers les répliques rapides, poétiques et souvent comiques, du personnage. Nous apprécions ainsi son esprit et comment les mots et la parole constituent l'essence même de l'écrivain. De plus, en même temps que le film donne des caractéristiques de l'artiste romantique masculin au

84 personnage de Sand, il lui confère aussi une vision de l'art et de l'artiste proche de celle

de Thérèse dans Elle et Lui. En effet, si dans le roman de Sand, Laurent refuse de

sacrifier son art aux impératifs économiques, dans Impromptu on met l'emphase sur

l'aspect économique de la création artistique de l'écrivaine. Par exemple, des séquences à

Paris où nous voyons Sand en train de discuter le prix d'un chapitre de son autobiographie avec Buloz, servent à montrer que Sand gagne sa vie à travers l'écriture

(elle a beaucoup de dépenses: la maison à Nohant, les enfants, sa mère). Aussi, en même temps que Sand exalte et célèbre le génie artistique de Chopin, le personnage montre une grande humilité envers son propre travail: «1 don't suffer for art, 1 suffer quite enough for life. Ijust pump out pages for money »dit-elle au musicien. Ainsi, si dans Impromptu, le personnage de Sand incarne l'artiste romantique par excellence, le film la montre aussi comme une femme de talent et de génie qui a dû néanmoins travailler pour gagner sa vie.

Donc, tout comme Thérèse dans Elle et Lui, chez Sand, création et production coexistent sans conflit. Ce ton plus réaliste du film évoque ainsi les impératifs économiques qui ont gouverné la vie des artistes en France au XIXe siècle, qui a vu le début d'un système

économique capitaliste de demande et de production ainsi que la fin du système de patronage. Or, cet élément de réalisme donne aussi au personnage un degré de modernité qui rapproche sa représentation de celle d'une femme artiste et professionnelle de la fin du XXe siècle.

L'amour et la maternité

Si dans Impromptu Sand incarne le personnage de l'artiste romantique au masculin, la façon très naturelle dont elle vit ses liaisons amoureuses révèle aussi sa dimension plus féminine et maternelle. Nous avons déjà vu comment l'amour, l'art et la

85 spiritualité sont profondément liés chez le personnage et que c'est à travers la musique de

Chopin que Sand tombe amoureuse du compositeur. Les sentiments de Sand envers la

musique de Chopin, ainsi qu'envers le musicien lui-même, sont évidents quand elle lui

dit: «1 don't know you at aIl, but 1 know this : you are great. You've made a single

instrument speak the language of God, and 1 wanted to learn it from you [...] ». Rejetée

encore une fois par Chopin, Sand déclare: « l'm not full of virtues and noble qualities. 1

love, that is aIl. But 1 love strongly, exclusively and steadfastly209 ». La sincérité de Sand,

ainsi que sa force et sa conviction dans son amour pour le musicien, sont ainsi mises en

évidence et célébrées comme les qualités qui attirent, finalement, Chopin vers l'écrivaine.

Cette déclaration du personnage la distingue aussi de Brigitte et de Thérèse, qui sont en effet, « pleines de vertus et de noblesse », et suggère que c'est la femme à la fois forte et vulnérable, mais aussi sincère, qui séduit Chopin. Ainsi, si dans La Confession et Elle et

Lui, les héroïnes acceptent l'amour d'Octave et de Laurent comme une forme de sacrifice, et qu'elles sont idéalisées dans cette dimension21O, le personnage de Sand dans

Impromptu ne fait pas un sacrifice d'amour. Aussi, si dans les romans c'est la difficulté que les personnages masculins éprouvent à concilier la femme sacrée et idéalisée et la femme réelle qui mène à l'échec de la relation amoureuse, dans le film c'est la femme réelle et très humaine, avec des qualités et défauts, ( et qui admet même son excès de romantisme: <

209 Sarah Kernochan, op. cit., transcription personnelIe du dialogue. 210 Même si Thérèse dans Elle et Lui refuse d'être sacralisée et idéalisée en tant que femme par Laurent, le personnage est idéalisé dans sa dimension maternelle, qui est évidente à travers le sacrifice maternel qu'elle fait en acceptant l'amour de Laurent. 211 Sarah Kernochan, op. cit., transcription personnelle du dialogue.

86 En ce qui concerne la dimension maternelle de Sand, elle est présentée non

seulement dans sa relation avec ses enfants et avec sa mère, mais aussi avec ses amants.

D'abord, la modernité du personnage est évoquée à travers la grande camaraderie qu'elle a avec ses enfants qui deviennent, en tant que personnages du film, une extension du personnage de leur mère : leurs jeux, leur imagination et leur humour sont un reflet de l'imagination, de l'humour et du génie de Sand. Le film met également en contraste les capacités maternelles de Sand avec celles de Marie d'Agoult, qui est brusque et indifférente avec ses enfants. Un exemple de ce contraste apparaît tôt dans le film dans une scène où Sand rend visite à Marie. Quand elle arrive, le bébé de Marie commence à pleurer. Sand prend spontanément l'enfant dans ses bras et réussit à le calmer presque immédiatement. Habillée en habits d'homme mais avec un bébé dans ses bras, l'image de

Sand masculine est ainsi fortement nuancée, et semble indiquer l'union des qualités masculines et féminines que le film va célébrer vers la fin. Sand révèle son côté maternel non seulement avec les enfants, mais aussi avec ses amants. Cette dimension maternelle de Sand sert à la montrer dans un rôle de pouvoir. En effet, dans le film, Musset et

Mallefille se conduisent comme de grands enfants capricieux et possessifs, que Sand doit gronder comme le ferait une mère avec son enfant: « Oh, Mallefille, if you can't behave, go to your room ! » Effectivement, le film montre Mallefille et Musset comme perdus sans la protection de Sand : l'état d'ébriété constant de Musset, ainsi que les commentaires cruels empreints de jalousie qu'il fait sur son ancienne amante, suggèrent qu'il souffre sans les soins maternels de Sand; l'obsession de Mallefille envers Sand est

évidente dans les divers duels qu'il provoque pour défendre «l'honneur» de sa bien­ aimée. Dans les deux cas, leur comportement est montré comme étant ridicule et enfantin.

87 Nous voyons aussi le côté maternel de Sand dans les séquences avec sa mère

malade, à qui elle rend visite dans un hospice. Sand aide sa mère à se coiffer et lui dit de

venir habiter à Nohant avec elle, tandis que sa mère lui dit de continuer sa liaison avec

Mallefille. Tout comme Mallefille et Musset, le film présente la mère comme étant

enfantine. Comme l'explique Elaine Roth: «Although George is sympathetic to her

mother, the film encourages its viewers to dismiss the mother's advice, and George

relinquishes none of her own power212 ». Sand assume donc le rôle de l'adulte, et plus

spécifiquement, le rôle de la mère avec ceux qui sont plus faibles qu'elle. Le côté

maternel de Sand est aussi évident dans sa relation avec Chopin, surtout vers la fin du film. Dans la séquence qui suit la scène du duel entre Mallefille et Chopin, Sand

s'occupe de ce dernier, qui s'est évanoui. Assise à côté du musicien, elle l'encourage tendrement à boire un verre de lait. Comme nous l'avons déjà vu dans notre analyse de

La Confession d'un enfant du siècle et d'Elle et Lui, la dimension maternelle est une caractéristique d'un grand nombre d'héroïnes de la littérature romantique. Nous avons vu aussi que dans sa propre vie amoureuse, Sand a souvent assumé le rôle, très puissant, de la mère. C'est un motif qu'on retrouve non seulement dans ses lettres à Musset, mais aussi dans son autobiographie. Par exemple, en parlant de sa rupture avec Chopin dans

Histoire de ma vie, Sand fait allusion aux soins maternels qu'elle lui a procurés le long de leur relation:

212 Elaine Roth, « Momophobia: Incapacitated Mothers and Their Aduit Children in 1990's Films », Quarterly Review ofFilm and Video, no. 22, 2005, p. 197.

88 [...] Maurice, lassé de coups d'épingle, parla de quitter la partie. Cela ne pouvait pas et ne devait pas être. Chopin ne supporta pas mon intervention légitime et nécessaire. Il baissa la tête et prononça que je ne l'aimais plus. Quel blasphème après ces huit ans de dévouement maternel !2l3

En effet, le dévouement maternel de Sand envers Chopin est évident dès le début de leur

liaison, car quand Sand a rencontré le musicien, il était déjà malade, ce qu'on voit aussi

dans le film. Comme l'explique Marie-Paule Rambeau, « 'enfant' et 'malade' seront justement les termes les plus fréquemment usités dans le lexique dont George Sand se

214 servira à propos de Chopin ».

Dans Impromptu, la dimension maternelle de Sand est présentée comme sa caractéristique la plus naturelle: habillée d'un costume d'homme ou d'une robe, avec ses enfants ou avec ses amants, sa tendance maternelle est toujours évidente. C'est cette féminité puissante du personnage qui est célébrée à la fin du film, quand Sand (qui a porté plus de robes que de costumes dans sa poursuite de Chopin) reprend ses habits d'homme après avoir gagné le cœur du musicien. Ainsi, la maternité de Sand dans

Impromptu représente un visage du personnage qui fait contraste avec celui de l'artiste romantique au masculin. Et, comme nous les verrons plus tard, tandis que le spectateur moderne n'a pas de la difficulté à réconcilier ces deux éléments différents incarnés par

Sand, le film montre cette réconciliation comme étant presque impossible pour ses

215 contemporains •

213 George Sand, Histoire de ma vie, op .cit., p. 1501. 214 Marie-Paule Rambeau, op.cit., p. 39. 215 Comme l'explique Bertrand-Jennings, la période suivant la Révolution de 1789, pendant laqueIle les femmes ont joué un rôle essentiel, a vu une régression des droits de la femme. Ainsi, au XIXe siècle, la place des femmes dans la société est limitée au foyer et à la sphère domestique. EIIe est aussi considérée comme inteIlectueIlement inférieure: « Dans le domaine de l'institution littéraire, [...] un débat fait rage au tournant du siècle [...] sur l'infériorité native de [la femme], et sur leur incapacité à la création intellectueIle, et plus précisément littéraire ». Op. cit., p. 11-13. Nous nous permettons aussi de rappeler

89 Les éléments de la légende

En effet, si dans Impromptu on attribue à Sand la dimension maternelle de

Brigitte et de Thérèse, la masculinité et le style de vie controversé de l'écrivaine sont les

éléments les plus profondément exploités par Lapine et Kernochan dans le film. Ainsi,

par rapport aux romans, le personnage de Sand est très différent des personnages

féminins de La Confession et d'Elle et Lui. Or, il est clair que l'écart temporel entre les

romans de Sand et de Musset et le film de Lapine a permis au réalisateur et au scénariste

de créer le personnage non seulement à partir d'une diversité de sources littéraires216 mais

de faire également appel à certains aspects de la vie de l'écrivaine qui, devenus des lieux

communs, ont contribué à créer une image particulière de George Sand artiste.

Comme l'explique Isabelle Hoog Naginski, les éléments de la construction du

217 « personnage légendaire» de George Sand, étaient déjà en place de son vivant .

Naginski cite une lettre de Balzac à Madame Hanska dans laquelle l'écrivain décrit Sand, qu'il est allé visiter à Nohant:

J'ai trouvé le camarade Georges [sic] Sand dans sa robe de chambre fumant un cigare après le dîner [...] Elle avait de jolies pantoufles jaunes ornées d'effilés, des bas coquets et un pantalon rouge [...]. Elle se couche à six heures du matin et se lève à midi [...]. Elle est garçon [...] elle est

l'affirmation d'Anne Higonnet qui montre comment, au XIX· siècle, génie et féminité sont deux notions qui s'excluent mutueIIement : « les attributs de la féminité étaient diamétralement opposés à ceux du génie [si] une femme aspirait à faire une grande carrière artistique, on la soupçonnait de trahir sa vocation domestique ». Op. cit., p. 310. 216 Quoique le scénario du film ne soit pas adapté d'un texte en particulier, il y a des éléments dans le film qui indiquent que Kernochan s'est probablement inspirée de l'autobiographie de Sand dans sa composition du personnage. Par exemple, le film fait référence à l'enfance de l'auteure et à Corambé, ainsi qu'à sa relation avec sa mère, sujets dont Sand parle extensivement dans Histoire de ma vie. De plus, dans le film, le livre que Sand est en train d'écrire est aussi son autobiographie, mentionnée à plusieurs reprises le long du film. 217 IsabeIIe Hoog Naginski, op.cit., p.IS.

