Mêlée Ouverte
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MÊLÉE OUVERTE JEAN PRAT avec la collaboration de RENAUD DE LABORDERIE MÊLÉE OUVERTE Préface de MICHEL CRAUSTE CALMANN-LÉVY PARIS © CALMANN-LÉVY, 1968. Imprimé en France. Ce livre est dédié à tous ces jeunes petits Guy Boniface qui s'ignorent encore et qui s'ap- prêtent à entrer corps et âme dans la carrière du rugby, pour servir le rugby lui-même et sur- tout ses amis. J. P. PRÉFACE TOUT jeune, j'ai été marqué par l'impressionnante puissance du F.C. Lourdes, par sa régularité, son panache, son aisance : c'était la vogue prestigieuse des attaques des troisième ligne. Jean Prat, patron des formations du F.C. Lourdes, était aussi capitaine de l'équipe de France. Souvent, j'ai entendu conter ses exploits, parler de ses coups de Pied, de son sale caractère et de sa hargne légendaire. Lors de mon entrée à l'école de Gurcy-le-Châtel en 1951, je découvre les rencontres internationales, je rêve aussi d'imiter un jour ce fameux Jean Prat que je vois évoluer avec tant de maîtrise. Une grande envie m'habite. Celle de serrer un jour la main de mon champion. Comme lui, je joue troisième ligne. En 1956, mon désir devient réalité : nous sommes face à face en huitième de finale du championnat de France, F.C. Lourdes-Racing, puis en 1957 en finale à Lyon, enfin en 1959 en demi-finale à Bayonne. En toute occasion, il a payé d'exemple, dirigé, encouragé, ne s'avouant vaincu qu'une seule fois, lors- qu'à cinq minutes de la fin du match de Bayonne, il se tourna vers moi et me dit : — Maintenant, c'est fini pour nous. Vous avez gagné. Vous êtes les meilleurs aujourd'hui. Début 1959, j'avais déjà opté pour le club lourdais, ceci pour l'admiration que je lui vouais. Je ne devais, hélas! jouer qu'une seule fois avec lui, en 1960, un dimanche où, face à la Section Paloise, il nous avait dépannés avec son frère Maurice. Dans l'entraîneur qu'il devint, j'ai réellement décou- vert, et seulement à ce moment-là, le tempérament, le caractère de l'homme, volontaire, accrocheur, rageur, clairvoyant et... râleur! Plus tard, il dirigea l'équipe de France à l'entraî- nement. Il devint ainsi le trait d'union entre joueurs et dirigeants. Il sait persuader les gars, les orienter dans un style de jeu. Son étude du joueur est juste et précise, il sait découvrir le tempérament et le caractère des équipiers de la formation. Le copain qu'il est devenu pour chaque joueur, la joie, l'envie de jouer qu'il exprime et communique font qu'il est parfois jalousé et méprisé. Sa façon de voir et de penser les choses ne s'en trouve pourtant pas modifiée. — Je ne veux épouser aucune querelle, m'a-t-il dit un jour. Pour rien au monde, je ne me trahirais, dussé-je y perdre ma place. Tu sais, le sport procure de belles joies et de sacrées peines, mais il n'y a pas que ça. Dans la vie, il y a la famille, les copains, la chasse... En plus de la volonté et du courage qui ont été les dominantes de la réussite sportive de sa carrière, Jeannot a été un garçon incroyablement doué. Les témoignages de supporters et de joueurs lourdais l'ayant côtoyé concordent : il lui arrivait de finir une partie la bave aux lèvres, et il n'était pas rare que, des footings quotidiens qu'il effectuait en compagnie de ses chiens, ceux-ci soient revenus épuisés. Tous recon- naissent qu'il avait un sens extrêmement développé du jeu et que son coup de Pied était une des merveilles du rugby. J'ai admiré, envié, côtoyé et finalement imité ce joueur qui fut troisième ligne, capitaine du XV de Lourdes, capitaine du XV de France, battu en finale du Tournoi des Cinq Nations par les Gallois, record- man des sélections et par-dessus tout charmant cama- rade. Le rugby français a beaucoup de chance de possé- der un Jean Prat généreux, volontaire, riche d'expé- riences, capable de le maintenir au zénith de la renom- mée... MICHEL CRAUSTE. LE CHAMP DU DÉPART Entre la clarinette et le ballon... C dire où commence le sillon de la des- tinée d'un homme? Les années ont beau s'écou- ler, moins lentement peut-être que je ne le souhai- terais, il semble bien que pour moi, fils de la terre de Bigorre et des Pyrénées, les choses du rugby aient débuté hors de mon libre choix. Avant même que je vienne au monde. Il s'en fallut d'un simple détail topographique. Le stade du F.C. Lourdes, stade Lucien Pourxet alors, était installé au nord de la ville, à quelques mètres de la maison