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Analyse de l’origine des fortes variations d’impact de ekebladella, micro-lépidoptère minant les feuilles de Chêne, commun en Bourgogne

Jean BÉGUINOT 1,2

Résumé Comme partout ailleurs, nos Chênes bourguignons hébergent de nombreux insectes dont le stade larvaire mine l’intérieur des feuilles. L’impact de ces insectes, tel qu’il peut aisément s’apprécier par la densité des mines foliaires, est éminemment variable selon les espèces mais également d’une station à l’autre (d’un chêne à un autre) pour une même espèce mineuse. Des variations d’impact d’un ordre de grandeur et parfois bien davantage sont courantes et se rencontrent au demeurant chez la plupart des insectes phytophages. Cependant, ces variations d’impact n’ont pas ordinairement pu recevoir d’explications exhaustives, intégrant l’ensemble des contributions des facteurs susceptibles d’infl uer sur le niveau d’impact. Cette limitation ne tient pas à une insuffi sance d’approche théorique mais plutôt à la quasi-impossibilité d’évaluer en direct, sur le terrain, l’ensemble des principaux facteurs infl uents, en particulier s’agissant d’insectes de petites taille, infra-centimétrique. Le recours à une procédure permettant de restituer indirectement et rétrospectivement les valeurs estimées des facteurs gouvernant le niveau d’impact (procédure ‘MELBA’), à partir de données de terrain aisément accessibles a posteriori, permet de lever commodément cette diffi culté, au moins pour le cas particulier des insectes phytophages à stade larvaire se développant aux dépens d’une seule et même feuille hôte : insectes inducteurs de galles ou fonceurs de mines. Le micro-lépidoptère Tischeria ekebladella est l’une des espèces mineuses les plus spectaculaires sur nos chênes, sujette elle aussi à forte variation de niveau d’impact d’une station à une autre. On met ici à profi t la procédure susmentionnée pour préciser quantitativement les contributions respectives des différents facteurs infl uant sur la variabilité observée du niveau d’impact de Tischeria ekebladella. On montre notamment que les variations de qualité foliaire des chênes hôtes contribue tout autant (ici pour 49 %) aux variations d’impact de l’insecte que la densité locale des mères pondeuses (45 %), souvent seule invoquée. Un autre facteur, ordinairement totalement ignoré, le niveau de fécondité par ponte (taille de ponte élémentaire) joue également ici, avec une contribution il est vrai comparativement minoritaire (6 %). L’application de la procédure ‘MELBA’ permet en outre d’accéder indirectement à des traits de comportement inobservables en pratique. On montre ainsi que les mères sont assez exigeantes quant au niveau de qualité des feuilles de chênes acceptables pour ponte (de 50 % jusqu’à plus de 80 % des feuilles du chêne-hôte peuvent être rejetées selon les stations). En revanche, on met en évidence que la qualité foliaire n’apparaît pas avoir d’infl uence sur la taille de ponte élémentaire et n’exerce pas non plus de rôle attractif différentiel à distance sur les mères pondeuses.

Mots-clés : , chêne, mine, sélection, hôte. Analysing the origins of the strong variability of impact by Tischeria ekebladella, a common mining on oak leaves Abstract Tischeria ekebladella (Lepidoptera : Gracillariidae) is a common moth with its caterpillar often mining oak leaves, more rarely leaves. As a rule, the mining impact of the species exhibits strong variations according to locations, inviting to investigate quantitatively the respective contributions of the three main factors that regulate the level of mines density within host. As the direct monitoring in the fi eld of these governing factors is very diffi cult (when not virtually impossible), we use a newly designed procedure (“MELBA”) which allows tracing back to these factors indirectly, on the basis of posterior, easily recorded data (in terms of the histogram of the distribution of the numbers of mines per host- leaf). The respective contributions to the mine impact variability of Tischeria ekebladella, according to locations, were estimated by this procedure as: (i) 49% due to variations of host-leaf quality ‘α’, (ii) 45% due to variations of mothers’ local density (density of mothers’ visits to host-leaves ‘µ’) and (iii) a small contribution only (6%) due to variation of

