Les Cahiers Du Comité D'histoire
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LES CAHIERS DU COMITÉ D’HISTOIRE La dérogation, le droit et le travail (XIXe-XXIe siècle). Journée d’études du 21 septembre 2018 Organisée sous la responsabilité scientifique de Patrick FRIDENSON, Laure MACHU et Jérôme PÉLISSE Cahier n°23 Novembre 2019 Comité d’histoire des administrations chargées du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle 1 En application du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre. Ministère du travail Paris, 2019 ISSN n°1628-2663 2 SOMMAIRE Ouverture Yves STRUILLOU, directeur général du travail……………….......................P.5 Introduction générale Patrick FRIDENSON, Laure MACHU, Jérôme PÉLISSE………………………..P.7 Première Partie : Fabriquer les dérogations Aurélie PHILIPPE, doctorante en histoire contemporaine Pléiade Université Paris XIII, Sorbonne-Paris-Cité, et ATER Université Paris I Panthéon-Sorbonne Le Comité central des Houillères et les dérogations (1887-1913) : significations et usages………………………………………………………………………..P.19 Laure MACHU, maîtresse de conférences d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Nanterre IDHES L’État et la dérogation : l’exemple de la loi des huit heures………………….P.29 Deuxième Partie : Interpréter les dérogations Samuel ZARKA, doctorant en sociologie laboratoire Lise, Conservatoire national des arts et métiers Droit, non droit et dérogation dans le cinéma français ………………………P. 41 3 Troisième Partie : Quand la dérogation devient la règle Mathilde CARON, maîtresse de conférences HDR de droit privé à l’université de Lille, Centre de Recherche Droits et Perspectives du Droit De la délégation unique du personnel (DUP) au comité social et économique (CSE) : Quand la dérogation devient la règle ………………………………………………...............................................................................P. 57 Fanny VINCENT, post-doctorante de sociologie au CREAPT, CEET, Conservatoire national des arts et métiers, chercheuse associée à l’IRISSO, Université Paris-Dauphine La règle et la gestion. Contextes et usages de la dérogation des 12 heures de travail à l’hôpital public…………………………………………………………………….P. 69 Dominique ROUX-ROSSI, professeure de droit LISE, Conservatoire national des arts et métiers D’une pratique d’entreprise à un droit à dérogation : le cas des avenants temporaires des contrats à temps partiel…………………………………………...P. 79 Quatrième partie : Controverses : la dérogation dans les réformes récentes du droit du travail Table ronde organisée par Jérôme PÉLISSE (professeur de sociologie, Sciences Po Paris, CSO), avec Annette JOBERT (directrice de recherche émérite au CNRS, IDHES), Cyril WOLMARK (professeur de droit, Université Paris-Ouest-Nanterre, IRERP),puis débat avec le public……………………………………………………………………………………………..P.93 Bibliographie sélective par Patrick FRIDENSON, Laure MACHU et Jérôme PÉLISSE …………………………………....................................................................................….......P. 105 Publications du CHATEFP…………………………………………………….…….……….………P.109 4 Ouverture Yves STRUILLOU Directeur général du travail. Mesdames et Messieurs, professeurs, chercheurs et historiens, Mesdames et Messieurs, membres du comité d’organisation du CHATEFP, Mesdames et Messieurs, Je suis très reconnaissant au CHATEFP de m’avoir invité à introduire les travaux de cette journée sur le thème qui ne manquera pas, j’en suis convaincu, de susciter des débats aussi riches que passionnés puisqu’il s’agit de la dérogation, du droit et du travail. Et pas seulement de la dérogation en droit du travail. Au cours de cette journée, nous aurons l’occasion : - de pénétrer dans la fabrique des dérogations avec les travaux d’Aurélie PHILIPPE sur l’action du comité des houillères et de Laure MACHU sur la journée de 8 heures - puis de nous demander comment interpréter la dérogation, avec l’intervention de Samuel ZARKA sur le cas des professions du cinéma. L’après-midi sera pleinement consacrée aux débats de la société d’aujourd’hui avec : - essor de la dérogation au point qu’elle devienne la règle dans certains cas, comme l’illustrent les travaux de Mathilde CARON sur les instances de représentation du personnel dites « regroupées » - la DUP et le CSE - avec les travaux de Fanny VINCENT sur la durée maximale de 12 heures dans l’hôpital public et de Dominique ROUX-ROSSI sur les avenants temporaires à la durée contractuelle dans le travail à temps partiel - et un débat autour des réformes récentes, notamment avec les lois et ordonnances Travail de 2016-2017 où, vous l’aurez noté, le mot « dérogation » lui-même semble avoir disparu du vocabulaire du législateur qui préfère parler de « primauté ». Sans anticiper sur ces travaux et, surtout, sans ouvrir le débat, je me limiterai à quelques exemples