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LE PREMIER MAGAZINE CULTUREL SUR LA BD ET LES ARTS VISUELS - GRATUIT

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La BD d’aviation Le Grand Duc, Buck Danny, Biggles...

JOANN SFAR - MŒBIUS - MIDAM - LES BIDOCHON - NICOLAS HULOT EN BD... 27 SEPT-OCT 2010 N ° 27 SEPT-OCT

m Édito m our fêter la sortie prochaine du nouvel opus du Grand Duc de Ro- main Hugault, nous avons (re)mis àP l'honneur les BD d'aviation dans ce numéro. Que ceux qui s'estiment non concernés ou non intéressés passent outre leur première appréhension. Les BD d'avia- tion sont surtout de formidables BD d'aven- tures, pleines de retournements de situa- tions, d'intrigues touffues et de personnages hauts en couleurs comme on les aime. Nous avons interrogé nos lecteurs sur les améliorations qu'ils souhaiteraient voir apportées à Zoo. ¤ notre surprise, et loin de- vant tout le reste, la réponse la plus citée a été : ÿ un Zoo mensuel Ÿ. ¤ partir du 1er janvier donc, Zoo passera, non pas mensuel, mais presque : 10 numéros sur l'année, plus 2 numéros spéciaux. Voilà qui devrait as- souvir votre soif de lecture. Et qui devrait nous permettre de couvrir comme il se doit, c'est-à-dire plus en profondeur, les fluvres qui le méritent. Pour distinguer certaines d'entre elles qui ont retenu, non pas notre attention, mais nos émotions, nous mar- queront d'ailleurs désormais nos coups de cflur d'un petit sigle idoine. Il y a en effet de nouveau beaucoup de sorties lors de cet- te rentrée de septembre. Les journaux et magazines divers parlent de ÿ rentrée littéraire Ÿ, mais omettent presque tous d'y inclure la bande dessinée, pourtant la catégorie de livre la plus vendue. Heureu- sement, Zoo est là. Bonne rentrée. OLIVIER THIERRY 08 - ROMAIN HUGAULT © Romain Hugault / PAQUET

ZOO est édité par Arcadia Media Zoo est partenaire de : 45 rue Saint-Denis m m 75001 Paris ZOOmmaire Régie publicitaire : [email protected] numéro 27 - septembre/octobre 2010 Envoyez vos contributions à : [email protected] DOSSIER BD DÊAVIATION Directeur de la publication 06 - INTRODUCTION : la BD dÊaviation, une question dÊéquilibre & rédacteur en chef : 07 - LES TIGRES VOLANTS : des pilotes américains mercenaires Olivier Thierry 10 - LES AVIATEURS DE CHARLIER : Buck Danny, Tanguy et Laverdure 11 - BIGGLES : porté disparu Rédacteur en chef adjoint, 12 - DAN COPPER : anticipation et haute technologie DR secrétaire de rédaction, maquettiste : 14 - AIR FORCE : lÊaéronautique dans la BD japonaise Olivier Pisella 15 - LE BARON ROUGE / LA STRATÉGIE DES SENTINELLES [email protected] 16 - DERNI˚RES FIGURES AÉRIENNES : petit florilège de BD dÊaviation Directeur commercial et marketing : ÉVÉNEMENT Jean-Philippe Guignon, 01.64.21.96.44 51 - QUAI DES BULLES 2010 : un programme de fête [email protected] 52 - NICOLAS HULOT : entretien avec un passionné de BD Conseillers artistiques : Kamil Plejwaltzsky, Howard LeDuc ACTU BD Rédaction de ce numéro : Hélène Beney, 18 - LÊAFFAIRE DOMINICI : de Bresson et Follet Olivier Pisella, Louisa Amara, Julien 22 - HERVÉ RICHEZ : le Messager raccroche la soutane Foussereau, Boris Jeanne, Jérôme Briot, 24 - ARZAK, de Mflbius, devient parlant et passe en couleurs Jean-Marc Lainé, Christian Marmonnier, 26 - LE CASSE : interview de David Chauvel Kamil Plejwaltzsky, Vladimir Lecointre, 27 - NAGU˚RE LES ÉTOILES : que la farce soit avec vous ! 28 - LA PEUR DU ROUGE : Neidhardt lÊéquilibriste Thierry Lemaire, Olivier Thierry, Jean- 30 - ZOMBILLÉNIUM : diablement attractif Philippe Renoux, Didier Pasamonik, Yannick 31 - MEDINA : un univers post-apocalyptique poisseux Lejeune, Wayne, Philippe Cordier, John Young, 32 - LES BIDOCHON : entretien avec Christian Binet Camilla Patruno, Gersende Bollut, Boris 34 - JOANN SFAR nous parle de Chagall en Russie Henry, Stéphane Urth, Gustave Victorinox, 36 - KRAA, DE SOKAL : lÊanti-Avatar Jacqueline Majino, Julie Bordenave, Pouib, 38 - TROIS CHRISTS : retour fracassant de Bajram et Mangin Zapp Brannigan, Paul Guillerm 40 - MIDAM : interview de lÊauteur de Kid Paddle et Game Over Couverture : Romain Hugault 42 - BLACKSAD : lÊenfer, cÊest lÊattente Publicité : [email protected] 44 - VILLAGE TOXIQUE : un album radioactif Marion Girard, 06.34.16.23.58 [email protected] RUBRIQUES Geneviève Mechali-Guiot, 04 - AGENDA / NEWS : Calvin & Hobbes ont 25 ans... [email protected] 46 - REDÉCOUVERTE : entretien avec Derib 50 - BD JEUNESSE : Défions les Grabeurks !, André Geerts Collaborateurs : Yannick Bonnant et Audrey Retou 54 - INTERNET & BD : les nouvelles bulles du web 56 - BD ASIATIQUE : les idoles au Japon, Le Roi Léo 60 - COMICS : Clowes, Tony Chu, Cerebus Dépôt légal à parution. Imprimé en France par ROTO AISNE SN. 66 - MUSIQUE & BD : Detroit Metal City Les documents reçus ne pourront être retournés. 68 - CINÉ & BD : Moi, moche et méchant, Waking Sleeping Beauty Tous droits de reproduction réservés. 72 - ART & BD : Biennale dÊart contemporain au Havre, Hey! 76 - JEUX VIDÉO : Retro Action Hero 77 - SEXE & BD : la fesse cachée des dessous féminins www.zoolemag.com 78 - STRIPS & PLANCHES : Paf & Hencule, Trip & Trash... en bref A genda N ews La grande histoire du manga Karyn Poupée, une journaliste française installée au Japon depuis huit ans, a décidé de frapper Calvin & Hobbes : 25 ans ! fort avec son dernier livre. Histoire

du Manga est en DR alvin & Hobbes, le célèbre duo du comic strip US, fête ses effet une véritable 25 ans ! CÊest en effet en 1985 que Bill Watterson crée le somme sur la BD petit garçon philosophe à lÊimagination débordante et au pays du soleil C levant. Articulé de manière chronologique, son tigre en peluche, ami imaginaire de mauvaise foi. La saga va le livre va bien au-delà du simple durer 10 ans et générer 23 millions dÊalbums vendus ! catalogue des principaux auteurs japonais. ¤ lÊoccasion de cet anniversaire, lÊéditeur Hors Collection, qui Il structure en périodes, décrit les fluvres, les replace dans leur contexte, avait déjà publié 24 tomes de la série, ainsi que dÊattractives inté- souligne les apports, indique les postérités grales (couvertures rouges, reprenant la publication chronologique et surtout, retrace en filigrane lÊhistoire originale et contenant des inédits), lance une réédition en petits du Japon des 150 dernières années, montrant indirectement lÊimportance formats. Les six premiers tomes brochés de cette version limitée à des dans lÊévolution de la société petit prix sortent simultanément pour la rentrée. nippone. Tout simplement indispensable ! Nul doute que cette variante de poche permettra à une nouvelle Tallandier, 368 pages, 23 € THIERRY LEMAIRE génération de lecteurs de découvrir cet intemporel monument de la BD humoristique américaine. LÊinvitation au voyage de Schuiten c Parution simultanée des six premiers tomes en petit format Les actualités de chez Hors Collection le 9 septembre 2010, 64 p. coul., 5,90 € François Schuiten sont toujours WAYNE intéressantes, même si ce nÊest pas de la bande dessinée. Avec Les Mers perdues, Bulles en Champagne Pierre Feuille Ciseaux le dessinateur belge devient illustrateur our sa 6e édition, le festival our les amateurs de visions en prenant un plaisir Bulles en Champagne (Vitry- alternatives en BD, la se- visible à mettre en images un texte de Jacques Abeille. Au total, ce sont 32 P le-François – 51) met à lÊhon- P conde édition du labora- pleines pages (et doubles-pages) neur Lucien Rollin. Les 2 et 3 octobre, toire ÿ Pierre Feuille Ciseaux Ÿ est un grandioses, réalisées comme des dessins retrouvez le dessinateur de Ombres en incontournable. Installée à la splen- à main levée, de paysages beaux et parfois inquiétants. Mises en couleurs dans des compagnie dÊune quarantaine dÊauteurs dide Saline Royale dÊArc-et-Senans (25) et soutenue notam- tons de gris, bleu et sépia, elles (Boiscommun, Cécile, Erroc, Moreno, ment par lÊAssociation, cette petite chimie se déroule en deux accompagnent fort à propos une histoire Serrière, Unter⁄). Mais le program- étapes. Tout dÊabord, environ 30 auteurs se regroupent pour aux accents ÿ verniens Ÿ dÊexpédition dans un territoire oublié des hommes. me très riche propose également une expo de dessins une semaine de création commune en résidence. Puis, le week- Un roman illustré fascinant. dÊactu de Caza, une expo-animation sur le processus end des 2 et 3 octobre, le labo ouvre au public et lui propose Attila, 96 p. coul., 23 € de création dÊune BD réalisée par lÊatelier 510TTC de une ambiance loin de lÊesprit des festivals traditionnels. Ici, point THL Reims, une expo sur le collectif Les Nouveaux Pieds Nic- de dédicace, mais des rencontres lors des expos (les travaux VDM kelés (Onapratut), un regard croisé intitulé ÿ 12 regards de la semaine de résidence seront affichés ainsi quÊune gran- Le fameux site ÿ Vie sur 12 femmes en BD Ÿ (dÊAdèle Blanc-Sec à Kiki de de expo ÿ XX/MMX Ÿ célébrant les 20 ans de lÊAssociation), de Merde Ÿ (VDM Montparnasse)⁄ En prime, chaque visiteur se verra of- à la librairie, voire même au bar ! Le point fort est la tenue dÊate- pour les intimes) a toujours mis en frir un ex-libris réalisé par le président Rollin. liers ouverts à tous, pour sÊinitier à la sérigraphie, par exemple. avant les http://bdvitrylefrancois.over-blog.com http://www.pierrefeuilleciseaux.com dessinateurs avec WAYNE WAYNE sa rubrique ÿVDM illustrée Ÿ. Après le recueil collectif sorti en 2009, ce site, qui regroupe les récits de ÿ lose Ÿ, lance sa collection BD chez Jungle. Les deux Nérac fête Chaland et la ligne claire premiers tomes, Les Premières fois et Au Boulot, sont respectivement dessinés par epuis trois années maintenant, la jolie ville de Nérac Grelin et Mr Choubi. La collection ne fait (Lot-et-Garonne) accueille début octobre les Rencontres que démarrer puisque le tome 3, sur le thème des anniversaires, est annoncé D Chaland. Un hommage à un auteur majeur de la BD pour novembre. Le meilleur du pire ! franco-belge que les moins de 20 ans ne peuvent peut-être pas http://www.viedemerde.fr/blog connaître. Disparu en 1990 – à lÊâge de 33 ans seulement – dans WAYNE un accident de la circulation, Yves Chaland (natif de Nérac) fait Humour bien huilé aujourdÊhui partie du patrimoine. La FMAC Les aventures de Freddy Lombard, Bob Fish ou du jeune Albert (Fondation Méroll devaient-elles pour autant tomber dans lÊoubli ? Sûrement pas, pour lÊArt Contemporain) fête répond en cflur une foule de passionnés, à commencer par ses 20 ans. ¤ cette Isabelle Beaumenay-Joannet, la veuve de lÊartiste et lÊinitiatrice de occasion, les ces Rencontres, qui regroupent expo, débats, projections et Requins Marteaux rendent hommage à Édouard-Michel concert. Avec en corollaire une excellente idée : étendre lÊhom- Méroll, magnat de lÊindustrie de lÊhuile mage à celui de la ligne claire, style quÊYves Chaland avait revivi- 2-en-1, et collectionneur-visionnaire fié en son temps. DÊailleurs, lÊinvité dÊhonneur sera cette année le de génie. Ainsi, une exposition à lÊespace Beaurepaire (du 22 septembre au dessinateur Joost Swarte, lÊinventeur du terme au début des années 9 octobre) présente des fluvres dÊartistes 70. Berberian, Juillard, Denis, Prudhomme, Dionnet, Götting et à valeur sûre : de Winschluss à Charlie bien dÊautres artistes seront également de la partie. Schlingo, en passant par Willem, Tanxxx, Pirus, Cizo⁄ et le fils Méroll lui-même ! c Les Rencontres Chaland, les 2 et 3 octobre, à Nérac (47) 28 rue Beaurepaire 75010 Paris

WAYNE © Joost Swarte THIERRY LEMAIRE

4 A genda N ews Ça cogite à Angoulême

En juillet dernier a eu lieu sur les bords de la Charente la qua- trième Université d’été de la bande dessinée. Trois journées de réflexion sur le présent et l’avenir du 9e art.

ngoulême est bien LA ville de la BD en France (pour ceux qui nÊen étaient pas encore persuadés). Outre le festival, le musée, le dépôt légal, la mai- A son des auteurs, les expositions en tout genre, la préfecture de la Cha- rente peut se targuer dÊaccueillir depuis quelques années en ses murs une Uni- versité dÊété de la bande dessinée. Organisée par la Cité Internationale de la BD et de lÊImage, elle propose sur plusieurs jours de réfléchir au présent et à lÊave- nir du medium par le truchement de tables rondes et dÊétudes de cas.

Cette année, les débats étaient clairement orientés marketing. LÊintitulé de lÊé- dition 2010, ÿ trans-média, cross-média, média global : de lÊalbum singulier aux écrans multiples Ÿ, annonçait des propos assez techniques, avec dans le viseur les nouvelles technologies et lÊensemble des loisirs liés aux médias. Alors que tous les regards sont portés vers la problématique de la BD numérique, lÊUni- versité pointait du doigt un péril plus sournois. ¤ lÊheure où la politique des grands groupes de loisir est de décliner au maximum une fluvre culturelle pour aug- menter sa rentabilité, comment se positionnera la bande dessinée dans ces nou- veaux schémas ? Toujours au centre ou à la périphérie, comme simple produit

dérivé dÊun jeu vidéo ? Sans aller jusquÊà ce scénario catastrophe, la tendance © Thierry Lemaire est bien à lÊaccélération dÊune déclinaison tous azimuts (produits dérivés, des- LE B˜TIMENT CASTRO, OÞ SÊEST TENUE LÊUNIVERSITÉ DÊÉTÉ sins animés, films, jeux vidéo, etc.) des BD aux plus gros tirages. LÊéquilibre entre intérêts commerciaux et ambitions artistiques est toujours aussi fragile. c Rendez-vous à la rentrée sur le site de la CIBDI (www.citebd.org) pour THIERRY LEMAIRE lire les actes de ces Universités dÊété.

5 E n C ouverture La bande dessinée d’aviation : UNE QUESTION D’ÉQUILIBRE © Loutte et Oleffe / MIKLO © Loutte et Oleffe

EXTRAIT DE BIGGLES, TOME 13, NEIGES MORTELLES, DESSIN DE ÉRIC LOUTTE ET SCÉNARIO DE MICHEL OLEFFE

Entre imagination et documentation, des auteurs maintiennent le cap et alimentent dÊun juste équilibre de ces deux pôles. Saint-Exupéry, régulièrement la richesse d’un genre auquel toute bonne librairie de BD se devrait Le dernier vol dÊHugo Pratt, récemment réédité, est une belle réussite. Le maître y donne sa version de la mort de consacrer une section. de lÊécrivain, émouvante et pourtant rivetée de pré- cision historique et technique. Êaéronautique et la bande dessinée sont nées reprendre le flambeau, souvent chez de petits édi- à peu près en même temps. Elles ont connu teurs. La bande dessinée dÊaviation est un domaine LÊaviateur est un type brillant et débrouillard. Expert un développement considérable tout au long si vaste que ce dossier ne fera quÊen survoler certains dans les cieux, il nÊest pas manchot une fois posé Le du XX siècle. CÊest assez naturellement que leurs aspects. (plus ou moins violemment) au sol. Son caractère trajets se sont de nombreuses fois croisés jusquÊà ce a été trempé par ses expériences célestes où chaque que se forme un genre à part entière avec ses afi- L’HOMME ET LA MACHINE vol peut effectivement être le dernier. Son regard, cionados. Les éditions Paquet ne sÊy sont pas La problématique qui sous-tend le genre est la dua- bien souvent clair comme lÊazur, est marqué dÊune trompées lorsquÊelles lancèrent la collection Cock- lité de lÊHomme et de la Machine. Pour que le ré- détermination farouche. Ainsi, une fois à terre, lÊavia- pit il y a quelques années (lire lÊinterview de leur fi- cit puisse se déployer, il faut un avion et un aviateur : teur est au moins aussi efficace que les meilleurs gure de proue, Romain Hugault, en pages 08-09). lorsque la machine faiblit, lÊhomme se doit de pui- ÿ rampants Ÿ. Pendant la première moitié du XXe Mais elles nÊont pas inventé le concept. Anticipant ser dans ses ressources propres pour pallier à la dé- siècle, ÿ aviateur Ÿ fut quasiment synonyme la fin des grands classiques français que sont Buck faillance et survivre. Tout se joue dans la tension dÊÿ aventurier Ÿ dans lÊimaginaire collectif. Sur une Danny, Tanguy et Laverdure (cf. pages 10-11) et Dan entre lÊaspect technique et lÊaspect psychologique. Terre qui nÊétait encore que partiellement carto- Cooper (page 12), une myriade de séries est venue Un bon récit de ce genre se doit dÊêtre le résultat graphiée, avec un ciel dépourvu de satellites, tout

6 E n C ouverture aviateur, même civil, est par nature un sionné extrêmement pointilleux et intrépide. Que dire alors des pilotes de attentif aux développements techno- guerre ? logiques les plus récents. Bien souvent, les dessinateurs et scénaristes sont eux- © Dave Stevens LA GUERRE mêmes pilotes (cf. Hugault, Charlier, Les guerres sont, pour le scénariste, des Hubinon, Bergèse⁄) ou au moins très nfluds riches en possibilités. De plus, immergés dans un milieu dÊaviateurs, elles soulèvent automatiquement des ce qui les aide considérablement pour nuages de littérature de propagande au lÊexactitude de rigueur. Les créateurs sein desquels on déniche forcément de bandes dÊaviation sont obligés de quelques pépites, les meilleurs au- suivre avec assiduité les évolutions teurs étant réquisitionnés. La Secon- techniques de leur sujet. ¤ ce propos, de Guerre Mondiale est lÊacmé de tou- voici ce quÊécrit Bergèse dans sa tou- te histoire dÊaviation. Par sa durée, par chante autobiographie Une Vie de des- lÊéquilibre des forces en présence, sin et dÊaviation, éditions Idées+) : ÿ Pour par lÊimmensité du terrain de jeu et créer des aventures contemporaines cette do- lÊimportance capitale accordée aux cumentation doit être remise à jour fréquemment, forces aéroportées, ce conflit plané- en sÊabonnant à des publications traitant taire offre dÊinfinies ressources narra- dÊaviation moderne, principalement militaire. tives. Même une fois terminé, il lais- Dans ce type de BD, on ne peut pas se conten- sera çà et là, dans de minuscules îles ter dÊemployer des avions comme on le fait avec du Pacifique, des soldats japonais ou- les chevaux dans un western. Il y a des équi- bliés, que les bédéastes ne manqueront pements embarqués et des infrastructures au sol pas dÊutiliser (cf. Adler, le repaire du ka- en perpétuelle évolution dont il faut tenir tana, ou Biggles, la treizième dent du diable). compte, aussi bien pour le scénario que pour De plus, malgré lÊeffroyable essor le dessin. Ÿ Il exprime aussi lÊidée quÊil est quÊelle impulsa à la recherche aéro- arrivé à un âge où il nÊa plus le coura- nautique, la Seconde Guerre Mondiale ge de fournir cet incessant travail de se campe précisément à ce point his- documentation. Mais les fans sont ras- torique où les ressources techniques et surés, nombreux sont ceux qui ont pris humaines sÊéquilibrent parfaitement. la relève. Ainsi récemment les séries Les histoires situées après ces événe- Fox One (trois tomes chez Wilco et une ments iront de fait vers toujours plus intégrale au Caméléon), Team Rafale de technicité, la part ÿ dÊaventure Ÿ et (quatre tomes chez Zéphyr BD) ou les de psychologie ayant tendance à Missions Kimono (11 tomes chez JYB- sÊamenuiser. Dans ce nouveau monde Aventures), mettent en scène avec technologique, lÊaviateur sera désor- ingéniosité (et un certain zèle patrio- mais presque toujours un militaire. tique) lÊarmée française dans des in- trigues contemporaines souvent per- LA DOCUMENTATION tinentes, même si la qualité graphique Cette tendance est dÊailleurs encou- ne suit pas toujours. ragée par le public. En effet lÊamateur dÊaviation est bien souvent un pas- VLADIMIR LECOINTRE ROCKETEER, DE DAVE STEVENS Des TIGRES VOLANTS à la Black Hawk Line

es Tigres Volants, ce sont des pilotes américains qui sÊengagèrent comme mercenaires dès 1941 auprès L des troupes chinoises de Chang-Kaï-chek pour combattre le Japon. Cette poignée dÊhommes a enflammé lÊimagination de nos créateurs de BD. Ils apparaissent bien

© Staller / LE LOMBARD évidemment dans Buck Danny, mais on les retrouve avec une précision historique accrue dans lÊefficace série de Molinari et Nolane (Les Tigres Volants, 5 tomes chez Soleil). Bien plus subtile est la série méconnue de Jack Staller : The Black Hawk Line (5 tomes au Lombard entre 1990 et 1994, désormais retirés du catalogue). Elle met en scène un groupe de Tigres Volants qui, une fois la guerre achevée, se sont reconvertis dans le fret aérien et ont monté leur propre compagnie. Entremêlant les souvenirs de la Guerre et lÊactualité dÊun monde en proie à la décolonisation et à de nouveaux types de conflits, cette série aligne tous les ingrédients dÊune bonne bande dÊaviation sans oublier lÊémotion. Les scénarios sont fins et témoignent dÊune bonne compréhension du contexte historique. Pour peu que le dessin eût un peu plus de maîtrise et de caractère, nous avions là une série parfaite dans son registre. VLADIMIR LECOINTRE

7 © Romain Hugault / PAQUET

Romain Hugault, L’AS DES AS Hiver 1943, Wülf, un as de la Luftwaffe, horrifié par la barbarie nazie mais patriote, lutte contre l’ennemi soviétique. Parmi ses adversaires, de jeunes femmes pilotes, « les Sorcières de la nuit », qui vont changer son existence. Scénarisé par le célèbre Yann, « Le Grand Duc », triptyque dont le dernier album sort ce mois-ci, est dessiné par Romain Hugault, star montante de la BD d’aviation…

omain Hugault, votre ligne, ma mère est pilote privée et pour Dessiner un combat aérien crédible calque et avec deux ou trois outils fluvre est fortement mar- ma part, jÊai mon brevet de pilote de- nécessite une grande compréhen- proches de vraies brosses. Quand je R quée par le thème de lÊaé- puis mes 17 ans. JÊai failli en faire mon sion de la perspective et des éléments dessine, je pense déjà à la mise en cou- ronautique. DÊoù vous vient cette métier et ne pratiquer le dessin que graphiques qui vont donner lÊim- leurs : je peux laisser un grand espace passion ? comme un loisir. Finalement, jÊai opté pression dÊaltitude et de vitesse. blanc pour y faire un ciel nuageux ou De mon père, un pilote militaire, co- pour la solution inverse, peut-être DÊoù vous vient cette technique garder lÊhorizon vierge pour y peindre lonel dans les transports aériens. Il a histoire dÊavoir un truc bien à moi : je académique ? une forêt. Cette méthode me paraît tel- transmis le virus à toute la famille : mon dessine dans la vie et je pilote le di- Je dessine des avions depuis tout pe- lement naturelle que je ne conçois pas frère est instructeur pour lÊaviation de manche. tit. JÊai passé un bac standard ÿ au cas de confier mes couleurs à quelquÊun où je me planterais Ÿ puis jÊai été pris dÊautre. à lÊécole Olivier de Serres où lÊon mÊa enseigné les vraies bases du dessin. Vous terminez votre troisième album CÊest de là que je tire lÊenseignement avec Yann, comment vous êtes-vous classique qui me sert dans mes BD rencontrés ? dÊaviation. AujourdÊhui, mon principal Cela faisait des années que Yann cher- défi, cÊest dÊarriver à donner lÊimpres- chait un dessinateur qui aimait vrai- sion dÊune grande altitude dans une ment les avions. Il a vu mes planches toute petite case. dans un magazine BD et mÊa contacté par son intermédiaire. JÊétais super Vous avez reçu plusieurs prix pour content mais je nÊétais pas disponible : vos albums, notamment pour vos jÊavais encore deux albums sur le feu. mises en couleurs⁄ Je lui ai dit que jÊen avais pour deux ans Je peins en numérique comme avec de et il mÊa répondu : ÿ Pas de problème, jÊat-

© Romain Hugault / PAQUET la peinture traditionnelle, sur un seul tendrai Ÿ. Ce quÊil a fait. Je dois avouer

8 zoom que je nÊai vraiment pris conscience de avec mes premiers albums, Le Dernier en- sa notoriété quÊaprès la sortie du pre- vol et Au-delà des nuages, réalisés avec Ré- mier album. Depuis, je crois que nous gis Hautière, jÊai eu la chance de cap- Un Crayon dans le cflur, avons créé un vrai climat de confian- ter à la fois lÊattention des fans dÊavia- de Laurel Les blogs n'ont ce et que nous avons une vraie colla- tion et des lecteurs de BD. CÊest encore pas tous un boration. plus vrai depuis que je travaille avec propos Yann. outrageusement Les personnages du Grand Duc ont- narcissique. En revanche, celui ils vraiment existé ? Les chiffres de vente montrent quand de Laurel l'est Pas dans le détail mais nous essayons même que la BD dÊaviation est une sans conteste. dÊêtre le plus réaliste possible par rap- niche particulièrement intéressante⁄ Sa bande dessinée port à la grande histoire, aux ba- Maintenant que je suis directeur de la reprend un tailles, aux avions, etc. En Russie, une collection ÿ Cockpit Ÿ chez Paquet, je certain nombre de pages qui furent femme pilote avait ouvert la voie à ses reçois et jÊévalue pas mal de projets. mises en ligne par le passé : des tranches de vie articulées autour de consflurs en battant plusieurs records. Beaucoup dÊauteurs ont envie de se lan- Laurel, sa fille Cerise, son chat et son Comme Staline manquait de pilotes, cer dans le filon de la BD dÊavion. Mais compagnon de l'époque. Les qualités il a créé trois unités exclusivement les fans font vite le tri entre les vrais de dessin sont évidentes et l'humour contrebalance le côté exaspérant composées de femmes, y compris passionnés et ceux qui nÊy connaissent des autobiographies féminines pour les mécaniciennes. La première pas grand-chose. (pléonasme ?). Laurel a en outre harcelait les Allemands de nuit avec des de bonnes idées de mises en scène. On passe donc un bon moment, biplans silencieux et obsolètes, la Et si je vous parle de Michel Sardou ? à condition de ne pas trop attendre deuxième bombardait de jour, et la troi- Il avait vu mes pin-ups (Pin-Up Wings de sa lecture, car lÊabsence de sième était une escadrille de chasseurs. T.1 et 2 chez Paquet, NDLR), il est lui- profondeur et de véritable dérision même pilote, il mÊa donc demandé laisse penser que cet album ne sert finalement qu'à flatter l'ego de son Le triptyque du Grand Duc se ter- dÊillustrer le livret de son dernier auteur. Entre deux gags, le rire vire minant, quÊavez-vous prévu pour la disque. La collaboration a été agréable, quelque peu au jaune tant suite ? cÊétait très sympa à faire. Certains l'irresponsabilité et la suffisance de la narratrice est manifeste (voir On va faire quelque chose sur la Pre- sont très critiques sur lÊartiste, ce nÊest l'épisode de la glace notamment). mière Guerre Mondiale. ¤ lÊépoque, les pas mon problème⁄ Warum, édition poche, 168 p. n&b, 8 € avions avaient des formes halluci- KAMIL PLEJWALTZSKY nantes et on ne cherchait pas à les ca- NÊavez-vous aucune envie dÊexplorer Savoir-vivre ou mourir, moufler, ils pouvaient être rouge pétard dÊautres univers ? Comment devenir une sans aucun problème. On va montrer Pas vraiment, jÊai la chance dÊêtre pas- femme du monde en 48h, les deux côtés de la guerre : lÊhorreur sionné par la BD dÊaviation : plus de Catherine Meurisse des tranchées, un peu à la Tardi, et la jÊavance et plus jÊai dÊidées⁄ Comme Avec un sous- vie des pilotes de lÊautre. CÊétait loin le public me suit, tant que ça me titre aussi dÊêtre glamour, les pilotes avaient plaît, je continue. alléchant, il était sûr que la beau être issus de lÊaristocratie et de la Nadine de cavalerie, ils allaient au combat tous les PROPOS RECUEILLIS PAR Rothschild qui jours et cramaient dans leurs avions⁄ YANNICK LEJEUNE sommeille en chacun de nous allait se Tous vos albums parlent dÊavions, réveiller. Mais visez-vous un public en particulier ? si Meurisse Non, rien ne me fait plus plaisir que de c Retrouvez Romain Hugault et dÊautres nous livre les auteurs de BD spécialisés en aviation aux secrets du bien se vêtir, se tenir, recevoir en dédicace des gens qui me ÿ 6e rencontres de la BD aéronautique et manger, bouger, parler, se gratter, tout disent : ÿ Je ne connais rien aux avions mais spatiale Ÿ, les 23 et 24 octobre 2010 au en gardant la classe internationale, nÊoublions pas quÊelle est aussi jÊadore votre BD ! Ÿ. Heureusement, Bourget. Accès gratuit. dessinatrice à Charlie Hebdo ! Son reportage dans une école de savoir- vivre anti-dinde vous fera rire grassement, mais avec le petit doigt en lÊair, sÊil vous plaît. Les Échappés, 64 p. couleurs, 13 € HÉL˚NE BENEY Gitans des mers, T.1, de Duval et Bonifay France, milieu du XVIIe siècle : le jeune Nadau est un menuisier de talent, qui nÊa jamais rencontré son père supposé, un certain dÊArtagnan⁄ Fou amoureux dÊAngélina, une Gitane libre et fière, il découvre quÊil fréquente aussi sa sflur jumelle, Léane ! Mais les jalousies se déchaînent lorsque le LE GRAND DUC, T.3 trio sÊunit et fait ménage à trois⁄ Contraints à prendre la route, les de Yann et trois jeunes mariés sÊengagent dans Romain Hugault, une épopée épique et romanesque. Un premier tome riche, audacieux Paquet, coll. Cockpit, et présageant une série pleine © Romain Hugault / PAQUET 48 p. couleurs, 13 € de rebondissements. Sympa. CHEZ HUGAULT, PIN-UPS ET AVIATION FONT BON MÉNAGE Dupuis, 72 p. couleurs, 14.50 € HÉL˚NE BENEY

9 E n C ouverture Les aviateurs de CHARLIER Jean-Michel Charlier fut le scénariste passionnant des deux principales séries franco-belges classiques sur des pilotes de chasse : « Buck Danny » et « Tanguy et Laverdure ».

La Seconde Guerre Mon- © Hubinon et Charlier / DUPUIS diale vient de se terminer, 1947 mais déjà des auteurs en- tament la publication de récits sur le sujet, de préfé- rence situés loin de chez nous, dans lÊOcéan Paci- fique par exemple, pour ne pas brouiller les tenta- tives de réconciliation franco-allemandes en attisant de douloureux souvenirs. Buck Danny a été en fait créé par Georges Troisfontaines, patron dÊune agence de presse qui alimentait notamment Spirou en séries réalistes. Physiquement, Buck Danny emprunte dÊailleurs les traits de lÊhomme dÊaffaires. Buck Danny est un jeune ingénieur new-yorkais fraî- LA FINE ÉQUIPE DE LA SÉRIE BUCK DANNY chement diplômé et basé à Hawaï, lorsque surgit lÊat- taque-éclair de lÊaviation japonaise. Troisfontaines Buck Danny sÊengage rapidement (le tout est ra- de déclarer forfait, accaparé par lÊétonnant succès écrit les 12 premières pages de son premier épiso- conté en une case !), puis il rencontre le sérieux des aventures dÊAstérix, et Jijé assure brillamment de, Hubinon dessine les personnages et Charlier Tumbler et lÊamusant Sonny Tucson, brave Texan la reprise, donnant aux héros les traits physiques des les appareils militaires. Charlier reprend vite le scé- rouquin et excentrique qui jouera toute la série le acteurs de la série télévisée (Jacques Santi et Chris- nario en main, insufflant un parfum dÊaventures et rôle du rigolo de service, malchanceux, naïf et mal- tian Marin, pour trois séries de 13 épisodes). de suspense à ce qui ressemblait à une sorte de do- adroit. Après quelques années dÊapprentissage, le des- cumentaire héroïque. Il continue à dessiner dÊun trait sin de Victor Hubinon sÊaffirme en sÊinspirant du trait Il y a évidemment de nombreux points communs détaillé et minutieux les avions et les navires de guer- exemplaire de Milton Caniff. La publication heb- à ces deux séries. DÊabord, les multiples dangers re, car la simple rédaction dÊhistoires ne permettait domadaire dans Spirou permet à Charlier dÊentretenir mortels liés au pilotage : conditions climatiques dif- guère à lÊépoque de subvenir à ses besoins. Plusieurs lÊintérêt du lecteur jusquÊà la semaine suivante grâ- ficiles (brouillard, orage violent), atterrissage de for- auteurs de BD habitent ensemble dans une maison ce à une ultime case pleine dÊinterrogations et de re- tune, altimètre déréglé ou panne de moteur, radio bruxelloise, se relayant à la table à dessin ou sur le bondissements. Enfin, les auteurs disposent dÊune défaillante et panne dÊessence, la vie des pilotes est canapé, car si lÊoffre de travail est grande, les ré- abondante documentation, car il y a de nombreux pleine dÊimprévus, que le sang-froid, la maîtrise tech- munérations sont dérisoires. Des débuts difficiles sites militaires américains en Belgique en ces nique et la chance permettent généralement de sur- mais très formateurs, qui permettent de progresser années dÊaprès-guerre. monter. Pour Charlier, les aviateurs sont un peu les rapidement et de créer de véritables amitiés (il y avait héros des temps modernes, capables de survoler à notamment Weinberg et Paape). Démobilisés à la fin de la guerre, nos aviateurs re- toute allure dÊimportants territoires aux commandes trouvent du travail dans le civil, malheureusement de machines sophistiquées. Du fait de leur enga- pour un employeur louche qui sÊadonne au trafic gement au sein des forces militaires américaines et dÊarmes. Hubinon et Charlier décident de passer leur françaises, nos pilotes sont fréquemment appelés sur brevet de pilote avec leurs premières économies, ce des zones de conflits. Les noms des pays ainsi que qui permet dÊune part de réaliser un rêve tout en pra- ceux de leurs dirigeants sont parfois légèrement dé- tiquant en réel, de lÊautre dÊarrondir les fins de mois formés, pour éviter les foudres de la censure qui bi- en pilotant le week-end (baptêmes de lÊair, largage zarrement fit interdire Ciel de Corée en France, au titre aérien de sacs, remorquage de banderoles publici- sans doute jugé trop explicite. Mais il est toutefois taires). Charlier travaillera même pendant un an à facile de reconnaître à quels évènements réels fait la Sabena (compagnie aérienne belge), de nombreux allusion le scénariste qui ne sÊest jamais caché de pui- pilotes étant rappelés pour participer à la Guerre de ser une source de son inspiration dans lÊactualité in- Corée. Le réalisme de la série bénéficiera de ces ternationale. expériences vécues, notamment par lÊutilisation fré- quente du vocabulaire technique en vigueur. Le décès de Victor Hubinon aura pour consé- quence la reprise de Buck Danny par Francis Bergè- En 1959, Charlier participe au lancement du jour- se pour quelques ultimes aventures (voir ci-contre), nal Pilote dont il est lÊun des fondateurs avec ses dÊune précision technique exemplaire. Un projet dÊal- amis Goscinny et Uderzo. Dès le premier numéro bum par Denis Sire (auteur de Lisa Bay, 6T Mélodie⁄) apparaît la série Tanguy et Laverdure. Il sÊagit cette fois est actuellement à lÊétude, pour la collection Aire de pilotes de lÊArmée de lÊair française, et le trio a Libre, et donc hors continuité : lÊaction se dérou- été ramené à deux (Laverdure reprenant le registre lerait notamment au-dessus de Berlin, à la fin de la comique de Sonny Tucson, alors que Tanguy est Seconde Guerre Mondiale.