90 artiste [...] elle a les grands traits de l'homme, ergo, elle n'est pas 218 femme .

Ainsi, dans cette lettre, « le cigare, les pantalons et la vie nocturne évoqués par Balzac

font apparaître l'image d'une femme de lettres à la fois provocante et dépourvue de

féminité [...] détails qui serviront par la suite à faire de George Sand le personnage

légendaire qu'on connaît219 ». Ce sont des images de Sand que nous retrouvons aussi

dans Impromptu.

D'abord, l'excentricité de Sand est exploitée dans le film non seulement à travers

le choix de vêtements du personnage, qui passe aisément des habits exotiques «à

l'orientale» aux habits d'homme, mais aussi à travers plusieurs scènes où elle est

montrée fumant de longs cigares. Son excentricité est aussi montrée à travers son comportement, par exemple, la façon dont elle décide de faire la connaissance de Chopin

(en grimpant sur son balcon) ou de s'allonger sous son piano pour écouter sa musique,

même après qu'ils sont devenus amis. En ce qui concerne sa masculinité, nous avons déjà vu comment, dans Impromptu, il y a une inversion des rôles traditionnels féminins et masculins dans les personnages de Sand et de Chopin. En plus de montrer Sand en habits d'homme durant presque la totalité de la première partie du film, la masculinité de Sand est aussi définie par la façon dont le personnage occupe les espaces classifiés comme masculins. Par exemple, dès le début, le film présente Sand comme une femme qui travaille dans un monde principalement masculin: habillée d'un costume, ses cheveux longs et décoiffés, Sand est prise pour un homme à son arrivée au bureau de Buloz, son

éditeur. Quand le jeune homme se rend compte qu'il s'agit de George Sand, il lui

218 Cité dans Isabelle Hoog Naginski, ibid., p. 15. 219 Isabelle Hoog Nagisnki, op. cit, p. 15.

91 demande pardon avec respect. Cette scène montre comment Sand, en effet, transgresse

des espaces qui restent interdits aux autres personnages féminins dans le film. Plus tard,

tandis que Marie d'Agoult est obligée de rester dans la salle voisine du studio où Liszt et

Chopin travaillent, Sand entre et est à l'aise dans cet espace. Non seulement le

personnage de Sand a plus de liberté de mouvement entre les espaces féminins et

masculins, mais la façon dont elle occupe ces espaces est aussi différente des autres

personnages de femme. En effet, dans la séquence du pique-nique chez la duchesse,

Marie et sa domestique sont assises sur un tronc d'arbre tandis que Sand, Delacroix et

Liszt sont allongés sur la nappe de pique-nique, ce qui révèle que Marie d'Agoult et Sand

se déplacent en société avec des degrés de liberté très différents. Une autre scène,

montre Sand avec Musset, Mallefille et Liszt en train de répéter la pièce de théâtre dédiée

à la duchesse: tandis que Sand partage, physiquement et intellectuellement, la scène avec les personnages masculins, Marie reste écartée du groupe et son rôle est limité à celui d'une spectatrice. De plus, dans une grande partie du film, Sand est plus souvent montrée dans des plans moyens ou d'ensemble que dans de gros plans. Les plans d'ensemble mettent l'emphase sur les mouvements du personnage, qui occupe ou s'approprie l'espace en bougeant ou en marchant agilement. Si Sand réussit à trouver sa place dans un monde masculin, nous voyons aussi que son style de vie est toutefois controversé. Un commentaire de la duchesse d'Antan révèle le mélange de curiosité et de fascination qu'elle provoque: «She wears men's clothes and leads the most depraved life ! l'm dying to meet her !220 »

220 Sarah Kernochan, op. cil., transcription personnelle du dialogue.

92 Enfin, si le film exploite l'image de Sand en femme excentrique et dépourvue de féminité, il présente aussi une figure qui existait parallèlement, celle de Sand « femme fatale qui dévorait ses amants l'un après l'autre221 ». Impromptu, en effet, utilise cet

élément de la vie de George Sand car il présente non seulement le début de sa relation avec Chopin mais aussi les traces de son passé amoureux à travers les personnages de ses anciens amants. De plus, le film montre plusieurs séquences où différents personnages discutent, critiquent ou admirent la façon dont Sand mène sa vie amoureuse. Par exemple, lors du séjour à la campagne, la duchesse et Marie d'Agoult parlent de l'arrivée de

Mallefille. Pensant à la possibilité de la rencontre, potentiellement explosive, de Musset et de Mallefille, Marie manifeste sa jalousie envers l'écrivaine et la façon dont elle mène sa vie amoureuse: «This will be judgement day for George. She should pay for her sins like any other fallen woman. She can't avoid everything by being a man». Quand Marie explique à la duchesse qu'il s'agit d'un ancien amant de Sand, la duchesse exprime sa surprise et sa fascination: «He's a handsome brute! How does she merit aIl these men?222» Si Sand vit ses liaisons amoureuses avec sincérité et sans gêne, Marie et la duchesse représentent l'hypocrisie de l'époque: en même temps qu'elles condamnent la liberté amoureuse de Sand, elles ont ou elles tentent d'avoir des relations amoureuses illicites (la duchesse passe une nuit avec Delacroix et Marie essaye de séduire Chopin).

Le dialogue révèle aussi la position privilégiée de Sand dans la société, qu'elle a gagnée non seulement à travers son travail d'écrivain, mais en assumant le rôle de l'artiste masculin (<< she cannot avoid everything by being a man»), dont Marie suggère qu'il s'agit d'un choix très conscient de Sand et non une caractéristique naturelle de sa

221 Isabelle Hoog Najinski, op. cit., p.16. 222 Sarah Kernochan, op. cit., transcription personnelle du dialogue.

93 personnalité comme le voudrait la « légende» du personnage. Nous reviendrons sur ce

point un peu plus loin. La fascination que la vie amoureuse de Sand provoque à son

époque est exploitée de nouveau dans une scène qui a lieu lors d'un dîner chez la

duchesse d'Antan.

Lors du dîner, la conversation dégénère très vite en une discussion sur la vie

amoureuse de Sand. Liszt suggère à George, sur un ton familier, d'aller aider Chopin, qui

a une attaque de toux, ce qui fait dire à la duchesse très amusée, «She has made love to

Monsieur Liszt too ?!223 » Mallefille est convaincu que Liszt et Sand sont des amants et il demande à Liszt une explication. À ce moment, Alfred de Musset arrive au dîner déguisé en domestique. Mallefille et Musset se disputent au sujet de Sand et Mallefille propose un duel à Musset. Sand, humiliée, quitte la salle en courant. L'effet comique de cette séquence provient du fait qu'elle contient plusieurs éléments de la farce: des dialogues rapides et des répliques comiques, des malentendus, des déguisements, des arrivées surprises ainsi que des départs précipités. La scène montre une George Sand capable de susciter de la jalousie et de la passion chez ses anciens amants mais aussi la fascination d'un public qui consomme et condamne les détails de sa vie amoureuse en même temps que ses romans. Le film semble indiquer aussi, comme nous l'avons vu dans le dialogue entre Marie et la duchesse, qu'une partie de la fascination pour la vie amoureuse de Sand provient en effet de la contradiction entre son comportement « masculin» et transgressif et le pouvoir de séduction qu'elle avait sur les hommes et ses anciens amants. Dans

Impromptu donc, les éléments de la légende de Sand sont exagérés non seulement pour contribuer à la comédie, mais aussi pour mettre l'emphase sur la modernité du

223 Ibid.

94 personnage car, si elle a choqué ses contemporains avec ses habits d'homme et sa vie

amoureuse, son comportement n'est certainement pas choquant pour le spectateur du XXe

ou du xxtsiècle.

Si dans Impromptu on exploite l'excentricité ou la masculinité de Sand pour créer

une grande partie des effets comiques, le film montre aussi que ces éléments font partie

du rôle d'artiste romantique joué, très consciemment, par l'écrivaine. Ceci est évident

dans la façon dont le film met l'emphase sur l'hypocrisie des relations entre les artistes et

les membres de l'aristocratie, mais aussi dans le style théâtral du jeu des acteurs dans le

224 film . En effet, le jeu de Davis correspond à deux niveaux ou degrés de signification:

d'un côté, il doit correspondre au style théâtral et comique du film, et de l'autre il doit

correspondre à une interprétation du personnage de Sand comme une femme qui aurait joué constamment avec les notions de féminité et de masculinité dans sa propre vie. Dans

son article sur le style de jeu de l'actrice Judy Davis, Lesley Chow explique que

l'interprétation de Sand par l'actrice australienne est basée sur l'idée de l'artificialité et

de l'effort de «projection» requis dans la création d'un personnage:

Davis compressed, tense line readings and angular movements draw us into an aesthetic of imposed formalism and control. The element of artificiality is foregrounded, so that we have a sense of the constant effort 225 of projecting the self outward •

Ainsi, l'actrice aborde son personnage en étant consciente que George Sand aussi jouait des rôles pour extérioriser ses idées sur la féminité et la masculinité, sur l'égalité des

224 Par exemple, dans une scène où Sand rend visite à Delacroix dans son studio, il explique que pour remercier la duchesse, tout ce qu'ils doivent faire, c'est de jouer le rôle de l'artiste de génie: « A fortnight of free food, exquisite scenery and no bills. And ail you have to be is brilliant at dinner! ». Une autre allusion à l'aspect théâtral des personnages dans le film est la séquence de la pièce de théâtre, qui fonctionne aussi comme une mise en abyme. Sarah Kernochan, op. Cif, transcription personnelle du dialogue. 225 Chow, Leslie, « Acting 'Genius' : Judy Davis », Senses ofCinema, [www.sensesofcinema.com]

95 sexes et sur l'artiste romantique. Ainsi, dans le film, Sand joue une série de rôles

226 différents qui correspondent aux différents besoins et désirs du personnage . Cet aspect

du personnage est exploité dans une séquence où Sand poursuit Chopin « as a man would

do a woman », suivant le conseil de son amie Marie d'Agoult. Sand, habillée en habits

d'homme, envoie ainsi des fleurs à Chopin et le suit partout où il va, et elle assume,

encore plus activement, le rôle traditionnellement accordé au personnage masculin

comme agent conducteur d'une quête amoureuse. Chopin, fragile et modeste tout au long

du film, devient ainsi une figure féminine et l'objet de la quête. Or, nous avons déjà vu

que c'est au moment où Sand abandonne, au moins pendant quelques scènes, le rôle de

l'artiste romantique masculin, et qu'elle devient plus féminine et «authentique» qu'elle

réussit à obtenir l'amitié de Chopin.

Un dernier aspect important du style de jeu de Davis dans le film est le fait qu'il rend le personnage très contemporain, voire anachronique, comme l'ont dénoncé beaucoup de critiques du film:

From the moment [Sand] arrives on screen, her flexible free walk contrasting with the small "period" steps of the other characters, we are aware of the postmodern aspect of Davis' presence [...f27.

Ainsi, de la même façon que les plans moyens et d'ensemble permettent de montrer la liberté de mouvement de Sand, le jeu très physique de Davis sert à montrer l'aspect moderne et contemporain du personnage. Dans Impromptu donc, Sand sait qu'elle

226 Dans une entrevue avec Judy Davis, l'actrice raconte une anecdote sur le goût pour l'extravagance de Sand: «[Sand] liked being outrageous. But she was quite an innocent in a sense, and quite shy social1y. There are accounts of her arriving at a party dressed outlandishly and wanting to be noticed, with a cigar in her mouth and looking at the crowd of people and just making a beeline to the corner, where she would hide for the rest of the night ». Julie Phillips, « Like Sands... », The Village Voice, vol. 36, May 21 1991, p.66. 227 Lesley Chow, op. cir., p. 2.

