Introduction À La Pragmatique Des Effets Génériques: L'horreur Dans Tous Ses États
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Introduction à la pragmatique des effets génériques: l’horreur dans tous ses états Dominic Arsenault Université de Montréal [email protected] Abstract Cet article pose les jalons d’une nouvelle approche théorique de la question du genre, la pragmatique des effets génériques. Cette approche permet de résoudre les problèmes qui découlent du phénomène de l’hybridité générique, une difficulté qui limite l’analyse formelle d’objets culturels d’un point de vue générique. Ce nouveau paradigme donne la primauté non pas au texte comme objet fini, mais à l’expérience de son parcours par un lecteur/spectateur/joueur. Pour la pragmatique des effets génériques, le genre s’exprime dans des effets génériques qui se manifestent ponctuellement à travers la séquence sémiotique d’un objet culturel, que le lecteur/spectateur/joueur peut reconnaître et qui modulent à la fois son horizon d’attentes et sa compréhension cognitive de l’objet. La pertinence et les ramifications de cette approche sont démontrées à l’aide d’une étude de cas qui porte sur le genre vidéoludique du survival horror. Celui-ci est déconstruit en ses deux composantes, soit le genre thématique de l’horreur et le genre ludique du survival. Chacun est étudié à travers deux jeux, Resident Evil et Diablo, respectivement emblématique et étranger au genre. Néanmoins, l’analyse des éléments formels et de la jouabilité de Diablo du point de vue expérientiel démontre que ses mécaniques de jeu et sa structure donnent lieu à des effets d’horreur et de survival qui, bien que non prioritaires, ne peuvent être écartés d’une analyse sans risquer de dénaturer l’objet. Mots-clé Genre; pragmatique; effets génériques; survival horror; Diablo; expérience; cognitivisme La question du genre reçoit de plus en plus d’attention dans les études vidéoludiques. L’acquis principal des derniers travaux (Wolf, 2001; Apperley, 2006; Carr et al., 2006; Järvinen, 2008; etc.) qui doit être pris en considération est la séparation des genres en deux types : les genres thématiques et les genres ludiques, que Mark J.P. Wolf nommaient « genres iconographiques » et « genres interactifs » (Wolf, 2001). Les premiers concernent les contenus narratifs et thématiques ainsi que l’iconographie et l’esthétique (science-fiction, fantasy, Western, érotique, policier, etc.) qui se retrouvent dans d’autres médias (littérature, cinéma, théâtre, etc.). Les seconds sont propres au jeu et au jeu vidéo, et concernent les types d’actions devant être effectuées par l’avatar ou le joueur, les compétences sollicitées, ou la structure globale du jeu : jeu de stratégie, de rôle ou de tir, linéaire ou à monde ouvert (sandbox dans le jargon), etc. Le jeu vidéo, et l’interactivité en général, ramènent à un niveau autrement plus concret les différents acquis des théories de la réception en littérature et au cinéma. Si le genre remplit une fonction communicative dans le jeu vidéo par la formation et la régulation de l’horizon d’attentes narratif Loading… Special Issue, “Thinking After Dark” © 2010 Personal and educational classroom use of this paper is allowed, commercial use requires specific permission from the author. du joueur, il est aussi le point focal de sa performance. Avant de pouvoir importer des stratégies, le joueur devra régler l’indétermination manifeste de l’objet qui se présente à lui et le rattacher à un genre de jeu particulier à partir de ses expériences préalables. C’est à partir de ce processus de détermination générique que je développerai une nouvelle conception du genre que je nomme la pragmatique des effets génériques, qui permettra de résoudre l’un des problèmes récurrents de la pratique du genre, celui de l’hybridité générique. Ensuite, je me pencherai plus spécifiquement sur le survival horror et me livrerai à une analyse générique comparative de deux jeux : Diablo (Blizzard North, 1996), un jeu qui ne fait pas partie de ce genre, et Resident Evil (Capcom, 1996), qui en est l’un des titres-phares et qui agira comme contrepoids pour mieux mettre en lumière les éléments étudiés de Diablo. L’analyse explorera la relation entre les composants survival et horror de l’étiquette générique, et démontrera la pertinence d’avoir recours à l’approche proposée. Vers une Pragmatique des Effets Génériques Le principal apport des réflexions théoriques sur le genre en littérature et au cinéma a été de sortir la notion des présupposés d’universalité et de classification qui en constituaient le paradigme. Les genres ne sont pas fixés par une quelconque autorité, mais sont des constructions issues d’un « consensus mou » social et culturel, et sont foncièrement opératoires plutôt qu’investis d’une rigueur descriptive ou analytique. C’est ce que Andrew Tudor a mis en lumière en intégrant dans sa définition