clutch-size ‘nc’. The estimated degree of mothers’ selectivity among host-leaves prior to egg-laying is rather strong (proportion of rejected host-leaves from 50% up to more than 80%). Yet, the host-leaf quality proves having no signifi cant infl uence upon the clutch-size in this species. Also, the average quality of leaves within a given oak tree seems to have no appeal on females and thus, no signifi cant infl uence on the local density of Tischeria mothers.

Key words : Lepidoptera, oak, mine, selection, host.

1 Société d’histoire naturelle du Creusot - 12 rue des Pyrénées - 71200 Le Creusot - [email protected] 2 Université de Bourgogne, département Biogéosciences - 6 boulevard Gabriel - 21000 Dijon

Revue scientifi que Bourgogne-Nature - 21/22-2015, 91-98 91 ÉGUINOT Jean B

Trois mines de Tischeria ekebladella sur une feuille de chêne. IMBER Ian K , Hungary Forest Research Institute, Bugwood.org Hungary Research Institute, , Forest KA ó S György C

Larve de Tischeria ekebladella.

Imago de Tischeria ekebladella.

92 Jean BÉGUINOT Revue scientifi que Bourgogne-Nature - 21/22-2015, 91-98 Introduction et position du problème Parmi les choix alimentaires variés des insectes, les plantes (toutes parties comprises) mais aussi les autres insectes (tous stades compris mais surtout larvaires) sont les cibles les plus fréquemment adoptées et font donc principalement les frais de la voracité entomologique. En raison même de cette voracité, ni les plantes ni les insectes-proies ne sont restés inertes face au danger. Chacun a donc développé sa (ou ses) propre(s) tactique(s) défensive(s), au fi l de l’évolution. Ainsi, les plantes ont surtout mis au point des défenses chimiques dissuasives (alcaloïdes, tanins, etc…) tandis que les insectes- proies ont surtout développé des comportements d’évitement, incluant d’ailleurs à l’occasion la dissuasion chimique et ce, d’ailleurs en tirant souvent parti des produits toxiques d’origine végétale. Par contrecoup, les insectes consommateurs ont dû, à leur tour, s’adapter à ces moyens de défense, plus ou moins différents selon les espèces consommables, en se spécialisant très étroitement pour mieux tenter de contourner les défenses propres à la catégorie de proie fi nalement retenue au menu. Les insectes herbivores se spécialisent donc et la plupart d’entre eux sélectionnent exclusivement à l’échelle de la famille, souvent même à l’échelle du genre, voire de l’espèce de plante fi nalement acceptée au menu et se concentrent en général sur une partie délimitée de la plante. De même les insectes prédateurs (en général parasites ou parasitoïdes) se spécialisent souvent sur des catégories taxonomiques étroites de proies, se concentrant en outre sur un stade bien défi ni du développement des dites proies. Tout ceci explique la diversité spécifi que extraordinaire des insectes, conséquence directe de cette habituelle hyperspécialisation alimentaire. Encore faut il ajouter qu’à chacun de ces centaines de milliers de menus distincts peut correspondre plusieurs approches consommatrices différentes… Par exemple, considérant les herbivores, il peut s’agir simplement de croquer la plante de l’extérieur, autant que nécessaire à l’appétit. Mais des comportements plus exigeants et plus complexes se rencontrent souvent chez les petites espèces d’insectes herbivores, de taille typiquement infra-centimétrique, comme telles plus exposées aux aléas environnementaux. L’insecte demande alors à la plante hôte non seulement