96 « choque» non seulement ses contemporains avec son apparence et ses actions

masculines, son excentricité et sa vie amoureuse, mais aussi ses amis artistes quand elle

décide de porter une robe et une coiffure plus traditionnelles. La modernité du

personnage est donc présentée aussi à travers sa capacité d'assumer plusieurs visages,

que les autres personnages du film ont de la difficulté à réconcilier.

***

Pour conclure, nous avons montré que le film attribue au personnage de George

Sand des aspects caractéristiques de la figure de l'artiste romantique du XlXe siècle. Ce faisant, le film lui confère les caractéristiques du héros romantique, que l'on a déjà retrouvées dans les personnages d'Octave et de Laurent dans les romans de Musset et de

Sand. De plus, le film exploite des aspects de la vie de l'écrivaine qui ont contribué à créer le «personnage légendaire» de Sand, tels que son excentricité, sa masculinité et sa scandaleuse vie amoureuse. Lapine et Kernochan utilisent ces éléments pour créer un portrait très stéréotypé de l'écrivaine, qui, en assumant le rôle de l'artiste romantique masculin, devient aussi la figure, très transgressive, de la femme masculine et excentrique. Ainsi, dans le film, la comédie (qui, comme genre, se base aussi sur

28 l'exploitation des stéréotypes, surtout ceux du genre sexuef ) provient non seulement du renversement des rôles masculins et féminins dans la relation de Sand et de Chopin, mais aussi de la façon dont le «romantisme» de Sand et de ses amis artistes est montré comme un peu ridicule et démodé. Or, si on se moque de certains aspects du personnage, le film célèbre toutefois son dévouement au travail et le fait qu'elle a travaillé pour gagner sa vie et prendre soin de sa mère et de ses enfants. Ainsi, le film montre que chez

228 Susan Hayward, op. cit., p. 73.

97 Sand, comme chez Thérèse, création et production se côtoient aisément. La dimension

maternelle de Sand, évidente non seulement avec ses enfants et sa mère, s'étend aussi à

ses relations avec ses amants, ce qui la place dans un rôle de pouvoir. À la différence de

Brigitte et de Thérèse, dont la position maternelle les mène aussi à assumer un rôle de

victimes, la maternité de Sand dans le film n'est jamais sacrificielle. Par conséquent, le

film présente Sand comme étant capable d'assumer différents rôles (l'artiste de génie, la

femme professionnelle et productive, l'amante plus féminine et maternelle), ce qui donne au personnage une grande modernité. Le film utilise ainsi le personnage de Sand pour donner une représentation de la femme moderne en célébrant chez elle des valeurs qui seraient appréciées par un public de la fin du XXe siècle, telles que sa sincérité, sa loyauté envers ses amis, son instinct maternel et son succès littéraire et professionnel.

Finalement, si dans le film Lapine utilise la musique de Chopin (un élément du film d'héritage) pour montrer son admiration pour le mouvement romantique et faire le lien avec le spectateur moderne, la comédie dans le film élimine la possibilité d'une idéalisation romantique du personnage de Sand.

98 fG) Chapitre 4 œ Les Enfants du siècle : un éloge du romantisme à l'écran

99 Si le scénario d'Impromptu a été basé sur une période «mal connue229 »de la vie

de Sand pour faire un portrait qui à la fois se moquait de l'artiste romantique et le

célébrait, le film Les Enfants du siècle s'inspire, tout comme les romans analysés, de sa

liaison avec Musset et de leur voyage à Venise. Si le film de Diane Kurys n'est pas une

adaptation directe des romans de Musset et de Sand, le lien qui existe entre les trois

ouvrages est évident, non seulement parce que le film a pour sujet le même épisode de la

vie de l'écrivaine, mais aussi parce que le portrait que la réalisatrice fait de Sand présente des points communs avec les romans. Et, si dans le cas d'Impromptu, nous ne pouvons

pas nommer avec précision les diverses sources qui auraient inspiré le scénario de

Kernochan, les sources inspirant celui des Enfants du siècle sont beaucoup plus faciles à identifier. En effet, dans une interview qui a accompagné la sortie en salle du film, Kurys a déclaré qu'en concevant le scénario, qu'elle a coécrit avec Murray Head et François-

Olivier Rousseau, elle s'est inspirée de «La Confession d'un enfant du siècle [...], des poèmes de Musset, des romans de Sand, et de leur correspondance à tous les deux 230 ».

Nous avons vu que le film de Lapine peut être classifié comme une comédie utilisant les conventions des films d'héritage23 1 pour attirer non seulement un public général, mais aussi un public informé connaissant certains clichés sur l'artiste romantique et sur le personnage de George Sand. Dans les années 90, le genre du film historique et à costumes devient extrêmement important en France également, où on voit la résurgence

229 Sarah Kernochan , cité dans Patricia Corbett, op. cit., voir le chapitre 3, note 197. 230 Kurys explique aussi qu'el1e a voulu «exprimer le point de vue des deux amants, les réunir enfin dans une seule démarche, dans un seul et même film ». «Notes de Diane Kurys sur Les Enfants du siècle », Sand & Musset: Les Enfants du siècle, Paris, Éditions de la Martinière, 1999, p. 197. La même année de la sortie en sal1es du film, François-Olivier Rousseau a publié Les Enfants du siècle, nouvel1e version romanesque de l'histoire amoureuse de Sand et de Musset. Paris, Seuil, 1999. 231 John Hill explique que ces films ont fait partie d'un phénomène plus large de nostalgie pour un passé national idéalisé, recréé dans des musées et des monuments nationaux, pour le profit d'une industrie touristique attirant un large public britannique et international. Op. cit., p. 73-74.

100 de films cherchant à recréer un passé national français, et par conséquent, une identité

française. Comme l'explique Ginette Vincendeau, la popularité des films historiques en

France dans les années 90 :

Must also be seen in the light of struggles over French national identity, which a conflation of factors are destabilizing: the passing of the last great populist leader (de Gaulle), the end of the trente glorieuses years of economic boom, the demise of the colonial empire and the rise of 232 multiculturalism •

De la même façon, Phil Powrie explique qu'une grande partie des films historiques

français sortis en salle pendant cette décennie « [struggle] to negotiate a new French

identity in troubled times233 ». Ainsi, en France, dans les années 90, le cinéma d'héritage

se divise en trois catégories plus larges: « 'official' heritage, 'postcolonial' heritage et

'Vichy' heritage ». Les films d'héritage « officiels» sont ainsi appelés parce qu'ils sont

« a combination of a high-profile actor and a cultural icon. The icon can be a novel from the literary canon [...] it can be a play [...] or a literary figure [...]234 ». Par conséquent, dans les années 90, le film historique français fut également un produit ayant une grande valeur d'exportation:

As well as engaging with popular historical myths and inserting themselves in literary and filmic traditions [French historical films] are heritage products in an industriaI sense. Their high budgets and productions values [...], their prestige producers [...], directors [...] literary sources and stars all form part of a strategy to fight an industrial battle (against Hollywood) [...]. The French heritage cinema takes a two­ pronged line of attack, adopting Hollywood-style 'super production'

232 Ginette Vincendeau, « Unsettling Memories », Film/Literature/Heritage, London, BPI, 2001, p. 28. 233 Phil Powrie, « Heritage, History and 'New Realism'; French Cinema in the 1990's », dans Phil Powrie (dir.), French Cinema in the I990s: Continuity and Difference, Oxford, Oxford UP, 1999, p. 4. 234 Ibid., p. 5-7. Les films d'héritage 'postcoloniaux' portent un regard, souvent nostalgique, du passé colonial français. Powrie classe les films L'Amant (1991, Jean-Jacques Annaud) et Indochine (1992, Régis Wargnier) dans cette catégorie. Les films d'héritage 'Vichy' mettent en scène la période de l'occupation de la France et du régime de Vichy. L'Accompagnatrice (1992, Claude Miller) et Lucie Aubrac (1997, Claude Berri) sont deux exemples de ce type de films.

lOI values while establishing its difference through historical subject matter 235 and [...] language •

Ce type de cinéma devient donc le lieu où certains personnages et événements de

l'histoire française se transforment en «mythes français» ou «européens» faciles à

236 identifier par un public français et intemational . Or, tandis que les films d'héritage

britanniques des années 80 et 90 ont souvent mis en vedette des personnages féminins et

237 présenté des histoires du point de vue féminin , les films historiques en France de la

même période ont plutôt mis en vedette un héros national masculin, favorisant une vision

masculine et plus traditionnelle du passé. En effet, des films comme Danton (1982),

Cyrano de Bergerac (1990) et Germinal (1993) (dans lesquels le personnage principal est interprété par l'acteur Gérard Depardieu) ont dominé cette vague de films historiques et

238 ont relancé la popularité du cinéma français, surtout au niveau intemational .

Pourtant, vers la fin des années 90 en France, on voit l'apparition de quelques films historiques mettant en vedette des figures historiques «oubliées », souvent

239 féminines . C'est dans cette vague que s'inscrit le film Les Enfants du siècle (1999) de

Diane Kurys, réalisatrice connue par ses comédies romantiques et autobiographiques, et

235 Ginette Vincendeau, «Unsettling Memories », op. cit., 30-31. 236 Ibid., p. 31.

237 Dans son étude sur les films d'héritage, Andrew Higson énumère les différentes adaptations des romans de Jane Austen (Sense and Sensibility, 1995; Emma, 1996) mais aussi un grand nombre de films de ce genre ayant comme protagoniste un personnage féminin. A Room with a View (1985, Merchant-Ivory) et Elizabeth (1998, Shekhar Kapur) sont juste deux autres exemples donnés par Higson. English Heritage. English Cinema: Costume Drama since 1980, Oxford, Oxford UP, 2003, p. 23. 238 Carrie Tarr, Brigitte Rollet, op. cit., p. 252. 239 Le film Artemisia (1998, Agnès Merlet), sur Artemisia Gentilleschi, une femme peintre de la Renaissance, en est un exemple. Carrïe TaIT, Brigitte Rollet, ibid., p. 253. Madame Bovary (1991, Claude Chabrol) et La Reine Margot (1994, Patrice Chéreau) sont deux autres films d'héritage qui racontent des histoires centrées sur des personnages féminins.

102 24o dont les premiers films ont été reçus avec enthousiasme par la critique féministe •

Ainsi, dans son film, Kurys présente non seulement l'histoire d'une femme écrivaine

devenue un symbole féministe au XXe siècle, mais aussi un épisode de l'histoire littéraire

française qu'on considère comme étant devenu un « mythe littéraire ». Comme l'explique

Anne-Dominique Ollivier, le fait que des réalisateurs de la fin du XXe siècle aient décidé

de faire un film sur la liaison amoureuse de Sand et de Musset, fait la preuve de l'aspect

« mythique» de cette histoire:

Si nous croyons pouvoir parler d'histoire mythique, c'est qu'aujourd'hui, cent soixante ans plus tard, ces deux personnes occupent encore nos esprits. On leur a consacré un film. On a encore voulu comprendre. On se souvient encore de leur histoire. Elle est en quelque sorte commune à tous [et] prend un caractère 'collectif' tout en ayant été tout à fait 241 particulière •

En effet, le film de Kurys s'insère dans une longue lignée d'œuvres littéraires dédiées à la relation entre Sand et Musset, qui a été initiée, comme nous l'avons vu, par les

protagonistes mêmes de l'histoire avec leurs romans La Confession d'un enfant du siècle et Elle et Lui. C'est ensuite la reprise de l'histoire par Paul de Musset et Louise Colet avec les romans Lui et Elle (1859) et Lui (1859), ainsi que le scandale que ces romans ont causé dans la presse de l'époque, qui ont contribué à la transformation d'une histoire personnelle en une histoire à caractère «collectif» et qui fait aujourd'hui partie de

240 Dans son livre Diane Kurys, Carrie Tarr explique que la sortie de Diabolo menthe (1977) et de Coup de foudre (1983), deux des premiers films de Kurys, a coïncidé avec le moment de plus grande influence et de force du mouvement féministe en France. Les thèmes et les histoires des ces films, centrés sur une figure féminine, ont été considérés comme contribuant à l'émergence d'un nouveau cinéma féminin ou des femmes. New York, Manchester UP, 1999, p. 3. 241 Anne-Dominique Ollivier, op. cit., p. 6.