© Jijé et Charlier / DUPUIS lÊaviateur sérieux et irréprochable). Uderzo réalise TANGUY ET LAVERDURE PAR JIJÉ de façon remarquable les premiers épisodes avant JEAN-PHILIPPE RENOUX

10 E n C ouverture

DR Cinq questions à Francis Bergèse © Bergèse / DUPUIS

n dehors de Buck Danny, vous avez colla- fance. Plus tard, ayant des problèmes avec son boré épisodiquement à la série Biggles (voir dessinateur, il me proposa de mener les deux E ci-dessous). Comment y êtes-vous venu ? séries en parallèle, ce qui pour moi nÊétait pas LÊadaptation en BD de romans de la série Biggles mÊa réaliste étant donné ma lenteur de pro- été proposée par lÊéditeur belge Lefrancq peu avant duction. le décès de Jean-Michel Charlier, lequel allait me pri- ver de la réalisation de Buck Danny pendant quatre ans. Vous avez dÊabord repris le dessin, CÊest donc durant cette période, de 1989 à 1993, que puis le scénario des Buck Danny. Vos al- jÊai produit quatre albums de Biggles. Cette série a pris bums sÊinscrivant dans la continuité des un bon départ mais nÊa pas connu suffisamment de précédents, nÊest-ce pas frustrant dÊun promotion de la part de lÊéditeur, qui a préféré en- point de vue créatif ? gloutir les bénéfices dans une multitude de projets Absolument pas. JÊai plutôt trouvé lÊexer- à la carrière éphémère. cice intéressant.

Pourriez-vous nous parler rapidement de votre pas- Vous avez également publié un recueil sion pour lÊaviation ? de souvenirs. Je la dois principalement à la lecture de Buck Danny Oui, Une Vie de dessin et dÊaviation, chez dans Spirou dès ma petite enfance. Idées+, raconte mon parcours, à la fois comme dessinateur et comme pilote, Auriez-vous pu reprendre Tanguy et Laverdure à avec quantité dÊillustrations et photos. la place de Buck Danny ? Charlier mÊavait donné le choix entre lÊune ou PROPOS RECUEILLIS PAR lÊautre série. JÊai bien sûr choisi le héros de mon en- JEAN-PHILIPPE RENOUX BIGGLES : PORTÉ DISPARU pays de lÊEst, appliquant au domaine de pations). Parallèlement, il avait fondé lÊaviation les ficelles de lÊaventure et du son propre label, Claude Lefrancq édi- Light Suspense (enquête légère à la Rou- teur, et Biggles en était une des figures de letabille, NDLR), Biggles fut traduit en proue. Il lui permit de publier Francis France dans les années 50 sous la ja- Bergèse, à la suite dÊun concours de cir- quette bigarrée des Presses de la Cité : constances favorable : ÿ La série Buck ÿ Ce sont des romans pour la jeunesse sans gran- Danny était en rade chez Dupuis suite au décès de prétention littéraire, témoigne le scéna- de Jean-Michel Charlier, raconte Michel riste Michel Oleffe qui travailla un Oleffe. Francis Bergèse se retrouvait malgré lui temps sur la série. CÊest facile à lire, cÊest très sur la touche et Claude Lefrancq a eu lÊidée de clean. CÊest un univers où il nÊy a pas de créa- lancer la série Biggles à ce moment-là Ÿ. ture maléfique à la Lady X, par exemple. La sé- Les premiers albums furent dessinés et rie a eu les faveurs de lecteurs fanatiques réunis scénarisés par Bergèse seul. Mais la dans lÊInternational Biggles Association.Ÿ situation de Buck Danny se débloqua et il fut obligé de passer la main : cÊest lÊex- BIGGLES ET LA BANDE DESSINÉE cellent Éric Loutte, dÊabord au crayonné,

© À / LE LOMBARD, à droite : Francis Bergèse. Montage de Alain Rouquette gauche : Leclercq et Oleffe Biggles fut adapté en BD dès les années ensuite dans la totalité, qui reprit la sé- 1950 à lÊinitiative du Studio Vanders- rie avec au scénario Michel Oleffe, le Biggles, de la Royal Air Force, connut plusieurs aventures en teen ; lÊauteur de Bob & Bobette et de scénariste à succès de la série Carland bande dessinée avant de disparaître mystérieusement à l’hori- Bessy. CÊest lÊéditeur belge Claude Le- Cross chez le même éditeur. zon des années 2000. francq qui en permit la résurgence à par- Après la revente, puis la faillite de tir des années 1990. Passionné de litté- Claude Lefrancq éditeur, la série fut re- e chef dÊescadrille James Big- en 1928, devint journaliste aéronautique rature populaire (il était devenu lÊéditeur prise au Lombard qui en cessa la pu- glesworth, plus connu sous le puis rédacteur en chef de la revue de Bob Morane et de Harry Dickson), Le- blication à la suite dÊun différend avec L nom de Biggles, est une créa- Popular Flying. CÊest là quÊil fit paraître francq avait réussi un joli coup en per- les ayant-droits du romancier. Dom- tion du ÿ Captain Ÿ W.E. Johns, un ai- en 1932 la première aventure de Biggles, mettant à Edgar Pierre Jacobs de se libé- mage, car cette série classique au char- mable instructeur au Royal Flying le premier dÊune centaine de courts ro- rer de la tutelle du Lombard, créant pour me suranné avait réussi à séduire plus Corps né à Hertford (Angleterre) en mans publiés jusquÊen 1968, date du lui les éditions Blake & Mortimer avec dÊun amateur de machines volantes. 1893. Cet ancien as de la Première décès de lÊécrivain. Très populaire dans quelques associés (cette structure ap- Guerre Mondiale, rendu à la vie civile les pays anglo-saxons et dans certains partient aujourdÊhui à Média-Partici- DIDIER PASAMONIK

11 E n C ouverture DAN COOPER anticipation et haute technologie Né en 1954, Dan Cooper est une des figures les plus marquantes de la bande dessinée d’aviation, seul concurrent de « Buck Danny » avant l’apparition de « Tanguy et Laverdure ». Entre le tandem français, le pilote américain, et l’Anglais Biggles, Cooper a la particularité d’être canadien. Mais son auteur est belge et vit en Suisse depuis plus de 25 ans. Rencontre. © Weinberg © Weinberg / HACHETTE © Weinberg

DAN COOPER, PILOTE CANADIEN

é en 1922, Albert Wein- berg fait des études de droit N et se destine à faire une car- rière de juriste international. Mais la guerre lÊarrête, si lÊon peut dire, en plein vol. Après le conflit, il multiplie les pe- tits boulots, notamment en dessinant pour Spirou et Le Moustique sous le regard sévère de ses parents qui nÊapprécient pas quÊil se consacre à un métier aus- si peu sérieux que la bande dessinée. Mais rencontrant Victor Hubinon, Jean-Michel Charlier et Georges Trois- fontaines, il ÿ monte Ÿ à Bruxelles et fait partie du ÿ gang des Liégeois Ÿ par- ti à lÊassaut de la bande dessinée de la EXTRAIT DE DAN COOPER : PROGRAMME F-18 D'ALBERT WEINBERG, ED. HACHETTE, 1981 capitale. Avec le trio, il emménage dans Secret de la Grande Pyramide, en particu- nalité nÊapparaît que progressivement) ficiles. Quand en 1978, Jack De Kezel une maison à Bruxelles, rue Rankin. lier dans la séquence du Musée du Cai- le profil dÊune série réaliste alimentant lui propose de rejoindre le magazine Grâce à lÊentregent de Troisfontaines, re : ÿ Cela se voit : les balustres de la galerie ses scénarios au fur et à mesure des Super-As, émanation du groupe alle- devenu entre-temps fournisseur officiel supérieure nÊont pas la netteté jacobsienne Ÿ, avancées technologiques. Entre 1959 mand Springer, Weinberg prend la tan- de BD chez Dupuis, il se retrouve à tra- plaisante-t-il aujourdÊhui. et 1961 : Duel dans le ciel, Coup dÊaudace, gente et collaborera avec Novedi pen- vailler sur Buck Danny, puis sur Blondin Cet apprentissage jacobsien lui ouvre LÊEscadrille des Jaguars. Charlier, qui nÊa dant près de dix ans, tout en multipliant & Cirage. Chez lÊéditeur de Marcinelle, les voies du Lombard. Raymond Le- pas encore entamé la série Tanguy et les collaborations secondaires, en il rencontre les grands auteurs de la blanc et André Fernez pressent lÊancien Laverdure (1961), lui fait trois scénarios. créant notamment Aquila pilote des neiges maison et se lie dÊamitié avec les des- collaborateur dÊHubinon de dessiner Il est un peu en rupture avec Dupuis et pour le magazine italien Corriere dei Ra- sinateurs de son âge : Franquin, Will une histoire dÊaviation. Ce sera les assure ses arrières. Mais cela ne per- gazzi. (pour qui il écrit Le Secret du Bambochal), aventures de Dan Cooper : Le Triangle bleu turbe pas Weinberg : ÿ Je ne me suis ja- AujourdÊhui, quand il le peut, Wein- Macherot⁄ (1954). Il est suivi dÊautres épisodes qui mais préoccupé de ce que pouvait faire Victor berg, 88 ans, sÊemploie à essayer dÊin- donnent à la série le ton de lÊanticipa- [Hubinon], dit-il. Nous étions comme sur venter de nouvelles histoires de son pi- Sa forte capacité de travail est re- tion : Le Maître du Soleil (1955), inspiré une base militaire : il y avait plusieurs esca- lote devenu entre-temps major : ÿ Pour marquée. Il produit de front une série des stations orbitales imaginées par drilles et chacun essayait de faire de son les Canadiens, cÊest comme sÊil existait. Quand pour Heroic-Albums (Luc Condor) où il Von Braun, Le Mur du silence, Opération mieux. Ÿ La série Dan Cooper ne décevra il a été promu, il lÊont mis au tableau dÊhon- montre déjà son goût pour lÊanticipa- Jupiter (1957), et Cap sur Mars (1958). pas son auteur, son audience totalise- neur avec les autres officiers de la promotion Ÿ, tion tandis quÊHergé fait appel à lui Le succès de la série est immédiat. Mais ra 25 millions dÊexemplaires vendus sÊamuse-t-il. Son prochain sujet ? Les pour lÊaider à scénariser On a marché sur la surenchère technologique devient ra- dans de nombreuses langues. drones. ÿ Cela va mettre des pilotes au chô- la Lune. LÊamitié dÊHergé lui vaut de don- pidement une impasse et cÊest son ami mage, et ça ne va pas leur plaire ! Ÿ ner un coup de main à Edgar Pierre Ja- Jean-Michel Charlier qui lÊen sort en Avec lÂarrivée de Greg au Journal Tin- cobs, complètement à la bourre sur Le donnant au pilote canadien (sa natio- tin en 1967, les relations sont plus dif- DIDIER PASAMONIK

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zoom E n C ouverture

Wolf Guy, T.2, de Yoshiaki Tabata, Yuki Yogo et Ayumi Izumitani, dÊaprès Kazumasa Hirai CÊest lÊune des dernières incarnations dÊun AIR FORCE MANGA personnage créé en 1970 Pas facile de faire tenir un avion dans du petit format noir et blanc… alors des combats aériens par Kazumasa façon « Tanguy et Laverdure », pensez-vous ! Ainsi, la bande dessinée japonaise ne dispose pas Hirai, à une époque où de classiques de l’aviation aussi évidents qu’un « Buck Danny ». Enquête sur une des rares les récits de zones d’ombre du manga… loups-garous étaient peu fréquentés dans la BD mondiale. Trente ans après, cette reprise peut laisser a priori sceptique, mais elle est pourtant diablement tonique. © Studio Ghibli Son réalisme hyperactif soulève le cflur du lecteur quand les scènes dÊaction se font violentes, sans pour autant tout montrer. Et on se laisse ainsi embobiner par une gentille amourette entre un lycéen et son enseignante⁄ Tonkam, Young, 200 p. n&b, 7,90 € CHRISTIAN MARMONNIER Aïshité Knight – Lucile, amour et rockÊnÊroll, T.1, de Kaoru Tada Comme lÊéditeur le souligne, voici enfin adapté le best-seller qui inspira la série animée connue dÊabord sous le titre Embrasse-moi Lucile. Il sÊagit donc du manga publié de 1982 à 1984 dont les codes narratifs et graphiques sont restés dans les esprits. Faut-il le rappeler, lÊhistoire se greffe sur une PORCO ROSSO, FILM DÊANIMATION DE HAYAO MIYAZAKI relation amoureuse triangulaire où lÊhéroïne, Yakko, a bien du mal à exprimer publiquement ses vrais es éditeurs japonais ayant eu volumes sur papier mais sept épisodes nombreux assistants, on peut donc sÊat- sentiments. Clin dÊflil au glam rock très tôt la volonté de faire des- à la télévision – et la liste des animés tendre à ce quÊil existe un vaste vivier assuré, traduction et finition siner des mangas sur tous les consacrés à lÊaviation est longue : au japonais de mangas dÊaviation restant éditoriale excellentes⁄ on ne peut L sujets pour tous les publics, il existe de choix, Les Ailes dÊHonnéamise, Allison to Lil- encore à éditer chez nous ! que conseiller la lecture de cette mini-série (4 tomes). nombreux titres consacrés à lÊavia- lia, Last Exile, Yukikaze, ou The Sky Craw- BORIS JEANNE Tonkam, Shôjo, 330 p. n&b, 9 € tion, mais ceux-ci nÊont jamais réussi lers de Mamoru Oshii, lÊauteur de CM à obtenir la popularité dÊun Astroboy. La Ghost in the shell, dont lÊadaptation pa- faute peut-être au traumatisme laissé pier (après un jeu Wii) sort justement 1 Allez vérifier sur un forum comme Tista, T.1 & 2, www.aeroplanete.net ! de Tatsuya Endo par les B-29 survolant Hiroshima et chez Glénat au mois de septembre. Un ordre Nagasaki pour y larguer les bombes religieux à la atomiques⁄ Typiquement shônen LÊautre relation forte entre manga et botte du Vatican (la (mangas pour garçons), Area 88 de Kao- aviation est à chercher du côté de lÊes- Congrégation ru Shintani est pourtant lÊun des trois pace. Dans les mangas dÊanticipation de la Croix premiers mangas traduits et distri- comme Macross, le design des engins du Sacré- Cflur) qui bués aux États-Unis, mais son succès spatiaux est généralement calqué sur conditionne lui vient plutôt du jeu vidéo qui en a celui de véritables appareils de combat depuis des été tiré, U.N. Squadron (Capcom), et des comme le F-15, et les fans dÊaviation siècles de nombreux animés qui suivirent, com- se font un plaisir dÊaller repérer de quels jeunes orphelins à me Carrier Air Wing. véritables avions le mecha designer sÊest devenir des inspiré1. DÊailleurs, le mangaka (auteur soldats de Dieu et combattre le Mal. Et souvent, ce sont plutôt des jeux de manga) qui sÊest le plus intéressé au Une jeune tueuse new-yorkaise élevée et missionnée par cet ordre vidéo et des animés qui popularisent genre de lÊaviation (Case Hard, The (Tista Lone) qui perd sa foi et le genre de lÊaviation chez les Japonais. Cockpit, The Cockpit Legend, Crisis, Battle- retrouve dÊanciens amis, dÊanciens De Miyazaki (Porco Rosso) à Otomo field Series, tous inédits en France) est rêves enfouis⁄ Il y a quelque chose dans ce diptyque qui ne laisse pas (Steamboy), lÊespace aérien a toujours beaucoup plus connu pour ses odyssées indifférent. Sans doute pas les beaucoup intéressé lÊanimation japo- sidérales que pour la précision de son éléments manichéens du scénario naise, puisque cette dimension est dessin dÊavions : cÊest Leiji Matsumo- mais plutôt la finesse du dessin de Endo, de même que son découpage plus facile à valoriser à lÊécran que dans to, lÊauteur dÊAlbator et Galaxy Express enlevé. le petit format des mangas habituels. 999. Cependant, Matsumoto ayant eu Kazé, Shônen Up!, 232 p. n&b, 6,95 € 801 T.T.S. Airbats nÊa connu que trois Shintani (lÊauteur dÊArea 88) parmi ses CM

14 E n C ouverture LE BARON ROUGE un récit antimilitariste © Pratt / PANINI

eorge Pratt fait partie des auteurs américains qui ont abordé le comic book de manière très picturale dans les années 80. Chacune de ses G planches est une peinture dont la splendeur technique, entre réalis- me et abstraction, nuit parfois à la lisibilité. Son style cérébral est ici au servi- ce dÊun récit antimilitariste. Il rend hommage à la fameuse série dÊaviation de Joe Kubert et Bob Kanigher : Enemy Ace, Le Baron Rouge (un album en français aux éditions du Fromage en 1978 !). Hans Von Hammer est un personnage inspiré de la renommée du pilote allemand Manfred Von Richthofen. CÊest un aristocrate à lÊesprit chevaleresque doté dÊune remarquable force de caractère. George Pratt imagine ce héros de la Première Guerre Mondiale en vieillard attendant la mort dans une clinique. Il lui fait alors rencontrer un jeune Américain qui se révèle être un vétéran de la guerre du Vietnam, encore sous le choc de son expérience comme rat des tunnels. Ils confrontent leurs souve- nirs atroces. LÊhistoire montre bien que, si en plein ciel les pilotes peuvent se soulager dans lÊillusion quÊils mènent un combat juste et noble, au sol, parmi les ÿ rampants Ÿ, la réalité de la guerre est tout autre. Une réédition nécessai- re de ce classique (Meilleur album étranger à Angoulême en 1992), quoiquÊon puisse regretter le grand format de la précédente édition française (Glénat 1991), qui rendait mieux honneur au travail de lÊartiste. c Le Baron Rouge : Par-delà les lignes, de George Pratt, Panini Comics VLADIMIR LECOINTRE Aviation et extraterrestres e Commandant Judith Bellecourt (avenante, comme souvent les femmes-soldats du neuviè- L me art) et le Lieutenant Saint-John (énergique pilote au regard dÊacier) sont membres de lÊESOPE, cette commission ÿ spécialement chargée dÊobserver, dÊétudier, de comprendre et de communiquer bien au-delà de nos frontières ter- restres Ÿ : oui, vous avez compris : des militaires qui sÊoc- cupent des extraterrestres ! Voilà un thriller qui mêle aéronautique et science-fiction dans une intrigue capti- vante, une série injustement passée inaperçue, la faute à un dessin faiblard et une distribution fantomatique. c La Stratégie des sentinelles (5 tomes parus), de Gilles Laplagne et J. Aiffvé, Zéphyr éditions / éditions Carabas VLADIMIR LECOINTRE

15 E n C ouverture DERNIÈRES FIGURES AÉRIENNES Pour conclure ce petit dossier consacré à la bande dessinée d’aviation, l’équipe de « Zoo » vous présente quelques titres sup- plémentaires méritant d’être mentionnés (avec, encore une fois, aucune prétention d’exhaustivité). Loopings, piqués, vrilles, atter- rissages délicats, combats aériens... Ce n’est pas encore le moment de détacher vos ceintures.

MALOUINES - LE CIEL APPARTIENT AUX FAUCONS, T.1, SKYHAWK, DE NÉSTOR BARRON & WALTHER TABORDA, PAQUET, COLL. COCKPIT Fasciné, un gamin observe le modèle réduit dÊun avion quÊil a construit et pense : ÿ Un jour, je volerai jusquÊaux Malouines. Ÿ Puis, il rêve de piloter un véritable engin volant et puis le rêve glisse soudainement à la réalité historique. Le môme se transforme en capitaine dÊescadrille prêt à sÊengager dans le conflit qui oppose son pays, lÊArgentine, avec le Royaume-Uni, à propos de la souveraineté sur les îles Malouines. Et en définitive, cÊest cet épisode guerrier très court (dÊavril à juin 1982) qui est relaté ici par un scénariste et un dessinateur argen- tins, fiers de lÊexploit aérien accompli alors par leurs compatriotes. Et quel est-il cet exploit ? Eh bien, il a consisté à affronter une nation dont la flotte et lÊaviation étaient technologiquement supérieures, à lÊaide de vieux coucous et dÊune grosse dose de courage. Mais si ces pilotes, surnommés les Faucons, sont représentés avec tout lÊorgueil patriotique quÊil convient dans ce genre de récit, ils ne cachent pas non plus le drame que vivait lÊArgentine de cette époque, à savoir la dictature finissante de sa junte militaire. Avec cette histoire inspirée par des témoignages de pilotes, Barron et Taborda proposent une session de claquettes peu évidente où le dévouement pour défendre un bout de terre se frotte à la stupidité de la guerre. ÿ Dans un camp comme dans lÊautre se trouvent des hommes attendant leur tour pour mourir, pendant quÊun ami meurt à leur côté Ÿ, lit- on à la fin du premier opus⁄ CHRISTIAN MARMONNIER TRANQUILLE COURAGE (2 TOMES), DE TEFENKGI ET MERLE, BAMBOO En ce printemps 1944, les côtes normandes frémissent dÊune rumeur insistante annonçant lÊarrivée des Alliés. Malgré la nervosité que cette nouvelle suscite chez les soldats allemands en poste dans cette région, Auguste Briant, un fermier sans histoire de la Manche, va flir- ter avec le danger. En effet, lorsque Weston, pilote dÊun P47 Thunderbolt de lÊUS Air For- ce, sÊécrase dans un de ses champs, Auguste décide immédiatement de le cacher en dépit des risques pour lui et sa famille. SÊinstalle alors une routine faite de secrets, de débrouilles et de confiance. Ce diptyque inspiré dÊune histoire vraie raconte le quotidien de ceux qui, dans lÊombre et sans bruit, ont participé à la grande Histoire. Après le fanzinat et lÊautoédition, Olivier Mer- le signe avec Alexandre Tefenkgi une bande dessinée pédagogique, témoignage du destin de ces Français moyens qui ont aidés les Alliés au prix de leur propre sécurité. Agrémentée en fin de tomes de cahiers re- groupant croquis, documents, témoignages et photos, cette série est avant tout une plongée dans le quo- tidien dÊune guerre, loin du front mais au cflur de la vie des ÿ justes Ÿ. HÉL˚NE BENEY LES ENRAGÉS DE NORMANDIE-NIEMEN, T.1, LÊENVOL DES ENRAGÉS, DE PATRICE BUENDIA, MARC-OLIVIER CAYRE ET GIUSEPPE DE LUCA, ZÉPHYR ÉDITIONS 1941. LÊAllemagne attaque la Russie. Côté japonais, Pearl Harbor est imminent. En Fran- ce, parmi de nombreux plans, une idée, plus folle que les autres, est retenue : constituer une escadrille de têtes brûlées tricolores pour aller sur le front russe. Ce premier tome est une introduction à la réunion de lÊéquipe de volontaires. Une vision romancée de lÊHistoire. LÊas- pect lourdement didactique était à craindre, étant donné le sujet et lÊéditeur (spécialisé dans lÊaéronautique). Il est évité, mais de justesse, et la pédagogie est plutôt réservée à un dos- sier assez intéressant en fin dÊalbum. Le scénario est classique, sans prise de risque, slalo- mant entre la réalité du Normandie-Niemen et un plus traditionnel récit de fiction nous présentant les membres de lÊéquipe et leur environnement. Le dessin, de lÊécole italienne moderne, est dans la même veine, très acadé- mique. Une ligne claire maitrisée mais aux expressions parfois un peu figées. La couleur, informatique, joue un grand rôle. Elle colle bien à lÊambiance attendue de ce monde aérien, et magnifie des avions très docu- mentés. On frôle toutefois lÊoverdose de filtres (⁄toshop) sur les humains et les décors plus organiques. Même si nous sommes moins plongés au cflur de lÊaction quÊavec Enemy Ace de Joe Kubert (une référence), cette histoire devrait plaire aux fanas dÊavions, biberonnés aux BD dÊaventures dans les airs de Félix Moli- nari ou dÊAlbert Weinberg. PHILIPPE CORDIER LE FAUCON DU DÉSERT (2 TOMES), DE FRANZ ZUMSTEIN, DELCOURT 1942 en Lybie, Ali, un jeune autochtone réalise son rêve : voler dans lÊAfrika Korps. DÊabord mésestimé du fait de ses origines, celui-ci finit par obtenir la considération des militaires qui lÊentourent en devenant un as. Malheureusement, le sentiment dÊaccomplissement quÊil res- sent est vite remplacé par la découverte du vrai visage de la guerre. Alors quÊAli se prépare à partir pour lÊAllemagne, on découvre que sa fiancée est enceinte⁄ Sur cette base histo-

Le Dernier kamikaze © Mitton et Molinari / SOLEIL rique, Franz Zumstein construit une saga romanesque faite dÊaventure, dÊamours impossibles et bien sûr, dÊaéronautique ! Si certaines situations semblent parfois étranges, lÊhistoire finit par dévoiler dÊintéressantes réflexions humaines. Le dessin, classique, privilégie les avions aux personnages mais lÊensemble est superbement mis en couleurs. JOHN YOUNG

16 E n C ouverture © Barbaud / BAMBOO

LES DENTS DE LA GUERRE (BAMBOO) / SKETCHBOOK BARBAUD (COMIX BURO), DE JEAN BARBAUD Une bédéthèque dÊun mordu dÊaviation ne saurait être complète sans des ouvrages de Jean Barbaud. Son travail le plus identifiable aux yeux du grand public demeure incontes- tablement le design des personnages dans les séries animées Il Était une fois lÊHomme et Il Était une fois la vie. Mais le connaisseur éclairé sait également apprécier son talent hors du com- mun dans la caricature aéronautique depuis presque 30 ans, et ce, des deux côtés de lÊAt- lantique. En soi, Les Dents de la guerre représente une très bonne entrée en matière pour le néo- phyte. Sur chaque page : un zinc de combat – cela va du Brisfit de la Grande Guerre à lÊultra- moderne Falcon F-16 – excellemment croqué pour ne retenir que lÊessentiel. En complément, Barbaud adjoint pour chacun une fiche technico-historique par- faitement limpide. Un effet miroir intéressant se produit entre le texte et le des- sin afin de mieux assimiler un glossaire rebutant de prime abord. Les fans des aventures du Lieutenant McFly et les amoureux du trait de crayon – les conquis dÊavance, en somme – sont invités à jeter un flil sur le Sketchbook Barbaud pour y découvrir quelques raretés ou esquisses de projets avortés et constater, une fois encore, que pour arracher un rire ou un sourire, la rigueur est très souvent de mise. Barbaud maîtrise tellement son sujet quÊil nÊest pas près de se crasher⁄ JULIEN FOUSSEREAU

LE DERNIER KAMIKAZE (3 TOMES), DE JEAN-YVES MITTON ET FÉLIX MOLINARI, SOLEIL Le récit de cette série en trois volumes débute en mai 1945, à la fin de la Guerre du Pacifique. On suit le destin dÊun jeune Japonais qui sÊest engagé dans le célèbre corps des Kamikazes, ces aviateurs suicidaires. LÊhistoire et les com- bats se poursuivent 60 ans après, sur un atoll perdu et paradisiaque du Pacifique, les soldats de la Seconde Guerre Mondiale semblant avoir fait un bond temporel avec leurs machines... Les compères Jean-Yves Mitton et Félix Moli- nari délivrent un récit original au dessin lisible et détaillé, de la bonne BD populaire dont lÊun des ressorts est cette troublante imbrication des époques. GUSTAVE VICTORINOX

17 A ctu B d TOUS DES MONSTRES ! René Follet revient à la bande dessinée le temps d’un album, et quel album ! « L’Affaire Dominici », scénarisé par Pascal Bresson, restera son meilleur. Son trait se prête parfaitement à ce fait-divers édifiant : un crime, qui est non seulement le portrait d’une époque, mais aussi une invitation à juger notre société plus qu’un homme. Le verdict de Follet et Bresson est sans appel : tous des monstres ! © Follet et Bresson / GLÉNAT

Êaffaire Dominici, cÊest lÊhistoire ponsabilité et culpabilité, il y a. Mais elle QuÊest ce qui vous fascine dans lÊaffaire crime, lÊinvestigation, le milieu rural, des dÊun triple meurtre survenu en est à partager entre beaucoup ÿ dÊac- Dominici au point de vouloir lÊadap- rancflurs assoupies qui se ravivent, L 1952 aux abords de la com- teurs Ÿ. Jamais dÊailleurs, ce mot ne se ter en bande dessinée ? etc. LÊun des déclics pour moi fut le film mune de Lurs, dans les Alpes-de-Hau- prêta aussi bien à une affaire, tant les Écrire sur lÊaffaire Dominici, cÊest à la fois LÊAffaire Dominici avec Jean Gabin dans te-Provence (04). Un couple britan- faux témoignages et le dilettantisme ont se lancer dans lÊinconnu et être le rôle du patriarche. Même après plus nique et leur fille sont retrouvés assas- fait loi. Beaucoup ont profité de ce coup confronté à un trop plein dÊinforma- de 50 ans, le déroulement des faits est sinés à quelques mètres de la ferme Do- de projecteur pour ramasser de pi- tions... Plus de 50 ans plus tard, lÊaffai- toujours difficile à comprendre, alors jÊai minici. Le mobile est incertain. Très ra- toyables instants de gloire : des avocats re continue dÊintriguer et de susciter la voulu lÊadapter en toute simplicité à la pidement, la foule et la presse sÊagglu- amoureux des médias (et non des polémique. CÊest un fait-divers hors du portée de tous... tinent pour contempler le tableau ma- moindres), des politiques assoiffés de pe- commun, qui a marqué toute une géné- cabre et emporter un souvenir. La gen- tits pouvoirs, des journalistes sans ration et dont le temps nÊa effacé ni lÊau- Dans votre scénario, vous privilégiez darmerie locale est dépassée. Les té- déontologie, des écrivaillons médiocres, ra ni le mystère... Je me suis passionné lÊaffrontement entre Sebeille et le pa- moignages invraisemblables affluent des chaînes de télévision avides dÊau- pour ces grandes enquêtes criminelles triarche Dominici. Vous êtes-vous ap- pendant que les renforts de police tar- dience, etc. Au-delà de lÊaffaire que dé- grâce à ma mère, fidèle lectrice du jour- puyé sur les mémoires de lÊinspecteur ? dent. Au-delà de lÊétrangeté du cas, une peignent Follet et Bresson, entre les nal Détective. Je suis devenu au fil des ans Oui, mais jÊai aussi consulté des ouvrages affaire dans lÊaffaire va éclater. Elle op- cases, entre les bulles, cÊest le procès de spécialiste des affaires Seznec et Do- qui sont ÿ pour Ÿ Gaston, et dÊautres qui pose un policier, lÊinspecteur Sébeille, la société du spectacle qui se tient. minici. Pour cette dernière, les années ne le sont pas. JÊai digéré le tout et me pressé de résoudre lÊenquête, à un nÊont pas éteint les passions. Il y a tous suis fait ma propre idée. ¤ mon avis, le vieillard dépassé par les événements Nous avons auditionné Pascal Bresson. les ingrédients pour faire une bonne commissaire Sébeille était un bon po- dont il est lÊun des artisans. Car res- Voici ses aveux. bande dessinée policière : le mystère, le licier. CÊétait le fils dÊun as de la police

18 A ctu B d marseillaise dÊavant-guerre. Il était ha- reconnu devant lui être lÊauteur du bitué aux affaires criminelles et était per- triple crime. Ce policier consciencieux suadé de ses qualités dÊintuition. Dans voulut donc, sans connaître le dossier, la BD, il était important de bien situer recueillir des aveux circonstanciés, et en ces deux personnages. JÊaime bien la conséquence faire préciser un mobile. confrontation de ces personnalités Il a parlé de sexe et Gaston Dominici, fortes : lÊune rurale et lÊautre citadine. Sé- qui se montrait volontiers paillard, a été beille sÊest heurté dès le début à une intéressé par cette idée. En raison de la grande réticence des témoins soutenant différence dÊâge et de milieu social, elle le clan Dominici. Entre Gaston Domi- était dÊailleurs flatteuse pour lui. DÊau- nici et le commissaire, cÊétait le jeu du dition en audition, il est allé toujours un chat et de la souris. Les Dominici peu plus loin. Au début, il avait sim- avaient compris que si on ne trouvait pas plement voulu regarder lÊAnglaise se dé- le meurtrier dans les premiers jours, il shabiller, ce qui dÊailleurs ne corres- y avait de grandes chances pour que lÊon pondait déjà pas aux données de lÊen- ne mette jamais la main sur lui⁄ Il fal- quête dont il résultait que Lady Drum- lait ainsi tout cacher, mentir, et surtout mond sÊétait couchée bien avant lÊheu- gagner du temps... en jouant avec les re du crime en se dévêtant fort peu ; puis nerfs de Sébeille. ¤ la fin de son en- il en serait venu à des attouchements et quête, il avait hérité dÊun surnom, qui enfin à des relations complètes et exprimait bien sa situation : le ÿ com- consenties... Le mari se réveille. Une ba- missaire tourne-en-rond Ÿ. garre sÊensuit et Gaston fait taire M. Drummond. Ces aveux sont faits neuf Avez-vous une idée du mobile ? Cela fois, mais rétractés cinq fois lors dÊun reste une zone dÊombre importante procès fleuve. Comment sÊy retrouver dans cette histoire⁄ dans cette énigme où chacun accuse Si lÊon admet que la famille anglaise a lÊautre lorsquÊil ne le disculpe pas ? Les été tuée par ÿ Gaston Dominici et ses déclarations de Gaston Dominici nÊé- fils Ÿ, on ne sait toujours pas pourquoi. taient pas cohérentes, il variait sans ces- Donc pas de mobile, même pas le se, ce qui a joué fortement contre lui... vol : sur le lieu de lÊhomicide, on re- trouva de fortes sommes dÊargent. Le NÊêtes-vous pas interpellé par lÊattitude premier mobile enregistré au dossier fut de Gustave Dominici, Clovis Domi- lÊagression sexuelle. ÿ Lady Ann se serait nici et de Roger Perrin ? LÊincohéren- librement donnée Ÿ au suspect, à quelques ce de leurs différentes déclarations mètres de son mari endormi, mais les nÊest-elle pas un aveu ? ébats du couple lÊayant réveillé, celui- Le crime de Lurs est une histoire fami- ci, mécontent, aurait tenté dÊintervenir liale... Je reste persuadé que le jeune Per- avec brutalité, dÊoù le drame. Le com- rin, dit ÿ zézé Ÿ (le petit-fils de Gaston), missaire Prudhomme, premier com- avait participé à la tuerie. Il a passé son missaire de police appelé à recueillir les temps à mentir, surtout pour se trouver aveux de Gaston Dominici, nÊy était nul- un alibi. Lors des confrontations, il sa- lement préparé... Le vieil homme avait vait beaucoup trop de choses. Le * © Follet