le couvert mais encore un gîte sûr. Il en est ainsi, typiquement, des insectes minant les feuilles ou des insectes induisant des galles par manipulation de l’expression du patri- moine génétique de la plante hôte. Pour eux, l’ensemble du développement s’effectuera le plus souvent aux dépens de la seule feuille qui les porte, celle où la mère a déposé l’œuf dont ils sont issus. Or, pour ces insectes très délicats, la qualité des feuilles d’une même plante-hôte est ressentie comme éminemment variable, lors même que ces feuilles sont pour nous absolument identiques entre-elles. À charge donc pour la mère, de réaliser successivement une série de bons tests et vérifi cations : 1) choisir la bonne espèce-hôte, puis 2) choisir la bonne partie de la plante (feuille ou tige ou racine ou fl eur ou fruit ou bourgeon de feuille ou bourgeon de fl eur…), enfi n 3) pour la partie de plante sélectionnée, tester le niveau de ‘qualité’, ne retenant fi nalement pour la ponte que les supports qui pré- sentent un niveau qualitatif suffi sant au point de vue de la mère. Rude et lourde tâche qui explique les nombreux contrôles que la mère effectue méthodiquement avant ponte. Chez ces menues espèces, la fragilité du stade larvaire demande, en compensation, des comportements souvent bien plus sophistiqués (au moins à cet égard) que chez les espèces moins ténues. Ce long préambule pour expliquer que chez les insectes mineurs de feuilles notam- ment, une part seulement des feuilles de la plante hôte en cours de visite saura satisfaire la mère pondeuse ; part que nous désignerons dans la suite par ‘α’, et qui représente donc le ratio d’acceptabilité des feuilles-hôtes par les mères pondeuses. Voyons dès lors de quoi dépend « l’impact » d’un insecte mineur donné sur une plante hôte, impact exprimé par la densité de mines, c’est-à-dire le ratio I du nombre de mines rencontrées rapporté au nombre de feuilles examinées. Pour qu’une feuille héberge une voire plusieurs mines il faut, bien entendu, qu’elle ait reçu au moins une visite exploratoire par une mère pondeuse et qu’à la suite de cette (ces) visite(s) elle ait été acceptée (probabilité α). Soit ‘µ’, le nombre moyen de visites exploratoires reçues par feuille de la plante hôte (ou par toute autre portion de plante article > Analyse de l’origine des fortes variations d’impact de Tischeria ekebladella, micro-lépidoptère 93 minant les feuilles de Chêne, commun en Bourgogne hôte visée par l’insecte étudié), nombre évidemment directement proportionné à la den- sité de mères pondeuses opérationnelles dans la plante considérée, cette densité étant intégrée tout au long de la période de ponte. Et soit enfi n ‘nc’ le nombre moyen d’œufs déposés lors d’une ponte élémentaire (ponte ‘élémentraire’ : ponte réalisée à l’occasion de chaque visite d’une mère à une feuille préalablement acceptée). En pratique, on ne retiendra et décomptera ici que les œufs qui auront effectivement éclos et donc donné lieu à une mine. Pour faire court, nc sera qualifi é de ‘fécondité par ponte élémentaire’.

Il vient alors naturellement pour l’impact I : I = µ.α.nc. Le niveau d’impact I de l’insecte mineur sur sa plante hôte dépend donc multiplicativement : (i) de la densité locale de mères-pondeuses dans l’environnement immédiat de la plante, densité à laquelle le facteur µ est proportionnel, (ii) du niveau de qualité foliaire de la plante hôte considérée, au regard des exigences maternelles, dont rend compte le ratio d’acceptabilité α,