103 242 l'histoire littéraire française • TI n'est pas surprenant donc, que les producteurs

accordent une grande importance à la réalisation du film, qui a coûté plus de 100

243 millions de francs • Kurys a profité de ce budget, et le film utilise toutes les conventions

du film d'héritage: des costumes somptueux (créés par le couturier Christian Lacroix),

ainsi que des décors et des lieux minutieusement recréés et photographiés. La présence de , actrice associée aux films historiques ou aux «films d'art» des

années 80 et 90, a donné à la production encore plus de prestige et le film est devenu un

« film historique officiel ». Un critique fait ressortir, dans sa description du film, tous les

« obstacles» qu'a dû surmonter Kurys :

Une star française oscarisée et son futur amant, un casting de second [sic] rôles éblouissant, des costumes, des décors historiques... il s'agissait de l'une des plus importantes productions de l'année pour le cinéma français, un parfait produit d'exportation, labellisé art et essai haut de gamme « à la . 244 françalse» .

Malheureusement, à sa sortie en salle, le film est considéré comme un échec et les critiques sont en général très négatives. Ceci peut être expliqué en partie par les fausses expectatives suscitées par le film à cause du battage publicitaire qui a accompagné sa

242 Dans son étude, Ollivier trace les changements que chaque roman apporte à l'histoire de la liaison Sand­ Musset par rapport aux vrais événements de leur relation amoureuse et de leur rupture. Elle fait également le parcours de la «récupération» qu'a faite la presse de ces romans ainsi que du scandale qui a suivi leur publication. Ollivier explique que la presse a contribué à la création du mythe à travers la multitude d'articles et de commentaires qu'on a publié sur cette histoire et qui révèle très vite deux camps: « Nous verrons tour à tour des partisans de l'un et de l'autre, entre lesquels il n'existe désormais de passerelle [...] c'est là que la création du mythe prend véritablement naissance». Ibid., p. 6-7. 243 Ibid., p. 471.

244 Vincy, « Les Enfants du siècle», Ecran noir, [ http://www.ecrannoir.fr/films/99/lesenfants/]

104 sortie, et l'importance qu'on lui a donné à cause de son sujet et du coût de la

245 production • En France, on critique surtout le ton excessif du film:

[Dans Les Enfants du siècle] on ne parle pas, on crie. On ne ferme pas les portes, on les claque; on ne les ouvre pas non plus, on les défonce. Les baisers sont des étreintes, les étreintes des roulés-boulés, les caresses des 246 clefs anglaises .

Un autre critique dit que:

Juliette Binoche et Benoît Magimel [Musset] se donnent beaucoup de mal (trop) pour que leur relation reflète une impression fusionnelle. Au final, il flotte malheureusement comme un sentiment de déception, une impression 247 de gâchis .

Les critiques internationaux ne sont pas plus généreux. Todd McCarthy écrit: «equating

depth of feeling with mad tempestuousness, far too many scenes are devoted to heated

arguments, rants and recriminations248 », tandis qu'un autre affirme: «it is ·probably

finicky to note that Binoche is much more beautiful than any picture 1 have seen of

Sand249 ». Effectivement, un des éléments clés de la représentation de George Sand dans ce film constitue la beauté de Juliette Binoche et le «bagage érotique» que cette actrice

apporte au film. Or, tous les critiques s'entendent pour dire que le film est très beau à

voir mais qu'il ne révèle rien du génie de Sand ou de Musset. Et si la recréation historique des costumes et des décors est considérée par la plupart comme réussie, la

245 Pour accompagner la sortie du film en salles, le Musée de la Vie romantique, à Paris, a dédié une exposition à Sand et à Musset intitulée Sand-Musset, Histoire d'un film : Les Enfants du siècle, en recréant des scènes et des décors du film, [http://www.bacfilms.com/site/enfants/]. La publicité entourant la sortie du film inclut aussi des projections spéciales offertes aux « scolaires» visant à montrer le caractère historique, et par conséquent, éducatif, du film. Anne-Dominique Ollivier, op. cit., p. 471. 246 Didier Sénécal, « Sand et Musset, échevelés », Lire: Magazine littéraire, octobre 1999, [http://www.lire.fr/critique.asp/idC=33907/idR=218/idG=3] 247 Olivier Salvano, « Les Enfants du siècle: L'avis de la rédaction », [http://www.aliceadsl.frl] 248 Todd McCarthy, « Film Reviews: Toronto: The Children of the Century», Variety, vol. 376, no. 6, 1999, p. 43. 249 Stanley Kauffmann, « Attempts to Astonish », New Republic, 30 September 2002, vol. 227, Issue 14, p.27.

105 représentation de Sand dans le film est plutôt considérée comme manquée. Pourtant,

comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, les comptes rendus négatifs de

l'époque révèlent que les films historiques créent, chez le public et les critiques, des

attentes spécifiques quant à la représentation de personnages et d'événements historiques.

Ainsi, il s'agira donc, dans ce chapitre, d'analyser la représentation particulière de Sand

proposée par ce film, et de déterminer en quoi elle se rapproche et s'écarte de celles

étudiées dans les chapitres précédents.

Sand et Musset: les enfants du siècle

Ce film raconte en détail la relation amoureuse entre George Sand et Alfred de

Musset, et en particulier, leur voyage à Venise pendant l'automne 1833. Le film retrace toutes les étapes de la liaison: leur rencontre dans un salon littéraire, le début de leur relation amoureuse, le voyage à Venise, et finalement, la séparation.

La première partie du film introduit les deux personnages. Nous voyons Sand dans sa dimension de mère, mais aussi les débuts de son activité littéraire. On présente ensuite Musset, qui est montré dès le début comme menant une vie de débauche. Dans une séquence du début du film, Sand abandonne son mari, déménage à Paris, change son nom d'Aurore Dudevant pour celui de George Sand et commence sa carrière d'écrivain.

250 Elle rencontre aussi Marie Dorval et le film suggère qu'elles deviennent des amantes .

Finalement, Musset et Sand se rencontrent dans un salon où l'écrivaine lit un extrait d'un

250 On fait allusion, très brièvement, à leur liaison amoureuse dans une scène où Sand essaye un costume. Voyant Sand habillée en habits d'homme, Marie Dorval dit: « s'ils avaient des doutes à notre sujet, ils n'en auront plus ». « Notre rencontre est-ce qui m'est arrivée de mieux depuis que je suis à Paris» lui répond Sand. Le regard intense qu'elles échangent ainsi que la proximité des actrices lors de ce dialogue, suggèrent que leur relation est plus qu'une simple amitié. François-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, Les Enfants du siècle, scénario, 1999, transcription personnelle du dialogue.

106 de ses romans. Par la suite, ils travaillent ensemble et réécrivent une pièce de Sand, Une

conspiration en 1537.

La deuxième partie du film montre le début de la liaison de Sand et de Musset. Ils

décident de partir en voyage en Italie car ils veulent «toucher les marbres, voir les

palais25 1 ». Mais Sand tombe malade dès son arrivée et elle est soignée par un jeune

docteur italien, Pietro Pagello. À Venise, Musset se montre immature et cruel et tombe

lui aussi gravement malade. Pagello et Sand le soignent et deviennent amants. Par la

suite, Musset rentre à Paris, mais sa relation amoureuse avec Sand renaît à travers leur

correspondance.

Dans la dernière partie du film, Sand rentre elle aussi à Paris avec Pagello, mais

leur aventure ne dure pas très longtemps. Ce dernier part et Sand et Musset reprennent

leur liaison. Or, la jalousie de Musset finit par la détruire. 11 quitte Paris, c'est la fin.

Musset décide ensuite d'écrire «leur histoire », qu'il intitule La Confession d'un enfant du siècle. Quelques années plus tard, Buloz apporte à Sand les lettres qu'elle avait écrites

à Musset, et elle décide qu'elle aussi «veut écrire leur histoire ». Elle se rend chez

Musset à Paris pour chercher des lettres manquantes, mais elle arrive trop tard car Musset vient de mourir. Dans un épilogue, Sand parle à la tombe de Musset et s'adresse à la caméra pour avouer que Musset a été l'amour de sa vie.

Tout comme pour Impromptu, nous analyserons le personnage de George Sand dans sa dimension de femme écrivain et dans sa dimension de femme amoureuse. Si le film de James Lapine utilïse le personnage de Sand pour faire un portrait, presque caricatural, de l'artiste romantique, le film de Diane Kurys fait un portrait de Sand qui

251 François-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, op. cit., transcription personnelle du dialogue.

107 rappelle les personnages de Brigitte et de Thérèse des romans de Musset et de Sand.

Ainsi, dans le film, Sand n'est pas seulement une femme amoureuse, dévouée et

maternelle, mais elle est aussi une femme écrivaine disciplinée, qui gagne sa vie de sa

plume. Or, dans Les Enfants du siècle, le personnage de Sand revêt aussi la dimension de

la féminité érotique (que nous retrouvons aussi chez Brigitte), avec tous ses attributs: beauté, vulnérabilité, mélancolie et sensualité. Ainsi, la mise en scène et la photographie du film mettent l'emphase sur la beauté et la sensualité de Sand et elle devient non seulement l'objet du regard de Musset et des autres personnages masculins, mais aussi

252 celui du regard complice du spectateur . Le personnage de Sand, tel qu'interprété par

Binoche, est ainsi un modèle féminin, très romantique, de la souffrance amoureuse.

Sand écrivaine : l'écriture et la libération de la femme

Si le film Les Enfants du siècle raconte un épisode de la vie amoureuse de Sand, la dimension de Sand écrivaine fait également partie du portrait présenté par Kurys.

Ainsi, si dans Impromptu Lapine avait mis l'emphase sur le « génie» de Sand à travers les répliques intelligentes, poétiques et comiques du personnage, Kurys, quant à elle, présente une vision plus proche de celle de Sand dans Elle et Lui. En effet, le long du film, la productivité et la discipline de Sand dans son travail sont montrées en opposition avec l'insouciance pour le travail de Musset. De la même façon que le fait Thérèse dans

252 Dans son article, «Visual Pleasure and Narrative Cinema» (1975), Laura Mulvey présente sa théorie féministe (basée sur la psychanalyse) sur la représentation des femmes dans le cinéma narratif traditionnel, voire, hollywoodien. Selon Mulvey, dans le cinéma narratif traditionnel, la femme est présentée comme l'objet du regard masculin. Ce regard masculin est toujours 'actif tandis que la femme, elle, a un rôle 'passif' : à l'écran, le corps de la femme est exploité et devient le lieu d'où provient le plaisir visuel. Quoique la théorie de Mulvey ait été révisée et refusée par certains critiques et féministes, son article reste séminal pour les études féministes du cinéma. Dans Robert Stam, Toby Miller (dir.), Film and Theory: an AnthoLogy, New York, Blackwell, 2000, p. 483-494.

108 Elle et Lui, Sand voit Musset comme un enfant qui ne mérite pas son génie, qu'il gaspille

dans une vie d'excès et de débauche.

Le film établit le portrait de « Sand écrivaine » dans une série de scènes courtes.

Sand quitte son mari, déménage à Paris avec ses enfants, rencontre sa future amante,

Marie Dorval, et se crée un pseudonyme dans les premières neuf minutes du film. Dans

une brève séquence où Sand rencontre Jules Sandeau, avec qui elle écrira Rose et

Blanche, elle affirme qu'elle veut un nom d'homme parce que «personne n'écoute les

femmes» et qu'elle est «écrivain, pas une femme qui écrit253 ». On lui offre une

cigarette, et elle l'accepte en sachant qu'elle est en train de transgresser les mœurs de la

société parisienne de son époque. Le film montre ainsi tous les éléments de l'identité

d'écrivain que se construit George Sand dès son arrivée à Paris: les habits d'homme, les

cigares et la transgression des lois de la société. Kurys donne à Sand la capacité d'agir

dans la création de sa propre légende et à la différence de la description que fait d'elle

Balzac dans sa lettre à Madame Hanska, où il conclut «qu'elle n'est pas femme254 », le

film montre Sand comme ayant été, au contraire, extrêmement féminine. Ainsi, le film

présente de quelle manière Sand a consciemment contribué à la création de son image de femme masculine et excentrique. Or, en montrant le caractère masculin de Sand, le film s'écarte des portraits faits dans les romans de Musset et de Sand, qui n'adressent pas cette dimension, et constitue une différence importante dans la représentation de l'écrivaine.