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Entre les ombres, de Arnaud Boutle * rapport mentionne que le soir La civilisation du meurtre, Zézé portait lÊarme du cri- nÊest plus. Les me. Il est dit aussi quÊil nÊavait pas tou- êtres humains te sa tête, quÊil était un peu simplet... Au sont tous morts. Seul un moment de son interrogatoire, Gaston homme avait déclaré à Sébeille : ÿ Tu crois ce fada ! subsiste. Il erre Zézé, il est fou ! Ÿ. Clovis, Gustave et Ro- désormais au milieu des ger nÊont cessé de fabuler. Gustave vestiges. Dominici était tout le temps mal à lÊaise, ¤ mesure comme sÊil avait eu quelque chose à que la ville se décompose, son esprit dérive vers cacher. On lÊa interrogé de nombreuses ses souvenirs et ses regrets. Il faut fois afin quÊil précise dans quelles cir- reconnaître à Arnaud Boutle un constances il a découvert le corps de la travail de fond et une approche petite fille. Face aux hésitations de artistique intéressante. Son emploi de la couleur, par exemple, quÊil utilise Gustave, une reconstitution a été or- comme élément narratif, est bien donnée pendant laquelle il admet quÊil pensé. LÊambiance générale est a bien vu les trois corps et quÊil les a © Follet et Bresson / GLÉNAT proche de La Jetée de Chris Marker et des premières séquences de même déplacés. Plus grave pour lui, il me : ÿ Ne pleure pas Marie ! SÊils gardent ton souple et énergique... René Follet ne sÊest Omega Man de Boris Sagal (plus que reconnaît avoir vu la fillette bouger et Gustave, jÊirai à sa place ! SÊils veulent un Do- pas contenté de mettre en scène le dra- le roman de Matheson, dont il est nÊavoir rien fait pour lui porter secours minici, Âvaut mieux que ce soit moi ! Ÿ. Ça veut me, il a aussi mis en avant une ambiance lÊadaptation). En dépit des difficultés que son scénario pouvait poser, (il sera condamné à deux mois de pri- tout dire... Voyant dès le départ que les noire typique des années 50. Le choix lÊauteur déploie une réflexion de son pour non-assistance à personne en soupçons se portaient sur ses fils Gus- du lavis sÊest donc imposé de lui-même, qualité sur la solitude, lÊamour et danger). ¤ force de sÊaccuser les uns et tave et Clovis, il sÊest désigné comme dÊautant quÊil venait de terminer des illus- même la déréalisation ; il y parvient en évitant les redondances et les les autres et se rétracter, les Dominici coupable ; ce qui arrangeait aussi bien trations sur Bob Morane au lavis. CÊest tris- platitudes. ont engendré une confusion abyssale. les fils que le commissaire Sébeille. Le te quÊil ne soit pas reconnu à sa juste va- Glénat, 1000 Feuilles, 80 p. coul., 14 € Si le cas nÊa jamais été résolu, cÊest en lendemain de ses aveux, les rumeurs al- leur. René est dÊune nature discrète et KAMIL PLEJWALTZSKY partie à cause de cela. Toute lÊaffaire est laient bon train. Les vieilles haines sensible... Il veut éviter les feux des pro- Princesse Suplex, basée sur des contradictions et des réapparurent. Le vieux Gaston sÊest vu jecteurs, les prix, la notoriété, le succès... de Léonie mensonges. Les Dominici étaient tous attribuer un passé dÊivrogne, de coureur il souhaite être simplement au calme La semaine, impliqués à un niveau ou un autre... Une de jupons et de tyran domestique. Il faut dans son atelier et préfère quÊon le juge Gabi mène chose est certaine, cÊest que les Domi- reconnaître que cÊétait un homme assez sur la qualité de son travail. Il nÊest pas une vie de bureau nici sont les premiers témoins du dra- bourru, autoritaire, pas facile à vivre. quelquÊun qui soigne ses relations pu- routinière ; me qui sÊest déroulé cette nuit du 5 août Aussitôt, la GrandÊTerre a été prise bliques. le week-end, 1952... et quÊils en savaient bien plus dÊassaut par la presse. Clovis et Gusta- elle devient Princesse quÊils nÊen disaient. Dès son arrivée sur ve, deux grands lâches, nÊont pas hésité René Follet sera t-il avec vous, à An- Suplex, une les lieux du crime, le commissaire Sé- une seule seconde à lÊenfoncer. Peut-être goulême ? redoutable beille avait dit en parlant des Domini- un peu moins Gustave qui semblait plus René Follet venir au Festival dÊAn- catcheuse acclamée ci : ÿ De leur ferme, ils ont dû tout voir, ou tout hésitant. Mais Clovis, quant à lui, était goulême ? Je ne crois pas, non... Par par un public entendre ! Ÿ très virulent. Puis, il y eut une confron- contre, il sera présent à mes côtés, lors acquis à sa cause, ce qui donne tation où les fils ont accusé leur père. Le du salon Quai des Bulles (Saint-Malo), assurément du piquant à sa morne existence. Un vrai sens du cadre Pensez-vous que Gaston se serait sa- vieux Gaston nÊen revenait pas. Il a com- les 9 et 10 octobre 2010. (contre-plongées percutantes), une crifié, au début, pour couvrir Gusta- pris à cet instant dans quel pétrin il sÊé- nervosité adaptée au format dÊun ve, Clovis et Roger ? tait mis. Alors, par la suite, il est reve- à Jean-Michel Blanc album qui se lit dÊune traite, au point Le commissaire Sébeille a toujours ac- nu sur ses aveux. Le juge Périès deve- PROPOS RECUEILLIS PAR dÊen regretter la brièveté : lÊassurance KAMIL PLEJWALTZSKY dÊavoir déniché là un auteur suisse cusé le vieux Dominici dÊavoir achevé nait fou. Il pensait au début boucler cet- prometteur, qui avec de lÊexpérience la petite Elisabeth... JÊai la conviction te affaire au plus vite... Et là, la situation et des histoires plus fouillées devrait quÊil était bien présent sur les lieux et devenait de plus en plus confuse. Par la c Retrouvez lÊintégralité de cet entre- mettre tout le monde KO. tien sur notre site : www.zoolemag.com Manolosanctis, 34 p. n&b, 6,50 € donc coupable dÊune certaine manière. suite, Yvette, la femme de Gustave, a GERSENDE BOLLUT Mais je ne le crois pas capable dÊavoir maintenu ses accusations contre Gaston, tué la petite. Gaston, au moment des mais elle impliqua aussi Clovis comme Parker & Badger, T.8, faits, était déjà âgé. Il pensait que pour étant le propriétaire de lÊarme du crime. Jobs de blaireaux !, cette raison, même sÊil était reconnu cou- Gustave, convoqué quelques jours plus de Cuadrado pable, il ne pourrait être condamné à tard, confirma lui aussi ses dires en ajou- On pourra toujours mort. Si on résume lÊaffaire Dominici, tant même quÊil était au théâtre le soir gloser sur on a : une lady anglaise qui va se lais- du drame à deux heures du matin ... Et lÊutilité dÊun ser séduire au premier regard par un quÊil ne pouvait pas être présent au mo- best of en lieu et place dÊun vieux paysan bourru, une femme violée ment du crime... album inédit, qui nÊa pas de relations sexuelles, une mais lorsquÊil victime qui fait face au meurtrier mais En lisant les premières planches de lÊal- sÊagit dÊune série aussi qui reçoit les balles dans le dos, une bum, jÊai immédiatement pensé aux ma- sympathique fillette qui sÊenfuit sans chaussures sur gazines Radar ou Détective⁄ que Parker & un sol caillouteux mais qui nÊa aucune Les expressions sont tellement justes Badger, nous étouffons nos réserves de principe. Dans cette compilÊ sur le marque sous les pieds, un vieux de 75 quÊon a lÊimpression que René Follet fut milieu du travail, nos lascars ans qui court plus vite quÊune enfant de témoin de la scène du crime. On pen- multiplient les impairs, des services à dix ans... Voyez les contradictions et in- se un peu aux fameuses illustrations domicile foireux aux piteuses LÊAFFAIRE DOMINICI animations de supermarchés, en cohérences de lÊenquête. En dépit de dÊAngelo Di Marco. En tout cas, cet al- passant par les CV éhontément cela, cÊest Gaston qui a été reconnu cou- bum nÊa rien à voir avec les précédents... falsifiés et les retards justifiés par des de René Follet pable. ¤ mon sens, Gaston Dominici a Quand je dis que cÊest le meilleur, je le et Pascal Bresson, excuses bidon. Une chose est sûre, voulu dès le départ protéger les cou- pense sincèrement. Son interprétation dans le duo, le blaireau nÊest pas celui Glénat, coll. Caractère, que lÊon croit. pables comme un vrai patriarche. Un y est très cinématographique : elle est 64 p. couleurs, 14,50 € Dargaud, 48 p. couleurs, 7,50 € jour, Gaston Dominici a dit à sa fem- dessinée avec finesse dans un style GERSENDE BOLLUT

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La Mort de Staline, de Nury et Robin Quand un dictateur a érigé un système LE MESSAGER totalitaire basé sur la terreur et lÊarbitraire à tous les niveaux, il ne faut pas raccroche la soutane sÊétonner des conséquences suscitées par la disparition du grand Fin du second cycle, et par là même de la série, avec ce sixième tome du « Messager », de Richez leader. CÊest pourtant ce qui arrive au prétendu Petit Père des peuples, par et Mig. Avec à la clef la réponse à cette question fondamentale : va-t-on réussir à décrypter un beau soir de 1953. Les hauts l’ADN du Christ ? fonctionnaires qui aspiraient à sa succession se déchirent, les rivalités et les défiances ressurgissent. Thierry Robin illustre de façon inattendue cette nouvelle page historique, sans doute dressée avec précision par Fabien Nury qui semble décidément se passionner pour les périodes troubles des années 40 et 50. Intéressant comme un passionnant documentaire sur Arte. Dargaud, 56 p. couleurs, 13,50 € JEAN-PHILIPPE RENOUX Sept jours pour une éternité, T.1, de Marc Lévy, Espé et Corbeyran Afin de se départager,

Dieu et le © Richez et Mig / BAMBOO ÉDITION Diable décident de sÊaffronter change évidemment, mais sans anti- lÊon approchait de lÊan 2000, et où il via un champion, cipation sur ce quÊil va avoir à faire. y avait une résurgence de la peur mil- dans un lénariste. Je pense que ça a dû jouer. combat de Et quel message doit-il délivrer ? Le Da Vinci Code est un souvenir un peu sept jours dont lÊissue ¤ lÊorigine, mon projet était de revi- triste pour moi. Le premier cycle du fera basculer siter la parabole de lÊAnnoncia- Messager devait faire lÊobjet dÊune adap- le monde du côté du Bien ou du Mal. tion : comment un homme aujourdÊhui tation au cinéma. JÊavais écrit avec Ni- Mais les émissaires choisis, lÊangélique Zofia et le diabolique Lucas, pourrait annoncer à une femme colas Cuche le scénario du long mé- sÊentendent un peu trop bien ! quÊelle va avoir un enfant et que ça trage. Mais on est entré en pré-pro- Leur attirance va achever de crisper pourrait avoir un effet sur lÊavenir de duction au moment où le film Da Vin- les rapports de leur boss⁄ Adapté la religion ? ci Code est arrivé et tous les projets de du best-seller de Lévy, la divine idylle devient série BD. Ce premier tome ce type ont été annulés. au dessin classique regroupe deux Pourquoi avoir choisi une intrigue sur pages de croquis préparatoires fond de religion ? Votre série anticipe régulièrement sur en fin dÊalbum. Casterman, 72 p. couleurs, 12.95 € CÊétait un moment de ma vie où la réalité et notamment avec le per- HÉL˚NE BENEY jÊavais envie dÊen parler. Je trouve sonnage du cardinal Echebal, prési-

© Laurent Mélikian pour Bamboo Édition que les personnes les plus heureuses dent de la congrégation pour la Fais péter les basses, HERVÉ RICHEZ sont celles qui ont réellement la foi, doctrine de la foi, qui devient Pape. Bruno !, de Baru Le jeune parce quÊelle leur offre toutes les ré- Le parcours quÊa suivi le cardinal Rat- africain près les trois premiers albums ponses. Moi, je suis pris en perma- zinger quelques années plus tard. Slimane rêve qui émettaient des doutes sur nence par des doutes, des interroga- Troublant. de devenir la virginité de Marie, Ri- tions. Je nÊai pas leur chance, dÊune cer- CÊest même pire que ça, jÊavais pris la joueur de foot A pro. Seule chez et Mig sÊétaient lancés dans un taine manière. Je lÊexprime à travers liste de tous les Papes depuis lÊorigine, solution : nouveau cycle tout aussi hardi en cette série. et jÊai choisi Benoît XVI pour le nom gagner spéculant sur la découverte de gouttes du prédécesseur dÊEchebal. Dans la clandestine- ment la France de sang du Christ sur la Sainte lance, Vous-même êtes-vous croyant ? première édition, il y a une faute de afin dÊêtre dont lÊanalyse pourrait révéler si Jésus Je nÊen sais rien. Je saurai ça au dernier frappe, et cÊest marqué Benoît VI. Et repéré. est bien le fils de Dieu. En conclusion moment, quand il faudra (rires). puis Echebal ça vient dÊun autre nom, Simultanément, Gianni DÊAlloro charge depuis sa cellule Zinedine de de ce polar religieux, Hervé Richez re- mais je ne peux pas trop en parler. contacter son frère, le vieux Fabio, vient avec nous sur le déroulement de En lisant la série, on pourrait un peu afin dÊorganiser le braquage dÊun la série. vite vous reprocher dÊavoir surfé Ah bon ? fourgon de la Brinks à Noël. Les casseurs, septuagénaires fringants, sur la vague Da Vinci Code. En réa- Oui, on a eu des petits soucis avec des sÊoffrent un baroud dÊhonneur⁄ Qui est donc ce messager ? lité, Le Messager a commencé à groupuscules. et Baru, Grand prix du festival CÊest un ancien garde du corps qui abat être publié en même temps que le dÊAngoulême 2010, confirme son immense talent ! Une comédie par accident un petit garçon en proté- livre de Dan Brown. QuÊest-ce quÊils vous ont reproché ? policière déjantée, qui sort largement geant un Gouverneur américain. Ce Un certain nombre de séries BD un DÊavoir distillé leur nom déjà. Leurs du lot de cette rentrée. qui le traumatise et le décide à entrer peu ésotériques (Le Messager, Le Triangle méthodes de recrutement. On a été Futuropolis, 128 p. couleurs, 20 € HÉL˚NE BENEY en religion par rédemption. Il prend secret, Le Troisième testament) ont vu le jour obligé de changer la fin du bouquin alors le nom de Gabriel, comme lÊar- à la fin des années 90, à un moment où sans changer la trame.

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Grand Prix, T.1, Renaissance, de Marvano Le traité de Auteur de BD, ce nÊest pas de tout Parce que pour moi la religion ne de Marie. ¤ un moment, ça mÊa posé Versailles eut repos. peut pas être synonyme de violence. Le un problème de conscience : moi qui notamment Parler de religion nÊest pas la chose la rapport à la foi ne peut pas être syno- suis une sorte de mécréant, jÊaurais le pour effet de plus sereine qui soit. On le vit chez nyme dÊextrémisme. CÊest contre-na- droit de jouer avec les croyances de ces priver lÊAllemagne de Bamboo avec dÊautres séries. Sur Sha- ture. gens ? Je nÊen avais pas la légitimité. la possibilité hidas qui traite des femmes palesti- CÊest pour ça que jÊai écrit ce second de se réarmer. niennes qui se font exploser pour les be- Et le fait que vous ayez choisi pour cycle. CÊétait une manière de remettre CÊest la raison pour laquelle soins de la cause, on a eu quelques pe- le second cycle un scientifique juif pra- les compteurs à zéro un certain tites aventures de ce registre-là. Pareil tiquant pour décrypter la Bible, ça a Hitler pour Le Cahier à fleurs, sur le génocide une signification particulière ? encouragea lÊindustrie automobile de compétition à améliorer ses arménien. ¤ partir du moment où on Cette histoire de message caché dans PROPOS RECUEILLIS PAR performances. Au-delà du prestige de sÊattaque à ce genre de thème, on la Bible, cÊest à la fois une légende et THIERRY LEMAIRE la nation quÊentraînaient des victoires peut sÊattendre à avoir des réactions, et une réalité. Tout ce que je dis sur le pro- au Grand Prix, se développait une industrie à la technologie avancée cÊest logique. Mais ça fait froid dans le fesseur Rips qui a mis en évidence une quÊil serait facile de reconvertir dans dos. suite de lettres équidistantes dans la lÊarmement le moment venu. Le trait Bible, et que ces messages apparaissent de Marvano brille par son élégance, mais le récit oscille entre courses ¤ ce sujet, il y a un symbole très fort a posteriori, a été publié dans la revue Sta- automobiles et rendez-vous tragiques dans le tome 2, une croix chrétienne tistical Science en 1994. Rips est un ma- avec lÊHistoire. La passion de lÊauteur et une étoile de David entremêlées. thématicien de génie qui a cette di- pour le sport automobile atténue CÊest voulu ? mension au divin qui est réelle. Com- lÊimpact tragique de ces ambitions pour les populations européennes. Bien sûr. Il y a cette dimension de re- me quoi, on peut être croyant et scien- Dargaud, 48 p. couleurs, 13,50 € ligions qui sÊaccordent. Mais il y a aus- tifique. Dans les albums, le professeur JEAN-PHILIPPE RENOUX si une dimension personnelle. Je suis ca- juif arrive à casser le code de la Bible tholique et jÊai de très bons copains grâce à la puissance de calcul phé- La Chair de lÊaraignée, de juifs. JÊai été très proche de la religion noménal des ordinateurs quantiques, et Hubert et Marie Caillou Une étudiante juive à un moment. Mon adolescence Dieu lui parle. Mais on apprend à la fin en a été bercée par ça. Dans le tome 1, quÊil nÊa pas été choisi par hasard. musicologie quand Gabriel envoie de lÊargent à Aa- CÊest une petite parabole, comme cel- se lie dÊamitié avec un ron le facteur, il ajoute un petit mot : le de Gabriel dans le premier cycle. étudiant des ÿ sois toi-même jusquÊà 120 ans Ÿ, ce qui Beaux-Arts, veut dire ÿ porte-toi bien Ÿ. CÊest une En conclusion de ce second cycle, au point de phrase qui était dite par un très bon co- dans le duel entre scientifiques et re- LE MESSAGER, T.6, tenter avec LA DERNI˚RE PRÉDICTION lui une pain lors de mon adolescence. ligieux, tout le monde gagne. La foi colocation. est sauve, grâce à la science. CÊest un Jusque-là, rien En filigrane, derrière ce polar religieux, statu quo qui vous plaît ? de Richez et Mig, que de très banal. Sauf que les deux Bamboo, Grand Angle ados, teints blafards et silhouettes il y a aussi la critique de lÊextrémisme. Le premier cycle remettait en cause 48 p. couleurs, 13,50 asexuées, sont anorexiques (du genre Oui, je le fais de manière un peu ba- maladroitement une des bases de la re- € à compter au petit pois près et à se gargariser de livres de diététique) et sique mais jÊy crois profondément. ligion catholique, à savoir la virginité doivent, au quotidien, affronter le regard désapprobateur des amis, lÊincompréhension des parents et le jugement du psy. Doté dÊun trait sec et épuré aux lignes géométriques, cet album cafardeux génialement elliptique est un uppercut physiquement éprouvant mais nécessaire. LÊun des albums majeurs de 2010 ! Glénat, 80 p. couleurs, 15 € GERSENDE BOLLUT Sarkozy et ses femmes, de Renaud Dély et Aurel Bouleversant les codes de la communication politique, Nicolas Sarkozy a ouvert la boîte de Pandore de sa vie privée. Renaud Dély (rédacteur en chef de la matinale de France Inter, ex-directeur adjoint de Marianne⁄) et Aurel (Politis, Le Monde, Marianne, Siné Hebdo⁄) nous proposent une enquête sur les femmes de sa vie, de sa mère à ses épouses en passant par ses ÿ collaboratrices Ÿ. Bien quÊadapté, tout est basé sur des faits – dates, sources et glossaire des personnages en marge et fin de tome. Un Sexus Sarkozus édifiant ! Drugstore, 128 p. couleurs, 15 € HÉL˚NE BENEY © Richez et Mig / BAMBOO ÉDITION

23 A ctu B d LE BAVARD FOU Trente-cinq ans après, Mœbius réactive son personnage totem, Arzak. Ce faisant, il convertit à la parole un univers célébré pour son mutisme.

Une bombe te. La version que co-édite maintenant - MŒBIUS PRODUCTIONS © Mœbius / GLÉNAT éclate dans Glénat consiste en un réassemblage de 1975 les premiers ces éléments séparés sur lesquels la cou- numéros de Métal Hurlant. Sa détonation leur a été rétablie, soit une bande clas- imprime une marque profonde sur sique avec cases et bulles⁄ Oui, car dé- lÊimaginaire des créateurs du monde en- sormais Arzak est parlant. tier. Muet, en couleurs directes et dÊune structure déroutante, Arzak pla- Si lÊon enfouit notre naturel dÊayatollah ce à jamais Jean Giraud-Mflbius par- passéiste qui hurle au sacrilège, nous re- mi les maîtres de la bande dessinée. marquons tout dÊabord que cette nou- Si lÊoriginalité de ces planches peut pa- velle version, avec bulles, récitatifs et raître moins saillante aujourdÊhui, cÊest couleurs, est bien supérieure à son précisément parce que dÊinnombrables brouillon gris. Si lÊon accepte ce pas- bédéastes ont arpenté les sentiers que sage au ÿ parlant Ÿ il faut toutefois no- Mflbius avait alors ouverts. Pélisse sur ter que précisément le travail dÊadap- son lopvent, le Mercenaire de Se- tation et dÊinsertion du texte a été mal grelles, Lanfeust sur le dragon blanc : mené. Il eût fallu élaguer certains dia- ce sont tous des fils dÊArzak. logues au lieu de les rallonger ! Ce ba- vardage est fort dommageable pour Désormais Jean Giraud, du haut de sa lÊfluvre qui se trouve alourdie de bulles carrière, se repenche sur son fluvre et obèses, certaines ayant même été ranime ses anciennes créatures, réaf- gavées de caractères plus petits que firmant au passage sa paternité et sa leurs voisines⁄ prééminence. Après le Major Gru- bert, dont aucun des nombreux retours Arzak nÊest plus par ailleurs ce salo- nÊa pu retrouver pleinement la magie du pard colérique et lubrique que son ins- Garage Hermétique, cÊest au tour dÊArzak tinct de survie rendait insensible aux de regagner le devant de la scène. Le souffrances dÊautrui. Il est désormais un guerrier à la curieuse cagoule allongée chevalier investi dÊune mission, presque qui chevauche un volatile préhistorique un Jedi ou un marshal fédéral. Une com- sÊétait dÊabord annoncé en 2002 par la paraison que justifie pleinement lÊam- série animée Arzak Rhapsody : des épi- biance western de cette première par- sodes très courts, au dessin épuré et aux tie (lÊhistoire complète se déroulera sur dénouements abscons. trois albums). Arzak y est tel un lieu- cit plutôt limpide et linéaire qui séduira LÊalbum qui vient de sortir, Arzak lÊar- tenant de cavalerie qui, au cours dÊune les amateurs des vieux Star Wars. Il penteur, nÊest pas vraiment une totale patrouille solitaire dans les canyons, dé- semble avoir produit ces planches nouveauté car les éditions Mflbius Pro- couvre un odieux trafic de scalps dÊIn- avec bonheur : on y retrouve son hu- ductions en publièrent lÊan passé une diens (ici des têtes de ÿ Wergs Ÿ). La mour, la fluidité de son dessin, la har- autre mouture sous le nom dÊArzak des- ville de Redmond est une parfaite diesse de sa mise en couleurs et ses pay- tination Tassili : un petit format en noir bourgade de Far West, avec son pou- sages stupéfiants emplis dÊun foison- et blanc dont les pages de gauche pré- voir local corrompu. nement de détails, support idéal du tra- sentaient un récit sous forme de texte, vail de lÊimaginaire. illustré par les planches de bédé muettes Il fut un temps où Mflbius était obs- qui se déroulaient sur les pages de droi- cur, mais aujourdÊhui il déroule un ré- Sans avoir la portée de son ancêtre, cet Arzak est un divertissement de qua- lité et lÊoccasion de se laisser bercer une fois encore par la voix du plus imagi- natif de nos vieux oncles. VLADIMIR LECOINTRE

c Du 12 octobre 2010 au 13 mars 2011, la Fondation Cartier consacre une expo- ARZAK, T.1 sition à lÊauteur dÊArzak, qui a toujours aimé LÊARPENTEUR les jeux de mots : Mflbius Transe Forme. Au programme, dessins originaux, scénogra- de Mflbius, phies annoncées comme spectaculaires et deux films inédits. Glénat et Mflbius Productions, c Une expo Mflbius a lieu du 15 octobre au 31 décembre 2010 à la galerie Slomka, 72 p. couleurs, 18 €

© Mœbius / GLÉNAT - MŒBIUS PRODUCTIONS © Mœbius / GLÉNAT 3 rue Dante 75005 Paris.

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A ctu B d Finalement, © Thierry Lemaire LE CRIME PAIE Six albums, 12 auteurs, qui planchent sur un même sujet : un braquage. Après « 7 », le scénariste et éditeur David Chauvel est revenu en début d’année à la tête d’un gang de talents pour une nouvelle série-concept : « Le Casse ».

epuis le début de lÊannée, se, parce que cÊétait limite hors sujet. tous les deux mois, des bra- Mais jÊai dit oui. Il y a plein de gens qui D queurs envahissent les li- détestent, qui nÊont pas compris ce que brairies. En août, cÊétait au tour de La cÊétait que ce livre. Et puis il y a plein Grande escroquerie dÊinvestir les bacs. La de gens qui ont trouvé ça formidable. série Le Casse a bien réussi son coup. Da- vid Chauvel, le cerveau à lÊorigine de Ils le détestent pour quoi exactement ? toute cette histoire, nous en dit plus. Ils ont été décontenancés pas les dia- logues, le parler moderne peu châtié. Comment avez-vous présenté le Ils eussent aimé que les personnages concept aux auteurs ? Il y avait des parlent comme dans Molière. Alors que consignes ou cÊétait carte blanche ? de toute évidence, ils parlaient à lÊé- ÿ Bonjour, le casse. Faites entre 46 et 62 poque romaine comme des charretiers. planches. Faites ce que vous voulez. Ÿ (rires) Et ça a dérangé beaucoup les gens. Ça Mais après, le travail de lÊéditeur, cÊest les a bloqués. On peut dÊailleurs se de- de veiller à ce que ça ne se ressemble mander si ce nÊest pas dommage que ça pas dans le thème ou lÊunivers, et aus- soit écrit comme ça parce que ça fait si que ça ne se ressemble pas dans le obstacle entre les gens et lÊhistoire. déroulement, dans les péripéties, dans les rebondissements, dans la fin. Il faut La Grande escroquerie, une histoire quÊil y ait une vraie diversité. sur les punks, est également très ori- DAVID CHAUVEL, CRÉATEUR DE LA SÉRIE LE CASSE ginale. Et chacun a proposé une période Oui, et ils ne sont pas là pour faire joli. phique. Je tiens, peut-être à tort, pour clarés, du coin, de chez moi. Je suis différente ? Ils auraient pu tous se Mais bon, jÊavais une confiance aveugle une série comme ça, à une unité de sty- irréprochable. Tout ça, en plus, pour dire, je vais faire contemporain⁄ en Fred Duval qui nÊa plus rien à le. Un projet avec des dessins qui ex- me faire un joli bureau. Et le pire cÊest Non, et je mÊen suis aperçu une fois que prouver. Il a mis en place une méca- ploseraient dans différents styles, ce se- que cÊest vrai. (rires) jÊai fait le bilan. Il nÊy a rien qui se pas- nique narrative très impressionnante, rait très intéressant, mais dans une autre se en France. Il nÊy a rien de très récent. qui fonctionne très bien. CÊest une his- optique je pense. Ça peut être réduc- PROPOS RECUEILLIS PAR Je pense que les auteurs se sont dits : toire qui se passe sur moins de 24 teur parfois, parce que ça élimine un THIERRY LEMAIRE le casse, cÊest époque moderne, urbain, heures. Il va réussir à entrecroiser les certain nombre de gens. à New York ou à Paris, donc allons destins de tous ces personnages, les ailleurs. Le mien est plus classique par- jeunes punks, les policiers corrompus, Finalement, toutes ces histoires ne ce que je savais ce qui avait été choi- les malfrats, les mecs de la french connec- sont pas très morales. CÊest presque si quand jÊai dû pallier une défection de tion, les hommes politiques. Tout se re- toujours le méchant qui gagne à la fin. dernière minute. trouve, tout se rejoint à la fin. CÊest très CÊest une tonalité que vous souhai- très fort. tiez ? Pour moi, le tome 2 se détache du lot Non. Alors, il fallait évidemment quÊil avec cette histoire sur la résurrection Si la diversité des époques et des am- y ait des casses qui réussissent et des du Christ. biances est grande, il y a moins de va- casses qui ratent. Et en même temps, Oui, il y avait des gens qui pensaient riété dans le graphisme des six albums. dans les histoires de casse, il nÊy a quÊil ne fallait pas le faire dans Le Cas- Oui, il y a une vraie volonté dÊunité gra- jamais vraiment de morale. Sauf quand les méchants se font arrêter comme des crétins la main dans le sac. Quand le casse marche, même à moitié, par na- ture ça ne peut pas être moral.