remarquables. En préalable je soulignerai que le terme même de « dérogation » emporte avec lui une connotation négative, signe d’un obstacle, voire d’un renoncement ou, pire encore, du maintien d’un privilège. Car c’est bien le principe d’égalité qui est en ici en cause : la loi est la même pour tous, comme le proclame l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen Art. 6. La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. La dérogation apparaît alors comme une exception à la généralité, le maintien du particulier qui demeure, qu’on le veuille ou non, un peu suspect. Et pourtant. La dérogation semble omniprésente. Il doit certainement y avoir des lois, même en droit du travail, qui ne connaissent aucune exception qui ne vienne confirmer la règle. En cherchant bien on doit en trouver. 5 Mais ce n’est pas le cas de nos grandes lois sociales. Sans prétendre à un panorama complet ni même pertinent, comment ne pas voir le couple très fidèle que forment la règle et la dérogation même avant que le droit du travail ne prenne son autonomie, dès le milieu du 19ème siècle, quand s’élaborent des normes nouvelles qui font alors partie de la « législation industrielle » : - la loi LE CHAPELIER des 14-17 juin 1791 qui met fin aux corporations et interdit par conséquent les accords collectifs de travail ne comporte pas en elle-même de dérogation, mais est suivie d’une dérogation pour la chapellerie, que rappelle Paul DURAND dans son traité de droit du travail (édition 1947) avec notamment l’arrêté du 23 messidor an V (11 juillet 1796) ; - la suppression du délit de coalition autrement dit la reconnaissance du droit de grève par la loi du 24 mai 1864 ne touche pas les agents publics qui attendront la Libération pour bénéficier de la liberté syndicale acquise dans le secteur privé dès la loi du 21 mars 1884 - il en va de même du travail des enfants qu’interdit clairement la loi du 22 mars 1841… c’est-à- dire interdiction du travail de ceux âgés de moins de 8 ans. Le travail de nuit est quant à lui interdit en deçà de 13 ans, plus de 8 heures de travail quotidien pour ceux âgés de moins de 12 ans ou plus de 12 heures jusqu’à 16 ans … - après la loi de 1841, le sens des lois successives sur le travail de nuit est clairement la limitation et l’interdiction : la loi du 19 mai 1874 relève à 16 ans l’âge en deçà duquel l’emploi des enfants est interdit la nuit, âge porté à 18 ans puis 21 ans pour les jeunes filles par les lois du 2 novembre 1892 et du 30 mars 1900, interdiction également induite par l’application de la convention de Berne de 1906 interdisant le travail de nuit aux femmes ; pour autant toutes ces lois ménagent des dérogations pour la continuité des services essentiels, soit de plein droit pour les activités déterminées par des arrêtés ou des décrets, soit par décision de l’autorité administrative en la personne de l’inspecteur du travail, dans les secteurs les plus variés et notamment dans la boulangerie - vous saurez tout sur les dérogations à la journée de 8 heures de la loi du 23 août 1919 et des dérogations qui l’ont accompagnée comme les nombreuses lois antérieures et postérieures sur la durée du travail. La liste des lois qui ont ménagé leurs dérogations est bien plus longue et je vais m’arrêter là, mais après avoir salué avec le respect dû à son âge, une dérogation qui vient de fêter son centenaire, pratiquement sans une ride ; je veux parler de ce merveilleux instrument de régulation de la concurrence en même temps de préservation des droits des salariés et d’exercice de la mission de service public du préfet dans toute sa délicatesse : la dérogation préfectorale au repos dominical. Il suffit de relire le texte d’origine de la loi pour reconnaitre le texte actuellement en vigueur, l’article L. 3132-30 que pratiquent toutes les préfectures et toutes les DIRECCTE de France : « Le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche. Toutefois, lorsqu’il est établi que le repos simultané le dimanche de tout le personnel d’un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement, le repos peut être donné, soit constamment, soit à de certaines époques de l’année […] ». Mais dans cette affaire, où est la règle et où est la dérogation ? La jurisprudence du Conseil d’État, nourrie et constante et... libérale depuis plus d’un siècle nous l’indique : la règle c’est la liberté individuelle de l’industrie et la dérogation c’est l’intervention du législateur dans la prescription du repos hebdomadaire ! En tout logique le Conseil d’État en conclut que ces prescriptions sont en elles-mêmes exceptionnelles et les dérogations à ces prescriptions sont un « retour au droit commun de la liberté » comme nous le rappelle le professeur HAURIOU dans son précis de droit administratif, paru pour la première édition en 1933.