Cet aspect controversé du personnage est exploité dans une scène du début du film, où

Sand, portant un costume noir, lit un extrait de son dernier roman, qui traite de la situation des femmes dans le mariage:

253 François-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, op. cit., transcription personnelle du dialogue. 254 Voir chapitre 3, notes 217-219.

109 Dans le mariage, la femme est un peuple soumis. Elle n'aucun droit. Ni celui de penser par elle même, ni celui de disposer de ses biens, ni même celui de jouir de son corps. TI est bien plus facile d'accuser une femme de frigidité que d'essayer de lui procurer du plaisir [...]255.

Le silence qui suit cette lecture, l'hésitation de quelques-uns à applaudir, ainsi que le

regard amusé de quelques autres, montrent habilement à quel point George Sand rompt

avec les règles imposées aux femmes de son époque, et à quel point elle était une figure controversée, mi-fascinante et mi-choquante, dans les cercles artistiques et littéraires. En effet, dans cette scène, Kurys isole visuellement le personnage à travers un plan général qui montre Sand au milieu du salon, tandis que le public forme un cercle plus large autour d'elle, ce qui renforce l'espace physique, mais aussi intellectuel, qui les sépare. De plus, nous verrons plus loin que cet extrait sur le droit de la femme de «jouir de son corps» n'a pas été choisi au hasard, et qu'il sera évoqué dans la relation, extrêmement sensuelle, qui se développe entre Sand et Musset. Nous avons vu aussi, dans les premières scènes du film, Sand abandonnant son mari et s'installant à Paris; cet extrait sert donc aussi à illustrer la vision qu'a Sand du mariage, qu'elle décrit comme étant presque de l'esclavage.

Dans cette même séquence, juste après la lecture de son extrait, l'écrivaine rencontre Musset pour la première fois. Le jeune poète dit avoir de l'admiration pour elle

255 François-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, op. cit., transcription personnelle du dialogue. Cet extrait, dont nous n'avons pas trouvé la source exacte, rappelle le discours sur la condition féminine que Sand présente dans Lélia, publié le 31 juillet 1833, peu de temps après sa rencontre de Musset. Ce roman, que Sand réécrit en 1839, crée effectivement une controverse à sa publication, non seulement à cause de sa forme, qu'on considère très expérimentale, mais aussi à travers son portrait de la femme solitaire et « froide» ou frigide. Béatrice Didier affirme que le sujet du roman est « l'impossibilité de jouir dont souffre Lélia », qu'elle qualifie comme étant, plutôt que de la frigidité, « le décalage entre l'infini du rêve et la pauvreté de la réalité ». Pourtant, « la critique a retenu de préférence ce qui lui apparaissait comme des révélations d'ordre sexuel, en particulier relatives à la frigidité et à l'homosexualité. [...] La froideur de Lélia a été interprétée [...] comme le signe d'une incapacité de jouir dont aurait souffert le personnage et que les lecteurs attribuèrent aussi à l'auteur ». Op. cit., p. 142,157.

110 et la conversation porte sur l'écriture lorsque Musset dit :« Vous et moi, nous savons que

256 le bonheur d'écrire n'est que dans le bonheur d'écrire ». Ainsi, Kurys montre comment

leur première rencontre instaure un rapport d'égal à égal. Les deux personnages passent

ensuite leur première nuit ensemble à réécrire une pièce de Sand, Une Conspiration en

257 1537, qui deviendra plus tard la pièce Lorenzaccio de Musset •

Mais, comme dans Elle et Lui, c'est à travers l'opposition de leur approche du

travail que va se construire leur relation intellectuelle. Ainsi, le film oppose le génie

naturel et l'insouciance pour le travail de Musset à la capacité de travail de Sand, cette dernière étant montrée le long du film comme travaillant infatigablement jour et nuit à ses romans. En effet, la profession d'écrivain chez Sand, tel que montrée dans le film, révèle davantage sa grande dévotion au travail qu'elle n'illustre l'intellect ou le génie de l'auteure. Or, cette discipline au travail présente aussi l'écrivaine dans sa situation de femme qui a rompu avec les traditions de son époque et qui a dû travailler pour gagner sa vie. Ce faisant, le film célèbre surtout la façon dont Sand a exprimé un message sur la libération de la femme, non seulement à travers son œuvre, mais aussi à travers l'exemple de sa vie. Dans les séquences à Venise, l'opposition de Sand et de Musset quant à leur attitude face au travail est mise au premier plan.

Sand arrive malade à Venise. Musset, fâché et frustré, affinne qu'il n'est pas «un

258 très bon garde-malade » et part visiter les maisons de filles de la ville. TI est intéressant de noter qu'à chaque fois que nous voyons Sand en train de travailler, Musset vient l'interrompre. Dans deux courtes séquences à Venise, Sand écrit sur son lit, ses papiers

256 François-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, op. cit., transcription personnelle du dialogue. 257 Paul Bénichou, op. cit., p. 144-145, note 4. 258 François-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, op. cir., transcription personnelle du dialogue.

III éparpillés autour d'elle. Dans la première, Musset arrive, ivre et fatigué, et se jette sur le

lit. Sand le gronde comme un enfant: «Mes papiers!» Dans la deuxième séquence, Sand

écrit au lit, ses longs cheveux noirs décoiffés et libres, tandis que Musset dort à ses côtés

sous la couverture. Musset se lève soudainement pour ajouter du bois sur le feu. Encore

une fois, Sand doit le gronder: «mes papiers! », mais cette fois-ci, elle l'interroge sur

son travail: «Lorenzaccio sera terminé un jour? ...tu ne mérites pas ton génie », lui dit­

259 elle doucement . Le talent artistique de Sand (et par conséquent ses idées) est donc moins important que l'honnêteté du travail quotidien, qui prend ici la valeur d'un travail manuel et que le sacrifice, parfois physique, l'accompagne. En effet, dès le début des séquences à Venise, Kurys présente une Sand, qui, même très malade, ne s'arrête jamais de travailler. Le film montre que c'est cette discipline et cette détermination qui ont permis à George Sand de gagner sa vie, d'être une femme indépendante financièrement de son mari et d'élever ses enfants seule. Dans une lettre à Buloz, elle explique que pendant les dix jours que Musset a été malade, elle n'a pas été capable d'écrire: elle a soigné le malade jour et nuit et elle a dépensé tout son argent en médicaments. Encore une fois, c'est l'idée du travail manuel et du sacrifice qui est mise en évidence. C'est aussi seulement la deuxième fois dans le film que le film cite un extrait d'un texte de

Sand et ce sont précisément le sacrifice, le travail manuel et la fatigue physique qui constituent le sujet de la lettre. Cette image de Sand laboureuse et dévouée à ses romans, a son origine dans des anecdotes et des faits bien connus de la vie de l'écrivaine, et sa

259 Ibid.

112 260 prolificité est soulignée dans la plupart des biographies et des études sur son œuvre •

Or, comme l'explique Anne-Marie Baron, c'est cet aspect de Sand qui sert à représenter

l'élément le plus puissant du personnage car il montre comment Sand a cherché à

redéfinir une conception du travail artistique qui plaçait la notion du génie au même

niveau que celle du travail discipliné et assidu :

La seule chose qui me semble justement rendue dans ce film, c'est le caractère insolent de la créativité sereine et sans faille de George Sand, dénigrée pour sa régularité quasi domestique par un discours masculin qui 261 oppose le travail au génie •

En effet, nous avons vu comment, dans Elle et Lui, Sand rejette cette conception

romantique du travail car, tandis que Thérèse est capable de gagner sa vie en faisant des

portraits et des copies, Laurent est montré comme étant improductif et toujours

dans l'attente d'un souffle d'inspiration pour pouvoir travailler. Nous voyons aussi que

tout comme Thérèse, Sand incarne une autre conception du travail artistique qui est

influencée par la montée du capitalisme, et où créativité et productivité ne s'excluent pas

l'une l'autre. Ainsi, comme nous l'avons vu dans Elle et Lui, Sand rejette non seulement

la notion de l'art provenant uniquement du génie, mais elle rejette aussi l'idée de la productivité et de la prolificité comme étant opposées à la qualité et à la valeur du travail

artistique. Ainsi, si Sand ne rejette pas l'idée du génie dans l'art (Thérèse ressent, au contraire, une grande admiration pour le génie de Laurent, comme le fait Sand pour

Musset dans le film), elle propose néanmoins une approche plus réaliste qui combinerait

260 Béatrice Didier affirme que cette prolificité de Sand n'a pas toujours été vue comme étant positive: « On entend dire encore de nos jours [...] qu'elle écrit trop vite, que 'ça coule', que c'est une logorrhée, qu'elle tombe dans la fameuse 'facilité féminine'. Elle a beaucoup écrit, certes; mais pourquoi ne pas reconnaître qu'elle possédait une capacité de travail extraordinaire, qu'elle pouvait pendant des semaines, des mois, des années, écrire toutes les nuits, et se contenter de quelques heures de sommeil la nuit». Op.cit., 1998, p. 2. 261 Anne-Marie Baron, op. cit., p. 50.

113 les notions du talent et du génie avec la réalité matérielle du travail artistique. Ainsi, le

film célèbre chez Sand sa grande prolificité, sa discipline ainsi que sa « créativité sans

faille », attributs qui lui ont permis de conquérir son indépendance économique et de

démontrer qu'une femme pouvait non seulement avoir du talent, mais aussi vivre de son

art. Toutefois, une comparaison de la façon dont on montre cet aspect du personnage dans

Les Enfants du siècle et dans Impromptu, révèle que le film de Lapine réunit avec succès

génie et productivité chez Sand (son génie est surtout « visible» à travers ses répliques

intelligentes et pleines d'esprit) tandis que le portrait de Kurys montre davantage le

personnage dans l'acte d'écrire sans nous donner beaucoup d'exemples de ses textes ou

de ses idées.

Sand amoureuse: l'héroïne romantique à l'écran

En concevant le personnage de George Sand pour son film, Diane Kurys a

« voulu rendre hommage à toutes les femmes libres, à toutes celles qui se sont levées un jour pour dire 'Ça suffit !,262 » Si la première partie du film se concentre sur la lutte de

Sand pour devenir une femme écrivaine indépendante, sa liaison amoureuse avec Musset sert aussi à la montrer comme regagnant son droit à une vie amoureuse passionnée. Ainsi,

Kurys présente Sand comme ayant trouvé chez Musset l'homme capable de lui procurer

«le plaisir» dont elle parlait dans la scène du salon. Et, une fois que sa liaison avec

Musset commence, le film se concentre presque exclusivement sur la relation amoureuse du couple. Par la suite, dans les séquences qui montrent les deux amants, l'emphase sera souvent mise sur la beauté et la sensualité de Sand et sur la façon dont elle se laisse

262 Diane Kurys, op. cit., p. 200.

114 emporter par son attirance et sa passion pour Musset. Et si, dans Impromptu, le jeu de

Judy Davis, ainsi que son apparence physique, servent à montrer la dimension masculine

de Sand (même si cette masculinité est montrée comme étant une construction du

personnage), dans Les Enfants du siècle, Sand n'est jamais masculine, et c'est sa féminité

qui est mise en évidence le long du film. La séquence de la première rencontre amoureuse

entre Sand et Musset sert à illustrer ce point. Musset quitte sa maison suite à une dispute

avec sa mère au sujet de Sand et il décide de rendre visite à l'écrivaine. Quand Musset

arrive chez Sand, elle est en train de s'habiller pour aller au théâtre et nous voyons un

plan de Sand dans sa chambre devant un miroir. La caméra, placée derrière Sand, nous permet de voir sa robe ouverte, qui révèle ses sous-vêtements et son corset, ainsi que son reflet dans le miroir. Sand demande à Musset s'il aime ce qu'elle porte et si «ça ne fait pas trop 'femme de lettres,263 ». Tandis que Musset attend Sand dans le salon, Kurys montre un plan de Sand en train de se changer. Encore une fois, nous voyons Sand dans ses sous-vêtements blancs et son corset. Ces plans de Sand «demi-nue» confèrent une vulnérabilité sensuelle au personnage, car le spectateur a accès à l'intimité de sa chambre, là où elle n'est plus «une femme de lettres» mais une femme amoureuse, sensuelle et passionnée. Ces courts moments préparent aussi la séquence amoureuse qui suit. Quand

Sand sort de sa chambre portant une belle robe rouge, le point de vue devient celui de

Musset, qui est surpris et ébloui par sa beauté. Elle lui demande de l'aider à boutonner sa robe. Quelques minutes plus tard, quand ils se laissent emporter par leur passion, c'est cette même robe qui est déchirée violemment par Musset. Pendant qu'il embrasse Sand,

Musset murmure des mots d'amour qui sont un éloge à sa beauté et à sa sensualité: « TI ne

263 François-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, op. cif., transcription personnelle du dialogue.

115 s'est pas passé de jour où je n'ai pas pensé à ton corps, sous la lumière et l'ombre, à tous

ses secrets264 ». Ainsi, le long de cette séquence, la plupart des plans montrant Sand sont

de gros plans de son visage, qui révèlent en détail toutes les émotions de sa passion

croissante. En effet, tous les éléments visuels de cette séquence, de la lumière des bougies

aux décors, servent à rehausser ou à idéaliser visuellement la beauté et la sensualité de

Sand. Ainsi, cette séquence sert aussi à montrer la dimension plus vulnérable de Sand,

qui se laisse guider par Musset (montré comme étant plus expérimenté) dans leur

première rencontre amoureuse. Le personnage est aussi rendu plus vulnérable par la façon dont la séquence dévoile, visuellement, «tous les secrets» du corps de Sand aux yeux du spectateur. Un autre moment du film où la féminité et la vulnérabilité de Sand sont mises en évidence est la séquence où elle lit l'extrait sur la condition des femmes dans un salon.