Après la publication des six albums, LE CASSE, T.4, quÊest-ce que vous allez faire du LA GRANDE ESCROQUERIE butin ? JÊinvestis dans la pierre. Je vais faire de Duval, Quet et Basset, agrandir ma maison. Je ne thésaurise Delcourt, pas, je ne cède pas au démon de la fi- 56 p. couleurs, 13,95 €

© Duval, Quet et Basset / DELCOURT nance. Je fais travailler des gens, dé-

26 A ctu B d NAGUÈRE LES ÉTOILES que la farce soit avec vous !

Des parodies de « Star Wars », on en a tous (ou presque) lu. La trilogie de George Lucas est un perpétuel sujet de moquerie et de clins d’œil, parfois gentils, parfois moins. Hervé Bourhis au scénario et Rudy Spiessert au dessin s’attaquent à leur tour à ce monument de la pop culture. © Bourhis et Spiessert / DELCOURT

es deux auteurs transfèrent, post-publication : les gags se lisent aus- sous des noms à peine dé- si bien séparément que présentés dans L guisés, les personnages dans le plan dÊensemble, jolie réussite en un univers de fantaisie fait de châteaux, termes dÊécriture. On y perd peut-être de moines cénobites, de fakirs, de bri- en personnalité, en revanche, les gands et dÊaigles géants (et cente- planches étant moins typées que dans naires). Ce faisant, ils renvoient lÊuni- les albums précédents du tandem. vers des Jedi à ses racines légendaires Mais la paire dÊauteurs nÊa pas perdu et mythologiques. Reprenant les pé- son esprit mordant, et cÊest souvent as- ripéties du premier film de 1977, ils dé- sez drôle. cortiquent les événements et leur don- nent une tournure risible, tantôt en lor- Mais est-ce drôle en soi, ou drôle par gnant sur lÊhumour de situation et les le décalage créé face au film de Lucas ? dialogues de sitcom, tantôt en traitant LÊhumour de Bourhis et Spiessert est à lÊhéroïsme par lÊabsurde. cheval, ne parvenant quÊune fois sur deux à dépasser sa matière. Le rythme La structure de lÊalbum pourra en dé- en gags nÊest-il pas un frein à une réel- concerter plus dÊun : le récit se dé- le envolée ? Et ce faisant, Bourhis et compose en strips dÊune Spiessert ne livrent-ils pas, fatale- demi-page, à chu- ment, un album moins personnel te, ce qui confère quÊIngmar ou le très réussi Hélas ? En un rythme étrange à tout cas, lÊentreprise nÊest pas vouée lÊensemble : les ra- à lÊéchec, avec un tel postulat : les fales de traits dÊhu- deux tomes suivants seront publiés mour peuvent, en ef- dÊici janvier 2011, afin de boucler fet, venir court-circui- une trilogie mordante et acide, ter lÊéquilibre de lÊen- mais pas originale. semble. Spiessert adop- JEAN-MARC LAINÉ te un style plus rond et lisse que dans Ingmar ou Hélas, son trait NAGU˚RE LES ÉTOILES, T.1 se prêtant désormais élégamment à la de Hervé Bourhis construction des gags (et à une éven- et Rudy Spiessert, tuelle édition en ligne). De fait, voilà Delcourt, coll. Shampooing, une série idéale pour toute forme de 48 p. couleurs, 10,50 €

27 zoom A ctu B d

La Vraie vie de Didier Super, de Didier Super et Emmanuel Reuzé Les fans du ÿ chanteur Ÿ du mur de Berlin aimeront L’ÉQUILIBRISTE peut être connaître son « La Peur du rouge », deuxième tome des souvenirs de jeunesse de Frédéric Neidhardt, est dans parcours. la même veine que le premier : drôle, crû et intriguant. L’auteur poursuit-il son œuvre d’impos- Les autres nÊen auront teur professionnel jusque dans son autobiographie ? rien à faire et ils auront raison car visiblement, le Didier, il sÊen moque aussi. Escroc ou faux génie ? La question se pose pour ses disques depuis dix ans. Elle est encore plus prégnante pour cette BD. Un délire sur scène est une chose, mais cela mérite-t-il un livre⁄ ? NÊest pas Grolandais qui veut. Que fait donc Emmanuel Reuzé ici ? Des dessins quÊil adapte au sujet (décalés, rapides, et au 36e degré). Et on se demande ce que cherche Delcourt avec cette histoire... Delcourt, 54 p. couleurs, 10,50 € PHILIPPE CORDIER Dans mon open space, T.3, Spéculation et

sentiments, de James © Fred Neidhardt / DELCOURT La joyeuse satire anthropo- morphique de lÊentreprise de James (dÊOttoprod ans Pattes dÊeph et col roulé (Del- Et puis, dans ce récit finalement as- fait une spécialité de tromper son Inc), court, 2008), le premier vo- sez léger – malgré la malsaine fasci- monde. La citation de Boris Vian, prépubliée lume de la BD autobiogra- nation dÊun collégien pour le régime choisie en introduction de dans D La Peur du Challenges, phique de Fred Neidhardt, nous dé- nazi –, survient un drame. Peu avant le rouge, sème encore plus le doute : revient pour couvrions un jeune garçon gauche et voyage retour, lors dÊune nuit en au- ÿ LÊhistoire est entièrement vraie, puisque je lÊai un troisième épisode. Et, chose surprenante, la série ne sÊessouffle obsédé par le sexe, ignare et plein berge de jeunesse, à Berlin Ouest, imaginée dÊun bout à lÊautre. Ÿ Il est donc lé- pas, se renouvelant même avec des dÊidées arrêtées (un ado de 12-13 ans lÊauteur décide de faire le mur. Dans son gitime de supposer que lÊauteur sÊest gags surfant sur lÊactualité. De la crise, quoi) dans les années 70. LÊalbum se dis- périple nocturne, il rencontre un mon- amusé à glisser de faux souvenirs dans à lÊéquipe télé en reportage – qui tinguait par sa précision linguistique, sieur de 40 ans environ, lÊair amène, qui son autobiographie. Et même si cela craque avant les employés – ou la lubie néo-hippie-écolo du boss, on lÊefficacité de son dessin et sa drôlerie le contraint à des rapports sexuels. Dif- nÊétait pas le cas, une telle citation dé- retrouve tous les rapports de force parfois amère. LÊauteur ne sÊépargnait en ficile de ne pas se remémorer une montre la volonté de Neidhardt de mê- de la jungle du monde du travail, effet pas grand-chose, racontant crû- autre séquence tragique du premier ler le faux et le vrai, plaçant ainsi ses lec- en réunion ou à la machine à café. Grinçant, lucide et drôle, on apprécie. ment certains épisodes de sa jeunesse tome, où le jeune Frédéric jouait avec teurs dans une troublante expectative. Dargaud, 48 p. couleurs, 10.95 € et évoquant sans concession la bêtise son voisin dÊimmeuble, un enfant mon- HÉL˚NE BENEY qui a pu être la sienne. ÿ JÊy vais fran- golien. Il lui montrait quÊil était capable OLIVIER PISELLA Page Noire, de Meyer, co. Je ne pense pas que je risque grand chose, de passer dÊune fenêtre à lÊautre de son Giroud et Lapière je ne suis pas assez important pour quÊon uti- appartement, par lÊextérieur, en lon- Romancier à lise mes épanchements pour me nuire ; et pas as- geant un rebord au dessus du vide. Il succès adapté sez parano pour mÊinquiéter outre-mesure Ÿ, dé- lÊincitait à sÊessayer à son tour à ce jeu à Hollywood, clarait-il dans un entretien accordé à Sé- dangereux. Son copain trouvait la Carson McNeal bastien Pernet en 2009. mort quatre étages plus bas. Inquiet des entretient le ennuis que cela allait inévitablement lui secret de son On retrouve le même jeune homme, causer, Frédéric se débarrassait alors de identité. Kerry à peine plus âgé, dans La Peur du rouge. sa responsabilité en se disant quÊil dé- Stevens, Nous sommes en 1981, lÊauteur est en clarerait être allé aux toilettes, et quÊà journaliste classe de 3e et part en voyage scolaire son retour il avait découvert la chambre pour le Tales & Writers, pour Berlin, alors coupée en deux. vide et la fenêtre ouverte. LÊauteur re- ruse et trouve une adresse ainsi que Encore une fois, Neidhardt nous offre prenait ensuite le cours du récit, com- les premiers chapitres de son un excellent moment de lecture : les at- me si cela nÊavait été quÊune péripétie. prochain roman, dont lÊhéroïne, Afia, est la seule survivante palestinienne titudes, le langage, la fixation sur le sexe du massacre du camp de Chatila par féminin et la stupidité juvénile se révè- Forcément, lÊaddition de deux évé- les phalangistes libanais. Un texte lent criant de vérité. Quelques mois nements aussi marquants, un par hyper réaliste qui annonce une tome, a de quoi déconcerter le lecteur grande interview pour Kerry. Et bien avant lÊaccession de François Mitterrand . plus encore⁄ One-shot au maillage au pouvoir en France, et huit ans avant Rien dÊimpossible, bien sûr, mais Frédé- LA PEUR DU ROUGE complexe, ce thriller enchevêtre la chute du mur de Berlin, les collégiens, ric Neidhardt est par ailleurs un im- fiction et réalité avec efficacité. encore peu mâtures politiquement, posteur récidiviste, un champion du ca- Futuropolis, 104 p.couleurs, 17 € de Frédéric Neidhardt, HÉL˚NE BENEY sÊadonnent à des discussions souvent nular. Que cela soit à la télévision (dans Delcourt, très amusantes, confinant parfois à la Ça se discute notamment) ou dans la pres- 128 p. couleurs, 13,95 € balourdise la plus puérile. se (pour LÊÉcho des savanes), lÊauteur sÊest

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A ctu B d ZOMBILLÉNIUM diablement attractif Le rêve : une fois mort, pouvoir travailler dans un parc d’attrac-

tion. Hum… à voir. À Zombillénium, ce serait plutôt un cauche- © Arthur de Pins / DUPUIS mar, comme nous l’explique Arthur de Pins dans sa nouvelle BD. DR

pressions. Et dÊailleurs, elle joue le rôle ter à lÊuniversité de magie et de faire un de Gretchen dans un roman-photo pont avec le livre, surtout de cette ma- paru dans Spirou pour annoncer lÊalbum. nière et surtout dans Spirou – dÊailleurs je ne suis pas sûr que les jeunes lecteurs Avez-vous une explication qui ne va aient compris lÊallusion. e diable a ouvert un parc dÊat- le genre. Par contre, là où je voulais fai- pas heurter les chÊtis sur le fait que ce traction ! Voilà qui va donner re un décalage, cÊest au niveau du thè- parc dÊattraction sinistre se trouve à Pour conclure, quelques indices pour L du travail aux morts-vivants, me. Le parallèle entre lÊunivers de 10 minutes de Valenciennes ? le prochain tome ? fantômes et vampires. Et notamment lÊentreprise et lÊunivers des monstres. Oui, cÊest sûr⁄ Bon, je pense quÊils ont Ça va plus être centré sur Francis, sur à Aurélien Zahner, recruté par la jeu- de lÊhumour. Après, il y a plusieurs rai- son rôle de directeur du parc. Com- ne sorcière Gretchen, juste après son Donc en gros, être employé dans un sons. Le Nord, dans la littérature ou le ment il fait face à la fronde des habi- accident de la circulation. Drôle dÊef- parc dÊattraction, cÊest un peu lÊenfer. cinéma, est toujours le théâtre de tants du village voisin. Il y aura de nou- fet quand même de se rendre compte Oui, il paraît que ce nÊest pas évident. drames sociaux. DÊautre part, jÊai beau- veaux personnages. Et puis Aurélien et que toutes ces créatures existent réel- CÊest un parc dÊattraction, mais je coup de mal à dessiner les décors, donc Gretchen, bien évidemment. lement. Arthur de Pins, lui-même bien voulais surtout parler de lÊentreprise en le plat pays, ça mÊallait bien. Et puis cet- vivant, répond à nos questions sur ce général et de la hiérarchie. Le fait de te topographie permet aussi au parc de PROPOS RECUEILLIS PAR premier tome dÊune série frissonnante ne pas pouvoir partir, le fait dÊavoir des sortir de nulle part. THIERRY LEMAIRE dÊintelligence. contraintes dÊhoraire, de rentabilité. Michael Jackson nÊétait pas encore Zombillénium, cÊest lÊenvie dÊun grand Comment est venue lÊidée de cette sé- mort quand vous avez décidé de pla- fan de films dÊhorreur ? rie ? cer une chorégraphie de Thriller Disons que jÊai toujours aimé les Frédéric Niffle, le rédacteur en chef de dansée par un zombie. Pensez-vous monstres, mais je ne suis pas un fan ab- Spirou, mÊavait appelé il y a deux ans avoir une responsabilité dans son solu de films dÊhorreur. DÊailleurs, mes pour me demander de faire la couver- décès ? personnages ne versent pas trop dans ture du spécial Halloween. Je lÊai fait, Il est mort la veille ou le jour même où lÊoriginalité, physiquement. Je nÊai pas jÊai pris du plaisir à le faire et lui était la planche est parue dans Le Journal de voulu révolutionner graphiquement content du résultat. Et après coup, il Spirou. La planche en question, je mÊa dit ÿ ça ne te dirait pas de faire une sé- lÊavais faite un mois avant. Oui, je me rie dans la même veine ? Ÿ, et jÊai construit suis demandé si je nÊavais pas le pou- lÊhistoire à partir des personnages de voir de faire mourir les gens que je des- la couverture. sine. Je vais peut-être pouvoir faire Ra- phaël ou Vincent Delerm (rires). Plus Le titre de lÊalbum fait clairement al- sérieusement, jÊétais très triste quÊil soit lusion à un roman policier suédois. mort, et sÊil était mort avant, je ne sais Quand jÊai commencé la BD, je nÊavais pas si jÊaurais fait ce personnage. pas encore trouvé le titre et jÊétais en ZOMBILLÉNIUM, T.1 train de lire la trilogie Millénium. Et lÊhé- Dans lÊalbum, il y a également une GRETCHEN roïne a un peu les mêmes traits. Donc, révélation stupéfiante sur la sexualité ça convenait bien. Pour la petite his- dÊHarry Potter. de Arthur de Pins, toire, Gretchen est complètement ins- Gretchen est une sorcière mais aussi Dupuis, pirée par une copine. Je lui ai donné ses une jeune femme de 24 ans. Je trouvais 48 p. couleurs, 13,50 €

© Arthur de Pins / DUPUIS traits, son comportement et ses ex- marrant de la faire croiser Harry Pot-

30 A ctu B d Dis-moi ce que tu enfantes, JE TE DIRAI QUI TU ES © Elghorri et Dufaux / LE LOMBARD Dans l’espace, personne ne vous entendra crier. Dans le futur, revu et corrigé par Elghorri et Dufaux, point davantage de salut. «Alien» / « Medina », même combat ? ans une cité futuriste totale- trop au risque dÊémousser le fin mot de ment cafardeuse nommée lÊhistoire. Bénéficiant dÊun découpage et D Medina, une poignée dÊun graphisme plutôt académique, dÊhommes sÊengage à corps perdus lÊalbum nÊen est pas moins efficace à la dans une bataille qui semble, en appa- faveur dÊun trait nerveux et assuré, rence, perdue dÊavance. En face, les soutenu par de superbes couleurs et une Drax, cohortes de créatures cauche- violence graphique adaptée à un univers mardesques infectieuses, avides de sang dÊune grande rugosité. Mine de rien, les et protéiformes, tantôt chauve-souris ef- auteurs nous tiennent en haleine jusquÊà frayantes, tantôt monstres rampants à un tome 2 quÊon espère aussi haletant. mi-chemin entre Alien et Starship Troopers. Et la pirouette de la case finale, en LÊenjeu est de taille : Hadron, une ado- contrepoint parfait de la toute première, lescente jusque-là propriété des Drax, est un joli clin dÊflil, comme on aime- a été capturée par les humains et por- rait en admirer plus souvent⁄ te en elle un bien lourd fardeau⁄ GERSENDE BOLLUT Le futur selon Elghorri (Factory) et Dufaux (Jessica Blandy) nÊa rien dÊune promenade de santé. Dans cette nou- velle série, le duo nous plonge dans un univers post-apocalyptique poisseux et déprimant où la lutte pour la survie nÊest pas un vain mot, tout en évoquant furieusement le film de SF District 9 par certaines thématiques (la copulation entre hommes et monstres, le sous- texte politique). Le lecteur sÊinterroge sur les origines de ces Drax à lÊoccasion dÊune autopsie qui lève à peine le voi- le sur le mystère qui nimbe des créatures aux motivations peut-être plus ÿ hu- maines Ÿ quÊil nÊy paraît. Plus encore, il trépigne de connaître les intentions de cette fille mise enceinte par un Drax, MEDINA, T.1 sans connaître lÊavenir qui attend les LES DRAX espèces entremêlées dans son ventre. Astucieusement, le scénario ne grille pas de Yacine Elghorri toutes ses cartouches et délivre au et Jean Dufaux, compte-gouttes suffisamment dÊinfor- Le Lombard, mations pour ne pas frustrer, mais pas 54 p. couleurs, 13,50 €

31 zoom A ctu B d Mezolith, Livre 1, de Haggarty et Brockbank Une excellente surprise proposée par Soleil Celtic, mais il faut Les Bidochon reconnaître quÊil sÊagit de la traduction dÊun album anglais, réalisé par au four (solaire) et au moulin (à poivre) deux grands professionnels

du conte et du cinéma. LÊaction se DR Après le téléphone portable et internet, les Bidochon conti- déroule prés de la mer du Nord, sous lÊère du mésolithique (- 10 000 ans nuent d’explorer les nouvelles technologies, et cherchent le avant J.C.). Un adolescent de la tribu confort dans les gadgets vendus par correspondance. Christian Kansa nous fait découvrir la dure réalité de lÊépoque, mais nous Binet, qui met en scène ce couple de Français si typiques sommes très loin dans le ton des aventures pédagogiques de Rahan. La depuis 30 ans, commente pour nous le nouvel album… vie quotidienne semble avoir été mise en scène avec réalisme (âmes sensibles sÊabstenir), mais de beaux Où cherchez-vous les thèmes des al- en confier temporairement. Ce serait récits, rêves et souvenirs, apportent bums ? amusant de confronter le goût de la un peu de grâce à la cruauté et au Je ne les cherche pas vraiment. CÊest la routine de Robert avec des éléments dénuement. Dessin magnifique, scénario hors normes ! vie quotidienne qui me les apporte sur perturbateurs comme des enfants. Ne Soleil Celtic, 86 p. couleurs, 14,90 € un plateau. Des sujets dÊalbums, jÊen ai serait-ce que pour la bagarre autour de JEAN-PHILIPPE RENOUX presque 30 dÊavance. CÊest autant de ti- la possession de la télécommande de Les Envahissants, roirs dans lesquels jÊaccumule des élé- la télé ! de Voyelle et Maloup ments au fur et à mesure que viennent Ce one-shot les idées. Il y a certainement des Quand vous les avez créés il y a 30 est un joyau ! thèmes que je nÊaborderai jamais. Un ans, vous étiez nettement plus jeune ¤ travers bon thème nécessite dÊêtre assez ouvert que vos personnages. ¤ présent, lÊhistoire de Marie, pour être développé sur 45 pages. vous êtes plus âgés quÊeux. Ceci a-t- étudiante LÊalbum sur internet mÊavait posé ce il un impact sur le regard que vous enlisée dans problème : après une première histoi- portez sur les Bidochon ? sa thèse et par ricochet dans re, jÊétais resté bloqué pendant six Ce qui change le regard, ce nÊest pas la solitude, qui mois. 45 pages avec deux person- lÊâge, cÊest lÊexpérience quÊon a pu ac- se retrouve nages derrière un écran dÊordinateur, quérir avec le temps, en sÊinterrogeant colonisée par des personnages imaginaires, les deux CHRISTIAN BINET cela risquait dÊêtre monotone. Puis sur lÊhumanité, la vie, la mort. Quand jeunes auteurs décrivent avec jÊai trouvé un système pour ouvrir lÊes- on est jeune, on schématise beau- tendresse et drôlerie le pouvoir de ans le tome 20, les Bidochon pace : puisque internet apporte tout coup, on emploie beaucoup de clichés. lÊimagination sur la procrastination. Le sergent Glooms, le morse Raol sont confrontés à un certain chez soi, je me suis mis à faire appa- En vieillissant, on apprend à connaître et la bimbo philosophe Candy-Crystal nombre de gadgets plus ou raître dans leur salon tout ce quÊils les gens, on sÊintéresse à ce quÊils font, relancent avec humour son D moins farfelus⁄ voient sur lÊécran. Les thèmes naissent on les écoute. La perception quÊon a des mécanisme de création et deviennent Christian Binet : Farfelus, cÊest vous qui comme ça. JÊy réfléchis longtemps autres devient plus subtile. Les Bido- pour le lecteur un authentique médicament contre la grisaille le dites : la plupart existent réellement ! avant. Là, je suis en train de préparer chon sont devenus plus sympathiques ambiante. Joyeusement anxiolytique ! Le plus drôle, cÊest que les rares objets le prochain album, qui sera encore une au fur et à mesure à cause de cela. Par- Jean-Claude Gawsewitch, collection que jÊai inventés pour lÊalbum ne sont fois dans lÊair du temps, puisquÊil sÊagi- ce que finalement, ce sont des gens Pénélope Bagieu, 128 p. couleurs, 17 € HÉL˚NE BENEY pas les plus improbables. Par exemple, ra dÊécologie et de ÿ protection de la simples qui ne font de mal à personne. le parasol bronzant qui laisse passer les planète Ÿ. Je regarde donc ce qui se fait, Le Rêve du Papillon, T.1, UV existe pour de bon ! je fais mon marché. Les toilettes sèches Lapins sur la Lune, PROPOS RECUEILLIS PAR ou le compost avec des vers, le tri sé- JÉRłME BRIOT de Richard Marazano La véritable star de lÊalbum, cÊest le lectif... Il y a de plus en plus de sujets et Luo Yin moulin à poivre électrique éclairant ! possibles autour de cette thématique. Égarée dans la neige à cause Un jour, il y avait un orage et une pan- dÊune ne de courant. Cela mÊa inspiré lÊanec- Dans les premiers tomes, les Bidochon tempête, dote de Robert Bidochon, ne possédant suivaient le parcours type du ména- lÊeffrontée Tutu se que ce poivrier pour toute lampe de ge qui sÊinstalle dans lÊexistence. retrouve bien poche, et changeant ses plombs en sau- LÊexpérience de la parentalité en désarçonnée poudrant de poivre tout son intérieur. moins, puisque Robert est stérile⁄ quand elle échoue CÊest un objet que jÊutilise plusieurs fois CÊest vrai, les Bidochon ne peuvent pas dans une dans lÊalbum, car il est à la fois absur- avoir dÊenfants, mais on pourrait leur ville étrange de (qui peut bien avoir besoin dÊéclai- peuplée dÊanimaux anthropomor- phiques qui nÊaiment pas les rer son steak au moment de le poivrer ?) intrusions dÊétrangers⁄ à travers un et très répandu. superbe dessin, mélange de manga et de dessin réaliste européen, Luo Yin met agréablement en images ce conte Pour la première fois, dans cet album, initiatique onirique, à mi-chemin vous avez glissé une touche de cou- entre Le Voyage de Chihiro et Alice au leur⁄

Pays des Merveilles. Imprégnés de CÊest un petit truc en plus pour le tome © Binet / FLUIDE GLACIAL la culture chinoise, les graphismes LES BIDOCHON, T.20 doux servent un propos à plusieurs 20. Dans lÊalbum, ce sera fluorescent, niveaux : les messages sur la ça va être éblouissant ! Mais nÊallez pas de Binet, tolérance ou la désobéissance croire que cÊest le début dÊalbums en toucheront les plus jeunes, tandis Fluide Glacial, que les adultes seront sensibles couleurs. Le noir et blanc me convient 48 p. n&b, 10,40 € aux allusions politiques et sociales. très bien. Dargaud, 54 p. couleurs, 13,50 € WAYNE 32

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ABC Warriors, T.1, La Guerre Volgan, Pat Mills et Clint Langley Après Slaine, ABC Warriors est la Voyage au cœur série emblématique de Pat Mills. Sa fascination pour la mythologie wagnérienne y est à son paroxysme. d’un shtetl fantasmé Elle est cependant mâtinée par une certaine théâtralisation qui place sa démarche De retour du monde du cinéma, le prolifique Joann Sfar revient à ses premières amours, pour au-dessus des soupçons de une fresque épique sur Marc Chagall. complaisance. LÊimage et le récit chez Mills se doivent en effet dÊêtre écrasants afin de mettre en exergue rabbin. Je voulais aussi mettre en avant tant codifiés que des polars – il y a tou- la vacuité de lÊexistence par rapport à DR lÊHistoire. Les ABC Warriors sont des des figures tutélaires qui nous font ai- jours le papa qui refuse de donner sa fille machines de guerre, des robots qui mer notre pays. CÊest constant dans en mariage, le jeune qui veut lÊépouser, rêvent de leur humanité alors quÊils mon travail depuis quelques années : jÊai le rabbin qui soi-disant donne de bons ne sont que les instruments interchangeables dÊun conflit post- fait tour à tour Antoine de Saint- conseils⁄ Je prends tous ces codes et nucléaire. La lecture de cette saga est Exupéry, Serge Gainsbourg, je vais di- je les fous en lÊair à ma façon : au bout exigeante, mais mérite que lÊon sÊy riger lÊexpo Brassens au Musée de la mu- du compte, je voudrais que ça ressemble attarde, surtout que la palette visuelle 1 de Clint Langley est pour le moins sique ⁄ Il me semble que Chagall ré- davantage à du Hanokh Levin (dra- impressionnante. sume un peu ça : un artiste qui sÂest épa- maturge israélien, NDLR) : il utilise tous Soleil, Anticipation, 100 p. coul., 14,90 € noui en France tout en venant dÊailleurs, ses personnages pour les emmener KAMIL PLEJWALTZSKY et qui sÊadresse aux enfants comme aux très loin dans la violence et le nÊimporte Jade 320u, collectif adultes. quoi. En posant comme thème Chagall en Russie est donc à lire avec CÊest ce que vous faites dans le de son dernier opus ÿ comment une dimension politique ? tome2de Chagall ? votre entourage Comme beaucoup de gens, je suis très Mes lecteurs mÊont beaucoup reproché vous perçoit-il en préoccupé par le climat en France en ce de ne jamais faire la suite de mes séries : tant quÊauteur de moment ; il serait irresponsable dÊen te- or pour moi il nÊy avait pas de suite, je BD ? Ÿ, la revue Jade, organe nir pour seul coupable le gouvernement, mettais ÿ à suivre Ÿ comme dans une collectif officiel je crois que le principal problème, poésie⁄ Je me suis donc engagé de lÊéditeur 6 JOANN SFAR cÊest que les gens ne sÊaiment pas : ils ne pour ce livre à faire une histoire qui se Pieds sous terre, avait décidé de plomber lÊambiance. Ce numéro dÊété uand Joann Sfar sÊattaque à sÊaiment pas eux-mêmes, et les diffé- boucle. Le deuxième tome sort en dé- 2010 parle en effet dÊamertume, de Chagall, cÊest toute la nébu- rentes communautés qui vivent sur le cembre et ce qui mÊamuse, cÊest de pié- déception, voire de honte. On est loin leuse interne du dessinateur sol français se détestent cordialement. ger le lecteur : au début, on peut se dire des plages ensoleillées et des jolies Q filles en maillot, mais on est quand qui se déroule en filigrane. Porté par une Sans doute les artistes ont-ils leur res- ÿ cÊest mignon, on dirait Un Violon sur le même sous le plaisir exactement. vivacité sautillante, le premier tome de ponsabilité là-dedans : notre boulot nÊest toit Ÿ, et après il y aura des viols, de lÊan- Plaisir de lire Fabcaro, James, Sylvain ce Chagall en Russie sÊattache au monde peut-être pas de faire de la politique, thropophagie⁄ CÊest toute lÊhistoire de Ricard, Pascal Jousselin, Wilizecat, Joël Legars et Terreur Graphique, entre fantasmagorique dÊun peintre enferré mais cÊest en tout cas de sentir lÊam- la soi-disant naïveté. On mÊa cassé les autres. Des histoires cette fois dans son univers intérieur, qui se biance dÊun pays, et dÊêtre capable de couilles avec Saint-Exupéry en disant souvent sombres mais toujours aussi confronte à la réalité extérieure sur lÊar- créer des fluvres pour que les gens sÊy quÊil était naïf : or il était aviateur, il a chouettes, ce qui nÊa rien dÊincompatible. deur dÊun amour. Liberté et aliénation, retrouvent. Je ne vais pas tout à coup vu crever les deux tiers de ses copains 6 Pieds sous terre, 56 p. n&b, 7 € discrimination et folklore juif dÊEurope transformer mes personnages en Roms pendant la guerre ! Ça ne lÊempêche pas THIERRY LEMAIRE de lÊEst⁄ Prenant ses distances avec la qui arrivent en Seine-Saint-Denis, mais de faire une histoire comme Le Petit prin- biographie dÊun peintre quÊil a étudié du- quand on voit ces histoires dÊune ban- ce, dans un registre de représentations Les Plumes, T.1, de Baraou et Ayroles rant sa maîtrise de philo, Joann Sfar de de clochards qui se fait un peu foutre très douces.Un de mes tableaux préférés Comme précisé poursuit lÊexploration de ses ÿ petits dehors partout où elle va, on se doute de Chagall sÊappelle ¤ la Russie, aux ânes dans un mondes Ÿ, toujours émaillée de pré- bien de ce que je veux raconter ! De la et aux autres, il représente une femme qui communiqué cieuses réflexions portées par des per- même façon que Pagnol avait ses Mar- laboure son champ alors quÊon vient de éditorial, ce livre est à classer sonnages devenus familiers, ÿ placés dans seillais, moi jÊai toujours ma bande de la décapiter : sa tête flotte au-dessus de dans le genre ses angoisses du moment Ÿ. Juifs. Il y a aussi lÊenvie de faire vrai son corps avec du sang partout, et cÊest ÿ aventures ÿ conte du shtetl2 Ÿ, comme dans les ré- souriant, joyeux⁄ Cette représentation littéraires Ÿ. Quatre écrivains Pourquoi sÊattaquer à Chagall ? cits de Isaac Bashevis Singer (écrivain de lÊhorreur dans un contexte irréalis- au profil Joann Sfar : Pendant le ÿ traumatisme Ÿ polonais, NDLR) : ces récits sont au- te, quasiment issu du cirque, mÊintéresse contrasté quÊa représenté le tournage du film (un talentueux maladif, un créatif Gainsbourg pour un solitaire comme insatisfait, un cynique grognon et un poseur dragueur) ont pris pour moi, jÊai eu envie de raconter les affres habitude de discuter des heures dans dÊun type qui aimerait bien dessiner, un bistrot parisien. Au désespoir mais qui est obligé de se cogner à un du patron, ils limitent leur consommation à des cafés, alors que truc collectif – même sÊil est bien © Sfar / GALLIMARD leurs personnages remplissent toute content, il y a des névroses là-dedans. la salle. Il sÊagit dÊune peinture réussie JÊai donc imaginé ce peintre qui sÊest en- des milieux littéraires (éditeurs, attachés de presse, libraires, gagé à faire un opéra à la suite dÊun journalistes) qui comblera les initiés. concours de circonstances, et qui Scénario ambitieux de Baraou, dessin sÊemmêle les pinceaux. Ce Chagall, cÊest remarquable de François Ayroles. finalement un peu le peintre russe Dargaud, 96 p. couleurs, 18 € MICHEL DARTAY quÊon voit dans le 5e volume du Chat du

34 A ctu B d © Sfar / GALLIMARD

beaucoup. Davantage que la peinture plus heureux là-dedans quÊailleurs, ça fait de Chagall, mes références ont été très peur⁄ CÊest un peu Rip van Wink- Popeye, Les Pieds Nickelés, les bonshommes le (nouvelle de Washington Irving, qui surjouent, comme dans les comé- NDLR), tu es chez les lutins ! DÊailleurs dies musicales : quand ils sont amou- jÊadore lÊheroic fantasy ; on sÊest remis à reux, ils ne vont pas juste dire ÿ je tÊai- Donjon avec mon copain Trondheim, on me Ÿ, mais ils volent dÊarbre en arbre, ils a écrit deux livres quÊon va dessiner, qui sautillent partout ! LÊun des déclencheurs sortiront en septembre prochain. Je vais de Chagall, cÊest le film Liberté de Tony peut-être arrêter pendant un moment Gatlif : James Thierrée y joue le rôle mes BD juives. JÊaimerais bien mÊinté- dÊun Gitan, il campe le héros des gens resser à la France, jÊai envie de faire une qui prennent des coups de pied au cul. série sur les philosophes français du Ça mÊa donné envie de faire des bons- XVIIIe siècle, une petite tribu complè- hommes comme ça ! tement couillonne, ridicule, voir jus- quÊoù je peux les emmener⁄

Chagall peut redessiner son ami Tam PROPOS RECUEILLIS PAR pour le façonner à son goût ; sÊaf- JULIE BORDENAVE franchir de la réalité, cÊest quelque cho- se que vous ressentez avec le dessin ? 1 ÿ Brassens ou la liberté Ÿ, du 15 mars au 21 Oui, cÊest un endroit où tu fais ce que août 2011, Cité de la Musique, Paris XIXe 2 Petite ville ou quartier juif en Europe de lÊEst tu veux ; cÊest à la fois très agréable, et avant la Seconde Guerre Mondiale. un peu angoissant, ça donne des libertés bizarres. Je voulais bien faire com- prendre dès le début de Chagall quÊon est dans son monde, et non dans la vraie vie : si un bonhomme ne lui plaît pas, il le redessine autrement. Le livre est parti de cette phrase de Chagall : ÿ jÊaurais voulu prendre les Juifs de mon vil- lage et les mettre en sécurité dans un tableau Ÿ. CÊest une histoire sur un type qui va es- sayer de mettre en sécurité son petit monde ; en fait jÊaime bien les petits mondes, comme chez Don Camillo.

Quand vous dites ÿ angoissant Ÿ, vous parlez du risque de se couper de la réalité ? Bien sûr. Tu nÊes pas artiste parce que tu as un truc de plus que les autres, mais CHAGALL EN RUSSIE parce que tu as un truc de moins ! Tu PREMI˚RE PARTIE es angoissé le matin, tu fais chier tout de Joann Sfar, le monde tant que tu nÊas pas fait ton Gallimard, dessin⁄ CÊest un méga-bouclier. 64 p. couleurs, 13,90 € Quand tu te rends compte que tu es

35 zoom A ctu B d Les Aventuriers du dimanche, T.I,Le Tour des donjons, de Boudart Un nouvel auteur de lÊéditeur communautaire

Manolosanctis, © Sokal / CASTERMAN Jean-Philippe Boudart (alias Toundra), nous présente un récit dÊhéroic fantasy farfelu. Et pas facile, le sujet étant éculé et donnant souvent lieu à des choses sans intérêt. LÊhistoire ? Barbaroxe et sa guilde de bras cassés (un mage au parchemin foireux, un chevalier fils-à-maman, un alcoolique⁄) sont en quête dÊun donjon. Avec humour et ÿ coolitude Ÿ , il revisite le genre à la sauce geek (canettes de cola et langage SMS fleurissent !). Un dessin contemporain faussement naïf allié à une agréable mise en couleurs mettent une touche supplémentaire à lÊoriginalité de cet album ÿ überclasse Ÿ. Manolosanctis, 64 p. couleurs, 14 € WAYNE Les enquêtes dÊAndrew Barrymore, T.1, Old Creek, de Valembois et Delestret Le shérif dÊOld Creek a un nouvel adjoint, Andrew Barrymore ; un pied tendre fraîchement débarqué avec des méthodes dÊinvestigation KRAA : un anti-Avatar apprises à lÊuniversité. Cela Chez Benoît Sokal, deux sentiments ont toujours prédominé : d’une part, une forme de pessi- tombe bien, car Cunnigham, lÊépicier, a été retrouvé mort misme tenté par le sarcasme ; c’est la face « Canardo ». D’autre part, une inclination au lyrisme dans son échoppe. La veille, il sÊest disputé avec le forgeron à propos dÊune sombre qui ouvre les vannes de l’imagination. Il y a l’un et l’autre dans « Kraa ». histoire dÊargent. Andrew suspecte que le meurtrier soit en réalité une femme. Il faut faire vite car Barry le forgeron risque n ne peut comprendre Kraa aventure quÊil ne maîtrise pas, ne déjà. Ici, lÊavatar nÊest pas un humain dÊêtre lynché à tout moment. Les citoyens sans connaître la carrière crache pas dans la soupe. Il tente transformé en être fantastique, mais un sont déjà sur les nerfs à cause des singulière de Sokal. Né en bien, avec LÊAmerzone (1986), de la aigle qui jette sur ce monde un regard nombreuses tensions qui règnent à Old O 1954, il est issu dÊune famille de scien- mener vers quelque chose de plus moins larmoyant, hollywoodien à tout Creek⁄ Ne cherchons pas à solutionner lÊenquête. Le scénario ne le permet pas : tifiques (son père est médecin, sa ambitieux, se consacrant ensuite à dire, autrement plus froid et désabusé. beaucoup dÊéléments parasitent lÊénigme. mère dentiste). Sokal forge son goût quelques romans graphiques comme Comme de juste, un jeu vidéo tiré de Quant aux clefs qui permettent de pour la bande dessinée animalière à Sanguine (1987) ou LÊHomme qui nÊécrivait lÊalbum est en cours de développement. trouver le coupable, elles se trouvent hors de portée du lecteur⁄ En dépit lÊombre dÊun père qui entretient une plus (1996). dÊun dessin agréable, lÊunivers dÊAndrew ménagerie pour ses expériences mé- DIDIER PASAMONIK déçoit. dicales⁄ Est-ce pour effacer cette Mais le regard de Sokal est déjà Dargaud, 48 p. coul., 11,50 € KAMIL PLEJWALTZSKY ignominie que le jeune Benoît sÊinscrit ailleurs. Il collabore avec Casterman un temps à la faculté vétérinaire ? Mais aux premières créations sur lÊoutil Spirou et Fantasio, T.51, la vraie passion du jeune homme, numérique et se retrouve embarqué Alerte aux Zorkons, cÊest la BD. Il y entre alors quÊelle est dans le jeu vidéo dÊaventure avec une de Yoann et Vehlmann en pleine révolution. La première éco- suite de succès retentissants : LÊAmerzone Le pari est le de bande dessinée avait ouvert ses (plus dÊun million de jeux vendus), relevé. Oubliée la période portes à Bruxelles en 1968 : LÊInstitut Syberia, Syberia 2, LÊ˝le noyée, Paradise⁄ Morvan & Saint-Luc, bientôt dénommé ÿ LÊAte- Il cède bientôt le dessin de Canardo Munuera, la lier R Ÿ, dirigé par Claude Renard. De (dont il conserve le scénario et la mise reprise de Spirou par le couple son giron sortent François Schuiten, en scène) à son assistant Pascal Yoann & Andréas, Philippe Berthet, Bézian⁄ de Regnaud. Vehlmann, déjà même que Benoît Sokal, un de leurs signataire dÊun one-shot condisciples et un album manifeste : Le Le voici revenu à la BD, retrouvant diversement Neuvième Rêve (1977). Les pages de la jouissance du papier et des couleurs apprécié, signe un retour en force de la Sokal y apparaissent comme les plus avec Kraa, un album dÊaventure où So- série-mère. Dans un Champignac-en- brillantes. kal retrouve sa fibre animalière, contant Cambrousse mis en quarantaine à la suite dÊune épidémie provoquée par Zorglub lÊhistoire dÊun jeune Indien qui assiste, (encore lui), notre groom et ses amis Mais le dessinateur aime lÊart du angoissé et vengeur, à la destruction de croisent une galerie de monstres que contrepied. Dans la très intello revue sa vallée perdue aux confins du Grand KRAA nÊaurait pas reniés Franquin, retrouvant LA VALLÉE PERDUE au passage le dinosaure du Voyageur du (¤ Suivre) (1978), ce nÊest pas le Sokal Nord par des explorateurs peu scru- Mézozoïque dans une aventure menée léché et esthétisant que lÊon voit pa- puleux, responsables du meurtre de ses tambour battant, pas loin des meilleurs de Benoît Sokal, raître mais celui, parodique et cy- parents. On pense à Avatar, le film à Casterman, crus de Tome & Janry, teintée dÊhumour nique, de L La série a succès de James Cameron, pourtant le et dÊallusions politiques. Prometteur pour ÊInspecteur Canardo. 96 p. couleurs, 18 € la suite ! du succès et lÊauteur, subissant une script est écrit depuis plusieurs années Dupuis, 56 p. couleurs, 9,50 € GERSENDE BOLLUT 36

