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Dislocation du héros A Perfect World de Gabriel Landry

Number 71, February–March 1994

URI: https://id.erudit.org/iderudit/23001ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Landry, G. (1994). Review of [Dislocation du héros / A Perfect World de Clint Eastwood]. 24 images, (71), 66–66.

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road movie la cavale d'un Butch (Kevin ISLOCATION Costner) et de son Kid(nappé), l'irrésisti­ ble T. J. Lowther, drôle de gamin. Pari DU HÉROS tenu: passer par Œdipe sans que ça soit trop complexe. Une enfance similaire, par Gabriel Landry c'est-à-dire marquée par l'absence du père, rapproche le bagnard évadé et son jeune otage. C'est la complicité de l'un et de l'autre, scellée «on the road» et à laquelle on croit tout de suite, qui dévêt à moitié le titre de sa grinçante ironie et donne à ce dix-septième film d'Eastwood sa couleur t dernier film de Clint Eastwood est particulière, mélange d'amertume, de L une fable, qui raconte les aventures tendresse et de foudroyant pessimisme. buissonnières d'un gamin innocent et de Car le sombre, le tragique l'empor­ son kidnappeur au cœur tendre. Sous le Butch Haynes (Kevin Costner) et tent encore une fois. On sent dès les pre­ couvert d'une histoire conventionnelle de Philip Perry (T.J. Lowther). miers moments qu'au bout de cette balade poursuivants et de poursuivis, le réali­ ensoleillée attend l'inéluctable. L'inéluc­ sateur dtjosey Wales donne des coups de n'y échappe pas). Mais cet effacement fait table, c'est un maître-flingueur du FBI, griffe aux tableaux de l'héroïsme légen­ à peine illusion: Clint continue d'effriter pourvoyeur d'éternel repos, qui fait son daire et met en scène une Amérique au son mythe en se bâillonnant. Le chef de travail parfaitement et qui ne laisse pas rêve désintégré. Mais aussi la vie, la vie police (le «ranger» Red Garnett) qu'il courir les lièvres en liberté dans la nature privée d'innocence. campe cette fois n'est pas le moins im­ américaine. Butch va finir étendu sur Flic sans envergure, alcoolique dupé, puissant de ses personnages: complète­ l'herbe. Une herbe très verte, d'un vert le héros eastwoodien titubait déjà passa­ ment dépassé par les événements (il espérance. Les Don Quichotte mandatés blement dans The Gauntlet, malgré sa confesse son incapacité dans la scène devront ravaler leur tentative de bien faire régénération finale. Il sombrait dans le finale: «moi, je ne sais rien»), ligoté (ici, les choses, car ce monde n'est pas parfait. ridicule, s'effritait par la caricature dans même plus besoin de cordes — comme «Dans un monde parfait, cette situation . S'essoufflait, littéralement, dans Tightrope), coincé dans sa coquille n'existerair pas»; c'est Laura Dern, la cri- jusqu'à l'aliénation puis la mort dans le rutilante sous le soleil texan, c'est l'anti­ minologue assistante du shérif, qui le dit. résolument phtisique Honky Tonk Man. héros, le vétéran dont le savoir-faire est En plus de confirmer ses options Le «» n'était plus que la figure empêché. Pire: le personnage du vieux esthétiques (qui se résument en deux spectrale d'un genre ancien, et quant au «ranger» est mis à l'écart, on ne le voit mots: classicisme maîtrisé), A Perfect triste cavalier d', il avait au­ pas beaucoup (c'est au profit de Kevin World contient toutes les obsessions tant de mal à remonter en selle qu'à en Costner: d'ailleurs Eastwood et lui ne d'Eastwood: fragilité de la liberté et de finir avec ses démons intérieurs. doivent guère figurer dans un même plan l'individu; anéantissement de l'humain À force de le voir déglinguer sa pro­ plus de cinq secondes), et il ne nous ap­ par la violence; nécessité de l'action et pre image un peu plus de film en film, on paraît qu'en homme paralysé. Cet immo­ difficulté de l'héroïsme (ainsi Burch cher­ en était presque venu à craindre que cette bilisme (au sens figuré) auquel il contraint chant à retrouver ultimement un peu de entreprise de démolition furieuse ne se son personnage n'esr pas un fait nouveau sa dignité perdue; ainsi Philip, le gamin, retourne contre Clint Eastwood. De toutes chez Eastwood, mais il reçoit ici un trai­ devant tirer sur Butch ou s'affublant de façons, après la raclée d'Unforgiven, som­ tement inusité du fait que le réalisateur son costume d'Halloween — mais il ne bre mise en scène du corps décati, on l'impose (au sens propre) dans un type de suffit pas de mettre un masque pour pensait que ce pourfendeur de lui-même cinéma, le film-poursuite, qui ne s'y prê­ échapper à ses tourments). Le tout sur avait mené à terme son travail masochiste, tait guère. Le shérif Garnett ne bouge pas, fond de même Amérique, continent déser­ ou qu'il n'avait plus de mine à son stylo sauf dans la scène finale, mais c'est peine té par ses rêves fondateurs. On est en 1963, corrosif. C'était sous-estimer le gaillard. perdue. Eastwood déjoue ainsi les impé­ au Texas. Kennedy s'en vient à Dallas. • Certes, l'alter ego défaillant du réalisateur ratifs d'un autre genre cinématographi­ s'effaçant cette fois derrière un singulier que, après avoir fait bouger à sa façon le duo d'acteurs, A Perfect World paraît pro­ western et le thriller, voire le film exotique A PERFECT WORLD céder avec moins d'acharnement, dirait- avec le bouillonnant White Hunter, Black États-Unis 1993. Ré.: Clint Eastwood. Scé.: on, à cette érosion par Clint Eastwood de Heart. John Lee Hancock. Ph.: Jack N. Green. Mont.: sa propre légende (qui est aussi une dis­ . Mus.: . Int.: Kevin Mais l'essentiel n'est pas là, car cette Costner, Clint Eastwood, Laura Dern, T.J. location du héros selon Eastwood: le bon chasse à l'homme n'est qu'un prétexte. Lowther, Keith Szarabajka. 138 minutes. Cou­ garçon qui danse avec les loups lui-même Prétexte à mettre en scène par le biais du leur. Dist.: Warner.

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