Comme nous l'avons déjà relevé, Sand apparaît, dans cette séquence, au milieu du salon dans un plan qui met l'emphase sur la distance qui la sépare du public. Aussi, alors que le texte que lit Sand est controversé et témoigne du courage de l'écrivain, le jeu de Binoche laisse entrevoir aussi sa peur et son insécurité. La force du discours de Sand sur les droits de la femme dans le mariage est perdue quand Sand apparaît humiliée et fragile devant un public scandalisé qui n'hésite pas à montrer son dégoût. Kurys nous montre une femme au bord des larmes, qui, malgré son costume d'homme, ne se comporte pas « en homme» ; elle est trahie par son émotivité et sa féminité. Quand un critique lui dit qu'elle est «moins qu'une femme» et qu'il va «la traîner dans la boue »,

Sand perd presque toute sa force et son courage. Le costume d'homme ne fait que

264 Ibid.

116 renforcer sa vulnérabilité car, en plus du contraste entre la masculinité de ses habits et la

féminité de son visage au bord des larmes, on la montre comme étant isolée dans une

société qui n'acceptait que des divisions nettes des sexes et de leurs rôles dans la société.

L'hésitation du public à approuver ou à désapprouver son texte détruit le peu de

confiance de Sand. Musset arrive et semble fasciné par les commentaires qu'il entend sur

le texte qu'elle vient de lire. Quelques moments après, quand ils se rencontrent enfin, ils

parlent d'abord d'écriture, mais très vite, c'est la beauté de Sand qui devient le sujet de la conversation. Musset lui dit qu'il a l'envie de l'embrasser, ce qu'il fait. Sand semble confuse mais ne fait rien pour l'arrêter, elle est flattée. Kurys montre ainsi la forte

attraction intellectuelle, mais aussi physique, qui existe entre les deux écrivains dès leur première conversation. De plus, dans cette séquence, censée montrer qu'au moins une partie du public voyait Sand comme étant «moins qu'une femme », le spectateur voit une femme qui, même en portant des vêtements d'homme, est capable d'attirer l'attention d'un jeune homme. Par conséquent, le film reprend les éléments de la légende de Sand, mais il ne fait pas d'elle la femme masculine dont parle Balzac dans sa lettre et sur lequel le film Impromptu de Lapine base sa représentation. Or, si dans Impromptu le point de vue de la société de l'époque est extériorisé par le jeu très théâtral de Davis (sa masculinité est exagérée consciemment par Sand mais elle peut aussi représenter la façon dont elle est «perçue» par les autres personnages), dans Les Enfants du siècle, le point de vue de Balzac est incarné par le public du salon et sa réaction négative au texte de

Sand.

En effet, il est révélateur que le personnage de Sand porte des costumes d'homme, au moment où le personnage est aussi montré comme étant le plus vulnérable et féminin.

117 Ainsi, dans deux autres séquences présentant Sand habillée en homme, le jeu de Binoche

sert à éliminer tout élément de masculinité ou d'androgynéité du personnage, qui

apparaît, aux yeux du spectateur moderne, comme étant celui d'une belle femme très

sensible et sensuelle. Dans la première, on voit Sand disant au revoir à ses enfants, qui

partent pour la campagne avec leur père. Sand est bouleversée et fait un effort pour

contenir ses larmes. Une fois la diligence partie, elle éclate en sanglots désespérés tandis

que Musset tente de la consoler. La deuxième montre Sand et Musset partant pour

Venise. Tous les amis de Sand sont là: Sainte-Beuve, Planche, Buloz, ainsi que Paul de

Musset et Tattet, ami intime de Musset. Sand porte un costume noir et un chapeau. En

regardant Sand et Musset s'éloigner dans la diligence, Sainte-Beuve dit à Buloz : «Vous

êtes amoureux ?» «Pas vous ?265 », lui répond l'éditeur. Ce petit dialogue suggère que,

même habillée comme un homme, Sand avait un pouvoir de séduction sur les hommes, et que même ses amis artistes et écrivains étaient tous «amoureux» d'elle et jaloux de

Musset. Par conséquent, de la même façon que dans Impromptu le portrait du personnage est influencé de manière importante par le jeu de l'actrice principale, dans Les Enfants du siècle, l'apparence physique de Binoche, et tout ce que cette actrice évoque, confère au personnage une dimension de sensualité et de vulnérabilité.

Dans son article «Binoche: The Erotic Face », Ginette Vincendeau explique comment le visage de Juliette Binoche est devenu le lieu où tout un bagage érotique et intellectuel a été investi, bagage qui s'impose à son tour dans les personnages qu'elle incarne. Ainsi, le jeu de Binoche dans deux films historiques de la fin des années 90, Les

Enfants du siècle et La Veuve de Saint-Pierre (2000), ont renforcé son image de

265Prançois-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, op. cit., transcription personnelle du dialogue.

118 représentante d'une «féminité tragique» car les deux films se terminent avec un gros

plan du visage de Binoche, qui semble être impliquée dans la mort ou la perte des deux

personnages masculins principaux. Pour Vincendeau, «tragic femininity is attractive

because it implies emotional authenticity 266 ». Ainsi, Binoche, qui plus qu'aucune autre

actrice française contemporaine est devenue une représentante de la féminité française au cinéma, possède un érotisme angoissé et intellectuel qui lui permet de passer aisément

267 des films commerciaux aux films d'auteur • Vincendeau explique aussi que des films comme Les Amants du Pont-Neuf (1991), Damage (1992) et Three Colors Blue (1993, qui se termine aussi avec un plan rapproché de son visage), mettent l'emphase sur

268 l'érotisme du visage de Binoche • ll1uminée par la lumière des bougies typique de films comme Les Enfants du siècle, La Veuve de Saint-Pierre et Le Hussard sur le toit (1995, autre film d'héritage basé sur un roman), Binoche est isolée dans « a pool of pastness and iconicity; at this point she's no longer a character but a vision of etemal femininity269 ».

Ainsi, Binoche, mais aussi Kurys par son choix de plans qui mettent l'emphase sur le visage de son actrice principale, donnent une dimension érotique et profondément féminine et iconique au personnage de Sand. Dans ce contexte, et non parce que les deux sont incompatibles, Sand amoureuse prend le dessus sur Sand écrivaine. Ainsi, si au début du film nous voyons Sand quittant son mari et exprimant ses idées sur l'égalité des femmes dans la société et dans le mariage, sa relation avec Musset (qui au début révèle sa capacité d'agir et de vivre une vie amoureuse passionnée mais qui devient, par la suite,

266 Ginette Vincendeau, « Binoche the Erotic Face », Sight & Sound, 10 June 2000, p. 14. 267 Ibid., p. 14. 268 Ibid., p. 14. 269 Ibid., p. 16.

119 terriblement sadomasochiste et destructive) affaiblit, en quelque sorte, son portrait de

femme luttant pour la condition des femmes dans la société de son époque.

La féminité de Sand dans le film est complétée par sa maternité, qui apparaît dans

les séquences avec ses enfants mais aussi avec Musset. Or, comme nous l'avons vu dans

les chapitres précédents, la dimension maternelle chez Sand fut un élément important

dans plusieurs de ses liaisons amoureuses, ainsi qu'une caractéristique des personnages

féminins de la littérature romantique.

Ainsi dans le film, quand Musset tombe malade à Venise, Sand le soigne avec

une passion mêlée de folie et de peur. Quand elle apprend que la maladie de Musset est

peut-être mortelle, elle devient hystérique et tente de se suicider. C'est de la même hystérie que souffre le personnage dans une séquence du début du film quand ses enfants,

Maurice et Solange, se perdent dans la foule lors des émeutes à Paris. Dans son côté

maternel, Sand est donc extrêmement passionnée en même temps qu'elle montre une dévotion qui rappelle le sacrifice d'amour de Brigitte et de Thérèse dans La Confession et

Elle et Lui. Cet aspect sacrificiel de sa maternité est surtout évident dans la séquence de la maladie de Musset. Ainsi, même si dès leur arrivée à Venise Musset abandonne Sand malade dans sa chambre et que nous voyons les amants se disputer à plusieurs reprises,

Kurys montre toutefois Sand oubliant toutes les humiliations et les disputes pour prendre soin du malade. Par conséquent, tout comme les héroïnes des romans de Musset et de

Sand, l'écrivaine est montrée comme étant dévouée à la guérison de la maladie

(physique et morale) du jeune homme, même après qu'elle découvre sa tendance à l'excès et à la débauche. Mais, si dans La Confession, Brigitte décide de donner sa vie pour sauver celle d'Octave, dans le film, Sand rappelle plutôt la détermination de

120 Thérèse, qui abandonne Laurent à la fin du roman. De plus, même si Sand est montrée

comme prenant soin du malade avec une ferveur presque fanatique, Kurys présente aussi

la liaison amoureuse qui se développe entre l'écrivaine et le docteur Pagello. Or, la cinéaste présente également des scènes où Musset est infidèle à Sand, et suite aux

disputes violentes et humiliantes (pour Sand) entre les amants, les actions de l'écrivaine apparaissent ainsi comme étant justifiées. De plus, comme nous l'avons déjà mentionné à propos des romans, le mode de vie discipliné de Sand par rapport à la débauche de

Musset, opposition que nous voyons surtout lors du voyage à Venise, met l'emphase sur l'aspect mère et fils de leur relation. Cet aspect est aussi renforcé à travers l'association de Musset avec les enfants de Sand et la façon dont il est décrit comme étant un

« enfant» par différents personnages dans le film. Par exemple, dans une séquence qui montre Musset et les enfants en train de déchirer les rideaux de la maison de Sand, leur complicité et leurs jeux les placent au même niveau, et Sand devient ainsi la seule

« adulte» de la maison. Le film présente donc Sand non seulement comme une femme d'une grande beauté et féminité, mais aussi comme une amante idéale, passionnée, maternelle et dévouée. Le personnage devient ainsi presque parfait, non seulement aux yeux de Musset et de ses amis artistes, mais aux yeux du spectateur moderne. Nous avons déjà vu que Kurys, en concevant le scénario, avait voulu exprimer dans «un seul et même film» les deux points de vue de l'histoire de la liaison amoureuse de Sand et de

27o Musset • Kurys aurait donc tenté de réunir les représentations imaginaires de Sand dans les romans avec l'écrivaine telle qu'elle apparaît dans les lettres pour créer un personnage idéalisé dans sa beauté, sa maternité et sa passion.