(iii) de la fécondité nc par ponte élémentaire (incluant la probabilité d’éclosion réussie de chaque œuf). En raison de cette multiplicité des facteurs infl uants, l’analyse des causes susceptibles d’expliquer des différences d’impact signifi catives entre stations d’une même espèce d’insecte (ou entre espèces différentes sur un même hôte) n’a donc rien d’immédiat et suppose que soient dégagées et quantifi ées les contributions respectives de chacun des trois facteurs µ, α, nc qui gouvernent ensemble la densité de mines I affectant le feuillage. On se propose ici d’analyser les causes des importantes différences d’impact observées entre diverses stations bourguignonnes d’un micro-lépidoptère minant assez communément les feuilles des chênes : Tischeria ekebladella (Bjerkander). Une telle analyse, permettant de jauger et donc de hiérarchiser les responsabilités relatives des principaux facteurs régissant l’impact des insectes mineurs sur leurs plantes hôtes, est évidemment d’abord d’intérêt spéculatif. Mais on conçoit aussi l’intérêt plus pratique qui peut découler de cette étude, de façon à orienter plus rationnellement, le cas échéant, une action correctrice déterminée. Ce genre d’analyse n’avait jusqu’à présent jamais pu être réalisée dans les termes indiqués, faute de moyen commode d’évaluation réaliste des valeurs des facteurs µ, α, nc, comme indiqué plus loin. Brefs fragments de l’histoire naturelle de Tischeria ekebladella Tischeria ekebladella (Bjerkander, 1795) (Lepidoptera : Gracillariidae) est un petit papillon dont la chenille se développe en forant une mine au sein de la feuille-hôte sur laquelle l’œuf dont elle est issue a été pondu par une mère suffi samment « préoccupée » du bon développement de sa progéniture pour n’adopter comme espèce-hôte que diverses espèces de Chênes ou, à l’occasion, l’essence voisine que constitue le Châtaignier. De plus, comme on le verra, les mères pondeuses vont jusqu’à sélectionner sévèrement entre les feuilles de l’hôte, n’en retenant ordinairement qu’une minorité comme seules acceptables pour ponte. La mine se développe pendant la période estivale et prend la forme caractéristique d’une tache très blanche sur la feuille, tache plus ou moins difforme, correspondant à la partie interne, progressivement consommée du limbe. La couleur blanche est attribuable au fi n garnissage de soie blanche que tisse la chenille sur les parois de la mine, à mesure qu’elle en élargit l’étendue. L’examen par transparence, sous forte loupe, montre la bestiole ordinairement affairée à grignoter méthodiquement les bords de son gîte alimentaire. Tant il est vrai que la vocation principale, pour ne pas dire unique, des chenilles, et plus généralement des larves d’insectes, est de se nourrir avec application, de façon à accumuler un maximum de ressources, non pas tant pour elles-mêmes que comme viatique pour le futur papillon adulte qui éclora après méta- morphose. Lequel adulte, chez ces petites espèces, ne prendra plus aucune nourriture au cours de sa brève existence, toute entière consacrée à la reproduction. Au repos après repas, la chenille adopte caractéristiquement une forme arquée en fer à cheval, là encore bien visible par transparence. Par ailleurs cette espèce veille au maintien scrupuleux de l’hygiène interne de son manoir ; à cet effet elle rejette systématiquement à l’extérieur toutes ses menues déjections, grâce à une minuscule fente qu’elle opère dans la paroi.

94 Jean BÉGUINOT Revue scientifi que Bourgogne-Nature - 21/22-2015, 91-98 Une fois la larve repue et entièrement développée, l’heure de la métamorphose approche. La chenille entreprend alors de tisser, à l’intérieur même de sa mine, un abri supplémentaire sous forme d’un cocon discoïdal parfaitement circulaire et régulier. Le tissage de ce cocon peut, lui aussi, être suivi à la loupe par transparence, le moment venu. Qui aurait la patience d’une observation prolongée verrait alors à quel point l’industrie tisserandière de ce petit vermisseau de rien est élaborée, condition d’ailleurs de la forme parfaite fi nalement obtenue et de la méticuleuse étanchéité souhaitée pour ce tissage protecteur. Au sein de ce double abri se déroulera alors la métamorphose. De la petite chrysalide émergera enfi n un petit papillon qui, contrairement à la majorité de ses collègues à chenilles mineuses, n’arbore pas l’habituelle parure élégamment brodée de dorures diverses mais un costume plus sobre, ocre clair délicatement tacheté de brun. Méthode d’analyse