grise de mes parents où je suis né, là aussi où la route vers Pontacq et Pau serpente. Si ce même stade s'était trouvé au sud de Lourdes, je suis de moins en moins certain avec le recul du temps, que je serais devenu rugbyman. Mon destin eût été tout autre. Cela ne signifie pas que je n'aurais pas fait de sport. Je me serais peut-être tourné vers le football, le cyclisme, que sais-je encore? Le rugby ne me serait jamais apparu avec autant d'évidence morale et physique qu'il s'imposa irrésistiblement à mes envies d'enfant comme une activité de bon voisinage. A ma naissance, le I août 1923, mes parents vivaient sur ce coin de terre bigourdane depuis près d'un demi-siècle. Joseph, mon père, exploitait une propriété agricole assez vaste et variée, équitablement répartie entre champs de culture et herbages divers. C'était un grand et rude travailleur de la cam- pagne. Un homme froid et consciencieux, soucieux de bien gérer sa propriété, moins sans doute par appât de l'argent que par respect et attachement pour son domaine auquel il avait consacré ses belles années. C'était un authentique homme de la montagne. J'en suis un aussi, à ma manière peut-être, mais avec autant d'intensité de sentiment que lui. Pou- voir mener son existence d'homme et de chef de famille sur la glaise de son enfance conduit à la sagesse et au bonheur. Je n'ai pas oublié les leçons de mon père. Irène, ma mère, exploitait une auberge très renom- mée pour ses confits. Ils formaient un couple très uni, aux personnalités complémentaires. L'image d'un bonheur simple et tranquille. La ferme Prat, un mot qui éthymologiquement veut dire Pré en patois bigourdan, jouxtait donc le stade. Mieux encore, la terre du stade appartenait à mes parents. L'herbe de gloire des premiers rug- bymen du F.C. Lourdes était la propriété des Prat. Ce sentiment de possession, qui ne berça mon enfance que cinq ans puisque le club acheta le stade et le terrain à mon père en 1928, explique pourquoi aucun autre rugbyman ne peut se sentir plus à l'aise, vrai- ment chez lui, que moi-même au pied de ces pics pyrénéens qui bercèrent mon adolescence et conti- nuent de former le décor de ma vie quotidienne. A la porte du stade, juste devant la ferme, mon père avait installé une buvette de fortune. Chaque dimanche, avant et après les matches du F. C. Lourdes, on y célébrait les services rituels d'une iné- puisable ferveur en la cause du rugby, bien que mon père n'y eût jamais joué. Je pense que dans les heures chaudes passées à converser avec les supporters, il étouffait les regrets de ne pas avoir songé à entre- prendre une carrière sportive. Le temps et les occa- sions, il est vrai, lui avaient peut-être fait défaut. Toujours est-il que mon père ne connaissait la pelouse du stade que pour son entretien dans l'inter- saison. Les troupeaux de rugbymen qui foulaient la pelouse du stade lui paraissaient néanmoins assez dignes d'intérêt pour qu'il s'aventure, en voisin, à suivre leurs ébats. Mais, aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, il ne parlait jamais de rugby avec ou devant moi. Il lui arrivait de me chasser, en riant, du café. Ce n'était pas, disait-il, « un endroit pour un galopin ». Il était donc inévitable qu'un jour ou l'autre je franchisse, presque en me cachant de mes parents comme pour aller cueillir un fruit dans le verger, le petit portillon du stade. Cela se passait en 1928. Mes premiers pas me conduisirent irrésistiblement sous les hauts poteaux blancs du stade. Des hommes s'entraînaient d'un bout à l'autre de la pelouse. Des ballons voltigeaient dans les airs et, les règles du rugby étant déjà ce qu'elles sont, en me plaçant par hasard derrière ces barres blanches qui me fasci- naient tout autant que les joueurs, je fus à même de reprendre, tant bien que mal mais pas trop pitoya- blement tout de même, le ballon projeté d'un pied puissant. Les « grands » s'amusaient à me voir courir derrière ce ballon, dont les rebonds me paraissaient diaboliques. Ce ballon un peu grand, un peu lourd pour des mains d'enfant, mais que j'aimais tellement toucher et dont le contrôle me donnait une sorte d'ivresse. En effet, cette fonction impromptue de ramasseur de balles me grisait et me gonflait d'importance, pas auprès des joueurs mais auprès de mes semblables, les gamins du quartier de Lannedare. Pourtant, personne ne m'enviait ni ne me plai- gnait quand je rentrais, après ces dures séances.