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Le Troisième Testament, T.1, Julius, de Dorison, Alice et Recht Immense succès du début des années 2000, la série Le 1 linceul, Troisième Testament est devenue la référence fondatrice de nombreuses BD mêlant histoire, aventure et ésotérisme. Sept ans après le dernier tome, Xavier Dorison et Alex Alice reviennent aux commandes pour redonner vie à leur saga par lÊintermédiaire dÊune préquelle. Fini le moyen-âge, le tandem de PETITS créateurs remonte le temps pour 3 sÊattaquer au destin de Julius Publius Vindex, un général romain surnommé ÿ Le boucher dÊAlexandrie Ÿ, mais dont lÊhistoire va se souvenir comme lÊun des prophètes ayant reçu la parole de Dieu. Comment celui-ci accomplira-t-il son

MIRACLES © Mangin, Bajram, Neaud / QUADRANTS destin ? CÊest ce que les auteurs, associés à Robin Recht pour le dessin et à François Lapierre pour les couleurs, sÊattachent à raconter dans cette nouvelle saga qui promet le Attendu depuis fort longtemps, le nouvel album de Valérie Mangin et Denis Bajram propose trois meilleur. De la grande BD, épique, visions de l’apparition du Saint-Suaire au XIVe siècle. Variations sur un même thème, les diffé- merveilleusement scénarisée et superbement mise en images. rentes histoires offrent également une réflexion intéressante sur les capacités narratives de la Glénat, Grafica, 80 p. couleurs, 14,99 € YANNICK LEJEUNE bande dessinée… Le Fond du Bocal, T.6, e Saint-Suaire, ce linceul qui la dater (le lin ne préserve pas le car- pacités narratives du medium BD, de Nicolas Poupon aurait recueilli la dépouille du bone 14 correctement), ni lÊexpliquer jouant sur la déclinaison de ses cases, LÊéminemment Christ descendu de la Croix, (lÊimage de lÊhomme contenue dans le la variation de leur séquençage et lÊuti- sympathique L Nicolas Poupon est-il vrai ? La question est on ne peut linceul présente les propriétés phy- lisation des textes. En effet, chacune des poursuit son plus moderne : la relique la plus célèbre siques dÊun négatif photographique). trois histoires reprend un maximum des exploration du du monde chrétien reste très contro- dialogues et des dessins, certes retra- quotidien pas si versée : les scientifiques nÊont jamais pu CÊest justement sur la base de ces in- vaillés en fonction de lÊambiance, des morne de ses vertébrés terrogations que le les auteurs de lÊal- deux autres. LÊensemble donne lieu à un préférés, dont bum proposent trois hypothèses met- véritable jeu de piste qui donne une lÊexistence se tant en scène Luc, jeune sculpteur tra- nouvelle dimension à lÊfluvre. Pour en résume globalement à vaillant sur lÊune des fluvres destinées profiter pleinement, les auteurs livrent sÊinterroger sur le monde. Un monde à la nouvelle église collégiale de la pe- une table des matières multidimen- en crise au cflur de cet album inédit tite ville de Lirey. Commandité par le sionnelles dans lÊalbum et une version (finies les rééditions de planches) dont lÊhumour grinçant en met, mine de rien, seigneur Geoffroi de Charny, un no- interactive et ludique sur leur site web. plein les gencives à nos gouvernements table venant de financer lÊédifice, le hé- ¤ explorer ! actuels. Intrusion de poissons SDF, de ros est loin de se douter des ennuis quÊil burqa confondant friture-lambda avec YANNICK LEJEUNE des méduses, pancarte ÿ étrangers va rencontrer à quelques jours de la pre- dehors Ÿ et parti politique de Musso et mière apparition publique du Saint- Adolph, cette livraison est franchement Suaire. De cette base assez simple, engagée. Logique, pour des dirigeants qui touchent eux-mêmes souvent le Mangin et Bajram extraient trois récits fond du bocal. très différents. Dans le premier, Dieu Drugstore, 64 p. couleurs, 9,50 € existe. Le suaire pourrait donc être vrai, GERSENDE BOLLUT saint et sacré. Dans le deuxième, Dieu La Recherche dÊemploi, nÊexiste pas. Le linceul est donc une de Chamblain et Tyef simple machination issue de la main de Entre un lÊhomme. Et dans la dernière variation, demandeur les auteurs sÊécartent de la question de dÊemploi et son agence Pôle lÊorigine pour explorer une option ico- Emploi, la vie noclaste : Dieu serait radioactif⁄ est rarement un long fleuve tranquille. ¤ vrai dire, la simple mention du trio Excessivement Mangin, Bajram, Neaud devrait suffi- documenté re à convaincre la plupart des lecteurs (pour preuve, lÊutile lexique de BD de se plonger dans cet album. Si en ouverture) et malgré un dessin sans lÊattente a été longue, ceux-ci revien- TROIS CHRISTS grande saveur, cet album aligne des gags nent en pleine possession de leurs plutôt inspirés en se hasardant çà et là à dresser des parallèles bien sentis moyens, les illustrations servant par- de Valérie Mangin, Denis (homme assoiffé dans le désert, acteur faitement le scénario. Bajram et Fabrice Neaud, de cinéma). En sus, quelques savoureux Mais lÊalbum ne se contente pas de ra- Soleil, Quadrants, jeux de mots autour de titres de films 80 p. couleurs, 19,90 € en ouverture de chaque planche⁄ conter des histoires. Il offre également Bac@Bd, 48 p. couleurs, 10 € © Mangin, Bajram, Neaud / QUADRANTS une édifiante démonstration des ca- ZAPP BRANNIGAN

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A ctu B d MIDAM plays again!

De passage à Paris, Midam, le créateur à succès de « Kid Paddle » et « Game Over » a gentiment répondu à nos ques- tions. Nous pensions rencontrer un passionné de jeux vidéo,

mais il nous a étonné par ses réponses qui vont à l’encontre de © Philippe Cauvin ce que l’on aurait pu imaginer.

ourriez-vous vous présen- années les différentes déclinaisons de ter ? Kid Paddle. P Midam, dessinateur, scéna- riste et éditeur ! Il y a déjà pas mal de licences sur Kid Paddle. Le statut dÊéditeur est récent pour Il a été multi-exploité : licences textiles, vous⁄ plastique alimentaire, jeux vidéo, etc. Oui, jÊavais envie dÊune gestion exclu- Chaque licence a été développée dans sive de mes univers. Lorsque je nÊétais des départements étanches au sein pas moi-même éditeur de mes créa- des grandes structures. Autrement dit, tions, je dépendais dÊun éditeur qui me ça signifie que le type qui fait des des- disait en début dÊannée : ÿ on va pro- sins animés ne sait pas que lÊon vend mouvoir tel ou tel titre Ÿ. CÊest dÊailleurs le des cartables Kid Paddle chez Auchan. principal problème chez un éditeur Autre exemple : la télé portugaise lambda qui doit saupoudrer ses efforts passe les dessins animés de Kid Paddle, de promotion sur tous ses titres. Moi, mais on ne trouve pas dÊalbums de Kid jÊavais envie dÊavoir le maximum. De Paddle dans ce pays, et cÊest exactement plus, je ne me suis pas toujours senti en le contraire en Pologne ! confiance avec mes anciens éditeurs, ce furent parfois des mariages houleux. Où trouvez-vous votre inspiration ? DÊun côté, il y a un artiste qui produit JÊécris mes idées sur des carnets. CÊest de façon non quantifiable, de lÊautre un mon vivier de scénarios, jÊy puise et je éditeur qui fonctionne en gérant des rajoute des idées chaque mois. ¤ côté choses quantifiables. Il peut donc y de ça, jÊai un book à feuillets plastique avoir des clashs du type amour-haine. transparents pour tuer la case blanche ; Tout est cristallisé par des contrats très par exemple, dans un album de Kid complexes. Dans le cas du numérique Paddle en chantier, je sais directement par exemple, il y a une réelle inquié- que jÊai déjà six gags du Petit Barbare, tude pour les auteurs en termes de ré- jÊy ajoute les running gags qui sont aus- partition de droits dÊauteur. Il y a des si des rendez-vous pour le public (par négociations au cas par cas, ce qui don- exemple, Kid Paddle veut aller voir un ne de bons contrats à ceux qui vendent film dÊhorreur interdit aux mineurs, beaucoup, des contrats moins inté- comment il imagine son père, les mé- ressants pour les autres. En tant quÊau- saventures de son copain à lunettes, teur/éditeur, je ne mÊinquiète plus du etc.). Le tout donne à lÊalbum une co- partage de droits. lonne vertébrale qui me rassure. cepté, mais à condition dÊy faire de pe- rais alors des problèmes à trouver un AujourdÊhui, je me suis associé à Di- tites BD. JÊavais envie de travailler sur discours fédérateur. mitri Kennes (le D de MAD Fabrik), Comment avez-vous commencé dans le canevas du gamin qui confond réa- ancien directeur général des éditions Spirou ? lité et jeux vidéo. JÊaurais cru que vous étiez passionné Dupuis. On a eu lÊoccasion de travailler En 1992 comme pigiste en illustrant du genre ! en confiance ensemble et ça nous a des news. JÊai cherché mon style pen- Étiez-vous passionné de jeux vidéo ? Non, pas vraiment, cÊest pour moi un semblé naturel de continuer ensemble dant un an, puis le rédacteur en chef Non, il y a eu un Kid Paddle sur la Wii, thème comme un autre. La case fina- avec Araceli Cancino, le A de MAD, mÊa proposé de reprendre la rubrique donc on a acheté quelques jeux. Il ne le des gags de Game Over est un petit qui coordonnait depuis quelques jeux vidéo quÊillustrait Mauricet. JÊai ac- faut pas être trop spécialiste, car jÊau- plus, un peu à la façon des signatures

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Certains gags de Game Over sont assez violents. sexe. Mes BD font rire les parents aussi bien que les Peut-être, mais cette violence est virtuelle seulement, enfants, car il y a plusieurs degrés de lecture. elle est donc inoffensive. CÊest pour cette raison que je réintroduis Kid Paddle dans ce nouveau tome, PROPOS RECUEILLIS PAR pour bien montrer que le Petit Barbare est son JEAN-PHILIPPE RENOUX avatar.

Vos séries sont-elles déclinées en jeux vidéo ? © Midam & Adam / MAD FABRIK Il y a déjà quatre jeux vidéo. Le vrai problème, cÊest Game Over, T.5, Walking le coût de la licence qui laisse moins dÊargent à la production, car une partie du budget part dans le Blork, de Midam et Adam portefeuille de Dupuis et Midam (surtout celui de Dupuis !). On a déboursé pour engager un gamer pro CÊest le premier album de à Montréal, où Atari travaillait avec son dévelop- BD qui paraît chez Mad peur Mistic Software. Il a testé quelques jours la ver- Fabrik ! Pas de change- sion beta du jeu en développement en disant ce qui ment majeur par rapport nÊallait pas. Je rêve dÊavoir des contacts directs avec aux précédents, cÊest tou- des gens qui font des jeux vidéo, je suis sûr quÊil y jours aussi drôle, la cou- a des gars pleins de talent, il suffit de les trouver ! verture donne une impres- LÊidée de MAD Fabrik, cÊest aussi de supprimer des sion de relief, et de nom- EXTRAIT DE GAME OVER T. 5 intermédiaires entre lÊauteur et le public pour limi- breux scénaristes issus de ter les distorsions. la communauté du web de Franquin à la fin des gags de Gaston. Je suis pas- ont participé à lÊélabora- sionné par le fait de raconter les meilleures histoires Vous nÊavez pas envie de faire des histoires à des- tion des gags du Petit Barbare (moyennant la possibles. Mon but ultime: trouver LE gag qui ren- tination des adultes, comme Zep ? somme de 400 euros la page, avis aux amateurs dra le lecteur mort de rire. Non, je nÊai pas envie de raconter des histoires de inspirés !), Midam décidant sÊils sont assez effi- sexe. Faire des histoires drôles sur ce sujet ne mÊamu- caces pour mériter la publication. Toujours Vous suivez de près la BD ? se pas. Je ne comprends pas vraiment les personnages muet, peuplé de redoutables blorks et dÊune Je nÊaime pas vraiment lire des BD, je lis dÊun flil pro- du Petit Spirou, Coyote et Titeuf. JÊai été élève dans un princesse nigaude, la série rappellera bien des fessionnel ce que font Cauvin, Zep et les gens qui collège pour garçons, cÊétait un monde sans sexe et souvenirs aux gamers malchanceux, mais elle fera travaillent sur le même format que moi en sÊadres- je nÊai rien dÊhumoristique à raconter sur le sujet. Cer- aussi rire tous les autres ! sant à la même cible. tains pensent quÊil y a de lÊémancipation à parler de MAD Fabrik, 48 p. couleurs, 9,95 € JPR

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Libérale attitude, de Pluttark Plutôt que de sÊen prendre L’enfer, c’est facilement à L’ATTENTE un ou deux hommes politiques Véritable best-seller du polar noir en BD avec 800 000 exemplaires vendus en trois tomes, la décriés, série « Blacksad » est devenue incontournable. Cinq longues années après la sortie du dernier Pluttark sÊattaque épisode, la sortie de ce nouvel épisode est l’un des événements de la rentrée phylactère. carrément à lÊidéologie libérale, dont les excès débridés ont provoqué la plus grave crise économique mondiale depuis un siècle. Petites histoires et illustrations pleine page, il y en a pour tous les goûts, il y a même un bon tiers de 100 idées pour vaincre la crise. Pluttark fait rire et donne parfois à réfléchir, en évitant les attaques personnelles. Cynique, drôle et recommandé. Fluide Glacial, 48 p. couleurs, 10,40 € © Guarnido et Canales / DARGAUD JEAN-PHILIPPE RENOUX Chez Francisque, T.4, Tout fout le camp, de Lindingre et Larcenet Larcenet nÊest pas que lÊauteur parfois grave du Combat ordinaire, il aime aussi rigoler avec son copain Lindingre de Fluide Glacial. Des piliers de bar discutent entre eux, ils sortent des vannes, passent le temps en picolant, et en profitent pour refaire le monde. Le Kiravi exacerbe la sagesse populaire, cÊest connu. CÊest un peu lÊéquivalent dessiné des brèves de epuis 2005, Juanjo Guarnido le héros pour une résolution rapide de tendre le prochain épisode avec impa- comptoir de Gourio, mais on peut a travaillé sur différents pro- lÊaffaire. Évidemment, celle-ci sÊavère tience. On ne peut donc prédire quÊun penser que les auteurs ont cherché jets BD, notamment Sorcelle- plus dangereuse que prévue, peut-on immense succès à ce quatrième tome. les idées ailleurs quÊen observant les D habitués de leur troquet préféré. Les ries et Voyageur, en laissant un peu vraiment faire confiance à quelquÊun qui ¤ noter que la Fnac sÊest associée à la couleurs font penser à de la vinasse, Blacksad de côté. Avait-il oublié la série ? se nomme Faust ? galerie Arludik pour exposer divers ori- ou à ce quÊelle devient en cas dÊabus. Bien sûr que non ! LÊartiste attendait jus- ginaux tout en proposant à la vente Dargaud, 48 p. couleurs, 13,50 € MICHEL DARTAY te de pouvoir y revenir avec lÊénergie Comme toujours avec Blacksad, cÊest quatre illustrations signées en tirage li- nécessaire au travail de titan quÊil livre lÊextraordinaire talent de Juanjo Guar- mité, dans toute la France. Shanghai, T.1, finalement dans LÊEnfer, le silence. nido qui saute aux yeux en premier. Si LÊEnfant de la Pluie, la couverture ne semble pas remporter YANNICK LEJEUNE de Mariolle et Tisseron Dans ce nouvel opus, les aventures de lÊunanimité, le reste touche au sublime. LÊinfluence John Blacksad quittent provisoirement Mise en couleurs directes à lÊaquarelle, des puissances coloniales les gratte-ciels de leurs débuts pour sÊins- cadrages dynamiques, pleines pages dÊEurope et taller à la Nouvelle-Orléans. Tuyauté spectaculaires, décors fouillés et lu- du Japon ont par son camarade Weekly, le héros est mières parfaites, chaque planche émer- fait de Pékin un théâtre de engagé par Faust Lachapelle, produc- veille. CÊest dÊautant plus vrai quÊon re- marionnettes. teur de Jazz, pour retrouver un pianis- trouve dans les personnages tout le ta- CÊest te disparu probablement retombé dans lent dÊanimateur de lÊEspagnol de No- désormais à Shanghai que la drogue. LÊabsence du musicien met- gent-sur-Marne : rares sont les albums tout se joue. tant en péril les intérêts financiers du dans lesquels les protagonistes semblent Les triades y exercent un pouvoir commanditaire, celui-ci fait pression sur aussi expressifs et vivants, surtout basé sur le trafic dÊopium. Dans cette quand il sÊagit dÊanimaux. Un effet Chine de la fin du XIXe siècle, Yu Xin et Jade reflètent lÊune des grandes renforcé par la parfaite adéquation fractures qui divise lÊEmpire. La entre les caractères des personnages et première croit que cette économie lÊespèce choisie pour les incarner. fera naître un pays neuf. La seconde travaille à la restitution de lÊEmpereur et aux valeurs passées. Sur fond de Du côté de lÊintrigue, on retrouve lÊam- récit alliant fantastique et aventure, biance de polar noir qui a fait le succès BLACKSAD, T.4 Shanghai propose un éclairage original LÊENFER, LE SILENCE sur une période méconnue de de la série, mais avec un savoureux lÊhistoire de la Chine. Les dessins et cocktail ÿ Nouvelle-Orléans, vaudou et les ambiances créés par Yann Tisseron © Guarnido et Canales / DARGAUD de Guarnido et Canales, jazz Ÿ qui renouvelle lÊambiance. Le scé- Dargaud, sont superbes. nario du troisième tome avait un peu Drugstore, 56 p. couleurs, 13,90 € 56 p. couleurs, 13,50 € KAMIL PLEJWALTZSKY déçu les fans, celui-ci leur fera at-

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A ctu B d Toxic Affair jours pas à lÊheure actuelle, le Auteurs des savoureuses « Petites histoires des colonies françaises » chez l’éditeur Flblb, projet a été retardé dÊau moins Grégory Jarry et Otto T. s’attaquent à un pan radioactif de leur histoire locale. 30 ans. La lutte a été peu mé- diatisée au niveau national, et cÊest nor- mal ! Ça donnerait des idées à plein de gens.

De quelle manière la BD trouve-t-elle sa complémentarité avec le spec- tacle Village Toxique, écrit et monté par Nicolas Bonneau ? Il sÊest intéressé aux individualités, les

© Grégory Jarry et Otto T. / FLBLB © Grégory Jarry et Otto T. personnages sont campés sur scène ; de notre côté, nous nous attachons da- vantage à démonter les jeux poli- tiques, montrer le dessous des cartes. On y apprend des choses différentes, les deux sÊinterpénètrent. Et les resti- tutions au public sont différentes : le spectacle vivant est éphémère, le livre reste. Il y a de plus en plus de ponts entre la BD et le spectacle vivant, et cet ouvrage est le résultat dÊune réelle co- édition entre Le Nombril du monde et Flblb.

Quels sont les projets à venir chez Flblb ? Le tome 4 des Petites histoires des colonies françaises sort en novembre prochain, il porte sur la Françafrique. Une exposi- tion sur la série aura lieu au prochain festival dÊAngoulême, en janvier.

illage toxique retrace la lutte de taire. Comme je suis originaire du mon collègue dessinateur Otto T. : il PROPOS RECUEILLIS PAR la population gâtinaise contre coin – jÊétais adolescent à lÊépoque de trouve une saynète qui va coller au pro- JULIE BORDENAVE V le projet dÊenfouissement de ces luttes – jÊai eu envie de le réaliser. pos, le décaler ou lÊapprofondir. Il y a déchets nucléaires, en 1987 dans les Au départ, je pensais le faire en roman un côté un peu jazz dans notre colla- Deux-Sèvres (79) – ou comment une photos ; mais au fur et à mesure, je me boration, ce nÊest pas un travail de scé- poignée de militants, tous bords suis aperçu que si ces luttes avaient nariste et de dessinateur au sens clas- confondus, réussirent à tenir tête à réussi, cÊétait aussi parce quÊil nÊy avait sique. Je pense que cÊest aussi ça qui fait lÊÉtat. Toujours porté par lÊirrésistible pas de leader mis en avant, mais des la richesse de nos bouquins : nos ou- ping-pong entre les textes savamment gens anonymes face à lÊÉtat. CÊest ce qui vrages ne sont pas des manuels mili- documentés du scénariste et les illus- nous a amené à cette forme : on nÊin- tants comme peut en faire Philippe trations pimentées du dessinateur, lÊou- dividualise pas les gens, on les dessine Squarzoni, mais davantage un regard vrage propose un militantisme distan- comme des patates, sans yeux. Le par- artistique, ironique, avec une distance cié et pince-sans-rire, à lÊimage du ca- ti pris, cÊest de nommer seulement ceux par rapport aux événements quÊon re- talogue des éditions poitevines Flblb. qui avaient mandat électif, ou qui late. agissaient en leur nom pour une struc- Pouvez-vous retracer la genèse du ture étatique – Andra ou autre. ¤ votre sens, quelle est la portée po- projet ? litique de Village toxique ? Grégory Jarry : ¤ lÊoccasion de sa 20e Quelle a été la méthode de travail ? Cette lutte nous montre que la démo- édition, Le Nombril du monde (festi- Pour les Petites histoires des colonies françaises, cratie fonctionne à un niveau local, le val autour des arts de la parole organisé jÊutilise une matière déjà écrite, des bou- message est fort pour nos généra- par Yannick Jaulin à Pougne-Hérisson, quins universitaires. Pour Village toxique, tions : 200 ou 300 militants déterminés VILLAGE TOXIQUE NDLR) a monté un spectacle sur ce jÊai rencontré les acteurs de lÊévénement qui arrivent à sÊassocier, sans être du thème en août dernier. Ils sont venus – militants comme élus – et jÊai lu la même bord politique ni de la même re- de Grégory Jarry et Otto T., nous trouver en tant quÊéditeur régio- presse locale de lÊépoque. ¤ lÊissue de ligion, peuvent tenir tête à lÊÉtat. Ce qui Flblb / Nombril du Monde, nal, pour quÊon leur propose un auteur ces collectages, jÊai commencé à rédi- sÊest passé est assez miraculeux : lÊen- 60 p. couleurs, 13 € afin de réaliser une BD complémen- ger les textes, puis je les ai fournis à fouissement des déchets nÊexiste tou-

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45 R edécouverte Derib UN HOMME NOMMÉ CHEVAL

L’actualité de Derib sera riche cette année. Outre les nouveaux recueils des aventures de « Buddy Longway », « Yakari » sorti- ra avec une nouvelle maquette adaptée pour les petits. Un der- nier chapitre sera ajouté à la saga de « Buddy Longway », ainsi qu’un livre qui rendra hommage à Jijé et à Franquin. L’occasion nous a été donnée d’évoquer avec l’auteur sa passion pour les Amérindiens.

ans quelles circonstances à Buddy Longway la chance de faire ses Yakari est-il né ? Était-ce une preuves. Ensuite, le référendum1 des lec- D opportunité ? Une envie teurs a confirmé Buddy. Dans Go West, que vous aviez depuis longtemps ? il y avait un foisonnement de person- Quelle place occupe-t-il dans votre nages qui me mettait mal lÊaise. Avec parcours ? Buddy, jÊai pu me concentrer sur des por-

Yakari est né entre deux épisodes des traits plus fouillés et laisser les paysages © Derib Schtroumpfs (série sur laquelle Derib a tra- exprimer leur force. vaillé, NDLR). Je lÊai dessiné dÊemblée sur son cheval. JÊavais envie depuis un ¤ lÊoccasion de lÊécriture de lÊalbum moment, de développer quelque cho- Red Road, vous avez tissé des liens se autour de la nature. Je souhaitais avec des Indiens. Vous avez reçu aus- mettre en scène des chevaux... JÊai hé- si des témoignages et des courriers sité et même si les Indiens faisaient déjà par rapport à Yakari, Red Road et partie de mes centres dÊintérêt, jÊai Buddy Longway. Ces liens se sont- dÊabord pensé à un gardien de manade ils développés ? camarguaise. JÊai fait quelques croquis Au fil du temps, il sÊest construit une dont un, représentant un papoose sur correspondance assez riche qui mÊa un cheval – qui est devenu par la sui- conforté dans la direction que je pre- te Petit Tonnerre. JÊai gardé mon des- nais. Il y a eu des rencontres aussi. sin dans un coin, et au cours de ma col- CÊest avec Buddy Longway que cela a laboration avec Job sur Pythagore, je lÊai commencé. Le fait le plus marquant est ressorti. LÊidée lui a plu. Nous avons fait survenu quand une association belge un ÿ galop dÊessai Ÿ en noir et blanc qui a expédié à ma demande des surplus sÊest confirmé, même si au début per- de American Buffalo à des Indiens du sonne nÊy croyait vraiment. Le second Québec. Il sÊen est suivi des échanges album de Yakari a même été produit par très sympathiques ; je devais même me Job... DÊun autre côté, pour un jeune rendre là-bas, mais le décès de ma dessinateur comme moi qui avait beau- mère est survenu à ce moment-là. coup de contraintes sur ses autres sé- Par la suite, des Sioux se sont mani- Avez-vous partagé votre intérêt pour venue de lÊintégrer dans Red Road, ries, cela a été (et reste) une parenthèse festés auprès de moi. LÊun dÊentre eux les Indiens avec dÊautres auteurs ? sous les traits dÊÉric. assez épanouissante. Le désir de parler a cru reconnaître sa maison dans une Je nÊai pas eu beaucoup de discussions CÊétait un homme très ouvert – je ne des Amérindiens en lui-même sÊest des pages de lÊalbum. Un homme avec les autres dessinateurs qui ont me souviens plus à quelle obédience il construit autour de différentes choses. médecine de la réserve de Pine Ridge abordé le western à lÊindienne. Ce qui appartenait... Comme je lÊai laissé entendre, ma pas- a raconté aux siens quel était le pro- est plus curieux, figurez-vous, cÊest que sion pour le cheval y a largement pos de Red Road. Il considérait que cet- jÊen ai plus discuté avec Hergé quÊavec Avez-vous été imprégné par la nou- contribué. Ensuite, des récits dÊaventure te bande dessinée faisait un état des nÊimporte quel autre. Lui aussi était fas- velle vague de western comme Sol- ont servi de base, sur lesquels se sont lieux réaliste. Malheureusement, cet ciné par les Indiens des plaines et leur dat bleu, Un Homme nommé cheval ajoutés Corentin et les peaux rouges de homme est mort avant que lÊon puis- spiritualité. Il avait eu une sorte de révé- ou Little Big Man ? Cuvelier ou le personnage de Une-seu- se échafauder un quelconque projet lation en travaillant sur Tintin au Tibet. John Ford avait déjà bousculé les le-flèche inventé par Jigé dans Jerry pédagogique. Dans lÊensemble, jÊai Depuis, il avait eu pour confident le codes à travers La Prisonnière du désert et Spring... Cela forme un tout qui, avec le eu de bons échos de la part de la com- Père Gal, un homme singulier qui surtout Cheyenne. Il est parvenu à faire temps, se cimente tout seul. Yakari a été munauté indienne sur le cycle de Red était devenu le fils spirituel dÊÉlan émerger une idée nouvelle des Indiens. un sésame vers Le Journal de Tintin. Là, jÊai Road. Malheureusement, la série Noir2, dont le frère nÊhabitait pas très Il les fait sÊopposer aux pionniers dans collaboré avec Greg sur Go West. Cela sÊadresse à une frange trop restreinte loin de Lausanne. Lors de lÊun de ses un souci de défense de leur terre. Au mÊa donné lÊenvie de me confronter di- de la population américaine pour que passages en Suisse, je lÊai invité chez début des années 70, il y a eu la rectement au western. Greg, qui était lÊon puisse envisager une traduction en moi. Nous avons discuté longuement, vague de western que lÊon connaît. le rédacteur en chef de Tintin, a donné anglais. et au cours de nos échanges, lÊidée mÊest Vous citez notamment Soldat bleu, mais

46 R edécouverte Yakari © Derib / LE LOMBARD Yakari

on peut ajouter aussi Jeremiah Jonhson. Je suis plus cir- trop centré sur le personnage incarné par Kevin conspect par rapport à Un Homme nommé cheval : la Costner. La restitution des grands espaces y est reconstitution de la ÿ danse du soleil Ÿ est inté- exemplaire et pour une fois, tous les Indiens sont ressante, mais le reste est assez fourre-tout. Le réa- joués par dÊauthentiques Indiens... lisateur a par exemple amalgamé plusieurs tribus... Cette vague de films est une des conséquences des Tiens, cela me fait penser à une chose... Votre nom bouleversements des années 60. LÊIndien est deve- indien aurait pu être ÿ Danse avec Jijé Ÿ. QuÊen nu un symbole : il est celui qui sÊoppose aux valeurs pensez-vous ? que les jeunes de cette époque ont voulu remettre (Rires)... CÊest vrai ! (la réponse à ce mystère se trou- en cause. Il a été lÊexpression dÊune prise de ve à lÊadresse suivante : http://www.derib.com/in- conscience écologique... Buddy Longway nÊest edits/anecdotes/r-38f11d1d.php) pas né à cause de ça, mais au milieu de tout ça. Red Road est très nettement scindé en deux époques dis- Je crois quÊen général vous travaillez dÊaprès pho- tinctes. Celui qui est né deux fois porte la marque du ciné- tos, à lÊexception justement des chevaux⁄ ma des années 70. Par contre, la deuxième partie Je travaille toujours dÊaprès photos, même pour les a hérité dÊfluvres comme Jours de tonnerre, qui se réfé- chevaux. Mais ma sensibilité de cavalier et lÊhistoire rent à des problématiques modernes, qui font un que jÊai partagée avec eux font la différence. Pour état des lieux sans concessions en revenant sur les moi, les chevaux sont des personnages à part en- événements de Wounded Knee3 en 1973 et le cas de tière. JÊai pratiqué lÊéquitation sous des formes as- Léonard Peltier4... Et puis entre temps, jÊai eu lÊoc- sez variées, allant du concours hippique au dressage, casion de creuser le sujet. Même un film comme jusquÊau concours complet. JÊai même endossé Danse avec les loups apporte des choses, même sÊil est lÊhabit de vacuero à lÊoccasion dÊun mariage⁄ ¤ un certain niveau, il se produit une symbiose entre le cavalier et sa monture. CÊest encore plus frappant quand on est soi-même propriétaire dÊun cheval. Dès lors, il mÊest impossible de dessiner les chevaux com- me je dessinerais un élément du décor. La façon dont Jijé a personnalisé certains de ses chevaux comme Ruby et Chiquitto a eu une empreinte importan- te sur mon travail. JÊai rendu hommage à mes com-

Red Road © Derib / LE LOMBARD pagnons de selle en les faisant figurer dans mes al- bums. Darky, la première monture de Buddy, fut aus- si mon premier cheval. Shannon, dans Red Road, cÊest quant à elle ma demière jument, une appaloosa⁄

Dans Buddy Longway, votre style opère de grands changements au niveau du dessin et de la com- position. Comment êtes-vous parvenu à créer cet- te dynamique et cette écriture semi-réaliste ? Vous avez aussi fait vieillir vos personnages et ainsi brisé un tabou... Vous savez, toutes les formes de bande dessinée mÊont intéressé et cela avant même que je devien- ne dessinateur moi-même. Pendant que je travaillais sur Pythagore, je croquais dÊautres choses dans mon coin et je me posais toutes sortes de questions à propos de techniques que je nÊutilisais pas forcé- ment dans mes planches hebdomadaires. *

47 R edécouverte

* Quand jÊai commencé à mÊat- teler à Buddy Longway, il y avait donc pas mal de choses en latence qui ne de- mandaient quÊà sÊexprimer. DÊun autre côté, jÊavais déjà abordé quelques pro- blématiques sur Arnaud de Casteloup qui étaient propres au dessin réaliste. Il y a eu aussi la magie du western qui a at- tisé le plaisir du dessinateur. Au mo-

ment où jÊai réalisé les premières Buddy Longway © Derib / LE LOMBARD planches de Chinook, jÊai eu le besoin de restituer lÊespace et le sentiment de li- berté que pouvait ressentir les gens à cette époque face à ces paysages. CÊest la théâtralité du western qui mÊa aidé à redéfinir les cases dÊune page... La question de la temporalité me tenait particulièrement à cflur. LÊauteur com- me le lecteur doivent pouvoir se pro- jeter dans ce que traversent les per- sonnages. JÊai considéré que lÊem- preinte du temps, cette dimension-là, manquait souvent à la bande des- sinée. Et puis, je vous avouerais que cela empêche vos récits de tourner en rond... Enfin, et même si à lÊépoque je nÊétais pas en couple, je tenais à ex- primer lÊidéal que représentaient à mes yeux le couple et la famille. Or, les vertus auxquelles je crois ont besoin dÊêtre éprouvées ou dÊêtre exaltées à tra- vers les affres du temps. Avec Buddy, je suis passé du jour au lendemain du sta- tut de dessinateur à celui dÊauteur. JÊai reçu des marques de respect et de la considération. Cela émanait de gens de ma génération, mais aussi de person- nalités qui jusque-là avaient été des sources dÊinspiration. Franquin mÊa même sollicité pour développer un nouveau western dans Le Trombone illus- rive pas à faire comme toi ! Ÿ. Il était en train à part intitulé Saisons dÊune vie. Ce ne sera peinture et que jÊopterais pour le clas- tré, le supplément du Journal de Spirou. de travailler sur lÊalbum LÊOr de person- pas une nouvelle série autour de la vie sicisme quÊil appréciait. Cela ne lÊa pas Et puis un jour, Jijé mÊa dit : ÿ Je nÊar- ne de la série Jerry Spring, et essayait de Kathleeen, mais un récit sous for- empêché de suivre mon évolution et de dÊadopter un découpage proche de ce- me dÊillustrations. JÊai imaginé que cÊé- se montrer positivement critique – lui de Buddy Longway. Vous nÊimaginez tait une façon assez douce de sortir du même sÊil pouvait avoir la dent dure. En pas ce que cela représente pour quel- cycle Buddy Longway tout en le com- même temps, Franquin pouvait se quÊun comme moi, qui est toujours plétant. Cela indique quÊil y un montrer bien plus exigeant. JÊavais conscient de la dette quÊil a vis-à-vis de ÿ après Ÿ qui nÊest plus tout à fait donc été à la bonne école... Au fil du Jijé... Buddy, mais qui garde son empreinte... temps, mon père a compris et respecté la bande dessinée. Un jour, à l'occasion Dans votre parcours personnel et dans JÊai lu à plusieurs reprises que votre dÊune émission télévisée, nous nous vos récits, la filiation ou le devoir de père était peintre. Je me suis demandé sommes retrouvés tous ensemble avec mémoire semblent êtres très impor- sÊil avait eu connaissance de vos tra- Jijé et Franquin. Mon père a été heu- tants. Vous avez manifesté lÊenvie de vaux ? SÊil vous avait vu vous épanouir reux de parler à tous ces grands auteurs prolonger Buddy Longway en déve- dans la BD ? et je pense quÊil était fier de moi. loppant un projet autour de Kathleen Mon père mÊa dÊabord donné lÊenvie de (la fille de Buddy et Chinook). QuÊen dessiner. JÊétais très petit quand jÊai es- PROPOS RECUEILLIS PAR est-il ? sayé de faire mes propres dessins. Il a KAMIL PLEJWALTZSKY ¤ travers Buddy, il y a eu un passage de été horrifié par mes premières tenta- témoins. JÊai hérité dÊune part de Jijé et tives... Ne comprenant pas ce que 1 ¤ cette époque, Le Journal de Tintin organisait de Franquin – et dÊautres aussi – et après jÊavais dessiné, il mÊa donné les clefs un référendum des lecteurs pour élire les les avoirs digérés, je suis parvenu à réa- pour aboutir à quelque chose de plus meilleures séries. Red Road © Derib / LE LOMBARD liser quelque chose de très personnel. satisfaisant. Il mÊa parlé de lÊanatomie 2 Élan Noir (Black Elk), 1863-1950, homme médecine de la tribu des Lakotas (Sioux), qui Cela a été possible grâce à lÊamitié quÊils artistique et mÊa fait comprendre que participa à la bataille de Little Big Horn et mÊont manifestée, mais aussi parce la rigueur était un facteur crucial dans dont les mémoires furent publiées en 1932. quÊils ont eu un regard très critique sur le métier du dessin. Je me suis donc 3 Incidents survenus lors dÊune manifestation des Lakotas pour la reconnaissance de leur mon travail. CÊest pour cette raison exercé après lÊécole, sans relâche. Plus droit à la terre. quÊaujourdÊhui je finalise avec des amis tard, quand il sÊest avéré que jÊallais de- 4 Léonard Peltier, chef Lakotas de lÊAmerican un ouvrage intitulé : Derib, sous lÊflil de Jijé venir un dessinateur de bandes des- Indian Movement, condamné à perpétuité pour le meurtre de deux agents fédéraux. Am- et Franquin. Mais revenons vers Buddy. sinées, il a été assez perplexe. Il espé- nesty International le considère comme un En juin 2011 sortira un album un peu rait que jÊallais me tourner vers la prisonnier politique...