La quantifi cation, par observation directe sur le terrain, des facteurs µ, α, nc, gouver- nant le niveau d’impact se heurte à des diffi cultés pratiques quasi insurmontables. En effet, et surtout pour des espèces aussi petites et farouches que celles considérées ici, non seulement on lasserait la patience de l’observateur le plus motivé mais encore, on ne serait pas assuré que le comportement de l’insecte ne soit pas sensiblement biaisé par la présence même de l’observateur. Il est cependant possible de remonter de manière indirecte à l’estimation a posteriori

des valeurs de α et nc (µ se déduisant alors comme égal à I/(α.nc)). On met en œuvre à cet effet une procédure de calcul déjà brièvement évoquée antérieurement dans ces pages : procédure « MELBA » (BÉGUINOT, 2013) [méthode décrite en détail, y compris pour le développement mathématique et statistique, dans deux articles en libre accès sur internet (BÉGUINOT, 2011, 2012a) ; exemples d’application : BÉGUINOT (2009a, 2009b, 2012b, 2014)]. Les données de terrain nécessaires à cette estimation rétrospective de

α, nc puis µ, se limitent simplement à l’acquisition de l’histogramme des nombres de feuilles portant respectivement 0, 1, 2, 3, … mines, histogramme à établir à partir d’un lot de feuilles d’effectif suffi sant pour assurer un niveau souhaitable de signifi cation statistique de l’histogramme. On traite ici le cas de six stations du micro-lépidoptère Tischeria ekebladella (Bjerkander) minant assez communément les feuilles des chênes (en l’occurrence ici, Quercus sessilifl ora), stations qui se distinguent par des niveaux d’impact (densité moyenne I de mines par feuille de l’hôte) nettement différents, dans un rapport allant de un à cinq. Chaque station correspond au feuillage d’une branche rassemblant entre 150 et 395 feuilles, moyenne 249 feuilles, correspondant à un volume relativement restreint au sein duquel la notion de densité locale homogène des mères pondeuses fait sens. Résultats Le tableau I rend compte :

- des données de terrain : incidence I et histogramme des nombres ni de feuilles portant i mines ;

- des estimations déduites pour les valeurs de α, nc, µ relatives à chacune de ces cinq stations, estimations en utilisant la procédure « MELBA » décrite ci-dessus.

Tableau I. Observés : impact I et liste des nombres ni de feuilles portant i mines. Estimés : la proportion α

de feuilles susceptibles de satisfaire la requête des mères pondeuses ; la fécondité par ponte élémentaire nc ; enfi n, le nombre moyenμ de visites exploratoires reçues par feuille.

I n0 n1 n2 n3 n4 n5 n6 n7 n8 α nc μ

1 0,534 137 34 11 7 2 1 1 0 0 0,52 1,14 0,90 2 0,527 118 12 85410110,28 1,24 1,52 3 0,255 181 18 6 6 001000,25 1,12 0,91 4 0,101 367 20 61010000,18 1,09 0,52 5 0,236 246 22 15 4 1 0 0 0 0 0,22 1,00 1,07 6 0,295 205 39 13 4000000,45 1,02 0,64 article > Analyse de l’origine des fortes variations d’impact de Tischeria ekebladella, micro-lépidoptère 95 minant les feuilles de Chêne, commun en Bourgogne Tandis que la fécondité par ponte élé- Jean BÉGUINOT mentaire nc varie relativement peu, le ratio d’acceptabilité des feuilles pour ponte α et Naturaliste, la densité locale des mères intégrée sur la il est Président de la Société période totale de leurs activités de ponte d’histoire naturelle du Creusot. (dont rend compte µ) varient nettement plus. Le degré de sélectivité des mères nc μ pondeuses, parmi les feuilles de chênes, 1,6 qu’elles visitent est relativement sévère puisque, d’après les valeurs estimées pour α, la proportion de feuilles acceptables, au 1,4 mieux voisine de 50 %, peut descendre en dessous de 20 %, selon les stations. Cette 1,2 relative sévérité sélective des mères n’a rien d’étonnant dès lors que le développement de la chenille est strictement limité à la 1,0 feuille où elle est née et à elle seule, en sorte que les conditions de ce dévelop- 0,8 pement sont entièrement dépendantes du bon choix de qualité du support de ponte par la mère. On notera qu’en revanche, la 0,6 valeur de α n’a d’infl uence ni sur µ ni sur nc (fi gure 1). Ce qui veut dire, que la qualité 0,4 foliaire moyenne α de l’hôte n’infl ue ni sur la densité locale des mères pondeuses (dont 0,2 rend compte µ), ni sur la fécondité de ponte 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6

