Le Cas De La Transition Coloniale Au Capital Dans Le Nor&Ouest Malgache
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ROLAND WAAST DÉVELOPPEMENT DES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES MALGACHES AU XXe SlÈCiE Le cas de la transition coloniale au Capital dans le Nor&Ouest malgache Le développement de l’agriculture marchande et du salariat, aujourd’hui carac- téristique des campagnes malgaches, n’a rien de mystérieux mais de fatal non plus. Son explication réclame l’analyse de l’articulation, entre le Capital et les productions autochtones: c’est un processus historique, restructurant la société en plusieurs phases, et déterminé par les conditions de la colonisatiqn. Le terme « d’articulation » signifie en première’ligne que les productions, auto- chtones ne sont pas détruites, ,qu’ellec ne dohñent-même fias Prise’à %e. d&om@$ sition immédiate; elles’sont conservees dans le processus, quoique sous formetrans- formée, et restent capables .d’une « contre-pratique », dkformante, vis-à-vis du Capital sous ses .formes classiques. Notons ici que le cadre rG&onàl est particulièrement approprié à pareille analyse: il est à l’échelle des productions précapitalistes, au lieu même où leur liaison avec le Capital s’est concrètement développée et nouée; il permet de neutraliser les varian- tes introduites par les politiques différentielles du colonisateur à travers I’Ile, qui compliquent le tableau national. Du niveau régional, on peut certes revenir, selon les nécessités de I’analyse, à l’étude fine des relations parentales et villageoises, ou, à l’opposé, aux perspectives de l’histoire nationale et de l’économie internationale. Mais en centrant régionalement le champ d’investigations, on évite à la fois la myo- pie de l’anthropologie classique - manquant l’action de la métropole, de 1’Etat et des classes- et la presbytie de la sociologie « experte » en développement - méses- timant la cohérence des réactions paysannes aux injonctions administratives et aux sollicitations marchandes. La côte ouest de Madagascar se prête particulièrement à IXnalyse que nous voulons mener. Zone d’extension de la civilisation Sakalava, et de deux grands royaumes qu’elle secréta au xv@ siécle (le Menabe au sud, le Boina au nord), elle a été soumise à une même politique coloniale: celle des « protectorats intérieurs », faisant jouer à la noblesse autochtone le rôle d’intermédiaire entre I’Etat’et la popu- lation (1). La région occupe aussi une position particulière dans l’économie coloniale. (1) A l’opposé, une politique d’administration directe était appliquée sur les Plateaux et sur la côte Est, où la noblesseftit brisée ou n’avait plus d’influente. 36 ROLAND WAAST --- Limites de quelques royaumes ANKARANA Y” :+BRTANIMENA ru) / ANDREVOLA i (Masikc FIG. 1. - Carte de Madagascarvers 1750,constitution historique de quelques groupes de populations - (d’après H. Deschamps,histoire de Madagascar) A l’inverse des plateaux, les côtes furent le plus affectées par la création d’entreprises étrangères productives; elles reçurent des rôles différents das ce développement; à grands traits, les zones Est et Sud du pays ont été constituées en réserve nationale d’une main-d’œuvre itinérante, aux migrations finalement organisées par les « communautés traditionnelles » d’origine; au contraire, les zones Ouest et Nord du pays reçoivent ce Aux de « bras », et l’emploient durant sa vie active - soit dans les grands domaines agro-industriels ou latifundiaires, dont elles sont terres d’élection, soit à la petite pro- duction marchande, « libre » ou encadrée par 1’Etat. L’afflux de ces immigrants n’a pas manqué d’avoir des effets sur la société locale, par articulation avec elle: pour résultat, un nouveau développement des cultures marchandes, puis du salariat se produit chez les autochtones : nous montrerons comment. DÉVELOPPEMENT DES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES MALGACHES AU XXe S. 37 L’Ouest, le Nord du pays sont alors les régions où la vente du travail et la pro- duction marchande ont la plus longue histoire; elles y ont aussi la plus forte exten- sion. Dès 1913, la province de Diégo occupait 7 à 8 000 ouvriers originaires du Sud- Est; dans l’entre-deux-guerres, on considéra volontiers le Nord-Ouest comme la « perle de la colonisation »; aujourd’hui pour s’en tenir à la même région - le tableau montre le poids de l’activité marchande dans l’économie régionale - en même temps que la plzce exceptionnelle de la zone à Madagascar, de ce point de vue. TABLEAuDESPRODUCTIONS ETREVENUSAGRICOLES DUNORD-OUEST MALGACHEEN 1960 (Source: livre blanc de l’économie malgache). Montants en valeur, exprimés en millions FMG. Diégo Ambilobe Ambanja Nosy-Be Total Domaines agro-industriels 30 900 120 400 1450 dont : salaires: 5 150 10 60 240 Productions paysannes commercialisées 130 200 330 140 800 Productions paysannesnon commercialisées -280 200 200 - 50 750 Production totale 440 1300 650 590 3 000 Les 4 sous-préfectures citées se classent dans