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zoom B d J eunesse

Leçon de vol, de Sebastian Meschenmoser Ce pingouin, Mens Sana in Corpore Sano comme tous les « Cinq fruits et légumes par jour ». Super adage, mais ce n’est pas parce qu’on serine nos pingouins, ne sait enfants avec la nécessité de s’alimenter sainement qu’ils savent comment faire. Ce guide remet pas voler. Pourtant, tout à « plat » ! il ne découvre n associe souvent manger cette sainement avec du ÿ pas incroyable réalité qui le cloue au sol miam Ÿ genre carottes à lÊeau, quÊaprès avoir pris son envol et avoir O atterri bien loin de chez lui ! algues bouillies et tofu de soja. Erreur de DÊentraînements intensifs en tests débutant alimentaire⁄ Heureusement, catastrophiques, un homme va aider la Team E, une bande dÊaliments tout ce le volatile à réaliser son rêve. Poétique et ironique, ce conte quÊil y a de plus fréquentable, nous rap- métaphorique ravira petits et grands ! pelle que ce sont avant tout les Gra- ¤ noter que le livre correspond à la beurks quÊils faut combattre, alias tou- qualité environnementale ISO 14001 (papier et encre recyclable, calcul du te pitance trop grasse, trop sucrée, bilan carbone⁄). trop salée. Éditions Petite Plume de Carotte, Grâce à des textes, questions-réponses 50 p. couleurs, 12 € HÉL˚NE BENEY et BD amusantes, cet album pose non seulement les bases de ce quÊil faut sa- Nuage, T.1 voir (le goût, le grignotage, lÊobésité, les Le Don de la Nature, besoins nutritionnels, les familles dÊali- de Christian Peultier ments⁄) mais apprend aussi à consti- © Marie et Péroz / BAMBOO Nuage est une petite tuer des menus équilibrés où seul le trop Africaine qui est banni et où la notion de plaisir res- est inexpli- te entière – les dépendants à la mayon- cablement naise apprécieront. Une foule dÊévi- née blanche de parents dences qui repositionne simplement la noirs. Cette nourriture à son niveau : un carburant particularité agréable qui aide le corps à fonctionner les exclut de DÉFIONS LES GRABEURKS !, la commu- et à bien grandir. Aidés par des diété- GUIDE DE SURVIE EN MILIEU nauté et ticiennes, les auteurs réussissent même ALIMENTAIRE HOSTILE, lÊenfant à rendre cet instructif B.A. Ba de lÊé- grandit avec lÊhabitude dÊêtre en marge. Mais sa différence ne quilibre alimentaire amusant. Un bou- de Marie et Péroz, sÊarrête pas là : elle est capable de quin à placer dans la cuisine et à dévo- Bamboo, communiquer avec les animaux ! rer en famille⁄ 96 p. coul., 11,90 € Ce don incroyable va lÊamener à sauver dÊun feu de brousse la ferme HÉL˚NE BENEY de Clarissa, une vétérinaire blanche qui va bouleverser son destin⁄ Un premier tome tendre et bien ficelé, qui mixe une foule de thèmes formateurs et humanistes. Milan Jeunesse, 48 p. couleurs, 12.50 € Mademoiselle Louise et Jojo pleurent... HB Petit Mardi et les Zumins, L’auteur belge André Geerts, papa du petit bonhomme à cas- u-delà du choc de lÊannonce T.1, Passage Obligé, quette verte Jojo et – avec Salma et Mauricet – de l’adorable de sa disparition prématurée, de Loïc Jouannigot pauvre petite fille riche Mademoiselle Louise, est mort le 27 si le dessinateur, connu pour Voltaire et A sa gentillesse et sa timidité, va laisser sa cousine, juillet dernier, à seulement 54 ans. un grand vide dans le monde de la BD, Cerise, sont deux enfants cÊest que ses séries étaient à son ima- qui ge : tendres et pleine dÊune salutaire in- emména- nocence. Reconnu et apprécié (il était gent à la campagne. lauréat dÊune vingtaine de prix) tout en Partis à la restant en marge des modes régissant découverte le marché de la production jeunesse, de leur nouvel Geerts est toujours resté fidèle à son dé- environ- licieux univers rond et poétique. Il était nement, ils tombent sur un passage en pleine finition du dix-huitième secret qui mène au pays des Zanimos, monde peuplé dÊanimaux doués de tome des aventures de Jojo, Mamy Blues, parole et qui vivent comme les qui sortira bientôt chez Dupuis. humains ! Interdit aux ÿ Zumins Ÿ, les deux gamins y sont prisonniers. Plusieurs fois réédités, ses dessins Heureusement, Petit Mardi, le garde

champêtre foufou, va les aider à Photo : Daniel Fouss. Dessins Geerts. © Dupuis, 2010. dÊhumour gentiment cyniques réa- retourner chez eux⁄ lisés pour Spirou sont toujours dispo- Sympathiquement dingue, cette nibles chez Dupuis dans lÊalbum au titre nouvelle série est un mélange de Chlorophylle et dÊAlice aux Pays des aujourdÊhui évocateur : Bonjour, monde Merveilles. cruel ! Dargaud, 48 p. couleurs, 9.95 € HB HÉL˚NE BENEY

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QUAI DES BULLES 2010 © Reiser un programme de fête

Le Festival BD de Saint-Malo fête ses 30 ans. Cette année encore, les visiteurs seront gâtés. Et peut-être même plus qu’à l’accoutumée, si l’on en juge de la qualité des expositions.

as moins de huit expositions gueulasse. Son trait ÿ lâché Ÿ et recon- différentes sÊoffriront au re- naissable entre tous, décrié à lÊépoque, P gard des festivaliers. ¤ tout sei- a de tout évidence fait école. Son hu- UNE EXPO SERA CONSACRÉE ¤ REISER gneur tout honneur, évoquons dÊabord mour, son sens de lÊobservation, sa celle qui sera consacrée à Reiser, le gé- cruauté tendre, ont marqué à jamais ses La bande dessinée chinoise aura éga- belles choses Ÿ, lÊexpo anniversaire des nial créateur de Jeanine et du Gros dé- lecteurs et ne trouvent que peu dÊéqui- lement son espace réservé. On nous an- 30 ans de Quai des Bulles. valent dans la BD actuelle. CÊest au Pa- nonce en effet une offensive culturelle Vous lÊavez compris, la programmation lais du Grand Large, Salle Bouvet, que chinoise dont le medium BD serait lÊun est dense, sans compter que de nom- vous irez admirer certains de ses dessins des fers de lance. Les fluvres de Li Kun- breuses projections de films en lien avec habilement mis en scène par Fred Le- wu, Little Thunder et Xiao Bai présentées la BD seront organisées, ainsi que des caux, Joub et Anne Chotard. au public seront donc là pour vous spectacles, des ateliers photo, etc. Et bien

© Mattotti / LE SEUIL On change radicalement de registre convaincre de la richesse et de la pro- sûr, la possibilité de rencontrer de très avec Lorenzo Mattoti ( Feux, LÊHomme à gression de cette BD qui se différencie nombreux auteurs, dont Pascal Bresson, la fenêtre...), lÊauteur italien au style élé- désormais nettement du manga. particulièrement à lÊhonneur dans ce gant et virtuose qui aime à verser dans Mentionnons également, toujours côté numéro de Zoo avec LÊAffaire Dominici lÊétrange. Certaines de ses couvertures expos, celles qui sont dédiées au cari- (p. 20) et Ushuaïa (voir page suivante). (il en a réalisé pour le New Yorker), des caturiste Mulatier (ÿ Faces Book Ÿ), à JACQUELINE MAJINO planches originales et des illustrations Matthieu Bonhomme, à Wild Inks (un (extraites notamment de The Raven) collectif dÊauteurs-musiciens) ou enco- QUAI DES BULLES 2010 seront visibles Salle du Grand Large. re celle qui est intitulée ÿ Se souvenir des http://www.quaidesbulles.com

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LÊÉternaute 1969, de Breccia et Oesterheld Les éditions Rackham rééditent LÊÉternaute de Breccia. Cette relecture, à la fois plus surréaliste et plus politique que celle de Solano Lopez, fut censurée par la dictature du général Onganiá en 1969. Cette version raconte lÊinvasion

extraterrestre de lÊAmérique du Sud © Georges Bosio et Jean-Louis Crou - Ushuaïa TF1 grâce à la passivité et la corruption des pays occidentaux. Les extraterrestres manipulent les cerveaux, annihilent la pensée individuelle. De lÊautre côté, les groupes de résistants font usage de méthodes fascistes pour maintenir leurs rangs soudés. LÊÉternaute de Breccia est considéré comme une dénonciation de la junte en Argentine. On peut y relever une réflexion beaucoup plus pessimiste qui renvoie dos-à-dos les idéologies : Nicolas Hulot celle du tyran comme celle du prétendu libérateur. Le dessin de Breccia est comme toujours génial par ses expérimentations et ses « Je suis incapable de m’endormir ambiances. ¤ ne pas manquer. Rackham, 76 p. n&b, 19 € KAMIL PLEJWALTZSKY le soir sans lire une BD » Monkey Bizness, de Pozla et El Diablo Dans le futur, les Nicolas Hulot, vous ne le saviez pas, est un passionné de bande dessinée. Alors que le premier anges ont des traits tome de la série « Ushuaïa » paraît chez Glénat (album présenté en exclusivité au festival Quai zoomorphes : peuplée dÊanimaux, la des Bulles 2010), Nicolas Hulot nous parle de la BD, et de celle dont il est le héros. ville de Los Animales est sous le joug de Jack Mandrille et sion, dans lÊéquipe dÊUshuaïa, nous Hammerfist, qui lÊavons tous en commun... ajoutent à lÊultra- violence une certaine bêtise crasse. Pozla Comment le projet sÊest-il mis en et El Diablo (auteur de la série Les place ? Qui en est lÊinitiateur ? Lascars) connaissent leurs classiques : Le maître dÊfluvre de ce projet, cÊest salles de muscu et femelles en strings, guerre des gangs et vendetta locale⁄ mon ami Pascal Bresson, illustrateur de Les poncifs du genre sont adaptés livres pour enfants et scénariste de BD. à la sauce animalière (la sarbacane Nous nous connaissons depuis au venin de mamba remplace la kalachnikov, les contrats sÊhonorent quelques années, et nous sommes en cacahuètes premier choix⁄) dans dÊailleurs voisins. JÊai parrainé et par- de courtes histoires bien troussées, à ticipé à sa série Poulpia, sa petite lÊhumour méchamment jouissif. pieuvre écolo. Il y a trois ans, lors dÊun Ankama, 112 p. couleurs, 14,90 € JULIE BORDENAVE repas chez moi, il mÊa proposé ce pro- jet dÊadaptation en BD de nos émissions Working, collectif Ushuaïa. Pascal a écrit son scénario et En 1974, lÊAméricain Studs nous nous sommes réunis avec les Terkel (1912- responsables des éditions Glénat pour

2008), pionnier © Bresson et Ridel / GLÉNAT en discuter. Voilà, cÊest aussi simple que du journalisme radiophonique, ça ! CÊest un projet qui me tient à cflur. publie Working, e Nicolas Hulot, on connaît et Fantasio...) et admire sans réserve un ouvrage tous lÊanimateur de lÊémis- Tibet, lÊauteur notamment de Ric Hochet. Avez-vous supervisé la réalisation de regroupant les sion télé Ushuaïa, qui nÊhési- Il prête aujourdÊhui ses traits au héros cet album ? Laissez-vous carte témoignages de D travailleurs divers sur leur vie au te pas à donner de sa personne sur ter- de la BD Ushuaïa, scénarisée par Pascal blanche aux auteurs ? labeur. Ce livre connaît un grand re, dans les airs ou sous lÊeau, dans les Bresson et dessinée par Curd Ridel. Oui, jÊai laissé une totale liberté aux au- succès aux États-Unis. Paul Buhle, régions les plus reculées de la planète teurs. JÊai suivi évidemment le chemi- aidé dÊHarvey Pekar, a réuni près dÊune vingtaine de dessinateurs aux décors souvent spectaculaires. On Quel est votre rapport à la BD ?

pour adapter en bandes dessinées connaît également son engagement Nicolas Hulot : On va dire que pour DR un certain nombre de ces récits. écologique et sa ÿ Fondation Nicolas des raisons presque sentimentales et af- Les styles sont variés, allant de lÊallégorique au naturaliste, mais Hulot pour la nature et lÊhomme Ÿ . Ce fectives, je suis un adepte voire même lÊidée que le travail est rarement dont on ne se doutait pas, cÊest quÊentre un addict de la bande dessinée, avec une épanouissant surnage. Un collectif une bonne balade à cheval et un vol en relation assez incroyable à cet élément essentiel pour les auditeurs de Daniel Mermet et plus généralement tous ULM, Nicolas Hulot trouve le temps de lecture. Je suis incapable de mÊen- ceux qui se sentent concernés par de sÊadonner à son pêché mignon : la dormir le soir sans lire une BD. CÊest le quotidien de leurs semblables. bande dessinée. Il est en effet un véri- une constance depuis très longtemps, Çà & Là / Éditions Amsterdam, 224 p. n&b, 22 € table passionné, possède de nom- avec une fidélité pour les auteurs qui VLADIMIR LECOINTRE breuses collections (Gil Jourdan, Spirou ont bercé mon enfance... Cette pas- BRESSON, HULOT ET RIDEL

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nement de la réalisation de ce premier de notre petit monde quÊils ne connais- lescent. Je crois que nous avons gardé peu lÊenvers du décor, le côté bon en- album, mais encore une fois, loin de sent pas forcément. On le fait sim- cet état dÊesprit. SÊémerveiller, rigoler, fant de nos relations dans lÊéquipe. moi lÊidée de me mêler du contenu. Je plement par coup de cflur, vraiment blaguer, oser des choses sans être par- DÊailleurs, comme je le dis souvent, je sais quÊil va paraître en octobre et que pas dÊautres objectifs pour nous. Cela fois à la hauteur de nos ambitions, cÊest suis un enfant qui a définitivement re- lÊhistoire se déroule sur lÊîle de Pâques, nous fait plaisir dÊavoir ce témoignage ce qui caractérise beaucoup Ushuaïa. noncé à devenir adulte. Cette BD en un lieu où nous avons tourné plusieurs sous forme de BD, cÊest un bon moyen Nous sommes tous contents dÊêtre est un témoignage... Ushuaïa. Son titre est Le Trésor des Moaï... de communication, très spécifique. devenus des personnages de BD. Cette idée de collection nous convient Après lÊîle de Pâques, quelle sera la La série met en scène les tournages tout à fait. Dès le premier tome on constate une prochaine destination ? dÊUshuaïa. Les personnages de lÊé- nette intention pédagogique et éco- Le tome 2 se déroulera sur lÊArctique, quipe sont-ils totalement fictifs ou di- QuÊest-ce que cela vous fait dÊêtre un logique. Participez-vous ou donnez- le pays des ours blancs et des Inuits. rectement inspirés de vos camarades héros de bande dessinée ? vous votre approbation aux infor- Son titre : La Peur Blanche. dÊaventure ? Depuis plus de 25 ans que nous réali- mations et anecdotes distillées dans CÊest un mix entre la réalité et la fic- sons nos émissions, combien de fois la série ? Après Nicolas Hulot en bande des- tion. Mais on sÊy reconnaît car, quand avons-nous pensé : ÿ On a lÊimpression de Encore une fois, Pascal, le scénariste, sinée, peut-on sÊattendre à Nicolas on a connu Tintin, Spirou et Fantasio, rentrer dans nos BD dÊenfance Ÿ... Quand on a carte blanche. Maintenant quÊil Hulot en dessin animé ? Ric Hochet ou Guy Lefranc, il y a vrai- regarde les coulisses, les tournages connaît certains membres de lÊéquipe, Je ne sais pas. Mais dans lÊimmédiat, ment des fois où les tournages dÊUshuaïa dÊUshuaïa, avec ce quÊils comportent sÊil a des questions, des interroga- nous souhaitons bon vent aux au- sont très proches de ces univers. Pour dÊimprovisations et de créativité, re- tions, il se met directement en contact teurs, bon succès à cette nouvelle nous, cÊest un cadeau de voir nos quièrent un peu dÊhumour, dÊironie et avec eux, ou avec moi évidemment. collection. Nous les accompagnerons aventures en BD. Ça permettra aussi dÊautodérision. Toutes ces expériences et nous les suivrons avec beau- aux enfants de sÊapproprier une partie réveillent en nous notre âme dÊado- Que pensez-vous du coup dÊintérêt... dessin de Curd Ridel ? Je ne suis pas un spécia- PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER PISELLA liste, juste un passionné. (merci à Pascal Bresson Curd Ridel a su trouver le pour son rôle dÊintermédiaire) dessin qui nous relie jus- tement à cet univers, à cet- c Retrouvez Nicolas Hulot en dédicace avec Pascal Bresson et te atmosphère des BD clas- Curd Ridel à Quai des Bulles, siques que nous aimons bien. stand Glénat, le 9 octobre. Je suis moins sensible aux BD contemporaines ou futuristes. CÊest de USHUA˛A, T.1 la BD au sens où nous lÊentendons. LE TRÉSOR DES MOA˛ JÊespère que cela donnera aux lec- de Bresson et Ridel,

© Bresson et Ridel / GLÉNAT teurs une autre approche dÊUshuaïa. Un Glénat, 48 p. coul., 9,95 €

53 I nternet & B d Les nouvelles bulles du web Avec l’arrivée de Facebook et des réseaux sociaux, beaucoup ont annoncé la mort des blogs. C’était sans compter sur un petit village (planétaire) d’irréductibles Gaulois créateurs de bandes dessinées et habitant le web… À l’occasion du Festiblog 2010 (les 25 et 26 septembre 2010), 6e édition de ce festival qui consacre les blogs BD et le webcomics, « Zoo » vous propose sa sélec- tion annuelle des meilleures bandes dessinées du web. © SOPOPERA © SOPOPERA

JETLAG DE SACHA GOERG POUR LES AUTRES GENS LES AUTRES GENS - PHILIPPE SCOFFONI

DU CÔTÉ DU GRATUIT, Lauréate du Prix de la Révélation blog 2010 lors du aujourdÊhui deux années de petites illustrations ÇA CONTINUE À FOISONNER... Festival International de la Bande Dessinée dÊAn- dans lesquelles lÊauteur sÊamuse des absurdités du goulême, Lilla apporte un vent de fraîcheur dans la monde avec un cynisme bien dosé et pas mal de non- l y a presque un an, Guillaume Long (Swimming déjà très riche blogosphère féminine. Kawaï et gir- sens. ¤ découvrir sur : poule mouillée, Comme un poisson dans lÊhuile...) a lancé ly, son blog se distingue des tendances actuelles grâ- http://donne-moi-ton-ballon.blogspot.com I un blog BD gastronomique appelé ¤ Boire et à ce à un univers très personnel regorgeant de petites manger. Invité par la plateforme lemonde.fr, lÊartiste y perles drôles, poétiques et joliment réalisées. ¤ dé- Enfin, pour les amateurs dÊexpérimentations, le livre dÊappétissantes planches faites de recettes couvrir sur http://lillablog.over-blog.com. Les ama- blog de moon vous fera découvrir ce que peut être dessinées, dÊanecdotes gourmandes et de conseils cu- teurs de dessin féminin pourront également jeter un la BD interactive. Sur la base de cases cliquables, lÊau- linaires. Le dessinateur possédant le talent dÊun grand flil aux illustrations des dessinatrices Yrgane teur déroule ses strips multidimensionnels mêlant chef, il y ajoute un soupçon dÊinvités et une bonne (http://yrganebd.canalblog.com) et Lucie Mazel poésie et ludisme. Nul doute que lÊavenir verra gran- dose de passion. Une recette à consommer sans (http://lucy-mazel.blogspot.com). Peu de points dir les expérimentations de ce type. En attendant, modération et à retrouver sur : communs dans les univers graphiques de ces deux rendez-vous sur : http://long.blog.lemonde.fr jeunes diplômées de lÊécole Émile Cohl, à part peut- http://lebloggirlydemoon.blogspot.com être la virtuosité, mais on a très envie de voir la sui- Autre blog animé par des auteurs professionnels, 12 te de leur carrière⁄ DU CÔTÉ DU PAYANT, Mois Chrono est réalisé par Nicolas Keramidas et Nob. « LES AUTRES GENS » OUVRENT LA VOIE ! Après avoir proposé ses 365 dessins en un an sur papier, Médaille dÊargent de la Révélation blog sus-citée, le internet et mobile, lÊauteur de Luuna sÊest lancé dans Yodablog est un incontournable pour les fans de Star i lÊidée de faire payer des contenus cultu- une collaboration amicale avec celui de Mamette sous Wars. Son humour délirant et ses parodies décalées rels peine à se répandre sur le web, il faut la forme dÊun ping-pong artistique proche du cadavre de la saga légendaire ont déjà fait des centaines S remarquer que Thomas Cadène (Sextape exquis. Chaque jour, à tour de rôle, lÊun des deux dÊadeptes. Rejoignez-les sur www.yodablog.net chez KSTR), promoteur, animateur et principal scé- compères publie la nouvelle planche dÊune histoire nariste du site Les Autres Gens, fait figure de pionnier. mensuelle. Récits dÊaventure, fables animalières et his- Plus confidentiel, La Dissonance des Corps réalisé par Son idée ? Proposer une BD-feuilleton proche des toires de fantômes chinois ou écossais, lÊensemble est Noël Rasendrason mérite vraiment le coup dÊflil. Ce telenovelas, avec une diffusion très large et une pé- disponible sur http://12moischrono.blogspot.com qui nÊétait au départ quÊun projet dÊécole regroupe riodicité quasi-quotidienne, deux éléments que

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seul le web peut proposer à des auteurs quée semaine érotique réalisée par Sa- non-stars. LÊhistoire part dÊune pro- cha Goerg. position simple : suivre Mathilde, ses amis et tous Les Autres quÊelle croise Là où beaucoup prévoyaient un échec de péripéties en péripéties dans un ré- ou un essoufflement rapide, Les Autres cit fait de surprises et de cliffhangers qui Gens ont su faire la preuve quÊun mé- vous amèneront à revenir régulière- lange fait de qualité et de quantité pou- ment. vait être soutenu par les internautes. Sans que le modèle financier ne per- Jour après jour, une trentaine dÊartistes mette aujourdÊhui de préjuger de la via- talentueux de la nouvelle scène BD bilité du projet sans la passion et lÊé- mettent lÊhistoire en images. Parmi nergie de ses auteurs, il a le mérite ceux-là : Bastien Vivès, Benjamin Ba- dÊexister et dÊexplorer de nouveaux chelier, Boulet, Camille Jourdy, Chloé possibles. Ainsi, si les premières pages Cruchaudet, Jérome dÊAviau, Manu sont gratuites, lÊinternaute doit ensui- XYZ, Loïc Sécheresse ou encore Niko te sÊabonner (2,79 € par mois, 15 € pour Henrichon, Nicolas Wild, Black Frog, 6 mois ou 29 € par an), avec la possi- Tanxxx, Aseyn et bien dÊautres. La dé- bilité de prendre lÊhistoire en route grâ- ferlante de talents est telle que lÊon ne ce à des résumés réguliers. Plusieurs mil- peut que se laisser emporter. ¤ noter liers de lecteurs ont déjà répondu pré- que cet été, lÊhistoire principale a sent. Il faut dire que pour le prix de trois parfois laissé la place à diverses his- pains au chocolat, cÊest lÊéquivalent de toires courtes dÊinvités explorant 100 planches de BD que vous pourrez dÊautres domaines, le mois de juillet consommer chaque mois⁄ 2010 fut lÊoccasion dÊune très remar- POUIB © Lucy Mazel / SOLEIL

LUCIE MAZEL - LA DANSEUSE PAPILLON

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Liar Game, T.1, de Shinobu Kaitani Quinze minutes Cette série, encore en cours au Japon et déjà transposée en drama, démarre très fort et semble bien partie DE CÉLÉBRITÉ pour obtenir un joli succès. Au Japon plus qu’ailleurs, les carrières des idoles, fabriquées de toutes pièces, sont fulgurantes. La prota- goniste, Musique, émissions télé ou mangas, elles investissent tous les médias et essaient de survivre à lÊhonnête et naïve Nao, ouvrant par inadvertance un colis, se retrouve la fugacité de leur succès. prise dans les engrenages dÊun jeu machiavélique et dangereux, le ÿ Jeu du Mensonge Ÿ. CÊest ainsi que, face DR à un dilemme proche de celui de The Box de Matheson, Nao fait appel à un ex-escroc, Akiyama, aux allures de Mentalist. Au fil dÊun scénario épatant dÊinventivité et de subtilités logiques (ingrédients que lÊon apprécie tant retrouver dans les mangas depuis Death Note), cette série pose la question morale et sociale de la confiance mutuelle. Tonkam, coll. Young, 224 p. n&b, 7,90 € CAMILLA PATRUNO The Royal Doll Orchestra, T. 1 , de Kaori Yuki La vague zombie déferle sur le Japon, portée par les notes dÊune relecture de la flûte de Hamelin. Ici, pas de flûte mais un orchestre dÊindividus au look glamour à souhait et au physique androgyne, pour charmer non pas des rats, mais des ÿ guignols Ÿ. Ces derniers sont atteints dÊun mystérieux virus qui les réduit à des marionnettes cannibales. La voix de Rutile sait les apaiser et leur rendre momentanément une conscience. Mais quelles sont ses EXTRAIT DU CALENDRIER 2010 DU GROUPE DE J-POP MORNING MUSUME, COMPOSÉ DE JEUNES IDOLES véritables motivations ? Finalement, on joue tous un rôle dans lÊabsurde théâtre de la vie... Du gothique e terme est français, mais le la majorité. Il existe en théorie un épingle du jeu en se recyclant dans fantastique teinté dÊhumour noir phénomène est typiquement système pour essayer de prolonger sa dÊautres activités populaires. Ainsi, les par lÊauteur de Angel Sanctuary. japonais. ÿ LÊidole Ÿ – expres- chance : la graduation, cérémonie dÊadieu ABK48, groupe de 48 filles divisé en Tonkam, coll. Shôjo, 192 p. n&b, 6,25 € L CAMILLA PATRUNO sion empruntée au film français au – en général à la fin dÊun concert – qui trois sections (A,B, K, justement), qui en succès retentissant au Japon, Cherchez permet de passer dÊun groupe dÊun cer- 2009 sÊest produit pour la première fois Maiwai, T.1, lÊidole (1964), avec Sylvie Vartan – est tain âge, suivi par un public spéci- en Europe, à Expo, vient de lan- de Mochizuki Minetaro une star adolescente, à la carrière artis- fique, à un groupe dÊâge plus mûr, cer son manga chez lÊéditeur Shueisha. Au tique aussi brillante quÊéphémère. LÊé- donc à une nouvelle cible marketing – championnat du monde du quivalent masculin est désigné par le ter- voire à une carrière en solo. Ça a réus- On peut devenir une idole à la suite ÿ pitch Ÿ me ÿ johnny Ÿ, non pas en hommage si par exemple à Nami Amuro. dÊune audition privée ou télévisée, improbable, à notre Hallyday national, mais à la puis- mais le plus souvent cÊest grâce à une une BD Pika se tient en sance de lÊagence Johnny & Associates. Il est plus rare de voir un cas de li- agence spécialisée. Si lÊon rencontre dans bonne cenciement à la suite dÊun scandale, des mangas tels Skip Beat (de Yoshiki Na- position : Pas nécessairement hyper talentueu- comme celui de Ai Kago, ex-Morning kamura, chez Sakka) la figure de lÊagent, lÊhistoire dÊune jeune se, mais obligatoirement mignonne et Musume (groupe féminin de J-pop, le mécanisme commercial et formaté

couverture de l’édition japonaise fille stylée, lÊidole a intérêt à profiter à fond NDLR), délaissée par ses agents et derrière les paillettes et les sourires nÊest passionnée de son moment de gloire, vendant son producteurs pour ses frasques. Quoique, pratiquement jamais éclairé. Il nÊest de free fight (parce que sa mère mourante lui a demandé dÊêtre forte) image pour des produits dérivés, jouant elle a encore du chemin à parcourir pas rare, en fait, quÊune grande agence qui vit seule avec son père dans la dans un drama (type de série télévisée au avant dÊarriver à la cheville dÊune Brit- comme la Johnny prépare ses idoles dès grande maison de son grand-père, format court dÊorigine japonaise, NDLR) ney Spears ! Les déboires de Kago com- lÊâge de 8 ou 10 ans, pour les substituer légende de la pêche au harpon, et qui ou doublant un (film ou série dÊani- mencent en fait lorsquÊelle se fait pho- à lÊâge adulte avec dÊautres, interchan- se trouve confrontée à des pirates cherchant une île au trésor avec des mation au Japon, NDLR), animant une tographier fumant une cigarette à 18 ans, geables. CÊest sûr que présenté comme masques de catch sur la tête⁄ émission télé et collectionnant les cou- bravant la loi japonaise qui lÊinterdit ça, ça casserait lÊélan... CÊest parti pour 11 tomes entre vertures de magazines... ça ne va pas du- avant le vingtième anniversaire. Cer- Muscleman, One Piece et Taniguchi ! Pika, 272 p. n&b + 8 p. quadri, 12,50 € rer ! Souvent, ces carrières sÊarrêtent à taines idoles essayent de tirer leur CAMILLA PATRUNO BORIS JEANNE

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Ogenki Clinic, T.1, de Haruka Inui ¤ lÊorigine du succès des mangas en France à la fin des années BIEN AVANT « HAKUNA MATATA » 1980, on trouve bien sûr Dragon L’éditeur Kazé propose aux Ball et Akira, mais aussi petits de découvrir les ori- pas mal de gines du célèbre lion blanc du mangas coquins, dont « Roi Léo » (Osamu Tezuka), lÊun des plus connus est Ogenki Clinic, sorti à lÊépoque seulement pour deux qui a directement inspiré « Le tomes chez deux éditeurs différents Roi Lion » de Disney. alors que des millions de volumes se sont vendus au Japon. Les éditions 12bis se lancent maintenant dans lÊintégrale en neuf tomes, sens de lÊoccasion de Japan Expo, lecture original, et meilleure qualité Kazé a inauguré sa nouvelle de papier (faisant moins lecture de gare⁄). Laissez-vous tenter par cette collection Kids par la réédi- À Productions / Tezuka © Osamu Tezuka Jungle Tattei suite dÊimprobables fantasmes de tion dÊun grand classique du dieu du sexologie, chez un docteur à la manga Tezuka : Le Roi Léo. Grand for- coupe de cheveux inoubliable mat pour une meilleure lisibilité, sens et aux capacités de déformation étonnantes ! de lecture occidental, onomatopées re- 12bis, 220 p. n&b, 10 € travaillées en français... Kazé vise une BORIS JEANNE cible encore très peu exploitée par les Deadman Wonderland, éditeurs de mangas, les 6-10 ans. T. 1 , de Kondou Kazuma et Kataoka Jinsei Dans lÊHexagone, la première tra- Dans un futur duction connue pour cette série, en ruine (les créée par Tezuka en 1950, date de Japonais sont 1996, par les éditions Glénat, là aussi naturellement optimistes), en sens de lecture français. Deux ans Tokyo finance plus tôt, lÊhistoire du majestueux lion sa recons- blanc qui veille sur tous les animaux de truction en transformant la forêt avait été reprise par Disney sa prison en dans un plagiat vraiment pas discret et parc pas assumé, qui souleva les protesta- dÊattraction où les tions des fans de Tezuka et encaissa des détenus participent aux animations millions au box office. Le public pour y survivre – ambiance Running français connaissait déjà cette histoi- Man assurée ! Un ado injustement condamné à mort tente de se sortir re pour lÊavoir vue en dessin animé à de là avec lÊaide dÊune mystérieuse la télé. jeune fille : la suite devrait nous amener à une sorte de Prison Break Marqué très probablement par la remixé avec Gunm⁄ Kana, 216 p. n&b + 8 p. coul., 6,25 € polémique virulente autour de Tintin au BORIS JEANNE Congo, Kazé fait attention (comme déjà Glénat à lÊépoque, dÊailleurs) en pré- La Chenille, cisant que les temps ont changé et que Le parcours de Léo, qui grandit loin de Suehiro Maruo, beaucoup dÊexpressions ÿ parfaite- de sa terre dÊorigine, qui est élevé par dÊaprès Edogawa Ranpo ment acceptables Ÿ il y a 60 ans, ne le des humains puis qui revient en Adaptée sont plus forcément aujourdÊhui. Lors Afrique et doit assumer le rôle de chef dÊune dÊune réédition au Japon, Tezuka lui- hérité de son père, est une jolie mé- nouvelle de Ranpo même avait demandé de faire figurer taphore de la recherche de sa vraie na- publiée en un avertissement à propos de cer- ture et de sa place dans la société et 1929 et taines représentations pas très politi- dans la vie. interdite quement correctes. Tezuka y mène aussi une réflexion sur les années suivantes, Le Japon de 1950 est sous lÊoccupation lÊimpact du style de vie de lÊhomme La Chenille américaine et lèche ses blessures blanc sur les autres civilisations, et sur est proba- dÊaprès-guerre : ce nÊest pas un hasard la violence : impossible dÊignorer sur blement la bande la si, côté humains, le gentil jeune Ke- quoi se base la loi de la jungle ou les plus sexuée nichi est un Japonais, et le chasseur qui instincts naturels de prédateur de dessinée par Maruo⁄ et cÊest peu tue le père de Léo est un ancien offi- Léo. Bien que souvent graphique- dire, car pour ceux qui le connaissent, Maruo est le chantre contemporain cier SS. Le Zimbabwe sÊappelait ment brouillée ou se passant ÿ hors de lÊeroguro, un mouvement artistique Rodhésia, la République démocra- case Ÿ, la mort est bien présente dans éclos dans les années 1930 au Japon. tique du Congo était encore belge, les le manga. Tezuka a en effet choisi un Critique de lÊabsurdité militaire, du LE ROI LÉO, T.2 rôle soumis de la femme, la nouvelle chefs de tribu sÊexprimaient de façon contexte – la nature sauvage – dans le- évoque avec délectation la relation stéréotypée et tous les Africains avaient quel son idéal dÊamour universel est de Osamu Tezuka, charnelle quÊune épouse entretient de grosses lèvres... dÊoù lÊempressement mis à lÊépreuve. Le petit lecteur pour- Kazé, avec un mari rendu atrocement de lÊéditeur à rappeler et souligner lÊhu- ra y réfléchir avec ses parents. mutilé par la guerre. ˜mes sensibles, 192 p. n&b, 12,95 € sÊabstenir ! manisme et lÊamour de Tezuka envers Le Lézard Noir, 148 p. n&b, 16 € toutes les créatures vivantes. CAMILLA PATRUNO CHRISTIAN MARMONNIER