élémentaire nc. Ce qui confi rme qu’il n’y a pas d’attractivité à distance différenciée ratio d’acceptabilité Į sur les mères selon la qualité de l’hôte. Et Figure 1 – Indépendance de la densité de visites maternelles ce qui montre d’autre part que les mères μ et de la fécondité par ponte élémentaire nc vis-à-vis du ratio n’exercent qu’un jugement binaire sur les d’acceptabilité des feuilles α : régression μ versus α : r² = 0,0082, n = 6, p = 0,49 ; régression nc versus α : r² = 0,0012, n = 6, p = feuilles : convenables ou non à la ponte et 0,50. rien de plus. Į nc μ La représentation des valeurs de µ, α, nc, en fonction de l’impact observé I (fi gure 2) conduit aux équations de régressions sui- vantes (exprimées sous forme puissance pour répondre à la dépendance multiplica- 1,0 tive de I vis-à-vis de µ, α, nc) : µ = 1,54. I0,45, r = 0,73 ; α = 0,55. I0,49, 0,06 r = 0,72 ; nc = 1,19.I , r = 0,49. On déduit que les variations entre stations du niveau moyen α de la qualité foliaire du chêne-hôte et la densité locale des mères pondeuses (intégrée sur la période d’oviposition dont rend compte µ) contribuent majoritairement et à peu près également (49 % et 45 % respectivement) aux différences d’impact observées entre les stations étudiées de Tischeria, tandis que la fécondité par ponte élémentaire nc n’a 0,1 qu’un rôle comparativement moindre (6 %). 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 niveau d'impact I

Figure 2 – Valeurs de la densité de visites maternelles μ, de la

fécondité par ponte élémentaire nc et du ratio d’acceptabilité des feuilles α, chacune d’elles étant représentée en fonction du niveau d’impact I (I = densité moyenne de mine par feuille dans la portion échantillonnée du chêne hôte) et courbes de régression puissance correspondantes.

96 Jean BÉGUINOT Revue scientifi que Bourgogne-Nature - 21/22-2015, 91-98 Discussion L’observation courante montre que le niveau d’impact sur l’hôte des insectes phy- tophages en général (et ici plus particulièrement des insectes dont les larves forent des mines dans les feuilles de leur hôte végétal) varie considérablement selon l’espèce d’insecte, selon l’identité de l’hôte, et même d’un individu hôte à un autre relevant de la même espèce. Variations dont il serait évidemment bien intéressant de connaître la ou les origine(s), celles-ci étant à la base même de la compréhension du fonctionnement du système que forment les couples {insecte-hôte}, tel que celui illustré ici par le petit papillon Tischeria ekebladella et son hôte le Chêne sessile. La cause principale, ordinairement invoquée, pour tenter d’expliquer ces variations d’impact est la variation d’abondance locale des mères pondeuses. En effet, chaque mine étant forée par une chenille de la génération en cours, leur densité dépend direc- tement de celle des pontes et donc de la densité locale des mères – densité dont rend compte ici le paramètre µ. Mais, comme rappelé en Introduction, deux autres facteurs régissent également l’impact de l’insecte en terme de densité de mines, savoir (i) la qualité foliaire moyenne de l’hôte, dont rend compte la proportion α des feuilles de l’hôte potentiellement acceptables par les mères après test et (ii) la fécondité de ponte