270 Diane Kurys, op. cit., p. 197.

121 Une dernière séquence ayant lieu après la séparation de Sand et de Musset à

Venise, sert encore une fois à montrer le personnage dans sa dimension de femme

amoureuse, mais aussi, de femme aimée. Cette scène illustre, à travers une narration en

voix off, des extraits de la correspondance de Sand et de Musset. Comme nous l'avons vu

dans le premier chapitre, c'est à travers leur correspondance que l'amour de Sand et de

Musset renaît après leur rupture à Venise et c'est dans une lettre que Musset déclare à

Sand son projet de lui «bâtir un autef71 ». Or, si Musset a fait de Sand un personnage

très idéalisé et sacralisé dans La Confession et si le personnage de Thérèse est aussi

idéalisé dans sa dimension maternelle dans Elle et Lui, dans Les Enfants du siècle, cette

idéalisation s'attache à la représentation de la vie de l'écrivaine, ainsi qu'à sa liaison

amoureuse avec Musset. Dans cette séquence, Kurys utilise un montage parallèle qui

montre Sand à Venise et Musset de retour à Paris en même temps que nous entendons des extraits de leurs lettres. Tandis que Kurys emploie différents types de plans de Musset à

Paris, nous voyons de gros plans du visage de Binoche qui mettent l'emphase, encore une fois, sur la beauté de l'actrice. De plus, dans les plans du visage de Sand, la caméra est placée dans un angle en contre-champ, ce qui aide visuellement à «élever» le personnage aux yeux du spectateur. Lorsque nous voyons Sand lisant les lettres de

Musset dans les places de Venise, son visage est montré contre des bâtiments imposants, la mer ou le bleu du ciel. En contraste, nous voyons des plans de Musset seul et malade dans les maisons de filles à Paris. Kurys reproduit ainsi, dans une séquence très complexe, l'essence de la liaison de Sand et de Musset et des personnages qu'ils ont créés dans leurs romans autobiographiques. La scène devient ainsi une sorte de transposition du

271 Voir le chapitre 1, note 37.

122 romantisme à l'écran: un amour qui, déclaré impossible dans le monde réel, est idéalisé à distance, un personnage féminin idéalisé dans sa beauté mais aussi dans l'effet salutaire qu'il a sur le héros. Ainsi, c'est à travers cette sorte d'idéalisation du personnage que

George Sand en « femme amoureuse », dans toute sa féminité, sa beauté, sa sensualité et

sa maternité, prend le dessus sur George Sand «écrivain ». Plutôt que de célébrer le travail de Sand, le film célèbre la femme qu'elle a été ainsi que la façon dont elle a vécu une de ses plus grandes liaisons amoureuses. Par exemple, dans Les Enfants du siècle, la plupart des scènes qui illustrent à travers des citations la «voix littéraire» de Sand, reproduisent des extraits de lettres qu'elle a écrites à Musset, c'est-à-dire des textes qui parlent de sa propre vie et de son expérience personnelle et non de la fiction. Ce faisant,

Les Enfants du siècle célèbre le « romantisme» de Sand, à la différence d'Impromptu qui se moque de cet aspect du personnage en célébrant néanmoins son intellect, son honnêteté et sa force.

***

Avec Les Enfants du siècle, nous voyons donc le projet qu'une réalisatrice du

XXe siècle a eue à représenter le personnage de Sand dans toutes ses dimensions, et le portrait qui émerge à la fin favorise tous les éléments de la féminité traditionnelle: la beauté, la vulnérabilité, la dévotion maternelle et la souffrance amoureuse. En effet, dans

Les Enfants du siècle, le personnage de Sand accepte la jalousie et la cruauté de Musset comme étant des symptômes de sa maladie du siècle, de la même façon que le font les personnages de Brigitte et de Thérèse en acceptant l'amour d'Octave et de Laurent. À la fin du film, quand Sand quitte Musset définitivement, elle est montrée néanmoins comme souffrant terriblement à cause de la rupture. La scène finale, où nous voyons Sand devant

123 la tombe de Musset, renforce l'idée que sa souffrance continue, même plusieurs années

après leur séparation. Le film montre toutefois la détermination et la dignité du

personnage qui, dans un geste de volonté, décide de mettre fin à sa liaison destructive

272 avec Musset tout en sachant qu'il a été le grand amour de sa vie •

Finalement, quoiqu'au début du film Sand soit montrée dans sa dimension d'écrivaine controversée et que le film célèbre sa prolificité et sa discipline, l'emphase est mise ensuite sur sa liaison passionnée avec Musset et sur sa dimension de femme amoureuse. Cette dimension sert aussi à montrer le désir de Sand de vivre une vie amoureuse passionnée et libre et illustre un élément du discours sur la condition féminine de l'écrivaine. Or, sa liaison avec Musset dégénère très vite dans une relation destructive et violente, et nous voyons Sand dans toute sa vulnérabilité, sa maternité sacrificielle et sa souffrance amoureuse, ce qui affaiblit la représentation du personnage en femme forte et indépendante.

Vincendeau voit l'interprétation du personnage par Juliette Binoche comme ayant un effet direct sur le portrait de Sand en femme amoureuse et affirme que le film est un exemple de la difficulté rencontrée par le cinéma des années 90 à créer des représentations de femmes « fortes» :

[...] Kurys conflates Sand's identity with Binoche's neo-romantic star persona rather than extending her star's image to incorporate a more empowered femininity. The result is a series of tensions in the script which testify to the difficulty our culture still has with the depiction of 273 strong women •

272 Dans son monologue à la fin du film, Sand parle directement à la caméra: «On n'aime qu'une seule fois de toute son âme. Aujourd'hui je le sais: c'était lui, c'était cette fois-là ». François-Olivier Rousseau, Murray Head, Diane Kurys, op. cit., transcription personnelle du dialogue. 273 Ginette Vincendeau, « Binoche the Erotic Face », op. cit., p. 17.

124 De la même façon, Carrie Tarr affirme que les films de Kurys « both express and deny a

female voice274 » et elle explique que:

[Kurys] work needs to be understood within the specifie context of French cinema and French culture, in which the concept of the auteur, [...] remains resolutely masculine, and in which, paradoxically, despite the growing number of women film directors, it is difficult to explore notions of French 'femininity' and sexual 275 difference •

Si dans Impromptu Lapine et Kernochan utilisent les différents visages de l'écrivaine

pour créer un portrait qui reflète les différentes facettes de la femme moderne, Kurys

quant à elle présente un portrait qui restitue à Sand toute sa féminité, mais ce faisant, elle

confère aussi au personnage une dimension de femme tragique et souffrante. Toutefois,

elle célèbre aussi le courage de l'auteure qui rompt avec les codes moraux de son époque

ainsi que de la détermination et la dignité dont elle fait preuve quand elle décide de

quitter Musset définitivement.

Dans Les Enfants du siècle, la relation entre Sand et Musset est présentée,

narrativement et visuellement, comme une grande passion romantique, ce qui résulte du fait que Kurys s'est inspiré des romans de Sand et de Musset, ainsi que de leur correspondance, pour écrire le scénario du film. Ainsi, les différentes dimensions des personnages féminins que le lecteur trouve dans la représentation du personnage de Sand dans La Confession d'un enfant du siècle et Elle et Lui, se retrouvent dans la caractérisation du personnage de Sand dans le film.

Dans Impromptu, Lapine utilise le romantisme de Sand pour se moquer du personnage et pour faire un portrait de l'écrivaine qui célèbre non seulement ses qualités,

274 Carrie TaIT, Diane Kurys, op. cit.,p. 7. 275 Ibid., p. 3.

125 mais aussi ses excès et ses erreurs. Dans Les Enfants du siècle par contre, Kurys fait un

éloge du romantisme et de la grande histoire amoureuse que fut la liaison de Musset et de

Sand. Elle célèbre ainsi un mythe littéraire français en même temps qu'elle idéalise le personnage de Sand et le transforme en une icône de la beauté et de la féminité françaises.

126 Conclusion

Dans ce mémoire, nous avons examiné la représentation imaginaire de George

Sand dans quatre œuvres de fiction: les romans La Confession d'un enfant du siècle

d'Alfred de Musset et Elle et Lui de George Sand, ainsi que les films Impromptu de

James Lapine et Les Enfants du siècle de Diane Kurys. Nous avons constaté, à travers une analyse principalement thématique, que chaque représentation révèle différents aspects de la femme réelle sur lesquelles les portraits sont basés mais aussi qu'elles répondent aux préoccupations esthétiques et thématiques des époques dans lesquelles elles ont été produites.

Nous remarquons ainsi que, dans les deux romans, les personnages féminins incarnent des femmes dévouées, mais déçues et maltraitées, victimes d'un amour condamné. Dans La Confession d'un enfant du siècle, Brigitte est plus particulièrement une femme idéalisée, qui, par sa dévotion et son dévouement, assume un rôle de

276 salvatrice • Si Brigitte n'est pas artiste ou écrivaine dans La Confession, elle est présentée quand même comme travaillant infatigablement dans son village, où elle s'occupe des malades et des pauvres et fait du travail charitable. Dans Elle et Lui,

Thérèse est aussi un modèle de dévouement et de sacrifice. Mais dans ce roman, elle est aussi peintre, et elle doit travailler pour gagner sa vie. Sand expose ainsi, à travers la relation amoureuse de Laurent et Thérèse, une vision particulière de l'artiste

276 Paul Bénichou, op. cit., p. 196.

127 277 romantique • Nous croyons que ces représentations de Sand correspondent à une vision

de la femme très caractéristique de la littérature romantique du XIXe siècle, même si elle

est le résultat de deux regards très différents, celui de Musset et celui de George Sand

elle-même.

Ainsi, Musset donne à son récit un ton religieux qui révèle, selon Jeanne Fuchs,

un désir de transcendance et « d'absolution », qui est évident dans le choix même du titre

de son roman. Comme l'explique Philippe Gasparini, l'emploi du terme «confession»

278 renvoie au discours du pénitent devant Dieu . Dans son roman, Musset assume ainsi le

rôle du pénitent, et tente d'expier ses torts envers Sand devant Dieu (et le public), non

seulement en avouant sa part dans l'échec de la liaison, mais en conférant à l'écrivaine le

rôle de la femme salvatrice, dévouée et maternelle si caractéristique de la littérature

romantique. Mais, même si Brigitte assume un rôle maternel qui la place dans une

position de victime et qu'elle décide de se donner en sacrifice à Octave, ce dernier ne

peut pas réconcilier les différents visages qu'elle révèle aussi au jeune homme (qui la voit

à la fois comme sa mère, sa sœur et son amante). Dans La Confession donc, le

personnage de Brigitte sert principalement de catalyseur à la rédemption et à la guérison

d'Octave. Musset fait, par conséquent, un portrait de Sand qui la montre principalement

dans sa dimension de femme amoureuse, et le roman constitue le moyen par lequel il cherche à transcender la fin de leur relation amoureuse. La différence entre les projets de représentation de Musset et de Sand se manifeste, en partie, dans ce choix: si la dimension d'artiste ne fait pas partie du portrait de Sand dans La Confession, dans Elle et

Lui, l'écrivaine fait de la profession des amants, et de leur conception de l'artiste et de

277 Alexandra Wettlaufer, op. cit., p.167-182. 278 Philippe Gasparini, op. cit., p. 66.

128 l'art, un élément très important de leur liaison. En effet, dans Elle et Lui, Sand utilise le

personnage de Thérèse, et l'histoire de sa liaison avec Musset, pour faire un portrait de la

femme artiste dans la deuxième moitié du XIXe siècle qui reflète une nouvelle conception

de l'artiste et de l'art influencée par les préoccupations thématiques du réalisme. Thérèse

est donc une femme indépendante et libre, qui, même en étant une artiste de talent,

accepte les exigences matérielles et économiques de la production artistique. Mais, tout

en rejetant la conception romantique, essentiellement masculine, de l'artiste et de l'art,

Thérèse apparaît comme une femme idéalisée dans le sacrifice maternel qu'elle fait en

acceptant l'amour de Laurent. Ce portrait, quoique toujours influencé par la vision

romantique de la femme, montre aussi le refus de Sand d'opposer la femme artiste à la

femme «féminine» et maternelle. Plus important, Sand montre comment Thérèse,

prisonnière d'une position maternelle qui la place dans une position de pouvoir mais

aussi de victime envers son amant, choisit finalement de quitter Laurent pour vivre seule

avec son enfant, qui réapparaît à la fin du roman.