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Abe Sapien : La Noyade, de Mignola & Alexander LÊunivers de Hellboy sÊétend à de nombreux projets Le cas annexes. Si lÊon ne vante jamais assez la qualité de la série BPRD, il ne faut pas oublier certains récits plus courts, comme par exemple de nos cette mission solo édifiant dÊAbe Sapien, lÊhomme-poisson faisant partie du cercle dÊamis proche du diable héros de Mike Mignola. Comme souvent, Mignola écrit le scénario et supervise le storyboard. Ici, le dessinateur Jason Alexander, tout en restant dans lÊambiance clair-obscur du créateur, livre semblables des planches au trait rugueux et matiéré, qui évoquera sans doute Bill Sienkiewicz, John J. Muth ou Ben Templesmith. Plus aride et tourmenté que le dessin de Vaniteux, imbu de sa personne, méprisant, nombriliste, Mignola, son style nous emmène à nouveau dans un univers mêlant légende intolérant, impatient, intransigeant sauf avec lui même, et fantastique gothique. paresseux et associal… Wilson, le dernier-né de Daniel Delcourt, 128 p. couleurs, 14,95 €

Clowes, est-il totalement irrécupérable ? © Clowes / CORNÉLIUS Capitaine LSD, T.1, de Jim Dandy Qui a dit quÊil nÊy dans la ville de son enfance et de sÊin- Wilson est un loser comme Clowes en avait pas de super- terroger sur sa place dans lÊunivers, la a déjà dépeint de nombreux⁄ Sa par- héros en France ? Sûrement pas Jim brièveté de lÊexistence et la trace quÊil ticularité est dÊêtre un peu le résultat des Dandy, qui signe ici va laisser... précédents, leur version vieillie et en son premier album, bout de parcours. Difficile de ne pas chez un petit

éditeur, les éditions © Clowes / CORNÉLIUS Clowes est désormais en pleine pos- y voir comme un avertissement im- Réflexions. Suivant session de ses moyens dÊexpression et précatoire. Avec dérision, lÊartiste la trace du Mikros cÊest dans une histoire simple comme semble mettre en garde ceux qui ont de Mitton, du Photonik de Tota, de la Brigade Chimérique de Gess, Jim Dandy celle-là, dépourvue de tous les artifices tant loué sa causticité : voyez ce à quoi aborde les super-héros avec le même sens romanesques habituels, quÊon peut en peut mener tant de cynisme, de né- de lÊhistoire du genre (on retrouve les prendre la pleine mesure. En effet, il nÊy gativité et de rancflur accumulés ! Ain- premiers héros des années 40, les personnages colorés à la Stan Lee, les a ici ni super-héros, ni cauchemars em- si, derrière le misanthrope on dé- vigilants sur-armés dÊImage) que les boîtés, ni de personnages extrava- couvre assez logiquement un moralis- grands scénaristes de comics, mais décide gants. Juste un connard donneur de te. Comme Clowes est le plus littéraire dÊexplorer le genre par le chemin de leçons vieillissant qui a lÊoccasion de des auteurs de BD américains, cette lÊaprès : que se passe-t-il quand les héros des années 80 raccrochent les gants, sÊouvrir aux autres et de progresser. leçon de morale est servie avec rete- quand ils font le bilan en 1994 ? Avec un nue, humour et émotion : comment au dessin expressif dÊune grande sensibilité, l est difficile de sÊy faire, mais Da- LÊauteur déroule son histoire sous la final ne pas compatir devant un de nos il injecte du sentiment, de lÊintrospection et de lÊhumour dans un genre qui avait niel Clowes, le prince de la BD forme de gags en une planche. Son hu- semblables qui, après avoir conscien- oublié ce que cÊétait. Welcome to the 90Ês indé américaine, celui qui a si mour repose sur le langage (le dit et le cieusement raté la première partie de est un album artisanal, le lettrage en I bien chanté lÊarrogance et le pathétique non-dit) et sur son prodigieux sens de sa vie, sÊemploie presque instinctive- témoigne. Mais qui dit artisanal dit amour de lÊart. Jim Dandy aime la BD, les super- de la jeunesse, va avoir 50 ans. Wilson, lÊellipse (entre deux gags, il peut dans ment à saborder la seconde ? héros, et les gens. Ça se sent ! lui, en a 43 au début de cet album. Il le récit sÊécouler quatre ans !). Selon Éditions Réflexions, 80 p. coul., 11,90 € vit seul avec sa chienne, ne semble pas une technique dont il est passé maître, VLADIMIR LECOINTRE avoir dÊamis et déteste ses semblables, il alterne des registres graphiques va- Judge Dredd, T.1, même sÊil proclame le contraire. CÊest riés mais cependant tous issus de la tra- Heavy Metal Dredd, le genre de gars qui adresse la parole dition du comic américain. DÊune de Wagner, Grant et Bisley Plus connu dans nos à tout le monde pour avoir le plaisir de planche à lÊautre, les ruptures ainsi pro- contrées par sa sÊentendre pérorer. voquées ont pour effet tour à tour dÊob- légende, les Il est à un tournant de son existence, jectiver, de relativiser, de dramatiser, références que certains auteurs lui comme souvent en littérature : son de caricaturer ce qui est donné à voir. consacrent, et père, quÊil nÊa pas vu depuis des années, Ainsi, ce qui pourrait nÊêtre quÊhilarant lÊadaptation cinéma va mourir. CÊest lÊoccasion dÊun retour se double dÊun revers déprimant. avec Stallone, que par la traduction de ses aventures, Judge Dredd est un véritable phénomène outre-Manche. Créé sous le mandat de Margareth Thatcher, Dredd est lÊexpression ultime de la loi à Mega-City One, ville tentaculaire dans un futur post-apocalyptique. ¤ la fois juge, juré et exécuteur, il est une satire © Clowes / CORNÉLIUS politique mordante dÊun monde moderne WILSON déshumanisé, et une parodie du genre super-héros. Wagner et Grant, les deux scénaristes qui lÊont fait naître, sont de Daniel Clowes, associés dans ce recueil à Simon Bisley, Cornélius, célèbre dessinateur de Slaine et Lobo, et coll. Solange, Brendan McCarthy. Ne boudez pas ce 80 p. couleurs, 22 retour du justicier : la loi, cÊest lui ! € Soleil US, 64 p. couleurs, 12,90 € JEAN-MARC LAINÉ

60 C omics Le bon goût des CANNIBALES Le détective Tony chu est un « cibopathe » : son pouvoir psychique lui permet d’obte- nir des informations sur ce qu’il mange : légume, viande ou… victime ! ans un monde fictif où la FDA (Food & Drugs Admi- D nistration) fait respecter la loi, lÊalimentation se retrouve sous les feux

des projecteurs. Le poulet, par exemple, © Layman et Guillory / DELCOURT est totalement prohibé et nÊest plus vendu quÊau marché re difficile à résoudre, le héros nÊhé- gimmick qui sÊessouffle. Chacune des his- bum. Si votre estomac est un peu fra- noir consécutive- site pas à ÿ diversifier Ÿ son ali- toires justifie pleinement lÊEisner Award gile, on vous conseillera de ne rien ment à une nouvelle mentation pour que les cadavres de la meilleure nouvelle série que manger en lisant. Dans le cas contrai- épidémie mortelle de ÿ passent à table Ÿ⁄ Chew (littéralement ÿ mâche Ÿ, nom re, dévorez cet album, mais sachez grippe aviaire⁄ LÊen- original de la série) a reçu cette année. quÊon ne rigole pas la bouche pleine ! quêteur Tony Chu CÊest sur cette idée grinçante que possède un singulier John Layman et Rob Guillory Du côté du dessin, le style de Rob JOHN YOUNG pouvoir quÊil essaie de démarrent lÊun des comics les Guillory permet à la série dÊéviter le cacher. SÊil mange un plus enthousiasmants de lÊannée. gore trop réaliste, tout en collant par- fruit, il peut savoir dÊoù il Si le cannibalisme de Tony faitement au mélange de noirceur et TONY CHU, DÉTECTIVE provient et comment il a Chu est évidemment un concept dÊhumour de lÊintrigue. Son style vo- CANNIBALE, T.1 GOðT DÉC˚S été cueilli. SÊil mange de la moderne rappelant les anti-héros de la lontairement exagéré apporte beaucoup de John Layman viande, il peut revivre lÊabattage de lÊani- télé, Dexter en tête, le scénariste réus- de saveur aux différents jaillissements et Rob Guillory, mal. Et sÊil se retrouve dans une affai- sit à ne pas tomber dans le travers du de sang et de tripaille qui peuplent lÊal- Delcourt, 56 p. coul., 13,95 €

61 zoom B d C anadienne ToXic, de Charles Burns

© Burns / CORNÉLIUS CEREBUS Ce nouvel album de Charles Burns paraît simultanément en France et aux États- GRAPHIC © Dave Sim / VERTIGE Unis. Il sÊagit de la première partie dÊune histoire à suivre. Difficile donc de savoir sÊil sÊagira au final dÊune fluvre aussi l’oryctérope magistrale que Black Hole. Quoi quÊil en soit, on y retrouve déjà tout ce qui fait la singularité du plus américain des créateurs de cauchemars : une atmosphère malade et envoûtante, le portrait dÊune jeunesse entreprenante arrive en France mais toujours en danger, cette si particulière fascination sexuelle ourlée de bizarre, cette attraction pour lÊincongruité Trente-trois ans après son démarrage et sept organique. Surtout reconnu pour son noir et blanc, lÊartiste se montre ici très habile ans après sa fin, l’immense saga de « Cerebus », dans lÊutilisation de la couleur. du Canadien Dave Sim, est enfin disponible en Ce qui, dès la couverture, France, après une édition en Espagne. C’est nÊéchappera à aucun lecteur probablement l’œuvre la plus ambitieuse du de BD, cÊest neuvième art. La plus exigeante, aussi. lÊomniprésence des références à lÊfluvre dÊHergé. LÊhistoire met en n 1977, le jeune Dave Sim présente un projet de scène un jeune comic-book à Archie Goodwin, lÊun des responsables homme en pleine éditoriaux de Marvel. Il sÊagit dÊune parodie légè- convalescence médicamentée et E entremêle ses souvenirs dÊavant le re de Conan le barbare, avec dans le rôle principal un orycté- mystérieux accident et ses cauchemars rope1. Le dessin encore mal assuré imite celui du grand des- du moment présent... qui semblent être sinateur de de lÊépoque : Barry Windsor-Smith. Las, modelés à partir de réminiscences Conan dévoyées des aventures de Tintin. Archie Goodwin nÊest pas intéressé. Nullement découragé, ¤ ce stade du récit, il est impossible Dave Sim prend alors la décision de sÊauto-éditer. Ceci est de déterminer si ces échos sont à lÊépoque extrêmement rare et garantit presque un échec, diégétiquement intégrés à la trame. En dÊautres termes : est-ce le personnage tant le marché est partagé entre les deux grands que sont qui est imprégné des aventures du petit Marvel et DC. reporter jusquÊà lÊobsession, ou est-ce lÊauteur qui détourne la grammaire dÊHergé pour en faire la matière même En sÊauto-publiant, Dave Sim conserve un contrôle édi- dÊune dimension hallucinatoire ? Et par torial total sur sa création. Et, là où chez de moins chan- ce choix, quel but poursuit-il ? Est-ce ceux lÊexpérience sÊarrêterait au bout de quelques numéros, une simple convention narrative ? QuoiquÊil en soit, la cote de Charles elle sÊavère fructueuse pour lui, tout-au-moins au début. Les Burns va grimper en flèche auprès des aventures débridées de Cerebus2 amusent, passionnent, et un collectionneurs franco-belges. socle de fans sans cesse grandissant voit le jour, confortant Cornélius, 64 p. couleurs, 21 € Dave Sim dans ses intentions. Après une douzaine dÊépisodes Harv & Bob, de Robert (le comic-book paraît tous les deux mois), Dave échafaude alors Crumb et Harvey Pekar un plan fou : il fera de Cerebus une saga immense de 300 numé- Avec 30 ans ros, soit près de 6000 pages, ce qui lui prendra 25 ans de dÊavance sur sa vie. Pari fou. Mais pari gagné, puisquÊen mars 2004 pa- lÊeffroyable mode des blogs BD, raît le numéro 300 de Cerebus, qui met ainsi fin à lÊhistoire lÊAméricain de ce personnage – et de cet auteur – hors du commun. Cet- Harvey Pekar te aventure éditoriale ne serait en elle-même pas tant digne raconte en bandes dessinées dÊintérêt si lÊfluvre qui en avait résulté nÊavait pas été aussi son personnage : contrées, villes-états, politiciens, religions, les événements magistrale. Disons-le tout net : lire Cerebus, cÊest lire lÊfluvre Histoire⁄ de sa vie, petits de bande dessinée la plus accomplie, la plus dingue, la plus Le deuxième roman, High Society (Haute Société), montre et grands. Il ne cherche pas lÊabsolution auprès de ses intelligente qui ait jamais été créée, et il y a fort à parier que comment le barbare Cerebus parvient à se hisser (malgré lui lecteurs, ni à réduire son existence en dans 200 ans on étudiera encore Cerebus tant il y a matière au début) dans les cercles de la politique et du pouvoir, jus- une succession de gags digestes et à dire. Mais attention, lÊfluvre nÊest pas à mettre entre toutes quÊà devenir Premier ministre, un poste quÊil ne gardera formatés. Il témoigne dÊune certaine âpreté de la vie. Son point de vue les mains. dÊailleurs pas longtemps : Dave Sim lui fait subir toutes sortes prolétarien, son attention aux autres, ainsi de crises qui rappellent les ÿ Six crises Ÿ de Richard Nixon. que le fait quÊil délègue la part de dessin, Dave Sim commence par ÿ scinder Ÿ lÊhistoire de Cere- CÊest par ce livre que lÊédition française démarre, choix ju- le distinguent de la masse de ses suiveurs bus en ÿ parties Ÿ ou ÿ romans Ÿ, qui se voient réédités en dicieux, à notre sens. autobiographes. Ce recueil regroupe les récits mis en images par son ami Robert recueils. Le premier, intitulé tout simplement Cerebus, com- Le troisième roman, Church & State (LÊÉglise et lÊÉtat) est en Crumb qui a tendance à en accentuer le porte les 25 premiers épisodes et relate les petites aventures deux parties (Cerebus n°51 à 110). Les choses sont devenues caractère comique, parfois à tort. ÿ barbares Ÿ de Cerebus, guerrier égoïste et à la langue bien beaucoup plus sérieuses puisque Dave Sim y démolit la re- Certaines de ces histoires ont déjà été publiées en français dans le premier tome pendue. Les dialogues sont truculents, les intrigues intelli- ligion organisée et fait de Cerebus un⁄ pape ! de lÊanthologie American Splendor publié gentes et fort bien trouvées, comme celle dans laquelle Ce- lÊan passé par les éditions Çà & Là, qui rebus, ayant trop bu, se réveille à des lieues de là où il était, Le barbare moqueur du début a bien évolué. Et la série annoncent dÊailleurs la sortie imminente du tome 2. sans aucun souvenir de ce qui sÊest passé. (Le lecteur nÊen aussi. La place manquant, on se contentera de dire que Dave Harvey Pekar est mort cette année. saura pas plus)3. Le dessin sÊaffirme et devient solide. Ce fai- Sim aborde avec un sérieux croissant les thèmes de lÊamour, Cornélius, 128 p. n&b, 21 € sant, Dave Sim commence à créer tout un univers autour de de la mort, de la maternité, des conflits de génération, du VLADIMIR LECOINTRE

62 B d C anadienne féminisme, de la religion (encore et toujours), de la métaphysique, de lÊart et de la création⁄ Bref, il nÊest guère de thème important qui ne soit abordé dans Cerebus.

Le style narratif varie lui aussi : tantôt bande des- sinée classique, il arrive aux cases dÊexploser dans des formes oblongues et géométriquement impro- bables, quand Dave Sim ne délaisse tout simplement GRAPHIC © Dave Sim / VERTIGE pas carrément le dessin pour écrire des pages entières de textes que viennent orner quelques enluminures. quÊArn devenait adolescent, ce fut toujours Valiant qui garda la vedette, sans vieillir. Peut-être les au- Dans lÊépisode n°110 (le dernier de Church & Sta- teurs conservent-ils leur héros dans leur jeunesse car te), Cerebus se retrouve brièvement sur la Lune ils ont peur de mourir eux-mêmes. Peut-être était- (cÊest une longue histoire) et rencontre un person- ce lÊidée quÊOscar Wilde eut lorsquÊil fit Le Portrait de nage qui lui révèle quÊil ÿ mourra seul, sans personne pour Dorian Gray. Peut-être est-ce la raison pour laquel- lÊaimer ni le regretter Ÿ. Cette révélation – dont il ne sait le les lecteurs sont moins réceptifs aux deux derniers si elle est vraie ou fausse – est une charnière dans volumes de Cerebus. Ils lisent de la BD pour sÊévader, sa vie et dans la série. Cerebus nÊaura alors cesse dÊes- et oublier quÊils deviendront vieux eux-mêmes (si sayer dÊéviter que cette prédiction ne se réalise, avant Dieu le veut !). de finalement lÊaccepter. Il y aurait encore infiniment à dire sur cette série, mais nous laisserons les plus Quelles ont été vos influences ? avertis dÊentre vous la découvrir. Barry Windsor-Smith, bien sûr. Quelle innovation que dÊutiliser lÊArt nouveau dans les comics dans les années 70 ! Il eut sa légion dÊadeptes, dÊailleurs. Et INTERVIEW DE DAVE SIM Neal Adams, pour sa rigueur de travail : ÿ Vous de- vez être capable de regarder dehors et de voir que cÊest un jour Pourquoi un héros dÊheroic fantasy ? superbe, puis de rentrer et de vous mettre à dessiner toute la JÊempruntais – je volais, plus précisément – le journée Ÿ, disait-il avec justesse. Will Eisner a été le concept dÊHoward the Duck, de Steve Gerber : celui meilleur narrateur en bande dessinée. Vers la fin de dÊun animal au milieu dÊun monde dÊhumains. Donc Cerebus, alors que la majorité de lÊestablishment des jÊavais besoin de situer lÊhistoire à un autre moment, comics me boudait à cause de mes vues politiques, soit dans le futur, soit dans le passé. Comme je dé- il mÊinvita à diner, ce qui valait bien tout lÊostracis- teste utiliser une règle pour dessiner et encrer, jÊai me que jÊeus à subir du reste de lÊindustrie. Norman préféré la situer dans le passé, avec ses angles et ses Mailer fut également une grande influence. lignes irrégulières. Pourquoi une fresque aussi longue ? QuÊest-ce que Cerebus ? Conceptuellement, je voulais me lancer dans une CÊétait une tentative de relater la vie dÊun person- fluvre un peu similaire à celle de Dostoïevski : un nage de comics avec son début, son milieu, et sa fin. comic-book LÊIdiot, suivi par un comic-book Les Frères Je voulais éviter le cliché du personnage qui ne vieillit Karamazov, suivi de Crimes et châtiments. Mais dès High jamais, ou qui vieillit si lentement que tout sens de Society, le nombre de pages sÊest mis à déborder car développement narratif est perdu. CÊest le problè- jÊestimais que je nÊavais pas assez parlé de religion, me avec Spider-Man, qui est éternellement ÿ tout et donc jÊai enchaîné sur Church & State, qui fit 1100 juste sorti dÊuniversité Ÿ. Hal Foster avait tenté, avec pages. Au final, jÊespère que la postérité jugera les son Prince Valiant, de le faire vieillir et de le rem- 6000 pages que jÊai faites en considérant quÊelles ont placer petit-à-petit par son fils Arn. Cependant, alors les qualités dÊun seul livre de Dostoïevski. * © Dave Sim / VERTIGE GRAPHIC © Dave Sim / VERTIGE

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Pourquoi lÊautoédition ? Cerebus aborde bien des thèmes. Les- la fin de Church & State, au numéro 110, 1 Un oryctérope (aardvark en anglais), est un Pour* des questions dÊautonomie et de quels, et comment avez-vous pu après cinq ans de travail, nÊa provoqué petit animal fourmilier qui se situe entre le co- contrôle, qui sont absolument cru- maintenir un tel niveau dÊinspira- que le silence. Dix ans plus tard, ce- chon et le kangourou. 2 ciales afin dÊextraire le meilleur de sa tion ? pendant, cÊétait devenu un classique. Les Le personnage devait initialement sÊappeler Cerberus, avant quÊune faute de frappe ne créativité. JÊai flirté avec lÊidée de re- Ils sont assez simples : High Society, la gens voulaient revoir leur parodie de vienne modifier son nom. joindre DC dans les années 80. Mais ils politique. Church & State, la religion or- Conan. Mais si vous essayez de racon- 3 En fait, un épisode ÿ hors série Ÿ (et quasi- mÊavaient dit quÊils exerceraient un ganisée. JakaÊs story : lÊamour. Melmoth : ter la vie entière dÊun personnage, introuvable, puisque non repris dans les certain contrôle éditorial ; ils vou- la mort. Etc. Mon problème nÊa pas été vous ne pouvez revenir en arrière. ÿ recueils Ÿ) viendra, des années plus tard, le- laient que je change lÊaspect de Lord Ju- le manque dÊinspiration mais le trop- Quand quelquÊun a 30, 40, 50 ans, etc., ver le voile sur ce passage. lius pour quÊil ne ressemble plus à plein dÊinspiration. Dessiner un comic- il nÊa plus 20 ans. CÊest ainsi. Une autre Groucho Marx, etc. book nécessite énormément de temps, réaction que jÊai eue fut : comme je suis mais réfléchir à des idées prend moins le créateur de Cerebus et que sa de temps. Étant à la fois scénariste et conduite est très reprochable, ne de- dessinateur, jÊavais constamment besoin vrais-je pas le punir ? Étant athéiste, je de me discipliner et de refouler mon nÊavais pas songé à ceci. Mais jÊai un fort trop-plein dÊidées, parce que le dessi- sens de ÿ justice karmique Ÿ. Quand nateur nÊarriverait pas à suivre. est-ce que Cerebus allait être puni ?

Quelles réactions avez-vous eu des Quand avez-vous décidé de vous em- lecteurs et celles-ci vous ont-elles in- barquer dans cette immense aventu- fluencé ? re qui vous prendrait 25 ans ? Et la fin Les réactions des lecteurs me parve- telle que vous lÊaviez prévue à ce mo- naient bien après la parution des épi- ment a-t-elle changé par la suite ? sodes, et donc ne mÊétaient pas de gran- ¤ lÊété 1979. En ce qui concerne le dé- de utilité. Lorsque jÊétais au milieu de nouement, jÊécrivais toujours mes his- Church & State, la réaction était : ÿ Quand toires en partant de la fin. Donc jÊavais est-ce que Cerebus redevient un barbare la trame jusquÊau numéro 291. Ensuite, rigolo ? Ÿ. Eh bien⁄ jamais. CÊétait dif- les derniers numéros nÊont consisté quÊà HIGH SOCIETY ficile dÊimaginer Dostoïevski sÊen re- décrire la fin que je mÊétais fixée. UNE HISTOIRE DE CEREBUS tournant faire une parodie de cape et OLIVIER THIERRY dÊépée. Les gens attendaient cela de ET PAUL GUILLERM de Dave Sim, Cerebus ; ils nÊattendaient pas une BD de c Retrouvez sur notre site lÊinterview Vertige Graphic, Dostoïevski. ¤ partir du numéro 100, complète et exclusive de Dave Sim,ainsi 512 p. n&b, 35 €

© Dave Sim / VERTIGE GRAPHIC © Dave Sim / VERTIGE les lecteurs ont commencé à partir. Et quÊune autre réalisée en 1992, et des bonus.

64 LE RÉSEAU DE DISTRIBUTION DE ZOO

CULTURE l Magasins Virgin l Magasins Fnac l Espaces culturels Leclerc l Plus de 600 librairies en ˝le-de-france, en Province et en Belgique, dont les réseaux Canal BD, Album, BD Fugue Café, Slumberland, BD World, Paradiffusion... l Les cinémas MK2 l Les bibliothèques de la région parisienne l Certaines médiathèques et bibliothèques de province BUSINESS l Centre dÊaffaires Étoile Saint-Honoré l Salon ADP Orly (Icare) l Salons dÊaéroports et héliports VIP LOISIRS ET TENDANCE l Plus de 100 écoles supérieures et universités l 300 cafés et restaurants littéraires et branchés à Paris l 16 restaurants LinaÊs l 23 Club Med Gym et Club Med Gym Waou l Galeries dans et autour de Paris l Certaines salles de concert l Certaines boutiques de mode l Principaux festivals de BD SUR INTERNET l www.zoolemag.com (avec des bonus) l www.relay.com l Facebook

65 M usique & B d Detroit Metal City GLAM METAL FROM TOKYO ! Véritable phénomène au Japon, « Detroit Metal City » n’a conquis qu’un petit cercle d’initiés en France. Découvrez ce manga monstrueusement comique et outrageusement rock !

ôichi Negishi (23 ans et tou- re japonaise, pour leur part, trouveront jours puceau) se rêve en icô- peut-être en Krauser II une incarnation S ne de la pop suédoise. Gui- postmoderne de lÊesprit du théâtre ka- tare à la main, il se produit dans les buki. Même sÊil nÊassume pas cette par- parcs avec des chansons acidulées et tie de sa personnalité, Negishi est un romantiques : ÿ Avec nos polos à rayures performer de génie, aussi sauvage quÊim- assortis / On va bien sÊamuser / Tes lèvres ont prévisible. Outre des lyrics puissants le goût de la framboise / à cause du gâteau que et provocateurs (incitations au meurtre jÊai mangé à midi Ÿ⁄ (On notera au pas- fldipien rituel, multiples allusions sage que la pop suédoise vue du Japon sexuelles, glorification de la violen- a quelques airs communs avec la nou- ce⁄ la routine death metal habituel- velle scène française.) Malgré les encou- le, quoi), Krauser II est sans doute le ragements de son amie Yuri – quÊil seul chanteur capable de prononcer aime en secret –, Negishi parvient jus- dix fois par seconde le mot ÿ Rape Ÿ te à passer pour un baltringue. Qui (viol, NDT), et ses exploits défraient pourrait imaginer que ce jeune hom- la chronique autant quÊils subjuguent me tranquille est en réalité le démo- les fans. Le groupe DMC est complété niaque Johannes Krauser II, vocal lea- par Jagi, bassiste moins frustré que Ne- der et guitariste du groupe Detroit Me- gishi dans le privé, mais nettement tal City, qui ravage la scène indé to- plus introverti sur scène ; et par Ca- INC. © Kiminori WAKASUGI./HAKUSENSHA, CITY METAL DETROIT kyoïte ? mus, le batteur, le seul qui soit le même sur scène et à la ville (ce qui fait froid BIG IN JAPAN voix au concert des recommanda- KISS ? MY ASS ! dans le dos, vu les tendances psy- Succès retentissant au Japon, avec des tions. Loufoque you all ! Signalons pour Car Negishi a une double personna- chopathes de lÊindividu). NÊoublions ventes qui frôlent le million dÊexem- finir que DMC bénéficie dÊune tra- lité. Il fait partie, presque malgré lui, pas, pour compléter cette galerie, le plaires par volume, la série cartonne duction / adaptation impeccable et hi- dÊun groupe de Death Metal. Dès quÊil ÿ cochon de scène Ÿ (technique- sur lÊarchipel, sous toutes ses formes. larante de Sylvain Chollet : du vrai tra- endosse son costume de scène (armure ment, il sÊagit dÊun bon père de famille, Une adaptation au cinéma en 2008 fit vail dÊauteur. démoniaque et maquillage outran- à la libido SM un peu curieuse, qui se un million dÊentrées dès le premier JÉRłME BRIOT cier), il est comme possédé. Satan lÊha- travestit en ÿ porc capitaliste Ÿ et su- mois dÊexploitation ; lÊanimé fait un ta- bite ! Les amateurs de rock apprécie- bit toutes sortes dÊhumiliations de la bac et il y a même un jeu sur Nintendo ront le vibrant hommage au groupe part de son maître⁄ groink groink), DS ! Bref, la série est un véritable phé- Kiss, référence appuyée par le nom du ni (et surtout) la manageuse du grou- nomène éditorial dans son pays. Ce groupe qui dérive de la chanson De- pe, qui maintient les équipes soudées succès peine pourtant à sÊexporter. troit Rock City. Les amateurs de cultu- par la terreur. DMC a obtenu sous nos latitudes une certaine reconnaissance avec le Japan Expo Award 2009, catégorie Seinen (en clair, le prix de la meilleure série adulte), mais si la série est recom- mandée par lÊACBD, elle tarde à ob- tenir une réelle reconnaissance du pu- blic francophone. Volume après vo- lume, les ventes stagnent sous les 10 000 exemplaires. Pour quelle rai- son ? Cette forme dÊhumour est-elle trop décalée, ou trop trash ? Le des- sin, outré et caricatural, nÊest-il pas as- sez abouti, pas suffisamment esthé- DETROIT METAL CITY tique pour un public européen très exi- geant en la matière ? Ou bien enco- (8 tomes parus) re ce titre nÊa-t-il pas été assez soute- de Kiminori Wakasugi, nu par la presse ? Avant que la série ne 12bis, © DETROIT METAL CITY SEISAKU LINKAI ALL RIGHTS RESERVED SEISAKU LINKAI ALL CITY METAL © DETROIT sÊachève, et puisquÊil nÊest pas trop tard 208 p. n&b, 6,50 € DETROIT METAL CITY A ÉTÉ ADAPTÉ AU CINÉMA EN 2008 pour sÊy mettre, nous ajoutons notre

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zoom C iné & B d Le Dernier exorcisme, de Daniel Stamm Lui, (pas si) moche et méchant

© StudioCanal (quoiqu’oubliable)

Vrai-faux docu, lÊironie en sus, cet énième exorcisme apporte un nouveau regard au mythe. On suit donc un prédicateur, sincère dans sa foi mais devenu cynique avec lÊexpérience. Expert en exorcismes plus vrais que nature, il nous invite à assister à son dernier exorcisme. Mais les choses dérapent... Virage à 180° pour nous faire entrer dans le film dÊangoisse. Si le réalisateur nÊa pas la prétention dÊégaler Friedkin, il sait jouer des effets classiques (musique, caméra à lÊépaule) pour obtenir les réactions attendues. La tension monte, dommage quÊil nÊait pas trouvé une fin plus originale. Sortie le 15 septembre LOUISA AMARA Resident Evil : Afterlife 3D, de Paul W.S Anderson 4e volet de la franchise inspirée du jeu

vidéo, cette © Universal Pictures suite nous plonge dans un Après le crève-cœur ultime que fut « Toy Story 3 », rien de tel que « Moi, moche et méchant », monde où règne le chaos. film d’animation bien fichu, gentiment original et qui surtout ne traumatisera pas nos chères têtes Alice (Milla blondes. Jovovich) doit enfin affronter le président a première cuvée dÊUniversal verture à lui. En rétrécissant la Lune grâ- sous forme de gélules jaunes bipèdes au dÊUmbrella Corp, à lÊorigine du virus dans le registre de lÊanimation ce à une arme spéciale en la possession langage incompréhensible sont une mortel. DÊautres surprises : Alice subit infographique sÊenvisage com- de Vector, Gru veut devenir le roi in- source dÊhilarité indéniable. ¤ la manière encore des modifications génétiques, L les survivants devront sÊenfuir dÊune me une récréation déployant quelques contesté. Prêt à tout, il nÊhésite pas à de Scrat, lÊécureuil de Lʘge de glace, ils se prison encerclée par les morts- fulgurances esthétiques. Car le studio nÊa adopter trois sflurs orphelines dont les révèlent être dÊincroyables voleurs de vivants (hommage à Walking Dead ?). pas fait les choses à moitié : des pro- cookies ne laissent pas son ennemi scène au point de remiser parfois lÊin- Les scènes dÊaction gardent leur côté fessionnels chez Blue Sky (Fox) ont été juré insensible. trigue principale dans lÊombre. On ne se- show-off, misant sur les effets de ralenti, la pyrotechnie, et une bande- débauchés et la compagnie française rait guère étonné si un spin-off leur était son rock. Mais cette fois, la 3D a dÊeffets spéciaux Mac Guff Ligne sÊest ¤ travers ce résumé, on distingue as- consacré. vraiment une utilité et donne à chargée dÊanimer le tout. Pourtant, le sez bien la position délicate du grand certaines scènes un souffle étonnant. JULIEN FOUSSEREAU Sortie le 22 septembre film apparaît presque comme habité par écart de Moi, moche et méchant : la naissance LOUISA AMARA un sentiment dÊinfériorité. ¤ lÊimage de dÊune filiation entre le brigand (autrefois son héros, Gru. traumatisé par une mère peau de vache) Wall Street : LÊArgent et des fillettes en mal de figure paternelle ne dort jamais, dÊOliver Stone Ce dernier rêve dÊêtre le super méchant nÊest pas sans rappeler la pureté senti- En 1987, au niveau mondial. Offrir un ballon en mentale exaltante de Pixar tandis que les Oliver Stone forme de girafe à un gamin pour mieux gags gentiment gras comme le ÿ pisto- devenait le roi lÊéclater avec une épingle nÊest que let prout Ÿ et les clins dÊflil référentiels du box office avec Wall peccadille. Son truc, cÊest de voler les insistants font directement écho aux Street. 23 ans monuments nationaux du gabarit de la franchises Shrek et Madagascar de Dream- plus tard, en Tour Eiffel. Seulement, à ce jeu-là, il est works. Un choix médian sécurisant en pleine crise mondiale, Wall lÊéternel second. Celui qui, à défaut de termes de recettes, mais pas forcément Street 2 arrive ravir la vraie, se rabat plutôt sur la pe- épanouissant sur le plan artistique. En ef- à point tite sflur à Las Vegas. Son ennemi juré, fet, la force de Pixar réside dans un sa- nommé. Vector (un sosie de Bill Gates en plus crifice total au profit dÊune narration vi- Gekko (Michael Douglas) sort de prison, le monde a changé, la finance hystérique), tire trop souvent la cou- sant la surprise et lÊinvitation au voya- est encore plus irrationnelle quÊavant. ge. Moi, moche et méchant, en dépit de sa Alors quÊOliver Stone sait frénésie, sÊavère trop prévisible pour rem- parfaitement parler de finance, ses scénaristes ont su donner de la porter totalement lÊadhésion. profondeur à ses personnages. MOI, MOCHE ET Gekko révèle une nature encore Ne boudons pas pour autant notre plai- MÉCHANT plus complexe, alors que les jeunes sir, ce film mérite le déplacement, ne se- comédiens Shia LaBeouf et Carey de Pierre Coffin Mulligan forment un couple très rait-ce que pour sa patte esthétique peu touchant. ¤ part la BO assez atroce, commune se mariant bien avec lÊusage et Chris Renaud, Wall Street 2 sÊavère plus émouvant film dÊanimation, 1h35, et réussi que lÊoriginal. de la 3D, et surtout les ÿ mignons Ÿ de sortie le 06 octobre 2010