les 15 premières à Madagascar (sur 90), sous le rapport du revenu paysan moyen, du revenu paysan monétaire moyen, et du revenu par tête moyen. La préfecture qu’elles constituent ensemble est la première à Madagascar de ces 3 points de vue. C’est le développement du Capital dans cette région de l’Ouest que nous nous attacherons à analyser maintenant. La variété des situations (géographiques, histo- riques, industrielles) dans cette vaste zone, nous incite cependant - bien que l’unicité de l’articulation y soit réalisée - à distinguer deux rythmes distincts qu’elle a revêtus - l’un au Nord, l’autre au Sud. Voici le cas du Nord-Ouest. I. LA SOCIÉTÉ PRÉCOLONIALE Un minimum d’éléments doit être rappelé, concernant la situation immédiatement précoloniale. La société Sakalava a une base lignagère (i) La production, au sens large, entraîne le rassemblement des hommes, qui s’effectue ici sur une base de parenté. La haute vallée du Sambirano (l), par exemple, est au tournant du XX~ siècle, partagée entre 11 groupes aux généalogies distinctes. (1) Dans le Nord-Ouest de Madagascar. 38 ROLAND WAAST Chacun réunit, autour d’un fort noyau agnatique, des patrilignées d’origine parfois féminine, et quelques esclaves (1). Les membres (esclaves exceptés) se réfèrent à un même ancêtre de Se à 7e génération. Le groupe occupe un territoire propre, qui est son appendice N organique ». Un troupeau de bœufs géré collectivement y paît, scindé en troupes, dont chacune est confiée au gardiennage d’un segment lignager. (ii) C’est dans le cadre de ces segments (groupes de frères et sœurs, avec enfants et petits-enfants) que s’organise la coopération art travail. Ce genre de vie, àprédomi- nance pastorale, inclut une agriculture de subsistance (riz, manioc...), et quelques activités annexes de chasse et cueillette. Les soins du bétail sont donnés à tour de rôle par les hommes; ceux-ci conjuguent leurs efforts pour défricher la forêt (avant la riziculture sur brûlis), ou guider le piétinage des bœufs (équivalent à un «labour » des bas-fonds); la récolte du riz effectuée au couteau, épi par épi, met à la tâche tout le segment, hommes, femmes et enfants. D’autres travaux s’effectuent au sein du foyer (garde du riz contre les oiseaux, plantation des jardins de case: manioc, patates, mil...), ou constituent des activités individuelles (chasse du petit gibier en forêt, par les hommes, ou cueillette occasionnelle de baies - anacarde, etc. - par la femme accompagnée de ses enfants). Les segments forment encore les unités d’habitation (hameaux itinerants, suivant les déplacements du troupeau sur le pâturage lignager), et les unités de consommation (grenier à vivres et cuisine commune, commensalité) (2). L’activité productive immédiate s’exécute ainsi en rassemblements dont la parenté est le principe, sans exiger toutefois de recours au cadre plus large que celui des segments lignagers. (iii) L’appartenance lignagère s’impose aux individus, et aux segments, comme une condition sociale de leur existence. L’homme frappé d’ostracisme, ou mis au ban est condamné à une situation d’esclave dans un lignage étranger. Un segment qui fait scission, sans accéder lui-même, au rang de lignage, est tenu de s’agréger à un nouveau groupe, ou d’affronter une vie d’errance qui finira par le pillage de son troupeau, et par sa dispersion. C’est le lignage qui pare aux amendes encourues par ses membres, et qui les défend, dans leurs différends avec les hommes de groupes voisins : c’est lui qui organise les actions de supplique et de grâces, envers les ancêtres et les dieux, lorsque son intégrité physique est menacée par la maladie d’un des siens. Toute une série de cérémonies - à la tenue desquelles sont seuls habilités les lignages, est indispensable à l’établissement de l’identité sociale de chacun: à la naissance, lorsque l’enfant reçoit un nom, puis lorsqu’il est adopté dans son groupe (kitrolo); au moment de la circonscision, si c’est un garçon; lors du mariage, et même des funérailles (qui assurent le passage au rang des ancêtres, médiateurs de leur descen- dance auprès des divinités). De telles cérémonies, où le voisinage est invité, sont l’occasion de rappeler les origines du groupe de descendance, d’inviter l’assistance à en reprendre connaissance, et à lui renouveler sa reconnaissance. C’est seulement (1) En nombre variable selon les lignages. Celui qui en avait le plus, dans le Sambirano, possédait 3 000 bœufs et 40 esclaves:il groupait une centaine d’hommes libres, à Maro- tolana. Plus fréquemment, au tournant de la colonisation, les lignages rassemblaient une soixantaine d’hommes et femmeslibres, et une dizaine d’esclaves.Ceux-ci provenaient soit de razzias, opéréeschez les peuples voisins, ou d’achats, auprès des traitants arabes qui importaient de la côte africaine, et bien sûr de la progéniture même”des esclaves- qui ne semblepas avoir été prolifique. (2) Les hommes du segmentlignager mangent ensemble,de leur côté, les enfants du leur, les femmes prennent la suite.