élémentaire nc, ici caractérisée par le nombre moyen de mines issues de chaque visite maternelle à une feuille par elle acceptée. À son tour, l’impact I de l’insecte, défi ni comme le nombre moyen de mines par feuille hôte, s’exprime par le produit des trois

paramètres précédents : I = µ.α.nc. On ne saurait donc s’en tenir a priori à la mise en cause exclusive (et quelque peu tautologique !) de la densité des mères pondeuses de la génération précédente pour expliquer rationnellement le niveau de densité des mines de la génération qui suit. En fait, c’est la quasi-impossibilité pratique d’accéder

de manière fi able aux valeurs des paramètres µ, α, nc, par observation directe sur le terrain, qui rend bien diffi cile une analyse causale moins sommaire. Heureusement, le recours à une approche estimative indirecte, brièvement évoquée à la section Méthodes, permet présentement de pallier cette diffi culté. La mise en œuvre de cette procédure montre que les variations importantes (ici d’un facteur 5) pour le niveau d’impact, telles qu’observées parmi six stations bourguignonnes de Tischeria, ne sont en effet pas seulement attribuables aux variations de la densité locale des mères pondeuses. En fait, cette dernière ne contribue à la variabilité du niveau d’impact qu’à hauteur de 45 %. Les variations de la proportion α des feuilles des chênes hôtes considérées par les mères comme étant de qualité acceptable pour recevoir une ponte, autrement dit la variabilité de qualité foliaire des individus hôtes entre stations, contribue tout autant (49 %). Le solde de variabilité du niveau d’impact (6 %) résultant des variations intra-

spécifi ques de la ‘fécondité par ponte élémentaire nc. L’étude montre aussi que si le papillon repère sans doute d’une certaine distance l’identité spécifi que de l’hôte recherché, en revanche le niveau de qualité foliaire, dont rend compte α, implique un test au contact, feuille à feuille. Le fait que la densité locale des mères pondeuses soit indépendante de α confi rme en effet qu’il n’y a pas d’attractivité différentielle des chênes selon la qualité moyenne de leur feuillage. D’autre part, la sélection qu’effectuent les mères après examen de chaque feuille apparaît être de nature binaire : acceptabilité ou non comme support de ponte. À l’appui de cette

affi rmation vient l’indépendance constatée de la fécondité par ponte élémentaire nc vis-à-vis de α. En effet, il est vraisemblable que l’accroissement de la proportion α de feuilles acceptables se corrèle à une élévation de la qualité moyenne de celles des feuilles acceptables elles-mêmes. Dès lors, si les mères adaptaient leur fécondité par ponte à la qualité particulière de chacune des feuilles acceptées, une covariance positive

apparaîtrait entre nc et α, ce qui n’est pas le cas. Les résultats présentés ici montrent, sur un exemple illustratif tout à fait générali- sable, toute la richesse d’information qui peut être extraite du traitement rétrospectif d’un simple histogramme de répartition des nombres de mines par feuille, dès lors qu’est mis en œuvre l’outil d’investigation adéquat. La procédure ‘MELBA’ répond à cette préoccupation, dès lors qu’on a affaire à des insectes phytophages dont les larves se développent aux dépens d’une unique feuille (ou autre organe végétal fi guré et bien délimité), comme c’est typiquement le cas pour les insectes inducteurs de galles (céci- dogènes) ou, comme ici, fonceurs de mines. article > Analyse de l’origine des fortes variations d’impact de Tischeria ekebladella, micro-lépidoptère 97 minant les feuilles de Chêne, commun en Bourgogne Références

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98 Jean BÉGUINOT Revue scientifi que Bourgogne-Nature - 21/22-2015, 91-98