Alexandra K. Wettlaufer affirme que dans l'œuvre des années 1850 de Sand, on repère un désir de recréation ou de réinvention de son image personnelle. Dans ce contexte, Elle et Lui « takes an important place in Sand's own on-going self-production as a cultural icon279 ». En effet, cette transformation avait déjà commencé avec son autobiographie (publiée en 1854-1855), car, tel que l'affirme Naemi Schors, Sand y fait

« a truly astonishing transformation of herself from an object of scandaI into the supreme figure of propriety, the good mother par excellence, the popular public personna and

279 Alxandra K. Wettlaufer, op. cit.,'p. 181.

129 cultural artifact that came to be known as the 'Bonne Dame de Nohant,280 ». Le personnage de Thérèse contribue à cette transformation, en incarnant une vision de la femme artiste qui réunit non seulement création avec production, mais aussi talent artistique avec maternité, notions qui, comme l'expliquent Higonnet et Bertrand-

Jennings, demeurent irréconciliables au XIXe siècle.

Si, dans Elle et Lui, Sand tente de transformer son image de femme écrivaine scandaleuse à travers le personnage de Thérèse, c'est précisément l'image controversée de l'auteure qui sert de point de départ (quoique de manière très différente) aux portraits faits dans les films. Or, tout en exploitant les éléments de la vie de Sand devenus légendaires dès son vivant (tels que sa masculinité et sa vie amoureuse), Lapine et Kurys les transforment et les utilisent pour faire de l'écrivaine une femme artiste et professionnelle, mais aussi maternelle, féminine et sensuelle.

Ainsi, dans Impromptu, Lapine fait de l'écrivaine une incarnation de l'artiste romantique masculin en même temps qu'il exploite la légende de Sand masculine et excentrique. En effet, une grande partie du comique du film provient de la fascination et du choc que sa masculinité, son excentricité et sa vie controversée causent dans la société de son époque. La masculinité de Sand, amplifiée à travers le jeu très maniéré de Judy

Davis, constitue ainsi un aspect nouveau par rapport aux portraits que proposent les romans. Mais, dans Impromptu, on montre aussi la maternité de Sand, qui révèle non seulement sa dimension plus féminine et traditionnelle, mais aussi combien celle-ci la place dans une position de pouvoir vis-à-vis ses amants. Le film nuance ainsi le portrait de Sand masculine et androgyne, et montre un personnage qui se déplace avec facilité

280 Naomi Schor, George Sand and Idealism, New York, Columbia UP, 1991, cité dans Alexandra K. Wettlaufer, op. cil., p. 181.

130 entre des espaces masculins et féminins. Le traitement de l'espace, ainsi que le type de

plans utilisés tout au long du film, renforcent cette idée, et Sand apparaît comme une

femme capable d'assumer différentes facettes, que la société de son époque a de la

difficulté à réconcilier. De plus, tout comme chez Sand, le personnage de l'écrivaine est

montré comme gagnant sa vie de sa plume et prenant soin de sa mère et de ses enfants.

Le film met ainsi l'emphase sur sa modernité, ce qui la rapproche de l'idéal féministe de

la fin du XXe siècle.

Le portrait que propose Diane Kurys dans Les Enfants du siècle, révèle une

interprétation différente des éléments devenus légendaires de la vie de Sand. Ce film se

distingue d'Impromptu par son approche dramatique du personnage. Nous avons vu, que l'histoire de la liaison Sand-Musset est devenue un «mythe littéraire» français, entre le

XIXe et le XXe siècle, et le film de Kurys entre dans une longue lignée d'ouvrages portant sur leur relation amoureuse. Le scénario du film, inspiré des romans de Musset et de

Sand, ainsi que de leur correspondance, célèbre la grande passion amoureuse qu'a vécue l'écrivaine dans sa liaison avec le jeune poète. Si Lapine exploite les éléments légendaires de la vie de Sand pour montrer à quel point elle a rompu avec les traditions et les codes moraux de son époque, Kurys fait de même afin de restituer à l'écrivaine toute sa féminité et sa sensualité. Le film de Kurys nous montre donc une Sand belle, féminine et sensuelle, mais aussi une femme qui a été néanmoins perçue, par la société de son

époque, comme androgyne et controversée. Ainsi, si le film met surtout l'emphase sur la dimension de femme amoureuse et passionnée de Sand, elle la montre aussi comme une femme souffrante et tragique face à la jalousie et à la cruauté de Musset. Elle rappelle ainsi la maternité sacrificielle de Brigitte et de Thérèse. Tout comme dans les portraits

131 faits dans le roman de Sand et dans le film de Lapine, le film de Kurys célèbre aussi sa

grande prolificité et la façon dont elle a gagné sa vie avec son travail artistique. Et, à la

différence d'Impromptu, où la comédie ne permet pas une idéalisation du personnage,

dans Les Enfants du siècle, elle y est idéalisée, non seulement à travers le traitement

dramatique de son histoire avec Musset, mais aussi à travers l'utilisation des plans qui

exaltent la beauté et l'érotisme de l'actrice principale.

Ainsi, les quatre portraits de l'écrivaine se rapprochent dans la permanence de la

dimension maternelle de Sand, mais celle-ci se transforme aussi à travers le temps. Si

dans les romans du XIXe siècle, la maternité est exprimée à travers la relation mère­

enfant des amoureux et dans le sacrifice que fait le personnage féminin en acceptant

l'amour du héros, dans les films, tout en se manifestant dans ses relations avec ses

amants, sa maternité est célébrée également dans ses relations avec ses enfants. Plus

particulièrement, dans Impromptu, la dimension maternelle de l'auteure n'est pas

sacrificielle. Ce changement déplace, de manière subtile, l'emphase d'une maternité très

caractéristique des héroïnes romantiques vers une maternité qui s'accorde davantage à la

vision de la mère de la fin du XXe siècle. Dans les quatre portraits, quoique dans un

moindre degré dans La Confession, en se plaçant dans un rôle maternel, le personnage féminin assume aussi une position de pouvoir. Plus important encore, chez Thérèse, ainsi que chez le personnage de Sand dans les deux films, le rapport maternel sert à mettre l'emphase sur la dimension féminine et traditionnelle de la femme artiste et écrivaine.

Un autre aspect qui rapproche les représentations de l'auteure dans le roman de

Sand et dans les films, est la vision de l'artiste et de l'art. Dans Elle et Lui, Sand présente un portrait de la femme artiste qui rejette la notion de l'art comme soumis à l'autel du

132 génie, et elle propose une conception du travail artistique qui réunit création et production. La profession d'artiste de Thérèse, ainsi que d'écrivaine de Sand dans les films, sert donc à montrer un personnage qui a non seulement du talent artistique et de la créativité, mais qui est aussi capable de gagner sa vie à travers son travail. Dans

Impromptu et Les Enfants du siècle, cet aspect du personnage contribue donc à faire de

Sand un personnage précurseur de la femme professionnelle et indépendante de la fin du

XXe siècle.

Ainsi, si Musset construit son personnage dans sa dimension essentiellement amoureuse, les représentations postérieures vont ajouter d'autres dimensions à la figure féminine. Si dans La Confession Brigitte est une femme amoureuse idéalisée et sacralisée par le personnage masculin, dans Elle et Lui, elle est aussi peintre, et définie non seulement par sa dimension d'amante mais aussi par sa profession artistique. Dans les films, produits plus d'un siècle après la parution des romans, la construction du personnage de Sand est influencée non seulement par certains faits légendaires de la vie de l'écrivaine (tels que sa coutume de porter des habits d'homme ou la façon très libre dont elle a vécu ses liaisons amoureuse) mais aussi par une conception de la femme de la fin du XXe siècle qui célèbre la capacité d'assumer plusieurs rôles et visages. Ainsi, si dans Impromptu on exploite l'aspect masculin de Sand (principalement pour montrer comment elle a été perçue à son époque), on montre aussi sa capacité de se déplacer avec aisance entre sa dimension de femme écrivaine et professionnelle et sa dimension domestique et maternelle. Dans Les Enfants du siècle, le personnage de Sand incarne non seulement les rôles de femme écrivaine indépendante et de femme maternelle, elle est

également célébrée dans sa dimension de femme passionnée et sensuelle. Dans le film de

133 Kurys, Sand représente ainsi une nouvelle version de la femme moderne, qui tout en étant

un modèle de femme indépendante travaillant pour gagner sa vie et prendre soin de ses

enfants, demeure aussi « une vision de la féminité éternelle281 ». Kurys fait donc de Sand

une icône de la femme française qui réunit maternité et sensualité avec talent, créativité et

une grand prolificité et capacité de travail. C'est précisément cette combinaison

d'éléments «féminins» et «masculins» que célèbre Nancy Huston dans les belles réflexions qu'elle fait sur l'écrivaine :« [Sand] demeure [...] la preuve vivante, éclatante et rarement égalée de nos jours, qu'il n'y a pas d'incompatibilité intrinsèque entre

écriture, érotisme et maternité282 ». *** Finalement, nous avons vu que la liaison de Musset et de Sand est devenue, dès le

XIXe siècle, un «mythe littéraire ». Est-ce que cette accumulation d'images, d'interprétations et de représentations à travers le temps a contribué aussi à la création d'un mythe George Sand?

Dans un article sur la création des mythes littéraires, Nicole Ferrier-Caverivière affirme que la littérature fait parfois des mythes des personnages historiques, ou même, que la littérature ne fait que reprendre (ou enregistrer, selon l'auteure) une

« mythisation» qui s'est faite dans la «conscience commune ». Ferrier-Caverivière explique que «l'image mythique d'un personnage historique est une image simplifiée et amplifiée; et [...] il y a mythe à partir du moment où on construit un imaginaire qui est une forme de divinisation ». Elle affirme aussi qu' «un mythe n'est jamais innocent; on fiche tout de suite le personnage, qui est véritablement récupéré par l'histoire des

281 Ginette Vincendeau, « Binoche the Erotic Face », op. cit., p. 16. 282 Nancy Huston, Journal de la création, Paris, Babel, 1990, p. 93.

134 mentalités283 ». Ainsi, si les romans de Musset et de Sand, et leur représentation du

personnage féminin doivent correspondre à la vision de la femme du XIXe siècle, les

films de Lapine et de Kurys reflètent (ou enregistrent) une vision populaire, préexistante

dans la « conscience commune» du XXe siècle, de Sand comme écrivaine féministe née

trop tôt dans son siècle. Dans ce contexte, Sand devient donc une figure mythique du

féminisme de la fin du XXe siècle, même si, comme l'explique Didier, « [elle] n'est pas,

ne peut pas être féministe comme on le sera en 1970 284 ». Si Sand n'avance pas vraiment

la cause féminine à travers ses écrits théoriques, elle l'a néanmoins fait «par son

exemple»: «elle a vécu la vie d'une femme libre, et surtout elle a prouvé, surabondamment prouvé, que les femmes peuvent être créatrices. La plus belle action

féministe de George Sand, c'est justement cette grosse centaine de volumes [que l'écrivaine a laissée] et la qualité de cette écriture si puissamment féconde285 ».

Ainsi, si dans le cadre de ce mémoire, nous avons limité notre analyse à quatre

œuvres de fictions séparées dans le temps par plus d'un siècle, une étude plus approfondie qui tracerait donc « l'histoire des mentalités» au XIXe siècle et au XXe siècle nous permettrait de voir les différentes étapes de la transformation de Sand en la figure mythique du féminisme que nous connaissons aujourd'hui. Finalement, une étude qui ferait la comparaison entre les différentes représentations de Sand au cinéma et celles d'autres femmes écrivaines serait aussi utile dans l'exploration de l'évolution de l'image de la femme de génie dans la culture populaire.

283 Nicole Ferrier-Caverivière, « Figures historiques et mythiques », dans Pierre Brunei (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Paris, du Rocher, 1988, p. 605-607. 284 Beatnce' "D"d'11er, op. clf.,.p. 5. 285 Ibid.

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