le « consensus culturel commun ». Pour résumer son propos, énoncer un jugement générique, ce n’est pas seulement émettre une opinion personnelle, mais c’est aussi affirmer que toute personne opérant au sein du même groupe culturel pourrait aussi reconnaître cet objet comme participant de ce genre. En ce sens, le genre est un ensemble de conventions culturelles : « Genre is what we collectively believe it to be. » (Tudor, 1973, p.139) C’est dans cette optique que Raphaëlle Moine peut affirmer que le genre est « un acte de naissance postdaté » (Moine, 2005) et un phénomène discursif plutôt que naturel : un genre n’apparaît pas avec « la » « première œuvre » (jamais instantanément reconnue comme telle, pour écourter les critiques, valables, de révisionnisme historique), mais avec les premiers comptes rendus critiques, étiquettes de producteurs, etc., qui utilisent le terme pour rendre compte de ces productions qui partagent certains éléments. Pour Rick Altman, un groupe de films ou une formule ne peut se constituer en un genre à proprement parler – c’est à dire un phénomène doté d’une certaine ampleur qui va au-delà d’un simple cycle ou d’une mode passagère – qu’à certaines conditions (Altman, 2006). C’est pourquoi il proposait en 1984 une approche du genre d’inspiration linguistique qui divise le phénomène en deux catégories, le sémantique et le syntaxique. Un genre sémantique est identifié par les contenus qu’il met en place, incluant les situations narratives, l’iconographie, les archétypes de personnages, et ainsi de suite; le genre syntaxique, lui, est fondé sur la mise en relation et la structuration de ces éléments : symbolisme récurrent, critiques sociales, rapports de forces et tensions, etc. Altman émettait l’hypothèse, à partir de ses études de cas, qu’un genre ne se constituait définitivement que lorsqu’il se fixait en un répertoire sémantique et une syntaxe propre. On aura l’occasion de revenir à ces propositions avec l’étude du survival horror, plus loin dans ce texte. Pour conclure ce (trop bref) panorama de la théorie des genres qui nous servira de fondation théorique, notons l’observation de Jacques Derrida en ce qui a trait au phénomène de l’hybridité des genres, qui apparaît fondamentale au concept même. Chaque objet n’est pas réductible à un seul genre 2 auquel il appartiendrait, mais participe plutôt à (et de) plusieurs (Derrida, 1986, p.185). De là survient l’un des problèmes les plus récalcitrants du genre : le choix entre l’approche inclusive ou exclusive. Si l’on accepte que la présence d’un seul ou de quelques composantes typiques d’un genre donné soit suffisante pour faire de cette œuvre une œuvre du genre, on fait face à une hybridité foisonnante de genres à l’intérieur de chaque œuvre, qui cumulera aisément une dizaine d’étiquettes génériques. Mais on assiste aussi – et peut-être surtout – au problème corollaire, soit la dilution de chaque genre par le nombre astronomique d’objets qui y seraient rattachés. Plus que classificatoire, le problème est aussi pragmatique. Quelle posture adopter, où diriger son attention, et à quoi peut-on s’attendre comme joueur devant un « terrifying squad-based horror first person shooter (FPS) game », pour citer la mise en marché du jeu Clive Barker’s Jericho (MercurySteam, 2007)? Pour le pratiquant « exclusif » du genre, l’idéal est de résumer chaque objet par un seul terme, celui qui identifie sa « dominante ». Ce faisant, le choix d’une seule étiquette générique pour représenter un objet nous force à écarter plusieurs éléments d’une œuvre. Dire que Alien (Scott, 1979) est un film de science-fiction, c’est écarter tous les éléments d’horreur qui le font dévier d’une formule « classique » de la science-fiction telle que présupposée par la personne responsable de l’acte de détermination générique. Les répercussions pragmatiques ne sont pas moins dramatiques, le spectateur courant maintenant le risque de décrocher du film en voyant les sanglantes scènes venir troubler le film de science-fiction qu’il attend. C’est pour remédier à ces problèmes que je propose de renverser le paradigme de l’étude générique. Il ne s’agit plus d’étudier un genre à travers un ensemble d’œuvres qui le mobilisent, d’identifier ce que chaque objet apporte au genre, mais à l’inverse d’étudier une œuvre à travers l’ensemble des genres qui y sont mobilisés, d’identifier ce que chaque genre apporte à l’œuvre. Il s’agit donc moins de faire une étude d’un genre, et davantage de faire une étude générique d’un objet. Le genre est ainsi mis à contribution d’une analyse formelle mais qui, loin de rester fermée sur l’œuvre, éclaire les mécanismes des genres eux-mêmes. On le verra avec les analyses de Resident Evil et de Diablo que je proposerai. Mais d’abord, réglons les assises théoriques de cette approche. Je postulerai qu’un genre, quel qu’il soit, s’exprime toujours à travers un effet générique.