Sortie le 29 septembre © Universal Pictures Gru. Ces déclinaisons des Lapins crétins LOUISA AMARA

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No et Moi, de Zabou Breitman La force du cellulo,

© Diaphana LE CHOC DES EGOS Le plus beau film français de lÊannée ! Zabou Breitman nous livre avec la « Waking Sleeping Beauty », documentaire réalisé par deux membres de la direction de Disney, sensibilité quÊon lui connaît une narre la renaissance du studio d’animation de 1984 à 1994. Avec une candeur et une justesse adaptation du roman No et moi, en évitant le pathos quÊon pouvait qui emportent l’adhésion. craindre. LÊhistoire ne manquait pourtant pas dÊécueils : une ado surdouée de 13 ans vit avec sa mère ifficile dÊimaginer que lÊani- dépressive consécutivement à la mort mation grand public était subite de son bébé ; le père est quasi moribonde aux États- dépassé. Pour un exposé, elle D rencontre une jeune SDF paumée Unis il y a 30 ans. Le Walt Disney Ani- mais pleine dÊénergie. Cette mation Studio, à lÊorigine de LA ma- rencontre va bouleverser cette trice , était au famille et redonner un souffle de vie. Blanche-Neige et les sept nains Beaucoup dÊhumour et de réalisme plus mal lorsque lÊonéreux Taram et le dans ce film porté par des acteurs au chaudron magique se fit rétamer au box- diapason. office en 1984 par⁄ Les Bisounours, le film Sortie le 17 novembre LOUISA AMARA (véridique). ¤ lÊépoque, la maison-mère envisagea de fermer purement et sim- © Walt Disney Studios Motion Pictures France © Walt Dans ses yeux plement le département, au grand dé- Un Prophète sÊest fait souffler sespoir de Roy Disney (le neveu de⁄) lÊOscar du qui démissionna du Conseil dÊAdmi- meilleur film nistration. La presse en fit ses choux étranger au profit de ce beau film gras et le cours de lÊaction sÊeffondra. argentin. Pas SÊensuivit une profonde restructuration question de de la direction au profit de Michael Eis- tomber dans le ner, tandis que Roy Disney et le jeu- RÉSULTAT DE LA COL˚RE DÊHOWARD ASHMAN (PAROLIER POUR DISNEY) chauvinisme. Juan José Campanella, not Jeffrey Katzenberg furent choisis le cinéaste pour gérer le studio dÊanimation. Cet- ÿ Comment avance Le Roi lion ? Ÿ, ÿ Fort Ariel ou Belle auraient pu fédérer au- derrière Dans ses yeux a été formé à te décennie dÊune intense richesse ar- bien : ils réalisent un film sur ce qui se passe au tant de spectateurs et concourir pour lÊécole des meilleures séries US. Cela se ressent dans sa réalisation dÊune tistique et financière atteignit son zé- sein de Disney ! Ÿ. Le ton est donné. Wa- un Oscar⁄ Sa lutte jusquÊà son dernier efficacité implacable et ce supplément nith avec la fameuse passe de quatre : king Sleeping Beauty tire sa beauté épique souffle pour imposer sa vision face aux dÊâme alliant superbe photographie et La Petite sirène, La Belle et la Bête, Aladdin et de cette odyssée décennale par le cadres experts en formatage se révèle audaces formelles. Ainsi, le film oscille brillamment entre polar politique en Le Roi lion. Puis, les batailles dÊegos et biais de sa réalisation en mode ÿ à au final la parfaite métaphore de cet- pleine dictature militaire et lÊobsession du pouvoir du trio eurent lÊintérieur Ÿ. En effet, les réalisateurs te folle époque qui secoua Disney : la mélodrame souterrain tiraillant le raison de cette dynamique. Don Hahn et Peter Schneider ont été friction du pur désir artistique des uns couple dÊenquêteur. M6 Vidéo offre des conditions audiovisuelles parfaites au cflur du cyclone. Leur documen- avec les velléités commerciales des en sus dÊun instructif commentaire taire bénéficie de nombreuses images autres. audio de Campanella. dÊarchive précieuses que le grand pu- JULIEN FOUSSEREAU Un Blu-ray M6 Vidéo blic peut désormais découvrir. Vi- JULIEN FOUSSEREAU suellement, Waking Sleeping Beauty est The Rocky Horror dépourvu des traditionnels entretiens Picture Show filmés où les ÿ survivants Ÿ se sou- Peu rentable viennent avec émotion ou rancflur. Ne à sa sortie, ce mythique sont conservées que les pistes audio sur musical lesquelles sont plaquées des vidéos en- foutraque registrées à la sauvette par John Las- accumula

© Walt Disney Studios Motion Pictures France © Walt seter (on peut y entrapercevoir un tout une cohorte de fans jeune Tim Burton bien étrange) ou irréductibles dÊexcellentes caricatures dÊune éton- dès lors quÊil nante dureté tranchant avec lÊesprit fa- fut program- mé aux milial et bienveillant de la maison Mic- séances de minuit. Ce culte key. Katzenberg en a souvent fait les authentique est tel que, encore frais de par sa brutalité dans les aujourdÊhui, les cinémas des grandes capitales mondiales le diffusent à échanges et son cynisme. des adorateurs déguisés en Frank-N- WAKING SLEEPING Furter, Brad ou Janet qui rejouent le Le film rend également justice à ces film en direct ! Loué soit ce Blu-ray BEAUTY qui a bénéficié dÊune restauration hommes et ces femmes de lÊombre, impressionnante. Les chansons non sans émotion quand il aborde les de Don Hahn, offrent un rendu impressionnant et disparus comme Howard Ashman. avec Burton, Lasseter... une puissance racée. LÊexhaustivité Ce parolier de génie était une forte tête des suppléments achèvent de documentaire,1h26, labelliser cette édition en objet capable de définir un personnage en un le 06 octobre 2010 de culte. DON HAHN couplet. Pas sûr quÊen son absence, Un Blu-ray 20th Century Fox JULIEN FOUSSEREAU 70

A rt & B d Bande dessinée et art contemporain au Havre AU-DELÀ DES FRONTIÈRES ET DES GENRES Aleksandra Waliszewska, sans titre, 36,5 x 77 cm (série de 3 dessins), 2010 © Aleksandra Waliszewska / Frédéric Magazine sans titre, 36,5 x 77 cm (série de 3 dessins), 2010 © Aleksandra Waliszewska Aleksandra Waliszewska,

La Biennale d’art contemporain du Havre ouvre ses portes à la bande dessinée cette année. L’artisan de ce rapprochement ? Jean-Marc Thévenet, commissaire de l’ex- position qui nous rappelle que la relation est très ancienne, mais aujourd’hui en plei- ne effervescence.

inancé par le groupe Partouche à hauteur mier, ni de neuvième art. Que ce sont catégories que la bourgeoisie dÊun million dÊeuros, la Biennale dÊart adore mettre en place pour mieux assurer son pouvoir. Ce sont F contemporain du Havre est un rendez- dans ces genres quÊil va falloir trouver des critères. Alors évi- vous incontournable pour les amateurs férus de créa- demment, cÊest un peu plus compliqué, cela va créer des frotte- tion nouvelle. Rapprocher la BD et lÊart contempo- ments, des dissensus. Mais je crois que cÊest dans ces dissensus rain peut sembler incongru, voire être une nouvel- que se trouve la richesse Ÿ, nous dit Alain Berland. le tentative un peu pathétique de chercher une fois de plus une légitimité dans un domaine qui lui est Les artistes, les premiers, favorisent ce rappro- diamétralement opposé : le geste artistique, par dé- chement, comme en témoigne Jochen Gerner : finition unique, dont les cotes atteignent des mon- ÿ JÊexpose depuis 2002, lorsque la Galerie Anne Barrault avait tants astronomiques, et un art largement diffusé, po- demandé aux membres de lÊOuBaPo (Ouvroir de Bande pulaire sinon, au sens étymologique, ÿ vulgaire Ÿ. Dessinée Potentielle, lancé par LÊAssociation. NDLR) de participer à une exposition. Suite à cela, on mÊa proposé de Prière de l'Isha, acrylique sur toile, 150 x cm, 2008 © Achraf Touloub Achraf Touloub, ¤ cela sÊajoute cette autre interrogation : peut-on faire partie de la galerie. En fait, ma démarche, même dans le prie les formes esthétiques ou les protocoles de la bande dessinée, exposer de la bande dessinée ? Le conseiller scien- milieu de la bande dessinée, a toujours été un peu à part, par- cÊest normal. Un des buts, cÊest de trouver des nouvelles tifique de lÊexposition Alain Berland balaie ces ce que mes livres ne ressemblaient pas à des livres classiques, cha- formes.Ÿ questions du revers de la main : ÿ Rappelons que la pho- cun étant différent en fonction du sujet traité. Mais ce que jÊex- tographie, le cinéma, la performance, lÊart conceptuel, la poé- pose dans des galeries dÊart contemporain, ce ne sont pas du tout Sur les cimaises, ce ne sera pas le choc des cultures sie, toutes ces manières de faire subissent ces mêmes interroga- des bandes dessinées. Ce sont des séries de dessins qui peuvent mais de LA culture : la figure de la BD underground tions quant à leur légitimité et leurs places. Ÿ éventuellement donner lieu à une publication. Ÿ des années 1960, Vaughn Bodé côtoyant Rupert & Mulot, Wim Delvoye croisant le collectif Atrabile, Il est vrai que depuis quelques années, la frontiè- De son côté, un artiste comme Achraf Touloub uti- Frederik Peeters mis en face de Franck Scutti⁄ Une re sÊest abolie entre les arts. La catégorisation du lise les codes de la bande dessinée dans ses travaux : sacrée récréation pour lÊflil ! XIXe siècle qui avait permis à Morris et à Francis La- ÿ Tout ce qui fait la société, lÊart contemporain le reprend, lÊuti- cassin dÊarracher pour la BD la place de ÿ 9e art Ÿ est lise, confie-t-il. La bande dessinée est un média hyper-important, DIDIER PASAMONIK aujourdÊhui désuète : ÿ JÊespère que les gens qui circuleront on ne peut pas le nier. Le fait quÊon la retrouve ici aujourdÊhui dans lÊexposition saisiront que ces genres sont pour eux, quÊil le démontre. La bande dessinée est une esthétique. Elle influe sur c 3e édition de la biennale dÊart contemporain du nÊy a plus de hiérarchie entre les genres. QuÊil nÊy a plus de pre- le cinéma, sur la mode⁄ Que lÊart contemporain se réappro- Havre, du 1er au 31 octobre 2010

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Le Journal des amis de Freddy n°2 HEY! : une déferlante visuelle L’éditeur Ankama publie depuis quelques mois une revue graphique sobrement mais énergique- ment intitulée « Hey! ». Cet objet bilingue (français/anglais) et généreux (plus de 144 pages) constitue une véritable marmite bouillonnante de styles, d’audaces et d’extravagances visuelles.

uo aux multiples casquettes ayant versé pendant 20 ans Cela fait 20 ans quÊYves Chaland nous dans lÊalternatif pur jus – a quitté, mais sa mémoire reste D ÿ street performers Ÿ, journalistes, galeristes tenace, tant son fluvre est forte. dÊart, musiciens (78 RPM Selector), ré- ¤ coté des rencontres qui sont © Mezzo / ANKAMA organisées dans sa ville natale de cemment écrivains (sous le nom de Ro- Nérac (voir p. 4), lÊassociation des sita Warlock / Mr Djub) –, Anne et Ju- Amis de Freddy édite une petite revue-hommage pleine de lien proposent Hey!, une revue à la témoignages de personnes ayant croisée des chemins qui sÊattache au approché le jeune Maître (Le Gall) dessin sous toutes ses formes. Rendant et de précisions bibliographiques (ses collaborations à Astrapi ou les hommage à une culture urbaine et po- sérigraphies fabriquées en Hollande). pulaire, les univers fertiles présentés Tirage ultra-limité de 150 mêlent créateurs de machineries fan- exemplaires, un futur collector vendu uniquement par correspondance ! tasques (François Delarozière), Renseignements sur : artistes de rue (JR, Tom de Pékin) ou http://lesamisdefreddy.blogspot.com encore auteurs de BD (David B., Blan- JEAN-PHILIPPE RENOUX quet)⁄ La moitié féminine du duo XX, Collectif Anne et Julien a répondu à nos ques- Il y a 20 ans se tions. créait lÊAssociation autour de Jean- Comment est né le projet Hey! ? Christophe Cela fait cinq ans quÊon avait envie de Menu, et le faire, dans lÊexercice de ce quÊon une belle exposition a eu aime. Le socle commun des artistes lieu à Sierre, en quÊon développe trempe dans la culture Suisse, en juin bis : nous avons tous écouté beaucoup dernier, en guise de de musique, nous sommes toujours à commémo- lÊaffût dÊimages qui vont nous procurer ration. Pour ceux qui nÊont pas pu des émotions, quel que soit leur mode se déplacer jusque là, lÊAssociation de diffusion – VJying (illustration de présente un copieux volume des planches exposées. 85 auteurs actuels musique par de la vidéo, NDLR), (les dissidents célèbres comme cinéma, images animées, peinture ar- Trondheim et Sfar ne participent pas tistique ou éphémère⁄ Évidemment, à la célébration !) présentent une nouvelle version dÊune de leurs pages. la BD en fait partie – je ne parle pas de Une sorte dÊexercice ÿ OuBaPien Ÿ série ou dÊalbums, mais de langue, de qui peut aussi servir à mieux visions – tout comme des travaux de connaître les nombreux auteurs actuellement publiés chez cet peinture, de volume, de tatouage... important éditeur indépendant Dans la culture quÊon embrasse, un au- LÊAssociation , 192 p. n&b, 20 € teur ne fait pas uniquement de la BD, JPR mais aussi des sérigraphies, des posters rock, peut-être en secret peint-il sur La Chine débarque à Lyon ILLUSTRATION DE MEZZO Pour ceux qui une toile⁄ Hey! est là pour défendre lÊignoreraient, une personnalité, un univers. Par Comment sÊopère le choix des ar- Comment sÊest passée la rencontre il existe un partenariat exemple, tout le monde connaît la BD tistes présentés ? avec Ankama ? entre Shanghai de Dave Cooper, mais personne sa Nous nÊavons aucun critère de sélec- Run (auteur de , NDLR) est et la région peinture, présentée dans le n°1! Ce qui tion : ni celui de la locomotive, ni ce- lÊun des prototypes des lecteurs de Rhône-Alpes. CÊest dans ce nous intéresse, cÊest le tracé, la valeur lui de lÊalternatif à tout prix, ni lÊobli- Hey! : quand je lui ai parlé du projet, cadre que le de la main. gation dÊêtre lié à une actu⁄ Au fil de cÊétait tout ce quÊil aimait, quÊil atten- musée dÊart

© Yan Wei, Blow up, 2009. Wei, © Yan mes recherches sur internet, je suis par dait, mais qui nÊexistait pas ! Ankama contemporain de Lyon reçoit exemple tombée sur la toile dÊun artiste a eu les couilles de dire oui tout de lÊexposition ÿ Infantization Ÿ, créée en taïwanais, Du Xi, qui mÊa fait du pied. suite. Ce que je leur demande main- Chine, qui présente les fluvres dÊune Le blog étant écrit en chinois, jÊai mis tenant, cÊest dÊacheter un bateau pour vingtaine de jeunes artistes chinois. La génération gélatine selon Zhang Qing, trois semaines à le pister : il habite dans faire des dépôts dans le monde entier ! le commissaire de lÊexpo, car leur la montagne à 2400 bornes de Pékin, Plein dÊartistes sont demandeurs, Hey! style est fait de ÿ glamour, de kitsch, cÊest un peintre reclus qui ne veut par- circule aux USA, Canada, Japon⁄ de design, de showbiz et sÊinspire des ler ni par téléphone ni par mail, il se Avec un bateau, nous pourrions orga- nouvelles théories scientifiques et de fantaisies futuristes. Ÿ On pourrait demandait vraiment ce quÊon lui vou- niser des expos locales, des barnums ajouter également bande dessinée lait ! Quand une fluvre dÊart te parle, dans lÊesprit du Cargo de Royal de Luxe dans la liste pour certains artistes. tu ne lÊoublies jamais ; cÊest une ren- (compagnie de théâtre de rue, NDLR) ! ¤ découvrir. Infantization, du 1er au 24 octobre contre, une discussion profonde, par- au mac de Lyon HEY! NUMÉRO 2 fois absolue. JULIE BORDENAVE THL

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zoom J eux V idéo Mafia II 2K Games Retro Action Hero

Simples passe-temps les mini-jeux pullulant sur le net et les smartphones ? En s’ouvrant aux 1943. Blessé lors de la campagne de consoles et aux PC, la donne change et certains conjuguent nostalgie enjouée et « gameplay » Sicile, Vito Scarletta, modeste fils dÊimmigrés, rentre dans le Little Italy dépoussiéré au travers d’une esthétique consciente de ses limitations techniques. qui lÊa vu grandir à Empire Bay (New York, grosso modo). Mais la vie est dure et le manque dÊargent bien là. ur fantasme né du film Tron En outre, comment rester honnête (1982, motos futuristes sur quand la Pieuvre lui fait du pied pour ses aptitudes au pilotage et au tracés invisibles de réseaux in- maniement dÊarmes à feu ? Vito P formatiques), Light Trax est un jeu de

– vous – va être entrainé dans une course de rayons lumineux sur fond noir © ZHENGMAN777 spirale du crime sans fin⁄ Accomplir infini. Les contours de pistes représentés des missions. par une épaisseur unique de trait privent Voler une cet univers en 3D filaire de toute sen- voiture. Bouffer de sation de densité. Sans contrainte gra- lÊasphalte vitationnelle, la morphologie angulai- pied au re des circuits permet de rêver des par- plancher pour cours fantastiques et vides, gérés seu- échapper aux lement par le déplacement de la lu- flics avec les mière. Cet espace froid et coloré rend yeux rivés des impressions de vitesse toute rela- sur le radar en bas à droite. Pas de doute, Mafia II est ce que lÊon appelle tive selon que lÊenvironnement soit un ÿ GTA-like Ÿ. Rockstar Games a complexe et bourré dÊobstacles, soumis tellement fluvré pour la quintessence aux brusques changements de pers- du jeu dit open world avec Grand Theft Auto IV, que lÊon est devenu exigeant. pective, ou complètement lisse dÊin- Et ne surtout pas se méprendre : formation. Chaque rayon a une lon- Mafia II est un très bon jeu dans gueur en soi, et lÊon ne peut pas une enveloppe visuelle souvent stupéfiante de beauté grâce à une prendre le même tracé sÊil est occupé modélisation de premier choix de par un ÿ corps Ÿ adverse. Croiser sa lÊimmense terrain de jeu. Mieux, ligne nous rejette vers une voie libre ou les nuances dans lÊexpression des protagonistes sont telles quÊelles un mur, ou une zone de ralentissement, appuient un casting vocal impeccable. brusque perte de contrôle. Mais ap- Sans oublier une mise en scène des procher et longer un adversaire permet phases cinématiques qui nÊa rien à envier au septième art. On de gonfler son boost comme lors du phé- regretterait presque que Mafia II nomène dÊaspiration. Trouver sa voie, soit si court et manque de quêtes bloquer celle des autres, côtoyer ses ad- secondaires et dÊinteractions avec versaires pour accélérer, sont les straté- lÊenvironnement en dehors des missions scriptées. gies simples et vitales de ce jeu hallu- Disponible sur PC, Xbox 360 et PS3 ciné. La partition musicale évoquant le tesse. Le vertige des vitesses, des un timing précis pour le traverser, JULIEN FOUSSEREAU meilleur de lÊelectronica 90Ês (am- courbes et des lumières, nous entraîne courir, cÊest ici écrire la musique selon Monkey Island 2 : biances mécaniques et épaisses / cris- extasiés vers un horizon qui nÊexiste pas. bonus et chemins pris. La danse fait la Édition Spéciale tallines), indépendante des mouve- musique, non lÊinverse. Et parce que le Lucas Arts ments des rayons, ajoute une dimension Bit.Trip Runner est un jeu ÿ mode défilement est rapide, les pièges nom- fantomatique à ce Daytona en 0/1 dÊemploi Ÿ. Dans un décor de pixels co- breux et difficiles à déceler, tout acci- (référence au langage binaire ou ba- lorés décrivant latéralement un paysa- dent nous renvoie sans pause au début sique, NDA). Le mode de jeu libre ÿ au- ge accidenté, une silhouette dyna- du niveau (la silhouette est transférée toroute Ÿ permet de filer sur des routes mique court sans arrêt. Placée à gauche sur la ligne de départ, la musique re- serpentines avec embranchements et de lÊécran, elle fonce sans que lÊon puis- prend de zéro et cÊest reparti). Bit.Trip circulation dense de rayons. Leur pro- se agir sur sa vitesse de défilement. Les Runner est un jeu dur et hypnotique se miscuité est toujours signe de potentiel moyens de franchir les obstacles (cre- jouant cruellement de nos réflexes, de dÊaccélération ou de collision élec- vasse, mur, escalier, etc.) sont délivrés notre croyance en la victoire et nos fa- Les fans de point and click de lÊâge trique, rabaissant dÊun coup notre vi- au compte-goutte. Une pédagogie cultés à mémoriser le parcours. Éprou- dÊor peuvent être aux anges depuis que Lucas Arts a décidé de relifter austère nous apprend dÊabord le saut, vant, sadique, mais à la portée de cha- Monkey Island, sa franchise culte de DR puis la glissade, le coup de pied, cun car, quel que soit le niveau par- piraterie loufoque sortie il y a (déjà !) chaque bouton de la manette étant dé- couru, on aura pu progresser de 20 ans. Sur le fond, rien ne change : Guybrush Threepwood affronte son voyé à un mouvement. Le vocabulai- quelques foulées. ennemi juré le pirate fantôme re gestuel sÊenrichit au cours de notre LeChuck. Sur la forme, on saluera un progression, tout comme les possibilités STÉPHANE URTH toilettage graphique HD superbe et des dialogues fendards parfaitement dÊaccidents sur ce décor basique. déclamés. Le plus : les commentaires Concentration et vigilance aiguës sont audio déjantés des créateurs sur indispensables pour éviter toute confu- LIGHT TRAX pression dÊune simple touche. BIT.TRIP RUNNER Nostalgiques, ruez-vous dessus, sion des gestes. Chaque mouvement Téléchargeables sur le service dÊautant quÊil ne coûte presque rien. étant accompagné dÊun son particulier Wiiware de la Wii ¤ télécharger sur les plateformes et chaque type dÊobstacles nécessitant 6 et 8 légales PC, Xbox 360 et PS3 € JULIEN FOUSSEREAU

76 S exe & B d LA FESSE CACHÉE des sous-vêtements Culottes en coton sages, bas de soie allusifs ou guêpières insolentes, les des- sous féminins n’ont jamais autant excité notre imagination. Sans vulgarité, mais sans complexe non plus. © Baru / LES HUMANOÏDES ASSOCIÉS u début des années signatures que celles de Baru, Bi- allemande en train de sÊeffeuiller 1990, les Humanos lal ou Gibrat. Si toutes les dans sa chambre, est invité à bri- A lançaient Fripons, série saynètes ne sont pas dÊégale qua- ser davantage la glace⁄ Que dire de cinq recueils qui, sous de très lité, le pouvoir émoustillant de aussi de la très suggestive lettre suggestives jaquettes signées Bel- certaines valent bien de jeter un dÊune femme narrant ses innom- tran, compilait une variété de flil par le trou⁄ de la serrure. brables conquêtes passées, excitée nouvelles coquines dont le mot dÊavoir été ainsi honorée toute sa dÊordre était pour les auteurs de Passons rapidement sur celle, vie ? Après une relecture égrillar- lâcher la bride à leurs fantasmes conceptuelle, signée Bilal et de du fantasme de lÊinfirmière, uti- érotiques. Dessous fripons en sep- Patrick Cauvin, ou encore sur la lisé par Marcelé & Chiavelli com- tembre, puis Rendez-vous fripons en nuit sulfureuse sur le front russe me subterfuge pour faire accep- octobre, constituent deux pre- entre un officier et la maîtresse ter à un patient sa piqûre quoti- mières rééditions de quatre al- dÊun lieutenant gagnée au terme dienne, le récit dÊun couple vivant bums à paraître dÊici lÊété 2011. dÊune partie de cartes, dont le po- dÊamour (beaucoup) et dÊeau Dans le 1er volume, consacré aux tentiel reste sous-exploité par fraîche (entre autres) ragaillardit dessous (féminins, que la chose Gigi, et clamons notre préféren- le lecteur : ah, cette fille à tom- soit entendue), on trouve parmi ce pour sept historiettes en par- ber qui multiplie mauvais coups les 14 récits dÊaussi prestigieuses ticulier. Celle de Frémond tout et coups de reins⁄ Enfin, sans dÊabord, où une journaliste et son doute le meilleur récit pour son interlocuteur, à la suite dÊune in- originalité, celui de Bourguignon terview axée sur lÊétourdissante narre la rencontre entre une jeu- variété de sous-vêtements exis- ne femme et un coffre magique tante, dissertent sur les sensations beau-parleur en diable (Vos désirs quÊévoquent les culottes dÊan- font désordre), qui la retient capti- tan, avant de sÊabandonner au ve après lui avoir refait sa garde- plaisir de la chair avec une exci- robe⁄ Graphiquement, toutes tation communicative. Tout aus- les nouvelles tiennent la route, si espiègle, lÊamour entre un hyperréalisme consommé dans consommé et une fantaisie où © Gibrat / LES HUMANOÏDES ASSOCIÉS une cabine de ma- lÊimagination folâtre sans li- gasin entre une mite. Laissant nos sens sans cliente ayant re- dessus dessous. trouvé dans le ven- deur lÊamant fougueux dont elle pensait avoir GERSENDE BOLLUT perdu la trace à jamais. Ce fruit défendu est aus- si lÊobjet de la nouvelle dÊArno & DESSOUS FRIPONS Nowotny où, durant la Seconde collectif, Guerre Mondiale, un jeune Les Humanoïdes Associés, Français surpris par une secrétaire 80 p. couleurs, 20 €

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Nous ne serons jamais des GOUPIL ACNÉIQUE ET ABRAHAM KADABRA : ÿ après trois ans dÊinterdiction Ÿ, les strips de héros, de Frédérik Salsedo Paf & Hencule vont vous soigner les zygomatiques à coups de scalpel et de mauvais goût. Rendez-vous et Olivier Jouvray pour un check up complet le 10 novembre, aux éditions Même Pas Mal... Mick se traîne en attendant que la vie lui offre une direction quelconque à défaut d'un emploi. Peu après le décès de sa grand- mère, une occasion de briser la monotonie lui est offerte. Charles, son père, lui demande de l'accompagner pour un voyage autour du monde grâce à l'argent laissé en héritage. Mick devra l'aider dans sa prise de médicament, lui faciliter ses déplacements en dépit de son handicap et gérer ses nombreuses sautes d'humeurs. Il devra trouver aussi le véritable but de cette fuite en avant. Nous ne serons jamais des héros est est un excellent album qui aborde plusieurs sujets délicats sans glisser dans le pathos. Les auteurs y pointent une tristesse authentique sublimée par un humour savamment dosé. On retrouve même, par moments, la magie d'Un Singe en hiver de Henri Vernueil. Le Lombard, 80 p. coul., 15,50 € KAMIL PLEJWALTZSKY Le Sourire éternel, de Luen Yang et Kirk Kim Ce recueil réunit trois histoires très différentes dans leur forme, mais reposant sur un même principe. Qu'il s'agisse d'un jeune chevalier, d'une STÉPHANE BOUZON est le créateur de Trip & Trash, deux héros fumistes et allumés qui sÊagitent grenouille (ou plutôt restent inertes) depuis une douzaine d'année dans une série de strips à lÊhumour de haute voltige. proche de ses sous ou d'une employée de bureau introvertie, tous www.tripettrash.com sont contraints de voir ce qui se cache derrière les apparences. Gene Luen Yang au scénario comme Derek Kirk Kim au dessin se révèlent aussi à l'aise dans l'heroic fantasy, le cartoon animalier ou la chronique sociale et, surtout, leurs récits, particulièrement touchants, sonnent juste. Dargaud, 168 p. coul., 15,50 € BORIS HENRY Bab-El-Mandeb, de Micheluzzi 1935 : LÊItalie mussolinienne sÊapprête à envahir lÊÉthiopie. En Égypte, les Anglais sÊinquiètent de ces manfluvres et les Frères Musulmans veillent dans lÊombre... Pris dans un tourbillon dÊévénements et de rivalités, quatre personnages hauts en couleurs sont regroupés par le destin pour convoyer deux automitrailleuses pour les troupes du Négus. Micheluzzi se joue avec malice des conventions narratives. Ses récitatifs pleins de tendre ironie sont jubilatoires. Nouvelle traduction et noir et blanc pour cette grande aventure jadis éditée par Casterman en 1988. Mosquito, 112 p. n&b,15 € VLADIMIR LECOINTRE

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Ingrid de la jungle, de FABCARO a parmi ses ancêtres le fondateur de Hyundai. Serge Scotto, Éric Stoffel et Richard Di Martino Polito- comiques, sarcastiques et farfelues, les aventures dÊIngrid ÿ Pétancourt Ÿ évoquent une célèbre ex- otage des FARC (ici la FARCE), lèche-bottes avec ses gardiens, manipulatrice avec les autres prisonniers, et bien sûr, carrément ingrate avec ses défenseurs. Tous les acteurs de lÊaffaire en prennent pour leur compte depuis Dominique de Grillepin, opposant politique du président Nicolas Sarko et de sa future épouse Carla Bruti, jusquÊaux services secrets qui libèrent trop tôt lÊhéroïne et la confondent avec une CLAIRE & JAKE réalisent les strips de Francis, un blaireau, à qui il arrive tout plein de trucs : il sauve le certaine Liliane du même nom. CÊest monde, rate sa vie, cherche lÊamour, et parfois même, veut mourir. rigolo et mieux dessiné que beaucoup dÊalbums du même genre, à lire quand 5 tomes parus, éditions Cornélius on trouve le monde trop sérieux. Fluide Glacial, 48 p. couleurs, 10,40 € YANNICK LEJEUNE

Bye Bye Babylone, Beyrouth 1975-1979, de Lamia Ziadé Lamia a 7 ans et Beyrouth est encore une cité de rêve, petit coin dÊOrient où les produits du monde entier sont à portée de caddies. Mais la guerre avale son enfance puisquÊelle ne la quittera quÊà 18 ans, lorsquÊelle vient à Paris faire ses études. Entre amour et haine, Lamia nous livre une mosaïque de souvenirs, tendres, nostalgiques ou terrifiants. Ce roman graphique, à lÊimage de ses influences pop art et de son parcours novateur (création de tissus, dessins, collages⁄) est aussi provocant quÊexemplaire. Denoël, 296 p. couleurs, 23 € HÉL˚NE BENEY LÊExilé du Kalevala, de Ville Ranta Écrire un roman graphique sur un poète et médecin de campagne finlandais qui LE CIL VERT, auteur notamment du Scaphandre fêlé et de Strip aviaire, présente sa nouvelle série : Arnaque, vécut au XIXe Prime & Stylo bille. Un regard chafouin et caustique sur les joies du travail en entreprise (quand déjà on parvient à siècle, cÊest en intégrer une). www.lecilvert.com possible à la seule condition quÊon soit Finlandais soi-même et que lÊon veuille rendre hommage à lÊune des figures de son pays, Elias Lönnrot, sans lÊégratigner, sans lÊédulcorer non plus mais en le rendant encore vivant. Ville Ranta a réussi cet exploit de nous précipiter dans sa culture, son histoire, les caractéristiques dÊun mode de vie fouetté par le froid et la solitude, mais revigoré par le sexe, lÊalcool et lÊamitié. Résultat : une fiction biographique aussi émouvante que celle de Pascin envisagée par Sfar. Ça et Là, 288 p. n&b, 22 € CHRISTIAN MARMONNIER

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Fanch Karadec, T.1, Le Mystère Saint-Yves, LES GENDARMES : amateurs de ÿ flagrants délires Ÿ, les Gendarmes ont inves- de Heurteau et Corbet ti votre ville et vous n'avez aucune chance de leur échapper ! Régis Loisel est Et voici nos gendarmes partis pour une nouvelle mission qui va sÊavérer particulièrement plus actif quÊil nÊy paraît : chaude. Non pas quÊelle soit dangereuse ou quÊelle implique des personnalités haut livrant des placées, mais parce quÊelle se déroule dans le midi de la France, en pleine canicule. scénarios Si les uniformes, les képis et les menottes résistent parfaitement à la chaleur, il nÊen va pas (Magasin Général, Le de même pour nos héros : les premières investigations les conduiront à mettre la main sur Grand Mort) et ce que la région compte de plus précieux, lÊombre ! des coups de main au Les Gendarmes tome 13 © Bamboo Édition 2010 – Jenfèvre, Cazenove & Sulpice storyboard (Les Quatre de Baker Street), il nÊest jamais avare de ses idées et de ses conseils. Stéphane Heurteau (scénario) et Sébastien Corbet (dessins) ont profité de son expérience pour cette enquête en milieu breton, mêlant quotidien, régionalisme et mystère. On reconnaîtra la patte Loisel dans le rythme lent et la description presque contemplative de la vie des personnages, qui contrastent avec lÊécriture frénétique de certains albums remplis dÊaction. LÊenquête policière, qui débute au bout de 15 pages, en devient presque secondaire, tant comptent les portraits de gens normaux. Et crédibles. Vagabondages, 64 p. couleurs, 14,95 € JEAN-MARC LAINÉ Vénus noire, de Renaud Pennelle LÊhistoire, authentique, est celle de Saartjie Baartman, une Africaine qui fut connue au XIXe siècle en tant que ÿVénus hottentote Ÿ. Dotée dÊun fessier proéminent exotique pour les badauds de lÊépoque, elle fut exhibée à Londres et à Paris, outragée de son vivant et profanée après son décès. Le film Vénus noire, dÊAbdellatif Kechiche, inspiré de ce destin pathétique, sort le 27 octobre sur les écrans. Simultanément, la BD adaptée de ce même scénario paraît dans les librairies. Ce livre fait-il partie du plan média du film ? CÊest possible. Mais comme le travail de Renaud Pennelle est assez réussi, reste à savoir, dans cette démarche plurimédia inédite, laquelle des deux formes artistiques risque le plus de cannibaliser lÊautre. Emmanuel Proust, 144 p. coul., 16 € JÉRłME BRIOT Les Années douces, T.1, de Taniguchi et Kawakami Rien dÊétonnant à ce que le roman sentimental Les Années douces dÊHiromi Kawakami ait suscité lÊidée dÊune adaptation dessinée à Jirô Taniguchi. LÊauteur de LÊHomme qui marche, très à lÊaise dans les scènes de silence contemplatif, est en univers connu dans les rencontres récurrentes et faussement fortuites, entre une trentenaire célibataire et son ancien professeur de 30 ans son aîné. Et qui mieux que le dessinateur du Gourmet solitaire pouvait dessiner avec la patience requise lÊaffection qui se tisse lentement entre les protagonistes, au gré des verres et des mets partagés dans un troquet ? Casterman, 200 p. n&b, 15 € JÉRłME BRIOT

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